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+ La peste noire ou mort noire est le nom donné par les historiens modernes à une pandémie de peste, principalement la peste bubonique, ayant sévi au Moyen Âge, au milieu du XIVe siècle. Cette pandémie a touché l'Eurasie, l'Afrique du Nord et peut-être l'Afrique subsaharienne. Elle n'est ni la première ni la dernière pandémie de peste, mais elle est la seule à porter ce nom. En revanche, c'est la première pandémie à avoir été bien décrite par les chroniqueurs contemporains.
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+ Elle a tué de 30 à 50 % des Européens en cinq ans (1347-1352) faisant environ 25 millions de victimes. Ses conséquences sur la civilisation européenne sont sévères et longues, d'autant que cette première vague est considérée comme le début explosif et dévastateur de la deuxième pandémie de peste qui dura, de façon plus sporadique, jusqu'au début du XIXe siècle.
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+ Cette pandémie affaiblit encore plus ce qui restait de l'Empire byzantin, déjà moribond depuis la fin du XIe siècle, et qui tombe face aux Ottomans en 1453.
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+ Les contemporains désignent cette épidémie sous de nombreux termes : « grande pestilence », « grande mortalité », « maladie des bosses », « maladie des aines »[1], et plus rarement « peste universelle »[2] (qui doit être compris comme un équivalent de fléau universel). Le terme « peste noire » ou « mort noire » apparaît au XVIe siècle. Il semble que « noir » doive ici être pris au sens figuré (terrible, affreux), sans allusion médicale ou clinique[1].
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+ La popularité de l'expression serait due à la publication, en 1832, de l'ouvrage d'un historien allemand Justus Hecker (de) (1795-1850), Der schwarze Tod im vierzehnten Jahrhundert (La Mort noire au XIVe siècle). L'expression devient courante dans toute l'Europe. En Angleterre, le terme usuel de Black Death (mort noire) apparaît en 1843 dans un livre d'histoire destiné à la jeunesse[1]. Au début du XXIe siècle, Black Death reste le nom habituel de cette peste médiévale pour les historiens anglais et américains. En France, le terme « peste noire » est le plus souvent utilisé[3].
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+ Dans son ouvrage initial de 1832, Hecker dresse la liste des explications de l'emploi de l'adjectif « noir » : le deuil continu, l'apparition d'une comète noire avant l'épidémie, le fait qu'elle ait d'abord frappé les Sarrasins (à peau foncée), la provenance apparente de pays à pierres ou de terres noires, etc.[1]. Cet ouvrage est à la base de celui d'Adrien Phillippe[4] paru en 1853 Histoire de la peste noire[5].
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+ Dans le langage médical français, jusqu'aux années 1970, le terme peste noire désignait plus particulièrement les formes hémorragiques de la peste septicémique ou de la peste pulmonaire[6].
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+ Il est difficile d'identifier de façon certaine la nature exacte de la maladie en cause et de son agent infectieux, qui n'a laissé aucune trace. La plupart des sources considèrent qu'il s'agit bien de la peste (bubonique ou pneumonique) causée par le bacille Yersinia pestis. Néanmoins certains auteurs en doutent[7].
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+ Il ne manque pas d'écrits contemporains de la peste noire, comme la Nuova chronica du chroniqueur florentin Giovanni Villani, lui-même victime de la peste en 1348. Sa chronique s'arrête en 1346, mais elle est poursuivie par son frère Matteo Villani avec le récit détaillé de cette épidémie. Gabriel de Mussis (en) (1280-1356) de Plaisance est l'auteur d'un Historia de morbo en 1348[7].
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+ D'autres chroniqueurs notables sont : Gilles Le Muisit à Tournai, Simon de Couvin (?-1367) de Liège[8], Baldassarre Bonaiuti (en) dit aussi Marchionne di Coppo Stefani (1336-1385) de Florence[9], Louis Heyligen à Avignon, Michel de Piazza à Messine[10], et les continuateurs de la chronique de Guillaume de Nangis à Saint-Denis.
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+ De nombreux auteurs, médicaux ou non, ont donné par la suite avis et observations, mais une approche proprement historique de la peste médiévale n'apparaît qu'à la fin du XVIIIe siècle avec Christian Gottfried Gruner (de) (1744-1815) et Kurt Sprengel.
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+ Le tournant décisif est pris en 1832 par Justus Hecker (voir section précédente) qui insiste sur l'importance radicale de la peste noire comme facteur de transformation de la société médiévale. L'école allemande place la peste noire au centre des publications médico-historiques avec Heinrich Haeser (de) (1811-1885), et August Hirsch (1817-1894). Ces travaux influencent directement l'école britannique, aboutissant au classique The Black Death (1969) de Philip Ziegler[7].
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+ La découverte de la bactérie causale Yersinia pestis (1894), puis celle du rôle des rats et des puces, permettent de déterminer un modèle médical de la peste moderne dans la première moitié du XXe siècle. Ce modèle s'impose aux historiens pour expliquer et évaluer la peste médiévale. En même temps, ces chercheurs ont accès à de nouvelles sources locales officielles et semi-officielles, avec l'arrivée dans la deuxième moitié du XXe siècle de démographes, d'épidémiologistes et de statisticiens[7].
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+ Le modèle initial de Hecker, représentatif d'une « histoire-catastrophe », quasi apocalyptique, est corrigé et nuancé. La peste noire n'est plus un séparateur radical ou une rupture totale dans l'histoire européenne. Nombre de ses effets et de ses conséquences étaient déjà en cours dès le début du XIVe siècle ; ces tendances ont été exacerbées et précipitées par l'arrivée de l'épidémie. Le phénomène « peste noire » est mieux situé dans un contexte historique plus large à l'échelle séculaire d'un ou plusieurs cycles socio-économiques et démographiques[7].
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+ Un apport décisif est celui de Jean-Noël Biraben qui publie en 1975, Les hommes et la peste en France et dans les pays européens et méditerranéens, où la peste noire (Europe occidentale ,1348-1352) n'est qu'un aspect particulier des épidémies de peste qui se succèdent jusqu'au XVIIIe siècle, englobant l'Europe de l'Est et le Moyen-Orient. Il est suivi en cela par nombre de chercheurs qui abordent la peste à différentes échelles spatio-temporelles, pas forcément centrées sur la peste noire du milieu du XIVe siècle, la plus connue du grand public.
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+ À la fin du XXe siècle, l'étude de la peste noire médiévale apparaît de plus en plus comme multidisciplinaire avec le traitement des données par informatique, l'arrivée de nouvelles spécialités comme l'archéozoologie ou la paléomicrobiologie. Si les notions initiales des premiers historiens paraissent se confirmer en général, la peste noire historique comporte encore de nombreux problèmes en suspens, non ou mal expliqués. Au début du XXIe siècle, elle reste un objet vivant de recherches : mise en cause de données acquises, disputes et controverses avec pluralité de points de vue[7],[11].
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+ On a longtemps supposé que la peste, actuellement endémique dans une partie de l'Afrique, était arrivée sur ce continent depuis l'Inde et/ou la Chine au XIXe siècle. Des indices, notamment examinés par le programme de recherche GLOBAFRICA de l'Agence nationale de la recherche française, laissent cependant penser qu'on a sous-estimé la présence et les effets de l'épidémie dans la zone subsaharienne médiévale[12].
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+ À cause du manque d'archives écrites pour cette région et du peu de trace archéologiques dans les zones de forêt tropicale, les historiens et archéologues ont d'abord estimé que la bactérie Yersinia pestis n'avait pas traversé le Sahara vers le sud via les puces et rats ou des navires marchands côtiers. On n'avait pas non plus retrouvé dans ces régions de grandes « fosses à peste » comme en Europe. Et les récits d'explorateurs venus d'Europe aux XVe et XVIe siècles ne rapportent pas de témoignages sur une grande épidémie[12].
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+ Depuis, l'archéologie s'est alliée à l'histoire et à la génétique, plaidant pour une possible dévastation de la zone subsaharienne par la peste à l'époque médiévale. Elle s'y serait propagée via les voies commerciales reliant alors ces régions à d'autres continents[12].
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+ À Akrokrowa (Ghana) les archéologues ont trouvé une communauté agricole médiévale très développée qui a subi un effondrement démographique au moment même où la peste noire ravageait l'Eurasie et l'Afrique du Nord, puis des découvertes similaires ont été faites dans le cadre du projet GLOBAFRICA pour des périodes situées au XIVe siècle à Ife (Nigeria chez les Yorubas), de même sur un site étudié à Kirikongo (Burkina Faso) où la population semble avoir été brutalement divisée par deux durant la seconde moitié du XIVe siècle. Dans ces cas il n'y a pas de signes contemporains de guerre ou de famine, ni de migration. Ces changements évoquent ceux observés ailleurs, dont dans les îles britanniques lors de la peste justinienne du VIe au VIIIe siècle[12].
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+ Les archives historiques éthiopiennes ont aussi commencé à livrer des mentions d'épidémies jusqu'ici ignorées pour la période allant du XIIIe au XVe siècle, dont l'une évoque une maladie qui a tué « un si grand nombre de gens que personne n'a été laissé pour enterrer les morts » et au CNRS, une historienne (Marie-Laure Derat) a découvert qu'au XVe siècle, deux saints européens adoptés par la culture et l'iconographie éthiopienne ancienne étaient associés à la peste (Saint Roch et Saint Sébastien)[12].
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+ En 2016 les généticiens ont aussi mis en évidence un sous-groupe distinct de Y. pestis qui pourrait être arrivé en Afrique de l'Est vers le XVe – XVIe siècle, uniquement trouvé en Afrique orientale et centrale, phylogénétiquement proche de l'une des souches connue pour avoir dévasté l'Europe au XIVe siècle (c'est même le parent encore vivant de la peste noire le plus proche note une historienne de la peste Monica Green)[13]. Un autre variant de la bactérie (aujourd'hui disparu) avait déjà sévi dans l'ouest de l'Afrique et peut-être même au-delà. Pour étayer cette hypothèse, de l'ADN ancien est cependant encore nécessaire[12].
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+ Le Moyen Âge fut traversé par de nombreuses épidémies, plus ou moins virulentes et localisées, et souvent mal identifiées (incluant grippe, variole et dysenteries)[2] qui se déclenchèrent sporadiquement. Hormis peut-être le mal des ardents, qui est dû à une intoxication alimentaire, la plupart de ces épidémies coïncidèrent avec les disettes ou les famines qui affaiblissaient l'organisme. Le manque d'hygiène général et notamment la stagnation des eaux usées dans les villes, la présence de marais dans les campagnes favorisèrent également leur propagation. Ainsi, l'Artois est frappé à plusieurs reprises en 1093, 1188, 1429 et 1522.
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+ La peste de Justinien (541-767) qui ravagea l'Europe méditerranéenne a été clairement identifiée comme peste due à Yersinia pestis. Elle fut sûrement à l'origine d'un déficit démographique pendant le haut Moyen Âge en Europe du Sud, et indirectement, de l'essor économique de l'Europe du Nord. Elle est considérée comme la première pandémie de peste ; sa disparition au VIIIe siècle reste énigmatique[14].
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+ L'absence de la peste en Europe dura six siècles. Quand l'Europe occidentale fut de nouveau touchée en 1347-1348, la maladie revêtit tout de suite, aux yeux des contemporains, un caractère de nouveauté et de gravité exceptionnelle, qui n'avait rien de commun avec les épidémies habituelles[15]. Pour les plus lettrés, les seules références connues pouvant s'en rapprocher étaient la peste d'Athènes et la peste de Justinien.
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+ Contrairement à la peste de Justinien, qui fut essentiellement bubonique, la peste noire, due aussi à Yersinia pestis[16], a pu revêtir deux formes : principalement bubonique[17],[18], mais aussi pulmonaire[19], selon les circonstances.
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+ Les historiens sont en désaccord sur l'origine géographique exacte de la peste noire, mais ils sont unanimes sur son arrivée par la route de la soie, celle contournant la mer Caspienne par le sud ou celle qui la contourne par le nord[20],[21].
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+ Pour les chroniqueurs musulmans andalous, comme Ibnul Khatib de Grenade, l'épidémie vient de Chine. Ils s'appuient sur le témoignage de marchands venant de Samarcande. Ils rapportent aussi une rumeur circulant chez les voyageurs chrétiens selon laquelle la peste est venue d'Abyssinie. La thèse de l'origine chinoise est reprise jusqu'au début du XXe siècle par des auteurs qui ne font, le plus souvent, que se recopier[20].
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+ Quelques chroniqueurs chrétiens voient l'origine de la maladie aux Indes, Giovanni Villani y fait allusion en parlant de feux souterrains et de pluies d'insectes dans ces pays. Des auteurs plus modernes situent l'origine sur les pentes sud de l'Himalaya, en surinterprétant le témoignage d'Ibn Battûta sur une épidémie sévissant à Mathura en 1332 (confusion probable avec Matrah selon Jean-Noël Biraben, en 1975)[20].
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+ L'hypothèse de l'Asie centrale, en particulier les territoires mongols de la Horde d'Or, est le plus souvent développée, car elle s'appuie sur des données archéologiques (épitaphes de cimetières nestoriens) dans le Kirghizistan, autour du lac Yssik Koul, datant de 1338-1339[22]. Si des historiens s'appuient sur l'existence d'une Pax Mongolica favorisant le commerce, d'autres opposent les troubles politico-militaires de l'islamisation de chefs mongols (ce serait alors les guerres et non le commerce qui facilitent l'épidémie)[20].
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+ Plus récemment (depuis le dernier quart du XXe siècle), les historiens ont tendance à déplacer l'origine de la peste noire vers la mer Noire et le sud de la Russie, réduisant la distance du trajet de la peste noire. Les uns s'appuient sur des données phylogénétiques de Yersinia pestis pour localiser l'origine de la peste noire au Kurdistan irakien, d'autres se basent sur des chroniques médiévales russes pour la placer entre le bassin du Don et celui de la Volga[21].
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+ En 1346, les Mongols de la Horde d'or assiégèrent Caffa, comptoir et port génois des bords de la mer Noire, en Crimée. L'épidémie, ramenée d'Asie centrale par les Mongols, toucha bientôt les assiégés, car les Mongols catapultaient les cadavres des leurs par-dessus les murs pour infecter les habitants de la ville[23]. Cependant, pour Boris Bove il est plus plausible d'imaginer que la contamination des Génois fut le fait des rats passant des rangs mongols jusque dans la ville[23], ou selon une théorie récente, plutôt des gerbilles[24].
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+ Le siège fut levé, faute de combattants valides en nombre suffisant : Génois et Mongols signèrent une trêve. Les bateaux génois, pouvant désormais quitter Caffa, disséminèrent la peste dans tous les ports où ils faisaient halte : Constantinople est la première ville touchée en 1347[25], puis la maladie atteignit Messine fin septembre 1347[26], Gênes et Marseille en novembre de la même année. Pise est atteinte le premier janvier 1348, puis c'est le tour de Spalato, la peste gagnant les ports voisins de Sebenico et de Raguse, d'où elle passe à Venise le 25 janvier 1348. En un an, la peste se répandit sur tout le pourtour méditerranéen[15].
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+ Dès lors, l'épidémie de peste s'étendit à toute l'Europe du sud au nord, y rencontrant un terrain favorable : les populations n'avaient pas d'anticorps contre cette variante du bacille de la peste, et elles étaient déjà affaiblies par des famines répétées[27], des épidémies[28], un refroidissement climatique sévissant depuis la fin du XIIIe siècle, et des guerres[29].
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+ Entre 1345 et 1350, le monde musulman et la région du croissant fertile sont durement touchés par la pandémie. Partie de Haute-Égypte, elle touche Alexandrie, Le Caire en septembre 1348, atteint la Palestine, touche successivement Acre, Sidon, Beyrouth, Tripoli et Damas en juin de la même année. Au plus fort de l'épidémie, Damas perd environ 1 200 habitants par jour et Gaza est décimée. La Syrie perd environ 400 000 habitants, soit un tiers de sa population. C'est après avoir ravagé l'Égypte, le Maghreb et l'Espagne qu'elle se répand finalement en Europe[30].
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+ La peste noire se répandit comme une vague et ne s'établit pas durablement aux endroits touchés. Le taux de mortalité moyen — environ trente pour cent de la population totale et soixante à cent pour cent de la population infectée — est tel que les plus faibles périssent rapidement, et le fléau ne dure généralement que six à neuf mois.
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+ Depuis Marseille, en novembre 1347, elle gagna rapidement Avignon, en janvier 1348, alors cité papale et carrefour du monde chrétien : la venue de fidèles en grand nombre contribuant à sa diffusion. Début février, la peste atteint Montpellier puis Béziers. Le 16 février 1348, elle est à Narbonne, début mars à Carcassonne, fin mars à Perpignan. Fin juin, l'épidémie atteint Bordeaux. À partir de ce port, elle se diffuse rapidement à cause du transport maritime. L'Angleterre est touchée le 24 juin 1348. Le 25 juin 1348, elle apparaît à Rouen, puis à Pontoise et Saint-Denis. Le 20 août 1348, elle se déclare à Paris. En septembre, la peste atteint le Limousin et l'Angoumois, en octobre le Poitou, fin novembre Angers et l'Anjou. En décembre, elle est apportée à Calais depuis Londres. En décembre 1348, elle a envahi toute l'Europe méridionale, de la Grèce au sud de l'Angleterre. L'hiver 1348-1349 arrête sa progression, avant qu'elle resurgisse à partir d'avril 1349.
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+ En décembre 1349, la peste a traversé presque toute l'Allemagne, le Danemark, l'Angleterre, le Pays de Galles, une bonne partie de l'Irlande et de l'Écosse. Elle continue ensuite sa progression vers l'est et vers le nord dévastant la Scandinavie en 1350, puis l'Écosse, l'Islande ou le Groenland, s'arrêtant aux vastes plaines inhabitées de Russie en 1351[31].
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+ Cette progression n'est pas homogène, les régions n'étant pas toutes touchées de la même façon. Des villages, et même certaines villes sont épargnés comme Bruges, Milan et Nuremberg, au prix de mesures d'exclusion drastiques, et il en est de même pour le Béarn et la Pologne (carte ci-contre).
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+ Les rapports entre la guerre et la peste s'expliquent de diverses façons selon les historiens, et il n'est pas toujours facile de distinguer entre les causes et les conséquences.
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+ Les effets de la guerre de Cent Ans paraissent limités, car elle n'est jamais totale (étendue géographique, et dans le temps – existence de trêves). L'impact démographique direct est faible et ne concerne que la noblesse, quoique des massacres de populations civiles soient attestés (Normandie, région parisienne). Il n'en est pas de même pour les conséquences indirectes liées à l'économie de guerre (pillage, rançon, impôts) : la misère, l'exode, la mortalité sont aggravées. Le bon sens populaire associe la guerre et la peste dans une même prière : « Délivre-nous, Seigneur, de la faim, de la peste et de la guerre »[32].
83
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84
+ La peste frappe Anglais et Français, assiégeants et assiégés, militaires et civils, sans distinction. Cette mortalité par peste est sans commune mesure avec les pertes militaires au combat (une armée de plus de dix mille hommes est exceptionnelle à l'époque). La guerre tue par milliers sur un siècle, la peste par millions en quelques années. La peste est l'occasion d'interrompre la guerre de Cent Ans (prolongation de la trêve de Calais en 1348), mais elle n'en change guère le cours en profondeur[33]. La proximité de la peste limite les opérations (évitement des zones où la peste sévit). Des bandes armées ont pu disséminer la peste, mais aucune armée n'a été décimée par la peste durant la guerre de Cent Ans[34].
85
+
86
+ D'autres historiens insistent sur l'influence de la peste sur le déroulement des opérations militaires, surtout en Méditerranée : la fin du siège de Caffa, la mort d'Alphonse XI lors du siège de Gibraltar, la réduction des flottes de guerre de Venise et de Gênes, l'ouverture de la frontière nord de l'Empire byzantin, la dispersion de l'armée de Abu Al-Hasan après la bataille de Kairouan (1348), l'arrêt de la Reconquista pour plus d'un siècle, etc.[35].
87
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88
+ La peste eut d'importantes conséquences démographiques, économiques, sociales et religieuses.
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+
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+ Les sources documentaires sont assez éparses et couvrent généralement une période plus longue, mais elles permettent une approximation assez fiable. Les historiens s'entendent pour estimer la proportion de victimes entre 30 et 50 % de la population européenne, soit entre 25 et 45 millions de personnes[36]. Les villes sont plus durement touchées que les campagnes, du fait de la concentration de la population, et aussi des disettes et difficultés d'approvisionnement provoquées par la peste (chute de la production céréalière dans les campagnes).
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+
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+ Au niveau mondial, il faut ajouter les morts de l'empire byzantin, du monde musulman, du Moyen-Orient, de la Chine et de l'Inde, dont les données sont peu connues. Selon les sources, la peste noire aurait fait entre 75 et 200 millions de morts lors du XIVe siècle[37],[38] ; les sources académiques attribuent le chiffre de 200 millions de morts à l'ensemble des trois pandémies mondiales mondiales de peste, de la peste de Justinien (541-767) jusqu'au début du XXIe siècle[39],[40].
93
+
94
+ Il existait déjà une récession économique depuis le début du XIVe siècle, à cause des famines et de la surpopulation (il y eut en 1315-1317 une grande famine européenne qui stoppa l'expansion démographique et prépara le terrain à l'épidémie).
95
+
96
+ Cette récession se transforme en chute brutale et profonde avec la peste noire et les guerres. La main-d'œuvre vint à manquer et son coût augmenta, en particulier dans l'agriculture. De nombreux villages furent abandonnés, les moins bonnes terres retournèrent en friche et les forêts se redéveloppèrent. En France, la production céréalière et celle de la vigne chutent de 30 à 50 % selon les régions[32].
97
+
98
+ Les propriétaires terriens furent contraints de faire des concessions pour conserver (ou obtenir) de la main-d'œuvre, ce qui se solda par la disparition du servage. Les revenus fonciers s'effondrèrent à la suite de la baisse du taux des redevances et de la hausse des salaires ; le prix des logements à Paris fut divisé par quatre[41].
99
+
100
+ Les villes se désertifièrent les unes après les autres, la médecine de l'époque n'ayant ni connaissance de la cause de l'épidémie ni les capacités de la juguler. Cette désertification est compensée par un exode rural pour repeupler les villes, dans un rayon moyen de 30 à 40 km autour des villes et des gros bourgs[42].
101
+
102
+ La France ne retrouva son niveau démographique de la fin du XIIIe siècle que dans la seconde moitié du XVIIe siècle.
103
+
104
+ En France, entre 1340 et 1440, la population a décru de 17 à 10 millions d'habitants, une diminution de 41 %. La France avait retrouvé le niveau de l'ancienne Gaule. Le registre paroissial de Givry, en Saône-et-Loire, l'un des plus précis, montre que pour environ 1 500 habitants, on a procédé à 649 inhumations en 1348, dont 630 de juin à septembre, alors que cette paroisse en comptait habituellement environ 40 par an : cela représente un taux de mortalité de 40,6 %. D'autres registres, comme celui de l'église Saint-Nizier de Lyon, confirment l'ordre de grandeur de Givry (30 à 40 %)[43].
105
+
106
+ Une source indirecte de mortalité est l'étude des séries de legs et testaments enregistrés. Par exemple, les historiens disposent des données de Besançon et de Saint-Germain-l'Auxerrois, qui montrent que les legs et les testaments décuplent en 1348-1349 par rapport à 1347, mais l'interprétation en est délicate. « La mortalité précipite les hommes non seulement chez leur confesseur mais aussi chez leur notaire […] mais [cela] ne permet pas de la mesurer, car il dépend autant, sinon plus, de la peur de la maladie qui multiplie les legs pieux que des ravages de la peste elle-même »[44].
107
+
108
+ C'est l'Angleterre qui nous a laissé le plus de témoignages ce qui, paradoxalement, rend l'estimation du taux de mortalité plus ardue, les historiens fondant leurs calculs sur des documents différents : les chiffres avancés sont ainsi entre 20 et 50 %. Cependant, les estimations de population entre 1300 et 1450 montrent une diminution située entre 45 et 70 %. Même si là encore la baisse de population était en cours avant l'éclosion de la peste, ces estimations rendent le 20 % peu crédible, ce taux étant fondé sur des documents concernant des propriétaires terriens laïcs qui ne sont pas représentatifs de la population, essentiellement paysanne et affaiblie par les disettes.
109
+
110
+ Dans le reste de l'Europe, les historiens tentent d'approcher la mortalité globale par des études de mortalité de groupes socio-professionnels mieux documentés (médecins, notaires, conseillers municipaux, moines, évêques). En Italie, il est communément admis par les historiens que la peste a tué au moins la moitié des habitants. Seule Milan semble avoir été épargnée, quoique les sources soient peu nombreuses et imprécises à ce sujet. Des sources contemporaines citent des taux de mortalité effrayants : 80 % des conseillers municipaux à Florence, 75 % à Venise, etc. En Espagne, la peste aurait décimé de 30 à 60 % des évêques[45].
111
+
112
+ En Autriche, on a compté 4 000 victimes à Vienne, et 25 à 35 % de la population mourut. En Allemagne, les populations citadines auraient diminué de moitié, dont 60 % de morts à Hambourg et Brême[46].
113
+
114
+ L'Empire byzantin est durement touché lui aussi par la peste, il connaîtra 9 vagues épidémiques majeures du XIVe siècle au XVe siècle (de 1347 à 1453) d'une durée moyenne de trois ans espacées d'une dizaine d'années. La peste touche particulièrement Constantinople, le Péloponnèse, la Crète et Chypre. L'Empire byzantin était déjà affaibli par des défaites militaires, des guerres civiles, des tremblements de terre. La peste noire accentue ce déclin, mais ne le provoque pas.
115
+
116
+ L'histoire médiévale de cette région montre que les ambitions économiques, politiques et militaires étaient plus fortes que la peur de la peste. Le commerce et la guerre contribuent à propager la peste, les hommes finissant par intégrer la peste comme une part de leur vie[25]. Après la chute de Constantinople, l'Empire ottoman subit aussi des épidémies graves de peste jusqu'à la fin du XVIe siècle.
117
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118
+ Ibn Khaldoun, philosophe et historien musulman du XIVe siècle,de Tunis,évoque dans son autobiographie la perte de plusieurs membres de sa famille dont sa mère en 1348 et son père en 1349, de ses amis et de ses professeurs à cause de la peste. Il évoquera à plusieurs reprises ces événements tragiques, notamment dans la Muqaddima (traduite en Prolégomènes)[47] :
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+ « Une peste terrible vint fondre sur les peuples de l'Orient et de l'Occident ; elle maltraita cruellement les nations, emporta une grande partie de cette génération, entraîna et détruisit les plus beaux résultats de la civilisation. Elle se montra lorsque les empires étaient dans une époque de décadence et approchaient du terme de leur existence ; elle brisa leurs forces, amortit leur vigueur, affaiblit leur puissance, au point qu'ils étaient menacés d'une destruction complète. La culture des terres s'arrêta, faute d'hommes ; les villes furent dépeuplées, les édifices tombèrent en ruine, les chemins s'effacèrent, les monuments disparurent ; les maisons, les villages, restèrent sans habitants ; les nations et les tribus perdirent leurs forces, et tout le pays cultivé changea d'aspect[48]. »
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+ Le bilan humain en Méditerranée orientale est difficile à évaluer, faute de données fiables (manque de données démographiques, difficulté à interpréter les chroniques)[25]. On cite quelques données significatives : la plus grande ville de l'islam à cette époque était Le Caire avec près d'un demi-million d'habitants, sa population chute en quelques années à moins de 300 000. La ville avait 66 raffineries de sucre en 1324, elle en a 19 en 1400. Le repeuplement des grandes villes se fait aux dépens des campagnes, dans un contexte de disettes et de crises économiques et monétaires. En Égypte, le dirham d'argent est remplacé par du cuivre. Alexandrie qui comptait encore 13 000 tisserands en 1394, n'en compte plus que 800 en 1434[49].
123
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+ Face à la peste, et à l'angoisse de la peste, les populations réagissent par la fuite, l'agressivité ou la projection. La fuite est générale pour ceux qui en ont la possibilité. Elle se manifeste aussi dans le domaine moral, par une fuite vers la religion, les médecins, charlatans et illuminés, ou des comportements par mimétisme (manie dansante, hystérie collective...)[50].
125
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126
+ L'agressivité se porte contre les Juifs et autres prétendus semeurs de peste (lépreux, sorcières, mendiants…), ou contre soi-même (de l'auto-flagellation jusqu'au suicide). La projection est l'œuvre des artistes : les figurations de la peste et leurs motivations seraient comme une sorte d'exorcisme, modifiant les sensibilités[50] (les danses macabres) .
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+ Les réactions les plus particulières à l'époque de la peste noire sont les violences contre les Juifs et les processions de flagellants[50].
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+ Dès 1348, la peste provoque des violences[51] antijuives en Provence. Les premiers troubles éclatent à Toulon dans la nuit du 13 au 14 avril 1348. Quarante Juifs sont tués et leurs maisons pillées. Les massacres se multiplient rapidement en Provence, les autorités sont dépassées à Apt, Forcalquier et Manosque. La synagogue de Saint-Rémy-de-Provence est incendiée (elle sera reconstruite hors de la ville en 1352). En Languedoc, à Narbonne et Carcassonne, les Juifs sont massacrés par la foule. En Dauphiné, des Juifs sont brûlés à Serres. N'arrivant pas à maîtriser la foule, le dauphin Humbert II fait arrêter les Juifs pour éviter les massacres. Ceux-ci se poursuivent à Buis-les-Baronnies, Valence, la-Tour-du-Pin, et Pont-de-Beauvoisin où des Juifs sont précipités dans un puits qu'on les accuse d'avoir empoisonné. D'autres massacres ont lieu en Navarre et en Castille. Le 13 mai 1348, le quartier juif de Barcelone est pillé[52].
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+ En juillet, le roi de France Philippe VI fait traduire en justice les Juifs accusés d'avoir empoisonné les puits. Six Juifs sont pris à Orléans et exécutés. Le 6 juillet, le pape Clément VI d'Avignon proclame une bulle en faveur des Juifs, montrant que la peste ne fait pas de différences entre les Juifs et les chrétiens, il parvient à prévenir les violences au moins dans sa ville. Ce n'est pas le cas en Savoie qui, au mois d'août, devient théâtre de massacres. Le comte tente de protéger puis laisse massacrer les Juifs du ghetto de Chambéry. En octobre, les massacres continuent dans le Bugey, à Miribel et en Franche-Comté[53].
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+ Les Ashkénazes d'Allemagne sont victimes de pogroms. En septembre 1348, les Juifs de la région du château de Chillon sur le lac Léman, en Suisse, sont torturés jusqu'à ce qu'ils avouent, faussement, avoir empoisonné les puits[54]. Leurs confessions provoquent la fureur de la population qui se livre à des massacres et à des expulsions. Trois cents communautés sont détruites ou expulsées. Six mille Juifs sont tués à Mayence. Nombre d'entre eux fuient vers l'est, en Pologne et en Lituanie.
135
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+ Plusieurs centaines de Juifs sont brûlés vifs lors du pogrom de Strasbourg le 14 février 1349[55], d'autres sont jetés dans la Vienne à Chinon. En Autriche, le peuple, pris de panique, s'en prend aux communautés juives, les soupçonnant d'être à l'origine de la propagation de l'épidémie, et Albert II d'Autriche doit intervenir pour protéger ses sujets juifs[56].
137
+
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+ Si les accusations contre les Juifs ont été largement répandues dans toute l'Europe occidentale, les violences se concentrent dans des régions bien limitées (essentiellement l'axe économique Rhône-Rhin). En Angleterre, les Juifs sont accusés, mais non persécutés, à cause de leur évidente pauvreté (les banquiers et riches commerçants juifs ont été expulsés par Édouard Ier en 1290). En Scandinavie, on accuse aussi les Juifs d'empoisonner les puits, mais il n'y a pas de Juifs en Scandinavie. Les chroniqueurs arabes, de leur côté, ne mentionnent pas de persécutions contre les Juifs à l'occasion d'épidémie de peste[57].
139
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+ Un autre facteur est l'importance des communautés médicales juives en Provence. Un tiers à la moitié des médecins provençaux connus du XIIe siècle au XVe siècle étaient juifs. La petite ville de Trets comptait six médecins juifs et un chrétien au XIVe siècle[58]. L'arrivée de la peste noire en Provence met à nu l'impuissance de la médecine, et par là celles des Juifs, dont le savoir des remèdes se serait retourné contre eux. On croit qu'ils reçoivent, par la mer, des sachets de venins réduits en poudre qu'ils sont chargés de répandre[59].
141
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142
+ Selon J.N. Biraben, la richesse des Juifs aurait pu jouer un rôle, à cause de leur situation de prêteurs, faisant appel aux autorités pour faire régler leurs débiteurs. La peste aurait mis le feu aux poudres, les héritiers des morts de peste se retrouvant débiteurs. Ce qui est bien documenté pour la région de Strasbourg, mais reste hypothétique ailleurs[60]. Selon l'historien Samuel Kline Cohn, les persécutions sont le fait de personnes de haut rang qui les planifient avant de les mettre en œuvre, non pas tant pour des raisons économiques, que pour des raisons sacrificielles. Dans les villes allemandes, les massacres précèdent l'épidémie, ce qui indiquerait qu'ils étaient censés apaiser la colère divine[61].
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+
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+ Lorsque les violences s'approchent des régions rhénanes, durant l'hiver 1348-1349, les familles juives d'Allemagne cachent monnaies et objets précieux dans ou autour de leur maison. De nombreux trésors furent enterrés ou emmurés, puis abandonnés à la mort ou la fuite de leurs propriétaires. Plusieurs de ces trésors ont été retrouvés, témoignant de la vie et de la culture juives médiévales en Europe[62].
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+ Parmi les trésors étudiés les plus importants, le premier a été trouvé à Weissenfels en 1826, d'autres à Colmar (1863), Bale (1937), Cologne (1953)… Le plus récent à Erfurt (1998).
147
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148
+ Le trésor de Colmar appartient au musée de Cluny de Paris[62] qui l'a exposé avec le trésor d'Erfurt du 25 avril au 3 septembre 2007. Ces trésors sont identifiés par leur lieu de découverte, leur datation et la présence caractéristique de bague juive de mariage[63].
149
+
150
+ Des groupes de flagellants se formèrent, tentant d'expier les péchés, avant la parousie, dont ils pensaient que la peste était un signe annonciateur. Cependant ces groupes restaient extrêmement marginaux, la plupart des chrétiens firent face au fléau par une piété redoublée, mais ordinaire et encadrée par un clergé qui réprouvait les excès[64].
151
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152
+ La disparition d'une partie du clergé entraîne une résurgence de comportements superstitieux ou inhabituels, liés à une contagion par imitation lors de stress collectifs. C'est notamment le cas de la manie dansante ou épidémie de danse de saint Guy (ou saint Vit ou Vitus)[65].
153
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154
+ Déjà signalée dans les populations germaniques au XIIIe siècle, une manie dansante survient en Lusace, près de la Bohême, en 1349 à l'approche de la peste noire. Des femmes et jeunes filles se mettent à danser devant un tableau de la Vierge[65]. Elles dansent nuit et jour, jusqu'à l'effondrement, puis se relèvent et recommencent après sommeil réparateur[66].
155
+
156
+ En juillet 1374, dans plusieurs villes du Rhin moyen, des centaines de jeunes couples se mettent à danser et chanter, circulant dans toute la région. Les spectateurs les imitent et se joignent à eux. Le mauvais temps les arrête en novembre, mais chaque été, ils recommencent jusqu'en 1381. Le clergé parvient à les contrôler en les conduisant en pèlerinage[65].
157
+
158
+ Le phénomène se retrouve en 1414 à Strasbourg pour se répandre en Allemagne, il se répète en 1463 à Metz[65]. Le plus documenté est l'épidémie dansante de 1518 à Strasbourg, liée à des tensions sociales et économiques, et aux menaces répétées et imprévisibles d'épidémie de peste[66].
159
+
160
+ Le rapport entre ces danses maniaques et le thème artistique de la danse macabre reste peu clair[66].
161
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+ La médecine du XIVe siècle était impuissante face à la peste qui se répandait. Les médecins utilisent plusieurs moyens simultanément, car nul traitement unique n'avait de succès ou même n'était meilleur qu'un autre. La médecine galénique, basée sur la théorie humorale, privilégiait les remèdes internes, mais dès le début de la peste noire, elle tend à être supplantée par une théorie miasmatique basée sur un « venin » ou « poison ». Le poison de la peste pénètre le corps à partir de l'air infect ou par contact (personne ou objet).
163
+
164
+ Toutes ces théories pouvaient se combiner : la peste est une pourriture des humeurs due à un poison transmissible par air ou par contact. Ce poison est un principe de corruption provenant des profondeurs de la terre (substances en putréfaction), qui s'élève dans l'air, à la suite d'un phénomène « météo-géologique » (tremblement de terre, orage...) ou astronomique (conjonction de planètes, passage de comète...), et qui retombe sur les humains[67].
165
+
166
+ La distinction entre moyens médicaux, religieux, folkloriques ou magiques est faite par commodité, mais l'ensemble de ces moyens était largement accepté par les médecins savants de l'époque[68].
167
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168
+ Ils ont pour but, soit d'empêcher la pénétration du poison, soit de faciliter sa sortie. Contre l'air empoisonné, on se défend par des fumigations de bois ou de plantes aromatiques.
169
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170
+ Les médecins arabes avaient remarqué que les survivants de peste étaient plutôt ceux dont les bubons avaient suppuré (vidés de leur pus). Selon leur avis, les chirurgiens de peste incisaient ou cautérisaient les bubons. Ils le faisaient dans des conditions non-stériles, occasionnant souvent des surinfections.
171
+
172
+ De nombreux onguents de diverses compositions (herbes, minéraux, racines, térébenthine, miel…) pouvaient enduire les bubons et le reste du corps (à visée préventive ou curative). On utilisait parfois des cataplasmes à base de produits répugnants (crapauds, asticots, bile et fiente d'origines diverses…) selon l'idée que les poisons attirent les poisons[69]. Ainsi les parfums empêchent la pénétration du poison, et les mauvaises odeurs facilitent sa sortie.
173
+
174
+ Les saignées avaient pour but d'évacuer le sang corrompu, ce qui le plus souvent affaiblissait les malades.
175
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176
+ Les bains chauds, les activités physiques qui provoquent la sudation comme les rapports sexuels sont déconseillés, car ils ouvrent les pores de la peau rendant le corps plus vulnérable aux venins aériens.
177
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178
+ La médecine de Galien insiste sur les régimes alimentaire et de vie. Selon la théorie des humeurs, la putréfaction est de nature « chaude et humide », elle doit être combattue par des aliments de nature « froide et sèche », faciles à digérer. La liste et les indications de tels aliments varient selon les auteurs de l'époque[70].
179
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180
+ Une attitude morale tempérée est protectrice car les principales passions qui ouvrent le corps à la pestilence sont la peur, la colère, le désespoir et la folie.
181
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182
+ Les contre-poisons utilisés sont des herbes telles que la valériane, la verveine, ou des produits composés complexes connus depuis l'Antiquité comme la thériaque. Les antidotes minéraux sont des pierres ou métaux précieux, décapés ou réduits en poudre, pour être avalés en jus, sirop, ou liqueur : or, émeraude, perle, saphir[69].
183
+
184
+ Les remèdes visent à expulser le poison, ce sont les émétiques, les purgatifs, les laxatifs, ce qui épuisait les malades plus qu'autre chose.
185
+
186
+ L'Église organise des processions religieuses solennelles pour éloigner les démons[71], ou des actes de dévotion spectaculaire pour apaiser la colère divine, par exemple la confection de cierges géants, la procession à pieds nus, les messes multiples simultanées ou répétées[72].
187
+
188
+ Le culte à la Vierge cherche à répéter le miracle survenu à Rome en 590. Cette année-là, lors de la peste de Justinien, une image de la vierge censée peinte par saint Luc, promenée dans Rome, dissipa aussitôt la peste. À ce culte s'ajoute celui des saints protecteurs de la peste : saint Sébastien et saint Roch[73].
189
+
190
+ Des amulettes et talismans sont portés comme le symbole visible d'un pouvoir invisible, par les Juifs, les chrétiens et les musulmans. Les musulmans portent des anneaux où sont inscrits des versets du Coran, quoique l'opinion des lettrés diverge sur ce point, de nombreux textes musulmans sur la peste recommandent des amulettes, incantations et prières contre la peste provenant non pas d'Allah, mais des démons ou djinns[68].
191
+
192
+ En Occident, en dépit de la désapprobation de l'Église, les chrétiens utilisent charmes, médaillons, textes de prière suspendus autour du cou. L'anneau ou la bague ornée d'un diamant ou d'une pierre précieuse, portée à la main gauche, vise à neutraliser la peste et tous les venins. C'est l'origine magique, à partir de la pharmacopée arabe, du solitaire ou bague de fiancailles des pays occidentaux[74].
193
+
194
+ Par leur nombre, les morts ont posé un problème aigu au cours de la peste noire. D'abord pour les évaluer, l'habitude sera prise de recensements réguliers, avant et après chaque épidémie. Le clergé sera chargé d'établir les enregistrements des décès et l'état civil. De nouveaux règlements interdisent de vendre les meubles et vêtements des morts de peste. Leurs biens, voire leur maison, sont souvent brûlés. Dès 1348, des villes établissent de nouveaux cimetières en dehors d'elles, Il est désormais interdit d'enterrer autour des églises, à l'intérieur même des villes, comme on le faisait auparavant[75].
195
+
196
+ Les règlements de l'époque indiquent que l'on devait enterrer les cadavres de pestiférés au plus tard six heures après la mort. La tâche est extrêmement dangereuse pour les porteurs de morts, qui viennent bientôt à manquer. On paye de plus en plus cher les ensevelisseurs qui seront, dans les siècles suivants, affublés de noms et d'accoutrements divers selon les régions (vêtus de cuir rouge avec grelots aux jambes, ou de casaques noires à croix blanche)[76].
197
+
198
+ En dernière ressource on utilise la main-d'œuvre forcée : prisonniers de droit commun, galériens, condamnés à mort… à qui on promet grâce ou remises de peine. Ces derniers passent dans les maisons ou ramassent les cadavres dans les rues pour les mettre sur une charrette. Ils sont souvent ivres, voleurs et pilleurs. Des familles préfèrent enterrer leurs morts dans leur cave ou jardin, plutôt que d'avoir affaire à eux[76].
199
+
200
+ Lorsque les rites funéraires d'enterrement y compris en fosse commune ne sont plus possibles de par l'afflux de victimes, les corps peuvent être immergés comme en la Papauté d'Avignon dans le Rhône en 1348, dont les eaux ont été bénies pour cela par le Pape. De même, à Venise des corps sont jetés dans le Grand Canal, et un service de barges est chargé de les repêcher[77]. Les sources mentionnent rarement l'incinération de cadavres, comme à Catane en 1347 où les corps des réfugiés venus de Messine sont brûlés dans la campagne pour épargner à la ville la puanteur des bûchers[75].
201
+
202
+ Pour les trois religions monothéistes, le respect du mort est essentiel, la promesse de vie éternelle et de résurrection dissuade en fait toute crémation ou autre forme de destruction de l'intégrité corporelle. Le rite funéraire est simplifié et abrégé, mais maintenu autant que possible, mais lorsque les membres du clergé eux-mêmes disparaissent, mourir de peste sans aucun rituel devient encore plus terrifiant pour les chrétiens. En pays d'islam, la difficulté de maintenir les rites est plus supportable pour les musulmans car mourir de peste fait partie des cinq martyrs (chahid). Comme la mort lors du djihad, elle donne accès immédiat au Paradis[78].
203
+
204
+ En Occident, durant la peste noire, la lutte contre les pillages et les violences de foule est d'abord assurée par les sergents de ville ordinaires. Plus tard, les conseils municipaux engageront des troupes spéciales chargées de garder, en temps de peste, les villes désertées par leurs habitants[79].
205
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206
+ Au début du XIVe siècle, les règlements d'hygiène publique sont pratiquement inexistants, à l'exception de quelques grandes villes d'Italie comme Florence (surveillance du ravitaillement, dont la qualité des viandes et de la santé des habitants). La peste noire prend la population au dépourvu et elle sera le point de départ des administrations de santé en Europe. Dès 1348 (première année de la peste noire) plusieurs villes italiennes se dotent d'un règlement de peste : Pistoie, Venise, Milan, Parme... comme Gloucester en Angleterre. Ces villes interdisent l'entrée des voyageurs et des étrangers venant de lieux infectés[80].
207
+
208
+ Les premières villes à édicter un isolement radical de la ville elle-même sont Reggio en 1374, Raguse (Dubrovnik depuis 1918) en 1377, Milan (1402) et Venise (1403). Ces premières mesures sont des tentatives et des tâtonnements, le plus souvent par emprunts d'une ville à l'autre. Elles sont très diverses, depuis l'interdiction de donner le sang des saignées des pestiférés aux pourceaux (Angers, 1410) jusqu'à l'interdiction de vendre des objets appartenant à des pestiférés (Bruxelles, 1439)[80].
209
+
210
+ Les premiers isolements préventifs (quarantaine) apparaissent à Raguse en 1377, tous ceux qui arrivent d'un lieu infecté doivent passer un mois sur une île avant d'entrer dans la ville. Venise adopte le même système la même année en portant le délai à 40 jours, comme Marseille en 1383. Ce système est adopté par la plupart des ports européens durant le XVe siècle[81].
211
+
212
+ La quarantaine sur terre est adoptée d'abord en Provence (Brignoles, 1464), et se généralise pour les personnes et les marchandises durant le XVIe siècle[81]. C'est aussi en Provence (Brignoles 1494, Carpentras 1501) qu'apparaît le « billet de santé » ou passeport sanitaire délivré aux voyageurs sortant d'une ville saine, et exigé par les autres villes pour y entrer. L'usage du billet de santé se répand lentement et ne se généralise que vers le début du XVIIe siècle (Paris, 1619)[82].
213
+
214
+ Peu à peu se mettent en place des « règlements de peste », de plus en plus élaborés au fil du temps : c'est le cas des villes en France à partir du XVe siècle. L'application de ces mesures dépend d'un « bureau de santé » composé de plusieurs personnes ou d'une seule dite « capitaine de santé », le plus souvent dotés d'un pouvoir dictatorial en temps de peste. Cette institution apparaît d'abord en Italie et en Espagne, puis elle gagne le sud-est de la France à la fin du XVe siècle. Elle s'étend lentement au nord de la France (Paris, 1531)[83].
215
+
216
+ Durant le XVIe siècle, ces règlements sont codifiés par les parlements provinciaux, ajustés et précisés à chaque épidémie au cours du XVIIe siècle. Ils relèvent du niveau gouvernemental au début du XVIIIe siècle[83].
217
+
218
+ À la fin du XIIIe siècle, quelques villes italiennes engagent des médecins pour soigner les pauvres (en dehors des œuvres de charité de l'Église). À l'arrivée de la peste, de nouveaux médecins sont engagés à prix d'or (par manque de candidats). En 1348, c'est le cas d'Orvieto et d'Avignon. Des médecins de peste sont ainsi engagés durant les XVe et XVIe siècles, de même que des chirurgiens, apothicaires, infirmiers, sages-femmes... pour assurer les soins en temps de peste, souvent pour remplacer ceux qui ont fui, abandonnant leur poste, car les risques sont considérables[84].
219
+
220
+ La mort d'artistes, d'ouvriers qualifiés, de mécènes… entraîne des effets directs, notamment l'arrêt ou le ralentissement de la construction des cathédrales, comme celle de la cathédrale de Sienne, dont le projet initial ne sera jamais réalisé. Des historiens anglais attribuent l'apparition du style gothique perpendiculaire aux restrictions économiques liées à la peste noire[85]. En France, la plupart des grands chantiers ne reprendront qu'après 1450[86].
221
+
222
+ Sur les lieux où la peste s'arrête ou se termine, des chapelles ou autres petits édifices dédiés (chapelles votives, oratoires…) sont construits invoquant ou remerciant la Vierge, des saints locaux, Saint Sébastien ou Saint Roch[87]…
223
+
224
+ La crainte, de la part des familles riches, des enterrements de masse et des fosses communes, entraîne par réaction un développement de l'art funéraire : caveaux et chapelles familiales, tombes monumentales... Le gisant, statue mortuaire représentant le défunt dans son intégrité physique et en béatitude, tend à être remplacé par un transi, représentant son cadavre nu en décomposition[85].
225
+
226
+ La peste marque également la peinture. Selon Meiss[88], les thèmes optimistes de la Vierge à l'enfant, de la Sainte Famille et du mariage laissent la place à des thèmes d'inquiétudes et de douleurs[89], comme la Vierge de pitié qui tient, dans ses bras, son fils mort descendu de la croix[85], ou encore celui de la Vierge de miséricorde ou « au manteau » qui abrite et protège l'humanité souffrante[90].
227
+
228
+ La représentation du Christ en croix passe du Christ triomphant sur la croix à celle du Christ souffrant sur la croix où un réalisme terrible détaille toutes les souffrances : les sueurs de sang, les clous, les plaies, et la couronne d'épines[85].
229
+
230
+ La représentation du supplice de Saint Sébastien évolue : de l'homme mûr habillé, à celle d'un jeune homme dénudé, juste vêtu d'un pagne à l'image du Christ[85].
231
+
232
+ Les thèmes millénaristes sont mis en avant : ceux de la fin des temps, de l'Apocalypse et du jugement dernier. Par exemple, en tapisserie la Tenture de l'Apocalypse, dans l'art des vitraux, ceux de la cathédrale d'York[91].
233
+
234
+ L'omniprésence de la mort souligne la brièveté et la fragilité de la vie, thème traité par des poètes comme Eustache Deschamps, Charles Chastellain, Pierre Michault… jusqu'à François Villon. La poésie amoureuse insiste sur la mort de l'être aimé et le deuil inconsolable[92].
235
+
236
+ Selon Michel Vovelle, le thème de la vie brève s'accompagne d'une « âpreté à vivre », avec la recherche de joies et de plaisirs, comme dans l'œuvre de Boccace, le Décaméron[92].
237
+
238
+ Dès le XIIIe siècle, des thèmes macabres apparaissent comme le Dit des trois morts et des trois vifs sur des fresques ou des miniatures, où de jeunes gens rencontrent des morts-vivants qui leur parlent : « nous avons été ce que vous êtes, vous serez ce que nous sommes ». Apparu en Italie et en France, ce thème se répand et se développe jusqu'au XVIe siècle. Un autre thème plus célèbre est celui de la danse macabre où les vivants dansent avec les morts, ce thème se retrouve surtout sur les fresques d'églises de l'Europe du Nord[93].
239
+
240
+ Selon Vovelle : « C'est à peine exagérer que de dire que, jusqu'à 1350, on n'a point su comment représenter la mort, parce que la mort n'existait pas[94]. » De rares représentations avant cette date, la montrent comme un monstre velu et griffu, à ailes de chauve-souris. Cette mort figurée perd ses références chrétiennes en rapport avec le péché et le salut.
241
+
242
+ Elle devient une image autonome et « laïque » : c'est un transi avec une chevelure féminine, qui se décharne de plus en plus jusqu'au squelette proprement dit. C'est la mort implacable, d'origine pré-chrétienne, celle que rappelle le Memento mori.
243
+
244
+ Cette mort monte à cheval, armée d'une faux ou d'un arc, elle frappe en masse. C'est le thème du triomphe de la mort, dont les représentations les plus célèbres sont celles du palais Sclafani à Palerme, et Le Triomphe de la Mort de Brueghel[94].
245
+
246
+ Au XVe siècle, et jusqu'à 1650, toute une littérature se développe sur « l'art de bien mourir », c'est l'Ars moriendi. Il s'agit de rituels destinés à se substituer à l'absence de prêtres (en situation d'épidémie de peste). Différentes versions apparaissent après la Réforme : anglicane, luthérienne et calviniste[85].
247
+
248
+ Des thèmes picturaux se rattachent directement à la peste noire, comme celui du nourrisson s'agrippant au sein du cadavre de sa mère. Selon Mollaret, ces œuvres « sont d'hallucinants documents, en particulier lorsqu'elles furent peintes par des artistes ayant personnellement vécu la peste »[90].
249
+
250
+ Avec Hans Baldung (1484-1545) apparaît le thème de la femme nue au miroir où la mort montre un sablier. Ce serait un premier exemple de peintures de vanité, où la mort-squelette laissera la place à des objets symboliques : sablier, horloge, lampe éteinte, bougie presque consumée, crâne, instrument de musique aux cordes brisées[90]...
251
+
252
+ De nombreux passages poétiques sont incorporés dans des chroniques historiques ou médicales, comme celles de Ibn al-Wardi (en) (mort en 1349) d'Alep, ou d'Ibrahim al-Mimar du Caire. Les descriptions poétiques de la peste noire expriment l'horreur, la tristesse, la résignation religieuse mais aussi l'espoir des musulmans en situation épidémique[95].
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254
+ Plusieurs uchronies ont été écrites sur le thème de la peste noire. Ainsi, dans La Porte des mondes de Robert Silverberg, l'auteur imagine que la peste noire est bien plus meurtrière, éliminant les trois quarts de la population européenne et changeant complètement l'histoire du monde. Cette idée est également reprise par Kim Stanley Robinson dans Chroniques des années noires, mais dans cette uchronie c'est la totalité des habitants de l'Europe qui périt, entraînant, de la même façon que dans le roman précédent, une histoire complètement différente de celle que l'on connaît.
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+ Connie Willis donne aussi ce cadre à son roman, Le Grand Livre, où une historienne du XXIe siècle qui voyage dans le temps tombe par erreur en pleine peste noire, la confrontant ainsi aux horreurs de cette pandémie.
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+ Ken Follett représente bien les conséquences de la peste noire dans son roman Un monde sans fin où les habitants de la ville fictive de Kingsbridge doivent affronter l'épidémie. L'auteur s'attarde particulièrement sur les différentes stratégies pour guérir les malades et les mesures entreprises par la ville pour diminuer la propagation de la peste.
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+ Le Septième Sceau (Det sjunde inseglet) est un film suédois d'Ingmar Bergman, sorti en 1957, qui évoque la mort jouant aux échecs pendant une épidémie de peste avec un chevalier revenant des croisades.
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+ Les premiers romans post-apocalyptiques traitent de civilisations détruites par la peste : The Last Man de Mary Shelley (1826) ou encore The Scarlet Plague de Jack London (1912).
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+ La peste noire ou mort noire est le nom donné par les historiens modernes à une pandémie de peste, principalement la peste bubonique, ayant sévi au Moyen Âge, au milieu du XIVe siècle. Cette pandémie a touché l'Eurasie, l'Afrique du Nord et peut-être l'Afrique subsaharienne. Elle n'est ni la première ni la dernière pandémie de peste, mais elle est la seule à porter ce nom. En revanche, c'est la première pandémie à avoir été bien décrite par les chroniqueurs contemporains.
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+ Elle a tué de 30 à 50 % des Européens en cinq ans (1347-1352) faisant environ 25 millions de victimes. Ses conséquences sur la civilisation européenne sont sévères et longues, d'autant que cette première vague est considérée comme le début explosif et dévastateur de la deuxième pandémie de peste qui dura, de façon plus sporadique, jusqu'au début du XIXe siècle.
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+ Cette pandémie affaiblit encore plus ce qui restait de l'Empire byzantin, déjà moribond depuis la fin du XIe siècle, et qui tombe face aux Ottomans en 1453.
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+ Les contemporains désignent cette épidémie sous de nombreux termes : « grande pestilence », « grande mortalité », « maladie des bosses », « maladie des aines »[1], et plus rarement « peste universelle »[2] (qui doit être compris comme un équivalent de fléau universel). Le terme « peste noire » ou « mort noire » apparaît au XVIe siècle. Il semble que « noir » doive ici être pris au sens figuré (terrible, affreux), sans allusion médicale ou clinique[1].
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11
+ La popularité de l'expression serait due à la publication, en 1832, de l'ouvrage d'un historien allemand Justus Hecker (de) (1795-1850), Der schwarze Tod im vierzehnten Jahrhundert (La Mort noire au XIVe siècle). L'expression devient courante dans toute l'Europe. En Angleterre, le terme usuel de Black Death (mort noire) apparaît en 1843 dans un livre d'histoire destiné à la jeunesse[1]. Au début du XXIe siècle, Black Death reste le nom habituel de cette peste médiévale pour les historiens anglais et américains. En France, le terme « peste noire » est le plus souvent utilisé[3].
12
+
13
+ Dans son ouvrage initial de 1832, Hecker dresse la liste des explications de l'emploi de l'adjectif « noir » : le deuil continu, l'apparition d'une comète noire avant l'épidémie, le fait qu'elle ait d'abord frappé les Sarrasins (à peau foncée), la provenance apparente de pays à pierres ou de terres noires, etc.[1]. Cet ouvrage est à la base de celui d'Adrien Phillippe[4] paru en 1853 Histoire de la peste noire[5].
14
+
15
+ Dans le langage médical français, jusqu'aux années 1970, le terme peste noire désignait plus particulièrement les formes hémorragiques de la peste septicémique ou de la peste pulmonaire[6].
16
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17
+ Il est difficile d'identifier de façon certaine la nature exacte de la maladie en cause et de son agent infectieux, qui n'a laissé aucune trace. La plupart des sources considèrent qu'il s'agit bien de la peste (bubonique ou pneumonique) causée par le bacille Yersinia pestis. Néanmoins certains auteurs en doutent[7].
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19
+ Il ne manque pas d'écrits contemporains de la peste noire, comme la Nuova chronica du chroniqueur florentin Giovanni Villani, lui-même victime de la peste en 1348. Sa chronique s'arrête en 1346, mais elle est poursuivie par son frère Matteo Villani avec le récit détaillé de cette épidémie. Gabriel de Mussis (en) (1280-1356) de Plaisance est l'auteur d'un Historia de morbo en 1348[7].
20
+
21
+ D'autres chroniqueurs notables sont : Gilles Le Muisit à Tournai, Simon de Couvin (?-1367) de Liège[8], Baldassarre Bonaiuti (en) dit aussi Marchionne di Coppo Stefani (1336-1385) de Florence[9], Louis Heyligen à Avignon, Michel de Piazza à Messine[10], et les continuateurs de la chronique de Guillaume de Nangis à Saint-Denis.
22
+
23
+ De nombreux auteurs, médicaux ou non, ont donné par la suite avis et observations, mais une approche proprement historique de la peste médiévale n'apparaît qu'à la fin du XVIIIe siècle avec Christian Gottfried Gruner (de) (1744-1815) et Kurt Sprengel.
24
+
25
+ Le tournant décisif est pris en 1832 par Justus Hecker (voir section précédente) qui insiste sur l'importance radicale de la peste noire comme facteur de transformation de la société médiévale. L'école allemande place la peste noire au centre des publications médico-historiques avec Heinrich Haeser (de) (1811-1885), et August Hirsch (1817-1894). Ces travaux influencent directement l'école britannique, aboutissant au classique The Black Death (1969) de Philip Ziegler[7].
26
+
27
+ La découverte de la bactérie causale Yersinia pestis (1894), puis celle du rôle des rats et des puces, permettent de déterminer un modèle médical de la peste moderne dans la première moitié du XXe siècle. Ce modèle s'impose aux historiens pour expliquer et évaluer la peste médiévale. En même temps, ces chercheurs ont accès à de nouvelles sources locales officielles et semi-officielles, avec l'arrivée dans la deuxième moitié du XXe siècle de démographes, d'épidémiologistes et de statisticiens[7].
28
+
29
+ Le modèle initial de Hecker, représentatif d'une « histoire-catastrophe », quasi apocalyptique, est corrigé et nuancé. La peste noire n'est plus un séparateur radical ou une rupture totale dans l'histoire européenne. Nombre de ses effets et de ses conséquences étaient déjà en cours dès le début du XIVe siècle ; ces tendances ont été exacerbées et précipitées par l'arrivée de l'épidémie. Le phénomène « peste noire » est mieux situé dans un contexte historique plus large à l'échelle séculaire d'un ou plusieurs cycles socio-économiques et démographiques[7].
30
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31
+ Un apport décisif est celui de Jean-Noël Biraben qui publie en 1975, Les hommes et la peste en France et dans les pays européens et méditerranéens, où la peste noire (Europe occidentale ,1348-1352) n'est qu'un aspect particulier des épidémies de peste qui se succèdent jusqu'au XVIIIe siècle, englobant l'Europe de l'Est et le Moyen-Orient. Il est suivi en cela par nombre de chercheurs qui abordent la peste à différentes échelles spatio-temporelles, pas forcément centrées sur la peste noire du milieu du XIVe siècle, la plus connue du grand public.
32
+
33
+ À la fin du XXe siècle, l'étude de la peste noire médiévale apparaît de plus en plus comme multidisciplinaire avec le traitement des données par informatique, l'arrivée de nouvelles spécialités comme l'archéozoologie ou la paléomicrobiologie. Si les notions initiales des premiers historiens paraissent se confirmer en général, la peste noire historique comporte encore de nombreux problèmes en suspens, non ou mal expliqués. Au début du XXIe siècle, elle reste un objet vivant de recherches : mise en cause de données acquises, disputes et controverses avec pluralité de points de vue[7],[11].
34
+
35
+ On a longtemps supposé que la peste, actuellement endémique dans une partie de l'Afrique, était arrivée sur ce continent depuis l'Inde et/ou la Chine au XIXe siècle. Des indices, notamment examinés par le programme de recherche GLOBAFRICA de l'Agence nationale de la recherche française, laissent cependant penser qu'on a sous-estimé la présence et les effets de l'épidémie dans la zone subsaharienne médiévale[12].
36
+
37
+ À cause du manque d'archives écrites pour cette région et du peu de trace archéologiques dans les zones de forêt tropicale, les historiens et archéologues ont d'abord estimé que la bactérie Yersinia pestis n'avait pas traversé le Sahara vers le sud via les puces et rats ou des navires marchands côtiers. On n'avait pas non plus retrouvé dans ces régions de grandes « fosses à peste » comme en Europe. Et les récits d'explorateurs venus d'Europe aux XVe et XVIe siècles ne rapportent pas de témoignages sur une grande épidémie[12].
38
+
39
+ Depuis, l'archéologie s'est alliée à l'histoire et à la génétique, plaidant pour une possible dévastation de la zone subsaharienne par la peste à l'époque médiévale. Elle s'y serait propagée via les voies commerciales reliant alors ces régions à d'autres continents[12].
40
+
41
+ À Akrokrowa (Ghana) les archéologues ont trouvé une communauté agricole médiévale très développée qui a subi un effondrement démographique au moment même où la peste noire ravageait l'Eurasie et l'Afrique du Nord, puis des découvertes similaires ont été faites dans le cadre du projet GLOBAFRICA pour des périodes situées au XIVe siècle à Ife (Nigeria chez les Yorubas), de même sur un site étudié à Kirikongo (Burkina Faso) où la population semble avoir été brutalement divisée par deux durant la seconde moitié du XIVe siècle. Dans ces cas il n'y a pas de signes contemporains de guerre ou de famine, ni de migration. Ces changements évoquent ceux observés ailleurs, dont dans les îles britanniques lors de la peste justinienne du VIe au VIIIe siècle[12].
42
+
43
+ Les archives historiques éthiopiennes ont aussi commencé à livrer des mentions d'épidémies jusqu'ici ignorées pour la période allant du XIIIe au XVe siècle, dont l'une évoque une maladie qui a tué « un si grand nombre de gens que personne n'a été laissé pour enterrer les morts » et au CNRS, une historienne (Marie-Laure Derat) a découvert qu'au XVe siècle, deux saints européens adoptés par la culture et l'iconographie éthiopienne ancienne étaient associés à la peste (Saint Roch et Saint Sébastien)[12].
44
+ En 2016 les généticiens ont aussi mis en évidence un sous-groupe distinct de Y. pestis qui pourrait être arrivé en Afrique de l'Est vers le XVe – XVIe siècle, uniquement trouvé en Afrique orientale et centrale, phylogénétiquement proche de l'une des souches connue pour avoir dévasté l'Europe au XIVe siècle (c'est même le parent encore vivant de la peste noire le plus proche note une historienne de la peste Monica Green)[13]. Un autre variant de la bactérie (aujourd'hui disparu) avait déjà sévi dans l'ouest de l'Afrique et peut-être même au-delà. Pour étayer cette hypothèse, de l'ADN ancien est cependant encore nécessaire[12].
45
+
46
+ Le Moyen Âge fut traversé par de nombreuses épidémies, plus ou moins virulentes et localisées, et souvent mal identifiées (incluant grippe, variole et dysenteries)[2] qui se déclenchèrent sporadiquement. Hormis peut-être le mal des ardents, qui est dû à une intoxication alimentaire, la plupart de ces épidémies coïncidèrent avec les disettes ou les famines qui affaiblissaient l'organisme. Le manque d'hygiène général et notamment la stagnation des eaux usées dans les villes, la présence de marais dans les campagnes favorisèrent également leur propagation. Ainsi, l'Artois est frappé à plusieurs reprises en 1093, 1188, 1429 et 1522.
47
+
48
+ La peste de Justinien (541-767) qui ravagea l'Europe méditerranéenne a été clairement identifiée comme peste due à Yersinia pestis. Elle fut sûrement à l'origine d'un déficit démographique pendant le haut Moyen Âge en Europe du Sud, et indirectement, de l'essor économique de l'Europe du Nord. Elle est considérée comme la première pandémie de peste ; sa disparition au VIIIe siècle reste énigmatique[14].
49
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50
+ L'absence de la peste en Europe dura six siècles. Quand l'Europe occidentale fut de nouveau touchée en 1347-1348, la maladie revêtit tout de suite, aux yeux des contemporains, un caractère de nouveauté et de gravité exceptionnelle, qui n'avait rien de commun avec les épidémies habituelles[15]. Pour les plus lettrés, les seules références connues pouvant s'en rapprocher étaient la peste d'Athènes et la peste de Justinien.
51
+
52
+ Contrairement à la peste de Justinien, qui fut essentiellement bubonique, la peste noire, due aussi à Yersinia pestis[16], a pu revêtir deux formes : principalement bubonique[17],[18], mais aussi pulmonaire[19], selon les circonstances.
53
+
54
+ Les historiens sont en désaccord sur l'origine géographique exacte de la peste noire, mais ils sont unanimes sur son arrivée par la route de la soie, celle contournant la mer Caspienne par le sud ou celle qui la contourne par le nord[20],[21].
55
+
56
+ Pour les chroniqueurs musulmans andalous, comme Ibnul Khatib de Grenade, l'épidémie vient de Chine. Ils s'appuient sur le témoignage de marchands venant de Samarcande. Ils rapportent aussi une rumeur circulant chez les voyageurs chrétiens selon laquelle la peste est venue d'Abyssinie. La thèse de l'origine chinoise est reprise jusqu'au début du XXe siècle par des auteurs qui ne font, le plus souvent, que se recopier[20].
57
+
58
+ Quelques chroniqueurs chrétiens voient l'origine de la maladie aux Indes, Giovanni Villani y fait allusion en parlant de feux souterrains et de pluies d'insectes dans ces pays. Des auteurs plus modernes situent l'origine sur les pentes sud de l'Himalaya, en surinterprétant le témoignage d'Ibn Battûta sur une épidémie sévissant à Mathura en 1332 (confusion probable avec Matrah selon Jean-Noël Biraben, en 1975)[20].
59
+
60
+ L'hypothèse de l'Asie centrale, en particulier les territoires mongols de la Horde d'Or, est le plus souvent développée, car elle s'appuie sur des données archéologiques (épitaphes de cimetières nestoriens) dans le Kirghizistan, autour du lac Yssik Koul, datant de 1338-1339[22]. Si des historiens s'appuient sur l'existence d'une Pax Mongolica favorisant le commerce, d'autres opposent les troubles politico-militaires de l'islamisation de chefs mongols (ce serait alors les guerres et non le commerce qui facilitent l'épidémie)[20].
61
+
62
+ Plus récemment (depuis le dernier quart du XXe siècle), les historiens ont tendance à déplacer l'origine de la peste noire vers la mer Noire et le sud de la Russie, réduisant la distance du trajet de la peste noire. Les uns s'appuient sur des données phylogénétiques de Yersinia pestis pour localiser l'origine de la peste noire au Kurdistan irakien, d'autres se basent sur des chroniques médiévales russes pour la placer entre le bassin du Don et celui de la Volga[21].
63
+
64
+ En 1346, les Mongols de la Horde d'or assiégèrent Caffa, comptoir et port génois des bords de la mer Noire, en Crimée. L'épidémie, ramenée d'Asie centrale par les Mongols, toucha bientôt les assiégés, car les Mongols catapultaient les cadavres des leurs par-dessus les murs pour infecter les habitants de la ville[23]. Cependant, pour Boris Bove il est plus plausible d'imaginer que la contamination des Génois fut le fait des rats passant des rangs mongols jusque dans la ville[23], ou selon une théorie récente, plutôt des gerbilles[24].
65
+
66
+ Le siège fut levé, faute de combattants valides en nombre suffisant : Génois et Mongols signèrent une trêve. Les bateaux génois, pouvant désormais quitter Caffa, disséminèrent la peste dans tous les ports où ils faisaient halte : Constantinople est la première ville touchée en 1347[25], puis la maladie atteignit Messine fin septembre 1347[26], Gênes et Marseille en novembre de la même année. Pise est atteinte le premier janvier 1348, puis c'est le tour de Spalato, la peste gagnant les ports voisins de Sebenico et de Raguse, d'où elle passe à Venise le 25 janvier 1348. En un an, la peste se répandit sur tout le pourtour méditerranéen[15].
67
+
68
+ Dès lors, l'épidémie de peste s'étendit à toute l'Europe du sud au nord, y rencontrant un terrain favorable : les populations n'avaient pas d'anticorps contre cette variante du bacille de la peste, et elles étaient déjà affaiblies par des famines répétées[27], des épidémies[28], un refroidissement climatique sévissant depuis la fin du XIIIe siècle, et des guerres[29].
69
+
70
+ Entre 1345 et 1350, le monde musulman et la région du croissant fertile sont durement touchés par la pandémie. Partie de Haute-Égypte, elle touche Alexandrie, Le Caire en septembre 1348, atteint la Palestine, touche successivement Acre, Sidon, Beyrouth, Tripoli et Damas en juin de la même année. Au plus fort de l'épidémie, Damas perd environ 1 200 habitants par jour et Gaza est décimée. La Syrie perd environ 400 000 habitants, soit un tiers de sa population. C'est après avoir ravagé l'Égypte, le Maghreb et l'Espagne qu'elle se répand finalement en Europe[30].
71
+
72
+ La peste noire se répandit comme une vague et ne s'établit pas durablement aux endroits touchés. Le taux de mortalité moyen — environ trente pour cent de la population totale et soixante à cent pour cent de la population infectée — est tel que les plus faibles périssent rapidement, et le fléau ne dure généralement que six à neuf mois.
73
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74
+ Depuis Marseille, en novembre 1347, elle gagna rapidement Avignon, en janvier 1348, alors cité papale et carrefour du monde chrétien : la venue de fidèles en grand nombre contribuant à sa diffusion. Début février, la peste atteint Montpellier puis Béziers. Le 16 février 1348, elle est à Narbonne, début mars à Carcassonne, fin mars à Perpignan. Fin juin, l'épidémie atteint Bordeaux. À partir de ce port, elle se diffuse rapidement à cause du transport maritime. L'Angleterre est touchée le 24 juin 1348. Le 25 juin 1348, elle apparaît à Rouen, puis à Pontoise et Saint-Denis. Le 20 août 1348, elle se déclare à Paris. En septembre, la peste atteint le Limousin et l'Angoumois, en octobre le Poitou, fin novembre Angers et l'Anjou. En décembre, elle est apportée à Calais depuis Londres. En décembre 1348, elle a envahi toute l'Europe méridionale, de la Grèce au sud de l'Angleterre. L'hiver 1348-1349 arrête sa progression, avant qu'elle resurgisse à partir d'avril 1349.
75
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76
+ En décembre 1349, la peste a traversé presque toute l'Allemagne, le Danemark, l'Angleterre, le Pays de Galles, une bonne partie de l'Irlande et de l'Écosse. Elle continue ensuite sa progression vers l'est et vers le nord dévastant la Scandinavie en 1350, puis l'Écosse, l'Islande ou le Groenland, s'arrêtant aux vastes plaines inhabitées de Russie en 1351[31].
77
+
78
+ Cette progression n'est pas homogène, les régions n'étant pas toutes touchées de la même façon. Des villages, et même certaines villes sont épargnés comme Bruges, Milan et Nuremberg, au prix de mesures d'exclusion drastiques, et il en est de même pour le Béarn et la Pologne (carte ci-contre).
79
+
80
+ Les rapports entre la guerre et la peste s'expliquent de diverses façons selon les historiens, et il n'est pas toujours facile de distinguer entre les causes et les conséquences.
81
+
82
+ Les effets de la guerre de Cent Ans paraissent limités, car elle n'est jamais totale (étendue géographique, et dans le temps – existence de trêves). L'impact démographique direct est faible et ne concerne que la noblesse, quoique des massacres de populations civiles soient attestés (Normandie, région parisienne). Il n'en est pas de même pour les conséquences indirectes liées à l'économie de guerre (pillage, rançon, impôts) : la misère, l'exode, la mortalité sont aggravées. Le bon sens populaire associe la guerre et la peste dans une même prière : « Délivre-nous, Seigneur, de la faim, de la peste et de la guerre »[32].
83
+
84
+ La peste frappe Anglais et Français, assiégeants et assiégés, militaires et civils, sans distinction. Cette mortalité par peste est sans commune mesure avec les pertes militaires au combat (une armée de plus de dix mille hommes est exceptionnelle à l'époque). La guerre tue par milliers sur un siècle, la peste par millions en quelques années. La peste est l'occasion d'interrompre la guerre de Cent Ans (prolongation de la trêve de Calais en 1348), mais elle n'en change guère le cours en profondeur[33]. La proximité de la peste limite les opérations (évitement des zones où la peste sévit). Des bandes armées ont pu disséminer la peste, mais aucune armée n'a été décimée par la peste durant la guerre de Cent Ans[34].
85
+
86
+ D'autres historiens insistent sur l'influence de la peste sur le déroulement des opérations militaires, surtout en Méditerranée : la fin du siège de Caffa, la mort d'Alphonse XI lors du siège de Gibraltar, la réduction des flottes de guerre de Venise et de Gênes, l'ouverture de la frontière nord de l'Empire byzantin, la dispersion de l'armée de Abu Al-Hasan après la bataille de Kairouan (1348), l'arrêt de la Reconquista pour plus d'un siècle, etc.[35].
87
+
88
+ La peste eut d'importantes conséquences démographiques, économiques, sociales et religieuses.
89
+
90
+ Les sources documentaires sont assez éparses et couvrent généralement une période plus longue, mais elles permettent une approximation assez fiable. Les historiens s'entendent pour estimer la proportion de victimes entre 30 et 50 % de la population européenne, soit entre 25 et 45 millions de personnes[36]. Les villes sont plus durement touchées que les campagnes, du fait de la concentration de la population, et aussi des disettes et difficultés d'approvisionnement provoquées par la peste (chute de la production céréalière dans les campagnes).
91
+
92
+ Au niveau mondial, il faut ajouter les morts de l'empire byzantin, du monde musulman, du Moyen-Orient, de la Chine et de l'Inde, dont les données sont peu connues. Selon les sources, la peste noire aurait fait entre 75 et 200 millions de morts lors du XIVe siècle[37],[38] ; les sources académiques attribuent le chiffre de 200 millions de morts à l'ensemble des trois pandémies mondiales mondiales de peste, de la peste de Justinien (541-767) jusqu'au début du XXIe siècle[39],[40].
93
+
94
+ Il existait déjà une récession économique depuis le début du XIVe siècle, à cause des famines et de la surpopulation (il y eut en 1315-1317 une grande famine européenne qui stoppa l'expansion démographique et prépara le terrain à l'épidémie).
95
+
96
+ Cette récession se transforme en chute brutale et profonde avec la peste noire et les guerres. La main-d'œuvre vint à manquer et son coût augmenta, en particulier dans l'agriculture. De nombreux villages furent abandonnés, les moins bonnes terres retournèrent en friche et les forêts se redéveloppèrent. En France, la production céréalière et celle de la vigne chutent de 30 à 50 % selon les régions[32].
97
+
98
+ Les propriétaires terriens furent contraints de faire des concessions pour conserver (ou obtenir) de la main-d'œuvre, ce qui se solda par la disparition du servage. Les revenus fonciers s'effondrèrent à la suite de la baisse du taux des redevances et de la hausse des salaires ; le prix des logements à Paris fut divisé par quatre[41].
99
+
100
+ Les villes se désertifièrent les unes après les autres, la médecine de l'époque n'ayant ni connaissance de la cause de l'épidémie ni les capacités de la juguler. Cette désertification est compensée par un exode rural pour repeupler les villes, dans un rayon moyen de 30 à 40 km autour des villes et des gros bourgs[42].
101
+
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+ La France ne retrouva son niveau démographique de la fin du XIIIe siècle que dans la seconde moitié du XVIIe siècle.
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104
+ En France, entre 1340 et 1440, la population a décru de 17 à 10 millions d'habitants, une diminution de 41 %. La France avait retrouvé le niveau de l'ancienne Gaule. Le registre paroissial de Givry, en Saône-et-Loire, l'un des plus précis, montre que pour environ 1 500 habitants, on a procédé à 649 inhumations en 1348, dont 630 de juin à septembre, alors que cette paroisse en comptait habituellement environ 40 par an : cela représente un taux de mortalité de 40,6 %. D'autres registres, comme celui de l'église Saint-Nizier de Lyon, confirment l'ordre de grandeur de Givry (30 à 40 %)[43].
105
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+ Une source indirecte de mortalité est l'étude des séries de legs et testaments enregistrés. Par exemple, les historiens disposent des données de Besançon et de Saint-Germain-l'Auxerrois, qui montrent que les legs et les testaments décuplent en 1348-1349 par rapport à 1347, mais l'interprétation en est délicate. « La mortalité précipite les hommes non seulement chez leur confesseur mais aussi chez leur notaire […] mais [cela] ne permet pas de la mesurer, car il dépend autant, sinon plus, de la peur de la maladie qui multiplie les legs pieux que des ravages de la peste elle-même »[44].
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108
+ C'est l'Angleterre qui nous a laissé le plus de témoignages ce qui, paradoxalement, rend l'estimation du taux de mortalité plus ardue, les historiens fondant leurs calculs sur des documents différents : les chiffres avancés sont ainsi entre 20 et 50 %. Cependant, les estimations de population entre 1300 et 1450 montrent une diminution située entre 45 et 70 %. Même si là encore la baisse de population était en cours avant l'éclosion de la peste, ces estimations rendent le 20 % peu crédible, ce taux étant fondé sur des documents concernant des propriétaires terriens laïcs qui ne sont pas représentatifs de la population, essentiellement paysanne et affaiblie par les disettes.
109
+
110
+ Dans le reste de l'Europe, les historiens tentent d'approcher la mortalité globale par des études de mortalité de groupes socio-professionnels mieux documentés (médecins, notaires, conseillers municipaux, moines, évêques). En Italie, il est communément admis par les historiens que la peste a tué au moins la moitié des habitants. Seule Milan semble avoir été épargnée, quoique les sources soient peu nombreuses et imprécises à ce sujet. Des sources contemporaines citent des taux de mortalité effrayants : 80 % des conseillers municipaux à Florence, 75 % à Venise, etc. En Espagne, la peste aurait décimé de 30 à 60 % des évêques[45].
111
+
112
+ En Autriche, on a compté 4 000 victimes à Vienne, et 25 à 35 % de la population mourut. En Allemagne, les populations citadines auraient diminué de moitié, dont 60 % de morts à Hambourg et Brême[46].
113
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114
+ L'Empire byzantin est durement touché lui aussi par la peste, il connaîtra 9 vagues épidémiques majeures du XIVe siècle au XVe siècle (de 1347 à 1453) d'une durée moyenne de trois ans espacées d'une dizaine d'années. La peste touche particulièrement Constantinople, le Péloponnèse, la Crète et Chypre. L'Empire byzantin était déjà affaibli par des défaites militaires, des guerres civiles, des tremblements de terre. La peste noire accentue ce déclin, mais ne le provoque pas.
115
+
116
+ L'histoire médiévale de cette région montre que les ambitions économiques, politiques et militaires étaient plus fortes que la peur de la peste. Le commerce et la guerre contribuent à propager la peste, les hommes finissant par intégrer la peste comme une part de leur vie[25]. Après la chute de Constantinople, l'Empire ottoman subit aussi des épidémies graves de peste jusqu'à la fin du XVIe siècle.
117
+
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+ Ibn Khaldoun, philosophe et historien musulman du XIVe siècle,de Tunis,évoque dans son autobiographie la perte de plusieurs membres de sa famille dont sa mère en 1348 et son père en 1349, de ses amis et de ses professeurs à cause de la peste. Il évoquera à plusieurs reprises ces événements tragiques, notamment dans la Muqaddima (traduite en Prolégomènes)[47] :
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120
+ « Une peste terrible vint fondre sur les peuples de l'Orient et de l'Occident ; elle maltraita cruellement les nations, emporta une grande partie de cette génération, entraîna et détruisit les plus beaux résultats de la civilisation. Elle se montra lorsque les empires étaient dans une époque de décadence et approchaient du terme de leur existence ; elle brisa leurs forces, amortit leur vigueur, affaiblit leur puissance, au point qu'ils étaient menacés d'une destruction complète. La culture des terres s'arrêta, faute d'hommes ; les villes furent dépeuplées, les édifices tombèrent en ruine, les chemins s'effacèrent, les monuments disparurent ; les maisons, les villages, restèrent sans habitants ; les nations et les tribus perdirent leurs forces, et tout le pays cultivé changea d'aspect[48]. »
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122
+ Le bilan humain en Méditerranée orientale est difficile à évaluer, faute de données fiables (manque de données démographiques, difficulté à interpréter les chroniques)[25]. On cite quelques données significatives : la plus grande ville de l'islam à cette époque était Le Caire avec près d'un demi-million d'habitants, sa population chute en quelques années à moins de 300 000. La ville avait 66 raffineries de sucre en 1324, elle en a 19 en 1400. Le repeuplement des grandes villes se fait aux dépens des campagnes, dans un contexte de disettes et de crises économiques et monétaires. En Égypte, le dirham d'argent est remplacé par du cuivre. Alexandrie qui comptait encore 13 000 tisserands en 1394, n'en compte plus que 800 en 1434[49].
123
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+ Face à la peste, et à l'angoisse de la peste, les populations réagissent par la fuite, l'agressivité ou la projection. La fuite est générale pour ceux qui en ont la possibilité. Elle se manifeste aussi dans le domaine moral, par une fuite vers la religion, les médecins, charlatans et illuminés, ou des comportements par mimétisme (manie dansante, hystérie collective...)[50].
125
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126
+ L'agressivité se porte contre les Juifs et autres prétendus semeurs de peste (lépreux, sorcières, mendiants…), ou contre soi-même (de l'auto-flagellation jusqu'au suicide). La projection est l'œuvre des artistes : les figurations de la peste et leurs motivations seraient comme une sorte d'exorcisme, modifiant les sensibilités[50] (les danses macabres) .
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+ Les réactions les plus particulières à l'époque de la peste noire sont les violences contre les Juifs et les processions de flagellants[50].
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130
+ Dès 1348, la peste provoque des violences[51] antijuives en Provence. Les premiers troubles éclatent à Toulon dans la nuit du 13 au 14 avril 1348. Quarante Juifs sont tués et leurs maisons pillées. Les massacres se multiplient rapidement en Provence, les autorités sont dépassées à Apt, Forcalquier et Manosque. La synagogue de Saint-Rémy-de-Provence est incendiée (elle sera reconstruite hors de la ville en 1352). En Languedoc, à Narbonne et Carcassonne, les Juifs sont massacrés par la foule. En Dauphiné, des Juifs sont brûlés à Serres. N'arrivant pas à maîtriser la foule, le dauphin Humbert II fait arrêter les Juifs pour éviter les massacres. Ceux-ci se poursuivent à Buis-les-Baronnies, Valence, la-Tour-du-Pin, et Pont-de-Beauvoisin où des Juifs sont précipités dans un puits qu'on les accuse d'avoir empoisonné. D'autres massacres ont lieu en Navarre et en Castille. Le 13 mai 1348, le quartier juif de Barcelone est pillé[52].
131
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132
+ En juillet, le roi de France Philippe VI fait traduire en justice les Juifs accusés d'avoir empoisonné les puits. Six Juifs sont pris à Orléans et exécutés. Le 6 juillet, le pape Clément VI d'Avignon proclame une bulle en faveur des Juifs, montrant que la peste ne fait pas de différences entre les Juifs et les chrétiens, il parvient à prévenir les violences au moins dans sa ville. Ce n'est pas le cas en Savoie qui, au mois d'août, devient théâtre de massacres. Le comte tente de protéger puis laisse massacrer les Juifs du ghetto de Chambéry. En octobre, les massacres continuent dans le Bugey, à Miribel et en Franche-Comté[53].
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+ Les Ashkénazes d'Allemagne sont victimes de pogroms. En septembre 1348, les Juifs de la région du château de Chillon sur le lac Léman, en Suisse, sont torturés jusqu'à ce qu'ils avouent, faussement, avoir empoisonné les puits[54]. Leurs confessions provoquent la fureur de la population qui se livre à des massacres et à des expulsions. Trois cents communautés sont détruites ou expulsées. Six mille Juifs sont tués à Mayence. Nombre d'entre eux fuient vers l'est, en Pologne et en Lituanie.
135
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+ Plusieurs centaines de Juifs sont brûlés vifs lors du pogrom de Strasbourg le 14 février 1349[55], d'autres sont jetés dans la Vienne à Chinon. En Autriche, le peuple, pris de panique, s'en prend aux communautés juives, les soupçonnant d'être à l'origine de la propagation de l'épidémie, et Albert II d'Autriche doit intervenir pour protéger ses sujets juifs[56].
137
+
138
+ Si les accusations contre les Juifs ont été largement répandues dans toute l'Europe occidentale, les violences se concentrent dans des régions bien limitées (essentiellement l'axe économique Rhône-Rhin). En Angleterre, les Juifs sont accusés, mais non persécutés, à cause de leur évidente pauvreté (les banquiers et riches commerçants juifs ont été expulsés par Édouard Ier en 1290). En Scandinavie, on accuse aussi les Juifs d'empoisonner les puits, mais il n'y a pas de Juifs en Scandinavie. Les chroniqueurs arabes, de leur côté, ne mentionnent pas de persécutions contre les Juifs à l'occasion d'épidémie de peste[57].
139
+
140
+ Un autre facteur est l'importance des communautés médicales juives en Provence. Un tiers à la moitié des médecins provençaux connus du XIIe siècle au XVe siècle étaient juifs. La petite ville de Trets comptait six médecins juifs et un chrétien au XIVe siècle[58]. L'arrivée de la peste noire en Provence met à nu l'impuissance de la médecine, et par là celles des Juifs, dont le savoir des remèdes se serait retourné contre eux. On croit qu'ils reçoivent, par la mer, des sachets de venins réduits en poudre qu'ils sont chargés de répandre[59].
141
+
142
+ Selon J.N. Biraben, la richesse des Juifs aurait pu jouer un rôle, à cause de leur situation de prêteurs, faisant appel aux autorités pour faire régler leurs débiteurs. La peste aurait mis le feu aux poudres, les héritiers des morts de peste se retrouvant débiteurs. Ce qui est bien documenté pour la région de Strasbourg, mais reste hypothétique ailleurs[60]. Selon l'historien Samuel Kline Cohn, les persécutions sont le fait de personnes de haut rang qui les planifient avant de les mettre en œuvre, non pas tant pour des raisons économiques, que pour des raisons sacrificielles. Dans les villes allemandes, les massacres précèdent l'épidémie, ce qui indiquerait qu'ils étaient censés apaiser la colère divine[61].
143
+
144
+ Lorsque les violences s'approchent des régions rhénanes, durant l'hiver 1348-1349, les familles juives d'Allemagne cachent monnaies et objets précieux dans ou autour de leur maison. De nombreux trésors furent enterrés ou emmurés, puis abandonnés à la mort ou la fuite de leurs propriétaires. Plusieurs de ces trésors ont été retrouvés, témoignant de la vie et de la culture juives médiévales en Europe[62].
145
+
146
+ Parmi les trésors étudiés les plus importants, le premier a été trouvé à Weissenfels en 1826, d'autres à Colmar (1863), Bale (1937), Cologne (1953)… Le plus récent à Erfurt (1998).
147
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148
+ Le trésor de Colmar appartient au musée de Cluny de Paris[62] qui l'a exposé avec le trésor d'Erfurt du 25 avril au 3 septembre 2007. Ces trésors sont identifiés par leur lieu de découverte, leur datation et la présence caractéristique de bague juive de mariage[63].
149
+
150
+ Des groupes de flagellants se formèrent, tentant d'expier les péchés, avant la parousie, dont ils pensaient que la peste était un signe annonciateur. Cependant ces groupes restaient extrêmement marginaux, la plupart des chrétiens firent face au fléau par une piété redoublée, mais ordinaire et encadrée par un clergé qui réprouvait les excès[64].
151
+
152
+ La disparition d'une partie du clergé entraîne une résurgence de comportements superstitieux ou inhabituels, liés à une contagion par imitation lors de stress collectifs. C'est notamment le cas de la manie dansante ou épidémie de danse de saint Guy (ou saint Vit ou Vitus)[65].
153
+
154
+ Déjà signalée dans les populations germaniques au XIIIe siècle, une manie dansante survient en Lusace, près de la Bohême, en 1349 à l'approche de la peste noire. Des femmes et jeunes filles se mettent à danser devant un tableau de la Vierge[65]. Elles dansent nuit et jour, jusqu'à l'effondrement, puis se relèvent et recommencent après sommeil réparateur[66].
155
+
156
+ En juillet 1374, dans plusieurs villes du Rhin moyen, des centaines de jeunes couples se mettent à danser et chanter, circulant dans toute la région. Les spectateurs les imitent et se joignent à eux. Le mauvais temps les arrête en novembre, mais chaque été, ils recommencent jusqu'en 1381. Le clergé parvient à les contrôler en les conduisant en pèlerinage[65].
157
+
158
+ Le phénomène se retrouve en 1414 à Strasbourg pour se répandre en Allemagne, il se répète en 1463 à Metz[65]. Le plus documenté est l'épidémie dansante de 1518 à Strasbourg, liée à des tensions sociales et économiques, et aux menaces répétées et imprévisibles d'épidémie de peste[66].
159
+
160
+ Le rapport entre ces danses maniaques et le thème artistique de la danse macabre reste peu clair[66].
161
+
162
+ La médecine du XIVe siècle était impuissante face à la peste qui se répandait. Les médecins utilisent plusieurs moyens simultanément, car nul traitement unique n'avait de succès ou même n'était meilleur qu'un autre. La médecine galénique, basée sur la théorie humorale, privilégiait les remèdes internes, mais dès le début de la peste noire, elle tend à être supplantée par une théorie miasmatique basée sur un « venin » ou « poison ». Le poison de la peste pénètre le corps à partir de l'air infect ou par contact (personne ou objet).
163
+
164
+ Toutes ces théories pouvaient se combiner : la peste est une pourriture des humeurs due à un poison transmissible par air ou par contact. Ce poison est un principe de corruption provenant des profondeurs de la terre (substances en putréfaction), qui s'élève dans l'air, à la suite d'un phénomène « météo-géologique » (tremblement de terre, orage...) ou astronomique (conjonction de planètes, passage de comète...), et qui retombe sur les humains[67].
165
+
166
+ La distinction entre moyens médicaux, religieux, folkloriques ou magiques est faite par commodité, mais l'ensemble de ces moyens était largement accepté par les médecins savants de l'époque[68].
167
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168
+ Ils ont pour but, soit d'empêcher la pénétration du poison, soit de faciliter sa sortie. Contre l'air empoisonné, on se défend par des fumigations de bois ou de plantes aromatiques.
169
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170
+ Les médecins arabes avaient remarqué que les survivants de peste étaient plutôt ceux dont les bubons avaient suppuré (vidés de leur pus). Selon leur avis, les chirurgiens de peste incisaient ou cautérisaient les bubons. Ils le faisaient dans des conditions non-stériles, occasionnant souvent des surinfections.
171
+
172
+ De nombreux onguents de diverses compositions (herbes, minéraux, racines, térébenthine, miel…) pouvaient enduire les bubons et le reste du corps (à visée préventive ou curative). On utilisait parfois des cataplasmes à base de produits répugnants (crapauds, asticots, bile et fiente d'origines diverses…) selon l'idée que les poisons attirent les poisons[69]. Ainsi les parfums empêchent la pénétration du poison, et les mauvaises odeurs facilitent sa sortie.
173
+
174
+ Les saignées avaient pour but d'évacuer le sang corrompu, ce qui le plus souvent affaiblissait les malades.
175
+
176
+ Les bains chauds, les activités physiques qui provoquent la sudation comme les rapports sexuels sont déconseillés, car ils ouvrent les pores de la peau rendant le corps plus vulnérable aux venins aériens.
177
+
178
+ La médecine de Galien insiste sur les régimes alimentaire et de vie. Selon la théorie des humeurs, la putréfaction est de nature « chaude et humide », elle doit être combattue par des aliments de nature « froide et sèche », faciles à digérer. La liste et les indications de tels aliments varient selon les auteurs de l'époque[70].
179
+
180
+ Une attitude morale tempérée est protectrice car les principales passions qui ouvrent le corps à la pestilence sont la peur, la colère, le désespoir et la folie.
181
+
182
+ Les contre-poisons utilisés sont des herbes telles que la valériane, la verveine, ou des produits composés complexes connus depuis l'Antiquité comme la thériaque. Les antidotes minéraux sont des pierres ou métaux précieux, décapés ou réduits en poudre, pour être avalés en jus, sirop, ou liqueur : or, émeraude, perle, saphir[69].
183
+
184
+ Les remèdes visent à expulser le poison, ce sont les émétiques, les purgatifs, les laxatifs, ce qui épuisait les malades plus qu'autre chose.
185
+
186
+ L'Église organise des processions religieuses solennelles pour éloigner les démons[71], ou des actes de dévotion spectaculaire pour apaiser la colère divine, par exemple la confection de cierges géants, la procession à pieds nus, les messes multiples simultanées ou répétées[72].
187
+
188
+ Le culte à la Vierge cherche à répéter le miracle survenu à Rome en 590. Cette année-là, lors de la peste de Justinien, une image de la vierge censée peinte par saint Luc, promenée dans Rome, dissipa aussitôt la peste. À ce culte s'ajoute celui des saints protecteurs de la peste : saint Sébastien et saint Roch[73].
189
+
190
+ Des amulettes et talismans sont portés comme le symbole visible d'un pouvoir invisible, par les Juifs, les chrétiens et les musulmans. Les musulmans portent des anneaux où sont inscrits des versets du Coran, quoique l'opinion des lettrés diverge sur ce point, de nombreux textes musulmans sur la peste recommandent des amulettes, incantations et prières contre la peste provenant non pas d'Allah, mais des démons ou djinns[68].
191
+
192
+ En Occident, en dépit de la désapprobation de l'Église, les chrétiens utilisent charmes, médaillons, textes de prière suspendus autour du cou. L'anneau ou la bague ornée d'un diamant ou d'une pierre précieuse, portée à la main gauche, vise à neutraliser la peste et tous les venins. C'est l'origine magique, à partir de la pharmacopée arabe, du solitaire ou bague de fiancailles des pays occidentaux[74].
193
+
194
+ Par leur nombre, les morts ont posé un problème aigu au cours de la peste noire. D'abord pour les évaluer, l'habitude sera prise de recensements réguliers, avant et après chaque épidémie. Le clergé sera chargé d'établir les enregistrements des décès et l'état civil. De nouveaux règlements interdisent de vendre les meubles et vêtements des morts de peste. Leurs biens, voire leur maison, sont souvent brûlés. Dès 1348, des villes établissent de nouveaux cimetières en dehors d'elles, Il est désormais interdit d'enterrer autour des églises, à l'intérieur même des villes, comme on le faisait auparavant[75].
195
+
196
+ Les règlements de l'époque indiquent que l'on devait enterrer les cadavres de pestiférés au plus tard six heures après la mort. La tâche est extrêmement dangereuse pour les porteurs de morts, qui viennent bientôt à manquer. On paye de plus en plus cher les ensevelisseurs qui seront, dans les siècles suivants, affublés de noms et d'accoutrements divers selon les régions (vêtus de cuir rouge avec grelots aux jambes, ou de casaques noires à croix blanche)[76].
197
+
198
+ En dernière ressource on utilise la main-d'œuvre forcée : prisonniers de droit commun, galériens, condamnés à mort… à qui on promet grâce ou remises de peine. Ces derniers passent dans les maisons ou ramassent les cadavres dans les rues pour les mettre sur une charrette. Ils sont souvent ivres, voleurs et pilleurs. Des familles préfèrent enterrer leurs morts dans leur cave ou jardin, plutôt que d'avoir affaire à eux[76].
199
+
200
+ Lorsque les rites funéraires d'enterrement y compris en fosse commune ne sont plus possibles de par l'afflux de victimes, les corps peuvent être immergés comme en la Papauté d'Avignon dans le Rhône en 1348, dont les eaux ont été bénies pour cela par le Pape. De même, à Venise des corps sont jetés dans le Grand Canal, et un service de barges est chargé de les repêcher[77]. Les sources mentionnent rarement l'incinération de cadavres, comme à Catane en 1347 où les corps des réfugiés venus de Messine sont brûlés dans la campagne pour épargner à la ville la puanteur des bûchers[75].
201
+
202
+ Pour les trois religions monothéistes, le respect du mort est essentiel, la promesse de vie éternelle et de résurrection dissuade en fait toute crémation ou autre forme de destruction de l'intégrité corporelle. Le rite funéraire est simplifié et abrégé, mais maintenu autant que possible, mais lorsque les membres du clergé eux-mêmes disparaissent, mourir de peste sans aucun rituel devient encore plus terrifiant pour les chrétiens. En pays d'islam, la difficulté de maintenir les rites est plus supportable pour les musulmans car mourir de peste fait partie des cinq martyrs (chahid). Comme la mort lors du djihad, elle donne accès immédiat au Paradis[78].
203
+
204
+ En Occident, durant la peste noire, la lutte contre les pillages et les violences de foule est d'abord assurée par les sergents de ville ordinaires. Plus tard, les conseils municipaux engageront des troupes spéciales chargées de garder, en temps de peste, les villes désertées par leurs habitants[79].
205
+
206
+ Au début du XIVe siècle, les règlements d'hygiène publique sont pratiquement inexistants, à l'exception de quelques grandes villes d'Italie comme Florence (surveillance du ravitaillement, dont la qualité des viandes et de la santé des habitants). La peste noire prend la population au dépourvu et elle sera le point de départ des administrations de santé en Europe. Dès 1348 (première année de la peste noire) plusieurs villes italiennes se dotent d'un règlement de peste : Pistoie, Venise, Milan, Parme... comme Gloucester en Angleterre. Ces villes interdisent l'entrée des voyageurs et des étrangers venant de lieux infectés[80].
207
+
208
+ Les premières villes à édicter un isolement radical de la ville elle-même sont Reggio en 1374, Raguse (Dubrovnik depuis 1918) en 1377, Milan (1402) et Venise (1403). Ces premières mesures sont des tentatives et des tâtonnements, le plus souvent par emprunts d'une ville à l'autre. Elles sont très diverses, depuis l'interdiction de donner le sang des saignées des pestiférés aux pourceaux (Angers, 1410) jusqu'à l'interdiction de vendre des objets appartenant à des pestiférés (Bruxelles, 1439)[80].
209
+
210
+ Les premiers isolements préventifs (quarantaine) apparaissent à Raguse en 1377, tous ceux qui arrivent d'un lieu infecté doivent passer un mois sur une île avant d'entrer dans la ville. Venise adopte le même système la même année en portant le délai à 40 jours, comme Marseille en 1383. Ce système est adopté par la plupart des ports européens durant le XVe siècle[81].
211
+
212
+ La quarantaine sur terre est adoptée d'abord en Provence (Brignoles, 1464), et se généralise pour les personnes et les marchandises durant le XVIe siècle[81]. C'est aussi en Provence (Brignoles 1494, Carpentras 1501) qu'apparaît le « billet de santé » ou passeport sanitaire délivré aux voyageurs sortant d'une ville saine, et exigé par les autres villes pour y entrer. L'usage du billet de santé se répand lentement et ne se généralise que vers le début du XVIIe siècle (Paris, 1619)[82].
213
+
214
+ Peu à peu se mettent en place des « règlements de peste », de plus en plus élaborés au fil du temps : c'est le cas des villes en France à partir du XVe siècle. L'application de ces mesures dépend d'un « bureau de santé » composé de plusieurs personnes ou d'une seule dite « capitaine de santé », le plus souvent dotés d'un pouvoir dictatorial en temps de peste. Cette institution apparaît d'abord en Italie et en Espagne, puis elle gagne le sud-est de la France à la fin du XVe siècle. Elle s'étend lentement au nord de la France (Paris, 1531)[83].
215
+
216
+ Durant le XVIe siècle, ces règlements sont codifiés par les parlements provinciaux, ajustés et précisés à chaque épidémie au cours du XVIIe siècle. Ils relèvent du niveau gouvernemental au début du XVIIIe siècle[83].
217
+
218
+ À la fin du XIIIe siècle, quelques villes italiennes engagent des médecins pour soigner les pauvres (en dehors des œuvres de charité de l'Église). À l'arrivée de la peste, de nouveaux médecins sont engagés à prix d'or (par manque de candidats). En 1348, c'est le cas d'Orvieto et d'Avignon. Des médecins de peste sont ainsi engagés durant les XVe et XVIe siècles, de même que des chirurgiens, apothicaires, infirmiers, sages-femmes... pour assurer les soins en temps de peste, souvent pour remplacer ceux qui ont fui, abandonnant leur poste, car les risques sont considérables[84].
219
+
220
+ La mort d'artistes, d'ouvriers qualifiés, de mécènes… entraîne des effets directs, notamment l'arrêt ou le ralentissement de la construction des cathédrales, comme celle de la cathédrale de Sienne, dont le projet initial ne sera jamais réalisé. Des historiens anglais attribuent l'apparition du style gothique perpendiculaire aux restrictions économiques liées à la peste noire[85]. En France, la plupart des grands chantiers ne reprendront qu'après 1450[86].
221
+
222
+ Sur les lieux où la peste s'arrête ou se termine, des chapelles ou autres petits édifices dédiés (chapelles votives, oratoires…) sont construits invoquant ou remerciant la Vierge, des saints locaux, Saint Sébastien ou Saint Roch[87]…
223
+
224
+ La crainte, de la part des familles riches, des enterrements de masse et des fosses communes, entraîne par réaction un développement de l'art funéraire : caveaux et chapelles familiales, tombes monumentales... Le gisant, statue mortuaire représentant le défunt dans son intégrité physique et en béatitude, tend à être remplacé par un transi, représentant son cadavre nu en décomposition[85].
225
+
226
+ La peste marque également la peinture. Selon Meiss[88], les thèmes optimistes de la Vierge à l'enfant, de la Sainte Famille et du mariage laissent la place à des thèmes d'inquiétudes et de douleurs[89], comme la Vierge de pitié qui tient, dans ses bras, son fils mort descendu de la croix[85], ou encore celui de la Vierge de miséricorde ou « au manteau » qui abrite et protège l'humanité souffrante[90].
227
+
228
+ La représentation du Christ en croix passe du Christ triomphant sur la croix à celle du Christ souffrant sur la croix où un réalisme terrible détaille toutes les souffrances : les sueurs de sang, les clous, les plaies, et la couronne d'épines[85].
229
+
230
+ La représentation du supplice de Saint Sébastien évolue : de l'homme mûr habillé, à celle d'un jeune homme dénudé, juste vêtu d'un pagne à l'image du Christ[85].
231
+
232
+ Les thèmes millénaristes sont mis en avant : ceux de la fin des temps, de l'Apocalypse et du jugement dernier. Par exemple, en tapisserie la Tenture de l'Apocalypse, dans l'art des vitraux, ceux de la cathédrale d'York[91].
233
+
234
+ L'omniprésence de la mort souligne la brièveté et la fragilité de la vie, thème traité par des poètes comme Eustache Deschamps, Charles Chastellain, Pierre Michault… jusqu'à François Villon. La poésie amoureuse insiste sur la mort de l'être aimé et le deuil inconsolable[92].
235
+
236
+ Selon Michel Vovelle, le thème de la vie brève s'accompagne d'une « âpreté à vivre », avec la recherche de joies et de plaisirs, comme dans l'œuvre de Boccace, le Décaméron[92].
237
+
238
+ Dès le XIIIe siècle, des thèmes macabres apparaissent comme le Dit des trois morts et des trois vifs sur des fresques ou des miniatures, où de jeunes gens rencontrent des morts-vivants qui leur parlent : « nous avons été ce que vous êtes, vous serez ce que nous sommes ». Apparu en Italie et en France, ce thème se répand et se développe jusqu'au XVIe siècle. Un autre thème plus célèbre est celui de la danse macabre où les vivants dansent avec les morts, ce thème se retrouve surtout sur les fresques d'églises de l'Europe du Nord[93].
239
+
240
+ Selon Vovelle : « C'est à peine exagérer que de dire que, jusqu'à 1350, on n'a point su comment représenter la mort, parce que la mort n'existait pas[94]. » De rares représentations avant cette date, la montrent comme un monstre velu et griffu, à ailes de chauve-souris. Cette mort figurée perd ses références chrétiennes en rapport avec le péché et le salut.
241
+
242
+ Elle devient une image autonome et « laïque » : c'est un transi avec une chevelure féminine, qui se décharne de plus en plus jusqu'au squelette proprement dit. C'est la mort implacable, d'origine pré-chrétienne, celle que rappelle le Memento mori.
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+ Cette mort monte à cheval, armée d'une faux ou d'un arc, elle frappe en masse. C'est le thème du triomphe de la mort, dont les représentations les plus célèbres sont celles du palais Sclafani à Palerme, et Le Triomphe de la Mort de Brueghel[94].
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+ Au XVe siècle, et jusqu'à 1650, toute une littérature se développe sur « l'art de bien mourir », c'est l'Ars moriendi. Il s'agit de rituels destinés à se substituer à l'absence de prêtres (en situation d'épidémie de peste). Différentes versions apparaissent après la Réforme : anglicane, luthérienne et calviniste[85].
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+ Des thèmes picturaux se rattachent directement à la peste noire, comme celui du nourrisson s'agrippant au sein du cadavre de sa mère. Selon Mollaret, ces œuvres « sont d'hallucinants documents, en particulier lorsqu'elles furent peintes par des artistes ayant personnellement vécu la peste »[90].
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+ Avec Hans Baldung (1484-1545) apparaît le thème de la femme nue au miroir où la mort montre un sablier. Ce serait un premier exemple de peintures de vanité, où la mort-squelette laissera la place à des objets symboliques : sablier, horloge, lampe éteinte, bougie presque consumée, crâne, instrument de musique aux cordes brisées[90]...
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+ De nombreux passages poétiques sont incorporés dans des chroniques historiques ou médicales, comme celles de Ibn al-Wardi (en) (mort en 1349) d'Alep, ou d'Ibrahim al-Mimar du Caire. Les descriptions poétiques de la peste noire expriment l'horreur, la tristesse, la résignation religieuse mais aussi l'espoir des musulmans en situation épidémique[95].
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+ Plusieurs uchronies ont été écrites sur le thème de la peste noire. Ainsi, dans La Porte des mondes de Robert Silverberg, l'auteur imagine que la peste noire est bien plus meurtrière, éliminant les trois quarts de la population européenne et changeant complètement l'histoire du monde. Cette idée est également reprise par Kim Stanley Robinson dans Chroniques des années noires, mais dans cette uchronie c'est la totalité des habitants de l'Europe qui périt, entraînant, de la même façon que dans le roman précédent, une histoire complètement différente de celle que l'on connaît.
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+ Connie Willis donne aussi ce cadre à son roman, Le Grand Livre, où une historienne du XXIe siècle qui voyage dans le temps tombe par erreur en pleine peste noire, la confrontant ainsi aux horreurs de cette pandémie.
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+ Ken Follett représente bien les conséquences de la peste noire dans son roman Un monde sans fin où les habitants de la ville fictive de Kingsbridge doivent affronter l'épidémie. L'auteur s'attarde particulièrement sur les différentes stratégies pour guérir les malades et les mesures entreprises par la ville pour diminuer la propagation de la peste.
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+ Le Septième Sceau (Det sjunde inseglet) est un film suédois d'Ingmar Bergman, sorti en 1957, qui évoque la mort jouant aux échecs pendant une épidémie de peste avec un chevalier revenant des croisades.
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+ Les premiers romans post-apocalyptiques traitent de civilisations détruites par la peste : The Last Man de Mary Shelley (1826) ou encore The Scarlet Plague de Jack London (1912).
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+ En pratique : Quelles sources sont attendues ? Comment ajouter mes sources ?
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+ La pétanque (du provençal pèd : pieds, et tanca : planté ; (lou) jo à pèd-tanca, le jeu à pieds-plantés, ou (la) petanco, la pétanque) est un jeu de boules dérivé du jeu provençal. C'est le onzième sport en France par le nombre de licenciés : 298 151 joueurs recensés (fin 2016)[1] ; il existe de nombreuses fédérations nationales affiliées à la fédération internationale. Fin 2017, on compte près de 600 000 licenciés répartis dans cent pays, du Maroc au Viêtnam. À ces chiffres, il convient de rajouter les pratiquants occasionnels, en vacances notamment, c'est-à-dire plusieurs millions d'amateurs[2].
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+ C'est un sport principalement masculin (moins de 15% des licenciés sont des femmes en France). Néanmoins, c'est l'un des rares sports où des compétitions mixtes sont organisées.
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+ Le jeu de boules aurait été créé en Gaule. Les boules ont d'abord été en argile, en pierre, puis en bois et enfin en acier, mais, après les « bouleurs » du Moyen Âge, l'âge d'or des boules en tous genres fut certainement la Renaissance où la noblesse s'empare du jeu au même titre que le bilboquet et le jeu de paume (qui deviendra le tennis). Pour des raisons obscures, le jeu est interdit au peuple en 1629, interdiction peu suivie et rapidement levée[6],[7]. Au XVIIIe siècle le jeu reste très populaire, au point que l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert en fait mention[8]. La Révolution Française en abolissant les privilèges de la noblesse légalisa à nouveau la pratique du jeu pour tous[8].
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+ Au début du XIXe siècle, le jeu de boules est répandu du nord au sud de la France[9]. Dans Ferragus (1833), Honoré de Balzac décrit les parties de boules du faubourg Saint-Marceau : « Cette esplanade, d'où l'on domine Paris, a été conquise par les joueurs de boules, vieilles figures grises, pleines de bonhomie, braves gens qui continuent nos ancêtres, et dont les physionomies ne peuvent être comparées qu'à celles de leur public. L'homme devenu depuis quelques jours l'habitant de ce quartier désert assistait assidûment aux parties de boules (...). Ce nouveau venu marchait sympathiquement avec le cochonnet, petite boule qui sert de point de mire, et constitue l'intérêt de la partie ; il s'appuyait contre un arbre quand le cochonnet s'arrêtait ; puis, avec la même attention qu'un chien en prête aux gestes de son maître, il regardait les boules volant dans l'air ou roulant à terre. Vous l'eussiez pris pour le génie fantastique du cochonnet. Il ne disait rien, et les joueurs de boules, les hommes les plus fanatiques qui se soient rencontrés parmi les sectaires de quelque religion que ce soit, ne lui avaient jamais demandé compte de ce silence obstiné (...)[10]. »
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+ En 1850, la première société officielle, « le Clos Jouve », fut fondée dans la région de Lyon puis, en 1906, la Fédération lyonnaise et régionale ouvre la voie en 1933 à la Fédération nationale des boules qui deviendra Fédération française de boules (FFB) en 1942. Bien que regroupant nombre de jeux de boules (« boule des berges », « boule en bois », « jeu provençal »), la FFB fut dominée par le jeu de boule lyonnaise (128 000 joueurs en 1945), jusqu'au début du XXe siècle.
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+ Au XIXe siècle, alors que chaque région, ou presque, introduit une variante d'usage, les Méridionaux se passionnent pour la longue ou jeu provençal avec des règles simplifiées, le libre choix du terrain, mais où les tireurs font trois pas de course pour prendre leur élan. C'est ce jeu que Marcel Pagnol décrit dans ses souvenirs d'enfance (Le Temps des amours) et qui fut intégré dans le film Le Château de ma mère.
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+ En 1904, un Alsacien du nom de Félix Rofritsch entreprit la fabrication des premières « boules cloutées » (en bois recouvert d'une carapace de métal, formée de clous) dans son atelier de la rue des Fabres, à Marseille, sous le label de « La Boule bleue ».
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+ Le jeu provençal donna naissance en 1907 à la pétanque, lors de la partie historique à La Ciotat où un champion de jeu provençal, Jules Hugues dit « Lenoir », ne pouvant plus jouer à son jeu préféré à cause de ses rhumatismes, se mit un jour à tracer un rond, envoyer le but à 5–6 m, et, les « pieds tanqués », à jouer ses boules pour se rapprocher du cochonnet[11]. Ceci se passait sur le terrain de boules d’un café « La boule étoilée » (terrain baptisé ainsi en clin d'œil aux boules cloutées de l'époque) dont les propriétaires s'appelaient Ernest et Joseph Pitiot. Les deux frères comprirent vite l'intérêt de ce sport, notamment Ernest qui s'appliqua à en finaliser les règles.
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+ Il faudra néanmoins attendre le premier concours officiel à La Ciotat en 1910 pour que le mot soit officialisé. Le terme vient des mots de l'occitan provençal pè « pied » et tanca « pieu », donnant en français régional l'expression « jouer à pétanque » ou encore « pés tanqués », c’est-à-dire avec les pieds ancrés sur le sol, par opposition au jeu provençal où le joueur peut prendre de l'élan.
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+ Les innovations sont les suivantes :
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+ La première boule en acier aurait été fabriquée en 1927 à Saint-Bonnet-le-Château, qui abrite à présent le Musée international pétanque et boules. La même année, les règles de la pétanque furent codifiées, mais ce n'est qu'en 1930 que les traditionnelles boules en bois cloutées furent remplacées par celles en acier. C'est à Jean Blanc que l'on doit cette évolution.
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+ La Fédération française de pétanque et de jeu provençal (FFPJP)[12] voit le jour le 31 juillet 1945 quand, forte de ses 10 000 membres, elle peut enfin quitter la section provençale de la FFB. Quant à la Fédération internationale, elle fut fondée le 8 mars 1958 à Marseille, même si c'est en Belgique, à Spa, que ses premières bases furent jetées, un an plus tôt.
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+ En 2005, le jeu traditionnel devenu sport qu'est la pétanque est décrété « sport de haut niveau » par le ministère de la Jeunesse et des Sports[13].
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+ Les boules sont trempées, creuses et non lestées.
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+ Un cylindre d'acier, le lopin, est transformé à chaud par forgeage en un disque, la galette. Les galettes sont embouties en forme d'hémisphère puis soudés par paires pour former une boule qui est ensuite tournée. Après nervurage et personnalisation, les boules brutes subissent des traitements thermiques de trempe et de recuit destinés à leur donner leurs qualités de dureté et d'élasticité. En finition, elles subissent un polissage et éventuellement un chromage ou vernissage qui leur donnera leur aspect final[14].
35
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+ Il existe une autre fabrication, moins connue, lors d'une fabrication à base de cuivre ou de cupro, le métal chauffé en fusion est déversé dans un moule autour d'un noyau de sable. Cette fabrication reste moins connue que la fabrication à base d'acier ou d'inox, mais tandis que l'acier rouille et l'inox glisse, les boules à base de cuivre ne rouillent pas et glissent moins, on peut dire qu'elles offrent le confort de l'acier et les qualités de l'inox. C'est le même procédé de fabrication que les boules lyonnaises sans le remplissage interdit en pétanque.
37
+
38
+ Destinées aux joueurs occasionnels, elles ont en général un poids et un diamètre uniques, pour convenir aux mains et aux forces de tous âges et sexes.
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40
+ Le poids varie entre 600 et 800 grammes, et la fabrication est régie par la norme NF S 52-200.
41
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42
+ Ces boules sont interdites en compétition.
43
+
44
+ Les boules doivent être agréées par la FIPJP et répondre aux caractéristiques suivantes[15] :
45
+
46
+ Le nom et/ou prénom ou surnom du joueur ou ses initiales peuvent y être gravés.
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+
48
+ Le diamètre de la boule est normalement fonction de la taille de la main (pour permettre une bonne préhension). Cela dit, ce diamètre a aussi des impacts sur le comportement de la boule, et certains joueurs peuvent choisir un diamètre inférieur ou supérieur :
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50
+ Le choix du poids est très lié au rôle du joueur :
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+
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+ La dureté de la boule influe sur son comportement, tant au point qu'au tir : plus une boule est tendre, plus elle absorbe les chocs (en se déformant), ce qui offre un avantage au joueur :
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+
54
+ On distingue classiquement trois niveaux de dureté :
55
+
56
+ Si les boules dures peuvent se conserver pendant de longues années, il n’en va pas de même pour les demi-tendres et les tendres, qui s’abiment à chaque choc : les boules tendres ne tiennent en général qu’une saison pour une utilisation régulière.
57
+
58
+ D’autres niveaux sont proposés par certaines marques :
59
+
60
+ La striation est une affaire de goût : une boule striée accroche plus dans la main.
61
+
62
+ Le prix est également un critère de choix : si les boules de loisir sont peu onéreuses, le prix de boules de compétition peut atteindre 250 euros. Un budget entre 50 et 150 euros (suivant la dureté souhaitée) permet d’acquérir de très bonnes boules de compétition, les prix supérieurs sont dus à l’emploi d’aciers inoxydables spéciaux ou à une fabrication artisanale.
63
+
64
+ Enfin, il faudra choisir la marque en fonction des types de boules proposés, et le cas échéant, de l’affinité personnelle.
65
+
66
+ Les buts en bois de buis sont les préférés des joueurs de pétanque, car ce sont les plus lourds ; ainsi :
67
+
68
+ Les buts peuvent être peints, de façon à mieux les distinguer. Les buts vendus déjà peints sont très rarement en buis.
69
+
70
+ À la pétanque, l'objectif est de marquer des points en plaçant ses boules plus près du but que son adversaire.
71
+
72
+ Avant 2017, si le lancer n'est pas correct, il est recommencé par le même joueur, ou un coéquipier. Mais si après 3 jets consécutifs par la même équipe, le but n'a pas été lancé dans les conditions réglementaires ci-dessus définies, il est remis à l'équipe adverse qui dispose également de 3 essais, etc. En tout état de cause, c'est toujours l'équipe qui a marqué à la mène précédente qui conserve la priorité pour jouer la première boule.
73
+
74
+ Depuis 2017, si le lancer du but n'est pas correct, il appartient à l'équipe adverse de le déposer à la main mais le lancer de la première boule demeure le privilège de l'équipe qui a gagné le tirage au sort ou de celle qui a gagné la mène précédente.
75
+
76
+ Toutefois l'adversaire a le droit de faire appliquer la règle de l'avantage et de déclarer que le coup est valable. En ce cas la boule pointée ou tirée est bonne et tout ce qu'elle a déplacé reste en place.
77
+
78
+ Le but ou une boule, arrêtée par un spectateur ou par l'arbitre, conserve sa position à son point d'immobilisation.
79
+
80
+ Toute boule jouée, arrêtée par un joueur de l'équipe à laquelle elle appartient est nulle et perdue.
81
+
82
+ Toute boule jouée ou déplacée, arrêtée par un adversaire peut, au gré du joueur, être
83
+ rejouée (uniquement si c'est celle qui vient d'être lancée), laissée à son point d'immobilisation, ou placée dans le prolongement d’une ligne qui irait du cercle (ou de sa place dans le cas d'une boule arrêtée) à l'endroit où elle se trouve.
84
+
85
+ Si le but, frappé, est arrêté par un joueur, l'adversaire peut laisser le but à sa nouvelle place, remettre le but à sa place primitive, placer le but dans le prolongement d'une ligne allant de sa place primitive à l'endroit où il se trouve, ou encore demander la nullité du but.
86
+
87
+ Si un but ou boule arrêtée vient à se déplacer (vent ou déplacée accidentellement par un joueur, un arbitre, un spectateur…), l'objet est remis à sa place. À noter que si un joueur bouscule une boule ou un but en effectuant une mesure, l'objet sera bien remis en place, mais la mesure est automatiquement perdue pour lui.
88
+
89
+ Si les boules adverses sont à égale distance du but et que la mène est finie, la mène est nulle.
90
+
91
+ Si les deux équipes disposent de boules, il appartient à celle qui a joué la dernière boule de rejouer, puis à l'équipe adverse, et ainsi de suite alternativement jusqu'à ce que le point soit gagné par l'une d'elles.
92
+
93
+ Si, en cours de mène, aucune boule ne se trouve en terrain autorisé (possible si tir sur la première boule par exemple), il appartient à celle qui a joué la dernière boule de rejouer, puis à l'équipe adverse, et ainsi de suite alternativement jusqu'à ce que le point soit pris. Si, à la fin de la mène, aucune boule ne se trouve en terrain autorisé, la mène est nulle.
94
+
95
+ À noter que lors du lancer initial, le but doit être à un mètre de tout obstacle et de la limite la plus proche de tout terrain interdit. Mais cette limite n'existe plus en cours de mène où il reste jouable tant qu'il n'est pas déplacé en terrain interdit.
96
+
97
+ Quand le but est nul on distingue deux cas : si les deux équipes ont encore des boules, la mène est nulle alors que si une seule des équipes possède encore des boules en mains, elle comptabilise autant de points qu'elle a de boules en mains.
98
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99
+ Les règles du jeu sont édictées par la Fédération internationale.
100
+
101
+ Chiffres du 1er janvier 2010, source : http://fipjp.com/fr/statistiques
102
+
103
+ Une équipe de pétanque comprend :
104
+
105
+ Ces rôles ne sont pas intangibles : en cours de partie, l’équipe peut décider de modifier la « formation », en cas de méforme d’un des joueurs.
106
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+ En général, lorsqu’une boule doit être pointée, c’est le pointeur qui joue, s’il n'a plus de boules, c’est le milieu, et si ce dernier n’a plus de boules, c’est le tireur. Lorsqu’une boule doit être tirée, c’est la même chose dans l’ordre inverse. Dans certains cas (assez rares), cet ordre n’est pas respecté pour des raisons tactiques.
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+
109
+ Au point, une boule placée devant le but a plus de valeur qu’une boule placée derrière à la même distance, car :
110
+
111
+ On considère donc qu'une boule placée devant le but, entre 0 et 50 cm (indicatif, dépend du terrain) de distance, est bien jouée.
112
+
113
+ Dans certains cas, le pointeur ne cherchera pas à s'approcher le plus près possible du but. Il peut :
114
+
115
+ À chaque étape du jeu, après lancement de la première boule, l'équipe qui n'a pas le point doit décider s’il vaut mieux tirer ou pointer. Elle peut également chercher à noyer le bouchon, pour annuler la mène si la situation apparait désespéré. Parmi les facteurs à considérer pour décider :
116
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117
+ Le lancer du but est un élément qui ne doit pas être négligé. Deux degrés de liberté sont à exploiter au mieux :
118
+
119
+ Ce ne sont bien sûr que les principes de bases.
120
+
121
+ Au haut niveau, les mènes se jouent très souvent à 10 m, distance à laquelle une différence peut éventuellement se faire au tir.
122
+
123
+ Les discussions, palabres et mimiques entre joueurs d'une même équipes pour décider de la stratégie, souvent en utilisant un vocabulaire spécifique et imagé, constituent un spectacle supplémentaire pour le supporter attentif. Cela fait partie intégrante du jeu. Qui ne connaît pas le fameux « Tu tires ou tu pointes ? »
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+ Joueur de triplette lors d'une compétition Bastia Corse 2019
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+ La pétanque (du provençal pèd : pieds, et tanca : planté ; (lou) jo à pèd-tanca, le jeu à pieds-plantés, ou (la) petanco, la pétanque) est un jeu de boules dérivé du jeu provençal. C'est le onzième sport en France par le nombre de licenciés : 298 151 joueurs recensés (fin 2016)[1] ; il existe de nombreuses fédérations nationales affiliées à la fédération internationale. Fin 2017, on compte près de 600 000 licenciés répartis dans cent pays, du Maroc au Viêtnam. À ces chiffres, il convient de rajouter les pratiquants occasionnels, en vacances notamment, c'est-à-dire plusieurs millions d'amateurs[2].
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+ C'est un sport principalement masculin (moins de 15% des licenciés sont des femmes en France). Néanmoins, c'est l'un des rares sports où des compétitions mixtes sont organisées.
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+ Le jeu de boules aurait été créé en Gaule. Les boules ont d'abord été en argile, en pierre, puis en bois et enfin en acier, mais, après les « bouleurs » du Moyen Âge, l'âge d'or des boules en tous genres fut certainement la Renaissance où la noblesse s'empare du jeu au même titre que le bilboquet et le jeu de paume (qui deviendra le tennis). Pour des raisons obscures, le jeu est interdit au peuple en 1629, interdiction peu suivie et rapidement levée[6],[7]. Au XVIIIe siècle le jeu reste très populaire, au point que l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert en fait mention[8]. La Révolution Française en abolissant les privilèges de la noblesse légalisa à nouveau la pratique du jeu pour tous[8].
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+ Au début du XIXe siècle, le jeu de boules est répandu du nord au sud de la France[9]. Dans Ferragus (1833), Honoré de Balzac décrit les parties de boules du faubourg Saint-Marceau : « Cette esplanade, d'où l'on domine Paris, a été conquise par les joueurs de boules, vieilles figures grises, pleines de bonhomie, braves gens qui continuent nos ancêtres, et dont les physionomies ne peuvent être comparées qu'à celles de leur public. L'homme devenu depuis quelques jours l'habitant de ce quartier désert assistait assidûment aux parties de boules (...). Ce nouveau venu marchait sympathiquement avec le cochonnet, petite boule qui sert de point de mire, et constitue l'intérêt de la partie ; il s'appuyait contre un arbre quand le cochonnet s'arrêtait ; puis, avec la même attention qu'un chien en prête aux gestes de son maître, il regardait les boules volant dans l'air ou roulant à terre. Vous l'eussiez pris pour le génie fantastique du cochonnet. Il ne disait rien, et les joueurs de boules, les hommes les plus fanatiques qui se soient rencontrés parmi les sectaires de quelque religion que ce soit, ne lui avaient jamais demandé compte de ce silence obstiné (...)[10]. »
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+ En 1850, la première société officielle, « le Clos Jouve », fut fondée dans la région de Lyon puis, en 1906, la Fédération lyonnaise et régionale ouvre la voie en 1933 à la Fédération nationale des boules qui deviendra Fédération française de boules (FFB) en 1942. Bien que regroupant nombre de jeux de boules (« boule des berges », « boule en bois », « jeu provençal »), la FFB fut dominée par le jeu de boule lyonnaise (128 000 joueurs en 1945), jusqu'au début du XXe siècle.
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+ Au XIXe siècle, alors que chaque région, ou presque, introduit une variante d'usage, les Méridionaux se passionnent pour la longue ou jeu provençal avec des règles simplifiées, le libre choix du terrain, mais où les tireurs font trois pas de course pour prendre leur élan. C'est ce jeu que Marcel Pagnol décrit dans ses souvenirs d'enfance (Le Temps des amours) et qui fut intégré dans le film Le Château de ma mère.
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+ En 1904, un Alsacien du nom de Félix Rofritsch entreprit la fabrication des premières « boules cloutées » (en bois recouvert d'une carapace de métal, formée de clous) dans son atelier de la rue des Fabres, à Marseille, sous le label de « La Boule bleue ».
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+ Le jeu provençal donna naissance en 1907 à la pétanque, lors de la partie historique à La Ciotat où un champion de jeu provençal, Jules Hugues dit « Lenoir », ne pouvant plus jouer à son jeu préféré à cause de ses rhumatismes, se mit un jour à tracer un rond, envoyer le but à 5–6 m, et, les « pieds tanqués », à jouer ses boules pour se rapprocher du cochonnet[11]. Ceci se passait sur le terrain de boules d’un café « La boule étoilée » (terrain baptisé ainsi en clin d'œil aux boules cloutées de l'époque) dont les propriétaires s'appelaient Ernest et Joseph Pitiot. Les deux frères comprirent vite l'intérêt de ce sport, notamment Ernest qui s'appliqua à en finaliser les règles.
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+ Il faudra néanmoins attendre le premier concours officiel à La Ciotat en 1910 pour que le mot soit officialisé. Le terme vient des mots de l'occitan provençal pè « pied » et tanca « pieu », donnant en français régional l'expression « jouer à pétanque » ou encore « pés tanqués », c’est-à-dire avec les pieds ancrés sur le sol, par opposition au jeu provençal où le joueur peut prendre de l'élan.
