J'ai eu le coup de foudre. C'était il y a 10 ans, je me promenais dans la fac, mes cahiers sous le bras, telle une jeune étudiante passionnée. Dans ses pensées, il m'a bousculée. Ça m'a énervée, je me suis retournée. Je l'ai regardé. Il m'a regardée avec ses grands yeux bleus et on s'est aimés au premier regard. Aujourd'hui encore, quand je me lève le matin, je regarde mon homme à côté de moi et je suis toujours émerveillée. J'ai mon cœur qui palpite et encore les papillons dans le ventre, presque 24 heures sur 24. Rien n'a changé. Rien n'a changé : je l'aime comme au premier jour. Bon, vous vous en doutez, tout ça n'existe que dans les contes de fées. En réalité, je n'ai pas eu le coup de foudre. Je n'ai pas eu le coup de foudre parce que le coup de foudre, l'amour sans encombre, les papillons dans le ventre 24 heures sur 24, tout ça, ça n'existe pas. Pas plus que l'âme sœur ou l'amour éternel. En tout cas, pas comme on l'entend. Nous avons tous des certitudes sur l'amour. Nous pensons par exemple que c'est ce lien unique qui nous lie à l'autre, l'engagement, le désir, la confiance. En fait, tout ça, ce n'est pas de l'amour. C'est plutôt la cause et la conséquence de l'amour. Après des années d'étude et de recherche, Barbara Fredrickson et son équipe de chercheurs ont redéfini l'amour. Et voici leur conclusion : l'amour n'est ni durable, ni exclusif, ni inconditionnel. L'amour n'est pas exclusif. Lorsque j'étais enfant, je pensais que ma mère nous aimait un jour sur deux avec mon frère : un jour lui, un jour moi. Chacun son tour, pas de jaloux. Comme si on ne pouvait aimer qu'une personne à la fois. Évidemment, je me trompais. L'amour a une portée bien plus vaste. Il n'est pas réservé à une seule personne ou une âme sœur. En fait, on peut ressentir des émotions positives, et donc de l'amour, avec toutes les personnes qui nous entourent, même des inconnus. Vous pouvez par exemple, vivre des micro-moments d'amour avec votre boucher, sans être infidèle. Alors, les micro-moments d'amour vécus avec un inconnu et ceux vécus avec un proche sont quasiment identiques. Les chercheurs observent la même synchronie biologique. Il y a tout de même des différences, notamment dans les facteurs qui déclenchent ces micro-moments d'amour puisque l'intimité, les mots, les gestes ne sont pas les mêmes. Et aussi, dans la fréquence, puisque, c'est logique, on vit plus de micro-moments d'amour avec nos proches. L'amour n'est pas durable. Alors que j'avais 15 ans, ma vision de l'amour avait un peu évolué. À cette époque-là, je croyais en l'amour éternel et immuable. Et puis un soir, alors que je connaissais mon premier chagrin d'amour, mon père est venu me réconforter et il m'a dit : « Tu sais, ma chérie, tu n'aimeras pas ce garçon toute ta vie. » Je vous laisse imaginer ma colère et mon sentiment d'incompréhension. Je n'avais que 15 ans, Il faut le remettre dans le contexte. En fait, je dois bien le reconnaître des années plus tard, oui, mon père avait raison. L'amour n'est pas une émotion stable que l'on éprouve des mois ou des années. En fait, c'est une sensation passagère qui dure quelques secondes. Alors rassurez-vous, elle est renouvelable à l'infini. Autrement dit, vous n'aimerez pas votre enfant, votre femme, votre conjoint, vos amis ou vos parents toute votre vie. Vous les aimerez une, dix, vingt fois par jour et parfois, avouons-le, pas du tout. L'amour n'est pas inconditionnel. Alors que nous étions au début de notre relation, mon conjoint m'a dit un jour, cette phrase un peu étrange qui allait changer ma vision de l'amour. Il m'a dit : « De toute façon, aujourd'hui tu ne m'aimes pas. » J'ai d'abord trouvé ça un peu bizarre et j'ai dû rétorquer une phrase toute aussi étrange : « Ben si, je t'aime aujourd'hui. » Et puis, l'idée a fait son chemin. Y a-t-il des moments, des événements, des conditions qui favorisent l'amour ? Et effectivement il y en a deux. Il faut d'abord un sentiment de sécurité parce que notre cerveau ne peut pas ressentir d'amour en présence de danger ou de menace. Il faut également une relation authentique. C'est-à-dire qu'il faut être, d'un point de vue scientifique, Il faut être physiquement et émotionnellement présent. Si l'amour n'est ni durable, ni exclusif, ni inconditionnel, qu'est-ce que c'est alors ? L'amour, c'est la plus puissante des émotions positives, l'expérience émotionnelle la plus essentielle à notre santé et notre épanouissement. C'est une sorte de carburant qui nourrit aussi bien notre corps que notre esprit, qui est aussi important que la nourriture ou l'oxygène. Les chercheurs nous invitent donc à repenser l'amour comme un moment puisqu'il dure quelques secondes. C'est l'accumulation de ces micro-moments qui vient renforcer la relation. En fait, l'amour, c'est quand, vous faites un tendre câlin à un enfant, même si ce n'est pas le vôtre, c'est quand vous avez un fou rire avec une amie pour des raisons inexpliquées, c'est quand vous vous promenez main dans la main avec votre conjoint, c'est quand vous avez une conversation passionnée avec votre collègue de travail. En fait, l'amour, c'est quand au moins deux personnes se relient et partagent une émotion positive. Il faut trois phénomènes pour ressentir ces micro-moments d'amour. D'abord, il faut partager une émotion positive. Ensuite, il faut être en synchronie, c'est-à-dire, en résonance, quand on a les mêmes mots, les mêmes gestes, qu'on a l'impression d'être sur la même longueur d'onde. Enfin, il faut une intention mutuelle de bienveillance. Une émotion positive, dès qu'elle est partagée, se transforme immédiatement en micro-moment d'amour. Alors, pour résumer, je vais peut-être vous choquer mais, à l'instant précis où je vous parle, je n'aime pas mon conjoint. En effet, nous ne sommes pas en synchronie ni en train de partager une émotion positive et nous n'avons pas d'intention mutuelle bienveillante. En fait, d'un point de vue scientifique, mon corps ne ressent pas d'amour pour lui. Alors rassurez-vous, nous avons pendant des années vécu un nombre incalculable de micro-moments d'amour si bien qu'ils sont venus renforcer notre relation en créant un lien de confiance et de sécurité, lui-même propice à la multiplication de futurs moments d'amour. Maintenant, peut être que vous vous dites : « En quoi ces avancées sont intéressantes ? Qu'est-ce qu'elles peuvent changer dans nos quotidiens ? » En réalité, ça peut tout changer. Parce que nous avons tous un nerf qui relie notre cerveau à notre cœur. Il s'appelle le nerf vague. Il a des effets très positifs puisqu'il nous permet de nous relier aux autres, de diminuer notre fréquence cardiaque et de réguler nos émotions. C'est quoi le rapport avec l'amour ? Eh bien, ce nerf reflète notre réceptivité aux sources d'amour. Plus notre tonus vagal est élevé, plus on va pouvoir vivre ces micro-moments d'amour. Au départ, les chercheurs pensaient que les caractéristiques de ce nerf vague étaient déterminées à la naissance et figées dans le temps. Et puis, les recherches ont montré que l'on pouvait en quelque sorte, le muscler. Pour résumer, les micro-moments d'amour activent et tonifient le nerf vague et plus notre nerf vague est tonique, plus on a la capacité à vivre ces micro-moments d'amour. En fait, c'est un cercle vertueux où l'amour engendre l'amour. C'est génial parce que, au-delà d'augmenter notre niveau de bonheur, les chercheurs ont également montré que ça augmentait notre espérance de vie. Donc plus notre nerf vague est tonique, plus on vit longtemps. Maintenant, vous aurez peut-être envie de savoir comment on fait pour « développer » ce nerf vague. Il existe des tas de petits exercices. Je vais vous en proposer deux, ce soir avec un petit bonus. Le premier, que je vous propose de tester, c'est la méditation de la bienveillance. Les effets bénéfiques de la méditation sont nombreux. Elle augmente le bonheur, l'intelligence, l'espérance de vie. La méditation de la bienveillance consiste à vous installer confortablement dans un endroit calme et à porter votre attention sur une personne envers qui vous avez des sentiments chaleureux. L'idée est d'avoir pour elle des pensées et des intentions bienveillantes. Vous pouvez faire ces petits exercices avec vos enfants. Par exemple, en leur proposant chaque jour, de prendre cinq minutes pour penser à une personne qu'ils apprécient. Le deuxième exercice que je vous propose est celui des interactions sociales. Vous l'avez compris, l'amour ne se ressent qu'en présence des autres. Je vous invite, chaque soir, à repenser à trois échanges que vous avez eus dans la journée et à vous demander si vous vous êtes senti proche ou non de cette personne. L'idée, c'est vraiment de prendre conscience de la qualité des relations que vous nouez au cours de votre journée. Là encore, vous pouvez faire ce petit exercice avec vos enfants en leur demandant de réfléchir chaque jour à trois super moments qu'ils ont passés avec leurs copains ou avec un adulte. Enfin, pour finir sur une touche de tendresse, j'aimerais vous parler des câlins parce qu'ils ont des pouvoirs magiques. Quand on fait un câlin à quelqu'un, au bout de 20 secondes, notre cerveau sécrète de l'ocytocine, qui est l'hormone de l'attachement et du bien-être. Il sécrète aussi de la dopamine qui est l'hormone de la motivation et de la bonne humeur. En fait, faire un câlin, ça permet d'être plus patient, moins stressé, moins anxieux, d'avoir une meilleure estime de soi, de renforcer les liens sociaux. Et surtout, c'est gratuit et à portée de bras. Les enfants adorent ça. Alors non, je n'ai pas eu le coup de foudre pour mon conjoint. Je n'ai pas les papillons dans le ventre 24 heures sur 24. Et il avait probablement raison le jour où il m'a dit : « Aujourd'hui tu ne m'aimes pas. » Il avait raison, parce que comme vous, nous nous aimons quelques minutes par jour et nous nous sommes aimés des centaines de fois auparavant et, je l'espère, nous nous aimerons encore quelques milliers d'autres. D'ailleurs, si on y réfléchit bien, le petit ventre arrondi que l'on devine tout juste est justement la conséquence de ces micro-moments d'amour passés, et j'en suis sûre, la cause de futurs moments d'amour. Alors, tonifiez votre nerf vague, vous serez plus heureux, et vous vivrez plus longtemps. Et surtout n'oubliez pas de transmettre tout ça à vos enfants car ce sont eux les garants de demain. Cultiver l'amour est à mon sens le plus grand pas que vous puissiez faire en famille sur le chemin du bonheur. Je vous souhaite bonne route. (Applaudissements) Je dois commencer par vous dire quelque chose : depuis mes sept ans, je suis fan de mode. Je dessine, je couds, je rafistole. Du coup, mon idée du paradis, c'est le bien nommé « Marché Saint-Pierre » à Montmartre, un lieu rempli de tous les tissus dont vous pouvez rêver - popelines, mousselines, sergés, cretonnes - un lieu rempli aussi d'une atmosphère très particulière de convivialité et de solidarité entre les clients, comme si nous nous reconnaissions et nous nous respections, nous, couturiers du dimanche et professionnels de la mode ; un endroit qui rassemble des gens de milieux très différents qui ne se fréquenteraient pas forcément ailleurs, mais qui ici sont semblables, car ils ne sont définis que par cette même chose, l'amour du ciseau qui glisse sur la toile, du patron que l'on trace, de l'aiguille qui s'agite, et de l'étoffe qui tombe à point sur le mannequin. C'est pour cela que, pour moi, les vêtements servent avant tout à tisser - pardonnez le jeu de mots - des liens entre les gens. Tenez par exemple, n'avez-vous jamais exprimé de l'empathie envers quelqu'un en le complimentant sur sa tenue ? Ce que nous décidons de porter a cette particularité de nous distinguer les uns des autres, tout en renforçant et marquant notre appartenance à un groupe - voire à plusieurs - social, religieux, régional, professionnel, générationnel. En France, nous sommes fiers d'abriter une si forte diversité culturelle dans un espace relativement réduit. En France, pays reconnu dans le monde entier