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+ Les innovations sont les suivantes :
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+ La première boule en acier aurait été fabriquée en 1927 à Saint-Bonnet-le-Château, qui abrite à présent le Musée international pétanque et boules. La même année, les règles de la pétanque furent codifiées, mais ce n'est qu'en 1930 que les traditionnelles boules en bois cloutées furent remplacées par celles en acier. C'est à Jean Blanc que l'on doit cette évolution.
27
+
28
+ La Fédération française de pétanque et de jeu provençal (FFPJP)[12] voit le jour le 31 juillet 1945 quand, forte de ses 10 000 membres, elle peut enfin quitter la section provençale de la FFB. Quant à la Fédération internationale, elle fut fondée le 8 mars 1958 à Marseille, même si c'est en Belgique, à Spa, que ses premières bases furent jetées, un an plus tôt.
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+
30
+ En 2005, le jeu traditionnel devenu sport qu'est la pétanque est décrété « sport de haut niveau » par le ministère de la Jeunesse et des Sports[13].
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+
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+ Les boules sont trempées, creuses et non lestées.
33
+
34
+ Un cylindre d'acier, le lopin, est transformé à chaud par forgeage en un disque, la galette. Les galettes sont embouties en forme d'hémisphère puis soudés par paires pour former une boule qui est ensuite tournée. Après nervurage et personnalisation, les boules brutes subissent des traitements thermiques de trempe et de recuit destinés à leur donner leurs qualités de dureté et d'élasticité. En finition, elles subissent un polissage et éventuellement un chromage ou vernissage qui leur donnera leur aspect final[14].
35
+
36
+ Il existe une autre fabrication, moins connue, lors d'une fabrication à base de cuivre ou de cupro, le métal chauffé en fusion est déversé dans un moule autour d'un noyau de sable. Cette fabrication reste moins connue que la fabrication à base d'acier ou d'inox, mais tandis que l'acier rouille et l'inox glisse, les boules à base de cuivre ne rouillent pas et glissent moins, on peut dire qu'elles offrent le confort de l'acier et les qualités de l'inox. C'est le même procédé de fabrication que les boules lyonnaises sans le remplissage interdit en pétanque.
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+
38
+ Destinées aux joueurs occasionnels, elles ont en général un poids et un diamètre uniques, pour convenir aux mains et aux forces de tous âges et sexes.
39
+
40
+ Le poids varie entre 600 et 800 grammes, et la fabrication est régie par la norme NF S 52-200.
41
+
42
+ Ces boules sont interdites en compétition.
43
+
44
+ Les boules doivent être agréées par la FIPJP et répondre aux caractéristiques suivantes[15] :
45
+
46
+ Le nom et/ou prénom ou surnom du joueur ou ses initiales peuvent y être gravés.
47
+
48
+ Le diamètre de la boule est normalement fonction de la taille de la main (pour permettre une bonne préhension). Cela dit, ce diamètre a aussi des impacts sur le comportement de la boule, et certains joueurs peuvent choisir un diamètre inférieur ou supérieur :
49
+
50
+ Le choix du poids est très lié au rôle du joueur :
51
+
52
+ La dureté de la boule influe sur son comportement, tant au point qu'au tir : plus une boule est tendre, plus elle absorbe les chocs (en se déformant), ce qui offre un avantage au joueur :
53
+
54
+ On distingue classiquement trois niveaux de dureté :
55
+
56
+ Si les boules dures peuvent se conserver pendant de longues années, il n’en va pas de même pour les demi-tendres et les tendres, qui s’abiment à chaque choc : les boules tendres ne tiennent en général qu’une saison pour une utilisation régulière.
57
+
58
+ D’autres niveaux sont proposés par certaines marques :
59
+
60
+ La striation est une affaire de goût : une boule striée accroche plus dans la main.
61
+
62
+ Le prix est également un critère de choix : si les boules de loisir sont peu onéreuses, le prix de boules de compétition peut atteindre 250 euros. Un budget entre 50 et 150 euros (suivant la dureté souhaitée) permet d’acquérir de très bonnes boules de compétition, les prix supérieurs sont dus à l’emploi d’aciers inoxydables spéciaux ou à une fabrication artisanale.
63
+
64
+ Enfin, il faudra choisir la marque en fonction des types de boules proposés, et le cas échéant, de l’affinité personnelle.
65
+
66
+ Les buts en bois de buis sont les préférés des joueurs de pétanque, car ce sont les plus lourds ; ainsi :
67
+
68
+ Les buts peuvent être peints, de façon à mieux les distinguer. Les buts vendus déjà peints sont très rarement en buis.
69
+
70
+ À la pétanque, l'objectif est de marquer des points en plaçant ses boules plus près du but que son adversaire.
71
+
72
+ Avant 2017, si le lancer n'est pas correct, il est recommencé par le même joueur, ou un coéquipier. Mais si après 3 jets consécutifs par la même équipe, le but n'a pas été lancé dans les conditions réglementaires ci-dessus définies, il est remis à l'équipe adverse qui dispose également de 3 essais, etc. En tout état de cause, c'est toujours l'équipe qui a marqué à la mène précédente qui conserve la priorité pour jouer la première boule.
73
+
74
+ Depuis 2017, si le lancer du but n'est pas correct, il appartient à l'équipe adverse de le déposer à la main mais le lancer de la première boule demeure le privilège de l'équipe qui a gagné le tirage au sort ou de celle qui a gagné la mène précédente.
75
+
76
+ Toutefois l'adversaire a le droit de faire appliquer la règle de l'avantage et de déclarer que le coup est valable. En ce cas la boule pointée ou tirée est bonne et tout ce qu'elle a déplacé reste en place.
77
+
78
+ Le but ou une boule, arrêtée par un spectateur ou par l'arbitre, conserve sa position à son point d'immobilisation.
79
+
80
+ Toute boule jouée, arrêtée par un joueur de l'équipe à laquelle elle appartient est nulle et perdue.
81
+
82
+ Toute boule jouée ou déplacée, arrêtée par un adversaire peut, au gré du joueur, être
83
+ rejouée (uniquement si c'est celle qui vient d'être lancée), laissée à son point d'immobilisation, ou placée dans le prolongement d’une ligne qui irait du cercle (ou de sa place dans le cas d'une boule arrêtée) à l'endroit où elle se trouve.
84
+
85
+ Si le but, frappé, est arrêté par un joueur, l'adversaire peut laisser le but à sa nouvelle place, remettre le but à sa place primitive, placer le but dans le prolongement d'une ligne allant de sa place primitive à l'endroit où il se trouve, ou encore demander la nullité du but.
86
+
87
+ Si un but ou boule arrêtée vient à se déplacer (vent ou déplacée accidentellement par un joueur, un arbitre, un spectateur…), l'objet est remis à sa place. À noter que si un joueur bouscule une boule ou un but en effectuant une mesure, l'objet sera bien remis en place, mais la mesure est automatiquement perdue pour lui.
88
+
89
+ Si les boules adverses sont à égale distance du but et que la mène est finie, la mène est nulle.
90
+
91
+ Si les deux équipes disposent de boules, il appartient à celle qui a joué la dernière boule de rejouer, puis à l'équipe adverse, et ainsi de suite alternativement jusqu'à ce que le point soit gagné par l'une d'elles.
92
+
93
+ Si, en cours de mène, aucune boule ne se trouve en terrain autorisé (possible si tir sur la première boule par exemple), il appartient à celle qui a joué la dernière boule de rejouer, puis à l'équipe adverse, et ainsi de suite alternativement jusqu'à ce que le point soit pris. Si, à la fin de la mène, aucune boule ne se trouve en terrain autorisé, la mène est nulle.
94
+
95
+ À noter que lors du lancer initial, le but doit être à un mètre de tout obstacle et de la limite la plus proche de tout terrain interdit. Mais cette limite n'existe plus en cours de mène où il reste jouable tant qu'il n'est pas déplacé en terrain interdit.
96
+
97
+ Quand le but est nul on distingue deux cas : si les deux équipes ont encore des boules, la mène est nulle alors que si une seule des équipes possède encore des boules en mains, elle comptabilise autant de points qu'elle a de boules en mains.
98
+
99
+ Les règles du jeu sont édictées par la Fédération internationale.
100
+
101
+ Chiffres du 1er janvier 2010, source : http://fipjp.com/fr/statistiques
102
+
103
+ Une équipe de pétanque comprend :
104
+
105
+ Ces rôles ne sont pas intangibles : en cours de partie, l’équipe peut décider de modifier la « formation », en cas de méforme d’un des joueurs.
106
+
107
+ En général, lorsqu’une boule doit être pointée, c’est le pointeur qui joue, s’il n'a plus de boules, c’est le milieu, et si ce dernier n’a plus de boules, c’est le tireur. Lorsqu’une boule doit être tirée, c’est la même chose dans l’ordre inverse. Dans certains cas (assez rares), cet ordre n’est pas respecté pour des raisons tactiques.
108
+
109
+ Au point, une boule placée devant le but a plus de valeur qu’une boule placée derrière à la même distance, car :
110
+
111
+ On considère donc qu'une boule placée devant le but, entre 0 et 50 cm (indicatif, dépend du terrain) de distance, est bien jouée.
112
+
113
+ Dans certains cas, le pointeur ne cherchera pas à s'approcher le plus près possible du but. Il peut :
114
+
115
+ À chaque étape du jeu, après lancement de la première boule, l'équipe qui n'a pas le point doit décider s’il vaut mieux tirer ou pointer. Elle peut également chercher à noyer le bouchon, pour annuler la mène si la situation apparait désespéré. Parmi les facteurs à considérer pour décider :
116
+
117
+ Le lancer du but est un élément qui ne doit pas être négligé. Deux degrés de liberté sont à exploiter au mieux :
118
+
119
+ Ce ne sont bien sûr que les principes de bases.
120
+
121
+ Au haut niveau, les mènes se jouent très souvent à 10 m, distance à laquelle une différence peut éventuellement se faire au tir.
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+
123
+ Les discussions, palabres et mimiques entre joueurs d'une même équipes pour décider de la stratégie, souvent en utilisant un vocabulaire spécifique et imagé, constituent un spectacle supplémentaire pour le supporter attentif. Cela fait partie intégrante du jeu. Qui ne connaît pas le fameux « Tu tires ou tu pointes ? »
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+ Joueur de triplette lors d'une compétition Bastia Corse 2019
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+ Pierre Paul Rubens (prononcé [ʁybɛ̃s], ou [ʁybɛns] à la belge), ou Petrus Paulus Rubens[1], ou Peter Paul Rubens[2] en néerlandais, et Pietro Paolo Rubens à partir de 1608, né le 28 juin 1577 à Siegen (Nassau-Siegen) et mort le 30 mai 1640 à Anvers, est un peintre baroque flamand.
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5
+ Aidé par un atelier important, Rubens produit un œuvre considérable dans des genres divers. Il accepte de peindre un grand nombre de portraits mais, « d'instinct plus porté aux grand travaux qu'aux petites curiosités » comme il l'écrivait lui-même, il prête peu d'attention aux détails, qu'il ne peint pas en profondeur et dessine de quelques traits. En effet, il va travailler à un rythme extrêmement productif, réalisant 1403 peintures selon le catalogue de Michel Jaffé. Il réalise surtout de grands projets religieux, des peintures mythologiques, et d'importantes séries de peintures historiques. Prisé des Grands pour l'érudition et le charme de sa conversation, il joue également un rôle diplomatique important à son époque et jouit d'une position sociale sans égale chez les artistes de son temps[3],[4].
6
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7
+ Pierre Paul Rubens naît à Siegen en Westphalie, dans le Saint-Empire romain germanique à 300 km d'Anvers[5]. Il est le sixième enfant de Jan Rubens (1530-1587) avocat protestant prospère nommé échevin de la ville d'Anvers en 1562, et de Maria Pypelinckx (1537-1608), fille d'un marchand de tapisseries. Ses parents ont quitté Anvers (Pays-Bas espagnols) en 1568 pour échapper à la persécution des protestants dans les Pays-Bas espagnols par le duc d'Albe durant la révolte des gueux, Jan Rubens étant soupçonné de sympathie calviniste[6]. Jan Rubens devient le conseiller légal de Guillaume d'Orange et s'installe ainsi à la cour de Siegen en 1570. Du fait de sa relation avec Anne de Saxe, seconde épouse de Guillaume d'Orange avec qui il a une fille, Christine von Diez (que Guillaume ne reconnaîtra pas), née le 22 août 1571, Jan Rubens est emprisonné au château de Dillenburg (de) jusqu'en 1573, sa libération étant due à l'intervention de sa femme[7].
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9
+ Rubens passe ses dix premières années à Siegen. Ayant abjuré le protestantisme pour le catholicisme, Jan Rubens a probablement fait baptiser son fils dans la foi catholique avant sa mort en 1587. Maria et ses trois enfants Pierre Paul, Blandine (1564-1606) et Philippe (1574-1611) s'installent alors à Cologne. En 1589, deux ans après la mort de son père, Rubens et sa mère rentrent à Anvers. Sa marraine est Christine d'Épinoy, comtesse de Lallaing et épouse du gouverneur de Tournai, où il entre comme page après ses études dans l'École Latine de Rumoldus Verdonck où il apprend le latin et le grec[8]. C'est chez sa marraine que Rubens commence à copier les tableaux présents chez elle notamment des Véronèse, en abandonnant ses espoirs de robe d'avocat et d'armes.
10
+
11
+ Beaucoup de ses tableaux représentent des sujets religieux et Rubens est d'ailleurs devenu plus tard l'une des principales voix du style pictural de la Contre-Réforme catholique[9].
12
+
13
+ À Anvers, il reçoit une éducation humaniste, étudiant le latin et la littérature classique. À l'âge de 14 ans, il est placé en apprentissage de 1589 à 1598, d'abord chez le peintre Tobias Verhaecht, puis chez quelques peintres éminents de son époque, entre autres Adam van Noort et Otto van Veen. Une grande partie de sa formation initiale est consacrée à copier les œuvres d'artistes anciens, telles que des xylographies de Holbein le Jeune et des gravures de Marcantonio Raimondi d'après Raphaël. Lorsqu'il eut achevé sa formation, il entre en 1598 à la guilde de Saint-Luc comme maître indépendant.
14
+
15
+ Sur les conseils de ces peintres éminents, Rubens part pour l'Italie de 1600 à 1608 pour étudier les œuvres de la Renaissance[10]. Il séjourne notamment à Gênes, Mantoue, Venise et Rome où il assimile les styles et copie les œuvres de Raphaël, du Caravage, et surtout du Titien dont il retient la fougue du coloris. Il s'installe ensuite dans la ville de Mantoue, sous la protection du cardinal Montalto au service du duc Vincent de Gonzague chez qui il devient peintre de cour. Grâce au soutien financier du duc, Rubens peut voyager à Rome en passant par Florence en 1601. Là, il étudie l'art classique grec et romain et il réalise des copies de grands maîtres italiens. Il est particulièrement influencé par la sculpture hellénistique Le Groupe du Laocoon, mais aussi par les œuvres d'art de Michel-Ange, Raphaël et Léonard de Vinci[11]. Il est également influencé par les peintures plus modernes et naturalistes du Caravage dont il copie d'ailleurs plus tard le tableau La Mise au tombeau tout en recommandant à son protecteur, le duc de Gonzague, d'acheter une autre œuvre de cet artiste, La Mort de la Vierge, aujourd'hui conservée au Louvre[12]. Il intervient pour inciter l'acquisition de La Madone du rosaire pour l'église dominicaine d'Anvers, et qui est aujourd'hui au musée d'Histoire de l'art de Vienne. Durant son premier séjour à Rome, Rubens réalise son premier chef-d'œuvre, Sainte Hélène à la Vraie Croix pour la basilique Sainte-Croix-de-Jérusalem.
16
+
17
+ En 1603, Rubens voyage en Espagne pour une mission diplomatique, apportant avec lui des cadeaux du duc de Gonzague à la Cour du roi Philippe III d'Espagne. Durant son séjour, il étudie l'impressionnante collection d'œuvres de Raphël et du Titien que Philippe II avait rassemblée[13]. Il réalise également un portrait équestre du duc de Lerme qui illustre bien l'influence des œuvres du Titien. Ce voyage est le premier des nombreux voyages qu'il effectua durant sa carrière et pendant lesquels il mêle l'art et la diplomatie[14].
18
+
19
+ Il retourne en Italie en 1604, où il reste pendant les quatre années suivantes, d'abord à Mantoue, puis à Gênes et à Rome où il s'illustre dans la peinture religieuse, des scènes mythologiques et de portraits. À Gênes, Rubens peint de nombreux portraits tels que le Portrait de Brigida Spinola Doria conservé à la National Gallery de Washington, et le Portrait de Maria Serra Pallavicino, dans un style qui influence plus tard des artistes tels que Van Dyck, Reynolds et Gainsborough[15]. Il rédige également un livre illustré sur les palais de la ville qui est publié en 1622 sous le nom de Palazzi di Genova. De 1606 à 1608, il demeure principalement à Rome et, pendant cette période, Rubens obtient, avec l'aide du cardinal Jacopo Serra (frère de la princesse Maria Pallavicini), sa plus importante commande à l'époque
20
+ pour le maître-autel de la nouvelle église en vogue, la Chiesa Nuova également appelée Santa Maria in Vallicella.
21
+
22
+ Le sujet en est le pape Grégoire le Grand ainsi que des saints locaux majeurs adorant l'icône de la Vierge et l'Enfant. La première version de ce tableau est une toile qui est actuellement au musée des Beaux-Arts de Grenoble, et qui est immédiatement remplacée par une seconde version sur trois panneaux en ardoise représentant l'image miraculeuse de la Santa Maria in Vallicella qui est montrée au public lors des fêtes religieuses grâce à un couvercle en cuivre amovible, également peint par l'artiste[16].
23
+
24
+ L'expérience italienne de Rubens continue à influencer son travail et il continue à écrire de nombreuses lettres et correspondances en italien. À son retour à Anvers en décembre 1608 où sa mère agonise[17], le souvenir de l'Italie se perpétue également dans sa signature[18], qui ne changera jamais : « Pietro Paolo Rubens ». Ses voyages lui ont également permis de comprendre le français, l'allemand, l'italien, l'espagnol et le latin.
25
+
26
+ En 1608, apprenant que sa mère est malade, Rubens décide de quitter l'Italie pour la rejoindre à Anvers, mais elle meurt avant qu'il n'arrive. Son retour coïncide avec une période de prospérité dans la ville, grâce à la signature du Traité d'Anvers en avril 1609 qui met fin à la guerre entre l'Espagne et les Provinces-Unies et ouvre une période de trêve de douze ans. En septembre 1609, Rubens est nommé peintre officiel de la cour d'Albert et Isabelle, souverains des Pays-Bas de 1609 à 1621. Il reçoit la permission spéciale d'installer son atelier à Anvers plutôt qu'à la Cour de Bruxelles, mais aussi de travailler pour d'autres clients que les seuls souverains. Cette période de prospérité et l'ouverture de son grand atelier ainsi que celui de Jacob Jordaens lancent ce que l'on appellera l'École d'Anvers[19]. Il reste proche de l'archiduchesse Isabelle jusqu'à sa mort en 1633, et on fait appel à lui comme peintre, mais aussi comme ambassadeur et diplomate. Rubens cimente encore plus ses liens avec la ville lorsque, le 3 octobre 1609, il épouse Isabella Brant, fille de Jan Brant, citoyen d'Anvers influent et humaniste. De cette union naissent trois enfants : Serena (1611), Albert (1618) et Nicolas (1619)[20].
27
+
28
+ En 1610, Rubens déménage dans une nouvelle demeure, palais qu'il avait fait construire et où il vécut une grande partie de sa vie, la Rubenshuis, actuellement devenue musée. La villa, d'influence italienne, abrite son atelier où lui et ses apprentis réalisent la plupart des peintures de l'artiste, et qui abrite également sa collection d'art personnelle ainsi qu'une des bibliothèques les plus vastes d'Anvers. Durant cette période, il développe son atelier en accueillant de nombreux élèves et assistants. Son élève le plus connu est alors Antoine van Dyck, qui devient rapidement le principal portraitiste flamand et qui collabore fréquemment avec Rubens. Il travaille également avec plusieurs autres artistes actifs dans la ville, notamment le peintre animalier Frans Snyders qui contribue à réaliser l'aigle dans le tableau Prométhée supplicié, mais aussi son excellent ami, le peintre de fleurs Jan Brueghel l'Ancien.
29
+
30
+ Rubens fait également bâtir une autre maison au nord d'Anvers dans le village de Doel, à côté de l'église. Cette demeure, appelée De Hooghuis (la grande maison), est construite entre 1613 et 1643, et constitue sans doute un investissement.
31
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32
+ C'est à cette période que Rubens compose des chefs-d'œuvre tels que L'Érection de la croix (1610) et La Descente de Croix (1611-1614) pour la cathédrale Notre-Dame d'Anvers, peintures qui contribuent à faire de Rubens un peintre flamand de premier ordre peu de temps après son retour. L'Érection de la croix, par exemple, illustre la synthèse faite par l'artiste entre La Crucifixion du Tintoret pour la Scuola Grande de San Rocco de Venise et les personnages dynamiques de Michel-Ange. Cette œuvre est en outre considérée comme un des premiers exemples de l'art religieux baroque.
33
+
34
+ À ce moment de sa carrière, Rubens fait réaliser des estampes et des couvertures de livres, surtout par l'imprimerie plantinienne de Balthasar Moretus le Jeune, afin d'étendre sa renommée dans toute l'Europe[21]. À l'exception de quelques eaux-fortes remarquables, il fait seulement les dessins en laissant la réalisation des estampes à des spécialistes, tels que le graveur flamand Lucas Vorsterman[22]. Il fait appel à un certain nombre de graveurs formés par Hendrik Goltzius et il conçoit également la dernière méthode de gravure sur bois avant que cette technique ne se renouvelle au XIXe siècle. Rubens instaure aussi un droit d'auteur pour ses copies, notamment en Hollande où son travail est alors largement reproduit, mais aussi en Angleterre, en France et en Espagne[23].
35
+
36
+ Après la mort de l'archiduc Albert d'Autriche, Rubens continue à être le peintre officiel de la Cour de l'Infante Isabelle d'Autriche de 1621 à 1633. En 1623, Rubens perd sa fille Serena qui meurt alors qu'elle n'avait que 12 ans et trois ans plus tard, en 1626, son épouse, Isabella Brant meurt de la peste à l'âge de 34 ans.
37
+
38
+ En 1621, la reine de France Marie de Médicis lui demande de réaliser deux grands cycles allégoriques célébrant sa vie et celle de son défunt mari, le roi Henri IV, pour décorer la Galerie Médicis du Palais du Luxembourg à Paris. Rubens achève le Cycle de Marie de Médicis en 1625 qui est actuellement exposé au musée du Louvre, mais il ne peut pas terminer celui d'Henri IV[24]. Marie de Médicis est exilée de France en 1630 par son fils, Louis XIII, et elle décède en 1642 dans la même maison de Cologne où Rubens avait passé son enfance[25].
39
+
40
+ Parallèlement, après la fin de la Trêve de douze ans en 1621, l'empereur et archiduc d'Autriche Ferdinand II de la maison de Habsbourg confie à Rubens un certain nombre de missions diplomatiques[26]. Par exemple, lorsque le prince Ladislas IV Vasa arrive à Bruxelles le 2 septembre 1624 à l'invitation personnelle de l'Infante Isabelle d'Autriche, l'ambassadeur français à Bruxelles écrivait : « Rubens est là pour faire le portrait du prince de Pologne, sur ordre de l'Infante »[27],[28].
41
+
42
+ Entre 1627 et 1630, la carrière diplomatique de Rubens est particulièrement active. Il voyage entre les Cours d'Espagne et d'Angleterre, essayant de ramener la paix entre les Pays-Bas espagnols et les Provinces-Unies.
43
+
44
+ En 1624, Rubens est d'ailleurs anobli en tant que « noble de la maison de la sérénissime infante » par Philippe IV d'Espagne et plus tard, en 1630, fait chevalier par le roi Charles Ier d'Angleterre pour le récompenser de ses efforts diplomatiques à faire aboutir un traité de paix entre l'Espagne et l'Angleterre au sujet des Pays-Bas espagnols et des Provinces-Unies. En remerciements, Rubens reçoit également de Charles Ier son épée que lui avait remise le parlement anglais. Celle-ci fut conservée par sa descendance, la famille van der Stegen de Schrieck, qui en fit don à La fondation Roi Baudouin. L'épée est exposée au Grand Curtius[29].
45
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+ Il fait également plusieurs déplacements au nord des Pays-Bas tant pour des raisons artistiques que diplomatiques.
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48
+ Rubens passe huit mois à Madrid en 1628-1629. En plus des négociations diplomatiques, il réalise plusieurs œuvres majeures pour Philippe IV ainsi que pour des commanditaires privés. Il entreprend également une étude renouvelée des peintures du Titien, copiant plusieurs de ses toiles; dont Adam et Ève (1628–29)[30] Durant son séjour en Espagne, il se lie d'amitié avec le peintre de cour Vélasquez et tous deux projettent de voyager ensemble en Italie. Cependant, Rubens doit revenir à Anvers et Vélasquez fait le voyage sans lui[31].
49
+
50
+ Son séjour à Anvers est assez court et il se rend assez vite à Londres où il demeure jusqu'en avril 1630. L'une des œuvres majeures qu'il réalise à cette période est l'Allégorie sur les bénédictions de la paix réalisée en 1629 et qui est actuellement exposée à la National Gallery de Londres[32]. Ce tableau illustre l'immense intérêt que Rubens portait à la paix et il le donna au roi Charles Ier en guise de présent.
51
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52
+ Pendant que la réputation internationale de Rubens auprès des collectionneurs et de la noblesse étrangère continue à croître au cours de cette décennie, l'artiste et son atelier ont également continué à réaliser des peintures monumentales pour des clients locaux d'Anvers. L'Assomption de la Vierge achevée en 1626 pour la cathédrale d'Anvers en est un très bon exemple.
53
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54
+ Rubens passa les dix dernières années de sa vie à Anvers. Sur un plan artistique, il obtint de nouvelles commandes des Habsbourgs et il continua à travailler pour des clients étrangers, en réalisant par exemple les peintures des plafonds de la Maison des banquets du palais de Whitehall, mais il a aussi exploré d'autres voies artistiques plus personnelles, composant des paysages, tel que le Paysage à l'arc-en-ciel (1635, musée du Louvre, Paris) et des œuvres plus intimes ainsi que des portraits de sa femme, de ses enfants et de la famille des Moretus-Plantin (musée Plantin-Moretus)[33].
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+ En 1630, quatre ans après la mort de sa première épouse, il se maria à Hélène Fourment qui avait 16 ans à l'époque alors que Rubens avait 53 ans. De cette seconde union, il eut quatre enfants : Clara Johanna, François, Hélène et Pierre Paul (Hélène Fourment et deux de ses enfants)[34] et (Hélène Fourment au carrosse)[35]. La famille s'installa en 1635 dans le Château Het Steen situé à Elewijt dans l'actuelle Belgique. Hélène Fourment fut une source d'inspiration pour Rubens dans sa représentation de personnages voluptueux que l'on retrouve dans plusieurs de ses peintures telles que La Fête de Vénus exposée au musée d'Histoire de l'art de Vienne, ou encore Les Trois Grâces et Le Jugement de Pâris toutes deux au musée du Prado de Madrid. Rubens réalisa également plusieurs toiles représentant son épouse comme Hélène Fourment en robes de noces (Pinacothèque de Munich), Hélène Fourment sortant du bain (ou La Petite Pelisse -musée de Vienne) mais aussi Hélène Fourment et ses enfants et Hélène Fourment au carrosse (toutes deux au Louvre).
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58
+ En 1636, il devint peintre officiel de la cour des Pays-Bas espagnols gouvernée par le cardinal Ferdinand, infant d'Espagne. C'est à cette même période que Rubens peint Le Jugement de Pâris, directement élaboré à partir du Jugement de Pâris de Raphaël, gravé par Raimondi. La seule différence est que Rubens s'inspire de l'œuvre vue en miroir.
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+ Un an avant, Charles Ier d'Angleterre lui avait confié la réalisation du plafond peint de la Maison des banquets au palais de Whitehall conçu par l'architecte Inigo Jones. Mais sa commande la plus importante fut celle de soixante toiles pour la décoration du pavillon de chasse de Philippe IV d'Espagne, la Tour de la Parada, pour lesquelles il s'inspira de l'ouvrage d'Ovide, les Métamorphoses.
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+ Par ailleurs, lorsque Marie de Médicis connut son ultime exil, c'est Rubens qui la recueillit et qui la protégea jusqu'à sa mort. Elle finit d'ailleurs sa vie, deux ans après la mort du peintre, dans la maison natale de celui-ci.
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+ De son côté, Rubens tombe malade du fait sa goutte chronique, son état s’aggrave et il finit par s'éteindre le 30 mai 1640, laissant derrière lui huit enfants, trois avec Isabella et cinq avec Hélène, son plus jeune enfant étant né trois mois avant son décès. Il est enterré à l'église Saint-Jacques (Sint-Jacobskerk) (nl) d'Anvers[36].
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+ Rubens est non seulement un artiste de renom mais aussi un diplomate et un habile négociant, faisant de lui un personnage alors connu dans toute l'Europe. Son atelier anversois mobilise des talents très divers, comme Frans Snyders pour la peinture animalière ; ses collaborateurs les plus importants sont Jacob Jordaens et Antoine van Dyck. Sa fortune artistique est immense, à travers un corpus de peintures et de dessins : l'un des peintres l'ayant le plus admiré, Delacroix le surnommait le « Homère de la peinture », et Rubens incarne le primat de la couleur dans l'histoire de l'art européen du XVIIe siècle, poursuivant en cela la leçon des grands Vénitiens et demeurant l'un des peintres les plus importants de l'art occidental. L'historien d'art Chennevières crée d'ailleurs les termes de poussinistes et rubénistes pour évoquer la querelle entre rubénistes (les coloristes qui privilégient la force de la sensation) et poussinistes (les dessinateurs qui privilégient la forme) qui s'inscrit dans la querelle des Anciens et des Modernes[37].
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+ Au cours de la vente aux enchères du 10 juillet 2002 chez Sotheby's, la peinture de Rubens Le Massacre des Innocents fut vendue pour un prix de 60,98 millions d'euros (soit 400 millions de F, 49,5 millions £, 76,2 millions USD) à Lord Thomson[38].
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+ Voici une liste, loin d'être exhaustive, qui répertorie quelques œuvres majeures du peintre :
71
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+ « Rubens, fleuve d'oubli, jardin de la paresse, Oreiller de chair fraîche où l'on ne peut aimer, Mais où la vie afflue et s'agite sans cesse, Comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer. »
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+ — Baudelaire, « Les Phares », dans les Fleurs du mal
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76
+ « Le Louvre - J'ai fait des kilomètres et des kilomètres devant des toiles prestigieuses [...] et un grand Rubens fumeux (La Mort de Didon) - Mais à mesure que je le regardais, le Rubens me semblait de plus en plus réussi avec les vigoureuses tonalités crème et roses, les yeux lumineux et chatoyants, la robe mauve terne sur le lit. Rubens était heureux, personne ne posait pour lui pour toucher un cachet et sa gaie Kermesse montrait un vieil ivrogne sur le point d'être malade. »
77
+
78
+ — Jack Kerouac, Le Vagabond américain en voie de disparition, précédé de : Grand voyage en Europe
79
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80
+ « Rubens fait vraiment sur moi une forte impression. Je trouve ses dessins colossalement bons, je parle des dessins de têtes et de mains. Par exemple, je suis tout à fait séduit par sa façon de dessiner un visage à coups de pinceau, avec des traits d'un rouge pur, ou dans les mains, de modeler les doigts, par des traits analogues, avec son pinceau[71]. »
81
+
82
+ — Lettre 459 de Vincent van Gogh à son frère Théo (1885)
83
+
84
+ Dans l'opéra-bouffe Barbe-Bleue de Jacques Offenbach, le rôle titre chante un air traduisant son admiration pour la rosière aux formes plantureuses : «C'est un Rubens !»
85
+
86
+ Comme beaucoup de grands peintres, Pierre Paul Rubens travaille avec de nombreux assistants. La particularité de cette situation vient du fait que ses assistants et collaborateurs deviennent, pour nombre d'entre eux, de grands peintres à leur tour quand ils ne l'étaient pas déjà[73].
87
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88
+ Les peintures de Rubens peuvent être divisées en trois catégories : celles qu'il a peintes lui-même, celles qu'il a réalisées partiellement (surtout les mains et le visage), et celles qu'il a seulement supervisées. Il avait, comme c'était l'habitude à l'époque, un grand atelier avec de nombreux apprentis et étudiants, dont certains, comme Anthoine van Dyck, sont devenus célèbres. Il a également fréquemment confié la réalisation de certains éléments de ses toiles, tels que les animaux ou encore les Natures mortes dans les grandes compositions, à des spécialistes comme Frans Snyders ou d'autres artistes comme Jacob Jordaens[74].
89
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90
+ Parmi les artistes ayant réalisé certains personnages des toiles de Rubens, on peut citer Jacob Jordaens et Antoine van Dyck. La réalisation d'éléments animaliers fut notamment confiée à Frans Snyders et à Paul de Vos alors que les paysages et décors étaient principalement réalisés par Jan Bruegel « de Velours » (ainsi dans la série Allégories des cinq sens), Jan Wildens ou Martin Ryckaert. Rubens fit également appel à d'autres peintres comme Juste d'Egmont, Lambert Jacobsz, Cornelis de Vos et Simon de Vos. Citons également Jacques Nicolaï ayant étudié quatre ans (1644-1648) à l'atelier fondé par Pierre-Paul Rubens à Anvers[75].
91
+
92
+ Abraham van Diepenbeeck (1599 à Bois le Duc - 1675 à Anvers) fut sans doute plus qu'un élève pour Rubens. En effet, il a collaboré à la peinture de ses œuvres au moins à partir de 1627. Il s'est aussi beaucoup inspiré du style de Rubens, ce qui a nui en partie à sa notoriété, comme beaucoup des autres collaborateurs (notamment Theodoor van Thulden et Thomas Willeboirts Bosschaert). Il a aussi collaboré avec Peter Paul Rubens pour la conception de carton à tapisserie et la gravure. Rubens le considérait comme un maître, et adorait sa finesse de trait. Pour des raisons mystiques, ils se sont séparés. Abraham van Diepenbeeck est resté un artiste de talent indépendant qui a peut-être sombré dans la facilité pour ne pas avoir su imposer un style comme Antoine Van Dyck[76].
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+ Parmi les autres élèves de Rubens, il faut citer Michel Lasne qui devient ensuite graveur, Gerard Seghers, Cornelis Schut qui mêla dessin et gravure, Lucas Faydherbe qui se consacra à la sculpture, Frans Wouters ou encore Jan van den Hoecke
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96
+ Quoique très peu porté sur l'art de la gravure, il a fondé l'école des burinistes d'Anvers. « Pour lui, l'estampe est un moyen de diffusion et de connaissance… Il utilise essentiellement la gravure comme moyen de traduction[77]. » Deux estampes ont l'inscription de P. Paul Rubens fecit (Vieille femme à la chandelle, Rome, Fondo Corsini).
97
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98
+ Rubens fit reproduire ses œuvres par de nombreux graveurs[78]. Parmi eux citons : Christoffel Jegher, Willem Swanenburg (nl), Cornelis Galle, Lucas Vorsterman, Jacob Matham, Pieter Soutman, Paul Dupont (Pontius), Witdoeck, Marinas, Boëtius Adams Bolswert et son frère Schelte, Abraham van Diepenbeeck et Michel Lasne.
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+ Le Petit Chaperon rouge est un conte de tradition orale d'origine française. Il s'agit d'un conte-type 333 selon la classification Aarne-Thompson[1].
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+ Il est surtout connu par le biais de deux versions collectées, retranscrites et interprétées par les moralistes Charles Perrault en France et les frères Grimm en Allemagne. Depuis le milieu du XXe siècle, il a fait l'objet de nombreux détournements opérant un retour aux sources de la tradition orale et populaire du conte.
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+ Le Petit Chaperon rouge est un conte de la tradition populaire française qui a connu de nombreuses versions au cours de l’histoire et selon les pays où il a été repris. On dénombre une centaine de variantes du conte[2],[3],[4].
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+ Les paysans français racontaient l’histoire dès le XIVe siècle. L'une des versions orales du conte est des plus sanglantes : le loup, arrivé chez la mère-grand, la dévore en en gardant toutefois un peu de côté, et prend sa place. La petite-fille arrive et, ne se doutant de rien, obéit à la fausse grand-mère lui disant de manger un peu de viande et de boire un peu de vin, en fait la chair et le sang de l'aïeule (la petite-fille s'interrogerait même quant aux dents présentes dans la chair, question à laquelle le loup lui répondrait qu'il s'agit de haricots).
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+ Une version de l'histoire du Petit Chaperon rouge est sculptée au palais Jacques-Cœur de Bourges (en France), palais du XVe siècle, ce qui atteste encore de l'ancienneté de ce conte populaire.
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+
13
+ On retrouve trace de l’histoire d'un Petit Chaperon rouge dans la tradition orale de nombreux pays européens, sous différentes versions, antérieures au XVIIe siècle. Dans ses versions européennes, le conte oppose le plus souvent, dans une convention toute médiévale, l’univers sûr du village aux dangers de la forêt, même si aucune version écrite ne remonte à cette époque[5].
14
+
15
+ En fait la version écrite la plus ancienne remonte à un poème « De puella a lupellis servata » compris dans le recueil Fecunda ratis, rédigé au Xe siècle par l’écolâtre Egbert de Liège[6].
16
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17
+ L’anthropologue britannique Jamie Tehrani, de l’Université de Durham, a ainsi mené une étude mathématique sur 58 variantes du conte en se concentrant sur 72 variables (nombre et sexe des protagonistes, le type d'animal, la fin, les ruses utilisées, etc.)[3] : cette étude présente cependant de nombreux problèmes[7]. Dans certaines des versions les plus anciennes, le Petit Chaperon rouge est un jeune homme déguisé en fille et envoyé par Mère-Grand dans la forêt hostile entourant le village pour tuer le loup. Le conte porte d'abord sur le travestissement et la dissimulation. La couleur du Chaperon servant au travestissement est une référence symbolique au meurtre du Loup. Dans la version italienne, intitulée La Finta Nonna[8] (La Fausse Grand-mère), la petite fille l’emporte sur le Loup grâce à sa propre ruse, sans l’aide d’un homme ou d’une femme plus âgée. Dans cette version également, le conte insiste sur la dissimulation et la ruse.
18
+
19
+ Le conte du Petit Chaperon rouge est devenu l’un des plus populaires en Europe et dans le monde grâce à la grande versatilité de la situation triangulaire entre le Petit Chaperon rouge, le loup et mère-Grand. Il permettait aux conteurs de décliner différentes variantes en fonction de leur public et de l'objectif visé[4].
20
+
21
+ Le personnage du chasseur (ou d'un bûcheron, selon les versions), inexistant au départ, n'apparaîtra que dans une des versions les plus tardives du conte, celle des frères Grimm[9], reléguant le Petit Chaperon rouge, qu'il soit homme ou femme, dans un rôle plus passif.
22
+
23
+ Il existe une version chinoise du conte : dans celle-ci, c'est la grand-mère qui se rend chez ses trois petites filles. Elle rencontre le loup qui, après l'avoir interrogée, la tue et prend son apparence dans le but de tromper et de manger les trois filles. Ces dernières, cependant, finissent par comprendre l'imposture et par tuer le loup par la ruse. On peut aussi citer les versions coréennes où l'agresseur est un tigre, la victime, la mère et les enfants, au moins un garçon et une fille.
24
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25
+ La plus ancienne version retranscrite et figée est celle de Charles Perrault, parue dans Histoires ou contes du temps passé, avec des moralités le 11 janvier 1697[10]. Cette version sera plus malheureuse et moralisatrice que celles qui suivront. L’héroïne en est une jeune fille bien élevée, la plus jolie du village, qui court à sa perte en donnant au loup qu’elle rencontre dans la forêt les indications nécessaires pour trouver la maison de sa grand-mère. Le loup mange la vieille dame en se cachant des bûcherons qui travaillent dans la forêt voisine. Il tend ensuite un piège au Petit Chaperon rouge et finit par la manger. L’histoire en finit là, sur la victoire du loup. Pas de fin heureuse pour l’héroïne, la morale de Perrault est sans appel.
26
+
27
+ Au XIXe siècle, deux versions distinctes furent rapportées par Jacob et Wilhelm Grimm : la première par Jeanette Hassenpflug (1791–1860) et la seconde par Marie Hassenpflug (1788–1856). Les deux frères firent de la première version l’histoire principale et de la seconde une suite. L’histoire de Rotkäppchen (La Capuche rouge) parut dans la première édition de leur collection Kinder- und Hausmärchen (Contes de l'enfance et du foyer, 1812). Dans cette version, la fillette et sa grand-mère sont sauvées par un chasseur qui suivait la piste du Loup. La suite montre la fillette et sa grand-mère piégeant et tuant un autre loup, anticipant ses gestes grâce à l’expérience acquise au cours de la première histoire.
28
+ Les frères Grimm modifièrent l’histoire dans les éditions postérieures, jusqu’à atteindre la version la plus connue dans l’édition de 1857. Cette version édulcorée, largement répandue, raconte l’histoire d’une petite fille qui traverse la forêt pour apporter un morceau de galette, du beurre à sa grand-mère. En chemin, la fillette fait la rencontre d’un loup, qui la piège à la fin et la dévore elle et sa grand-mère. Un chasseur vient néanmoins pour les sauver en ouvrant le ventre du Loup. Le Petit Chaperon rouge et sa grand-mère en sortent saines et sauves.
29
+
30
+ Le chaperon que porte Le Petit Chaperon rouge est, à l’époque de Charles Perrault, une coiffure féminine[11] populaire et bourgeoise, mais déjà démodée. La chose est naturelle : le costume des enfants des classes aisées du XVIIe siècle se caractérise par son archaïsme et ses emprunts aux modes populaires. Ce petit chaperon rouge serait donc la marque du désir des protagonistes villageois de se distinguer socialement, un signe de l’affection de la mère et de la grand-mère pour leur ravissante petite fille[12]. Certains chercheurs (notamment Pierre Saintyves) ont vu dans le chaperon rouge une couronne de fleurs, ce qui ferait de l'héroïne une reine de Mai, personnage du folklore populaire. Cette interprétation est combattue par les comparatistes qui font remarquer que les différentes versions du conte n'insistent pas toutes sur ce trait qui paraît avoir été mis en exergue (voire inventé) par Perrault et les frères Grimm[1].
31
+
32
+ Il faut aussi savoir que les frères Grimm ont essentiellement recensé les contes dans le Land de Hesse, où le costume traditionnel porté par les femmes comporte une petite coiffe de velours qui changeait de couleur selon l'âge et la condition de sa propriétaire: rouge pour les enfants et les jeunes filles, vert pour les femmes mariées, et noire pour les veuves. Il n'est donc pas étonnant que la grand-mère ait coiffé ainsi sa petite-fille[réf. souhaitée].
33
+
34
+ Le conte dans les versions des moralistes, est codé, selon plusieurs auteurs dont le psychanalyste Bruno Bettelheim et le sociologue Jack Zipes.
35
+
36
+ À propos du Petit Chaperon rouge, et reprenant les mots du romancier Charles Dickens, Bruno Bettelheim écrit dans Psychanalyse des contes de fées[13] : « Le Petit Chaperon rouge a été mon premier amour. Je sens que, si j'avais pu l'épouser, j'aurais connu le parfait bonheur ».
37
+
38
+ Le conte met en scène l'opposition des principes de plaisir et de réalité. La fillette et sa grand-mère sont les deux principales figures féminines du conte. Le loup est, lui, une figure masculine ambiguë : il est à la fois un séducteur, comme Le Petit Chaperon rouge, mais aussi un meurtrier. Enfin, dans la seule version des frères Grimm, apparaît une seconde figure masculine : le personnage du chasseur qui tue le loup et lui ouvre le ventre pour libérer le Chaperon rouge et sa grand-mère. Le chasseur, introduit par les frères Grimm, est une seconde figure masculine, paternelle cette fois, qui s'oppose au Loup. La délivrance du Chaperon rouge introduite par les frères Grimm a une symbolique forte et peut être interprétée comme une renaissance ou une métamorphose…
39
+
40
+ Toutefois, il existe aussi des versions dans lesquels le héros est lui-même de sexe masculin[14].
41
+
42
+ Tout au long du conte, et dans le titre comme dans le nom de l'héroïne, l'importance de la couleur rouge, arborée par l'enfant est fortement soulignée. Selon Bruno Bettelheim, le rouge est « la couleur qui symbolise les émotions violentes et particulièrement celles qui renvoient à la sexualité[15]. » Le bonnet de velours rouge a été offert par Mère-Grand : « Il lui allait si bien, que partout on l'appelait le Petit Chaperon rouge. » Le couvre-chef peut ainsi être considéré comme le symbole du transfert prématuré du pouvoir de
43
+ séduction sexuelle au Petit Chaperon rouge. Cette interprétation est contestée par l'historien Michel Pastoureau qui rappelle que la signification des couleurs était différente lors de la rédaction du conte : au XVIIe siècle, c'était le vert qui était associé à la sexualité. Le rouge avait une connotation religieuse, voire de protection.
44
+
45
+ Le sociologue américain Jack Zipes, de l’université de Minnesota, germaniste spécialiste des contes de fées, propose une lecture darwinienne du conte : manger ou être mangé, telle est la question posée par le conte[16]. Jack Zipes, comme dans les versions originelle du conte, interprète le conte comme un art vivant de la subversion[17] mélangeant ruses, arnaques et dissimulation.
46
+
47
+ L'histoire du Petit Chaperon rouge, dans la version moralisatrice de Charles Perrault, a été maintes fois détournée, dans les livres, les films ou encore les dessins animés. Cette entreprise de détournement peut être vue comme un retour aux sources médiévales du conte.
48
+
49
+ L'un des plus célèbres détournements est celui réalisé par Tex Avery dans Red Hot Riding Hood en 1943 : le Loup est un prédateur sexuel, Mère-Grand est l'heureuse résidente du dernier étage d'un gratte-ciel et le Petit Chaperon rouge travaille dans un Night club d'Hollywood. Vamp préfigurant la future Marilyn Monroe, le Petit Chaperon rouge rend le Loup fou. Ce dernier tente d'attirer le Petit Chaperon rouge qui décline fermement l'invitation avant de se réfugier chez Mère-Grand, attirant le Loup à sa poursuite. Il se trouve que Mère-Grand, dame pourtant d'un certain âge, se révèle être particulièrement friande de loups vigoureux. Piégé dans le loft de Mère-Grand, le Loup finit par se jeter du haut du gratte-ciel pour échapper aux baisers dégoulinants de l'épais rouge à lèvres d'une Mère-Grand toute vêtue de rouge. Le Loup croise à nouveau le Petit Chaperon rouge et se suicide à sa vue. Le dessin animé de Tex Avery fut censuré dans un premier temps, sauf pour les G.I.'s qui purent le voir en intégrale grâce à la demande de certains de leurs officiers[18].
50
+
51
+ Dans Little Rural Riding Hood (1949), la situation du Loup empire : il est massacré par un Petit Chaperon rouge de la campagne, puis humilié par un cousin Loup de la ville devant un Petit Chaperon rouge citadin.
52
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53
+ La versatilité du conte n'avait pas échappé au réalisateur de film d'animation américain. Ainsi, dans le livre The 50 Greatest Cartoons, écrit par l'historien du cinéma d'animation Jerry Beck (en), trois dessins animés réalisés par Tex Avery apparaissent dans le top 50 des meilleurs dessins animés de tous les temps : Red Hot Riding Hood (7e), Bad Luck Blackie (15e) et Little Rural Riding Hood (22e).
54
+ Un grand classique des marionnettes pour enfants rassemble en une seule création les trois personnages du Petit Chaperon rouge, du Loup et de Mère-Grand, permettant aux enfants d'intervertir les rôles dans un jeu triangulaire sans fin[19].
55
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56
+ Le conte a également servi de référence dans le domaine de l'espionnage. Dans Chapeau melon et bottes de cuir (The Avengers), le personnage de Mère-Grand (Grandmother ou Mother selon les épisodes) est le chef excentrique, mais handicapé et se déplaçant en chaise roulante, d'un service de contre-espionnage très britannique. À la DGSE, Mère-Grand est le surnom d'une figure historique du service, ayant dirigé la Direction du Renseignement, responsable des agents de renseignement et d'influence[20]. Dans le même ordre d'idées et plus récemment, dans La Revanche du Petit Chaperon rouge de Mike Disa, le Petit Chaperon rouge, le Loup, et la Mère-Grand dirigent une agence d'espionnage ultra moderne. Ce long-métrage est la suite de La Véritable Histoire du Petit Chaperon rouge (titre anglais : Hoodwinked!).
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+ La pièce de théâtre Le Procès du Loup écrite par Žarko Petan est une suite du conte où le loup arrêté se retrouve jugé dans un tribunal.
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+ Freeway (film, 1996) revisite l'histoire du Petit Chaperon rouge en mêlant thriller, drame et humour noir.
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+ Dans Once Upon a Time, le Petit Chaperon Rouge est en fait un loup-garou (le Loup), qui ne reprend sa forme humaine qu’en se recouvrant d’un manteau rouge magique.
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+ Il existe un enregistrement de 78 tours cher E.Berliner's Gramophone (catalogue allemande)
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+ La télévision est un ensemble de techniques destinées à émettre et recevoir des séquences audiovisuelles, appelées programme télévisé (émissions, films et séquences publicitaires). Le contenu de ces programmes peut être décrit selon des procédés analogiques ou numériques tandis que leur transmission peut se faire par ondes radioélectriques ou par réseau câblé.
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5
+ L'appareil permettant d'afficher des images d'un programme est dénommé téléviseur, ou, par métonymie, télévision, ou par apocope télé, ou par siglaison TV.
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7
+ La télévision est tributaire d'un réseau économique, politique et culturel (langues nationales ou régionales, genres et formats, réglementation et autorisation de diffusion).
8
+
9
+ Le substantif féminin[1],[2] télévision est réputé emprunté[1] à l'anglais television, un substantif[3] composé de tele- (« télé- ») et vision (« vision »), et attesté en 1907[1].
10
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11
+ Merci de l'améliorer ou d'en discuter sur sa page de discussion ! Vous pouvez préciser les sections à internationaliser en utilisant {{section à internationaliser}}.
12
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13
+ La télévision est un moyen de diffuser par un courant électrique (ligne), par une onde (voie hertzienne) ou par internet, de façon séquentielle, les éléments d'une image analysée point par point, ligne après ligne. À l'origine, un mécanisme permet l'exploration d'un ensemble de cellules photoélectriques (mosaïque). Plus tard, le balayage de la mosaïque s'effectue par un mince faisceau d'électrons (analyse cathodique) et la première mosaïque composée d'éléments de sélénium est décrite, en 1877, par George R. Carey (Boston, États-Unis).
14
+
15
+ Inspiré par le Pantélégraphe de Caselli (1856)[11], le principe du balayage apparaît en 1879, dans un projet de « télectroscope » de Constantin Senlecq, notaire dans le Pas-de-Calais : un mécanisme de pantographe explore la face arrière d'un verre dépoli sur lequel est projetée l'image d'un objet.
16
+
17
+ En 1884, l'ingénieur allemand Paul Nipkow dépose un brevet de « télescope électrique » (elektrisches Teleskop). Un disque, percé à sa périphérie de trous disposés selon une spirale centripète, analyse en tournant les brillances d'une ligne de l'image transmise par un objectif. Le décalage des trous permet de passer d'une ligne à l'autre. Dans ces divers cas, le caractère réversible de chacun des procédés doit assurer la reproduction de l'image.
18
+
19
+ En 1891, Raphael Eduard Liesegang publie l'ouvrage Beiträge zum Problem des electrischen Fernsehens (Contribution sur la question de la télévision électrique). L'ouvrage de R.W. Burns, Television, an International History of the Formative Years. The Institution of Electric Engineers[12], ne mentionne pas Liesegang, mais il dit que Rosing (cité ci-dessous) reconnaît sa dette envers lui.
20
+
21
+ En 1907, le russe Boris Rosing dépose un brevet qui propose d'utiliser un tube cathodique, perfectionné en 1898 par Ferdinand Braun, pour reproduire une image analysée par des moyens électromagnétiques. L'année suivante, un Anglais, Campbell-Swinton, propose l'utilisation du tube cathodique aussi bien à l'analyse qu'à la reproduction de l'image. Aucun de ces projets ne mentionne la reproduction du mouvement.
22
+
23
+ Ces projets conduisent Vladimir Zworykin, un Russe émigré aux États-Unis, à déposer en 1923 un brevet de télévision « tout électronique » (all electronic), alors qu'en Grande-Bretagne Logie Baird obtient une licence expérimentale en 1926 pour son « Televisor »[13]. Les années 1930 allaient alors être marquées par des tentatives diverses d'émissions en Europe, principalement par la BBC de Grande-Bretagne, ainsi qu'aux États-Unis, mais la bataille entre les différentes licences et techniques utilisées d'une part, et la Seconde Guerre mondiale d'autre part, allaient retarder l'avènement de la télévision comme média populaire.
24
+
25
+ Au sortir de la guerre, les États-Unis sont les premiers à imposer une normalisation technique qui facilite la progression rapide des stations d'émission et un accroissement fulgurant du parc des récepteurs (30 000 en 1947, 157 000 en 1948, 876 000 en 1949, 3,9 millions en 1952[14]). « L'année 1949 est [alors] celle de l'explosion. La grille des programmes de l'automne abonde en émissions en tout genre, annonciatrices de ce que nous pouvons voir à l'écran aujourd'hui : fictions comiques et dramatiques, théâtre, films, sport et, bien sûr, variétés et jeux de connaissances générales richement dotés. »[15].
26
+
27
+ Le 14 février 1957, le pape Pie XII fait de Claire d'Assise la sainte patronne de la télévision[16].
28
+
29
+ « Aux États-Unis, le nouveau média a évincé la radio et le cinéma pour s’imposer comme la forme de divertissement populaire standard dans les années 1950 ; pays prospère, la Grande-Bretagne a suivi dans les années 1960 » rapporte l’historien Eric Hobsbawm[17].
30
+
31
+ En France, en 2007 chaque famille possédait en moyenne 1,8 téléviseur, selon le cabinet d’audit GfK[18].
32
+
33
+ Selon une enquête menée au cours de l’année 2006 auprès des Français, la télévision resterait allumée en moyenne six heures par jour[19].
34
+
35
+ Durant les années 1990 en France, le sociologue Pierre Bourdieu a travaillé à comprendre la sociologie des médias, y compris la télévision avec son livre Sur la télévision.
36
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+ La télévision est un sujet vaste analysé par de nombreux courants et disciplines des sciences sociales. Parmi ce lot, Henrion-Dourcy[20] en répertorie plusieurs :
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+ Les études sociales des médias touchent donc par défaut plusieurs disciplines.
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+ Plus spécifiquement, les recherches anthropologiques sur la télévision, quant à elles, ont débuté par la publication, dès le début des années 1980, d’articles sur des études de cas de l’impact de la télévision sur certaines communautés. Parmi eux, il y a Granzberg et Steinberg[21] chez les Algonquins, Graburn[22] chez les Inuits, Kent chez les Navajos[23]. Quelques monographies marquantes se sont ajoutées à la liste : Naficy[24] sur les immigrés iraniens de Los Angeles, Gillespie[25] sur les immigrés indiens du nord de l’Angleterre.
42
+
43
+ Dans La Grande Lessive (!) (1968), Jean-Pierre Mocky raconte l'histoire d'un professeur de littérature qui, déplorant les effets de la télévision sur la concentration et le sommeil de ses élèves, décide de saboter la télévision en appliquant un produit chimique sur les antennes de télévision.
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+
45
+ La télévision serait dangereuse pour le développement des bébés. En France, la direction générale de la santé (DGS) a publié un avis négatif concernant les chaînes de télévision pour enfant, à la suite des travaux du groupe d’experts réunis le 16 avril 2008[34]. Les associations familiales et les syndicats d’enseignants réunis dans le Collectif inter-associatif enfance et média[35], rappelant que les chaînes de télévision destinées aux bébés représentent un danger pour leur santé et leur développement intellectuel et émotionnel, ont demandé aux pouvoirs publics l’interdiction des chaînes Baby TV et Baby first[36],[37].
46
+
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+ Une enquête américaine publiée en octobre 2007, soutenue par la Fondation Tamaki et le National Institute of Mental Health, a été menée auprès de plus de 1 000 parents d'enfants âgés de 2 à 24 mois. Selon Frederick Zimmerman, chercheur à l'université de Washington et auteur principal de l'étude : « Si la télévision en quantité appropriée peut être utile à un certain âge pour les enfants et leurs parents, il a été démontré qu'un excès de télévision avant 3 ans est associé à des problèmes du contrôle de l'attention, un comportement agressif et un développement cognitif pauvre. »[38].
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+
49
+ En comparant les performances des enfants à des tests cognitifs standardisés en fonction de la date d'introduction de la télévision dans les différentes villes américaines (entre 1940 et le milieu des années 1950), les économistes Matthew Gentzkow et Jesse Shapiro montrent que l'exposition à la télévision avant l'âge d'entrée à l'école n'a pas d'effet négatif sur les performances cognitives des enfants. Au contraire, il semble que l'exposition à la télévision avant l'entrée à l'école augmente légèrement les performances des enfants. L'effet sur les performances d'expression orale, de lecture et de connaissances générales est plus fort pour les enfants issus de famille dans lesquelles l'Anglais n'est pas la langue maternelle[39].
50
+
51
+ L'Académie américaine de pédiatrie, à la suite d'une méta-analyse de 50 études sur les conséquences de la télévision sur les enfants, émet la recommandation de bannir l'écran de télévision ou de l'ordinateur à tout enfant de moins de deux ans (90 % de ces enfants américains regardent une forme de média numérique 1 à 2 heures par jour), ces médias nuisant à leur attention et diminuant la communication des parents avec leur enfant[40].
52
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53
+ La télévision est un facteur contribuant à l'augmentation de l'obésité à la fois par l'inactivité physique qu'elle entraîne pour le spectateur et par l'effet de la publicité pour des produits alimentaires souvent gras et sucrés. Il existe un lien entre une forte exposition aux publicités télévisées et l'obésité des jeunes de 2 à 18 ans. L'exposition à la publicité télévisée portant sur des aliments de haute densité énergétique (notamment sucrés et gras) est associée à une prévalence plus élevée de l'obésité[41].
54
+
55
+ De manière plus générale, le temps passé devant l'écran est corrélé avec une augmentation du risque de diabète de type II, de survenue de maladies cardio-vasculaires ainsi qu'une augmentation de la mortalité, toute cause confondue[42].
56
+
57
+ En 2011 un Français (Michel Desmurget, docteur en neurosciences) sort un livre (TV lobotomie (ISBN 978-2-31500-145-3)) qui réunit les conclusions d'études parues sur plusieurs années. Abordant de multiples aspect de santé (ex : psychologie, développement intellectuel, répercussions sociales)[43].
58
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+ Pour Christophe Piar, les médias en général, et la télévision en particulier, peuvent parfois avoir un impact sur les résultats des élections, avec ce que les chercheurs appellent des effets d'amorçage, d'association et de cadrage. Ces deux derniers effets ont en particulier contribué à la victoire de Nicolas Sarkozy lors de l'élection présidentielle de 2007. Les candidats ont ainsi tout intérêt à faire jouer à leur profit ces mécanismes, en essayant d'influencer au maximum les journalistes dans leur travail de fabrication de l'information[45].
60
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61
+ En comparant la participation électorale par ville en fonction de la date d'introduction de la télévision aux États-Unis, l'économiste Matthew Gentzkow montre que l'introduction de la télévision a un fort effet sur la baisse de la participation électorale. Cet effet s'explique principalement par une baisse de la lecture des journaux et de l'écoute de la radio qui conduisent à une baisse des connaissances politiques[46].
62
+
63
+ La télévision se veut pourtant plus accessible, voire « démocratique » que certains médias traditionnels, du fait que le contenu informatif ne demande pas de compétence en lecture, selon l'anthropologue Henrion-Dourcy[20]. En Occident, Internet peut partager ces mêmes caractéristiques, mais dans les sociétés non occidentales, il s'agit du premier médium de masse en importance. Mankekar voit justement la télévision comme « un écran sur lequel se projette la culture et un espace d’où l’on peut voir le politique »[47].
64
+
65
+ Les économistes Stefano Dellavigna et Ethan Kaplan ont comparé l'évolution du vote en faveur des Républicains entre 1996 et 2000 dans les villes pour lesquelles la chaîne de télévision conservatrice Fox News a été ajoutée au réseau câblé et dans les villes qui n'ont pas accès à Fox News. Ils mettent en avant un effet de l'introduction de Fox News sur le vote en faveur des Républicains. Dans les villes où Fox News a été introduite, les Républicains ont gagné entre 0,4 et 0,7 points de pourcentage entre 1996 et 2000[48]. Cette étude montre le pouvoir de persuasion potentiel de la télévision.
66
+
67
+ En comparant les résultats aux élections parlementaires russes de 1999 dans les régions où il existait une chaîne de télévision indépendante du gouvernement et dans les régions où il n'en existait pas, les économistes Ruben Enikolopov, Maria Petrova et Ekaterina Zhuravskaya montrent qu'il existe un effet massif sur le résultat électoral. En présence d'une chaîne de télévision indépendante, le score du parti gouvernemental baisse de près de 9 points de pourcentage[49].
68
+
69
+ En s'appuyant sur des données indonésiennes, l'économiste Benjamin Olken montre que l'introduction de la télévision diminue la participation à des organisations sociales et la confiance en soi[50].
70
+
71
+ Selon Henrion-Dourcy[20], la télévision joue sur l'interaction entre les plans microsocial et macrosocial puisque de grandes questions comme sur la construction l'identité nationales sont discutées dans l'intimité des foyers selon le contenu présenté à la télévision. De nombreux grands sujets sont traités soit pour défendre une idée, en contester une autre ou pour amener un débat social.
72
+
73
+ La télévision offre une gratification immédiate aux téléspectateurs. Ce serait un plaisir qu’on regrette ensuite. Les enquêtes montrent que le petit écran est l’un des loisirs les plus frustrants pour les téléspectateurs eux-mêmes. La corrélation entre le nombre d’heures passées devant le téléviseur et les indices de satisfaction est négative. Selon Robert Putnam, comme toute consommation compulsive ou addictive, la téléphagie est une activité étonnamment peu valorisante[51].
74
+
75
+ Piratage, données personnelles, rupture de la confidentialité ou encore accès à la vie privée figurent parmi les alertes lancées par le FBI en novembre 2019. Selon l'agence fédérale, les nouvelles télévisions peuvent permettre et faciliter l'espionnage. Dès lors, l'agence met en garde les consommateurs et les invite à vérifier les règles de confidentialité des constructeurs[52].
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+ les télévisions cathodiques et les magnétoscopes pouvaient être réparés. Lors de pannes, les appareils étaient confiés à des réparateurs.
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+ Les commerçants qui vendaient des téléviseurs assuraient également leur réparation.
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+ Voir aussi la Catégorie:Film documentaire sur les médias
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+ Petit panda, Panda éclatant, Panda roux
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+ Genre
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+
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+ Espèce
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+ Statut CITES
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+
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+ Statut de conservation UICN
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+
11
+ ENC1[1] : En danger
12
+
13
+ Répartition géographique
14
+
15
+ Le Petit panda, Panda roux ou Panda éclatant (Ailurus fulgens) est un mammifère de la famille des Ailuridés. Il a un régime alimentaire omnivore, essentiellement végétarien, bien qu'appartenant à l'ordre des carnivores. Le panda roux est originaire de l'Himalaya et du Sud-Ouest de la Chine. C'est une espèce protégée car elle est en danger de disparition.
16
+
17
+ Ailurus fulgens est le seul représentant du genre Ailurus.
18
+
19
+ Son nom occidental provient probablement d'une langue de l'Himalaya, peut-être le népalais, mais sa signification reste incertaine. Selon une théorie, le mot « panda » serait une anglicisation de poonya qui signifie le « mangeur de bambou ». Son nom chinois 小熊猫 (xiǎoxióngmāo) s'analyse morphologiquement comme « petit ours-chat»[note 1].
20
+
21
+ Ce petit animal est parfois appelé firefox en anglais, une traduction de son surnom chinois moins utilisé hǔo hú (火狐), littéralement « renard de feu » également par référence à sa couleur[réf. nécessaire].
22
+
23
+ Le nom scientifique Ailurus est une latinisation du grec ancien ailuros, désignant le chat et signifiant littéralement « balance-queue » (aiol + ouros). Quant à fulgens, il signifie éclatant, brillant (comme un éclair)[réf. nécessaire].
24
+
25
+ L'espèce est désignée en français par divers noms vulgaires et noms vernaculaires : petit panda[9], panda éclatant[11],[9],[3], panda fuligineux[11],[9], panda rouge[12],[11], panda roux[9], etc.
26
+
27
+ En anglais : lesser panda[3], red panda[3], cat-bear[3], small panda[11], firefox.
28
+
29
+ Les sous-espèces sont nommées :
30
+
31
+ Le panda roux fait de 50 à 64 cm de long pour la tête et le corps tandis que sa queue fait de 28 à 59 cm. Les mâles pèsent de 3,7 à 6,2 kg et les femelles de 3 à 6,0 kg[15],[16],[17].
32
+
33
+ L'espèce a une fourrure longue, douce, brun rougeâtre sur les parties supérieures, une fourrure noirâtre sur les parties inférieures, et un visage clair avec des marquages faciaux en forme de larmes ainsi que des caractéristiques dentaires cranio-dentaires robustes (en). Le visage clair a des insignes blancs semblables à ceux d'un raton laveur, mais chaque individu peut avoir des marques distinctives. La tête arrondie a des oreilles droites de taille moyenne, un nez noir et des yeux noirâtres. Sa longue queue touffue avec six anneaux ocre transversaux alternés[18] et une pointe noire[réf. nécessaire] fournit un équilibre et un excellent camouflage pour leur habitat d'arbres recouverts de mousse et de lichen. Les jambes sont noires et courtes avec une fourrure épaisse sur la plante des pattes. Cette fourrure sert d'isolation thermique sur les surfaces enneigées ou glacées et dissimule les glandes olfactives qui sont également présentes sur l'anus[18].
34
+
35
+ Le panda roux est spécialisé dans l'alimentation au bambou avec des griffes fortes, courbes et semi-rétractiles[15] pour saisir les branches d'arbres étroites, les feuilles et les fruits. Comme le panda géant, il a un « faux pouce » qui est une extension de l'os du poignet. Quand il descend un arbre tête la première, le panda roux tourne sa cheville pour contrôler sa descente, ce qui en fait une des rares espèces grimpantes à en être capable[19].
36
+
37
+ Les petits pandas sont principalement nocturnes[20]. Ils ne font pas beaucoup plus que manger et dormir en raison de leur régime alimentaire hypocalorique[21],[22].
38
+
39
+ Les pandas roux sont d'excellents grimpeurs et se nourrissent surtout dans les arbres. Ils mangent surtout du bambou et peuvent se nourrir de petits mammifères, d'oiseaux, d'œufs, de fleurs et de baies. En captivité, ils ont été observés en train de manger des oiseaux, des fleurs, des feuilles d'érable et de mûrier, de l'écorce et des fruits de l'érable, du hêtre et du mûrier[15].
40
+
41
+ La reproduction du Panda roux est encore mal comprise des biologistes. Il reste ainsi des questions non résolues, telles si la femelle peut avoir une ovulation induite (en), entre en chaleurs une ou plusieurs fois pendant la saison des amours, et si oui ou non l'implantation de l'embryon dans l'utérus est différée (en). Déchiffrer les particularités de la reproduction de l'espèce permettrait de recréer des environnements fidèles au milieu naturel, pour réduire la mortalité à la naissance des individus captifs puis réintroduire des pandas roux à l'état sauvage[23].
42
+
43
+ Dans la nature, le Panda roux vit probablement en solitaire la plupart du temps et ne se trouve en petits groupes que pendant la saison de reproduction[24]. Elle correspond à la période typique d'activité des gonades dans l'espèce. Selon les individus élevés en captivité, la période d'œstrus de la femelle s'étale sur la fin de l'hiver, soit de janvier à mars dans l’hémisphère nord et de juin à août dans l'hémisphère sud[25],[24]. Cela permet aux petits de naître au printemps, lorsque la disponibilité de la nourriture, des matériaux de nidification et la sécurité des autres prédateurs à la mise bas sont favorables à leur survie[24].
44
+
45
+ La gestation dure en moyenne 135 jours et la femelle met en général deux petits au monde mais il peut y en avoir trois ou quatre. À la naissance, les petits ont déjà une fourrure (grise qui devient rousse en grandissant), ne mesurent que 6 cm et ne pèsent que 100 grammes. Ils sont d'abord aveugles et n'ouvrent les yeux qu'au bout de 18 jours. Dépendants, ils ne sortent de la tanière qu'après 90 jours et vivent avec leur mère jusqu'à la période de reproduction suivante. Ils sont sevrés après 5 mois. Ils atteignent leur maturité sexuelle entre 18 et 20 mois[réf. nécessaire].
46
+
47
+ Les pandas roux peuvent se reproduire vers l'âge de 18 mois et atteignent leur pleine maturité à l'âge de deux ou trois ans. Les adultes interagissent rarement dans la nature, sauf pour s'accoupler. Les deux sexes peuvent s'accoupler avec plus d'un partenaire pendant la saison des amours, de la mi-janvier au début mars. Quelques jours avant la naissance, les femelles commencent à rassembler des matériaux, comme des broussailles, de l'herbe et des feuilles, pour construire un nid, qui se trouve normalement dans un arbre creux ou une fissure rocheuse. Après une période de gestation de 112 à 158 jours, la femelle donne naissance, de la mi-juin à la fin juillet, de un à quatre (habituellement 1 à 2) petits aveugles et sourds pesant de 110 à 130 g chacun[15].
48
+
49
+ Après la naissance, la mère nettoie les petits et peut reconnaître chacun d'eux par son odeur. Au début, elle passe de 60 % à 90 % de son temps avec les petits. Après la première semaine, la mère commence à passer plus de temps à l'extérieur du nid, revenant toutes les quelques heures pour allaiter et toiletter les petits. Elle déplace fréquemment les jeunes parmi plusieurs nids, qu'elle garde propres. Les petits commencent à ouvrir les yeux vers l'âge de 18 jours. À environ 90 jours, ils ont atteint la pleine fourrure d'adulte et la coloration, et commencent à s'aventurer hors du nid. Ils commencent aussi à manger des aliments solides à ce moment-là, en se sevrant vers l'âge de six à huit mois. Les petits restent avec leur mère jusqu'à ce que la prochaine portée naisse l'été suivant. Les mâles aident rarement à élever les jeunes, et seulement s'ils vivent en paires ou en petits groupes[15].
50
+
51
+ À l'état sauvage, la durée de vie typique d'un panda roux se situe entre huit et dix ans, mais peut aller jusqu'à 14 ans[26]. En captivité, l'espérance de vie est d'en moyenne 13,4 ans[26], et un individu a réussi à atteindre l'âge de 19 ans[27].
52
+
53
+ En fonction de son état émotionnel, le panda aboie, couine ou émet d'autres sons.
54
+
55
+ Comme le panda géant, le petit panda ne peut pas digérer la cellulose et doit donc consommer un grand volume de bambou pour survivre. Leur régime alimentaire se compose d'environ deux tiers de bambou, de préférence les feuilles et jeunes pousses, mais ils mangent aussi des champignons, des racines, des glands, des lichens et des graminées. À l'occasion, ils complètent leur alimentation avec des poissons, des insectes[21],[22], des oiseaux[15] ou de petits mammifères[28].
56
+
57
+ Les pousses de bambou sont plus faciles à digérer que les feuilles, présentant la digestibilité la plus élevée en été et en automne, intermédiaire au printemps et la plus faible en hiver. Ces variations sont liées à la teneur en nutriments du bambou. Les pandas roux transforment mal le bambou, en particulier la cellulose et les composants de la paroi cellulaire. Cela sous-entend que la digestion microbienne ne joue qu'un rôle mineur dans leur stratégie digestive. Pour survivre avec ce régime alimentaire de mauvaise qualité, ils doivent manger les sections de haute qualité de la plante de bambou, comme les feuilles et les pousses tendres, en grande quantité, soit plus de 1,5 kg de feuilles fraîches et 4 kg de pousses fraîches par jour. Cet aliment traverse le tube digestif assez vite (environ 2 à 4 heures) afin de maximiser l'apport quotidien en nutriments[29]. Les petits pandas peuvent détecter le goût d'édulcorants artificiels comme l'aspartame, et sont les seuls non-primates connus à pouvoir le faire[30].
58
+
59
+ Au Japon, ont été rapportés un cas de petit panda souffrant de schistosomiase japonaise, un cas de douve pulmonaire ayant causé la mort du sujet par pneumonie et des cas d'infections à Dirofilaria immitis[31],[32],[33].
60
+
61
+ Le petit panda vit entre 2 200 et 4 800 m d'altitude et habite des zones aux températures modérées entre 10 et 25 °C avec peu de variations annuelles. Il préfère les forêts montagneuses mixtes de feuillus et de conifères, surtout celles avec de vieux arbres et des sous-bois denses de bambou[15],[34].
62
+
63
+ Le panda roux est endémique des forêts tempérées de l'Himalaya, et des chaînes de piedmont du Népal à l'Ouest et de la Chine à l'Est[34]. Sa limite la plus à l'Est est la chaîne des Monts Qinling de la province du Shaanxi en Chine. Sa répartition inclut le Tibet méridional, le Sikkim et Assam en Inde, le Bhoutan, les montagnes septentrionales de Birmanie, et le Sud-Ouest de la Chine, dans les Monts Hengduan de la province du Sichuan, ainsi que les monts Gongshan de la province du Yunnan. Il peut également vivre au Sud-Ouest du Tibet et au Nord de l'Arunachal Pradesh, mais cela n'a pas été documenté. Les lieux comportant la plus grande densité de pandas roux incluent une aire de l'Himalaya supposée avoir été le refuge d'un ensemble d'espèces endémiques durant le Pléistocène. L'aire de répartition du panda roux doit être considérée comme constituée d'aires séparées plutôt que comme un ensemble continu[15]. Une population relique distincte pourrait habiter les forêts sous-tropicales du plateau du Meghalaya, au Nord-Est de l'Inde[35], mais des investigations plus poussées sont nécessaires pour confirmer sa présence[36].
64
+
65
+ Lors d'une étude durant les années 1970, des signes de présence de pandas roux ont été trouvés dans la réserve de chasse de Dhorpatan, au Népal[37]. Leur présence a été confirmée au printemps 2007 lorsque quatre individus ont été observés à des altitudes allant de 3 220 à 3 610 m[38]. La limite orientale de l'espèce se trouve dans le parc national de Rara, situé à l'ouest de la réserve de chasse de Dhorpatan[39] Leur présence a été confirmée en 2008[40].
66
+
67
+ Les populations de panda roux dans la province du Sichuan sont plus importantes et plus stables que celle du Yunnan, laissant penser à une expansion vers le Sud, depuis le Sichuan vers Yunnan durant l'Holocène[41].
68
+
69
+ Le panda roux a été extirpé des provinces chinoises du Guizhou, Gansu, Shaanxi, et Qinghai[42].
70
+
71
+ La première trace écrite connue sur le Petit panda se trouve dans un rouleau chinois du XIIIe siècle qui représente une scène de chasse entre des chasseurs et le Panda roux[43],[44].
72
+
73
+ La présentation en 1821 par le major-général Thomas Hardwicke d'un article intitulé « Description d'un nouveau genre de mammifères de la classe Mammalia, de la chaîne des collines de l'Himalaya entre le Népal et les montagnes enneigées »[note 2] à la Société linnéenne de Londres est souvent considérée comme le moment où le Panda roux est devenu une espèce authentique dans la science occidentale. Hardwicke a proposé le nom « wha » et expliqué : « Il est fréquemment découvert par son cri ou son appel, ressemblant au mot « Wha », répétant souvent le même : c'est pourquoi il est dérivé d'un des noms locaux par lesquels il est connu. Il est aussi appelé Chitwa. »[note 3] Le document d'Hardwicke n'a pas été publié avant 1827, où Frédéric Cuvier avait alors publié sa description et une figure. Le nom taxonomique proposé à l'origine par Hardwicke a été retiré de la publication de son article en 1827 avec sa permission, et le nom est maintenant attribué à Cuvier[45].
74
+
75
+ Frédéric Cuvier avait reçu le spécimen qu'il a décrit du beau-fils de son frère, Alfred Duvaucel, qui l'avait envoyé « des montagnes du nord de l'Inde ». Il a été le premier à utiliser le nom binomial Ailurus fulgens et le nom vernaculaire panda dans sa description de l'espèce publiée en 1825 dans l'Histoire naturelle des mammifères[46],[47]. Ailurus est adopté du mot grec ancien αἴλουρος (ailouros), qui signifie « chat »[48]. L'épithète spécifique fulgens signifie « brillant » en latin[49]. Panda (en) est une déesse romaine de la paix et des voyageurs qui était appelée avant de commencer un voyage difficile[50]. On ignore s'il s'agit de l'origine du nom vernaculaire français panda[réf. nécessaire]. Des publications ultérieures affirment que le nom a été adopté à partir d'une langue himalayenne[réf. nécessaire].
76
+
77
+ En 1847, Hodgson a décrit un panda roux sous le nom d'Ailurus ochraceus. Pocock a conclu qu'il représente le même type qu'Ailurus fulgens car la description des deux est très proche. Il a subordonné les deux types à la sous-espèce de panda roux de l'Himalaya Ailurus fulgens fulgens[18].
78
+
79
+ La classification taxonomique du panda roux fait l'objet de controverses dès sa découverte. Le zoologiste français Frédéric Cuvier a d'abord décrit le panda roux en 1825 et l'a classé comme un proche parent du raton laveur (Procyonidae), bien qu'il lui ait donné le nom de genre Ailurus, (du grec ancien αἴλουρος, « chat ») en se basant sur des similitudes superficielles avec les chats domestiques. L'épithète spécifique est l'adjectif latin fulgens (« brillant »)[51].
80
+
81
+ L'espèce a été placée à différents moments dans les Procyonidae, dans les Ursidae avec Ailuropoda (panda géant) chez les Ailuropodinae (jusqu'à ce que cette famille soit déplacée dans les Ursidae), puis dans sa propre famille, les Ailuridae. Cette incertitude vient de la difficulté à déterminer si certaines caractéristiques d'Ailurus sont phylogénétiquement conservatrices ou si elles sont dérivées et convergentes avec des espèces aux habitudes écologiques similaires[15].
82
+
83
+ Les preuves basées sur les fossiles, la sérologie, la caryologie, le comportement, l'anatomie et la reproduction reflètent des affinités plus étroites avec les Procyonidae qu'avec les Ursidae. Cependant, des spécialisations écologiques et de fourrageage, ainsi qu'une distribution géographique distincte par rapport aux Procyonidés modernes soutiennent la classification dans la famille distincte des Ailuridés[52],[15],[53].
84
+
85
+ Des recherches ADN systématiques moléculaires récentes placent également le panda roux dans sa propre famille, les Ailuridae, une partie de la grande super-famille Musteloidea qui comprend également la mouffette, le raton laveur et la belette[53],[54],[55]. Il serait la seule espèce encore vivante de la famille.
86
+
87
+ It is not a bear, nor closely related to the giant panda, nor a raccoon, nor a lineage of uncertain affinities. Rather it is a basal lineage of musteloid, with a long history of independence from its closest relatives (skunks, raccoons, and otters/weasels/badgers).
88
+
89
+ — Flynn et al., Whence the Red Panda[55] p. 197
90
+
91
+ « Ce n'est ni un ours, ni un proche parent du panda géant, ni un raton laveur, ni une lignée d'affinités incertaines. Il s'agit plutôt d'une lignée basale de mustéloïdes, avec une longue histoire d'indépendance par rapport à ses parents les plus proches (mouffettes, ratons laveurs, loutres, belettes et blaireaux). »
92
+
93
+ — Whence the Red Panda[55] p. 197
94
+
95
+ Le panda roux est considéré comme un fossile vivant et seulement très vaguement apparenté au panda géant (Ailuropoda melanoleuca), car il est naturellement plus proche des autres membres de la super-famille Musteloidea à laquelle il appartient. L'ancêtre commun des deux pandas était aussi un ancêtre pour tous les ours vivants, les pinnipèdes comme les phoques et les morses, et les membres de la famille Musteloidea comme les belettes et les loutres. Il peut être retracé jusqu'à la période du Tertiaire Inférieur il y a des dizaines de millions d'années, avec une répartition importante à travers l'Eurasie.
96
+
97
+ Des fossiles du panda roux éteint Parailurus anglicus ont été déterrés de la Chine à l'Est jusqu'à la Grande-Bretagne à l'ouest[56]. En 1977, une dent seule de Parailurus a été découverte dans la Formation pliocène de Ringold, au Washington. Ce premier signalement nord-américain est presque identique aux spécimens européens et révèle l'immigration de cette espèce en provenance d'Asie[57]. En 2004, la dent d'une espèce de panda roux jamais vue auparavant en Amérique du Nord a été découverte sur le site de fossiles de Gray (en), dans le Tennessee. La dent date d'il y a 4,5 à 7 millions d'années. Cette espèce, décrite sous le nom Pristinailurus bristoli (en), indique qu'une deuxième lignée ailurine plus primitive habitait l'Amérique du Nord pendant le Miocène. L'analyse cladiste suggère que Parailurus et Ailurus sont des taxons frères[56],[58]. D'autres fossiles de Pristinailurus bristoli ont depuis été découverts sur le site de fossiles de Gray en 2010[59] et en 2012[60]. La fréquence à laquelle on trouve des fossiles de panda sur le site de fossiles de Gray suggère que l'espèce a joué un rôle important dans l'écosystème global de la région[réf. nécessaire].
98
+
99
+ La découverte en Espagne des restes post-crâniens (en) de Simocyon batalleri, un parent du panda roux vivant au Miocène, soutient l'hypothèse d'une relation de groupes frères entre pandas roux et ours. Cette découverte suggère que le « faux pouce » du panda roux est une adaptation à la locomotion arboricole, indépendante de l'adaptation du panda géant pour manipuler le bambou. Il s'agit en zoologie d'un des cas les plus remarquables de convergence évolutive chez les vertébrés[61].
100
+
101
+ La classification du panda roux en deux espèces ou deux sous-espèces est débattue dans la communauté scientifique. Dans l'ouvrage de référence de 2011 Red Panda, Colin Groves affirme à partir de comparaisons crâniennes, d'analyses des éléments extérieurs et de génétique moléculaire faites sur différents spécimens qu'il existe deux espèces distinctes. Ainsi, le panda roux peut être divisé en Panda roux himalayen (Ailurus fulgens ou A. f. fulgens ) et en Panda roux de Styan (Ailurus styani ou A. f. styani). Il fait aussi remarquer l'absence de données sur de grandes parties de l'aire de répartition d'Ailurus. Cela laisse ouvert la possibilité qu'il existe d'autres espèces ou sous-espèces de panda roux[62],[63].
102
+
103
+ Cependant, le nom Ailurus fulgens refulgens est parfois utilisé à tort pour A. f. styani. Il s'agit d'un lapsus réalisé par Henri Milne-Edwards dans son article de 1874 « Recherches pour servir à l'histoire naturelle des mammifères comprenant des considérations sur la classification de ces animaux »[64], faisant de A. f. refulgens un nomen nudum[18],[65]. L'édition la plus récente de Mammal Species of the World (littéralement en français « Espèces de mammifères du monde ») montre toujours la sous-espèce A. f. refulgens[52]. Cela a été corrigé dans des ouvrages plus récents, notamment dans A guide to the Mammals of China et le Handbook of the Mammals of the World, Volume 1 : Carnivores[66].
104
+
105
+ Selon Yibo Hu, de l’Académie chinoise des sciences de Pékin, il n'y a pas une mais deux espèces de panda roux différentes, Ailurus fulgens et Ailurus styani. L'étude[67] réalisée montre une différence génétique entre ces deux pandas.
106
+
107
+ Les principales menaces qui pèsent sur les pandas roux sont la capture directe dans la nature, vivants ou morts, la compétition avec le bétail domestique entraînant la dégradation de l'habitat et la déforestation conduisant à la perte ou la fragmentation de l'habitat. L'importance relative de ces facteurs varie d'une région à l'autre et n'est pas bien comprise[34].
108
+ Par exemple, en Inde, la plus grande menace semble être la perte d'habitat suivie du braconnage, alors qu'en Chine, les plus grandes menaces semblent être la chasse et le braconnage[4]. Une diminution de 40 % des populations de panda roux a été signalée en Chine au cours des 50 dernières années, et les populations des régions occidentales de l'Himalaya sont considérées comme étant plus réduites[42].
109
+
110
+ La déforestation entrave la propagation des pandas roux et aggrave le morcellement naturel de la population par la topographie et l'écologie, ce qui provoque une grave fragmentation de la population sauvage restante. Moins de 40 animaux de quatre groupes distincts partagent les ressources avec les humains dans le Parc national de Langtang au Népal, où seulement 6 % de ses 1 710 km2 est l'habitat préféré du panda roux. Même si la concurrence directe pour la nourriture avec le bétail domestique n'est pas significative, ce bétail peut ralentir la croissance du bambou en le piétinant[68].
111
+
112
+ Les petits groupes d'animaux ayant peu de possibilités d'échange entre eux sont confrontés au risque de consanguinité, de diminution de la diversité génétique et même d'extinction. En plus, la coupe rase pour le bois de chauffage ou l'agriculture, y compris le terrassement à flanc de colline, enlève les vieux arbres qui fournissent des tanières aux mères et diminue la capacité de certaines espèces de bambou à se régénérer[34].
113
+
114
+ Dans le sud-ouest de la Chine, les pandas roux sont chassés pour leur fourrure, surtout pour leurs queues touffues très appréciées pour produire des toques. Dans ces régions, la fourrure est souvent utilisée pour les cérémonies culturelles locales. Dans les mariages, le marié porte traditionnellement la peau. Les chapeaux « porte-bonheurs » à queue de panda roux sont également utilisés par les jeunes mariés locaux[42]. Cette pratique est probablement assez ancienne car le panda roux semble être représenté dans un parchemin chinois du XIIIe siècle à l'encre de Chine montrant une scène de chasse. Il n'existe peu ou pas de mention du panda roux dans la culture et le folklore népalais[43].
115
+
116
+ Dans le passé, les pandas roux étaient capturés et vendus aux zoos. Angela Glatston, conservatrice au zoo de Rotterdam, a indiqué qu'elle avait personnellement géré 350 pandas roux en 17 ans[69].
117
+
118
+ En raison de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction, ces captures pour les zoos ont considérablement diminué ces dernières années, mais le braconnage se poursuit et les pandas roux sont souvent vendus à des collectionneurs privés à des prix exorbitants. Dans certaines parties du Népal et de l'Inde, les pandas roux sont gardés comme animaux de compagnie[70].
119
+
120
+ Le panda roux a un taux de natalité naturellement bas (généralement une naissance simple ou jumelée par an), et un taux de mortalité élevé dans la nature[réf. nécessaire].
121
+
122
+ Le Petit panda est inscrit à l'Annexe I de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction[71]. L'espèce est classée en danger dans la Liste rouge de l'UICN depuis 2008 parce que la population mondiale est estimée à environ 10 000 individus, avec une tendance à la baisse de la population, et parce qu'il n'y a qu'environ la moitié de la superficie totale de l'habitat potentiel de 142 000 km2 qui est effectivement utilisée par l'espèce. En raison de leur nature timide et secrète, et de leurs habitudes largement nocturnes, l'observation des pandas roux est difficile. Par conséquent, les chiffres de population à l'état sauvage sont déterminés par des estimations de la densité de population et non par des comptages directs[4].
123
+
124
+ Les estimations de la population mondiale varient de moins de 2 500[72] pour l'estimation basse à entre 16 000 et 20 000 individus[35] pour l'estimation haute. En 1999, la population totale en Chine était estimée entre 3 000 et 7 000 pandas roux[42]. En 2001, la population sauvage en l'Inde était estimée entre 5 000 et 6 000 individus[35]. Les estimations pour le Népal n'indiquent que quelques centaines d'individus[73]. Il n'existe aucun chiffre pour le Bhoutan ou la Birmanie.
125
+
126
+ Il est difficile de trouver des chiffres de population fiables, en partie parce que d'autres animaux ont été confondus avec le panda roux. Par exemple, un rapport de Birmanie indique que les pandas roux sont encore assez fréquents dans certaines régions ; cependant, la preuve photographique du « panda roux » qui l'accompagne est en fait une espèce de civette[74].
127
+
128
+ Le panda roux est protégé dans tous les pays de son aire de répartition et sa chasse est illégale[4]. Au-delà, les efforts de protection sont très variables d'un pays à l'autre :
129
+
130
+ Une forêt gérée par la communauté dans le district d'Ilam, dans l'est du Népal, abrite 15 pandas roux qui génèrent des revenus pour les ménages locaux grâce à des activités touristiques, y compris des séjours à domicile. Les villageois des zones de haute altitude de l'Arunachal Pradesh ont formé l'Alliance pour la conservation du panda roux de Pangchen (« Pangchen Red Panda Conservation Alliance »), qui comprend cinq villages avec une zone forestière communautaire de 200 km2 à une altitude entre 2 500 et plus de 4 000 m[76].
131
+
132
+ Le petit roux s'adapte bien à la vie en captivité et est commun dans les zoos du monde entier. En 1992, plus de 300 naissances avaient eu lieu en captivité et plus de 300 individus vivaient dans 85 institutions à travers le monde[77]
133
+ . En 2001, 182 individus se trouvaient dans les seuls zoos nord-américains[78]. En 2006, le stud-book international répertoriait plus de 800 individus dans les zoos et les parcs du monde entier. Dans ce nombre, 511 individus de la sous-espèce A. f. fulgens étaient gardés dans 173 institutions[79] et 306 individus de la sous-espèce A. f. styani étaient gardés dans 81 institutions[80].
134
+
135
+ Le stud-book international est actuellement géré au zoo de Rotterdam aux Pays-Bas. En coopération avec l'International Red Panda Management Group, ils coordonnent le programme américain pour les espèces menacées en Amérique du Nord, le Programme européen pour les espèces menacées et d'autres programmes d'élevage en captivité en Australie, en Inde, au Japon et en Chine[80],[81]. En 2009, Sarah Glass, conservatrice des pandas roux et des expositions spéciales au zoo de Knoxville (en), à Knoxville au Tennessee, a été nommée coordonnatrice du North American Red Panda Species Survival Plan. Le zoo de Knoxville compte le plus grand nombre de naissances de panda roux en captivité dans l'hémisphère occidental (101 en août 2011). Seul le zoo de Rotterdam a eu plus de naissances en captivité dans le monde entier[79],[80].
136
+
137
+ Le parc zoologique himalayen de Padmaja Naidu (en) à Darjeeling, en Inde, a relâché avec succès quatre pandas roux élevés en captivité dans la nature en août et novembre 2003[81].
138
+
139
+ Un exemple notable de pandas roux gardé comme animaux de compagnie est le cas de l'ancienne Première ministre indienne Indira Gandhi. Les pandas ont été présentés à sa famille en tant que cadeau, avant d'être ensuite hébergés dans « une maison spéciale dans un arbre »[82].
140
+
141
+ Le panda roux est considéré comme l'animal symbole du Sikkim depuis le début des années 1990[83] et a été la mascotte du Darjeeling Tea Festival[43].
142
+
143
+ En 2005, Babu, un panda roux mâle du Birmingham Nature Centre à Birmingham, au Royaume-Uni, s'est échappé et est devenu brièvement une célébrité médiatique[84],[85] avant d'être recapturé. Il a ensuite été élu « Brummie (en) de l'année », devenant ainsi le premier animal à recevoir cet honneur[84],[85]. Rusty, un panda roux mâle au zoo national de Washington DC, a également attiré l'attention des médias lorsqu'il s'est brièvement échappé en 2013[86],[87].
144
+
145
+ En fiction, Bambou, personnage principal dans la série d'animation Bambou et Compagnie, est un panda roux[réf. nécessaire]. L'animal-totem de Li Xiong Mao[88], dans Freaks' Squeele, une série de bande dessinée entamée en 2008 de Florent Maudoux ; Maître Shifu est un panda roux anthropomorphe professeur de kung fu, dans le film Kung Fu Panda de 2008 ainsi que dans les autres histoires se déroulant dans le même univers[89]. Le panda roux Futa a inspiré le personnage de Pabu, le « furet de feu » accompagnant le groupe de héros (principalement de Bolin) dans la série télévisée animée américaine La Légende de Korra[90].
146
+
147
+ Le petit panda donne son nom au navigateur web Firefox, dérivé de la suite logicielle libre Mozilla. En effet, le mot « firefox » est en anglais un surnom du panda roux[91],[92]. Cependant, l'animal montré dans le logo est un renard stylisé[93]. La Fondation Mozilla a adopté, en décembre 2010, deux bébés panda roux pendant quelques mois[94].
148
+
149
+ Le mot anglais Firefox (renard de feu) est souvent annoncé comme étant une traduction littérale du mot Chinois pour Red Panda[95],[96],[97],[98],[99]. Cependant le mot chinois 火狐 dont il est question concerne[100],[101],[102] le logiciel Mozilla Firefox et non l'animal qui se dit 小熊貓[103] et 红熊猫[104].
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+ Sur les autres projets Wikimedia :
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1
+ Le pétrole (en latin petroleum, du grec petra, « roche », et du latin oleum, « huile »), dit aussi naphte dans l'antiquité, est une roche liquide d'origine naturelle, une huile minérale composée d'une multitude de composés organiques, essentiellement des hydrocarbures, piégée dans des formations géologiques particulières.
2
+
3
+ L'exploitation de cette source d'énergie fossile et d'hydrocarbures est l’un des piliers de l’économie industrielle contemporaine, car le pétrole fournit la quasi-totalité des carburants liquides — fioul, gazole, kérosène, essence, GPL — tandis que le naphta produit par le raffinage est à la base de la pétrochimie, dont sont issus un très grand nombre de matériaux usuels — plastiques, textiles synthétiques, caoutchoucs synthétiques (élastomères), détergents, adhésifs, engrais, cosmétiques, etc. — et que les fractions les plus lourdes conduisent aux bitumes, paraffines et lubrifiants. Le pétrole dans son gisement est fréquemment associé à des fractions légères qui se séparent spontanément du liquide à la pression atmosphérique, ainsi que diverses impuretés comme le dioxyde de carbone, le sulfure d'hydrogène, l'eau de formation et des traces métalliques.
4
+
5
+ Avec 32,0 % de l'énergie primaire consommée en 2017, le pétrole est la source d'énergie la plus utilisée dans le monde devant le charbon (27,1 %) et le gaz naturel (22,2 %) ; sa part a fortement reculé : elle atteignait 46,3 % en 1973.
6
+
7
+ En 2019, selon BP, les réserves mondiales prouvées de pétrole atteignaient 244,6 Gt (milliards de tonnes), en progression de 13,2 % par rapport à 2009 et de 35,8 % par rapport à 1999. Elles représentaient 49,9 années de production au rythme de 2019, soit 4,48 Gt, dont 37,5 % produits par les pays membres de l'OPEP ; les trois principaux producteurs totalisaient 42,4 % de la production mondiale : États-Unis 17,9 %, Russie 12,1 % et Arabie saoudite 12,4 %. Les principaux importateurs de pétrole sont l'Europe, la Chine, les États-Unis, l'Inde et le Japon ; les principaux exportateurs sont l'Arabie saoudite, la Russie, l'Irak, le Canada, les Émirats arabes unis et le Koweït.
8
+
9
+ L'Agence internationale de l'énergie évalue les émissions mondiales de CO2 dues au pétrole à 11 232 Mt (millions de tonnes) en 2016, en progression de 32,2 % depuis 1990 ; ces émissions représentent 34,6 % des émissions dues à l'énergie en 2017, contre 44,2 % pour le charbon et 20,5 % pour le gaz naturel.
10
+
11
+ Le substantif masculin[1],[2],[3],[4] pétrole est un emprunt[1],[2] au latin médiéval petroleum, proprement « huile de pierre »[2], composé de petra et oleum, respectivement « pierre » et « huile » en latin classique.
12
+
13
+ Chaque gisement pétrolier recèle une qualité particulière de pétrole, déterminée par la proportion relative en molécules lourdes et légères, mais aussi par la quantité d'impuretés. L'industrie pétrolière caractérise la qualité d'un pétrole à l'aide de sa densité API, correspondant à sa « légèreté » : un brut de moins de 10 °API est plus dense que l'eau et correspond à un bitume, tandis qu'une huile de plus de 31,1 °API correspond à un brut léger. Les pétroles compris entre 10 et 45 °API étaient dits conventionnels, tandis qu'en dehors de cet intervalle les pétroles étaient dits non conventionnels ; cette définition est néanmoins évolutive car les technologies actuelles permettent de traiter par des procédés standards des pétroles jusqu'alors considérés comme exotiques : les condensats, situés au-delà des 45 °API, en sont une bonne illustration.
14
+
15
+ Les diverses catégories de pétrole non conventionnel constituent aujourd'hui un axe majeur du développement de l'industrie pétrolière. Une de ces catégories est le pétrole brut de synthèse issu du schiste bitumineux et des sables bitumineux. BP estime les réserves de sables bitumineux fin 2019 à 424 Mds bl (261,8 Mds bl au Venezuela et 162,4 Mds bl au Canada) ; l'intégration du pétrole de schiste a plus que doublé les réserves des États-Unis, de 29,7 Mds bl en 2009 à 68,9 Mds bl en 2019. Les réserves de sables bitumineux de l'Athabasca, dans la province de l'Alberta au Canada, dépassent de loin les réserves de brut conventionnel canadien, estimées à 7,3 Mds bl[b 1].
16
+
17
+ Si les quantités sont impressionnantes, la rentabilité économique de l'exploitation de ces gisements est sensiblement inférieure à celle des gisements de brut conventionnel du Moyen-Orient, avec des coûts d'exploitation de 10 à 14 CAD par baril[5] contre quelques USD par baril en Arabie saoudite. Mais les coûts complets de production, y compris investissements, sont beaucoup plus élevés, entre 40 et 80 Dollars canadiens par baril[6]. Les chiffres sont assez variables à ce sujet, tout en restant nettement plus élevés que ceux des productions traditionnelles. En 2011, le cours du baril à proximité de 100 USD rendait toutes ces opérations très rentables, ce qui n'est plus le cas en 2015 avec l'effondrement des cours du pétrole à 50 USD par baril, et encore moins début 2020 avec la chute de 45 % à environ $25 Dollars le baril.
18
+
19
+ Par ailleurs, l'exploitation (production et raffinage primaire) des sables bitumineux est fortement polluante (air, eau, terre) et est de ce fait fortement contestée tant au niveau de la production que des échanges.
20
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21
+ D'autres variétés de pétrole non conventionnelles sont également envisagées, telles que le charbon liquéfié, l'essence synthétique et les pétroles issus de la biomasse.
22
+
23
+ Le pétrole, tout comme le charbon, s'est formé par la décomposition de résidus d'organismes vivants qui se sont transformés en pétrole par des processus chimiques sur des millions d'années. Des scientifiques ont réussi à produire du pétrole à l'aide de certains types d'algues[7].
24
+
25
+ Le pétrole est un produit de l'histoire géologique d’une région[8], et particulièrement de la succession de trois conditions :
26
+
27
+ De grandes quantités de pétrole se sont ainsi formées il y a 20 à 350 millions d’années. Ensuite, comme un gisement de pétrole est entraîné dans la tectonique des plaques, l’histoire peut se poursuivre. Il peut être enfoui plus profondément et se pyrolyser à nouveau, donnant un gisement de gaz naturel - on parle alors de « gaz thermogénique secondaire », par opposition au « gaz thermogénique primaire » formé directement par pyrolyse du kérogène. Le gisement peut également fuir, et le pétrole migrer à nouveau, vers la surface ou un autre piège.
28
+
29
+ Il faut ainsi un concours de circonstances favorables pour que naisse un gisement de pétrole (ou de gaz), ce qui explique d’une part que seule une infime partie de la matière organique formée au cours des ères géologiques ait été transformée en énergie fossile et, d’autre part, que ces précieuses ressources soient réparties de manière très disparate dans le monde.
30
+
31
+ En règle générale, la biosphère recycle la quasi-totalité des sous-produits et débris. Cependant, une petite minorité de la matière « morte » sédimente, c’est-à-dire qu’elle s'accumule par gravité et est enfouie au sein de la matière minérale, et dès lors coupée de la biosphère. Ce phénomène concerne des environnements particuliers, tels que les endroits confinés (milieux paraliques : lagunes, deltas…), surtout en milieu tropical et lors de périodes de réchauffement climatique intense (comme le silurien, le jurassique et le crétacé), où le volume de débris organiques excède la capacité de « recyclage » de l’écosystème local. C’est durant ces périodes que ces sédiments riches en matières organiques (surtout des lipides) s’accumulent.
32
+
33
+ Au fur et à mesure que des couches de sédiments se déposent au-dessus de cette strate riche en matières organiques, la « roche-mère » ou « roche-source », croît en température et en pression. Dans ces conditions, avec certaines bactéries anaérobies, la matière organique se transforme en kérogène, un « extrait sec » disséminé dans la roche sous forme de petits grumeaux.
34
+ Si la température devient suffisante (le seuil est à au moins 50 °C, généralement plus selon la nature de la roche et du kérogène), et si le milieu est réducteur, le kérogène sera pyrolysé, extrêmement lentement[9].
35
+
36
+ Le kérogène produit du pétrole et/ou du « gaz naturel », qui sont des matières plus riches en hydrogène, selon sa composition et les conditions d’enfouissement. Si la pression devient suffisante, ces fluides s’échappent, ce qu’on appelle la migration primaire. En général, la roche source a plusieurs dizaines, voire centaines de millions d’années quand cette migration se produit. Le kérogène lui-même reste en place, appauvri en hydrogène.
37
+
38
+ Quant aux hydrocarbures expulsés, plus légers que l’eau, ils s’échappent en règle générale jusqu’à la surface de la Terre où ils sont oxydés, ou bio dégradés (ce dernier cas donne des sables bitumineux), mais une minime quantité est piégée : elle se retrouve dans une roche réservoir, zone perméable (généralement du sable, des carbonates ou des dolomites) d'où il ne peut s’échapper à cause d’une roche couverture couche imperméable (composée d’argile, de schiste et d'évaporites), la « roche piège » formant une structure-piège.
39
+
40
+ Il existe plusieurs types de pièges. Les plus grands gisements sont en général logés dans des pièges anticlinaux. On trouve aussi des pièges sur faille ou mixtes anticlinal-faille, des pièges formés par la traversée des couches par un dôme salin, ou encore créés par un récif corallien fossilisé.
41
+
42
+ La théorie du pétrole abiotique (aussi connue sous la dénomination anglaise de modern Russian-Ukrainian theory) fut essentiellement soutenue par les Soviétiques dans les années 1950 et 1960. Son principal promoteur, Nikolai Kudryavtsev, postulait la formation de pétrole dans le manteau terrestre à partir d'oxyde de fer II (FeO), de carbonate de calcium (CaCO3) et d'eau. Il indiquait également que cette réaction devait théoriquement se produire si la pression est supérieure à 30 kbar (correspondant aux conditions qui règnent naturellement à une profondeur supérieure à 100 km dans le manteau terrestre).
43
+
44
+ Rendue obsolète au fur et à mesure que la compréhension des phénomènes géologiques et thermodynamiques en jeu progressaient[10], la théorie du pétrole abiotique reste marginale au sein de la communauté scientifique. En pratique, elle n'a jamais pu être utilisée avec succès pour découvrir de nouveaux gisements.
45
+
46
+ On distingue les pétroles en fonction de leur origine et donc de leur composition chimique. Le mélange d’hydrocarbures issu de ce long processus comprend des chaînes carbonées linéaires plus ou moins longues, ainsi que des chaînes carbonées cycliques naphténiques ou aromatiques.
47
+
48
+ Il est aussi possible de distinguer les différents types de pétrole selon leur densité, leur fluidité, leur teneur en soufre et autres impuretés (vanadium, mercure et sels) et leurs proportions en différentes classes d’hydrocarbures. Le pétrole est alors paraffinique, naphténique ou aromatique.
49
+
50
+ On classe aussi les pétroles selon leur provenance (golfe Persique, mer du Nord, Venezuela, Nigeria), car le pétrole issu de gisements voisins a souvent des propriétés proches.
51
+
52
+ Il existe des centaines de bruts de par le monde ; certains servent d'étalon pour établir le prix du pétrole d’une région donnée : les plus utilisés sont l'Arabian Light (brut de référence du Moyen-Orient), le Brent (brut de référence européen) et le West Texas Intermediate (WTI, brut de référence américain). A un moindre niveau, les pétroles produits dans les provinces de l'ouest du Canada, en particulier l'Alberta ont un indice de prix moyen dit 'WCS' pour Western Canadian Select.
53
+ Organisation des pays exportateurs de pétrole ('OPEP', 'OPEC' en anglais) publie un indice de référence de prix moyen établi sur un panier de différents types de pétroles produits par ses membres, dit 'ORB' (OPEC Reference Basket).
54
+
55
+ Selon sa provenance, le brut peut contenir du gaz dissous, de l’eau salée, du soufre et des produits sulfurés (thiols, mercaptans surtout). Il a une composition trop riche pour être décrite en détail. Il faut distinguer simplement trois catégories de brut :
56
+
57
+ De plus, il existe des bruts aptes à faire du bitume, ce sont des bruts très lourds de type Boscan, Tia Juana, Bachaquero ou Safaniyah. Les deux principaux critères pour classer les centaines de bruts différents qui existent sont la densité et la teneur en soufre, depuis le plus léger et le moins sulfureux (qui a la plus haute valeur commerciale) qui est du condensat, jusqu’au plus lourd et au plus sulfureux qui contient 90 % de bitume environ : c’est un brut d’Italie.
58
+
59
+ Le pétrole est connu et utilisé depuis la plus haute Antiquité. Il forme des affleurements[11] dans les lieux où il est abondant en sous-sol ; ces affleurements ont été utilisés de nombreuses façons : calfatage des bateaux[12], ciment pour le pavage des rues, source de chauffage et d'éclairage, et même produit pharmaceutique. Sa distillation, décrite dès le Moyen Âge, donne un intérêt supplémentaire à ce produit pour les lampes à pétrole.
60
+
61
+ D'après le Dictionnaire Général des Drogues[13] de Lemery revu et corrigé par Simon Morelot en 1807, « on se sert du pétrole en médecine, dans les maladies des muscles, la paralysie, la faiblesse des nerfs, et pour les membres gelés, en friction. On s'en sert aussi pour les ulcères des chevaux ».
62
+
63
+ À partir des années 1850, le pétrole fait l'objet d'une exploitation et d'une utilisation industrielle. Il est exploité en 1857 en Roumanie, en 1859 aux États-Unis, dans l'État de Pennsylvanie, et en 1861 à Boryslav en Ukraine. À partir de 1910, il est considéré comme une matière première stratégique, à l'origine de la géopolitique du pétrole. La période 1920-1970 est marquée par une série de grandes découvertes de gisements, particulièrement au Moyen-Orient, qui fait l'objet de toutes les convoitises. Les marchés des produits pétroliers se développent également ; outre les carburants comme l'essence, le gazole et le fioul lourd, qui accompagnent l'essor des transports dans leur ensemble, l'industrie pétrolière génère une myriade de produits dérivés, au nombre desquels les matières plastiques, les textiles et le caoutchouc artificiels, les colorants, les intermédiaires de synthèse pour la chimie et la pharmacie. Ces marchés permettent de valoriser la totalité des composants du pétrole. En 1970, la production de pétrole des États-Unis atteint un maximum, qu'avait prédit le géophysicien Marion King Hubbert.
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+
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+ La période 1973-1980 marque l'histoire du monde avec les premier et deuxième chocs pétroliers. À partir de 1986, le contre-choc pétrolier voit le prix du baril s'effondrer. En 2003, le prix du baril remonte, en dépit d'une production toujours assurée et d'une relative paix mondiale, à cause de la spéculation sur les matières premières en général ; quand cette spéculation s'arrêtera brutalement en 2008, le prix du baril suivra cette évolution spectaculaire. Les années 2000 voient plusieurs nouveaux géants du secteur public dans les BRICS, comme Petrobras et Petrochina, réaliser les plus grandes introductions en Bourse de l'histoire du pétrole, avec des valorisations symboles de la confiance des investisseurs dans leur croissance.
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+ Source : BP[b 2]
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+ Les unités couramment utilisées pour quantifier le volume de pétrole sont les Mbbl ou Gbbl pour les réserves mondiales, les Mbbl/j pour la production, « bbl » signifiant « blue barrel », les préfixes « M » et « G » signifiant respectivement million et milliard (méga et giga). Un baril représente exactement 42 gallons (américains), soit 158,987 litres. Cette unité, bien qu’universellement utilisée pour le pétrole, n’est pas une unité légale, même aux États-Unis. Un tonne métrique de pétrole (1 000 kg) représente 7,3 barils, soit 306,6 gallons, soit 1 161 litres ; son contenu énergétique avoisine les 10 Gcal, soit à peu près 42 GJ, ou 11,6 MWh (thermiques), pour un pétrole de qualité "moyenne" ; cette quantité d'énergie permet de définir la tonne d'équivalent pétrole (tep, ou toe en anglais "tonne of oil equivalent").
70
+
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+ On trouve également des données en tonnes. Afin de permettre les comparaisons entre pétroles de pouvoir calorifique différent et avec les autres sources d'énergie, l'Agence internationale de l'énergie et nombre d'autres organismes (Eurostat, ministères de l'énergie de la plupart des pays) utilisent la tonne d'équivalent pétrole.
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+
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+ Pour avoir une idée des ordres de grandeur, il est possible d’examiner la capacité du plus grand réservoir connu de pétrole, Ghawar, qui est d’environ 70 Gbbl extractibles[N 1] et de la comparer à la production mondiale qui est de 81 Mbbl/j[N 2],[N 3]. On en déduit que le plus grand réservoir connu correspond à environ deux ans et demi de la consommation mondiale totale actuelle[N 4].
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+
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+ En 2019, selon BP, les réserves mondiales prouvées (réserves estimées récupérables avec une certitude raisonnable dans les conditions techniques et économiques existantes) de pétrole atteignaient 244,6 milliards de tonnes (1 733,9 milliards de barils), en baisse de 0,1 % par rapport à l'année précédente, mais en hausse de 13,2 % par rapport à 2009 et de 35,8 % par rapport à 1999. Elles représentaient 49,9 années de production au rythme de 2019[b 1].
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+
77
+ Les volumes d'hydrocarbures (pétrole et gaz naturel) découverts ont chuté de 13 % en 2017 pour atteindre 11 milliards de barils, niveau le plus bas depuis les années 1990. Les dépenses d'exploration des compagnies ont chuté de 60 % depuis leur record atteint en 2014, et la taille des découvertes est de plus en plus petite[15].
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+
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+ Les réserves pétrolières désignent le volume de pétrole récupérable, à partir de champs de pétrole découverts, sur la base des contraintes économiques et techniques actuelles. Ce volume est estimé à partir de l'évaluation de la quantité de pétrole présente dans les champs déjà connus, affectée d'un coefficient minorant dépendant de la capacité des technologies existantes à extraire ce pétrole du sous-sol. Ce coefficient dépend de chaque champ, il peut varier de 10 à 50 %, avec une moyenne mondiale de l'ordre de 35 % en 2009. L'évolution des techniques tend à accroître ce coefficient (techniques de récupération assistée du pétrole).
80
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+ Les réserves sont rangées dans différentes catégories, selon leur probabilité d'existence dans le sous-sol : réserves prouvées (probabilité de plus de 90 %), réserves probables (de 50 à 90 %) et réserves possibles (de 10 à 50 %).
82
+
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+ On distingue également différentes sortes de réserves en fonction du type de pétrole : pétrole conventionnel ou pétroles non conventionnels. Les pétroles non conventionnels sont essentiellement constitués des huiles extra-lourdes, du sable bitumineux et des schistes bitumineux. La rentabilité des gisements de pétrole non conventionnels est incertaine, car la quantité d'énergie nécessaire à leur extraction est plus importante.
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+ Jusqu'au début des années 2000, les statistiques de réserves correspondaient aux réserves prouvées de pétrole conventionnel. Mais l'intégration des réserves des sables bitumineux (Canada, Venezuela) et des schistes bitumineux (États-Unis) a fortement relevé l'estimation des réserves mondiales, qui est passée de 1 277 Mds bl (milliards de barils) en 1999 à 1 532 Mds bl en 2009, dont 303 Mds bl de sables bitumineux (133,4 Mds bl au Venezuela et 169,8 Mds bl au Canada) ; les réserves mondiales sont passées à 1 734 Mds bl en 2009 du fait d'une réévaluation de celles du Venezuela à 261,8 Mds bl, ainsi que de l'intégration du pétrole de schiste, qui a plus que doublé les réserves des États-Unis, de 29,7 Mds bl en 2009 à 68,9 Mds bl en 2019[b 1].
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+
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+ La quantité de réserves dépend d'estimations très variables dans leur qualité et leur ancienneté. Elles sont donc remises à jour chaque année, au fur et à mesure que des informations plus précises sont apportées sur les gisements déjà découverts. Toutefois, les réserves des pays de l'OPEP, qui représentent les trois quarts des réserves mondiales, ont souvent été considérées comme sujettes à caution, car d'une part elles ont été artificiellement augmentées dans les années 1980, et d'autre part, les quantités de réserves annoncées par ces pays ne varient pas depuis cette augmentation malgré l'absence de découvertes majeures[16]. Ainsi, les réserves totales de onze pays de l'OPEP en 2003 varient entre 891 milliards de barils selon l'OPEP et 491 milliards de barils selon Colin Campbell, expert à l'ASPO[17].
88
+
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+ La courbe d'évolution des réserves dépend en outre de la façon dont les mises à jour sont comptabilisées dans le temps. Si les mises à jour sont comptabilisées à la date de découverte du gisement, les réserves sont dites backdated. Selon cette méthode d'estimation, préconisée par les experts de l'ASPO, la quantité des réserves mondiales de pétrole décroît depuis l'année 1980[18].
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+
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+ Les réserves ne tiennent pas compte des régions pétrolifères non connues. En 2009, la découverte de pétrole non conventionnel dans la région de l'Orénoque au Venezuela avec une réserve de 513 milliards de barils, a permis de compenser en partie la diminution des réserves de pétrole conventionnel (voir réserves du Venezuela[19]).
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+ Cependant, la tendance est à une diminution des découvertes de gisements depuis 1965. Au cours des années 2000, les quantités de pétrole découvertes chaque année représentaient approximativement un tiers de la production mondiale[20]. Les dix premiers gisements mondiaux en termes de débit de production ont tous été découverts avant 1976[21].
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+ Pour autant, selon une étude datant de juin 2012 publiée par l'université Harvard, la production de brut devrait largement augmenter les prochaines années grâce notamment au pétrole non conventionnel[22]. L'Agence internationale de l'énergie prévoit que la production de pétrole continuera à progresser de 90 mb/j (millions de barils par jour) en 2013 à 104 mb/j en 2040[23].
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+ La production mondiale de pétrole brut est estimée par l'AIE à 4 482 Mt en 2018 contre 2 869 Mt en 1973, soit une progression de 56 % en 45 ans ; les États-Unis sont en tête des pays producteurs avec 666 Mt, soit 14,9 % du total mondial, devant l'Arabie saoudite (575 Mt, 12,8 %) et la Russie (554 Mt, 12,4 %)[k 1]. La part du pétrole dans la production mondiale d'énergie primaire était en 2017 de 32,0 % contre 27,1 % pour le charbon et 22,2 % pour le gaz naturel ; cette part a fortement décliné : elle atteignait 46,3 % en 1973[k 2].
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+ Selon l'AIE, l'Arabie saoudite avait retrouvé en 2016 le premier rang parmi les producteurs de pétrole, que les États-Unis lui avaient repris depuis 2014 grâce au boom du pétrole de schiste ; la chute des cours du brut, tombés de 110 dollars mi-2014 à 44,90 dollars en septembre 2016, a plombé l'équilibre financier de nombreux producteurs américains, qui ont sensiblement ralenti leur production ; à l'inverse, l'Arabie saoudite, dont les coûts de production sont particulièrement bas, a poussé ses pompes au maximum afin de maximiser ses revenus ; la production de brut est ainsi tombée à 8,7 millions de barils par jour (Mb/j) aux États-Unis en juin 2016, alors qu'elle atteignait 10,5 Mb/j en Arabie saoudite[25].
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+ Selon BP, la production mondiale s'élevait en 2019 à 95,19 Mbbl/j, soit 4 484,5 Mt (millions de tonnes), en baisse de 0,3 % en 2019, mais en progression de 15 % en dix ans (2009-2019) ; sur ce total, 35,57 Mbbl/j, soit 1 680 Mt (37,4 %), proviennent des pays membres de l’OPEP incluant en 2019 les pays suivants : Arabie saoudite, Iran, Irak, Émirats arabes unis, Koweït, Venezuela, Nigeria, Qatar (qui a quitté l'OPEP début 2019), Angola, Algérie, Libye, Équateur, Gabon, Guinée équatoriale, République du Congo. Le Moyen-orient représentait 31,9 % de la production mondiale de pétrole en 2019 (dont Arabie saoudite : 12,4 %), l'Amérique du Nord 25,9 % (dont États-Unis : 17,9 %) et la Russie 12,1 %[b 2].
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+ Agence internationale de l'énergie (AIE) annonce en janvier 2018 que les États-Unis vont battre en 2018 leur record de production de brut qui datait de 1970, devenant le deuxième producteur d'or noir derrière la Russie et passant devant l'Arabie saoudite, reléguée au troisième rang. La Russie restera à la première place mais les États-Unis pourraient la rattraper dès 2019 ou 2020 si la tendance se poursuit. Si l'on ajoute au pétrole brut les liquides de gaz naturel, les États-Unis étaient déjà numéro un mondial, devant l'Arabie saoudite et la Russie, depuis 2014. La production américaine devrait augmenter de 1,35 Mbbl/j (million de barils par jour) en 2018 ; avec un baril de WTI à plus de 60 dollars, la plupart des forages de pétrole de schiste américains sont redevenus rentables. La production aux États-Unis a déjà augmenté de 5 % en 2017, alors que la production saoudienne a reculé de 3 % et celle du Koweït de 6 %[26].
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+ Production de pétrole des six principaux producteurs - Source : BP[b 4]
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+ Le tableau ci-dessous classe les principaux pays producteurs par ordre décroissant de production estimée en 2019, avec :
108
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+ D'importants pays producteurs de pétrole, dont certains sont exportateurs nets, ne sont pas membres de l'OPEP : les États-Unis, la Russie, le Canada, la Chine, le Mexique, le Qatar, le Brésil, la Norvège, le Kazakhstan, la Colombie, le Royaume-Uni, le Soudan et Oman.
110
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+ La part de l'OPEP dans les réserves prouvées est de 70,1 % et dans la production de 37,4 %.
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+ Avec 32,0 % de l'énergie primaire consommée en 2017, le pétrole est la source d'énergie la plus utilisée dans le monde devant le charbon (27,1 %) et le gaz naturel (22,2 %) ; sa part a fortement reculé : elle atteignait 46,3 % en 1973[k 1].
114
+
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+ La consommation estimée des principaux pays consommateurs en 2019 dans le tableau qui suit est indiquée en exajoules par an et en millions de barils par jour :
116
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+ L’industrie pétrolière se subdivise schématiquement en « amont » (exploration, production) et en « aval » (raffinage, distribution).
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+
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+ L’exploration, c’est-à-dire la recherche de gisements, et la production sont souvent associées : les États accordent aux compagnies des concessions, pour lesquelles ces dernières assument le coût de l’exploration, en échange de quoi elles exploitent (pour une certaine durée) les gisements trouvés. Les mécanismes financiers sont variés : prêts à long terme, participation au capital, financement via des emprunts faits auprès de banques nationales, etc.
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+
121
+ L’exploration commence par la connaissance géologique de la région, puis passe par l’étude détaillée des structures géologiques (principalement par imagerie sismique, même si la magnétométrie et la gravitométrie peuvent être utilisées) et la réalisation de puits. On parle d’exploration « frontière » lorsque la région n’a pas encore de réserve mondiale prouvée, le risque est alors très élevé mais le prix d’entrée est faible, et le retour peut être important.
122
+
123
+ La production, ou plutôt l’extraction du pétrole, peut être une opération complexe : pour maximiser la production finale, il faut gérer un réservoir composé de différents liquides aux propriétés physico-chimiques très différentes (densité, fluidité, température de combustion et toxicité, entre autres). Au cours de la vie d’un gisement, on ouvre de nouveaux puits pour accéder aux poches restées inexploitées. En règle générale, on injecte de l’eau et/ou du gaz dans le gisement, via des puits distincts de ceux qui extraient le pétrole. Une mauvaise stratégie d’exploitation (mauvais emplacement des puits, injection inadaptée, production trop rapide) peut diminuer de façon irréversible la quantité de pétrole extractible. Par exemple, l'interface entre la nappe de pétrole et celle d’un liquide chargé en soufre peut être brisée par simple brassage, polluant ainsi le pétrole.
124
+
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+ Contrairement à une image répandue, un gisement de pétrole ne ressemble en rien à un lac souterrain. En effet, mélangé à de l'eau ainsi qu'à du gaz dissous, le pétrole occupe, en fait, les interstices microscopiques de la roche poreuse. Comparer un gisement à une éponge très rigide serait surement plus approprié[27].
126
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+ Au cours des dernières décennies, l’exploration et la production se font en proportion croissante en offshore : l’onshore, plus facile d’accès, a été exploité le premier. La loi de Ricardo s’applique très bien au pétrole, et, en règle générale, le retour sur investissement tend à diminuer : les gisements sont de plus en plus petits, dispersés, et difficiles à exploiter. Il y a bien sûr des exceptions, comme dans des pays où l’exploration a longtemps été paralysée pour des raisons politiques.
128
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+ Plus de 700 plates-formes pétrolières en mer du Nord devront être démantelées après la fin de l'exploitation des champs d'hydrocarbures, et plus de 7 000 puits rebouchés. Le Boston Consulting Group estime la facture totale entre 100 et 150 milliards de dollars de 2020 à 2050. Une grande part de cette facture est prise en charge par les contribuables car les États concernés (Royaume-Uni, Norvège, Pays-Bas et Danemark) accordent des déductions fiscales aux groupes pétroliers. L'État britannique prend en charge 50 % des dépenses, les Pays-Bas plus de 60 % et la Norvège près de 80 %, malgré les protestations des associations de défense de l'environnement[28].
130
+
131
+ Le raffinage consistait simplement, à l’origine, en la distillation du pétrole, pour séparer les hydrocarbures plus ou moins lourds. La distillation sous pression atmosphérique s’est vue complétée d’une distillation sous vide, qui permet d’aller plus loin dans la séparation des différents hydrocarbures lourds. Au fil du temps, nombre de procédés ont été ajoutés, dans le but de maximiser la production des coupes les plus profitables (essence et gazole, entre autres) et de diminuer celle de fioul lourd, ainsi que de rendre les carburants plus propres à l’emploi (moins de soufre, de particules et de métaux lourds). Ces procédés, qui notamment comprennent le reformage, le désasphaltage, la viscoréduction, la désulfuration, l’hydrocraquage, consomment de l'énergie.
132
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+ Ces procédés continuent à se multiplier, les raffineurs devant satisfaire des exigences de plus en plus grandes sur la qualité des produits (du fait de l’évolution de la structure du marché et des normes environnementales) alors que la qualité des pétroles bruts tend à diminuer, les pétroles plus lourds et plus riches en soufre représentant une part accrue de la production. Une autre évolution importante est la valorisation améliorée des gaz (GPL) et des solides (cokes de pétrole, asphalte) coproduits par le raffinage.
134
+
135
+ Les raffineries sont en général des infrastructures considérables, traitant des dizaines, voire des centaines de milliers de barils par jour. En France métropolitaine, il ne reste plus que huit raffineries en activité en 2014, dont quatre (représentant la moitié de la capacité) sont contrôlées par Total. Les raffineries alimentent directement les réseaux de distribution de carburants, et la pétrochimie avec des produits de base.
136
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137
+ Le transport du pétrole, tant du brut que des produits raffinés, utilise principalement les pétroliers et les oléoducs pour les grandes distances et les volumes importants. Le transport par chemin de fer, par barge en eau douce et par camion est surtout utilisé pour la distribution finale des produits. Le transport du pétrole est à lui seul un secteur économique important : ainsi, les pétroliers représentent environ 35 % du tonnage de la marine marchande mondiale[29].
138
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+ L’industrie pétrolière est un pilier de l’économie mondiale : sur les douze plus grandes compagnies de la planète en 2014, sept sont des compagnies pétrolières[30]. De plus, certaines compagnies nationales dépassent largement la taille de ces majors privées. En effet, il existe plusieurs sortes de compagnies pétrolières :
140
+
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+ Le pétrole est utilisé dans tous les secteurs énergétiques, mais c’est dans les transports que sa domination est la plus nette. Seul le transport ferroviaire est en grande partie électrifié, ainsi qu'une part des transports urbains (tramways et trolleybus) ; pour les autres moyens de transports, les alternatives sont encore marginales et coûteuses, bien que la voiture électrique et hybride rechargeable ainsi que divers types de véhicules électriques (bus, vélos, bateaux, etc) se développent. En 2017, 65,2 % des produits pétroliers étaient consommés dans le secteur des transports, couvrant 92,2 % de ses besoins en énergie[24].
142
+
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+ La situation est différente dans la production d’électricité, où la part du pétrole a constamment diminué depuis plus de 30 ans pour tomber à 3,3 % en 2017 contre 11,1 % en 1990[31]. Le charbon, le gaz naturel, le nucléaire et les énergies renouvelables s’y sont largement substitués, sauf pour des cas particuliers (pays producteurs disposant de pétrole bon marché, îles et autres lieux difficiles d’accès). De plus, le produit pétrolier utilisé dans la production d’électricité est en majorité du fioul lourd, difficile à employer dans d’autres domaines (excepté la marine) sans transformation profonde.
144
+
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+ L’agriculture ne représente qu’une fraction modeste de la consommation de pétrole, mais c’est peut-être ce secteur qui en est le plus dépendant, les engrais synthétiques et pesticides étant produits à partir du pétrole ou du gaz naturel. Parmi les engrais fréquemment utilisés, c'est-à-dire ceux basés sur l'azote, le phosphore et le potassium (N, P, K), les engrais azotés sont synthétisés à partir de gaz naturel.
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+ Plus la demande est importante, plus il y a d’investissements dans l'exploration pétrolière, permettant ainsi de développer de nouveaux champs pétrolifères. Cependant les réserves sont limitées et seront épuisées à terme. Dans les situations où l'offre dépasse la demande, comme en 2014-2015, les prix du pétrole s'effondrent et les investissements subissent des coupes draconiennes ; la production décline alors progressivement, jusqu'à ce que le marché retrouve son équilibre.
148
+
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+ La valeur d’un pétrole brut dépend de sa provenance et de ses caractéristiques physico-chimiques propres qui permettent, après traitement, de générer une plus ou moins grande quantité de produits à haute valeur marchande. Pour simplifier, on peut dire que plus le brut est léger (c’est-à-dire apte à fournir, après traitement, une grande quantité de produits à forte valeur marchande) et moins il contient de soufre, plus sa valeur est élevée. Dans une moindre mesure, la distance entre le lieu de consommation du pétrole et les régions productrices intervient également. Le pétrole brut entre ensuite dans un processus de transformation industriel, dans lequel il sera raffiné et transformé en produits tels que le plastique, le verre...
150
+
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+ Les acteurs du marché cherchant à se protéger des fluctuations de cours, le NYMEX introduit en 1978 les contrats futures sur le fioul domestique (heating oil). Le même type de contrat à terme existe pour le pétrole brut et les divers produits pétroliers : naphta, kérosène, carburants, fioul lourd, etc.
152
+
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+ Le développement de l’industrie pétrolière a fourni les carburants liquides qui ont permis la deuxième révolution industrielle et a donc considérablement changé le cours de l’Histoire. En ce sens, le pétrole est véritablement le successeur du charbon, qui avait rendu possible la première révolution industrielle. Son utilisation est également source de controverses, car elle cause des dégradations majeures à l'environnement : réchauffement climatique, pollutions.
154
+
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+ Le pétrole étant le plus gros commerce international de matières de la planète en valeur (et en volume), il a un poids important sur les équilibres commerciaux. Les grands pays producteurs disposent de recettes telles que leurs gouvernements ont souvent un excédent public à placer, qui leur donne un poids financier important. Par exemple, vers 1998, la Russie avait une dette publique très importante et semblait proche de la cessation de paiement. Depuis, la hausse du prix de pétrole et celle de sa production lui ont permis d’engranger des recettes fiscales telles que la dette a été pratiquement remboursée et que le pays avait la troisième réserve de devises au monde en 2006[32].
156
+
157
+ Les fluctuations du prix du pétrole ont un impact direct sur le budget des ménages, donc sur la consommation dans les pays développés. Elles influent aussi, en proportion variable, sur le prix d'une grande part des biens et services, car la plupart sont produits en utilisant du pétrole comme matière première ou comme source d'énergie.
158
+
159
+ La découverte de réserves de pétrole dans un pays est souvent perçue comme bénéfique pour son économie. Toutefois, l’afflux soudain de devises est parfois mal géré (voir syndrome hollandais), il peut encourager la corruption, des ingérences étrangères, des gaspillages et détourner les investissements et la main-d’œuvre des autres secteurs tels que l'agriculture. L’effet réel est donc souvent plus ambivalent, surtout pour les pays les plus pauvres, au point que l'on parle de malédiction pétrolière[33],[34],[35],[36].
160
+
161
+ Devenu indispensable à la vie quotidienne dans la plupart des pays développés, le pétrole a un impact social important. Des émeutes parfois violentes ont éclaté dans certains pays à la suite de hausses de prix. En 2006, certains syndicats français ont demandé l’instauration d’un « chèque transport » pour aider les salariés qui se déplacent beaucoup à faire face au prix des carburants, qui est constitué pour les deux tiers au moins, de taxes.
162
+
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+ Dans les pays développés, une hausse du prix du pétrole se traduit par un accroissement du budget consacré à la voiture, mais dans les pays les plus pauvres, elle signifie moins d’éclairage et moins d’aliments chauds, car le kérosène est souvent la seule source d’énergie domestique disponible.
164
+
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+ Outre que le pétrole est utilisé dans la plupart des industries mécanisées comme énergie de base, ses dérivés chimiques servent à la fabrication de toutes sortes de produits, qu’ils soient hygiéniques (shampooing), cosmétiques, alimentaires, de protection, de contenant (matière plastique), tissus, intrants agricoles, etc. Ce faisant, le pétrole est devenu indispensable et par conséquent très sensible stratégiquement.
166
+
167
+ L’impact environnemental le plus inquiétant du pétrole est l’émission de dioxyde de carbone aux différentes étapes de sa production, de son transport et surtout de sa consommation, en particulier sous la forme de combustion comme carburant.
168
+
169
+ L'Agence internationale de l'énergie évaluait les émissions mondiales de CO2 dues à la combustion du pétrole à 11 232 Mt (millions de tonnes) en 2016, contre 6 671 Mt en 1971 et 8 497 Mt en 1990 ; la progression depuis 1990 est de 32,2 %[37].
170
+
171
+ En 2017, ces émissions représentaient 34,6 % des émissions dues à l'énergie, contre 44,2 % pour le charbon et 20,5 % pour le gaz naturel[k 4].
172
+
173
+ La combustion du pétrole libère dans l’atmosphère d’autres polluants, comme le dioxyde de soufre (SO2), mais ceux-ci peuvent être maîtrisés, notamment par la désulfuration des carburants ou des suies. On estime cependant que si le pétrole est plus polluant que le gaz naturel, il le serait nettement moins que le charbon et les sables bitumineux.
174
+
175
+ L’extraction pétrolière elle-même n’est pas sans impact sur les écosystèmes locaux même si, comme dans toute industrie, les risques peuvent être réduits par des pratiques vigilantes. Néanmoins, certaines régions fragiles sont fermées à l’exploitation du pétrole, en raison des craintes pour les écosystèmes et la biodiversité. Enfin, les fuites de pétrole et de production peuvent être parfois désastreuses, l’exemple le plus spectaculaire étant celui des marées noires, ou encore celui des pollutions dues aux vols de pétrole dans le delta du Niger (cf Énergie au Nigeria). Les effets des dégazages ou même ceux plus cachés comme l’abandon des huiles usagées sont loin d'être négligeables.
176
+
177
+ Le pétrole peut être cancérogène sous certaines formes, ainsi que certains de ses dérivés.
178
+
179
+ Les conséquences géologiques de son exploitation comme les séismes induits sont très peu étudiées.
180
+
181
+ L’exploration et l'exploitation pétrolières ont exigé le progrès de nombreuses sciences et technologies pour leur développement, et particulièrement en géophysique. La gravimétrie, la sismique et la diagraphie (logging) ont été développés pour l'exploration pétrolière dès les années 1920. Depuis 2000 pour l'offshore, une nouvelle pratique, l'électrographie de fond de mer (seabed logging) s'est développée qui permet de détecter directement le pétrole[38]. La production a exigé de la sidérurgie des matériaux résistants aux gaz acides (gaz de Lacq), aux pressions et températures. L'industrie pétrolière est un terrain d'essai exigeant pour de nombreuses technologies naissantes, qui se révèleraient trop chères dans d'autres domaines : diamant synthétique pour les trépans, positionnement dynamique des navires, etc.
182
+
183
+ Depuis le tout début du XXe siècle, le pétrole est devenu une donnée essentielle de la géopolitique. La dépendance des pays développés envers cette matière première est telle que sa convoitise a déclenché, ou influé sur le cours de plusieurs guerres ; les guerres civiles sur fond de gisement pétrolier ne se comptent plus. L’approvisionnement en pétrole des belligérants a plusieurs fois influé sur le sort des armes, comme lors des deux guerres mondiales.
184
+
185
+ Le pétrole est devenu un symbole de la richesse et de la chance, supplantant en partie l’or qui avait longtemps tenu ce rôle. La culture populaire en a tiré des images stéréotypées, qu’on retrouve par exemple dans la série Dallas, ou dans l’expression « rois du pétrole ». Les compagnies pétrolières privées sont emblématiques du système économique capitaliste, ainsi les auteurs de romans ou de films en feront souvent usage pour tenir le rôle du « méchant ». À l'inverse, les compagnies pétrolières publiques de certains pays sont un emblème d'indépendance nationale et de puissance économique, on pourra en donner comme exemple la construction des tours Petronas.
186
+
187
+ La compréhension du mécanisme de formation du pétrole laisse entendre que sa quantité totale sur la planète, léguée par des millions d'années de maturation, est limitée. Bien que cette quantité totale soit inconnue, elle laisse présager que l'exploitation qui en est faite s'approchera un jour de cette limite ultime.
188
+
189
+ Ce qu'on appelle « réserve prouvée » aujourd'hui est, par convention, constitué par un gisement identifié, exploitable avec des techniques disponibles, et à un prix compatible avec le prix de vente en cours. Cette définition est restée la même depuis près d'un siècle ; l'évolution des techniques a donc fait glisser progressivement des gisements considérés inexploitables à une époque, dans la catégorie exploitable dès que les techniques ont été disponibles. Ainsi le pétrole offshore, considéré comme « non conventionnel » avant 1930, est en 2011 extrêmement répandu, et considéré comme « conventionnel » jusqu'à des profondeurs d'eau de 1 500 m. Les sables bitumineux, longtemps considérés inexploitables, sont en 2011 exploités de façon courante.
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+
191
+ BP annonce le 15 juin 2020 une révision majeure de ses prévisions après la crise du Covid-19 : « BP prévoit désormais que la pandémie pourrait avoir un impact durable sur l'économie mondiale, avec une demande en énergie potentiellement plus faible sur une période prolongée [...] la transition énergétique pourrait être accélérée ». En conséquence, BP a réduit ses prévisions de prix pour le pétrole et le gaz, prévoyant désormais un cours moyen du baril de Brent à 55 dollars entre 2021 et 2050, contre 70 dollars auparavant. BP prévoit de plus que le CO2 sera taxé à hauteur de 100 € la tonne en 2030, contre moins de 25 € en Europe actuellement. Ces évolutions des prix rendront les investissements dans le bas carbone plus attractifs ; BP va donc déprécier la valeur de ses actifs pour un montant compris entre 13 et 17,5 milliards de dollars, soit jusqu'à 20 % de la valeur totale du bilan du groupe[39].
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+
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+ Un rapport de BNP Paribas Asset Management publié en 2019 conclut que « le déclin de l’économie du pétrole pour les véhicules à essence et au diesel par rapport aux véhicules électriques alimentés par le vent et l’énergie solaire, est désormais irrémédiable et irréversible ». Les projets les plus récents d’énergie éolienne et solaire pourront fournir à un véhicule électrique 6 à 7 fois plus d’énergie utile que le pétrole à un véhicule thermique. Environ 36 % de la demande mondiale de pétrole est engendrée par les véhicules à moteur thermique et environ 5 % par la production d’électricité : le pétrole va donc perdre à terme 40 % de son marché[40].
194
+
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+ L'AIE ne prévoit pas, en 2018, une baisse de la demande de pétrole dans le futur. Elle s'inquiète plutôt de la production qui n'arriverait pas à couvrir les besoins à partir de 2025[41].
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+
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+ Une étude du Boston Consulting Group publiée le 20 juillet 2017 prévoit quatre scénarios possibles d'évolution de la demande de pétrole d'ici 2040 : le scénario de référence, prolongeant les tendances récentes avec une hausse du PIB mondial de 3,5 % par an entre 2015 et 2040 et un baril autour de 60 dollars, mène à une croissance de la demande de 0,9 % par an jusqu'en 2040 ; les trois autres scénarios débouchent sur un pic de la demande entre 2025 et 2030, le premier avec une baisse du coût des batteries de voitures électriques à 100 dollars le kilowattheure contre autour de 250 en 2016, et une amélioration des capacités de charge, portant la part de marché des voitures électriques à 90 % en 2040 dans les pays développés ; le deuxième avec une croissance mondiale limitée à 3 %, couplée à une amélioration de l'efficacité énergétique des véhicules à combustion (avec une consommation de 4,3 litres pour 100 kilomètres dans les pays de l'OCDE, contre le double actuellement) ; le troisième avec la découverte et l'exploitation de larges gisements de gaz de schiste dans d'autres régions que les États-Unis, notamment en Chine, produisant des effets de remplacement du pétrole par le gaz dans l'industrie pétrochimique[42].
198
+
199
+ L'avenir de la production pétrolière mondiale dépendra d'un niveau technologique plus élevé et d'investissements plus importants, ainsi que de la prospection de territoires pour le moment inaccessibles. Ces points convergent pour aboutir à un pétrole plus cher.
200
+
201
+ Le taux de récupération du pétrole sur un plan mondial est en 2008 de l'ordre de 35 % ; ce taux, en augmentation lente, joue considérablement sur la production ; les techniques modernes visent à améliorer ce taux.
202
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203
+ Certains territoires, comme l'Arctique, sont actuellement inaccessibles à l'exploration/production pour toutes sortes de raisons : politiques, climatiques, environnementales, zones enclavées, etc. Une augmentation éventuelle du cours du baril pourrait rendre rentable l'exploitation de ces régions.
204
+
205
+ Le pétrole offshore, popularisé en Europe par la mise en exploitation des gisements de mer du Nord dans les années 1970, a été exploité par des profondeurs d'eau croissantes depuis cette époque ; en 2008 on atteint couramment 2 000 m d'eau. Cette profondeur d'eau devra elle aussi augmenter pour permettre l'exploitation de gisements actuellement inaccessibles. Dans le même domaine, certaines conformations géologiques qui rendaient les instruments d'exploration classiques « aveugles », font l'objet de recherches fructueuses, ainsi que l'a démontré la découverte du gisement géant de Tupi[43] en 2006. Ce gisement fait partie d'un ensemble considérable, le bassin de Santos, qui a fait entrer soudainement le Brésil dans les 10 premières réserves mondiales[44].
206
+
207
+ Le pétrole profond fut lui aussi longtemps considéré inexploitable, soit pour des raisons de coût (en 2004, pour les puits d'une profondeur supérieure à 4 500 m, les 10 % ultimes du forage constituent 50 % de son coût[45]), soit en raison de problèmes techniques excédant la technologie disponible[45]. Le champ Elgin-Franklin présentait en 1995 le record des possibilités techniques, avec un gisement à 1 100 bar et 190 °C[46].
208
+
209
+ Les sables bitumineux sont un mélange naturel de bitume brut, de sable, d'argile minérale et d'eau. Le gisement le plus connu est celui de l'Alberta ; déjà exploité, il fournit en 2011 plus de 2 millions de barils par jour, permettant ainsi au Canada d'être le deuxième fournisseur de pétrole des États-Unis. Leur extraction pose de gros problèmes environnementaux[47] ; ce gisement géant équivaut à la moitié des réserves de l'Arabie saoudite. Le pétrole lourd, très visqueux, est aujourd'hui difficilement exploitable ; il constitue des réserves considérables, avec 315 milliards de barils pour le seul Venezuela.
210
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211
+ Une méthode prédictive a été proposée par le géologue M. King Hubbert pour déterminer le moment où la production d’un champ pétrolifère atteint son point culminant. En 1956, il avait ainsi annoncé le pic pétrolier des États-Unis en 1970[48]. Selon le modèle de Hubbert, la production d’une ressource non renouvelable suit une courbe qui ressemble d’abord à une croissance exponentielle, puis plafonne et diminue. Cette méthode ne tient pas compte des éléments économiques, ni du développement d'alternatives technologiques. Quelles qu'en soient les raisons, la plupart des observateurs s'accordent à penser que la consommation mondiale de pétrole déclinera avant l'année 2040.
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+ Dans un rapport publié le 23 juin[49], utilisant les données de l’agence d’intelligence économique norvégienne Rystad Energy, le groupe de réflexion The Shift Project prévoit que l’Union européenne risque de connaître une contraction du volume total de ses sources actuelles d’approvisionnement en pétrole pouvant aller jusqu’à 8 % entre 2019 et 2030, en particulier la Russie et celle de l’ensemble des pays d’ex-URSS, qui fournissent plus de 40 % du pétrole de l’UE, et l'Afrique (10 %)[50].
214
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215
+ Les découvertes de nouvelles réserves de pétrole et de gaz ont atteint, de 2016 à 2018, leur niveau le plus bas depuis la fin de la Seconde guerre mondiale et 2019 reste sur la même tendance. Les compagnies pétrolières hésitent à investir dans l'exploration, un métier coûteux et risqué dans un contexte déprimé pour les cours du brut ; le pétrole et le gaz de schiste américain, dont les réserves sont connues depuis des décennies et ne nécessitent donc pas d'exploration, offrent une grande flexibilité pour les producteurs, qui peuvent arrêter ou reporter les forages en quelques jours si les prix baissent. Les découvertes de 2019 ne représentent que 16 % des barils qui ont été consommés dans l'année, alors que ce taux frôlait les 40 % en 2015. Compte tenu du temps de développement des projets, le recul des découvertes des années 2015-2019 n'aura des conséquences sur la production qu'à partir du milieu de la décennie 2020[51].
216
+
217
+ Le rapport annuel 2019 de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) prédit une forte augmentation de la production de pétrole des États-Unis, qui passerait de 11 Mbl/j (millions de barils par jour) en 2018 à 13,8 Mbl/j en 2022, ce qui représentera plus des deux tiers de l'accroissement des volumes mondiaux. L'essentiel proviendra du Bassin permien. La Russie et l'Arabie saoudite plafonneront entre 11 et 12 Mbl/j. Comme la consommation intérieure de pétrole des États-Unis stagne, le supplément de production sera exporté : les exportations brutes américaines atteindront 9 Mbl/j en 2024, dépassant la Russie et rattrapant l'Arabie saoudite. L'AIE reconnait que le rythme de l'expansion américaine n'est pas totalement certain, car il dépendra en partie de l'évolution du prix du baril. Mais les réserves sont gigantesques : 155 milliards de barils, soit 35 années de production au rythme actuel, et elles ne cessent d'être réévaluées à la hausse[52].
218
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219
+ Le rapport annuel 2018 de l’Agence internationale de l’énergie envisage un ralentissement global après 2020 du fait des programmes de diversification des sources d'énergie lancés dans plusieurs pays, en particulier en Chine : transports en commun roulant au gaz naturel, développement des véhicules électriques. Les États-Unis, dont la production a dépassé 10 Mbbl/j, devraient encore accélérer en 2018 puis devenir le premier producteur mondial en 2023 avec 12,1 Mbbl/j, devant la Russie ; le pétrole de schiste pesait un peu moins de la moitié de la production de brut américain en 2017 et pourrait en représenter les deux tiers en 2023. Les sables bitumineux du Canada, le Brésil et la Norvège connaîtront aussi une forte croissance[53].
220
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221
+ Le rapport 2015 de l’AIE (World Energy Outlook 2015 ) prévoyait la poursuite de la croissance de la consommation de pétrole, de 91 millions de barils par jour (Mbbl/j) en 2014 à 103,5 Mbbl/j en 2040. La crise pétrolière qui a fait chuter le prix du pétrole à 50 $/baril est due à un excès de production : le boom du pétrole de schiste aux États-Unis a créé une surcapacité mondiale de 1 à 2 millions de barils par jour, qui se résorbera progressivement : le prix du baril de Brent ne remontera pas à 80 $ avant 2020, pour atteindre 128 $ en 2040[54].
222
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223
+ Le rapport annuel 2015 de l'OPEP évalue la production de pétrole à 97,4 Mbbl/j en 2020 et à 109,8 Mbbl/j en 2040, contre 92,8 Mbbl/j en 2015. L’organisation a revu ses estimations à long terme à la baisse, pour tenir compte des efforts d'économies d’énergie et de réductions d’émissions de gaz à effet de serre : elle tablait un an auparavant sur plus de 111 Mbbl/j pour 2040. Ses projections n’en restent pas moins largement supérieures à celles de l’AIE : 103,5 Mbbl/j en 2040. L'OPEP prévoit une baisse de sa part de marché de 39,2 % en 2015 à 38,3 % en 2020, puis une remontée à 45,6 % en 2040. La production de pétrole de schiste américain passerait de 4,4 Mbbl/j à 5,2 Mbbl/j en 2020, puis retomberait à 4,6 Mbbl/j en 2040. Le cours du baril remonterait à 80 $ en 2020[55].
224
+
225
+ La chute des prix du pétrole a eu un impact massif sur l'investissement des compagnies pétrolières : depuis que ces prix ont amorcé leur dégringolade mi-2014 jusqu'à fin 2015, les groupes pétroliers ont repoussé 68 grands projets de développement d'hydrocarbures, soit 380 milliards de dollars d'investissements, selon le cabinet Wood Mackenzie. Dans le pétrole, l'offshore profond a été le plus affecté, en Angola (75 milliards d'investissements décalés), au Nigeria et dans le golfe du Mexique. Le rapport cite aussi les sables bitumineux au Canada, particulièrement coûteux à développer. L'ampleur des chiffres cités est aussi liée au report de la phase 2 du méga-projet gazier de Kashagan, au Kazakhstan. Ces reports entraineront à la baisse la production future, dès le début de la prochaine décennie : Wood Mackenzie estime leur impact à 1,5 million de barils par jour (Mb/j) en 2021 et à 2,9 Mb/j en 2025[56].
226
+
227
+ L'approvisionnement en pétrole pose aux pays importateurs de nombreux problèmes, principalement géopolitique, financier (devises), environnemental (émissions de CO2). De nombreux pays (européens entre autres) ont donc engagé une politique de réduction de leur dépendance au pétrole depuis les chocs pétroliers de la décennie 1970. Le tableau ci-dessous (qui inclue les pays hors UE, dont la Turquie, l'Ukraine, la Suisse, etc) montre un certain succès de cette politique, avec une décroissance de la consommation européenne de 12 % sur la période 1990-2019 (et de 17 % par rapport au pic de 843,1 Mt atteint en 1979), malgré l'accroissement de la population et l'élévation du niveau de vie ; une part importante de ces économies ont été obtenues au début des années 1990 dans les anciens pays du bloc communiste après la chute des régimes communistes en Europe, grâce à l'élimination de nombreux gaspillages. Mais on observe une nette remontée de la consommation de 2014 à 2017 : +7 %.
228
+
229
+ Les alternatives sont :
230
+
231
+ Citons pour mémoire la fusion nucléaire et l'exploitation des hydrates de méthanes, deux sources d'énergie aux réserves bien plus vastes, mais pour lesquelles nous ne disposons pas encore de technologie fonctionnelle.
232
+
233
+ Le charbon est, comme le pétrole, un mélange d'hydrocarbures ; il lui est substituable soit de façon directe, soit sous forme transformée par une réaction de type Fischer-Tropsch. Le gaz naturel exige des installations fixes (gazoducs, méthaniers, terminaux gaziers, sites de stockage), ainsi que des contrats à très long terme qui ralentissent actuellement son expansion. Lui aussi peut se substituer au pétrole soit de façon directe, en source d'énergie, soit sous forme transformée.
234
+
235
+ Accroitre l'efficacité énergétique[57],[58],[59] consiste à produire les mêmes biens et services avec moins d'énergie, et dans notre cas, de produits pétroliers. Puisqu'elle apporte une solution aux trois problèmes évoqués ci-dessus cette méthode apparaît comme satisfaisante lorsqu'elle n'est pas contrebalancée par un effet rebond équivalent ou supérieur. Les moyens de l'efficacité énergétique ont l'avantage d'être fréquemment intuitifs et connus de tous :
236
+
237
+ Ces méthodes font lentement des progrès dans les pays développés où l'énergie est rendue artificiellement chère (taxes, subventions aux méthodes vertueuses). Entre autres, l’isolation se présente de plus en plus comme l'alternative du futur dans les pays tempérés (BedZED), mais peine à pénétrer le marché.
238
+
239
+ L'éloignement des habitants de leur lieu de travail favorise aujourd’hui le recours à la voiture et donc la consommation de pétrole.
240
+ En aidant les habitants à se rapprocher de leur lieu de travail, on contribuerait à diminuer la consommation de pétrole.
241
+
242
+ Autres références :
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+ Sur les autres projets Wikimedia :
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+ Le pétrole (en latin petroleum, du grec petra, « roche », et du latin oleum, « huile »), dit aussi naphte dans l'antiquité, est une roche liquide d'origine naturelle, une huile minérale composée d'une multitude de composés organiques, essentiellement des hydrocarbures, piégée dans des formations géologiques particulières.
2
+
3
+ L'exploitation de cette source d'énergie fossile et d'hydrocarbures est l’un des piliers de l’économie industrielle contemporaine, car le pétrole fournit la quasi-totalité des carburants liquides — fioul, gazole, kérosène, essence, GPL — tandis que le naphta produit par le raffinage est à la base de la pétrochimie, dont sont issus un très grand nombre de matériaux usuels — plastiques, textiles synthétiques, caoutchoucs synthétiques (élastomères), détergents, adhésifs, engrais, cosmétiques, etc. — et que les fractions les plus lourdes conduisent aux bitumes, paraffines et lubrifiants. Le pétrole dans son gisement est fréquemment associé à des fractions légères qui se séparent spontanément du liquide à la pression atmosphérique, ainsi que diverses impuretés comme le dioxyde de carbone, le sulfure d'hydrogène, l'eau de formation et des traces métalliques.
4
+
5
+ Avec 32,0 % de l'énergie primaire consommée en 2017, le pétrole est la source d'énergie la plus utilisée dans le monde devant le charbon (27,1 %) et le gaz naturel (22,2 %) ; sa part a fortement reculé : elle atteignait 46,3 % en 1973.
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+
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+ En 2019, selon BP, les réserves mondiales prouvées de pétrole atteignaient 244,6 Gt (milliards de tonnes), en progression de 13,2 % par rapport à 2009 et de 35,8 % par rapport à 1999. Elles représentaient 49,9 années de production au rythme de 2019, soit 4,48 Gt, dont 37,5 % produits par les pays membres de l'OPEP ; les trois principaux producteurs totalisaient 42,4 % de la production mondiale : États-Unis 17,9 %, Russie 12,1 % et Arabie saoudite 12,4 %. Les principaux importateurs de pétrole sont l'Europe, la Chine, les États-Unis, l'Inde et le Japon ; les principaux exportateurs sont l'Arabie saoudite, la Russie, l'Irak, le Canada, les Émirats arabes unis et le Koweït.
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+
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+ L'Agence internationale de l'énergie évalue les émissions mondiales de CO2 dues au pétrole à 11 232 Mt (millions de tonnes) en 2016, en progression de 32,2 % depuis 1990 ; ces émissions représentent 34,6 % des émissions dues à l'énergie en 2017, contre 44,2 % pour le charbon et 20,5 % pour le gaz naturel.
10
+
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+ Le substantif masculin[1],[2],[3],[4] pétrole est un emprunt[1],[2] au latin médiéval petroleum, proprement « huile de pierre »[2], composé de petra et oleum, respectivement « pierre » et « huile » en latin classique.
12
+
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+ Chaque gisement pétrolier recèle une qualité particulière de pétrole, déterminée par la proportion relative en molécules lourdes et légères, mais aussi par la quantité d'impuretés. L'industrie pétrolière caractérise la qualité d'un pétrole à l'aide de sa densité API, correspondant à sa « légèreté » : un brut de moins de 10 °API est plus dense que l'eau et correspond à un bitume, tandis qu'une huile de plus de 31,1 °API correspond à un brut léger. Les pétroles compris entre 10 et 45 °API étaient dits conventionnels, tandis qu'en dehors de cet intervalle les pétroles étaient dits non conventionnels ; cette définition est néanmoins évolutive car les technologies actuelles permettent de traiter par des procédés standards des pétroles jusqu'alors considérés comme exotiques : les condensats, situés au-delà des 45 °API, en sont une bonne illustration.
14
+
15
+ Les diverses catégories de pétrole non conventionnel constituent aujourd'hui un axe majeur du développement de l'industrie pétrolière. Une de ces catégories est le pétrole brut de synthèse issu du schiste bitumineux et des sables bitumineux. BP estime les réserves de sables bitumineux fin 2019 à 424 Mds bl (261,8 Mds bl au Venezuela et 162,4 Mds bl au Canada) ; l'intégration du pétrole de schiste a plus que doublé les réserves des États-Unis, de 29,7 Mds bl en 2009 à 68,9 Mds bl en 2019. Les réserves de sables bitumineux de l'Athabasca, dans la province de l'Alberta au Canada, dépassent de loin les réserves de brut conventionnel canadien, estimées à 7,3 Mds bl[b 1].
16
+
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+ Si les quantités sont impressionnantes, la rentabilité économique de l'exploitation de ces gisements est sensiblement inférieure à celle des gisements de brut conventionnel du Moyen-Orient, avec des coûts d'exploitation de 10 à 14 CAD par baril[5] contre quelques USD par baril en Arabie saoudite. Mais les coûts complets de production, y compris investissements, sont beaucoup plus élevés, entre 40 et 80 Dollars canadiens par baril[6]. Les chiffres sont assez variables à ce sujet, tout en restant nettement plus élevés que ceux des productions traditionnelles. En 2011, le cours du baril à proximité de 100 USD rendait toutes ces opérations très rentables, ce qui n'est plus le cas en 2015 avec l'effondrement des cours du pétrole à 50 USD par baril, et encore moins début 2020 avec la chute de 45 % à environ $25 Dollars le baril.
18
+
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+ Par ailleurs, l'exploitation (production et raffinage primaire) des sables bitumineux est fortement polluante (air, eau, terre) et est de ce fait fortement contestée tant au niveau de la production que des échanges.
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+ D'autres variétés de pétrole non conventionnelles sont également envisagées, telles que le charbon liquéfié, l'essence synthétique et les pétroles issus de la biomasse.
22
+
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+ Le pétrole, tout comme le charbon, s'est formé par la décomposition de résidus d'organismes vivants qui se sont transformés en pétrole par des processus chimiques sur des millions d'années. Des scientifiques ont réussi à produire du pétrole à l'aide de certains types d'algues[7].
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+
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+ Le pétrole est un produit de l'histoire géologique d’une région[8], et particulièrement de la succession de trois conditions :
26
+
27
+ De grandes quantités de pétrole se sont ainsi formées il y a 20 à 350 millions d’années. Ensuite, comme un gisement de pétrole est entraîné dans la tectonique des plaques, l’histoire peut se poursuivre. Il peut être enfoui plus profondément et se pyrolyser à nouveau, donnant un gisement de gaz naturel - on parle alors de « gaz thermogénique secondaire », par opposition au « gaz thermogénique primaire » formé directement par pyrolyse du kérogène. Le gisement peut également fuir, et le pétrole migrer à nouveau, vers la surface ou un autre piège.
28
+
29
+ Il faut ainsi un concours de circonstances favorables pour que naisse un gisement de pétrole (ou de gaz), ce qui explique d’une part que seule une infime partie de la matière organique formée au cours des ères géologiques ait été transformée en énergie fossile et, d’autre part, que ces précieuses ressources soient réparties de manière très disparate dans le monde.
30
+
31
+ En règle générale, la biosphère recycle la quasi-totalité des sous-produits et débris. Cependant, une petite minorité de la matière « morte » sédimente, c’est-à-dire qu’elle s'accumule par gravité et est enfouie au sein de la matière minérale, et dès lors coupée de la biosphère. Ce phénomène concerne des environnements particuliers, tels que les endroits confinés (milieux paraliques : lagunes, deltas…), surtout en milieu tropical et lors de périodes de réchauffement climatique intense (comme le silurien, le jurassique et le crétacé), où le volume de débris organiques excède la capacité de « recyclage » de l’écosystème local. C’est durant ces périodes que ces sédiments riches en matières organiques (surtout des lipides) s’accumulent.
32
+
33
+ Au fur et à mesure que des couches de sédiments se déposent au-dessus de cette strate riche en matières organiques, la « roche-mère » ou « roche-source », croît en température et en pression. Dans ces conditions, avec certaines bactéries anaérobies, la matière organique se transforme en kérogène, un « extrait sec » disséminé dans la roche sous forme de petits grumeaux.
34
+ Si la température devient suffisante (le seuil est à au moins 50 °C, généralement plus selon la nature de la roche et du kérogène), et si le milieu est réducteur, le kérogène sera pyrolysé, extrêmement lentement[9].
35
+
36
+ Le kérogène produit du pétrole et/ou du « gaz naturel », qui sont des matières plus riches en hydrogène, selon sa composition et les conditions d’enfouissement. Si la pression devient suffisante, ces fluides s’échappent, ce qu’on appelle la migration primaire. En général, la roche source a plusieurs dizaines, voire centaines de millions d’années quand cette migration se produit. Le kérogène lui-même reste en place, appauvri en hydrogène.
37
+
38
+ Quant aux hydrocarbures expulsés, plus légers que l’eau, ils s’échappent en règle générale jusqu’à la surface de la Terre où ils sont oxydés, ou bio dégradés (ce dernier cas donne des sables bitumineux), mais une minime quantité est piégée : elle se retrouve dans une roche réservoir, zone perméable (généralement du sable, des carbonates ou des dolomites) d'où il ne peut s’échapper à cause d’une roche couverture couche imperméable (composée d’argile, de schiste et d'évaporites), la « roche piège » formant une structure-piège.
39
+
40
+ Il existe plusieurs types de pièges. Les plus grands gisements sont en général logés dans des pièges anticlinaux. On trouve aussi des pièges sur faille ou mixtes anticlinal-faille, des pièges formés par la traversée des couches par un dôme salin, ou encore créés par un récif corallien fossilisé.
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+
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+ La théorie du pétrole abiotique (aussi connue sous la dénomination anglaise de modern Russian-Ukrainian theory) fut essentiellement soutenue par les Soviétiques dans les années 1950 et 1960. Son principal promoteur, Nikolai Kudryavtsev, postulait la formation de pétrole dans le manteau terrestre à partir d'oxyde de fer II (FeO), de carbonate de calcium (CaCO3) et d'eau. Il indiquait également que cette réaction devait théoriquement se produire si la pression est supérieure à 30 kbar (correspondant aux conditions qui règnent naturellement à une profondeur supérieure à 100 km dans le manteau terrestre).
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+
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+ Rendue obsolète au fur et à mesure que la compréhension des phénomènes géologiques et thermodynamiques en jeu progressaient[10], la théorie du pétrole abiotique reste marginale au sein de la communauté scientifique. En pratique, elle n'a jamais pu être utilisée avec succès pour découvrir de nouveaux gisements.
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+
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+ On distingue les pétroles en fonction de leur origine et donc de leur composition chimique. Le mélange d’hydrocarbures issu de ce long processus comprend des chaînes carbonées linéaires plus ou moins longues, ainsi que des chaînes carbonées cycliques naphténiques ou aromatiques.
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+
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+ Il est aussi possible de distinguer les différents types de pétrole selon leur densité, leur fluidité, leur teneur en soufre et autres impuretés (vanadium, mercure et sels) et leurs proportions en différentes classes d’hydrocarbures. Le pétrole est alors paraffinique, naphténique ou aromatique.
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+
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+ On classe aussi les pétroles selon leur provenance (golfe Persique, mer du Nord, Venezuela, Nigeria), car le pétrole issu de gisements voisins a souvent des propriétés proches.
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+
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+ Il existe des centaines de bruts de par le monde ; certains servent d'étalon pour établir le prix du pétrole d’une région donnée : les plus utilisés sont l'Arabian Light (brut de référence du Moyen-Orient), le Brent (brut de référence européen) et le West Texas Intermediate (WTI, brut de référence américain). A un moindre niveau, les pétroles produits dans les provinces de l'ouest du Canada, en particulier l'Alberta ont un indice de prix moyen dit 'WCS' pour Western Canadian Select.
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+ Organisation des pays exportateurs de pétrole ('OPEP', 'OPEC' en anglais) publie un indice de référence de prix moyen établi sur un panier de différents types de pétroles produits par ses membres, dit 'ORB' (OPEC Reference Basket).
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+
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+ Selon sa provenance, le brut peut contenir du gaz dissous, de l’eau salée, du soufre et des produits sulfurés (thiols, mercaptans surtout). Il a une composition trop riche pour être décrite en détail. Il faut distinguer simplement trois catégories de brut :
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+
57
+ De plus, il existe des bruts aptes à faire du bitume, ce sont des bruts très lourds de type Boscan, Tia Juana, Bachaquero ou Safaniyah. Les deux principaux critères pour classer les centaines de bruts différents qui existent sont la densité et la teneur en soufre, depuis le plus léger et le moins sulfureux (qui a la plus haute valeur commerciale) qui est du condensat, jusqu’au plus lourd et au plus sulfureux qui contient 90 % de bitume environ : c’est un brut d’Italie.
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+
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+ Le pétrole est connu et utilisé depuis la plus haute Antiquité. Il forme des affleurements[11] dans les lieux où il est abondant en sous-sol ; ces affleurements ont été utilisés de nombreuses façons : calfatage des bateaux[12], ciment pour le pavage des rues, source de chauffage et d'éclairage, et même produit pharmaceutique. Sa distillation, décrite dès le Moyen Âge, donne un intérêt supplémentaire à ce produit pour les lampes à pétrole.
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+
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+ D'après le Dictionnaire Général des Drogues[13] de Lemery revu et corrigé par Simon Morelot en 1807, « on se sert du pétrole en médecine, dans les maladies des muscles, la paralysie, la faiblesse des nerfs, et pour les membres gelés, en friction. On s'en sert aussi pour les ulcères des chevaux ».
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+
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+ À partir des années 1850, le pétrole fait l'objet d'une exploitation et d'une utilisation industrielle. Il est exploité en 1857 en Roumanie, en 1859 aux États-Unis, dans l'État de Pennsylvanie, et en 1861 à Boryslav en Ukraine. À partir de 1910, il est considéré comme une matière première stratégique, à l'origine de la géopolitique du pétrole. La période 1920-1970 est marquée par une série de grandes découvertes de gisements, particulièrement au Moyen-Orient, qui fait l'objet de toutes les convoitises. Les marchés des produits pétroliers se développent également ; outre les carburants comme l'essence, le gazole et le fioul lourd, qui accompagnent l'essor des transports dans leur ensemble, l'industrie pétrolière génère une myriade de produits dérivés, au nombre desquels les matières plastiques, les textiles et le caoutchouc artificiels, les colorants, les intermédiaires de synthèse pour la chimie et la pharmacie. Ces marchés permettent de valoriser la totalité des composants du pétrole. En 1970, la production de pétrole des États-Unis atteint un maximum, qu'avait prédit le géophysicien Marion King Hubbert.
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+
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+ La période 1973-1980 marque l'histoire du monde avec les premier et deuxième chocs pétroliers. À partir de 1986, le contre-choc pétrolier voit le prix du baril s'effondrer. En 2003, le prix du baril remonte, en dépit d'une production toujours assurée et d'une relative paix mondiale, à cause de la spéculation sur les matières premières en général ; quand cette spéculation s'arrêtera brutalement en 2008, le prix du baril suivra cette évolution spectaculaire. Les années 2000 voient plusieurs nouveaux géants du secteur public dans les BRICS, comme Petrobras et Petrochina, réaliser les plus grandes introductions en Bourse de l'histoire du pétrole, avec des valorisations symboles de la confiance des investisseurs dans leur croissance.
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+
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+ Source : BP[b 2]
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+
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+ Les unités couramment utilisées pour quantifier le volume de pétrole sont les Mbbl ou Gbbl pour les réserves mondiales, les Mbbl/j pour la production, « bbl » signifiant « blue barrel », les préfixes « M » et « G » signifiant respectivement million et milliard (méga et giga). Un baril représente exactement 42 gallons (américains), soit 158,987 litres. Cette unité, bien qu’universellement utilisée pour le pétrole, n’est pas une unité légale, même aux États-Unis. Un tonne métrique de pétrole (1 000 kg) représente 7,3 barils, soit 306,6 gallons, soit 1 161 litres ; son contenu énergétique avoisine les 10 Gcal, soit à peu près 42 GJ, ou 11,6 MWh (thermiques), pour un pétrole de qualité "moyenne" ; cette quantité d'énergie permet de définir la tonne d'équivalent pétrole (tep, ou toe en anglais "tonne of oil equivalent").
70
+
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+ On trouve également des données en tonnes. Afin de permettre les comparaisons entre pétroles de pouvoir calorifique différent et avec les autres sources d'énergie, l'Agence internationale de l'énergie et nombre d'autres organismes (Eurostat, ministères de l'énergie de la plupart des pays) utilisent la tonne d'équivalent pétrole.
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+
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+ Pour avoir une idée des ordres de grandeur, il est possible d’examiner la capacité du plus grand réservoir connu de pétrole, Ghawar, qui est d’environ 70 Gbbl extractibles[N 1] et de la comparer à la production mondiale qui est de 81 Mbbl/j[N 2],[N 3]. On en déduit que le plus grand réservoir connu correspond à environ deux ans et demi de la consommation mondiale totale actuelle[N 4].
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+
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+ En 2019, selon BP, les réserves mondiales prouvées (réserves estimées récupérables avec une certitude raisonnable dans les conditions techniques et économiques existantes) de pétrole atteignaient 244,6 milliards de tonnes (1 733,9 milliards de barils), en baisse de 0,1 % par rapport à l'année précédente, mais en hausse de 13,2 % par rapport à 2009 et de 35,8 % par rapport à 1999. Elles représentaient 49,9 années de production au rythme de 2019[b 1].
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+
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+ Les volumes d'hydrocarbures (pétrole et gaz naturel) découverts ont chuté de 13 % en 2017 pour atteindre 11 milliards de barils, niveau le plus bas depuis les années 1990. Les dépenses d'exploration des compagnies ont chuté de 60 % depuis leur record atteint en 2014, et la taille des découvertes est de plus en plus petite[15].
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+
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+ Les réserves pétrolières désignent le volume de pétrole récupérable, à partir de champs de pétrole découverts, sur la base des contraintes économiques et techniques actuelles. Ce volume est estimé à partir de l'évaluation de la quantité de pétrole présente dans les champs déjà connus, affectée d'un coefficient minorant dépendant de la capacité des technologies existantes à extraire ce pétrole du sous-sol. Ce coefficient dépend de chaque champ, il peut varier de 10 à 50 %, avec une moyenne mondiale de l'ordre de 35 % en 2009. L'évolution des techniques tend à accroître ce coefficient (techniques de récupération assistée du pétrole).
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+
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+ Les réserves sont rangées dans différentes catégories, selon leur probabilité d'existence dans le sous-sol : réserves prouvées (probabilité de plus de 90 %), réserves probables (de 50 à 90 %) et réserves possibles (de 10 à 50 %).
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+
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+ On distingue également différentes sortes de réserves en fonction du type de pétrole : pétrole conventionnel ou pétroles non conventionnels. Les pétroles non conventionnels sont essentiellement constitués des huiles extra-lourdes, du sable bitumineux et des schistes bitumineux. La rentabilité des gisements de pétrole non conventionnels est incertaine, car la quantité d'énergie nécessaire à leur extraction est plus importante.
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+
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+ Jusqu'au début des années 2000, les statistiques de réserves correspondaient aux réserves prouvées de pétrole conventionnel. Mais l'intégration des réserves des sables bitumineux (Canada, Venezuela) et des schistes bitumineux (États-Unis) a fortement relevé l'estimation des réserves mondiales, qui est passée de 1 277 Mds bl (milliards de barils) en 1999 à 1 532 Mds bl en 2009, dont 303 Mds bl de sables bitumineux (133,4 Mds bl au Venezuela et 169,8 Mds bl au Canada) ; les réserves mondiales sont passées à 1 734 Mds bl en 2009 du fait d'une réévaluation de celles du Venezuela à 261,8 Mds bl, ainsi que de l'intégration du pétrole de schiste, qui a plus que doublé les réserves des États-Unis, de 29,7 Mds bl en 2009 à 68,9 Mds bl en 2019[b 1].
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+
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+ La quantité de réserves dépend d'estimations très variables dans leur qualité et leur ancienneté. Elles sont donc remises à jour chaque année, au fur et à mesure que des informations plus précises sont apportées sur les gisements déjà découverts. Toutefois, les réserves des pays de l'OPEP, qui représentent les trois quarts des réserves mondiales, ont souvent été considérées comme sujettes à caution, car d'une part elles ont été artificiellement augmentées dans les années 1980, et d'autre part, les quantités de réserves annoncées par ces pays ne varient pas depuis cette augmentation malgré l'absence de découvertes majeures[16]. Ainsi, les réserves totales de onze pays de l'OPEP en 2003 varient entre 891 milliards de barils selon l'OPEP et 491 milliards de barils selon Colin Campbell, expert à l'ASPO[17].
88
+
89
+ La courbe d'évolution des réserves dépend en outre de la façon dont les mises à jour sont comptabilisées dans le temps. Si les mises à jour sont comptabilisées à la date de découverte du gisement, les réserves sont dites backdated. Selon cette méthode d'estimation, préconisée par les experts de l'ASPO, la quantité des réserves mondiales de pétrole décroît depuis l'année 1980[18].
90
+
91
+ Les réserves ne tiennent pas compte des régions pétrolifères non connues. En 2009, la découverte de pétrole non conventionnel dans la région de l'Orénoque au Venezuela avec une réserve de 513 milliards de barils, a permis de compenser en partie la diminution des réserves de pétrole conventionnel (voir réserves du Venezuela[19]).
92
+
93
+ Cependant, la tendance est à une diminution des découvertes de gisements depuis 1965. Au cours des années 2000, les quantités de pétrole découvertes chaque année représentaient approximativement un tiers de la production mondiale[20]. Les dix premiers gisements mondiaux en termes de débit de production ont tous été découverts avant 1976[21].
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+
95
+ Pour autant, selon une étude datant de juin 2012 publiée par l'université Harvard, la production de brut devrait largement augmenter les prochaines années grâce notamment au pétrole non conventionnel[22]. L'Agence internationale de l'énergie prévoit que la production de pétrole continuera à progresser de 90 mb/j (millions de barils par jour) en 2013 à 104 mb/j en 2040[23].
96
+
97
+ La production mondiale de pétrole brut est estimée par l'AIE à 4 482 Mt en 2018 contre 2 869 Mt en 1973, soit une progression de 56 % en 45 ans ; les États-Unis sont en tête des pays producteurs avec 666 Mt, soit 14,9 % du total mondial, devant l'Arabie saoudite (575 Mt, 12,8 %) et la Russie (554 Mt, 12,4 %)[k 1]. La part du pétrole dans la production mondiale d'énergie primaire était en 2017 de 32,0 % contre 27,1 % pour le charbon et 22,2 % pour le gaz naturel ; cette part a fortement décliné : elle atteignait 46,3 % en 1973[k 2].
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+
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+ Selon l'AIE, l'Arabie saoudite avait retrouvé en 2016 le premier rang parmi les producteurs de pétrole, que les États-Unis lui avaient repris depuis 2014 grâce au boom du pétrole de schiste ; la chute des cours du brut, tombés de 110 dollars mi-2014 à 44,90 dollars en septembre 2016, a plombé l'équilibre financier de nombreux producteurs américains, qui ont sensiblement ralenti leur production ; à l'inverse, l'Arabie saoudite, dont les coûts de production sont particulièrement bas, a poussé ses pompes au maximum afin de maximiser ses revenus ; la production de brut est ainsi tombée à 8,7 millions de barils par jour (Mb/j) aux États-Unis en juin 2016, alors qu'elle atteignait 10,5 Mb/j en Arabie saoudite[25].
100
+
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+ Selon BP, la production mondiale s'élevait en 2019 à 95,19 Mbbl/j, soit 4 484,5 Mt (millions de tonnes), en baisse de 0,3 % en 2019, mais en progression de 15 % en dix ans (2009-2019) ; sur ce total, 35,57 Mbbl/j, soit 1 680 Mt (37,4 %), proviennent des pays membres de l’OPEP incluant en 2019 les pays suivants : Arabie saoudite, Iran, Irak, Émirats arabes unis, Koweït, Venezuela, Nigeria, Qatar (qui a quitté l'OPEP début 2019), Angola, Algérie, Libye, Équateur, Gabon, Guinée équatoriale, République du Congo. Le Moyen-orient représentait 31,9 % de la production mondiale de pétrole en 2019 (dont Arabie saoudite : 12,4 %), l'Amérique du Nord 25,9 % (dont États-Unis : 17,9 %) et la Russie 12,1 %[b 2].
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+
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+ Agence internationale de l'énergie (AIE) annonce en janvier 2018 que les États-Unis vont battre en 2018 leur record de production de brut qui datait de 1970, devenant le deuxième producteur d'or noir derrière la Russie et passant devant l'Arabie saoudite, reléguée au troisième rang. La Russie restera à la première place mais les États-Unis pourraient la rattraper dès 2019 ou 2020 si la tendance se poursuit. Si l'on ajoute au pétrole brut les liquides de gaz naturel, les États-Unis étaient déjà numéro un mondial, devant l'Arabie saoudite et la Russie, depuis 2014. La production américaine devrait augmenter de 1,35 Mbbl/j (million de barils par jour) en 2018 ; avec un baril de WTI à plus de 60 dollars, la plupart des forages de pétrole de schiste américains sont redevenus rentables. La production aux États-Unis a déjà augmenté de 5 % en 2017, alors que la production saoudienne a reculé de 3 % et celle du Koweït de 6 %[26].
104
+
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+ Production de pétrole des six principaux producteurs - Source : BP[b 4]
106
+
107
+ Le tableau ci-dessous classe les principaux pays producteurs par ordre décroissant de production estimée en 2019, avec :
108
+
109
+ D'importants pays producteurs de pétrole, dont certains sont exportateurs nets, ne sont pas membres de l'OPEP : les États-Unis, la Russie, le Canada, la Chine, le Mexique, le Qatar, le Brésil, la Norvège, le Kazakhstan, la Colombie, le Royaume-Uni, le Soudan et Oman.
110
+
111
+ La part de l'OPEP dans les réserves prouvées est de 70,1 % et dans la production de 37,4 %.
112
+
113
+ Avec 32,0 % de l'énergie primaire consommée en 2017, le pétrole est la source d'énergie la plus utilisée dans le monde devant le charbon (27,1 %) et le gaz naturel (22,2 %) ; sa part a fortement reculé : elle atteignait 46,3 % en 1973[k 1].
114
+
115
+ La consommation estimée des principaux pays consommateurs en 2019 dans le tableau qui suit est indiquée en exajoules par an et en millions de barils par jour :
116
+
117
+ L’industrie pétrolière se subdivise schématiquement en « amont » (exploration, production) et en « aval » (raffinage, distribution).
118
+
119
+ L’exploration, c’est-à-dire la recherche de gisements, et la production sont souvent associées : les États accordent aux compagnies des concessions, pour lesquelles ces dernières assument le coût de l’exploration, en échange de quoi elles exploitent (pour une certaine durée) les gisements trouvés. Les mécanismes financiers sont variés : prêts à long terme, participation au capital, financement via des emprunts faits auprès de banques nationales, etc.
120
+
121
+ L’exploration commence par la connaissance géologique de la région, puis passe par l’étude détaillée des structures géologiques (principalement par imagerie sismique, même si la magnétométrie et la gravitométrie peuvent être utilisées) et la réalisation de puits. On parle d’exploration « frontière » lorsque la région n’a pas encore de réserve mondiale prouvée, le risque est alors très élevé mais le prix d’entrée est faible, et le retour peut être important.
122
+
123
+ La production, ou plutôt l’extraction du pétrole, peut être une opération complexe : pour maximiser la production finale, il faut gérer un réservoir composé de différents liquides aux propriétés physico-chimiques très différentes (densité, fluidité, température de combustion et toxicité, entre autres). Au cours de la vie d’un gisement, on ouvre de nouveaux puits pour accéder aux poches restées inexploitées. En règle générale, on injecte de l’eau et/ou du gaz dans le gisement, via des puits distincts de ceux qui extraient le pétrole. Une mauvaise stratégie d’exploitation (mauvais emplacement des puits, injection inadaptée, production trop rapide) peut diminuer de façon irréversible la quantité de pétrole extractible. Par exemple, l'interface entre la nappe de pétrole et celle d’un liquide chargé en soufre peut être brisée par simple brassage, polluant ainsi le pétrole.
124
+
125
+ Contrairement à une image répandue, un gisement de pétrole ne ressemble en rien à un lac souterrain. En effet, mélangé à de l'eau ainsi qu'à du gaz dissous, le pétrole occupe, en fait, les interstices microscopiques de la roche poreuse. Comparer un gisement à une éponge très rigide serait surement plus approprié[27].
126
+
127
+ Au cours des dernières décennies, l’exploration et la production se font en proportion croissante en offshore : l’onshore, plus facile d’accès, a été exploité le premier. La loi de Ricardo s’applique très bien au pétrole, et, en règle générale, le retour sur investissement tend à diminuer : les gisements sont de plus en plus petits, dispersés, et difficiles à exploiter. Il y a bien sûr des exceptions, comme dans des pays où l’exploration a longtemps été paralysée pour des raisons politiques.
128
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+ Plus de 700 plates-formes pétrolières en mer du Nord devront être démantelées après la fin de l'exploitation des champs d'hydrocarbures, et plus de 7 000 puits rebouchés. Le Boston Consulting Group estime la facture totale entre 100 et 150 milliards de dollars de 2020 à 2050. Une grande part de cette facture est prise en charge par les contribuables car les États concernés (Royaume-Uni, Norvège, Pays-Bas et Danemark) accordent des déductions fiscales aux groupes pétroliers. L'État britannique prend en charge 50 % des dépenses, les Pays-Bas plus de 60 % et la Norvège près de 80 %, malgré les protestations des associations de défense de l'environnement[28].
130
+
131
+ Le raffinage consistait simplement, à l’origine, en la distillation du pétrole, pour séparer les hydrocarbures plus ou moins lourds. La distillation sous pression atmosphérique s’est vue complétée d’une distillation sous vide, qui permet d’aller plus loin dans la séparation des différents hydrocarbures lourds. Au fil du temps, nombre de procédés ont été ajoutés, dans le but de maximiser la production des coupes les plus profitables (essence et gazole, entre autres) et de diminuer celle de fioul lourd, ainsi que de rendre les carburants plus propres à l’emploi (moins de soufre, de particules et de métaux lourds). Ces procédés, qui notamment comprennent le reformage, le désasphaltage, la viscoréduction, la désulfuration, l’hydrocraquage, consomment de l'énergie.
132
+
133
+ Ces procédés continuent à se multiplier, les raffineurs devant satisfaire des exigences de plus en plus grandes sur la qualité des produits (du fait de l’évolution de la structure du marché et des normes environnementales) alors que la qualité des pétroles bruts tend à diminuer, les pétroles plus lourds et plus riches en soufre représentant une part accrue de la production. Une autre évolution importante est la valorisation améliorée des gaz (GPL) et des solides (cokes de pétrole, asphalte) coproduits par le raffinage.
134
+
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+ Les raffineries sont en général des infrastructures considérables, traitant des dizaines, voire des centaines de milliers de barils par jour. En France métropolitaine, il ne reste plus que huit raffineries en activité en 2014, dont quatre (représentant la moitié de la capacité) sont contrôlées par Total. Les raffineries alimentent directement les réseaux de distribution de carburants, et la pétrochimie avec des produits de base.
136
+
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+ Le transport du pétrole, tant du brut que des produits raffinés, utilise principalement les pétroliers et les oléoducs pour les grandes distances et les volumes importants. Le transport par chemin de fer, par barge en eau douce et par camion est surtout utilisé pour la distribution finale des produits. Le transport du pétrole est à lui seul un secteur économique important : ainsi, les pétroliers représentent environ 35 % du tonnage de la marine marchande mondiale[29].
138
+
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+ L’industrie pétrolière est un pilier de l’économie mondiale : sur les douze plus grandes compagnies de la planète en 2014, sept sont des compagnies pétrolières[30]. De plus, certaines compagnies nationales dépassent largement la taille de ces majors privées. En effet, il existe plusieurs sortes de compagnies pétrolières :
140
+
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+ Le pétrole est utilisé dans tous les secteurs énergétiques, mais c’est dans les transports que sa domination est la plus nette. Seul le transport ferroviaire est en grande partie électrifié, ainsi qu'une part des transports urbains (tramways et trolleybus) ; pour les autres moyens de transports, les alternatives sont encore marginales et coûteuses, bien que la voiture électrique et hybride rechargeable ainsi que divers types de véhicules électriques (bus, vélos, bateaux, etc) se développent. En 2017, 65,2 % des produits pétroliers étaient consommés dans le secteur des transports, couvrant 92,2 % de ses besoins en énergie[24].
142
+
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+ La situation est différente dans la production d’électricité, où la part du pétrole a constamment diminué depuis plus de 30 ans pour tomber à 3,3 % en 2017 contre 11,1 % en 1990[31]. Le charbon, le gaz naturel, le nucléaire et les énergies renouvelables s’y sont largement substitués, sauf pour des cas particuliers (pays producteurs disposant de pétrole bon marché, îles et autres lieux difficiles d’accès). De plus, le produit pétrolier utilisé dans la production d’électricité est en majorité du fioul lourd, difficile à employer dans d’autres domaines (excepté la marine) sans transformation profonde.
144
+
145
+ L’agriculture ne représente qu’une fraction modeste de la consommation de pétrole, mais c’est peut-être ce secteur qui en est le plus dépendant, les engrais synthétiques et pesticides étant produits à partir du pétrole ou du gaz naturel. Parmi les engrais fréquemment utilisés, c'est-à-dire ceux basés sur l'azote, le phosphore et le potassium (N, P, K), les engrais azotés sont synthétisés à partir de gaz naturel.
146
+
147
+ Plus la demande est importante, plus il y a d’investissements dans l'exploration pétrolière, permettant ainsi de développer de nouveaux champs pétrolifères. Cependant les réserves sont limitées et seront épuisées à terme. Dans les situations où l'offre dépasse la demande, comme en 2014-2015, les prix du pétrole s'effondrent et les investissements subissent des coupes draconiennes ; la production décline alors progressivement, jusqu'à ce que le marché retrouve son équilibre.
148
+
149
+ La valeur d’un pétrole brut dépend de sa provenance et de ses caractéristiques physico-chimiques propres qui permettent, après traitement, de générer une plus ou moins grande quantité de produits à haute valeur marchande. Pour simplifier, on peut dire que plus le brut est léger (c’est-à-dire apte à fournir, après traitement, une grande quantité de produits à forte valeur marchande) et moins il contient de soufre, plus sa valeur est élevée. Dans une moindre mesure, la distance entre le lieu de consommation du pétrole et les régions productrices intervient également. Le pétrole brut entre ensuite dans un processus de transformation industriel, dans lequel il sera raffiné et transformé en produits tels que le plastique, le verre...
150
+
151
+ Les acteurs du marché cherchant à se protéger des fluctuations de cours, le NYMEX introduit en 1978 les contrats futures sur le fioul domestique (heating oil). Le même type de contrat à terme existe pour le pétrole brut et les divers produits pétroliers : naphta, kérosène, carburants, fioul lourd, etc.
152
+
153
+ Le développement de l’industrie pétrolière a fourni les carburants liquides qui ont permis la deuxième révolution industrielle et a donc considérablement changé le cours de l’Histoire. En ce sens, le pétrole est véritablement le successeur du charbon, qui avait rendu possible la première révolution industrielle. Son utilisation est également source de controverses, car elle cause des dégradations majeures à l'environnement : réchauffement climatique, pollutions.
154
+
155
+ Le pétrole étant le plus gros commerce international de matières de la planète en valeur (et en volume), il a un poids important sur les équilibres commerciaux. Les grands pays producteurs disposent de recettes telles que leurs gouvernements ont souvent un excédent public à placer, qui leur donne un poids financier important. Par exemple, vers 1998, la Russie avait une dette publique très importante et semblait proche de la cessation de paiement. Depuis, la hausse du prix de pétrole et celle de sa production lui ont permis d’engranger des recettes fiscales telles que la dette a été pratiquement remboursée et que le pays avait la troisième réserve de devises au monde en 2006[32].
156
+
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+ Les fluctuations du prix du pétrole ont un impact direct sur le budget des ménages, donc sur la consommation dans les pays développés. Elles influent aussi, en proportion variable, sur le prix d'une grande part des biens et services, car la plupart sont produits en utilisant du pétrole comme matière première ou comme source d'énergie.
158
+
159
+ La découverte de réserves de pétrole dans un pays est souvent perçue comme bénéfique pour son économie. Toutefois, l’afflux soudain de devises est parfois mal géré (voir syndrome hollandais), il peut encourager la corruption, des ingérences étrangères, des gaspillages et détourner les investissements et la main-d’œuvre des autres secteurs tels que l'agriculture. L’effet réel est donc souvent plus ambivalent, surtout pour les pays les plus pauvres, au point que l'on parle de malédiction pétrolière[33],[34],[35],[36].
160
+
161
+ Devenu indispensable à la vie quotidienne dans la plupart des pays développés, le pétrole a un impact social important. Des émeutes parfois violentes ont éclaté dans certains pays à la suite de hausses de prix. En 2006, certains syndicats français ont demandé l’instauration d’un « chèque transport » pour aider les salariés qui se déplacent beaucoup à faire face au prix des carburants, qui est constitué pour les deux tiers au moins, de taxes.
162
+
163
+ Dans les pays développés, une hausse du prix du pétrole se traduit par un accroissement du budget consacré à la voiture, mais dans les pays les plus pauvres, elle signifie moins d’éclairage et moins d’aliments chauds, car le kérosène est souvent la seule source d’énergie domestique disponible.
164
+
165
+ Outre que le pétrole est utilisé dans la plupart des industries mécanisées comme énergie de base, ses dérivés chimiques servent à la fabrication de toutes sortes de produits, qu’ils soient hygiéniques (shampooing), cosmétiques, alimentaires, de protection, de contenant (matière plastique), tissus, intrants agricoles, etc. Ce faisant, le pétrole est devenu indispensable et par conséquent très sensible stratégiquement.
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167
+ L’impact environnemental le plus inquiétant du pétrole est l’émission de dioxyde de carbone aux différentes étapes de sa production, de son transport et surtout de sa consommation, en particulier sous la forme de combustion comme carburant.
168
+
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+ L'Agence internationale de l'énergie évaluait les émissions mondiales de CO2 dues à la combustion du pétrole à 11 232 Mt (millions de tonnes) en 2016, contre 6 671 Mt en 1971 et 8 497 Mt en 1990 ; la progression depuis 1990 est de 32,2 %[37].
170
+
171
+ En 2017, ces émissions représentaient 34,6 % des émissions dues à l'énergie, contre 44,2 % pour le charbon et 20,5 % pour le gaz naturel[k 4].
172
+
173
+ La combustion du pétrole libère dans l’atmosphère d’autres polluants, comme le dioxyde de soufre (SO2), mais ceux-ci peuvent être maîtrisés, notamment par la désulfuration des carburants ou des suies. On estime cependant que si le pétrole est plus polluant que le gaz naturel, il le serait nettement moins que le charbon et les sables bitumineux.
174
+
175
+ L’extraction pétrolière elle-même n’est pas sans impact sur les écosystèmes locaux même si, comme dans toute industrie, les risques peuvent être réduits par des pratiques vigilantes. Néanmoins, certaines régions fragiles sont fermées à l’exploitation du pétrole, en raison des craintes pour les écosystèmes et la biodiversité. Enfin, les fuites de pétrole et de production peuvent être parfois désastreuses, l’exemple le plus spectaculaire étant celui des marées noires, ou encore celui des pollutions dues aux vols de pétrole dans le delta du Niger (cf Énergie au Nigeria). Les effets des dégazages ou même ceux plus cachés comme l’abandon des huiles usagées sont loin d'être négligeables.
176
+
177
+ Le pétrole peut être cancérogène sous certaines formes, ainsi que certains de ses dérivés.
178
+
179
+ Les conséquences géologiques de son exploitation comme les séismes induits sont très peu étudiées.
180
+
181
+ L’exploration et l'exploitation pétrolières ont exigé le progrès de nombreuses sciences et technologies pour leur développement, et particulièrement en géophysique. La gravimétrie, la sismique et la diagraphie (logging) ont été développés pour l'exploration pétrolière dès les années 1920. Depuis 2000 pour l'offshore, une nouvelle pratique, l'électrographie de fond de mer (seabed logging) s'est développée qui permet de détecter directement le pétrole[38]. La production a exigé de la sidérurgie des matériaux résistants aux gaz acides (gaz de Lacq), aux pressions et températures. L'industrie pétrolière est un terrain d'essai exigeant pour de nombreuses technologies naissantes, qui se révèleraient trop chères dans d'autres domaines : diamant synthétique pour les trépans, positionnement dynamique des navires, etc.
182
+
183
+ Depuis le tout début du XXe siècle, le pétrole est devenu une donnée essentielle de la géopolitique. La dépendance des pays développés envers cette matière première est telle que sa convoitise a déclenché, ou influé sur le cours de plusieurs guerres ; les guerres civiles sur fond de gisement pétrolier ne se comptent plus. L’approvisionnement en pétrole des belligérants a plusieurs fois influé sur le sort des armes, comme lors des deux guerres mondiales.
184
+
185
+ Le pétrole est devenu un symbole de la richesse et de la chance, supplantant en partie l’or qui avait longtemps tenu ce rôle. La culture populaire en a tiré des images stéréotypées, qu’on retrouve par exemple dans la série Dallas, ou dans l’expression « rois du pétrole ». Les compagnies pétrolières privées sont emblématiques du système économique capitaliste, ainsi les auteurs de romans ou de films en feront souvent usage pour tenir le rôle du « méchant ». À l'inverse, les compagnies pétrolières publiques de certains pays sont un emblème d'indépendance nationale et de puissance économique, on pourra en donner comme exemple la construction des tours Petronas.
186
+
187
+ La compréhension du mécanisme de formation du pétrole laisse entendre que sa quantité totale sur la planète, léguée par des millions d'années de maturation, est limitée. Bien que cette quantité totale soit inconnue, elle laisse présager que l'exploitation qui en est faite s'approchera un jour de cette limite ultime.
188
+
189
+ Ce qu'on appelle « réserve prouvée » aujourd'hui est, par convention, constitué par un gisement identifié, exploitable avec des techniques disponibles, et à un prix compatible avec le prix de vente en cours. Cette définition est restée la même depuis près d'un siècle ; l'évolution des techniques a donc fait glisser progressivement des gisements considérés inexploitables à une époque, dans la catégorie exploitable dès que les techniques ont été disponibles. Ainsi le pétrole offshore, considéré comme « non conventionnel » avant 1930, est en 2011 extrêmement répandu, et considéré comme « conventionnel » jusqu'à des profondeurs d'eau de 1 500 m. Les sables bitumineux, longtemps considérés inexploitables, sont en 2011 exploités de façon courante.
190
+
191
+ BP annonce le 15 juin 2020 une révision majeure de ses prévisions après la crise du Covid-19 : « BP prévoit désormais que la pandémie pourrait avoir un impact durable sur l'économie mondiale, avec une demande en énergie potentiellement plus faible sur une période prolongée [...] la transition énergétique pourrait être accélérée ». En conséquence, BP a réduit ses prévisions de prix pour le pétrole et le gaz, prévoyant désormais un cours moyen du baril de Brent à 55 dollars entre 2021 et 2050, contre 70 dollars auparavant. BP prévoit de plus que le CO2 sera taxé à hauteur de 100 € la tonne en 2030, contre moins de 25 € en Europe actuellement. Ces évolutions des prix rendront les investissements dans le bas carbone plus attractifs ; BP va donc déprécier la valeur de ses actifs pour un montant compris entre 13 et 17,5 milliards de dollars, soit jusqu'à 20 % de la valeur totale du bilan du groupe[39].
192
+
193
+ Un rapport de BNP Paribas Asset Management publié en 2019 conclut que « le déclin de l’économie du pétrole pour les véhicules à essence et au diesel par rapport aux véhicules électriques alimentés par le vent et l’énergie solaire, est désormais irrémédiable et irréversible ». Les projets les plus récents d’énergie éolienne et solaire pourront fournir à un véhicule électrique 6 à 7 fois plus d’énergie utile que le pétrole à un véhicule thermique. Environ 36 % de la demande mondiale de pétrole est engendrée par les véhicules à moteur thermique et environ 5 % par la production d’électricité : le pétrole va donc perdre à terme 40 % de son marché[40].
194
+
195
+ L'AIE ne prévoit pas, en 2018, une baisse de la demande de pétrole dans le futur. Elle s'inquiète plutôt de la production qui n'arriverait pas à couvrir les besoins à partir de 2025[41].
196
+
197
+ Une étude du Boston Consulting Group publiée le 20 juillet 2017 prévoit quatre scénarios possibles d'évolution de la demande de pétrole d'ici 2040 : le scénario de référence, prolongeant les tendances récentes avec une hausse du PIB mondial de 3,5 % par an entre 2015 et 2040 et un baril autour de 60 dollars, mène à une croissance de la demande de 0,9 % par an jusqu'en 2040 ; les trois autres scénarios débouchent sur un pic de la demande entre 2025 et 2030, le premier avec une baisse du coût des batteries de voitures électriques à 100 dollars le kilowattheure contre autour de 250 en 2016, et une amélioration des capacités de charge, portant la part de marché des voitures électriques à 90 % en 2040 dans les pays développés ; le deuxième avec une croissance mondiale limitée à 3 %, couplée à une amélioration de l'efficacité énergétique des véhicules à combustion (avec une consommation de 4,3 litres pour 100 kilomètres dans les pays de l'OCDE, contre le double actuellement) ; le troisième avec la découverte et l'exploitation de larges gisements de gaz de schiste dans d'autres régions que les États-Unis, notamment en Chine, produisant des effets de remplacement du pétrole par le gaz dans l'industrie pétrochimique[42].
198
+
199
+ L'avenir de la production pétrolière mondiale dépendra d'un niveau technologique plus élevé et d'investissements plus importants, ainsi que de la prospection de territoires pour le moment inaccessibles. Ces points convergent pour aboutir à un pétrole plus cher.
200
+
201
+ Le taux de récupération du pétrole sur un plan mondial est en 2008 de l'ordre de 35 % ; ce taux, en augmentation lente, joue considérablement sur la production ; les techniques modernes visent à améliorer ce taux.
202
+
203
+ Certains territoires, comme l'Arctique, sont actuellement inaccessibles à l'exploration/production pour toutes sortes de raisons : politiques, climatiques, environnementales, zones enclavées, etc. Une augmentation éventuelle du cours du baril pourrait rendre rentable l'exploitation de ces régions.
204
+
205
+ Le pétrole offshore, popularisé en Europe par la mise en exploitation des gisements de mer du Nord dans les années 1970, a été exploité par des profondeurs d'eau croissantes depuis cette époque ; en 2008 on atteint couramment 2 000 m d'eau. Cette profondeur d'eau devra elle aussi augmenter pour permettre l'exploitation de gisements actuellement inaccessibles. Dans le même domaine, certaines conformations géologiques qui rendaient les instruments d'exploration classiques « aveugles », font l'objet de recherches fructueuses, ainsi que l'a démontré la découverte du gisement géant de Tupi[43] en 2006. Ce gisement fait partie d'un ensemble considérable, le bassin de Santos, qui a fait entrer soudainement le Brésil dans les 10 premières réserves mondiales[44].
206
+
207
+ Le pétrole profond fut lui aussi longtemps considéré inexploitable, soit pour des raisons de coût (en 2004, pour les puits d'une profondeur supérieure à 4 500 m, les 10 % ultimes du forage constituent 50 % de son coût[45]), soit en raison de problèmes techniques excédant la technologie disponible[45]. Le champ Elgin-Franklin présentait en 1995 le record des possibilités techniques, avec un gisement à 1 100 bar et 190 °C[46].
208
+
209
+ Les sables bitumineux sont un mélange naturel de bitume brut, de sable, d'argile minérale et d'eau. Le gisement le plus connu est celui de l'Alberta ; déjà exploité, il fournit en 2011 plus de 2 millions de barils par jour, permettant ainsi au Canada d'être le deuxième fournisseur de pétrole des États-Unis. Leur extraction pose de gros problèmes environnementaux[47] ; ce gisement géant équivaut à la moitié des réserves de l'Arabie saoudite. Le pétrole lourd, très visqueux, est aujourd'hui difficilement exploitable ; il constitue des réserves considérables, avec 315 milliards de barils pour le seul Venezuela.
210
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211
+ Une méthode prédictive a été proposée par le géologue M. King Hubbert pour déterminer le moment où la production d’un champ pétrolifère atteint son point culminant. En 1956, il avait ainsi annoncé le pic pétrolier des États-Unis en 1970[48]. Selon le modèle de Hubbert, la production d’une ressource non renouvelable suit une courbe qui ressemble d’abord à une croissance exponentielle, puis plafonne et diminue. Cette méthode ne tient pas compte des éléments économiques, ni du développement d'alternatives technologiques. Quelles qu'en soient les raisons, la plupart des observateurs s'accordent à penser que la consommation mondiale de pétrole déclinera avant l'année 2040.
212
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213
+ Dans un rapport publié le 23 juin[49], utilisant les données de l’agence d’intelligence économique norvégienne Rystad Energy, le groupe de réflexion The Shift Project prévoit que l’Union européenne risque de connaître une contraction du volume total de ses sources actuelles d’approvisionnement en pétrole pouvant aller jusqu’à 8 % entre 2019 et 2030, en particulier la Russie et celle de l’ensemble des pays d’ex-URSS, qui fournissent plus de 40 % du pétrole de l’UE, et l'Afrique (10 %)[50].
214
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215
+ Les découvertes de nouvelles réserves de pétrole et de gaz ont atteint, de 2016 à 2018, leur niveau le plus bas depuis la fin de la Seconde guerre mondiale et 2019 reste sur la même tendance. Les compagnies pétrolières hésitent à investir dans l'exploration, un métier coûteux et risqué dans un contexte déprimé pour les cours du brut ; le pétrole et le gaz de schiste américain, dont les réserves sont connues depuis des décennies et ne nécessitent donc pas d'exploration, offrent une grande flexibilité pour les producteurs, qui peuvent arrêter ou reporter les forages en quelques jours si les prix baissent. Les découvertes de 2019 ne représentent que 16 % des barils qui ont été consommés dans l'année, alors que ce taux frôlait les 40 % en 2015. Compte tenu du temps de développement des projets, le recul des découvertes des années 2015-2019 n'aura des conséquences sur la production qu'à partir du milieu de la décennie 2020[51].
216
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217
+ Le rapport annuel 2019 de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) prédit une forte augmentation de la production de pétrole des États-Unis, qui passerait de 11 Mbl/j (millions de barils par jour) en 2018 à 13,8 Mbl/j en 2022, ce qui représentera plus des deux tiers de l'accroissement des volumes mondiaux. L'essentiel proviendra du Bassin permien. La Russie et l'Arabie saoudite plafonneront entre 11 et 12 Mbl/j. Comme la consommation intérieure de pétrole des États-Unis stagne, le supplément de production sera exporté : les exportations brutes américaines atteindront 9 Mbl/j en 2024, dépassant la Russie et rattrapant l'Arabie saoudite. L'AIE reconnait que le rythme de l'expansion américaine n'est pas totalement certain, car il dépendra en partie de l'évolution du prix du baril. Mais les réserves sont gigantesques : 155 milliards de barils, soit 35 années de production au rythme actuel, et elles ne cessent d'être réévaluées à la hausse[52].
218
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219
+ Le rapport annuel 2018 de l’Agence internationale de l’énergie envisage un ralentissement global après 2020 du fait des programmes de diversification des sources d'énergie lancés dans plusieurs pays, en particulier en Chine : transports en commun roulant au gaz naturel, développement des véhicules électriques. Les États-Unis, dont la production a dépassé 10 Mbbl/j, devraient encore accélérer en 2018 puis devenir le premier producteur mondial en 2023 avec 12,1 Mbbl/j, devant la Russie ; le pétrole de schiste pesait un peu moins de la moitié de la production de brut américain en 2017 et pourrait en représenter les deux tiers en 2023. Les sables bitumineux du Canada, le Brésil et la Norvège connaîtront aussi une forte croissance[53].
220
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221
+ Le rapport 2015 de l’AIE (World Energy Outlook 2015 ) prévoyait la poursuite de la croissance de la consommation de pétrole, de 91 millions de barils par jour (Mbbl/j) en 2014 à 103,5 Mbbl/j en 2040. La crise pétrolière qui a fait chuter le prix du pétrole à 50 $/baril est due à un excès de production : le boom du pétrole de schiste aux États-Unis a créé une surcapacité mondiale de 1 à 2 millions de barils par jour, qui se résorbera progressivement : le prix du baril de Brent ne remontera pas à 80 $ avant 2020, pour atteindre 128 $ en 2040[54].
222
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223
+ Le rapport annuel 2015 de l'OPEP évalue la production de pétrole à 97,4 Mbbl/j en 2020 et à 109,8 Mbbl/j en 2040, contre 92,8 Mbbl/j en 2015. L’organisation a revu ses estimations à long terme à la baisse, pour tenir compte des efforts d'économies d’énergie et de réductions d’émissions de gaz à effet de serre : elle tablait un an auparavant sur plus de 111 Mbbl/j pour 2040. Ses projections n’en restent pas moins largement supérieures à celles de l’AIE : 103,5 Mbbl/j en 2040. L'OPEP prévoit une baisse de sa part de marché de 39,2 % en 2015 à 38,3 % en 2020, puis une remontée à 45,6 % en 2040. La production de pétrole de schiste américain passerait de 4,4 Mbbl/j à 5,2 Mbbl/j en 2020, puis retomberait à 4,6 Mbbl/j en 2040. Le cours du baril remonterait à 80 $ en 2020[55].
224
+
225
+ La chute des prix du pétrole a eu un impact massif sur l'investissement des compagnies pétrolières : depuis que ces prix ont amorcé leur dégringolade mi-2014 jusqu'à fin 2015, les groupes pétroliers ont repoussé 68 grands projets de développement d'hydrocarbures, soit 380 milliards de dollars d'investissements, selon le cabinet Wood Mackenzie. Dans le pétrole, l'offshore profond a été le plus affecté, en Angola (75 milliards d'investissements décalés), au Nigeria et dans le golfe du Mexique. Le rapport cite aussi les sables bitumineux au Canada, particulièrement coûteux à développer. L'ampleur des chiffres cités est aussi liée au report de la phase 2 du méga-projet gazier de Kashagan, au Kazakhstan. Ces reports entraineront à la baisse la production future, dès le début de la prochaine décennie : Wood Mackenzie estime leur impact à 1,5 million de barils par jour (Mb/j) en 2021 et à 2,9 Mb/j en 2025[56].
226
+
227
+ L'approvisionnement en pétrole pose aux pays importateurs de nombreux problèmes, principalement géopolitique, financier (devises), environnemental (émissions de CO2). De nombreux pays (européens entre autres) ont donc engagé une politique de réduction de leur dépendance au pétrole depuis les chocs pétroliers de la décennie 1970. Le tableau ci-dessous (qui inclue les pays hors UE, dont la Turquie, l'Ukraine, la Suisse, etc) montre un certain succès de cette politique, avec une décroissance de la consommation européenne de 12 % sur la période 1990-2019 (et de 17 % par rapport au pic de 843,1 Mt atteint en 1979), malgré l'accroissement de la population et l'élévation du niveau de vie ; une part importante de ces économies ont été obtenues au début des années 1990 dans les anciens pays du bloc communiste après la chute des régimes communistes en Europe, grâce à l'élimination de nombreux gaspillages. Mais on observe une nette remontée de la consommation de 2014 à 2017 : +7 %.
228
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229
+ Les alternatives sont :
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+
231
+ Citons pour mémoire la fusion nucléaire et l'exploitation des hydrates de méthanes, deux sources d'énergie aux réserves bien plus vastes, mais pour lesquelles nous ne disposons pas encore de technologie fonctionnelle.
232
+
233
+ Le charbon est, comme le pétrole, un mélange d'hydrocarbures ; il lui est substituable soit de façon directe, soit sous forme transformée par une réaction de type Fischer-Tropsch. Le gaz naturel exige des installations fixes (gazoducs, méthaniers, terminaux gaziers, sites de stockage), ainsi que des contrats à très long terme qui ralentissent actuellement son expansion. Lui aussi peut se substituer au pétrole soit de façon directe, en source d'énergie, soit sous forme transformée.
234
+
235
+ Accroitre l'efficacité énergétique[57],[58],[59] consiste à produire les mêmes biens et services avec moins d'énergie, et dans notre cas, de produits pétroliers. Puisqu'elle apporte une solution aux trois problèmes évoqués ci-dessus cette méthode apparaît comme satisfaisante lorsqu'elle n'est pas contrebalancée par un effet rebond équivalent ou supérieur. Les moyens de l'efficacité énergétique ont l'avantage d'être fréquemment intuitifs et connus de tous :
236
+
237
+ Ces méthodes font lentement des progrès dans les pays développés où l'énergie est rendue artificiellement chère (taxes, subventions aux méthodes vertueuses). Entre autres, l’isolation se présente de plus en plus comme l'alternative du futur dans les pays tempérés (BedZED), mais peine à pénétrer le marché.
238
+
239
+ L'éloignement des habitants de leur lieu de travail favorise aujourd’hui le recours à la voiture et donc la consommation de pétrole.
240
+ En aidant les habitants à se rapprocher de leur lieu de travail, on contribuerait à diminuer la consommation de pétrole.
241
+
242
+ Autres références :
243
+
244
+ Sur les autres projets Wikimedia :
fr/4539.html.txt ADDED
@@ -0,0 +1,239 @@
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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+ World of Warcraft /wɜrld əv wɔr kræft/ (abrégé WoW) est un jeu vidéo de type MMORPG (jeu de rôle en ligne massivement multijoueur) développé par la société Blizzard Entertainment. C'est le 4e jeu de l'univers médiéval-fantastique Warcraft, introduit par Warcraft: Orcs and Humans en 1994. World of Warcraft prend place en Azeroth, près de quatre ans après les événements de la fin du jeu précédent, Warcraft III: The Frozen Throne (2003)[1]. Blizzard Entertainment annonce World of Warcraft le 2 septembre 2001[2]. Le jeu est sorti en Amérique du Nord le 23 novembre 2004, pour les 10 ans de la franchise Warcraft.
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+ La première extension du jeu, The Burning Crusade, est sortie le 16 janvier 2007[3]. Depuis, six extensions de plus ont été développées: Wrath of the Lich King, Cataclysm, Mists of Pandaria, Warlords of Draenor, Legion et Battle for Azeroth. Blizzard a annoncé la sortie d'une nouvelle extension, Shadowlands, courant 2020.
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+ Depuis sa sortie, World of Warcraft est le plus populaire des MMORPG. Le jeu tient le Guinness World Record pour la plus grande popularité pour un MMORPG[4],[5],[6],[7]. En avril 2008, World of Warcraft a été estimé comme rassemblant 62 % des joueurs de MMORPG[8]. Le 7 octobre 2010, Blizzard annonce que plus de 12 millions de joueurs ont un compte World of Warcraft actif[9]. C'est à partir de fin 2012 que World of Warcraft a commencé à perdre continuellement un nombre croissant de joueurs. Au dernier trimestre 2012, Blizzard annonce le nombre de 9,6 millions d’abonnés à travers le monde, puis 7,7 millions pour le 2e trimestre 2013.
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+ World of Warcraft a fêté son 10e anniversaire en novembre 2014. Le mois suivant, à la suite de la sortie de l'extension Warlords of Draenor, Blizzard annonce que World of Warcraft repasse le cap des 10 millions d'abonnés.
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+ Vous pouvez reformuler les passages concernés, ou remplacer ce bandeau soit par {{pour Wikibooks}}, {{pour Wikiversité}}, ou {{pour Wikivoyage}}, afin de demander le transfert vers un projet frère plus approprié.
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+ Le jeu reprend place dans le monde imaginaire d’Azeroth, et dont le cadre historique se situe quatre ans après les évènements concluant Warcraft III. Le joueur choisit son personnage parmi huit, dix ou douze[Note 4] races disponibles divisées en deux factions : l’Alliance et la Horde. Ainsi, si l’Alliance permet d’incarner un Humain, un Nain, un Gnome ou un Elfe de la Nuit, côté Horde ce sera un Orc, un Troll, un Tauren (une sorte de minotaure) ou encore un Mort-vivant.
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+ Avec l’arrivée de la première extension du jeu en janvier 2007 , nommée The Burning Crusade, chacune des factions est désormais dotée d’une nouvelle race : les Elfes de Sang pour la Horde et les Draeneï pour l’Alliance. Deux races sont rajoutées dans l’extension Cataclysm, les Gobelins dans la Horde et les Worgens (des sortes de loups-garous) dans l’Alliance. Depuis l'extension Mist of Pandaria, les Pandarens sont implantés en tant que race neutre pouvant choisir librement son affiliation Alliance ou Horde. Enfin, l'extension Battle for Azeroth (sortie en août 2018) introduit huit nouvelles races alliées jouables : les Draeneï Sancteforge, les Elfes du Vide, les Nains Sombrefer et les Humains de Kul Tiras côté Alliance, et les Taurens de Haut-Roc, les Sacrenuit, les Orcs Mag'har et les Trolls Zandalari côté Horde.
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+ En plus du choix de la race de son personnage et de son apparence, la personnalisation comprend le choix d’une classe parmi les neuf suivantes : Guerrier, Mage, Voleur, Prêtre, Chasseur, Druide, Démoniste, Paladin et Chaman. Une 10e classe, appelée classe héroïque, est ajoutée avec l’extension Wrath of the Lich King : le chevalier de la Mort. Une 11e classe est ajoutée depuis la sortie de l'extension Mists of Pandaria: le Moine et une 12e classe sera ensuite ajoutée avec l'extension Legion : le Chasseur de démons.
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+ Les joueurs sont également invités à développer leurs compétences dans différents métiers (2 métiers principaux[Note 5] maximum et 3 ou 4 métiers[Note 6] secondaires aussi appelés compétences). On compte aujourd'hui comme métiers principaux le travail du cuir, l'ingénierie, le dépeçage, le minage, la forge, l'herboristerie, l'alchimie, l'enchantement, la joaillerie, la calligraphie et la couture. Les métiers secondaires sont le secourisme, la pêche, la cuisine et l'archéologie (le secourisme a été supprimé dans Battle for Azeroth ; dorénavant les bandages et autres sont fabriqués à partir de la couture).
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+ World of Warcraft reprend en partie l'univers de Warcraft puisqu'on peut y retrouver quelques héros de la saga, tels que Arthas Menethil, Archimonde, Thrall ou encore Illidan Hurlorage.
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+ Le jeu, caractéristique des autres licences de Blizzard, établit une synthèse de la plupart des idées du genre sans apporter de réelles innovations mais en perfectionnant les éléments actuels et en l’équilibrant au maximum. Pour cela, Blizzard a créé des équipes de localisation dans les pays où le jeu est distribué afin qu’elles puissent traduire le jeu de manière intégrale (dans certains cas, seulement la notice) et d’y apporter en permanence des mises à jour et modifications. Blizzard a également fait en sorte que son jeu puisse bénéficier d’une accessibilité supérieure à la moyenne et puisse être utilisable sur la plupart des ordinateurs ayant jusqu’à cinq ans d’âge.
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+
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+ World of Warcraft se distingue aussi des autres MMORPG par le souci des développeurs de ne pas lasser les joueurs occasionnels par un système d’aide à l’acquisition de niveaux[10] :
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+ Le principe général consiste à effectuer des quêtes qui sont des variations scénarisées de « tuer X monstres », « ramener Y objets », « aller rencontrer ou parler à Z » (il existe quelques exceptions). Tuer des monstres et faire des quêtes rapporte de l’expérience (au niveau maximum, les quêtes ne rapportent plus que de l’argent et réputation). Au bout d’un certain nombre de points d’expérience gagnés, le joueur gagne un niveau et ses caractéristiques augmentent, de même que sa puissance et ses points de vie. Outre l’expérience, les quêtes récompensent également le joueur en équipement, réputation et en argent.
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+
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+ Des quêtes journalières (souvent liées à des évènements comme la foire de Sombrelune ou encore les différentes fêtes organisées en jeu). Il s’agit de quêtes récurrentes, identiques à chaque fois : chaque joueur peut les répéter indéfiniment, dans la double limite que chacune d’entre elles ne peut être réalisée qu’une fois par jour. Elles rapportent généralement de l’argent et permettent d’accroître la réputation des joueurs auprès des différentes factions. Il existe actuellement 313 quêtes quotidiennes différentes pour l’Alliance et environ 320 pour la Horde[11]. Certaines quêtes quotidiennes sont liées à l’artisanat : quêtes quotidiennes de pêche, de cuisine… Dans ce cas, les récompenses sont des recettes de cuisine ou des objets disponibles uniquement par ce biais.
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+
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+ Les quêtes sont incorporées dans le jeu, les maîtres du jeu ne peuvent en rajouter, mais ils peuvent réguler la réinitialisation et la temporisation de l’accessibilité des quêtes. Les quêtes sont rajoutées via des patchs délivrés par la société créatrice du jeu. Il n’existe aucune quête principale dans World of Warcraft, contrairement à d’autres jeux comme Slayer Online ou Guild Wars. Il existe une multitude de petites quêtes qui s’enchaînent successivement afin de faire monter le niveau de plusieurs joueurs en même temps, ces quêtes délivrent petit à petit un scénario précis sur chaque parcelle du monde d’Azeroth, de l’Outreterre et de Draenor. Une multitude de scénarios s’entrecroisent donc, il n’y a pas une seule trame principale, contrairement à des RPG mono-joueurs tels que Final Fantasy, The Elder Scroll ou Warcraft III. Il n’y a donc pas de « fin du jeu » à proprement parler.
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+ Les personnages de World of Warcraft sont attachés aux comptes d’utilisateur et ne peuvent être employés que sur le royaume (terme désignant les serveurs) où ils ont été créés. Néanmoins, Blizzard permet parfois la migration de personnages d’un royaume vers un autre, afin de désengorger un royaume proche de la saturation ou d’en remplir un vide. Il est aussi possible de migrer son personnage d’un royaume à un autre avec le transfert payant de personnage[12] pour le prix de vingt-cinq euros[13]. Les utilisateurs peuvent créer jusqu’à 50 personnages[14] au total qui s’étendent d’une quantité diverse de races et de classes. Les deux factions actuellement dans le jeu sont l’Alliance et la Horde, constituées de différentes races, dont une qui est neutre, les « Pandaren ».
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+
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+ Il est nécessaire de différencier les personnages joueurs (PJ) des personnages non-joueurs (PNJ). Les personnages joueurs sont les avatars des joueurs. La couleur du nom d’un PJ peut varier (bleu, vert, jaune ou rouge) selon la faction, l’endroit, et le statut de combat de celui-ci. Les PNJ sont les personnages qui peuvent seulement interagir avec les personnages joueurs grâce aux scripts ou à l’intelligence artificielle (IA). Blizzard a repris quelques noms célèbres pour les attribuer à ses PNJ : quelques exemples, le sculpteur Calder, forgeron des fils d'Hodir, Harrison Jones, mélange d'Harrison Ford et d'Indiana Jones, avec qui le joueur enchaînera toute une série de quêtes à Uldum, son ennemi Belloc, l'archéologue français, y donne également quelques quêtes…
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+ On distingue les PNJ amicaux (dont les noms sont affichés en vert) des PNJ hostiles (principalement les PNJ de la faction opposée et les monstres) dont le nom est en rouge. Il y a également des PNJ neutres dont le nom est jaune. Les PNJ dans les capitales et les villes peuvent vendre et acheter des marchandises, former le personnage selon sa classe et ses professions, lui donner des quêtes, le relier à l’hôtel des ventes (les joueurs y vendent leurs objets aux enchères), et lui fournir tous les services qui sont nécessaires dans le jeu. Certains offriront simplement un conseil ou un peu d’histoire, alors que d’autres défendront la ville contre d’éventuels envahisseurs.
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+
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+ Les personnages créés par les joueurs sont représentés par des avatars dans le monde en ligne d’Azeroth. Lors de la création d’un personnage dans World of Warcraft, le joueur peut choisir parmi douze races différentes et dix classes de personnages. Les races sont divisées équitablement parmi les deux factions, l’Alliance et la Horde.
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+ À la base, les neuf classes disponibles sont le Chaman, le Chasseur, le Démoniste, le Druide, le Guerrier, le Mage, le Paladin, le Prêtre et le Voleur. Les classes disponibles pour créer son personnage dépendent de la race choisie. Vingt-six combinaisons de classes et de races sont possibles pour chaque faction, pour un total de cinquante-deux combinaisons[16] dans World of Warcraft: Burning Crusade. Avant la sortie de la première extension, il ne pouvait y avoir de paladins que dans l’Alliance et de chaman que dans la Horde.
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+
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+ La dixième classe, Chevalier de la mort, a été rendue disponible depuis l’extension Wrath of the Lich King, portant le nombre de combinaisons de classes et de races possibles pour chaque faction à trente-six. Elle est communément désignée par les initiales DK (abréviation de l’anglais Death Knight). Cette dernière n'est disponible que si le joueur possède déjà un personnage de niveau 55 minimum. Ainsi, il pourra créer un autre personnage Chevalier de la Mort qui sera déjà niveau 55. Cependant, depuis l’extension Warlords of Draenor, il n'est plus requis d'avoir un premier personnage niveau 55, un nouveau joueur pourra donc tout de suite commencer par un Chevalier de la mort, qui lui, sera bien niveau 55[17].
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+
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+ L’extension Cataclysm a ajouté deux races jouables (Worgens et Gobelins) ainsi qu’un grand nombre de combinaisons supplémentaires[18].
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+
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+ L'extension suivante, Mists of Pandaria introduit une nouvelle race : les Pandarens ainsi qu'une nouvelle classe, le Moine. Dans le cas de cette nouvelle race uniquement, le joueur peut choisir d'intégrer n'importe laquelle des deux factions selon son choix.
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+
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+ Legion, a fait naître la classe de Chasseur de démons disponible uniquement pour les elfes de la nuit et les elfes de sang[19].
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+
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+ Battle for Azeroth, extension actuelle, sortie en été 2018 introduit 8 nouvelles races, 4 pour chaque faction. Ces races sont les suivantes : Draenei Sancteforge, Elfe du Vide, Nain Sombrefer et Kultirassien pour l'Alliance. De son côté, la Horde bénéficiera de: Tauren de Haut-Roc, Sacrenuit, Orc Mag'har et Troll Zandalari.
52
+
53
+ La classe de personnage détermine les possibilités de jeu, en termes de sorts disponibles, de types d’attaques utilisables en combat. Chaque classe a des points forts et des points faibles, et des synergies entre classes incitent les joueurs à composer des groupes de classes variées. Au niveau 15, le joueur est amené à choisir une nouvelle technique/sort/attaque parmi trois disponibles dans l'onglet talents.
54
+ Ceux-ci n'influent pas sur le fonctionnement de la classe en profondeur comme c'était le cas lors des extensions précédentes (avant Mists of Pandaria, à l'aide des arbres de talents de spécialisation).
55
+ Il s'agit avant tout d'utilitaires que le joueur peut choisir de modifier entre chaque combat pour une somme très faible, afin d'optimiser le personnage en fonction de la stratégie à adapter et en fonction du type de combat.
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+
57
+ Au total, six talents sont disponibles en même temps (débloqués aux niveaux 15, 30, 45, 60, 75, 90, 100)[réf. souhaitée]
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+ Chaque classe dispose de trois spécialisations (quatre pour la classe druide et deux pour la classe chasseur de démons), qui elles déterminent entièrement le gameplay et la fonction du joueur (tank, heal, dps distance ou corps à corps).
59
+
60
+ Blizzard met à la disposition des joueurs ayant rempli les conditions requises (par exemple avoir un personnage d’un certain niveau, et éventuellement ayant accompli certaines quêtes spécifiques) des classes héroïques[Note 9]. Celles-ci diffèrent des autres classes de personnages : il ne faut pas recommencer un personnage depuis le premier niveau. La première classe héroïque est mise à disposition des joueurs une fois l’extension World of Warcraft: Wrath of the Lich King installée. L’utilisation de cette classe nécessite d’avoir au minimum un personnage au niveau 55, mais fait débuter l’aventure à ce dernier niveau, dans une zone spécifique, commune aux chevaliers de la mort de chaque race des deux factions.
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+
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+ En plus des classes, un joueur peut choisir deux professions primaires et les trois professions secondaires.
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+
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+ Essentiellement, il existe deux types de professions primaires : la production et la collecte de ressources.
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+ Beaucoup de joueurs choisissent deux professions liées, permettant au personnage de recueillir les matériaux nécessaires pour la profession de production. Les configurations les plus conseillées sont les suivantes : Minage et Forge, Minage et Ingénierie, Dépeçage et Travail du cuir, Herboristerie et Alchimie et à un moindre degré, Herboristerie et Enchantement, Couture et Enchantement, Dépeçage et Couture ; depuis la sortie de Burning Crusade, Minage et Joaillerie et depuis la sortie de Wrath of the Lich King, Herboristerie et Calligraphie[Note 9]. En général, ces combinaisons de professions sont plus utiles à certaines classes qu’à d’autres ; par exemple, Couture et Enchantement pour les Mages et les Démonistes, et Minage et Forge pour les Guerriers et les Paladins, etc.
66
+
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+ En outre, World of Warcraft propose des compétences secondaires (pêche, archéologie, cuisine), permettant aux joueurs de récolter des ressources et de les transformer pour les vendre ou les utiliser/consommer.
68
+
69
+ L’Archéologie s’est ajoutée aux professions secondaires, avec la sortie de l’extension Cataclysm.
70
+
71
+ La compétence secondaire secourisme n'existe plus depuis Battle for Azeroth, les anciens patrons ont été déplacés vers les professions de Couture et d'Alchimie.
72
+
73
+ Des caractéristiques sont employées par le jeu pour calculer les forces et les faiblesses de chaque personnage.
74
+
75
+ Une partie des caractéristiques sont déjà présentes, basées sur le niveau, la classe et la race du personnage ; mais pour être plus fort il est nécessaire de s’équiper d’objets (pièces d’armures et autres bijoux) qui procurent des suppléments aux caractéristiques.
76
+
77
+ Il y a divers types d’objets dans World of Warcraft, allant des haches et des épées aux simples fleurs et organes d’animaux. Les objets peuvent en général se vendre plus ou moins cher à des marchands ou aux enchères. Plus les objets sont rares (ou recherchés, dans le cas des ventes aux enchères), plus ils se vendront chers.
78
+
79
+ Au fil du temps, les joueurs ayant atteint le niveau maximal cherchent naturellement à améliorer leur équipement. Cette tâche, qui peut paraître simple pour certains, peut néanmoins s’avérer très longue et difficile pour d’autres. L’appât du gain et vouloir parfaire son équipement peut s’avérer addictif et prenant à la limite de rendre le joueur dépendant. World of Warcraft n’a pas vraiment de fin et il faut compter des dizaines d’heures de jeu pour arriver au niveau maximum 60 initialement, 70 avec The Burning Crusade, 80 avec Wrath of The Lich King, 85 avec Cataclysm, 90 avec Mists of Pandaria, 100 avec Warlords of Draenor, et plus encore d’heures pour s’équiper à sa guise. Avec l'arrivée de l'extension Legion, le niveau maximal passe a 110[20]puis 120 avec Battle for Azeroth.
80
+
81
+ World of Warcraft laisse aussi l’occasion aux joueurs de se mesurer entre eux (combat Joueur contre Joueur ou JcJ - on utilise beaucoup l’équivalent anglais, PvP), soit en attaquant un territoire ou une ville ennemie qui peut être défendue par les membres de la faction adverse, soit par l’intermédiaire des champs de bataille. Il s’agit de zones instanciées dont le gameplay reprend ceux des mods les plus populaires des jeux de tir à la première personne (capture de drapeau, conquête…).
82
+
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+ Ainsi il est possible d’acquérir de l’équipement et de l’expérience en combattant d’autres joueurs dans les zones de combats, en affrontant des créatures avec un groupe dans un univers magique ou bien tout simplement en faisant du commerce (grâce à un système de ventes aux enchères des objets créés ou trouvés par les joueurs).
84
+
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+ Un personnage peut porter jusqu’à seize pièces d’équipement, recouvrant les différentes parties de son corps. Parmi ces pièces, neuf apportent des bonus. Elles recouvrent la tête, les épaules, le dos, le torse, les poignets, les mains, la taille, les jambes et les pieds. Le personnage porte également un collier et deux bagues. Il porte aussi deux bijoux. Les deux dernières pièces d’équipements n’apportent aucun bonus : la chemise et le tabard. Ce dernier permet de représenter sa guilde ou le fait d’avoir fait une quête, d’avoir participé à un Event ou autre. En Norfendre, des tabards permettent également dans les donjons de groupe d’augmenter la réputation du personnage auprès de la faction qui lui a vendu le tabard en tuant des monstres qui lui rapportent de l’expérience.
86
+
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+ La plupart des pièces d’équipement de haut niveau peuvent voir leurs caractéristiques être améliorées, par des parchemins d’enchantement et/ou des gemmes ou joyaux.
88
+
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+ Il y a différents types d’armure dans le jeu, qui ne sont pas portables par toutes les classes. Mages, prêtres et démonistes sont limités à l’armure de tissu. Chasseurs, chamans, moines, druides et voleurs sont limités à l’armure de cuir. Cependant, les chasseurs et les chamans peuvent porter une armure de mailles à partir du niveau 40. Désormais, les chasseurs et chamans portent de la maille dès le niveau 1. Guerriers, paladins et chevaliers de la mort peuvent s’équiper de n’importe quel type d’armure, à partir du niveau 40. Les guerriers, paladins et (chevalier de la mort, à leur création niveau 55) portent également de la plaque dès le niveau 1. L’armure est employée pour réduire les dommages subis des attaques de mêlée. Le tissu fournit la plus faible protection et les plaques la plus grande.
90
+
91
+ Les équipements apportent des bonus aux attributs d’un personnage. Un équipement peut avoir son nom écrit en gris, blanc, vert, bleu, violet ou même orange. Le bleu clair est attribué à l'équipement Héritage. Cette couleur détermine la qualité de l’objet, et sa rareté. Gris = Médiocre / Blanc = Commun / Vert = Inhabituel / Bleu = Rare / Violet = Épique / Orange = Légendaire.
92
+
93
+ La plupart des objets inhabituels, rares, épiques et légendaires, ainsi que certains objets habituels sont liés à leur porteur une fois équipés, ou dans leur inventaire. Dès qu’un objet est lié, celui-ci ne peut plus être échangé, donné, mais peut encore être vendu à un marchand. Par contre, les objets peuvent être détruit à tout moment, il suffit de les jeter[Note 10]. Il existe trois types d’objets liés :
94
+
95
+ Dans l'extension Légion, les raids comptent entre 10 et 40 joueurs. La difficulté est variable en fonction du nombre de joueurs pour les difficultés « Normale » et « Héroïque ». Le niveau de difficulté maximum « Mythique » est quant à lui, uniquement disponible à 20 joueurs, et sa difficulté sera semblable à celle du mode « Héroïque » que l'on a connu jusqu'à la fin de l'extension Mists of Pandaria.
96
+
97
+ World of Warcraft comporte de nombreux donjons, aussi appelés instances (car le monde du donjon est instancié sur un serveur spécifique pour les membres du groupe). Ils sont régulièrement ajoutés au jeu par le biais de mises à jour ou d’extensions. L’objectif pour le groupe de joueurs est de parcourir une carte peuplée d’ennemis contrôlés par l’ordinateur, afin d’atteindre les différents boss présents dans le donjon. En cas de réussite des récompenses, appelées loots, peuvent être récupérées sur le boss et partagées entre les joueurs. Selon les donjons, diverses stratégies peuvent être mises en place pour vaincre les adversaires proposés par le jeu. Un système de haut-faits permet d’accumuler des points si certaines conditions sont remplies pendant le combat (le rendant considérablement plus compliqué). Depuis Cataclysm, la troisième extension de World of Warcraft, un codex est disponible. Celui-ci contient les informations sur l'instance, les boss, leurs sortilèges, stratégies, et histoires liées.
98
+
99
+ Dans World of Warcraft, il existe deux grands types de donjons : ceux à cinq joueurs et les raids. La principale différence porte sur le nombre de joueurs impliqués. En effet, les raids peuvent mobiliser entre 10 et 40 joueurs en fonction de l’instance choisie. Cependant, si les raids à 40 joueurs étaient fréquents à la sortie de World of Warcraft, Blizzard a modifié la mécanique du jeu pour limiter les nouvelles sorties à 25 joueurs maximum, afin de faciliter la constitution des groupes et la bonne marche de la sortie (notamment lors de l’attribution des butins récupérés).
100
+
101
+ Pour un donjon, le groupe est composé de cinq joueurs maximum généralement répartis comme suit : un joueur disposant d’une classe spécialisée dans l’encaissement des dégâts (le tank), un soigneur (le heal, ou healer) et de trois joueurs spécialisés dans les dégâts (les DPS, pour dommages (ou dégâts) par seconde). Cependant, il est tout à fait envisageable de terminer un donjon avec un groupe moins nombreux, voire tout seul. C’est particulièrement le cas lorsqu’un joueur de haut niveau retourne dans un donjon de bas niveau. L’écart de puissance permet au joueur de compléter le donjon très rapidement, sans aucune difficulté notable. Ce cas est fréquent lorsque le joueur souhaite récupérer un objet (appelé "loot") spécifique au donjon, ou lorsqu'il fait le donjon accompagné d'un joueur de bas niveau (appelé "rush"), dans le but de lui faire gagner beaucoup d'expérience très rapidement (aussi appelé « Power leveling », ou progression de niveau par la force).
102
+
103
+ La durée passée dans un donjon varie en fonction des défis proposés (nombre de boss à tuer, tâches à accomplir, longueur de la carte, nombre d’ennemis proposés…) et de la dextérité et de l’équipement du groupe (connu sous l'acronyme : "Skuff" : Skill : habileté + Stuff : équipement). Cependant, Blizzard a fait en sorte d’alléger la durée des donjons au fil des extensions. Si les premières sorties pouvaient durer quelques heures au tout début de World of Warcraft, désormais certaines instances peuvent être complétées beaucoup plus rapidement (parfois en moins d’une heure ou 25 minutes en général pour les donjons héroïques à 5 joueurs[réf. souhaitée]).
104
+
105
+ Il existe un mode de donjon appelé mode « Défi ». Dans ce mode, la difficulté est plus importante encore qu'en mode héroïque et il n'existe aucun loot sur les boss. Le but est d'accomplir un certain nombre d'objectif dans le donjon (en général tuer la totalité des boss et une quantité de « trash mobs » définie) dans un temps imparti qui est chronométré depuis le lancement du donjon. Il existe 4 niveaux de réussite, de simplement accomplir les objectifs aux réussites bronze, argent et or. Les « méta hauts faits » associé aux réussites de ses donjons en mode défis permettent de débloquer pour le personnage des récompenses telles que des ensembles de transmogrification (changement d'apparence des différentes pièces d'armure), des montures et des titres.
106
+
107
+ Depuis l'extension Legion, le mode « Défi » a été remplacé par le mode « Mythique + ». Si la version mythique des donjons existe depuis Warlords of Draenor comme étant une variante plus difficile du mode héroïque, le mode « Mythique + » se distingue par sa capacité à adapter sa difficulté (aussi appelée capacité à "scale") en fonction de la progression du joueur. Ainsi, un joueur plus expérimenté pourra affronter des ennemis plus puissants et donc espérer obtenir de l'équipement de meilleure qualité. Enfin, pour que le système ne devienne pas trop répétitif, les développeurs ont ajouté plusieurs affixes afin de rendre le mode plus intéressant mécaniquement parlant.
108
+
109
+ Si les donjons représentent un défi intéressant pour les joueurs, la véritable difficulté réside dans les raids, qui sont plus difficiles à terminer. Selon les raids proposés par le jeu, un groupe peut être composé de 10, 20, 25 voire 40 joueurs. Cependant, le nombre de joueurs impliqués n’est pas nécessairement lié à la difficulté du raid. En effet, Blizzard a opté pour une limitation du nombre de joueurs par raid, dans le but de faciliter la constitution du raid, l’attribution des butins et d’éviter une charge trop importante pour les serveurs et les ordinateurs des joueurs.
110
+
111
+ Comme pour les donjons, les joueurs du raid doivent mettre en œuvre des stratégies pour vaincre les boss proposés. La qualité du butin est bien évidemment supérieure aux items présents dans les donjons. Depuis la sortie de l’extension Wrath of the Lich King, les raids sont déclinés en mode 10 et 25 joueurs. Chacun de ces modes est disponible en deux niveaux de difficulté : normal et héroïque. Pour débloquer le niveau héroïque, il faut généralement remplir au moins une condition, comme la présence d’un joueur dans le raid ayant déjà fini le même raid en mode normal ou en ayant un objet particulier, comme une clé permettant de déverrouiller l’accès (la clé est généralement obtenue en faisant une quête, en tuant un autre boss ou en remplissant des conditions de réputation).
112
+
113
+ Depuis la sortie de l'extension de World of Warcraft, Mists of Pandaria, un nouveau type d'instance est présent : les scénarios. Jouables à trois, les scénarios ne représentent aucun défi de taille mais permettent de jouer et de s'impliquer dans les évènements marquants de l'histoire (comme le premier scénario, "la chute de Theramore"). Les scénarios proposent des récompenses rares, mais néanmoins intéressantes.
114
+
115
+ C'est dans ces arènes que les joueurs peuvent s'affronter entre eux, un des aspects du mode Joueur Contre Joueur (JcJ). Les joueurs peuvent former des équipes afin de jouer en 2 contre 2, 3 contre 3 ou 5 contre 5.
116
+ La performance des équipes et des joueurs est jugée grâce à plusieurs critères :
117
+ La cote personnelle qui est propre au personnage et avec laquelle il est possible de débloquer certaines pièces d'équipement.
118
+ La cote d'équipe qui varie en fonction des matchs gagnés ou perdus, et qui détermine tous les mercredis le nombre de points d'arène qui seront distribués
119
+ La cote d'harmonisation dite encore cachée ou mmr qui équivaut à la valeur réelle de l'équipe, afin de faire se rencontrer les joueurs du même niveau.
120
+
121
+ Il existe un certain nombre d'arène avec différents décors et stratégies à adopter :
122
+
123
+ À la fin de chaque saison, des titres récompensant les meilleurs joueurs sont décernés :
124
+
125
+ Une guilde est une association de joueurs dont l’objectif est d’organiser une ou plusieurs activités en commun, notamment grâce à un canal de discussion privé et la présence d’un calendrier de guilde. Dans World of Warcraft, un membre d’une guilde est reconnaissable par l’inscription, sous son pseudonyme, du nom de sa guilde (obligatoire) et / ou du tabard que le personnage porte sur son torse (facultatif). Tout type de guilde peut être créé, mais les plus importantes ont en général un but principal (PVE HL Player Vs Environment High Level, PVP Player Vs Player ou autre) défini dans une charte de guilde. Des buts secondaires (comme entraide entre membres) peuvent aussi être identifiés.
126
+ Cette charte définit aussi des règles de conduite (envers les membres de la guilde et des autres joueurs) et parfois un barème de sanction en cas de violation. Cette charte est souvent publiée sur internet (dans un forum de guilde) et doit être explicitement acceptée par les membres et les postulants.
127
+ Une guilde est aussi souvent une communauté de joueurs partageant certaines valeurs ou certains intérêts. De nombreuses guildes organisent des évènements IRL (In Real Life) afin de favoriser la cohésion du groupe et de partager des activités en dehors du jeu.
128
+ Mais être dans une guilde ne signifie pas n’avoir que des devoirs. Les membres ont aussi des droits, sur les loots, les richesses ou les places dans les activités. Une banque de guilde est créée, où sont stockés des items intéressants, lesquels sont alors accessibles, dans une certaine limite, aux membres de la guilde
129
+
130
+ Pour créer une guilde IG (In Game), un joueur doit respecter un certain nombre de critères. Tout d’abord, il ne doit évidemment appartenir à aucune structure déjà en place. Ensuite, il doit avancer une certaine somme virtuelle au PNJ chargé de la création des guildes. Enfin, il doit récolter 4 (depuis patch Cataclysm) signatures de joueurs non guildés. Une fois toutes ces conditions remplies, le joueur sera automatiquement le maître de guilde de cette nouvelle communauté, tandis que les joueurs non guildés qui ont accepté de signer la charte de guilde seront de simples membres.
131
+
132
+ Si une guilde a besoin de 5 membres pour voir le jour, il n’est pas rare de voir certaines communautés réunir plusieurs centaines de joueurs ou certaines guildes où il n’y a qu’un joueur. Il est également possible d’ajouter des personnages alternatifs, en plus de son personnage principal, dans la guilde. Le maître de guilde est l’autorité principale de la guilde. Cependant, il peut attribuer un certain nombre de privilèges et déléguer certaines tâches à quelques membres de la guilde. Ces joueurs sont alors appelés officiers et ont pour mission d’épauler le maître de guilde, notamment en veillant à la bonne marche de la communauté lorsque le maître de guilde est déconnecté.
133
+
134
+ Dans World of Warcraft, l’une des raisons d’être d’une guilde est la planification de raids. En effet, s’il est possible de constituer un raid avec des joueurs de différentes guildes - ou avec des joueurs non « guildés » -, bien souvent les joueurs préfèrent s’associer avec des personnes qu’ils fréquentent régulièrement, dans la mesure où les membres d’une même guilde sont plus tolérants entre eux et apprennent les façons de jouer des uns et des autres. Cette communauté de but permet en général d’obtenir une meilleure efficacité et d’arriver plus vite au but à atteindre.[réf. souhaitée]
135
+
136
+ À l’inverse, des joueurs peuvent être pris ponctuellement pour compléter l'effectif nécessaire pour un donjon ou un raid (surnommés les « pick ups ou PU »).
137
+
138
+ Si certaines guildes recrutent les joueurs à la volée, d’autres exigent une candidature. Cela est particulièrement le cas pour les guildes exclusivement tournées vers les raids, avec des conditions plus ou moins difficiles à remplir. Généralement les critères tournent autour des contraintes de temps de jeu du joueur, de sa régularité, de sa ponctualité, de son âge, de son expérience des raids de « Haut Niveau » (HL, High Level), de sa capacité à s’investir pour la communauté de joueur de sa guilde, de sa progression dans l’équipement de ses personnages.
139
+
140
+ L'extension Cataclysm a apporté un plus certain au fonctionnement de guilde, en créant une progression de guilde et des hauts-faits propres à la guilde. Cette progression est limitée à 25 niveaux, chaque niveau débloqué offrant un avantage supplémentaire réservé aux seuls membres de la guilde.
141
+ Cette nouveauté permet également de fidéliser les membres à leur guilde, puisqu'en accroissant leur réputation auprès de leur guilde, les membres peuvent obtenir des items supplémentaires, inaccessibles par d'autres moyens.
142
+
143
+ Par la suite, le niveau de guilde a été supprimé mais certains avantages (tel que l'invocation du Coffre de Guilde) sont devenus innés pour toutes les guildes
144
+
145
+ World of Warcraft compte environ 10 millions de joueurs abonnés[9], qui payent chacun entre 11 et 13 € par mois. Depuis 2011, une version d'essai a été mise en place afin de permettre de jouer gratuitement à World of Warcraft jusqu'au niveau 20[21]. Blizzard a mis également en vente toute une série de produits dérivés, tirés de l'univers du jeu : BD, jeux de plateau, figurines, mugs, jeu de cartes... De nouvelles extensions et mises à jour permettent par ailleurs de relancer régulièrement l’intérêt pour ces derniers.(voir. le paragraphe consacré aux extensions). Des sociétés concurrentes de Blizzard essayent de conquérir une part de ce marché porteur grâce à des MMORPG analogues (par exemple Dungeons and Dragons Online: Stormreach, Aion: The Tower of Eternity, Le Seigneur des Anneaux Online ou Runes of Magic).
146
+
147
+ Les richesses virtuelles dans World of Warcraft sont à l'origine de dérives comme l'achat contre de l'argent réel de comptes entiers afin d'obtenir un ou plusieurs objets sur ce compte. Cette pratique est due au fait que les objets en questions sont parfois liés au compte et donc non échangeables contre des richesses virtuelles. On a ainsi vu, sur l’un des serveurs officiels de World of Warcraft, le compte d'un guerrier possédant le Glaive de guerre d’Azzinoth droit se vendre 9 500 $[22]. L'achat de compte peut aussi s'opérer lorsqu'une personne ne souhaite pas progresser dans le jeu et directement avoir un personnage au niveau maximum. Il est néanmoins devenu possible, depuis la sortie de l'extension Légion, d'acheter dans le jeu l'élévation au niveau 100 d'un personnage [23]
148
+
149
+ La popularité de World of Warcraft et la difficulté pour les joueurs d'obtenir certaines richesses ont conduit à l'apparition des farmers. Les farmers sont des joueurs qui collectent tout ce qui est monnayable dans le jeu : items, éléments d’artisanat, etc., mais sont parfois aussi par des pirates qui s'introduisent frauduleusement dans le compte d'autres joueurs, et revendent tout ce que ce joueur possède pour détourner l'or du jeu vers un de leurs propres personnages dans le but de l'échanger contre de l'argent réel[24].
150
+
151
+ Le recours à ces sites commerciaux est prohibé par Blizzard et très mal vu par l’immense majorité des joueurs.
152
+
153
+ Depuis la mise à jour 6.1.2.19793 , il est possible pour les joueurs d'échanger leur argent virtuel contre des jetons WoW.[25] Ces derniers peuvent être ensuite dépensés contre du temps supplémentaire dans le jeu. Le jeton WoW ne peut être stocké plus de 10 fois et son prix varie en fonction de l'offre et de la demande. Il est aussi possible d'acheter des jetons avec de l'argent réel et de les revendre contre de l'argent virtuel.
154
+
155
+ Le succès de World of Warcraft, son ouverture au grand public et son système de jeu qui récompense les joueurs en fonction de leur investissement en temps de jeu, ont entraîné chez de nombreux joueurs un phénomène d’addiction. Cependant, cette politique a progressivement évolué depuis le début de World of Warcraft, à un niveau tel que dorénavant, même les joueurs les plus occasionnels peuvent avoir un personnage presque aussi puissant que des joueurs qui y passent beaucoup de temps. Il existe aussi un système de contrôle parental permettant de réguler la consommation en ne laissant jouer que pendant un temps donné chaque jour, mais l'impact de ce système est limité aux jeunes dont les tuteurs légaux prennent la peine de le configurer.
156
+
157
+ Les activités de type raid en guilde sont les plus addictives, car le joueur a un rôle précis au sein de son groupe, il est souvent indispensable et irremplaçable pour sa guilde, ce qui ajoute un poids supplémentaire sur ses épaules. De plus, les raids durent souvent plus de 2 heures. Le joueur développe aussi des réflexes de combat/déplacement quant aux différentes aptitudes de son personnage, qui devient de plus en plus fort par rapport aux autres personnages ou contre les boss (monstres principaux) du jeu. Sa force dépend donc proportionnellement du temps pendant lequel le joueur est connecté.
158
+
159
+ En 2009, l'artiste allemand Aram Bartholl réalise sa performance urbaine “WoW”, issue d'un workshop participatif qui s’est déroulé au Laguna Art Museum à Laguna Beach en Californie[26]. L’artiste utilise la façon dont les avatars portent leur nom d’utilisateur dans les mondes persistants. Les participants à la performance découpent les lettres de leurs noms puis de les accrochent au bout de longues tiges. La performance consiste à se promener dans Laguna Beach avec, au-dessus de sa tête, son nom comme c’est l’usage en ligne. Contrairement au réel, dans les jeux vidéo, l’identité est interchangeable. La relation du virtuel au réel est l’une des questions centrales de la pratique artistique d’Aram Bartholl[26].
160
+
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+ Depuis 2012, l'artiste américaine Angela Washko crée des performances dans World of Warcraft, elle initie des discussions sur le féminisme directement dans le gameplay[27]. Avant de créer son projet, l'artiste a beaucoup joué, elle explique ainsi sa démarche: « J’y ai joué pendant plusieurs années, depuis 2006, et je me sentais frustrée de voir que mon expérience n’était pas la même que celles des joueurs hommes. Le nombre d’entre eux me sollicitant de façon agressive pour des relations sexuelles du moment où ils comprenaient que j’étais une femme me mettait incroyablement mal à l’aise. Et j’en avais marre qu’on me dise de rentrer dans ma cuisine préparer des sandwichs aux joueurs masculins ». Angela Washko est fondatrice du Conseil sur la sensibilité au genre et la sensibilisation comportementale dans World of Warcraft (Council on Gender Sensitivity and Behavioral Awareness in World of Warcraft) dans le but d’attirer l'attention et protester contre le langage sexiste des joueurs[28].
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+ Le jeu est cité dans Les 1001 jeux vidéo auxquels il faut avoir joué dans sa vie.
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+ La sortie d'une nouvelle extension rend souvent les anciennes gratuites et activées directement, ou au moins en promo dans des offres groupées.
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+
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+ Le 28 octobre 2005, lors d’une conférence se déroulant lors de la BlizzCon, Blizzard a annoncé la préparation d’une extension pour World of Warcraft appelée The Burning Crusade. Après une phase de bêta-test ouverte à de nombreux joueurs, l’extension est sortie le 16 janvier 2007. Les principales nouveautés qu’apporte cette extension au jeu :
170
+
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+ La deuxième extension se nomme Wrath of the Lich King, dont l’annonce a été faite à la session d’ouverture de la BlizzCon 2007[36], et est sortie le 13 novembre 2008 en Amérique et en Europe.
172
+
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+ Parmi les nouveautés, on note :
174
+
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+ La troisième extension se nomme World of Warcraft: Cataclysm, dont l’annonce a été faite à la session d’ouverture de la BlizzCon 2009[37],[38]. La date de sortie, le 7 décembre 2010, a été annoncée officielle le 4 octobre 2010[39].
176
+
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+ Parmi les nouveautés[37], on note :
178
+
179
+ La quatrième extension se nomme Mists of Pandaria, dont l'annonce a été faite lors de la BlizzCon 2011[40] pour voir le jour le 25 septembre 2012 à minuit.
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+
181
+ Parmi les nouveautés[41], on note :
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+
183
+ La cinquième extension du nom de Warlords of Draenor (« Les Seigneurs de Guerre de Draenor ») a été annoncée par Blizzard le 8 novembre 2013 et est sortie le 13 novembre 2014 ; cette extension se déroule dans le monde originel des Orcs (Draenor) avant que celui-ci ne soit détruit par la Légion ardente.
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+
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+ Parmi les nouveautés, on note :
186
+
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+ La sixième extension se nomme Legion, dont l’annonce a été faite à la session d’ouverture de la Gamescom le 6 août 2015. Elle retrace le retour de la Légion Ardente[43]. Elle est sortie le 30 août 2016 à minuit.
188
+
189
+ Parmi les nouveautés, on note :
190
+
191
+ Battle for Azeroth est la septième extension du jeu. Son annonce a été faite lors de la Blizzcon le 3 novembre 2017 et est sortie le 14 août 2018[44].
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+
193
+ Parmi les nouveautés, on note :
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+
195
+ Shadowlands est la huitième extension du jeu. Son annonce a été faite lors de la Blizzcon le 1er novembre 2019 et sortira en 2020.
196
+
197
+ Parmi les nouveautés[2] on note :
198
+
199
+ En septembre 2005, une mise-à-jour provoque accidentellement une pandémie virtuelle, l'incident du sang vicié, tuant les joueurs de faibles niveaux en grand nombre. Après une semaine, les développeurs appliquent un correctif pour arrêter l'incident.
200
+
201
+ Bien que le jeu soit présenté comme massivement multijoueurs, il y a des limites au nombre de joueurs qui peuvent jouer en même temps en tant que personnage du métavers (ou monde virtuel). Par conséquent, Blizzard divise la communauté des joueurs en « serveurs » (terme informatique) ou « royaumes »[Note 12]. Chaque serveur est caractérisé par la langue parlée, le mode joueur contre joueur ou mode normal, et la charte « jeu de rôle » ou non.
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+
203
+ Il existe quatre types de serveurs dans chaque langue supportée :
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+
205
+ Quel que soit le type de serveur, dès l’instant où un personnage pénètre en territoire ennemi, n’importe quel adversaire est en mesure de l’attaquer.
206
+
207
+ À noter que cette distinction n'est plus faite depuis la sortie de l'extension Battle for Azeroth, au profit d'un mode Guerre, activable ou désactivable à l'envie, qui rend le joueur attaquable, ou non, par les joueurs de la faction adverse, quel que soit le serveur.
208
+
209
+ Les premiers serveurs francophones furent créés quelques jours après la sortie européenne dont : Archimonde, Cho'Gall, Illidan, Elune, Kirin Tor, Ner'zhul, Hyjal, Kael'Thas et Sargeras.
210
+ D'autres serveurs francophones ont été créés par la suite. Actuellement ils sont au nombre de trente-sept (au 28 février 2013)[45].
211
+
212
+ Il existe aussi des serveurs privés, qui sont non officiels et souvent gratuits.
213
+ Les royaumes privés sont illégaux et interdits par Blizzard même[46] qui a plusieurs fois intenté et gagné des procès contre les hébergeurs de tels sites[47]. Néanmoins, Blizzard tolère généralement ceux-ci car une partie des joueurs appartenant aux serveurs privés finissent par s'inscrire dans un royaume officiel (la plupart des serveurs privés indiquent qu'ils fermeront sous simple demande de la part de Blizzard, ce qui prouve sa tolérance).[réf. nécessaire]
214
+
215
+ Blizzard a annoncé la vente sur eBay, le 17 octobre 2011, de 2 000 serveurs qui supportaient le jeu au moment de son lancement. Blizzard reversera les bénéfices de la vente au St. Jude Children's Research Hospital pour aider la lutte contre les maladies infantiles graves ou mortelles[48].
216
+
217
+ Blizzard propose au joueur un support lui permettant de modifier l'interface de World of Warcraft. Cette modification, qui est un vrai atout du jeu, est basée sur des addons, programmes réalisés par la communauté mondiale. On peut distinguer trois grandes orientations d’addons : ceux qui touchent à l’interface graphique, ceux qui automatisent et facilitent le jeu, et ceux qui apportent des informations.
218
+
219
+ Tous les addons sont créés en utilisant les langages de programmation Lua et XML, et les images utilisées pour n’importe quelle modification sont créées aux formats TGA (Targa) et BLP.
220
+
221
+ Blizzard Entertainment a modifié la charte liée à la création des addons, afin par exemple d’interdire tout système de rétribution ou de publicité par ce biais dans le courant du premier semestre 2009.[réf. souhaitée]
222
+
223
+ L'édition découverte de World of Warcraft est une version d'essai permettant de jouer gratuitement et sans limite de temps jusqu'au niveau 20. Depuis son lancement le 18 septembre 2011[49] elle remplace l'ancien système d'édition découverte du jeu, qui permettait d'obtenir des cartes de 10 jours d'essai gratuit[50].
224
+
225
+ La première version d'essai du jeu remonte aux cartes d'essai qu'on pouvait trouver en magasin durant la période 2004-2012. Celles-ci permettaient de jouer gratuitement à World of Warcraft pendant 14 jours, et prenaient fin une fois la limite de temps expirée. Le 18 septembre 2011, Blizzard innove en annonçant la création de l'édition découverte[51],[52]. Dans un article daté du 11 novembre 2011, le journal Le Monde rappelle que la baisse des abonnés sur World of Warcraft oblige en parallèle Blizzard à reconsidérer sa stratégie ː "World of Warcraft doit également faire face à de nombreux jeux utilisant le modèle économique "free to play", où l'accès est gratuit, mais les contenus additionnels sont payants."[53]. Il faudra alors attendre la sortie du patch 6.1 début 2015 pour que Blizzard annonce également la sortie d'un nouveau modèle d'édition découverte, baptisé cette fois "édition vétéran". Celle-ci permet aux anciens joueurs qui s'étaient abonnés de faire basculer leur compte payant en compte gratuit, de sorte qu'ils puissent continuer à jouer mais en gardant les limites de l'édition découverte. ̈Seule la possibilité de rejoindre une guilde fait office d'exception vis-à-vis des limites de l'édition découverte standard[54],[55],[56],[57], forums[58], sites[59], tournois[60] et actualités[61] en rapport avec la version d'essai.
226
+
227
+ En tant que version d'essai, l'édition découverte de World of Warcraft limite plusieurs fonctionnalités du jeu. Ces restrictions ont pour but d'inciter le joueur à prendre un abonnement si celui-ci se lasse de la version d'essai. Voici la liste des restrictions connues :
228
+
229
+ Il convient de noter que la durée de jeu illimitée qu'offre l'édition découverte permet aux joueurs de rester sur le jeu aussi longtemps qu'ils le veulent, et donc, le temps passant, d'acquérir les meilleurs objets disponibles à leur niveau. Cette méthode de jeu a été appelée twink F2P[64] (twink free to play), car le twink désigne le joueur qui dans World of Warcraft profite de son expérience bloquée pour acquérir les meilleurs objets disponibles à son niveau. Dans un article publié en mai 2009, le site Judgehype rappelle que Blizzard, l'éditeur de World of Warcraft, reconnaît lui-même l'existence du twink sur le jeu ː "il est nécessaire de préciser que Blizzard connaît et ne nie pas l’existence du twink. Au fil du temps, le monde du twink est devenu un méta-jeu (un jeu dans le jeu) et il réunit beaucoup de joueurs."[65]
230
+
231
+ En tant que version d'essai, l'édition découverte de World of Warcraft propose un modèle dit "gratuit à jouer" (free to play en anglais, aussi abrégé F2P). Ce système de jeu permet à quiconque de jouer gratuitement à World of Warcraft tout en ayant la possibilité d'acheter un abonnement par la suite pour enlever les restrictions de la version d'essai[66]. À cet égard, une réduction appelée "Battle Chest Upgrade" est proposée à ceux qui souhaiteraient basculer en compte payant (pay to play en anglais, aussi abrégé P2P[67]). Cette offre permet de bénéficier d'une réduction d'achat pour l'acquisition du jeu (appelé Battle Chest) et n'est valable qu'une seule fois. Elle permet alors par la suite d'accéder au contenu de toutes les précédentes extensions du jeu, à l'exception de la dernière en date.
232
+
233
+ En d'autres termes, l'édition découverte est une version try & buy.
234
+
235
+ « Most popular MMORPG game(sic) In terms of the number of online subscribers, World of Warcraft is the most popular Massively Multiplayer Online Role-Playing Game (MMORPG), with 10 million subscribers as of January 2008. »
236
+
237
+ « Blizzard’s Mike Morhaime and Paul Sams were handed awards for World Of Warcraft and Starcraft, which won Most Popular MMORPG and Best Selling PC Strategy Game respectively. »
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+ Sur les autres projets Wikimedia :
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@@ -0,0 +1,90 @@
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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+ Pierre-Auguste Renoir dit Auguste Renoir, né à Limoges (Haute-Vienne) le 25 février 1841 et mort au domaine des Collettes à Cagnes-sur-Mer le 3 décembre 1919, est l'un des plus célèbres peintres français.
4
+
5
+ Membre à part entière du groupe impressionniste, il évolue dans les années 1880 vers un style plus réaliste sous l'influence de Raphaël[1]. Il a été peintre de nus, de portraits, paysages, marines, natures mortes et scènes de genre. Il a aussi été pastelliste, graveur, lithographe, sculpteur et dessinateur.