pour son élégance et son art de vivre, nous accordons beaucoup d'importance à ce que nous portons sur le dos, et sur la tête. Parlons du couvre-chef justement. Vous ne remarquez rien ? Ces photos ont été prises à des époques différentes et représentent des femmes de milieux et de régions variés. Pourtant, elles ont deux choses en commun. Premièrement, toutes ces photos ont été prises en France. Deuxièmement, elles montrent que, de tout temps, les Françaises se sont couvertes la tête à un moment de la journée, de l'année, voire de leur vie. La fonction et la forme du couvre-chef évolue selon les mœurs et les modes, mais il continue à faire partie intégrante de notre vestiaire. Et c'est parti ! Bandeau, bibi, bob, boubou, bonnet, casquette, cagoule, capuche, chapeau, fichu, voile, toque, turban, visière... Levez la main ceux qui n'ont jamais rien porté sur la tête cette année... ... ceux qui n'ont jamais rien porté de leur vie. (En riant) C'est rare ! Ces photos de famille sont les miennes. Elles sont celles de mes amis ou d'amis d'amis, mais elles pourraient aussi être les vôtres, non ? Alors quand j'entends que se couvrir la tête n'est pas français, ça me fait rire. Pas français ? Mais c'est ignorer notre histoire ! C'est ne pas regarder plus loin que le bout de son nez ! Se couvrir la tête, pour les femmes, a toujours été sujet à débat. Chez les Grecs anciens déjà, le voile distingue les femmes mariées de haute vertu et les prostituées qui peuvent et doivent sortir tête nue. Dans son « Épître aux Corinthiens », Saint-Paul exhorte les croyants à couvrir leurs femmes. Dans la tradition musulmane, seules les épouses du prophète Mahomet, initialement, se voilent, marquant ainsi leur appartenance à une élite à la fois sociale et religieuse. Depuis des siècles voire des millénaires, une tête couverte signifie tour à tour, pudeur et archaïsme, conservatisme et convenances. Même dans ma propre famille, chaque génération de femmes donne un sens différent au couvre-chef. Tenez, par exemple, pour mon arrière-grand-mère paternelle, au début du XXe siècle, porter la coiffe, c'était se conformer au groupe dont elle faisait partie et affirmer son appartenance à un territoire, le pays de Redon, en Bretagne. Pour sa fille, ma grand-mère paternelle, dans les années 1940, « sortir en cheveux », comme on disait à l'époque, c'était échapper au fichu paysan qui marquait à la fois ses origines rurales et rappelait également les travaux des champs où il servait à protéger de la poussière et du soleil. Sortir en cheveux, c'était se prendre pour une dame de la ville, voire pour une de ces stars de cinéma au brushing toujours impeccable. Dans sa campagne, toujours en Bretagne, on sortait toujours tête découverte, gardant les foulards noués sous le menton pour la messe du dimanche, les chapeaux pour la noce, et les voiles pour mariages et communions. Pour mon arrière-grand-mère maternelle, plus urbaine et plus bourgeoise, le foulard et le chapeau, comme les gants et les perles, était l'attirail obligatoire de toute dame de bonne société, un accessoire marquant à la fois son statut, et permettant de ne pas ébouriffer sa mise en plis lorsqu'il fallait passer d'une promenade en bord de mer à une partie de bridge. Pour ma mère, qui a grandi avec Mai 68, la plupart des couvre-chefs, bourgeois ou populaires, esthétiques ou religieux, symbolisent une atteinte à la liberté corporelle des femmes. Elle considère en plus ne pas avoir vraiment de tête à chapeaux, mais arbore néanmoins un canotier en été, et une capuche ou un foulard en hiver. Pour moi enfin, porter quelque chose sur la tête, c'est démultiplier le potentiel mode d'une tenue, c'est raconter une histoire, s'inventer un personnage. Mon faible, ce sont : les chapeaux de mariage, que je confectionne moi-même ; les casquettes en tweed, qui envahissent mes placards ; les toques en fourrure, au grand dam de certains ; et les foulards en soie, qui, noués en serre-tête, en bandeau, autour du cou ou en fichu, me permettent de me rêver en réincarnation de Grace Kelly ou Audrey Hepburn, mais finissant le plus souvent à ressembler à l'une de mes grand-tantes lorsqu'elle avait deux fois mon âge. Ainsi, ce rapport que nous entretenons avec ce que nous portons sur la tête est révélateur de chaque époque. Il reflète aussi les interrogations et évolutions de notre société, ici en France, mais aussi à l'étranger, dans d'autres pays. Alors, la prochaine fois que vous passerez devant une mercerie, pensez à ce lien tissé par l'étoffe. Et lorsque vous croiserez une femme avec un couvre-chef, rappelez-vous que ce dernier, même chargé de mémoires, de symboles et d'histoire, reste un morceau de tissu ou de paille qui n'a que le sens que l'on veut bien lui donner, et que tête couverte et découverte, du moment que cela est fait librement, ne doivent pas occulter des situations beaucoup plus préoccupantes. Revenons, pour finir, à ces murs et à ces ombres. Ce que nous portons sur le dos, et sur la tête, nous protège du beau et du mauvais temps, du regard des autres ou du divin. Il peut aussi rendre plus forts celles et ceux qui le portent, et les pousser à s'affirmer, les mettre en valeur. C'est le drapeau des timides. Tenues et couvre-chef n'ont, du mur et de l'ombre, que leur capacité à protéger. S'ils instaurent, en effet, une barrière physique entre les individus, ils crient : « Regardez-moi ! Interagissez avec moi ! Identifiez-vous à moi ! » Alors, portons notre regard au-delà de ces barrières, et faisons de cette étoffe non pas un mur, mais une porte. Merci beaucoup. (Applaudissements) Tac, tac, tac... (Musique au piano) Parfois, les idées arrivent à des moments complètement improbables. Cette idée-là, je l'ai eue à bord de l'avion, un vol Paris-Tokyo, 12 heures de vol, c'est très long. Et au dessus de ma tête, il y avait ce bruit insupportable Tic, tic, tic... C'est insupportable ? Je continue sinon. (Rires) La clim' était cassée. Et donc.. c'était assez déprimant. Mais au bout de 4, 5 heures de vol, ce même bruit a commencé à devenir musical voire... assez groovy. Tic, tic, tic... (Musique) Donc j'ai pris mon cahier, qui est toujours sur moi et je l'ai noté. J'ai souvent comme ça 1 000 idées à la seconde. Parfois bonnes souvent... assez mauvaises mais qu'importe ! je les note toutes. Comme disait mon prof : « L'opposé d'oublier c'est... noter. » Très bien ! (Rires) Mais aussi parce qu'une idée ne vient jamais seule. Une idée musicale ne vient jamais seule. C'est comme un écosystème d'idées. Un aimant qui attire d'autres idées. Donc.. puisqu'une idée peut en cacher une autre, voyons que cache mon idée. (Musique) En fait.. Elle cachait une mélodie. C'est pas mal. Mais je sens qu'elle n'a pas encore révélé tout son potentiel. Je vais donc devoir l'explorer. Tous les jours, je prends les idées que j'ai notées dans mon cahier. Je les explore. Je joue avec, je les triture, je les manipule, dans tous les sens. Je les arrose comme des plantes, avec amour. Comme disait Young : « The creative mind plays with objects it loves. » [L'esprit créatif joue avec les objets qu'il aime] Faisons l'amour à cette idée. (Musique) C'est beau, l'amour. Mais vous imaginez bien que malheureusement, -- et là c'est la partie triste du talk -- l'amour ne suffit pas. C'est tragique. Mais c'est vrai. Pour faire ça, il faut avoir aussi la connaissance, une maîtrise de l'instrument, la connaissance de l'harmonie, du solfège, la mélodie, plein de techniques musicales. Et aussi il faut beaucoup.. travailler. Oui d'accord. Travailler c'est bien mais moi je préfère le mot jouer. Entre nous qui, qui aime bien travailler ? Franchement, si je voulais travailler je n'aurais pas fait musicien. Il ne s'agit pas tout de même de jouer n'importe comment. Pour maîtriser n'importe quel jeu, il faut connaitre ses règles. Et le mieux que l'on connaît les règles, le mieux on joue. Combien de temps il faut pour développer une idée comme celle-là ? Ça peut prendre quelques minutes, une semaine, des mois, voire des années. Parfois il est bon de... juste laisser reposer. Faire autre chose, sortir, lire, aller au cinéma, au restaurant, rencontrer des gens. Méditer, courir sur la plage, faire du yoga, faire l'amour, manger un fallafel. (Rires) Je crois que vous venez d'avoir un aperçu de ma vie en fait. (Rires) C'est là que les idées naissent. Comme un arbre ou une plante : rien ne sert à vouloir trop l'arroser en une seule fois. Il faut arroser l'arbre donc... l'idée... régulièrement... et puisque nous en sommes finalement le terrain, notre esprit est le terrain de l'idée, il faut se cultiver pour que l'idée, l'arbre, la plante puisse grandir. C'est un processus qui prend du temps. Et il faut accepter qu'il y ait un temps de maturation. Mais en attendant cette maturation, je vais jouer du Bach. (Musique) J'aime bien cette main gauche en fait, c'est pas mal. (Musique) Ok je crois que je vais piquer cette idée à Johann-Sebastian. (Rires) Mais je vais la changer un peu, je vais la jouer à ma manière. (Musique) Ceci peut être une pièce manquante dans mon puzzle. Ces motifs de Bach pourraient relier mon début, mon petit thème avec son développement. Essayons. (Musique) Ça marche. Mais il me manque toujours une fin. Hummmm.... Vous voyez la cathédrale Notre Dame de Paris ? c'est pas... c'est pas loin. A chaque fois que je la regarde, je remarque un détail jamais vu avant. Et pourtant ce détail a toujours été là. C'est mon regard qui a changé. Donc, ce processus de maturation n'est pas seulement juste faire autre chose en attendant les idées. C'est aussi revenir sur l'idée avec un regard neuf. C'est comme ça, qu'au bout de deux, trois mois en revenant sur... la clim', (Musique) j'ai réalisé que ça pouvait être la fin de mon morceau. Comment ? En doublant avec deux mains et mettant une petite variation. (Musique) Ça marche. Est-ce que mon morceau est prêt ? J'ai donc une introduction, la mélodie, le développement, les motifs de Bach qui relient les deux, et maintenant j'ai une fin. Comment on sait qu'une idée est prête ? C'est une question difficile. Je me la pose souvent. Mais pour moi une idée est prête à partir du moment où sa structure intérieure est suffisamment solide pour se confronter à la réalité, quand elle raconte une histoire. Et donc... je vais vous jouer maintenant la clim' qui rencontre Bach. Mariage improbable. Un air de Bach en quelque sorte. (Rires) Voilà donc spécialement pour vous TedxParis La clim' meets [rencontre] Bach. De l'idée à la composition. (Musique) (Applaudissements) On est tous programmés pour aimer et être aimé. C'est en nous. C'est notre programmation génétique nécessaire à la reproduction de l'espèce. Mais l'amour est magique ! Pour que cette magie opère, il faut réunir certaines conditions. Mais trop souvent, on bloque cette circulation émotionnelle sans le savoir. Pourtant, on est tous capables, si on le veut, de trouver l'amour en trois mois. Alors je voudrais vous dire deux choses : premièrement, c'est le contraire de ce qu'on peut lire dans les magazines féminins ; deuxièmement, cela relève de la dynamique opposée de celle qui consiste à s'allonger dans un divan. Pourquoi est-ce contraire à ce qu'on dit dans les magazines féminins ? Parce que dans les magazines féminins, souvent on vous dit qu'il faut parler de ses atouts. Ce qui tue l'amour, c'est le contrôle. Le contrôle de son image, le contrôle de ce que l'on veut révéler de soi. Donc on vous dit qu'il faut parler de ses atouts, qu'il faut avoir confiance en soi, tout ça, ça vous paraît naturel. Je reçois souvent des femmes qui sont belles, qui ont un super job, qui sont intelligentes, qui ont confiance en elles, et pourtant elle ne trouve pas l'amour. Et puis s'il fallait attendre d'avoir confiance en soi pour trouver l'amour, il n'y aurait pas beaucoup de bébés sur Terre. Alors je vais prendre l'exemple de deux célibataires : imaginez Paul et Virginie. Ils se rencontrent pour la première fois autour d'un verre. Paul, c'est un homme sérieux, il va vouloir se montrer intelligent mais