6
+
7
+ Peintre figuratif plus intéressé par la peinture de portraits et de nus féminins que par celle des paysages, il a élaboré une façon de peindre originale, qui transcende ses premières influences (Fragonard, Courbet, Monet, puis la fresque italienne).
8
+
9
+ Pendant environ soixante ans, le peintre estime avoir réalisé à peu près quatre mille tableaux[2],[3].
10
+
11
+ Pierre-Auguste Renoir, dit Auguste Renoir, est né à Limoges, au no 71 de l'actuel boulevard Gambetta, ancien boulevard Sainte-Catherine, le 25 février 1841. Il est le sixième de sept enfants, issu d'une famille ouvrière. Son père, Léonard Renoir (1799-1874[4]) est tailleur, sa mère, Marguerite Merlet (1807-1896) est couturière. La famille vit alors assez pauvrement. En 1844, la famille Renoir quitte Limoges pour Paris, où le père espère améliorer sa situation. Ils s'installent au 16 rue de la Bibliothèque mais doivent déménager en 1855 au 23 rue d'Argenteuil. Pierre-Auguste y suit sa scolarité[5].
12
+
13
+ À l’âge de 13 ans, il entre comme apprenti à l’atelier de porcelaine Lévy Frères & Compagnie pour y faire la décoration des pièces. Dans le même temps, il fréquente les cours du soir de l’École de dessin et d’arts décoratifs jusqu’en 1862. À cette période, il suit des cours de musique avec Charles Gounod qui remarque cet élève intelligent et doué[6].
14
+
15
+ En 1858 à l’âge de 17 ans, pour gagner sa vie, il peint des éventails et colorie des armoiries pour son frère Henri, graveur en héraldique. En 1862, Renoir réussit le concours d'entrée à l’École des beaux-arts de Paris et entre dans l’atelier de Charles Gleyre, où il rencontre Claude Monet, Frédéric Bazille et Alfred Sisley. Une solide amitié se noue entre les quatre jeunes gens qui vont souvent peindre en plein air dans la forêt de Fontainebleau[7].
16
+
17
+ Ses relations avec Gleyre finissent par se déteriorer peu à peu et lorsque ce dernier prend sa retraite en 1864, Renoir quitte les Beaux-Arts. Cependant, alors que la première œuvre qu’il expose au salon (l’Esméralda 1864) connaît un véritable succès, après l’exposition, il la détruit. Les œuvres de cette période sont marquées par l'influence d'Ingres et de Dehodencq dans les portraits, de Gustave Courbet (particulièrement dans les natures mortes), mais aussi d'Eugène Delacroix, à qui il emprunte certains thèmes (les femmes orientales, par exemple). En 1865, sont acceptés par le Salon : Portrait de William Sisley et Soirée d'été, une toile considérée comme perdue [8],[9]. Un modèle important à cette époque pour lui est sa maîtresse Lise Tréhot : elle a posé pour le tableau Lise à l'ombrelle (1867), qui, exposé au salon de 1868, a suscité les commentaires élogieux d'un jeune critique, nommé Émile Zola. Mais en général, les critiques sont plutôt mauvaises, et de nombreuses caricatures paraissent dans la presse, telles celles de Bertall[10].
18
+
19
+ Deux enfants sont nés de sa liaison avec Lise Tréhot (1848-1922)[11] : Pierre né à Ville-d'Avray, le 14 septembre 1868, mort en nourrice le 5 octobre suivant à Champeau-en-Morvan[12], et Jeanne Marguerite, née à Paris 10e le 21 juillet 1870 et morte le 8 juin 1934, inhumée à Sainte-Marguerite-de-Carrouges[13].
20
+
21
+ Le séjour que Renoir fait avec Monet à la Grenouillère (établissement de bains sur l'île de Croissy-sur-Seine, lieu très populaire et un peu « canaille » selon les guides de l'époque) est décisif dans sa carrière. Il peint véritablement en plein-air, ce qui change sa palette, et fragmente sa touche (moins que Monet qui va plus loin dans ce domaine).
22
+
23
+ Il apprend à rendre les effets de la lumière, et à ne plus utiliser le noir pour les ombres. Dès lors, commence la période impressionniste de Renoir. Monet préfère peindre les paysages, et Renoir préfère peindre les personnages. Pour les mêmes scènes de La Grenouillère, Renoir adopte un point de vue plus rapproché qui lui permet de donner une plus grande importance aux figures[10]. Pendant la guerre franco-prussienne de 1870-1871, Renoir est mobilisé et affecté à la cavalerie à Bordeaux puis à Tarbes. Tombé gravement malade, il est hospitalisé à Bordeaux avant d'être démobilisé en mars 1871 et de rentrer à Paris où il apprend la mort de Frédéric Bazille[14]. En mars 1872, Renoir rencontre le marchand d'art Paul Durand-Ruel[15]. En septembre 1873, il quitte son studio de la rue Notre-Dame-des-Champs pour un atelier plus grand rue Saint-Georges. En 1876, il loue un modeste atelier au no 12 rue Cortot (devenu en 1960 musée de Montmartre)[16].
24
+
25
+ Il expose avec les Impressionnistes dès la Première exposition des peintres impressionnistes 1874 [17] et celle de 1878[18] et réalise son chef-d'œuvre : le Bal du moulin de la Galette, à Montmartre, en 1877[19]. Le tableau est acheté par Gustave Caillebotte, membre et mécène du groupe. Cette toile ambitieuse (par son format d'abord, 1,30 m × 1,70 m) est caractéristique du style et des recherches de l'artiste durant la décennie 1870 : touche fluide et colorée, ombres colorées, non-usage du noir, effets de textures, jeu de lumière qui filtre à travers les feuillages, les nuages, goût pour les scènes de la vie populaire parisienne, pour des modèles de son entourage (des amis, des gens de la « bohème » de Montmartre). Pour les nus, il fait d'abord appel à des modèles professionnels puis à des jeunes femmes qu'il rencontre parfois dans la rue et qu'il paye en leur offrant le portrait, des fleurs ou des chapeaux à la mode[10].
26
+
27
+ Autour de 1880, Renoir est en pleine misère : il n'arrive pas à vendre ses tableaux et la critique est souvent mauvaise ; il décide de ne plus exposer avec ses amis impressionnistes mais de revenir au Salon officiel, seule voie possible vers le succès. Il n'expose d'abord qu'une seule toile au Salon de 1878 intitulée Le Café[20]. De fait, grâce à des commandes de portraits prestigieux - comme celui de Madame Charpentier et ses enfants en 1878 - il se fait connaître et obtient de plus en plus de commandes. Son art devient plus affirmé, il recherche davantage les effets de lignes, les contrastes marqués, les contours soulignés, comme dans le fameux Déjeuner des canotiers peint de 1880 à 1881[21], même si le thème reste proche de ses œuvres de la décennie 1870. On peut apercevoir dans ce tableau son nouveau modèle, Aline Charigot, sa maîtresse qui devient sa femme en 1890, et qui lui donne trois autres enfants, après Pierre et Jeanne nés de Lise Tréhot, Pierre Renoir (acteur), Jean Renoir, le cinéaste, et Claude Renoir dit « Coco » (céramiste). Les trois danses (Danse à Bougival (en), Musée des beaux-arts de Boston ; Danse à la ville et Danse à la campagne, Musée d'Orsay, vers 1883) témoignent aussi de cette évolution.
28
+
29
+ C'est en 1880 que le peintre Frédérique Heyne met au monde une fille, Lucienne Marie, dont elle attribuera la paternité à Auguste Renoir. Cette dernière sera également peintre sous le nom de Lucienne Bisson[22].
30
+
31
+ Entre 1881 et 1883, Renoir effectue de nombreux voyages qui le mènent dans le sud de la France (à l'Estaque, où il rend visite à Paul Cézanne), en Afrique du Nord où il réalise de nombreux paysages, et en Italie. C'est là-bas que se cristallise l'évolution amorcée dès 1880. Au contact surtout des œuvres de Raphaël, (les Stanze du Vatican), Renoir sent qu'il est arrivé au bout de l'impressionnisme, qu'il est dans une impasse, désormais il veut faire un art plus intemporel, et plus « sérieux » ; il a l'impression de ne pas savoir dessiner. Il entre alors dans la période dite ingresque ou Aigre, qui culmine en 1887 lorsqu'il présente ses fameuses Grandes Baigneuses à Paris. Les contours de ses personnages deviennent plus précis.
32
+
33
+ Il dessine les formes avec plus de rigueur, les couleurs se font plus froides, plus acides, ce qui indigne le critique Joris-Karl Huysmans : « Allons, bon ! Encore un qui est pris par le bromure de Raphaël ! »[23]. Sa peinture qui marque un retour vers le classicisme est plus influencée aussi par l'art ancien (notamment par un bas-relief de François Girardon à Versailles pour les Baigneuses)[10].
34
+
35
+ Lorsqu'il devient à nouveau père d’un petit Pierre (1885), Renoir abandonne ses œuvres en cours pour se consacrer à des toiles sur la maternité.
36
+
37
+ La réception des Grandes Baigneuses est très mauvaise, l'avant-garde (Camille Pissarro notamment) trouve qu'il s'est égaré, et les milieux académiques ne s'y retrouvent pas non plus. Le marchand d'art Paul Durand-Ruel lui demande plusieurs fois de renoncer à cette nouvelle manière.
38
+
39
+ Aline, la future Madame Renoir, le convainc de découvrir, en 1888, son village natal : Essoyes. Il écrit alors à son amie Berthe Morisot : « Je suis en train de paysanner en Champagne pour fuir les modèles coûteux de Paris. Je fais des blanchisseuses ou plutôt des laveuses au bord de la rivière. ».
40
+
41
+ De 1890 à 1900, Renoir change de nouveau son style. Ce n'est plus du pur impressionnisme ni le style de la période ingresque, mais un mélange des deux. Il conserve les sujets d'Ingres mais reprend la fluidité des traits. La première œuvre de cette période, les Jeunes filles au piano (1892), est acquise par l'État français pour être exposée au musée du Luxembourg. En 1894, Renoir est de nouveau père d'un petit Jean[24] et reprend ses œuvres de maternité. La jeune femme qui s'occupera de Jean puis Claude, Gabrielle Renard, devient un de ses fréquents modèles[25] et sa muse.
42
+
43
+ Alors que Renoir habite depuis 1889 dans le pavillon surnommé le « Château des Brouillards » au no 13 rue Girardon, il devient propriétaire pour la première fois de sa vie en achetant, en 1896, une maison à Essoyes, devenue l'atelier Renoir. Ainsi, la famille Renoir se retrouve tous les étés, jusqu'au décès du peintre en 1919. Essoyes sera le rendez-vous des jeux de plein air, des pique-niques, pêches, baignades aussi bien en famille qu'entre amis, Julie Manet notamment en parle dans son journal.
44
+
45
+ Cette décennie, celle de la maturité, est aussi celle de la consécration. Ses tableaux se vendent bien (notamment par les marchands d'art Ambroise Vollard et Paul Durand-Ruel), la critique, dont l'animateur de La Revue blanche, Thadée Natanson, commence à accepter et à apprécier son style, et les milieux officiels le reconnaissent également, les Jeunes filles au piano sont achetées par l'État, on lui propose la Légion d'honneur, qu'il refuse d'abord puis accepte plus tard. En 1897, lors d'une mauvaise chute de bicyclette près d'Essoyes, il se fracture le bras droit[26]. Cette chute est considérée comme responsable, du moins partiellement, de la dégradation ultérieure de sa santé. Des rhumatismes déformants l'obligeront progressivement, vers 1905, à renoncer à marcher[25]. Il se rend à l'enterrement d'Alfred Sisley au cimetière de Moret-sur-Loing le 1er février 1899, avec Monet, Adolphe Tavernier et Arsène Alexandre[27]. Il donne La Balayeuse, une huile sur toile peinte la même année, pour la vente organisée par Monet, le 1er mai 1899 à la galerie Georges Petit au profit des enfants de Sisley[28]. En 1900, Renoir est nommé chevalier de la Légion d'honneur, puis est promu officier en 1911[29].
46
+
47
+ Comme le peintre Edgar Degas, les poètes José-Maria de Heredia et Pierre Louÿs, l'écrivain Jules Verne, le compositeur Vincent d'Indy, le grammairien Jules Lemaître, il adhère à la Ligue de la patrie française, ligue antidreyfusarde plutôt modérée[30],[31].
48
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+ En 1903, il s'installe avec sa famille à Cagnes-sur-Mer, le climat de la région devant être plus favorable à son état de santé. Après avoir connu plusieurs résidences dans le vieux village, Renoir fait l'acquisition du domaine des Collettes, sur un coteau à l'est de Cagnes, afin de sauver les vénérables oliviers dont il admire l'ombrage et qui sont menacés de destruction par un acheteur potentiel[32]. Aline Charigot y fait bâtir la dernière demeure de son époux, où il va passer ses derniers jours au soleil du Midi, bien protégé toutefois par son inséparable chapeau. Il y vit avec sa femme Aline et ses enfants, ainsi qu'avec des domestiques, souvent autant des amis, qui l'aident dans sa vie de tous les jours, lui préparent ses toiles et ses pinceaux. Les œuvres de cette période cagnoise sont essentiellement des portraits, des nus, des natures mortes et des scènes mythologiques. Ses toiles sont chatoyantes, sa matière picturale plus fluide, toute en transparence. Les corps féminins ronds et sensuels resplendissent de vie.
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+
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+ Renoir est désormais une personnalité majeure du monde de l'art occidental, il expose partout en Europe et aux États-Unis, participe aux Salons d'automne à Paris. L'aisance matérielle qu'il acquiert ne lui fait pas perdre le sens des réalités et le goût des choses simples, il continue à peindre dans l'univers rustique du domaine des Collettes. Il essaie de nouvelles techniques, et en particulier s'adonne à la sculpture, incité par le marchand d'art Ambroise Vollard, alors même que ses mains sont déformées par la polyarthrite rhumatoïde. Ses ongles pénétrant dans la chair de ses paumes, des bandelettes de gaze talquées protègent ses mains (de là, la légende du pinceau attaché à sa main)[33].
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+ Malgré sa notoriété, Renoir n'aura qu'une seule élève, Jeanne Baudot, la fille de son médecin[réf. nécessaire]. Le peintre Lucien Mignon fut le proche ami de Renoir du temps de Cagnes-sur-Mer et fut influencé par son style[34].
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+ De 1913 à 1918, en collaboration avec Richard Guino, un jeune sculpteur d'origine catalane que lui présentent Aristide Maillol et Ambroise Vollard, il crée un ensemble de pièces majeures : Vénus Victrix, le Jugement de Pâris, la Grande Laveuse[35], le Forgeron[36].
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+ L'attribution de ces œuvres de collaboration fut révisée soixante ans après leur création, à l’issue d’un long procès initié en 1965 par Michel Guino, fils de Richard et sculpteur lui-même, qui a œuvré à la divulgation de l'œuvre de son père. Après une minutieuse analyse des pièces, des processus qui présidèrent à leur création et l’audition de nombreux artistes, la qualité de coauteur est reconnue à Richard Guino en 1971 par la troisième chambre civile du tribunal de Paris et définitivement établie par la Cour de cassation en 1973. L’historien d’art Paul Haesaerts précise dès 1947 dans Renoir sculpteur[37] : « Guino ne fut jamais simplement un acteur lisant un texte ou un musicien interprétant mécaniquement une partition […]. Guino était impliqué corps et âme dans l’acte créatif. On peut même affirmer avec certitude que s’il n’avait pas été là, les sculptures de Renoir n’auraient pas vu le jour. Guino était indispensable ». Le procès fait par le fils de Guino n'a pas été intenté « contre » Renoir, réduction véhiculée dans certains textes ou articles de journaux se référant à « l'affaire ». Il s'est agi de contribuer à dévoiler l'historique exceptionnel de ce processus de création pour rétablir l'apport original de Guino à l'œuvre sculpté, initialement occulté par Vollard. Un « praticien » sculpteur reproduit ou agrandit un modèle déjà existant. Guino, lui, fait une transposition de techniques : on passe de la peinture de Renoir à la sculpture de Guino, l'esprit de la peinture transparaît dans l'esprit de la sculpture. Transmutation avérée entre deux artistes. Le phénomène a pu s'accomplir grâce à leur amitié et intense communauté de vue. Le peintre à ses toiles et le sculpteur travaillant la glaise des Collettes. C'est ce point unique et rare qui caractérise cette œuvre.
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+ Après avoir interrompu sa collaboration avec Guino, il travaille avec le sculpteur Louis Morel (1887-1975), originaire d'Essoyes. Ensemble, ils réalisent les terres cuites, deux Danseuses et un Joueur de flûteau.
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+ Aline meurt en 1915, ses fils Pierre et Jean sont grièvement blessés durant la Première Guerre mondiale, mais en réchappent.
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+ Renoir continue, malgré tout, de peindre jusqu'à sa mort en 1919. Il aurait, sur son lit de mort, demandé une toile et des pinceaux pour peindre le bouquet de fleurs qui se trouvait sur le rebord de la fenêtre. En rendant pour la dernière fois ses pinceaux à l'infirmière, il aurait déclaré : « Je crois que je commence à y comprendre quelque chose[38]. »
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+ Le 3 décembre 1919, il s’éteint au domaine des Collettes à Cagnes-sur-Mer, des suites d'une congestion pulmonaire[6], après avoir pu visiter une dernière fois le musée du Louvre et revoir ses œuvres des époques difficiles.
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+ Dans un premier temps, il est enterré avec son épouse dans le vieux cimetière du château de Nice et, deux ans et demi plus tard, le 7 juin 1922, les dépouilles du couple Renoir sont transférées dans le département de l'Aube où elles reposent désormais dans le cimetière d'Essoyes[39], comme l'avaient souhaité Renoir et son épouse. Depuis, Pierre et Jean, puis les cendres de Dido Renoir — seconde épouse de Jean — partagent sa sépulture.
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+ Ayant abandonné le paysage impressionniste au bénéfice de la représentation de l'être humain, il place la gaieté au cœur de ses toiles marquées par les conséquences du progrès sur la société, par la mise en scène du quotidien joyeux dans un cadre urbain ou bucolique, intime ou populaire, qui lui valut le surnom de « peintre du bonheur »[40].
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+
71
+ La peinture d'Auguste Renoir passe aujourd'hui pour la quintessence du « bon goût petit-bourgeois », comme ces « peintres décoratifs » et ces « peintres pour dames » réalisant des tableaux complaisants et stéréotypés, Renoir n'ayant pas toujours su éviter ce piège pour assurer sa subsistance. Citée en exemple, sa peinture illustre pour certains l'idée que le commun des mortels se fait de la beauté en art, ses toiles abordant des sujets simples ayant trait à la vie quotidienne, ses nus opulents et sensuels dégagent une certaine plénitude[41]. C'est oublier que cette peinture figurative jugée mièvre et réconfortante, évoquant la nostalgie d'un bonheur perdu, illustrant calendriers des postes et cartes postales [42], a été rejetée par le public et les critiques pendant plus de vingt ans. En 1876, le critique Albert Wolf écrit dans le Figaro:
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+
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+ La même année l'artiste Bertall écrit dans Le Soir :
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+
75
+ Considérée par les collectionneurs de son temps comme inachevée, maladroite et bâclée, elle a, par la suite, été perçue comme totalement révolutionnaire car rompant avec les conventions de l'art officiel de l'époque. Cependant, le tournant opéré par Renoir vers 1890, lorsqu'il abandonne le plein air et renoue avec ses maîtres préférés, tels Jean-Honoré Fragonard, Raphaël ou François Boucher lui vaut d'être accusé de trahison par ses anciens compagnons impressionnistes qui lui reprochent de sacrifier à la peinture officielle des héritiers de Jacques-Louis David[44]. L'histoire de l'art considère pourtant que cette dernière période de Renoir marquée par un retour vers le classicisme a fortement inspiré une jeune génération d'artistes, tels que Picasso, Henri Matisse, Maurice Denis ou Pierre Bonnard[23],[45].
76
+
77
+ Une cité scolaire, regroupant collège et lycée, porte son nom dans sa ville natale, Limoges, un autre à Cagnes-sur-Mer, où il est mort. Un collège est nommé Auguste et Jean Renoir à La Roche-sur-Yon. Un collège est nommé Pierre-Auguste-Renoir à Ferrières-en-Gâtinais. À Asnières-sur-Seine, le lycée public et le collège voisin portent son nom. Un collège est nommé Auguste Renoir à Chatou dans les Yvelines. À Angers, un collège-lycée porte le nom Auguste-et-Jean-Renoir. À Paris, un lycée d'arts appliqués porte également son nom.
78
+
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+ Cette liste d'enchères est seulement indicative[46] :
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+
81
+ Pierre-Auguste Renoir a peint pendant près de soixante ans. Peintre prolifique, il nous a laissé une œuvre considérable, nécessairement inégale. On recense dans celle-ci plus de 4 000 peintures, soit un nombre supérieur à celui des œuvres de Manet, Cézanne et Degas réunies. Parmi celles-ci, on peut citer :
82
+
83
+ Renoir a choisi une part importante de ses modèles parmi son entourage et ses relations :
84
+
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+ « Villa des Arts, près l'avenue
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+ De Clichy, peint Monsieur Renoir
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+ Qui devant une épaule nue
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+ Broie autre chose que du noir. »
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+ Sur les autres projets Wikimedia :
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+ Populus
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+
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+ Genre
4
+
5
+ Classification APG III (2009)
6
+
7
+ Les peupliers sont des arbres du genre Populus de la famille des Salicacées.
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+
9
+ Le genre Populus englobe 35 espèces des régions tempérées et froides de l'hémisphère nord. Il comprend aussi de nombreux hybrides naturels ou artificiels (créés par l'homme). Les peupliers, arbres à la croissance rapide se rencontrent rarement en forêt dense mais plutôt dans les ripisylves et aux abords des zones humides où comme les saules, ils sont appréciés des castors et ils recèpent ou drageonnent facilement quand ils ont été coupés par ces derniers.
10
+
11
+ Ils croissent sur les terrains humides voire temporairement inondés. Leur système racinaire, important, souvent superficiel et traçant (comme celui du peuplier d'Italie par exemple) peut détruire des murs, soulever les enrobés bitumés et coloniser des tuyaux d'égouts. Certaines espèces (peuplier tremble) peuvent pousser sur des sols sableux pauvres et supportent relativement bien les embruns marins, à une certaine distance de la mer toutefois.
12
+
13
+ Leur culture est nommée populiculture. En dehors des espèces spontanées, de nombreuses variétés ou cultivars sont à la disposition des sylviculteurs (populiculteurs). Le séquençage du génome du peuplier de l'Ouest a été annoncé en 2004 et publié en 2006[1]. Le peuplier étant un arbre à croissance rapide (d'où une évaluation vite disponible lors de tests) et progressivement entièrement séquencé, il devient le premier arbre transgénique en 1986 et est depuis l'essence qui a fait l'objet du plus grand nombre d'essais et de tests (47 % en 2005) d'arbres génétiquement modifiés (une souche en France, par l'INRA et d'autres au Canada)[2].
14
+
15
+ De pouplier, poplier, dérivé avec le suffixe -ier de l'ancien français pople, peuple (XVe siècle), du latin pōpŭlus, dont l'origine n'est pas connue.
16
+
17
+ L'étymologie populaire selon laquelle le latin populus (peuplier) évoquerait le peuple, car les places publiques romaines étaient ombragées de peupliers ou que l'arbre pousse souvent en groupes denses comme une foule humaine[3], est fantaisiste. Le pŏpǔlus de peuple, masculin, accentué sur la première syllabe, n'est pas le même mot que le pōpǔlus de peuplier, féminin comme tous les noms d'arbres et accentué sur l'avant-dernière syllabe[4].
18
+
19
+ Il existe aussi l'hypothèse d'un substrat méditerranéen plus ancien[4], l'étymologie peu satisfaisante faisant rattacher le peuplier au grec papalein, référence au tremblement caractéristique de ses feuilles triangulaires portées par un long pétiole ou à sa capacité à se tordre face au vent en effet le peuplier semble se "plier" face aux différences de pression entre deux masses d'air[5].
20
+
21
+ Ce sont de grands arbres à feuilles simples, alternes, cordiformes ou triangulaires ou ovales, caduques, acuminées, à long pétiole comprimé.
22
+
23
+ Le système racinaire est traçant et contribue à la dissémination par drageonnage à partir de racines superficielles.
24
+
25
+ L'écorce est plutôt pâle (chez le jeune arbre) et de plus en plus crevassée alors que l'arbre vieillit.
26
+
27
+ Le bois est blanc, léger, tendre, assez résistant, adhérent et peu fissile.
28
+
29
+ Ces espèces sont dioïques (un individu est soit mâle, soit femelle). Les fleurs sont réunies en chatons pendants, qui apparaissent avant les feuilles. leur périanthe est réduit à une cupule. Les fleurs mâles présentent de 8 à 30 étamines rougeâtres. L'ovaire de la fleur femelle est uniloculaire, à deux carpelles. Une fois fécondées, ces derniers forment une capsule uniloculaire à deux valves contenant de nombreuses graines velues.
30
+
31
+ Les paléobotanistes s'accordent à donner aux peupliers une origine fort ancienne, parmi les Angiospermes.
32
+
33
+ Le Suisse O. Heer attribue au genre Populus certaines empreintes de feuilles simples rencontrées dans le néocomien de Kome (lignite), sur la côte ouest du Groenland (P. primaeva Heer)[6],[7].
34
+
35
+
36
+
37
+ Les Turanga seraient donc des formes primitives.
38
+
39
+ Il semble que ce n'est qu'au Sénonien que les représentants des autres sections sont apparus
40
+
41
+ .
42
+
43
+ Le genre Populus est divisé en six sections :
44
+
45
+ Les espèces naturelles ont été utilisées pour créer des cultivars depuis le XVIIIe siècle. Certains hybrides se sont fixés à l'état sauvage. On trouve les principales espèces de peupliers :
46
+
47
+ Ce bois blanc tendre et léger (1,2 sur l'échelle de Chalais-Meudon[8]) est facile à coller, à teindre, à peindre, à clouer et à agrafer mais il se scie et se ponce difficilement.
48
+
49
+ Au siècle dernier, dans les régions de production, il servait de bois de charpente; léger et résistant, on l'utilisait comme volige, chevron ou poutre en tronc entier.
50
+
51
+ Les peupliers sont cultivés de façon industrielle par des « populiculteurs » dans des zones dédiées dites peupleraies ou ramiers en région toulousaine.
52
+
53
+ Les belles billes servent au déroulage. On en fait des panneaux (lattés, contreplaqués), boîtes à fromage, emballages légers pour fruits et légumes, bourriches d'huîtres ou allumettes. La seconde qualité est généralement valorisée pour la fabrication de palettes, de cagettes ou de pâtes à papier.
54
+
55
+ Le peuplier (Populus trichocarpa) a été le premier arbre dont le génome a été entièrement séquencé. Il a été choisi pour son « petit » génome qui contient 485 millions de paires de bases (le génome du pin en contient 40 à 50 fois plus) réparties sur 38 chromosomes. L'autre critère de choix a été la capacité de cet arbre à grandir de 5 m par an, permettant d'évaluer efficacement les modifications génétiques.
56
+ Environ 45 500 gènes codant des protéines ont été identifiés[1].
57
+
58
+ En 2007, des chercheurs de l'Université de Washington ont développé un peuplier OGM capable de métaboliser et détruire le trichloréthylène souillant des sites industriels pollués[9].
59
+
60
+ De nombreux clones sélectionnés pour leur croissance rapide, et dont l'évapotranspiration a été maximisée se sont finalement rapidement montrés particulièrement vulnérables à certains insectes défoliateurs puis aux rouilles du peuplier (maladies fongiques dues à des champignons microscopiques qui semblent systématiquement s'adapter après quelques années aux clones sélectionnés pour leur résister), en dépit d'une nette amélioration de la qualité de l'air en termes de pluies acides[10].
61
+
62
+ En termes de bonnes pratiques pour la santé des forêts[11], - comme pour les plantations monoclonales de résineux ou d'eucalyptus - on recommande maintenant d'au moins réintroduire un peu de diversité génétique par un mélange de plusieurs clones ou hybrides, comme stratégie de lutte contre les épidémies et parasitoses[12]. Des stratégies de lutte intégrée sont aussi recommandées, dans une démarche de gestion plus durable des peupleraies encouragée à échelle mondiale par la FAO[13].
63
+
64
+ Des logiciels d'analyse automatique de photographie permettent maintenant de mieux mesurer l'état des houppiers (décoloration, défeuillaison du houppier)[14] en tenant compte des caractéristiques de différents hybrides[15].
65
+
66
+ Les larves de quelques espèces de coléoptères parasitent le peuplier :
67
+
68
+ Les papillons dont les chenilles consomment des feuilles de peupliers sont :
69
+
70
+ Les papillons de nuit (hétérocères) suivants (classés par famille) se nourrissent de peuplier :
71
+
72
+ (Voir aussi ces papillons sur le Wiktionnaire)
73
+
74
+ Un autre invertébré parasite fréquent du peuplier est le puceron lanigère (Phloeomyzus passerinii)
75
+
76
+ La culture de peuplier repose sur trois piliers essentiels : la qualité du cultivar utilisé, la qualité de la station et les traitements appliqués à la culture.
77
+
78
+ La sylviculture appliquée se base prioritairement sur les modes de régénération privilégiés par tel ou tel groupe de peupliers. Ainsi la sylviculture des trembles utilise leurs capacités à spontanément drageonner alors que la gestion des peupliers des zones désertiques (P. euphratica, P. fremontii…) se basera préférentiellement sur la reproduction sexuée.
79
+
80
+ Les différences entre les espèces de peupliers sont aussi importantes qu'il n'y a de similitudes dans la gestion de leurs peuplements naturels. Dans les régions chaudes et sèches ou dans les régions proches du Cercle Arctique, les peupleraies se confinent aux plaines inondables et aux bords de cours d'eau où elles constituent le plus souvent des peuplements étroits (ripisylves) presque purs ou mélangés d'aulnes et de saules, en taches ou rubans sur plusieurs kilomètres.
81
+
82
+ Dans la forêt boréale et la forêt tempérée, les peupliers sont communément rencontrés soit en formations pures soit en peuplements mélangés.
83
+
84
+ Dans le passé, la régénération des peupliers (peupliers blancs, baumiers, noirs, trembles, etc.) était probablement principalement conditionnée par :
85
+
86
+ Le drageonnement est la voie de reproduction naturelle qui semble avoir été privilégiée par les trembles. Elle a localement conduit à la création de peuplements à dominantes monoclonales et ce sans aucune intervention de l'homme. L'évolution d'un arbre issu de semis vers un peuplement monoclonal prend des dizaines de siècles. Dans la région des Grands Lacs et l'Alaska, la taille moyenne de ces peuplements monoclonaux varie de 2 à 8 ares ce qui est très faible comparé aux peuplements des Montagnes Rocheuses. Dans le sud de l'Utah, le peuplement monoclonal naturel Pando couvre 43 ha, ce qui en fait probablement le plus grand organisme vivant du monde. Il est composé de 47 000 tiges et pèse, selon les estimations, 6 000 tonnes (Grant et al. 1992).
87
+
88
+ Les peuplements de trembles sont habituellement exploités en " coupe rase ". Des essais de coupes progressives ont provoqué un moins bon drageonnement et une croissance plus faible des pousses, la présence d'un étage arboré aussi diffus soit-il semblant défavoriser la régénération massive et rapide de ces peupliers.
89
+ La performance du drageonnement est également conditionnée par la température du sol, des réserves en hydrates de carbone du système racinaire, du génotype, de la présence de déprédateurs (grands herbivores, insectes…), des conditions de récolte et de nombreux autres paramètres (Maini 1967 ; Zasada et Schier 1973 ; Shepperd et Fairweather, 1994). L'exploitation forestière doit être particulièrement respectueuse du sol si l'on veut s'assurer d'un bon drageonnement. Les phénomènes de compaction et les blessures de l'appareil racinaire (favorisant la diffusion de l'armillaire) et diminuant d'autant les capacités du peuplement à se régénérer (Navratil et al. 1996). Dans les sites où la régénération est optimale, on compte de 30 000 à 100 000 drageons par hectare.
90
+
91
+ Bien que moins prolifique que les trembles, le P. balsamifera a également une propension à drageonner. Par exemple dans les forêts boréales occidentales du Canada on compte 3000 tiges/hectare après exploitation (Navratil et Bella, 1990). Le P. balsamifera compte également d'autres stratégies de régénération végétative (bouturage, rejet de souche…).
92
+
93
+ D'autres peupliers drageonnent mais se reproduisent également par d'autres méthodes de régénération végétative ; rejets de souches, bouturage ou décurtation (beaucoup plus rare). Pour ces espèces, la régénération végétative est privilégiée dans les conditions stationelles moins favorables.
94
+
95
+ Moins importante dans le développement de la sylviculture des tremblaies hors vallée, elle est par contre essentielle pour les systèmes forestiers ripuaires. La durée de vie de la graine étant très courte (moins de deux à trois semaines), il est impératif que la période d’ensemencement coïncide avec la fin des inondations. La réussite du semis est conditionnée par un lit d'ensemencement humide, complètement dépourvu d'autres végétaux et bien ensoleillé. Ces conditions sont généralement remplies sur les grèves, atterrissements et terrasses soit érodées par les crues, soit
96
+ nouvellement créées par les dépôts alluvionnaires. La simultanéité entre la fin des crues et la période d’ensemencement des peupliers est le fruit de longues années d'évolution. Les interventions sur les cours d'eau comme leur détournement, la stabilisation des berges, la création de barrage, les pompages, diminuent voir rendent impossible la régénération naturelle. Bien que les graines puissent se déplacer sur plusieurs kilomètres grâce notamment aux courants de convection (ou en cas de grands vents), la plupart du temps elles se déposent à peine à une centaine de mètres de leurs génitrices.
97
+
98
+ Les règles de gestion des trembles sont relativement simples. Les trembles ont été appelés par Graham et al. (1963) les arbres phoenix et ce pour la raison qu'ils peuvent en un à deux ans après perturbation de leur milieu (exploitation, tempête, incendie…) reconquérir et dominer le site. La sylviculture la plus communément appliquée est basée sur la régénération naturelle par drageonnement et n’est suivie d'aucun autre traitement jusqu'à l'exploitation. La
99
+ forte concurrence entre les plants assure une sélection rapide dans le peuplement. Des baisses de croissance ou autres effets liés à la densité n’auraient que peu d'impacts sur la production volumique ; en fait les peuplements denses sont moins susceptibles d'être affectés par les attaques d'insectes et les maladies. Lexploitation à blanc étoc continue d'être le système d'exploitation dominant (notamment sur le continent
100
+ nord-américain). Cela dit, les exigences de gestion durable de la forêt ont impliqué la pratique de certaines variantes. Par exemple dans l'Alberta, sur la coupe, l'Alberta Pacific Corporation laisse sur pied ±5 % du volume à exploiter afin
101
+ de rencontrer les objectifs de la conservation de la nature (Stelfox 1995). Toujours dans l'Alberta, dans la gestion des peuplements mixtes trembles - conifères, les peupliers sont exploités en premier afin de permettre le maintien des conifères.
102
+ Le but n'en est pour autant pas l'élimination des trembles mais bien le maintien de la forêt mixte. Dans le nord des Grands lacs, l'Administration forestière oriente sa gestion pour favoriser la conversion de certaines peupleraies vers des systèmes forestiers à espèces longévives (selon les mêmes principes que la conversion du taillis en futaie appliquée en Europe).
103
+ Le maintien d'arbres sur la mise à blanc diminue fortement la vigueur et la croissance des drageons. Perala (1977) indiquait que 2,4 à 3,6 m2 ha−1 de tiges sur pied sur la coupe réduisaient la croissance des drageons de 35 à 40 %. Par contre Doucet (1989) citait des exemples de parcelle ayant un bon drageonnement malgré la conservation de 14 m2 ha−1
104
+ d'arbres sur pied. Une autre étude du Superior National Forest of Minnesota menée par Stone et al. (2000) indiquait qu'une réserve de 75 arbres/ha uniformément répartis diminuait le drageonnement de 33 à 41 % mais sans pour autant affecter la croissance de ceux-ci. En pratique, les arbres laissés sont soit répartis uniformément sur la parcelle, soit concentrés en petits groupes de 10 à 30 arbres. La taille recommandée des surfaces d'exploitation par mise à blanc est de l'ordre de 4-5 ha et celles-ci doivent être idéalement dispersées dans des peuplements âgés. Dans les bons sites
105
+ (index stationnel de 24,5 m à 50 ans), les exploitations ont une rotation de 25 à 30 ans avec une surface terrière de 25 à 30 m2 ha−1 (Perala 1977).
106
+
107
+ Pour les autres peupliers, les conditions d'exploitation peuvent être semblables mais nombre de peupleraies naturelles sont souvent remplacées par des plantations. Dans les formations forestières liées aux cours d'eau à fortes perturbations, les peupliers sont parmi les premiers colonisateurs avec les saules et les aulnes. Selon les cas, ces formations forestières peuvent évoluer vers des peuplements dominés par des essences plus longévives. La sylviculture des
108
+ peuplements naturels peut présenter plusieurs scénarios adaptés aux types de peuplements (mélangés ou purs) et aux objectifs attendus (évolution vers un autre faciès forestier ou pérennisation de la peupleraie). Dans ces peupleraies, les éclaircies, quand cela s'avère possible, sont pratiquées très tôt et fréquemment.
109
+ Généralement l'exploitation des peupliers est réalisée par la méthode des mises à blanc qui permet ensuite la régénération avec la même espèce. Cette méthode est cependant contre-indiquée pour certaines espèces (P. euphratica, P. pruinosa…) occupant les zones désertiques car elle fragilise le peuplement et hypothèque la régénération naturelle. Dans ces types de peuplements, on choisira des exploitations d'arbres isolés ou par groupes de quelques arbres (4-5) afin de conserver un état forestier protecteur tout en assurant aux rejets ou aux semis des conditions suffisantes de développement. Quand les jeunes plants ont dépassé le stade critique, on peut agrandir les « cônes » de régénération. Cela dit, les régénérations naturelles sont essentiellement axées sur la colonisation de
110
+ nouveaux sites via l'ensemencement et moins par la régénération sur même site même si cette dernière est fréquente pour les espèces drageonnant aisément.
111
+
112
+ Un des grands avantages des peupliers est que le matériel de qualité supérieure peut être rapidement disponible en grande
113
+ quantité. C'est d'autant plus vrai pour les peupliers des sections Aigeros et Tacamahaca dont le bouturage est
114
+ relativement facile. La multiplication chez les trembles est un peu plus difficile car elle nécessite des boutures avec
115
+ talon racinaire appelées barbatelles.
116
+ Les produits de la pépinière peuvent être assez différents selon le mode de propagation, les coûts, le type de plantation
117
+ envisagé, les conditions de plantation… Les boutures non racinées sont produites à partir de bois d'un an et varient
118
+ selon les modes de production du mini bouturage (2-3 cm) au bouturage plus classique (15 cm à maximum 100 cm).
119
+ Dans le cadre d'une production intensive avec des densités de plantation supérieures à 700 tiges/ha, on emploiera préférentiellement des boutures classiques. Ce type de plantation nécessite une préparation du sol comparable à une culture agricole traditionnelle et demande un contrôle de la végétation adventice aussi minutieux.
120
+ Pour des plantations moins denses (< 400 tiges/ha), on préfèrera l'emploi de plançons ; la longueur de ceux-ci peut varier entre 1,5 m et 5 ou 6 m. Ce type de matériel permet les replantations dans des milieux plus difficiles (tels qu'en forêts) et le contrôle de la végétation devenant adventice moins crucial.
121
+ Ces plançons sont produits à partir des boutures classiques, installées à +/- grande densité selon les conditions climatiques (température, ensoleillement…) et le calibre des boutures désiré. Ainsi, dans la plaine du Mississippi, les écartements sont typiquement de 0,3 m × 0,3 m soit légèrement moins de 0,1 m2/plant ; les plançons sont produits en 1 ou 2 ans et dans ces conditions, l'irrigation est fréquente. Ces fortes densités sont pratiquées afin d’empêcher le développement de branches latérales ce qui permet de réduire fortement l'habillage des plants ; cette pratique fonctionne particulièrement bien avec les P. deltoïdes et P. ×euramericana mais moins avec les hybrides moins héliophiles tels que P. trichocarpa × P. deltoïdes ou P. trichocarpa × P. nigra.
122
+ Autre exemple, en Belgique, la densité pratiquée est de 5000 à 10 000 plants / ha soit des écartements de 1 m × 2 m à 1 m × 1 m. Classiquement, les plançons sont produits en 2-3 ans selon les cultivars ; l'irrigation y est rare mais la production nécessite une main-d'œuvre importante pour l'habillage des plants. Les plants de trembles peuvent être transplantés à
123
+ partir de barbatelles d'un an soit à la taille d'un semis d'un an (60 à 100 cm).
124
+ La production de plants en container est plus anecdotique. Elle peut être réalisée soit à partir de semis, de mini boutures, de boutures ‘en vert’ ou de boutures de racine (tremble). Elle n'est quasiment pas utilisée en Europe et est commune pour des plantations en milieux arides.
125
+
126
+ La compétition entre le peuplier et la végétation adventice est importante et il est d'autant
127
+ plus nécessaire de la réduire que les plants installés sont petits. Plusieurs méthodes peuvent
128
+ être envisagées :
129
+
130
+ En pépinière, les problèmes essentiels sont liés aux maladies telles que les rouilles, le Marssonina sp. et les dépérissements de pousses. Ces derniers étant favorisés par de fortes attaques des deux premières maladies, c'est sur celles-ci que vont se concentrer les efforts du pépiniériste.
131
+
132
+ Les maladies foliaires et en particulier les rouilles feront l'objet de traitements appropriés (emploi des fongicides agréés selon les états). Les dépérissements des pousses sont causés par de nombreux agents différents comme Discosporium populeum, Cytospora chrysosperma, Phomopsis oblonga…
133
+
134
+ Les déprédateurs les plus gênants en pépinière sont les défoliateurs comme les chrysomèles et les altises (notamment Chrysomela scripta aux États-Unis) et les insectes xylophages tels que les sésies et les saperdes. Ici aussi des insecticides adaptés existent et peuvent être utilisés selon les législations nationales.
135
+
136
+ Le sol idéal est bien aéré, riche, bien alimenté en eau et suffisamment profond (profondeur de la nappe à plus d'un mètre). Il a une texture limoneuse +/- légère avec un pH eau compris entre 5 et 7,5 (Baker et Broadfoot 1979). Mais en fait, chaque espèce et hybride de peupliers a ses exigences ou ses tolérances propres (le P. tremula supportera mieux les sols acides, le P. heterophylla les stations mouilleuses, le P. euphratica les sols halomorphes…).
137
+ Les distances de plantations dépendent de l'espèce concernée et du produit envisagé.
138
+ Dans le cadre d'une production de bois d’œuvre de haute qualité et sans éclaircie, les plantations sont réalisées à très faible densité (entre 150 et 220 plants / ha) comme cela se pratique notamment en Europe. Dans les zones méridionales ce type de culture peut être associé à des spéculations agricoles telles que la production de blé, de betterave, de produits maraîchers, de soja…
139
+ Des densités plus importantes sont pratiquées notamment aux États-Unis, avec des écartements variant de 1600 à 625 tiges / ha. Sans éclaircies, le produit de ces plantations alimentera l'industrie de la cellulose ou des panneaux (par ex. OSB). Dans d'autres régions comme la Chine, où les fortes densités sont régulièrement usitées, les bois d'éclaircies servent
140
+ notamment comme petit bois de construction, bois pour les manches d'outils ou encore comme combustible.
141
+ Les densités pratiquées dépendent également de l'espèce ou de l'hybride cultivé ainsi que des objectifs de la plantation. Outre la production de bois, les peupliers sont également largement utilisés pour la restauration des sols, comme brise vent, comme barrière à l'ensablement, comme parasol, pour l'alimentation animale, pour l'industrie pharmaceutique, pour
142
+ l'ornementation ou encore en phytoremédiation.
143
+
144
+ Les plantations en alignements sont largement pratiquées à travers le monde. Elles répondent à différents objectifs plus ou moins cumulables selon les cas. Les alignements permettent d'allier production de bois d'œuvre et activité agricole (culture ou élevage) mais cela est loin d'être leur seule fonction. Ainsi, ils sont largement utilisés comme brise-vent (notamment à l'aide de P. nigra var ‘Italica’), dans la lutte contre l'ensablement, comme arbre de bord de voirie (route, canaux…), pour l'ombrage ou pour leurs qualités ornementales.
145
+
146
+ Les écartements varient en fonction des objectifs alloués à l'alignement. En plantation brise-vent, les écartements varient entre 2 et 4 m. Dans la lutte contre l'ensablement ou en fixation de terre, les densités peuvent être largement augmentées (écartements entre 0,5 m et 4 m). Les plantations orientées vers la production de bois d'œuvre ont des écartements plus larges (généralement entre 4 et 12 m).
147
+
148
+ La production en alignement est plus rapide qu'en peuplement mais nécessite plus d'entretien si l'on veut produire du bois de grande qualité (tailles de formation, élagages et émondages plus fréquents). Par exemple, en Belgique, la croissance du P. × euramericana ‘Robusta’ est en moyenne de 5 cm/an en peuplement forestier mais atteint facilement 7 cm/an en alignement.
149
+
150
+ Ce système de culture est devenu très en vogue à travers le monde, l'objectif étant la production de biomasse en un temps très court pour la production cellulosique ou plus fréquemment comme biocombustible. Ce type de production ligneuse nécessite les mêmes conditions que l'agriculture classique : un travail du sol, des traitements herbicides (de pré-émergence et de post-émergence) les premières années et après chaque récolte, parfois des traitements insecticides (si attaques d'insectes défoliateurs) et des apports en fumure relativement importants. Dans les régions semi-arides et bien ensoleillées, l'irrigation ou la fertirrigation (injection d'éléments nutritifs avec l’eau d’irrigation pour leur permettre d’être rapidement absorbés par les cultures) y est assez commune.
151
+
152
+ Le peuplier ne fait pas l'objet d'une législation spécifique, mais par contre d'un abondant contentieux, qui recouvre des situations très diverses, qu'il s'agisse des chutes d'arbres, de l'aménagement foncier, des baux ruraux, des travaux menés par les collectivités publiques, du défrichement, des plantations, de l'exploitation des coupes, du débardage, de la fiscalité, des dégâts du gibier, de l'incendie, des inondations, des bords de rivière, des relations de voisinage, ou de l'usufruit (v. bibliographie).
153
+
154
+ Par ailleurs, en raison du statut particulier des populicultures (à mi-chemin entre la forêt et l'agriculture), savoir si les peupleraies étaient ou non régies par le Code forestier a été longtemps discuté. On peut considérer aujourd'hui, sur la base de deux circulaires et du contentieux (jurisprudence), que les peupleraies sont soumises à la législation du Code forestier relative au défrichement.
155
+
156
+ Dans certains pays, des subventions ou déductions fiscales, peuvent être accordées aux populiculteurs, à certaines conditions. Les labels et assertions techniques, étiquetages ou affichages environnementaux doivent aussi, quand ils existent, respecter la réglementation
157
+
158
+ Le peuplier présente la caractéristique de pousser très rapidement, et plus encore pour clones d'hybrides sélectionnés pour une croissance encore plus rapide. Et, corrélativement – comme le saule – quand il ne manque pas d'eau, il évapotranspire une grande quantité de vapeur d'eau, ce qui lui fait jouer – dans une certaine mesure – un rôle de filtre entre la nappe phréatique et la vapeur d'eau qu'il rejette dans l'air. Ce faisant, il peut cependant se contaminer en bioaccumulant certains toxiques dans son bois ou son écorce, ou au contraire les éliminer (comme déchet métabolique ou via ses feuilles mortes, pollens, graines ou exsudats racinaires…).
159
+
160
+ Certaines plantes se montrent capables d'absorber de grandes quantités de métaux lourds, de radioisotopes ou de polluants organiques[16] et parfois de les dégrader[17], en disposant par exemple de mécanismes de détoxication face au trichloroéthylène qui est toxique et génotoxique[18].
161
+
162
+ Le peuplier fait partie des plantes pouvant absorber et dégrader le trichloroéthylène (TCE), un polluant fréquent des nappes dans les régions industrielles et urbaines.
163
+
164
+ Des tests faits aux États-Unis dans les années 1990 avec des peupliers hybrides (Populus trichocarpa × P. deltoides ; clones H1-11 and 50-189[19], plantés dans un sol à aquifère artificiel (irrigué par une eau volontairement polluée par du trichloréthylène[19]) ont montré que ces peupliers absorbaient du TCE et en dégradaient une partie en plusieurs déchets métaboliques connus : trichloroéthanol, acide trichloroacétique et acide dichloroacétique)[20]. Une autre partie (moins de 5 % lors d'une des expériences, mais ce taux pourrait être différent dans la nature[21]) était évacuée via l’évapotranspiration (« phytovolatilization », habituellement mesurée en culture sous serre), en quantités mesurables.
165
+
166
+ Il s'agit bien d'une biodégradation qui ne résulte pas de l'activité de bactéries de la rhizosphère ou de symbiotes fongiques du peuplier (qui existe aussi par ailleurs pour un certain nombre de polluants[22]), car en laboratoire des cultures pures de cellules de peupliers dégradent effectivement le trichloréthylène, en produisant les mêmes produits métaboliques intermédiaires[20].
167
+
168
+ Les peupliers ou leurs cellules exposées à du trichloréthylène marqué au radiocarbone 14 (traceur[23]) produisent aussi du dioxyde de carbone radiomarqué ce qui montre qu'il y a bien eu dégradation du trichloroéthylène au niveau cellulaire[20].
169
+
170
+ Des boutures de peupliers plantées dans un sol pollué par le TCE ont produit les mêmes métabolites.
171
+
172
+ En laboratoire, le degré d'oxygénation de la rhizosphère semble avoir peu d’importance[21].
173
+
174
+ L'extraction augmente avec l'évapotranspiration (indice métabolique) et n'est donc efficace que durant la saison de croissance, mais avec, semble-t-il, un très bon rendement : « au moins 95 % du TCE supprimés » pour le TCE solubilisé dans le flux d'eau entrant dans les cellules des arbres[19]. Il faut néanmoins que le TCE soit très dilué, car il est toxique pour les cellules du peuplier, qu’il tue au-dessus d’une certaine dose[19]. D’autres contraintes environnementales doivent être prises en compte pour prédire la capacité des peupliers à dépolluer un sol de son TCE[24],[25].
175
+
176
+ Ces travaux ont suggéré que le peuplier pouvait avoir un potentiel supplémentaire en matière de phytoépuration des sols in situ, à des coûts inférieurs de 20 % environ à ceux des techniques classiques de dépollution[26] (d'autres essences pourraient aussi peut-être avoir une telle aptitude)[20].
177
+ Il existe en outre des bactéries de la rhizosphère du peuplier qui peuvent aussi efficacement extraire le trichloroéthylène de la nappe et du sol[27].
178
+
179
+ En 2014, la France est nette exportatrice de peuplier, d'après les douanes françaises. Le prix à la tonne à l'export était d'environ 64 €[29].
180
+
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+ Sur les autres projets Wikimedia :
fr/4541.html.txt ADDED
@@ -0,0 +1,181 @@
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
1
+ Populus
2
+
3
+ Genre
4
+
5
+ Classification APG III (2009)
6
+
7
+ Les peupliers sont des arbres du genre Populus de la famille des Salicacées.
8
+
9
+ Le genre Populus englobe 35 espèces des régions tempérées et froides de l'hémisphère nord. Il comprend aussi de nombreux hybrides naturels ou artificiels (créés par l'homme). Les peupliers, arbres à la croissance rapide se rencontrent rarement en forêt dense mais plutôt dans les ripisylves et aux abords des zones humides où comme les saules, ils sont appréciés des castors et ils recèpent ou drageonnent facilement quand ils ont été coupés par ces derniers.
10
+
11
+ Ils croissent sur les terrains humides voire temporairement inondés. Leur système racinaire, important, souvent superficiel et traçant (comme celui du peuplier d'Italie par exemple) peut détruire des murs, soulever les enrobés bitumés et coloniser des tuyaux d'égouts. Certaines espèces (peuplier tremble) peuvent pousser sur des sols sableux pauvres et supportent relativement bien les embruns marins, à une certaine distance de la mer toutefois.
12
+
13
+ Leur culture est nommée populiculture. En dehors des espèces spontanées, de nombreuses variétés ou cultivars sont à la disposition des sylviculteurs (populiculteurs). Le séquençage du génome du peuplier de l'Ouest a été annoncé en 2004 et publié en 2006[1]. Le peuplier étant un arbre à croissance rapide (d'où une évaluation vite disponible lors de tests) et progressivement entièrement séquencé, il devient le premier arbre transgénique en 1986 et est depuis l'essence qui a fait l'objet du plus grand nombre d'essais et de tests (47 % en 2005) d'arbres génétiquement modifiés (une souche en France, par l'INRA et d'autres au Canada)[2].
14
+
15
+ De pouplier, poplier, dérivé avec le suffixe -ier de l'ancien français pople, peuple (XVe siècle), du latin pōpŭlus, dont l'origine n'est pas connue.
16
+
17
+ L'étymologie populaire selon laquelle le latin populus (peuplier) évoquerait le peuple, car les places publiques romaines étaient ombragées de peupliers ou que l'arbre pousse souvent en groupes denses comme une foule humaine[3], est fantaisiste. Le pŏpǔlus de peuple, masculin, accentué sur la première syllabe, n'est pas le même mot que le pōpǔlus de peuplier, féminin comme tous les noms d'arbres et accentué sur l'avant-dernière syllabe[4].
18
+
19
+ Il existe aussi l'hypothèse d'un substrat méditerranéen plus ancien[4], l'étymologie peu satisfaisante faisant rattacher le peuplier au grec papalein, référence au tremblement caractéristique de ses feuilles triangulaires portées par un long pétiole ou à sa capacité à se tordre face au vent en effet le peuplier semble se "plier" face aux différences de pression entre deux masses d'air[5].
20
+
21
+ Ce sont de grands arbres à feuilles simples, alternes, cordiformes ou triangulaires ou ovales, caduques, acuminées, à long pétiole comprimé.
22
+
23
+ Le système racinaire est traçant et contribue à la dissémination par drageonnage à partir de racines superficielles.
24
+
25
+ L'écorce est plutôt pâle (chez le jeune arbre) et de plus en plus crevassée alors que l'arbre vieillit.
26
+
27
+ Le bois est blanc, léger, tendre, assez résistant, adhérent et peu fissile.
28
+
29
+ Ces espèces sont dioïques (un individu est soit mâle, soit femelle). Les fleurs sont réunies en chatons pendants, qui apparaissent avant les feuilles. leur périanthe est réduit à une cupule. Les fleurs mâles présentent de 8 à 30 étamines rougeâtres. L'ovaire de la fleur femelle est uniloculaire, à deux carpelles. Une fois fécondées, ces derniers forment une capsule uniloculaire à deux valves contenant de nombreuses graines velues.
30
+
31
+ Les paléobotanistes s'accordent à donner aux peupliers une origine fort ancienne, parmi les Angiospermes.
32
+
33
+ Le Suisse O. Heer attribue au genre Populus certaines empreintes de feuilles simples rencontrées dans le néocomien de Kome (lignite), sur la côte ouest du Groenland (P. primaeva Heer)[6],[7].
34
+
35
+
36
+
37
+ Les Turanga seraient donc des formes primitives.
38
+
39
+ Il semble que ce n'est qu'au Sénonien que les représentants des autres sections sont apparus
40
+
41
+ .
42
+
43
+ Le genre Populus est divisé en six sections :
44
+
45
+ Les espèces naturelles ont été utilisées pour créer des cultivars depuis le XVIIIe siècle. Certains hybrides se sont fixés à l'état sauvage. On trouve les principales espèces de peupliers :
46
+
47
+ Ce bois blanc tendre et léger (1,2 sur l'échelle de Chalais-Meudon[8]) est facile à coller, à teindre, à peindre, à clouer et à agrafer mais il se scie et se ponce difficilement.
48
+
49
+ Au siècle dernier, dans les régions de production, il servait de bois de charpente; léger et résistant, on l'utilisait comme volige, chevron ou poutre en tronc entier.
50
+
51
+ Les peupliers sont cultivés de façon industrielle par des « populiculteurs » dans des zones dédiées dites peupleraies ou ramiers en région toulousaine.
52
+
53
+ Les belles billes servent au déroulage. On en fait des panneaux (lattés, contreplaqués), boîtes à fromage, emballages légers pour fruits et légumes, bourriches d'huîtres ou allumettes. La seconde qualité est généralement valorisée pour la fabrication de palettes, de cagettes ou de pâtes à papier.
54
+
55
+ Le peuplier (Populus trichocarpa) a été le premier arbre dont le génome a été entièrement séquencé. Il a été choisi pour son « petit » génome qui contient 485 millions de paires de bases (le génome du pin en contient 40 à 50 fois plus) réparties sur 38 chromosomes. L'autre critère de choix a été la capacité de cet arbre à grandir de 5 m par an, permettant d'évaluer efficacement les modifications génétiques.
56
+ Environ 45 500 gènes codant des protéines ont été identifiés[1].
57
+
58
+ En 2007, des chercheurs de l'Université de Washington ont développé un peuplier OGM capable de métaboliser et détruire le trichloréthylène souillant des sites industriels pollués[9].
59
+
60
+ De nombreux clones sélectionnés pour leur croissance rapide, et dont l'évapotranspiration a été maximisée se sont finalement rapidement montrés particulièrement vulnérables à certains insectes défoliateurs puis aux rouilles du peuplier (maladies fongiques dues à des champignons microscopiques qui semblent systématiquement s'adapter après quelques années aux clones sélectionnés pour leur résister), en dépit d'une nette amélioration de la qualité de l'air en termes de pluies acides[10].
61
+
62
+ En termes de bonnes pratiques pour la santé des forêts[11], - comme pour les plantations monoclonales de résineux ou d'eucalyptus - on recommande maintenant d'au moins réintroduire un peu de diversité génétique par un mélange de plusieurs clones ou hybrides, comme stratégie de lutte contre les épidémies et parasitoses[12]. Des stratégies de lutte intégrée sont aussi recommandées, dans une démarche de gestion plus durable des peupleraies encouragée à échelle mondiale par la FAO[13].
63
+
64
+ Des logiciels d'analyse automatique de photographie permettent maintenant de mieux mesurer l'état des houppiers (décoloration, défeuillaison du houppier)[14] en tenant compte des caractéristiques de différents hybrides[15].
65
+
66
+ Les larves de quelques espèces de coléoptères parasitent le peuplier :
67
+
68
+ Les papillons dont les chenilles consomment des feuilles de peupliers sont :
69
+
70
+ Les papillons de nuit (hétérocères) suivants (classés par famille) se nourrissent de peuplier :
71
+
72
+ (Voir aussi ces papillons sur le Wiktionnaire)
73
+
74
+ Un autre invertébré parasite fréquent du peuplier est le puceron lanigère (Phloeomyzus passerinii)
75
+
76
+ La culture de peuplier repose sur trois piliers essentiels : la qualité du cultivar utilisé, la qualité de la station et les traitements appliqués à la culture.
77
+
78
+ La sylviculture appliquée se base prioritairement sur les modes de régénération privilégiés par tel ou tel groupe de peupliers. Ainsi la sylviculture des trembles utilise leurs capacités à spontanément drageonner alors que la gestion des peupliers des zones désertiques (P. euphratica, P. fremontii…) se basera préférentiellement sur la reproduction sexuée.
79
+
80
+ Les différences entre les espèces de peupliers sont aussi importantes qu'il n'y a de similitudes dans la gestion de leurs peuplements naturels. Dans les régions chaudes et sèches ou dans les régions proches du Cercle Arctique, les peupleraies se confinent aux plaines inondables et aux bords de cours d'eau où elles constituent le plus souvent des peuplements étroits (ripisylves) presque purs ou mélangés d'aulnes et de saules, en taches ou rubans sur plusieurs kilomètres.
81
+
82
+ Dans la forêt boréale et la forêt tempérée, les peupliers sont communément rencontrés soit en formations pures soit en peuplements mélangés.
83
+
84
+ Dans le passé, la régénération des peupliers (peupliers blancs, baumiers, noirs, trembles, etc.) était probablement principalement conditionnée par :
85
+
86
+ Le drageonnement est la voie de reproduction naturelle qui semble avoir été privilégiée par les trembles. Elle a localement conduit à la création de peuplements à dominantes monoclonales et ce sans aucune intervention de l'homme. L'évolution d'un arbre issu de semis vers un peuplement monoclonal prend des dizaines de siècles. Dans la région des Grands Lacs et l'Alaska, la taille moyenne de ces peuplements monoclonaux varie de 2 à 8 ares ce qui est très faible comparé aux peuplements des Montagnes Rocheuses. Dans le sud de l'Utah, le peuplement monoclonal naturel Pando couvre 43 ha, ce qui en fait probablement le plus grand organisme vivant du monde. Il est composé de 47 000 tiges et pèse, selon les estimations, 6 000 tonnes (Grant et al. 1992).
87
+
88
+ Les peuplements de trembles sont habituellement exploités en " coupe rase ". Des essais de coupes progressives ont provoqué un moins bon drageonnement et une croissance plus faible des pousses, la présence d'un étage arboré aussi diffus soit-il semblant défavoriser la régénération massive et rapide de ces peupliers.
89
+ La performance du drageonnement est également conditionnée par la température du sol, des réserves en hydrates de carbone du système racinaire, du génotype, de la présence de déprédateurs (grands herbivores, insectes…), des conditions de récolte et de nombreux autres paramètres (Maini 1967 ; Zasada et Schier 1973 ; Shepperd et Fairweather, 1994). L'exploitation forestière doit être particulièrement respectueuse du sol si l'on veut s'assurer d'un bon drageonnement. Les phénomènes de compaction et les blessures de l'appareil racinaire (favorisant la diffusion de l'armillaire) et diminuant d'autant les capacités du peuplement à se régénérer (Navratil et al. 1996). Dans les sites où la régénération est optimale, on compte de 30 000 à 100 000 drageons par hectare.
90
+
91
+ Bien que moins prolifique que les trembles, le P. balsamifera a également une propension à drageonner. Par exemple dans les forêts boréales occidentales du Canada on compte 3000 tiges/hectare après exploitation (Navratil et Bella, 1990). Le P. balsamifera compte également d'autres stratégies de régénération végétative (bouturage, rejet de souche…).
92
+
93
+ D'autres peupliers drageonnent mais se reproduisent également par d'autres méthodes de régénération végétative ; rejets de souches, bouturage ou décurtation (beaucoup plus rare). Pour ces espèces, la régénération végétative est privilégiée dans les conditions stationelles moins favorables.
94
+
95
+ Moins importante dans le développement de la sylviculture des tremblaies hors vallée, elle est par contre essentielle pour les systèmes forestiers ripuaires. La durée de vie de la graine étant très courte (moins de deux à trois semaines), il est impératif que la période d’ensemencement coïncide avec la fin des inondations. La réussite du semis est conditionnée par un lit d'ensemencement humide, complètement dépourvu d'autres végétaux et bien ensoleillé. Ces conditions sont généralement remplies sur les grèves, atterrissements et terrasses soit érodées par les crues, soit
96
+ nouvellement créées par les dépôts alluvionnaires. La simultanéité entre la fin des crues et la période d’ensemencement des peupliers est le fruit de longues années d'évolution. Les interventions sur les cours d'eau comme leur détournement, la stabilisation des berges, la création de barrage, les pompages, diminuent voir rendent impossible la régénération naturelle. Bien que les graines puissent se déplacer sur plusieurs kilomètres grâce notamment aux courants de convection (ou en cas de grands vents), la plupart du temps elles se déposent à peine à une centaine de mètres de leurs génitrices.
97
+
98
+ Les règles de gestion des trembles sont relativement simples. Les trembles ont été appelés par Graham et al. (1963) les arbres phoenix et ce pour la raison qu'ils peuvent en un à deux ans après perturbation de leur milieu (exploitation, tempête, incendie…) reconquérir et dominer le site. La sylviculture la plus communément appliquée est basée sur la régénération naturelle par drageonnement et n’est suivie d'aucun autre traitement jusqu'à l'exploitation. La
99
+ forte concurrence entre les plants assure une sélection rapide dans le peuplement. Des baisses de croissance ou autres effets liés à la densité n’auraient que peu d'impacts sur la production volumique ; en fait les peuplements denses sont moins susceptibles d'être affectés par les attaques d'insectes et les maladies. Lexploitation à blanc étoc continue d'être le système d'exploitation dominant (notamment sur le continent
100
+ nord-américain). Cela dit, les exigences de gestion durable de la forêt ont impliqué la pratique de certaines variantes. Par exemple dans l'Alberta, sur la coupe, l'Alberta Pacific Corporation laisse sur pied ±5 % du volume à exploiter afin
101
+ de rencontrer les objectifs de la conservation de la nature (Stelfox 1995). Toujours dans l'Alberta, dans la gestion des peuplements mixtes trembles - conifères, les peupliers sont exploités en premier afin de permettre le maintien des conifères.
102
+ Le but n'en est pour autant pas l'élimination des trembles mais bien le maintien de la forêt mixte. Dans le nord des Grands lacs, l'Administration forestière oriente sa gestion pour favoriser la conversion de certaines peupleraies vers des systèmes forestiers à espèces longévives (selon les mêmes principes que la conversion du taillis en futaie appliquée en Europe).
103
+ Le maintien d'arbres sur la mise à blanc diminue fortement la vigueur et la croissance des drageons. Perala (1977) indiquait que 2,4 à 3,6 m2 ha−1 de tiges sur pied sur la coupe réduisaient la croissance des drageons de 35 à 40 %. Par contre Doucet (1989) citait des exemples de parcelle ayant un bon drageonnement malgré la conservation de 14 m2 ha−1
104
+ d'arbres sur pied. Une autre étude du Superior National Forest of Minnesota menée par Stone et al. (2000) indiquait qu'une réserve de 75 arbres/ha uniformément répartis diminuait le drageonnement de 33 à 41 % mais sans pour autant affecter la croissance de ceux-ci. En pratique, les arbres laissés sont soit répartis uniformément sur la parcelle, soit concentrés en petits groupes de 10 à 30 arbres. La taille recommandée des surfaces d'exploitation par mise à blanc est de l'ordre de 4-5 ha et celles-ci doivent être idéalement dispersées dans des peuplements âgés. Dans les bons sites
105
+ (index stationnel de 24,5 m à 50 ans), les exploitations ont une rotation de 25 à 30 ans avec une surface terrière de 25 à 30 m2 ha−1 (Perala 1977).
106
+
107
+ Pour les autres peupliers, les conditions d'exploitation peuvent être semblables mais nombre de peupleraies naturelles sont souvent remplacées par des plantations. Dans les formations forestières liées aux cours d'eau à fortes perturbations, les peupliers sont parmi les premiers colonisateurs avec les saules et les aulnes. Selon les cas, ces formations forestières peuvent évoluer vers des peuplements dominés par des essences plus longévives. La sylviculture des
108
+ peuplements naturels peut présenter plusieurs scénarios adaptés aux types de peuplements (mélangés ou purs) et aux objectifs attendus (évolution vers un autre faciès forestier ou pérennisation de la peupleraie). Dans ces peupleraies, les éclaircies, quand cela s'avère possible, sont pratiquées très tôt et fréquemment.
109
+ Généralement l'exploitation des peupliers est réalisée par la méthode des mises à blanc qui permet ensuite la régénération avec la même espèce. Cette méthode est cependant contre-indiquée pour certaines espèces (P. euphratica, P. pruinosa…) occupant les zones désertiques car elle fragilise le peuplement et hypothèque la régénération naturelle. Dans ces types de peuplements, on choisira des exploitations d'arbres isolés ou par groupes de quelques arbres (4-5) afin de conserver un état forestier protecteur tout en assurant aux rejets ou aux semis des conditions suffisantes de développement. Quand les jeunes plants ont dépassé le stade critique, on peut agrandir les « cônes » de régénération. Cela dit, les régénérations naturelles sont essentiellement axées sur la colonisation de
110
+ nouveaux sites via l'ensemencement et moins par la régénération sur même site même si cette dernière est fréquente pour les espèces drageonnant aisément.
111
+
112
+ Un des grands avantages des peupliers est que le matériel de qualité supérieure peut être rapidement disponible en grande
113
+ quantité. C'est d'autant plus vrai pour les peupliers des sections Aigeros et Tacamahaca dont le bouturage est
114
+ relativement facile. La multiplication chez les trembles est un peu plus difficile car elle nécessite des boutures avec
115
+ talon racinaire appelées barbatelles.
116
+ Les produits de la pépinière peuvent être assez différents selon le mode de propagation, les coûts, le type de plantation
117
+ envisagé, les conditions de plantation… Les boutures non racinées sont produites à partir de bois d'un an et varient
118
+ selon les modes de production du mini bouturage (2-3 cm) au bouturage plus classique (15 cm à maximum 100 cm).
119
+ Dans le cadre d'une production intensive avec des densités de plantation supérieures à 700 tiges/ha, on emploiera préférentiellement des boutures classiques. Ce type de plantation nécessite une préparation du sol comparable à une culture agricole traditionnelle et demande un contrôle de la végétation adventice aussi minutieux.
120
+ Pour des plantations moins denses (< 400 tiges/ha), on préfèrera l'emploi de plançons ; la longueur de ceux-ci peut varier entre 1,5 m et 5 ou 6 m. Ce type de matériel permet les replantations dans des milieux plus difficiles (tels qu'en forêts) et le contrôle de la végétation devenant adventice moins crucial.
121
+ Ces plançons sont produits à partir des boutures classiques, installées à +/- grande densité selon les conditions climatiques (température, ensoleillement…) et le calibre des boutures désiré. Ainsi, dans la plaine du Mississippi, les écartements sont typiquement de 0,3 m × 0,3 m soit légèrement moins de 0,1 m2/plant ; les plançons sont produits en 1 ou 2 ans et dans ces conditions, l'irrigation est fréquente. Ces fortes densités sont pratiquées afin d’empêcher le développement de branches latérales ce qui permet de réduire fortement l'habillage des plants ; cette pratique fonctionne particulièrement bien avec les P. deltoïdes et P. ×euramericana mais moins avec les hybrides moins héliophiles tels que P. trichocarpa × P. deltoïdes ou P. trichocarpa × P. nigra.
122
+ Autre exemple, en Belgique, la densité pratiquée est de 5000 à 10 000 plants / ha soit des écartements de 1 m × 2 m à 1 m × 1 m. Classiquement, les plançons sont produits en 2-3 ans selon les cultivars ; l'irrigation y est rare mais la production nécessite une main-d'œuvre importante pour l'habillage des plants. Les plants de trembles peuvent être transplantés à
123
+ partir de barbatelles d'un an soit à la taille d'un semis d'un an (60 à 100 cm).
124
+ La production de plants en container est plus anecdotique. Elle peut être réalisée soit à partir de semis, de mini boutures, de boutures ‘en vert’ ou de boutures de racine (tremble). Elle n'est quasiment pas utilisée en Europe et est commune pour des plantations en milieux arides.
125
+
126
+ La compétition entre le peuplier et la végétation adventice est importante et il est d'autant
127
+ plus nécessaire de la réduire que les plants installés sont petits. Plusieurs méthodes peuvent
128
+ être envisagées :
129
+
130
+ En pépinière, les problèmes essentiels sont liés aux maladies telles que les rouilles, le Marssonina sp. et les dépérissements de pousses. Ces derniers étant favorisés par de fortes attaques des deux premières maladies, c'est sur celles-ci que vont se concentrer les efforts du pépiniériste.
131
+
132
+ Les maladies foliaires et en particulier les rouilles feront l'objet de traitements appropriés (emploi des fongicides agréés selon les états). Les dépérissements des pousses sont causés par de nombreux agents différents comme Discosporium populeum, Cytospora chrysosperma, Phomopsis oblonga…
133
+
134
+ Les déprédateurs les plus gênants en pépinière sont les défoliateurs comme les chrysomèles et les altises (notamment Chrysomela scripta aux États-Unis) et les insectes xylophages tels que les sésies et les saperdes. Ici aussi des insecticides adaptés existent et peuvent être utilisés selon les législations nationales.
135
+
136
+ Le sol idéal est bien aéré, riche, bien alimenté en eau et suffisamment profond (profondeur de la nappe à plus d'un mètre). Il a une texture limoneuse +/- légère avec un pH eau compris entre 5 et 7,5 (Baker et Broadfoot 1979). Mais en fait, chaque espèce et hybride de peupliers a ses exigences ou ses tolérances propres (le P. tremula supportera mieux les sols acides, le P. heterophylla les stations mouilleuses, le P. euphratica les sols halomorphes…).
137
+ Les distances de plantations dépendent de l'espèce concernée et du produit envisagé.
138
+ Dans le cadre d'une production de bois d’œuvre de haute qualité et sans éclaircie, les plantations sont réalisées à très faible densité (entre 150 et 220 plants / ha) comme cela se pratique notamment en Europe. Dans les zones méridionales ce type de culture peut être associé à des spéculations agricoles telles que la production de blé, de betterave, de produits maraîchers, de soja…
139
+ Des densités plus importantes sont pratiquées notamment aux États-Unis, avec des écartements variant de 1600 à 625 tiges / ha. Sans éclaircies, le produit de ces plantations alimentera l'industrie de la cellulose ou des panneaux (par ex. OSB). Dans d'autres régions comme la Chine, où les fortes densités sont régulièrement usitées, les bois d'éclaircies servent
140
+ notamment comme petit bois de construction, bois pour les manches d'outils ou encore comme combustible.
141
+ Les densités pratiquées dépendent également de l'espèce ou de l'hybride cultivé ainsi que des objectifs de la plantation. Outre la production de bois, les peupliers sont également largement utilisés pour la restauration des sols, comme brise vent, comme barrière à l'ensablement, comme parasol, pour l'alimentation animale, pour l'industrie pharmaceutique, pour
142
+ l'ornementation ou encore en phytoremédiation.
143
+
144
+ Les plantations en alignements sont largement pratiquées à travers le monde. Elles répondent à différents objectifs plus ou moins cumulables selon les cas. Les alignements permettent d'allier production de bois d'œuvre et activité agricole (culture ou élevage) mais cela est loin d'être leur seule fonction. Ainsi, ils sont largement utilisés comme brise-vent (notamment à l'aide de P. nigra var ‘Italica’), dans la lutte contre l'ensablement, comme arbre de bord de voirie (route, canaux…), pour l'ombrage ou pour leurs qualités ornementales.
145
+
146
+ Les écartements varient en fonction des objectifs alloués à l'alignement. En plantation brise-vent, les écartements varient entre 2 et 4 m. Dans la lutte contre l'ensablement ou en fixation de terre, les densités peuvent être largement augmentées (écartements entre 0,5 m et 4 m). Les plantations orientées vers la production de bois d'œuvre ont des écartements plus larges (généralement entre 4 et 12 m).
147
+
148
+ La production en alignement est plus rapide qu'en peuplement mais nécessite plus d'entretien si l'on veut produire du bois de grande qualité (tailles de formation, élagages et émondages plus fréquents). Par exemple, en Belgique, la croissance du P. × euramericana ‘Robusta’ est en moyenne de 5 cm/an en peuplement forestier mais atteint facilement 7 cm/an en alignement.
149
+
150
+ Ce système de culture est devenu très en vogue à travers le monde, l'objectif étant la production de biomasse en un temps très court pour la production cellulosique ou plus fréquemment comme biocombustible. Ce type de production ligneuse nécessite les mêmes conditions que l'agriculture classique : un travail du sol, des traitements herbicides (de pré-émergence et de post-émergence) les premières années et après chaque récolte, parfois des traitements insecticides (si attaques d'insectes défoliateurs) et des apports en fumure relativement importants. Dans les régions semi-arides et bien ensoleillées, l'irrigation ou la fertirrigation (injection d'éléments nutritifs avec l’eau d’irrigation pour leur permettre d’être rapidement absorbés par les cultures) y est assez commune.
151
+
152
+ Le peuplier ne fait pas l'objet d'une législation spécifique, mais par contre d'un abondant contentieux, qui recouvre des situations très diverses, qu'il s'agisse des chutes d'arbres, de l'aménagement foncier, des baux ruraux, des travaux menés par les collectivités publiques, du défrichement, des plantations, de l'exploitation des coupes, du débardage, de la fiscalité, des dégâts du gibier, de l'incendie, des inondations, des bords de rivière, des relations de voisinage, ou de l'usufruit (v. bibliographie).
153
+
154
+ Par ailleurs, en raison du statut particulier des populicultures (à mi-chemin entre la forêt et l'agriculture), savoir si les peupleraies étaient ou non régies par le Code forestier a été longtemps discuté. On peut considérer aujourd'hui, sur la base de deux circulaires et du contentieux (jurisprudence), que les peupleraies sont soumises à la législation du Code forestier relative au défrichement.
155
+
156
+ Dans certains pays, des subventions ou déductions fiscales, peuvent être accordées aux populiculteurs, à certaines conditions. Les labels et assertions techniques, étiquetages ou affichages environnementaux doivent aussi, quand ils existent, respecter la réglementation
157
+
158
+ Le peuplier présente la caractéristique de pousser très rapidement, et plus encore pour clones d'hybrides sélectionnés pour une croissance encore plus rapide. Et, corrélativement – comme le saule – quand il ne manque pas d'eau, il évapotranspire une grande quantité de vapeur d'eau, ce qui lui fait jouer – dans une certaine mesure – un rôle de filtre entre la nappe phréatique et la vapeur d'eau qu'il rejette dans l'air. Ce faisant, il peut cependant se contaminer en bioaccumulant certains toxiques dans son bois ou son écorce, ou au contraire les éliminer (comme déchet métabolique ou via ses feuilles mortes, pollens, graines ou exsudats racinaires…).
159
+
160
+ Certaines plantes se montrent capables d'absorber de grandes quantités de métaux lourds, de radioisotopes ou de polluants organiques[16] et parfois de les dégrader[17], en disposant par exemple de mécanismes de détoxication face au trichloroéthylène qui est toxique et génotoxique[18].
161
+
162
+ Le peuplier fait partie des plantes pouvant absorber et dégrader le trichloroéthylène (TCE), un polluant fréquent des nappes dans les régions industrielles et urbaines.
163
+
164
+ Des tests faits aux États-Unis dans les années 1990 avec des peupliers hybrides (Populus trichocarpa × P. deltoides ; clones H1-11 and 50-189[19], plantés dans un sol à aquifère artificiel (irrigué par une eau volontairement polluée par du trichloréthylène[19]) ont montré que ces peupliers absorbaient du TCE et en dégradaient une partie en plusieurs déchets métaboliques connus : trichloroéthanol, acide trichloroacétique et acide dichloroacétique)[20]. Une autre partie (moins de 5 % lors d'une des expériences, mais ce taux pourrait être différent dans la nature[21]) était évacuée via l’évapotranspiration (« phytovolatilization », habituellement mesurée en culture sous serre), en quantités mesurables.
165
+
166
+ Il s'agit bien d'une biodégradation qui ne résulte pas de l'activité de bactéries de la rhizosphère ou de symbiotes fongiques du peuplier (qui existe aussi par ailleurs pour un certain nombre de polluants[22]), car en laboratoire des cultures pures de cellules de peupliers dégradent effectivement le trichloréthylène, en produisant les mêmes produits métaboliques intermédiaires[20].
167
+
168
+ Les peupliers ou leurs cellules exposées à du trichloréthylène marqué au radiocarbone 14 (traceur[23]) produisent aussi du dioxyde de carbone radiomarqué ce qui montre qu'il y a bien eu dégradation du trichloroéthylène au niveau cellulaire[20].
169
+
170
+ Des boutures de peupliers plantées dans un sol pollué par le TCE ont produit les mêmes métabolites.
171
+
172
+ En laboratoire, le degré d'oxygénation de la rhizosphère semble avoir peu d’importance[21].
173
+
174
+ L'extraction augmente avec l'évapotranspiration (indice métabolique) et n'est donc efficace que durant la saison de croissance, mais avec, semble-t-il, un très bon rendement : « au moins 95 % du TCE supprimés » pour le TCE solubilisé dans le flux d'eau entrant dans les cellules des arbres[19]. Il faut néanmoins que le TCE soit très dilué, car il est toxique pour les cellules du peuplier, qu’il tue au-dessus d’une certaine dose[19]. D’autres contraintes environnementales doivent être prises en compte pour prédire la capacité des peupliers à dépolluer un sol de son TCE[24],[25].
175
+
176
+ Ces travaux ont suggéré que le peuplier pouvait avoir un potentiel supplémentaire en matière de phytoépuration des sols in situ, à des coûts inférieurs de 20 % environ à ceux des techniques classiques de dépollution[26] (d'autres essences pourraient aussi peut-être avoir une telle aptitude)[20].
177
+ Il existe en outre des bactéries de la rhizosphère du peuplier qui peuvent aussi efficacement extraire le trichloroéthylène de la nappe et du sol[27].
178
+
179
+ En 2014, la France est nette exportatrice de peuplier, d'après les douanes françaises. Le prix à la tonne à l'export était d'environ 64 €[29].
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+ La peur est une émotion ressentie généralement en présence ou dans la perspective d'un danger ou d'une menace. En d'autres termes, la peur est une conséquence de l'analyse du danger et permet au sujet de le fuir ou de le combattre, également connue sous le terme « la phobie et réponse combat-fuite ».
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+ Par extension, le terme peut aussi désigner l'appréhension liée à des situations déplaisantes ou à des animaux. Il est alors question de phobie, mot issu d'une racine grecque désignant la peur comme notamment la claustrophobie, l'acrophobie, l'arachnophobie ou l'agoraphobie.
6
+
7
+ Du point de vue de la neurologie, la peur est essentiellement une activation de l'amygdale (ensemble de noyaux au niveau des lobes temporaux)[1]. L'activation de l'amygdale correspond généralement à un sentiment de danger imminent. Elle peut entraîner une inhibition de la pensée et prépare l'individu à fuir ou à se défendre.
8
+
9
+ Selon certains psychologues tels que John Broadus Watson et Paul Ekman, la peur est créée par un flux d'émotions, dont la joie, la tristesse et la colère. La peur devrait être distinguée de l'état d'anxiété. Par ailleurs, la peur est générée par les comportements spécifiques de l'évitement et de la fuite, alors que l'anxiété est le résultat de menaces perçues comme étant incontrôlables ou inévitables[2].
10
+
11
+ D'après les enquêtes[réf. nécessaire], la majorité des peurs communes inclut: les fantômes, l’Océan, l'existence des pouvoirs maléfiques, les cafards, les araignées, les serpents, les hauteurs, l'eau, les espaces restreints, les tunnels et les ponts, les aiguilles, l'ostracisme, l'échec, les orages, les évaluations, les examens, les discours publics et les souvenirs de guerre. Dans un test innovateur sur les peurs des individus, Bill Tancer analyse les types de peur incluant la phrase « peur de… ». Les peurs les plus fréquemment citées sont : le vol, les tailles, les clowns, l'intimité, la mort, le rejet, les gens, les serpents, le succès et la conduite[3].
12
+
13
+ Biologiquement parlant, la peur est un instinct de survie qui permet aux animaux d'éviter des situations dangereuses pour eux-mêmes ou pour leur progéniture. Le principal objet de peur pour un animal est typiquement la présence d'un prédateur. La complexité de l'esprit humain a néanmoins transposé cette émotion et l'a dirigée vers des objets et situations aussi diverses que peuvent l'être les activités humaines. Certaines de ces phobies ont probablement une origine évolutive profonde, notamment pour la peur des serpents et des araignées. Il a été en effet montré que de telles peurs possèdent chez l'homme un caractère universel[4]. D'autres peurs sont liées à des activités sociales récentes et propres uniquement aux sociétés occidentales modernes. On ne peut donc raisonnablement pas supposer qu'elles aient une origine biologique.
14
+
15
+ La peur est très certainement l'une des émotions les plus anciennes du monde animal. Si elle se manifeste de façon parfois spectaculaire, il faut noter cependant que ces manifestations sont, pour des raisons éthiques faciles à comprendre, difficiles voire impossibles à reproduire en laboratoire. Pour cette raison, elles sont connues essentiellement à travers les expériences personnelles et la croyance populaire, voire les légendes ou le mythe.
16
+
17
+ Chez l'être humain, la peur peut se manifester par des tremblements, une hausse de la fréquence cardiaque, un écarquillement des yeux et une perturbation du rythme respiratoire. Ces différents symptômes sont essentiellement dus à la sécrétion d'adrénaline, principale hormone de la peur[5]. Dans certains cas, une peur soudaine peut provoquer le besoin de pousser un cri. La peur peut aussi provoquer une paralysie momentanée partielle et parfois complète, allant jusqu'à une perte de conscience. Il est aussi avéré qu'une peur violente peut provoquer une perte des cheveux pigmentés ne laissant apparaitre que les cheveux blancs, comme ce fut le cas pour Marie-Antoinette d'Autriche[6]. La peur peut aussi provoquer un pâlissement de la couleur de la peau, ce qui explique probablement l'expression « être blanc (ou vert) de peur ». On dit aussi que la peur provoque l'horripilation des poils, plus prosaïquement appelée chair de poule.
18
+
19
+ Dans les cas extrêmes, la peur peut aussi relâcher les muscles du bassin, provoquant ainsi l'évacuation de l'urine, et parfois même du bol fécal. Quelques expressions populaires décrivent ce phénomène. Il est prêté à la peur le pouvoir de mettre un terme au hoquet. Enfin, la peur provoque chez l'Homme comme pour la plupart des mammifères, une puissante activité hormonale qui peut provoquer le dégagement par la peau d'une forte odeur, ainsi qu'une hyperactivité du système sudatif, créant ce qu'on appelle les « sueurs froides ».
20
+
21
+ Charles Darwin décrivit ainsi les différents symptômes de la peur :
22
+
23
+ « La peur est souvent précédée de l'étonnement, dont elle est proche, car les deux mènent à une excitation des sens de la vue et de l'ouïe. Dans les deux cas les yeux et la bouche sont grands ouverts. L'Homme effrayé commence par se figer comme une statue, immobile et sans respirer, ou s'accroupit comme instinctivement pour échapper au regard d'autrui. Le cœur bat violemment, et palpite ou bat contre les côtes... La peau est très affectée par une grande peur, nous le voyons dans la façon formidable dont elle sécrète immédiatement de la transpiration... Les poils sur la peau se dressent ; et les muscles superficiels frissonnent. Du fait du changement de rythme cardiaque, la respiration est accélérée. Les glandes salivaires agissent de façon imparfaite ; la bouche devient sèche, est souvent ouverte et fermée. »
24
+
25
+ — Charles Darwin, L'Expression des émotions chez l'homme et les animaux
26
+
27
+ L'amygdale est la structure clé du cerveau dans la neurobiologie de la peur. Elle inclut le processus des émotions négatives (telles que la peur ou la colère). Des chercheurs ont observé une hyperactivité de l'amygdale chez les patients qui ont montré un visage menaçant ou confrontés à des situations effrayantes. Les patients ayant une phobie sociale plus sévère ont montré une corrélation avec une réponse plus atténuée de l'amygdale[7]. Des études ont également montré que les sujets exposés à des images de peurs faciales, ou le visage d'individus issus d'ethnies différentes[8], atténuait l'activité de l'amygdale, alors que la lésion de celle-ci ou sa calcification rend incapable la personne atteinte de cette lésion de reconnaître les expressions de
28
+ peur alors qu’elle peut discerner les autres émotions[9].
29
+
30
+ La réponse à la peur générée par l'amygdale peut être mitigée par une autre région cérébrale connue sous le nom de cortex cingulaire antérieur rostral, localisé au lobe frontal. Dans une étude de 2006 à Columbia University, des chercheurs ont observé chez les sujets qu'ils expérimentaient moins d'activité dans l'amygdale lorsqu'ils perçoivent consciemment un stimulus de peur que lorsqu'ils perçoivent inconsciemment un stimulus de peur. Anciennement, ils avaient découvert que le cortex cingulaire antérieur rostral freinait l'activité de l'amygdale, permettant un contrôle émotionnel aux sujets[10]. Une étude menée par des scientifiques de Zurich a conclu que l'hormone ocytocine, liée aux sentiments d'altruisme et d'empathie ainsi qu'au désir sexuel, était capable de diminuer l'activité cérébrale des centres responsables de la peur[11]. Après avoir été effrayé, cette information est envoyée de l'amygdale à un autre partie du cerveau, le cortex préfrontal, ou cette information est conservée pour une situation similaire qui pourra exister dans le futur[12].
31
+
32
+ La peur est grandement classifiée en deux types : peur externe et peur interne.
33
+
34
+ La peur peut être décrite selon les émotions ressenties par un individu. Ces émotions varient entre la prudence jusqu'à une extrême phobie et paranoïa. La peur est connectée par un nombre d'états émotionnels et cognitifs incluant l'inquiétude, l'anxiété, la terreur, l'horreur, la panique et la crainte. Les expériences de la peur peuvent se manifester longtemps après avoir été vécues, c'est-à-dire que l'individu peut revivre ses peurs durant des cauchemars, ou durant des nuits de terreur. Certaines pathologies liées à la peur (définies par des peurs irrationnelles et persistantes) peuvent inclure différents types de troubles anxieux, qui sont très répandus, et également certaines maladies sévères comme la phase extrême du trouble bipolaire et certaines formes de schizophrénie.
35
+
36
+ L'expérience de la méfiance peut être expliquée en tant que sentiment de peur ou de prudence, habituellement en réponse à une personne dangereuse ou peu familière. La méfiance peut survenir lorsque quelque chose ou quelqu'un est remis en question ou inconnu. Par exemple, un individu peut se méfier d'un autre lorsque celui-ci agit d'une manière improbable ou peu commune. La méfiance est également considérée comme une prévoyance et une remise en cause de situations qui peuvent devenir à tout moment effrayantes voire dangereuses.
37
+
38
+ La terreur est une forme très prononcée de la peur. C'est une sensation de danger imminent. Elle peut également être causée lors d'une phobie. La terreur peut conduire une personne au point de choix irrationnels et d'un comportement atypique. La paranoïa est un terme utilisé pour décrire une psychose de la peur. Celle-ci est expérimentée en tant que sentiment de persécution. La paranoïa est un état d'âme extrême combiné aux cognitions, plus spécifiquement, aux délires. Ce niveau de peur peut indiquer qu'un individu a changé de comportement d'une manière extrême ou mal adaptée.
39
+
40
+ Par définition, la mort est l'objet de peur par excellence, en tant qu'incarnation même du danger. Pourtant cette peur est très loin d'être universelle. Elle est cependant à la fois la plus commune et la plus paradoxale. Nombre de cultures échappent à la peur de la mort par le recours à la croyance d'une vie après la mort. Cette pensée est fondamentale dans beaucoup de religions, avec elle l'esprit appréhende la mort sans la craindre, mais en craignant ce qui lui succède, c'est-à-dire le jugement ou l'enfer. Des philosophies athées et matérialistes, issues de l'Antiquité grecque et encore très influentes de nos jours, mettent en évidence l'aspect paradoxal de la peur de la mort. Citons en particulier le philosophe grec Épicure :
41
+
42
+ « Lorsque nous sommes vivants, la mort n'est pas. Lorsque la mort est là, nous ne sommes plus. Dès lors, dans la mort que crains-tu exactement ? »
43
+
44
+ La peur de l'inconnu est un phénomène éthologique observé chez de nombreux animaux évolués et elle est source de prudence.
45
+
46
+ Chez l'Homme, elle peut être individuelle ou collective. C'est une peur d'un danger hypothétique. Elle apparaît face à des destinations ou circonstances attendues inconnues. La peur de la mort, ou de l'obscurité, de ne rien voir peuvent en être des formes, de même que la peur pour un changement ou quelque chose de nouveau (exemples : un bruit ou son nouveau, animal/insecte/personne/lieu nouveau, un voyage, un étranger, un entretien d'embauche, conférence, spectacle, concert ou exploit sportif à donner devant de nombreux spectateurs ou juges inconnus, etc., ces dernières situations se définissant plus communément sous l'appellation de « trac », lié à la peur de ne pas réussir ou du ridicule). Tous les acteurs ont un certain trac avant de passer devant le public, ainsi que certains autres métiers de l'enseignement face à leurs élèves, médical vis-à-vis des patients, commerçants envers leurs clients, ou également les métiers militaires périlleux, cette peur s'estompant avec l'habitude.
47
+
48
+ Une peur prolongée ou répétée entraîne un sentiment d'angoisse. On parle alors de situation anxiogène. Elle amène bien souvent à un état ou situation dits de « stress ». L'angoisse est une peur intense, parfois chronique. Elle augmente lentement et finit par atteindre un pic, dit crise de panique, ou crise d'angoisse, occasionnant de très sérieuses difficultés respiratoires, notamment une hyperventilation. Pendant cette crise, le sujet a l'impression qu'il va rester dans cet état et qu'il continuera à éprouver cette angoisse indéfiniment. Cependant en général la crise de panique s'estompe d'elle-même progressivement[13]. Les thérapies comportementales sur la peur se fondent sur ces observations. Des expositions progressives sont effectuées, pendant un temps assez long pour que l'angoisse redescende. C'est une sorte d'habituation qui doit être pratiquée avec précaution car des expositions trop brusques, ou trop intenses, peuvent provoquer l'effet inverse, jusqu'à engendrer un traumatisme.
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+ La peur peut aussi être le résultat d'une aliénation intellectuelle ou sociale. Nietzsche critique les religions dans Crépuscule des idoles, parce qu'elles auraient suscité la crainte du péché et de vivre par soi-même.
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+ La peur a un effet très fort sur les foules et ainsi est utilisée afin de contrôler les foules et les peuples. Dans les systèmes totalitaires ou dans l'esclavage traditionnel, l'objet de la peur est clairement identifié, il s'agit d'une menace de punition ou de mort en cas de désobéissance. Dans les systèmes dits démocratiques où une telle menace n'est pas explicite, il importe plus de contrôler ce que pensent les gens, en déformant les informations des médias et avec des menaces plus abstraites ou même virtuelles[14].
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+ La peur, lorsqu'elle est souhaitée, et dans un contexte de « sécurité », se transforme bien souvent en sensations plus ou moins fortes, notamment lorsqu'elle est liée aux sensations d'accélérations, horizontales, mais surtout verticales, celles-ci étant les plus inhabituelles de poussée en étant soulevé vers le haut, et encore davantage de « tomber dans le vide » et perte d'équilibre vers le bas, constituant un « airtime ». Elle produit dans le corps une réaction chimique d'adrénaline qui, en devenant agréable, expliquerait l'attirance de nombreuses personnes, jeunes notamment pour tous ces effets de déplacements : Montagnes russes, attractions, ascenseurs, toboggans, ski, surf, compétition automobile, parachutisme et saut à l'élastique, etc., ainsi que celui voisin, lié aux sensations de hauteur et de vertige : Parcours aventure en forêt, via ferratas, Stratosphere Las Vegas (et dans un autre domaine, plus occasionnel, celui de la peur due aux trains fantômes).
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+ Les fêtes foraines, parcs d'attractions, manèges et autres occasions d'adrénaline, se sont de plus en plus développés, au moyen de nouvelles inventions ou sports créés dans ce but, notamment au cours de ces 30 dernières années.
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+ La présence d'une personne ou d'un animal arrivant derrière soi, une sensation corporelle, un bruit de pétard, une porte qui claque, une décharge électrique, surtout s'ils sont subits, inattendus et très intenses, déclenchent un phénomène de peur, entraînant une réaction de contraction musculaire et d'adrénaline, se traduisant par une réaction de sursaut, accélération cardiaque, voire cri de la personne.
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+ Ne vous promenez pas seul après la tombée de la nuit, méfiez-vous de la vieille veuve au fond de l’allée, ne mettez pas le pain a l’envers… Toutes ces petites habitudes qui nous paraissent triviales à bien y réfléchir tiennent bien plus de la superstition que de réels conseils. Et pourtant, ce sont ces pensées qui influent notre quotidien car la peur est une donnée importante dans notre vie. Elle rythme nos journées, jouant sur nos comportements et notre manière de vivre. A travers nos connaissances du monde extérieur et nos expériences de vie, notre société a pu établir que certaines situations étaient sources de danger pour notre santé physique ou mentale. En effet, on sait aujourd’hui que la peur de la nuit nous vient de nos ancêtres lointains qui vivaient encore sans le feu. La nuit représente de nos jours le lieu du crime dans la littérature ou encore la scène de multiples actes violents dans nos consciences[15].
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+ Ces habitudes culturelles ressortissantes de nos peurs font partie de nous et sont une source de pression foisonnante pour quiconque veut effrayer l’esprit commun. C’était notamment le cas dans le contexte du jugement des sorcières de Salem au États-Unis où l’hystérie collective pris le pas sur la raison après que certaines croyances entrainèrent une peur liée a une catégorie de personnes.
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+
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+ Dans notre société actuelle, la peur est mise en avant dans plusieurs situations. Cela peut commencer par une blague faite à un ami, se cacher derrière une porte et crier d’une voix forte « BOUHHH». Nous pouvons remarquer que l’homme a cette volonté de vouloir faire peur et également d’avoir peur, d’éprouver ce sentiment de surprise et d’étonnement. La peur agit dans notre cerveau comme un détecteur ainsi qu’un déclencheur, cela peut être pour nous mettre en garde d’une situation dangereuse et nous prévenir du danger, comme une intuition. On comprend donc que la peur révèle en nous une multitude de sentiments qui peuvent être positifs si surmontés mais également négatifs si on se laisse perdre par nos craintes. Pris du bon côté la peur peut révéler en nous une facette plus combattante et sûr de soi[16].
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+ Depuis plusieurs années, la peur est devenue plus qu'une simple émotion, c'est aussi un argument de vente pour certaines populations du monde. Dans les pays développés (États-Unis, France), les gens n'hésitent pas à consacrer un budget important lors de grands évènements comme Halloween.
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+ La peur est également un argument de vente dans la culture cinématographique, elle est très présente dans certains gros blockbusters comme dans les séries, et très appréciée par la population. Dans la culture littéraire, la peur est également utilisée notamment dans des livres comme dans la Collection Chair de poule.
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+ La peur est également utilisée sous sa forme "terreur" à des fins politiques, [17].
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+ La plupart des peurs possèdent la propriété de pouvoir être surmontées. En effet pour une personne donnée, il suffit souvent de surmonter sa peur une fois pour la faire disparaitre définitivement. Cette aptitude à diminuer sa peur et à gagner ainsi en courage constitue un processus de maturation de l'esprit et de l'individu qui continue durant toute la vie. Ceci explique aussi que les enfants et les jeunes adultes sont en général beaucoup plus craintifs que les adultes plus expérimentés. La peur est d'ailleurs souvent détournée à des fins ludiques par les enfants, se mettant en scène et cherchant à se faire peur lors de fêtes notamment telles qu'Halloween.
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+ Nombres de sociétés ont considéré comme un devoir pour un homme d'être capable de surmonter sa peur. Il existe en effet chez de nombreux peuples des rites d'initiation ou de passage à l'âge adulte, au cours desquels un adolescent doit accomplir un acte a priori effrayant afin de pouvoir revendiquer son statut d'homme ou son appartenance à la communauté. Certaines sociétés ont poussé ce principe à l'extrême et ont fait de la peur, y compris celle de la mort, un objet de honte. La peur était alors simplement niée, considérée comme une faiblesse. Cette pratique s'applique à habituation, la forme la plus simple de l'apprentissage, apprendre à ne pas réagir à un événement sans importance qui se répète[18].
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+ C’est dans le contexte de la peur instrumentalisée dans les médias que ceci prend naissance. En effet, la peur est devenue un élément quotidien à travers sa prévention et sa diffusion. D’une publicité pour une alarme de sécurité à une annonce contre les vols dans les moyens de transports, la peur est constamment mise en avant dans notre environnement. On la transforme, la modèle et la présente chaque jour dans nos journaux. Cette technique permet d’insuffler l’idée que la peur est partout et qu’il faut apprendre à vivre avec.
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+ Le pénis[1] est l’organe mâle de copulation et de miction chez les animaux.
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+ Il constitue, avec les testicules, l’appareil génital externe du mâle. L'organe reproducteur mâle s'appelle également pénis chez d'autres animaux.
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+ Dans l'histoire évolutive du vivant, les doigts et les organes génitaux externes sont apparus au dévonien, il y a environ 410 millions d’années, lorsque les tétrapodes sont sortis de l'eau pour coloniser les terres émergées. Le pénis permet en effet un mode de fécondation interne qui pallie l'absence de milieu liquide environnant. Ce processus est confirmé par le gène du développement HOXD13 (en) qui contrôle la formation des extrémités, doigts des mains et des pieds (organes développés lors de terrestrialisation en lien avec le mode de locomotion terrestre (en)), mais aussi celle du pénis[4]. Selon le biologiste Michel Morange, « le nombre de doigts ne serait que la conséquence de contraintes situées ailleurs ; peut-être avons-nous cinq doigts pour que notre pénis soit plus efficace[5] ».
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+ Chez les tétrapodes amniotes, les pénis érectiles sont apparus au moins quatre fois indépendamment, chez les mammifères, les tortues, les reptiles à écailles et les Archosauriens (crocodiliens chez qui le sperme glisse sur le phallus via une sorte de gouttière, tandis que 97 % des oiseaux ont perdu cet organe, à l'exception des Paléognathes et des Anseriformes)[6].
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11
+ La plupart des marsupiaux, sauf les deux espèces les plus grandes des kangourous, ont un pénis bifurqué, c’est-à-dire qu’il se divise en deux colonnes indépendantes qui peuvent chacune s'introduire dans le double vagin des femelles[7].
12
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13
+ Les éléphants, les tapirs et les dauphins ont un pénis préhensile qui facilite la copulation[8],[9],[10]
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+
15
+ Le plus gros pénis du règne animal appartient à la baleine bleue. Celui-ci peut atteindre 2,4 m[11].
16
+
17
+ Chez certains mammifères euthériens (à l'exclusion des monotrèmes et des marsupiaux), le pénis est renforcé par le baculum (mot latin signifiant « canne »), ou os pénien. Il est absent chez les humains, mais présent chez presque tous les autres primates, comme le gorille et le chimpanzé. Cet os facilite le rapport sexuel.
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+
19
+ Le pénis est homologue au clitoris femelle, puisque les deux se développent à partir de la même structure embryonnaire.
20
+
21
+ Le pénis (et le clitoris) des mammifères ont une fonction importante dans le comportement de reproduction. Les récepteurs sensoriels péniens (et clitoridiens) transmettent les sensations de la copulation au niveau du système de récompense[12], ce qui favorise le développement de la motivation sexuelle[13].
22
+
23
+ Chez les mammifères non-primates, la lordose est un réflexe[note 1] moteur complexe, inné et crucial pour la femelle[14]. Ce réflexe de lordose permet, par la courbure du dos, de bien présenter la région génitale au mâle, ce qui permet la pénétration vaginale. Lors de l'œstrus (les « chaleurs »), les œstrogènes arrivant dans l'hypothalamus désactivent le circuit cérébral qui bloquait le réflexe[15]. Puis, quand le mâle monte la femelle en œstrus, les stimuli tactiles sur les flancs et la croupe déclenchent la contraction réflexe des muscles lombaires, ce qui provoque la courbure de la colonne vertébrale.
24
+
25
+ Chez les hominidés, au cours de l’évolution, la sexualité s'est progressivement dissociée des cycles hormonaux[16],[17], 90 % des gènes des récepteurs aux phéromones ont été altérés[18],[19] et le réflexe sexuel de la lordose n'est plus fonctionnel. En raison de ces modifications du système nerveux, les informations sensorielles péniennes (et clitoridiennes) deviennent plus importantes[20]. On observe que les activités sexuelles des hominidés changent : elles ne sont plus limitées à la copulation[21],[22], mais se développent autour de la stimulation du pénis (ou du clitoris). Le comportement de reproduction a évolué vers un comportement érotique où le pénis joue un rôle majeur[23],[note 2].
26
+
27
+ Le pénis humain se constitue de trois couches de tissu :
28
+
29
+ Le bout distal du corps spongieux élargi et côniforme constitue le gland du pénis (glans penis). Le gland est entouré par le prépuce (preputium), un pli de peau qui peut se retirer pour découvrir le gland et qui est supprimé lors de la circoncision. Le prépuce s’attache au-dessous du gland par une bande de peau, le frein.
30
+
31
+ L’urètre (urethra), qui constitue la dernière partie du tractus urinaire, traverse le corps spongieux ; sa sortie, le méat urétral (meatus urethralis), se trouve au bout du gland. L’urètre sert également à la miction et à l’éjaculation.
32
+
33
+ Le pénis est capable d’érection lors de stimulation sexuelle, ce qui permet le coït. L’éjaculation accompagne la plupart du temps l’orgasme.
34
+
35
+ L’anatomie du pénis humain se distingue de celle du pénis de la plupart des autres mammifères par l’absence de baculum, un os qui sert à ériger le pénis avant l’acte de copulation. Les corps caverneux du pénis humain se gorgent de sang pour atteindre l’érection. L’homme ne peut pas rétracter son pénis dans son corps. Le pénis humain est un peu plus important, relativement à la masse corporelle, que celui des autres mammifères.
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+ De même origine embryonnaire que le clitoris, le pénis présente une structure identique : le corps caverneux – corpus cavernosum – correspondant aux piliers du clitoris, convergeant en avant vers la symphyse pubienne pour former le corps du clitoris (constitué du coude – appelé aussi genou – et de la hampe) [24].
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+ Chez les insectes, le pénis peut comprendre plusieurs pièces dont l'organe d'intromission appelé édéage, correspondant à la partie terminale sclérifiée du canal éjaculateur. Chez certaines punaises, le mâle est muni d'un pénis qui perfore le corps de la femelle, dans un acte que les entomologues appellent copulation traumatique.
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+
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+ La plupart des mâles céphalopodes pratiquent leur copulation à l'aide d'un bras modifié, l'hectocotyle mais le calmar géant et le poulpe ont un vrai pénis, alors que leur hectocotyle est rudimentaire[25].
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+ Les reptiles squamates mâles possèdent deux organes sexuels reproducteurs appelés « hémipénis », logés dans des poches à la base de la queue[26],[27].
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+
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+ Pseudo-pénis d'un Canard colvert, et son éversion explosive[28]
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+ Pénis d'un mollusque (Doris pseudoargus) de la famille des Dorididae
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+ Hémipénis d'un serpent Crotale du Texas (Crotalus atrox)
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+ Cliquez sur une vignette pour l’agrandir.
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+ L'organe reproducteur mâle s'appelle également « pénis » chez les gastéropodes[29].
54
+
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+ Les anatomistes et les biologistes évolutionnistes s'étonnent depuis longtemps du fait que les mâles de nombreuses espèces sont dotés d'un pénis de forme complexe (ex : fourchue, double, en spirale, épineux). On a longtemps pensé que les formes de vagins étaient chez les femelles moins variées. En réalité l'étude anatomique du vagin est plus difficile ; elle a caché la diversité des formes de vagins selon l'espèce[30].
56
+
57
+ Une idée récente, issue de la biologie intégrative et comparative, est que la complexité de certains organes génitaux femelles (chez les baleines, les canards ou les serpents par exemple) a été sous-estimée, et la complexité des formes génitales a coévolué chez les mâles et femelles. La complexité croissante des formes du vagin pourrait (chez de nombreuses espèces) être l'origine même de la diversité phallique[30].
58
+ Selon cette hypothèse, la sélection naturelle a pu favoriser des femelles capables de mieux contrôler l'accouplement et mieux "choisir" le(s) mâle(s) les fécondant, en créant de nouveaux obstacles à des accouplements forcés. Ainsi, lors de l'évolution, des organes génitaux femelles sont devenus plus complexes. Des "contre-mesures" adaptatives sont alors apparues chez les mâles, un processus qui pourrait avoir contribué aux phénomènes de spéciation[30].
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+ Chez les insectes du genre Neotrogla, ce sont les femelles qui sont équipées d'un pénis et qui pénètrent les mâles[31], seul cas connu à ce jour dans le monde animal.
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+ Dans certaines traditions culinaires, le pénis entre dans la composition d’un plat préparé. C'est le cas de l'ahkoud ou akoud en Tunisie, dans lequel du pénis de taureau est mélangé avec d'autres abats.
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+ Un phare est un système de signalisation employé, soit dans le domaine maritime (phare maritime), soit dans le domaine aéronautique (phare aéronautique).
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+ Le système de signalisation maritime est constitué d'un puissant système d'éclairage placé généralement en haut d'une tour. Ces phares maritimes sont généralement placés près de la côte. Ils permettent aux navires de repérer la position des zones dangereuses se trouvant près des côtes, ainsi que les ports maritimes. Ils sont de moins en moins utiles grâce aux moyens électroniques de géolocalisation, mais gardent toutefois un grand intérêt puisqu'ils ne nécessitent aucun matériel de navigation particulier. Cet intérêt est également patrimonial, architectural et parfois touristique.
4
+
5
+ Pour l'administration française, un phare est un établissement de signalisation maritime sur support fixe répondant au moins à deux critères parmi les quatre ci-dessous :
6
+
7
+ Par définition contraire, les feux sont les autres établissements de signalisation, c'est-à-dire ceux ne remplissant pas pleinement au moins deux des critères ci-dessus énumérés.
8
+
9
+ Le mot « phare » vient du mot latin pharus, lui-même dérivé du grec Pharos (φάρος), qui est le nom de l'île où se trouvait le phare d'Alexandrie[1]. Il est donc un onomastisme nominal. Cette origine est conservée dans beaucoup de langues, comme dans l'italien faro, l'espagnol (également faro) et le portugais farol. Cependant, certaines langues comme l'anglais lighthouse l'allemand Leuchtturm, le néerlandais Vuurtoren, le danois et le norvégien fyrtårn, le russe Маяк ou le tchèque Majàk ont préféré créer un nom composé expliquant clairement la fonction du phare.
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+
11
+ Le terme pharologie (en) (étude scientifique des phares et signaux lumineux) a la même étymologie.
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+
13
+ Les phares maritimes ont été le premier moyen pour les navires de repérer les zones dangereuses et les ports. Aujourd'hui, avec les systèmes de positionnement modernes, leur utilisation se raréfie. Ainsi, il n'y a que 1 500 phares maritimes encore en service dans le monde.
14
+
15
+ Les premiers phares maritimes sont apparus dans l'Antiquité avec le développement de la marine. Il s'agit généralement de simples feux de bois placés sur des hauteurs ou des tours. Ces tours à feu sont attestés chez les Grecs et les Romains, et peut-être déjà chez les Puniques, voire les Minoens. Tout comme les amers naturels (montagnes, volcans, clochers, etc.), les phares antiques servent avant tout pour assurer la sécurité des voies maritimes, signaler la côte et plus généralement l'entrée d'un port.
16
+
17
+ Au Moyen Âge, la navigation se fait essentiellement le jour en se repérant grâce aux amers. Au XIIIe siècle, l'émergence de cités portuaires puissantes s'accompagne de la création de nouvelles tours à feu. Des foyers sont aménagés aux sommets d’édifices militaires (telle la tour de Constance) ou religieux, et sont entretenus avec du bois, du charbon, de la tourbe ou de l'huile. Les seigneurs accordent aux militaires ou religieux qui placent un fanal au sommet d'une tour des droits en compensation de l'entretien de ce feu, notamment le droit de bris[2].
18
+
19
+ Six phares jalonnent la côte française à la fin du XVIIe siècle, 15 en 1770, année où l'allumage se fait encore par un feu de bois sur la plateforme. C'est coûteux et incommode (on utilise jusqu'à 700 kilogrammes de bois par nuit sur le phare de Chassiron à Oléron[3]), on ne l'allume donc pas toutes les nuits. Le plus souvent, ils ne sont allumés qu'à l'approche d'un navire. Cette année-là, la Compagnie Tourville-Sangrain, qui vient d'obtenir la concession des phares, installe la première lampe à huile munie d'un réflecteur sur le phare de Sète. Ce procédé, moins onéreux, se répand rapidement (phare de Saint-Mathieu…). On compte 15 phares l'utilisant en 1775. Les phares sont munis d'un réflecteur en cuivre argenté. La portée du phare de Planier (Marseille) atteint 28 kilomètres par beau temps.
20
+
21
+ Les lampes à huile étant peu puissantes, on multiplie les mèches, mais le résultat est décevant (en 1782, le phare de Cordouan est muni de 84 mèches). Joseph Teulère apporte les améliorations proposées par Borda, les mèches deviennent circulaires et creuses, une invention du Genevois Ami Argand (1784). Un mécanisme d'horlogerie entraînant le système optique pour réaliser un phare à éclat est utilisé pour la première fois au phare de Dieppe en 1787.
22
+ En 1791, le phare de Cordouan est équipé de 12 miroirs paraboliques de 81 centimètres construit par Étienne Le Noir sur les indications de Borda d'après le mémoire de Joseph Teulère de 1783. C'est le plus puissant du monde.
23
+
24
+ En 1792, les phares et balises sont nationalisés mais restent affermés à la Compagnie Tourville-Sangrain. En 1811, les phares passent du Ministère de la marine au Ministère de l'intérieur. À la suite des nombreux problèmes rencontrés, une Commission permanente est créée pour analyser la question. En 1813, c'est l'arrivée de François Arago qui succède à Malus, décédé. Fort occupé et devant les nombreuses plaintes, il s'adjoint un collaborateur : Augustin Fresnel. À eux deux, ils amélioreront la puissance des lampes à huile en munissant les becs de mèches concentriques alimentées par de l'huile sous pression (suivant les traces de Benjamin Rumford, Bertrand Guillaume Carcel et Wagner). Les plus puissantes consommeront jusqu'à 750 grammes d'huile à l'heure.
25
+
26
+ Fresnel pense que des lentilles sont plus adaptées que des miroirs pour concentrer la lumière. Cependant, des lentilles simples de grands diamètres et de courtes distances focales auraient un poids excessif, seraient peu lumineuses et poseraient des problèmes de dispersion des couleurs. D'où l'idée de lentilles à échelons. L'idée n'est pas neuve, Buffon y avait déjà pensé pour concentrer les rayons du Soleil, mais c'est Fresnel, aidé de l'opticien Jean-Baptiste Soleil qui s'attache à leur construction pratique. La lumière émise par la lampe à l'horizontale est concentrée et la lumière émise en haut et en bas est rabattue vers l'horizon par des miroirs. Testé à Paris en août 1822 (monté sur l'Arc de triomphe de l'Étoile, alors en construction, on peut observer la lumière à 32 kilomètres de là, à Notre-Dame de Montmélian dans la commune de Saint-Witz). Le système est installé le 20 juillet 1823 au phare de Cordouan. Les marins sont enthousiastes et, fort de ce succès, un programme général d'éclairage des côtes françaises est lancé. Ainsi, 28 phares de premier ordre (60 km de portée, tel les Héaux de Bréhat, premier grand phare réalisé sur des écueils), 5 de second ordre (40 km) et 18 du troisième ordre (28 km), plus quelques autres sont construits. En 1843, les miroirs destinés à rabattre la lumière (difficiles à fabriquer et qui s'encrassent facilement) sont remplacés par des prismes annulaires. En 1850, il y a 58 phares sur les côtes françaises : les tours sont de forme circulaire, réduisant la prise au vent pour les plus hautes, ou de forme carrée pour les phares peu élevés. Le nombre de naufrages décroit fortement (en France, il passe de 161 par an à 39 entre 1816 et 1831). À la même époque, on compte 126 phares au Royaume-Uni et 138 aux États-Unis. La plupart sont équipés de lentilles de Fresnel [4].
27
+
28
+ Entre 1824 et 1826, Fresnel réalisa des expériences sur des gaz d'huile produits par distillation d'huile de baleine, d'huile de colza et d'huile factice, en vue de les appliquer à l'illumination des phares[5]. Cependant rien n'indique qu'ils seront mis en œuvre avant ou après sa mort en 1827.
29
+
30
+ On utilisa dans les phares un gaz obtenu à partir de la distillation de goudron ou de résidus de pétrole qu'on appela gaz d'huile mais aussi gaz Pintsch. Le gaz Blau, mis en œuvre vers 1890 est une amélioration du gaz Pintsch.
31
+
32
+ Le gaz Pintsch, diffusé vers 1880 en France par la Société internationale d’Éclairage par le Gaz d'Huile (SIEGH) permettra la mise en place du premier réseau de balisage flottant. Différentes usines à gaz seront installées sur le littoral, à Honfleur, Dunkerque, Royan, Saint-Nazaire, Granville et Brest. Les phares suivants en seront équipés[6] :
33
+
34
+ Seront également mis en œuvre les gaz suivants[6] :
35
+
36
+ L'électricité (Des lampes à arc et ensuite des lampes à incandescence) remplacera le gaz d'éclairage dans les phares à partir de 1863 mais surtout à partir de 1920[6]
37
+
38
+ L'arrivée du pétrole, dont la première qualité est une très grande fluidité, donne aux phares maritimes une puissance encore inconnue, d'abord avec des brûleurs à mèches concentriques à la fin des années 1850[8], puis avec des systèmes à pression munis du bec Auer et du manchon à incandescence.
39
+
40
+ Les brûleurs étaient au départ à flamme nue (1885) puis se transformèrent par l'arrivée du manchon à incandescence de Carl Auer von Welsbach (vers 1895) qui équipera tous les systèmes éclairants. Les brûleurs, que l'on croise encore, correspondent à des fabrications développées vers 1900[6].
41
+
42
+ La nature ponctuelle, très puissante et très blanche de la lumière à incandescence s'allie au mieux aux procédés de concentration de la lumière de la lentille de Fresnel[9]. Cette évolution est exactement parallèle à celle des lampes à pétrole et des lampes à pression d'usage domestique. L'éclairage à pétrole se maintient jusqu'à la période récente de l'électrification.`
43
+
44
+ L'électrification des phares commence en Angleterre : en décembre 1858, le phare de South Foreland est électrifié à titre expérimental. L'essai étant concluant, le phare de Dungeness est le premier à être définitivement électrifié, en juin 1862[10]. L'ingénieur français Léonce Reynaud, qui a visité le phare de South Foreland, travaille pour appliquer cette nouvelle technologie aux édifices des phares et balises. Ainsi, les phares sud, puis nord de la Hève sont électrifiés, le 26 décembre 1863 et le 1er septembre 1865[10].
45
+
46
+ Malgré les avantages de l'électricité en termes de performance, l'électrification ne se fait pas massivement, surtout pour des raisons de coût : les phares électriques nécessitent alors d'importantes installations[10]. Chaque phare doit en effet produire sa propre électricité, avec des moteurs à vapeur entraînant des alternateurs, ce qui requiert donc des réserves de carburant, d'eau, des installations de contrôle, etc ; de plus, les faibles performances de ces premières machineries et le manque de spécialistes handicapaient ce nouveau concept d'éclairage. En Angleterre, seuls six phares sont électrifiés dans les années 1860-1890, et trois phares, dont les deux pionniers, reviennent à des modes d'éclairage classiques[11]. La France choisit d'électrifier plusieurs phares, comme le phare du cap Gris-Nez, le phare du Touquet, le phare des Baleines, le phare de La Palmyre, le phare de Planier ; ce choix lui permet de prendre une avance technique et industrielle, et lui vaut de vendre des machineries de phares dans toute l'Europe, et parfois au-delà[Note 1],[11].
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+ En France, le 27 janvier 1880, le directeur des phares et balises Émile Allard, propose dans un rapport qu'une ceinture de feux électriques soit créée sur les côtes françaises. Ce sera l'ingénieur Léon Bourdelles qui aura la tâche de moderniser les phares français, en les électrifiant, en y adjoignant une optique compatible et souvent en les rehaussant de manière à profiter pleinement de leur nouvelle puissance. Le coût d'électrification d'un phare était alors de 125 000 francs de l'époque, le budget total alloué par l'État fut d'environ 6 millions[12]. En cours de projet, des études permettent de constater que les routes de navigation ont changé, faisant perdre de leur importance à une partie des anciens phares. La modification de ceux-ci sera abandonnée, et les crédits concentrés sur les phares d'atterrissage principaux, réduisant de quarante-deux à treize les sites à moderniser[12]. Dans le même temps, l'arrivée du gaz de pétrole, les améliorations de l'ancien système d'éclairage et son faible coût comparé à sa modernisation concurrencent sérieusement l'électrification.
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+ Ainsi seuls une vingtaine de phares sont électriques dans le monde en 1885, dont huit en France, quatre en Grande-Bretagne, trois en Russie, les rares autres à Suez, en Australie, au Brésil, en Italie et au Portugal[13]. En 1895, ils sont une trentaine, dont douze en France (et douze autres, vendus par la France dans le monde). Les différents pays du globe ne se pressent pas. Les États-Unis et la Norvège allument leur premier phare électrique en 1898. L'Allemagne, les Pays-Bas et la France ne modifieront en masse leurs phares qu'à la fin des années 1920[13].
51
+
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+ L'amélioration en fiabilité et en puissance des moyens de production d'électricité, le raccordement de certains phares au réseau nationaux, ainsi que le remplacement des lampes à arc par des lampes à incandescence au début du XXe siècle, permet à l'électricité de prendre le monopole[13].
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+ Le problème des phares en mer, difficiles d'accès, pousse les services des phares à chercher un système automatique. Les systèmes d'éclairages au gaz de houille semblent un temps permettre le fonctionnement d'un feu en continu ; en France, en 1881, des tourelles en sont équipés à Boulogne et à Marseille, mais cette méthode est finalement abandonnée pour des raisons de coût[14]. En Grande-Bretagne, Suède et Finlande, ce sont les phares au gaz de pétrole qui permettent de se passer de gardiens. D'autres gaz, comme l’acétylène, sont essayés, et des mécanismes sont conçus et testés. En France, en 1893, le feu de la tourelle des Morées (dans l'estuaire de la Loire) fonctionne jour et nuit pendant plus de 150 jours, sans intervention humaine[15].
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+ Les difficultés sont pourtant nombreuses ; les brûleurs doivent être entretenus régulièrement pour conserver une bonne intensité, les mécanismes de rotation des optiques sont fragiles face aux conditions climatiques en bord de mer[16] : certains feux s'éteignent et doivent être réparés.
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+
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+ Les premiers feux brûlaient jour et nuit. Il n'y avait aucun moyen de limiter le temps de leur allumage. Gustaf Dalén (Prix Nobel de physique 1912), fondateur de la société AGA, fut le premier à proposer un interrupteur à vanne solaire, qui contrôle le flux de gaz acétylène selon la luminosité du ciel et qui permettait donc la coupure du gaz pendant la journée[6]. Cette technique permettait d'économiser jusqu'à 90 % de gaz[16]. Gustaf Dalén inventera aussi des éclipseurs qui programmaient les éclats des feux au gaz acétylène et des économiseurs (entre 1905 et 1915)[6].
59
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60
+ En France, les mécanismes semblent plus tardifs, probablement du fait de gros investissements récents dans d'autres technologies[16]. Vers 1950, l'horloger Augustin Henry-Lepaute proposera des éclipseurs mécaniques à mouvement d'horlogerie utilisables pour les feux au gaz propane et butane. Une autre génération de programmateur est le "DECOGAR" fabriqué par le Service des phares et balises, vers 1970, qui introduit l'électronique dans les appareillages[6].
61
+
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+ Une deuxième phase de l'automatisation se fera dans le dernier tiers du XXe siècle, avec l'arrivée de phares contrôlables depuis la terre. L'électricité des phares est alors fourni par panneaux solaires, ou par des éoliennes[17], évitant les problèmes de ravitaillement.
63
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64
+ Pour autant, beaucoup de phares restèrent encore habités jusqu'aux années 1990. En 2011, les phares habités sont rares ; les États-Unis et la Grande-Bretagne ont automatisé l'ensemble de leur parc, le dernier phare américain habité ayant été le Charleston Light en 1998. En France, le dernier phare en mer habité est celui de Cordouan, quelques autres phares sur terre et facilement accessibles ne sont pas totalement robotisés[18]. L'automatisation, si elle a permis de ne plus envoyer des hommes dans des endroits solitaires et dangereux, laisse cependant sans surveillance constante des édifices historiques comme Ar-Men, La Vieille ou Kéréon[18]. Depuis plus de dix ans, la Société nationale pour le patrimoine des phares et balises n'a cessé d'alerter les pouvoirs publics sur l'état de dégradation de ce patrimoine.
65
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66
+ L'Union soviétique a également construit un certain de nombre de phares utilisant l'énergie d'un générateur thermoélectrique à radioisotope. À la suite de la chute de l'Union soviétique, des phares de ce type sont restés sans surveillance ni entretien, posant des problèmes environnementaux. Outre leur vieillissement, ces phares ont aussi été la cible de voleurs de métaux, dont certains sont morts à la suite d'une contamination radioactive[bellona 1]. Ces phares posent également des problèmes de sécurité, l'élément radioactif pouvant être volé pour faire une bombe radiologique[bellona 2].
67
+
68
+ Certains de ces phares ont finalement été modifiés pour fonctionner à l'énergie solaire[19],[20].
69
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+ Certains phares sont entretenus uniquement parce qu'ils servent d'attraction touristique, mais on continue encore à en construire dans des zones dangereuses.
71
+ Dans les phares modernes, inhabités, le système de lentilles en rotation est souvent remplacé par des flashs omnidirectionnels, courts et intenses (dans ce cas on concentre la lumière dans le temps plutôt que dans l'espace). Ces signaux lumineux sont similaires à ceux utilisés pour la signalisation aérienne. Leur alimentation électrique est le plus souvent assurée par l'énergie solaire.
72
+
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+ La tour sert de support au système d'optique. Sa hauteur détermine sa portée géographique, qui correspond à la distance maximale d'où l'on peut voir le phare.
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+ La forme de la tour est généralement cylindrique, ce qui lui permet de mieux résister aux rafales de vent, et aux lames pour les phares en mer, qui peuvent être très puissantes. Des formes carrées, hexagonales ou octogonales sont aussi courantes. La plupart ont une base légèrement plus grande que leur sommet, pour des raisons de stabilité. Enfin, de rares phares sont construits sur piliers, comme celui situé dans le golfe de Hauraki, en Nouvelle-Zélande.
76
+
77
+ Différents matériaux ont été utilisés, comme le bois, la brique, la pierre de taille, le béton, le métal.
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+ Le système d'optique se trouve au sommet de la tour. Il est constitué de la source lumineuse, d'un système de lentilles, le tout est ensuite placé dans une lanterne.
80
+
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+ Pour utiliser au mieux l'énergie lumineuse disponible, elle est concentrée. Le faisceau est aplati sur l'axe vertical pour ne pas s'éparpiller inutilement. Dans le sens horizontal, un ou plusieurs rayons sont créés simultanément et balayent l'horizon afin d'être vus dans toutes les directions.
82
+
83
+ Traditionnellement, on concentre la lumière par un système de lentilles en rotation. Dans les très anciens phares, l'éclairage était assuré par une lampe à pétrole ou à huile (huile de colza, puis huile minérale avec les mèches mises au point par Fresnel) et la rotation par un mécanisme d'horlogerie. Le bâti sur lequel reposait l'optique pouvait reposer sur du mercure afin de réduire la friction. On utilise ensuite l'éclairage au gaz sous pression avec manchon Auer, et enfin l'électricité avec des lampes à arc, puis à incandescence[21]. Les ampoules sont alimentées par un groupe électrogène qui fournit également l'électricité au gardien du phare. Pour les phares en mer, la production d'électricité est assurée par des moteurs thermiques, des panneaux solaires ou des aérogénérateurs, doublés d'un ensemble de batteries d'accumulateurs.
84
+
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+ Il n'est pas évident de concentrer efficacement un flux lumineux à partir d'une source omnidirectionnelle. Pour éviter d'utiliser des lentilles d'une épaisseur trop importante, on a développé le système des lentilles de Fresnel spécifiquement pour cet emploi. Leur conception permet d'obtenir un grand diamètre et une distance focale suffisamment courte, sans le poids et le volume inhérent à des lentilles classiques. Certains phares, comme ceux de Cape Race à Terre-Neuve et le phare de Makapu'u d'Hawaï utilisent des lentilles hyperradiantes fabriquées par la société Chance Bros.
86
+
87
+ Initialement la rotation des lentilles de Fresnel était assurée par un mouvement d'horlogerie à contrepoids, le bloc optique pouvant tourner régulièrement et sans aucun frottement autour de la source de lumière. Ce système équipait la salle du contrepoids aménagée à un étage de la tour, au centre de l'escalier en colimaçon. Le bloc en fonte descendait régulièrement en plusieurs heures le long d'un câble en acier et devait être remonté plusieurs fois chaque nuit. Deux gardiens assuraient cette veille, se relayant la nuit, d'où la présence d'une chambre de quart près de la salle de veille : pendant qu'un gardien dormait, l'autre donnait des tours de manivelle pour remonter le poids en quelques minutes[22]. Ce système de contrepoids est remplacé au milieu du XXe siècle par un moteur et une cuve à mercure.
88
+
89
+ Pour ne pas être confondus avec d'autres sources lumineuses, les phares à éclats émettent une lumière intermittente.