aussi sympathique Virginie, elle, est un peu plus bohème, alors elle va vouloir montrer ô combien sa vie est éclectique, ô combien ses activités sont originales, et puis elle va aussi vouloir parler de ses voyages. Alors avec cet échange là, c'est la catastrophe annoncée. Il se passe que, quand on veut se montrer sous son meilleur jour, quand on veut susciter l'admiration, eh bien on bloque, sans le savoir, la circulation des émotions. Et ça, c'est catastrophique. Alors, imaginez un curseur avec l'étendue de votre personnalité : À un extrême, vous mettez toutes vos sources de joie : ce qui vous anime, ce qui nous fait réveiller le matin, ce qui vous rend très joyeux, et dans l'autre extrême, vous mettez ce qui, dans votre parcours, constituent vos épreuves mais aussi vos doutes, vos questionnements. Plus on avance en âge, plus on a tendance à placer son curseur au centre. Ce que l'on fait, nos cinés, nos lectures, nos sorties, nos voyages. Plus on avance en âge, plus on a envie en fait de se rassurer. En fait, c'est le contraire qu'il faut faire. Parfois on n'a l'occasion de rencontrer quelqu'un qu'une seule fois, et alors autant être soi, mais en plus fort. Parce que c'est le seul moyen d'envoyer vraiment à fond notre personnalité, de relâcher le contrôle, et alors d'établir un pont d'échange pour que les émotions circulent. Alors deuxièmement : pourquoi tomber amoureux ou trouver l'amour relève de la dynamique absolument opposée à s'allonger sur un divan ? Parce que quand on est chez le psy, on est dans l'introspection, dans l'analyse Quand on veut tomber amoureux, on est dans l'accueil,dans l'ouverture. Quand on est chez un psy, on cherche à se comprendre, à se comprendre soi, à comprendre ses attentes et quand on tombe amoureux, on est dans la réceptivité totale, il faut se laisser surprendre par une personnalité, il faut se laisser emporter et il ne faut surtout pas écouter cette petite voix qui juge, qui va vous dire que cette personne-là ne correspond pas à vos exigences. Pour que Paul et Virginie aient une histoire foudroyante, il faut qu'ils se remettent dans l'état d'un adolescent. Vous savez, cet adolescent, avec ses émotions, ses humeurs, et cette activité un peu cyclothymique de ses humeurs. Imaginez qu'il sort d'une période de repli sur soi, et alors, il s'ouvre au monde, il est tout en réceptivité sur autrui, et il capte, non pas la première ou la deuxième qui passe, mais la troisième ; il est tout en connexion sur cette personne qui passe, alors il ne se contrôle pas du tout et il peut complètement recevoir. Vous allez me dire, bon, c'est sympa, mais concrètement, autour d'un verre, on fait comment ? Il faut, pour créer la réciprocité amoureuse, réveiller un être qui dort. Réveiller en soi, mais aussi pour l'autre un être qui dort, cela veut dire allez faire résonner des cordes qui ne vibrent pas souvent. Il s'agit d'aller poser des questions, des questions sur nos moteurs de vie, sur ce qui nous anime, sur ce qui nous rend joyeux, sur peut-être un parcours difficile, le regard qu'on a posé sur cette expérience-là. J'entends déjà certains me dire : « ah, non ! Mais au premier rendez-vous, il ne s'agit pas de poser des questions intimes. » Mais ce ne sont pas des questions intimes ! Au lieu de demander : « Quel est ton job, comment ça se passe ? » c'est « pourquoi as-tu choisi ce job ? ». Au lieu de demander : « Ah, tu joues au golf... et où vas-tu jouer ? combien de fois tu vas jouer ?», c'est, « Pourquoi tu joues au golf ? Au tennis ? Pourquoi tu as fait cette reconversion ?» C'est la seule manière d'aller exprimer ce que l'on a au fond de soi. Et puis finalement, vous vous rendez compte que c'est pas tous les jours qu'on a l'occasion d'aller chercher en soi les réponses à ces questions sur ses choix. C'est la seule manière pour libérer et mettre en place ce pont d'échange qui permet aux émotions de circuler. On tombe amoureux de quelqu'un non pas pour ce qu'il fait, ou comment il le fait, mais pourquoi il le fait. Vous savez, ces poupées russes, eh bien imaginez qu'en vous, vous avez plusieurs poupées russes : la plus grande, c'est celle qui contrôle. Eh bien, si on veut vraiment tomber amoureux et être dans un échange où il y a cette circulation des émotions, il faut aller chercher la poupée, non pas celle qui contrôle, qui juge, qui réfléchit, qui est intelligente, mais cette poupée très entière, la plus petite, au fond, qui est celle qui, comme l'arbre, veut grandir, recevoir la lumière se transformer, être touchée. Parce que vous savez de tous que l'état amoureux, que tomber amoureux, c'est être révélé à soi-même. J'entends déjà certaines personnes qui me disent : « non, moi je fonctionne pas comme ça. Je me laisse guider par mes attirances physiques, ou je me laisse guider par les attirances intellectuelles.» Très bien. Mais on peut aller dans le mur. On peut aller dans le mur si on ne vient pas enrichir ses attirances par toute cette matière très brute qui nous constitue. Beaucoup de gens viennent me voir, qui sont parfois divorcés, célibataires et qui me disent : « Ça fait des années que je ne suis pas tombé amoureux », ou : « j'ai trop d'exigences, je n'arrive pas à trouver la bonne personne, ou alors « je ne fais pas assez de rencontres » ou « il n'y a personne qui m'intéresse en ce moment ! » Eh bien là en fait, on est dans l'erreur d'interprétation. En fait ces personnes-là, quand elles croisent quelqu'un, elle ne capte que 10% de sa personnalité. Parce que si elles établissent vraiment un pont d'échange où les émotions circulent, alors elles vont recevoir 100% de la personne. Pour les couples, vous allez me dire, « d'accord, c'est très bien, mais retomber amoureux de sa moitié, c'est pareil ? Ça fonctionne de la même manière ? Et là je vous dis un grand oui. Pour le couple, c'est aller retoucher régulièrement ce qui nous émeut en l'autre. Quand on se sépare, quand on se trompe, quand on se distance c'est parce qu'on a perdu la connexion ensemble. On évolue tous ! 15 ou 20 ans plus tard, on n'est plus les mêmes ! Ce n'est pas si grave ! Mais si justement grâce aux échanges, on se connecte régulièrement sur ce qui nous fait vibrer, sur ce qui nous rend sensible alors on touche la vulnérabilité de l'autre. Vous savez, la vulnérabilité, ça n'a rien à voir avec les faiblesses. La vulnérabilité, c'est ce qui est sensible, ce sont nos doutes, ce sont nos questionnements. Parce que vous savez, la force de quelqu'un, on la voit, on la voit tout le temps. En revanche, la vulnérabilité, on la montre trop rarement. On se sépare souvent pour les mêmes raisons pour lesquelles on s'est aimé. Vous vous souvenez de Paul : quinze ans et trois enfants plus tard, il va s'énerver, s'agacer du côté très bohème de Virginie. Et Virginie va s'irriter de la rigidité de son Paul et de son esprit très ordonné sur les choses et sur le monde. Et pourtant, ils ont été attirés précisément quinze années plus tôt par cette différence, par cette matière très différente qui avait en fait peut-être réveillé quelque chose en eux que leur éducation avait étouffé. Si le couple se connectent régulièrement, si le couple met en place ces échanges, alors il est quand même plus facile d'aller accepter l'idée de la différence de l'autre. Si on veut sortir du stade « je m'irrite des différences » alors c'est là où on comprend vraiment à quoi ça sert l'amour avec un grand A, à quoi ça sert le couple qui dure. Parce que c'est bien plus facile d'aller accepter l'altérité de l'autre dès lors qu'on se connecte régulièrement, dès lors qu'on se livre régulièrement. Ce que j'avais envie de vous dire d'important sur le couple, c'est ça, c'est que quand on se connecte, alors il est beaucoup plus facile d'aller comprendre que l'autre est une invitation à aller réveiller en nous cette part peut-être que notre éducation a enfouie, a étouffée. L'autre est une invitation à aller révéler des couleurs, d'autres couleurs de notre personnalité. Love ! (Applaudissements) Nous les cosmologues, sommes les chercheurs qui racontent l'histoire de l'univers. Comment, en 13,7 milliards d'années, il est passé d'un stade où la matière est distribuée d'une forme simple et uniforme à une architecture complexe aujourd'hui. Pour cela, nous réalisons des cartographies dynamiques, en repérant les galaxies sur le ciel puis en mesurant leurs distances et leurs déplacements. C'est en cartographiant les mouvements dans l'Univers que nous avons compris que nous vivons sur une planète, la Terre, qui orbite autour d'une étoile, le Soleil, lequel fait partie d'un ensemble de 200 milliards d'autres étoiles : notre galaxie, la Voie Lactée. Et comme je viens de le découvrir avec mon équipe, notre galaxie fait partie d'un ensemble très grand, ce qu'on appelle un super-amas de galaxies qui en contient un million. Et je vous invite en balade dans l'univers à la découverte de notre super-amas Laniakea. Tout commence au début des années 60 lorsque deux Américains découvrent de façon fortuite un rayonnement dans lequel baigne tout l'Univers. Cela nous permet de mesurer que notre galaxie se déplace à une vitesse faramineuse de 630 kilomètres par seconde. A cette époque, on ne peut pas expliquer une si grande vitesse. Cela va déchaîner un engouement parmi les astrophysiciens, et plusieurs équipes vont se monter, pour se lancer dans cette quête de compréhension. En particulier, une équipe de cosmologues américains qui se surnomment eux-mêmes les Sept Samouraïs, réussit au bout de vingt ans à produire une première cartographie dynamique conséquente : ils sont parvenus à mesurer la vitesse de déplacement de 400 galaxies. Cela leur permet de délimiter la région qui nous attire dans l'Univers. Malheureusement, ce sont des mesures qui sont très difficiles à réaliser, et en particulier, l'endroit qui semble nous attirer est masqué par notre propre galaxie. Les étoiles de notre galaxie forment un bandeau lumineux dans le ciel qui nous masque cette région de l'Univers. Les Sept Samouraïs, ne réussissant pas à comprendre cette vitesse, proposent un modèle : il s'agirait d'une énorme masse sphérique et obscure, cachée à notre vue, qui nous attire. Ils l'appellent « Le Grand Attracteur ». J'ai 22 ans à l'époque, je suis fascinée par ce mystérieux Grand Attracteur. Je décide donc de faire ma thèse de doctorat sur le sujet. Pour cela, je pars en Australie, car il n'est pas observable depuis l'hémisphère Nord. Et là, durant trois ans, je vais scruter les cieux depuis un observatoire totalement isolé dans le bush, et j'essaie de connecter des filaments, des alignements de galaxies sur mes cartes, sans parvenir à mieux comprendre ce Grand Attracteur. Finalement en 1999, une conférence internationale regroupe toutes les équipes qui travaillent sur le sujet, entérine les résultats de chacun, et annonce le statu quo. On n'y arrivera pas. Les signaux sont trop faibles, trop difficiles à mesurer, on bute sur une impasse technologique : les télescopes ne sont pas assez puissants. Il va nous falloir une dizaine d'années pour construire de nouveaux télescopes, et améliorer, remettre à neuf les existants. Nous allons construire des radiotélescopes géants comme celui-ci, qui est mon préféré. Il fait 110 m de diamètre, il est situé à Green Bank en Virginie de l'Ouest, aux États-Unis, et avec des radiotélescopes, - vous voyez la taille des hommes en bas de la photo - avec ce type de radiotélescope, on peut observer le jour les galaxies. Quand nous sommes dans le domaine des rayons lumineux, qui s'appelle la radio, nous ne sommes pas éblouis par notre étoile, le Soleil, qui est une étoile qui émet plutôt dans les couleurs visibles. Je peux donc, avec ce radiotélescope, observer jour et nuit les galaxies. Pour mesurer des vitesses de galaxies, il y a une difficulté supplémentaire, qui est qu'il nous faut deux observations pour chaque galaxie, et plus une galaxie est lointaine, - on veut agrandir la cartographie - plus le signal qu'elle nous envoie est faible. Vous voyez ici trois galaxies. Oui, oui ! D'en haut jusqu'en