90
+
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+ Lentille de Fresnel.
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+
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+ Représentation du trajet des rayons lumineux dans une lentille de Fresnel.
94
+
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+ En fonction de la dureté des conditions de vie à l'intérieur, les gardiens de phare français désignaient les phares selon trois appellations :
96
+
97
+ Cette classification correspondait également à une progression de carrière, qui commençait dans un enfer pour terminer dans un paradis.
98
+
99
+ Les bateaux-phares, ou bateaux-feux, étaient des navires conçus spécialement pour supporter des feux là où la construction d'un bâtiment en dur était impossible. Utilisés entre le milieu du XVIIIe siècle et la fin du XXe siècle, ils ont presque tous été remplacés par des bouées automatiques. En France, le dernier a été le Sandettié, retiré en 1989[24].
100
+
101
+ Aux débuts de l'aviation, des phares terrestres furent utilisés pour guider les avions de nuit, comme pour l'aéropostale, l'atterrissage de Charles Lindbergh au Bourget, le phare sur la Tour Eiffel…
102
+
103
+ Le signal lumineux émis par un phare ou un bateau-phare a des caractéristiques spécifiques qui permettent aux marins de l'identifier et de l'utiliser pour déterminer leur position et/ou leur route.
104
+
105
+ On distingue :
106
+
107
+ La signature complète du phare est fournie par :
108
+
109
+ Pour éviter toute erreur d'identification, deux phares situés dans la même zone de navigation n'auront jamais les mêmes caractéristiques.
110
+
111
+ Les signaux émis par les phares, la description des phares (hauteur du phare, hauteur au-dessus du niveau de la mer), leur portée théorique et leurs positions sont fournis dans des ouvrages publiés par les services hydrographiques (le SHOM pour la France, UKHO pour le Royaume-Uni, etc.) : livres des feux / Admiralty List of Lights and Fog Signals. Ces informations figurent également dans des guides plus locaux (par exemple en France pour la côte Atlantique et la Manche l'Almanach du Marin Breton).
112
+
113
+ Ces informations sont notées sur les cartes marines sous une forme abrégée, les codes sont disponibles dans l'ouvrage 1D du SHOM [25].
114
+
115
+ Voici un exemple : « Fl(3) G 12 s » signifie : feu à 3 éclats verts, période 12 secondes) ; les principaux éléments de cette légende sont :
116
+
117
+ Exemple de légende complexe : « Fl 5s 60 m 24M Siren(1) 60s RC » signifie : feu à un éclat blanc toutes les cinq secondes, dont la lanterne est située à une hauteur de 60 m, portant à 24 milles, muni d'une sirène émettant un signal toutes les 60 secondes et d'un radiophare. L'indication feu à éclat (Fl) 5s permet d'identifier le phare car les phares d'une même zone géographique ont des caractéristiques différentes, le fait qu'il n'y ait aucune couleur de mentionné indique que le feu est blanc, 60 m permet de trouver la portée géographique du phare en faisant le calcul
118
+
119
+
120
+
121
+ D
122
+ =
123
+ 2
124
+ ,
125
+ 1
126
+ (
127
+
128
+
129
+ H
130
+
131
+
132
+ +
133
+
134
+
135
+ h
136
+
137
+
138
+ )
139
+
140
+
141
+ {\displaystyle D=2,1({\sqrt {H}}+{\sqrt {h}})}
142
+
143
+ où D est exprimée en milles, H (hauteur du foyer lumineux) en mètres, et h (hauteur de l'œil de l'observateur au-dessus de l'eau) en mètres. [26]
144
+
145
+ Ici il s'agit des caractéristiques du phare d'Eckmühl
146
+
147
+ Le phare de Dunkerque, un des plus hauts et un des rares phares « urbains », est aussi un des plus septentrionaux en France.
148
+
149
+ Le phare de la Vieille au bout de la pointe du Raz.
150
+
151
+ Le phare de Ouistreham dans le Calvados.
152
+
153
+ Le phare de Gatteville dans le Cotentin.
154
+
155
+ Le phare de Réville dans le Cotentin.
156
+
157
+ Le phare de la Hague dans le Cotentin.
158
+
159
+ Le phare du sémaphore du Cap de Carteret dans le Cotentin.
160
+
161
+ Le phare de l'Île Vierge dans le Finistère, le plus haut phare d'Europe et le plus haut phare du monde en pierre de taille.
162
+
163
+ Le phare de la pointe du Petit Minou dans le Finistère.
164
+
165
+ Le phare de Chassiron à la pointe Nord de l'Île d'Oléron.
166
+
167
+ Le phare des Barges au large des Sables-d'Olonne en Vendée.
168
+
169
+ Le phare des Sables-d'Olonne.
170
+
171
+ À la pointe ouest de l'Île de Ré, le phare des Baleines, l'ancienne tour et le sémaphore de la Marine nationale.
172
+
173
+ Le phare de la Coubre sur la pointe de la Coubre, en Charente-Maritime.
174
+
175
+ Le phare de Cordouan à l'embouchure de l'estuaire de la Gironde.
176
+
177
+ Le phare de la Madonetta à Bonifacio, en Corse-du-Sud.
178
+
179
+ Le phare « Jan van Speijk » à Egmond aan Zee en Hollande-Septentrionale.
180
+
181
+ Le phare de Bell Rock (au large de l'Écosse).
182
+
183
+ Le phare de la Martre en Gaspésie au Québec.
184
+
185
+ Le phare de l'Île Verte, Le premier phare du St-Laurent, construit en 1809 (Québec).
186
+
187
+ Phare du bout du monde, île des États, Terre de Feu, Argentine.
188
+
189
+ Au loin, le phare des Baleines
190
+
191
+ Phare du détroit de Magellan, Cap Virgines
192
+
193
+ Phare du Farol da Barra
194
+
195
+ Phare sur l'île Shikotan
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+ Phare des îles Lavezzi
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+ La pharmacie (du grec φάρμακον/pharmakôn signifiant à la fois le remède et le poison) est la science s'intéressant à la conception, au mode d'action, à la préparation et à la dispensation de médicaments. Cette dispensation prend en compte les interactions médicamenteuses possibles entre les molécules chimiques ou bien encore, les interactions avec des produits comestibles. Elle permet également la vérification des doses et/ou d'éventuelles contre-indications. C'est à la fois une branche de la biologie, de la chimie et de la médecine.
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+ Le terme pharmacie désigne également une officine, soit un lieu destiné à l'entreposage et à la dispensation de médicament. Ce lieu est sous la responsabilité d'un pharmacien qui peut y fabriquer des préparations magistrales ordonnées par un médecin pour un patient donné et superviser le travail des préparateurs en pharmacie en France ou des assistants techniques en pharmacie au Canada. La dispensation des médicaments dans une officine de pharmacie se fait sous l'entière responsabilité du pharmacien, que ce soient des médicaments délivrés sur prescription médicale ou non.
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+ Au sein de l'officine, le pharmacien peut également faire le suivi de la médication du patient, substituer un princeps (ou médicament original) par un générique, adapter les posologies, renouveler les traitements des pathologies chroniques et proposer des modifications de thérapeutique en accord avec le médecin. Un dialogue entre ces deux professionnels de la santé est essentiel à la santé publique.
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+ L'histoire de la pharmacie débute un peu plus tard que celle de la médecine alors que les médecins de l'époque utilisaient des méthodes peu communes de nos jours pour « rétablir les humeurs » présentes dans le corps.
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+ L'ancêtre du pharmacien, l'apothicaire est repéré dès 2600 av. J.-C. à Sumer où des textes médicaux, mêlés à des incantations religieuses[1], sont attestés sur deux tablettes d'argile dont les cunéiformes mentionnent des symptômes, des prescriptions et des conseils pour les combiner. La plus ancienne compilation de substances médicales est le Sushruta Samhita (en), traité indien ayurvédique écrit par le chirurgien Sushruta au VIIe siècle av. J.-C. Le Papyrus Ebers et le papyrus Edwin Smith de l'Égypte ancienne, écrits autour de 1500 av. J.-C., contiennent une collection de prescriptions et médicaments[2]. En Grèce antique, Dioscoride écrit son traité De materia medica vers 60 apr. J.-C. qui fournit une base scientifique et critique aux pharmacopoles, droguistes qui fabriquent et vendent leurs produits chimiques aux médecins (les plantes médicinales sont quant à elles préparées par des herboristes)[3]. Outre ces pharmacopoles existent de nombreux métiers parapharmaceutiques dans le monde gréco-romain : murépsoï (bouilleur de myrrhe), pèméntarioï (préparateur), rizotomoi (coupeur de racines), pigmentarius (droguiste pigmentaire), aromatarii (parfumeurs ou épiciers), etc.[4].
10
+
11
+ En Chine ancienne, les alchimistes ont été des pionniers, ils transformaient à l'aide de dosages minutieux des poisons souvent mortels en médicaments soulageant la douleur ou sources de guérison. Shennong est réputé avoir goûté de nombreuses substances pour tester leurs vertus médicinales, à la suite de quoi il a écrit une des premières pharmacopées incluant 365 remèdes issus de minéraux, plantes, animaux.
12
+
13
+ Au cours du Moyen Âge, la profession d'apothicaire prend de l'importance, se constituant en corporations[5]. La déclaration royale du 25 avril 1777 considère la Pharmacie comme « art précieux à l’humanité », lui donnant sa totale indépendance à la corporation des apothicaires sous la forme du « Collège de Pharmacie », futur Académie nationale de pharmacie[6]. Au début du XXe siècle, il n'y avait qu'une douzaine de molécules chimiques avec une centaine de produits naturels alors qu'au début du XXIe siècle, nous avons plusieurs centaines de molécules chimiques et que très peu de remèdes courants de source exclusivement naturelle[3].
14
+
15
+ Il existe de nombreuses spécialisations possibles pour le pharmacien, à titre d'exemple :
16
+
17
+ La France compte 22 094 officines pharmaceutiques[7] et selon le dernier recensement de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), au 1er janvier 2014, la France compterait 73 598 pharmaciens (tous secteurs), dont 1 668 dans les départements d'outre-mer. La Drees comptabilise ainsi 53 822 pharmaciens d’officine. C'est en Île-de-France que l’on trouve le plus grand nombre d’officinaux : 4 467 titulaires ou gérants d’officine et 5 099 adjoints et remplaçants d’officine[8].
18
+
19
+ En 2008, le monopole de la vente de médicament dont bénéficient les officines est de plus en plus attaqué, mais la vente de médicaments en dehors d'une pharmacie reste interdite et passible de poursuites pour exercice illégal de la pharmacie. En France, le rapport Attali recommande en 2008 la vente de m��dicaments sans ordonnance en dehors des pharmacies, une recommandation qui ne devrait toutefois pas être appliquée[8] (cf sur ce site : l'exemple du paracétamol - en pharmacie en France, en libre accès en Grande-Bretagne - 6 morts par an en France par surdosage, 200 à 300 morts par an en Grande-Bretagne).
20
+
21
+ Les pharmaciens souhaitent étendre le champ de leurs activités. Ils réclament ainsi une reconnaissance de leur fonction de conseil aux patients et une rémunération pour certains actes, à l'instar de ce qui se passe en Allemagne et en Grande-Bretagne[8]. C'est le cas en France dans le cadre de pilotes limités géographiquement et dans le temps[9],[10], et dans certains cas de manière généralisée (entretiens pharmaceutiques AVK[11], asthme, AOD).
22
+
23
+ Le chiffre d'affaires moyen d'une officine s'établit à 1,5 million d'euros, en 2008 selon un cabinet d'étude spécialisé[12]. La marge brute d'une officine se répartit en moyenne comme suit[12] :
24
+
25
+ L'industrie pharmaceutique laisse progressivement place à une industrie à bas prix. Les autorités publiques européennes offrent désormais des avantages financiers aux médecins, pour inciter la prescription de médicaments moins chers et, ce, sans être en opposition avec la directive 2001/83/CE relative aux médicaments à usage humain. La Cour de justice de l'Union européenne juge dans son arrêt du 22 avril (affaire C-62/09) que « la politique de santé définie par un État membre et les dépenses publiques dans ce domaine ne poursuivent aucun but lucratif ou commercial »[13].
26
+
27
+ Dans un arrêt de principe rendu le 19 avril 2009, la Cour de Justice de l'Union européenne a validé le droit des États membres de réserver la propriété des pharmacies aux seuls pharmaciens diplômés et à en restreindre l'implantation (quorum de pharmacies en fonction du nombre d'habitants). Elle estime que cette mesure constitue une restriction au principe de libre-entreprise, mais que "Cette restriction peut néanmoins être justifiée par l’objectif visant à assurer un approvisionnement en médicaments de la population sûr et de qualité."[14]
28
+
29
+ Depuis 2001 et la loi MURCEF[15], le titulaire d'une pharmacie en France peut ne détenir que 51 % des parts de sa pharmacie montée alors sous la forme juridique SEL (société d’exercice libéral), les 49 % autres détenues par un ou plusieurs pharmaciens déjà installés. Le capital de toute pharmacie en France étant toujours détenu par un ou plusieurs pharmaciens diplômés, jamais par des capitaux extérieurs: investisseurs, fonds de pension, etc.
30
+
31
+ La croix verte utilisée en Argentine, en Espagne, en France, en Belgique et au Royaume-Uni
32
+
33
+ Le "A" rouge (pour Apotheke, « Apothicairerie ») utilisé en Allemagne et en Autriche
34
+
35
+ Enseigne en faïence d'une pharmacie en Espagne
36
+
37
+ Devanture d'une pharmacie à Olomouc, République tchèque
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+ La pharmacie (du grec φάρμακον/pharmakôn signifiant à la fois le remède et le poison) est la science s'intéressant à la conception, au mode d'action, à la préparation et à la dispensation de médicaments. Cette dispensation prend en compte les interactions médicamenteuses possibles entre les molécules chimiques ou bien encore, les interactions avec des produits comestibles. Elle permet également la vérification des doses et/ou d'éventuelles contre-indications. C'est à la fois une branche de la biologie, de la chimie et de la médecine.
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3
+ Le terme pharmacie désigne également une officine, soit un lieu destiné à l'entreposage et à la dispensation de médicament. Ce lieu est sous la responsabilité d'un pharmacien qui peut y fabriquer des préparations magistrales ordonnées par un médecin pour un patient donné et superviser le travail des préparateurs en pharmacie en France ou des assistants techniques en pharmacie au Canada. La dispensation des médicaments dans une officine de pharmacie se fait sous l'entière responsabilité du pharmacien, que ce soient des médicaments délivrés sur prescription médicale ou non.
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5
+ Au sein de l'officine, le pharmacien peut également faire le suivi de la médication du patient, substituer un princeps (ou médicament original) par un générique, adapter les posologies, renouveler les traitements des pathologies chroniques et proposer des modifications de thérapeutique en accord avec le médecin. Un dialogue entre ces deux professionnels de la santé est essentiel à la santé publique.
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+ L'histoire de la pharmacie débute un peu plus tard que celle de la médecine alors que les médecins de l'époque utilisaient des méthodes peu communes de nos jours pour « rétablir les humeurs » présentes dans le corps.
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+ L'ancêtre du pharmacien, l'apothicaire est repéré dès 2600 av. J.-C. à Sumer où des textes médicaux, mêlés à des incantations religieuses[1], sont attestés sur deux tablettes d'argile dont les cunéiformes mentionnent des symptômes, des prescriptions et des conseils pour les combiner. La plus ancienne compilation de substances médicales est le Sushruta Samhita (en), traité indien ayurvédique écrit par le chirurgien Sushruta au VIIe siècle av. J.-C. Le Papyrus Ebers et le papyrus Edwin Smith de l'Égypte ancienne, écrits autour de 1500 av. J.-C., contiennent une collection de prescriptions et médicaments[2]. En Grèce antique, Dioscoride écrit son traité De materia medica vers 60 apr. J.-C. qui fournit une base scientifique et critique aux pharmacopoles, droguistes qui fabriquent et vendent leurs produits chimiques aux médecins (les plantes médicinales sont quant à elles préparées par des herboristes)[3]. Outre ces pharmacopoles existent de nombreux métiers parapharmaceutiques dans le monde gréco-romain : murépsoï (bouilleur de myrrhe), pèméntarioï (préparateur), rizotomoi (coupeur de racines), pigmentarius (droguiste pigmentaire), aromatarii (parfumeurs ou épiciers), etc.[4].
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+ En Chine ancienne, les alchimistes ont été des pionniers, ils transformaient à l'aide de dosages minutieux des poisons souvent mortels en médicaments soulageant la douleur ou sources de guérison. Shennong est réputé avoir goûté de nombreuses substances pour tester leurs vertus médicinales, à la suite de quoi il a écrit une des premières pharmacopées incluant 365 remèdes issus de minéraux, plantes, animaux.
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+ Au cours du Moyen Âge, la profession d'apothicaire prend de l'importance, se constituant en corporations[5]. La déclaration royale du 25 avril 1777 considère la Pharmacie comme « art précieux à l’humanité », lui donnant sa totale indépendance à la corporation des apothicaires sous la forme du « Collège de Pharmacie », futur Académie nationale de pharmacie[6]. Au début du XXe siècle, il n'y avait qu'une douzaine de molécules chimiques avec une centaine de produits naturels alors qu'au début du XXIe siècle, nous avons plusieurs centaines de molécules chimiques et que très peu de remèdes courants de source exclusivement naturelle[3].
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+ Il existe de nombreuses spécialisations possibles pour le pharmacien, à titre d'exemple :
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+ La France compte 22 094 officines pharmaceutiques[7] et selon le dernier recensement de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), au 1er janvier 2014, la France compterait 73 598 pharmaciens (tous secteurs), dont 1 668 dans les départements d'outre-mer. La Drees comptabilise ainsi 53 822 pharmaciens d’officine. C'est en Île-de-France que l’on trouve le plus grand nombre d’officinaux : 4 467 titulaires ou gérants d’officine et 5 099 adjoints et remplaçants d’officine[8].
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+ En 2008, le monopole de la vente de médicament dont bénéficient les officines est de plus en plus attaqué, mais la vente de médicaments en dehors d'une pharmacie reste interdite et passible de poursuites pour exercice illégal de la pharmacie. En France, le rapport Attali recommande en 2008 la vente de m��dicaments sans ordonnance en dehors des pharmacies, une recommandation qui ne devrait toutefois pas être appliquée[8] (cf sur ce site : l'exemple du paracétamol - en pharmacie en France, en libre accès en Grande-Bretagne - 6 morts par an en France par surdosage, 200 à 300 morts par an en Grande-Bretagne).
20
+
21
+ Les pharmaciens souhaitent étendre le champ de leurs activités. Ils réclament ainsi une reconnaissance de leur fonction de conseil aux patients et une rémunération pour certains actes, à l'instar de ce qui se passe en Allemagne et en Grande-Bretagne[8]. C'est le cas en France dans le cadre de pilotes limités géographiquement et dans le temps[9],[10], et dans certains cas de manière généralisée (entretiens pharmaceutiques AVK[11], asthme, AOD).
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+
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+ Le chiffre d'affaires moyen d'une officine s'établit à 1,5 million d'euros, en 2008 selon un cabinet d'étude spécialisé[12]. La marge brute d'une officine se répartit en moyenne comme suit[12] :
24
+
25
+ L'industrie pharmaceutique laisse progressivement place à une industrie à bas prix. Les autorités publiques européennes offrent désormais des avantages financiers aux médecins, pour inciter la prescription de médicaments moins chers et, ce, sans être en opposition avec la directive 2001/83/CE relative aux médicaments à usage humain. La Cour de justice de l'Union européenne juge dans son arrêt du 22 avril (affaire C-62/09) que « la politique de santé définie par un État membre et les dépenses publiques dans ce domaine ne poursuivent aucun but lucratif ou commercial »[13].
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27
+ Dans un arrêt de principe rendu le 19 avril 2009, la Cour de Justice de l'Union européenne a validé le droit des États membres de réserver la propriété des pharmacies aux seuls pharmaciens diplômés et à en restreindre l'implantation (quorum de pharmacies en fonction du nombre d'habitants). Elle estime que cette mesure constitue une restriction au principe de libre-entreprise, mais que "Cette restriction peut néanmoins être justifiée par l’objectif visant à assurer un approvisionnement en médicaments de la population sûr et de qualité."[14]
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+
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+ Depuis 2001 et la loi MURCEF[15], le titulaire d'une pharmacie en France peut ne détenir que 51 % des parts de sa pharmacie montée alors sous la forme juridique SEL (société d’exercice libéral), les 49 % autres détenues par un ou plusieurs pharmaciens déjà installés. Le capital de toute pharmacie en France étant toujours détenu par un ou plusieurs pharmaciens diplômés, jamais par des capitaux extérieurs: investisseurs, fonds de pension, etc.
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+
31
+ La croix verte utilisée en Argentine, en Espagne, en France, en Belgique et au Royaume-Uni
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+ Le "A" rouge (pour Apotheke, « Apothicairerie ») utilisé en Allemagne et en Autriche
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+ Enseigne en faïence d'une pharmacie en Espagne
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+ Devanture d'une pharmacie à Olomouc, République tchèque
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+ 5 à 10 ans d'études selon le pays et la spécialité
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+ Un pharmacien est un professionnel de la santé, spécialiste du médicament, dont le rôle consiste à assurer la conformité de la prise en charge pharmaceutique et l'éducation thérapeutique du patient. En France, le pharmacien termine sa formation après soutenance d'une thèse d'exercice et proclamation du serment de Galien. Il obtient ainsi le Diplôme d'État de docteur en pharmacie lui permettant d'exercer sa profession dans un établissement autorisé à exercer la pharmacie (hôpital, officine, industrie...) en toute indépendance[1].
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+ Le pharmacien est essentiellement connu comme le spécialiste du médicament que ce soit au sein d'une pharmacie d'officine, d'une pharmacie hospitalière ou de l'industrie pharmaceutique. Mais, de par sa formation médicale et scientifique polyvalente, il intervient également dans beaucoup d'autres secteurs comme la biologie médicale, la santé publique, la recherche ou l'enseignement.
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+ Le caducée des pharmaciens correspond à la représentation du serpent d'Épidaure et de la coupe d'Hygie. La symbolique en est la suivante : le serpent déverse son poison dans la coupe qui le transforme alors en remède.
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+ Une grande partie de ses connaissances est commune aux médecins. Ainsi, le pharmacien peut établir un plan de pharmacothérapie, faire le suivi de la thérapie médicamenteuse, diagnostiquer les problèmes en lien avec le médicament ou encore interpréter les résultats d'analyses médicales.
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+ Au 1er janvier 2016, 74 754 pharmaciens sont inscris à l'Ordre des pharmaciens[2].
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+ Les trois quarts des pharmaciens inscrits à l'Ordre des pharmaciens (55 000 pharmaciens) exercent leurs fonctions en pharmacie de ville, soit en tant que pharmaciens titulaires (propriétaire de la pharmacie) , soit en tant que pharmaciens adjoints (salariés). Il faut également noter que la plupart des pharmaciens de l'industrie et de l'enseignement/recherche ne sont pas inscrits à l'ordre car cela n'est pas toujours nécessaire pour l'exercice de ces professions. Leur nombre est ainsi très largement sous évalué si on ne regarde que les inscriptions à l'ordre dans ces catégories.
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+ Le pharmacien peut exercer sa profession dans :
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+ Certaines catégories de pharmaciens sont sous évalués dans cette analyse qui ne prend pas en compte les pharmaciens non inscrits à l'ordre, comme en industrie et en recherche.
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+ Le pharmacien d'officine assume la responsabilité de tout ce qui est préparé et dispensé dans l'officine. Pour ce faire il supervise et assure la préparation et la dispensation des médicaments ainsi que l'analyse, le contrôle, et la validation des ordonnances[3]. S'il estime qu'un ou plusieurs médicaments ne sont pas adaptés sur une prescription médicale, il peut refuser de les délivrer et doit prévenir le médecin prescripteur pour le notifier de ce refus. Le pharmacien peut également refuser de délivrer un médicament sans ordonnance ou de réaliser une préparation.
22
+
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+ En ce début du XXIe siècle, il conserve une activité de préparations des médicaments à l'officine, ces préparations peuvent être dites officinales (sans ordonnance) ou préparations magistrales (sur ordonnance), même si cette activité est devenue marginale : l'immense majorité des médicaments vendus en pharmacie est dorénavant produite par l'industrie pharmaceutique, il s'agit de spécialités pharmaceutiques.
24
+
25
+ Il a d'autre part un rôle de conseil auprès de ses patients, ces conseils font partie des « soins pharmaceutiques ». Ce terme regroupe à la fois des aspects de conseils concernant une pathologie pour laquelle le patient vient directement à l'officine, sur l'observance de la prise des médicaments, sur le plan de prise du médicament, de recherche d'incompatibilité entre les médicaments prescrits et de déontologiques propres à l'activité du pharmacien d'officine.
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+ Les délivrances de médicaments sont transcrits dans le Dossier pharmaceutique du patient qui sera consultable par les autres confrères pharmaciens et par les médecins si le Dossier Médical Personnel est créé avec l'accord du patient.
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+ Le pharmacien a aussi pour rôle d'orienter les patients vers les différents professionnels de santé si la médication dont il dispose n'est pas suffisante ou si le moindre doute existe sur la nature de la pathologie.
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+ Le pharmacien d'officine est, en théorie et compte-tenu de son cursus, tenu de connaître les champignons.
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+ Enfin, le pharmacien participe à la permanence des soins, en assurant les gardes de nuit, dimanche et jours fériés.
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+ Au sein d'une officine, il peut être :
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+ Le pharmacien hospitalier est un professionnel de santé, spécialiste des produits de santé. L´évolution des missions des pharmacies à usage intérieur (PUI) confie au pharmacien hospitalier différentes fonctions concernant les médicaments et les dispositifs médicaux parmi lesquels l'approvisionnement et la détention, la préparation de certains médicaments (nutrition parentérale, reconstitution centralisée des cytotoxiques (préparation des chimiothérapies), radiopharmaceutiques), et des dispositifs médicaux stériles (stérilisation), dispensation aux patients hospitalisés et ambulatoires, dosage de médicament et contrôle, vigilance et assurance qualité, formation et information des médecins et des patients .
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+ L'accès à la profession se fait pour les établissements publics sur concours (concours national de praticien des hôpitaux publics de santé) pour la titularisation, l'Internat en pharmacie est obligatoire depuis 2016. Pour les établissements privés, l'internat est obligatoire mais le concours de praticien hospitalier n'est pas nécessaire. Au total, 9 ans d'études sont nécessaires pour devenir pharmacien hospitalier.
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+ Une sur-spécialisation est possible, ajoutant 1 an au parcours universitaire du futur pharmacien hospitalier. Il s'agit du DESC (diplôme d'études spécialisées complémentaire) de radiopharmacie et de radiobiologie permettant au pharmacien de délivrer les médicaments radio pharmaceutiques et de travailler dans les services de médecine nucléaire.
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+
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+ Le pharmacien biologiste exerce dans les laboratoires d'analyses médicales privés ou publics.
43
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+ Toutes les étapes de la vie du médicament, de sa conception à sa fabrication en passant par sa distribution et enfin à sa dispensation au patient dans les officines ou les hôpitaux, sont sous la responsabilité d’un pharmacien.
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+ Le pharmacien industriel exerce ses compétences dans la totalité des secteurs de l'industrie pharmaceutique notamment en développement (galénique, chimie analytique…), en production comme en recherche, en contrôle de qualité (QC) et assurance qualité (QA) et au sein du département des affaires réglementaires. Il peut également s'occuper des essais cliniques, du marketing et des ventes.
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+
48
+ Le pharmacien industriel peut aussi travailler dans l'industrie cosmétique, l'industrie agroalimentaire, l'environnement…
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+ Depuis un peu plus d'une dizaine d'années, la formation de pharmacie peut se compléter par un diplôme d'ingénieur via une passerelle. En fin de cinquième année de pharmacie pour Nancy et en fin de quatrième année pour Lyon, l'étudiant peut rejoindre certaines écoles d'ingénieur en deuxième année. Les deux années en école d'ingénieur valident la sixième année de pharmacie pour Nancy et la cinquième et sixième année pour Lyon afin de recevoir ainsi le double diplôme « pharmacien-ingénieur ».
51
+
52
+ L'initiateur de cette formation fut l'UFR de pharmacie de Nancy, avec l'ENSIC (École nationale supérieure des industries chimiques) dès 1992 puis l'ENSAIA (École Nationale Supérieure d'Agronomie et des Industries Alimentaires) début des années 2000. À l'Institut des sciences pharmaceutiques et biologiques de l'université Claude Bernard Lyon 1 (ISPB), cette filière s'est développée en créant des partenariats avec plusieurs écoles d'ingénieurs de la région Rhône-Alpes (CPE Lyon, ISARA, Polytech Lyon (ancien ISTIL), École des Mines de Saint-Étienne, École Nationale Supérieure de Génie Industriel (Grenoble)) ou à l'étranger (École Polytechnique de Montréal)[4]. Filière représenté par l'AELPI(Association des étudiants Lyonnais Pharmacien-Ingénieur) [5] .
53
+
54
+ La filière pharmacien-ingénieur de Lyon se base sur le fonctionnement des écoles d'ingénieur et mets en places un réseaux alumni, des newsletters , des rencontres professionnel/étudiants sous l'impulsion de l'AELPI[5]. L'existence de ce réseau est justifié par les nombreux débouchées dut à la filière.
55
+
56
+ Depuis plusieurs années, la majorité des UFR de pharmacie de France ou encore le Pharmacenter des Universités de Basel-Zürich (Suisse) ont souhaité signer des accords de partenariat avec l'École des Mines d'Albi (EMAC-ENSTIMAC) pour permettre la formation des pharmaciens-ingénieurs qui se destinent soit à la recherche et développement soit à la production. Le développement de cette formation à l'EMAC a été justifié par le fait que près d'un tiers des ingénieurs formés à l'École des Mines d'Albi travaille dans l'industrie pharmaceutique (une partie croissante d'entre eux travaille dans des cabinets de conseil/consultant/audit du secteur pharmaceutique), et que l'évolution accélérée de l'industrie pharmaceutique nécessite aujourd'hui des compétences complémentaires.
57
+
58
+ Le double diplôme de docteur en pharmacie et d'ingénieur, obtenu en fin de cursus donne à ce type de pharmacien la compétence pour travailler dans tous les domaines de l'industrie pharmaceutique ou biopharmaceutique (production, qualité…), mais aussi dans d'autres secteurs aussi importants que l'environnement, l'industrie chimique ou l'agroalimentaire, par exemple.
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+
60
+ Le pharmacien inspecteur de santé publique exerce notamment ses compétences au sein du ministère chargé de la Santé, des Agences régionales de santé et de l'ANSM (anciennement Afssaps). Recrutés sur concours au niveau national, les Pharmaciens inspecteurs, ont généralement exercé une activité professionnelle dans différents secteurs (officine, industrie, hôpital, biologie) avant d’être formés à l’École des hautes études en santé publique à Rennes. Le pharmacien inspecteur de santé publique, fonctionnaire d’État assermenté, est chargé de contrôler la qualité des produits de santé et des pratiques de certains professionnels de la santé, en collaboration éventuelle avec des inspecteurs de l’ANSM, des médecins inspecteurs de santé publique, des vétérinaires inspecteurs, des ingénieurs de génie sanitaire ou des inspecteurs de la répression des fraudes.
61
+
62
+ Leur mission est de conseiller et accompagner les assurés et les professionnels de santé sur la réglementation médico-sociale[6], le bon usage des soins et des médicaments, et la prise en charge des affections de longue durée.
63
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64
+ Analyser et contrôler les demandes de prestations des patients et les activités des professionnels de santé.
65
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66
+ Contrôler la bonne application de la réglementation et des pratiques médicales.
67
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68
+ Le recrutement s'effectue par concours.
69
+
70
+ Afin d'assurer la sécurité de la délivrance des médicaments (validation de l'ordonnance, vérification des effets indésirables, des contre-indications, adaptation des posologies), de certifier la non-contrefaçon des médicaments délivrés et d'assurer un rôle de service public (prévention, garde), de nombreux pays européens ont accordé un monopole de la dispensation des médicaments aux pharmaciens[3]. Ce monopole impose de nombreuses règles et oblige à satisfaire à un code de déontologie[7]. Il est cependant remis en cause par des plaintes d'organismes financiers qui souhaitent la libéralisation du marché du médicament en Europe. Un jugement sur ces thèmes a été rendu par la CJUE en faveur des pharmaciens d'officine allemands et italiens en mai 2009[8].
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+ Dans de nombreux pays[évasif], les pharmaciens sont inscrits à un ordre professionnel puissant[réf. nécessaire], l'ordre des pharmaciens.
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74
+ Le pharmacien travaille en étroite collaboration avec l'assistant technique en pharmacie qui constitue un membre important de l'équipe du laboratoire.
75
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+ Le pharmacien y est titulaire d'un B.Sc.Pharm. ou B.Pharm. d'une durée totale de quatre ans d'études universitaires. Pour travailler à l'hôpital, le pharmacien devra faire une maîtrise en pharmacothérapie avancée de type M.Sc. qui constitue une année et demi d'études supplémentaire. Depuis peu de temps, quelques universités ont transformé leur programme de B.Pharm. en Pharm.D. (doctorat d'exercice de 1er cycle) mais l'exigence minimale pour être pharmacien reste le B.Pharm. Le changement du B.Sc.Pharm. à un doctorat de premier cycle a pour but de changer la formation universitaire des étudiants pour un contexte plus clinique. De nombreux stages seront effectués par les étudiants au cours de ces quatre ans d'études. Malgré ce changement, la maîtrise est toujours de mise lorsqu'un pharmacien désire travailler à l'hôpital. Comme dans la plupart des disciplines, il existe également un doctorat de recherche en pharmacologie de 3e cycle (Ph.D.), mais ce doctorat vise à former un professionnel de recherche et non un clinicien. Afin de postuler à ce doctorat de 3e cycle, le candidat doit nécessairement posséder un diplôme de 2e cycle (M.Sc.).
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+ L'exercice de la profession est réservé dans la province aux membres de l'Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ)[9].
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+ Pour obtenir le diplôme de docteur en pharmacie en France, il faut réussir le concours sanctionnant la Première Année Commune des Études de Santé (la PACES) regroupant médecine, pharmacie, odontologie et sage-femme dans une UFR de médecine et de pharmacie. La durée de la formation est de 2 ans pour le premier cycle, 2 ans pour le deuxième cycle puis selon la voie choisie, un troisième cycle de 2 ans (cinquième et sixième années) pour la filière industrie/recherche et officine menant au diplôme de docteur en pharmacie, ou de 5 ans pour ceux qui choisissent une spécialisation par la voie de l'internat en Pharmacie, soit au total 6 ou 9 ans. Ce parcours est sanctionné par une thèse d'exercice. L'internat en Pharmacie, accessible après concours, permet notamment aux pharmaciens de travailler à l'hôpital en pharmacie hospitalière ou dans les laboratoires de biologie médicale. Le diplôme de Docteur en Pharmacie, ou équivalent européen ou canadien, est obligatoire pour pouvoir devenir titulaire d'une officine en France ou y travailler en tant que pharmacien adjoint. Pour exercer à l'hôpital public en tant que senior, il est nécessaire de passer, parfois après un exercice de quelques années en tant qu'assistant, le concours national de praticien des établissements de santé.
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+ Les étudiants suisses suivent un cursus de 5 ans. Les 3 premières années amènent à l'obtention d'un baccalauréat universitaire en sciences pharmaceutiques. L'obtention de ce titre permet d'être admis à un programme de master de 2 ans (maîtrise universitaire en pharmacie), dont un est effectué en officine en tant que stagiaire. Ce master donne accès à l'examen fédéral qui permet d'acquérir le diplôme fédéral de pharmacien, nécessaire à la pratique en officine, en hôpital ou en industrie[10].
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+ L'enseignement est dispensé par les universités de Genève[11] et de Bâle[12] et par l'École polytechnique fédérale de Zurich[13].
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+ À la suite de l'accord bilatéral sur la circulation des personnes entre la Suisse et l'Union Européenne, les ressortissants de l'UE porteurs de diplômes équivalents au diplôme fédéral de pharmacien peuvent demander la reconnaissance de leur titre. Ainsi, de nombreux[Combien ?] pharmaciens français et allemands exercent dans les zones frontalières : cantons de Genève, de Vaud, de Bâle, etc.
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+ Bos primigenius, Bos taurus primigenius
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+ Espèce
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+ Synonymes
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+ Statut de conservation UICN
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+
9
+ EX : Éteint
10
+
11
+ L'aurochs[n 1] (ou auroch[1],[n 2]) est une espèce disparue de bovidé, ancêtre des races actuelles de bovins domestiques, et appartenant au genre Bos. Son nom scientifique est Bos primigenius mais, selon les auteurs, il peut être considéré comme une sous-espèce (Bos taurus primigenius) des bovins de l'espèce Bos taurus. Il est également désigné parfois par les noms d'urus ou ure. Menacé par la domestication et la chasse, l'aurochs n'existait plus qu'en Europe de l'Est à partir du XIIIe siècle, avant de s'éteindre dans la première moitié du XVIIe siècle (le dernier spécimen est mort en 1627 dans la forêt de Jaktorow en Pologne). L'aurochs a fait en 1920 l'objet de tentatives de reconstitution par élevage sélectif de races bovines. Les frères Heinz et Lucks Heck créèrent une race s'en approchant appelée « aurochs de Heck », et officiellement nommée de nos jours en France « aurochs-reconstitués », que l'on peut observer aujourd'hui en Europe, comme dans la forêt de Rambouillet, en France.
12
+
13
+ Le mot est attesté en français pour la première fois en 1414 sous la forme ourofl au sens de « bœuf sauvage », puis en 1611 sous la forme aurox. C'est seulement vers 1752 que l'on trouve l'orthographe actuelle.
14
+ Il s'agit d'un emprunt au germanique, plus précisément au moyen haut allemand urohse « aurochs » dans un premier temps, puis de nouveau à l'allemand moderne Auerochse dans un second temps[2],[3],[4]. Le terme allemand est issu du vieux haut allemand ûrohso, composé des éléments vieux haut allemands ûro « aurochs » et ohso « bœuf » (en allemand der Ochse, pluriel die Ochsen cf. anglais ox, pluriel oxen « bœuf(s) »). Il s'agit d'un composé explicatif, le sens du premier élément ūro étant devenu opaque. L'élément ûro, moyen allemand ûr(e), vieil anglais ūr, vieux norrois úrr signifie vraisemblablement à l'origine « celui qui répand sa semence humide », sur la base d’un vieux thème indo-européen *ūr désignant l'humidité et la pluie fine, que l'on retrouve dans le vieux norrois úr et le latin urina « urine »[5].
15
+
16
+ Il existe aussi un terme latin urus[6], lui-même d'origine celtique ou germanique[7],[8]. Le mot uros est, semble-t-il, attesté en gaulois dans des anthroponymes où il apparaît comme élément de composés tels que Uro-genius « issu de l'aurochs », Uro-geno-nertus « qui a la force d'un jeune aurochs », etc.[9]. Le mot français « ure » est un emprunt récent (1560) au latin urus[7].
17
+
18
+ L'aurochs serait apparu en Inde au Pléistocène inférieur, il y a environ deux millions d'années[10],[11]. Il serait probablement issu de Bos planifrons ou de Bos acutifrons, connus dans les Siwaliks[12].
19
+
20
+ Il aurait ensuite migré vers le Moyen-Orient et le reste de l'Asie pour gagner l'Europe au Pléistocène moyen. Il a aussi existé en Afrique du Nord[13]. La date précise de sa diffusion en Europe varie selon les sources : début du Pléistocène moyen (soit il y a environ 780 000 ans)[12], 275 000 ans[14] ou 250 000[15].
21
+
22
+ Beaucoup d'auteurs distinguent trois sous-espèces, largement répandues à travers l'ancien monde :
23
+
24
+ Il existe des formes régionales mal connues, et il est possible qu'il ait existé des sous-espèces non décrites. L'aurochs de Sicile avait ainsi une taille inférieure de 20 % aux aurochs continentaux[18].
25
+
26
+ L'aurochs a été chassé par les groupes de Néandertaliens, comme l'attestent les découvertes archéologiques réalisées dans les sites tels que Biache-Saint-Vaast ou La Borde. Ce dernier a livré de nombreux restes d'aurochs, correspondant au minimum à quarante individus. Il est interprété comme un lieu de chasse et d'abattage mettant à profit un piège naturel vers lequel des troupeaux étaient rabattus[19].
27
+
28
+ L'aurochs a ensuite très fréquemment été représenté dans l'art pariétal du Paléolithique supérieur, notamment à Lascaux ou Font-de-Gaume. La villa romaine du Casale conserve une mosaïque représentant une chasse à l'aurochs mais certains y voient un bison d'Europe.
29
+
30
+ Alors qu'une partie significative des forêts d'Europe de l'Ouest est déjà défrichée au profit de l'agriculture, Jules César, dans un chapitre de la Guerre des Gaules consacré à la description des Germains, évoque l'aurochs qu'on lui dit vivre dans l'immense forêt hercynienne avec des élans et d'autres animaux sauvages qu'on ne trouve déjà plus dans l'Italie romaine ni dans ses premières colonies.
31
+
32
+ « Une troisième espèce porte le nom d’urus. La taille de ces animaux est un peu moindre que celle des éléphants ; leur couleur et leur forme les font ressembler au taureau. Leur force et leur vélocité sont également remarquables ; rien de ce qu'ils aperçoivent, hommes ou bêtes, ne leur échappe. On les tue, en les prenant dans des fosses disposées avec soin. Ce genre de chasse est pour les jeunes gens un exercice qui les endurcit à la fatigue ; ceux qui ont tué le plus de ces urus en apportent les cornes en public, comme trophée, et reçoivent de grands éloges. On ne peut les apprivoiser, même dans le jeune âge. La grandeur, la forme et l'espèce de leurs cornes diffèrent beaucoup de celles de nos bœufs. On les recherche avidement, on les garnit d'argent sur les bords, et elles servent de coupes dans les festins solennels. »
33
+
34
+ Après avoir disparu des autres régions du monde, l'aurochs semble être resté relativement abondant dans les grands massifs forestiers d'Europe, relique de la forêt préhistorique ou regain sur des terres défrichées puis abandonnées au moment des grandes invasions ou des pestes, jusqu'au Moyen Âge, date à laquelle quelques mesures de protection sont prises (interdiction de chasse, garderie…), afin de protéger un gibier de choix pour la noblesse. Ainsi, Grégoire de Tours[20] rapporte que
35
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+ « la quinzième année du roi Childebert (en 590), qui était la vingt-neuvième du roi Gontran, le roi Gontran, chassant dans la forêt des Vosges, y trouva les restes d’un buffle (aurochs ou bison ?) qu’on avait tué. Le garde de la forêt, sévèrement interrogé pour savoir qui avait osé tuer un buffle dans la forêt royale, nomma Chaudon, chambellan du roi. Alors le roi ordonna qu’il fût saisi et conduit à Châlons chargé de liens. Tous les deux ayant été confrontés en la présence du roi, et Chaudon soutenant qu’il ne s’était nullement permis l’action dont on l’accusait, le roi ordonna le combat. Le chambellan présenta son neveu pour combattre à sa place. Tous deux se rendirent sur le champ, et le jeune homme, ayant poussé sa lance contre le garde des forêts, lui perça le pied. Celui-ci tomba aussitôt en arrière ; et comme le jeune homme, tirant le couteau qui pendait à sa ceinture, tâchait de lui couper la gorge, l’autre lui perça le ventre de son couteau. Tous deux tombèrent morts ; ce que voyant, Chaudon prit la fuite pour se rendre à la basilique de Saint-Marcel (de Châlons) ; mais le roi s’écriant qu’on le prit avant qu’il n’atteignit le seuil de l’édifice sacré, il fut pris, attaché à un poteau, et lapidé. Le roi eut ensuite un grand repentir de s’être laissé aller si promptement à la colère, et d’avoir fait mourir avec tant de précipitation, pour une petite faute, un homme qui lui était nécessaire et fidèle. »
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+
38
+ L'aurochs figure sur les armes de la ville lituanienne de Kaunas, et il est le symbole de la Principauté de Moldavie (roumain : bour, prononcé « bo-oure ») ; à ce titre il figure sur le blason de la Roumanie et de la République de Moldavie. Les aurochs ont disparu de ces pays au XVIe siècle, chassés par les boyards ou croisés avec le bétail domestique.
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+
40
+ Au XIIIe siècle, le territoire de l'aurochs se limitait à la Prusse orientale, la Pologne, la Lituanie, la Moldavie et la Transylvanie. En Pologne, le droit de chasser de grands animaux a été limité d'abord à la noblesse puis, progressivement, aux seuls membres de la famille royale. Comme la population déclinait, la chasse cessa et la cour royale dut faire appel à des garde-chasses pour entretenir les dernières populations dans des zones délimitées. Ces garde-chasses étaient exemptés d'impôts locaux en échange de leur service ; le braconnage sur les aurochs était puni de mort.
41
+
42
+ Selon une enquête royale, ils n'étaient plus qu'une trentaine en 1564, vivant ainsi en liberté surveillée dans la forêt de Jaktorów (en), en Pologne. Principalement victimes de maladies apportées par les bovins domestiques, il ne restait plus que trois mâles et une femelle en 1602. Le dernier mâle est mort en 1620 et la femelle, dernier aurochs vivant connu, est morte en 1627[21].
43
+
44
+ John Bell mentionne toutefois sa présence en 1720 en Sibérie[22].
45
+
46
+ Les principales causes de l'extinction furent la chasse, la diminution de l'habitat en raison du développement de l'agriculture et des épizooties (notamment en provenance de bétail domestique)[23],[24].
47
+
48
+ La domestication de l'aurochs sauvage, Bos primigenius, remonterait à 8000 av. J.-C., au Moyen-Orient puis en Inde[25].
49
+
50
+ Les trois sous-espèces auraient été domestiquées, et seraient à l'origine de races domestiques : les aurochs européens et moyen-orientaux (Bos primigenius primigenius) seraient à l'origine des bétails sans bosse (Bos primigenius f. taurus), les aurochs asiatiques ou indiens (Bos primigenius namadicus) ont vraisemblablement donné le bétail à bosse, ou zébu (Bos primigenius f. taurus = Bos primigenius f. indicus) et l'Aurochs nord-africain (Bos primigenius africanus = Bos primigenius opisthonomous = Bos primigenius mauretanicus) pourrait avoir contribué au patrimoine génétique des bétails africains (par exemple Cluttonbrock 1999)[17] ».
51
+
52
+ Selon cette approche, les bovins domestiques européens descendent de la sous-espèce européenne et moyen-orientale, les bovins domestiques asiatiques à bosse (zébu) descendent des aurochs asiatiques, et les bovins domestiques africains descendent d'un mélange incluant des aurochs nord-africains. Les bovins domestiques européens et asiatiques (zébu), en particulier, ne seraient apparentés que de façon assez éloignée, puisqu'ils auraient été domestiqués indépendamment, à partir de sous-espèces sauvages déjà identifiées. Bien qu'on ait autrefois parlé de Bos indicus pour désigner les zébus, on les considère maintenant comme faisant partie de la même espèce que les bovins européens, puisque descendant de la même espèce sauvage (mais pas de la même sous-espèce).
53
+
54
+ Des études concluent à un mélange entre aurochs moyen-orientaux et européens (appartenant à la même sous-espèce Bos primigenius primigenius) dans le génotype des bovins domestiques occidentaux actuels.
55
+
56
+ « Nous avons montré pour la première fois au niveau de l'ADN « fossile » que la diversité génétique des populations d’aurochs était plus importante que celle des bœufs actuels et qu'ils ont été domestiqués il y a dix mille ans plusieurs fois dans le bassin du Haut-Euphrate au Proche-Orient. La présence d'haplotypes proche-orientaux au Néolithique sur le territoire français a démontré qu'ils ont été importés domestiqués en Europe quelque deux mille ans plus tard au cours des migrations néolithiques à travers la Méditerranée et le long du Danube. L'haplotype des aurochs européens étant significativement distinct de celui des bœufs domestiqués, nous avons aussi pu montrer l'existence sporadique de croisements spontanés ou souhaités par l'homme entre l'aurochs européen mâle et le bœuf domestique proche-oriental femelle[26].  »
57
+
58
+ L'aurochs était plus grand que les races actuelles de bovins. Les chercheurs ont cependant revu à la baisse leurs estimations. Herre, en 1953, estimait la taille au garrot des mâles à deux mètres, et celle des femelles à 1,80 mètre. Boessneck, en 1957, avait cependant une estimation de 1,65 à 1,85 m pour les mâles de l'Holocène[17]. Les estimations récentes sont plutôt de 1,60 à 1,80 mètre au garrot pour les mâles, et d'environ un mètre et demi pour les femelles[27], même si certains auteurs restent encore partisans d'une taille dépassant les 2 mètres[28]. Ces variations d'estimations s'expliquent par le faible nombre de squelettes complets disponibles. Si les os retrouvés sont nombreux, le nombre de squelettes plus ou moins complets n'était que de quinze en 2002[29].
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+ Certains auteurs pensent que les très gros animaux (parfois deux mètres) seraient souvent plus anciens que les aurochs plus petits. Cette approche est contestée par d'autres auteurs.
60
+
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+ Le poids pouvait atteindre 800 à 1 000 kg.
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+
63
+ Le crâne était volumineux, avec un front plat et étroit muni de grandes cornes en forme de lyre, tournées vers l'avant en faisant un angle d'environ soixante degrés avec le front. La pointe pouvait parfois remonter vers le haut[30]. La forme précise de ces cornes pouvait légèrement varier d'un individu à l'autre. Celles des mâles pouvaient aller jusqu'à cent sept centimètres de longueur[31], quand celles des femelles étaient plus petites, jusqu'à soixante dix centimètres de longueur[27]. Claude Guintard indique même une taille maximale pour les mâles de cent vingt centimètres, mais des tailles moyennes bien inférieures à ces maximums : soixante deux centimètres pour les mâles, et quarante deux pour les femelles[32].
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+
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+ L'animal avait un dos rectiligne, et les jambes étaient proportionnellement un peu plus longues que celles des bovins domestiques actuels[27].
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+ Le dimorphisme sexuel était prononcé chez cette espèce. Les mâles étaient plus gros, avaient des cornes plus longues, et avaient un pelage brun-noir, avec une raie plus pâle le long de l'épine dorsale. Les femelles et les jeunes des deux sexes avaient un pelage plus rougeâtre, sans cette raie dorsale. D'après les descriptions, il y avait une zone plus claire autour du museau chez les deux sexes[27].
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+
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+ Contrairement aux actuels bovins domestiques, les femelles avaient des mamelles discrètes, difficilement visibles[33].
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+
71
+ Les aurochs avaient également une certaine réputation d'agressivité, encore que celle-ci ait pu être exagérée par les traditions, comme dans le cas des loups. Les derniers rapports historiques de Pologne, juste avant la disparition de l'animal, indiquent d'ailleurs que les aurochs n'avaient pas peur des humains, et ne se sauvaient pas quand ceux-ci approchaient, ne devenant agressifs que lorsqu'ils étaient chassés ou trop importunés[34].
72
+
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+ Il y avait une certaine variabilité intra-spécifique, qui est encore mal connue, mais qui ressort de ce qu'on connaît des tailles des animaux ou des formes de leurs cornes.
74
+
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+ Claude Guintard donne en 2005, une comparaison de différents auteurs sur la taille des cornes[37]. Les chiffres ci-dessous ne concernent que l'os. Il faut sans doute y rajouter 20 % pour avoir la longueur totale de la corne avec son étui kératinisé, aujourd'hui disparu.
76
+
77
+ Alzieu (1983)[38] souligne que la forme des cornes chez Bos primigenius est extrêmement homogène, contrairement à ce qu'on observe chez les bovins domestiques. Chez ces derniers les cornes peuvent en effet être absentes ou, à l'opposé, atteindre deux mètres cinquante (Watusi).
78
+
79
+ L'aurochs occupait en Europe des habitats de forêts et de marais[27]. Comme le montre la carte de sa répartition, la sous-espèce vivant en Europe occupait aussi les steppes allant de la Hongrie à la Mandchourie en passant par l'Asie centrale. Ces différences régionales sont compliquées par des différences d'époques. « S'il fréquentait les milieux plutôt ouverts à la fin du Pléistocène (Crégut-Bonnoure & Guérin, 1996)[12], il semble devenir de plus en plus forestier pendant l'Holocène comme en témoigne le
80
+ résultat des analyses isotopiques menées sur des restes d'Aurochs du Néolithique moyen de
81
+ Normandie[39]. Ce changement d'habitat est attribuable à une
82
+ réponse de l'espèce au dérangement par l'Homme et à la concurrence exercée par les Ovins
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+ domestiques qui paissaient en milieux ouverts et en lisière de forêt[40] ».
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+
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+ C'était donc un animal opportuniste, occupant des milieux assez différents, et capable de s'adapter à eux.
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+ C'était un herbivore, s'alimentant principalement d'herbes et des graminées[27]. En automne, des glands pouvaient être ajoutés au menu, et des branches d'arbres ou de buissons en hiver[41]. Les bétails domestiques actuels vivant dans la nature ressemblent considérablement à leur ancêtre sauvage dans leur choix de nourriture[42].
88
+
89
+ Pendant l'Holocène, le lion (Panthera leo), le tigre (Panthera tigris) et le loup (Canis lupus) étaient des prédateurs des aurochs[43]. En Europe même, en dehors des Balkans où vivaient des lions, le loup était le prédateur principal[27]. L'homme a été également un prédateur de l'aurochs, et sa pression cynégétique n'a cessé de croître, jusqu'à provoquer son extinction, mais ne l'a pas empêché de laisser derrière lui des descendants qui sont la vache et le zebu.
90
+
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+ D'après les rapports historiques, les femelles vivaient avec leurs veaux, les mâles vivant indépendamment, en petits groupes. Certains mâles restaient solitaires. A la saison des amours (août - septembre), les mâles rejoignaient les femelles, s'affrontant parfois violemment pour pouvoir se reproduire. Les jeunes naissaient en mai - juin[27].
92
+
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+ L'« aurochs reconstitué » selon son nom officiel au sein du catalogue des races bovines françaises (code race no 30[44]) ou « aurochs de Heck » (nom vernaculaire le plus courant en France jusqu'à la fin des années 1990)[n 3], ou « néo aurochs », est une sélection de races bovines domestiques menée en Allemagne dans les années 1920 et 1930 par les frères Heck. Ce mélange visait à recréer le type originel sauvage des bovins domestiques, c’est-à-dire l'aurochs originel, Bos primigenius.
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+
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+ La méthode a consisté à croiser des races domestiques « rustiques », supposées plus proches de l'aurochs des origines, afin de recréer une diversité génétique moins marquée par la dérive génétique découlant de la domestication, puis de sélectionner dans le groupe d'animaux ainsi obtenus ceux ressemblant le plus au phénotype (apparence physique) originel. Ce phénotype était considéré comme un bon indicateur d'une proximité avec le génotype originel. En termes de ressemblance, le succès n'a été que partiel. L'apparence physique offre certes des ressemblances avec l'original, et la capacité à vivre en liberté est bien documentée, l'animal vivant dans des réserves naturelles des Pays-Bas, comme Oostvaardersplassen, depuis 1983. Mais la taille reste inférieure à celle de l'aurochs sauvage, les cornes sont nettement plus petites, et la couleur est généralement plus claire.
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+ La méthode utilisée, ainsi que la personnalité des frères Heck, proches du régime nazi, ont entraîné depuis l'après-guerre des polémiques assez vives, certains biologistes considérant l'aurochs reconstitué comme une supercherie, d'autres, surtout en Allemagne et aux Pays-Bas, défendant la démarche, et même l'introduction de l'animal dans des espaces sauvages.
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+ Depuis le début des années 2000, des éleveurs allemands ont entrepris d'introduire de nouvelles variétés bovines domestiques dans des groupes reproducteurs d'aurochs de Heck. Ces variétés, aux cornes et à la taille plus imposantes, ont donné des petits groupes d'animaux plus proches en apparence de l'aurochs sauvage. L'aurochs de Heck actuel regroupe donc une majorité d'animaux dont l'apparence et les caractéristiques génétiques sont fixées depuis les frères Heck, et une petite minorité d'animaux dont les caractéristiques sont en train d'être revues pour se rapprocher du phénotype sauvage. En 2015, le séquençage du génome à partir d'ADN fossile extrait d'un fossile trouvé au Royaume-Uni et datant de plus de sept mille cinq cents ans a permis de comparer les races ainsi obtenues avec l'auroch primitif, et de montrer une concordance génétique assez forte[45]. Les méthodes de sélection animale classique ne permettent pas, toutefois, d'aboutir à des specimens véritablement identiques à l'auroch[45].
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+
101
+ Diverses races obtenues par croisements de formes primitives ou ressemblant à l'aurochs ont été réintroduites en milieu naturel et sur des terres en friche, par exemple aux Pays-Bas, en Croatie, en Hongrie, ou encore au Portugal et en Espagne, ce qui permet, entre autres, de prévenir le reboisement spontané et ainsi de favoriser les écosystèmes de prairie[45].
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+ Si la race dite « aurochs reconstitué » a morphologiquement une certaine prestance, on ne peut, contrairement à ce que souhaitaient les frères Heck, la comparer avec l'espèce « aurochs primitif », avec lequel elle ne partage pas plus de gènes qu'une Normande ou une Charolaise[46].
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+
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+ Quelques fermes ont entrepris l'élevage d'aurochs reconstitués, qui se sont révélés très résistants et qui vivent dans les prairies et les bois attenant sans bâtiment de protection et dont les vêlages ont lieu sans intervention ni difficulté, même dans la neige.
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+
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+ Deux syndicats d'élevage gèrent la race : le VFA (en Allemagne)[47] et le SIERDA[48] (international, mais principalement en France). Ce dernier a élaboré pour la France une charte d'élevage et une charte de production de viande[n 4].
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+
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+ Dans leur recherche d'augmentation de la marge brute, tout en conservant des méthodes d'élevage rustiques et extensives, les éleveurs développent de nombreuses plus-values : accueil du public, pédagogie, filière biologique, produits cuisinés et produits dérivés (cuirs bruts, couteaux).
110
+
111
+ De leur côté, les gestionnaires d'espaces naturels ont recours à ces aurochs pour mener du pâturage conservatoire ou naturel dans le but de maintenir ouvert des milieux à la gestion difficile (zones humides)[49].
112
+
113
+ « Aurochs » reconstitués de la « ferme des aurochs », en Charente.
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+
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+ Idem.
116
+
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+ Idem.
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119
+ Cliquez sur une vignette pour l’agrandir.
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+ Face à l'échec relatif de reconstitution de l'Aurochs par les frères Heck, d'autres projets de reconstitution de cet animal ont vu le jour plus ou moins récemment. Ces projets fonctionnent pour la plupart de la même manière que pour la création de l'aurochs de Heck, c'est-à-dire en croisant différentes races bovines primitives ayant une ressemblance avec leur ancêtre sauvage. Les initiatives actuelles de reconstitution de l'aurochs sont les suivantes : le projet Taurus qui reprend la sélection du bétail Heck ; le programme Tauros, qui vise, en partenariat avec Rewilding Europe, à relâcher des Tauros dans les espaces de réensauvagement ; le projet Auerrind et enfin le projet Uruz[50].
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+ Sur les autres projets Wikimedia :
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+ En thermodynamique, on utilise la notion de phase pour distinguer les différents états possibles d'un système. Selon le contexte et les auteurs, le mot est utilisé pour désigner plusieurs choses, parfois de natures différentes, mais étroitement liées.
2
+
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+ Si un système thermodynamique est entièrement homogène, physiquement et chimiquement, on dit qu'il constitue une seule phase. Dans le cas contraire, on appelle phases ses parties homogènes. La décomposition d'un système en différentes phases peut évoluer au gré des transformations que le système subit. De manière générale, le processus par lequel un système ou une de ses parties se transforme d'une phase à une autre est appelé transition de phase.
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+ Par extension, on utilise aussi le terme de phase pour désigner le domaine d'existence ou de stabilité d'une phase donnée dans l'espace des paramètres thermodynamiques. Cette approche permet de donner une définition mathématique plus précise à la notion de phase.
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+ La notion de phase recoupe en partie la notion plus familière d'état de la matière. Les trois états usuels de la matière que sont le gaz, le liquide et le solide constituent en effet trois phases distinctes[1]. Les deux notions ne se confondent pas pour autant : un système composé de deux liquides non miscibles comme l'eau et l'huile est bien composé de deux phases différentes, bien qu'il soit dans un seul état (liquide).
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+ Landau et Lifschitz définissent les phases d'une substance comme ses états qui peuvent coexister simultanément à l'équilibre, tout en étant en contact direct[2].
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+ Kubo définit une phase comme une substance physiquement et chimiquement homogène[3].
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+ Greiner définit une phase comme une des parties homogènes d'un système hétérogène[4], étant entendu qu'un système homogène constitue une unique phase.
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+ Si l'on a un composé qui est un mélange de corps purs, on peut avoir, pour certaines conditions de pression et de température, plusieurs phases qui cohabitent. Par exemple, on peut avoir un mélange de deux poudres (deux phases solides différentes), un mélange liquide-gaz (aérosol), un mélange liquide-liquide (émulsion)...
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+
17
+ Il peut y avoir une phase homogène constituée de plusieurs corps purs (par exemple une solution aqueuse ou un eutectique), et un corps pur hors équilibre composé de plusieurs phases (par exemple un mélange eau-glace) ; la notion de phase est donc distincte de celle de composé chimique.
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+
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+ Une bonne définition de la phase d'un système est « une région de l'espace des paramètres thermodynamiques du système dans lequel l'énergie libre est une fonction analytique ». Ceci signifie que deux états d'un système sont dans la même phase s'il existe une transformation physique passant de l'un à l'autre sans qu'il y ait de changements abrupts dans les propriétés thermodynamiques.
20
+
21
+ Considérons un corps pur. Selon la pression et la température, ce corps pur peut être gazeux, liquide ou solide. S'il est solide, il peut cristalliser de différentes manières selon la pression et la température. Par exemple, le fer peut cristalliser sous forme cubique centrée (fer α) ou cubique à faces centrées (fer γ). Un solide peut aussi être amorphe. Par exemple, la silice SiO2 peut être cristalline (quartz, cristobalite) ou amorphe (verre de silice).
22
+
23
+ On peut tracer une « carte » des phases, c'est-à-dire la phase dans laquelle est le système pour des conditions (pression, température, composition). Une telle carte est appelée diagramme de phase.
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+ Toutes les propriétés thermodynamiques d'un système — l'entropie, la capacité thermique, la magnétisation, la compressibilité, etc. — peuvent être exprimées en fonction de l'énergie libre et de ses dérivées. Par exemple, l'entropie peut s'exprimer simplement en fonction de la dérivée première de l'énergie libre par la température.
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+ Phaseolus vulgaris
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+ Espèce
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+ Classification phylogénétique
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+
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+ Le Haricot, ou Haricot commun (Phaseolus vulgaris L.), est une espèce de plantes annuelles de la famille des Fabaceae (Papilionacées), du genre Phaseolus, couramment cultivée comme légume ou légumineuse. On en consomme soit le fruit (la gousse), haricot vert ou « mange-tout », soit les graines, riches en protéines. Le terme « haricot » désigne aussi ces parties consommées, les graines (haricots secs) ou les gousses.
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+ Cette plante, originaire d'Amérique centrale et d'Amérique du Sud (Andes), joue un rôle important dans l'alimentation humaine comme source d'amidon (féculent), de protéines et dans la fixation biologique de l'azote. Elle fait l'objet de culture vivrière dans certaines régions d'Afrique et d'Amérique latine, tandis que dans les pays développés, à côté d'une production limitée dans les jardins familiaux, s'est développée une culture en plein champ produisant soit des haricots secs pour la conserverie, soit des haricots verts. Ces derniers, dont la consommation s'est développée depuis le début du XXe siècle, s'intègrent mieux dans la recherche d'une alimentation plus légère. Haricots secs comme haricots verts peuvent soit être nains (et c'est la forme privilégiée en grande culture), soit être à rames donc grimpants avec nécessité de tuteurs.
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+
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+ Le Haricot commun appartient au genre Phaseolus, section Phaseolus[1].
12
+
13
+ La première description botanique du Haricot commun, sous le nom de Smilax hortensis, est due aux botanistes Tragus et Fuchs en 1542.
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+ Dans Species Plantarum de 1753, Carl Linné a classé les haricots connus à son époque sous les genres Phaseolus et Dolichos. Il répertorie 11 espèces de Phaseolus[2] dont 6 espèces cultivées et 5 espèces sauvages. Après diverses révisions taxonomiques, The Plant List[3] a conservé trois noms d'espèce de Linné ( 1) P. vulgaris, le haricot commun, 2) Phaseolus coccineus, le haricot d'Espagne, 3) Phaseolus lunatus, le haricot de Lima et traité les autres binômes comme non acceptés, non résolus ou bien les a reclassé dans les genres Vigna, ou Glycine. Actuellement, les haricots d'origine asiatique du genre Phaseolus ont été transférés au genre Vigna, si bien que l'adoption d'une conception restrictive du genre Phaseolus en fait un genre homogène et exclusivement américain[4].
15
+
16
+ Ces deux variétés correspondent à deux écotypes, qui sont liés aux groupes méso-américain (vulgaris) et andin (aborigineus), difficiles à inter-croiser. Ce début de spéciation[5] est le signe qu'ils ont été domestiqués anciennement. La variété aborigineus se distingue notamment par des grains plus gros.
17
+ Il existe également de nombreux cultivars obtenus par croisements ou sélections horticoles, qu'il ne faut pas confondre avec les variétés spontanées.
18
+
19
+ Comme pour la plupart des espèces du genre, le génome du haricot comprend 11 paires de chromosomes (2n=22). Avec 625 Mpb par génome haploïde, c'est le plus petit de la famille des légumineuses[6].
20
+
21
+ Le haricot est une plante herbacée, annuelle, qui peut prendre plusieurs types de port selon les variétés. On distingue deux grands groupes, les haricots grimpants (dits haricots à rames), au port volubile, qui sont proches du type original, et les haricots nains à port érigé et plus ramifié. Le port de la plante est principalement déterminé par son génome, mais les conditions écologiques aux différents stades phénologiques peuvent l'influencer. Ainsi, une température chaude (30 °C) au stade de la première feuille trifoliolée déclenche toujours le port volubile[7]. On peut également obtenir des plantes à port intermédiaire.
22
+
23
+ Le Haricot a une racine principale non dominante qui est très rapidement complétée de racines latérales. Les racines peuvent atteindre un mètre de profondeur si le sol s'y prête[8]. Elles sont le siège du phénomène de « nodulation », les nodules étant des excroissances provoquées par l'infestation par des bactéries du genre Rhizobium. Ces bactéries vivent en symbiose avec la plante : elles reçoivent par la sève des hydrates de carbone et lui fournissent de l'ammonium synthétisé à partir de l'azote atmosphérique. Les principales espèces nodulant le haricot sont Rhizobium etli et Rhizobium phaseoli. Les conditions optimales pour le développement des nodosités sont une température de 25 à 30 °C et un pH de 6 à 7. La quantité d'azote fixée peut atteindre 200 kg à l'hectare[9].
24
+
25
+ Les tiges grimpantes sont peu ramifiées et s'enroulent autour de leur support dans le sens inverse des aiguilles d'une montre (tiges volubiles « sinistrorses »[10]). Elles peuvent atteindre deux à trois mètres de haut. Les types nains sont plus ramifiés, prenant un port buissonnant ou dressé, de 40 à 60 cm de haut. Ils se prêtent mieux à la mécanisation des cultures.
26
+
27
+ Les feuilles adultes sont pétiolées, alternes et composées trifoliées, de couleur verte ou pourpre[11]. Les folioles ont une forme ovale-acuminée, presque losangée et ont de 6 à 15 cm de long sur 3 à 11 cm de large. Les pétioles, renflés à la base (coussinet foliaire ou pulvinus) sont munis de stipules, et de petites stipules ou stipelles se trouvent à la base des pétiolules supportant les folioles. Les deux feuilles primordiales qui apparaissent immédiatement au-dessus des cotylédons sont entières et opposées.
28
+
29
+ Les fleurs sont groupées en grappes déterminées (racèmes) de 4 à 10 fleurs, naissant à l'aisselle des feuilles.
30
+ Ce sont des fleurs hermaphrodites, zygomorphes, au calice formé de cinq sépales soudés présentant cinq dents regroupées en deux lèvres, à la corolle caractéristique dite « papilionacée, formée de cinq pétales inégaux et très différenciés : l'étendard est le pétale postérieur très développé et redressé, les ailes sont les deux pétales latéraux extérieurs, et la carène est formée des deux pétales inférieurs, partiellement soudés et recouverts par les ailes. La couleur des pétales varie du blanc verdâtre au carmin.
31
+
32
+ Les étamines, au nombre de dix, sont dites diadelphes, c'est-à-dire organisées en deux groupes : neuf d'entre elles sont soudées par le filet, la dixième étant libre.
33
+
34
+ L'ovaire, supère, est formé d'un seul carpelle à placentation pariétale. Les ovules sont fixés sur la suture ventrale.
35
+
36
+ Les fleurs étant fermées (cléistogamie), la fécondation est principalement autogame. Ce caractère facilite la sélection de lignées pures et le maintien de variétés stables.
37
+
38
+ Les fruits sont des gousses déhiscentes, appelées également « cosses », de forme et de longueur variable. En particulier leur section peut être cylindrique, ovale ou aplatie (haricots plats). Chez certaines variétés, se développent des structures fibreuses qui forment à un stade de maturité plus ou moins avancé le « fil » et le « parchemin ». Les variétés à parchemin ne peuvent être consommées qu'en grain, ou en haricots verts à condition de récolter les gousses très jeunes (haricots « filets »). Celles dépourvues de parchemin sont dites « mangetout » et produisent des haricots verts consommables à un stade de maturité plus avancé correspondant au début de la formation des graines[8].
39
+
40
+ Chaque gousse contient 4 à 8 graines de taille, forme et couleur variable. La forme la plus commune est dite « réniforme », typique des haricots, mais on peut rencontrer des grains plus sphériques (d'où les appellations locales de « pois » données à certaines variétés). Les graines sont plus ou moins grosses, les plus grosses ayant été sélectionnées dans les variétés à écosser. Chez les variétés cultivées, on compte de 14 à 80 graines pour 100 g et 730 à 850 graines par litre[8]. La couleur des graines va du blanc au noir en passant par le rouge et les couleurs panachées. Les flageolets se distinguent par leur couleur verte. Ce sont des graines exalbuminées, c'est-à-dire sans albumen, qui contiennent un embryon à deux cotylédons volumineux dans lesquels s'accumulent les réserves nécessaires à la croissance future de la plantule avant que le relais soit pris par les premières feuilles chlorophylliennes.
41
+
42
+ Les graines peuvent garder leur faculté germinative de 3 à 5 ans. La germination des haricots est dite « épigée ». Tandis que la radicule s'enfonce dans le sol, la croissance de l'hypocotyle entraîne les cotylédons qui se déploient hors du sol. De ce fait la plante apprécie les sols légers qui favorisent une bonne levée. Les cotylédons ne sont jamais chlorophylliens et gardent leur couleur blanche, sauf dans des variétés de flageolets verts.
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+
44
+ La domestication du haricot commun serait intervenue dans deux centres distincts, d'une part en Amérique centrale (variété vulgaris) et d'autre part en Amérique du Sud dans la région andine (variété aborigineus). Les variétés méso-américaines se distinguent de celles des Andes, notamment par la taille des grains, plus gros chez ces dernières[12].
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+
46
+ Sa première apparition dans des sites archéologiques est datée de 7000 ans av. J.-C. au Pérou, de 4000 ans av. J.-C. au Tamaulipas (nord-est du Mexique) et de 3000 ans av. J.-C. à Tehuacán (sud-est de Mexico)[13].
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48
+ Le centre mésoaméricain, zone où la quasi-totalité des espèces de haricots ont été retrouvées à l'état sauvage, semble le centre principal de diffusion des haricots et le centre où s'est formé le complexe haricot-maïs-courge (les « trois sœurs » des peuples amérindiens), qui s'est ensuite diffusé vers le Nord[14].
49
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+ La première introduction du haricot en Europe serait due à Christophe Colomb qui le découvrit à Nuevitas (Cuba) lors de son premier voyage en octobre 1492[12]. Par la suite d'autres explorateurs le découvrirent en divers points d'Amérique du Nord et du Sud. La diffusion de la plante en Europe se serait faite par le Vatican. C'est Catherine de Médicis qui l'aurait introduite en France à l'occasion de son mariage avec le roi Henri II en 1533[15]. Dès le XVIe siècle, des navigateurs portugais l'ont introduit en Afrique et en Asie.
51
+
52
+ Le haricot, facile à cultiver et produisant des graines de bonne taille et de longue conservation, a connu rapidement un grand succès en Europe, où il s'est diversifié en d'innombrables variétés locales, se substituant partiellement ou totalement à d'autres légumineuses anciennes (pois chiches, lentilles, dolique mongette). Il s'est également bien implanté en Afrique orientale, notamment dans la région des Grands Lacs (Kenya, Ouganda, Tanzanie) où il retrouvait des conditions écologiques proches de celles des montagnes andines. Cette région est aussi devenue un centre de diversification et le haricot y est encore de nos jours un aliment de base des populations rurales. La plante ne s'est par contre pas imposée en Asie tropicale, face à des légumineuses mieux adaptées au climat telles le haricot mungo et le lablab (appelé « pois antaque » à la Réunion).
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+ Le nom de haricot était « ayacotl » en nahuatl, la langue des Aztèques et « purutu » en quechua, la langue des Incas. Pour sa part, Jacques Cartier rapporte que les Iroquoiens du Saint-Laurent le nommaient Sahé.
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+ L'Europe connaissait la dolique ou dolique mongette dont le nom grec était Phaseolus. Le haricot lui doit son nom savant Phaseolus, son nom régional de mongette ou mogette et son nom familier de fayot[16]. Dès 1585, Castor Durante, médecin et botaniste italien, écrit araco pour des haricots[17]. Ce nom italien araco, qui n'est plus usité, est à rapprocher du aracos cité par Pline l'Ancien, et du arachos cité par Théophraste, et désignait probablement une autre légumineuse européenne, vesce ou gesse, connue, cultivée et cuisinée bien avant l'arrivée du haricot en Europe. D'ailleurs, à la fin du XVIIe siècle, le botaniste Joseph Pitton de Tournefort l'associe à une graine ronde anciennement cultivée en Italie nommée arocatus[18].
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+ Les divers noms du haricot seraient donc des dérivés de ceux de légumineuses européennes ancestrales.
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+ François Rabelais nous en parle au milieu du XVIe siècle, quand Panurge accuse le fazéolz de rendre le carême encore plus déplaisant.
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+ Le nom de haricot apparaît au XVIIe siècle d'abord nommé fève de haricot par Figuier en 1628, puis haricot en 1640 par César Oudin dans son livre curiosités françaises, nom qui va lui rester. En 1689, de Blégny le nomme aricot, Antoine Furetière dans le dictionnaire de 1690 haricot, mais il fut cependant longtemps appelé fève de haricot ou féverole[17].
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+ De nombreux auteurs soutiennent que haricot serait une adaptation phonétique du nom en aztèque ayacotl. C'est José-Maria de Heredia qui le premier affirme avoir découvert le nom en aztèque ayacotl dans un ouvrage d'histoire naturelle du XVIe siècle, le De historia plantarum novi orbis de Hernandez. Mais selon l'équipe de lexicographes autour d'Alain Rey[19], cette forme est totalement imaginaire.
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+ Le traité du Jardinier François de 1654 le nomme fève de Caliccot[20] ce qui a donné dans les départements de la Somme, de l'Oise, de l'Eure et de l'Yonne caliquot, caricotte, galligote et aricotte[17].
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+ L'araco italien serait devenu alicot dans la Vendée, arico dans l'Yonne, aricaou et oricaou dans la Creuse et la Corrèze et divers aricou, aricotte, hariké et aricoy dans la Somme, l'Yonne, l'Oise et le Nord.
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+ Dans son Théâtre d’agriculture et mesnage des champs, en 1600, Olivier de Serres le nomme faziols. Le phaseolus grec puis latin s'est transformé en fajou à Nice, fiajole à Lyon, fayola dans le Dauphiné, fazor à Briançon, fajoula dans l'Ain, fayou dans les Hautes-Alpes et le Var. C'est le fayoul ou fayol provençal, qui devient dans la marine fayol puis fayau ou fayot. En Picardie, il a été nommé fajole, d'où a dérivé flageolet[17].
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+ Le haricot est nommé mougette en 1731, mogette en 1762, puis l'abbé Rozier en 1784 décrit sous le nom de mongette plusieurs variétés, le haricot blanc commun, le haricot blanc hâtif et le haricot rond. Le nom local de la dolique mongette a été appliqué au haricot donnant les nombreux dérivés de mongette: mogette ou mongette en Saintonge, mojhète en Poitou (plus le nord et l'est de la Charente), mandzéto dans la Haute-Vienne, mondjéta dans les Pyrénées, mounjou dans la Haute-Garonne, mountso dans le Tarn, et mounzétou dans le Lot.
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+ Les haricots ont été appelés aussi « pois » ou « fèves ». Ce dernier terme est resté vivace dans le français du Québec où les « fèves au lard », les « fèves de chantier », se préparent en réalité avec des haricots[21]. Cette confusion entre fève et haricot pourrait venir de l'influence de l'anglais bean ou au fait que le haricot fut importé en France et confondu avec la fève[22] qui désigne aussi la fève (broad bean). Dans le créole des Antilles, le haricot s'écrit pwa.
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+ Le nom grec phaseolus puis latin faseolus est à l'origine du nom du haricot dans les autres langues romanes : italien fagiolo, espagnol frijol, portugais feijão, catalan fesol, roumain fasole, dans les langues slaves : russe fasolya, polonais fasola zwykła, ainsi qu'en albanais fasule et en turc fasulye. Haricot se dit en grec moderne φασολάκια, φασόλι.
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+ En espagnol, les termes alubia et judia dérivent de l'arabe loubia, qui désignait à l'origine la dolique mongette (genre Vigna) et qui a été transposé au haricot lorsque celui-ci s'est substitué à la précédente. Le terme habichuela, quant à lui,
78
+ dérive de haba qui désigne la fève. Poroto, en espagnol du Chili, vient quant à lui directement du purutu Quechua.
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+ En catalan et en occitan, le terme mongeta s'est imposé. En Poitevin, on a moujhette.
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+ En breton, le nom fav issu du moyen breton faff emprunté au latin faba, est utilisé pour le haricot comme pour les fèves Vicia faba. Afin de les différencier on précise quelquefois l'aspect : fav-glas (haricot vert), fav-sec'h (haricot sec), fav-munut (fèves minuscules= féveroles); l'usage : fav-marc'h (fèves cheval=fèves pour l'alimentation animale); ou la provenance : fav-brezil (fèves du Brésil=haricot), fav-gall (fèves françaises=fèves)[23],[24]
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+ Dans les langues germaniques, les noms du haricot dérivent d'un terme germanique ancien, bauna, désignant à l'origine une sorte de fève[12] : allemand Bohne, anglais bean, néerlandais boon, norvégien Hagebønne, suédois böna… Bean en anglais et Bohne en allemand sont des termes génériques désignant toute légumineuse à graine allongée, un qualificatif est généralement nécessaire pour préciser le haricot : kidney bean, Gartenbohne…
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+ Au Japon, le haricot commun est appelé Ingen mame, ou Sasage dans la région de Tohoku (dans le nord-est du pays)[25]. Cependant les « haricots rouges » très employés dans la gastronomie japonaise sont des haricots azukis (genre Vigna).
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+ Au Kenya, on parlera d'ukunde en swahili pour les haricots en général et de dengu pour les lentilles.
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+ Souvent présent dans les jardins familiaux, le haricot fait aussi l'objet de spéculation en grande culture. Généralement cultivé en monoculture dans les pays occidentaux, il fait aussi souvent l'objet de cultures associées, semé en mélanges avec d'autres plantes, ou en cultures intercalaires, dans les pays du Tiers monde. En Amérique latine, environ 70 % des cultures de haricots sont associées au maïs[11].
91
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+ Le haricot se multiplie par semis, sur un terrain labouré durant l'hiver et après un passage de motoculteur au printemps.
93
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+ Comme toutes les légumineuses, le haricot nécessite peu de fertilisation azotée, grâce à la présence de nodosités symbiotiques dans les racines qui permettent l'assimilation de l'azote de l'air. Cependant en fonction des réserves du sol et des précédents, ainsi que des exportations de la culture, fonction du rendement, une fumure adaptée peut être nécessaire, principalement phospho-potassique. Divers essais ont montré qu'une fumure azotée pouvait dans certaines conditions donner des résultats positifs. Le haricot est en outre sensible aux carences en divers oligo-éléments, notamment cuivre, molybdène, manganèse, zinc, et peu tolérant à la salinité[26].
95
+
96
+ C'est une plante très sensible au froid ; le feuillage gèle à partir de - 1 °C. Il faut attendre pour la semer que la température moyenne atteigne 15 °C, soit vers la mi-mai (dans l'hémisphère nord), classiquement après les « saints de glace » en France moyenne, plus tôt (fin avril) sous climat méditerranéen, plus tard (fin mai) sous climat continental. Les semis peuvent s'échelonner jusqu'à fin juin ou fin juillet voire début août, selon les régions et les variétés, de manière à permettre la récolte avant les premières gelées. Les fortes chaleurs, plus de 32 °C sont préjudiciables au haricot, faisant avorter les fleurs et les gousses[26].
97
+
98
+ Suivant un dicton de Côte-d'Or :
99
+
100
+ « Sème tes haricots à la Sainte-Croix [14 septembre]
101
+ Tu en récolteras plus que pour toi ;
102
+ Sème les à la Saint-Gengoult [17 janvier]
103
+ T'en donnera beaucoup ;
104
+ Sème les à la Saint-Didier [23 mai]
105
+ Pour un tu en auras des milliers »
106
+
107
+ Le haricot préfère les sols neutres (pH optimum égal à 6,5), mais s'accommode de sols plus basiques.
108
+ Pour une bonne levée, il est nécessaire de ne pas trop enterrer les graines (un proverbe jardinier dit : « le haricot doit voir partir son maître[27] ») et d'éviter les terres trop battantes, en effet, lors de la germination, les cotylédons sont soulevés hors de terre par la croissance de la radicelle.
109
+
110
+ En culture potagère, le semis, en poquets ou en sillons, se fait souvent avec des grains préalablement trempés. Ils lèvent plus ou moins vite, il faut alors biner une première fois puis une seconde 15 jours plus tard en butant les pieds jusqu'au niveau des premières feuilles et en créant une rigole pour l'arrosage. Il peut être utile de pailler [28].
111
+
112
+ En culture de plein champ, l'emploi de semoirs pneumatiques monograines est conseillé pour obtenir une levée régulière ; ils permettent en effet de contrôler de manière précise l'espacement des graines et la densité de semis, facteur important du rendement, ainsi que la profondeur d'enfouissement des graines. La grande culture ne cultive que les variétés naines, car le ramage que nécessitent les variétés grimpantes n'est pas facilement mécanisable.
113
+
114
+ L'arrosage est souvent nécessaire car le cycle de végétation se déroule pendant les périodes les plus chaudes de l'année. Il est préférable de le faire par écoulement direct sur le sol sans toucher les feuilles et les fleurs pour éviter le développement des maladies. En culture de plein champ, l'irrigation par aspersion est cependant pratiquée, de préférence sur des variétés résistantes à l'anthracnose et aux virus.
115
+
116
+ La récolte se fait, suivant les variétés, à partir de 40 jours pour la récolte en gousses immatures, et deux mois et demi à trois mois après le semis pour la récolte en grains secs.
117
+
118
+ Pour la récolte en grains secs, il convient d'attendre que les gousses aient jauni mais de récolter avant qu'elles ne soient complètement sèches, pour éviter leur déhiscence et donc la chute de graines au sol. Le taux d'humidité des graines idéal au moment de la récolte se situe à 15-16 %, alors qu'il s'élève à 50 % à leur maturité physiologique[29].
119
+
120
+ Traditionnellement, les plants de haricots grains sont arrachés, liés et mis à sécher suspendus sous un hangar avant d'être écossés. Le battage s'est effectué à la gaule en frêne et au fléau puis au rouleau en pierre. Ce battage était suivi d'un vannage pour éliminer les impuretés. Vers 1950 sont apparues les batteuses mécaniques[17].
121
+
122
+ Depuis les années 1970, la récolte en gousse des haricots mangetout a également été mécanisée grâce à la mise au point de « récolteuses de haricots mangetout » tractées (latérales) ou automotrices (frontales). Ces machines se composent d'un peigne rotatif ou d'un tambour cueilleur qui travaille de bas en haut. les parties recueillies sont envoyés dans un système de nettoyage qui sépare les gousses des feuilles et autres déchets[26].
123
+
124
+ Chez les Amérindiens, il était traditionnellement cultivé en compagnie du maïs et de la courge (on nomme cette association les Trois sœurs, le premier servant de tuteur au haricot et la courge de couvre-sol, tandis que les nodosités des racines du haricot fixent l'azote de l'air, faisant profiter les trois plantes de cette fertilisation). Le haricot est également réputé être répulsif pour le doryphore.
125
+
126
+ Les cultures de haricots sont sujettes à de nombreuses attaques de ravageurs et maladies qui peuvent entraîner d'importants dégâts en l'absence de moyens de lutte appropriés. On estime ainsi qu'en Afrique tropicale plus de 50 % de la production est perdue chaque année[30].
127
+
128
+ De très nombreux ravageurs sont susceptibles de s'attaquer aux cultures de haricots ainsi qu'aux graines entreposées, notamment des gastéropodes, des insectes, acariens et nématodes.
129
+
130
+ Les escargots et les limaces peuvent détruire complètement les plantules.
131
+
132
+ Le tétranyque tisserand, ou acarien jaune commun (Tetranychus urticae), attaque le feuillage les années sèches, provoquant sa décoloration et l'apparition de taches blanchâtres.
133
+
134
+ La mouche des semis (Phorbia platura), qui s'attaque à diverses plantes potagères et céréales, cause des dégâts sur les plantules par ses larves qui rongent cotylédons et bourgeon terminal, provoquant l'atrophie et la mort des plantes. La lutte nécessite le traitement des semences et du sol par divers insecticides.
135
+
136
+ Le puceron des racines (Triphidaphis phaseoli) affaiblit les plants de haricots et d'autres plantes potagères.
137
+
138
+ La bruche du haricot (Acanthoscelides obtectus Say)[31] est un petit insecte coléoptère dont la larve, qui vit à l'intérieur des graines de haricot entreposées, pouvant provoquer des dégâts importants, lui est spécifique. Cet insecte a besoin d'une température supérieure à 14 °C pour se développer. S'il rencontre des conditions favorables, jusqu'à quatre générations peuvent se suivre dans un stock de graines et plusieurs larves peuvent occuper simultanément le même haricot[32]. La lutte contre ce ravageur nécessite des traitements insecticides tant sur les cultures destinées à la récolte de graines, que sur les graines stockées, par fumigations sous vide.
139
+
140
+ De nombreuses maladies cryptogamiques, bactériennes ou virales sont susceptibles d'affecter les cultures de haricots.
141
+
142
+ L'anthracnose du haricot, due à un champignon filamenteux, Colletotrichum lindemuthianum, provoque des nécroses, sous forme de taches noires sur les feuilles, qui peuvent s'étendre sur les tiges et les gousses. Des variétés résistantes ont été sélectionnées.
143
+
144
+ La graisse du haricot, due à des bactéries dont Pseudomonas syringae pv phaseolicola et Xanthomonas campestris pv phaseoli, se traduit par l'apparition de taches huileuses de couleur jaune-orangé sur les feuilles, les gousses et les graines. La prévention passe par l'utilisation de semences saines.
145
+
146
+ La fonte des semis est imputable à divers champignons. La rouille du haricot est due à Uromyces appendiculatus, la pourriture grise à Botrytis cinerea, la sclérotiniose ou pourriture blanche à Sclerotina sclerotiorum et la maladie du pied du haricot à Fusarium phaseoli. L'oïdium américain du haricot, dû à Erysiphe polygoni, est cantonné aux régions chaudes du nouveau Monde.
147
+
148
+ La mosaïque commune du haricot, due à un virus, est transmise par les semences et par les pucerons. Elle provoque l'apparition sur les feuilles de cloques, plus ou moins décolorées, présentant un aspect de mosaïque, et l'enroulement de l'extrémité des folioles. La lutte passe par le choix de variétés résistantes. La mosaïque jaune du haricot, autre maladie virale, est moins fréquente que la précédente. La mosaïque dorée du haricot est propre à l'Amérique tropicale.
149
+
150
+ La lutte contre les ravageurs et maladies repose sur la combinaison de différentes méthodes : l'emploi de variétés résistantes et de semences saines, indemnes de germes pathogènes, traitées par des fongicides, la vernalisation (passage par une période de congélation ou froid constant)la rotation culturale qui permet d'éviter le retour trop rapide de haricots ou d'autres légumineuses sur la même parcelle, une irrigation maîtrisée et sans excès, l'utilisation d auxiliaires de cultures contre les acariens, ou l'emploi de fongicides et d'insecticides adaptés.
151
+
152
+ Les rendements sont actuellement de 2,5 à 3 tonnes/ha en Poitou-Charentes[33]. Ils sont donnés de 2,68 à 3,88 tonne/ha en 90 à 108 jours par le comité ontarien des légumineuses à grain (Canada) [34].
153
+
154
+ Pour les haricots secs, le rendement moyen au niveau mondial s'établit à 7,4 q/ha (FAO, 2006), à 15 q/ha en Europe et à 10 q/ha en Amérique, mais il peut monter à 50 q/ha pour des haricots grimpants dans les meilleures conditions[30]. Pour les haricots verts les rendements dans des conditions optimum peuvent atteindre 7 à 8 t/ha pour les variétés naines et 14 à 16 t/ha pour les variétés à rames[30].
155
+
156
+ En fin de culture, les haricots laissent des reliquats azotés dans le sol qui risquent d'être lessivés en l'absence de culture successive pendant l'hiver suivant. Des cultures intermédiaires de crucifères ou de graminées sont alors indiquées pour piéger les nitrates[35]. Néanmoins ces reliquats sont sous forme de protéines incluses dans la matière organique et sont beaucoup moins sujets au lessivage hivernal que de l'azote minéral. Les faibles températures empêchent la minéralisation et donc la libération de l'azote minéral, qui peut ainsi être conservé pour la culture suivante qui va l'absorber à partir du printemps.
157
+
158
+ On recense de très nombreuses variétés locales de haricots. Plus de 14 000 cultivars ont été répertoriés. Le principal conservatoire de ces variétés est le Centre international d’agriculture tropicale (CIAT) situé à Cali en Colombie[36].
159
+
160
+ Dans le catalogue européen des espèces et variétés, figurent plus de 1400 variétés inscrites de haricots[37], dont plus de 230 (près de 200 nains et de 40 à rames) pour la France[38] et 115 pour l'Italie. Ces variétés se répartissent en haricots à gousses (dont la gousse est sans parchemin), types filets ou mangetout, ou à grain (dont la gousse est ligneuse car à parchemin), et se distinguent aussi par la couleur des grains ou des gousses.
161
+ En France, pour les jardiniers amateurs près de 30 variétés sont inscrites sur la liste SVI destinée à un usage familial en faibles quantités et une variété est inscrite sur la liste des variétés de conservation (menacée d'érosion génétique) : le « Flageolet blanc des Flandres ».
162
+
163
+ Dans le cadre du Phaselieu Project, une classification européenne des types commerciaux du haricot, qu'il s'agisse de variétés commercialisées ou conservées dans les banques de gènes, a été établie. Elle comprend une cinquantaine de types répartis en neuf groupes selon la couleur des graines : blanc, blanc panaché, crème, brun, jaune, rose, rouge, pourpre et noir[39].
164
+
165
+ Certaines variétés amérindiennes sont toujours disponibles, tel le haricot grimpant Kahnawake, rare et toujours cultivé au sein de communautés, en compagnie de ses sœurs, par des gens dévoués à la préservation de ces plantes traditionnelles.
166
+
167
+ Quelques variétés de haricot grimpant sont cultivées uniquement pour leurs fleurs ou leurs graines décoratives.
168
+
169
+ De nombreux caractères différencient les variétés cultivées de haricot. Il s'agit d'abord de critères relatifs au port de la plante et de critères morphologiques concernant principalement les graines : couleur, taille, forme.
170
+
171
+ Les variétés modernes, qui sont le plus souvent des lignées pures, se distinguent aussi par leur capacité de résistances aux maladies et leurs rendements. La plupart sont maintenant résistantes à l'anthracnose et à la mosaïque commune.
172
+
173
+ La sélection a également porté sur des critères de précocité, de productivité, de groupement de maturité (pour faciliter la récolte mécanisée).
174
+
175
+ Pour les haricots verts, l'absence de fil et de parchemin est une critère important, de même que les caractéristiques de la gousse (finesse, longueur, rectitude et couleur).
176
+
177
+ Ils se différencient par la couleur des grains mais aussi en haricots verts et haricots secs nains ou à rames :
178
+
179
+ Les variétés de haricots verts peuvent se répartir en deux groupes, les haricots filets et les haricots mangetout.
180
+
181
+ Les premiers sont des haricots à fil et à parchemin qui se récoltent à un stade précoce, ce qui permet d'obtenir des haricots « extra-fins ». Passé ce stade, les fils apparaissent et ne permettent plus la consommation en haricots verts. Ces haricots verts classiques sont les plus hâtifs. Les gousses, de section cylindrique, longues, droites, sont généralement vert foncé, parfois panachées de violet ou de pourpre. Ces variétés dont la récolte est toujours manuelle sont réservées aux potagers familiaux ou aux cultures sous serre.
182
+
183
+ Les haricots mangetout sont des variétés sans parchemin qui peuvent être consommées en gousse au stade de la graine presque développée. Les gousses, de section ovale, plus courtes, sont de couleur verte ou jaune (haricots beurre), ou parfois pourpre. Ce sont les plus cultivées par les professionnels.
184
+
185
+ Des variétés plus récentes sont issues de croisements entre les deux groupes et sont appelées haricots filet-mangetout ou « filets sans fil » ou « faux filets ». Les gousses rappellent celles des haricots filets en vert plus clair. L'apparition du fil est plus tardive que chez ces derniers.
186
+
187
+ Ces différentes variétés se classent en outre en variétés naines et variétés à rames (grimpantes).
188
+
189
+ Deux haricots français bénéficient d'une protection au niveau européen, le « coco de Paimpol », AOC/AOP, maintenue par l'association du Coco de Paimpol à Paimpol (Côtes-d'Armor) et le « haricot tarbais » (label rouge et IGP) qui a traditionnellement comme tuteur un plant de maïs, maintenu par l'association interprofessionnelle du haricot tarbais à Tarbes (Hautes-Pyrénées) ;
190
+
191
+ Bénéficient du Label rouge la « mogette de Vendée », le « lingot du Nord », produit dans la vallée de la Lys (département du Nord) et le flageolet, produit dans la même zone que le précédent. Ce haricot à grains verts, appelé « chevrier », trouve son origine à Arpajon (Essonne), ville de son inventeur, Gabriel Chevrier
192
+
193
+ D'autres variétés locales ne bénéficient pas d'appellations officielles, mais sont promues par des associations qui s'efforcent de maintenir leur production et leur qualité, telles que la « mojhette de Pont-l'Abbé-d'Arnoult » (Charente-Maritime), soutenue par la « Confrérie de la Mojhette de Pont-l'Abbé-d'Arnoult », le « haricot de Castelnaudary », ingrédient de base du cassoulet de Castelnaudary, le « lingot du pays ariégeois » et le « haricot maïs du Béarn » voisin du haricot tarbais, mais il est cultivé exclusivement sur du maïs, celui-ci servant de tuteur. Il est l'ingrédient de base de la garbure. Sa promotion est assurée par l'Association des producteurs du haricot maïs du Béarn.
194
+
195
+ Le « haricot de Soissons », haricot à grosses graines cultivé dans l'Aisne qui bénéficie d'une renommée ancienne mais dont la culture a fortement décliné, a été relancée en 2003 par un groupe de producteurs. Il est promu par la « Confrérie gastronomique des compagnons du haricot de Soissons »[43].
196
+
197
+ Plusieurs appellations sont protégées au niveau européen (labels AOP/IGP)[44] :
198
+ En Espagne Faba asturiana, haricots blancs crémeux de grande taille de la variété traditionnelle Granja asturiana, ingrédient obligatoire de la fabada asturiana[45]
199
+ et Judias de El Barco de Avila.
200
+
201
+ En Italie, Fagiolo di Lamon della Vallata Bellunese, Fagiolo di Sarconi et Fagiolo di Sorana.
202
+
203
+ En Grèce Fasolia Gigantes-Elefantes Kastorias (haricots géants-éléphants produits dans la région de Kastoria, Macédoine-Occidentale. Ces haricots géants sont en fait des graines de haricot d'Espagne [46](Phaseolus coccineus) sélectionnées pour leur taille, au moins 1 200 g pour 1000 graines, et 1 800 g pour la catégorie des « éléphants »[47]), Fasolia Gigantes Elefantes Kato Nevrokopiou, Fasolia Gigantes Elefantes Prespon Florinas, Fasolia Koina Mesosperma Kato Nevrokopiou et Fasolia Plake Megalosperma Prespon Florinas.
204
+
205
+ D'autres espèces du genre Phaseolus ou d'autres genres proches sont également appelées « haricots » :
206
+
207
+ En 2006, la production mondiale de haricots, selon les statistiques publiées par la FAO, s'est élevée à 28,6 millions de tonnes, dont 19,6 de haricots secs (68 %), 6,4 de haricots frais (22 %) et 2,6 de haricots verts (9 %)[48]. En 2002, ces chiffres étaient respectivement de 25,7, 18,3, 5,7 et 1,7 million de tonnes. Entre 1961 et 2006, la production totale de haricots a doublé passant de 14,4 à 28,6 millions de tonnes, progressant assez régulièrement au taux de 1,5 % par an.
208
+
209
+ Ces chiffres ne sont pas exhaustifs car ils n'englobent pas la production des jardins familiaux et de certaines cultures vivrières pour l'autoconsommation, notamment dans les pays en voie de développement, qui n'entrent pas dans les circuits commerciaux et sont inconnues des statistiques officielles. Il existe par ailleurs une certaine confusion, car dans certains pays sont considérés comme haricots également les graines de certaines espèces de Vigna (niébé, haricot mungo, haricot azuki…). Les chiffres concernant les haricots frais peuvent concerner soit les grains écossés, soit les gousses entières vendues comme telles sur les marchés.
210
+
211
+ Pour les haricots secs, la production mondiale est estimée à 19,6 millions de tonnes en 2006 (source : FAO). La surface totale consacrée à cette production représentait un peu plus de 26 millions d'hectares pour un rendement moyen de 7,4 quintaux par hectare. Les quinze premiers pays représentent plus de 80 % du total mondial. Les trois premiers, Brésil, Inde et Chine représentent 44 % du total et les six premiers (les précédents plus Birmanie, Mexique et États-Unis) près des deux-tiers.
212
+
213
+ En France (2006), la culture du haricot occupe environ 41 000 hectares pour une production de 413 000 tonnes, soit en moyenne 10 t/ha, due principalement aux haricots verts qui représentent les 3/4 des surfaces et 86 % de la production.
214
+
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+ Les échanges de haricots secs portent sur environ 2,5 millions de tonnes (FAO, 2005) soit environ 13 % de la production mondiale.
216
+
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+ Les principaux pays exportateurs sont la Chine, la Birmanie, les États-Unis, le Canada et l'Argentine. Ces cinq pays ont réalisé en 2005 les trois quarts des exportations totales.
218
+
219
+ Les principaux pays importateurs sont l'Inde, les États-Unis, Cuba, le Japon, le Royaume-Uni et le Brésil. Ces cinq pays ont réalisé en 2005 38 % des importations totales. Les deux premiers pays producteurs de haricots secs, le Brésil et l'Inde, ne sont pas autosuffisants et figurent parmi les principaux importateurs. Les États-Unis sont à la fois exportateurs et importateurs.
220
+
221
+ Un phénomène relativement récent est le développement dans certains pays africains de la culture de haricots verts pour l'exportation vers l'Europe. Ce phénomène a concerné d'abord l'Afrique orientale, notamment le Kenya, plus récemment l'Égypte, puis les pays du Sahel et l'Afrique du Nord (Maroc). Cette production trouve place sur le marché grâce à des coûts de production réduits et à la production en contre-saison. Au Kenya les haricots verts d'exportation font vivre plus d'un million de personnes[49].
222
+
223
+ Le haricot commun est une culture vivrière de base dans plusieurs pays d'Amérique latine et d'Afrique.
224
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225
+ Différents organismes internationaux ont été mis en place pour développer la culture de cette plante et améliorer ses performances nutritionnelles et agronomiques.
226
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227
+ Le centre international d’agriculture tropicale (CIAT) dont le siège est à Cali (Colombie) est l'un des quinze centre de recherches dépendant du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR). Ses activités sont focalisées sur quatre types de cultures : haricots, manioc, fourrages tropicaux et riz. Il dispose d'antennes en Amérique latine, en Afrique et en Asie.
228
+
229
+ En Afrique, l’Alliance panafricaine de recherche sur le haricot (PABRA, Pan-African Beans Reasearch Alliance) est un consortium formé par plusieurs organismes internationaux de recherches : Eastern and Central Africa Bean Research Network (ECABREN), Southern Africa Bean Research Network (SABRN) et CIAT, qui regroupe dix-huit pays de l'Afrique sub-saharienne (Angola, Burundi, Cameroun, RD Congo, Éthiopie, Kenya, Lesotho, Madagascar, Malawi, Mozambique, Rwanda, Afrique du Sud, Soudan, Swaziland, Tanzanie, Ouganda, Zambie et Zimbabwe)[50]. L’Alliance vise à améliorer la sécurité alimentaire, les revenus et la santé des agriculteurs pauvres en ressources sur le continent africain.
230
+
231
+ En Europe, le projet Phaselieu (acronyme de Improvement of sustainable Phaseolus production in Europe for human comsumption, amélioration de la production durable de Phaseolus en Europe pour la consommation humaine) avait notamment pour but d'établir un catalogue des ressources génétiques du genre Phaseolus[51]. Ce projet soutenu financièrement par la Commission européenne a pris fin en 2001; il regroupait dix pays européens (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni) plus Israël.
232
+
233
+ Le haricot commun est l'espèce la plus consommée dans le genre Phaseolus et parmi les « haricots » au sens large. Il constitue un aliment de base pour certaines populations de pays en développement, notamment en Amérique latine et en Afrique orientale. Comme tous les légumes secs, il est nourrissant, énergétique (riche en féculents mais pauvre en graisses) et constitue un ingrédient peu onéreux de nombreuses recettes traditionnelles. Il peut se conserver facilement et très longtemps sous forme de grains secs, qui présentent toutefois l'inconvénient de nécessiter un trempage préalable et une cuisson longue pour être digestes.
234
+
235
+ C'est l'un des légumes les plus consommés au monde. En volume de production, le haricot (y compris haricots verts) arrive au dixième rang des légumes après la pomme de terre, le manioc, la tomate, le chou, l'oignon, l'igname, le concombre, la banane plantain et l'aubergine et la première des légumineuses consommées en légumes secs (hors soja) devant le pois, le pois chiche, le pois à vache (niébé) et la fève[52].
236
+
237
+ En 2000, la consommation moyenne de haricots secs au niveau mondial était estimée à 2,2 kg par habitant et par an, avec de fortes variations selon les continents : Amérique latine, 9,4 kg, Amérique du Nord, 5,5 kg, Afrique, 2,2 kg, Asie, 1,3 kg, Europe, 0,7 kg (source FAO)[53].
238
+
239
+ Dans certains pays du Tiers monde où les haricots sont un aliment de base, la consommation peut être très élevée : jusqu'à 55 kg/an au Rwanda et 66 kg/an dans l'ouest du Kenya[54]
240
+
241
+ En France, et plus généralement en Europe, la consommation de haricots secs a régulièrement décliné au cours du XXe siècle, tandis que progressait celle des protéines animales. Aux États-Unis, on constate, après une baisse de la consommation depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, une nette reprise au début des années 1980, liée entre autres à l'immigration hispanique et à un regain d'intérêt pour les cuisines ethniques. La consommation moyenne s'établit à 3,5 kg par habitant et par an en 1999 contre 2,7 kg en 1989 et 5 kg en 1945[55].
242
+
243
+ C'est une des espèces qui peut concentrer certains métaux lourds, qui devrait donc ne pas être consommée quand la plante a poussé sur des sols pollués par ces métaux, bien que la qualité du sol puisse beaucoup modérer ou encourager le passage de ces contaminants indésirables dans la plante[56].
244
+
245
+ Bien que cela ne soit que rarement connu des humains le haricot ne doit pas être consommé cru ; on observe d'ailleurs que les rats n'attaquent jamais les réserves de haricots, au contraire de celles de céréales ou de la plupart des autres plantes cultivées[57].
246
+ En effet les graines de haricots secs contiennent de la phasine[58] et peuvent de ce fait se révéler toxiques à l'état cru[11]. Cette substance, appelée aussi phytohémagglutinine[59] se retrouve également chez d'autres légumineuses. Elle est particulièrement concentrée dans les graines de haricots rouges. Elle est dégradée par la chaleur et pratiquement éliminée par une cuisson de quinze à vingt minutes[57]. C'est une protéine de la famille des lectines qui a notamment la propriété d'agglutiner les globules rouges. L'intoxication à la phasine se manifeste par des nausées, des vomissements et de la diarrhée. De fait, en 1984, le centre antipoison de Berlin a rapporté que le haricot commun cru (en particulier la consommation de ses gousses) occupait le neuvième rang en termes de fréquence d'intoxication due à une plante, toutes espèces confondues[57].
247
+
248
+
249
+
250
+ Les haricots apportent des protéines, des glucides et des fibres alimentaires, ainsi que des sels minéraux. Ils contiennent très peu de lipides.
251
+
252
+ Les haricots contiennent des oligosaccharides (raffinose, stachyose). Ces derniers, et notamment le stachyose, mal digérés dans l'intestin grêle, sont décomposés par la flore bactérienne du gros intestin et sont la cause de flatulences associées à la consommation de haricots[12]. Dans la Physiologie du goût, Brillat-Savarin écrit : « Anathème sur les haricots ! », qu'il considère, à l'instar de tous les féculents, comme l'une des causes de l'obésité[60] (ce qui n'a pas de justification scientifique à l'heure actuelle). L'inconfort digestif peut être diminué par l'utilisation d'enzymes spécifiques (pratique courante en Amérique du Nord)[61], le trempage préalable des graines, une incorporation graduée dans l'alimentation, et d'autres pratiques alimentaires[62]. Les haricots doivent être évités dans un régime faible en FODMAPs, qui cherche à diminuer l'irritabilité de l'intestin. Comme ils sont riches en glucides complexes, les haricots secs se digèrent lentement et sont considérés comme des sucres lents (index glycémique = 42 - par rapport au pain blanc = 100)[63].
253
+
254
+ Les haricots contiennent un certain nombre de composés anti-nutritionnels : les plus importants sont les phytates, saponines, lectines[64] qui rendent leur digestion difficile. Les graines de haricots secs blancs contiennent aussi de la phaséolamine, un inhibiteur de l'alpha-amylase, enzyme qui permet la transformation de l'amidon en sucre dans l'intestin. Cette protéine est efficace en tant que complément alimentaire destiné à lutter contre l'excès de poids[65].
255
+
256
+ Consommés avant cuisson, les graines et le péricarpe du haricot (Phaseolus vulgaris L.) peuvent provoquer des troubles digestifs (vomissements, diarrhées et altérations de la muqueuse intestinale). Cela est dû à la présence, particulièrement dans les graines de haricots rouges, d'une protéine agglutinant les globules rouges, la phasine ou phytohémagglutinine, qui est inactivée par la cuisson.
257
+
258
+ Comme d'autres légumineuses, les haricots contiennent également des phytoestrogènes.
259
+
260
+ Beaucoup moins chers que la viande, riches en protéines, les haricots sont parfois considérés comme la « viande du pauvre ». Les protéines des haricots sont intéressantes par leur teneur en certains acides aminés essentiels, notamment la lysine, et dans une moindre mesure la méthionine et le tryptophane. Elles complètent heureusement celles des céréales, en particulier du maïs, pauvres en lysine, dans un régime à base de maïs pratiqué traditionnellement chez les Amérindiens[66]. En Amérique centrale, le plat traditionnel mélange riz et haricots (arroz con habichuelas, ou arroz con frijoles en espagnol, arroz e feijão en portugais).
261
+
262
+ Les haricots présentent un intérêt dans l'alimentation humaine. Comme beaucoup de légumineuses à graines, ils apportent un sentiment de satiété. Ils sont riches en fibres et en minéraux. Leur indice glycémique est faible. Leur consommation contribue à faire baisser le taux de cholestérol[67],[68] et le risque d'accident cardio-vasculaire[69].
263
+
264
+ Les haricots sont consommés sous trois formes : en grains secs, en grains frais ou en gousses (haricots verts).
265
+
266
+ Les haricots secs sont le mode de consommation traditionnel, le seul que pratiquaient les Amérindiens qui ont domestiqué la plante. Ne titrant que 12 à 14 % d'humidité, ils se conservent facilement, mais nécessitent un trempage avant cuisson pour les réhydrater. La consommation des haricots secs a beaucoup décliné dans les pays occidentaux. On peut les réduire en farine.
267
+
268
+ Les haricots en grains frais et demi-secs (à écosser) sont récoltés avant maturité complète, à environ 50 % d'humidité et souvent vendus en gousses à écosser. Ce sont notamment les flageolets, qui sont souvent vendus en conserve.
269
+
270
+ Les haricots verts sont un légume vert (près de 90 % d'humidité) qui est commercialisé aussi bien en frais qu'en conserves ou en surgelés. Ils se consomment cuits, chauds, comme accompagnement classique de nombreux plats, ou froids, en vinaigrette. La consommation du haricot vert, répandue principalement dans les pays occidentaux, est soutenue par la mode du manger « léger ».
271
+
272
+ Les jeunes feuilles sont parfois consommées, par exemple en Amérique centrale, ou en Afrique, comme aliment de disette.
273
+
274
+ Les haricots se cuisinent en plat de légume, en plat composé avec ou sans viande, ou en soupe.
275
+
276
+ Des préférences marquées, d'ordre culturel, pour la couleur des graines de haricots consommées se manifestent dans les diverses régions du monde. En Europe, et particulièrement en France, la préférence va aux graines blanches ou peu colorées. Ainsi, la plupart des variétés traditionnelles faisant l'objet de protection, type AOC ou IGP, sont des haricots blancs. Ce choix peut s'expliquer par la crainte de toxicité faussement liée à la couleur du tégument, ou par le côté jugé peu appétissant des jus de cuisson[12]. Les Amérindiens n'ont pas sélectionné la plante en fonction de la couleur de la graine et ont toujours consommé des haricots fortement colorés. Ceux-ci sont aussi préférés en Afrique. Selon les pays, la préférence va aux haricots noirs (Brésil, Guatemala, Venezuela), aux haricots rouges (Colombie, Honduras) ou aux haricots bruns (Pérou)[11].
277
+
278
+ Les fanes récupérées après la récolte des graines peuvent servir de fourrage pour l'alimentation du bétail[30].
279
+
280
+ Fayot est selon le dictionnaire Larousse au début du XXe siècle un rengagé de la marine. L'origine de cette acception, datée de 1833, serait dans l'analogie entre le marin qui revient à l'armée comme les haricots reviennent au menu[76].
281
+
282
+ Fayot, et son dérivé fayoter, dans le sens de faire du zèle, viendrait de la conduite de certains marins pour être mieux servis en fayots durant les périodes de restriction de vivres.
283
+
284
+ L'expression apparaît au début du XXè siècle. Elle fait référence aux voyages au long cours du XVIIIè siècle. Les marins consommaient les provisions du plus périssable à ce qui se conservait le plus longtemps. Les haricots secs n'étaient consommés qu'en dernier. Il était alors urgent de se ravitailler quand les légumes secs s'épuisaient. On disait que les marins naviguaient « sous le Cap Fayot »[17],[77].
285
+
286
+ Courir sur le haricot ou l'haricot signifie importuner[78],[79],[80]. Le sens de l'expression, qui remonte au XIXe siècle[81], fait l'objet d'explications divergentes[82]. En 1901, Aristide Bruant lui donne un sens « obscène » et y donne pour synonymes du haricot l'asperge, le flageolet, le kilomètre et le soissons[83]. Pour Claude Duneton, le haricot désigne dans cette expression « l'orteil [...] ou peut-être le pénis »[84] ; pour Clotilde Dusoulier, la graine de haricot y représente, par analogie avec sa forme, « le cerveau ou l'orteil »[85]. Selon Alain Rey, le mot haricot a « pour valeur dominante graine mûre du haricot blanc ; elle donne naissance par analogie de forme à table haricot au sens argotique d'orteil (1883) d'où pied, qui explique en partie courir, taper, sur le haricot, ennuyer(mais haricot a pu signifier testicule, comme l'atteste haricocèle, nom masculin, testicule atrophié, 1907) »[86].
287
+
288
+ Être logé à l'enseigne des Haricots, c'est-à-dire dans une mauvaise auberge, est une expression argotique du XIXe siècle citée par Alfred Delvau dans son Dictionnaire de la langue verte[87] (1867)[84].
289
+
290
+ Avoir la ligne haricot vert, c'est-à-dire être très mince, est une expression relativement récente (1963)[88].
291
+
292
+ Bohnanza est le nom d'un jeu de société créé par Uwe Rosenberg en 1997. En allemand, « le haricot » se dit die Bohne (du genre féminin): le jeu se compose de « 154 cartes haricot » et de 7 cartes 3ème champ. Bohnanza est édité par Amigo Spiele, et en France par Gigamic
293
+
294
+ Le collège des haricots pour le collège parisien Montaigu qui accueille au XVIIIe siècle des étudiants pauvres
295
+
296
+ En littérature pour adultes : Le dit du haricot ramé dans Beau François de Maurice Genevoix ; Les haricots de Pitalugue, conte de Paul Arène dans ses Contes de Paris et de Provence (1887) – Pitalugue, paysan à Pertuis, village de Provence dont la spécialité sont les haricots, perd sa semence au jeu et cultive des haricots imaginaires[89]… ; dans Tortilla Flat, John Steinbeck met en scène dans la Californie des années 1930 des paysans pauvres dont les enfants étaient nourris exclusivement de haricots et de tortillas – « Une seule chose pouvait menacer la vie et le bonheur de la famille Cortez : c'était une mauvaise récolte de haricots. »[90]
297
+
298
+ En littérature pour enfants : Jack et le haricot magique, conte anglais sur le thème de l'ogre berné, publié en 1809 dans le recueil des Nursery Tales sous le titre de Jack and the Beanstalk ; La Reine des haricots (The Baked Bean Queen, 1986), par Rose Impey et Sue Potter, trad. en français publiée chez Albin Michel en 1987.
299
+
300
+ En BD :
301
+
302
+ « Ah les haricots coco,
303
+ Ça fait d'la bonne soupe,
304
+ Ah les haricots coco,
305
+ Ça fait du bon friquot. »[91]
306
+
307
+ Voir aussi Les Fayots : chant de marin qui relate le quotidien des marins français du début du XXe siècle[92] ; Les Haricots : chanson créée par Bourvil dans l'opérette La Route fleurie (1952), paroles de Raymond Vincy, musique de Francis Lopez ; La Faim des haricots : chanson des Négresses Vertes…
308
+
309
+ Les haricots du Saint-Sacrement sont variété de haricots blancs présentant au hile une figure brunâtre évoquant le Saint-Sacrement. On les appelle aussi « haricots du Saint-Esprit » ou « Nombril de bonne sœur ». Plusieurs légendes populaires expliquent leur origine. En Franche-Comté, ils seraient apparus sur des pieds de haricots semés dans un jardin dans lequel un homme avait enterré un ostensoir volé dans la chapelle voisine. Près de Brest, pendant la Révolution, un bedeau aurait semé des haricots blancs par-dessus des vases sacrés enfouis pour les cacher ; l'auréole évoquant l'ostensoir serait apparue sur les graines récoltées. En Ille-et-Vilaine, ils seraient apparus dans un champ de haricots à l'endroit qui avait été traversé par un vicaire portant le Saint-Sacrement[93].
310
+
311
+ Il existe de nombreuses foires ou fêtes aux haricots dont les plus connues en France sont celle d'Arpajon[94] et celle de Pont-l'Abbé-d'Arnoult où il existe la Confrérie de la Mojhette de Pont-l'Abbé d'Arnoult[95]. La mogette de Vendée, qui bénéficie du label rouge et d'une indication géographique protégée depuis octobre 2010, a de même ses fêtes et sa confrérie dans cette région[96]. On peut citer également la fête du haricot « Soissons et le haricot magique » organisée depuis 2005 par la ville de Soissons soucieuse de promouvoir le haricot de Soissons[97]. Il existe aussi la fête du Haricot tarbais en septembre[98].
312
+
313
+ Dans le calendrier républicain français, le 23e jour du mois de Messidor est dénommé jour du Haricot[99].
314
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+ Sur les autres projets Wikimedia :
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+ 657-664.
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1
+
2
+
3
+ La Lune[a], ou Terre I[b], est un objet céleste qui orbite autour de la planète Terre et le seul satellite naturel permanent de la Terre[c],[2]. C'est le cinquième plus grand satellite naturel du Système solaire et le plus grand des satellites planétaires par rapport à la taille de la planète autour de laquelle elle orbite. La Lune est, après le satellite de Jupiter Io, le deuxième satellite le plus dense du Système solaire parmi ceux dont la densité est connue.
4
+
5
+ On pense que la Lune s'est formée il y a environ 4,51 milliards d'années, peu de temps après la Terre. L'explication la plus largement acceptée est que la Lune s'est formée à partir des débris restants après un impact géant entre la Terre et un corps de la taille de Mars appelé Théia.
6
+
7
+ La Lune est en rotation synchrone avec la Terre, et montre donc toujours la même face à la Terre. Cette face visible est marquée par des mers volcaniques sombres qui remplissent les espaces entre les hautes terres claires de l'ancienne croûte lunaire et les cratères d'impact proéminents. Après le Soleil, la Lune est le deuxième objet céleste le plus lumineux régulièrement visible dans le ciel terrestre. Sa surface est en fait sombre, bien qu'elle semble très claire par rapport au ciel nocturne, avec une réflectance légèrement supérieure à celle de l'asphalte usé. Son influence gravitationnelle produit les marées océaniques, les marées terrestres et un léger allongement de la durée du jour.
8
+
9
+ La distance orbitale moyenne de la Lune est de 384 402 km, soit 1,28 seconde-lumière. C'est environ trente fois le diamètre de la Terre. La taille apparente de la Lune dans le ciel est presque la même que celle du Soleil, puisque l'étoile fait environ 400 fois la distance et le diamètre lunaires. Par conséquent, la Lune couvre le Soleil presque exactement pendant une éclipse solaire totale. Cette correspondance de la taille visuelle apparente ne se poursuivra pas dans un avenir lointain parce que la distance de la Lune à la Terre augmente graduellement.
10
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11
+ La Lune est survolée pour la première fois par un engin spatial (Luna 2) en septembre 1959. Durant plus d'une décennie, notre satellite est étudié par un grand nombre de sondes spatiales d'origine soviétique ou américaine. Cette période d'exploration intensive culmine avec le programme Apollo de la NASA qui dépose à six reprises un équipage sur la surface de la Lune entre 1969 (Apollo 11) et 1972. Ces missions ont ramené sur Terre des roches lunaires qui, avec les observations effectuées sur place, permettent de développer une meilleure connaissance géologique de la Lune et de sa structure interne et de l'histoire de sa formation. La Lune est délaissée par les puissances spatiales à compter de 1974 au profit des autres corps célestes du système solaire. L'intérêt pour cet astre renait à la suite de deux petites missions de la NASA — Clementine et Lunar Prospector — qui découvrent des indices d'eau dans les régions polaires. À compter de la fin des années 1990, la Lune est la destination principale des sondes spatiales des nouvelles nations spatiales — Japon, Chine et Inde — qui l'utilisent pour mettre au point les techniques nécessaires à leur programme d'exploration du système solaire.
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13
+ L'importance naturelle de la Lune dans le ciel terrestre et son cycle régulier de phases, vu depuis la Terre, ont fourni des références et des influences culturelles aux sociétés et cultures humaines depuis des temps immémoriaux. Ces influences culturelles se retrouvent dans la langue, les systèmes de calendrier lunaire, l'art et la mythologie.
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15
+ Le substantif féminin lune provient du latin lūna, un substantif féminin[3] attesté depuis Ennius[4].
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+ Ce terme français est attesté dès le XIe siècle[5],[6] : sa première occurrence connue se trouve dans la Chanson de Roland[7], datée d'environ 1080[8].
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+ La racine la plus largement partagée parmi les langues indo-européennes est *mēns[9], à laquelle on doit le grec μῄνη mene (lune), les mots anglais moon (lune), month (mois) et les français mois, menstruation[10], etc. Le sens dérivé de « mois » remonte à l'origine du concept de mois, initialement une mesure de temps pragmatique correspondant à une lunaison. Cette unité de temps a été pérennisée dans les calendriers lunaires ou adaptée à un douzième d'année dans les calendriers solaires. De même, le cycle d'ovulation féminin était assimilé aux lunaisons[réf. nécessaire].
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+ Un autre terme, *louksnā, « la lumineuse »[9], une formation, dérivée de *loukís (lumière), lūx en latin (apparenté aussi au grec leukos 'blanc') décrit la lune comme un astre lumineux (pour la clarté nocturne qu'elle apporte). On lui doit le latin lūna ou l'arménien lusin.
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+ Des auteurs tels[11] Varron[12] et Cicéron[13], faisaient déjà dériver luna du verbe intransitif lucere, signifiant « luire, briller, éclairer »[14].
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+ La Lune a une période sidérale d'environ 27,3 jours, pendant laquelle elle effectue une orbite complète autour de la Terre par rapport à des étoiles fixes[d]. Mais comme la Terre se déplace en même temps sur son orbite autour du Soleil, il faut un peu plus de temps pour que la Lune montre la même phase à la Terre, soit environ 29,5 jours[e] (sa période synodique)[15]. Contrairement à la plupart des satellites des autres planètes, elle orbite plus près du plan de l'écliptique que du plan équatorial de la planète. Son orbite est subtilement perturbée par le Soleil et la Terre de nombreuses façons petites, complexes et interactives. Par exemple, le plan de l'orbite de la Lune tourne graduellement tous les 18,61 ans[16], ce qui affecte d'autres aspects du mouvement lunaire. Ces effets consécutifs sont mathématiquement décrits par les lois de Cassini[17].
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+ La période de rotation de la Lune est la même que sa période orbitale. Elle présente donc toujours le même hémisphère (nommé « face visible de la Lune ») à un observateur terrestre (l'autre hémisphère est donc appelé « face cachée de la Lune »). Cette rotation synchrone résulte des frottements qu’ont entraînés les marées causées par la Terre à la Lune, et qui ont progressivement amené la Lune à ralentir sa rotation sur elle-même, jusqu’à ce que la période de ce mouvement coïncide avec celle de la révolution de la Lune autour de la Terre. Actuellement les effets de marée de la Lune sur la Terre ralentissent la rotation de cette dernière et provoquent un léger éloignement des deux astres d'environ 3,8 cm par année[18]. Du fait de cet éloignement et du ralentissement qui fait que la durée du jour terrestre augmente de 15 μs par an, la Lune à sa naissance orbitait à une distance 2 fois moindre qu'aujourd'hui et la Terre tournait alors sur elle-même en 6 heures[19],[20].
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+ La Lune est un ellipsoïde très légèrement allongé en raison de l'étirement par les marées, avec son axe long déplacé de 30° par rapport à la Terre (en raison d'anomalies gravitationnelles provenant des bassins d'impact). Sa forme est plus allongée que ce que les forces de marée actuelles peuvent expliquer. Ce « renflement fossile » indique que la Lune s'est solidifiée lorsqu'elle a orbité à la moitié de sa distance actuelle par rapport à la Terre, et qu'elle est maintenant trop froide pour que sa forme puisse s'ajuster à son orbite[21].
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+ La longueur du demi grand axe entre la Lune et la Terre est de 384 399 km[22]. Le diamètre moyen de la Lune est de 3 474 km. La force qu’exerce la Terre sur la Lune[f] est d'environ 1,95 × 1020 newtons.
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+ La Lune est un corps différencié, structuré en une croûte, un manteau et un noyau. La Lune est le deuxième satellite le plus dense du Système solaire après Io[24], cependant son noyau (probablement constitué de fer métallique allié à une petite quantité de soufre et de nickel) est petit, avec un rayon d'environ 350 kilomètres ou moins[25], soit environ 20 % du rayon. Les analyses de la rotation variable dans le temps de la Lune indiquent qu'il est au moins partiellement fondu[26]. Le noyau est solide jusqu'à peut-être 240 km du centre, et liquide jusqu'à environ 300 km. Autour du noyau se trouve une couche limite de roches partiellement fondues jusqu'à environ 500 km du centre[27],[28]. Au-delà de cette couche limite on trouve le manteau et la croûte, tous deux formés de roches solides mais de compositions chimiques et minéralogiques différentes. La croûte, épaisse (en moyenne) d'environ 50 kilomètres[25], affleure dans les « terres » ; elle est présente aussi dans les « mers », mais recouverte par d'épaisses couches de lave.
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33
+ On pense que cette structure est due à la cristallisation fractionnée d'un océan magmatique global peu après la formation de la Lune, il y a 4,5 milliards d'années[29]. Le refroidissement de cet océan magmatique aurait d'abord produit la précipitation et la sédimentation de cristaux d'olivine, de clinopyroxène et d'orthopyroxène formant un manteau mafique puis, après qu'environ les trois quarts de l'océan magmatique se sont cristallisés, la formation et la flottation de cristaux de plagioclase[g], à l'origine de la croûte[30]. Les derniers liquides à cristalliser, pris en sandwich entre la croûte et le manteau, auraient été fortement enrichis en éléments incompatibles, parmi lesquels des éléments radioactifs producteurs de chaleur[25].
34
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35
+ La cartographie géochimique de la surface lunaire, réalisée à partir des orbiteurs, est en accord avec cette perspective : la surface des hauts plateaux (« terres »), représentative de la croûte, est principalement constituée d'anorthosites[31], des roches ignées principalement composées de plagioclase[32] ; celle des « mers », comme celle des échantillons de roches lunaires recueillis sur place, sont des laves de composition mafique, plus riches en fer que les basaltes terrestres[25].
36
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37
+ La topographie de la Lune (en) a été mesurée par altimétrie laser et analyse d'images en stéréo[33]. Son relief le plus visible est le bassin géant Pôle Sud-Aitken, d'environ 2 240 km de diamètre, le plus grand cratère de la Lune et le deuxième plus grand cratère d'impact confirmé du Système solaire[34],[35]. À 13 km de profondeur, son plancher est le point le plus bas de la surface de la Lune[34],[36]. Les altitudes les plus élevées de la surface sont situées directement au nord-est, et il a été suggéré que ces reliefs pourraient avoir été épaissis par l'impact oblique ayant formé le bassin[37]. D'autres grands bassins d'impact, tels que les mers des Pluies, de la Sérénité, des Crises, de Smyth et Orientale, possèdent également des élévations régionales basses et des bords élevés[34]. La face cachée de la surface lunaire est en moyenne environ 1,9 km plus haute que la face visible[25].
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39
+ La découverte d'escarpements de failles par Lunar Reconnaissance Orbiter suggère que la Lune s'est rétrécie d'environ 90 mètres au cours des derniers milliards d'années. Des caractéristiques de contraction similaires existent sur Mercure[38]. Une étude de 2019 de plus de 12 000 images de l'orbiteur affirme que le Mare Frigoris près du pôle nord, un vaste bassin supposé géologiquement mort, se craquelle et se déplace. Comme la Lune n'a pas de plaques tectoniques, son activité tectonique est lente et des fissures se développent à mesure qu'elle perd de la chaleur au fil des ans[39].
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41
+ Les plaines lunaires sombres et relativement dénuées de caractéristiques, clairement visibles à l'œil nu, sont appelées « mers », car on croyait autrefois qu'elles étaient remplies d'eau[40] ; elles sont maintenant connues comme de vastes bassins solidifiés de lave basaltique ancienne. Bien que semblables aux basaltes terrestres, les basaltes lunaires contiennent plus de fer et aucun minéral altéré par l'eau[41]. La majorité de ces laves a fait éruption ou s'est écoulée dans des dépressions associées à des bassins d'impact. Plusieurs provinces géologiques contenant des volcans boucliers et des dômes volcaniques se trouvent à l'intérieur, du côté des « mers » de la face visible[42].