bas, ce sont trois galaxies qui sont de plus en plus lointaines, et vous voyez que le signal est de plus en plus bruité. La deuxième observation, c'est dans l'optique. Il me faut également une image de cette galaxie. Pour cela, ce sont des télescopes plus classiques, les télescopes optiques, dont vous avez plus l'habitude. Mais, de la même façon, - c'est la même galaxie que vous voyez, représentée de façon différente - plus cette galaxie est éloignée de l'observateur, plus elle devient petite et difficile à mesurer. En 2006, je pars travailler un an dans l'un des plus grands observatoires du monde qui est situé à 5000 mètres d'altitude, en haut d'un volcan éteint, sur l'île d'Hawaï. Je conduis des observations d'essai, avec les instruments de nouvelle génération et je suis éblouie par la très grande qualité des données que j'obtiens. De retour à Lyon, je décide de relancer ce programme de recherche avec un enthousiasme renouvelé. Pour pouvoir agrandir la cartographie de l'Univers dans toutes les directions, il va falloir que j'observe avec des instruments, des télescopes, répartis dans les deux hémisphères, et des chercheurs aussi, répartis sur tous les fuseaux horaires, pour aller plus vite. Je recrute donc une petite équipe d'une dizaine d'hommes et de femmes, des Américains, des Européens, des Russes, des Australiens. Et là, pendant trois ans, nous allons observer, jour après jour, nuit après nuit, dans l'isolement souvent le plus total, parfois à très haute altitude, nos familles voient bien que nous ne savons plus quel jour nous sommes, sur quel fuseau horaire nous travaillons. Nous sommes souvent dans une fatigue physique extrême. Mais, au bout de trois années d'observations, nous avons mesuré les vitesses de 8 000 galaxies. Ces 8 000 galaxies sont réparties sur une cartographie qui a doublé de taille par rapport à celle de la fin des années 90, des Sept Samouraïs. Sur ces cartographies sont réparties, dans ce volume d'Univers, 100 000 galaxies, dont les 8 000 dont nous avons mesuré la vitesse de déplacement. Il nous faut maintenant traiter ces données, calculer la cohérence des mouvements. Je convaincs un théoricien de nous rejoindre et un expert en visualisation des données à trois dimensions. Nous devons prendre en compte dans nos calculs qu'il y aurait cinq fois plus de matière invisible dans l'Univers que de matière visible. Nous utilisons les galaxies comme des capteurs lumineux qui seraient répartis à la surface d'un océan de matière invisible et mouvant. Il va nous falloir encore puiser un autre concept, car nos cartes ne font toujours pas sens. Nous utilisons le concept des bassins versants qui vient d'une autre discipline, l'hydrographie. Et là, d'un seul coup, les cartes font sens. Nous voyons apparaître, dans les trajectoires des galaxies deux bassins versants différents, que nous avons ici colorisés en rouge et en noir, et en particulier notre galaxie appartient à ce bassin versant colorisé en noir. Nos yeux se réajustent, nous ne voyons plus les choses de la même façon, et nous décidons de déplacer le centre de la carte hors de notre position d'observateur et vers le centre de ce bassin versant qui semble être le Grand Attracteur. Tout à coup, une ligne de partage des eaux nous saute aux yeux. Nous allons connecter à trois dimensions cette surface qui englobe un volume dans lequel chaque galaxie a un mouvement convergent vers l'intérieur. Donc, cette ligne de partage des eaux sépare les galaxies qui appartiennent à notre structure physique, des galaxies qui vont vers une autre structure. Nous venons pour la première fois de donner une définition physique à ce qui est la plus grande structure de galaxies dans l'Univers, un super-amas. Le super-amas dans lequel nous vivons est immense. Prenez notre galaxie, multipliez-la par 100 000, ajoutez un million de plus petites galaxies et vous obtenez Laniakea. J'organise une conférence internationale en France, où je convie tous les chercheurs qui s'étaient remis à travailler sur le sujet, pour leur annoncer nos résultats, qu'ils puissent travailler avec nos données, et nos collègues acquiescent et ils approuvent officiellement le nom que nous avons choisi de lui donner. Laniakea en hawaïen signifie « horizon céleste immense ». Horizon, car c'est en trouvant une frontière que nous l'avons découvert ; céleste, car il siège dans l'espace ; et immense car il est cent fois plus grand que ce que l'on croyait être un super-amas auparavant. A notre adresse cosmique, nous pouvons rajouter une ligne : planète Terre, étoile Soleil, galaxie Voie Lactée, surper-amas Laniakea, dans l'Univers. (Applaudissements) Laniakea est très grand, il mesure 500 millions d'années-lumière de diamètre. Alors, l'année-lumière : pour nous, astrophysiciens, l'espace est une donnée temporelle. Le Soleil se situe à 150 millions de km de nous. La lumière pour nous parvenir du Soleil met huit minutes, il est à huit minutes-lumière. La lumière qui traverserait notre galaxie de part en part mettrait 100 000 ans. Notre galaxie mesure 100 000 années-lumière. Laniakea, lui, fait 500 millions d'années-lumière. et c'est bien en atteignant cette distance, en la dépassant et en l'englobant, que nous avons compris que le Grand Attracteur n'est pas un objet sphérique, obscur, immense, et caché à notre vue, mais c'est le vallon central d'un continent céleste vers lequel s'écoulent gravitationnellement cinq rivières de matière. Mais tout ceci ne représente qu'1 % - 1 % - de l'Univers à cartographier. Et même si nous l'avons localisé et quantifié, nous ne savons toujours pas ce qu'est la matière noire, au niveau microscopique. L'essence du métier de physicien, c'est de garder le cap, de poursuivre la quête de connaissance de l'Humanité, c'est de se tenir sur cette ligne de partage, cette frontière entre ce que l'on sait et ce que l'on ne sait pas. Je vous invite à vous y tenir avec nous, à lever le regard vers le ciel, dans vos quotidiens chargés, et à ressentir, partager ce vertige que procurent la beauté et la complexité de notre Univers. Merci. (Applaudissements) Je suis primatologue et je travaille dans la conservation de la nature. Me voici à 25 ans quand j’ai commencé ma carrière en République Démocratique du Congo. Je menais une mission de 3 ans pour étudier et faire de la recherche sur une communauté de chimpanzés dans le Parc National de Virunga. C’était en 1987. Les chimpanzés étaient l’objectif de mes études, mais en même temps, ils étaient mon contact social principal, et donc avec le temps, ils sont devenus progressivement très importants pour moi. Je passais toute la journée dans la forêt avec eux et je commençais – je n’étais jamais menacée même s’ils ont une réputation d’être dangereux – et progressivement je commençais à connaître chaque individu, la personnalité de chaque individu et je les reconnaissais par leurs gestes, leurs amitiés, et leur position dans le groupe. En tant que scientifique, j’ai appris – et on apprend - à être impartial, objectif, et à éviter à tout prix de devenir trop lié émotionnellement avec le sujet de ses recherches. Mais la réalité est que je suis, et nous sommes tous, des primates sociaux. Donc nous avons une compréhension naturelle pour eux et une empathie. Ce qui veut dire que nous avons tous la tendance d’interpréter ce qu’on observe. Mais parfois, pour éviter d’anthropomorphiser et de perdre l’objectivité, on évite de reconnaître ce qui est évident. Cependant, il y a eu une exception, avec un chimpanzé que j’avais appelé Ozzie. Je marchais dans la forêt tous les jours, je les connaissais tous, mais Ozzie était un mâle adolescent qui avait été blessé avant mon arrivée dans la forêt par un piège de braconnier. Et sa main comme vous voyez – malgré la qualité un peu mauvaise de la photo – sa main ne fonctionnait plus. Sa main gauche. Elle était gonflée, sans poils et sans aucune dextérité. Il pouvait l’utiliser comme un crochet, pour tirer des branches vers lui et il pouvait aussi se déplacer normalement dans la forêt. Mais il était un peu mis de côté par les autres chimpanzés. Il était rarement dépouillé, ce qui pour un chimpanzé est un signe de statut social inférieur. Lors d’un après-midi, un de ces après-midis ensoleillés, tous les chimpanzés se reposaient pour leur sieste. Et moi j’étais assise sur le sol avec mon dos contre un arbre et ils étaient tous éparpillés autour de moi et je les observais. Mais Ozzie était tout près dans une… dans un arbre, sur une branche, peut-être à 1 mètre du sol. Et il se reposait avec les yeux fermés. Mais à un certain moment, je me suis rendue compte qu’il me regardait. Et il balançait son « bon » bras et il était très décontract, presque trop « cool », presque comme ce jeune garçon qui s’étire au cinéma pour mettre son bras autour de la fille à côté de lui. Et à un certain moment, je me suis rendue compte qu’il me tendait la main, comme s’il m’invitait à le toucher. Il n’avait pas peur de moi, il était curieux et il me tendait la main. Si j’avais bougé légèrement mon corps et tendu mon bras, j’aurais pu lui toucher les doigts. Mon premier réflexe, c’était un geste qui me semblait amical. Mon premier réflexe était de répondre à son geste. J’étais touchée, j’étais tentée, j’étais curieuse mais je n’étais pas sûre : est-ce que je devais traverser ce pont avec cette autre espèce ? Est-ce que je devais aller à la rencontre de cet être, qui restait quelque part insondable pour moi même après des années de recherche et d’observation. Il était en même temps un familier, mais il était aussi un étranger que je ne pourrais jamais véritablement connaître. J’étais là, assise, avec mon dos contre l’arbre et je ne savais pas quoi faire. Et c’est cette confusion, c’est ce désarroi que Ozzie a provoqué en moi qui m’a soulevé la question que je vous pose ici. Quelle est la bonne relation entre l’humain et l’autre ? Quel devrait être le pont idéal entre l’humain et l’animal ? Sans langage commun, c’est impossible pour nous de nous expliquer clairement et sans confusion aux autres animaux… Comme c’est impossible pour eux de s’exprimer vers nous. Je ne veux pas dire qu’avec un langage commun il n’y a pas de possibilité de confusion ou de malentendu… Mais sans langage verbal, c’est tellement facile de mettre en question ce qu’on observe ou de mal interpréter. Donc, nous utilisons la Science comme la langue qui nous permet de comprendre et d’expliquer ce qu’on observe… Et plus la discipline est stricte, moins on risque de perdre l’objectivité. Et ceci est important, parce qu’on a la tendance d’expliquer, d’interpréter ce qu’on observe. La peur de l’anthropomorphisme et les efforts d’éviter toute interprétation subjective, sont valables, mais elles servent aussi comme un bandeau qui nous couvre les yeux et qui nous empêche de voir. Ce qui est souvent extrêmement commode ! Considérez ceci : si nous ne pouvons pas prouver qu’un animal souffre, on peut ignorer sa souffrance. Si nous ne pouvons pas démontrer clairement le fonctionnement de son cerveau sophistiqué, alors on peut nier qu’il a un fonctionnement sophistiqué. Et on peut tout simplement conclure qu’il est entrainé par ses instincts, sans conscience de soi, incapable de réfléchir sur sa vie, ses craintes, ses désirs, ses espoirs. Tout ça n’existe pas, parce qu’on ne peut pas le voir. Un système de croyances est en place, sur base de la philosophie et la religion, qui fait que l’homme se place et se croit au sommet d’une pyramide avec supériorité et domination sur toutes les autres espèces. Et une preuve, entre autres, de cela est que la recherche dans l’intelligence animale cherche et relève surtout combien l’humain est supérieur aux autres animaux… Nous considérons que nos aptitudes et nos capacités supérieures sont dues à notre cerveau complexe et sophistiqué. Et que cela nous dote d’un potentiel unique en intelligence, empathie ou altruisme. Mais la réalité est que ces aptitudes ne sont ni uniques à l’humain, ni toujours supérieures. Je vous donne un exemple. Le cerveau de l’orque est grand et comparable structurellement au cerveau humain. À part une zone : la zone qui nous permet de sentir des émotions, de contrôler les émotions et de développer des liens sociaux. Cette zone contient le lobe limbique, le cortex insulaire et l’opercule. Cette zone chez l’orque est proportionnellement plus grande et plus complexe que chez l’homme. Alors, la seule conclusion logique d’une telle observation est une logique que nous appliquons souvent pour expliquer notre supériorité humaine (par rapport) aux autres animaux est qu’une telle complexité indiquerait aussi plus de capacité dans cette créature. Cette partie du cerveau de l’orque est plus complexe, donc c’est fort probable que ses liens émotionnels, sa vie émotionnelle sont plus profonds, plus complexes et quelque part insondables pour nous les humains qui n’avons pas ces capacités. Mais, on continue à méconnaitre les implications de ces études, et à chercher surtout des recherches qui ne mettent pas en question notre supériorité. Nier la capacité d’une réflexion sophistiquée aux animaux nous a bien servi, et continue à nous servir. Cela nous a permis d’exploiter et même exterminer d'autres espèces sans considération de l’impact sur leurs vies. Et sans trop de remords. On parle de l’Humain et l’Animal, pas de l’humain en tant qu’un animal. L’animal est souvent utilisé comme un mot péjoratif. Historiquement et dans la vie contemporaine, on utilise le mot animal comme une insulte. Se comporter comme un animal est indigne de nous… Sauvage, incontrôlé, sans restreinte. Entrainé par ses instincts et sans aucune moralité. Comme une bête. Un cochon. Ou un rat. Ou un cancrelat. Mettez… euh… pensez combien de fois vous avez entendu la phrase « Ouf ! chérie, vous mangez comme un cochon » ? Mais ce n’est pas une petite phrase en l’air. Et ça peut aller très loin. Et dans le langage raciste et génocidaire, les comparaisons aux animaux sont très courantes. Alors, nous avons utilisé aussi les mêmes théories de supériorité humaine pour exploiter et faire du mal aux autres humains en les comparant aux animaux. Nous avons justifié par leur manque de moralité ou de capacités cérébrales sophistiquées, l’exploitation et l’esclavage des autres humains par cette comparaison et cette théorie de supériorité. Cela nous a permis de discriminer sur base de race, sur base de religion, sur base de sexualité ou sur base de genre. C’est très important de se rappeler que l’exploitation des humains a été faite de la même façon que nous avons exploité les animaux. Alors… Quelle est la bonne relation avec l’animal ? Maintenant, je ne voudrais pas remplacer une illusion avec une autre, et que vous preniez l’illusion et le monde utopique ou tous les animaux ont les mêmes capacités ! Mais je voudrais surtout qu’on soit conscient de notre manque d’humilité et manque d’intégrité, et qu’on le reconnaisse comme illusoire. Prenez par exemple un animal. Mettez-vous devant un chien par exemple. Nous allons tous nous considérer supérieurs même si ce même chien a des capacités en odorat ou dans la détection de certaines maladies bien au-delà des nôtres. Alors, supérieurs en quoi ? Il se peut que dans quelques décennies, nous allons regarder nos attitudes et notre comportement vis-à-vis des animaux avec la même gène et avec honte et on va le trouver grotesque comme aujourd’hui on regarde la discrimination sur les autres populations humaines, l’esclavage et le génocide. Alors, quelle est la bonne relation avec des animaux ? Et je vais revenir à Ozzie qui me tendait le bras dans la forêt. Tout m’indiquait un geste amical. Peut-être même reconnaissant mon propre statut inférieur d’étranger comme un tout petit peu comparable au sien. Peut-être on était tous les deux un « autre » vis-à-vis de nous deux aussi bien qu’avec tous les autres chimpanzés dans le groupe. Ça m’était très difficile de faire le choix. Quelle tentation de traverser la frontière et d’aller à la rencontre de l’autre espèce, un animal complétement sauvage et de lui rendre la complicité et l’amitié qu’il semblait me tendre. Mais, une chose que je savais : toucher un animal sauvage, et surtout un grand singe qui est si vulnérable face aux humains, c’est rarement bien pour l’animal. Donc, je n’ai pas répondu à son geste. Je le regardais, mais j’ai gardé mes mains repliées sur mes genoux. Et après un petit moment, Ozzie a retiré sa main et ne m’a plus regardée. J’avais fait le choix de ne pas traverser le pont. Parce que quelque part, je sentais que ça aurait été pour moi, et pas pour lui. Je voulais qu’il sache qu’il n’avait rien à craindre de moi. Mais la réalité désagréable est que l’homme représente tout ce qui est dangereux, menaçant et essentiellement immoral dans le monde des animaux. Pour Ozzie, son futur et son bien-être dépendraient qu’il garde un peu de peur de l’homme. Je ne l’avais pas su et je n’aurais jamais pu savoir les conséquences, mais depuis lors, la guerre au Congo a mené à des massacres d’humains et d’animaux par les militaires, les braconniers et les rebelles. Pour Ozzie, son futur était avec les chimpanzés. Et ça aurait été dangereux pour lui de mettre trop de confiance dans un être humain. Mais moi je reste avec la question : « Et si …. ». Et ne peux pas prétendre que je n’avais pas été tentée, ni que je ne garde pas quelques petits regrets pour ma décision. Après tant d’années avec des animaux sauvages et tant d’années à chercher le positionnement scientifique idéal, je commence à comprendre les limites de mes propres connaissances et de tout ce qui reste insondable et essentiellement différent. Et je reviens sur la question que je vous ai posée : quel est le pont idéal entre l’humain et l’animal ? Et je me demande, est-ce qu’on devrait se concentrer autant sur une comparaison des différences ? Ou bien est-ce qu’on devrait regarder ces différences et la valeur, la beauté et l’importance de ces différences ? Moi je pense que la terra incognita des autres animaux est définie par notre ignorance et ce bandeau qu’on se met délibérément devant les yeux pour ne pas voir. Peut-être que le pont idéal entre l’humain et l‘autre devrait être une célébration de ces différences vers une coexistence respectueuse Merci. (Applaudissements) C'est compliqué d'être un humain. Parce qu'on a des limites, et des barrières. Une limite est une chose d'impossible. Une barrière est une chose que l'on croit impossible. Donc dans un cas, on ne peut pas. Dans l'autre cas, on a peur de le faire. Je vais vous donner un exemple. Imaginez, vous êtes à une soirée. Il y a une belle Américaine ou un beau surfer australien. Pas de bol, vous ne parlez pas anglais ! Vous ne pouvez pas lui parler. C'est donc une limite. La vérité, c'est que vous n'osez pas aller lui parler, parce que vous parlez mal anglais. Là, c'est une barrière. Ce n'est pas simple de faire la différence. Il faut savoir qu'il y en a une. L'objectif étant : connaître ses limites, dépasser ses barrières. J'ai toujours eu tendance à faire l'inverse. Je parlais en classe quand il fallait se taire. À côté de ça, j'étais ouvrier mécanicien et je voulais faire de la musique. Je pensais : la musique est pour les musiciens, alors je n'en faisais pas. Et un jour à l'usine, à mon poste de travail, à 18 ans, j'ai eu un accident du travail et j'ai perdu ma main. J'avais une vraie limite : ne plus pouvoir serrer une main. Pour les personnes dans mon cas, il existe des prothèses de membres supérieurs. des mains articulées, qui permettent de retrouver une autonomie. Il y a même des modèles remboursés par la Sécurité Sociale. Par contre, elles n'ont qu'un mouvement : la pince. Imaginez la tête que j'ai faite, quand je me suis rendu compte que j'allais passer de manchot à crabe. Et il existe une autre main... (Applaudissements) C'était dur là, bon, dans les deux cas, ça reste au bord de la mer. (Rires) D'autre mains bougent tous les doigts, et sont connectées en Bluetooth, à l'ordinateur... c'est super ! Mais là, il y a une vraie barrière : parce que le prix est de 40 000 euros. Eh bien moi, je n'ai pas 40 000 euros. Et puis, ce n'est pas normal qu'une prothèse coûte un bras. (Rires) (Applaudissements) C'est vrai. Puis un jour, j'ai découvert les fablabs : où l'on peut fabriquer et prototyper, des lieux où l'erreur est synonyme d'apprentissage. Quand j'ai vu cette imprimante 3D forcément, j'ai demandé : peut-on faire une main avec ce truc ? Et quand ils ont compris pourquoi, ils ont décidé de m'aider. Une équipe s'est fédérée : de bénévoles, ingénieurs, professeurs, mécaniciens, lycéens, stagiaires, demandeurs d'emploi, handicapés. On a pris des plans open-source sur Internet. Donc ça veut dire : disponibles à tous et gratuitement. On a pris les plans de la main iMove, qui est un robot open-source. Et puis, on a imprimé une main. Voilà. Dans laquelle on a passé des fils de pêche, qu'on a reliés à des petits moteurs électriques. qu'on a branchés dans une carte électronique, avec des capteurs musculaires et des piles. On l'a fait, on l'a testé, ça a fonctionné. On a fait une main bionique dans un garage, qui nous a coûté 300 euros. Avec laquelle, je peux serrer des mains. Elle est aujourd'hui au Musée de l'Homme. Et ce n'est qu'un début ! On est plein dans le monde à travailler en open-source pour rendre les prothèses abordables et adaptables pour tout le monde. Là, vous pouvez voir, j'ai un modèle qui est basé sur les plans Open Bionics. Alors, quand j'ai eu mon accident, je suis devenu une PSH : une personne en situation de handicap. Et aujourd'hui, j'ai l'impression d'être un expert en main bionique. Et hier, j'étais demandeur d'emploi et aujourd'hui encore. (Rires) Mais.... Je suis président d'une association qu'on a créée, qui s'appelle My Human Kit. On lève des fonds et on ne va pas en rester là. My Human Kit veut adapter les fablabs pour que les personnes puissent venir apprendre à s'auto-réparer. On pourra y imprimer des prothèses, fabriquer des fauteuils roulants avec du tuyau PVC, contrôler des ordinateurs avec des casques cérébraux, mélanger le high-tech et le low-tech, pour créer une révolution sociale, qui vise la santé pour tous. Mais surtout, une révolution éducative, qui va changer le regard des gens mais surtout, changer le regard qu'on a de soi. En faisant d'un problème, la solution. Nous on appelle ça: « handicapowerment ». Voilà, c'est nouveau, ça vient de sortir. (Rires) C'est-à-dire, la technologie et l'entraide nous permettent aujourd'hui de dépasser des limites. Maintenant, nous les humains, on n'a plus qu'à briser ces barrières en transformant nos limitations en motivations. Et moi, je ne pouvais plus serrer des mains, applaudir ou prendre les gens dans mes bras, et aujourd'hui, j'ai plein de prothèses pour faire plein de trucs. Ce que je voulais vraiment faire, c'était de la musique mais je me suis décidé à apprendre la batterie, le jour où je me suis rendu compte qu'il était trop tard pour en faire. Pas très intelligent, le gars. Donc il y a trois ans, c'était ma limite, puisque c'était impossible. J'ai failli abandonner. Aujourd'hui, ça devient une barrière, car j'ai peur de jouer devant vous. (Rires) (Applaudissements) Alors, s'il vous plaît, et ça, c'est très important, si vous voyez les Daft Punk, dites que je n'ai pas de casque, mais un bras bionique et j'aimerais jouer avec eux. Là, je vais vous demander un petit coup de main. C'est de me donner le rythme. (Applaudissements en rythme) Pas trop vite quand même ! (Applaudissements en rythme) (Musique) (Applaudissements) En fait, il y a des choses que l'on croit impossibles et des fois, ce n'est qu'un point de départ. Alors vous, quelle barrière voulez-vous briser ? Merci ! (Applaudissements) Combien d'entre vous seraient d'accord avec moi pour dire qu'on vit dans une vie de plus en plus polluée ? Le trop d'informations, la violence, les réseaux sociaux, la télévision... Alors si vous êtes d'accord avec moi, levez la main s'il vous plaît. Oui en effet, on vit dans un monde de plus en plus pollué. Et… l'impact sur la société, c'est qu'on perd