42
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43
+ Presque toutes les mers se trouvent sur la face visible de la Lune, et couvrent 31 % de la surface sur cette face[15], contre 2 % sur la face cachée[43]. On pense que cela est dû à une concentration d'éléments produisant de la chaleur sous la croûte de la face visible, observée sur des cartes géochimiques obtenues par le spectromètre gamma de Lunar Prospector, qui aurait causé le réchauffement, la fonte partielle, la remontée à la surface et l'éruption du manteau sous-jacent[30][44],[45]. La plupart des basaltes des mers lunaires a fait éruption pendant la période ombrienne, il y a 3,0 à 3,5 milliards d'années; même certains échantillons datés par radiométrie pourraient être aussi vieux que 4,2 milliards d'années[46]. Jusqu'à récemment, les éruptions les plus récentes, datées par le dénombrement des cratères, semblaient n'avoir eu lieu qu'il y a 1,2 milliard d'années[47]. En 2006, une étude d'Ina, une minuscule dépression de Lacus Felicitatis, a trouvé des éléments dentelés et relativement exempts de poussière qui, en raison de l'absence d'érosion par les retombées de débris, semblaient n'avoir que 2 millions d'années[48]. Les tremblements de lune et les rejets de gaz indiquent également une certaine activité lunaire continue[48]. En 2014, la NASA a annoncé « de nombreuses preuves du volcanisme lunaire récent »[49] dans 70 parcelles irrégulières de mers identifiées par le Lunar Reconnaissance Orbiter, dont certaines datent de moins de 50 millions d'années. Cela soulève la possibilité d'un manteau lunaire beaucoup plus chaud qu'on ne le croyait auparavant, du moins sur la face visible où la croûte profonde est beaucoup plus chaude à cause de la plus grande concentration d'éléments radioactifs[50],[51],[52],[53]. Juste avant cela, des preuves de volcanisme basaltique de 2 à 10 millions d'années plus jeune ont été présentées à l'intérieur du cratère Lowell[54],[55], dans le bassin oriental, situé dans la zone de transition entre les face visible et cachée de la Lune. Un manteau initialement plus chaud et/ou un enrichissement local d'éléments produisant de la chaleur dans le manteau pourrait être responsable d'activités volcaniques prolongées également de l'autre côté du bassin oriental[56],[57].
44
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45
+ Les régions plus claires de la Lune sont appelées terrae, ou plus communément hautes terres, parce qu'elles sont plus hautes que la plupart des mers. Elles ont été datées radiométriquement comme ayant été formées il y a 4,4 milliards d'années, et peuvent représenter des cumulats de plagioclases cumulées de l'océan magmatique lunaire[46][47]. Contrairement à la Terre, aucune montagne lunaire majeure ne se serait formée à la suite d'événements tectoniques[58].
46
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47
+ La concentration de mers sur la face visible reflète probablement une croûte beaucoup plus épaisse des hautes terres de la face cachée, qui pourraient s'être formées lors de l'impact à faible vitesse d'une seconde lune de la Terre, quelques dizaines de millions d'années après leur formation[59],[60].
48
+
49
+ L'autre processus géologique majeur qui a affecté la surface de la Lune est la cratérisation[61], avec des cratères formés lorsque des astéroïdes et des comètes entrent en collision avec la surface lunaire. On estime qu'il y a environ 300 000 cratères de plus de 1 km de largeur sur la seule face cachée de la Lune[62]. L'échelle de temps géologiques lunaire est basée sur les événements d'impact les plus importants, y compris Nectaris, Imbrium et Orientale, des structures caractérisées par de multiples anneaux de matériaux soulevés, entre des centaines et des milliers de kilomètres de diamètre et associés à un large tablier de dépôts d'éjectas qui forment un horizon stratigraphique régional[63]. L'absence d'atmosphère, de conditions météorologiques et de processus géologiques récents font que nombre de ces cratères sont bien préservés. Bien que seuls quelques bassins aient été datés avec certitude, ils sont utiles pour attribuer des âges relatifs. Comme les cratères d'impact s'accumulent à un rythme presque constant, le comptage du nombre de cratères par unité de surface peut être utilisé pour estimer l'âge de la surface. Les âges radiométriques des roches fondues par impact recueillies lors des missions Apollo se situent entre 3,8 et 4,1 milliards d'années, ce qui a été utilisé pour proposer un Grand bombardement tardif des impacts[64].
50
+
51
+ La croûte lunaire est recouverte d'une couche superficielle très fragmentée et labourée par les impacts, appelée régolithe, formée par les processus d'impact. Le régolithe le plus fin, le sol lunaire en verre de dioxyde de silicium, a une texture ressemblant à de la neige et un parfum ressemblant à de la poudre à canon usée[65]. Le régolithe des surfaces plus anciennes est généralement plus épais que celui des surfaces plus jeunes : son épaisseur varie de 10 à 20 km dans les hautes terres et de 3 à 5 km dans les mers[66]. Sous la couche de régolithe finement hachée se trouve le mégaregolithe, une couche de substrat rocheux très fracturé d'une épaisseur de plusieurs kilomètres[67].
52
+
53
+ La comparaison d'images à haute résolution obtenues par LRO a montré un taux de production de cratère contemporain significativement plus élevé que celui estimé précédemment. On pense qu'un processus de cratérisation secondaire causé par des éjections distales provoque le remuage des deux premiers centimètres de régolithe sur une échelle de temps de 81 000 ans, soit cent fois plus rapidement que les modèles précédents[68],[69].
54
+
55
+ Les tourbillons lunaires sont des formes brillantes énigmatiques que l'on trouve à la surface de la Lune. Ils se caractérisent par un albédo élevé, apparaissent optiquement immatures (c'est-à-dire avec les caractéristiques optiques d'un régolithe relativement jeune), et ont souvent une forme sinueuse. Leur forme est souvent accentuée par des régions de faible albédo qui serpentent entre les tourbillons brillants[70].
56
+
57
+ L'eau liquide ne peut pas persister à la surface de la Lune. Lorsqu'elle est exposée au rayonnement solaire, l'eau se décompose rapidement par un processus appelé photolyse et se perd dans l'espace. Mais depuis les années 1960, les scientifiques ont émis l'hypothèse que la glace d'eau pourrait se déposer par l'impact de comètes ou être produite par la réaction de roches lunaires riches en oxygène et d'hydrogène provenant du vent solaire, laissant des traces d'eau qui pourraient persister dans des cratères froids et ombragés en permanence aux deux pôles sur la Lune[71],[72]. Des simulations informatiques suggèrent que jusqu'à 14 000 km2 de la surface peuvent être dans l'ombre permanente[73]. La présence de quantités d'eau utilisables sur le satellite est un facteur important pour rendre l'habitation lunaire rentable ; l'alternative consistant à transporter l'eau de la Terre serait d'un coût prohibitif[74].
58
+
59
+ Au cours des années qui ont suivi, on a découvert des traces d'eau à la surface de la Lune[75]. En 1994, l'expérience radar bistatique réalisée à bord de l'orbiteur Clementine a révélé la présence de petites poches d'eau gelées près de la surface. Cependant, les observations radar ultérieures d'Arecibo suggèrent que ces résultats pourraient plutôt correspondre à des roches éjectées de jeunes cratères d'impact[76]. En 1998, le spectromètre neutronique de la sonde Lunar Prospector a montré que des concentrations élevées d'hydrogène sont présentes dans le premier mètre de profondeur du régolithe près des régions polaires[77]. Des perles de lave volcanique, ramenées sur Terre à bord d'Apollo 15, ont montré de petites quantités d'eau dans leur intérieur[78].
60
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61
+ Depuis, en 2008, la sonde spatiale Chandrayaan-1 a confirmé l'existence de glace d'eau de surface à l'aide du module embarqué Moon Mineralogy Mapper. Le spectromètre a observé dans la lumière solaire réfléchie des raies d'absorption communes à l'hydroxyle, ce qui indique la présence de grandes quantités de glace d'eau à la surface lunaire. La sonde a montré que les concentrations pourraient atteindre 1 000 ppm[79]. À l'aide des spectres de réflectance du cartographe, l'éclairage indirect des zones dans l'ombre a confirmé la présence de glace d'eau à 20° de latitude des deux pôles en 2018[80]. En 2009, le LCROSS a envoyé un impacteur de 2 300 kg dans un cratère polaire assombri en permanence et a détecté au moins 100 kg d'eau dans un panache de matériaux éjectés[81],[82]. Un autre examen des données du LCROSS a révélé que la quantité d'eau détectée était plus près de 155 ± 12 kg[83].
62
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63
+ En mai 2011, on a trouvé 615 à 1 410 ppm d'eau dans les inclusions magmatiques de l'échantillon lunaire 74220[84], le fameux « sol de verre orange » à haute teneur en titane d'origine volcanique recueilli lors de la mission Apollo 17 en 1972. Les inclusions se sont formées lors d'éruptions explosives sur la Lune il y a environ 3,7 milliards d'années. Cette concentration est comparable à celle du magma dans le manteau supérieur de la Terre. Bien que d'un intérêt sélénologique considérable, cette annonce offre peu de réconfort aux colons lunaires potentiels. En effet, l'échantillon provient de plusieurs kilomètres sous la surface, et les inclusions sont si difficiles d'accès qu'il a fallu 39 ans pour les trouver avec une microsonde ionique dernier cri[85],[86].
64
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65
+ L'analyse des résultats de Moon Mineralogy Mapper (M3) a révélé en août 2018 pour la première fois des « preuves irréfutables » de la présence de glace d'eau à la surface de la Lune[85],[86]. Les données ont révélé les signatures réfléchissantes distinctes de la glace d'eau, par opposition à la poussière et à d'autres substances réfléchissantes[87]. Les dépôts de glace ont été trouvés sur les pôles Nord et Sud, bien qu'ils soient plus abondants dans le Sud, où l'eau est emprisonnée dans des cratères et des fissures ombragés en permanence, ce qui lui permet de persister en tant que glace à la surface car elle est à l'abri du soleil[85],[87].
66
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67
+ Le champ gravitationnel de la Lune a été mesuré en suivant l'effet Doppler des signaux radio émis par les appareils en orbite. Les principales caractéristiques de la gravité lunaire sont les réplétions, de grandes anomalies gravitationnelles positives associées à certains des bassins d'impact géants, en partie causées par les coulées de lave basaltique dense qui remplissent les mers lunaires[88],[89]. Les anomalies influencent grandement l'orbite des engins spatiaux autour de la Lune. Mais les coulées de lave ne peuvent à elles seules expliquer toute la signature gravitationnelle et il existe des mascottes qui ne sont pas liées au volcanisme des mers[90].
68
+
69
+ La Lune a un champ magnétique externe variant entre environ 1 et 100 nanoteslas, soit moins d'un centième de celui de la Terre. Elle n'a pas actuellement de champ magnétique dipolaire global et n'a qu'une magnétisation crustale, probablement acquise au début de son histoire lorsqu'une dynamo était encore en activité[91],[92]. Par ailleurs, une partie de l'aimantation résiduelle peut provenir de champs magnétiques transitoires générés par l'expansion d'un nuage de plasma généré lors d'un impact important dans un champ magnétique ambiant. Cela est confirmé par l'emplacement apparent des plus grandes magnétisations de la croûte près des antipodes des bassins d'impact géants[93].
70
+
71
+ La présence d'un champ magnétique global peu après la formation de la Lune est attestée par l'aimantation rémanente de ses roches les plus anciennes. L'étude détaillée d'un échantillon de troctolite vieux de 4,25 Ga montre un paléo-champ d'une intensité de 20 à 40 µT donc très comparable à celle du champ magnétique terrestre aujourd'hui. Ce résultat confirme la présence d'une dynamo à cette époque, mais ne permet pas d'en connaître précisément le mécanisme (convection thermique ou solutale, notamment)[94].
72
+
73
+ L'atmosphère de la Lune est si ténue qu'elle n'en a presque pas du tout, ici avec une masse totale inférieure à 10 tonnes[97]. La pression superficielle de cette petite masse est d'environ 3 × 10−15 atm (0,3 nPa) ; elle varie avec le jour lunaire. Ses sources sont notamment le dégazage et la pulvérisation cathodique, un produit du bombardement du sol par les ions du vent solaire. On trouve parmi les éléments détectés le sodium et le potassium, produits par pulvérisation cathodique (également présents dans les atmosphères de Mercure et Io) ; l'hélium-4 et le néon[98] provenant du vent solaire ; et l'argon-40, le radon-222 et le polonium-210, dégazés après leur création par désintégration radioactive dans la croûte et le manteau. L'absence d'espèces neutres (atomes ou molécules) comme l'oxygène, l'azote, le carbone, l'hydrogène et le magnésium, qui sont présents dans le régolithe, n'est pas comprise[99]. De la vapeur d'eau a été détectée par Chandrayaan-1 et varie en fonction de la latitude, avec un maximum à ~60-70 degrés ; elle est probablement produite par la sublimation de la glace d'eau du régolithe. Ces gaz y retournent en raison de la gravité de la Lune ou sont perdus dans l'espace, soit par la pression du rayonnement solaire, soit, s'ils sont ionisés, en étant emportés par le champ magnétique du vent solaire[99].
74
+
75
+ Un nuage de poussière lunaire asymétrique permanent existe autour de la Lune, créé par de petites particules de comètes. On estime que 5 tonnes de ces dernières frappent la surface toutes les 24 heures et éjectent cette poussière. Celle-ci reste en suspension pendant environ 10 minutes, prenant 5 minutes pour se lever et 5 minutes pour tomber. En moyenne, 120 kilogrammes de poussière sont présents au-dessus de la Lune, s'élevant à 100 kilomètres au-dessus de la surface. Les mesures de la poussière ont été effectuées par l'expérience LDEX (Lunar Dust EXperiment) du LADEE, entre 20 et 100 kilomètres au-dessus de la surface sur une période de six mois. LDEX a détecté en moyenne une particule de poussière lunaire de 0,3 micromètre par minute. Le comptage des particules de poussière a culminé pendant les pluies de météores des Géminides, des Quadrantides, des Taurides et Omicron Centaurides, lorsque la Terre et la Lune ont traversé des débris de comètes. Les nuages sont asymétriques, plus denses près de la limite entre le côté jour et le côté nuit de la Lune[100],[101].
76
+
77
+ En octobre 2017, des scientifiques de la NASA du Centre de vol spatial Marshall et du Lunar and Planetary Institute de Houston ont annoncé qu'ils avaient découvert, à partir d'études d'échantillons de magma de la Lune prélevés par les missions Apollo, que la Lune avait possédé une atmosphère relativement épaisse pendant une période de 70 millions d'années entre 3 et 4 milliards d'années auparavant. Cette atmosphère, provenant de gaz éjectés lors d'éruptions volcaniques lunaires, était deux fois plus épaisse que celle de l'actuelle planète Mars. L'ancienne atmosphère lunaire a été progressivement dépouillée par les vents solaires et dissipée dans l'espace[102].
78
+
79
+ L'inclinaison de l'axe de la Lune par rapport à l'écliptique n'est que de 1,5424°[103], soit beaucoup moins que les 23,44° de la Terre. À cause de ça, l'éclairement solaire de la première varie beaucoup moins selon les saisons, et les détails topographiques jouent un rôle crucial dans les effets saisonniers[104]. D'après les images prises par Clementine en 1994, il semble que quatre régions montagneuses au bord du cratère Peary, au pôle Nord de la Lune, puissent rester illuminées pendant toute la journée lunaire, créant ainsi des pics de lumière éternelle. De telles régions n'existent pas au pôle Sud. De même, il y a des endroits qui restent dans l'ombre permanente au fond de nombreux cratères polaires[73], et ces « cratères d'obscurité éternelle » sont extrêmement froids : Lunar Reconnaissance Orbiter a mesuré les températures estivales les plus basses dans les cratères du pôle Sud à 35 K (-238 °C)[105] et seulement 26 K (-247 °C) vers le solstice d'hiver dans le cratère Hermite au pôle Nord. C'est la température la plus froide du Système solaire jamais mesurée par un engin spatial, plus froide même que la surface de Pluton[104]. Les températures moyennes de la surface de la Lune sont connues, mais celles de ses différentes régions varieront grandement selon qu'elles sont au soleil ou à l'ombre[106].
80
+
81
+ La Lune influence le milieu terrestre de plusieurs façons, notamment :
82
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83
+ La Lune s'est formée il y a 4,51 milliards d'années, c'est-à-dire environ 60 millions d'années après l'origine du système solaire. Plusieurs mécanismes de formation ont été proposés[115], notamment la fission de la Lune à partir de la croûte terrestre par la force centrifuge[116] (ce qui nécessiterait une vitesse de rotation initiale de la Terre trop élevée)[117], la capture gravitationnelle d'une Lune préformée[118] (ce qui nécessiterait une atmosphère terrestre étendue irréaliste pour dissiper l'énergie de la Lune de passage)[117] et la co-formation de la Terre et de la Lune dans le disque d'accrétion primordial (ce qui ne peut pas expliquer la disparition des métaux dans la Lune)[117]. Ces hypothèses ne peuvent pas non plus expliquer le moment cinétique élevé du système Terre-Lune[119].
84
+
85
+ L'hypothèse dominante est que le système Terre-Lune s'est formé après l'impact d'un corps de la taille de Mars (nommé Théia) avec la proto-Terre (impact géant). L'impact a projeté des matériaux sur l'orbite de la Terre, dont l’accrétion a formé la Lune[120],[121]. La face cachée de la Lune a une croûte plus épaisse de 48 km que celle de la face visible. Une explication possible (mais non consensuelle) serait que la Lune a fusionné à partir des matériaux de deux corps différents[122].
86
+
87
+ Cette hypothèse, bien qu'imparfaite, est celle qui explique le mieux les caractéristiques du système Terre-Lune actuel. Dix-huit mois avant la conférence d'octobre 1984 sur les origines de la Lune, les organisateurs Bill Hartmann, Roger Phillips et Jeff Taylor ont mis au défi leurs collègues scientifiques lunaires : « Vous avez dix-huit mois. Retournez à vos données d'Apollo, retournez à votre ordinateur, faites ce que vous avez à faire, mais décidez-vous. Ne venez à notre conférence que si vous avez quelque chose à dire sur la naissance de la Lune. »[h] Lors de la conférence de 1984 à Kona, à Hawaii, l'hypothèse de l'impact géant est apparue comme la théorie la plus consensuelle[122].
88
+
89
+ « Avant la conférence, il y avait des partisans des trois théories "traditionnelles", plus quelques personnes qui commençaient à prendre l'impact géant au sérieux, et il y avait un énorme milieu apathique qui ne pensait pas que le débat serait un jour résolu. Par la suite, il n'y avait pratiquement que deux groupes : le camp de l'impact géant et les agnostiques. »[i]
90
+
91
+ — Dana Mackenzie, The Big Splat, or How Our Moon Came to Be
92
+
93
+ Selon l’hypothèse de référence, la proto-Terre a été percutée par un impacteur de la taille de Mars, nommé Théia. L'impacteur, la croute et une partie du manteau terrestre sont disloqués. L'impacteur apporte à la Terre une grande partie du fer de son noyau et projette une grande quantité de débris dans l’orbite terrestre. La Lune se forme, par accrétion d'une partie de ce nuage de débris, en un temps très court, de l'ordre d'un siècle[123].
94
+
95
+ On pense que les impacts géants ont été communs au début du Système solaire. Des simulations informatiques d'impacts géants ont donné des résultats qui correspondent à la masse du noyau lunaire et au moment cinétique du système Terre-Lune. Ces simulations montrent également que la plus grande partie de la Lune provient de l'impacteur plutôt que de la proto-Terre[124]. Cependant, des simulations plus récentes suggèrent qu'une plus grande partie de la Lune provient du proto-Terre[125],[126],[127],[128]. D'autres corps du Système solaire interne tels que Mars et Vesta ont, selon les météorites, des compositions isotopiques en oxygène et en tungstène très différentes de celles de la Terre. Cependant, la Terre et la Lune ont des compositions isotopiques presque identiques. L'égalisation isotopique du système Terre-Lune pourrait s'expliquer par le mélange après impact du matériau vaporisé qui a formé les deux[129], même si la question est débattue[130].
96
+
97
+ L'impact, d'une très grande énergie, a dispersé une grande quantité de matière à partir de laquelle s'est formé le système Terre-Lune. Cela aurait fait fondre la couche externe de la Terre, et ainsi formé un océan de magma[131],[132]. La Lune nouvellement formée aurait eu également son propre océan magmatique lunaire ; sa profondeur est estimée entre environ 550 et 1 737 km[131](cf section suivante).
98
+
99
+ Bien que l'hypothèse de l'impact géant puisse expliquer de nombreux paramètres, certaines questions demeurent sans réponse, dont la plupart concernent la composition de la Lune[133].
100
+
101
+ En 2001, une équipe du Carnegie Institute of Washington a rapporté la mesure la plus précise des signatures isotopiques des roches lunaires[134]. À leur grande surprise, les roches du programme Apollo avaient la même signature isotopique que les roches de la Terre, mais elles différaient de presque tous les autres corps du Système solaire. Cette observation était inattendue car on pensait que la plupart des matériaux qui formaient la Lune provenaient de Théia, or il a été annoncé en 2007 qu'il y avait moins de 1 % de chance que Théia et la Terre aient des signatures isotopiques identiques[135],[136], ce qui contredit les hypothèses d'une Lune formée loin de la Terre ou issue principalement de Théia[137].
102
+
103
+ Ces écarts peuvent s'expliquer par des variantes de l'hypothèse de l'impact géant. En 2017, une hypothèse alternative est proposée, celle d'une série d'impacts moins cataclysmiques : chaque impact forme un anneau de débris (formés principalement de matériaux terrestres) qui se rassemble en un petit satellite, que les effets de marée font ensuite s'éloigner ; ces petits satellites finissent par se rejoindre et fusionner tout à tour en un unique (gros) satellite, la Lune. Ce scénario serait plus compatible avec les contraintes de composition chimique et de moment cinétique, et nécessiterait des conditions moins particulières que celui de la collision Terre/Théia[138].
104
+
105
+ En 2018, une autre piste est proposée : une variante du modèle de référence mais avec formation d'une synestia.
106
+ En effet le modèle classique ne rend pas compte de certaines caractéristiques de la Lune comme son manque d'éléments volatils par rapport à la Terre.
107
+ Selon cette nouvelle hypothèse, la percussion d'une proto-Terre plus petite conduit à la vaporisation et au mélange de la croute et du manteau terrestre avec les matériaux de l'impacteur. Se crée alors une synestia — à savoir un nuage torique de gaz et de fragments rocheux. Selon cette hypothèse, la lune résulterait de l'accrétion des fragments rocheux en quelques décennies tandis que les éléments volatils restent dans le nuage de vapeur et rejoignent progressivement la terre au cours de son long refroidissement[123],[139].
108
+
109
+ Cette hypothèse a été formulée peu après les premières analyses des roches retournées par Apollo 11. Elle permet d'expliquer notamment la présence abondante de plagioclases en surface, et la présence de KREEP (voir #Composition et structure interne).
110
+
111
+ À la suite de l'impact géant, une telle quantité d'énergie a été produite qu'il est probable que la surface de la Lune consistait alors en un vaste océan de magma, sur une profondeur de plusieurs centaines de kilomètres. La cristallisation et la différenciation de ce magma lors de son refroidissement ont formé la croûte et ses roches anorthosiques typiques, ainsi que le manteau lunaire tels que nous les connaissons aujourd'hui.
112
+
113
+ Toutefois, ce modèle n'explique pas toutes les caractéristiques observées de la composition de la surface. Un peu comme la physique newtonienne n'est pas fausse en première approximation, mais peut être complétée par la théorie de la relativité, ce modèle doit être amélioré pour expliquer certains détails[140]. Notamment, on observe une forte dissymétrie entre la face cachée de la Lune, plus épaisse[141], où le thorium est rare en surface, et le relief plus exacerbé (ce qui a été démontré par le relevé topographique effectué par SELENE), et la face visible de la Lune où il existe de fortes concentrations en thorium et en KREEP, et où le relief est peu marqué, avec de vastes plaines lisses (dites « mers lunaires »). Même dans le cas de l'hypothèse de l'océan magmatique lunaire, des bassins profondément creusés comme le bassin Pôle Sud-Aitken auraient dû révéler des concentrations semblables sur les deux faces[140], et le relief aurait dû être plus homogène sur les deux faces de la Lune. Pour expliquer cette dichotomie géomorphologique et physicochimique, des planétologues ont proposé diverses explications :
114
+
115
+ Cette hypothèse suppose que la surface de la Lune a été abondamment et violemment bombardée, il y a à peu près 4 milliards d'années, pendant environ 200 millions d'années, par un grand nombre de météorites ou comètes. Les plus grands cratères ou bassins lunaires proviendraient de cet épisode cataclysmique[réf. nécessaire].
116
+
117
+ Avec une magnitude de -12,6 pendant la pleine lune, c'est le corps céleste le plus visible dans le ciel de la Terre, après le Soleil. Cette luminosité et sa proximité la rendent facilement observable, même à l’œil nu ou en plein jour. Des jumelles permettent de distinguer les mers et les plus gros cratères. De plus, de nombreux phénomènes observables, liés à son orbite caractéristique, la distinguent des autres astres[j].
118
+
119
+ Du fait de sa rotation synchrone, la Lune présente toujours quasiment la même partie de sa surface vue de la Terre : la face dite « visible ». Mais la moitié de la sphère éclairée par le soleil varie au cours des 29,53 jours d’un cycle synodique, et donc la portion éclairée de la face visible aussi. Ce phénomène donne naissance à ce que l’on appelle les phases lunaires, qui se succèdent au cours d’un cycle appelé « lunaison »[réf. nécessaire].
120
+
121
+ Les éclipses ne se produisent que lorsque le Soleil, la Terre et la Lune sont tous en ligne droite (ce qu'on appelle une « syzygie »). Les éclipses solaires se produisent à la nouvelle lune, lorsque la Lune se trouve entre le Soleil et la Terre. En revanche, les éclipses lunaires se produisent à la pleine lune, lorsque la Terre se trouve entre le Soleil et la Lune. La taille apparente de la Lune est à peu près la même que celle du Soleil, les deux étant vues à près d'un demi degré de large. Le Soleil est beaucoup plus grand que la Lune, mais c'est la distance beaucoup plus grande qui lui donne la même taille apparente que la Lune beaucoup plus proche et beaucoup plus petite du point de vue de la Terre. Les variations de taille apparente, dues aux orbites non circulaires, sont également presque identiques, bien que se produisant dans des cycles différents. Cela permet à la fois des éclipses solaires totales (la Lune apparaissant plus grande que le Soleil) et annulaires (la Lune apparaissant plus petite que le Soleil)[145]. Dans une éclipse totale, la Lune recouvre complètement le disque du Soleil et la couronne solaire devient visible à l'œil nu. Comme la distance entre la Lune et la Terre augmente très lentement avec le temps[146], le diamètre angulaire de la Lune diminue. De plus, au fur et à mesure qu'il évolue pour devenir une géante rouge, la taille du Soleil et son diamètre apparent dans le ciel augmentent lentement[k]. La combinaison de ces deux changements signifie qu'il y a des centaines de millions d'années, la Lune couvrirait toujours complètement le Soleil lors des éclipses solaires, et qu'aucune éclipse annulaire ne serait possible. De même, des centaines de millions d'années plus tard, la Lune ne couvrira plus complètement le Soleil et il n'y aura plus d'éclipses solaires totales[147].
122
+
123
+ Comme l'orbite de la Lune autour de la Terre est inclinée d'environ 5,145° (5° 9') par rapport à l'orbite de la Terre autour du Soleil, les éclipses ne se produisent pas à chaque pleine et nouvelle lune. Pour qu'une éclipse se produise, la Lune doit se trouver près de l'intersection des deux plans orbitaux[148]. La périodicité et la récurrence des éclipses du Soleil par la Lune et de la Lune par la Terre sont décrites par le saros, dont la période est d'environ 18 ans[149].
124
+
125
+ Parce que la Lune bloque continuellement notre vue d'une zone circulaire du ciel d'un demi-degré de large[l],[150], le phénomène lié d'occultation se produit lorsqu'une étoile ou une planète lumineuse passe derrière la Lune et est occultée : cachée à la vue. Ainsi, une éclipse solaire est une occultation du Soleil. Parce que la Lune est relativement proche de la Terre, les occultations des étoiles individuelles ne sont pas visibles partout sur la planète, ni en même temps. En raison de la précession de l'orbite lunaire, différentes étoiles sont occultées chaque année[151].
126
+
127
+ Au fil du cycle lunaire, la déclinaison de la Lune varie : d’un jour au suivant, elle augmente pendant une moitié du cycle et elle décroît pendant l’autre moitié. En un point de l’hémisphère nord :
128
+
129
+ La Lune renvoie la lumière du Soleil. Son spectre lumineux est proche de ce dernier du fait de l'atmosphère quasi nulle (raies de Fraunhofer). Toutefois, la roche poreuse à la surface absorbe une partie du rayonnement et renvoie la lumière sans direction privilégiée[152]. On dit que la lumière est polarisée (voir polarisation de la lumière).
130
+
131
+ La Lune présentant toujours le même hémisphère à la Terre (sa rotation étant synchrone, c’est-à-dire sa période de révolution étant égale à sa période de rotation), on appelle librations les phénomènes permettant à un observateur à la surface de la Terre de voir plus de 50 % de la surface de la Lune.
132
+
133
+ Ces phénomènes peuvent prendre quatre formes : les librations en longitude, les librations en latitude, les librations parallactiques et les librations physiques.
134
+
135
+ L’ensemble de ces phénomènes de libration au cours de lunaisons successives permet d’observer environ 59 % de la surface lunaire depuis la surface terrestre. Toutefois, les zones supplémentaires ainsi offertes à l’observation sont très déformées par l’effet de perspective, et rendent difficile l’observation de ces régions depuis le sol. Seules les sondes automatiques, par un survol régulier, en permettent l’étude topologique précise.
136
+
137
+ Ces phénomènes transitoires de quelques dixièmes de milliseconde, de magnitude généralement de 5 à 10 (mais pouvant être 3), ne sont visibles qu'au télescope ou lunette associés à une caméra vidéo et sur la partie non éclairée de la Lune. Le flash lunaire provient de la chute de corps (provenant essentiellement d'essaims de météorites ou de comètes) de 5 à 15 cm percutant la Lune à des vitesses de 20 à 30 km/s, ce qui fait fondre la roche en surface au point d'impact et projette des gouttelettes de roches liquides. L'éclair lumineux est produit par l'énergie dégagée lors de cet impact. Depuis cinq siècles, 570 phénomènes de flash lunaire ont été rapportés par 300 observateurs[153]
138
+
139
+ L'exploration de la Lune commence dès que l'homme parvient à lancer des engins capables de se satelliser dans l'espace à la fin des années 1950. Depuis cette époque plus de 90 missions dont 6 avec équipage ont été lancées vers notre satellite pour étudier ses caractéristiques. Les ingénieurs russes et américains sont rapidement passés au cours de la décennie 1960 d'engins seulement capables de collecter des données sur la Lune durant son survol ou avant de s'écraser sur celle-ci aux orbiteurs, atterrisseurs puis aux astromobiles (rover). Cette phase culmine avec les premiers pas de l'homme sur la Lune effectués par l'équipage de la mission Apollo 11. La Lune à compter de 1974 est délaissée par les puissances spatiales au profit des autres corps célestes du système solaire. L'intérêt pour la Lune renaît à la suite de deux petites missions de la NASA —-Clementine et Lunar Prospector — qui découvrent des indices d'eau dans les régions polaires. À compter de la fin des années 1990, la Lune est la destination principale des sondes spatiales des nouvelles nations spatiales qui développent des programmes d'exploration du système solaire, principalement le Japon, la Chine et l'Inde.
140
+
141
+ Le premier objet fabriqué par l’homme à atteindre la Lune fut la sonde soviétique Luna 2, qui s’y écrasa le 14 septembre 1959 à 21 h 2 min 24 sZ. L'année 2009 marque l'anniversaire des premières photographies de la face cachée de la Lune envoyées de l'espace pour la première fois le 7 octobre 1959 lorsque la sonde automatique Luna 3, également lancée par l’Union soviétique, passa derrière la Lune. Luna 9 fut la première sonde à se poser sur la Lune (plutôt que de s’y écraser) ; elle retourna des photographies de la surface lunaire le 3 février 1966. Le premier satellite artificiel de la Lune fut la sonde soviétique Luna 10, lancée le 31 mars 1966. Le 17 novembre 1970, Lunokhod 1 fut le premier véhicule robotisé à explorer sa surface.
142
+
143
+ Le 24 décembre 1968, les membres de l’équipage d’Apollo 8 (Frank Borman, James Lovell, et William Anders) furent les premiers humains à apercevoir directement la face cachée de la Lune. Les premiers humains à se poser sur la Lune le firent le 21 juillet 1969[154]. Ce fut le point culminant de la course spatiale engagée entre les États-Unis et l’URSS, alors en pleine Guerre froide. Le premier astronaute à poser le pied sur la Lune fut Neil Armstrong, le capitaine de la mission Apollo 11, et le second, Buzz Aldrin, le même jour. Les derniers hommes à marcher sur le sol lunaire furent le scientifique Harrison Schmitt et finalement l’astronaute Eugene Cernan, lors de la mission Apollo 17 en décembre 1972.
144
+
145
+ Au total, au XXe siècle et jusqu'à nos jours, 24 hommes orbitèrent autour de la Lune et 12 d'entre eux marchèrent sur celle-ci.
146
+
147
+ À la fin des années 1990, les sondes Clémentine et Lunar Prospector ont trouvé des indices de présence d’eau sur la Lune.
148
+
149
+ La sonde européenne SMART-1 s’est insérée en orbite autour de la Lune avec succès le 16 novembre 2004, elle doit trouver de l’eau et permettre de mieux déterminer l’origine de notre satellite (par calcul du taux de fer), grâce à une analyse étendue par des rayons X.
150
+
151
+ Récemment, l’agence spatiale chinoise (CNSA) a dévoilé son plan lunaire qui est fondé en 3 étapes :
152
+
153
+ Le programme Constellation de 2008 avait pour objectif de ramener des hommes à la surface de la Lune en 2020. La mission lunaire type comprend un séjour sur la Lune de 7 jours, soit 4 de plus que pour le programme Apollo. Les astronautes, au nombre de 4, descendent tous sur le sol lunaire. À une échéance non fixée, les plans de la NASA prévoient le développement d'un ensemble de modules (habitation, rover, autres équipements) déposés sur la Lune grâce à plusieurs lancements d'Ares V (celui-ci peut « livrer » jusqu'à 15 tonnes de fret sur le sol lunaire). Ces équipements doivent permettre de prolonger le séjour des astronautes pour des missions qui peuvent ainsi durer 210 jours. On envisage d'installer des avant-postes lunaires près du pôle sud pour bénéficier à la fois d'un ensoleillement plus important, donc de nuits plus courtes et de températures moins extrêmes.
154
+ Le projet est développé sans disposer d'un budget suffisant. Le1er février 2010, après analyse de la situation par la commission Augustine, le projet est annulé.
155
+
156
+ Bien qu’ils aient planté symboliquement à plusieurs reprises leur drapeau sur le sol lunaire, les Américains n’ont jamais émis de revendication territoriale sur aucune portion de surface de la Lune. Elle est considérée, grâce au traité de l'espace entré en vigueur le 10 octobre 1967, comme un espace international au même titre que les eaux du même nom. Le traité exclut de plus toute utilisation militaire de l’espace, en particulier le déploiement d’armes non conventionnelles.
157
+
158
+ Le traité lunaire de 1979[155] n’ayant pas été ratifié par les grandes nations de l’exploration spatiale, l’appropriation dans des buts économiques et commerciaux par des privés reste dans le flou juridique, ce qui entraîne parfois des revendications des plus fantaisistes. Ainsi, en 1953, l’avocat chilien Jenaro Gajardo Vera (en) enregistra la propriété de la Lune en payant 42 000 pesos de l’époque. On a officialisé l’écriture le 25 septembre 1954 dans le Conservateur des Biens Racines[réf. nécessaire] de la ville de Talca.
159
+
160
+ La face cachée de la Lune a été explorée essentiellement par photographie depuis des sondes spatiales, la première ayant été Luna 3, en 1959[156].
161
+
162
+ Le 16 juillet 2015, un satellite de la NASA a révélé des photographies de la face cachée de la Lune[157]. L'animation accélérée proposée par l'Agence Spatiale dure quelques secondes alors que le passage de la Lune devant la Terre dure en réalité près de cinq heures. Les clichés ont été pris par le satellite DSCOVR en orbite à 1,5 million de kilomètres de la Terre en direction du Soleil[158].
163
+
164
+ Le 3 janvier 2019 la sonde spatiale chinoise Chang'e 4 se pose sur la face cachée de la lune. Chang'e-4 s'est posé le 3 janvier à 2h26 h UTC dans le cratère Von Kármán situé sur la face cachée de la Lune (coordonnées : 177.6°E, 45.5°S)[159].
165
+
166
+ Depuis de nombreuses années, la Lune est reconnue en tant qu'excellent site pour les télescopes[161]. Elle se trouve relativement près ; la qualité de la visibilité n'est pas préoccupante ; certains cratères près des pôles sont en permanence sombres et froids, et donc particulièrement utiles pour les télescopes infrarouges ; et les radiotélescopes construits sur la face cachée seraient protégés des bruits radio de la Terre[162]. Le sol lunaire, même s'il pose un problème pour toutes les parties mobiles des télescopes, peut être mélangé avec des nanotubes de carbone et des époxies et utilisé dans la construction de miroirs d'un diamètre pouvant atteindre 50 mètres[163]. Un télescope zénithal (en) lunaire peut être fabriqué à peu de frais avec un liquide ionique[164].
167
+
168
+ En avril 1972, la mission Apollo 16 a enregistré différentes photos et spectres astronomiques dans l'ultraviolet avec la caméra/spectrographe ultraviolet lointain (en)[165].
169
+
170
+ Les astronomes de l'Antiquité ont proposé différentes interprétations, résumées notamment dans le chapitre De la substance de la Lune du Pseudo-Plutarque[166]. En -450, Démocrite y voyait « des montagnes élevées et des vallées creuses ». Plutarque (46-125) pensait que « la Lune est une terre céleste »[167], les zones sombres et régulières (les plaines) sont des dépressions remplies d’eau. Appelés maria (mot latin signifiant « mers » au pluriel), tandis que les hauts plateaux, de couleur claire furent baptisés terrae (« terres »)[168]; ces reliefs ne correspondaient pas à la conception du monde d'Aristote.
171
+
172
+ Pour Aristote[169], le monde supralunaire est parfait, et donc la Lune est une sphère lisse et inaltérable[170]. Le disciple d'Aristote Cléarque de Soles explique les taches lunaires par le fait que la Lune est un miroir poli qui réfléchit le paysage terrestre. Cette conception aristotélicienne subsista jusqu'au Moyen Âge. Ainsi, sur certaines cartes médiévales terrestres, sont reportées les taches lunaires : manuscrits du De Natura Rerum d'Isidore de Séville, représentation par le géographe Ibn Saïd de l'Afrique du Sud comme la Mare Orientale v. 1250. Cependant, cette théorie est invalidée par l'observation que, quand la Lune se déplace devant la Terre, le visage de la Lune reste inchangé. D'autres savants imaginent alors que les taches sont des vapeurs condensées d'un nuage ou émanant de la Terre. Bien que Galilée ait tourné son télescope vers le ciel et prouvé la réalité de ces reliefs, cette conception de la sphère parfaite est retrouvée dans la Perse du XIXe siècle et dans le folklore européen du XXe siècle[171].
173
+
174
+ Ces variations de teintes et de lumière à la surface de la Lune sont vues aussi comme des motifs que les hommes interprètent différemment suivant leur culture et leur imaginaire : les nœuds lunaires étaient la tête et la queue du dragon lapon ou du dragon oriental ; la Lune était associée aux animaux nocturnes : le chat (Mandingues en Afrique), le lapin ou le lièvre de jade[m] compagnon de Chang'e. Certains y voient un buffle aux cornes lunaires, une vieille femme au fagot ou à béquilles (Lune descendante), le visage poupin de Jean de la Lune[n] ou un visage de femme ou d’homme entre autres[172].
175
+
176
+ La Lune est très présente dans de nombreuses mythologies et croyances folkloriques, et a souvent été associée à des divinités féminines. Ainsi, la déesse grecque Séléné (Luna chez les Romains) a été associée à la Lune, avant d’être supplantée par Artémis (Diane chez les Romains). En revanche, la déesse japonaise Amaterasu est associée au Soleil et son frère, Tsukuyomi, est lui associé à la Lune, de même chez les Mésopotamiens, où le dieu Nanna (ou Sîn) est associé à la Lune. Cette inversion est également présente dans les mythologies nordiques et germaniques (scandinave, lettonne [réf. nécessaire] [Information douteuse]…), et c’est pourquoi J. R. R. Tolkien l’a reprise dans sa mythologie de la Terre du Milieu, faisant de Tilion le dieu de la Lune et d’Arien la déesse du Soleil[réf. nécessaire].
177
+
178
+ La Lune est également présente dans la culture religieuse musulmane. Non seulement elle est à la base de l'édification du calendrier musulman qui est un calendrier lunaire, mais elle est aussi évoquée dans les différentes biographies religieuses de Mahomet puisqu'on lui prête l'exploit d'avoir fendu la Lune en deux[173]. Une des apparitions de la nouvelle Lune marque pour les musulmans le début du mois de jeûne nommé ramadan. Lorsque la Lune est en direction du Soleil, elle est très difficilement observable de la Terre car le Soleil éclaire l’atmosphère et n’illumine pas la face que la Lune présente à la Terre : la Lune n’est visible qu’au coucher du Soleil, lorsque l’observateur n’est plus ébloui par la clarté du ciel. C’est cette apparition que les musulmans surveillent pour décider du début du ramadan, ainsi que tous les autres mois du calendrier hégirien, qui est un calendrier lunaire[réf. nécessaire].
179
+
180
+ Les connaissances empiriques des hommes sur l’agriculture ont toujours accordé une grande importance à la Lune, dans les diverses phases de développement des végétaux ou pour déterminer les moments propices aux semailles[110].
181
+
182
+ Le mot lunatique est dérivé de Luna par supposition ancienne en Europe que la Lune était liée au cycle menstruel de la femme (mais pas en Inde, où celui-ci est plus proche de 32 jours, voir article[Information douteuse]) ou de folie périodique[réf. nécessaire]. De même pour les légendes concernant les thérianthropes — tel le loup-garou — créatures mythiques qui tireraient leur force de la Lune et seraient capables de passer de leur forme humaine à leur forme bestiale pendant les nuits de pleine Lune.
183
+
184
+ Certains auteurs[Lesquels ?] ont fait remarquer que, si la Lune n’avait pas constamment présenté la même face à la Terre, l’histoire de la pensée aurait été différente. En effet, la voyant tourner, il serait devenu évident d’y voir une sphère et non un disque. Une généralisation de cette constatation à d’autres objets célestes, et en particulier à la représentation de la Terre, aurait pu accélérer considérablement l’adoption de conceptions de l’univers non géocentriques[réf. nécessaire].
185
+
186
+ La Lune a souvent fait rêver, notamment chez les amoureux qui considèrent souvent le clair de Lune comme très romantique. On appelle « lune de miel » un voyage en amoureux, en français comme en anglais (honeymoon)[réf. nécessaire].
187
+
188
+ L’imaginaire a par ailleurs doté la Lune d’habitants, les Sélénites. Ce nom vient du nom de la déesse grecque Séléné, qui était associée à la Lune[réf. souhaitée].
189
+
190
+ Dans la mythologie hindoue, la Lune est une entité masculine et se nomme Chandra, elle est représentée par un dieu masculin de la même désignation. Elle est aussi connue sous le nom de Soma, un dieu fameux dans le Rig-Véda. La Lune est considérée comme une planète édénique des plus importantes, où on boit le soma, une drogue qui a le pouvoir de donner l'immortalité, dans le cadre de la manifestation cosmique, manifestation qui prend fin après des milliards d'années puis reprend à nouveau dans un cycle sans fin. Même Brahma, le démiurge, meurt un jour ou l'autre. Le soma est aussi la sève des plantes et la Lune est réputée être responsable pour donner le suc et le goût aux plantes. Les êtres qui y vivent, selon les écrits religieux de l'Inde, n'ont évidemment pas de corps comme ceux des humains; ils sont constitués de matière brute comme l'eau et la terre. La Bhagavad-gita la mentionne à plusieurs reprises, et elle fait partie des douze astres qui, en astrologie, influencent la santé et la destinée de l'être humains: « D'entre les Additifs, je suis Vishnou, et d'entre les sources de lumière, le soleil radieux. Parmi les Maruts, je suis Marici, et parmi les astres de la nuit, la lune. »[réf. nécessaire]
191
+
192
+ La première définition littéraire de la Lune appartient aux Hymnes homériques où elle s'unit à Zeus et accouche de Pandée[174]. Son nom est Séléné (en grec ancien Σελήνη / Selếnê, « lune »).
193
+
194
+ Une chanson populaire française très connue s’appelle Au clair de la lune[pertinence contestée].
195
+
196
+ Mais la Lune est également très présente dans les films d’horreur, tels que Frankenstein et Freddy Krueger[pertinence contestée].
197
+
198
+ Les phases régulières de la Lune en font un élément très pratique pour mesurer le temps, et les périodes de son ascension et de son déclin sont à la base de nombreux calendriers parmi les plus anciens. Certains archéologues croient que les bâtons de comptage, des os dentelés datant d'il y a 20 à 30 000 ans, marquent les phases de la Lune[175],[176],[177].
199
+
200
+ Le mois de ~30 jours est une approximation du cycle lunaire. Le nom anglais month (« mois ») et ses dérivés dans d'autres langues germaniques proviennent du proto-germanique *mǣnṓth-, qui est lié au proto-germanique *mǣnōn susmentionné, indiquant l'utilisation d'un calendrier lunaire chez les Germains (calendrier germanique) avant l'adoption d'un calendrier solaire[178]. La racine PIE de la lune, *mǣnōn, dérive de la racine verbale PIE *meh1-, "mesurer", "indiquer une conception fonctionnelle de la Lune, càd. faiseuse de mois" (cf. les mots anglais measure et menstrual)[179],[180],[181], et fait écho à l'importance de la Lune pour de nombreuses cultures anciennes dans la mesure du temps (voir le latin mensis et le grec ancien μείς (meis) ou μήν (mēn), signifiant "mois")[182],[183],[184],[185].
201
+
202
+ La Lune joue un rôle important dans les calendriers lunaires et donc dans la notion de semaine qui, elle, n’a pas de signification lunaire. Le découpage du mois lunaire en quatre semaines existait dans le calendrier judaïque et a été mis en place par l’empereur romain Constantin Ier. Auparavant les Romains utilisaient des décades pour découper leurs mois en trois décades. Les changements de calendriers viennent de la difficulté de concilier la périodicité de la Lune « luminaire de la nuit » à la périodicité du Soleil, du fait de la rotation de la Terre sur elle-même et du fait de sa révolution autour du Soleil[réf. nécessaire].
203
+
204
+ La plupart des calendriers historiques sont lunisolaires. Le calendrier hégirien du VIIe siècle est un exemple exceptionnel de calendrier purement lunaire. Les mois sont traditionnellement déterminés par l'observation visuelle du hilal, ou premier croissant de lune, à l'horizon[186].
205
+
206
+ En Unicode, plusieurs symboles existent :
207
+
208
+ Sur les autres projets Wikimedia :
fr/4553.html.txt ADDED
@@ -0,0 +1,495 @@
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
1
+ Le potentiel hydrogène, noté pH, est une mesure de l'activité chimique des hydrons (appelés aussi couramment protons ou ions hydrogène[note 1]) en solution. Notamment, en solution aqueuse, ces ions sont présents sous la forme de l'ion hydronium (le plus simple des ions oxonium).
2
+
3
+ Plus souvent, le pH mesure l’acidité ou la basicité d’une solution. Ainsi, dans un milieu aqueux à 25 °C :
4
+
5
+ En 1893, le chimiste danois Søren Sørensen, qui travaille alors au laboratoire Carlsberg à Copenhague sur les effets des concentrations de quelques ions sur des protéines lors des processus de fabrication de la bière, remarque l’importance des ions hydrogène et décide d’introduire le concept de pH[2]. Dans l’article où est évoqué le pH pour la première fois, Sørensen utilise la notation pH[3]. Dans cette publication, il donne au sigle la signification en latin Pondus Hydrogenii (« poids de l’hydrogène ») ; mais dans les comptes-rendus de travaux qu’il rédige au sein du laboratoire Carlsberg de l’université de Copenhague la même année, p est l’abréviation du mot allemand potenz (potentiel) et H est le symbole de l’hydrogène[4]. Sørensen définit alors l’acidité d’une solution comme étant le cologarithme décimal de la concentration molaire (exprimée en moles par litre) en ions hydrogène :
6
+
7
+ Le principe d’une telle échelle de pH est accepté par la communauté scientifique, notamment grâce au chimiste allemand Leonor Michaelis, qui publie en 1909 un livre sur la concentration en ion hydronium (H3O+)[5].
8
+ En 1924, à la suite de l’introduction du concept d’activité, Sørensen publie un nouvel article précisant que le pH dépend plutôt de l’activité que de la concentration en H+[6]. Entretemps, la notation pH a été adoptée, sans que l’on sache vraiment qui en a été l’initiateur :
9
+
10
+ Par la suite, la lettre « p » est reprise dans plusieurs notations usuelles en chimie, pour désigner le cologarithme : pK, pOH, pCl, etc. La signification du sigle « pH » a été adaptée par chaque langue. Ainsi, par pH, on entendra « potentiel hydrogène »[7],[8] en français, « Potenz Hydrogene » en allemand, « potential hydrogen »[9] en anglais, ou « potencial hidrógeno » en espagnol.
11
+
12
+ La notion d’acidité, qui était à la base uniquement qualitative, s’est vue dotée d’un caractère quantitatif avec les apports de la théorie de Brønsted-Lowry et du pH. Alors qu’au début du XXe siècle on utilisait uniquement des indicateurs de pH pour justifier du caractère acide ou basique d’une solution, les évolutions en électrochimie ont permis à l’IUPAC de se tourner dans les années 1990 vers une nouvelle définition du pH, permettant des mesures plus précises[2].
13
+
14
+ Depuis le milieu du XXe siècle, l’IUPAC reconnaît officiellement la définition de Sørensen du pH[10]. Elle est utilisée dans les programmes scolaires (études supérieures) et les dictionnaires :
15
+
16
+ où aH (également noté a(H+) ou {H+}) désigne l’activité des ions hydrogène H+, sans dimension. Le pH est lui-même une grandeur sans dimension.
17
+
18
+ Cette définition formelle ne permet pas des mesures directes de pH, ni même des calculs. Le fait que le pH dépende de l’activité des ions hydrogène induit que le pH dépend de plusieurs autres facteurs, tels que l’influence du solvant. Toutefois, il est possible d’obtenir des valeurs approchées de pH par le calcul, à l’aide de définitions plus ou moins exactes de l’activité.
19
+
20
+ L’IUPAC donne aujourd’hui une définition du pH à partir d’une méthode électrochimique expérimentale. Elle consiste à utiliser la relation de Nernst dans la cellule électrochimique suivante :
21
+
22
+ À l’aide de mesures de la force électromotrice (notée fem ou f.e.m.) de la cellule avec une solution X et une solution S de référence, on obtient :
23
+
24
+ avec :
25
+
26
+ L’électrode de travail est en fait une électrode à hydrogène (voir #Mesure et indicateurs). On considère le couple H+/H2.
27
+
28
+ Le potentiel électrochimique de l’électrode de travail est donné par la relation de Nernst :
29
+
30
+ Sachant que le potentiel standard du couple H+/H2 est nul par convention (référence), on obtient :
31
+
32
+ donc
33
+
34
+ La f.e.m. de la cellule électrochimique est :
35
+
36
+ Distinguons maintenant deux f.e.m., EX pour une solution inconnue, et ES pour une solution connue S. En les soustrayant, on a :
37
+
38
+ d’où
39
+
40
+ et enfin
41
+
42
+ Cette définition du pH a été standardisée par la norme ISO 31-8 en 1992[11].
43
+
44
+ Les manipulations liées au pH en chimie étant le plus souvent réalisées en milieu aqueux, on peut déterminer plusieurs définitions approchées du pH en solution aqueuse. En utilisant deux définitions différentes de l’activité chimique, on peut écrire les deux relations ci-dessous. Elles sont valables dans le domaine limité des solutions aqueuses de concentrations en ions inférieures à 0,1 mol L−1 et n’étant ni trop acide, ni trop basique, c’est-à-dire pour des pH entre 2 et 12 environ[12].
45
+
46
+
47
+
48
+ et
49
+
50
+
51
+
52
+ Pour des concentrations encore plus faibles en ions en solution, on peut assimiler l’activité des ions H+ à leur concentration (le coefficient d’activité tend vers 1). On peut écrire :
53
+
54
+ Par abus d’écriture, l’écriture n’est pas homogène, La concentration standard C0 étant souvent omise pour simplifier la notation. Cette relation est la plus connue et est la plus utilisée dans l’enseignement secondaire.
55
+
56
+ Pour des acides forts en solution aqueuse à des concentrations supérieures à 1 mol kg−1, l'approximation précédente n'est plus valable : il faut se ramener à la définition
57
+
58
+
59
+
60
+
61
+
62
+ p
63
+ H
64
+
65
+ =
66
+
67
+ log
68
+
69
+ (
70
+ a
71
+ (
72
+
73
+
74
+ H
75
+
76
+ 3
77
+
78
+
79
+
80
+ O
81
+
82
+ +
83
+
84
+
85
+
86
+ )
87
+ )
88
+
89
+
90
+ {\textstyle \mathrm {pH} =-\log(a(\mathrm {H_{3}O^{+}} ))}
91
+
92
+ où l'activité des ions oxonium
93
+
94
+
95
+
96
+ a
97
+ (
98
+
99
+
100
+ H
101
+
102
+ 3
103
+
104
+
105
+
106
+ O
107
+
108
+ +
109
+
110
+
111
+
112
+ )
113
+
114
+
115
+ {\displaystyle a(\mathrm {H_{3}O^{+}} )}
116
+
117
+ tend vers 1 quand la concentration augmente, soit un pH qui tend vers
118
+
119
+
120
+
121
+
122
+ 0
123
+
124
+ +
125
+
126
+
127
+
128
+
129
+ {\displaystyle 0^{+}}
130
+
131
+ .
132
+
133
+ De même pour des bases fortes en solution aqueuse à des concentrations supérieures à 1 mol kg−1, l'activité des ions hydroxyde HO− tend vers 1 ; or, par définition de Ke, produit ionique de l'eau valant 10-14 à 25 °C, on a
134
+
135
+
136
+
137
+
138
+ K
139
+
140
+ e
141
+
142
+
143
+ =
144
+ a
145
+ (
146
+
147
+
148
+ H
149
+
150
+ 3
151
+
152
+
153
+
154
+ O
155
+
156
+ +
157
+
158
+
159
+
160
+ )
161
+
162
+ a
163
+ (
164
+
165
+
166
+ H
167
+ O
168
+
169
+
170
+
171
+
172
+
173
+ )
174
+
175
+
176
+ {\displaystyle K_{e}=a(\mathrm {H_{3}O^{+}} )\cdot a(\mathrm {HO} ^{-})}
177
+
178
+ donc
179
+
180
+
181
+
182
+ a
183
+ (
184
+
185
+
186
+
187
+ H
188
+
189
+ 3
190
+
191
+
192
+ O
193
+
194
+
195
+ +
196
+
197
+
198
+ )
199
+
200
+
201
+ {\displaystyle a(\mathrm {H_{3}O} ^{+})}
202
+
203
+ ne peut être inférieure à Ke, soit un pH qui tend vers 14 quand la concentration en base forte augmente.
204
+
205
+ Brønsted et Lowry ont donné une définition simple des concepts d’acide et de base comme étant respectivement un donneur et un accepteur de proton. D’autres conceptions de l’acidité sont utilisées dans les milieux non protiques (milieux où l’espèce échangeable n’est pas le proton), telles la théorie de Lewis :
206
+
207
+ Exemples :
208
+
209
+ Le pH varie dans l’intervalle défini grâce à la constante d’auto-protolyse du solvant.
210
+
211
+ En solution aqueuse, à température et pression standard (CNTP), un pH de 7,0 indique la neutralité car l’eau, amphotère, se dissocie naturellement en ions H+ et HO− aux concentrations de 1,0 × 10−7 mol L−1. Cette dissociation est appelée autoprotolyse de l’eau :
212
+
213
+ Dans les conditions normales de température et de pression (TPN), le produit ionique de l’eau ([H+][HO−]) vaut 1,0116 ×10-14, d’où pKe = 13,995. On peut également définir le pOH (-log aHO−), de sorte que pH + pOH = pKe.
214
+
215
+ Le pH doit être redéfini – à partir de l’équation de Nernst – en cas de changement de conditions de température, de pression ou de solvant.
216
+
217
+ Le produit ionique de l’eau ([H+][HO−]) varie avec la pression et la température : sous 1 013 hPa et à 298 K (TPN), le produit ionique vaut 1,0116 ×10-14, d’où pKe = 13,995 ; sous 1010 Pa et à 799,85 °C, pKe n’est que de 7,68 : le pH d’une eau neutre est alors de 3,84. Sous une atmosphère de 1 013 hPa (pression de vapeur d’eau saturante), on a :
218
+
219
+ Par conséquent, le pOH varie de la même façon et pour la même raison : la plus grande fragmentation de l'eau en proton H+ (en réalité ion hydronium H3O+) et en HO−. Dire que l'eau devient « plus acide » est donc assurément vrai, mais il est non moins vrai qu'elle devient en même temps et pour des raisons de parité « plus basique ». Néanmoins le résultat est bien qu'elle devient plus corrosive, problème étudié avec soin pour les échangeurs de centrales thermiques[13].
220
+
221
+ Le produit ionique de l’eau varie selon l’équation suivante[14] :
222
+
223
+ dans laquelle Ke* = Ke/(mol⋅kg−1) et de*=de/(g⋅cm−3).
224
+
225
+ Avec :
226
+
227
+ Domaine d'application de la formule : T compris entre 0 et 1 000 °C, P compris entre 1 et 10 000 bars abs.
228
+
229
+ Une autre formulation pour le calcul du pKe est celle de l'IAPWS[15]
230
+
231
+ Dans d’autres solvants que l’eau, le pH n’est pas fonction de la dissociation de l’eau. Par exemple, le pH de neutralité de l’acétonitrile est de 27 (TPN) et non de 7,0.
232
+
233
+ Le pH est défini en solution non aqueuse par rapport à la concentration en protons solvatés et non pas par rapport à la concentration en protons non dissociés. En effet, dans certains solvants peu solvatants, le pH d’un acide fort et concentré n’est pas nécessairement faible. D’autre part, selon les propriétés du solvant, l’échelle de pH se trouve décalée par rapport à l’eau. Ainsi, dans l’eau, l’acide sulfurique est un acide fort, tandis que dans l’éthanol, c’est un acide faible. Travailler en milieu non aqueux rend le calcul du pH très compliqué.
234
+
235
+ Un pH moins élevé que celui de la neutralité (par exemple 5 pour une solution aqueuse) indique une augmentation de l’acidité, et un pH plus élevé (par exemple 9 pour une solution aqueuse) indique une augmentation de l’alcalinité, c’est-à-dire de la basicité.
236
+
237
+ Un acide diminuera le pH d’une solution neutre ou basique ; une base augmentera le pH d’une solution acide ou neutre. Lorsque le pH d’une solution est peu sensible aux acides et aux bases, on dit qu’il s’agit d’une solution tampon (de pH) ; c’est le cas du sang, du lait ou de l’eau de mer, qui renferment des couples acido-basiques susceptibles d’amortir les fluctuations du pH, tels anhydride carbonique / hydrogénocarbonate / carbonate, acide phosphorique / hydrogénophosphate / phosphate, acide borique / borate.
238
+
239
+ Le pH d’une solution dite physiologique est de 7,41.
240
+
241
+ Pour des concentrations ioniques importantes, l’activité ne peut plus être assimilée à la concentration et on doit tenir compte de la force ionique, par exemple grâce à la théorie de Debye-Hückel. Le pH d’une solution décamolaire d’acide fort n’est donc pas égal à -1, tout comme le pH d’une solution décamolaire de base forte n’est pas égal à 15. L’agressivité de telles solutions et leur force ionique importante rend la mesure du pH délicate avec les habituelles électrodes de verre. On a donc recours à d’autres méthodes s’appuyant sur les indicateurs colorés (spectroscopie UV ou RMN). Pour des concentrations élevées de H+, on peut définir par analogie d’autres échelles de mesure d’acidité, telles l’échelle de Hammett H0.
242
+
243
+ D’après la loi de Nernst établie plus haut :
244
+
245
+ dans laquelle X est la solution dont le pH est inconnu et S, la solution de référence ; avec (RT ln10)/F = 59,159 V à 298 K (R est la constante des gaz parfaits, T, la température et F, la constante de Faraday).
246
+
247
+ Généralement, le pH est mesuré par électrochimie avec un pH-mètre, appareil comportant une électrode combinée spéciale, dite électrode de verre, ou deux électrodes séparées. L’électrode de référence est en général l'électrode au calomel saturée (ECS).
248
+
249
+ Il existe de nombreuses façons de mesurer l’acidité, on utilise fréquemment des indicateurs de pH.
250
+
251
+ À 25 °C pKe = 14.
252
+
253
+ Cette relation n’est pas valable pour des concentrations inférieures à 1 × 10−7 mol l−1 et ne devrait s’appliquer qu’avec des concentrations supérieures à 1 × 10−5 mol l−1. Son application à une solution diluée à 10-8 donne en effet pH = 8, ce qui est absurde puisque la solution est acide et non alcaline (le pH d’une telle solution est de 6,98).
254
+
255
+ Dans le cas d’un monoacide, le pH se calcule en résolvant l’équation du troisième degré suivante : (H+)3 + Ka (H+)2 - (H+) [Ke + KaCa] - Ka·Ke = 0.
256
+
257
+ Dans le cas limite
258
+
259
+
260
+
261
+
262
+ K
263
+
264
+
265
+ a
266
+
267
+
268
+
269
+
270
+ +
271
+
272
+
273
+
274
+ {\displaystyle K_{\mathrm {a} }\to +\infty }
275
+
276
+ , l’équation précédente devient
277
+
278
+
279
+
280
+ (
281
+
282
+
283
+ H
284
+
285
+
286
+ +
287
+
288
+
289
+
290
+ )
291
+
292
+ 2
293
+
294
+
295
+
296
+
297
+ C
298
+
299
+
300
+ a
301
+
302
+
303
+
304
+ (
305
+
306
+
307
+ H
308
+
309
+
310
+ +
311
+
312
+
313
+ )
314
+
315
+
316
+ K
317
+
318
+
319
+ e
320
+
321
+
322
+
323
+ =
324
+ 0
325
+
326
+
327
+ {\displaystyle (\mathrm {H} ^{+})^{2}-C_{\mathrm {a} }(\mathrm {H} ^{+})-K_{\mathrm {e} }=0}
328
+
329
+ d’où on déduit que
330
+
331
+
332
+
333
+ (
334
+
335
+
336
+ H
337
+
338
+
339
+ +
340
+
341
+
342
+ )
343
+ =
344
+
345
+
346
+
347
+
348
+ C
349
+
350
+
351
+ a
352
+
353
+
354
+
355
+ +
356
+
357
+
358
+
359
+ C
360
+
361
+
362
+ a
363
+
364
+
365
+
366
+ 2
367
+
368
+
369
+ +
370
+ 4
371
+
372
+ K
373
+
374
+
375
+ e
376
+
377
+
378
+
379
+
380
+
381
+
382
+ 2
383
+
384
+
385
+
386
+
387
+ {\displaystyle (\mathrm {H} ^{+})={\frac {C_{\mathrm {a} }+{\sqrt {C_{\mathrm {a} }^{2}+4K_{\mathrm {e} }}}}{2}}}
388
+
389
+ . Lorsque
390
+
391
+
392
+
393
+
394
+ C
395
+
396
+
397
+ a
398
+
399
+
400
+
401
+
402
+ 2
403
+
404
+
405
+
406
+ K
407
+
408
+
409
+ e
410
+
411
+
412
+
413
+
414
+
415
+
416
+ 2
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+
418
+
419
+ 10
420
+
421
+
422
+ 7
423
+
424
+
425
+
426
+
427
+ {\displaystyle C_{\mathrm {a} }\gg 2{\sqrt {K_{\mathrm {e} }}}\approx 2\cdot 10^{-7}}
428
+
429
+ ,
430
+
431
+
432
+
433
+
434
+ p
435
+ H
436
+
437
+ =
438
+
439
+
440
+ log
441
+
442
+ 10
443
+
444
+
445
+
446
+ (
447
+
448
+
449
+ H
450
+
451
+
452
+ +
453
+
454
+
455
+ )
456
+
457
+
458
+
459
+ log
460
+
461
+ 10
462
+
463
+
464
+
465
+
466
+ C
467
+
468
+
469
+ a
470
+
471
+
472
+
473
+
474
+
475
+ {\displaystyle \mathrm {pH} =-\log _{10}(\mathrm {H} ^{+})\approx -\log _{10}C_{\mathrm {a} }}
476
+
477
+ .
478
+
479
+ Cette relation est soumise aux mêmes remarques que pour le cas d’un acide fort.
480
+
481
+ Cette formule est très approximative, notamment si les acides ou bases utilisés sont faibles, et devrait être utilisée avec la plus grande prudence.
482
+
483
+ Dans des solutions assez peu concentrées (on dit « solution diluée »), l’acidité est mesurée par la concentration en ions hydronium (oxonium) ou [H3O+], car les ions H+ s’associent avec [H2O]. Cependant, aux fortes concentrations, cet effet est en partie contrebalancé par les coefficients d’activité qui s’effondrent aux concentrations élevées. Néanmoins, il est possible d’obtenir des pH négatifs, y compris dans le contexte des séquelles minières en cas de drainage minier acide extrême[16].
484
+
485
+ L'échelle 0-14 pour le pH est une limite conventionnelle[17]. Ainsi une solution concentrée d'acide chlorhydrique à 37 %m a un pH d'environ −1,1 quand une solution saturée d'hydroxyde de sodium a un pH d'environ 15,0[18].
486
+
487
+ Les produits plus acides que l’acide sulfurique à 100 %, sont qualifiés de superacides[19]. Ceux-ci sont couramment utilisés, notamment comme catalyseurs pour l’isomérisation et le craquage des alcanes[20],[21]. De même, l'acide chlorhydrique concentré possède un pH négatif.
488
+
489
+ Le pH d’un sol est le résultat de la composition du sol (sol calcaire, résineux, etc.) et de ce qu'il reçoit (pluie, engrais, etc.). Il a une influence sur l’assimilation des nutriments et oligo-éléments par une plante.
490
+
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+ Fleurs d'hortensia en sol acide.
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+ Fleurs d'hortensia en sol alcalin.
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+ Philadelphie (en anglais : Philadelphia, /ˌfɪləˈdɛlfiə/), surnommée Philly, est une ville du Commonwealth de Pennsylvanie, située dans le Nord-Est des États-Unis, entre New York et Washington D.C. Le nom de la ville, choisi par William Penn, signifie « amitié fraternelle[2] » en grec, car elle devait être un îlot de tolérance religieuse.
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+
5
+ Sixième ville du pays selon la dernière estimation fédérale de 2017 (après New York, Los Angeles, Chicago, Houston et Phoenix), et la huitième agglomération[3], Philadelphie compte 1 580 863 habitants dans la municipalité (Philadelphia City) et 6 096 120 habitants dans son aire métropolitaine (PMSA de Philadelphie–Camden–Wilmington)[4].
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+
7
+ Centre historique, culturel et artistique majeur aux États-Unis, Philadelphie est également un grand port industriel sur le fleuve Delaware qui se jette dans l’océan Atlantique. Fondée en 1682, elle fut jusqu'à 1790 la ville la plus peuplée d'Amérique du Nord. Entre 1774 et 1800, le Congrès des États-Unis s'est réuni en plusieurs endroits, le plus souvent à Philadelphie, faisant de celle-ci la capitale de facto provisoire du pays, jusqu'à ce que Washington devienne la capitale définitive. Par ailleurs, Philadelphie entretient pendant quelques décennies une rivalité financière et politique avec New York, avant d'être supplantée par sa rivale.
8
+
9
+ À présent, Philadelphie est la principale métropole de l'État de Pennsylvanie, dont la capitale est Harrisburg, et le siège du comté de Philadelphie.
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+
11
+ Son nom, qui veut dire « amitié fraternelle », est celui de la ville antique de la région de Lydie, fondée par Attale II philadelphe, frère d'Eumène II, roi de Pergame, où s'établit une des sept congrégations chrétiennes mentionnées dans l'Apocalypse.
12
+
13
+ Avant l'arrivée des Européens, environ 20 000 Amérindiens Lenapes, appartenant à la nation algonquine habitaient dans la vallée du Delaware[5] et le village de Shackamaxon était situé à l'emplacement actuel du quartier de Kensington, au nord du centre-ville.
14
+
15
+ L’exploration de la vallée du Delaware commença au début du XVIIe siècle. Les premiers colons suédois, néerlandais et anglais revendiquèrent tour à tour les rives du fleuve : la Nouvelle-Suède, fondée en 1638, fut annexée à la Nouvelle-Néerlande en 1655. Puis la région passa définitivement dans le giron britannique en 1674.
16
+
17
+ En 1681, le roi d’Angleterre Charles II octroya une charte à William Penn en échange de l’annulation d’une dette que le gouvernement devait à son père. Par ce document, la colonie de Pennsylvanie était officiellement fondée[6]. William Penn (1644-1718) était un quaker anglais : il appartenait à ce groupe religieux dissident, persécuté en Angleterre, qui rejetait la hiérarchie ecclésiastique et prônait l’égalité, la tolérance, la non-violence. La Pennsylvanie devint rapidement un refuge pour tous ceux qui étaient opprimés pour leur foi. William Penn partit ainsi en Amérique en 1682 et fonda la ville de Philadelphie. Il souhaitait que cette cité serve de port et de centre politique. Même si Charles II lui en avait donné la propriété, William Penn acheta la terre aux Amérindiens afin d’établir avec eux des relations pacifiques[7]. Il aurait signé un traité d’amitié avec le chef lenape Tamanend à Shackamaxon en 1682[8].
18
+
19
+ Philadelphie fut aménagée selon un plan en damier, le plus ancien des États-Unis, avec des rues larges et cinq parcs[9]. Pour la première fois dans le Nouveau Monde, les rues furent désignées par des numéros, dès cette date, ce qui en fait la première réalisation moderne de la nomenclature urbaine alphanumérique. Mais surtout, William Penn voulait rendre cette ville et la Pennsylvanie plus humaines, en supprimant la peine de mort pour les vols et en garantissant la liberté de culte[10]. Le nom de la ville, emprunté au grec Φιλαδέλφια (« amour fraternel »), reflétait cette ambition. Lorsque William Penn revint d’Angleterre en 1699 après une absence de quinze ans, il trouva une ville agrandie et qui se plaçait juste derrière Boston par sa population[11]. De nombreux immigrants européens, anglais, néerlandais, huguenots, étaient en effet arrivés, attirés par la prospérité de la ville et sa tolérance religieuse. Un premier groupe d’Allemands s’installa en 1683 dans le quartier actuel de Germantown[12]. William Penn donna une charte à la cité le 25 octobre 1701[13] afin de créer des institutions municipales : un maire, des conseillers et une assemblée[14].
20
+
21
+ Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, Philadelphie était devenue la cité la plus peuplée des Treize Colonies (45 000 habitants en 1780[15]), dépassant Boston. Elle disputait même avec Dublin la place de deuxième ville de l’empire britannique, en dehors de l'Angleterre[12].
22
+
23
+ À la fin du XVIIIe siècle, Philadelphie était le « véritable centre des Lumières révolutionnaires[16] », notamment sous l’impulsion de Benjamin Franklin (1706-1790). Ce savant, né à Boston, vécut à Philadelphie à partir de 1723 et fut l’un des fondateurs de la Library Company of Philadelphia (1731), de l’université de Pennsylvanie (1740) et de la société américaine de philosophie (1743). En 1752, il inventa le paratonnerre.
24
+ En 1728, John Bartram créa un jardin botanique, le premier de ce genre en Amérique du Nord[17].
25
+ C’est également au XVIIIe siècle que Philadelphie devint le principal centre d’édition des Treize colonies : le premier journal, The American Weekly Mercury, parut en 1719[17]. La Pennsylvania Gazette (1723) joua un grand rôle pendant la Révolution américaine. En 1739 fut publié le premier traité contre l’esclavage[17] et la ville devint, avec Boston, l’un des centres anti-esclavagistes du pays.
26
+
27
+ Le savoir et la culture connurent un développement important au XVIIIe siècle, ce qui vaut à la ville d'être parfois appelée « l'Athènes de l'Amérique ». Dans les années 1760 s’ouvrirent une école d’anatomie, une école de médecine en 1765 et, l'année suivante, un théâtre permanent[18]. C’est en 1790 que fut inaugurée la Law School of the University of Pennsylvania, la plus ancienne école de droit des États-Unis. Plusieurs artistes de la ville fondèrent en 1794 le Columbianum, qui constituait alors la première société pour la promotion des beaux-arts[17].
28
+
29
+ Enfin, Philadelphie se dota d’équipements, de bâtiments publics et d’infrastructures urbaines avant les autres cités américaines et sous l'impulsion de Benjamin Franklin[19] : un hôpital et une compagnie de pompiers dès les années 1730 ; plusieurs banques furent fondées dans les années 1780[17]. La Pennsylvania State House (actuel Independence Hall), où siégeait l’assemblée coloniale, fut achevée en 1753. Les rues furent progressivement pavées et éclairées au gaz[20].
30
+
31
+ Dans les années 1770, Philadelphie devint l'un des principaux foyers de la Révolution américaine. Les Fils de la Liberté, une organisation de patriotes américains, étaient très actifs dans la ville : ils résistaient aux mesures fiscales imposées par la métropole et incitaient les colons à boycotter les marchandises anglaises.
32
+
33
+ Philadelphie fut choisie à cause de sa position centrale au sein des Treize colonies pour accueillir le Premier Congrès continental qui se réunit du 5 septembre au 26 octobre 1774 au Carpenters' Hall. Le Second Congrès continental se tint entre 1775 et 1781, date de la ratification des Articles de la Confédération. Pendant la guerre d’indépendance, cette assemblée organisa l'armée continentale, émet du papier monnaie et s'occupe des relations internationales du pays. Les délégués signèrent la Déclaration d'indépendance le 4 juillet 1776.
34
+ Cependant, à la suite de la défaite américaine de Brandywine en 1777, le Congrès dut quitter la ville, ainsi que les 2/3 de la population[21]. Les habitants durent cacher la « cloche de la liberté »[22].
35
+
36
+ Plusieurs batailles opposèrent les Américains commandés par George Washington aux troupes britanniques en Pennsylvanie. Après avoir investi Philadelphie en septembre 1777, les Britanniques concentrèrent 9 000 hommes à Germantown, que Washington ne réussit pas à vaincre. En juin 1778, les Anglais abandonnèrent Philadelphie pour protéger New York, exposée à la menace française[23]. Dès juillet, le Congrès revenait à Philadelphie. Une Convention constitutionnelle se réunit à Philadelphie en 1781 afin de rédiger une constitution. Ce texte organisant les institutions du nouveau pays, fut signée à l’Independence Hall en septembre 1787. C’est dans le Congress Hall que fut élaborée la Déclaration des droits en 1790, les dix premiers amendements à la Constitution américaine.
37
+
38
+ Le Congrès continental s'installa à New York en 1785 mais, sous la pression de Thomas Jefferson, il déménagea à Philadelphie en 1790[24], qui fit office pendant dix ans de capitale provisoire des États-Unis, pendant que Washington D.C. était en chantier[9].
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+
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+ En 1793, une terrible épidémie de fièvre jaune ravagea la ville. On compta plus de 5 000 victimes, soit près de 10 % de la population[25].
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+
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+ En 1799, Washington devint capitale fédérale. Philadelphie perdit aussi, la même année, son statut de capitale d’État, au profit de Lancaster.
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+
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+ La ville fut aussi la capitale de la finance américaine. Pendant quatre décennies, la Bourse de Philadelphie, ouverte sur Chestnut Street[26] en 1790, fut en effet le premier centre boursier de la fédération. C'est l'année de l'émission d'un grand emprunt obligataire public de 8 millions de dollars pour restructurer la dette des nouveaux États-Unis[27]. En 1791, la First Bank of the United States, au capital de 10 millions de dollars dont 20 % détenus par l'État, est la première action cotée. Le premier banquier de la ville, le Français Stephen Girard, la rachète en 1811 pour financer la guerre de 1812.
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+ Le commerce maritime de Philadelphie fut perturbé par l’Embargo Act de 1807 puis par la guerre de 1812 contre l'Angleterre. Après cette date, New York dépassa la cité et le port de Pennsylvanie[28].
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+
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+ Au début du XIXe siècle, Philadelphie connut un important essor économique grâce aux richesses agricoles et minières (charbon) présentes dans son arrière-pays ; la construction de routes, de canaux et de voies ferrées permit à la ville de maintenir son rang dans la Révolution industrielle. Le textile, la confection, la métallurgie, la fabrication du papier et du matériel ferroviaire, la construction navale, l’agro-alimentaire étaient les principales industries du XIXe siècle. Philadelphie était également un centre financier de première importance. Pendant la guerre de Sécession (1861-1865), les usines de la ville fournirent les armées de l’Union en matériel militaire et en ressources diverses. Les hôpitaux jouèrent également un rôle en accueillant de nombreux blessés lors du conflit.
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+
50
+ En raison de la mécanisation de l’agriculture dans le sud des États-Unis, des milliers d’Afro-Américains commencèrent à migrer vers le nord et Philadelphie devint l’une des destinations privilégiées de cet afflux. Comme dans d’autres cités américaines, les années qui précédèrent la guerre de Sécession furent marquées par des violences contre les nouveaux migrants, comme lors des émeutes anti-catholiques de mai-juin 1844[29]. Avec l’Acte de Consolidation (Act of Consolidation) de 1854, la municipalité de Philadelphie annexa plusieurs districts, townships et quartiers périphériques. Cette décision permit de faire correspondre les limites de la ville avec celle du comté et d’améliorer la gestion des problèmes urbains. Cependant, la municipalité républicaine continuait à être corrompue et les fraudes et les intimidations lors des élections étaient fréquentes.
51
+
52
+ En 1876, Philadelphie accueillit la première exposition universelle organisée sur le sol américain (la Centennial International Exhibition en anglais). Elle commémorait le centenaire de la Déclaration d'indépendance et se tint dans le Fairmount Park, près de la Schuylkill River. Elle attira quelque 9 789 392 visiteurs[30]. La plupart des bâtiments de l'exposition furent conservés par la Smithsonian Institution à Washington DC. Parmi les innovations qui furent montrées au public, on peut citer le téléphone d'Alexander Graham Bell, la machine à écrire de Remington, le ketchup Heinz, la Root beer, ou encore l'automate à fabriquer des vis d'horlogerie et la chaîne de montage horlogère (Waltham Watch Company).
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+
54
+ En 1903, Mother Jones organise à Philadelphie l'une des premières manifestations contre le travail des enfants aux États-Unis[31].
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+ Des milliers d’immigrants venus d’Allemagne, d’Italie, d’Irlande et d’Europe de l'Est vinrent travailler dans les industries de la ville au tournant du XXe siècle et se regroupèrent dans des quartiers distincts. Pendant la Première Guerre mondiale, l’arrivée des Afro-Américains fuyant la ségrégation raciale du Sud modifia la structure de la population. Avec le développement du transport ferroviaire puis du métro en 1907, et de l’automobile, les classes moyennes commencèrent à quitter le centre-ville pour résider en banlieue. Les premiers gratte-ciels firent leur apparition et le pont Benjamin Franklin fut construit. Après la Grande Dépression, Philadelphie était connue pour la vigueur de son syndicalisme et pour ses multiples grèves. Le chômage augmenta fortement et se maintint à un haut niveau dans les années 1930, malgré les emplois créés par la Work Projects Administration. Il fallut attendre la Seconde Guerre mondiale pour que la ville sortît de la crise, grâce aux industries de l'armement.
57
+
58
+ En 1950, Philadelphie atteignit son apogée démographique, avec un peu plus de deux millions d’habitants ; les logements étaient alors souvent insuffisants et insalubres. Dans les années 1960, des émeutes raciales éclatèrent, au moment du mouvement pour les droits civiques (Civil Rights Movement en anglais). Les problèmes sociaux s’aggravèrent avec la montée du chômage, la drogue et la violence des gangs. Les classes moyennes blanches fuirent le centre vers les comtés environnants : ainsi la ville perdit plus de 13 % de sa population dans les années 1970[32].
59
+
60
+ La municipalité adopta une nouvelle charte en 1951 donnant plus de pouvoirs au maire. Le maire Joseph S. Clark Jr. (en) inaugura une politique de renouvellement urbain : amélioration des routes et du système des transports (SEPTA, 1965), réhabilitation urbaine, création de centres commerciaux et de parcs. Mais la ville était alors à la limite de la banqueroute au début des années 1990, à l'instar d'autres grandes villes de la côte est comme New York, qui connut une crise et une situation de faillite similaire. Depuis, la situation du logement et de l'emploi s'est améliorée dans plusieurs quartiers, mais la violence reste toujours à un niveau élevé[réf. nécessaire].
61
+
62
+ Philadelphie se trouve dans le Nord-Est des États-Unis, à 130 km au sud-ouest de New York, dans la région industrielle de la Manufacturing Belt, à la même latitude que les Baléares ou la Calabre. Elle appartient à un espace urbanisé en continu, le BosWash, qui s'étend de Boston au nord à Washington, D.C. au sud. La ville se targue de se trouver à moins de 100 miles de New York par la route, 94 exactement (environ 152 km). La ville est située entre la chaîne des Appalaches au nord et l'ouest, et l'océan Atlantique au sud et à l'est.
63
+
64
+ Philadelphie est construite dans le Sud-Est de la Pennsylvanie et la banlieue s'est développée en partie au sud-est sur le New Jersey, grâce aux ponts Benjamin Franklin et Walt Whitman. Le centre de la ville s'étend principalement sur la rive droite du fleuve Delaware, dont elle commande l'estuaire situé au sud. La rivière Schuylkill se jette dans le Delaware au sud de la ville : c'est sur ce site de confluence que se sont développés les chantiers navals. D'autres cours d'eau moins importants traversent la ville : Cobbs Creek, Wissahickon Creek et Pennypack Creek.
65
+
66
+ Selon le Bureau du recensement des États-Unis, la ville a une superficie totale de 369,4 km2, dont 349,9 km2 de terre et 19,6 km2 de plans d'eau, soit 5,29 % du total. Le territoire de la municipalité (Philadelphia City) est 3,5 fois plus étendu que celui de Paris. L'agglomération occupe un site de plaine fluviale plat et peu élevé. L'altitude moyenne est de 13 mètres au-dessus du niveau de la mer[33]. La zone métropolitaine de Philadelphie, qui occupe la vallée du Delaware, compte près de six millions d'habitants.
67
+
68
+ Philadelphie possède un climat continental humide. Les étés sont très chauds et humides et les hivers sont froids et souvent secs. En été, les indices de chaleur dépassent parfois les 40 °C à cause de l'humidité combinée aux températures élevées. L'indice de chaleur le plus élevé à Philadelphie fut de 54 °C le 15 juillet 1995 [34]. Les précipitations sont assez régulièrement réparties sur toute l'année, avec six à huit jours de pluie par mois et un total de 1 054,1 mm sur l'année[35]. Il tombe en moyenne 58 cm de neige par an[36].
69
+
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+ Juillet étant le mois le plus arrosé de l'année, les pluies tombent sous forme de pluies chaudes de courte durée. Les précipitations estivales peuvent faire déborder la rivière Schuylkill[36]. Les températures du mois de juillet varient en moyenne entre 20 °C à 25 °C pour les minimales nocturnes et 30 °C à 35 °C en journée avec parfois des pointes à 38 °C pendant les vagues de chaleur, les nuits peuvent parfois être très chaudes avec des températures restant au-dessus des 30 °C une grande partie de la nuit.
71
+
72
+ La plus haute température enregistrée fut de 41,1 °C le 7 août 1918 à PHL et en juillet 2011 à Northeast Philadelphia Airport (à noter qu'une température de 44 °C fut enregistrée le 9 et le 10 juillet 1936, pendant la grande vague de chaleur à Phoenixville situé à 35 km à l'est de Philadelphie)[37].
73
+ L'été indien se prolonge parfois jusqu'à mi-novembre, l'automne et le printemps sont relativement doux, mais courts. L'hiver arrive rapidement et peut s'accompagner de vagues de froid (cold waves) qui apportent des tempêtes de neige (blizzard). La température moyenne basse pour le mois de janvier est de −4 °C, la moyenne haute est de 5 °C. La température la plus basse enregistrée a été de −23,9 °C le 9 février 1934 à PHL.
74
+
75
+ Philadelphie bénéficie d'un bon ensoleillement avec 2 498,4 heures par an.
76
+
77
+
78
+
79
+ Les habitants de Philadelphie produisent 400 tonnes de déchets recyclables par jour. La ville est confrontée à un problème de recyclage en 2019, depuis que la Chine a décidé de cesser les importations de déchets plastiques[39].
80
+
81
+ L'urbanisme de Philadelphie est caractéristique d'une grande ville américaine, tout en possédant un quartier historique comme Boston ou La Nouvelle-Orléans.
82
+
83
+ Le centre de la ville (Center City) suit un plan orthogonal depuis sa fondation ; il forme un quadrilatère délimité à l'est par le Delaware au nord par Vine Street, à l'ouest par la Schuylkill et au sud par South Street. Le centre de ce quadrilatère est occupé par l'Hôtel de ville. Ce bâtiment se trouve dans l'axe de deux rues, Broad Street et Market Street, qui se coupent à angle droit à la manière d'un cardo et d'un decumanus romains. Les rues orientées est-ouest, portent des noms d'arbres[40]. La Benjamin Franklin Parkway, sorte de Champs-Élysées de Philadelphie, est une avenue radiale qui relie l'Hôtel de ville au Fairmount Park et au Philadelphia Museum of Art. Le centre historique se trouve à l'est, le centre des affaires à l'ouest. Le quartier de Center City compte de nombreuses institutions culturelles, des galeries et des centres commerciaux.
84
+
85
+ Le plan d'urbanisme de la fin du XVIIe siècle a disposé quatre places aux coins du Center City : Washington Square West (en), Rittenhouse Square, Logan Square et Franklin Square (en). La Fairmount Park Commission regroupe un ensemble de jardins publics dispersés dans l'agglomération, pour une superficie totale de 3 723 hectares – soit 37,23 km2[41]. Le principal, Fairmount Park, se trouve le long de la Schuylkill River et du Wissahickon Creek, au nord-ouest de Center City, et s'étend sur 17 km2, soit cinq fois la superficie du Central Park de New York et deux fois le Bois de Boulogne à Paris.
86
+
87
+ Autour du centre se trouvent des ghettos (West Philadelphia, Camden) ainsi que le quartier universitaire (University City, à l'ouest de la Schuylkill). Cette première auréole est également constituée de quartiers intermédiaires et mixtes, qui ont chacun leur identité. La plupart correspondent aux anciens villages ou villes du comté de Philadelphie avant leur annexion par la ville. Les quartiers de classes moyennes et aisées s'étendent assez loin du centre et lui sont reliées par un système de voies rapides et de trains de banlieue.
88
+
89
+ Cinquième municipalité et cinquième métropole du pays, Philadelphie compte 1 526 006 habitants dans la ville (Philadelphia City) et 5 965 343 habitants dans son aire métropolitaine (PMSA : Philadelphie-Camden –Wilmington) en 2010[42].
90
+
91
+ Au milieu du XVIIIe siècle, Philadelphie était la ville la plus peuplée des Treize Colonies britanniques. Malgré sa croissance démographique spectaculaire, elle n’a cessé de reculer dans le classement des villes américaines. Elle est dépassée par New York à la fin du XVIIIe siècle, par Chicago dans les années 1880 et Los Angeles dans les années 1950. La plus forte augmentation de la population philadelphienne a eu lieu à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle : le nombre d’habitants a doublé entre 1880 et 1920, grâce à l’immigration européenne. Après un apogée démographique en 1950 (deux millions d’habitants), la ville s’est dépeuplée à la suite des problèmes sociaux : les classes moyennes blanches ont quitté la municipalité pour s’installer dans les comtés périphériques. Entre 1950 et 2000, Philadelphie a perdu plus de 480 000 habitants. Malgré la politique de revitalisation de certains quartiers et la gentrification en cours, la tendance à la baisse continue (-4,5 % entre 1990 et 2000[43]), mais à un rythme moins fort.
92
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93
+ La densité de population de Philadelphie, comparable à celle de Boston ou de Chicago, était de 4 337,3 habitants par km² en 2000.
94
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95
+ La répartition ethnique se caractérise par le fait qu'aucun groupe n'est majoritaire : la proportion des Blancs est faible (45 %) par rapport à la moyenne nationale et elle tend à diminuer. En 2005, 183 329 personnes déclaraient avoir des ancêtres irlandais, 121 397 des ancêtres italiens et 106 339 des ancêtres allemands[44]. Ces trois communautés, formées par les descendants des migrants des années 1880-1920, impriment leur marque à la vie culturelle de Philadelphie.
96
+
97
+ Les Afro-Américains forment une communauté importante (43,2 % du total) et en augmentation. Ce groupe se concentre dans les secteurs situés à l'ouest et au nord du centre-ville.
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+ La part des Latinos est plus faible (8,5 %) que dans le reste du pays, mais leur effectif augmente. La communauté Jamaïcaine, au deuxième rang national, et Portoricaine (97 689 en 2005[44], troisième rang national) sont les mieux représentées.
100
+
101
+ La population d'origine asiatique représente 4,5 % des Philadelphiens : la principale communauté est celle des Chinois, estimée à 20 539 personnes en 2005[44], soit la deuxième en nombre de la côte est, après celle de New York. Le quartier chinois se trouve dans le centre-ville autour de Race Street, entre la 8e et la 11e Rue.
102
+
103
+ Le taux de personnes vivant sous le seuil de pauvreté est de 24,5 %, soit deux fois plus que la moyenne de l'État[45].
104
+ Il reste largement supérieure à la moyenne nationale (13,3 %). Le revenu annuel moyen par habitant est de 19 140 $[46]. Parmi les grandes villes de la mégalopole, Philadelphie est la plus pauvre[47]. Le taux de chômage, avec 5,7 % de la population active en 2007[48], est supérieur à la moyenne nationale.
105
+
106
+ En ce qui concerne la criminalité, Philadelphie est à la sixième place des villes de plus de 500 000 habitants les plus dangereuses des États-Unis[49]. En 2004, 377 meurtres ont été recensés, essentiellement dans les ghettos, soit un taux de 25,6 pour 100 000 habitants, alors que la moyenne nationale est de 6,9 et celle de New York de 6,6[50]. En 2006, le nombre d'homicides s'élevait à 406[51].
107
+
108
+ Le pourcentage de diplômés de l'université est plus faible que dans le reste de la Pennsylvanie. Cependant, le nombre d’étudiants est important (107 519 en 2005[52], soit 13,5 % de la population totale), à cause de la présence de nombreux établissements d’enseignement supérieur sur le territoire de la municipalité.
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+
110
+ Les services publics, municipaux ou privés pourvoient à la majorité des emplois. Le secteur industriel emploie 8 % de la population active, soit un peu plus de 45 000 personnes en 2005[53].
111
+
112
+ Selon l'American Community Survey, pour la période 2011-2015, 77,94 % de la population âgée de plus de 5 ans déclare parler l'anglais à la maison, 10,10 % l'espagnol, 2,22 % une langue chinoise, 1,02 % le vietnamien, 0,87 % le russe, 0,61 % l'arabe, 0,60 % le français, 0,60 % un créole français, 0,59 % le cambodgien, 0,57 % une langue africaine et 4,86 % une autre langue[54].
113
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114
+ Les limites du comté et de la ville de Philadelphie sont les mêmes depuis l’Act of Consolidation de 1854. Toutes les fonctions politiques sont assurées par la municipalité depuis 1952.
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+ Entre la guerre de Sécession et le milieu du XXe siècle, la municipalité a été dominée par le Parti républicain. Après la Grande Dépression des années 1930, les démocrates progressent et finissent par remporter la mairie en 1952. Aux élections présidentielles de 2008 et de 2012, le candidat démocrate Barack Obama remporte respectivement 83 et 85 % des suffrages à Philadelphie. Enfin, en 2015, la ville envoie quatre représentants au Congrès américain ; il s'agit de trois démocrates et un républicain.
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+
118
+ La ville est dirigée par un maire élu pour quatre ans et qui ne peut remplir plus de deux mandats consécutifs. Pour se représenter, il doit attendre au moins une période de quatre ans. Depuis 1952, tous les maires de Philadelphie sans exception sont démocrates et sont plutôt favorables à une intervention publique en faveur des catégories sociales défavorisées comme n'imposer aucune taxe locale sur les produits de première nécessité tel le savon.
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+
120
+ Le conseil municipal (Philadelphia City Council) est l’organe délibérant et législatif de la ville. Il compte dix-sept membres dont dix sont élus dans les districts, les sept autres représentent l’ensemble de la ville et sont élus par tous les citoyens. Leur mandat est de quatre ans, sans limite de renouvellement.
121
+
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+ Le président du Conseil est choisi par les conseillers ; depuis 2012, ce poste est occupé par le démocrate Darrell L. Clarke.
123
+
124
+ Le conseil municipal se réunit une fois par semaine en séance publique à l’Hôtel de ville. Les décisions sont prises à la majorité. Le maire peut opposer son droit de veto. Mais le conseil peut outrepasser ce droit par un vote à la majorité des deux tiers[55]. En 2005, la municipalité employait environ 30 000 personnes[56].
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+
126
+ La Cour d’appel ordinaire du comté (Philadelphia County Court of Common Pleas) est la cour de justice pour Philadelphie. Elle est financée par les fonds municipaux et fonctionne avec les employés de la ville. La cour des contraventions routières s’occupe des infractions au code de la route.
127
+ Bien que la capitale de l’État de Pennsylvanie soit à Harrisburg, il arrive que la Cour suprême, la cour supérieure et la cour du Commonwealth tiennent des séances à Philadelphie. Les juges de ces instances sont élus par l’ensemble des citoyens de la ville.
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+ Au XVIIIe siècle, Philadelphie a joué un rôle pionnier dans la naissance politique mais également économique du pays. Aussi, les secteurs traditionnels fondés à l’époque coloniale, sont restés dynamiques et font toujours la réputation de la cité : l’édition et l’imprimerie, la presse, la banque, les métiers liés à la santé en sont quelques exemples.
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+
131
+ Au XIXe siècle, l’exploitation du charbon des montagnes Appalaches, l’essor des chemins de fer et du transport par voie d’eau, ont placé Philadelphie en tête des métropoles industrielles, au cœur de la Manufacturing Belt. Les industries de la Révolution industrielle et l'agro-alimentaire faisaient alors la prospérité de la ville (métallurgie, textile, pétrole, construction navale, conserverie, pisciculture[57]). La situation géographique de la ville, entre New York et Washington DC, a attiré de nombreuses entreprises de transport. Après 1945, avec le déclin de ces industries traditionnelles qui affecta la Manufacturing Belt, Philadelphie est entrée dans une phase de crise économique et sociale. De nombreuses usines ont dû fermer, se restructurer ou se délocaliser vers le Sud et l’Ouest du pays, voire à l’étranger.
132
+ Aujourd'hui, Philadelphie a diversifié ses activités et entamé son renouveau économique. Le chômage baisse depuis 1993 et de nouveaux gratte-ciel sortent de terre dans le quartier des affaires. Philadelphie reste un centre décisionnel et financier de premier ordre dans le Nord-Est des États-Unis.
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+ Le secteur tertiaire est devenu prédominant en nombre d’emplois et en création de richesses ; cependant, l’économie de la ville repose encore en partie sur les industries lourdes et agroalimentaires. Les autres activités industrielles sont la métallurgie, la confection, la papeterie, les industries d’équipement (matériel de bureaux, de communication, d’informatique). De nombreuses raffineries et industries pétrochimiques se concentrent le long du Delaware. Les chantiers navals Aker Philadelphia (autrefois Kværner Philadelphia Shipyard, fermés en 1995) continuent de construire des cargos et des tankers. Ils subissent néanmoins la concurrence étrangère, en particulier asiatique. Le port, géré par la Philadelphia Regional Port Authority, est dominé par le trafic pétrolier (57 millions de tonnes en 1996). Il importe également des fruits, du fer, de l’acier et du papier[58]. Le port de Philadelphie, qui occupe déjà la première place sur la côte atlantique pour les marchandises diverses, prévoit d’augmenter son trafic de conteneurs[59].
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+ L’économie de Philadelphie est aujourd’hui dominée par le secteur tertiaire. Les principales activités sont liées à la santé (hôpitaux, assurances), aux transports (la SEPTA emploie plus de 9 000 personnes, US Airways possède un hub, Amtrak), aux services financiers et aux télécommunications (Verizon, Comcast Corporation) et aux institutions fédérales[60].
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+ Plusieurs entreprises d’envergure régionale ou nationale ont leur siège social à Philadelphie : Aramark, la First Union National Bank, Advanta (banque), les compagnies Cigna et Lincoln Financial Group (assurances), Comcast (médias), Sunoco (pétrole), Rohm and Haas et FMC Corporation (chimie), GlaxoSmithKline (produits pharmaceutiques), Pep Boys (équipementier automobile).
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+ Les trois premiers employeurs de la ville sont le gouvernement fédéral (plus de 30 000 employés en 1999[60]), l’université de Pennsylvanie et son hôpital, ainsi que les services municipaux. L’Hôtel des Monnaies pour la côte est des États-Unis se trouve près du quartier historique, de même qu’une division de la réserve fédérale. Philadelphie possède sa propre Bourse, le Philadelphia Stock Exchange, qui est la plus ancienne des États-Unis. À cause de la présence d’institutions gouvernementales, la ville possède de nombreux cabinets d’avocats. Elle constitue aussi un foyer d’envergure nationale pour le droit, grâce à ses écoles spécialisées (par exemple l’University of Pennsylvania Law School) et grâce à l’American Law Institute.
141
+ Le secteur hospitalier est également très développé, et travaille en liaison avec les industriels présents dans la région, les universités, les centres de recherche et les industries pharmaceutiques. Enfin, depuis quelques années, la municipalité a réalisé des investissements pour développer le tourisme et mettre en valeur ses atouts : construction d’un centre de conventions (1993), restauration du patrimoine historique, aménagement des fronts d’eau… En 2002, Philadelphie a reçu 421 000 touristes étrangers et se place au 13e rang des villes américaines les plus visitées[61].
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+ Comme de nombreuses autres villes des États-Unis, Philadelphie est confrontée à la faillite de son système de retraites. Les retraites de ses ex-fonctionnaires ne sont désormais pas toujours payées[62].
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145
+ Le District scolaire de Philadelphie (School District of Philadelphia) est la principale entité administrative chargée de l'éducation dans la ville. Le District gère 214 des 300 écoles publiques situées dans les limites de Philadelphie et était responsable de l'éducation d'environ 131 362 élèves en 2014.
146
+
147
+ Philadelphie est une importante ville universitaire qui compte plusieurs milliers d'étudiants et de nombreux établissements d'enseignement supérieur. Les campus participent au dynamisme culturel de l'agglomération : dans le quartier d'University City à l'ouest du centre-ville, 21 musées et galeries d'art sont ouverts au public[63]. Les universités et les centres de recherche travaillent en liaison avec les principaux employeurs de la ville : ainsi l'enseignement supérieur est particulièrement en pointe dans les secteurs de la chimie, des sciences, de la santé et des arts.
148
+
149
+ Fondé en 1964, le Community College of Philadelphia propose 70 diplômes différents[64] et une vaste gamme de formations allant des arts aux sciences en passant par l'économie. Elle compte quelque 38 000 étudiants (2007), ce qui en fait le plus grand établissement d'enseignement supérieur de la ville[64].
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+
151
+ L'université de Pennsylvanie est l'une des plus anciennes et des plus prestigieuses des États-Unis : créée par Benjamin Franklin au XVIIIe siècle, elle fait partie de la fameuse Ivy League, une association informelle regroupant les huit universités les plus célèbres du pays. En 2007, l'université de Pennsylvanie était référencée comme l'une des dix meilleures universités du pays d'après l'U.S. News & World Report[65]. Elle compte actuellement plus de 19 800 étudiants et, avec son hôpital, elle est le deuxième employeur de la ville[60]. Le campus se trouve dans le quartier d'University City.
152
+ L'université Temple a été ouverte en 1884 et regroupe environ 33 600 étudiants. La troisième plus grande université de la ville est celle de Drexel (17 000 étudiants), suivie par celles de Saint-Joseph (7 000) et de La Salle (6 200).
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+ Liste des établissements d'enseignement supérieur.
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156
+ La ville de Philadelphie possède une vie culturelle variée et dynamique. Dès le XVIIIe siècle, Philadelphie s’est affirmée comme un foyer majeur de création artistique, musicale et même culinaire. Elle offre toujours aujourd’hui un large choix de musées et d’évènements, et compte de nombreuses salles de spectacle.
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+
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+ Datant du XVIIIe siècle, Philadelphie compte de nombreux monuments historiques et lieux culturels. La plupart se concentre à l’est du Center City au sein de l’Independence National Historical Park[66] : certains remontent à l’époque coloniale et sont construits en briques rouges dans le style géorgien ou fédéral (Congress Hall, Independence Hall, Old City Hall, Carpenters' Hall, Library Hall, Christ Church, St. George's United Methodist Church…) ; d’autres ont été érigés pendant ou après la Révolution américaine et adoptent un style néo-classique (First Bank of the United States, Second Bank of the United States, Merchants’ exchange…). L’Independence Hall (1732-1753) est l'un des rares bâtiments américains classés sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO.
159
+ Le parc historique propose également de nombreux musées : National Constitution Center, Museum of the American Philosophical Society, Liberty Bell Center, New Hall Military Museum… Plusieurs maisons du XVIIIe siècle sont dispersées dans le quartier : Todd’s House (1775), Betsy Ross House (1740), Powell House (1765-1766) et surtout la célèbre Elfreth's Alley (1720-début du XIXe siècle)
160
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161
+ Les autres monuments et musées sont dispersés dans le centre de la ville. L’Hôtel de ville, dont la construction a commencé en 1871, adopte un style second empire, inspiré du Louvre, avec des toits mansardés. Le temple maçonnique s’élève en face de l'Hôtel de ville : il abrite la Grande Loge de Pennsylvanie, l’une des plus anciennes du pays. Plusieurs institutions culturelles se regroupent autour du Logan Square : la cathédrale Saints-Pierre-et-Paul (1864), l'Institut Franklin, l’académie des sciences naturelles et la Free Library. On peut aussi noter la Benjamin Franklin Parkway inspirée des Champs-Élysées à Paris et qui relie le Logan Square au Philadelphia Museum of Art.
162
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+ L’académie de musique fut dessinée par l’architecte français Napoléon Le Brun (1857). Enfin, le Tadeusz Kościuszko National Memorial (1775–1776) et la Gloria Dei Church (la plus ancienne église de la ville) se trouvent au sud-est.
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+ La ville compte de très nombreux musées qui reflètent bien les caractéristiques d'une ville qui glorifie son passé tout en étant tournée vers l'avenir : les muséums à vocation scientifique (Academy of natural sciences, Franklin Institute, Mütter Museum, Wagner Free Institute of Science) et les lieux d'exposition d'art contemporain (Abington Art Center, Institute of Contemporary Art) en témoignent.
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+ Independence Hall (1732-1756).
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+ Liberty Bell (1751-1752).
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+ Pennsylvania Hospital (milieu du XVIIIe siècle).
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+ First Bank of the United States (1797).
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+ Second Bank of the United States (1824).
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+ Merchant Exchange (1832-1834).
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+ Temple maçonnique (1873).
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+ Philadelphia Museum of Art (1876).
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+ Pendant longtemps, la ville n'avait pas de gratte-ciel en raison d'une règle tacite qui interdisait d'édifier des bâtiments plus hauts que la statue de William Penn située au sommet de la tour de l'Hôtel de ville. En 1987, le One Liberty Place, dont l'architecture s'inspire fortement du Chrysler Building, fut le premier édifice à dépasser les deux cents mètres de haut : à l'époque, les superstitieux affirmaient que cette construction était la cause des problèmes qui affectaient les équipes sportives de la ville (la malédiction de Billy Penn). Aujourd'hui, Philadelphie a, comme les autres métropoles américaines, son CBD, et compte cinq gratte-ciel hauts de plus de deux cents mètres. Les nombreux projets de tours témoignent de la renaissance économique de la ville. Dernièrement a été construit le Comcast Center devenu ainsi le plus grand gratte-ciel de la côte est, en dehors de Chicago et de New York.
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+ Les deux édifices emblématiques de Philadelphie : les One et Two Liberty Place.
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+ Le centre de Philadelphie depuis le Logan Square (en).
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+ Panorama des gratte-ciel de Philadelphie.
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+ Vue depuis le Musée d'Art de Philadelphie.
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+
195
+ La ville compte plusieurs bibliothèques dont la principale est la Free Library of Philadelphia. Ouverte en 1894, elle contient plus de sept millions d’ouvrages et se divise en 54 annexes présentes dans les divers quartiers[67]. L’Athenæum de Philadelphie, situé près de l’Independence Hall et fondé en 1814, abrite une collection de documents historiques, artistiques et architecturaux.
196
+ La Library Company of Philadelphia, ouverte en 1731, détient plus de 450 000 volumes datant d'avant la guerre de Sécession[68]. La bibliothèque de la société américaine de philosophie possède quant à elle quelque 230 000 ouvrages et 5 millions de manuscripts[68]. Enfin, l’université de Pennsylvanie dispose d’un réseau de bibliothèques spécialisées dans différents domaines, des manuscrits et des livres rares.
197
+
198
+ Les premières formes de littérature se manifestèrent dans les écrits des pasteurs au XVIIIe siècle. Rapidement, le mouvement des Lumières inspira les écrits politiques de Benjamin Franklin et la presse de la ville publia les pamphlets des insurgents. Le courant abolitionniste, lié au quakerisme, se développa parmi les auteurs résidant à Philadelphie (Antoine Bénézet, Lucretia Mott, William Still).
199
+ Au XIXe siècle, de nombreux écrivains habitaient dans l’agglomération de Philadelphie. Les romans de Charles Brockden Brown (mort en 1810) paraissaient dans les magazines et la presse de la ville. Le poète et romancier Edgar Allan Poe (1809-1849) se fixa à Philadelphie en 1838-1844 : on peut d’ailleurs toujours visiter sa maison sur Spring Garden Street. Il écrivit pour le mensuel Burton's Gentleman's Magazine, publia plusieurs œuvres et fonda la revue littéraire Pen Magazine.
200
+ Parmi les écrivains nés à Philadelphie, on peut citer Louisa May Alcott (1832-1888), Alain Locke (1885-1954) ou encore, plus récemment, Lisa Scottoline (née en 1955).
201
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202
+ Enfin, plusieurs romans ont pour cadre la ville de Philadelphie au XXe siècle : publié en 1912, The Financier, écrit par Theodore Dreiser, évoque le destin de Frank Cowperwood, personnage qui s'inspire du magnat philadelphien Charles Yerkes. On peut citer également Kitty Foyle de Christopher Morley (1939), The Philadelphian de Richard P. Powell (1957), Philadelphia Fire de John Edgar Wideman (1990), ainsi que les romans de W.E.B. Griffin et d'Omar Tyree.
203
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204
+ Durant l’époque coloniale, l’élite de la ville soutint le développement des arts, notamment la peinture, en commandant des portraits à William Williams (1727-1791) ou Benjamin West (1738-1820). En 1805, la Pennsylvania Academy of the Fine Arts fut fondée par le peintre Charles Willson Peale, le sculpteur William Rush, et d’autres personnalités artistiques : elle est la plus ancienne école d’art et le plus ancien musée des États-Unis. Cette institution forma quelques-uns des grands noms de la peinture américaine tels Thomas Eakins, Mary Cassatt ou Henry Ossawa Tanner.
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206
+ Le plus grand musée de la ville, le Philadelphia Museum of Art, fut inauguré en 1876 au cours de l’exposition universelle. Aujourd’hui, il comporte plus de 225 000 œuvres[69] allant de l'Antiquité à nos jours. Le Rodin Museum se trouve à proximité, sur la Benjamin Franklin Parkway. Fondé en 1929, ce dernier abrite la plus grande collection d’œuvres du sculpteur en dehors de la France.
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208
+ L’art s’expose également dans les nombreuses galeries de la ville, mais aussi dans ses parcs et ses rues. Depuis 1991, chaque premier vendredi du mois, dans le quartier d’Old City, les galeries d’art ouvrent leurs portes jusque tard le soir et proposent diverses expositions.
209
+ Les statues des grandes personnalités de Philadelphie sont omniprésentes : celle de Benjamin Franklin (sur le campus de l’université de Pennsylvanie) ou celle de William Penn (au sommet de l’Hôtel de ville) en sont quelques exemples. La sculpture LOVE de Robert Indiana (1978) est l'un des symboles de la cité. Elle fait référence au surnom de la ville : « la ville de l'amour fraternel ». Une réplique de cette œuvre se trouve aussi sur le campus de l'université de Pennsylvanie et dans une rue de New York. La Clothespin de Claes Oldenburg (1976) est située devant l'Hôtel de ville. Enfin, 3 000 fresques ornent les murs des bâtiments[70]. Dans les années 1990, afin d'endiguer la prolifération des graffitis, le conseil municipal décida de céder quelques murs aux tagueurs. Plusieurs façades devinrent aussitôt des terrains d'expression pour les graffeurs et les peintres, encouragés par le Mural Arts Program (MAP). Les fresques représentent des paysages, des personnalités de la culture populaire, dans un style s'apparentant à l'hyperréalisme et à Diego Rivera[70]. La plus grande de ces fresques s'intitule Common Thread : réalisée par Meg Saligman, elle est peinte sur un bâtiment de huit étages[70]. Legacy de John Sarantis, a coûté quelque 250 000 $ (soit plus de 170 000 euros). Il existe un circuit touristique pour admirer ces fresques.
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+ LOVE, Philadelphie
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+ Statue de Benjamin Franklin
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+ Dès le milieu du XVIIIe siècle, les premières orgues furent installées dans les églises de Philadelphie et le premier opéra ouvrit ses portes (The Beggar’s Opera). Au siècle suivant furent créés la Music Fund Society et le conservatoire (Academy of Music, 1857). En 1900, c’est l’opéra de Philadelphie qui fut inauguré. Au XXe siècle, Philadelphie s’affirmait comme l’un des foyers du jazz avec des musiciens comme John Coltrane. Dans les années 1960, la Philadelphia soul était un courant musical né dans la ville, dont le représentant le plus célèbre est Billy Paul. Plus récemment, Philadelphie est considérée comme l’un des berceaux du gangsta rap et du hardcore rap avec les chansons de MC Schooly D. Philadelphie a été chantée par de nombreux artistes : Elton John (Philadelphia Freedom, 1975), Boyz II Men (Motownphilly, 1991), Bruce Springsteen (Streets of Philadelphia, 1993), Musiq Soulchild (Ms. Philadelphia, 2007), etc.
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217
+ Philadelphie est également la ville où est né le « Philadelphia Sound », appelé aussi « Philly Sound », qui désigne le style de musique soul typiquement produit par les musiciens originaires de la ville à partir des années soixante. Cette musique soul était caractérisée par des arrangements influencés par la musique jazz et funk, basés sur des orchestrations très riches en cordes et en cuivres. Ce style est aussi caractérisé par la présence de nombreuses percussions et de la batterie, dont la caisse claire était souvent remplacée ou doublée par un tom.
218
+ Le « Philly Sound » désigne également le style de musique disco qui en a découlé, inventé par ces mêmes musiciens au début des années soixante-dix. Par exemple, Earl Young, batteur emblématique du « Philly Sound », est l'inventeur du fameux rythme disco 44 avec le charleston jouée à contre temps. Le « Philly Sound » a été possible grâce à des studios comme Sigma Sound Studios et des labels tels que Philadelphia International Records (PIR). Ces structures ont permis à des groupes emblématiques tel que Mother Father Sister Brother (MFSB), Harold Melvin and the Blue Notes, The O'Jays ou the Trammps par exemple de populariser le « Philly Sound », qui séduit toujours autant aujourd'hui, notamment à la suite du regain d’intérêt pour la musique disco ainsi qu'à la réutilisation de ces morceaux dans la House music depuis le milieu des années quatre-vingt-dix.
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+ Stanley Clarke, fameux bassite de jazz, est également originaire de Philadelphie.
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222
+ Le 13 juillet 1985, la ville accueillit le concert Live Aid en faveur de l’Éthiopie au John F. Kennedy Stadium. Le 2 juillet 2005, Bob Geldof choisit Philadelphie pour organiser le concert humanitaire du Live 8 sur le Benjamin Franklin Parkway, qui réunit entre 600 000 et 800 000 personnes.
223
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224
+ Aujourd’hui, l'opéra de Philadelphie possède une renommée internationale et contribue au rayonnement culturel de la ville. À l'instar de l’orchestre de Philadelphie, l'opéra se produit au Kimmel Center for the Performing Arts, ouvert depuis 2001, sur Broad Street.
225
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+ L'orchestre de Philadelphie a acquis une renommée internationale grâce aux maestros Eugene Ormandy, Riccardo Muti et Wolfgang Sawallisch. Il est aujourd'hui dirigé par Charles Dutoit.
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228
+ Le plus ancien théâtre de la ville est le Southwark Theater, fondé en 1766. Les théâtres et les compagnies se multiplièrent au XIXe siècle (Forrest Theater, Walnut Street Theater). Chaque année, des pièces de William Shakespeare sont jouées pendant le Philadelphia Shakespeare Festival.
229
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230
+ Le ballet de Pennsylvanie (1963) possède une renommée nationale et se produit à l’Academy of Music ainsi qu’au Merriam Theater. La compagnie de danse de Philadelphie (Phildanco, 1970) est spécialisée dans la danse moderne.
231
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232
+ Il existe une cuisine spécifique à la ville de Philadelphie : les spécialités les plus connues sont les hoagies (sandwich apparu dans l'Entre-deux-guerres, proche du kebab), les cheesesteaks (sandwich à la viande et au fromage), les bretzels (soft pretzels) et les glaces à l’eau (water ice) ; elles témoignent de la diversité culturelle des Philadelphiens.
233
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234
+ À l’époque coloniale, les tavernes telles que la London Coffee House et la Tun Tavern étaient des lieux de sociabilité et de contestation de la suprématie britannique. À la fin du XIXe siècle furent créés le Reading Terminal Market et le marché italien. De nombreux restaurants furent ouverts à partir des années 1970.
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+ Le cinéma fit son apparition à Philadelphie dès la fin du XIXe siècle. Le 18 décembre 1895, Charles Francis Jenkins exposa son appareil de projection cinématographique à l’Institut Franklin. Siegmund Lubin acheta la caméra de Jenkins et tourna plusieurs films dans la ville. Il construisit ensuite ses propres appareils, fonda la Lublin Manufacturing Company en 1902 et ouvrit les premières salles de cinéma de Philadelphie. En 1985 la municipalité inaugura le Greater Philadelphia Film Office destiné à développer la production cinématographique et audiovisuelle dans la région, grâce à des subventions. Enfin, chaque année se tiennent le festival du film de Philadelphie (Philadelphie Festival of World Cinema) et le festival international du film gay et lesbien (Philadelphia International Gay and Lesbian Film Festival).
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+ Le film Rocky montre divers endroits de la ville et a rendu célèbres les marches du musée d'art, que le héros incarné par Sylvester Stallone gravissait pour s'entraîner. Le film Philadelphia traite de la discrimination envers les malades du SIDA. Bruce Springsteen remporta un Oscar du cinéma en 1994 pour la chanson du générique Streets of Philadelphia. Les histoires de M. Night Shyamalan (Sixième Sens, Incassable et La Jeune Fille de l'eau) se déroulent à Philadelphie ou dans sa région. Le film Invincible, sorti en août 2006, raconte l'histoire vraie de Vince Papale, fan des Eagles de Philadelphie et qui rejoint son club préféré. Le thriller Seven de David Fincher se situe dans une ville au nom inconnu, mais la plupart des scènes ont été tournées à Philadelphie. Le film Benjamin Gates et le Trésor des Templiers de Jon Turteltaub (2004) montre plusieurs lieux de Philadelphie comme l'hôtel-de-ville, l'institut Benjamin Franklin et Independence Hall.
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+ D'autres films mettent en scène divers lieux de la ville : Indiscrétions, Kitty Foyle, The Philadelphia Experiment, Flic et Rebelle, Shooter, tireur d'élite, etc.
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+ Plusieurs séries télévisées se déroulent aussi à Philadelphie : Cold Case, American Dreams (Mes Plus Belles Années), Le Justicier de l'ombre, It's Always Sunny in Philadelphia, Un honnête citoyen, Body of Proof, Incorrigible Cory.
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+ Plusieurs parties des jeux vidéo Left 4 Dead 1 et 2 s'y déroulent, puisqu'une pandémie virale proche de la rage y prend source, transformant une bonne partie de la population des États-Unis en zombies assoiffés de violence.
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+ À Philadelphie, la « parade des mimes » (Mummers Parade en anglais) se tient chaque 1er janvier. Chaque association de la ville (New Years Associations) entre en compétition dans quatre catégories. Elle prépare pendant des mois des costumes et des scènes mobiles. Environ 15 000 personnes assistent au cortège chaque année. La première de ces parades fut organisée en 1901. Les communautés portoricaine et irlandaise organisent des défilés dans les rues (Puerto Rican Day Parade et Saint Patrick's Day Parade). En février le Wing Bowl est un concours d’alimentation sportive qui se tient chaque année depuis 1993. Au printemps sont organisées les floralies (Philadelphia Flower Show). La fête nationale est marquée par une série de concerts et de manifestations culturelles appelée Welcome America, du mois de juin jusqu’au 4 juillet. Les fraternités étudiantes afro-américaines organisent le Greek Picnic chaque mois de juillet.
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+ Philadelphie avait été fondée dans un esprit de tolérance religieuse. La ville est marquée par son héritage protestant qui remonte à l'immigration suédoise, néerlandaise, anglaise et allemande de l'époque moderne.
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+ Aujourd'hui, toutes les branches du christianisme sont représentées à Philadelphie : la ville est le siège d'un archidiocèse catholique dirigé depuis 2003 par le cardinal Justin Francis Rigali et dont le cœur est la cathédrale Saints-Pierre-et-Paul. L'agglomération de Philadelphie compte environ 1,5 million de catholiques[71], essentiellement dans la communauté d'origine irlandaise et hispanique. La ville compte douze universités catholiques (Chestnut Hill College, université de la Sainte Famille, université La Salle, Saint Joseph's University, etc.) et le réseau des écoles paroissiales est l'un des plus denses du pays, avec 250 établissements primaires et secondaires[68].
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+ Parmi les édifices les plus importants du culte catholique figurent la Cathédrale Saints-Pierre-et-Paul de Philadelphie et l'Église du Gesú de Philadelphie.
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+ Le protestantisme est représenté dans sa diversité et beaucoup de lieux de culte remontent à la période prérévolutionnaire, notamment l'église épiscopale africaine Saint-Thomas, première église épiscopalienne noire aux États-Unis fondée en 1792.
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+ Fondée en 1795, la congrégation Rodeph Shalom établit à Philadelphie la première synagogue ashkénaze du continent américain[72]. Le célèbre architecte américain Frank Furness dessina les plans du premier sanctuaire juif en 1866, construit dans un style Mauresque. Le bâtiment actuel, conçu en 1928, peut accueillir 1 640 personnes[72]. Aujourd'hui, 15 000 Juifs vivent dans le Center City de Philadelphie[73].
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+ La communauté musulmane noire se regroupe dans le quartier de Walnut Hill qui comporte plusieurs mosquées. La ville compte également plusieurs centres et associations bouddhistes, en particulier dans le Chinatown.
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+ Philadelphie possède une longue tradition de journalisme : la presse était déjà active au XVIIIe siècle avec The American Weekly Mercury et la Pennsylvania Gazette. Aujourd'hui, les deux principaux journaux de la ville sont le Philadelphia Inquirer et le Philadelphia Daily News, qui appartiennent au groupe Philadelphia Media Holdings L.L.C. Fondé en 1829, le Philadelphia Inquirer, est le troisième plus ancien quotidien encore publié aux États-Unis[74]. Distribué à plus de 300 000 exemplaires en semaine, ses journalistes ont reçu dix-huit Prix Pulitzer. Le Philadelphia Daily News est un tabloïd plus récent et possède un tirage plus modeste (environ 114 000 exemplaires).
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+ La première licence accordée à une radio a été attribuée à la Saint Joseph's University en août 1912. La première radio commerciale (WIP) fit son apparition en 1922, bientôt suivie par WFIL, WOO, WPHT et WDAS[75]. Aujourd'hui, les radios les plus populaires sont WBEB, KYW Newsradio et WDAS-FM. Il existe d'autres radios spécialisées dans le sport (WPEN) ou les débats politiques (WNTP). D'autres stations s'adressent à des publics spécifiques (WURD pour les Afro-américains, WUBA pour les Hispaniques). Fondée en 1975, WQHS est diffusée depuis le campus de l'université de Pennsylvanie.
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+ La première chaîne de télévision de la ville vit le jour dans les années 1930 : la station expérimentale W3XE (actuelle KYW-TV) était alors la propriété de Philco Corp. D'autres chaînes virent le jour dans les années 1970 (WCAU-TV, WPVI-TV, WHYY-TV, WPHL-TV et WTXF-TV). C'est en 1952 qu'eut lieu sur WFIL (actuelle WPVI), la première de l'émission Bandstand, qui devint plus tard American Bandstand animée par Dick Clark. WYBE est une chaîne publique qui diffuse des programmes en langue étrangère et visant les minorités ethniques et les homosexuels.
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+ Philadelphie possède une longue tradition sportive : ainsi, l'Olympic Town Ball Club fut le premier club de town ball du pays (1832). Le town ball était un jeu de balle et l'ancêtre du baseball. Ce dernier, appelé à l'époque « New York Game », ne supplanta le town ball que dans les années 1860 à Philadelphie. Les Pythians constituèrent la première équipe noire de baseball des États-Unis.
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+ Philadelphie fait partie des treize villes qui ont quatre équipes appartenant aux ligues majeures des sports professionnels :
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+ Il existe d'autres équipes professionnelles ou amatrices dans d'autres sports comme le cricket ou la crosse.
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+ Philadelphie accueille chaque année diverses compétitions : les Penn Relays, la Stotesbury Cup, le Marathon de Philadelphie et une course cycliste (Philadelphia International Championship). Le tournoi de tennis de Philadelphie est un tournoi de tennis féminin du circuit professionnel WTA. Il est organisé chaque année à la fin du mois d'octobre.
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+ Philadelphie a accueilli le NBA All-Star Game de 2002.
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+ La Southeastern Pennsylvania Transportation Authority (SEPTA) est l'organisme chargé des transports en commun dans la ville de Philadelphie et dans ses banlieues (comtés de Bucks, Chester, Delaware et Montgomery). Elle gère le métro, les bus, les trolleybus et les tramways de l'aire urbaine. Le métro fonctionne depuis 1907 ; c'est le quatrième plus vieux réseau d'Amérique. Philadelphie possède encore plusieurs lignes de tramway qui fonctionne sous la forme d'un Pré-métro dans le centre ville et une ligne périphérique au nord du centre qui ne fonctionne qu'avec de vieux tramways historiques (la Girard Avenue Line, counnue sous le nom de Route 15).
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+ La station de la 30e Rue (30th Street Station) est la principale gare ferroviaire de la compagnie Amtrak sur le corridor nord-est. Elle permet de desservir la plupart des grandes villes de la côte Est (Boston, New York, Baltimore, Washington DC). À l'échelon régional, elle est reliée à Pittsburgh, Harrisburg et Atlantic City. Ce véritable nœud de communication permet d'accéder aux lignes d'Amtrak, du New Jersey Transit et de la SEPTA. La PATCO propose des liaisons avec la rive orientale du Delaware et les municipalités de l'agglomération situées dans l'État voisin du New Jersey.
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+ Deux aéroports desservent Philadelphie : l'aéroport international de Philadelphie (PHL), situé à l'extrême sud de la ville, et le Northeast Philadelphia Airport (PNE), qui s'occupe de l'aviation générale et qui se trouve au nord-est. L'aéroport international est un hub pour la compagnie US Airways et propose des vols intérieurs et vers l'étranger. Avec plus de 31,7 millions de passagers en 2006, il est le 16e aéroport américain et le 28e au niveau mondial[76]. Mais il se classe à la dixième place mondiale pour le trafic (515 809 mouvements en 2006)[76]. Il est relié au centre-ville par l'Airport Rail Line (R1), une ligne de train gérée par la SEPTA, et par une ligne de bus (ligne no 68).
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+ Depuis les débuts du rail aux États-Unis, Philadelphie a toujours été un nœud ferroviaire majeur pour plusieurs compagnies, et tout particulièrement pour la Pennsylvania Railroad et la Reading Railroad. La Pennsylvania Railroad occupa d'abord la Broad Street Station, puis la 30th Street Station et la Suburban Station. La Reading Railroad gérait le Reading Terminal, qui fait désormais partie du palais des congrès. Aujourd'hui, les différentes lignes ne forment plus qu'un seul système placé sous le contrôle de la SEPTA.
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+ En matière d'autoroutes, l'Interstate 95, qui traverse la ville le long du Delaware, demeure la principale artère nord-sud ; elle relie Philadelphie à New York au nord et à Baltimore au sud. Le centre-ville est également desservi par la Schuylkill Expressway, une portion de l'Interstate 76 qui longe la Schuylkill. Elle rencontre l'autoroute à péage Pennsylvania Turnpike à King of Prussia, permettant d'accéder à la capitale de l'État, Harrisburg. L'Interstate 676 et la Vine Street Expressway, furent achevées en 1991 après plusieurs années de chantier. Elles relient le Center City au New Jersey via le pont Benjamin Franklin.
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+ Le Roosevelt Boulevard et la Roosevelt Expressway (Route 1) relient Northeast Philadelphia avec le centre-ville. La route Woodhaven (Woodhaven Road ou Pennsylvania Route 63), construite en 1966, dessert les quartiers de Northeast Philadelphia. Les quartiers nord sont reliés au centre par la Fort Washington Expressway (Pennsylvania Route 309)[77].
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+ La Delaware River Port Authority assure la gestion de quatre ponts sur le Delaware : le Walt Whitman Bridge (I-76), le Benjamin Franklin Bridge (I-676 et Route 30), le Betsy Ross Bridge (Route 90) et le Commodore Barry Bridge (Route 322). Il existe un ferry qui permet aussi de traverser le Delaware vers le New Jersey.
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+ Philadelphie est l'un des principaux hubs pour la compagnie de bus Greyhound Lines. Le terminal se trouve au 1001 Filbert Street dans le Center City. En 2005, ce dernier était le troisième du pays derrière le Port Authority Bus Terminal de New York et le Los Angeles bus terminal. D'autres entreprises de transport sont également présentes : Bieber Tourways, Capitol Trailways, Martz Trailways, Peter Pan Bus Lines, Susquehanna Trailways, ainsi que les bus du New Jersey Transit.
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+ Philippe II dit « Auguste »[2], né le 21 août 1165 à Paris et mort à Mantes le 14 juillet 1223, est le septième roi (1180-1223) de la dynastie des Capétiens. Il est le fils héritier de Louis VII et d'Adèle de Champagne.
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+ Le surnom d'« Auguste » lui fut donné par le moine Rigord[3] après que Philippe II eut ajouté au domaine royal en juillet 1185 (traité de Boves) les seigneuries d’Artois, du Valois, d’Amiens et une bonne partie du Vermandois[4] et également parce qu'il était né au mois d'août. Référence directe aux empereurs romains, ce terme signifie qu'il a accru considérablement le domaine.
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+ Chapelain et biographe de Philippe II, Guillaume Le Breton le nomme « Philippe le Magnanime »[5] dans sa chronique La Philippide rédigée entre 1214 et 1224. Cette chronique est une continuation de celle de Rigord que Philippe II lui avait demandé d'expurger, la jugeant moins laudatrice qu'il le souhaitait.
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+ Philippe Auguste reste l'un des monarques les plus admirés et étudiés de la France médiévale, en raison non seulement de la longueur de son règne, mais aussi de ses importantes victoires militaires et des progrès essentiels accomplis pour affermir le pouvoir royal et mettre fin à l'époque féodale.