le sens. On perd le sens de notre propre vie. Et on perd pied. Vous pouvez imaginer effectivement l'impact que ça peut avoir sur les jeunes générations qui font dans la violence et au final en fait, ne savent plus où aller. Et… ça a un impact important sur la société. Je vais vous raconter en fait deux histoires qui m'ont permis de découvrir une méthode que j'ai appelée en fait "La Voix". On peut parler de 6ème sens, La Petite Voix, La Voix de Dieu. Et à travers ces deux histoires, vous verrez comment on peut l'utiliser pour trouver le sens de notre propre vie. Donc j'habite en fait à Los Angeles depuis à peu près 10 ans. Et il y a cinq ans de cela, j'étais dans une relation amoureuse dans laquelle en fait j'avais perdu pied. Je ne savais plus si je souhaitais donner suite à cette relation. Et ça me tourmentait, tourmentait, tourmentait, pendant des années. Ça a duré à peu près trois ans. Et au bout de la cinquième année en fait, je me suis dit ça serait bien de faire une retraite spirituelle, pour me remettre en communion avec Dieu et voir en fait quelles réponses il a pour moi. Donc je décide de partir faire une retraite de 3 jours. Donc j'habite dans le sud de Los Angeles, qui s'appelle la Vallée, très désertique, et j'ai choisi en fait une grande église qui se trouve à Santa Monica, près de la côte, près de la plage. Et je pars là-bas pour 3 jours. Et je me souviens en fait le vendredi, je m'apprête à partir, donc j'ai fait mes valises, et à l'époque, mon ex-compagne m'accompagne à la station-service pour faire de l'essence. Et elle me regarde, elle me dit : « Jean-Marc, je ne le sens pas. Je sais que tu as une décision à prendre mais je ne le sens pas. S'il te plaît, reste là. » Malgré tout, fier, orgueilleux, je décide de partir. Donc j'emprunte l’autoroute qui va vers Santa Monica, la retraite commence à peu près vers 17h. On est à peu près 40. Et la première après-midi se passe très bien, on fait connaissance, on se présente. Donc je dors à l'hôtel ce jour-là, oui, pour garder effectivement ce silence qui est si important pour trouver le sens de notre propre vie. Et le samedi en fait, la matinée, tout se passe bien. Et vers 15h, on nous dit : « Ben écoutez, ça fait un moment que vous travaillez, vous avez réfléchi, ça serait bien de faire une pause. » Donc Santa Monica, l'église se situe dans un quartier très résidentiel avec des petites rues, pas mal de maisons. Et donc, imaginez 40 personnes qui sortent du presbytère. Donc on s'achemine vers la sortie. Et au moment en fait où mon tour arrive, je m'apprête à poser le premier pied à l'extérieur de l'église. Et là, je sens une douce petite Voix, qui m'interpelle, (on ne l'entend pas, mais on la sent à l'intérieur) qui me dit : « Jean-Marc, reste-là. Reste dans le presbytère. » Alors moi, souvenez-vous, orgueilleux, je dis : « Mais pourquoi moi ? Pourquoi devrais-je rester là ? Tout le monde sort, on peut faire un point, réfléchir, prendre l'air, pourquoi moi ? » Et je me vois en fait en train de… débattre, négocier avec la Voix. Et je me dis : « J'y vais. » Alors c'est un peu contradictoire, je viens chercher un message mais à la première fois où la Voix me parle, je n'écoute pas. Donc je m'achemine, donc l'église est dans mon dos, et au loin là-bas en fait, j'aperçois l'océan. Je me dis : « C'est l'endroit idéal pour aller faire un petit point d'un quart d'heure. » Donc je marche, il y a des petits oiseaux, c'est très calme autour de moi. Et je vois au loin en fait mes collègues. Et je m'aperçois effectivement que ça fait à peu près 10 minutes que je réfléchis. Je me dis : « Ok, on a un quart d'heure, ça serait l'heure effectivement de commencer à revenir. » Donc je m'apprête à tourner et… quartier résidentiel donc, deux rues. Et là je vois en fait le passage piéton. Donc je me retourne, je commence à avancer, j'arrive au milieu, et j'entends en fait au loin un crissement de pneus. Et mon premier réflexe « ben il y a un accident là-bas... » Et subitement, BOUM ! Pendant une seconde, mon cœur s'est arrêté. J'ouvre les yeux, installé en fait sur la rue, je commence à avoir mal et ça frémit à l'intérieur. Et là je me rends compte en fait qu'une voiture m'a percuté. Donc les gens s'affairent autour de moi. Et généralement le premier réflexe, c'est d'essayer de se relever. Je me souviens encore ce moment, j'ai crié « Maman ! » Donc la jambe gauche qui bouge à peine. Et donc j'essaie de prendre appui sur la main, Donc cette main-là, mais rien ne répond. Et je sens en fait mes doigts toucher le sol, mais impossible de me relever. Et on me dit en fait : « Faut pas bouger. Votre bras est sorti du socle. » Donc les gens s'affairent, on m'emmène à l'hôpital, et là, le chemin de réflexion commence. Pourquoi n'ai-je pas écouté ? Et on me dit en fait : « Qui faut-il appeler ? » Je dis : « Ben sur le papier, j'ai nommé le nom de ma compagne », qui était ma compagne à l'époque. Mais là, en plus de la douleur physique, une douleur intellectuelle, morale. C'est la personne dont je veux me séparer qui viendra. Donc on m'emmène à l'hôpital, et puis là le travail de cheminement commence. Les douleurs, l'amertume, et puis le questionnement. Une longue période de rééducation va démarrer. Ça dure plus de deux ans. Faire de simples gestes, apprendre à marcher à nouveau, à lever le bras, ce geste qui est si simple, va prendre 6 mois. Mais le plus important en fait, c'est le travail intérieur. Pourquoi je n'ai pas écouté ? Et… ce travail... parce que ma compagne, mes relations, mes sentiments n'ont pas évolué, mais elle est là pour moi. D'où la question : que faire ? Donc le temps passe. Et un an plus tard, j'arrive à marcher et à conduire à nouveau. Et se propose à moi une soirée, on parle de réseautage, qui se passe aussi à Santa Monica. Donc souvenez-vous, j'habite dans la Vallée, la partie la plus désertique. Pour aller à Santa Monica, il faut compter à peu près 25 minutes. Ce sont de grandes autoroutes, qui mènent en fait vers la Côte Ouest. Et donc le matin en partant, pour aller à cette réunion, je me suis souvenu que, un de mes amis avait posté sur Facebook que ce soir, mon mentor, Les Brown, va parler de l'importance du 6ème sens. Donc je me dis : « ça, c'est important, il faut que je l'écoute. » Donc je suis sur l'autoroute, je m'en vais vers Santa Monica. Et je branche, à l'époque le téléphone, pour écouter son message. Arrivé en fait, je vois au loin, donc l'autoroute, qui s'appelle la 405, mène vers l'aéroport. Et sur la droite, il faut prendre une autoroute qui va effectivement vers Santa Monica. Je me dis : « ça c'est important, il ne faut pas rater la sortie." Donc je m'approche progressivement de l'intersection. Et là, au même moment, où j'arrive près de l'intersection, la même petite Voix. Souvenez-vous à l'époque, je ne l'avais pas écoutée. Là, j'ai dit : « C'est important. » Qui me dit : « Jean Marc, reste là. C'est pas grave si tu rates la sortie, mais reste là. » Et pendant... Ça, ça dure 2-3 secondes, je regarde sur la droite l'intersection à prendre, je vois deux voitures qui essaient de se dépasser. Mais je fais attention en regardant devant, l'extrémité, et cette Voix qui me parle. Et au même moment où je commence et j'écoute, BAM ! Et je regarde en fait, je continue sur la 405. Et je regarde deux voitures qui viennent de se télescoper. Et là je me dis : « Il est temps d'écouter. La Voix te veut du bien. Elle t'a sauvé ce jour-là. » Et je regarde en fait, l'airbag qui se dégonfle sur la tête du pilote. On va l'appeler comme ça. Et donc je continue, et à partir de ce moment-là, je me dis : « Il faut arrêter, il faut travailler sur ça, parce que la Voix te veut du bien elle est là pour t'amener vers la Voie. » Donc commence le travail et je me dis : « qu'est-ce qu'il faut faire pour cultiver cette Voix ? » Et c'est la même Voix en fait qui m'a amené ici aujourd'hui. A l'époque, je marchais à côté de chez moi et la Voix... Et je reçois un email. Et donc je décide de répondre parce que je me dis : « cette Voix peut sauver des vies, peut aider plein de gens, des jeunes et des moins jeunes, à trouver le sens. C'est pas uniquement éviter des accidents, mais trouver le sens de leurs vies. » Alors vous me direz, qu'est-ce qu'il faut faire ? Qu'est-ce que je fais pour cultiver la Voix ? Donc j'utilise en fait trois méthodes, qui selon moi peuvent aider n'importe qui. Donc la première, c'est la prière. Ou ça peut être la méditation. A l'époque, mon premier rituel matinal, c'était « je prends le téléphone portable, je regarde combien de messages, sur Facebook », et en gros c'était ça qui dictait le reste de ma journée. En gros, je laissais le monde extérieur dicter, me donner de la confiance, si on peut appeler ça comme ça. Mon réflexe matinal, c'est la prière aujourd'hui. Et ça me permet d'avoir une certaine sérénité pour le reste de la journée. Et donc la deuxième méthode, qui suit généralement la prière. Je me lève généralement avant le lever du soleil, et je pars en fait, je prends ma voiture pour un quart d'heure et je pars vers un parc. L'objectif, c'est de marcher, de réfléchir. Réfléchir sur l'avancement de la semaine. Donc généralement je marche, vers 5h40, dans un grand parc vert, qui juxtapose un golf. Et ça me permet de réellement réfléchir et méditer. Non seulement avec la couleur du ciel, les oiseaux, les animaux... Et on dit souvent, marcher c'est très bon. Généralement les médecins recommandent une demi-heure par jour parce que quand on marche, la seule chose à faire, c'est réfléchir. C'est la seule chose qu'on peut faire. Sur les problèmes, etc. Et cette phase de réflexion, ben je l'ai poussée depuis déjà plus de deux ans. Plus de deux ans, je marche en essayant de trouver, d'avancer dans la vie. Et la troisième méthode en fait, qui est très utile parce que je vis dans une ville où il y a beaucoup de pollution, de compétition, donc je me dis : « je fais tout ce travail matinal, mais c'est pas fini. Donc c'est important de créer un environnement qui favorise cette paix. Donc en rentrant cette année à Los Angeles, au mois de janvier, je vais déménager pour être plus proche de la nature. » L'objectif, c'est d'avoir cette verdure même si, au point de vue professionnel, je reviens vers la ville, mais je m'efforce d'aller là où on trouve la paix, la sérénité. Et à côté de ça, en fait, je fais aussi un travail de réflexion par rapport à mes relations, que ce soit personnel ou professionnel. Vous le savez bien, on peut avoir dans ses relations des gens qui sont tout simplement toxiques, qui viennent avec leurs problèmes et qui finalement en fait nous changent de direction par rapport aux projets de vie que nous avons. Donc je fais régulièrement chaque année un travail en fait d'analyse, de filtrage, cette personne-ci, peut-être que... ben il faut passer moins de temps, ou l'enlever. Alors vous me direz, en quoi ça peut aider notre société, la Martinique, ou toutes les autres sociétés ? Eh bien en fait, je pense que c'est un outil essentiel pour les futures générations, pour les gens qui aujourd'hui ne savent plus où aller, ont perdu ce sens. Et ce n’est pas que pour les jeunes, pas que pour éviter les problèmes. L'idée, c'est que la Vie, la Vie attend des choses de nous. Et tant qu'on n'a pas réalisé ça, ben en fait on se cherche. Et certains finissent par avoir des soucis. Donc pour moi, ça, c'est important parce que l'enjeu, en revenant ici, en Martinique, pour cette conférence, et en revenant voir d'autres personnes, je me dis que c'est important de partager ce message. Et c'est la Voix en fait qui me l'a donné il y a quelques mois en marchant à Los Angeles. Parce que les impacts sont énormes, sur la société qui se perd, qui se cherche. Alors… sans partage de cette information, et vous êtes tous là, acteurs, si vous connaissez des gens, même pour vous, ça peut vous aider. Et pour moi, c'est essentiel. Je me dis que ce message, il fallait le passer. Je ne tiens pas à être jugé parce que j'ai reçu ce message donc il faut le donner. Et je suis venu aujourd'hui