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+ Philippe Auguste est le premier roi ayant fait porter sur ses actes, sporadiquement à partir de 1190, officiellement à partir de 1204[6], Rex Franciæ, « roi de France », au lieu de Rex Francorum, « roi des Francs »[a]. Il faut cependant relever que les traités et conventions de paix signés entre les vassaux ou alliés et le royaume de France mentionnent sans exception Philippus rex Francorum (« Philippe, roi des Francs »), à la différence, par exemple, de Richardus rex Angliæ (« Richard, roi d'Angleterre »), mais comme Henri, roi des Romains.
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+ La naissance de Philippe Auguste, en 1165, est accueillie comme un miracle par la famille royale. En effet, Louis VII attend depuis près de trente ans un héritier et c'est sa troisième épouse, Adèle de Champagne, qui lui donne tardivement ce fils tant espéré. Une attente qui vaut au futur Philippe II le surnom de Dieudonné[8],[9]. Il est baptisé dès le lendemain de sa naissance dans la Chapelle Saint-Michel-du-Palais au palais de la Cité à Paris par l'évêque Maurice de Sully en présence de trois parrains[10] et trois marraines[11]'[12].
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+ Comme tous les premiers rois capétiens depuis Hugues Capet, Louis VII, accablé par la maladie, pense à associer son fils à la couronne au printemps 1179, puis à lui laisser le pouvoir le 28 juin 1180. Mais la cérémonie du sacre est retardée à la suite d'un accident de chasse du jeune prince[13] dont la vie est menacée. Jean Favier précise la nature de l'incident (et non l'accident) : le jeune Philippe s'est égaré dans la forêt et n'est retrouvé que deux jours plus tard tremblant de peur et passablement perturbé[14]. L'état de santé du prince est suffisamment grave pour que Louis VII se déplace en Angleterre, malgré sa santé déclinante, et aille se recueillir sur la tombe de Thomas Becket[15], l'archevêque de Cantorbéry mort assassiné en 1170 et devenu un saint thaumaturge[16].
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+ Complètement remis sur pied et en l'absence de son père de plus en plus souffrant, Philippe est associé à la couronne et sacré le 1er novembre 1179 à Reims par son oncle l'archevêque Guillaume aux Blanches Mains[17]. L'absence à la cérémonie de la reine Adèle ainsi que des trois autres oncles maternels, alors que les fils d'Henri II Plantagenêts y assistent et que surtout le comte de Flandre Philippe d'Alsace parraine l'adoubement, est symbolique du revirement des influences. La Maison de Blois-Champagne prépondérante à la fin du dernier règne cède le pas à la Maison de Flandre[14].
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+ Pour échapper à l’emprise de sa mère et de ses oncles maternels, Philippe II se rapproche de son parrain Philippe d'Alsace, comte de Flandre, qui lui donne sa nièce Isabelle en mariage. Le 28 avril 1180, l'évêque Roger de Laon bénit les jeunes époux en l'abbaye d'Arrouaise près de Bapaume. Le Jeudi de l'Ascension 29 mai 1180 à Saint-Denis, lors de la consécration de son épouse Isabelle de Hainaut comme reine de France, il reçoit une seconde fois l'onction sainte par l'archevêque de Sens[18], Guy Ier de Noyers, successeur de Guillaume aux Blanches Mains, au grand dam de ce dernier, qui accuse d'usurpation son pair. Isabelle, fille de Baudouin V de Hainaut lui apporte l'Artois en dot. Puis, le 28 juin 1180, trois mois avant la mort de son père, il signe le Traité de Gisors avec Henri II d'Angleterre. Ces deux événements renforcent la position du jeune roi face aux maisons de Flandre et de Champagne[19].
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+ La mort de son père survient le 18 septembre 1180 et laisse Philippe seul roi, à quinze ans. Confronté à l'affaiblissement du pouvoir royal, Philippe se révèle rapidement à la hauteur du défi.
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+ À l'intérieur du domaine, l'une de ses premières décisions est totalement contraire à la politique suivie par son père : l'expulsion des juifs et la confiscation de leurs biens[20] (17 avril 1182[21]) tranche avec la protection que Louis VII avait accordée à la communauté juive[22]. La raison officiellement donnée désigne les juifs responsables de calamités diverses, mais l'objectif réel est surtout de renflouer les caisses royales, bien mal en point en ce début de règne[23]. Ces mesures ne dureront pas : l'interdiction du territoire (d'ailleurs difficile à faire respecter) cesse en 1198, et l'attitude conciliatrice qu'avait adoptée Louis VII redevient bientôt la norme. Cependant, le pape Innocent III condamne quelques activités des juifs en France et exhorte Philippe Auguste dans la lettre Etsi non displiceat en 1205 à les sanctionner pour montrer la ferveur de sa foi chrétienne[24] (en latin : « in eorum demonstret persecutione fervorem quo fidem prosequitur Christianam »)[25].
24
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25
+ Du point de vue juif, la mesure fut ainsi perçue : « En l'année 4946, c'est-à-dire en 1186[b], il fit saisir les Juifs dans toutes les provinces de son royaume, leur ravit leur argent et leur or et les chassa de son pays. Beaucoup abjurèrent alors leur foi et recouvrèrent par là leurs fortunes et leurs biens, se mêlèrent aux chrétiens et vécurent comme eux. Les synagogues, Philippe en fit des églises pour son Dieu, et avec ce qu'il avait pris, il éleva de nombreux édifices, le palais de l'Hôtel-de-ville, le mur de la forêt de Vincennes près de Paris et les Champeaux, où se tient le marché de Paris. Les Juifs de France étaient alors deux fois plus nombreux que ceux qui sortirent d'Égypte : ils émigrèrent par sept chemins de ce pays devenu cruel pour eux, et Israël devint extrêmement malheureux »[27].
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27
+ À la fin du règne de Louis VII, le comte Philippe de Flandre avait proposé au vieux roi sa nièce Ide, fille de son frère Mathieu, comte de Boulogne. Pour renforcer son influence, il négocie au début de 1180 le mariage de sa nièce Isabelle, fille de sa sœur Marguerite et de Baudouin, comte de Hainaut. Le parti flamand, rival du parti champenois, espérait ainsi disposer d'un membre influent à la cour, tout comme l'avait fait le parti champenois, son rival, avec Adèle de Champagne dans les dernières années du règne de Louis VII[28].
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29
+ Le 28 avril 1180, Isabelle de Hainaut épouse donc Philippe, le mariage religieux est célébré par les évêques Henri de Senlis et Roger de Laon[29] en l'église de l'abbaye Saint-Nicolas d'Arrouaise, dédiée à la Sainte-Trinité[30]. Les cérémonies sont célébrées au château de Bapaume[31] à proximité du territoire flamand.
30
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31
+ Le lieu du mariage avait été tenu secret par Philippe II de France car sa mère Adèle de Champagne, ses frères et tout le parti champenois étaient contre cette alliance mais Philippe II Auguste tenait à cette union et décida de choisir un lieu en dehors des terres champenoises. Ce désaccord valut à Isabelle de Hainaut un ressentiment profond de la part d'Adèle de Champagne[32].
32
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33
+ Dès 1181, le conflit avec les barons est ranimé, mené par le comte de Flandre, Philippe d'Alsace, avec lequel Philippe s'est brouillé. Il parvient toutefois à contrer les ambitions du comte en brisant les alliances que ce dernier a nouées avec le landgrave de Brabant, Godefroy de Louvain, et l'archevêque de Cologne, Philippe de Heinsberg[33]. En juillet 1185, le traité de Boves confirme au roi la possession du Vermandois, de l'Artois et de l'Amiénois[34].
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+ Les Plantagenêt sont l'autre préoccupation majeure de Philippe Auguste. Les possessions d'Henri II d'Angleterre, également comte d'Anjou, comprennent la Normandie, le Vexin, et la vaste Aquitaine. De plus, par le mariage de Geoffroy, fils de Henri II, les Plantagenêt gouvernent aussi la Bretagne. Après deux ans de combats (1186-1188), la situation reste indécise. Philippe cherche habilement à profiter des rivalités entre les fils du roi d'Angleterre, Richard, avec lequel il se lie d'amitié, et son cadet Jean sans Terre. Une paix de statu quo est finalement négociée, alors que le pape Grégoire VIII, après la prise de Jérusalem par Saladin en 1187, appelle à la croisade. Philippe Auguste est peu motivé par une telle aventure mais ne peut opposer un refus au pape. Il prend la croix et invoque les dangers qui menacent son royaume pour surseoir. La mort d'Henri II en juillet 1189 clôt cet épisode. Le roi ne peut plus se dédire, il se prépare au départ en Terre sainte.
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+ En 1183, Philippe Auguste, pressé d'avoir un héritier et brouillé avec Philippe d'Alsace et Baudouin V de Hainaut songe à se séparer d'Isabelle.
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+ En mars 1184, la répudiation est décidée. Une assemblée de prélats et de seigneurs réunie à Senlis va se prononcer, quand Isabelle, raconte le chroniqueur Gilbert de Mons[35], pieds nus et habillée en pénitente, fait à pied le tour des églises de la ville et implore Dieu devant le peuple qui l'aimait pour son grand cœur. Celui-ci prend fait et cause pour elle, et Philippe Auguste recule et la garde auprès de lui[36].
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+ Philippe Auguste et Richard partent ensemble pour la troisième croisade, qui mobilise également la plupart des grands barons de France. Ils embarquent à la fin de l'été 1190, Philippe de Gênes et Richard de Marseille. Mais ils sont surpris par les tempêtes d'hiver en Méditerranée et doivent attendre plusieurs mois en Sicile, à Messine. Là, la rivalité entre les deux rois se ranime autour des projets de mariage de Richard, qui rompt ses fiançailles avec Adélaïde (demi-sœur de Philippe) et s'engage avec Bérengère de Navarre[37]. Philippe Auguste quitte Messine dès qu'il le peut, le 30 mars 1191.
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+ Il arrive à Acre le 20 avril 1191 et participe au siège de la cité, contrôlée par les musulmans. Richard n'arrive qu'en juin, après un détour par Chypre : les renforts anglais sont les bienvenus mais les querelles reprennent immédiatement entre les deux rois. Pour aggraver la situation, ils sont tous deux victimes de maladie[c], causant notamment une forte fièvre, ils perdent cheveux et ongles. Philippe Auguste perd également l'usage d'un œil. Les opérations militaires avancent toutefois : les Français percent une première fois les murs d'Acre le 3 juillet, sans succès ; puis ce sont les Anglais qui échouent. Affaiblis, les assiégés capitulent le 12 juillet 1191.
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+ La croisade ne fait que commencer, pourtant Philippe décide de prendre le chemin du retour. La mort du comte de Flandre survenue le 1er juin lors du siège de Saint-Jean-d'Acre rouvre le dossier sensible de la succession flamande[44]. Le fait qu'il n'ait qu'un seul héritier l'invite par ailleurs à la prudence. C'est dans un état de santé délabré et très atteint physiquement que Philippe passe par Rome pour obtenir du pape l'autorisation de quitter la croisade. Le roi rentre à Paris le 27 décembre 1191.
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+ Il s'agit là de la première préoccupation de Philippe à son retour de croisade. La mort du comte de Flandre, sans descendance, suscite les convoitises de trois prétendants : Baudouin, comte de Hainaut, Éléonore de Vermandois, comtesse de Beaumont, et Philippe Auguste lui-même.
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+ Au terme de tractations, Baudouin est désigné comme héritier du comté de Flandre après paiement de cinq mille marcs d'argent[45]. Cependant, Philippe Auguste confirme par une charte de 1192 le Valois et le Vermandois à Éléonore, qui doivent revenir au roi après la mort de celle-ci. Enfin, le roi reçoit Péronne et l'Artois, au nom de son fils Louis, comme héritage de la reine Isabelle de Hainaut morte en 1190[46]. Les positions royales au nord sont donc considérablement renforcées.
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+ Après la disparition de la reine Isabelle, Philippe Auguste sait qu'il doit se remarier au plus vite. La succession dynastique n'est en effet pas assurée : son seul fils, Louis, n'a que quatre ans et vient de survivre à une grave maladie. Le choix d'Ingeburge de Danemark s'organise autour de la nécessité pour le roi Philippe de mettre un empêchement aux ambitions des souverains britanniques (essayant par là de réveiller les vieilles rivalités entre Danois et Anglais, en vain), une politique française menée depuis bientôt un siècle par ses prédécesseurs.
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+ Sœur du roi Knut VI, âgée de dix-huit ans, Ingeburge n'est qu'une des nombreuses épouses possibles pour Philippe. Pourtant cette union avec la maison royale danoise lui permettrait de fragiliser la dynastie anglo-normande. En effet, Ingeburge descend par les femmes du roi Harold II mort à la bataille d'Hastings contre Guillaume de Normandie, futur roi d'Angleterre et fondateur de la dynastie anglo-normande. Philippe II pense avoir trouvé un moyen de pression avec l'antériorité des droits de sa future épouse Ingeburge, droits qu'il aurait envisagé de faire valoir par la force et avec le concours des princes danois.
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+ Un accord est conclu sur une dot de dix mille marcs d'argent dont une large partie est versée le jour du mariage par les plénipotentiaires danois présents à la cérémonie, la princesse est amenée en France, Philippe la rencontre à Amiens le 14 août 1193 et l'épouse le jour même[47]. Le lendemain, Philippe fait écourter la cérémonie du couronnement de la reine et expédie Ingeburge au monastère de Saint-Maur-des-Fossés. Le roi annonce qu'il souhaite faire annuler le mariage[48].
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+ Les raisons de cette séparation précipitée, suivie pour Ingeburge de sept ans de captivité[d] et, pour Philippe, du refus absolu de reconnaître sa place de reine, sont restées inconnues et ont donné lieu à toutes les spéculations possibles de la part des contemporains comme des historiens.
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+ Les sources britanniques prétendent que le roi Philippe avait conçu un dégoût immédiat pour son épouse, ce qui est contredit par le fait qu'il se soumettra plus tard et à de nombreuses reprises à ses obligations d'époux, même lorsqu'il le nia pour n'avoir pas à reprendre Ingeburge à ses côtés en qualité de reine de France.
60
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61
+ Les historiens français ont pensé que les Danois avaient pour leur part rejeté tout projet d'envahir l'Angleterre, ce qui rendait le mariage de Philippe II subitement inintéressant pour lui, car d'une part il n'obtenait plus le concours des Danois pour envahir l'Angleterre et en plus il devait rendre la dot de son épouse ce qui était au moins une aussi grande torture pour un roi qui comptait la moindre rentrée d'argent.
62
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+ C'est pourquoi la version selon laquelle le roi Philippe aurait été mal remis de la maladie qu'il avait contractée à la croisade ne peut être totalement écartée[50].
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+ Toujours est-il que pour défendre l'annulation du mariage, Philippe souhaite faire valoir, comme il l'avait fait avec Isabelle de Hainaut dont il avait également souhaité se séparer avant de reculer devant la pression populaire, un lien de parenté prohibé par l'Église.
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67
+ Ingeburge ne pourra faire appel à un soutien populaire, puisqu'elle ne parle pas un mot de français ; elle est tout juste capable de s'exprimer dans un latin assez rudimentaire. Une assemblée d'évêques et de barons donne aisément raison au roi, qui se remarie à la hâte avec Agnès de Méranie, jeune noble bavaroise, dès juin 1196.
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+ Mais le nouveau pape Innocent III, élu en 1198, ne l'entend pas de cette oreille. Souhaitant affirmer son autorité, il enjoint à Philippe Auguste de renvoyer Agnès et de rendre sa place à Ingeburge. En l'absence de réaction du roi, l'interdit est lancé sur le royaume à partir du 13 janvier 1200 et le pape excommunie Philippe Auguste[51]. Philippe laisse toutefois la cause en suspens, Ingeburge reste captive, désormais dans la tour d'Étampes. Le roi organise finalement une cérémonie de réconciliation, et l'interdit est levé par le légat pontifical Octavien lors du concile de Nesle en Vermandois le 7 septembre 1200[52]. Mais la cérémonie ne rend pas tout à fait sa place à Ingeburge, et la procédure d'annulation du mariage se poursuit, Philippe étant désormais bigame. Le concile de Soissons qui se réunit en mars 1201 se conclut cependant par l'échec de Philippe Auguste, qui abrège lui-même les débats et renonce à faire casser le mariage. Finalement, en juillet 1201, Agnès de Méranie meurt à Poissy en donnant à Philippe un deuxième héritier mâle, Philippe (après avoir donné naissance à une fille, Marie, en 1198), reconnu comme tel par le pape en novembre 1201. La crise est momentanément close et la succession dynastique est assurée.
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+ Philippe reprend la procédure d'annulation du mariage en 1205, cette fois sur motif de non-consommation dans le temps, un motif rejeté par l'Église catholique puisque Ingeburge put attester des visites régulières de son époux dans les lieux où il la retient captive.
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+ Il est probable que son opiniâtreté à obtenir la séparation tienne à la naissance en 1205 de son troisième fils, Pierre Charlot, qui resta de ce fait illégitime et dont l'éducation fut confiée en 1212 à l'Église catholique probablement après la mort de sa mère, la « dame d'Arras ».
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+ Constatant définitivement que ces projets débouchent sur une impasse gênante, le roi met fin brutalement aux négociations de rupture en 1212 (comme en 1201) et, résigné, rend sa place, sinon d'épouse, du moins de reine en titre, à la malheureuse Ingeburge.
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+ Richard Cœur de Lion poursuit la croisade après le départ de Philippe : il reprend les principaux ports palestiniens, jusqu'à Jaffa, et rétablit le royaume latin de Jérusalem, bien que la ville proprement dite lui échappe. Il négocie finalement une trêve de cinq ans avec Saladin et rembarque au mois d'octobre 1192. Les tempêtes d'hiver le surprennent de nouveau : échoué à Corfou, il est capturé par le duc d'Autriche Léopold V, qui le remet entre les mains de l'empereur germanique Henri VI, son ennemi. Pour la libération de Richard, l'empereur demande une rançon de cent mille marcs d'argent, plus cinquante mille marcs pour l'aider à conquérir la Sicile[53].
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+ Philippe profite de la situation pour négocier avec Jean sans Terre, le frère cadet de Richard, qui a pris le contrôle du royaume anglo-normand. Espérant récupérer la couronne anglaise grâce au soutien de Philippe, il prête hommage en 1193. Puis, alors que Philippe Auguste attaque les possessions des Plantagenêt, Jean cède au roi de France l'Est de la Normandie (le Vexin normand), Le Vaudreuil, Verneuil et Évreux, moyennant mille marcs d'argent, par un accord écrit, en janvier 1194. Par sa finesse diplomatique et militaire, Philippe tient son rival en respect.
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+ Richard est finalement libéré le 2 février 1194. Sa mère, Aliénor d'Aquitaine, a payé les deux tiers de la rançon demandée, soit cent mille marcs d'argent, le solde devant être versé plus tard[53]. Conscient de la valeur de son adversaire, Philippe Auguste aurait écrit à Jean sans Terre : « Prenez garde à vous maintenant, le diable est lâché »[54]. La riposte de Richard est immédiate : après deux mois passés en Angleterre, il débarque en Normandie le 12 mai 1194 ; s'engage alors une guerre d'escarmouches. Le 10 mai, Philippe met le siège devant Verneuil, qui refuse de se soumettre. Quand lui parvient l'annonce du massacre de la garnison française d'Évreux, que Jean, réconcilié avec son frère, vient de lui livrer, il abandonne le siège, le 28 mai, et pousse vers Évreux, qu'il détruit. De son côté, Richard reprend Loches après huit jours de siège, le 14 juin. Puis, le 5 juillet, Philippe s'apprêtant à mettre le siège devant le château de Vendôme, Richard lui dresse un guet-apens près de Fréteval, au cours duquel il s'empare des bagages de Philippe, du sceau royal et de son chartrier (événement à l'origine de la création de la garde des archives royales, appelées Trésor des Chartes).
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+ Les deux souverains conviennent d'une trêve le 23 juillet 1194, mais celle-ci n'est pas respectée. En 1195, la guerre se déplace en Berry, où les deux armées se rencontrent, près d'Issoudun. Alors que l'on s'apprête au combat, Richard va trouver Philippe et lui prête hommage pour le duché de Normandie et les comtés d'Anjou et de Poitiers. Un traité de paix est signé à Gaillon le 15 janvier 1196 : Richard cède Gisors et le Vexin normand à Philippe, qui lui abandonne les différentes conquêtes qu'il a faites en Normandie et ses prétentions sur le Berry et l'Auvergne.
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+ Ayant perdu sa principale place forte avec Gisors, Richard entame la construction de Château-Gaillard, ce qui rallume la guerre. Richard prend et détruit le château de Vierzon, dans le Berry, et se fait livrer à prix d'argent le château de Nonancourt. De son côté, Philippe s'empare, à l'automne 1196, des châteaux de Dangu et d'Aumale, et reprend Nonancourt. Richard envahit le Vexin (1197-1198), ravageant les bords de Seine au-dessous de Paris. Philippe est battu en septembre 1198 entre Gamaches et Vernon. Le 26 septembre 1198, Richard s'empare des châteaux de Boury et de Courcelles, puis bat près de Gisors les troupes de Philippe, venu au secours de ces places fortes[55],[56]. Philippe manque de se faire tuer pendant la bataille. Chargeant à la tête de ses troupes, il aurait déclaré : « Je ne fuirai pas devant mon vassal »[57].
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+ Les deux rois cherchent des soutiens, tandis que le nouveau pape Innocent III[58], qui souhaite mettre sur pied une nouvelle croisade, les pousse à négocier. Le 13 janvier 1199, entre Les Andelys et Vernon, ils conviennent en présence du légat d'une trêve de cinq ans, d'ailleurs mal respectée[59]. La situation se règle brusquement : lors du siège du donjon du château de Châlus-Chabrol (Limousin) le 26 mars 1199, Richard est frappé par un carreau d'arbalète. Il succombe à sa blessure quelques jours plus tard, le 6 avril, à quarante-et-un ans et au faîte de sa gloire.
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+ La succession de Richard Cœur de Lion ne va pas de soi : face à Jean sans Terre le jeune Arthur de Bretagne (âgé de douze ans), fils de son frère aîné Geoffroy II de Bretagne mort en 1186, est un prétendant sérieux. Philippe Auguste profite de cette rivalité et, comme il avait pris position pour Jean contre Richard, il prend cette fois position pour Arthur contre Jean. Il reçoit l'hommage du duc Arthur Ier de Bretagne pour les possessions françaises des Plantagenêt au printemps 1199[60]. Ceci lui permet de négocier en position de force avec Jean sans Terre, et le traité du Goulet, en mai 1200, est favorable à Philippe Auguste. Le traité est scellé par le mariage entre Louis de France et Blanche de Castille, nièce de Jean.
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+ Les hostilités ne cessent pas vraiment, et se concentrent désormais en Aquitaine. Philippe se rapproche donc d'une part d'Arthur, et convoque Jean, son vassal au titre du traité du Goulet, pour ses actions en Aquitaine et à Tours. Jean ne se présente naturellement pas et la cour de France prononce la confiscation de ses fiefs.
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+ La suite se joue sur le terrain militaire. Philippe part dès le printemps 1202 à l'assaut de la Normandie tandis qu'Arthur s'attaque au Poitou. Mais le jeune duc est surpris par Jean sans Terre lors du siège de Mirebeau, et fait prisonnier avec ses troupes. Arthur de Bretagne disparaît dans les mois qui suivent, probablement assassiné début 1203. Philippe s'assure alors le soutien des vassaux d'Arthur et reprend son action en Normandie au printemps 1203. Il démantèle le système des châteaux normands, prend Le Vaudreuil, et entame le siège de Château-Gaillard en septembre 1203. De son côté, Jean fait l'erreur de quitter la Normandie pour rentrer en Angleterre, en décembre 1203. Château-Gaillard tombe le 6 mars 1204.
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+ Philippe Auguste peut alors envahir l'ensemble de la Normandie : Falaise, Caen, Bayeux, puis Rouen qui capitule et dont le capitaine et gouverneur Pierre de Préaux signe l'acte de capitulation, après 40 jours de siège, le 24 juin 1204 en constatant que le secours de Jean n'arrive pas. Verneuil et Arques tombent immédiatement après et parachèvent le succès de Philippe, qui vient de prendre toute la Normandie en deux ans de campagne. Philippe se tourne alors vers la vallée de la Loire, il prend d'abord Poitiers en août 1204, puis Loches et Chinon en 1205. Jean et Philippe conviennent finalement d'une trêve à Thouars, à compter du 13 octobre 1206. Pour Philippe Auguste, l'objectif est désormais de stabiliser ces conquêtes rapides.
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+ Toute la période qui s'étale de 1206 à 1212 voit Philippe Auguste s'efforcer de consolider ses conquêtes territoriales. Le cas est particulièrement violent en Auvergne. Depuis les années 1190 les conflits entre le roi de France et le comte Guy II d'Auvergne sont récurrents. Le comte se déclare tantôt vassal des Plantagenêt tantôt indépendant et à la suite de la prise de l'abbaye royale de Mozac par les troupes du comte d'Auvergne, Philippe-Auguste saisit l'opportunité et lance son armée à la conquête de l'Auvergne. La guerre dure entre deux et trois ans selon les sources mais se termine après le siège de Tournoël en décembre 1213[61],[62].
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+ La domination capétienne est acceptée en Champagne, en Bretagne mais l'Auvergne, le comté de Boulogne et la Flandre posent problème. À la suite de la conquête de 1213, la population auvergnate prend mal cette annexion et de nombreux scribes auvergnats partisans du comte Guy II d'Auvergne vont réaliser des sirventès vengeurs. Parmi ces pamphlets contre le roi de France et ses vassaux ayant mené la guerre contre Guy se retrouvent ceux du XIIIe siècle cités dans le roman de Flamenca[63].
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+ Renaud de Dammartin, comte de Boulogne, est une première source de préoccupation. Malgré les attentions de Philippe Auguste, qui marie notamment en 1210 son fils Philippe Hurepel à Mathilde, fille de Renaud, ce dernier négocie avec le camp ennemi, et les soupçons de Philippe prennent corps lorsque le comte entreprend de fortifier Mortain, en Normandie occidentale. En 1211, Philippe passe à l'offensive, il prend Mortain, Aumale et Dammartin. Renaud de Dammartin s'enfuit auprès du comte de Bar-le-Duc et ne constitue plus un danger immédiat.
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+ En Flandre s'ouvre une période d'incertitude : Baudouin, comte de Flandre et de Hainaut, prend part à la quatrième croisade à partir de l'été 1202, participe à la prise de Constantinople et est élu empereur du nouvel empire latin fondé en mai 1204. Mais il est fait prisonnier par les Bulgares en 1205 et tué peu après. Philippe, frère de Baudouin et comte de Namur, qui assure la régence en Flandre, jure finalement fidélité à Philippe Auguste, contre l'avis de ses conseillers. Le roi, pour stabiliser le comté, marie la seule héritière de Baudouin, sa fille Jeanne, à Ferrand de Portugal, en 1211. Philippe pense pouvoir compter sur son nouveau vassal[réf. nécessaire].
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+ Enfin, les affaires germaniques constituent un autre enjeu majeur. Après la mort de l'empereur Hohenstaufen, Henri VI, en 1197, un nouvel empereur doit en effet être désigné par le pape Innocent III. Deux candidats sont déclarés : d'une part, Otton de Brunswick, soutenu par son oncle Jean sans Terre et favori du pape Innocent III et, d'autre part, Philippe de Souabe, frère d'Henri VI, soutenu par Philippe Auguste et couronné roi de Germanie en 1205. Ce dernier est toutefois assassiné en juin 1208 : désormais sans rival, Otton est couronné empereur en octobre 1209. Innocent III regrette d'ailleurs vite son choix puisque le nouvel empereur exprime bientôt ses ambitions italiennes. Otton est excommunié en 1210, et Philippe Auguste négocie avec Frédéric II du Saint-Empire, le fils d'Henri VI, couronné roi de Germanie à Mayence en 1212 par Siegfried II von Eppstein, évêque de Mayence, un allié que Philippe Auguste espère bien opposer à l'ambition d'Otton.
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+ L'incroyable réussite de Philippe Auguste amène bientôt ses rivaux à s'unir. L'opposition se cristallise en 1214 : on y compte naturellement Jean sans Terre et Otton de Brunswick. Renaud de Dammartin est le véritable artisan de la coalition : lui qui n'a plus rien à perdre se rend à Francfort pour trouver l'appui d'Otton, puis en Angleterre où il fait hommage à Jean, qui le rétablit officiellement dans ses possessions anglaises. Les hostilités entre Philippe et Jean reprennent immédiatement[64].
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+ À la même époque, les premières opérations de la croisade contre les albigeois, menée par des barons, voient se quereller le comte de Toulouse et les croisés. Philippe Auguste remet cette question à plus tard et se concentre sur le danger anglais. Il réunit ses barons à Soissons le 8 avril 1213, charge son fils Louis de conduire l'expédition contre l'Angleterre[65] et obtient le soutien de tous ses vassaux, sauf un : Ferrand, le comte de Flandre qu'il a lui-même installé deux ans plus tôt. Philippe cherche alors de nouveaux soutiens, notamment auprès de Henri de Brabant. Après une période d'hésitation, le pape Innocent III choisit par contre de soutenir Jean, un soutien moral mais non négligeable. Les préparatifs du conflit se prolongent : le projet initial de Philippe, qui souhaite envahir l'Angleterre, prend l'eau lorsque sa flotte est assaillie et en partie détruite par la coalition ennemie à Damme, en mai 1213[66]. Les mois suivants voient Philippe et Louis s'acharner contre les comtés de Boulogne et de Flandre. Les villes du Nord sont presque toutes ravagées.
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+ En février 1214, Jean sans Terre débarque enfin sur le continent, à La Rochelle, espérant prendre Philippe à revers[67]. Une stratégie qui fonctionne d'abord, puisque Jean gagne des partisans parmi les barons du Limousin et dans le Poitou. En mai 1214, il remonte jusqu'à la vallée de la Loire et prend Angers. Philippe, toujours engagé en Flandre, confie alors à Louis la riposte contre Jean. Le jeune prince se tourne immédiatement vers la forteresse de La Roche-aux-Moines[68]. À son approche, Jean est pris de panique : le soutien des barons poitevins vacille, tandis qu'on annonce que Louis est accompagné de 800 chevaliers. Le roi d'Angleterre fuit le 2 juillet, la déroute anglaise est totale. Mais la coalition n'a pas encore perdu : c'est au nord que tout doit se jouer.
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+ L'affrontement final entre les armées de Philippe et la coalition, conduite par Otton, est désormais inévitable, après plusieurs semaines d'approche et d'évitement. Philippe entend couper ses ennemis des renforts en provenance d'Allemagne et tente de surprendre Otton par le nord-est. L'empereur a vent de la manœuvre et se déplace à Mortagne, à quelques lieues de l'armée royale. Philippe Auguste est conscient de son infériorité numérique, une partie importante de son armée se bat près d'Angers contre les Anglais. Et vient d'ailleurs de remporter, le 2 juillet, la victoire de La Roche aux Moines, avec le fils du roi, Louis VIII Le Lion, à sa tête. Philippe, ayant observé le terrain lors de son avancée, fait mine de se replier sur Lille. Otton pense qu'il veut éviter la bataille, et ses armées coalisées pensent que l'ennemi fuit. L'armée française se dirige vers le pont sur la Marque, à Bouvines, le dimanche 27 juillet 1214, — pont que l'intendance franchit. Un dimanche, l'interdiction de combattre est absolue pour les chrétiens, mais Otton IV, excommunié en 1210, décide de passer à l'offensive, espérant surprendre l'ennemi sur ses arrières. Arrivée proche d'un étang sur sa droite et d'un bois sur sa gauche, un véritable entonnoir, l'armée française, après une pause, se retourne brusquement. Étang à gauche et bois à droite. On ne peut se battre ni dans l'un, ni dans l'autre. Elle se déploie en ligne, et sur cette ligne, l'infériorité numérique est effacée. Une perfection tactique. L'armée d'Otton, en effet, n'a plus l'espace nécessaire pour déployer ses effectifs, d'où un effet de surnombre. Entravée dans ses manœuvres, devenue bien trop nombreuse pour ne pas être obligée de se gêner puis de se piétiner, elle subit le retournement. L'aile droite française s'engage contre les chevaliers flamands, conduits par Ferrand. Puis, au centre, Philippe et Otton se font face. Dans la mêlée de cavalerie, Philippe est désarçonné, il chute, mais ses chevaliers le protègent, lui offrent un cheval frais, et le roi reprend l'assaut. Ceux des gens d'armes d'Otton qui ne voient pas et ne comprennent pas ce qui se passe en première ligne commencent à voir des fuyards se débander. Otton est sur le point d'être capturé, il s'enfuit sous un déguisement. Enfin, sur l'aile gauche, les partisans de Philippe viennent à bout de Renaud de Dammartin, capturé après une longue résistance. Le sort vient de basculer en faveur de Philippe, malgré l'infériorité numérique de ses troupes (1 300 chevaliers et 4 000 à 6 000 sergents à pieds, contre 1 300 à 1 500 chevaliers et 7 500 sergents à pieds pour la coalition[69]). La victoire est totale : l'empereur est en fuite, les hommes de Philippe ont fait cent trente prisonniers, dont cinq comtes, notamment le traître honni, Renaud de Dammartin, et le comte de Flandre, Ferrand.
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+ La coalition est dissoute dans la défaite. Le 18 septembre 1214, à Chinon[70], Philippe signe une trêve de statu quo pour cinq ans avec Jean qui continue de harceler ses positions au sud. Le roi anglais retourne en Angleterre en 1214, contraint par le pape Innocent III d'accepter le traité qui consacrait la perte de ses possessions au nord de la Loire. Par ce traité de Chinon, Jean sans Terre abandonne toutes ses possessions au nord de la Loire : le Berry et la Touraine, avec le Maine et l'Anjou, retournaient dans le domaine royal qui couvre désormais le tiers de la France, et, singulièrement agrandi, se trouve libéré de toutes les menaces. Il dut en outre payer 60 000 livres à Philippe. Il ne conservait que le Duché d'Aquitaine.
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+ La victoire est totale sur le continent, et les ambitions royales ne s'arrêtent pas là. En effet, Philippe Auguste souhaite aller plus loin contre Jean d'Angleterre. Il fait ainsi valoir que Jean doit être privé du trône, rappelant sa trahison envers Richard en 1194, et le meurtre de son neveu Arthur. Faisant valoir une interprétation de la généalogie de son épouse Blanche de Castille, mais surtout parce que les barons, voulant écarter Jean sans Terre, lui avaient proposé la couronne, le fils de Philippe, Louis, conduit une expédition en Angleterre[71]. Le débarquement a lieu en mai 1216, et Louis, à la tête de troupes nombreuses (1 200 chevaliers, plus de nombreux rebelles anglais[72]), conquiert le royaume anglais, notamment Londres où il s'installe. Seuls Windsor, Lincoln et Douvres résistent. Mais malgré l'accueil chaleureux réservé à Louis par une majorité d'évêques anglais, le soutien du pape à Jean demeure ferme, et Louis est excommunié. Finalement, Jean meurt subitement d'une grave indigestion, le 19 octobre 1216. Les barons anglais — anciens alliés de Jean ou de Louis — font alors couronner Henri III, âgé de neuf ans. Innocent III vient aussi de mourir, mais son successeur Honorius III continue de défendre les loyalistes. Les évêques retirent bientôt leur soutien à Louis et les rebelles s'assagissent. Le prince revient chercher des appuis en France début 1217 et retourne en Angleterre. Il est battu sur terre par Guillaume le Maréchal à Lincoln, puis sur mer lorsque les renforts que lui envoie Blanche de Castille sont anéantis à la bataille des Cinq-Ports[73]. Louis accepte de négocier la paix, celle-ci est conclue en septembre 1217 et son excommunication est levée.
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+ L'attitude de Philippe Auguste quant à cette expédition est ambiguë. En tout cas, le roi ne la soutient pas officiellement. Blanche de Castille le convainc de payer pour lever une armée de secours, en menaçant de mettre ses deux fils en gage. Mais il est peu vraisemblable d'imaginer qu'il n'ait pas donné son assentiment à celle-ci, du moins à titre privé[74].
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+ Déclenchée en 1208, la croisade contre les Albigeois a tourné à l'affrontement entre Simon IV de Montfort, qui conduit la croisade composée de barons du Nord, et Raymond VI, comte de Toulouse, qui soutient secrètement les hérétiques. Par ailleurs, Pierre II d'Aragon a des vues sur la région et encourage le camp du comte de Toulouse avant d'être lui-même défait et tué par Simon de Montfort à la bataille de Muret, en 1213[75].
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+ Après la bataille de La Roche-aux-Moines, Louis part une première fois pour le Midi en avril 1215, et aide Simon de Montfort à consolider ses positions. Celui-ci devient finalement comte de Toulouse, avec l'accord du pape Honorius III et de Philippe Auguste, à qui il prête hommage. Mais la ville de Toulouse résiste, son siège dure, et Simon y meurt en avril 1218. Le pape désigne son fils Amaury de Montfort comme successeur et enjoint à Philippe Auguste d'envoyer une nouvelle expédition. Louis part en mai 1219, rejoint Amaury au siège de Marmande, dont les habitants sont massacrés. Après quarante jours d'ost, Louis rentre sans avoir pu prendre Toulouse. Une nouvelle expédition est envoyée par Philippe en 1221, sous les ordres de l'évêque de Bourges et du comte de la Marche, sans plus de succès[réf. nécessaire].
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+ Cependant ces différentes expéditions sont de faible envergure. Malgré les appels réitérés de la papauté, Philippe se garde d'intervenir personnellement dans cette croisade intérieure ; face au pape, il rappelle surtout et avec constance ses droits de suzerain sur le Midi. Il n'autorise son fils à se croiser qu'en 1219.
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+ Après Bouvines, les opérations militaires se déroulent en Angleterre ou dans le Midi de la France. Le domaine, et plus largement l'ensemble du Nord de la Loire, reste en paix, selon les termes de la trêve conclue à Chinon en 1215, originellement pour cinq ans, et prolongée en 1220 avec la garantie de Louis, une association qui marque le début de la transition de Philippe à son fils et héritier.
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+ Si les conquêtes par les armes cessent, Philippe étend néanmoins son influence en profitant des successions problématiques. C'est le cas en Champagne lors de l'accession de Thibaut IV, qui lui permet d'asseoir sa suzeraineté. C'est le cas surtout lorsque le roi récupère des terres, comme à Issoudun, Bully, Alençon, Clermont-en-Beauvaisis et Ponthieu.
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+ La prospérité du royaume à la fin du règne de Philippe Auguste est établie. On estime l'excédent annuel du Trésor à 25 210 livres en novembre 1221. À cette date, le Trésor a dans ses caisses 157 036 livres, soit plus de 80 % du revenu annuel ordinaire global de la monarchie. Le testament de Philippe Auguste, rédigé en septembre 1222, confirme ces chiffres, puisque la somme de ses legs s'élève à 790 000 livres parisis, soit près de quatre ans de revenus[76] ! Ce testament est rédigé alors que la santé de Philippe fait craindre sa mort, qui survient dix mois plus tard.
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133
+ Alors qu'il se trouve à Pacy, Philippe décide d'assister à la réunion ecclésiastique organisée à Paris pour la préparation de nouvelles croisades, contre l'avis de ses médecins. Il ne survit pas à la fatigue du voyage et meurt le 14 juillet 1223, à Mantes. Son corps est amené à Paris, et ses funérailles sont rapidement organisées, à Saint-Denis, en présence des grands du Royaume. Pour la première fois, le corps du roi de France revêtu de tous les regalia est exposé à la vénération du peuple avant sa sépulture dans un rite solennel inspiré de celui des rois d'Angleterre[77]. C'est donc le premier souverain français dont la mort ait été mise en scène, marquant symboliquement le dernier acte de souveraineté du monarque[78].
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+ À sa mort, Philippe II laisse à son fils et successeur Louis VIII un domaine royal considérablement agrandi.
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+ Le contraste est saisissant entre l'avènement de Philippe, sous une quasi-tutelle des barons, avec un domaine qui fait de lui le roi de l'Île-de-France plus que de la France, et la fin de son règne, avec un domaine agrandi, auxquels il faut ajouter de nombreux territoires soumis par hommage de leurs possesseurs. Le rival anglais est repoussé dans une Guyenne parcellaire, très loin de Paris. Ces conquêtes sont notamment permises par le développement important de l'ost royal qui compte en 1202 : en temps de paix 3 043 hommes (257 chevaliers, 2 000 sergents à pied et 267 à cheval, 133 arbalétriers à pied et 86 à cheval, 300 mercenaires) ; en temps de guerre, ce nombre s'accroît de 8 054 sergents[79].
138
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139
+ Ces gains territoriaux font de Philippe Auguste un roi rassembleur, dont l’œuvre est continuée par Louis VIII. Il faut attendre la guerre de Cent Ans pour assister à un recul important des possessions royales françaises.
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+ Philippe sut aussi stabiliser ces conquêtes. Il parvient à raffermir le pouvoir royal dans ces nouvelles terres par de nouveaux modes d'administration du territoire, et par une politique de fortifications et de châteaux : il fait dresser leur inventaire et lance à ses frais des constructions dans le domaine et les fiefs. Les mottes castrales disparaissent, remplacées par des donjons en pierre que Philippe veut polygonaux ou cylindriques, pour une meilleure résistance aux engins de siège, et pour éviter les angles morts à la défense. De nombreuses tours sont ainsi construites. Vers la fin du règne, le plan évolue vers un donjon circulaire, surmontant une forteresse quadrangulaire avec des tours rondes à chaque coin, dont le château du Louvre est le meilleur exemple (voir infra).
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+ Le roi Philippe forme une véritable équipe dirigeante, cohérente, capable, efficace[80]. Il ne procède pas à son choix sur un coup de tête, ne revient pas sur ses décisions, possède cette qualité indispensable à un homme d’État de détecter les talents les plus utiles au royaume[81]. Il éloigne les Grands, désigne des hommes de moins haute naissance et même un fils de petits gens, précisément celui qui est monté le plus haut, Guérin (chancelier de France)[82]'[83]. Celui-ci aurait-il éclipsé Philippe Auguste ? La question ne se pose que pour la fin du règne[84]. Auparavant, et surtout pendant la dizaine d'années qui s'écoule après le retour de sa croisade, clôt le XIIe siècle et entame le suivant ; le roi commence à constituer son équipe, éprouve les qualités de ceux qu'il va décider de retenir mais conserve la fougue, l'ivresse du pouvoir et s'annonce comme le grand maître d’œuvre des profondes réformes qui donnent un nouveau visage à son royaume[85].
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+ C'est vers 1200 que commence la phase constructive et finalement triomphante du règne : avec la collaboration d'une équipe de conseillers - le chambrier Gauthier de Villebéon, le templier Frère Aymard[86]'[87], le tout dévoué Barthélemy de Roye, Gauthier II de Nemours dit (Gautier le Jeune ou Le Maréchal)[88], Henri Ier Clément dit (Le petit Maréchal) et surtout l'infatigable et omniprésent hospitalier frère Guérin -, le royaume est doté des structures administratives et financières qui lui faisaient tant défaut, tandis que l'initiative politique est constamment menée avec fermeté[89]. On ne saurait trop insister sur l’œuvre réalisée par Guérin, dont on retrouve la main partout, récompensé seulement par l'évêché de Senlis et qui n'accédera qu'après la mort du roi à la charge de chancelier, restaurée pour lui. Jouissant pourtant de sa complète confiance, il fut durant un quart de siècle, et sans titre officiel, celui que Guillaume le Breton qualifie de « conseiller spécial » du roi, celui qui, dit-il, « traitait les affaires du royaume, comme le second après le roi »[90]'[91].
146
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147
+ Pour échapper à la tendance au morcellement, qui est le défaut du système féodal, Philippe Auguste entreprend très tôt de mettre sur pied une nouvelle structure administrative lui permettant d'exercer directement son pouvoir sur le territoire. De 1190 à 1203, dans cette décennie que J.-W. Baldwin a qualifiée à juste titre de décisive, le roi Philippe procède à de grandes réformes[92]. Il organise ce système à l'occasion de son départ en croisade, par une ordonnance-testament de 1190 réglant l'organisation du pouvoir en son absence. Il promeut les baillis, création d'origine anglo-normande dont le rôle, dans les territoires français, était mal défini. Il s'inspire aussi des réformes administratives qu'Henri II d'Angleterre a introduites en 1176 (comme en Flandre, qui se dote d'un corps similaire à la même époque).
148
+
149
+ Cette réforme s'achève aux alentours de 1200, quand l'appellation baillivi devient courante dans les actes royaux. Nommés par le roi, ils sont une douzaine qui parcourent son domaine au gré des besoins, afin de rendre la justice et, surtout dans la seconde moitié du règne, d'établir une comptabilité du royaume. À la différence du système féodal, les baillis n'ont pas d'attache géographique précise (cela évolue après Philippe Auguste). Leur activité n'est pas liée à la possession de terres, ils n'exercent pas de pouvoir en propre, mais représentent le roi. Ils sont rémunérés directement par le souverain et soumis à un contrôle strict, avec obligation de rendre des comptes trois fois l'an. Baldwin[93] relève que leur salaire se situe entre dix sous et une livre, soit plus, par exemple, que les chevaliers mercenaires (dix sous) : indice à la fois de l'importance de leur statut et du prix de leur fidélité.
150
+
151
+ Les baillis sont assistés par les prévôts, autre institution au rôle flou jusqu'alors. Ceux-ci sont par contre rattachés à une zone précise, où ils jugent les affaires courantes (les baillis jugeant surtout en appel) et dressent des comptes locaux[94].
152
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153
+ Dans certaines des régions conquises pendant le règne (Anjou, Maine, Touraine, Poitou, Saintonge), Philippe Auguste confie les fonctions administratives à des sénéchaux. Mais leur titre, auparavant héréditaire, devient non transmissible à partir de 1191, pour pallier le risque de les voir prendre localement une importance rivalisant avec le pouvoir royal, comme dans le système féodal ; les sénéchaux sont aussi souvent supprimés, notamment en Normandie dès l'annexion, pour être remplacés par des baillis.
154
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155
+ Grâce à sa grande victoire de Bouvines, Philippe Auguste achève son règne dans un enthousiasme populaire important. Dans ce contexte, l'idéologie royale progresse, signe peut-être le plus manifeste de l'émergence d'un État sous le règne de Philippe.
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157
+ On a beaucoup commenté l'utilisation croissante des termes Francia et rex Franciæ (roi de France) dans les textes contemporains, ceux des chroniqueurs du XIIe siècle comme des princes étrangers et de ses propres sujets[95]. Selon Marie Thérèse Jones-Davies, la formule rex Franciæ remplace officiellement le titre de rex Francorum (roi des Francs) dès 1181, dans un acte où il est appelé Philippus Dei gratia Franciæ rex[96]. Toutefois, nous ne disposons que d'une copie du XIIIe siècle de cet acte[97]. Pour Bernard Guenée et Anne Lombard-Jourdan, on rencontre les expressions rex Franciæ à partir de 1190 et regnum Franciæ en 1205[98],[99]. Pour Alain Derville[100], c'est au début du XIIIe siècle qu'apparaît l'expression rex Franciæ[101]. D'autres progrès idéologiques sont évidents.
158
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159
+ Surtout, la fin du règne voit se développer une véritable tentative de propagande royale, à travers les chroniques officielles. Déjà, à partir de 1186, Rigord, moine de Saint-Denis rédige une chronique en latin, dans la tradition de Suger, qu'il offre à Philippe en 1196. Ces Gesta Philippi Augusti sont ensuite complétées jusqu'en 1208. Cette œuvre n'est pas une commande du roi, mais elle n'en reste pas moins une chronique quasi officielle, à la gloire de Philippe (sauf quelques critiques touchant à l'affaire du mariage). C'est d'ailleurs Rigord qui, le premier, donne à Philippe le surnom d’Augustus, en référence au mois de sa naissance et à ses premières conquêtes qui l'élèvent, pour l'auteur, au rang des empereurs romains. Rigord se fonde en fait sur une interprétation très personnelle de l'étymologie d’Augustus, qu'il rattache au verbe augeo (augmenter, enrichir), en référence à l'agrandissement et à l'enrichissement du royaume par Philippe[102].
160
+
161
+ Philippe Auguste confie par la suite à un nouveau chroniqueur la tâche d'expurger la chronique de Rigord de ses passages critiques, et de la continuer. Guillaume le Breton, clerc et proche du souverain, s'acquitte de cette tâche. Il se voit ensuite confier la rédaction d'un véritable monument à la gloire du roi, à partir de 1214 : une chronique en vers, la Philippide, dans le style du poème épique, alors très en vogue (notamment depuis l’Alexandreis de Gautier de Châtillon, épopée à la gloire d'Alexandre). Plusieurs versions de la Philippide se suivent, la dernière étant achevée en 1224, un an après la mort du roi. Dans cette œuvre unique, Philippe est désormais représenté en héros, le vainqueur de Bouvines y est célébré dans toute sa majesté. L'évolution au fil du règne est importante, bien que les deux chroniques officielles restent des témoignages très isolés dans l'ensemble de la production littéraire du règne de Philippe Auguste.
162
+
163
+ La chronique de Rigord et sa continuation par Guillaume le Breton sont ensuite traduites par Primat pour les Grandes Chroniques de France. C'est dans cette forme, plutôt que dans celle de la Philippide, que l'image de Philippe passe à la postérité.
164
+
165
+ Enfin, on peut également noter la contribution de Gilles de Paris qui, dans son Karolinus, poème à la gloire de Charlemagne écrit à l'intention du roi Louis VIII, fait descendre Philippe et Louis VIII de Charlemagne, unissant donc les dynasties carolingienne et capétienne, et faisant de lui le premier vrai représentant d'un genus royal, à la base de l'idée de transmission de la royauté par le sang qui connaît après Philippe Auguste un essor important[103].
166
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+ Contrairement à ses prédécesseurs, Philippe II n'a pas associé son fils au trône : à sa mort, le passage de la couronne à Louis VIII n'a pas fait l'objet d'un vote ni même d'une approbation de principe de la part des pairs du Royaume. On peut considérer que, d'une certaine façon, la couronne de France est devenue héréditaire ce 14 juillet[e].
168
+
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+ Le règne de Philippe Auguste est une période de vives améliorations pour Paris. Si la cour est encore itinérante[f], Paris acquiert cependant un statut particulier dont les différents travaux accomplis témoignent. Un grand pas est effectué sous Philippe dans l'invention de la capitale. Quelques faits à retenir :
170
+
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+ L'expansion de Paris ne se résume pas aux travaux menés par Philippe Auguste. C'est également sous son règne que sont créés l'hospice Sainte-Catherine (1185) et l'hôpital de la Trinité (1202). Les travaux de Notre-Dame de Paris, entamés en 1163, progressent aussi à bon rythme. En 1182, le chœur est achevé et le maître-autel est consacré le 19 mai. Puis, la façade ouest est décorée, la galerie des rois est achevée dans les années 1220, la grande rose est entamée dans la foulée, tandis que le parvis est agrandi à la même époque.
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+ L'essor de Paris est confirmé par les estimations démographiques, qui estiment que la population parisienne passe en quelques années de 25 000 habitants[Quand ?] à 50 000 vers 1200, ce qui en fait la plus grande ville d'Europe, hors l'Italie[108],[109].
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+
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+ En 1639, le bailli de Nogent-le-Rotrou écrivit sur son registre d'audience :
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+ « Le roi Philippe Auguste deffendit les jeux de hazard, juremens et bordelz, chassa les Juifs de son Royaume, institua le premier les maires et les eschevins. Il fist paver la ville de Paris, bastir les Halles et le Louvre et clore de murailles le bois de Vincennes qu'il peupla de bestes sauvages. Il fist achever le bastiment de l'église Nostre-Dame, à Paris, de laquelle il n'y mit que les fondements à fleur de terre. »
178
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+ — Archives départementales d'Eure-et-Loir-B 2600.
180
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+ Homme courageux et croyant, le roi Philippe affronte la mort avec lucidité. Quand elle s'annonce, en avait-il encore peur comme en 1191 ? Oui, si l'on en croit Payen Gastinel[110], chanoine de la Basilique Saint-Martin de Tours. Quand il ressent les premières atteintes de la maladie, il rédige au Château de Saint-Germain-en-Laye, en septembre 1222[111], un testament, le second en fait puisqu’il en avait déjà dicté un, l'Ordonnance-Testament de 1190 avant de partir outre-mer[112]'[113].
182
+
183
+ On y distingue en effet quelques remords et le roi veut réparer. Il constitue un fonds de 50 000 livres parisis (ou 25 000 marcs d'argent à 40 sous parisis le marc) destiné à la restitution de ce qu'il avait confisqué, perçu ou retenu injustement. La somme prévue est d'ailleurs fort insuffisante puisqu'en réponse aux enquêtes de janvier 1247[114], les spoliés, leurs veuves ou leurs descendants réclament beaucoup plus[115]. Philippe lègue ensuite 10 000 livres à sa « très chère épouse Ingeburge de Danemark ». Il reconnaît en 1222 qu'il aurait pu lui en attribuer davantage, mais il préfère laisser une très grosse somme d'argent afin de réparer ses abus envers ses sujets.
184
+
185
+ Afin d'apaiser ses remords au sujet de la défense des États latins d'Orient et de réduire les conséquences de l'échec de la Cinquième croisade[116] dont il était absent, il attribue à Jean de Brienne, roi de Jérusalem, aux Hospitaliers et aux Templiers 150 000 marcs d'argent, pour qu'ils équipent en permanence 300 chevaliers. Le roi n'oublie pas les pauvres, les orphelins et les lépreux. Il leur lègue 21 000 livres parisis. Enfin, avec 2 000 livres, il récompense une dernière fois ses serviteurs ; il donne 10 000 livres à son second fils, Philippe Hurepel de Clermont, qu'il a eu d'Agnès de Méranie et réserve à son fils aîné, Louis, une somme d'argent dont il ne fixe pas le montant à condition qu'il la dépense pour la protection du royaume ou pour « une pérégrination lointaine » si Dieu lui en donne l'inspiration.
186
+
187
+ Qui désigne-t-il comme exécuteurs testamentaires ? Les survivants de son équipe fidèle. Au-delà de la tombe, il fait confiance à Guérin (chancelier de France), évêque de Senlis[117], Barthélemy de Roye, chambrier, et Frère Aymard, trésorier du Temple[118]. Tenace dans ses choix et ses amitiés, il donne ainsi le dernier témoignage de son affection et de sa reconnaissance envers ceux qui l'ont aidé à construire son royaume et son pouvoir[119].
188
+
189
+ Philippe rex Francorum peut attendre la mort. Il ne s'était pas vraiment remis de l'alerte de septembre 1222 où il avait souffert des premiers frissons d'une fièvre quarte. Malgré les assaut répétés de la maladie, il n'en poursuit pas moins son travail et ses chevauchées, mais il s'affaiblit peu à peu et, le 11 juillet 1223, son état empire alors qu'il résidait dans son château de Pacy-sur-Eure. Il recommande à son fils aîné la crainte de Dieu, la défense de l'Église, la justice envers son peuple et la protection des pauvres et des petits. Le 13 juillet, un léger mieux survient et lui permet de se diriger vers Paris où, depuis le 6 juillet, se tenait l'assemblée qui, sous la présidence du cardinal-légat Conrad d'Urach, s'occupait de l'affaire albigeoise[120]. Une nouvelle et violente poussée de fièvre le contraint à s'arrêter à Mantes où il meurt, sans véritable agonie, le lendemain 14 juillet 1223, à l'âge de cinquante-huit ans[121].
190
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191
+ Philippe II mourut sur la Seine, où il naviguait pour rejoindre Mantes, la ville où était enterrée sa troisième épouse Agnès de Méranie. Il fut inhumé en la basilique Saint-Denis près de Paris[122]. Guillaume Le Breton, source assez fiable, affirme qu'« une pierre recouvrait son corps à côté de celui de Dagobert ». Le Roi aurait été enterré au sud du maître-autel. Pourtant, une chronique composée par un ecclésiastique bien informé de Saint-Martin de Tours, et qui va jusqu’aux années 1225-1227, nous dit que Philippe Auguste était enterré devant le maître-autel. Le corps du Roi aurait donc été déplacé.
192
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193
+ Lors de la réorganisation de la nécropole, sa tombe fut de fait placée au centre, avec celle de son fils Louis VIII, afin de symboliser l'union des lignées mérovingienne (à droite) et capétienne (à gauche), selon l'idée émise à l'origine par Gilles de Paris (Philippe Auguste, descendant plusieurs fois de Charlemagne, ayant épousé en la personne d'Isabelle de Hainaut une descendante directe de Charles de Basse-Lotharingie, prétendant carolingien et rival d'Hugues Capet).
194
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195
+ Le tombeau de Philippe Auguste[123] fut cité dans plusieurs chroniques mentionnant sa beauté. Richer de Senones, qui écrit entre 1254 et 1260, est très impressionné par le « tombeau en argent doré avec de nombreuses images » de Philippe Auguste. Le Ménestrel de Reims (vers 1260) décrit ainsi ce tombeau : « ombe de fin or et d’argent où il est tresgeteiz comme rois ; et sont quarante-huit evesques en quatre costeiz de la tombe, enlevei et figurei comme esvesque, revestu si comme pour chanteir messe, les mitres en chiés et les croces es mains ».
196
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197
+ Ce tombeau a été détruit, de même que ceux de Louis VIII et de Saint Louis, sous l’occupation anglaise entre 1420 et 1435. L’or et l’argent ont été fondus pour les besoins de la guerre en France menée par le roi Lancastre Henri IV et son oncle, le duc de Bedford. Après la fin de la guerre de Cent ans, il ne restait plus au sol que trois dalles marquant l’emplacement de ces somptueux sépulcres[124].
198
+
199
+ Plus généralement, la figure de Philippe II, telle que célébrée par les chroniqueurs du temps, a été en grande partie occultée par la concurrence de Saint Louis, devenu — et pour longtemps — le modèle royal par excellence dès la fin du XIIIe siècle. Il n'en reste pas moins que la victoire de Bouvines reste parmi les éléments les plus essentiels de la mythologie nationale française, grâce aux Grandes Chroniques de France ou, bien plus tard, par les manuels scolaires de la IIIe République. L'église Saint-Pierre de Bouvines, bâtie en 1882, a d'ailleurs été pourvue entre 1887 et 1906, de vingt-et-un vitraux retraçant le déroulement de la bataille, des pièces aujourd'hui classées[126].
200
+
201
+ Les autres traces du règne de Philippe Auguste ont quant à elles disparu progressivement. L'enceinte de Philippe Auguste subsiste à l'état de vestiges qui parsèment Paris, le Louvre médiéval a été dégagé et intégré au musée dans les années 1990. Enfin, toujours à Paris, une avenue et une station de métro continuent de commémorer le vainqueur de Bouvines[127].
202
+
203
+ La personnalité de Philippe II reste contrastée et énigmatique. Il n'a pas été inféodé ni soumis aux événements qu'il a pourtant souvent lui-même suscités. Il n'a jamais capitulé, et quand il a enduré du fait de ses propres erreurs, il a été capable de réparer pour le bien du Royaume[128].
204
+
205
+ Pour se libérer de la tutelle de sa mère et du clan champenois, il se marie alors qu'il est lui-même mineur avec une héritière non pubère qui lui amène dans sa corbeille une dot considérable, l'Artois. Soucieux de sa descendance, d'un tempérament très affirmé mais brouillon, il décide de se séparer d'Isabelle de Hainaut qui ne lui a pas donné d'enfant. Puis, il se ravise comprenant qu'il va commettre l'irréparable comme son père Louis VII le Jeune qui a perdu l'Aquitaine pour avoir laissé partir la duchesse Aliénor. Il se rabiboche avec sa jeune épouse et garde l'Artois, en plus d'un héritier.
206
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207
+ Philippe II poursuit un but unique : l'accroissement du Royaume et de ses possessions[129]. Il cherchera toute sa vie à récupérer l'Aquitaine et l'Anjou en jouant pour cela le ferment de la division entre Henri II et ses fils, jusqu'à l'achèvement complet de ses objectifs après Bouvines. D'autre part, il est un suzerain loyal et honnête qui n'use pas de sa puissance pour conquérir par les armes. Ainsi, il défend l'héritage artésien de son fils Louis VIII le Lion et même il cherche à accroître le Comté d'Artois en rachetant des parcelles et en désintéressant les châtelains.
208
+
209
+ Philippe II reste marqué par ce qu'il estime être une dépossession territoriale qui réduit le royaume de France au compromis permanent avec des barons plus puissants et plus riches que le roi de France[131]. À l'instar d'un bourgeois ou d'un hobereau, il fait grossir son capital en achetant des terres, contraint les serfs à payer leur affranchissement. Philippe II est l'initiateur de l'état français, pour autant le trésor du royaume est sa fortune personnelle dont il dispose à son gré. Ainsi, dans son testament il répartit la moitié du trésor à des œuvres caritatives de son choix et laisse l'autre moitié à son fils pour qu'il en dispose dans la gestion de l'État[132].
210
+
211
+ Ingeburge de Danemark fut une épine dans son talon. Il ne l'aimait pas, il chercha à s'en débarrasser le plus rapidement possible, ce fut sa plus grande erreur car elle tint bon jusqu'au bout dans ses réclamations. Par son refus du divorce, son refus d'entrer en religion, son refus de retourner au Danemark, elle l'empêcha de vivre auprès d'Agnès de Méranie dont il eut des enfants considérés comme illégitimes.
212
+
213
+ À cet égard, on peut observer qu'il se conduisit envers Ingeburge de Danemark de la même façon qu'il s'était conduit avec Isabelle de Hainaut, avec mépris et arrogance. Isabelle de Hainaut avait su lui tenir tête, elle s'était positionnée en victime n'hésitant pas à mettre le peuple de son côté. C'est sans doute ce qu'a voulu éviter Philippe II en enfermant immédiatement Ingeburge à Étampes, en ne lui laissant pas le temps d'organiser auprès du peuple sa défense. Son rôle de victime serait apparu clairement, il aurait été contraint de la reprendre près de lui comme il l'avait fait avec Isabelle de Hainaut. Or, il ne voulait plus Ingeburge pour épouse et ne voulait pas cette fois se voir contraint à reprendre une épouse dont il ne voulait plus et qui cette fois ne lui rapportait aucune terre. C'est sans doute là qu'Ingeburge a joué de malheur. Ne rapportant qu'une dot assez faible pour un roi de France, et aucune terre, elle n'avait aucun moyen de pression dont elle aurait pu user pour obliger Philippe II à la respecter.
214
+
215
+ Comme quelques historiens l'ont avancé, le rejet d'Ingeburge pourrait s'expliquer par le fait que ce mariage ne lui rapportait pas tant qu'il l'avait espéré, une alliance notamment pour battre les Plantagenêt. Il n'est pas exclu qu'il ait estimé avoir été filouté sur les termes d'un contrat non écrit entre le Danemark et la France. Toutefois, il faut observer que Valdemar II de Danemark, le frère d'Ingeburge, intercédera sans relâche auprès de la France pour faire libérer sa sœur, et ira même plaider sa cause auprès du Pape, en vain. Secundo, Valdemar II de Danemark épouse en 1214, après la bataille de Bouvines et après la libération de sa sœur Ingeburge, Bérengère de Portugal, sœur de Ferrand de Portugal qui avait rejoint la coalition contre Philippe II à Bouvines. Ce mariage est intéressant car il se conclut à un moment où Ferrand de Flandre est captif dans les geôles du Louvre[134].
216
+
217
+ Ingeburge de Danemark n'a été reine de France qu'en titre puisqu'elle n'a jamais exercé et à aucun moment, les fonctions de reine ou de régente[135]. On peut voir le mariage de son frère Valdemar avec la sœur du prisonnier Ferrand de Flandre soit comme un remerciement tacite de la France pour la neutralité du Danemark à la bataille de Bouvines, soit comme une ultime provocation de la part du souverain danois, quoi qu'il en soit la conclusion d'un long épisode de gel diplomatique.
218
+
219
+ À partir de la deuxième moitié du XIIe siècle, les mercenaires sont presque toujours présents dans les armées royales. Ils sont considérés comme les précurseurs de l'armée de métier. Philippe Auguste utilise les mercenaires après ses rivaux Plantagenêt. Mais il réussit par deux fois à retourner les troupes de routiers de ceux-ci. Aux alentours de 1194, il récupéra Lambert Cadoc, un Gallois recruté par Richard Cœur de Lion. Cadoc lui restera fidèle durant 20 ans. Ensuite, au printemps 1204, en guerre contre le roi Jean sans Terre, Philippe Auguste négocie le ralliement de Lupicaire et de sa troupe[136],[137],[138].
220
+
221
+ Naissance de Philippe Auguste (Grandes Chroniques de France, XIVe siècle).
222
+
223
+ Philippe Auguste recevant des messagers du pape l'appelant à la croisade (Grandes Chroniques de France de Charles V, XIVe siècle).
224
+
225
+ Philippe et Richard à la croisade (Guillaume de Tyr, XIVe siècle).
226
+
227
+ Couronnement de Philippe Auguste (Grandes Chroniques de France (Jean Fouquet), XVe siècle).
228
+
229
+ Philippe Auguste (Recueil des rois de France de Jean du Tillet, vers 1550).
230
+
231
+ Tristan de Léonois, XVe siècle, BnF, manuscrit Français 116, enluminure du folio 676 verso.
232
+
233
+ Roman de Renart, BnF (Mss.), fin XIIe siècle, Français 12584, folio 18v-19r.
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+ Philippe II dit « Auguste »[2], né le 21 août 1165 à Paris et mort à Mantes le 14 juillet 1223, est le septième roi (1180-1223) de la dynastie des Capétiens. Il est le fils héritier de Louis VII et d'Adèle de Champagne.
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5
+ Le surnom d'« Auguste » lui fut donné par le moine Rigord[3] après que Philippe II eut ajouté au domaine royal en juillet 1185 (traité de Boves) les seigneuries d’Artois, du Valois, d’Amiens et une bonne partie du Vermandois[4] et également parce qu'il était né au mois d'août. Référence directe aux empereurs romains, ce terme signifie qu'il a accru considérablement le domaine.
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7
+ Chapelain et biographe de Philippe II, Guillaume Le Breton le nomme « Philippe le Magnanime »[5] dans sa chronique La Philippide rédigée entre 1214 et 1224. Cette chronique est une continuation de celle de Rigord que Philippe II lui avait demandé d'expurger, la jugeant moins laudatrice qu'il le souhaitait.
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9
+ Philippe Auguste reste l'un des monarques les plus admirés et étudiés de la France médiévale, en raison non seulement de la longueur de son règne, mais aussi de ses importantes victoires militaires et des progrès essentiels accomplis pour affermir le pouvoir royal et mettre fin à l'époque féodale.
10
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+ Philippe Auguste est le premier roi ayant fait porter sur ses actes, sporadiquement à partir de 1190, officiellement à partir de 1204[6], Rex Franciæ, « roi de France », au lieu de Rex Francorum, « roi des Francs »[a]. Il faut cependant relever que les traités et conventions de paix signés entre les vassaux ou alliés et le royaume de France mentionnent sans exception Philippus rex Francorum (« Philippe, roi des Francs »), à la différence, par exemple, de Richardus rex Angliæ (« Richard, roi d'Angleterre »), mais comme Henri, roi des Romains.
12
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+ La naissance de Philippe Auguste, en 1165, est accueillie comme un miracle par la famille royale. En effet, Louis VII attend depuis près de trente ans un héritier et c'est sa troisième épouse, Adèle de Champagne, qui lui donne tardivement ce fils tant espéré. Une attente qui vaut au futur Philippe II le surnom de Dieudonné[8],[9]. Il est baptisé dès le lendemain de sa naissance dans la Chapelle Saint-Michel-du-Palais au palais de la Cité à Paris par l'évêque Maurice de Sully en présence de trois parrains[10] et trois marraines[11]'[12].
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+ Comme tous les premiers rois capétiens depuis Hugues Capet, Louis VII, accablé par la maladie, pense à associer son fils à la couronne au printemps 1179, puis à lui laisser le pouvoir le 28 juin 1180. Mais la cérémonie du sacre est retardée à la suite d'un accident de chasse du jeune prince[13] dont la vie est menacée. Jean Favier précise la nature de l'incident (et non l'accident) : le jeune Philippe s'est égaré dans la forêt et n'est retrouvé que deux jours plus tard tremblant de peur et passablement perturbé[14]. L'état de santé du prince est suffisamment grave pour que Louis VII se déplace en Angleterre, malgré sa santé déclinante, et aille se recueillir sur la tombe de Thomas Becket[15], l'archevêque de Cantorbéry mort assassiné en 1170 et devenu un saint thaumaturge[16].
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+ Complètement remis sur pied et en l'absence de son père de plus en plus souffrant, Philippe est associé à la couronne et sacré le 1er novembre 1179 à Reims par son oncle l'archevêque Guillaume aux Blanches Mains[17]. L'absence à la cérémonie de la reine Adèle ainsi que des trois autres oncles maternels, alors que les fils d'Henri II Plantagenêts y assistent et que surtout le comte de Flandre Philippe d'Alsace parraine l'adoubement, est symbolique du revirement des influences. La Maison de Blois-Champagne prépondérante à la fin du dernier règne cède le pas à la Maison de Flandre[14].
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+ Pour échapper à l’emprise de sa mère et de ses oncles maternels, Philippe II se rapproche de son parrain Philippe d'Alsace, comte de Flandre, qui lui donne sa nièce Isabelle en mariage. Le 28 avril 1180, l'évêque Roger de Laon bénit les jeunes époux en l'abbaye d'Arrouaise près de Bapaume. Le Jeudi de l'Ascension 29 mai 1180 à Saint-Denis, lors de la consécration de son épouse Isabelle de Hainaut comme reine de France, il reçoit une seconde fois l'onction sainte par l'archevêque de Sens[18], Guy Ier de Noyers, successeur de Guillaume aux Blanches Mains, au grand dam de ce dernier, qui accuse d'usurpation son pair. Isabelle, fille de Baudouin V de Hainaut lui apporte l'Artois en dot. Puis, le 28 juin 1180, trois mois avant la mort de son père, il signe le Traité de Gisors avec Henri II d'Angleterre. Ces deux événements renforcent la position du jeune roi face aux maisons de Flandre et de Champagne[19].
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+ La mort de son père survient le 18 septembre 1180 et laisse Philippe seul roi, à quinze ans. Confronté à l'affaiblissement du pouvoir royal, Philippe se révèle rapidement à la hauteur du défi.
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+ À l'intérieur du domaine, l'une de ses premières décisions est totalement contraire à la politique suivie par son père : l'expulsion des juifs et la confiscation de leurs biens[20] (17 avril 1182[21]) tranche avec la protection que Louis VII avait accordée à la communauté juive[22]. La raison officiellement donnée désigne les juifs responsables de calamités diverses, mais l'objectif réel est surtout de renflouer les caisses royales, bien mal en point en ce début de règne[23]. Ces mesures ne dureront pas : l'interdiction du territoire (d'ailleurs difficile à faire respecter) cesse en 1198, et l'attitude conciliatrice qu'avait adoptée Louis VII redevient bientôt la norme. Cependant, le pape Innocent III condamne quelques activités des juifs en France et exhorte Philippe Auguste dans la lettre Etsi non displiceat en 1205 à les sanctionner pour montrer la ferveur de sa foi chrétienne[24] (en latin : « in eorum demonstret persecutione fervorem quo fidem prosequitur Christianam »)[25].
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+ Du point de vue juif, la mesure fut ainsi perçue : « En l'année 4946, c'est-à-dire en 1186[b], il fit saisir les Juifs dans toutes les provinces de son royaume, leur ravit leur argent et leur or et les chassa de son pays. Beaucoup abjurèrent alors leur foi et recouvrèrent par là leurs fortunes et leurs biens, se mêlèrent aux chrétiens et vécurent comme eux. Les synagogues, Philippe en fit des églises pour son Dieu, et avec ce qu'il avait pris, il éleva de nombreux édifices, le palais de l'Hôtel-de-ville, le mur de la forêt de Vincennes près de Paris et les Champeaux, où se tient le marché de Paris. Les Juifs de France étaient alors deux fois plus nombreux que ceux qui sortirent d'Égypte : ils émigrèrent par sept chemins de ce pays devenu cruel pour eux, et Israël devint extrêmement malheureux »[27].
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+ À la fin du règne de Louis VII, le comte Philippe de Flandre avait proposé au vieux roi sa nièce Ide, fille de son frère Mathieu, comte de Boulogne. Pour renforcer son influence, il négocie au début de 1180 le mariage de sa nièce Isabelle, fille de sa sœur Marguerite et de Baudouin, comte de Hainaut. Le parti flamand, rival du parti champenois, espérait ainsi disposer d'un membre influent à la cour, tout comme l'avait fait le parti champenois, son rival, avec Adèle de Champagne dans les dernières années du règne de Louis VII[28].
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+ Le 28 avril 1180, Isabelle de Hainaut épouse donc Philippe, le mariage religieux est célébré par les évêques Henri de Senlis et Roger de Laon[29] en l'église de l'abbaye Saint-Nicolas d'Arrouaise, dédiée à la Sainte-Trinité[30]. Les cérémonies sont célébrées au château de Bapaume[31] à proximité du territoire flamand.
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+ Le lieu du mariage avait été tenu secret par Philippe II de France car sa mère Adèle de Champagne, ses frères et tout le parti champenois étaient contre cette alliance mais Philippe II Auguste tenait à cette union et décida de choisir un lieu en dehors des terres champenoises. Ce désaccord valut à Isabelle de Hainaut un ressentiment profond de la part d'Adèle de Champagne[32].
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+ Dès 1181, le conflit avec les barons est ranimé, mené par le comte de Flandre, Philippe d'Alsace, avec lequel Philippe s'est brouillé. Il parvient toutefois à contrer les ambitions du comte en brisant les alliances que ce dernier a nouées avec le landgrave de Brabant, Godefroy de Louvain, et l'archevêque de Cologne, Philippe de Heinsberg[33]. En juillet 1185, le traité de Boves confirme au roi la possession du Vermandois, de l'Artois et de l'Amiénois[34].
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+ Les Plantagenêt sont l'autre préoccupation majeure de Philippe Auguste. Les possessions d'Henri II d'Angleterre, également comte d'Anjou, comprennent la Normandie, le Vexin, et la vaste Aquitaine. De plus, par le mariage de Geoffroy, fils de Henri II, les Plantagenêt gouvernent aussi la Bretagne. Après deux ans de combats (1186-1188), la situation reste indécise. Philippe cherche habilement à profiter des rivalités entre les fils du roi d'Angleterre, Richard, avec lequel il se lie d'amitié, et son cadet Jean sans Terre. Une paix de statu quo est finalement négociée, alors que le pape Grégoire VIII, après la prise de Jérusalem par Saladin en 1187, appelle à la croisade. Philippe Auguste est peu motivé par une telle aventure mais ne peut opposer un refus au pape. Il prend la croix et invoque les dangers qui menacent son royaume pour surseoir. La mort d'Henri II en juillet 1189 clôt cet épisode. Le roi ne peut plus se dédire, il se prépare au départ en Terre sainte.
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+ En 1183, Philippe Auguste, pressé d'avoir un héritier et brouillé avec Philippe d'Alsace et Baudouin V de Hainaut songe à se séparer d'Isabelle.
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+ En mars 1184, la répudiation est décidée. Une assemblée de prélats et de seigneurs réunie à Senlis va se prononcer, quand Isabelle, raconte le chroniqueur Gilbert de Mons[35], pieds nus et habillée en pénitente, fait à pied le tour des églises de la ville et implore Dieu devant le peuple qui l'aimait pour son grand cœur. Celui-ci prend fait et cause pour elle, et Philippe Auguste recule et la garde auprès de lui[36].
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+ Philippe Auguste et Richard partent ensemble pour la troisième croisade, qui mobilise également la plupart des grands barons de France. Ils embarquent à la fin de l'été 1190, Philippe de Gênes et Richard de Marseille. Mais ils sont surpris par les tempêtes d'hiver en Méditerranée et doivent attendre plusieurs mois en Sicile, à Messine. Là, la rivalité entre les deux rois se ranime autour des projets de mariage de Richard, qui rompt ses fiançailles avec Adélaïde (demi-sœur de Philippe) et s'engage avec Bérengère de Navarre[37]. Philippe Auguste quitte Messine dès qu'il le peut, le 30 mars 1191.
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+ Il arrive à Acre le 20 avril 1191 et participe au siège de la cité, contrôlée par les musulmans. Richard n'arrive qu'en juin, après un détour par Chypre : les renforts anglais sont les bienvenus mais les querelles reprennent immédiatement entre les deux rois. Pour aggraver la situation, ils sont tous deux victimes de maladie[c], causant notamment une forte fièvre, ils perdent cheveux et ongles. Philippe Auguste perd également l'usage d'un œil. Les opérations militaires avancent toutefois : les Français percent une première fois les murs d'Acre le 3 juillet, sans succès ; puis ce sont les Anglais qui échouent. Affaiblis, les assiégés capitulent le 12 juillet 1191.
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+ La croisade ne fait que commencer, pourtant Philippe décide de prendre le chemin du retour. La mort du comte de Flandre survenue le 1er juin lors du siège de Saint-Jean-d'Acre rouvre le dossier sensible de la succession flamande[44]. Le fait qu'il n'ait qu'un seul héritier l'invite par ailleurs à la prudence. C'est dans un état de santé délabré et très atteint physiquement que Philippe passe par Rome pour obtenir du pape l'autorisation de quitter la croisade. Le roi rentre à Paris le 27 décembre 1191.
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+ Il s'agit là de la première préoccupation de Philippe à son retour de croisade. La mort du comte de Flandre, sans descendance, suscite les convoitises de trois prétendants : Baudouin, comte de Hainaut, Éléonore de Vermandois, comtesse de Beaumont, et Philippe Auguste lui-même.
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+ Au terme de tractations, Baudouin est désigné comme héritier du comté de Flandre après paiement de cinq mille marcs d'argent[45]. Cependant, Philippe Auguste confirme par une charte de 1192 le Valois et le Vermandois à Éléonore, qui doivent revenir au roi après la mort de celle-ci. Enfin, le roi reçoit Péronne et l'Artois, au nom de son fils Louis, comme héritage de la reine Isabelle de Hainaut morte en 1190[46]. Les positions royales au nord sont donc considérablement renforcées.
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+ Après la disparition de la reine Isabelle, Philippe Auguste sait qu'il doit se remarier au plus vite. La succession dynastique n'est en effet pas assurée : son seul fils, Louis, n'a que quatre ans et vient de survivre à une grave maladie. Le choix d'Ingeburge de Danemark s'organise autour de la nécessité pour le roi Philippe de mettre un empêchement aux ambitions des souverains britanniques (essayant par là de réveiller les vieilles rivalités entre Danois et Anglais, en vain), une politique française menée depuis bientôt un siècle par ses prédécesseurs.
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+ Sœur du roi Knut VI, âgée de dix-huit ans, Ingeburge n'est qu'une des nombreuses épouses possibles pour Philippe. Pourtant cette union avec la maison royale danoise lui permettrait de fragiliser la dynastie anglo-normande. En effet, Ingeburge descend par les femmes du roi Harold II mort à la bataille d'Hastings contre Guillaume de Normandie, futur roi d'Angleterre et fondateur de la dynastie anglo-normande. Philippe II pense avoir trouvé un moyen de pression avec l'antériorité des droits de sa future épouse Ingeburge, droits qu'il aurait envisagé de faire valoir par la force et avec le concours des princes danois.
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+ Un accord est conclu sur une dot de dix mille marcs d'argent dont une large partie est versée le jour du mariage par les plénipotentiaires danois présents à la cérémonie, la princesse est amenée en France, Philippe la rencontre à Amiens le 14 août 1193 et l'épouse le jour même[47]. Le lendemain, Philippe fait écourter la cérémonie du couronnement de la reine et expédie Ingeburge au monastère de Saint-Maur-des-Fossés. Le roi annonce qu'il souhaite faire annuler le mariage[48].
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+ Les raisons de cette séparation précipitée, suivie pour Ingeburge de sept ans de captivité[d] et, pour Philippe, du refus absolu de reconnaître sa place de reine, sont restées inconnues et ont donné lieu à toutes les spéculations possibles de la part des contemporains comme des historiens.
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+ Les sources britanniques prétendent que le roi Philippe avait conçu un dégoût immédiat pour son épouse, ce qui est contredit par le fait qu'il se soumettra plus tard et à de nombreuses reprises à ses obligations d'époux, même lorsqu'il le nia pour n'avoir pas à reprendre Ingeburge à ses côtés en qualité de reine de France.
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+ Les historiens français ont pensé que les Danois avaient pour leur part rejeté tout projet d'envahir l'Angleterre, ce qui rendait le mariage de Philippe II subitement inintéressant pour lui, car d'une part il n'obtenait plus le concours des Danois pour envahir l'Angleterre et en plus il devait rendre la dot de son épouse ce qui était au moins une aussi grande torture pour un roi qui comptait la moindre rentrée d'argent.
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+ C'est pourquoi la version selon laquelle le roi Philippe aurait été mal remis de la maladie qu'il avait contractée à la croisade ne peut être totalement écartée[50].
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+ Toujours est-il que pour défendre l'annulation du mariage, Philippe souhaite faire valoir, comme il l'avait fait avec Isabelle de Hainaut dont il avait également souhaité se séparer avant de reculer devant la pression populaire, un lien de parenté prohibé par l'Église.
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+ Ingeburge ne pourra faire appel à un soutien populaire, puisqu'elle ne parle pas un mot de français ; elle est tout juste capable de s'exprimer dans un latin assez rudimentaire. Une assemblée d'évêques et de barons donne aisément raison au roi, qui se remarie à la hâte avec Agnès de Méranie, jeune noble bavaroise, dès juin 1196.
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+ Mais le nouveau pape Innocent III, élu en 1198, ne l'entend pas de cette oreille. Souhaitant affirmer son autorité, il enjoint à Philippe Auguste de renvoyer Agnès et de rendre sa place à Ingeburge. En l'absence de réaction du roi, l'interdit est lancé sur le royaume à partir du 13 janvier 1200 et le pape excommunie Philippe Auguste[51]. Philippe laisse toutefois la cause en suspens, Ingeburge reste captive, désormais dans la tour d'Étampes. Le roi organise finalement une cérémonie de réconciliation, et l'interdit est levé par le légat pontifical Octavien lors du concile de Nesle en Vermandois le 7 septembre 1200[52]. Mais la cérémonie ne rend pas tout à fait sa place à Ingeburge, et la procédure d'annulation du mariage se poursuit, Philippe étant désormais bigame. Le concile de Soissons qui se réunit en mars 1201 se conclut cependant par l'échec de Philippe Auguste, qui abrège lui-même les débats et renonce à faire casser le mariage. Finalement, en juillet 1201, Agnès de Méranie meurt à Poissy en donnant à Philippe un deuxième héritier mâle, Philippe (après avoir donné naissance à une fille, Marie, en 1198), reconnu comme tel par le pape en novembre 1201. La crise est momentanément close et la succession dynastique est assurée.
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+ Philippe reprend la procédure d'annulation du mariage en 1205, cette fois sur motif de non-consommation dans le temps, un motif rejeté par l'Église catholique puisque Ingeburge put attester des visites régulières de son époux dans les lieux où il la retient captive.
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+ Il est probable que son opiniâtreté à obtenir la séparation tienne à la naissance en 1205 de son troisième fils, Pierre Charlot, qui resta de ce fait illégitime et dont l'éducation fut confiée en 1212 à l'Église catholique probablement après la mort de sa mère, la « dame d'Arras ».
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+ Constatant définitivement que ces projets débouchent sur une impasse gênante, le roi met fin brutalement aux négociations de rupture en 1212 (comme en 1201) et, résigné, rend sa place, sinon d'épouse, du moins de reine en titre, à la malheureuse Ingeburge.
76
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+ Richard Cœur de Lion poursuit la croisade après le départ de Philippe : il reprend les principaux ports palestiniens, jusqu'à Jaffa, et rétablit le royaume latin de Jérusalem, bien que la ville proprement dite lui échappe. Il négocie finalement une trêve de cinq ans avec Saladin et rembarque au mois d'octobre 1192. Les tempêtes d'hiver le surprennent de nouveau : échoué à Corfou, il est capturé par le duc d'Autriche Léopold V, qui le remet entre les mains de l'empereur germanique Henri VI, son ennemi. Pour la libération de Richard, l'empereur demande une rançon de cent mille marcs d'argent, plus cinquante mille marcs pour l'aider à conquérir la Sicile[53].
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+ Philippe profite de la situation pour négocier avec Jean sans Terre, le frère cadet de Richard, qui a pris le contrôle du royaume anglo-normand. Espérant récupérer la couronne anglaise grâce au soutien de Philippe, il prête hommage en 1193. Puis, alors que Philippe Auguste attaque les possessions des Plantagenêt, Jean cède au roi de France l'Est de la Normandie (le Vexin normand), Le Vaudreuil, Verneuil et Évreux, moyennant mille marcs d'argent, par un accord écrit, en janvier 1194. Par sa finesse diplomatique et militaire, Philippe tient son rival en respect.
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+ Richard est finalement libéré le 2 février 1194. Sa mère, Aliénor d'Aquitaine, a payé les deux tiers de la rançon demandée, soit cent mille marcs d'argent, le solde devant être versé plus tard[53]. Conscient de la valeur de son adversaire, Philippe Auguste aurait écrit à Jean sans Terre : « Prenez garde à vous maintenant, le diable est lâché »[54]. La riposte de Richard est immédiate : après deux mois passés en Angleterre, il débarque en Normandie le 12 mai 1194 ; s'engage alors une guerre d'escarmouches. Le 10 mai, Philippe met le siège devant Verneuil, qui refuse de se soumettre. Quand lui parvient l'annonce du massacre de la garnison française d'Évreux, que Jean, réconcilié avec son frère, vient de lui livrer, il abandonne le siège, le 28 mai, et pousse vers Évreux, qu'il détruit. De son côté, Richard reprend Loches après huit jours de siège, le 14 juin. Puis, le 5 juillet, Philippe s'apprêtant à mettre le siège devant le château de Vendôme, Richard lui dresse un guet-apens près de Fréteval, au cours duquel il s'empare des bagages de Philippe, du sceau royal et de son chartrier (événement à l'origine de la création de la garde des archives royales, appelées Trésor des Chartes).
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+ Les deux souverains conviennent d'une trêve le 23 juillet 1194, mais celle-ci n'est pas respectée. En 1195, la guerre se déplace en Berry, où les deux armées se rencontrent, près d'Issoudun. Alors que l'on s'apprête au combat, Richard va trouver Philippe et lui prête hommage pour le duché de Normandie et les comtés d'Anjou et de Poitiers. Un traité de paix est signé à Gaillon le 15 janvier 1196 : Richard cède Gisors et le Vexin normand à Philippe, qui lui abandonne les différentes conquêtes qu'il a faites en Normandie et ses prétentions sur le Berry et l'Auvergne.
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+ Ayant perdu sa principale place forte avec Gisors, Richard entame la construction de Château-Gaillard, ce qui rallume la guerre. Richard prend et détruit le château de Vierzon, dans le Berry, et se fait livrer à prix d'argent le château de Nonancourt. De son côté, Philippe s'empare, à l'automne 1196, des châteaux de Dangu et d'Aumale, et reprend Nonancourt. Richard envahit le Vexin (1197-1198), ravageant les bords de Seine au-dessous de Paris. Philippe est battu en septembre 1198 entre Gamaches et Vernon. Le 26 septembre 1198, Richard s'empare des châteaux de Boury et de Courcelles, puis bat près de Gisors les troupes de Philippe, venu au secours de ces places fortes[55],[56]. Philippe manque de se faire tuer pendant la bataille. Chargeant à la tête de ses troupes, il aurait déclaré : « Je ne fuirai pas devant mon vassal »[57].
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+ Les deux rois cherchent des soutiens, tandis que le nouveau pape Innocent III[58], qui souhaite mettre sur pied une nouvelle croisade, les pousse à négocier. Le 13 janvier 1199, entre Les Andelys et Vernon, ils conviennent en présence du légat d'une trêve de cinq ans, d'ailleurs mal respectée[59]. La situation se règle brusquement : lors du siège du donjon du château de Châlus-Chabrol (Limousin) le 26 mars 1199, Richard est frappé par un carreau d'arbalète. Il succombe à sa blessure quelques jours plus tard, le 6 avril, à quarante-et-un ans et au faîte de sa gloire.
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+ La succession de Richard Cœur de Lion ne va pas de soi : face à Jean sans Terre le jeune Arthur de Bretagne (âgé de douze ans), fils de son frère aîné Geoffroy II de Bretagne mort en 1186, est un prétendant sérieux. Philippe Auguste profite de cette rivalité et, comme il avait pris position pour Jean contre Richard, il prend cette fois position pour Arthur contre Jean. Il reçoit l'hommage du duc Arthur Ier de Bretagne pour les possessions françaises des Plantagenêt au printemps 1199[60]. Ceci lui permet de négocier en position de force avec Jean sans Terre, et le traité du Goulet, en mai 1200, est favorable à Philippe Auguste. Le traité est scellé par le mariage entre Louis de France et Blanche de Castille, nièce de Jean.
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+ Les hostilités ne cessent pas vraiment, et se concentrent désormais en Aquitaine. Philippe se rapproche donc d'une part d'Arthur, et convoque Jean, son vassal au titre du traité du Goulet, pour ses actions en Aquitaine et à Tours. Jean ne se présente naturellement pas et la cour de France prononce la confiscation de ses fiefs.
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+ La suite se joue sur le terrain militaire. Philippe part dès le printemps 1202 à l'assaut de la Normandie tandis qu'Arthur s'attaque au Poitou. Mais le jeune duc est surpris par Jean sans Terre lors du siège de Mirebeau, et fait prisonnier avec ses troupes. Arthur de Bretagne disparaît dans les mois qui suivent, probablement assassiné début 1203. Philippe s'assure alors le soutien des vassaux d'Arthur et reprend son action en Normandie au printemps 1203. Il démantèle le système des châteaux normands, prend Le Vaudreuil, et entame le siège de Château-Gaillard en septembre 1203. De son côté, Jean fait l'erreur de quitter la Normandie pour rentrer en Angleterre, en décembre 1203. Château-Gaillard tombe le 6 mars 1204.
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+ Philippe Auguste peut alors envahir l'ensemble de la Normandie : Falaise, Caen, Bayeux, puis Rouen qui capitule et dont le capitaine et gouverneur Pierre de Préaux signe l'acte de capitulation, après 40 jours de siège, le 24 juin 1204 en constatant que le secours de Jean n'arrive pas. Verneuil et Arques tombent immédiatement après et parachèvent le succès de Philippe, qui vient de prendre toute la Normandie en deux ans de campagne. Philippe se tourne alors vers la vallée de la Loire, il prend d'abord Poitiers en août 1204, puis Loches et Chinon en 1205. Jean et Philippe conviennent finalement d'une trêve à Thouars, à compter du 13 octobre 1206. Pour Philippe Auguste, l'objectif est désormais de stabiliser ces conquêtes rapides.
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+ Toute la période qui s'étale de 1206 à 1212 voit Philippe Auguste s'efforcer de consolider ses conquêtes territoriales. Le cas est particulièrement violent en Auvergne. Depuis les années 1190 les conflits entre le roi de France et le comte Guy II d'Auvergne sont récurrents. Le comte se déclare tantôt vassal des Plantagenêt tantôt indépendant et à la suite de la prise de l'abbaye royale de Mozac par les troupes du comte d'Auvergne, Philippe-Auguste saisit l'opportunité et lance son armée à la conquête de l'Auvergne. La guerre dure entre deux et trois ans selon les sources mais se termine après le siège de Tournoël en décembre 1213[61],[62].
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+ La domination capétienne est acceptée en Champagne, en Bretagne mais l'Auvergne, le comté de Boulogne et la Flandre posent problème. À la suite de la conquête de 1213, la population auvergnate prend mal cette annexion et de nombreux scribes auvergnats partisans du comte Guy II d'Auvergne vont réaliser des sirventès vengeurs. Parmi ces pamphlets contre le roi de France et ses vassaux ayant mené la guerre contre Guy se retrouvent ceux du XIIIe siècle cités dans le roman de Flamenca[63].
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+ Renaud de Dammartin, comte de Boulogne, est une première source de préoccupation. Malgré les attentions de Philippe Auguste, qui marie notamment en 1210 son fils Philippe Hurepel à Mathilde, fille de Renaud, ce dernier négocie avec le camp ennemi, et les soupçons de Philippe prennent corps lorsque le comte entreprend de fortifier Mortain, en Normandie occidentale. En 1211, Philippe passe à l'offensive, il prend Mortain, Aumale et Dammartin. Renaud de Dammartin s'enfuit auprès du comte de Bar-le-Duc et ne constitue plus un danger immédiat.
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+ En Flandre s'ouvre une période d'incertitude : Baudouin, comte de Flandre et de Hainaut, prend part à la quatrième croisade à partir de l'été 1202, participe à la prise de Constantinople et est élu empereur du nouvel empire latin fondé en mai 1204. Mais il est fait prisonnier par les Bulgares en 1205 et tué peu après. Philippe, frère de Baudouin et comte de Namur, qui assure la régence en Flandre, jure finalement fidélité à Philippe Auguste, contre l'avis de ses conseillers. Le roi, pour stabiliser le comté, marie la seule héritière de Baudouin, sa fille Jeanne, à Ferrand de Portugal, en 1211. Philippe pense pouvoir compter sur son nouveau vassal[réf. nécessaire].
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+ Enfin, les affaires germaniques constituent un autre enjeu majeur. Après la mort de l'empereur Hohenstaufen, Henri VI, en 1197, un nouvel empereur doit en effet être désigné par le pape Innocent III. Deux candidats sont déclarés : d'une part, Otton de Brunswick, soutenu par son oncle Jean sans Terre et favori du pape Innocent III et, d'autre part, Philippe de Souabe, frère d'Henri VI, soutenu par Philippe Auguste et couronné roi de Germanie en 1205. Ce dernier est toutefois assassiné en juin 1208 : désormais sans rival, Otton est couronné empereur en octobre 1209. Innocent III regrette d'ailleurs vite son choix puisque le nouvel empereur exprime bientôt ses ambitions italiennes. Otton est excommunié en 1210, et Philippe Auguste négocie avec Frédéric II du Saint-Empire, le fils d'Henri VI, couronné roi de Germanie à Mayence en 1212 par Siegfried II von Eppstein, évêque de Mayence, un allié que Philippe Auguste espère bien opposer à l'ambition d'Otton.
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+ L'incroyable réussite de Philippe Auguste amène bientôt ses rivaux à s'unir. L'opposition se cristallise en 1214 : on y compte naturellement Jean sans Terre et Otton de Brunswick. Renaud de Dammartin est le véritable artisan de la coalition : lui qui n'a plus rien à perdre se rend à Francfort pour trouver l'appui d'Otton, puis en Angleterre où il fait hommage à Jean, qui le rétablit officiellement dans ses possessions anglaises. Les hostilités entre Philippe et Jean reprennent immédiatement[64].
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+ À la même époque, les premières opérations de la croisade contre les albigeois, menée par des barons, voient se quereller le comte de Toulouse et les croisés. Philippe Auguste remet cette question à plus tard et se concentre sur le danger anglais. Il réunit ses barons à Soissons le 8 avril 1213, charge son fils Louis de conduire l'expédition contre l'Angleterre[65] et obtient le soutien de tous ses vassaux, sauf un : Ferrand, le comte de Flandre qu'il a lui-même installé deux ans plus tôt. Philippe cherche alors de nouveaux soutiens, notamment auprès de Henri de Brabant. Après une période d'hésitation, le pape Innocent III choisit par contre de soutenir Jean, un soutien moral mais non négligeable. Les préparatifs du conflit se prolongent : le projet initial de Philippe, qui souhaite envahir l'Angleterre, prend l'eau lorsque sa flotte est assaillie et en partie détruite par la coalition ennemie à Damme, en mai 1213[66]. Les mois suivants voient Philippe et Louis s'acharner contre les comtés de Boulogne et de Flandre. Les villes du Nord sont presque toutes ravagées.
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+ En février 1214, Jean sans Terre débarque enfin sur le continent, à La Rochelle, espérant prendre Philippe à revers[67]. Une stratégie qui fonctionne d'abord, puisque Jean gagne des partisans parmi les barons du Limousin et dans le Poitou. En mai 1214, il remonte jusqu'à la vallée de la Loire et prend Angers. Philippe, toujours engagé en Flandre, confie alors à Louis la riposte contre Jean. Le jeune prince se tourne immédiatement vers la forteresse de La Roche-aux-Moines[68]. À son approche, Jean est pris de panique : le soutien des barons poitevins vacille, tandis qu'on annonce que Louis est accompagné de 800 chevaliers. Le roi d'Angleterre fuit le 2 juillet, la déroute anglaise est totale. Mais la coalition n'a pas encore perdu : c'est au nord que tout doit se jouer.
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+ L'affrontement final entre les armées de Philippe et la coalition, conduite par Otton, est désormais inévitable, après plusieurs semaines d'approche et d'évitement. Philippe entend couper ses ennemis des renforts en provenance d'Allemagne et tente de surprendre Otton par le nord-est. L'empereur a vent de la manœuvre et se déplace à Mortagne, à quelques lieues de l'armée royale. Philippe Auguste est conscient de son infériorité numérique, une partie importante de son armée se bat près d'Angers contre les Anglais. Et vient d'ailleurs de remporter, le 2 juillet, la victoire de La Roche aux Moines, avec le fils du roi, Louis VIII Le Lion, à sa tête. Philippe, ayant observé le terrain lors de son avancée, fait mine de se replier sur Lille. Otton pense qu'il veut éviter la bataille, et ses armées coalisées pensent que l'ennemi fuit. L'armée française se dirige vers le pont sur la Marque, à Bouvines, le dimanche 27 juillet 1214, — pont que l'intendance franchit. Un dimanche, l'interdiction de combattre est absolue pour les chrétiens, mais Otton IV, excommunié en 1210, décide de passer à l'offensive, espérant surprendre l'ennemi sur ses arrières. Arrivée proche d'un étang sur sa droite et d'un bois sur sa gauche, un véritable entonnoir, l'armée française, après une pause, se retourne brusquement. Étang à gauche et bois à droite. On ne peut se battre ni dans l'un, ni dans l'autre. Elle se déploie en ligne, et sur cette ligne, l'infériorité numérique est effacée. Une perfection tactique. L'armée d'Otton, en effet, n'a plus l'espace nécessaire pour déployer ses effectifs, d'où un effet de surnombre. Entravée dans ses manœuvres, devenue bien trop nombreuse pour ne pas être obligée de se gêner puis de se piétiner, elle subit le retournement. L'aile droite française s'engage contre les chevaliers flamands, conduits par Ferrand. Puis, au centre, Philippe et Otton se font face. Dans la mêlée de cavalerie, Philippe est désarçonné, il chute, mais ses chevaliers le protègent, lui offrent un cheval frais, et le roi reprend l'assaut. Ceux des gens d'armes d'Otton qui ne voient pas et ne comprennent pas ce qui se passe en première ligne commencent à voir des fuyards se débander. Otton est sur le point d'être capturé, il s'enfuit sous un déguisement. Enfin, sur l'aile gauche, les partisans de Philippe viennent à bout de Renaud de Dammartin, capturé après une longue résistance. Le sort vient de basculer en faveur de Philippe, malgré l'infériorité numérique de ses troupes (1 300 chevaliers et 4 000 à 6 000 sergents à pieds, contre 1 300 à 1 500 chevaliers et 7 500 sergents à pieds pour la coalition[69]). La victoire est totale : l'empereur est en fuite, les hommes de Philippe ont fait cent trente prisonniers, dont cinq comtes, notamment le traître honni, Renaud de Dammartin, et le comte de Flandre, Ferrand.
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+ La coalition est dissoute dans la défaite. Le 18 septembre 1214, à Chinon[70], Philippe signe une trêve de statu quo pour cinq ans avec Jean qui continue de harceler ses positions au sud. Le roi anglais retourne en Angleterre en 1214, contraint par le pape Innocent III d'accepter le traité qui consacrait la perte de ses possessions au nord de la Loire. Par ce traité de Chinon, Jean sans Terre abandonne toutes ses possessions au nord de la Loire : le Berry et la Touraine, avec le Maine et l'Anjou, retournaient dans le domaine royal qui couvre désormais le tiers de la France, et, singulièrement agrandi, se trouve libéré de toutes les menaces. Il dut en outre payer 60 000 livres à Philippe. Il ne conservait que le Duché d'Aquitaine.
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+ La victoire est totale sur le continent, et les ambitions royales ne s'arrêtent pas là. En effet, Philippe Auguste souhaite aller plus loin contre Jean d'Angleterre. Il fait ainsi valoir que Jean doit être privé du trône, rappelant sa trahison envers Richard en 1194, et le meurtre de son neveu Arthur. Faisant valoir une interprétation de la généalogie de son épouse Blanche de Castille, mais surtout parce que les barons, voulant écarter Jean sans Terre, lui avaient proposé la couronne, le fils de Philippe, Louis, conduit une expédition en Angleterre[71]. Le débarquement a lieu en mai 1216, et Louis, à la tête de troupes nombreuses (1 200 chevaliers, plus de nombreux rebelles anglais[72]), conquiert le royaume anglais, notamment Londres où il s'installe. Seuls Windsor, Lincoln et Douvres résistent. Mais malgré l'accueil chaleureux réservé à Louis par une majorité d'évêques anglais, le soutien du pape à Jean demeure ferme, et Louis est excommunié. Finalement, Jean meurt subitement d'une grave indigestion, le 19 octobre 1216. Les barons anglais — anciens alliés de Jean ou de Louis — font alors couronner Henri III, âgé de neuf ans. Innocent III vient aussi de mourir, mais son successeur Honorius III continue de défendre les loyalistes. Les évêques retirent bientôt leur soutien à Louis et les rebelles s'assagissent. Le prince revient chercher des appuis en France début 1217 et retourne en Angleterre. Il est battu sur terre par Guillaume le Maréchal à Lincoln, puis sur mer lorsque les renforts que lui envoie Blanche de Castille sont anéantis à la bataille des Cinq-Ports[73]. Louis accepte de négocier la paix, celle-ci est conclue en septembre 1217 et son excommunication est levée.
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+ L'attitude de Philippe Auguste quant à cette expédition est ambiguë. En tout cas, le roi ne la soutient pas officiellement. Blanche de Castille le convainc de payer pour lever une armée de secours, en menaçant de mettre ses deux fils en gage. Mais il est peu vraisemblable d'imaginer qu'il n'ait pas donné son assentiment à celle-ci, du moins à titre privé[74].
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+ Déclenchée en 1208, la croisade contre les Albigeois a tourné à l'affrontement entre Simon IV de Montfort, qui conduit la croisade composée de barons du Nord, et Raymond VI, comte de Toulouse, qui soutient secrètement les hérétiques. Par ailleurs, Pierre II d'Aragon a des vues sur la région et encourage le camp du comte de Toulouse avant d'être lui-même défait et tué par Simon de Montfort à la bataille de Muret, en 1213[75].
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+ Après la bataille de La Roche-aux-Moines, Louis part une première fois pour le Midi en avril 1215, et aide Simon de Montfort à consolider ses positions. Celui-ci devient finalement comte de Toulouse, avec l'accord du pape Honorius III et de Philippe Auguste, à qui il prête hommage. Mais la ville de Toulouse résiste, son siège dure, et Simon y meurt en avril 1218. Le pape désigne son fils Amaury de Montfort comme successeur et enjoint à Philippe Auguste d'envoyer une nouvelle expédition. Louis part en mai 1219, rejoint Amaury au siège de Marmande, dont les habitants sont massacrés. Après quarante jours d'ost, Louis rentre sans avoir pu prendre Toulouse. Une nouvelle expédition est envoyée par Philippe en 1221, sous les ordres de l'évêque de Bourges et du comte de la Marche, sans plus de succès[réf. nécessaire].
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+ Cependant ces différentes expéditions sont de faible envergure. Malgré les appels réitérés de la papauté, Philippe se garde d'intervenir personnellement dans cette croisade intérieure ; face au pape, il rappelle surtout et avec constance ses droits de suzerain sur le Midi. Il n'autorise son fils à se croiser qu'en 1219.
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+ Après Bouvines, les opérations militaires se déroulent en Angleterre ou dans le Midi de la France. Le domaine, et plus largement l'ensemble du Nord de la Loire, reste en paix, selon les termes de la trêve conclue à Chinon en 1215, originellement pour cinq ans, et prolongée en 1220 avec la garantie de Louis, une association qui marque le début de la transition de Philippe à son fils et héritier.
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+ Si les conquêtes par les armes cessent, Philippe étend néanmoins son influence en profitant des successions problématiques. C'est le cas en Champagne lors de l'accession de Thibaut IV, qui lui permet d'asseoir sa suzeraineté. C'est le cas surtout lorsque le roi récupère des terres, comme à Issoudun, Bully, Alençon, Clermont-en-Beauvaisis et Ponthieu.
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+ La prospérité du royaume à la fin du règne de Philippe Auguste est établie. On estime l'excédent annuel du Trésor à 25 210 livres en novembre 1221. À cette date, le Trésor a dans ses caisses 157 036 livres, soit plus de 80 % du revenu annuel ordinaire global de la monarchie. Le testament de Philippe Auguste, rédigé en septembre 1222, confirme ces chiffres, puisque la somme de ses legs s'élève à 790 000 livres parisis, soit près de quatre ans de revenus[76] ! Ce testament est rédigé alors que la santé de Philippe fait craindre sa mort, qui survient dix mois plus tard.
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+ Alors qu'il se trouve à Pacy, Philippe décide d'assister à la réunion ecclésiastique organisée à Paris pour la préparation de nouvelles croisades, contre l'avis de ses médecins. Il ne survit pas à la fatigue du voyage et meurt le 14 juillet 1223, à Mantes. Son corps est amené à Paris, et ses funérailles sont rapidement organisées, à Saint-Denis, en présence des grands du Royaume. Pour la première fois, le corps du roi de France revêtu de tous les regalia est exposé à la vénération du peuple avant sa sépulture dans un rite solennel inspiré de celui des rois d'Angleterre[77]. C'est donc le premier souverain français dont la mort ait été mise en scène, marquant symboliquement le dernier acte de souveraineté du monarque[78].
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+ À sa mort, Philippe II laisse à son fils et successeur Louis VIII un domaine royal considérablement agrandi.
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+ Le contraste est saisissant entre l'avènement de Philippe, sous une quasi-tutelle des barons, avec un domaine qui fait de lui le roi de l'Île-de-France plus que de la France, et la fin de son règne, avec un domaine agrandi, auxquels il faut ajouter de nombreux territoires soumis par hommage de leurs possesseurs. Le rival anglais est repoussé dans une Guyenne parcellaire, très loin de Paris. Ces conquêtes sont notamment permises par le développement important de l'ost royal qui compte en 1202 : en temps de paix 3 043 hommes (257 chevaliers, 2 000 sergents à pied et 267 à cheval, 133 arbalétriers à pied et 86 à cheval, 300 mercenaires) ; en temps de guerre, ce nombre s'accroît de 8 054 sergents[79].
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+ Ces gains territoriaux font de Philippe Auguste un roi rassembleur, dont l’œuvre est continuée par Louis VIII. Il faut attendre la guerre de Cent Ans pour assister à un recul important des possessions royales françaises.
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+ Philippe sut aussi stabiliser ces conquêtes. Il parvient à raffermir le pouvoir royal dans ces nouvelles terres par de nouveaux modes d'administration du territoire, et par une politique de fortifications et de châteaux : il fait dresser leur inventaire et lance à ses frais des constructions dans le domaine et les fiefs. Les mottes castrales disparaissent, remplacées par des donjons en pierre que Philippe veut polygonaux ou cylindriques, pour une meilleure résistance aux engins de siège, et pour éviter les angles morts à la défense. De nombreuses tours sont ainsi construites. Vers la fin du règne, le plan évolue vers un donjon circulaire, surmontant une forteresse quadrangulaire avec des tours rondes à chaque coin, dont le château du Louvre est le meilleur exemple (voir infra).
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+ Le roi Philippe forme une véritable équipe dirigeante, cohérente, capable, efficace[80]. Il ne procède pas à son choix sur un coup de tête, ne revient pas sur ses décisions, possède cette qualité indispensable à un homme d’État de détecter les talents les plus utiles au royaume[81]. Il éloigne les Grands, désigne des hommes de moins haute naissance et même un fils de petits gens, précisément celui qui est monté le plus haut, Guérin (chancelier de France)[82]'[83]. Celui-ci aurait-il éclipsé Philippe Auguste ? La question ne se pose que pour la fin du règne[84]. Auparavant, et surtout pendant la dizaine d'années qui s'écoule après le retour de sa croisade, clôt le XIIe siècle et entame le suivant ; le roi commence à constituer son équipe, éprouve les qualités de ceux qu'il va décider de retenir mais conserve la fougue, l'ivresse du pouvoir et s'annonce comme le grand maître d’œuvre des profondes réformes qui donnent un nouveau visage à son royaume[85].
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+ C'est vers 1200 que commence la phase constructive et finalement triomphante du règne : avec la collaboration d'une équipe de conseillers - le chambrier Gauthier de Villebéon, le templier Frère Aymard[86]'[87], le tout dévoué Barthélemy de Roye, Gauthier II de Nemours dit (Gautier le Jeune ou Le Maréchal)[88], Henri Ier Clément dit (Le petit Maréchal) et surtout l'infatigable et omniprésent hospitalier frère Guérin -, le royaume est doté des structures administratives et financières qui lui faisaient tant défaut, tandis que l'initiative politique est constamment menée avec fermeté[89]. On ne saurait trop insister sur l’œuvre réalisée par Guérin, dont on retrouve la main partout, récompensé seulement par l'évêché de Senlis et qui n'accédera qu'après la mort du roi à la charge de chancelier, restaurée pour lui. Jouissant pourtant de sa complète confiance, il fut durant un quart de siècle, et sans titre officiel, celui que Guillaume le Breton qualifie de « conseiller spécial » du roi, celui qui, dit-il, « traitait les affaires du royaume, comme le second après le roi »[90]'[91].
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+ Pour échapper à la tendance au morcellement, qui est le défaut du système féodal, Philippe Auguste entreprend très tôt de mettre sur pied une nouvelle structure administrative lui permettant d'exercer directement son pouvoir sur le territoire. De 1190 à 1203, dans cette décennie que J.-W. Baldwin a qualifiée à juste titre de décisive, le roi Philippe procède à de grandes réformes[92]. Il organise ce système à l'occasion de son départ en croisade, par une ordonnance-testament de 1190 réglant l'organisation du pouvoir en son absence. Il promeut les baillis, création d'origine anglo-normande dont le rôle, dans les territoires français, était mal défini. Il s'inspire aussi des réformes administratives qu'Henri II d'Angleterre a introduites en 1176 (comme en Flandre, qui se dote d'un corps similaire à la même époque).
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+ Cette réforme s'achève aux alentours de 1200, quand l'appellation baillivi devient courante dans les actes royaux. Nommés par le roi, ils sont une douzaine qui parcourent son domaine au gré des besoins, afin de rendre la justice et, surtout dans la seconde moitié du règne, d'établir une comptabilité du royaume. À la différence du système féodal, les baillis n'ont pas d'attache géographique précise (cela évolue après Philippe Auguste). Leur activité n'est pas liée à la possession de terres, ils n'exercent pas de pouvoir en propre, mais représentent le roi. Ils sont rémunérés directement par le souverain et soumis à un contrôle strict, avec obligation de rendre des comptes trois fois l'an. Baldwin[93] relève que leur salaire se situe entre dix sous et une livre, soit plus, par exemple, que les chevaliers mercenaires (dix sous) : indice à la fois de l'importance de leur statut et du prix de leur fidélité.
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+ Les baillis sont assistés par les prévôts, autre institution au rôle flou jusqu'alors. Ceux-ci sont par contre rattachés à une zone précise, où ils jugent les affaires courantes (les baillis jugeant surtout en appel) et dressent des comptes locaux[94].
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+ Dans certaines des régions conquises pendant le règne (Anjou, Maine, Touraine, Poitou, Saintonge), Philippe Auguste confie les fonctions administratives à des sénéchaux. Mais leur titre, auparavant héréditaire, devient non transmissible à partir de 1191, pour pallier le risque de les voir prendre localement une importance rivalisant avec le pouvoir royal, comme dans le système féodal ; les sénéchaux sont aussi souvent supprimés, notamment en Normandie dès l'annexion, pour être remplacés par des baillis.
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+ Grâce à sa grande victoire de Bouvines, Philippe Auguste achève son règne dans un enthousiasme populaire important. Dans ce contexte, l'idéologie royale progresse, signe peut-être le plus manifeste de l'émergence d'un État sous le règne de Philippe.
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+ On a beaucoup commenté l'utilisation croissante des termes Francia et rex Franciæ (roi de France) dans les textes contemporains, ceux des chroniqueurs du XIIe siècle comme des princes étrangers et de ses propres sujets[95]. Selon Marie Thérèse Jones-Davies, la formule rex Franciæ remplace officiellement le titre de rex Francorum (roi des Francs) dès 1181, dans un acte où il est appelé Philippus Dei gratia Franciæ rex[96]. Toutefois, nous ne disposons que d'une copie du XIIIe siècle de cet acte[97]. Pour Bernard Guenée et Anne Lombard-Jourdan, on rencontre les expressions rex Franciæ à partir de 1190 et regnum Franciæ en 1205[98],[99]. Pour Alain Derville[100], c'est au début du XIIIe siècle qu'apparaît l'expression rex Franciæ[101]. D'autres progrès idéologiques sont évidents.
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+ Surtout, la fin du règne voit se développer une véritable tentative de propagande royale, à travers les chroniques officielles. Déjà, à partir de 1186, Rigord, moine de Saint-Denis rédige une chronique en latin, dans la tradition de Suger, qu'il offre à Philippe en 1196. Ces Gesta Philippi Augusti sont ensuite complétées jusqu'en 1208. Cette œuvre n'est pas une commande du roi, mais elle n'en reste pas moins une chronique quasi officielle, à la gloire de Philippe (sauf quelques critiques touchant à l'affaire du mariage). C'est d'ailleurs Rigord qui, le premier, donne à Philippe le surnom d’Augustus, en référence au mois de sa naissance et à ses premières conquêtes qui l'élèvent, pour l'auteur, au rang des empereurs romains. Rigord se fonde en fait sur une interprétation très personnelle de l'étymologie d’Augustus, qu'il rattache au verbe augeo (augmenter, enrichir), en référence à l'agrandissement et à l'enrichissement du royaume par Philippe[102].
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+ Philippe Auguste confie par la suite à un nouveau chroniqueur la tâche d'expurger la chronique de Rigord de ses passages critiques, et de la continuer. Guillaume le Breton, clerc et proche du souverain, s'acquitte de cette tâche. Il se voit ensuite confier la rédaction d'un véritable monument à la gloire du roi, à partir de 1214 : une chronique en vers, la Philippide, dans le style du poème épique, alors très en vogue (notamment depuis l’Alexandreis de Gautier de Châtillon, épopée à la gloire d'Alexandre). Plusieurs versions de la Philippide se suivent, la dernière étant achevée en 1224, un an après la mort du roi. Dans cette œuvre unique, Philippe est désormais représenté en héros, le vainqueur de Bouvines y est célébré dans toute sa majesté. L'évolution au fil du règne est importante, bien que les deux chroniques officielles restent des témoignages très isolés dans l'ensemble de la production littéraire du règne de Philippe Auguste.
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+ La chronique de Rigord et sa continuation par Guillaume le Breton sont ensuite traduites par Primat pour les Grandes Chroniques de France. C'est dans cette forme, plutôt que dans celle de la Philippide, que l'image de Philippe passe à la postérité.
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+ Enfin, on peut également noter la contribution de Gilles de Paris qui, dans son Karolinus, poème à la gloire de Charlemagne écrit à l'intention du roi Louis VIII, fait descendre Philippe et Louis VIII de Charlemagne, unissant donc les dynasties carolingienne et capétienne, et faisant de lui le premier vrai représentant d'un genus royal, à la base de l'idée de transmission de la royauté par le sang qui connaît après Philippe Auguste un essor important[103].
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+ Contrairement à ses prédécesseurs, Philippe II n'a pas associé son fils au trône : à sa mort, le passage de la couronne à Louis VIII n'a pas fait l'objet d'un vote ni même d'une approbation de principe de la part des pairs du Royaume. On peut considérer que, d'une certaine façon, la couronne de France est devenue héréditaire ce 14 juillet[e].
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+ Le règne de Philippe Auguste est une période de vives améliorations pour Paris. Si la cour est encore itinérante[f], Paris acquiert cependant un statut particulier dont les différents travaux accomplis témoignent. Un grand pas est effectué sous Philippe dans l'invention de la capitale. Quelques faits à retenir :
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+ L'expansion de Paris ne se résume pas aux travaux menés par Philippe Auguste. C'est également sous son règne que sont créés l'hospice Sainte-Catherine (1185) et l'hôpital de la Trinité (1202). Les travaux de Notre-Dame de Paris, entamés en 1163, progressent aussi à bon rythme. En 1182, le chœur est achevé et le maître-autel est consacré le 19 mai. Puis, la façade ouest est décorée, la galerie des rois est achevée dans les années 1220, la grande rose est entamée dans la foulée, tandis que le parvis est agrandi à la même époque.
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+ L'essor de Paris est confirmé par les estimations démographiques, qui estiment que la population parisienne passe en quelques années de 25 000 habitants[Quand ?] à 50 000 vers 1200, ce qui en fait la plus grande ville d'Europe, hors l'Italie[108],[109].
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+ En 1639, le bailli de Nogent-le-Rotrou écrivit sur son registre d'audience :
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+ « Le roi Philippe Auguste deffendit les jeux de hazard, juremens et bordelz, chassa les Juifs de son Royaume, institua le premier les maires et les eschevins. Il fist paver la ville de Paris, bastir les Halles et le Louvre et clore de murailles le bois de Vincennes qu'il peupla de bestes sauvages. Il fist achever le bastiment de l'église Nostre-Dame, à Paris, de laquelle il n'y mit que les fondements à fleur de terre. »
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+ — Archives départementales d'Eure-et-Loir-B 2600.
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+ Homme courageux et croyant, le roi Philippe affronte la mort avec lucidité. Quand elle s'annonce, en avait-il encore peur comme en 1191 ? Oui, si l'on en croit Payen Gastinel[110], chanoine de la Basilique Saint-Martin de Tours. Quand il ressent les premières atteintes de la maladie, il rédige au Château de Saint-Germain-en-Laye, en septembre 1222[111], un testament, le second en fait puisqu’il en avait déjà dicté un, l'Ordonnance-Testament de 1190 avant de partir outre-mer[112]'[113].
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+ On y distingue en effet quelques remords et le roi veut réparer. Il constitue un fonds de 50 000 livres parisis (ou 25 000 marcs d'argent à 40 sous parisis le marc) destiné à la restitution de ce qu'il avait confisqué, perçu ou retenu injustement. La somme prévue est d'ailleurs fort insuffisante puisqu'en réponse aux enquêtes de janvier 1247[114], les spoliés, leurs veuves ou leurs descendants réclament beaucoup plus[115]. Philippe lègue ensuite 10 000 livres à sa « très chère épouse Ingeburge de Danemark ». Il reconnaît en 1222 qu'il aurait pu lui en attribuer davantage, mais il préfère laisser une très grosse somme d'argent afin de réparer ses abus envers ses sujets.
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+ Afin d'apaiser ses remords au sujet de la défense des États latins d'Orient et de réduire les conséquences de l'échec de la Cinquième croisade[116] dont il était absent, il attribue à Jean de Brienne, roi de Jérusalem, aux Hospitaliers et aux Templiers 150 000 marcs d'argent, pour qu'ils équipent en permanence 300 chevaliers. Le roi n'oublie pas les pauvres, les orphelins et les lépreux. Il leur lègue 21 000 livres parisis. Enfin, avec 2 000 livres, il récompense une dernière fois ses serviteurs ; il donne 10 000 livres à son second fils, Philippe Hurepel de Clermont, qu'il a eu d'Agnès de Méranie et réserve à son fils aîné, Louis, une somme d'argent dont il ne fixe pas le montant à condition qu'il la dépense pour la protection du royaume ou pour « une pérégrination lointaine » si Dieu lui en donne l'inspiration.
186
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+ Qui désigne-t-il comme exécuteurs testamentaires ? Les survivants de son équipe fidèle. Au-delà de la tombe, il fait confiance à Guérin (chancelier de France), évêque de Senlis[117], Barthélemy de Roye, chambrier, et Frère Aymard, trésorier du Temple[118]. Tenace dans ses choix et ses amitiés, il donne ainsi le dernier témoignage de son affection et de sa reconnaissance envers ceux qui l'ont aidé à construire son royaume et son pouvoir[119].
188
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+ Philippe rex Francorum peut attendre la mort. Il ne s'était pas vraiment remis de l'alerte de septembre 1222 où il avait souffert des premiers frissons d'une fièvre quarte. Malgré les assaut répétés de la maladie, il n'en poursuit pas moins son travail et ses chevauchées, mais il s'affaiblit peu à peu et, le 11 juillet 1223, son état empire alors qu'il résidait dans son château de Pacy-sur-Eure. Il recommande à son fils aîné la crainte de Dieu, la défense de l'Église, la justice envers son peuple et la protection des pauvres et des petits. Le 13 juillet, un léger mieux survient et lui permet de se diriger vers Paris où, depuis le 6 juillet, se tenait l'assemblée qui, sous la présidence du cardinal-légat Conrad d'Urach, s'occupait de l'affaire albigeoise[120]. Une nouvelle et violente poussée de fièvre le contraint à s'arrêter à Mantes où il meurt, sans véritable agonie, le lendemain 14 juillet 1223, à l'âge de cinquante-huit ans[121].
190
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+ Philippe II mourut sur la Seine, où il naviguait pour rejoindre Mantes, la ville où était enterrée sa troisième épouse Agnès de Méranie. Il fut inhumé en la basilique Saint-Denis près de Paris[122]. Guillaume Le Breton, source assez fiable, affirme qu'« une pierre recouvrait son corps à côté de celui de Dagobert ». Le Roi aurait été enterré au sud du maître-autel. Pourtant, une chronique composée par un ecclésiastique bien informé de Saint-Martin de Tours, et qui va jusqu’aux années 1225-1227, nous dit que Philippe Auguste était enterré devant le maître-autel. Le corps du Roi aurait donc été déplacé.
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+ Lors de la réorganisation de la nécropole, sa tombe fut de fait placée au centre, avec celle de son fils Louis VIII, afin de symboliser l'union des lignées mérovingienne (à droite) et capétienne (à gauche), selon l'idée émise à l'origine par Gilles de Paris (Philippe Auguste, descendant plusieurs fois de Charlemagne, ayant épousé en la personne d'Isabelle de Hainaut une descendante directe de Charles de Basse-Lotharingie, prétendant carolingien et rival d'Hugues Capet).
194
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195
+ Le tombeau de Philippe Auguste[123] fut cité dans plusieurs chroniques mentionnant sa beauté. Richer de Senones, qui écrit entre 1254 et 1260, est très impressionné par le « tombeau en argent doré avec de nombreuses images » de Philippe Auguste. Le Ménestrel de Reims (vers 1260) décrit ainsi ce tombeau : « ombe de fin or et d’argent où il est tresgeteiz comme rois ; et sont quarante-huit evesques en quatre costeiz de la tombe, enlevei et figurei comme esvesque, revestu si comme pour chanteir messe, les mitres en chiés et les croces es mains ».
196
+
197
+ Ce tombeau a été détruit, de même que ceux de Louis VIII et de Saint Louis, sous l’occupation anglaise entre 1420 et 1435. L’or et l’argent ont été fondus pour les besoins de la guerre en France menée par le roi Lancastre Henri IV et son oncle, le duc de Bedford. Après la fin de la guerre de Cent ans, il ne restait plus au sol que trois dalles marquant l’emplacement de ces somptueux sépulcres[124].
198
+
199
+ Plus généralement, la figure de Philippe II, telle que célébrée par les chroniqueurs du temps, a été en grande partie occultée par la concurrence de Saint Louis, devenu — et pour longtemps — le modèle royal par excellence dès la fin du XIIIe siècle. Il n'en reste pas moins que la victoire de Bouvines reste parmi les éléments les plus essentiels de la mythologie nationale française, grâce aux Grandes Chroniques de France ou, bien plus tard, par les manuels scolaires de la IIIe République. L'église Saint-Pierre de Bouvines, bâtie en 1882, a d'ailleurs été pourvue entre 1887 et 1906, de vingt-et-un vitraux retraçant le déroulement de la bataille, des pièces aujourd'hui classées[126].
200
+
201
+ Les autres traces du règne de Philippe Auguste ont quant à elles disparu progressivement. L'enceinte de Philippe Auguste subsiste à l'état de vestiges qui parsèment Paris, le Louvre médiéval a été dégagé et intégré au musée dans les années 1990. Enfin, toujours à Paris, une avenue et une station de métro continuent de commémorer le vainqueur de Bouvines[127].
202
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+ La personnalité de Philippe II reste contrastée et énigmatique. Il n'a pas été inféodé ni soumis aux événements qu'il a pourtant souvent lui-même suscités. Il n'a jamais capitulé, et quand il a enduré du fait de ses propres erreurs, il a été capable de réparer pour le bien du Royaume[128].
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+ Pour se libérer de la tutelle de sa mère et du clan champenois, il se marie alors qu'il est lui-même mineur avec une héritière non pubère qui lui amène dans sa corbeille une dot considérable, l'Artois. Soucieux de sa descendance, d'un tempérament très affirmé mais brouillon, il décide de se séparer d'Isabelle de Hainaut qui ne lui a pas donné d'enfant. Puis, il se ravise comprenant qu'il va commettre l'irréparable comme son père Louis VII le Jeune qui a perdu l'Aquitaine pour avoir laissé partir la duchesse Aliénor. Il se rabiboche avec sa jeune épouse et garde l'Artois, en plus d'un héritier.
206
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207
+ Philippe II poursuit un but unique : l'accroissement du Royaume et de ses possessions[129]. Il cherchera toute sa vie à récupérer l'Aquitaine et l'Anjou en jouant pour cela le ferment de la division entre Henri II et ses fils, jusqu'à l'achèvement complet de ses objectifs après Bouvines. D'autre part, il est un suzerain loyal et honnête qui n'use pas de sa puissance pour conquérir par les armes. Ainsi, il défend l'héritage artésien de son fils Louis VIII le Lion et même il cherche à accroître le Comté d'Artois en rachetant des parcelles et en désintéressant les châtelains.
208
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209
+ Philippe II reste marqué par ce qu'il estime être une dépossession territoriale qui réduit le royaume de France au compromis permanent avec des barons plus puissants et plus riches que le roi de France[131]. À l'instar d'un bourgeois ou d'un hobereau, il fait grossir son capital en achetant des terres, contraint les serfs à payer leur affranchissement. Philippe II est l'initiateur de l'état français, pour autant le trésor du royaume est sa fortune personnelle dont il dispose à son gré. Ainsi, dans son testament il répartit la moitié du trésor à des œuvres caritatives de son choix et laisse l'autre moitié à son fils pour qu'il en dispose dans la gestion de l'État[132].
210
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211
+ Ingeburge de Danemark fut une épine dans son talon. Il ne l'aimait pas, il chercha à s'en débarrasser le plus rapidement possible, ce fut sa plus grande erreur car elle tint bon jusqu'au bout dans ses réclamations. Par son refus du divorce, son refus d'entrer en religion, son refus de retourner au Danemark, elle l'empêcha de vivre auprès d'Agnès de Méranie dont il eut des enfants considérés comme illégitimes.
212
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213
+ À cet égard, on peut observer qu'il se conduisit envers Ingeburge de Danemark de la même façon qu'il s'était conduit avec Isabelle de Hainaut, avec mépris et arrogance. Isabelle de Hainaut avait su lui tenir tête, elle s'était positionnée en victime n'hésitant pas à mettre le peuple de son côté. C'est sans doute ce qu'a voulu éviter Philippe II en enfermant immédiatement Ingeburge à Étampes, en ne lui laissant pas le temps d'organiser auprès du peuple sa défense. Son rôle de victime serait apparu clairement, il aurait été contraint de la reprendre près de lui comme il l'avait fait avec Isabelle de Hainaut. Or, il ne voulait plus Ingeburge pour épouse et ne voulait pas cette fois se voir contraint à reprendre une épouse dont il ne voulait plus et qui cette fois ne lui rapportait aucune terre. C'est sans doute là qu'Ingeburge a joué de malheur. Ne rapportant qu'une dot assez faible pour un roi de France, et aucune terre, elle n'avait aucun moyen de pression dont elle aurait pu user pour obliger Philippe II à la respecter.