donner, volontairement. Alors ma grande idée pour ma petite île, pour les jeunes, les moins jeunes, toutes les générations, Martinique ou ailleurs, toutes les sociétés, c'est qu'il est temps de créer, pour moi, ce que j'appelle l'Ecole de la Voix Intérieure. Une école où on apprend aux gens, à se poser. On peut prier, méditer, et trouver un moyen que, en démarrant la journée, c'est essentiel. Réfléchir sur réellement le sens, et se demander en fait si notre environnement favorise ce silence dont on a besoin pour comprendre ce que la Voix veut nous dire. Et c'est pour moi ce message que je souhaitais passer. Parce qu'imaginez... Imaginons demain, en Martinique, lundi, que les gens qui vont emprunter les routes, les autoroutes, se réveillaient inspirés, passionnés, pour aller au travail, ou quelle que soit l'activité qu'elles occupent. Parce qu'elles ont trouvé le sens que les gens soient à la bonne place, et pas juste là pour, à la fin, gagner effectivement un salaire. Eh bien ça, c'est la Martinique dont je rêve. Et j'espère que vous aussi, vous adhérez à ce message, parce que pour moi, en fait, quand on trouve et quand on entend cette Voix, on finit par trouver sa Voie. Et il faut oser aller la chercher. Et c'est le message que je souhaitais partager avec vous. Merci. Applaudissements .... Dans chaque enfant, il y a un artiste. Le problème est de le rester en grandissant. Cette phrase a été prononcée par un autre Paul, un peintre que j'admire beaucoup, Pablo Picasso. Très belle phrase, donc, mais la question c'est : qu'a-t-il voulu dire par là ? Rester enfant en grandissant ou rester artiste ? Pour moi, c'est très clair, c'est rester enfant. Je m'appelle donc Paul Marques-Duarte et j'ai 18 ans. Je suis désolé de le reconnaître. C'est vrai que passer à l'âge adulte m'effrayait beaucoup. J'avais même peur de fêter mon anniversaire. J'ai même souhaité ne pas le fêter cette année. C'était sans compter mes amis et ma famille qui m'ont réveillé un samedi matin de décembre. Là je suppose que tout le monde se demande un peu quel genre d'ado suis-je donc à ne pas vouloir grandir ? Non, désolé de vous décevoir, je ne suis pas Peter Pan. C'est dommage, d'ailleurs, parce que ça aurait pu faire un super talk. Vous m'imaginez de là-haut, deuxième étoile à droite et tout droit jusqu'au matin ! Du coup, je suis déjà en train de divaguer ; ça m'arrive souvent. Ce qui fait qu'on va faire un truc. Ceux qui sont au 1er rang – il y en a que je connais un peu – vous me faîtes un petit signe quand ça arrive ou un truc du genre : « Chut, tu divagues. » Ou un truc comme ça. Donc pour en revenir à nos moutons. Enfant, ça vient du latin : celui qui ne parle pas, celui qui ne sait pas. Et des fois moi justement, j'ai l'impression que l'enfant, c'est le seul qui a tout compris. J'en vois certains un peu sceptiques. Donc on va prendre un exemple très concret. Le métro. On en a un à Rennes en plus. Oui, je fais bien le métro. L'adulte ordinaire dans le métro, un lundi matin. Maintenant, l'enfant ordinaire dans le métro. Papa, papa ! C'est moi qui conduis. Chut ! Voix : Tu divagues encore. Qui a dit ça ? Non, quand je vous disais de me stopper, en fait, je n'étais pas sérieux. Laisse-les, c'est moi qui ai dit ça. Ah non ! pas lui ! Mesdames et messieurs, je vous présente l'artiste qui est en moi. Le mec un peu relou, toujours à parler projets, films engagés. C'est sûr que toi avec toutes tes gamineries, tu iras loin. C'est quand même grâce à moi que tu as pu partir t'éclater à Cannes la semaine dernière. Ne me dis pas que tu n'as pas apprécié. Enfin quand même, là c'est mon tour, donc s'il te plaît, laisse-moi. Pardon, mais justement je t'écoutais, et je suis un peu gêné par ce que tu dis. Comment tu peux avoir une vie convenable, faire des études, avoir un métier ? Lalala lalala. Ah bah bravo, on va aller loin comme ça. Non mais, j'ai bien compris, mais quand on vous entend, vous les vieux : « Ah les jeunes, c'est la belle époque. » J'ai envie qu'elle dure pour toujours, cette belle époque. Écoute petit, dans la vie on ne peut pas toujours avoir ce qu'on veut. Non mais, tu t'entends ? T'es comme tous les autres en fait. T'as abandonné tout espoir. S'il te plaît, maintenant laisse-moi, retourne à tes films. Justement... Quoi ? Je ne peux pas... Tu ne peux pas quoi ? Tu le sais très bien ! Ah, non, non, non. Sans toi, c'est impossible. De quoi ? Mais faire des films, oh arrête ! Et pourquoi c'est impossible ? Parce que c'est toi qui as l'imagination. Haha, tu t'avoues vaincu ! Laisse-moi terminer ce talk et peut-être, je dis bien peut-être, que je te donnerai quelques idées. C'est tout de suite que j'en ai besoin. Mais comme tu es pressé ! Doucement, prend le temps. Qu'est-ce que vous avez, vous les adultes, à être si pressés ? Je ne sais pas vraiment. Fais comme tous ces gens. Viens te poser une après-midi à l'écoute de grandes idées. Prends le temps ! Et ils en profitent bien. J'y crois pas, un gamin qui nous fait la morale. Bon, puisque que tu n'es jamais d'accord, on a qu'à faire un truc. Tu vas venir là à ma place faire ce talk. Allez viens ! Mais ramène-toi si t'es un homme ! Tu pars où comme ça ? C'est facile, c'est facile ça. Vous l'avez pas vu ? Non ? Bon du coup, je crois que je me suis plus ou moins réconcilié avec moi-même. Je pense, donc, quand Picasso disait : « dans chaque enfant il y a un artiste, le tout est de le rester en grandissant. » Il parlait bien sûr de rester artiste, mais aussi de rester enfant. Et c'est d'ailleurs, je pense, le plus grand conseil que je peux donner à chacun de vous. Conservez votre âme d'enfant. C'est en cela je pense que – ah pardon. Un petit exemple quand je dis conservez votre âme d'enfant : laissez-vous émerveiller dans la rue par la parade d'un oiseau. Souriez dans le métro. Et on vous le rendra ce sourire. Vous verrez que c'est très rapidement contagieux. Profitez de moments comme celui que l'on vit à présent. Et surtout prenez le temps. C'est en cela je pense qu'on peut dire que oui, l'art est un jeu d'enfant. Je parle bien sûr là pas de facilité. Je ne me permettrais vraiment jamais de dire que créer une œuvre d'art, c'est facile, je suis bien placé pour le savoir. Il y a d'autres artistes qui vont monter sur scène tout à l'heure. Je pense que eux-mêmes se reconnaissent dans ces paroles. Je veux plutôt dire par là, en fait, qu'il est nécessaire de conserver son âme d'enfant afin d'avoir une sensibilité artistique et un regard nouveau sur le monde. C'est pour ça que, mesdames, messieurs, je vous invite à aller chercher l'enfant qui est en vous. A le prendre par la main, et à le conserver près de vous pour toujours. (Applaudissements) Merci. (Applaudissements) Toute petite, assise sur les genoux de ma mère qui enseignait le piano en cours particulier dans la maison de mon enfance, j'étais bercée par la musique et je regardais tous ses doigts parcourir les touches du clavier. Comme c'était souvent les mêmes morceaux qui revenaient, Schumann, Mozart, Chopin, je connaissais les mélodies par cœur et je corrigeais les élèves en sifflotant. Dans ma famille, l'éducation passe forcément par l'apprentissage d'un instrument, et j'ai choisi la harpe à neuf ans, après avoir entendu Marielle Nordmann jouer un concerto pour Harpe avec l'Orchestre philharmonique de Strasbourg. La chaleur, la rondeur du timbre, la beauté de l'instrument, ainsi que sa taille qui permet presque d'être cachée, ont été un coup de foudre. C'était cet instrument et pas un autre. Après des études musicales approfondies, j'ai obtenu avec mon amie soprano Nathalie Gaudefroy, un premier prix au Concours international de musique de chambre d'Arles. S'en sont suivies deux années magnifiques, riches de musique, de rencontres, de voyage, de fous rires, de succès, car nous étions invitées dans de beaux festivals et on nous proposait beaucoup de projets intéressants. Je menais alors la vie intense et créative dont je rêvais enfant. Le 6 Juillet 2001, il y a une tempête lors d'un concert où j'étais spectatrice. Un platane s'est abattu sur le public. J'ai été projetée à terre et immobilisée par les branches. Il y a eu de nombreux morts, et je fais partie des victimes les plus touchées physiquement. Malgré le choc de la chute, j'étais consciente, et en essayant de me dégager des branches, je me suis rendue compte que je n'arrivais plus à bouger mes jambes. J'ai tout de suite pensé à la harpe, car les jambes sont essentielles pour pouvoir en jouer. On l'ignore souvent, mais la harpe se joue avec sept pédales. J'ai vu ma vie défiler, et j'étais terrorisée à l'idée de ne plus pouvoir jouer. Vivre, c'était forcément en jouer. À la suite de ça, j'ai vécu les deux années les plus douloureuses de ma vie, entre l'hôpital et le centre de réadaptation. J'avais l'impression de vivre un cauchemar, il me fallait en sortir au plus vite, guérir, apprivoiser le fauteuil, et gérer toutes les paroles négatives. On m'a conseillé à l'époque de renoncer à la harpe, à cause de l'impossibilité des pédales, de commencer de l'handisport et ou un nouvel instrument en amateur. On m'a dit que ça serait mieux que je fasse un métier comme bibliothécaire, ou quelque chose de sédentaire, à cause de ma santé fragile. On m'a dit que toute coquetterie et féminité était inutile en fauteuil. Alors, sachant que par exemple, aujourd'hui déjà, où le dress code c'était censé être jean et chemise, moi je trouve [le] moyen de venir en robe longue et en dentelle, vous imaginez bien que ce genre de phrases était presque une souffrance pour moi. Et le pire, c'est qu'on m'a dit qu'il fallait renoncer à espérer avoir une vie amoureuse épanouie, parce que les hommes ne restent pas avec une femme en fauteuil. J'ai choisi de ne pas écouter ces paroles. J'ai fait exactement l'inverse de tout ce qu'on m'avait conseillé, et dès que je suis sortie du centre, je me suis battue pour rejouer. Dans cette quête, j'ai eu la chance de rencontrer deux hommes : Jean-Marie Panterne, alors directeur de l'Instrumentarium, et Marc Lamoureux, un ingénieur de génie, pour qui comme moi, le mot impossible n'était pas recevable. Ensemble, nous avons imaginé une harpe automatique qui me permettrait de rejouer. Ce projet a mis deux ans pour voir le jour. Nous avons rencontré quelques difficultés, mais c'était passionnant, car nous voulions arriver ensemble à un résultat vraiment satisfaisant. Il l'est, au-delà de nos espérances, car cette harpe électropneumatique permet de jouer grâce à un usage simplifié des pédales, un répertoire beaucoup plus vaste que la harpe normale. Des compositeurs ont même écrit pour cette nouvelle harpe, qui est finalement une avancée dans l'histoire de l'instrument. Son nom c'est « l'anjamatique », donc issu de mon prénom Anja et d'automatique, et je l'enseigne désormais au Conservatoire de Strasbourg à des personnes valides. J'ai tout perdu en une seconde, et j'ai mis des années à reconstruire une vie qui me corresponde. C'est le cas en ce moment, je suis amoureuse et aimée, je joue et j'enseigne mon instrument, et je travaille avec des partenaires talentueux. Au mois de juillet dernier, j'ai vécu un moment incroyable. Milan Kundera en personne m'a appelée, pour me dire qu'il me donnait l'autorisation pour l'enregistrement d'extraits de l'Insoutenable légèreté de l'être, illustré par les morceaux de Schuman, Chopin et de Dvorak Il m'a dit que mon jeu l'avait ému, et j'ai vécu ces paroles comme une sorte de validation, de bénédiction de tous ces combats menés. Je pense sincèrement que tous les instants difficiles, aussi douloureux soient-ils, nous font avancer tant qu'on aspire à un but et qu'on met tout en œuvre pour y arriver. Personne ne sait mieux que vous ce pourquoi vous êtes faits. Le handicap fait encore peur et je n'ai jamais voulu me reconnaître dans la vision restrictive que certaines personnes en ont. Car ce n'est ni un handicap, ni une différence, ni une maladie qui crée notre identité, c'est l'énergie et l'amour qu'on met pour faire ce qui nous est le plus cher. Ma vie, c'est jouer et avancer avec légèreté. (Musique) (Applaudissements) (Ovation) Une femme sur cinq aura un cancer au cours de sa vie, cela fait 160 femmes dans cette salle. et les autres, vous serez tous concernés, ne serait-ce qu'indirectement. C'est un drame, mais si c'était aussi une partie de la solution ? Quand je suis tombée malade, mes sœurs, de cœur et de sang, ont organisé un planning pour que je n'aille jamais seule en chimiothérapie. Elles ont couru, cuisiné, écrit, téléphoné, bref, elles ont déployé une énergie formidable pour m'entourer au mieux. Cette énergie, ce besoin d'être utile, d'être solidaire, on les ressent aussi très fortement quand on a soi-même été touché. Une femme sur cinq et ses sœurs de cœur et de sang, ça en fait des femmes qui ont un compte à régler avec le cancer et une bonne dose d'énergie à y consacrer. Et à côté, nous avons des chercheurs qui font un travail formidable. Aujourd'hui, on guérit un cancer sur deux, quand on en guérissait que un sur trois dans les années 90. Ce que l'on sait peu, et ce que m'a expliqué le docteur Fabien Reyal, chercheur à l'institut Curie et aujourd'hui mon associé, c'est que les chercheurs ont besoin de nous pour participer à leurs études, de nous, qui avons ou non été malades. Et pour nous trouver, ils perdent un temps précieux. À nous chercher en consultation, à nous chercher dans les salles d'attente, à nous chercher même dans les pages blanches. Chaque fois, recruter des volontaires, pour eux, c'est long, c'est laborieux et c'est onéreux. C'est pourquoi nous avons créé l'association Seintinelles. Concrètement, nous sommes un site internet sur lequel les femmes s'inscrivent en nous donnant leur adresse email, et nous les informons chaque fois qu'un chercheur a besoin de volontaires pour participer à son étude. Nous sommes en ligne depuis un an, et nous comptons déjà 6800 femmes qui ont été sollicitées pour quatre projets d'étude, et ce n'est qu'un début. Nous voulons compter 50 000 Seintinelles, nous voulons ouvrir aux hommes et aux autres pays, car la solidarité et le bon sens n'ont pas de frontières. Seintinelles, c'est un jeu de mot bien sûr, mais c'est beaucoup plus que cela. Le cancer est une guerre meurtrière. Seule, on peut gagner des batailles, mais on ne gagne pas une guerre. Pour gagner une guerre, il faut une armée. Dans cette salle, vous êtes 1600 à pouvoir rejoindre notre armée. Vous êtes 1600 raisons de plus d'espérer. Merci. (Applaudissements) « Je ne suis pas de ceux qui croient qu'on peut supprimer la souffrance en ce monde, la souffrance est une loi divine, mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu'on peut détruire la misère. La misère est une maladie du corps social comme la lèpre était une maladie du corps humain ; la misère peut disparaître comme la lèpre a disparu. La misère, voulez-vous savoir jusqu'où elle peut aller, jusqu'où elle va ? Il y a dans Paris des rues, des maisons, des cloaques, où des familles, des familles entières, vivent pêle-mêle, hommes, femmes, enfants, n'ayant pour lits, n'ayant pour couvertures, j'ai presque dit pour vêtements, que des monceaux infects de chiffons en fermentation, où des créatures s'enfouissent toutes vivantes pour échapper au froid de l'hiver. Voilà un fait. En voulez-vous d'autres ? Ces jours-ci, un malheureux homme de lettres est mort de faim, mort de faim, et l'on a constaté après sa mort qu'il n'avait pas mangé depuis six jours. Eh bien, je dis que ce sont là des choses qui ne doivent pas être ; je dis que la société doit dépenser toute sa force, toute sa sollicitude, toute son intelligence, toute sa volonté, pour que de telles choses ne soient pas ! Je dis que de tels faits, dans un pays civilisé, engagent la conscience de la société tout entière ; que je m'en sens, moi qui parle, complice et solidaire, et que ce ne sont pas seulement des torts envers l'homme, que ce sont des crimes envers Dieu ! Voilà pourquoi je voudrais que cette assemblée n'eût qu'une seule âme pour marcher à ce grand but, l'abolition de la misère ! » Ces quelques mots ont été prononcés le 9 juillet 1849 à la tribune de l'Assemblée nationale législative par un jeune député qui se nommait Victor Hugo. Bon, peut-être serez-vous d'accord avec moi pour considérer qu'il s'agit d'un discours à la fois émouvant et convaincant. Eh bien, c'est précisément ce qui m'intéresse. Il existe un lien entre l'émotion et la conviction. C'est parce que les paroles de Victor Hugo ont le pouvoir de nous émouvoir qu'elles acquièrent la force de nous convaincre. Ce lien est d'ailleurs connu depuis longtemps. Il y a 2 500 ans déjà, Aristote considérait que le pathos était une dimension essentielle de ce qu'il appelait la rhétorique. Et aujourd'hui, ce lien entre l'émotion et la conviction est validé par les sciences cognitives et comportementales. Ce qui pose un problème, celui de la manipulation. Car, si l'on peut être amené à accepter ce par quoi on a été touché, cela signifie que nos émotions peuvent nous manipuler. C'est ce qu'il se produit quand un orateur parvient habilement à nous émouvoir avec un discours mensonger, c'est-à-dire un discours qui ne correspond pas à la réalité du monde. Je vous donne un exemple. Août 2002, le vice-président des États-Unis d'Amérique, Monsieur Dick Cheney, effraye la Terre entière en déclarant ceci : « Il n'y a désormais plus aucun doute, Saddam Hussein dispose d'armes de destruction massive. » La peur que l'on a ressentie à l'époque était réelle. Elle avait été suscitée par un discours, mais ce discours reposait sur des faits erronés. Quelques années plus tard, l'administration américaine a reconnu avoir menti : l'Irak ne disposait pas d'arme de destruction massive et Dick Cheney en était parfaitement informé. Pour autant, est-ce que toute utilisation des émotions dans le discours serait manipulatoire ? Eh bien, non ! Car nous ne sommes pas des ordinateurs. Le monde social n'est pas un tableau Excel. Pour prendre des décisions, nous avons besoin de notre intellect, bien sûr, mais nous avons aussi besoin de nos affects, de nos émotions. Et c'est la raison pour laquelle Victor Hugo a fait le choix d'un discours surchargé de pathos pour évoquer la misère devant ses collègues députés, des députés qui, pour la majorité d'entre eux, n'avaient jamais connu que l’opulence. Pour eux, la misère, c'était un concept théorique. Si Victor Hugo voulait avoir une chance d'influencer leur vote dans l'hémicycle, il devait d'abord parvenir à changer leur regard sur le monde et pour cela, il avait besoin de s'adresser à leurs émotions. Si je vous raconte tout cela, c'est parce que cela fait plus de dix ans que j'étudie l'art de l'argumentation et que je l'enseigne aux citoyens, à tous les citoyens, aux étudiants de Sciences Po comme aux lycéens de Montreuil, aux salariés du privé comme aux militants associatifs, pour leur apprendre à ne pas se laisser manipuler, mais aussi pour leur apprendre à défendre leur pensée, leur point de vue, de manière efficace, certes, mais aussi de manière éthique. Et alors, qu'est-ce qu'un spécialiste en rhétorique a à dire de l'émotion dans le discours ? Eh bien, voyez-vous, classiquement, il existe trois procédés qui permettent de créer de l'émotion dans le discours, et on les retrouve justement dans le discours de Victor Hugo. Souvenez-vous, Victor Hugo commençait par assimiler la misère à la lèpre, à une maladie du corps social. Ce n'est pas un hasard. En rhétorique, on appelle cela un travail de métaphorisation : l'utilisation d'une image, d'une comparaison, pour véhiculer un message. En l'occurrence, cette comparaison permet à Victor Hugo de susciter une émotion bien précise : le dégoût, le dégoût de la misère comme nous avions le dégoût de la lèpre, et ce dégoût provoque chez nous une volonté de passer à l'action, volonté d'éradiquer la misère comme nous avons eu la volonté d'éradiquer la lèpre. Je vous disais que c'était une utilisation très classique, téléportons-nous en 2002 pour vous donner un autre exemple. En 2002, à Johannesbourg, avait lieu le Sommet de la Terre, le Sommet de la Terre qui était l'une des premières grandes conférences internationales sur le réchauffement climatique. De la tribune de Johannesbourg, le président de la République française, Jacques Chirac, va lancer une figure qui restera célèbre : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. » C'était une comparaison, elle était faite pour susciter des émotions, en l'occurrence, la surprise d'abord, et ensuite la colère, la volonté de passer à l'action. Mais revenons à Victor Hugo. Dans la suite de son discours, souvenez-vous, Victor Hugo se lançait dans une longue description pour expliquer tout ce que les familles peuvent faire pour échapper comme elles le peuvent au froid de l'hiver. Cette description n'est pas non plus un hasard, la description est un des moyens de créer de l'émotion chez un auditoire. En l'occurrence, le travail émotionnel de Victor Hugo est très intéressant, il cherche à susciter de la tristesse, tristesse qui, chez nous, mène à la honte, une honte qui mène à la colère, et c'est cette colère qui nous incite à passer à l'action. Je vous donne un autre exemple, plus dérangeant celui-là. 1974, à l'Assemblée nationale, Simone Veil défend la loi légalisant l'avortement. En face d'elle, plusieurs députés mènent un travail d'opposition. Parmi ces députés, Monsieur Pierre Bas, Pierre Bas qui, de la tribune, n'a pas hésité à décrire les poubelles où s'entasseront les petits corps de ces enfants avortés. « Les poubelles où s'entasseront les petits corps de ces enfants avortés », voilà une description qui était utilisée pour créer une image choc, susciter une émotion de dégoût et inciter à ne pas voter la loi. Revenons à Victor Hugo, troisième étape de son discours, c'est cette narration, ce récit d'un homme de lettres qui est mort de faim faute de n'avoir pas pu s'acheter à manger. Là encore, ce n'est pas dû au hasard. La narration, c'est le troisième procédé classique pour faire émerger des émotions. En communication contemporaine, c'est ce qu'on appellerait le « storytelling ». Chez Victor Hugo, on retrouve là le même travail émotionnel que tout à l'heure : tristesse, honte, colère, passage à l'action. Un dernier exemple pour vous montrer que c'est un procédé très classique, il a notamment été utilisé par Robert Badinter dans son combat contre la peine de mort. En 1977, Robert Badinter - il est alors avocat - il défend le meurtrier Patrick Henry. Son seul effort au tribunal, c'est d'essayer de lui éviter la peine capitale. Dans sa plaidoirie, il se tourne directement vers les membres du jury et il leur explique ce qu'il va se passer s'ils condamnent son client à mort, il leur dit ceci : « Le temps passera, je vous le dis, on abolira la peine de mort et vous resterez seuls avec votre verdict pour toujours, et vos enfants sauront qu'un jour, vous avez condamné à mort un jeune homme. » Là encore, cette narration avait pour but de provoquer des émotions, en l'occurrence, la peur et la honte. Métaphorisation, description, narration, voilà les trois outils classiques du discours qui permettent de susciter des émotions chez un auditoire. Ce que cela nous montre, c'est que les émotions ne sont pas totalement mystérieuses, elles peuvent être travaillées, façonnées et utilisées de la manière la plus noble ou la plus contestable. Mais au-delà, ce que nous venons de voir avec les émotions, ça n'est qu'une déclinaison particulière d'un constat plus général : la rhétorique est une technique, elle s'apprend, elle s'enseigne, et je plaide moi pour qu'elle soit diffusée le plus largement et le plus tôt possible, probablement dès le collège, parce que nous en avons tous besoin. Que ce soit dans nos vies citoyennes, professionnelles ou même personnelles, nous avons tous besoin de convaincre et de ne pas nous laisser manipuler, car oui, la rhétorique est un pouvoir. La seule manière de garantir que ce pouvoir sera utilisé équitablement, c'est de s'assurer qu'il soit partagé par tous. Je vous remercie. (Applaudissements)