214
+
215
+ Comme quelques historiens l'ont avancé, le rejet d'Ingeburge pourrait s'expliquer par le fait que ce mariage ne lui rapportait pas tant qu'il l'avait espéré, une alliance notamment pour battre les Plantagenêt. Il n'est pas exclu qu'il ait estimé avoir été filouté sur les termes d'un contrat non écrit entre le Danemark et la France. Toutefois, il faut observer que Valdemar II de Danemark, le frère d'Ingeburge, intercédera sans relâche auprès de la France pour faire libérer sa sœur, et ira même plaider sa cause auprès du Pape, en vain. Secundo, Valdemar II de Danemark épouse en 1214, après la bataille de Bouvines et après la libération de sa sœur Ingeburge, Bérengère de Portugal, sœur de Ferrand de Portugal qui avait rejoint la coalition contre Philippe II à Bouvines. Ce mariage est intéressant car il se conclut à un moment où Ferrand de Flandre est captif dans les geôles du Louvre[134].
216
+
217
+ Ingeburge de Danemark n'a été reine de France qu'en titre puisqu'elle n'a jamais exercé et à aucun moment, les fonctions de reine ou de régente[135]. On peut voir le mariage de son frère Valdemar avec la sœur du prisonnier Ferrand de Flandre soit comme un remerciement tacite de la France pour la neutralité du Danemark à la bataille de Bouvines, soit comme une ultime provocation de la part du souverain danois, quoi qu'il en soit la conclusion d'un long épisode de gel diplomatique.
218
+
219
+ À partir de la deuxième moitié du XIIe siècle, les mercenaires sont presque toujours présents dans les armées royales. Ils sont considérés comme les précurseurs de l'armée de métier. Philippe Auguste utilise les mercenaires après ses rivaux Plantagenêt. Mais il réussit par deux fois à retourner les troupes de routiers de ceux-ci. Aux alentours de 1194, il récupéra Lambert Cadoc, un Gallois recruté par Richard Cœur de Lion. Cadoc lui restera fidèle durant 20 ans. Ensuite, au printemps 1204, en guerre contre le roi Jean sans Terre, Philippe Auguste négocie le ralliement de Lupicaire et de sa troupe[136],[137],[138].
220
+
221
+ Naissance de Philippe Auguste (Grandes Chroniques de France, XIVe siècle).
222
+
223
+ Philippe Auguste recevant des messagers du pape l'appelant à la croisade (Grandes Chroniques de France de Charles V, XIVe siècle).
224
+
225
+ Philippe et Richard à la croisade (Guillaume de Tyr, XIVe siècle).
226
+
227
+ Couronnement de Philippe Auguste (Grandes Chroniques de France (Jean Fouquet), XVe siècle).
228
+
229
+ Philippe Auguste (Recueil des rois de France de Jean du Tillet, vers 1550).
230
+
231
+ Tristan de Léonois, XVe siècle, BnF, manuscrit Français 116, enluminure du folio 676 verso.
232
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233
+ Roman de Renart, BnF (Mss.), fin XIIe siècle, Français 12584, folio 18v-19r.
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+ Philippe II dit « Auguste »[2], né le 21 août 1165 à Paris et mort à Mantes le 14 juillet 1223, est le septième roi (1180-1223) de la dynastie des Capétiens. Il est le fils héritier de Louis VII et d'Adèle de Champagne.
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+ Le surnom d'« Auguste » lui fut donné par le moine Rigord[3] après que Philippe II eut ajouté au domaine royal en juillet 1185 (traité de Boves) les seigneuries d’Artois, du Valois, d’Amiens et une bonne partie du Vermandois[4] et également parce qu'il était né au mois d'août. Référence directe aux empereurs romains, ce terme signifie qu'il a accru considérablement le domaine.
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7
+ Chapelain et biographe de Philippe II, Guillaume Le Breton le nomme « Philippe le Magnanime »[5] dans sa chronique La Philippide rédigée entre 1214 et 1224. Cette chronique est une continuation de celle de Rigord que Philippe II lui avait demandé d'expurger, la jugeant moins laudatrice qu'il le souhaitait.
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+ Philippe Auguste reste l'un des monarques les plus admirés et étudiés de la France médiévale, en raison non seulement de la longueur de son règne, mais aussi de ses importantes victoires militaires et des progrès essentiels accomplis pour affermir le pouvoir royal et mettre fin à l'époque féodale.
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+ Philippe Auguste est le premier roi ayant fait porter sur ses actes, sporadiquement à partir de 1190, officiellement à partir de 1204[6], Rex Franciæ, « roi de France », au lieu de Rex Francorum, « roi des Francs »[a]. Il faut cependant relever que les traités et conventions de paix signés entre les vassaux ou alliés et le royaume de France mentionnent sans exception Philippus rex Francorum (« Philippe, roi des Francs »), à la différence, par exemple, de Richardus rex Angliæ (« Richard, roi d'Angleterre »), mais comme Henri, roi des Romains.
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+ La naissance de Philippe Auguste, en 1165, est accueillie comme un miracle par la famille royale. En effet, Louis VII attend depuis près de trente ans un héritier et c'est sa troisième épouse, Adèle de Champagne, qui lui donne tardivement ce fils tant espéré. Une attente qui vaut au futur Philippe II le surnom de Dieudonné[8],[9]. Il est baptisé dès le lendemain de sa naissance dans la Chapelle Saint-Michel-du-Palais au palais de la Cité à Paris par l'évêque Maurice de Sully en présence de trois parrains[10] et trois marraines[11]'[12].
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+ Comme tous les premiers rois capétiens depuis Hugues Capet, Louis VII, accablé par la maladie, pense à associer son fils à la couronne au printemps 1179, puis à lui laisser le pouvoir le 28 juin 1180. Mais la cérémonie du sacre est retardée à la suite d'un accident de chasse du jeune prince[13] dont la vie est menacée. Jean Favier précise la nature de l'incident (et non l'accident) : le jeune Philippe s'est égaré dans la forêt et n'est retrouvé que deux jours plus tard tremblant de peur et passablement perturbé[14]. L'état de santé du prince est suffisamment grave pour que Louis VII se déplace en Angleterre, malgré sa santé déclinante, et aille se recueillir sur la tombe de Thomas Becket[15], l'archevêque de Cantorbéry mort assassiné en 1170 et devenu un saint thaumaturge[16].
16
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17
+ Complètement remis sur pied et en l'absence de son père de plus en plus souffrant, Philippe est associé à la couronne et sacré le 1er novembre 1179 à Reims par son oncle l'archevêque Guillaume aux Blanches Mains[17]. L'absence à la cérémonie de la reine Adèle ainsi que des trois autres oncles maternels, alors que les fils d'Henri II Plantagenêts y assistent et que surtout le comte de Flandre Philippe d'Alsace parraine l'adoubement, est symbolique du revirement des influences. La Maison de Blois-Champagne prépondérante à la fin du dernier règne cède le pas à la Maison de Flandre[14].
18
+
19
+ Pour échapper à l’emprise de sa mère et de ses oncles maternels, Philippe II se rapproche de son parrain Philippe d'Alsace, comte de Flandre, qui lui donne sa nièce Isabelle en mariage. Le 28 avril 1180, l'évêque Roger de Laon bénit les jeunes époux en l'abbaye d'Arrouaise près de Bapaume. Le Jeudi de l'Ascension 29 mai 1180 à Saint-Denis, lors de la consécration de son épouse Isabelle de Hainaut comme reine de France, il reçoit une seconde fois l'onction sainte par l'archevêque de Sens[18], Guy Ier de Noyers, successeur de Guillaume aux Blanches Mains, au grand dam de ce dernier, qui accuse d'usurpation son pair. Isabelle, fille de Baudouin V de Hainaut lui apporte l'Artois en dot. Puis, le 28 juin 1180, trois mois avant la mort de son père, il signe le Traité de Gisors avec Henri II d'Angleterre. Ces deux événements renforcent la position du jeune roi face aux maisons de Flandre et de Champagne[19].
20
+
21
+ La mort de son père survient le 18 septembre 1180 et laisse Philippe seul roi, à quinze ans. Confronté à l'affaiblissement du pouvoir royal, Philippe se révèle rapidement à la hauteur du défi.
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23
+ À l'intérieur du domaine, l'une de ses premières décisions est totalement contraire à la politique suivie par son père : l'expulsion des juifs et la confiscation de leurs biens[20] (17 avril 1182[21]) tranche avec la protection que Louis VII avait accordée à la communauté juive[22]. La raison officiellement donnée désigne les juifs responsables de calamités diverses, mais l'objectif réel est surtout de renflouer les caisses royales, bien mal en point en ce début de règne[23]. Ces mesures ne dureront pas : l'interdiction du territoire (d'ailleurs difficile à faire respecter) cesse en 1198, et l'attitude conciliatrice qu'avait adoptée Louis VII redevient bientôt la norme. Cependant, le pape Innocent III condamne quelques activités des juifs en France et exhorte Philippe Auguste dans la lettre Etsi non displiceat en 1205 à les sanctionner pour montrer la ferveur de sa foi chrétienne[24] (en latin : « in eorum demonstret persecutione fervorem quo fidem prosequitur Christianam »)[25].
24
+
25
+ Du point de vue juif, la mesure fut ainsi perçue : « En l'année 4946, c'est-à-dire en 1186[b], il fit saisir les Juifs dans toutes les provinces de son royaume, leur ravit leur argent et leur or et les chassa de son pays. Beaucoup abjurèrent alors leur foi et recouvrèrent par là leurs fortunes et leurs biens, se mêlèrent aux chrétiens et vécurent comme eux. Les synagogues, Philippe en fit des églises pour son Dieu, et avec ce qu'il avait pris, il éleva de nombreux édifices, le palais de l'Hôtel-de-ville, le mur de la forêt de Vincennes près de Paris et les Champeaux, où se tient le marché de Paris. Les Juifs de France étaient alors deux fois plus nombreux que ceux qui sortirent d'Égypte : ils émigrèrent par sept chemins de ce pays devenu cruel pour eux, et Israël devint extrêmement malheureux »[27].
26
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27
+ À la fin du règne de Louis VII, le comte Philippe de Flandre avait proposé au vieux roi sa nièce Ide, fille de son frère Mathieu, comte de Boulogne. Pour renforcer son influence, il négocie au début de 1180 le mariage de sa nièce Isabelle, fille de sa sœur Marguerite et de Baudouin, comte de Hainaut. Le parti flamand, rival du parti champenois, espérait ainsi disposer d'un membre influent à la cour, tout comme l'avait fait le parti champenois, son rival, avec Adèle de Champagne dans les dernières années du règne de Louis VII[28].
28
+
29
+ Le 28 avril 1180, Isabelle de Hainaut épouse donc Philippe, le mariage religieux est célébré par les évêques Henri de Senlis et Roger de Laon[29] en l'église de l'abbaye Saint-Nicolas d'Arrouaise, dédiée à la Sainte-Trinité[30]. Les cérémonies sont célébrées au château de Bapaume[31] à proximité du territoire flamand.
30
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31
+ Le lieu du mariage avait été tenu secret par Philippe II de France car sa mère Adèle de Champagne, ses frères et tout le parti champenois étaient contre cette alliance mais Philippe II Auguste tenait à cette union et décida de choisir un lieu en dehors des terres champenoises. Ce désaccord valut à Isabelle de Hainaut un ressentiment profond de la part d'Adèle de Champagne[32].
32
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33
+ Dès 1181, le conflit avec les barons est ranimé, mené par le comte de Flandre, Philippe d'Alsace, avec lequel Philippe s'est brouillé. Il parvient toutefois à contrer les ambitions du comte en brisant les alliances que ce dernier a nouées avec le landgrave de Brabant, Godefroy de Louvain, et l'archevêque de Cologne, Philippe de Heinsberg[33]. En juillet 1185, le traité de Boves confirme au roi la possession du Vermandois, de l'Artois et de l'Amiénois[34].
34
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35
+ Les Plantagenêt sont l'autre préoccupation majeure de Philippe Auguste. Les possessions d'Henri II d'Angleterre, également comte d'Anjou, comprennent la Normandie, le Vexin, et la vaste Aquitaine. De plus, par le mariage de Geoffroy, fils de Henri II, les Plantagenêt gouvernent aussi la Bretagne. Après deux ans de combats (1186-1188), la situation reste indécise. Philippe cherche habilement à profiter des rivalités entre les fils du roi d'Angleterre, Richard, avec lequel il se lie d'amitié, et son cadet Jean sans Terre. Une paix de statu quo est finalement négociée, alors que le pape Grégoire VIII, après la prise de Jérusalem par Saladin en 1187, appelle à la croisade. Philippe Auguste est peu motivé par une telle aventure mais ne peut opposer un refus au pape. Il prend la croix et invoque les dangers qui menacent son royaume pour surseoir. La mort d'Henri II en juillet 1189 clôt cet épisode. Le roi ne peut plus se dédire, il se prépare au départ en Terre sainte.
36
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37
+ En 1183, Philippe Auguste, pressé d'avoir un héritier et brouillé avec Philippe d'Alsace et Baudouin V de Hainaut songe à se séparer d'Isabelle.
38
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39
+ En mars 1184, la répudiation est décidée. Une assemblée de prélats et de seigneurs réunie à Senlis va se prononcer, quand Isabelle, raconte le chroniqueur Gilbert de Mons[35], pieds nus et habillée en pénitente, fait à pied le tour des églises de la ville et implore Dieu devant le peuple qui l'aimait pour son grand cœur. Celui-ci prend fait et cause pour elle, et Philippe Auguste recule et la garde auprès de lui[36].
40
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41
+ Philippe Auguste et Richard partent ensemble pour la troisième croisade, qui mobilise également la plupart des grands barons de France. Ils embarquent à la fin de l'été 1190, Philippe de Gênes et Richard de Marseille. Mais ils sont surpris par les tempêtes d'hiver en Méditerranée et doivent attendre plusieurs mois en Sicile, à Messine. Là, la rivalité entre les deux rois se ranime autour des projets de mariage de Richard, qui rompt ses fiançailles avec Adélaïde (demi-sœur de Philippe) et s'engage avec Bérengère de Navarre[37]. Philippe Auguste quitte Messine dès qu'il le peut, le 30 mars 1191.
42
+
43
+ Il arrive à Acre le 20 avril 1191 et participe au siège de la cité, contrôlée par les musulmans. Richard n'arrive qu'en juin, après un détour par Chypre : les renforts anglais sont les bienvenus mais les querelles reprennent immédiatement entre les deux rois. Pour aggraver la situation, ils sont tous deux victimes de maladie[c], causant notamment une forte fièvre, ils perdent cheveux et ongles. Philippe Auguste perd également l'usage d'un œil. Les opérations militaires avancent toutefois : les Français percent une première fois les murs d'Acre le 3 juillet, sans succès ; puis ce sont les Anglais qui échouent. Affaiblis, les assiégés capitulent le 12 juillet 1191.
44
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45
+ La croisade ne fait que commencer, pourtant Philippe décide de prendre le chemin du retour. La mort du comte de Flandre survenue le 1er juin lors du siège de Saint-Jean-d'Acre rouvre le dossier sensible de la succession flamande[44]. Le fait qu'il n'ait qu'un seul héritier l'invite par ailleurs à la prudence. C'est dans un état de santé délabré et très atteint physiquement que Philippe passe par Rome pour obtenir du pape l'autorisation de quitter la croisade. Le roi rentre à Paris le 27 décembre 1191.
46
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47
+ Il s'agit là de la première préoccupation de Philippe à son retour de croisade. La mort du comte de Flandre, sans descendance, suscite les convoitises de trois prétendants : Baudouin, comte de Hainaut, Éléonore de Vermandois, comtesse de Beaumont, et Philippe Auguste lui-même.
48
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49
+ Au terme de tractations, Baudouin est désigné comme héritier du comté de Flandre après paiement de cinq mille marcs d'argent[45]. Cependant, Philippe Auguste confirme par une charte de 1192 le Valois et le Vermandois à Éléonore, qui doivent revenir au roi après la mort de celle-ci. Enfin, le roi reçoit Péronne et l'Artois, au nom de son fils Louis, comme héritage de la reine Isabelle de Hainaut morte en 1190[46]. Les positions royales au nord sont donc considérablement renforcées.
50
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51
+ Après la disparition de la reine Isabelle, Philippe Auguste sait qu'il doit se remarier au plus vite. La succession dynastique n'est en effet pas assurée : son seul fils, Louis, n'a que quatre ans et vient de survivre à une grave maladie. Le choix d'Ingeburge de Danemark s'organise autour de la nécessité pour le roi Philippe de mettre un empêchement aux ambitions des souverains britanniques (essayant par là de réveiller les vieilles rivalités entre Danois et Anglais, en vain), une politique française menée depuis bientôt un siècle par ses prédécesseurs.
52
+
53
+ Sœur du roi Knut VI, âgée de dix-huit ans, Ingeburge n'est qu'une des nombreuses épouses possibles pour Philippe. Pourtant cette union avec la maison royale danoise lui permettrait de fragiliser la dynastie anglo-normande. En effet, Ingeburge descend par les femmes du roi Harold II mort à la bataille d'Hastings contre Guillaume de Normandie, futur roi d'Angleterre et fondateur de la dynastie anglo-normande. Philippe II pense avoir trouvé un moyen de pression avec l'antériorité des droits de sa future épouse Ingeburge, droits qu'il aurait envisagé de faire valoir par la force et avec le concours des princes danois.
54
+
55
+ Un accord est conclu sur une dot de dix mille marcs d'argent dont une large partie est versée le jour du mariage par les plénipotentiaires danois présents à la cérémonie, la princesse est amenée en France, Philippe la rencontre à Amiens le 14 août 1193 et l'épouse le jour même[47]. Le lendemain, Philippe fait écourter la cérémonie du couronnement de la reine et expédie Ingeburge au monastère de Saint-Maur-des-Fossés. Le roi annonce qu'il souhaite faire annuler le mariage[48].
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57
+ Les raisons de cette séparation précipitée, suivie pour Ingeburge de sept ans de captivité[d] et, pour Philippe, du refus absolu de reconnaître sa place de reine, sont restées inconnues et ont donné lieu à toutes les spéculations possibles de la part des contemporains comme des historiens.
58
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59
+ Les sources britanniques prétendent que le roi Philippe avait conçu un dégoût immédiat pour son épouse, ce qui est contredit par le fait qu'il se soumettra plus tard et à de nombreuses reprises à ses obligations d'époux, même lorsqu'il le nia pour n'avoir pas à reprendre Ingeburge à ses côtés en qualité de reine de France.
60
+
61
+ Les historiens français ont pensé que les Danois avaient pour leur part rejeté tout projet d'envahir l'Angleterre, ce qui rendait le mariage de Philippe II subitement inintéressant pour lui, car d'une part il n'obtenait plus le concours des Danois pour envahir l'Angleterre et en plus il devait rendre la dot de son épouse ce qui était au moins une aussi grande torture pour un roi qui comptait la moindre rentrée d'argent.
62
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63
+ C'est pourquoi la version selon laquelle le roi Philippe aurait été mal remis de la maladie qu'il avait contractée à la croisade ne peut être totalement écartée[50].
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65
+ Toujours est-il que pour défendre l'annulation du mariage, Philippe souhaite faire valoir, comme il l'avait fait avec Isabelle de Hainaut dont il avait également souhaité se séparer avant de reculer devant la pression populaire, un lien de parenté prohibé par l'Église.
66
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67
+ Ingeburge ne pourra faire appel à un soutien populaire, puisqu'elle ne parle pas un mot de français ; elle est tout juste capable de s'exprimer dans un latin assez rudimentaire. Une assemblée d'évêques et de barons donne aisément raison au roi, qui se remarie à la hâte avec Agnès de Méranie, jeune noble bavaroise, dès juin 1196.
68
+
69
+ Mais le nouveau pape Innocent III, élu en 1198, ne l'entend pas de cette oreille. Souhaitant affirmer son autorité, il enjoint à Philippe Auguste de renvoyer Agnès et de rendre sa place à Ingeburge. En l'absence de réaction du roi, l'interdit est lancé sur le royaume à partir du 13 janvier 1200 et le pape excommunie Philippe Auguste[51]. Philippe laisse toutefois la cause en suspens, Ingeburge reste captive, désormais dans la tour d'Étampes. Le roi organise finalement une cérémonie de réconciliation, et l'interdit est levé par le légat pontifical Octavien lors du concile de Nesle en Vermandois le 7 septembre 1200[52]. Mais la cérémonie ne rend pas tout à fait sa place à Ingeburge, et la procédure d'annulation du mariage se poursuit, Philippe étant désormais bigame. Le concile de Soissons qui se réunit en mars 1201 se conclut cependant par l'échec de Philippe Auguste, qui abrège lui-même les débats et renonce à faire casser le mariage. Finalement, en juillet 1201, Agnès de Méranie meurt à Poissy en donnant à Philippe un deuxième héritier mâle, Philippe (après avoir donné naissance à une fille, Marie, en 1198), reconnu comme tel par le pape en novembre 1201. La crise est momentanément close et la succession dynastique est assurée.
70
+
71
+ Philippe reprend la procédure d'annulation du mariage en 1205, cette fois sur motif de non-consommation dans le temps, un motif rejeté par l'Église catholique puisque Ingeburge put attester des visites régulières de son époux dans les lieux où il la retient captive.
72
+
73
+ Il est probable que son opiniâtreté à obtenir la séparation tienne à la naissance en 1205 de son troisième fils, Pierre Charlot, qui resta de ce fait illégitime et dont l'éducation fut confiée en 1212 à l'Église catholique probablement après la mort de sa mère, la « dame d'Arras ».
74
+
75
+ Constatant définitivement que ces projets débouchent sur une impasse gênante, le roi met fin brutalement aux négociations de rupture en 1212 (comme en 1201) et, résigné, rend sa place, sinon d'épouse, du moins de reine en titre, à la malheureuse Ingeburge.
76
+
77
+ Richard Cœur de Lion poursuit la croisade après le départ de Philippe : il reprend les principaux ports palestiniens, jusqu'à Jaffa, et rétablit le royaume latin de Jérusalem, bien que la ville proprement dite lui échappe. Il négocie finalement une trêve de cinq ans avec Saladin et rembarque au mois d'octobre 1192. Les tempêtes d'hiver le surprennent de nouveau : échoué à Corfou, il est capturé par le duc d'Autriche Léopold V, qui le remet entre les mains de l'empereur germanique Henri VI, son ennemi. Pour la libération de Richard, l'empereur demande une rançon de cent mille marcs d'argent, plus cinquante mille marcs pour l'aider à conquérir la Sicile[53].
78
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79
+ Philippe profite de la situation pour négocier avec Jean sans Terre, le frère cadet de Richard, qui a pris le contrôle du royaume anglo-normand. Espérant récupérer la couronne anglaise grâce au soutien de Philippe, il prête hommage en 1193. Puis, alors que Philippe Auguste attaque les possessions des Plantagenêt, Jean cède au roi de France l'Est de la Normandie (le Vexin normand), Le Vaudreuil, Verneuil et Évreux, moyennant mille marcs d'argent, par un accord écrit, en janvier 1194. Par sa finesse diplomatique et militaire, Philippe tient son rival en respect.
80
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+ Richard est finalement libéré le 2 février 1194. Sa mère, Aliénor d'Aquitaine, a payé les deux tiers de la rançon demandée, soit cent mille marcs d'argent, le solde devant être versé plus tard[53]. Conscient de la valeur de son adversaire, Philippe Auguste aurait écrit à Jean sans Terre : « Prenez garde à vous maintenant, le diable est lâché »[54]. La riposte de Richard est immédiate : après deux mois passés en Angleterre, il débarque en Normandie le 12 mai 1194 ; s'engage alors une guerre d'escarmouches. Le 10 mai, Philippe met le siège devant Verneuil, qui refuse de se soumettre. Quand lui parvient l'annonce du massacre de la garnison française d'Évreux, que Jean, réconcilié avec son frère, vient de lui livrer, il abandonne le siège, le 28 mai, et pousse vers Évreux, qu'il détruit. De son côté, Richard reprend Loches après huit jours de siège, le 14 juin. Puis, le 5 juillet, Philippe s'apprêtant à mettre le siège devant le château de Vendôme, Richard lui dresse un guet-apens près de Fréteval, au cours duquel il s'empare des bagages de Philippe, du sceau royal et de son chartrier (événement à l'origine de la création de la garde des archives royales, appelées Trésor des Chartes).
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+ Les deux souverains conviennent d'une trêve le 23 juillet 1194, mais celle-ci n'est pas respectée. En 1195, la guerre se déplace en Berry, où les deux armées se rencontrent, près d'Issoudun. Alors que l'on s'apprête au combat, Richard va trouver Philippe et lui prête hommage pour le duché de Normandie et les comtés d'Anjou et de Poitiers. Un traité de paix est signé à Gaillon le 15 janvier 1196 : Richard cède Gisors et le Vexin normand à Philippe, qui lui abandonne les différentes conquêtes qu'il a faites en Normandie et ses prétentions sur le Berry et l'Auvergne.
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+ Ayant perdu sa principale place forte avec Gisors, Richard entame la construction de Château-Gaillard, ce qui rallume la guerre. Richard prend et détruit le château de Vierzon, dans le Berry, et se fait livrer à prix d'argent le château de Nonancourt. De son côté, Philippe s'empare, à l'automne 1196, des châteaux de Dangu et d'Aumale, et reprend Nonancourt. Richard envahit le Vexin (1197-1198), ravageant les bords de Seine au-dessous de Paris. Philippe est battu en septembre 1198 entre Gamaches et Vernon. Le 26 septembre 1198, Richard s'empare des châteaux de Boury et de Courcelles, puis bat près de Gisors les troupes de Philippe, venu au secours de ces places fortes[55],[56]. Philippe manque de se faire tuer pendant la bataille. Chargeant à la tête de ses troupes, il aurait déclaré : « Je ne fuirai pas devant mon vassal »[57].
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+ Les deux rois cherchent des soutiens, tandis que le nouveau pape Innocent III[58], qui souhaite mettre sur pied une nouvelle croisade, les pousse à négocier. Le 13 janvier 1199, entre Les Andelys et Vernon, ils conviennent en présence du légat d'une trêve de cinq ans, d'ailleurs mal respectée[59]. La situation se règle brusquement : lors du siège du donjon du château de Châlus-Chabrol (Limousin) le 26 mars 1199, Richard est frappé par un carreau d'arbalète. Il succombe à sa blessure quelques jours plus tard, le 6 avril, à quarante-et-un ans et au faîte de sa gloire.
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+ La succession de Richard Cœur de Lion ne va pas de soi : face à Jean sans Terre le jeune Arthur de Bretagne (âgé de douze ans), fils de son frère aîné Geoffroy II de Bretagne mort en 1186, est un prétendant sérieux. Philippe Auguste profite de cette rivalité et, comme il avait pris position pour Jean contre Richard, il prend cette fois position pour Arthur contre Jean. Il reçoit l'hommage du duc Arthur Ier de Bretagne pour les possessions françaises des Plantagenêt au printemps 1199[60]. Ceci lui permet de négocier en position de force avec Jean sans Terre, et le traité du Goulet, en mai 1200, est favorable à Philippe Auguste. Le traité est scellé par le mariage entre Louis de France et Blanche de Castille, nièce de Jean.
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+ Les hostilités ne cessent pas vraiment, et se concentrent désormais en Aquitaine. Philippe se rapproche donc d'une part d'Arthur, et convoque Jean, son vassal au titre du traité du Goulet, pour ses actions en Aquitaine et à Tours. Jean ne se présente naturellement pas et la cour de France prononce la confiscation de ses fiefs.
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+ La suite se joue sur le terrain militaire. Philippe part dès le printemps 1202 à l'assaut de la Normandie tandis qu'Arthur s'attaque au Poitou. Mais le jeune duc est surpris par Jean sans Terre lors du siège de Mirebeau, et fait prisonnier avec ses troupes. Arthur de Bretagne disparaît dans les mois qui suivent, probablement assassiné début 1203. Philippe s'assure alors le soutien des vassaux d'Arthur et reprend son action en Normandie au printemps 1203. Il démantèle le système des châteaux normands, prend Le Vaudreuil, et entame le siège de Château-Gaillard en septembre 1203. De son côté, Jean fait l'erreur de quitter la Normandie pour rentrer en Angleterre, en décembre 1203. Château-Gaillard tombe le 6 mars 1204.
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+ Philippe Auguste peut alors envahir l'ensemble de la Normandie : Falaise, Caen, Bayeux, puis Rouen qui capitule et dont le capitaine et gouverneur Pierre de Préaux signe l'acte de capitulation, après 40 jours de siège, le 24 juin 1204 en constatant que le secours de Jean n'arrive pas. Verneuil et Arques tombent immédiatement après et parachèvent le succès de Philippe, qui vient de prendre toute la Normandie en deux ans de campagne. Philippe se tourne alors vers la vallée de la Loire, il prend d'abord Poitiers en août 1204, puis Loches et Chinon en 1205. Jean et Philippe conviennent finalement d'une trêve à Thouars, à compter du 13 octobre 1206. Pour Philippe Auguste, l'objectif est désormais de stabiliser ces conquêtes rapides.
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+ Toute la période qui s'étale de 1206 à 1212 voit Philippe Auguste s'efforcer de consolider ses conquêtes territoriales. Le cas est particulièrement violent en Auvergne. Depuis les années 1190 les conflits entre le roi de France et le comte Guy II d'Auvergne sont récurrents. Le comte se déclare tantôt vassal des Plantagenêt tantôt indépendant et à la suite de la prise de l'abbaye royale de Mozac par les troupes du comte d'Auvergne, Philippe-Auguste saisit l'opportunité et lance son armée à la conquête de l'Auvergne. La guerre dure entre deux et trois ans selon les sources mais se termine après le siège de Tournoël en décembre 1213[61],[62].
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+ La domination capétienne est acceptée en Champagne, en Bretagne mais l'Auvergne, le comté de Boulogne et la Flandre posent problème. À la suite de la conquête de 1213, la population auvergnate prend mal cette annexion et de nombreux scribes auvergnats partisans du comte Guy II d'Auvergne vont réaliser des sirventès vengeurs. Parmi ces pamphlets contre le roi de France et ses vassaux ayant mené la guerre contre Guy se retrouvent ceux du XIIIe siècle cités dans le roman de Flamenca[63].
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+ Renaud de Dammartin, comte de Boulogne, est une première source de préoccupation. Malgré les attentions de Philippe Auguste, qui marie notamment en 1210 son fils Philippe Hurepel à Mathilde, fille de Renaud, ce dernier négocie avec le camp ennemi, et les soupçons de Philippe prennent corps lorsque le comte entreprend de fortifier Mortain, en Normandie occidentale. En 1211, Philippe passe à l'offensive, il prend Mortain, Aumale et Dammartin. Renaud de Dammartin s'enfuit auprès du comte de Bar-le-Duc et ne constitue plus un danger immédiat.
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+ En Flandre s'ouvre une période d'incertitude : Baudouin, comte de Flandre et de Hainaut, prend part à la quatrième croisade à partir de l'été 1202, participe à la prise de Constantinople et est élu empereur du nouvel empire latin fondé en mai 1204. Mais il est fait prisonnier par les Bulgares en 1205 et tué peu après. Philippe, frère de Baudouin et comte de Namur, qui assure la régence en Flandre, jure finalement fidélité à Philippe Auguste, contre l'avis de ses conseillers. Le roi, pour stabiliser le comté, marie la seule héritière de Baudouin, sa fille Jeanne, à Ferrand de Portugal, en 1211. Philippe pense pouvoir compter sur son nouveau vassal[réf. nécessaire].
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+ Enfin, les affaires germaniques constituent un autre enjeu majeur. Après la mort de l'empereur Hohenstaufen, Henri VI, en 1197, un nouvel empereur doit en effet être désigné par le pape Innocent III. Deux candidats sont déclarés : d'une part, Otton de Brunswick, soutenu par son oncle Jean sans Terre et favori du pape Innocent III et, d'autre part, Philippe de Souabe, frère d'Henri VI, soutenu par Philippe Auguste et couronné roi de Germanie en 1205. Ce dernier est toutefois assassiné en juin 1208 : désormais sans rival, Otton est couronné empereur en octobre 1209. Innocent III regrette d'ailleurs vite son choix puisque le nouvel empereur exprime bientôt ses ambitions italiennes. Otton est excommunié en 1210, et Philippe Auguste négocie avec Frédéric II du Saint-Empire, le fils d'Henri VI, couronné roi de Germanie à Mayence en 1212 par Siegfried II von Eppstein, évêque de Mayence, un allié que Philippe Auguste espère bien opposer à l'ambition d'Otton.
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+ L'incroyable réussite de Philippe Auguste amène bientôt ses rivaux à s'unir. L'opposition se cristallise en 1214 : on y compte naturellement Jean sans Terre et Otton de Brunswick. Renaud de Dammartin est le véritable artisan de la coalition : lui qui n'a plus rien à perdre se rend à Francfort pour trouver l'appui d'Otton, puis en Angleterre où il fait hommage à Jean, qui le rétablit officiellement dans ses possessions anglaises. Les hostilités entre Philippe et Jean reprennent immédiatement[64].
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+ À la même époque, les premières opérations de la croisade contre les albigeois, menée par des barons, voient se quereller le comte de Toulouse et les croisés. Philippe Auguste remet cette question à plus tard et se concentre sur le danger anglais. Il réunit ses barons à Soissons le 8 avril 1213, charge son fils Louis de conduire l'expédition contre l'Angleterre[65] et obtient le soutien de tous ses vassaux, sauf un : Ferrand, le comte de Flandre qu'il a lui-même installé deux ans plus tôt. Philippe cherche alors de nouveaux soutiens, notamment auprès de Henri de Brabant. Après une période d'hésitation, le pape Innocent III choisit par contre de soutenir Jean, un soutien moral mais non négligeable. Les préparatifs du conflit se prolongent : le projet initial de Philippe, qui souhaite envahir l'Angleterre, prend l'eau lorsque sa flotte est assaillie et en partie détruite par la coalition ennemie à Damme, en mai 1213[66]. Les mois suivants voient Philippe et Louis s'acharner contre les comtés de Boulogne et de Flandre. Les villes du Nord sont presque toutes ravagées.
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+ En février 1214, Jean sans Terre débarque enfin sur le continent, à La Rochelle, espérant prendre Philippe à revers[67]. Une stratégie qui fonctionne d'abord, puisque Jean gagne des partisans parmi les barons du Limousin et dans le Poitou. En mai 1214, il remonte jusqu'à la vallée de la Loire et prend Angers. Philippe, toujours engagé en Flandre, confie alors à Louis la riposte contre Jean. Le jeune prince se tourne immédiatement vers la forteresse de La Roche-aux-Moines[68]. À son approche, Jean est pris de panique : le soutien des barons poitevins vacille, tandis qu'on annonce que Louis est accompagné de 800 chevaliers. Le roi d'Angleterre fuit le 2 juillet, la déroute anglaise est totale. Mais la coalition n'a pas encore perdu : c'est au nord que tout doit se jouer.
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+ L'affrontement final entre les armées de Philippe et la coalition, conduite par Otton, est désormais inévitable, après plusieurs semaines d'approche et d'évitement. Philippe entend couper ses ennemis des renforts en provenance d'Allemagne et tente de surprendre Otton par le nord-est. L'empereur a vent de la manœuvre et se déplace à Mortagne, à quelques lieues de l'armée royale. Philippe Auguste est conscient de son infériorité numérique, une partie importante de son armée se bat près d'Angers contre les Anglais. Et vient d'ailleurs de remporter, le 2 juillet, la victoire de La Roche aux Moines, avec le fils du roi, Louis VIII Le Lion, à sa tête. Philippe, ayant observé le terrain lors de son avancée, fait mine de se replier sur Lille. Otton pense qu'il veut éviter la bataille, et ses armées coalisées pensent que l'ennemi fuit. L'armée française se dirige vers le pont sur la Marque, à Bouvines, le dimanche 27 juillet 1214, — pont que l'intendance franchit. Un dimanche, l'interdiction de combattre est absolue pour les chrétiens, mais Otton IV, excommunié en 1210, décide de passer à l'offensive, espérant surprendre l'ennemi sur ses arrières. Arrivée proche d'un étang sur sa droite et d'un bois sur sa gauche, un véritable entonnoir, l'armée française, après une pause, se retourne brusquement. Étang à gauche et bois à droite. On ne peut se battre ni dans l'un, ni dans l'autre. Elle se déploie en ligne, et sur cette ligne, l'infériorité numérique est effacée. Une perfection tactique. L'armée d'Otton, en effet, n'a plus l'espace nécessaire pour déployer ses effectifs, d'où un effet de surnombre. Entravée dans ses manœuvres, devenue bien trop nombreuse pour ne pas être obligée de se gêner puis de se piétiner, elle subit le retournement. L'aile droite française s'engage contre les chevaliers flamands, conduits par Ferrand. Puis, au centre, Philippe et Otton se font face. Dans la mêlée de cavalerie, Philippe est désarçonné, il chute, mais ses chevaliers le protègent, lui offrent un cheval frais, et le roi reprend l'assaut. Ceux des gens d'armes d'Otton qui ne voient pas et ne comprennent pas ce qui se passe en première ligne commencent à voir des fuyards se débander. Otton est sur le point d'être capturé, il s'enfuit sous un déguisement. Enfin, sur l'aile gauche, les partisans de Philippe viennent à bout de Renaud de Dammartin, capturé après une longue résistance. Le sort vient de basculer en faveur de Philippe, malgré l'infériorité numérique de ses troupes (1 300 chevaliers et 4 000 à 6 000 sergents à pieds, contre 1 300 à 1 500 chevaliers et 7 500 sergents à pieds pour la coalition[69]). La victoire est totale : l'empereur est en fuite, les hommes de Philippe ont fait cent trente prisonniers, dont cinq comtes, notamment le traître honni, Renaud de Dammartin, et le comte de Flandre, Ferrand.
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+ La coalition est dissoute dans la défaite. Le 18 septembre 1214, à Chinon[70], Philippe signe une trêve de statu quo pour cinq ans avec Jean qui continue de harceler ses positions au sud. Le roi anglais retourne en Angleterre en 1214, contraint par le pape Innocent III d'accepter le traité qui consacrait la perte de ses possessions au nord de la Loire. Par ce traité de Chinon, Jean sans Terre abandonne toutes ses possessions au nord de la Loire : le Berry et la Touraine, avec le Maine et l'Anjou, retournaient dans le domaine royal qui couvre désormais le tiers de la France, et, singulièrement agrandi, se trouve libéré de toutes les menaces. Il dut en outre payer 60 000 livres à Philippe. Il ne conservait que le Duché d'Aquitaine.
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+ La victoire est totale sur le continent, et les ambitions royales ne s'arrêtent pas là. En effet, Philippe Auguste souhaite aller plus loin contre Jean d'Angleterre. Il fait ainsi valoir que Jean doit être privé du trône, rappelant sa trahison envers Richard en 1194, et le meurtre de son neveu Arthur. Faisant valoir une interprétation de la généalogie de son épouse Blanche de Castille, mais surtout parce que les barons, voulant écarter Jean sans Terre, lui avaient proposé la couronne, le fils de Philippe, Louis, conduit une expédition en Angleterre[71]. Le débarquement a lieu en mai 1216, et Louis, à la tête de troupes nombreuses (1 200 chevaliers, plus de nombreux rebelles anglais[72]), conquiert le royaume anglais, notamment Londres où il s'installe. Seuls Windsor, Lincoln et Douvres résistent. Mais malgré l'accueil chaleureux réservé à Louis par une majorité d'évêques anglais, le soutien du pape à Jean demeure ferme, et Louis est excommunié. Finalement, Jean meurt subitement d'une grave indigestion, le 19 octobre 1216. Les barons anglais — anciens alliés de Jean ou de Louis — font alors couronner Henri III, âgé de neuf ans. Innocent III vient aussi de mourir, mais son successeur Honorius III continue de défendre les loyalistes. Les évêques retirent bientôt leur soutien à Louis et les rebelles s'assagissent. Le prince revient chercher des appuis en France début 1217 et retourne en Angleterre. Il est battu sur terre par Guillaume le Maréchal à Lincoln, puis sur mer lorsque les renforts que lui envoie Blanche de Castille sont anéantis à la bataille des Cinq-Ports[73]. Louis accepte de négocier la paix, celle-ci est conclue en septembre 1217 et son excommunication est levée.
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+ L'attitude de Philippe Auguste quant à cette expédition est ambiguë. En tout cas, le roi ne la soutient pas officiellement. Blanche de Castille le convainc de payer pour lever une armée de secours, en menaçant de mettre ses deux fils en gage. Mais il est peu vraisemblable d'imaginer qu'il n'ait pas donné son assentiment à celle-ci, du moins à titre privé[74].
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+ Déclenchée en 1208, la croisade contre les Albigeois a tourné à l'affrontement entre Simon IV de Montfort, qui conduit la croisade composée de barons du Nord, et Raymond VI, comte de Toulouse, qui soutient secrètement les hérétiques. Par ailleurs, Pierre II d'Aragon a des vues sur la région et encourage le camp du comte de Toulouse avant d'être lui-même défait et tué par Simon de Montfort à la bataille de Muret, en 1213[75].
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+ Après la bataille de La Roche-aux-Moines, Louis part une première fois pour le Midi en avril 1215, et aide Simon de Montfort à consolider ses positions. Celui-ci devient finalement comte de Toulouse, avec l'accord du pape Honorius III et de Philippe Auguste, à qui il prête hommage. Mais la ville de Toulouse résiste, son siège dure, et Simon y meurt en avril 1218. Le pape désigne son fils Amaury de Montfort comme successeur et enjoint à Philippe Auguste d'envoyer une nouvelle expédition. Louis part en mai 1219, rejoint Amaury au siège de Marmande, dont les habitants sont massacrés. Après quarante jours d'ost, Louis rentre sans avoir pu prendre Toulouse. Une nouvelle expédition est envoyée par Philippe en 1221, sous les ordres de l'évêque de Bourges et du comte de la Marche, sans plus de succès[réf. nécessaire].
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+ Cependant ces différentes expéditions sont de faible envergure. Malgré les appels réitérés de la papauté, Philippe se garde d'intervenir personnellement dans cette croisade intérieure ; face au pape, il rappelle surtout et avec constance ses droits de suzerain sur le Midi. Il n'autorise son fils à se croiser qu'en 1219.
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+ Après Bouvines, les opérations militaires se déroulent en Angleterre ou dans le Midi de la France. Le domaine, et plus largement l'ensemble du Nord de la Loire, reste en paix, selon les termes de la trêve conclue à Chinon en 1215, originellement pour cinq ans, et prolongée en 1220 avec la garantie de Louis, une association qui marque le début de la transition de Philippe à son fils et héritier.
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+ Si les conquêtes par les armes cessent, Philippe étend néanmoins son influence en profitant des successions problématiques. C'est le cas en Champagne lors de l'accession de Thibaut IV, qui lui permet d'asseoir sa suzeraineté. C'est le cas surtout lorsque le roi récupère des terres, comme à Issoudun, Bully, Alençon, Clermont-en-Beauvaisis et Ponthieu.
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+ La prospérité du royaume à la fin du règne de Philippe Auguste est établie. On estime l'excédent annuel du Trésor à 25 210 livres en novembre 1221. À cette date, le Trésor a dans ses caisses 157 036 livres, soit plus de 80 % du revenu annuel ordinaire global de la monarchie. Le testament de Philippe Auguste, rédigé en septembre 1222, confirme ces chiffres, puisque la somme de ses legs s'élève à 790 000 livres parisis, soit près de quatre ans de revenus[76] ! Ce testament est rédigé alors que la santé de Philippe fait craindre sa mort, qui survient dix mois plus tard.
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+ Alors qu'il se trouve à Pacy, Philippe décide d'assister à la réunion ecclésiastique organisée à Paris pour la préparation de nouvelles croisades, contre l'avis de ses médecins. Il ne survit pas à la fatigue du voyage et meurt le 14 juillet 1223, à Mantes. Son corps est amené à Paris, et ses funérailles sont rapidement organisées, à Saint-Denis, en présence des grands du Royaume. Pour la première fois, le corps du roi de France revêtu de tous les regalia est exposé à la vénération du peuple avant sa sépulture dans un rite solennel inspiré de celui des rois d'Angleterre[77]. C'est donc le premier souverain français dont la mort ait été mise en scène, marquant symboliquement le dernier acte de souveraineté du monarque[78].
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+ À sa mort, Philippe II laisse à son fils et successeur Louis VIII un domaine royal considérablement agrandi.
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+ Le contraste est saisissant entre l'avènement de Philippe, sous une quasi-tutelle des barons, avec un domaine qui fait de lui le roi de l'Île-de-France plus que de la France, et la fin de son règne, avec un domaine agrandi, auxquels il faut ajouter de nombreux territoires soumis par hommage de leurs possesseurs. Le rival anglais est repoussé dans une Guyenne parcellaire, très loin de Paris. Ces conquêtes sont notamment permises par le développement important de l'ost royal qui compte en 1202 : en temps de paix 3 043 hommes (257 chevaliers, 2 000 sergents à pied et 267 à cheval, 133 arbalétriers à pied et 86 à cheval, 300 mercenaires) ; en temps de guerre, ce nombre s'accroît de 8 054 sergents[79].
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+ Ces gains territoriaux font de Philippe Auguste un roi rassembleur, dont l’œuvre est continuée par Louis VIII. Il faut attendre la guerre de Cent Ans pour assister à un recul important des possessions royales françaises.
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+ Philippe sut aussi stabiliser ces conquêtes. Il parvient à raffermir le pouvoir royal dans ces nouvelles terres par de nouveaux modes d'administration du territoire, et par une politique de fortifications et de châteaux : il fait dresser leur inventaire et lance à ses frais des constructions dans le domaine et les fiefs. Les mottes castrales disparaissent, remplacées par des donjons en pierre que Philippe veut polygonaux ou cylindriques, pour une meilleure résistance aux engins de siège, et pour éviter les angles morts à la défense. De nombreuses tours sont ainsi construites. Vers la fin du règne, le plan évolue vers un donjon circulaire, surmontant une forteresse quadrangulaire avec des tours rondes à chaque coin, dont le château du Louvre est le meilleur exemple (voir infra).
142
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143
+ Le roi Philippe forme une véritable équipe dirigeante, cohérente, capable, efficace[80]. Il ne procède pas à son choix sur un coup de tête, ne revient pas sur ses décisions, possède cette qualité indispensable à un homme d’État de détecter les talents les plus utiles au royaume[81]. Il éloigne les Grands, désigne des hommes de moins haute naissance et même un fils de petits gens, précisément celui qui est monté le plus haut, Guérin (chancelier de France)[82]'[83]. Celui-ci aurait-il éclipsé Philippe Auguste ? La question ne se pose que pour la fin du règne[84]. Auparavant, et surtout pendant la dizaine d'années qui s'écoule après le retour de sa croisade, clôt le XIIe siècle et entame le suivant ; le roi commence à constituer son équipe, éprouve les qualités de ceux qu'il va décider de retenir mais conserve la fougue, l'ivresse du pouvoir et s'annonce comme le grand maître d’œuvre des profondes réformes qui donnent un nouveau visage à son royaume[85].
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+ C'est vers 1200 que commence la phase constructive et finalement triomphante du règne : avec la collaboration d'une équipe de conseillers - le chambrier Gauthier de Villebéon, le templier Frère Aymard[86]'[87], le tout dévoué Barthélemy de Roye, Gauthier II de Nemours dit (Gautier le Jeune ou Le Maréchal)[88], Henri Ier Clément dit (Le petit Maréchal) et surtout l'infatigable et omniprésent hospitalier frère Guérin -, le royaume est doté des structures administratives et financières qui lui faisaient tant défaut, tandis que l'initiative politique est constamment menée avec fermeté[89]. On ne saurait trop insister sur l’œuvre réalisée par Guérin, dont on retrouve la main partout, récompensé seulement par l'évêché de Senlis et qui n'accédera qu'après la mort du roi à la charge de chancelier, restaurée pour lui. Jouissant pourtant de sa complète confiance, il fut durant un quart de siècle, et sans titre officiel, celui que Guillaume le Breton qualifie de « conseiller spécial » du roi, celui qui, dit-il, « traitait les affaires du royaume, comme le second après le roi »[90]'[91].
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+ Pour échapper à la tendance au morcellement, qui est le défaut du système féodal, Philippe Auguste entreprend très tôt de mettre sur pied une nouvelle structure administrative lui permettant d'exercer directement son pouvoir sur le territoire. De 1190 à 1203, dans cette décennie que J.-W. Baldwin a qualifiée à juste titre de décisive, le roi Philippe procède à de grandes réformes[92]. Il organise ce système à l'occasion de son départ en croisade, par une ordonnance-testament de 1190 réglant l'organisation du pouvoir en son absence. Il promeut les baillis, création d'origine anglo-normande dont le rôle, dans les territoires français, était mal défini. Il s'inspire aussi des réformes administratives qu'Henri II d'Angleterre a introduites en 1176 (comme en Flandre, qui se dote d'un corps similaire à la même époque).
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+ Cette réforme s'achève aux alentours de 1200, quand l'appellation baillivi devient courante dans les actes royaux. Nommés par le roi, ils sont une douzaine qui parcourent son domaine au gré des besoins, afin de rendre la justice et, surtout dans la seconde moitié du règne, d'établir une comptabilité du royaume. À la différence du système féodal, les baillis n'ont pas d'attache géographique précise (cela évolue après Philippe Auguste). Leur activité n'est pas liée à la possession de terres, ils n'exercent pas de pouvoir en propre, mais représentent le roi. Ils sont rémunérés directement par le souverain et soumis à un contrôle strict, avec obligation de rendre des comptes trois fois l'an. Baldwin[93] relève que leur salaire se situe entre dix sous et une livre, soit plus, par exemple, que les chevaliers mercenaires (dix sous) : indice à la fois de l'importance de leur statut et du prix de leur fidélité.
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+ Les baillis sont assistés par les prévôts, autre institution au rôle flou jusqu'alors. Ceux-ci sont par contre rattachés à une zone précise, où ils jugent les affaires courantes (les baillis jugeant surtout en appel) et dressent des comptes locaux[94].
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+ Dans certaines des régions conquises pendant le règne (Anjou, Maine, Touraine, Poitou, Saintonge), Philippe Auguste confie les fonctions administratives à des sénéchaux. Mais leur titre, auparavant héréditaire, devient non transmissible à partir de 1191, pour pallier le risque de les voir prendre localement une importance rivalisant avec le pouvoir royal, comme dans le système féodal ; les sénéchaux sont aussi souvent supprimés, notamment en Normandie dès l'annexion, pour être remplacés par des baillis.
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+ Grâce à sa grande victoire de Bouvines, Philippe Auguste achève son règne dans un enthousiasme populaire important. Dans ce contexte, l'idéologie royale progresse, signe peut-être le plus manifeste de l'émergence d'un État sous le règne de Philippe.
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+ On a beaucoup commenté l'utilisation croissante des termes Francia et rex Franciæ (roi de France) dans les textes contemporains, ceux des chroniqueurs du XIIe siècle comme des princes étrangers et de ses propres sujets[95]. Selon Marie Thérèse Jones-Davies, la formule rex Franciæ remplace officiellement le titre de rex Francorum (roi des Francs) dès 1181, dans un acte où il est appelé Philippus Dei gratia Franciæ rex[96]. Toutefois, nous ne disposons que d'une copie du XIIIe siècle de cet acte[97]. Pour Bernard Guenée et Anne Lombard-Jourdan, on rencontre les expressions rex Franciæ à partir de 1190 et regnum Franciæ en 1205[98],[99]. Pour Alain Derville[100], c'est au début du XIIIe siècle qu'apparaît l'expression rex Franciæ[101]. D'autres progrès idéologiques sont évidents.
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159
+ Surtout, la fin du règne voit se développer une véritable tentative de propagande royale, à travers les chroniques officielles. Déjà, à partir de 1186, Rigord, moine de Saint-Denis rédige une chronique en latin, dans la tradition de Suger, qu'il offre à Philippe en 1196. Ces Gesta Philippi Augusti sont ensuite complétées jusqu'en 1208. Cette œuvre n'est pas une commande du roi, mais elle n'en reste pas moins une chronique quasi officielle, à la gloire de Philippe (sauf quelques critiques touchant à l'affaire du mariage). C'est d'ailleurs Rigord qui, le premier, donne à Philippe le surnom d’Augustus, en référence au mois de sa naissance et à ses premières conquêtes qui l'élèvent, pour l'auteur, au rang des empereurs romains. Rigord se fonde en fait sur une interprétation très personnelle de l'étymologie d’Augustus, qu'il rattache au verbe augeo (augmenter, enrichir), en référence à l'agrandissement et à l'enrichissement du royaume par Philippe[102].
160
+
161
+ Philippe Auguste confie par la suite à un nouveau chroniqueur la tâche d'expurger la chronique de Rigord de ses passages critiques, et de la continuer. Guillaume le Breton, clerc et proche du souverain, s'acquitte de cette tâche. Il se voit ensuite confier la rédaction d'un véritable monument à la gloire du roi, à partir de 1214 : une chronique en vers, la Philippide, dans le style du poème épique, alors très en vogue (notamment depuis l’Alexandreis de Gautier de Châtillon, épopée à la gloire d'Alexandre). Plusieurs versions de la Philippide se suivent, la dernière étant achevée en 1224, un an après la mort du roi. Dans cette œuvre unique, Philippe est désormais représenté en héros, le vainqueur de Bouvines y est célébré dans toute sa majesté. L'évolution au fil du règne est importante, bien que les deux chroniques officielles restent des témoignages très isolés dans l'ensemble de la production littéraire du règne de Philippe Auguste.
162
+
163
+ La chronique de Rigord et sa continuation par Guillaume le Breton sont ensuite traduites par Primat pour les Grandes Chroniques de France. C'est dans cette forme, plutôt que dans celle de la Philippide, que l'image de Philippe passe à la postérité.
164
+
165
+ Enfin, on peut également noter la contribution de Gilles de Paris qui, dans son Karolinus, poème à la gloire de Charlemagne écrit à l'intention du roi Louis VIII, fait descendre Philippe et Louis VIII de Charlemagne, unissant donc les dynasties carolingienne et capétienne, et faisant de lui le premier vrai représentant d'un genus royal, à la base de l'idée de transmission de la royauté par le sang qui connaît après Philippe Auguste un essor important[103].
166
+
167
+ Contrairement à ses prédécesseurs, Philippe II n'a pas associé son fils au trône : à sa mort, le passage de la couronne à Louis VIII n'a pas fait l'objet d'un vote ni même d'une approbation de principe de la part des pairs du Royaume. On peut considérer que, d'une certaine façon, la couronne de France est devenue héréditaire ce 14 juillet[e].
168
+
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+ Le règne de Philippe Auguste est une période de vives améliorations pour Paris. Si la cour est encore itinérante[f], Paris acquiert cependant un statut particulier dont les différents travaux accomplis témoignent. Un grand pas est effectué sous Philippe dans l'invention de la capitale. Quelques faits à retenir :
170
+
171
+ L'expansion de Paris ne se résume pas aux travaux menés par Philippe Auguste. C'est également sous son règne que sont créés l'hospice Sainte-Catherine (1185) et l'hôpital de la Trinité (1202). Les travaux de Notre-Dame de Paris, entamés en 1163, progressent aussi à bon rythme. En 1182, le chœur est achevé et le maître-autel est consacré le 19 mai. Puis, la façade ouest est décorée, la galerie des rois est achevée dans les années 1220, la grande rose est entamée dans la foulée, tandis que le parvis est agrandi à la même époque.
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+
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+ L'essor de Paris est confirmé par les estimations démographiques, qui estiment que la population parisienne passe en quelques années de 25 000 habitants[Quand ?] à 50 000 vers 1200, ce qui en fait la plus grande ville d'Europe, hors l'Italie[108],[109].
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+
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+ En 1639, le bailli de Nogent-le-Rotrou écrivit sur son registre d'audience :
176
+
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+ « Le roi Philippe Auguste deffendit les jeux de hazard, juremens et bordelz, chassa les Juifs de son Royaume, institua le premier les maires et les eschevins. Il fist paver la ville de Paris, bastir les Halles et le Louvre et clore de murailles le bois de Vincennes qu'il peupla de bestes sauvages. Il fist achever le bastiment de l'église Nostre-Dame, à Paris, de laquelle il n'y mit que les fondements à fleur de terre. »
178
+
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+ — Archives départementales d'Eure-et-Loir-B 2600.
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+
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+ Homme courageux et croyant, le roi Philippe affronte la mort avec lucidité. Quand elle s'annonce, en avait-il encore peur comme en 1191 ? Oui, si l'on en croit Payen Gastinel[110], chanoine de la Basilique Saint-Martin de Tours. Quand il ressent les premières atteintes de la maladie, il rédige au Château de Saint-Germain-en-Laye, en septembre 1222[111], un testament, le second en fait puisqu’il en avait déjà dicté un, l'Ordonnance-Testament de 1190 avant de partir outre-mer[112]'[113].
182
+
183
+ On y distingue en effet quelques remords et le roi veut réparer. Il constitue un fonds de 50 000 livres parisis (ou 25 000 marcs d'argent à 40 sous parisis le marc) destiné à la restitution de ce qu'il avait confisqué, perçu ou retenu injustement. La somme prévue est d'ailleurs fort insuffisante puisqu'en réponse aux enquêtes de janvier 1247[114], les spoliés, leurs veuves ou leurs descendants réclament beaucoup plus[115]. Philippe lègue ensuite 10 000 livres à sa « très chère épouse Ingeburge de Danemark ». Il reconnaît en 1222 qu'il aurait pu lui en attribuer davantage, mais il préfère laisser une très grosse somme d'argent afin de réparer ses abus envers ses sujets.
184
+
185
+ Afin d'apaiser ses remords au sujet de la défense des États latins d'Orient et de réduire les conséquences de l'échec de la Cinquième croisade[116] dont il était absent, il attribue à Jean de Brienne, roi de Jérusalem, aux Hospitaliers et aux Templiers 150 000 marcs d'argent, pour qu'ils équipent en permanence 300 chevaliers. Le roi n'oublie pas les pauvres, les orphelins et les lépreux. Il leur lègue 21 000 livres parisis. Enfin, avec 2 000 livres, il récompense une dernière fois ses serviteurs ; il donne 10 000 livres à son second fils, Philippe Hurepel de Clermont, qu'il a eu d'Agnès de Méranie et réserve à son fils aîné, Louis, une somme d'argent dont il ne fixe pas le montant à condition qu'il la dépense pour la protection du royaume ou pour « une pérégrination lointaine » si Dieu lui en donne l'inspiration.
186
+
187
+ Qui désigne-t-il comme exécuteurs testamentaires ? Les survivants de son équipe fidèle. Au-delà de la tombe, il fait confiance à Guérin (chancelier de France), évêque de Senlis[117], Barthélemy de Roye, chambrier, et Frère Aymard, trésorier du Temple[118]. Tenace dans ses choix et ses amitiés, il donne ainsi le dernier témoignage de son affection et de sa reconnaissance envers ceux qui l'ont aidé à construire son royaume et son pouvoir[119].
188
+
189
+ Philippe rex Francorum peut attendre la mort. Il ne s'était pas vraiment remis de l'alerte de septembre 1222 où il avait souffert des premiers frissons d'une fièvre quarte. Malgré les assaut répétés de la maladie, il n'en poursuit pas moins son travail et ses chevauchées, mais il s'affaiblit peu à peu et, le 11 juillet 1223, son état empire alors qu'il résidait dans son château de Pacy-sur-Eure. Il recommande à son fils aîné la crainte de Dieu, la défense de l'Église, la justice envers son peuple et la protection des pauvres et des petits. Le 13 juillet, un léger mieux survient et lui permet de se diriger vers Paris où, depuis le 6 juillet, se tenait l'assemblée qui, sous la présidence du cardinal-légat Conrad d'Urach, s'occupait de l'affaire albigeoise[120]. Une nouvelle et violente poussée de fièvre le contraint à s'arrêter à Mantes où il meurt, sans véritable agonie, le lendemain 14 juillet 1223, à l'âge de cinquante-huit ans[121].
190
+
191
+ Philippe II mourut sur la Seine, où il naviguait pour rejoindre Mantes, la ville où était enterrée sa troisième épouse Agnès de Méranie. Il fut inhumé en la basilique Saint-Denis près de Paris[122]. Guillaume Le Breton, source assez fiable, affirme qu'« une pierre recouvrait son corps à côté de celui de Dagobert ». Le Roi aurait été enterré au sud du maître-autel. Pourtant, une chronique composée par un ecclésiastique bien informé de Saint-Martin de Tours, et qui va jusqu’aux années 1225-1227, nous dit que Philippe Auguste était enterré devant le maître-autel. Le corps du Roi aurait donc été déplacé.
192
+
193
+ Lors de la réorganisation de la nécropole, sa tombe fut de fait placée au centre, avec celle de son fils Louis VIII, afin de symboliser l'union des lignées mérovingienne (à droite) et capétienne (à gauche), selon l'idée émise à l'origine par Gilles de Paris (Philippe Auguste, descendant plusieurs fois de Charlemagne, ayant épousé en la personne d'Isabelle de Hainaut une descendante directe de Charles de Basse-Lotharingie, prétendant carolingien et rival d'Hugues Capet).
194
+
195
+ Le tombeau de Philippe Auguste[123] fut cité dans plusieurs chroniques mentionnant sa beauté. Richer de Senones, qui écrit entre 1254 et 1260, est très impressionné par le « tombeau en argent doré avec de nombreuses images » de Philippe Auguste. Le Ménestrel de Reims (vers 1260) décrit ainsi ce tombeau : « ombe de fin or et d’argent où il est tresgeteiz comme rois ; et sont quarante-huit evesques en quatre costeiz de la tombe, enlevei et figurei comme esvesque, revestu si comme pour chanteir messe, les mitres en chiés et les croces es mains ».
196
+
197
+ Ce tombeau a été détruit, de même que ceux de Louis VIII et de Saint Louis, sous l’occupation anglaise entre 1420 et 1435. L’or et l’argent ont été fondus pour les besoins de la guerre en France menée par le roi Lancastre Henri IV et son oncle, le duc de Bedford. Après la fin de la guerre de Cent ans, il ne restait plus au sol que trois dalles marquant l’emplacement de ces somptueux sépulcres[124].
198
+
199
+ Plus généralement, la figure de Philippe II, telle que célébrée par les chroniqueurs du temps, a été en grande partie occultée par la concurrence de Saint Louis, devenu — et pour longtemps — le modèle royal par excellence dès la fin du XIIIe siècle. Il n'en reste pas moins que la victoire de Bouvines reste parmi les éléments les plus essentiels de la mythologie nationale française, grâce aux Grandes Chroniques de France ou, bien plus tard, par les manuels scolaires de la IIIe République. L'église Saint-Pierre de Bouvines, bâtie en 1882, a d'ailleurs été pourvue entre 1887 et 1906, de vingt-et-un vitraux retraçant le déroulement de la bataille, des pièces aujourd'hui classées[126].
200
+
201
+ Les autres traces du règne de Philippe Auguste ont quant à elles disparu progressivement. L'enceinte de Philippe Auguste subsiste à l'état de vestiges qui parsèment Paris, le Louvre médiéval a été dégagé et intégré au musée dans les années 1990. Enfin, toujours à Paris, une avenue et une station de métro continuent de commémorer le vainqueur de Bouvines[127].
202
+
203
+ La personnalité de Philippe II reste contrastée et énigmatique. Il n'a pas été inféodé ni soumis aux événements qu'il a pourtant souvent lui-même suscités. Il n'a jamais capitulé, et quand il a enduré du fait de ses propres erreurs, il a été capable de réparer pour le bien du Royaume[128].
204
+
205
+ Pour se libérer de la tutelle de sa mère et du clan champenois, il se marie alors qu'il est lui-même mineur avec une héritière non pubère qui lui amène dans sa corbeille une dot considérable, l'Artois. Soucieux de sa descendance, d'un tempérament très affirmé mais brouillon, il décide de se séparer d'Isabelle de Hainaut qui ne lui a pas donné d'enfant. Puis, il se ravise comprenant qu'il va commettre l'irréparable comme son père Louis VII le Jeune qui a perdu l'Aquitaine pour avoir laissé partir la duchesse Aliénor. Il se rabiboche avec sa jeune épouse et garde l'Artois, en plus d'un héritier.
206
+
207
+ Philippe II poursuit un but unique : l'accroissement du Royaume et de ses possessions[129]. Il cherchera toute sa vie à récupérer l'Aquitaine et l'Anjou en jouant pour cela le ferment de la division entre Henri II et ses fils, jusqu'à l'achèvement complet de ses objectifs après Bouvines. D'autre part, il est un suzerain loyal et honnête qui n'use pas de sa puissance pour conquérir par les armes. Ainsi, il défend l'héritage artésien de son fils Louis VIII le Lion et même il cherche à accroître le Comté d'Artois en rachetant des parcelles et en désintéressant les châtelains.
208
+
209
+ Philippe II reste marqué par ce qu'il estime être une dépossession territoriale qui réduit le royaume de France au compromis permanent avec des barons plus puissants et plus riches que le roi de France[131]. À l'instar d'un bourgeois ou d'un hobereau, il fait grossir son capital en achetant des terres, contraint les serfs à payer leur affranchissement. Philippe II est l'initiateur de l'état français, pour autant le trésor du royaume est sa fortune personnelle dont il dispose à son gré. Ainsi, dans son testament il répartit la moitié du trésor à des œuvres caritatives de son choix et laisse l'autre moitié à son fils pour qu'il en dispose dans la gestion de l'État[132].
210
+
211
+ Ingeburge de Danemark fut une épine dans son talon. Il ne l'aimait pas, il chercha à s'en débarrasser le plus rapidement possible, ce fut sa plus grande erreur car elle tint bon jusqu'au bout dans ses réclamations. Par son refus du divorce, son refus d'entrer en religion, son refus de retourner au Danemark, elle l'empêcha de vivre auprès d'Agnès de Méranie dont il eut des enfants considérés comme illégitimes.
212
+
213
+ À cet égard, on peut observer qu'il se conduisit envers Ingeburge de Danemark de la même façon qu'il s'était conduit avec Isabelle de Hainaut, avec mépris et arrogance. Isabelle de Hainaut avait su lui tenir tête, elle s'était positionnée en victime n'hésitant pas à mettre le peuple de son côté. C'est sans doute ce qu'a voulu éviter Philippe II en enfermant immédiatement Ingeburge à Étampes, en ne lui laissant pas le temps d'organiser auprès du peuple sa défense. Son rôle de victime serait apparu clairement, il aurait été contraint de la reprendre près de lui comme il l'avait fait avec Isabelle de Hainaut. Or, il ne voulait plus Ingeburge pour épouse et ne voulait pas cette fois se voir contraint à reprendre une épouse dont il ne voulait plus et qui cette fois ne lui rapportait aucune terre. C'est sans doute là qu'Ingeburge a joué de malheur. Ne rapportant qu'une dot assez faible pour un roi de France, et aucune terre, elle n'avait aucun moyen de pression dont elle aurait pu user pour obliger Philippe II à la respecter.
214
+
215
+ Comme quelques historiens l'ont avancé, le rejet d'Ingeburge pourrait s'expliquer par le fait que ce mariage ne lui rapportait pas tant qu'il l'avait espéré, une alliance notamment pour battre les Plantagenêt. Il n'est pas exclu qu'il ait estimé avoir été filouté sur les termes d'un contrat non écrit entre le Danemark et la France. Toutefois, il faut observer que Valdemar II de Danemark, le frère d'Ingeburge, intercédera sans relâche auprès de la France pour faire libérer sa sœur, et ira même plaider sa cause auprès du Pape, en vain. Secundo, Valdemar II de Danemark épouse en 1214, après la bataille de Bouvines et après la libération de sa sœur Ingeburge, Bérengère de Portugal, sœur de Ferrand de Portugal qui avait rejoint la coalition contre Philippe II à Bouvines. Ce mariage est intéressant car il se conclut à un moment où Ferrand de Flandre est captif dans les geôles du Louvre[134].
216
+
217
+ Ingeburge de Danemark n'a été reine de France qu'en titre puisqu'elle n'a jamais exercé et à aucun moment, les fonctions de reine ou de régente[135]. On peut voir le mariage de son frère Valdemar avec la sœur du prisonnier Ferrand de Flandre soit comme un remerciement tacite de la France pour la neutralité du Danemark à la bataille de Bouvines, soit comme une ultime provocation de la part du souverain danois, quoi qu'il en soit la conclusion d'un long épisode de gel diplomatique.
218
+
219
+ À partir de la deuxième moitié du XIIe siècle, les mercenaires sont presque toujours présents dans les armées royales. Ils sont considérés comme les précurseurs de l'armée de métier. Philippe Auguste utilise les mercenaires après ses rivaux Plantagenêt. Mais il réussit par deux fois à retourner les troupes de routiers de ceux-ci. Aux alentours de 1194, il récupéra Lambert Cadoc, un Gallois recruté par Richard Cœur de Lion. Cadoc lui restera fidèle durant 20 ans. Ensuite, au printemps 1204, en guerre contre le roi Jean sans Terre, Philippe Auguste négocie le ralliement de Lupicaire et de sa troupe[136],[137],[138].
220
+
221
+ Naissance de Philippe Auguste (Grandes Chroniques de France, XIVe siècle).
222
+
223
+ Philippe Auguste recevant des messagers du pape l'appelant à la croisade (Grandes Chroniques de France de Charles V, XIVe siècle).
224
+
225
+ Philippe et Richard à la croisade (Guillaume de Tyr, XIVe siècle).
226
+
227
+ Couronnement de Philippe Auguste (Grandes Chroniques de France (Jean Fouquet), XVe siècle).
228
+
229
+ Philippe Auguste (Recueil des rois de France de Jean du Tillet, vers 1550).
230
+
231
+ Tristan de Léonois, XVe siècle, BnF, manuscrit Français 116, enluminure du folio 676 verso.
232
+
233
+ Roman de Renart, BnF (Mss.), fin XIIe siècle, Français 12584, folio 18v-19r.
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+ Philippe (Filip en néerlandais, Philippe en allemand), né le 15 avril 1960 au château du Belvédère à Bruxelles[1], est, depuis le 21 juillet 2013, le septième roi des Belges.
4
+
5
+ Fils aîné du roi Albert II et de la reine Paola, il devient roi en prêtant serment le 21 juillet 2013 à 12 h 12, devant les chambres réunies, en néerlandais, français et allemand, après l'abdication de son père selon l'annonce faite par ce dernier le 3 juillet 2013[2],[3].
6
+
7
+ Né le 15 avril 1960 au château du Belvédère, le prince Philippe est baptisé un mois plus tard, le 17 mai 1960 en l'église Saint-Jacques-sur-Coudenberg de Bruxelles[4]. Son parrain est son grand-père paternel le roi Léopold III, sa marraine est sa grand-mère maternelle, la princesse italienne Luisa Ruffo di Calabria[5]. Son prénom rend hommage à son trisaïeul, Philippe de Belgique, comte de Flandre, frère du roi Léopold II[6].
8
+
9
+ Le prince Philippe effectue en français ses études primaires et ses trois premières années secondaires au collège Saint-Michel d'Etterbeek. Il est ensuite interne pendant ses trois dernières années d'humanités en néerlandais à l'abbaye de Zevenkerken à Sint-Andries, Bruges[1].
10
+
11
+ De 1978 à 1981, le prince Philippe suit des cours à l'école royale militaire de Bruxelles avec la 118e Promotion Toutes Armes[7]. Nommé sous-lieutenant en 1980, le prince reçoit ses ailes de pilote de chasse des mains du roi Baudouin le 9 juillet 1982[7]. Après la force aérienne, il rejoint la force terrestre à l'École du régiment Para-Commando[7].
12
+
13
+ Après sa formation militaire, il séjourne deux mois au Trinity College de l'université d'Oxford et poursuit ses études à partir de septembre 1983 à la Graduate School de l'université Stanford en Californie. Le 16 juin 1985, il y obtient le diplôme de master of Arts en sciences politiques[8]. À partir de septembre 1992, il reçoit une dotation publique pour pouvoir s'entourer de ses propres conseillers en plus de ceux de son père ou de son oncle. Elle s'élève à 14 millions de francs belges par an[9].
14
+
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+ Il est promu lieutenant-général et vice-amiral, en 2010[10].
16
+
17
+ À la suite du décès du roi Baudouin le 31 juillet 1993 et de l'accession au trône de son père le 9 août suivant, Philippe devient prince héritier et reçoit le titre de duc de Brabant[11]. Il succède à son père à la présidence d'honneur de l'office belge du commerce extérieur (OBCE). À la suite de la régionalisation partielle du commerce extérieur et la disparition de l'OBCE, le prince Philippe est nommé président d'honneur de la nouvelle agence pour le commerce extérieur, le 3 mai 2003[12]. Comme le veut la coutume, le prince héritier prête serment le 21 juin 1994 comme sénateur de droit[8] et y est rejoint quelques années plus tard par sa sœur, la princesse Astrid et son frère, le prince Laurent. Chaque année, il préside plusieurs missions économiques de plusieurs jours à l'étranger. La présence du fils du roi à la tête d'une délégation facilite la signature de contrats et donne une couverture médiatique plus importante pour les entreprises belges, en premier lieu dans les pays visités[13]. En Belgique même, il visite des usines ou des sociétés, rencontre des patrons et s'intéresse aux projets économiques du gouvernement.
18
+
19
+ D'octobre 1993 à mai 1997, le prince Philippe assume la présidence du Conseil national du développement durable, qui avait vu le jour à la suite de la conférence de Rio. Lorsqu'en 1997, cette institution s'est transformée en conseil fédéral du développement durable, il en accepta la présidence d'honneur[14]. En septembre 2002, il présida avec le premier ministre Guy Verhofstadt la délégation belge au sommet des Nations unies sur le développement durable à Johannesbourg en Afrique du Sud[14].
20
+
21
+ Le 29 mai 1998, il lance le fonds prince Philippe, qui a pour mission de contribuer à entretenir un dialogue permanent entre les trois communautés de Belgique. Il vise à favoriser des échanges, des rencontres et un dialogue entre des groupes de citoyens (principalement des écoles), afin de stimuler une plus grande reconnaissance mutuelle dans le respect de la spécificité et de la culture de chacun[15]. Le fonds Prince Philippe connaît beaucoup de succès.
22
+
23
+ Depuis 2000, le prince Philippe accorde son haut patronage à l'ONG Plan International Belgique. En 2002, il a reçu le titre de docteur honoris causa de la Katholieke Universiteit Leuven. Le prince est aussi le président d'honneur de la Fondation polaire internationale, de l'Amicale nationale Para-Commando et de Bio, une société belge d'investissement pour les pays en voie de développement.
24
+
25
+ En 2004, Philippe (âgé de 44 ans) réussit ses examens pratiques de pilote d'hélicoptère à la base aérienne de Brustem à bord de son propre appareil, un Robinson R44 rouge immatriculé OO-PFB. Parmi ses autres passions : l'astronomie, les sciences et la philosophie.
26
+
27
+ Il a épousé le 4 décembre 1999, Mathilde d'Udekem d'Acoz, fille ainée du comte Patrick d'Udekem d'Acoz, dans la cathédrale Sainte-Gudule ; le mariage est célébré par le cardinal Danneels.
28
+
29
+ Après leur mariage, le duc et la duchesse de Brabant ont accompli la tradition des Joyeuses Entrées dans les chefs-lieux des provinces du pays.
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+
31
+ Le couple vit au château de Laeken et a quatre enfants[8] :
32
+
33
+ Cliquez sur une vignette pour l’agrandir.
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+
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+ Le prince Philippe et la princesse Mathilde acceptent de participer à l'émission diffusée le 28 février 2008 par la chaîne de télévision VTM dans le cadre du « Levenslijn », une opération en faveur de la sécurité routière pour les enfants. Le prince a fait une promenade à vélo avec des adolescents, la princesse a rencontré des personnes hospitalisées à cause d’un accident de voiture et le couple a ensuite répondu aux questions de VTM.
36
+
37
+ Des rumeurs couraient régulièrement sur l'éventuelle abdication du roi Albert II et l'accession du prince Philippe sur le trône de Belgique. Dans son édition du 2 mars 2012, le journal Le Soir évoque même une abdication le 21 juillet 2013, et par la même occasion l'accession au trône du duc de Brabant.
38
+
39
+ Le 3 juillet 2013, lors d'une allocution radiotélévisée[2],[3], le roi Albert II s'adresse à la population et annonce sa décision d'abdiquer le 21 juillet 2013, à la suite de quoi Philippe lui succédera comme roi des Belges en prêtant serment devant les Chambres réunies.
40
+
41
+ Le 21 juillet 2013, Albert II abdique et Philippe devient le septième roi des Belges.
42
+
43
+ Un sondage réalisé un mois après son arrivée sur le trône annonce que deux Belges sur trois ont une perception positive du nouveau souverain, avec une popularité en forte hausse, y compris en Flandre [20],[21]. Après cinq années de règne, un peu moins de la moitié des Belges trouve que le couple royal aurait « modernisé la monarchie ».
44
+
45
+ Lors de la crise de la Covid-19, le Roi et sa famille montrent leur soutien au peuple en offrant des masques à la population, en apportant des fleurs et des gâteaux aux personnes âgées, en les soutenant par des messages écrits, via skype ou par des discours[22],[23],[24],[25],[26].
46
+
47
+ Le 30 juin 2020, à l'occasion des 60 ans de l'indépendance de la République démocratique du Congo, le Roi adresse une lettre au président congolais Félix Tshisekedi à travers laquelle il exprime ses « plus profonds regrets » concernant l'époque coloniale (Congo belge et avant lui État indépendant du Congo).[27] Il s'agit de la première fois que les plus hautes instances politiques belges font un pas vers une reconnaissance des erreurs et atrocités durant cette période. Ce geste fort est salué par les autorités politiques tant belges que congolaises.[28],[29]
48
+
49
+ Le roi dispose du droit absolu de choisir librement ses proches collaborateurs pour sa Maison, attachée à la Cour belge[30].
50
+
51
+ Se sont succédé comme chefs de cabinet du roi Philippe :
52
+
53
+ Et comme chefs de la Maison militaire :
54
+
55
+ Les armoiries royales ont été modifiées par l'arrêté royal du 12 juillet 2019, paru au Moniteur belge du 19 juillet 2019 (2e édition). La modification principale consiste en l'ajout, sur l'épaule du lion d'or, d'un écusson burelé d'or et de sable de dix pièces, au crancelin de sinople, brochant en bande sur le tout. Cet écusson saxon, qui avait été adopté en 1425 par les Wettin comme symbole de leur dignité électorale, figurait dans le blason royal de Belgique jusqu'après la Première guerre mondiale. Aucun texte n'avait expressément confirmé cet abandon de l'écusson saxon mais il ne figurait plus depuis lors dans les armoiries royales. L'arrêté royal du 12 juillet 2019 rétablit ainsi une longue tradition en rétablissant l'écusson saxon dans les armoiries royales.
56
+
57
+ De plus, la devise du royaume L'union fait la force y figure désormais dans les 2 autres langues nationales.
58
+
59
+ Par ailleurs, le même arrêté royal prévoit que le roi ou la reine qui a abdiqué porte ces mêmes armes mais chargées d'un lambel à trois pendants de gueules.
60
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+ Les portraits officiels des souverains ont été réalisés par Marie-Jo Lafontaine et Marina Cox et dévoilés dès le 22 juillet 2013. Ils sont destinés aux bâtiments officiels[38].
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+ Philippe II dit « Auguste »[2], né le 21 août 1165 à Paris et mort à Mantes le 14 juillet 1223, est le septième roi (1180-1223) de la dynastie des Capétiens. Il est le fils héritier de Louis VII et d'Adèle de Champagne.
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+ Le surnom d'« Auguste » lui fut donné par le moine Rigord[3] après que Philippe II eut ajouté au domaine royal en juillet 1185 (traité de Boves) les seigneuries d’Artois, du Valois, d’Amiens et une bonne partie du Vermandois[4] et également parce qu'il était né au mois d'août. Référence directe aux empereurs romains, ce terme signifie qu'il a accru considérablement le domaine.
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+ Chapelain et biographe de Philippe II, Guillaume Le Breton le nomme « Philippe le Magnanime »[5] dans sa chronique La Philippide rédigée entre 1214 et 1224. Cette chronique est une continuation de celle de Rigord que Philippe II lui avait demandé d'expurger, la jugeant moins laudatrice qu'il le souhaitait.
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+ Philippe Auguste reste l'un des monarques les plus admirés et étudiés de la France médiévale, en raison non seulement de la longueur de son règne, mais aussi de ses importantes victoires militaires et des progrès essentiels accomplis pour affermir le pouvoir royal et mettre fin à l'époque féodale.
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+ Philippe Auguste est le premier roi ayant fait porter sur ses actes, sporadiquement à partir de 1190, officiellement à partir de 1204[6], Rex Franciæ, « roi de France », au lieu de Rex Francorum, « roi des Francs »[a]. Il faut cependant relever que les traités et conventions de paix signés entre les vassaux ou alliés et le royaume de France mentionnent sans exception Philippus rex Francorum (« Philippe, roi des Francs »), à la différence, par exemple, de Richardus rex Angliæ (« Richard, roi d'Angleterre »), mais comme Henri, roi des Romains.
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+ La naissance de Philippe Auguste, en 1165, est accueillie comme un miracle par la famille royale. En effet, Louis VII attend depuis près de trente ans un héritier et c'est sa troisième épouse, Adèle de Champagne, qui lui donne tardivement ce fils tant espéré. Une attente qui vaut au futur Philippe II le surnom de Dieudonné[8],[9]. Il est baptisé dès le lendemain de sa naissance dans la Chapelle Saint-Michel-du-Palais au palais de la Cité à Paris par l'évêque Maurice de Sully en présence de trois parrains[10] et trois marraines[11]'[12].
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+ Comme tous les premiers rois capétiens depuis Hugues Capet, Louis VII, accablé par la maladie, pense à associer son fils à la couronne au printemps 1179, puis à lui laisser le pouvoir le 28 juin 1180. Mais la cérémonie du sacre est retardée à la suite d'un accident de chasse du jeune prince[13] dont la vie est menacée. Jean Favier précise la nature de l'incident (et non l'accident) : le jeune Philippe s'est égaré dans la forêt et n'est retrouvé que deux jours plus tard tremblant de peur et passablement perturbé[14]. L'état de santé du prince est suffisamment grave pour que Louis VII se déplace en Angleterre, malgré sa santé déclinante, et aille se recueillir sur la tombe de Thomas Becket[15], l'archevêque de Cantorbéry mort assassiné en 1170 et devenu un saint thaumaturge[16].
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+ Complètement remis sur pied et en l'absence de son père de plus en plus souffrant, Philippe est associé à la couronne et sacré le 1er novembre 1179 à Reims par son oncle l'archevêque Guillaume aux Blanches Mains[17]. L'absence à la cérémonie de la reine Adèle ainsi que des trois autres oncles maternels, alors que les fils d'Henri II Plantagenêts y assistent et que surtout le comte de Flandre Philippe d'Alsace parraine l'adoubement, est symbolique du revirement des influences. La Maison de Blois-Champagne prépondérante à la fin du dernier règne cède le pas à la Maison de Flandre[14].
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+ Pour échapper à l’emprise de sa mère et de ses oncles maternels, Philippe II se rapproche de son parrain Philippe d'Alsace, comte de Flandre, qui lui donne sa nièce Isabelle en mariage. Le 28 avril 1180, l'évêque Roger de Laon bénit les jeunes époux en l'abbaye d'Arrouaise près de Bapaume. Le Jeudi de l'Ascension 29 mai 1180 à Saint-Denis, lors de la consécration de son épouse Isabelle de Hainaut comme reine de France, il reçoit une seconde fois l'onction sainte par l'archevêque de Sens[18], Guy Ier de Noyers, successeur de Guillaume aux Blanches Mains, au grand dam de ce dernier, qui accuse d'usurpation son pair. Isabelle, fille de Baudouin V de Hainaut lui apporte l'Artois en dot. Puis, le 28 juin 1180, trois mois avant la mort de son père, il signe le Traité de Gisors avec Henri II d'Angleterre. Ces deux événements renforcent la position du jeune roi face aux maisons de Flandre et de Champagne[19].
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+ La mort de son père survient le 18 septembre 1180 et laisse Philippe seul roi, à quinze ans. Confronté à l'affaiblissement du pouvoir royal, Philippe se révèle rapidement à la hauteur du défi.
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+ À l'intérieur du domaine, l'une de ses premières décisions est totalement contraire à la politique suivie par son père : l'expulsion des juifs et la confiscation de leurs biens[20] (17 avril 1182[21]) tranche avec la protection que Louis VII avait accordée à la communauté juive[22]. La raison officiellement donnée désigne les juifs responsables de calamités diverses, mais l'objectif réel est surtout de renflouer les caisses royales, bien mal en point en ce début de règne[23]. Ces mesures ne dureront pas : l'interdiction du territoire (d'ailleurs difficile à faire respecter) cesse en 1198, et l'attitude conciliatrice qu'avait adoptée Louis VII redevient bientôt la norme. Cependant, le pape Innocent III condamne quelques activités des juifs en France et exhorte Philippe Auguste dans la lettre Etsi non displiceat en 1205 à les sanctionner pour montrer la ferveur de sa foi chrétienne[24] (en latin : « in eorum demonstret persecutione fervorem quo fidem prosequitur Christianam »)[25].
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+ Du point de vue juif, la mesure fut ainsi perçue : « En l'année 4946, c'est-à-dire en 1186[b], il fit saisir les Juifs dans toutes les provinces de son royaume, leur ravit leur argent et leur or et les chassa de son pays. Beaucoup abjurèrent alors leur foi et recouvrèrent par là leurs fortunes et leurs biens, se mêlèrent aux chrétiens et vécurent comme eux. Les synagogues, Philippe en fit des églises pour son Dieu, et avec ce qu'il avait pris, il éleva de nombreux édifices, le palais de l'Hôtel-de-ville, le mur de la forêt de Vincennes près de Paris et les Champeaux, où se tient le marché de Paris. Les Juifs de France étaient alors deux fois plus nombreux que ceux qui sortirent d'Égypte : ils émigrèrent par sept chemins de ce pays devenu cruel pour eux, et Israël devint extrêmement malheureux »[27].
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+
27
+ À la fin du règne de Louis VII, le comte Philippe de Flandre avait proposé au vieux roi sa nièce Ide, fille de son frère Mathieu, comte de Boulogne. Pour renforcer son influence, il négocie au début de 1180 le mariage de sa nièce Isabelle, fille de sa sœur Marguerite et de Baudouin, comte de Hainaut. Le parti flamand, rival du parti champenois, espérait ainsi disposer d'un membre influent à la cour, tout comme l'avait fait le parti champenois, son rival, avec Adèle de Champagne dans les dernières années du règne de Louis VII[28].
28
+
29
+ Le 28 avril 1180, Isabelle de Hainaut épouse donc Philippe, le mariage religieux est célébré par les évêques Henri de Senlis et Roger de Laon[29] en l'église de l'abbaye Saint-Nicolas d'Arrouaise, dédiée à la Sainte-Trinité[30]. Les cérémonies sont célébrées au château de Bapaume[31] à proximité du territoire flamand.
30
+
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+ Le lieu du mariage avait été tenu secret par Philippe II de France car sa mère Adèle de Champagne, ses frères et tout le parti champenois étaient contre cette alliance mais Philippe II Auguste tenait à cette union et décida de choisir un lieu en dehors des terres champenoises. Ce désaccord valut à Isabelle de Hainaut un ressentiment profond de la part d'Adèle de Champagne[32].
32
+
33
+ Dès 1181, le conflit avec les barons est ranimé, mené par le comte de Flandre, Philippe d'Alsace, avec lequel Philippe s'est brouillé. Il parvient toutefois à contrer les ambitions du comte en brisant les alliances que ce dernier a nouées avec le landgrave de Brabant, Godefroy de Louvain, et l'archevêque de Cologne, Philippe de Heinsberg[33]. En juillet 1185, le traité de Boves confirme au roi la possession du Vermandois, de l'Artois et de l'Amiénois[34].
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+ Les Plantagenêt sont l'autre préoccupation majeure de Philippe Auguste. Les possessions d'Henri II d'Angleterre, également comte d'Anjou, comprennent la Normandie, le Vexin, et la vaste Aquitaine. De plus, par le mariage de Geoffroy, fils de Henri II, les Plantagenêt gouvernent aussi la Bretagne. Après deux ans de combats (1186-1188), la situation reste indécise. Philippe cherche habilement à profiter des rivalités entre les fils du roi d'Angleterre, Richard, avec lequel il se lie d'amitié, et son cadet Jean sans Terre. Une paix de statu quo est finalement négociée, alors que le pape Grégoire VIII, après la prise de Jérusalem par Saladin en 1187, appelle à la croisade. Philippe Auguste est peu motivé par une telle aventure mais ne peut opposer un refus au pape. Il prend la croix et invoque les dangers qui menacent son royaume pour surseoir. La mort d'Henri II en juillet 1189 clôt cet épisode. Le roi ne peut plus se dédire, il se prépare au départ en Terre sainte.
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+ En 1183, Philippe Auguste, pressé d'avoir un héritier et brouillé avec Philippe d'Alsace et Baudouin V de Hainaut songe à se séparer d'Isabelle.
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+ En mars 1184, la répudiation est décidée. Une assemblée de prélats et de seigneurs réunie à Senlis va se prononcer, quand Isabelle, raconte le chroniqueur Gilbert de Mons[35], pieds nus et habillée en pénitente, fait à pied le tour des églises de la ville et implore Dieu devant le peuple qui l'aimait pour son grand cœur. Celui-ci prend fait et cause pour elle, et Philippe Auguste recule et la garde auprès de lui[36].
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+ Philippe Auguste et Richard partent ensemble pour la troisième croisade, qui mobilise également la plupart des grands barons de France. Ils embarquent à la fin de l'été 1190, Philippe de Gênes et Richard de Marseille. Mais ils sont surpris par les tempêtes d'hiver en Méditerranée et doivent attendre plusieurs mois en Sicile, à Messine. Là, la rivalité entre les deux rois se ranime autour des projets de mariage de Richard, qui rompt ses fiançailles avec Adélaïde (demi-sœur de Philippe) et s'engage avec Bérengère de Navarre[37]. Philippe Auguste quitte Messine dès qu'il le peut, le 30 mars 1191.
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+ Il arrive à Acre le 20 avril 1191 et participe au siège de la cité, contrôlée par les musulmans. Richard n'arrive qu'en juin, après un détour par Chypre : les renforts anglais sont les bienvenus mais les querelles reprennent immédiatement entre les deux rois. Pour aggraver la situation, ils sont tous deux victimes de maladie[c], causant notamment une forte fièvre, ils perdent cheveux et ongles. Philippe Auguste perd également l'usage d'un œil. Les opérations militaires avancent toutefois : les Français percent une première fois les murs d'Acre le 3 juillet, sans succès ; puis ce sont les Anglais qui échouent. Affaiblis, les assiégés capitulent le 12 juillet 1191.
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+ La croisade ne fait que commencer, pourtant Philippe décide de prendre le chemin du retour. La mort du comte de Flandre survenue le 1er juin lors du siège de Saint-Jean-d'Acre rouvre le dossier sensible de la succession flamande[44]. Le fait qu'il n'ait qu'un seul héritier l'invite par ailleurs à la prudence. C'est dans un état de santé délabré et très atteint physiquement que Philippe passe par Rome pour obtenir du pape l'autorisation de quitter la croisade. Le roi rentre à Paris le 27 décembre 1191.
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+ Il s'agit là de la première préoccupation de Philippe à son retour de croisade. La mort du comte de Flandre, sans descendance, suscite les convoitises de trois prétendants : Baudouin, comte de Hainaut, Éléonore de Vermandois, comtesse de Beaumont, et Philippe Auguste lui-même.
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+ Au terme de tractations, Baudouin est désigné comme héritier du comté de Flandre après paiement de cinq mille marcs d'argent[45]. Cependant, Philippe Auguste confirme par une charte de 1192 le Valois et le Vermandois à Éléonore, qui doivent revenir au roi après la mort de celle-ci. Enfin, le roi reçoit Péronne et l'Artois, au nom de son fils Louis, comme héritage de la reine Isabelle de Hainaut morte en 1190[46]. Les positions royales au nord sont donc considérablement renforcées.
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+ Après la disparition de la reine Isabelle, Philippe Auguste sait qu'il doit se remarier au plus vite. La succession dynastique n'est en effet pas assurée : son seul fils, Louis, n'a que quatre ans et vient de survivre à une grave maladie. Le choix d'Ingeburge de Danemark s'organise autour de la nécessité pour le roi Philippe de mettre un empêchement aux ambitions des souverains britanniques (essayant par là de réveiller les vieilles rivalités entre Danois et Anglais, en vain), une politique française menée depuis bientôt un siècle par ses prédécesseurs.
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+ Sœur du roi Knut VI, âgée de dix-huit ans, Ingeburge n'est qu'une des nombreuses épouses possibles pour Philippe. Pourtant cette union avec la maison royale danoise lui permettrait de fragiliser la dynastie anglo-normande. En effet, Ingeburge descend par les femmes du roi Harold II mort à la bataille d'Hastings contre Guillaume de Normandie, futur roi d'Angleterre et fondateur de la dynastie anglo-normande. Philippe II pense avoir trouvé un moyen de pression avec l'antériorité des droits de sa future épouse Ingeburge, droits qu'il aurait envisagé de faire valoir par la force et avec le concours des princes danois.
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+ Un accord est conclu sur une dot de dix mille marcs d'argent dont une large partie est versée le jour du mariage par les plénipotentiaires danois présents à la cérémonie, la princesse est amenée en France, Philippe la rencontre à Amiens le 14 août 1193 et l'épouse le jour même[47]. Le lendemain, Philippe fait écourter la cérémonie du couronnement de la reine et expédie Ingeburge au monastère de Saint-Maur-des-Fossés. Le roi annonce qu'il souhaite faire annuler le mariage[48].
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+ Les raisons de cette séparation précipitée, suivie pour Ingeburge de sept ans de captivité[d] et, pour Philippe, du refus absolu de reconnaître sa place de reine, sont restées inconnues et ont donné lieu à toutes les spéculations possibles de la part des contemporains comme des historiens.
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+ Les sources britanniques prétendent que le roi Philippe avait conçu un dégoût immédiat pour son épouse, ce qui est contredit par le fait qu'il se soumettra plus tard et à de nombreuses reprises à ses obligations d'époux, même lorsqu'il le nia pour n'avoir pas à reprendre Ingeburge à ses côtés en qualité de reine de France.
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+
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+ Les historiens français ont pensé que les Danois avaient pour leur part rejeté tout projet d'envahir l'Angleterre, ce qui rendait le mariage de Philippe II subitement inintéressant pour lui, car d'une part il n'obtenait plus le concours des Danois pour envahir l'Angleterre et en plus il devait rendre la dot de son épouse ce qui était au moins une aussi grande torture pour un roi qui comptait la moindre rentrée d'argent.
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+ C'est pourquoi la version selon laquelle le roi Philippe aurait été mal remis de la maladie qu'il avait contractée à la croisade ne peut être totalement écartée[50].
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+ Toujours est-il que pour défendre l'annulation du mariage, Philippe souhaite faire valoir, comme il l'avait fait avec Isabelle de Hainaut dont il avait également souhaité se séparer avant de reculer devant la pression populaire, un lien de parenté prohibé par l'Église.
66
+
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+ Ingeburge ne pourra faire appel à un soutien populaire, puisqu'elle ne parle pas un mot de français ; elle est tout juste capable de s'exprimer dans un latin assez rudimentaire. Une assemblée d'évêques et de barons donne aisément raison au roi, qui se remarie à la hâte avec Agnès de Méranie, jeune noble bavaroise, dès juin 1196.
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+ Mais le nouveau pape Innocent III, élu en 1198, ne l'entend pas de cette oreille. Souhaitant affirmer son autorité, il enjoint à Philippe Auguste de renvoyer Agnès et de rendre sa place à Ingeburge. En l'absence de réaction du roi, l'interdit est lancé sur le royaume à partir du 13 janvier 1200 et le pape excommunie Philippe Auguste[51]. Philippe laisse toutefois la cause en suspens, Ingeburge reste captive, désormais dans la tour d'Étampes. Le roi organise finalement une cérémonie de réconciliation, et l'interdit est levé par le légat pontifical Octavien lors du concile de Nesle en Vermandois le 7 septembre 1200[52]. Mais la cérémonie ne rend pas tout à fait sa place à Ingeburge, et la procédure d'annulation du mariage se poursuit, Philippe étant désormais bigame. Le concile de Soissons qui se réunit en mars 1201 se conclut cependant par l'échec de Philippe Auguste, qui abrège lui-même les débats et renonce à faire casser le mariage. Finalement, en juillet 1201, Agnès de Méranie meurt à Poissy en donnant à Philippe un deuxième héritier mâle, Philippe (après avoir donné naissance à une fille, Marie, en 1198), reconnu comme tel par le pape en novembre 1201. La crise est momentanément close et la succession dynastique est assurée.
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+ Philippe reprend la procédure d'annulation du mariage en 1205, cette fois sur motif de non-consommation dans le temps, un motif rejeté par l'Église catholique puisque Ingeburge put attester des visites régulières de son époux dans les lieux où il la retient captive.
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+ Il est probable que son opiniâtreté à obtenir la séparation tienne à la naissance en 1205 de son troisième fils, Pierre Charlot, qui resta de ce fait illégitime et dont l'éducation fut confiée en 1212 à l'Église catholique probablement après la mort de sa mère, la « dame d'Arras ».
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+ Constatant définitivement que ces projets débouchent sur une impasse gênante, le roi met fin brutalement aux négociations de rupture en 1212 (comme en 1201) et, résigné, rend sa place, sinon d'épouse, du moins de reine en titre, à la malheureuse Ingeburge.
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+ Richard Cœur de Lion poursuit la croisade après le départ de Philippe : il reprend les principaux ports palestiniens, jusqu'à Jaffa, et rétablit le royaume latin de Jérusalem, bien que la ville proprement dite lui échappe. Il négocie finalement une trêve de cinq ans avec Saladin et rembarque au mois d'octobre 1192. Les tempêtes d'hiver le surprennent de nouveau : échoué à Corfou, il est capturé par le duc d'Autriche Léopold V, qui le remet entre les mains de l'empereur germanique Henri VI, son ennemi. Pour la libération de Richard, l'empereur demande une rançon de cent mille marcs d'argent, plus cinquante mille marcs pour l'aider à conquérir la Sicile[53].
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+ Philippe profite de la situation pour négocier avec Jean sans Terre, le frère cadet de Richard, qui a pris le contrôle du royaume anglo-normand. Espérant récupérer la couronne anglaise grâce au soutien de Philippe, il prête hommage en 1193. Puis, alors que Philippe Auguste attaque les possessions des Plantagenêt, Jean cède au roi de France l'Est de la Normandie (le Vexin normand), Le Vaudreuil, Verneuil et Évreux, moyennant mille marcs d'argent, par un accord écrit, en janvier 1194. Par sa finesse diplomatique et militaire, Philippe tient son rival en respect.
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+ Richard est finalement libéré le 2 février 1194. Sa mère, Aliénor d'Aquitaine, a payé les deux tiers de la rançon demandée, soit cent mille marcs d'argent, le solde devant être versé plus tard[53]. Conscient de la valeur de son adversaire, Philippe Auguste aurait écrit à Jean sans Terre : « Prenez garde à vous maintenant, le diable est lâché »[54]. La riposte de Richard est immédiate : après deux mois passés en Angleterre, il débarque en Normandie le 12 mai 1194 ; s'engage alors une guerre d'escarmouches. Le 10 mai, Philippe met le siège devant Verneuil, qui refuse de se soumettre. Quand lui parvient l'annonce du massacre de la garnison française d'Évreux, que Jean, réconcilié avec son frère, vient de lui livrer, il abandonne le siège, le 28 mai, et pousse vers Évreux, qu'il détruit. De son côté, Richard reprend Loches après huit jours de siège, le 14 juin. Puis, le 5 juillet, Philippe s'apprêtant à mettre le siège devant le château de Vendôme, Richard lui dresse un guet-apens près de Fréteval, au cours duquel il s'empare des bagages de Philippe, du sceau royal et de son chartrier (événement à l'origine de la création de la garde des archives royales, appelées Trésor des Chartes).
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+ Les deux souverains conviennent d'une trêve le 23 juillet 1194, mais celle-ci n'est pas respectée. En 1195, la guerre se déplace en Berry, où les deux armées se rencontrent, près d'Issoudun. Alors que l'on s'apprête au combat, Richard va trouver Philippe et lui prête hommage pour le duché de Normandie et les comtés d'Anjou et de Poitiers. Un traité de paix est signé à Gaillon le 15 janvier 1196 : Richard cède Gisors et le Vexin normand à Philippe, qui lui abandonne les différentes conquêtes qu'il a faites en Normandie et ses prétentions sur le Berry et l'Auvergne.
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+ Ayant perdu sa principale place forte avec Gisors, Richard entame la construction de Château-Gaillard, ce qui rallume la guerre. Richard prend et détruit le château de Vierzon, dans le Berry, et se fait livrer à prix d'argent le château de Nonancourt. De son côté, Philippe s'empare, à l'automne 1196, des châteaux de Dangu et d'Aumale, et reprend Nonancourt. Richard envahit le Vexin (1197-1198), ravageant les bords de Seine au-dessous de Paris. Philippe est battu en septembre 1198 entre Gamaches et Vernon. Le 26 septembre 1198, Richard s'empare des châteaux de Boury et de Courcelles, puis bat près de Gisors les troupes de Philippe, venu au secours de ces places fortes[55],[56]. Philippe manque de se faire tuer pendant la bataille. Chargeant à la tête de ses troupes, il aurait déclaré : « Je ne fuirai pas devant mon vassal »[57].
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+ Les deux rois cherchent des soutiens, tandis que le nouveau pape Innocent III[58], qui souhaite mettre sur pied une nouvelle croisade, les pousse à négocier. Le 13 janvier 1199, entre Les Andelys et Vernon, ils conviennent en présence du légat d'une trêve de cinq ans, d'ailleurs mal respectée[59]. La situation se règle brusquement : lors du siège du donjon du château de Châlus-Chabrol (Limousin) le 26 mars 1199, Richard est frappé par un carreau d'arbalète. Il succombe à sa blessure quelques jours plus tard, le 6 avril, à quarante-et-un ans et au faîte de sa gloire.
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+ La succession de Richard Cœur de Lion ne va pas de soi : face à Jean sans Terre le jeune Arthur de Bretagne (âgé de douze ans), fils de son frère aîné Geoffroy II de Bretagne mort en 1186, est un prétendant sérieux. Philippe Auguste profite de cette rivalité et, comme il avait pris position pour Jean contre Richard, il prend cette fois position pour Arthur contre Jean. Il reçoit l'hommage du duc Arthur Ier de Bretagne pour les possessions françaises des Plantagenêt au printemps 1199[60]. Ceci lui permet de négocier en position de force avec Jean sans Terre, et le traité du Goulet, en mai 1200, est favorable à Philippe Auguste. Le traité est scellé par le mariage entre Louis de France et Blanche de Castille, nièce de Jean.
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+ Les hostilités ne cessent pas vraiment, et se concentrent désormais en Aquitaine. Philippe se rapproche donc d'une part d'Arthur, et convoque Jean, son vassal au titre du traité du Goulet, pour ses actions en Aquitaine et à Tours. Jean ne se présente naturellement pas et la cour de France prononce la confiscation de ses fiefs.
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+ La suite se joue sur le terrain militaire. Philippe part dès le printemps 1202 à l'assaut de la Normandie tandis qu'Arthur s'attaque au Poitou. Mais le jeune duc est surpris par Jean sans Terre lors du siège de Mirebeau, et fait prisonnier avec ses troupes. Arthur de Bretagne disparaît dans les mois qui suivent, probablement assassiné début 1203. Philippe s'assure alors le soutien des vassaux d'Arthur et reprend son action en Normandie au printemps 1203. Il démantèle le système des châteaux normands, prend Le Vaudreuil, et entame le siège de Château-Gaillard en septembre 1203. De son côté, Jean fait l'erreur de quitter la Normandie pour rentrer en Angleterre, en décembre 1203. Château-Gaillard tombe le 6 mars 1204.
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+ Philippe Auguste peut alors envahir l'ensemble de la Normandie : Falaise, Caen, Bayeux, puis Rouen qui capitule et dont le capitaine et gouverneur Pierre de Préaux signe l'acte de capitulation, après 40 jours de siège, le 24 juin 1204 en constatant que le secours de Jean n'arrive pas. Verneuil et Arques tombent immédiatement après et parachèvent le succès de Philippe, qui vient de prendre toute la Normandie en deux ans de campagne. Philippe se tourne alors vers la vallée de la Loire, il prend d'abord Poitiers en août 1204, puis Loches et Chinon en 1205. Jean et Philippe conviennent finalement d'une trêve à Thouars, à compter du 13 octobre 1206. Pour Philippe Auguste, l'objectif est désormais de stabiliser ces conquêtes rapides.
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+ Toute la période qui s'étale de 1206 à 1212 voit Philippe Auguste s'efforcer de consolider ses conquêtes territoriales. Le cas est particulièrement violent en Auvergne. Depuis les années 1190 les conflits entre le roi de France et le comte Guy II d'Auvergne sont récurrents. Le comte se déclare tantôt vassal des Plantagenêt tantôt indépendant et à la suite de la prise de l'abbaye royale de Mozac par les troupes du comte d'Auvergne, Philippe-Auguste saisit l'opportunité et lance son armée à la conquête de l'Auvergne. La guerre dure entre deux et trois ans selon les sources mais se termine après le siège de Tournoël en décembre 1213[61],[62].
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+ La domination capétienne est acceptée en Champagne, en Bretagne mais l'Auvergne, le comté de Boulogne et la Flandre posent problème. À la suite de la conquête de 1213, la population auvergnate prend mal cette annexion et de nombreux scribes auvergnats partisans du comte Guy II d'Auvergne vont réaliser des sirventès vengeurs. Parmi ces pamphlets contre le roi de France et ses vassaux ayant mené la guerre contre Guy se retrouvent ceux du XIIIe siècle cités dans le roman de Flamenca[63].
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+ Renaud de Dammartin, comte de Boulogne, est une première source de préoccupation. Malgré les attentions de Philippe Auguste, qui marie notamment en 1210 son fils Philippe Hurepel à Mathilde, fille de Renaud, ce dernier négocie avec le camp ennemi, et les soupçons de Philippe prennent corps lorsque le comte entreprend de fortifier Mortain, en Normandie occidentale. En 1211, Philippe passe à l'offensive, il prend Mortain, Aumale et Dammartin. Renaud de Dammartin s'enfuit auprès du comte de Bar-le-Duc et ne constitue plus un danger immédiat.
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+ En Flandre s'ouvre une période d'incertitude : Baudouin, comte de Flandre et de Hainaut, prend part à la quatrième croisade à partir de l'été 1202, participe à la prise de Constantinople et est élu empereur du nouvel empire latin fondé en mai 1204. Mais il est fait prisonnier par les Bulgares en 1205 et tué peu après. Philippe, frère de Baudouin et comte de Namur, qui assure la régence en Flandre, jure finalement fidélité à Philippe Auguste, contre l'avis de ses conseillers. Le roi, pour stabiliser le comté, marie la seule héritière de Baudouin, sa fille Jeanne, à Ferrand de Portugal, en 1211. Philippe pense pouvoir compter sur son nouveau vassal[réf. nécessaire].
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+ Enfin, les affaires germaniques constituent un autre enjeu majeur. Après la mort de l'empereur Hohenstaufen, Henri VI, en 1197, un nouvel empereur doit en effet être désigné par le pape Innocent III. Deux candidats sont déclarés : d'une part, Otton de Brunswick, soutenu par son oncle Jean sans Terre et favori du pape Innocent III et, d'autre part, Philippe de Souabe, frère d'Henri VI, soutenu par Philippe Auguste et couronné roi de Germanie en 1205. Ce dernier est toutefois assassiné en juin 1208 : désormais sans rival, Otton est couronné empereur en octobre 1209. Innocent III regrette d'ailleurs vite son choix puisque le nouvel empereur exprime bientôt ses ambitions italiennes. Otton est excommunié en 1210, et Philippe Auguste négocie avec Frédéric II du Saint-Empire, le fils d'Henri VI, couronné roi de Germanie à Mayence en 1212 par Siegfried II von Eppstein, évêque de Mayence, un allié que Philippe Auguste espère bien opposer à l'ambition d'Otton.
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+ L'incroyable réussite de Philippe Auguste amène bientôt ses rivaux à s'unir. L'opposition se cristallise en 1214 : on y compte naturellement Jean sans Terre et Otton de Brunswick. Renaud de Dammartin est le véritable artisan de la coalition : lui qui n'a plus rien à perdre se rend à Francfort pour trouver l'appui d'Otton, puis en Angleterre où il fait hommage à Jean, qui le rétablit officiellement dans ses possessions anglaises. Les hostilités entre Philippe et Jean reprennent immédiatement[64].
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+ À la même époque, les premières opérations de la croisade contre les albigeois, menée par des barons, voient se quereller le comte de Toulouse et les croisés. Philippe Auguste remet cette question à plus tard et se concentre sur le danger anglais. Il réunit ses barons à Soissons le 8 avril 1213, charge son fils Louis de conduire l'expédition contre l'Angleterre[65] et obtient le soutien de tous ses vassaux, sauf un : Ferrand, le comte de Flandre qu'il a lui-même installé deux ans plus tôt. Philippe cherche alors de nouveaux soutiens, notamment auprès de Henri de Brabant. Après une période d'hésitation, le pape Innocent III choisit par contre de soutenir Jean, un soutien moral mais non négligeable. Les préparatifs du conflit se prolongent : le projet initial de Philippe, qui souhaite envahir l'Angleterre, prend l'eau lorsque sa flotte est assaillie et en partie détruite par la coalition ennemie à Damme, en mai 1213[66]. Les mois suivants voient Philippe et Louis s'acharner contre les comtés de Boulogne et de Flandre. Les villes du Nord sont presque toutes ravagées.
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+ En février 1214, Jean sans Terre débarque enfin sur le continent, à La Rochelle, espérant prendre Philippe à revers[67]. Une stratégie qui fonctionne d'abord, puisque Jean gagne des partisans parmi les barons du Limousin et dans le Poitou. En mai 1214, il remonte jusqu'à la vallée de la Loire et prend Angers. Philippe, toujours engagé en Flandre, confie alors à Louis la riposte contre Jean. Le jeune prince se tourne immédiatement vers la forteresse de La Roche-aux-Moines[68]. À son approche, Jean est pris de panique : le soutien des barons poitevins vacille, tandis qu'on annonce que Louis est accompagné de 800 chevaliers. Le roi d'Angleterre fuit le 2 juillet, la déroute anglaise est totale. Mais la coalition n'a pas encore perdu : c'est au nord que tout doit se jouer.
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+ L'affrontement final entre les armées de Philippe et la coalition, conduite par Otton, est désormais inévitable, après plusieurs semaines d'approche et d'évitement. Philippe entend couper ses ennemis des renforts en provenance d'Allemagne et tente de surprendre Otton par le nord-est. L'empereur a vent de la manœuvre et se déplace à Mortagne, à quelques lieues de l'armée royale. Philippe Auguste est conscient de son infériorité numérique, une partie importante de son armée se bat près d'Angers contre les Anglais. Et vient d'ailleurs de remporter, le 2 juillet, la victoire de La Roche aux Moines, avec le fils du roi, Louis VIII Le Lion, à sa tête. Philippe, ayant observé le terrain lors de son avancée, fait mine de se replier sur Lille. Otton pense qu'il veut éviter la bataille, et ses armées coalisées pensent que l'ennemi fuit. L'armée française se dirige vers le pont sur la Marque, à Bouvines, le dimanche 27 juillet 1214, — pont que l'intendance franchit. Un dimanche, l'interdiction de combattre est absolue pour les chrétiens, mais Otton IV, excommunié en 1210, décide de passer à l'offensive, espérant surprendre l'ennemi sur ses arrières. Arrivée proche d'un étang sur sa droite et d'un bois sur sa gauche, un véritable entonnoir, l'armée française, après une pause, se retourne brusquement. Étang à gauche et bois à droite. On ne peut se battre ni dans l'un, ni dans l'autre. Elle se déploie en ligne, et sur cette ligne, l'infériorité numérique est effacée. Une perfection tactique. L'armée d'Otton, en effet, n'a plus l'espace nécessaire pour déployer ses effectifs, d'où un effet de surnombre. Entravée dans ses manœuvres, devenue bien trop nombreuse pour ne pas être obligée de se gêner puis de se piétiner, elle subit le retournement. L'aile droite française s'engage contre les chevaliers flamands, conduits par Ferrand. Puis, au centre, Philippe et Otton se font face. Dans la mêlée de cavalerie, Philippe est désarçonné, il chute, mais ses chevaliers le protègent, lui offrent un cheval frais, et le roi reprend l'assaut. Ceux des gens d'armes d'Otton qui ne voient pas et ne comprennent pas ce qui se passe en première ligne commencent à voir des fuyards se débander. Otton est sur le point d'être capturé, il s'enfuit sous un déguisement. Enfin, sur l'aile gauche, les partisans de Philippe viennent à bout de Renaud de Dammartin, capturé après une longue résistance. Le sort vient de basculer en faveur de Philippe, malgré l'infériorité numérique de ses troupes (1 300 chevaliers et 4 000 à 6 000 sergents à pieds, contre 1 300 à 1 500 chevaliers et 7 500 sergents à pieds pour la coalition[69]). La victoire est totale : l'empereur est en fuite, les hommes de Philippe ont fait cent trente prisonniers, dont cinq comtes, notamment le traître honni, Renaud de Dammartin, et le comte de Flandre, Ferrand.
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+ La coalition est dissoute dans la défaite. Le 18 septembre 1214, à Chinon[70], Philippe signe une trêve de statu quo pour cinq ans avec Jean qui continue de harceler ses positions au sud. Le roi anglais retourne en Angleterre en 1214, contraint par le pape Innocent III d'accepter le traité qui consacrait la perte de ses possessions au nord de la Loire. Par ce traité de Chinon, Jean sans Terre abandonne toutes ses possessions au nord de la Loire : le Berry et la Touraine, avec le Maine et l'Anjou, retournaient dans le domaine royal qui couvre désormais le tiers de la France, et, singulièrement agrandi, se trouve libéré de toutes les menaces. Il dut en outre payer 60 000 livres à Philippe. Il ne conservait que le Duché d'Aquitaine.
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+ La victoire est totale sur le continent, et les ambitions royales ne s'arrêtent pas là. En effet, Philippe Auguste souhaite aller plus loin contre Jean d'Angleterre. Il fait ainsi valoir que Jean doit être privé du trône, rappelant sa trahison envers Richard en 1194, et le meurtre de son neveu Arthur. Faisant valoir une interprétation de la généalogie de son épouse Blanche de Castille, mais surtout parce que les barons, voulant écarter Jean sans Terre, lui avaient proposé la couronne, le fils de Philippe, Louis, conduit une expédition en Angleterre[71]. Le débarquement a lieu en mai 1216, et Louis, à la tête de troupes nombreuses (1 200 chevaliers, plus de nombreux rebelles anglais[72]), conquiert le royaume anglais, notamment Londres où il s'installe. Seuls Windsor, Lincoln et Douvres résistent. Mais malgré l'accueil chaleureux réservé à Louis par une majorité d'évêques anglais, le soutien du pape à Jean demeure ferme, et Louis est excommunié. Finalement, Jean meurt subitement d'une grave indigestion, le 19 octobre 1216. Les barons anglais — anciens alliés de Jean ou de Louis — font alors couronner Henri III, âgé de neuf ans. Innocent III vient aussi de mourir, mais son successeur Honorius III continue de défendre les loyalistes. Les évêques retirent bientôt leur soutien à Louis et les rebelles s'assagissent. Le prince revient chercher des appuis en France début 1217 et retourne en Angleterre. Il est battu sur terre par Guillaume le Maréchal à Lincoln, puis sur mer lorsque les renforts que lui envoie Blanche de Castille sont anéantis à la bataille des Cinq-Ports[73]. Louis accepte de négocier la paix, celle-ci est conclue en septembre 1217 et son excommunication est levée.
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+ L'attitude de Philippe Auguste quant à cette expédition est ambiguë. En tout cas, le roi ne la soutient pas officiellement. Blanche de Castille le convainc de payer pour lever une armée de secours, en menaçant de mettre ses deux fils en gage. Mais il est peu vraisemblable d'imaginer qu'il n'ait pas donné son assentiment à celle-ci, du moins à titre privé[74].
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+ Déclenchée en 1208, la croisade contre les Albigeois a tourné à l'affrontement entre Simon IV de Montfort, qui conduit la croisade composée de barons du Nord, et Raymond VI, comte de Toulouse, qui soutient secrètement les hérétiques. Par ailleurs, Pierre II d'Aragon a des vues sur la région et encourage le camp du comte de Toulouse avant d'être lui-même défait et tué par Simon de Montfort à la bataille de Muret, en 1213[75].
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+ Après la bataille de La Roche-aux-Moines, Louis part une première fois pour le Midi en avril 1215, et aide Simon de Montfort à consolider ses positions. Celui-ci devient finalement comte de Toulouse, avec l'accord du pape Honorius III et de Philippe Auguste, à qui il prête hommage. Mais la ville de Toulouse résiste, son siège dure, et Simon y meurt en avril 1218. Le pape désigne son fils Amaury de Montfort comme successeur et enjoint à Philippe Auguste d'envoyer une nouvelle expédition. Louis part en mai 1219, rejoint Amaury au siège de Marmande, dont les habitants sont massacrés. Après quarante jours d'ost, Louis rentre sans avoir pu prendre Toulouse. Une nouvelle expédition est envoyée par Philippe en 1221, sous les ordres de l'évêque de Bourges et du comte de la Marche, sans plus de succès[réf. nécessaire].
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+ Cependant ces différentes expéditions sont de faible envergure. Malgré les appels réitérés de la papauté, Philippe se garde d'intervenir personnellement dans cette croisade intérieure ; face au pape, il rappelle surtout et avec constance ses droits de suzerain sur le Midi. Il n'autorise son fils à se croiser qu'en 1219.
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+ Après Bouvines, les opérations militaires se déroulent en Angleterre ou dans le Midi de la France. Le domaine, et plus largement l'ensemble du Nord de la Loire, reste en paix, selon les termes de la trêve conclue à Chinon en 1215, originellement pour cinq ans, et prolongée en 1220 avec la garantie de Louis, une association qui marque le début de la transition de Philippe à son fils et héritier.
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+ Si les conquêtes par les armes cessent, Philippe étend néanmoins son influence en profitant des successions problématiques. C'est le cas en Champagne lors de l'accession de Thibaut IV, qui lui permet d'asseoir sa suzeraineté. C'est le cas surtout lorsque le roi récupère des terres, comme à Issoudun, Bully, Alençon, Clermont-en-Beauvaisis et Ponthieu.
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+ La prospérité du royaume à la fin du règne de Philippe Auguste est établie. On estime l'excédent annuel du Trésor à 25 210 livres en novembre 1221. À cette date, le Trésor a dans ses caisses 157 036 livres, soit plus de 80 % du revenu annuel ordinaire global de la monarchie. Le testament de Philippe Auguste, rédigé en septembre 1222, confirme ces chiffres, puisque la somme de ses legs s'élève à 790 000 livres parisis, soit près de quatre ans de revenus[76] ! Ce testament est rédigé alors que la santé de Philippe fait craindre sa mort, qui survient dix mois plus tard.
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+ Alors qu'il se trouve à Pacy, Philippe décide d'assister à la réunion ecclésiastique organisée à Paris pour la préparation de nouvelles croisades, contre l'avis de ses médecins. Il ne survit pas à la fatigue du voyage et meurt le 14 juillet 1223, à Mantes. Son corps est amené à Paris, et ses funérailles sont rapidement organisées, à Saint-Denis, en présence des grands du Royaume. Pour la première fois, le corps du roi de France revêtu de tous les regalia est exposé à la vénération du peuple avant sa sépulture dans un rite solennel inspiré de celui des rois d'Angleterre[77]. C'est donc le premier souverain français dont la mort ait été mise en scène, marquant symboliquement le dernier acte de souveraineté du monarque[78].
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+ À sa mort, Philippe II laisse à son fils et successeur Louis VIII un domaine royal considérablement agrandi.
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+ Le contraste est saisissant entre l'avènement de Philippe, sous une quasi-tutelle des barons, avec un domaine qui fait de lui le roi de l'Île-de-France plus que de la France, et la fin de son règne, avec un domaine agrandi, auxquels il faut ajouter de nombreux territoires soumis par hommage de leurs possesseurs. Le rival anglais est repoussé dans une Guyenne parcellaire, très loin de Paris. Ces conquêtes sont notamment permises par le développement important de l'ost royal qui compte en 1202 : en temps de paix 3 043 hommes (257 chevaliers, 2 000 sergents à pied et 267 à cheval, 133 arbalétriers à pied et 86 à cheval, 300 mercenaires) ; en temps de guerre, ce nombre s'accroît de 8 054 sergents[79].
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+ Ces gains territoriaux font de Philippe Auguste un roi rassembleur, dont l’œuvre est continuée par Louis VIII. Il faut attendre la guerre de Cent Ans pour assister à un recul important des possessions royales françaises.
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+ Philippe sut aussi stabiliser ces conquêtes. Il parvient à raffermir le pouvoir royal dans ces nouvelles terres par de nouveaux modes d'administration du territoire, et par une politique de fortifications et de châteaux : il fait dresser leur inventaire et lance à ses frais des constructions dans le domaine et les fiefs. Les mottes castrales disparaissent, remplacées par des donjons en pierre que Philippe veut polygonaux ou cylindriques, pour une meilleure résistance aux engins de siège, et pour éviter les angles morts à la défense. De nombreuses tours sont ainsi construites. Vers la fin du règne, le plan évolue vers un donjon circulaire, surmontant une forteresse quadrangulaire avec des tours rondes à chaque coin, dont le château du Louvre est le meilleur exemple (voir infra).
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+ Le roi Philippe forme une véritable équipe dirigeante, cohérente, capable, efficace[80]. Il ne procède pas à son choix sur un coup de tête, ne revient pas sur ses décisions, possède cette qualité indispensable à un homme d’État de détecter les talents les plus utiles au royaume[81]. Il éloigne les Grands, désigne des hommes de moins haute naissance et même un fils de petits gens, précisément celui qui est monté le plus haut, Guérin (chancelier de France)[82]'[83]. Celui-ci aurait-il éclipsé Philippe Auguste ? La question ne se pose que pour la fin du règne[84]. Auparavant, et surtout pendant la dizaine d'années qui s'écoule après le retour de sa croisade, clôt le XIIe siècle et entame le suivant ; le roi commence à constituer son équipe, éprouve les qualités de ceux qu'il va décider de retenir mais conserve la fougue, l'ivresse du pouvoir et s'annonce comme le grand maître d’œuvre des profondes réformes qui donnent un nouveau visage à son royaume[85].
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+ C'est vers 1200 que commence la phase constructive et finalement triomphante du règne : avec la collaboration d'une équipe de conseillers - le chambrier Gauthier de Villebéon, le templier Frère Aymard[86]'[87], le tout dévoué Barthélemy de Roye, Gauthier II de Nemours dit (Gautier le Jeune ou Le Maréchal)[88], Henri Ier Clément dit (Le petit Maréchal) et surtout l'infatigable et omniprésent hospitalier frère Guérin -, le royaume est doté des structures administratives et financières qui lui faisaient tant défaut, tandis que l'initiative politique est constamment menée avec fermeté[89]. On ne saurait trop insister sur l’œuvre réalisée par Guérin, dont on retrouve la main partout, récompensé seulement par l'évêché de Senlis et qui n'accédera qu'après la mort du roi à la charge de chancelier, restaurée pour lui. Jouissant pourtant de sa complète confiance, il fut durant un quart de siècle, et sans titre officiel, celui que Guillaume le Breton qualifie de « conseiller spécial » du roi, celui qui, dit-il, « traitait les affaires du royaume, comme le second après le roi »[90]'[91].
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+ Pour échapper à la tendance au morcellement, qui est le défaut du système féodal, Philippe Auguste entreprend très tôt de mettre sur pied une nouvelle structure administrative lui permettant d'exercer directement son pouvoir sur le territoire. De 1190 à 1203, dans cette décennie que J.-W. Baldwin a qualifiée à juste titre de décisive, le roi Philippe procède à de grandes réformes[92]. Il organise ce système à l'occasion de son départ en croisade, par une ordonnance-testament de 1190 réglant l'organisation du pouvoir en son absence. Il promeut les baillis, création d'origine anglo-normande dont le rôle, dans les territoires français, était mal défini. Il s'inspire aussi des réformes administratives qu'Henri II d'Angleterre a introduites en 1176 (comme en Flandre, qui se dote d'un corps similaire à la même époque).
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+ Cette réforme s'achève aux alentours de 1200, quand l'appellation baillivi devient courante dans les actes royaux. Nommés par le roi, ils sont une douzaine qui parcourent son domaine au gré des besoins, afin de rendre la justice et, surtout dans la seconde moitié du règne, d'établir une comptabilité du royaume. À la différence du système féodal, les baillis n'ont pas d'attache géographique précise (cela évolue après Philippe Auguste). Leur activité n'est pas liée à la possession de terres, ils n'exercent pas de pouvoir en propre, mais représentent le roi. Ils sont rémunérés directement par le souverain et soumis à un contrôle strict, avec obligation de rendre des comptes trois fois l'an. Baldwin[93] relève que leur salaire se situe entre dix sous et une livre, soit plus, par exemple, que les chevaliers mercenaires (dix sous) : indice à la fois de l'importance de leur statut et du prix de leur fidélité.
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+ Les baillis sont assistés par les prévôts, autre institution au rôle flou jusqu'alors. Ceux-ci sont par contre rattachés à une zone précise, où ils jugent les affaires courantes (les baillis jugeant surtout en appel) et dressent des comptes locaux[94].
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+ Dans certaines des régions conquises pendant le règne (Anjou, Maine, Touraine, Poitou, Saintonge), Philippe Auguste confie les fonctions administratives à des sénéchaux. Mais leur titre, auparavant héréditaire, devient non transmissible à partir de 1191, pour pallier le risque de les voir prendre localement une importance rivalisant avec le pouvoir royal, comme dans le système féodal ; les sénéchaux sont aussi souvent supprimés, notamment en Normandie dès l'annexion, pour être remplacés par des baillis.
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+ Grâce à sa grande victoire de Bouvines, Philippe Auguste achève son règne dans un enthousiasme populaire important. Dans ce contexte, l'idéologie royale progresse, signe peut-être le plus manifeste de l'émergence d'un État sous le règne de Philippe.
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+ On a beaucoup commenté l'utilisation croissante des termes Francia et rex Franciæ (roi de France) dans les textes contemporains, ceux des chroniqueurs du XIIe siècle comme des princes étrangers et de ses propres sujets[95]. Selon Marie Thérèse Jones-Davies, la formule rex Franciæ remplace officiellement le titre de rex Francorum (roi des Francs) dès 1181, dans un acte où il est appelé Philippus Dei gratia Franciæ rex[96]. Toutefois, nous ne disposons que d'une copie du XIIIe siècle de cet acte[97]. Pour Bernard Guenée et Anne Lombard-Jourdan, on rencontre les expressions rex Franciæ à partir de 1190 et regnum Franciæ en 1205[98],[99]. Pour Alain Derville[100], c'est au début du XIIIe siècle qu'apparaît l'expression rex Franciæ[101]. D'autres progrès idéologiques sont évidents.
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+ Surtout, la fin du règne voit se développer une véritable tentative de propagande royale, à travers les chroniques officielles. Déjà, à partir de 1186, Rigord, moine de Saint-Denis rédige une chronique en latin, dans la tradition de Suger, qu'il offre à Philippe en 1196. Ces Gesta Philippi Augusti sont ensuite complétées jusqu'en 1208. Cette œuvre n'est pas une commande du roi, mais elle n'en reste pas moins une chronique quasi officielle, à la gloire de Philippe (sauf quelques critiques touchant à l'affaire du mariage). C'est d'ailleurs Rigord qui, le premier, donne à Philippe le surnom d’Augustus, en référence au mois de sa naissance et à ses premières conquêtes qui l'élèvent, pour l'auteur, au rang des empereurs romains. Rigord se fonde en fait sur une interprétation très personnelle de l'étymologie d’Augustus, qu'il rattache au verbe augeo (augmenter, enrichir), en référence à l'agrandissement et à l'enrichissement du royaume par Philippe[102].
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+ Philippe Auguste confie par la suite à un nouveau chroniqueur la tâche d'expurger la chronique de Rigord de ses passages critiques, et de la continuer. Guillaume le Breton, clerc et proche du souverain, s'acquitte de cette tâche. Il se voit ensuite confier la rédaction d'un véritable monument à la gloire du roi, à partir de 1214 : une chronique en vers, la Philippide, dans le style du poème épique, alors très en vogue (notamment depuis l’Alexandreis de Gautier de Châtillon, épopée à la gloire d'Alexandre). Plusieurs versions de la Philippide se suivent, la dernière étant achevée en 1224, un an après la mort du roi. Dans cette œuvre unique, Philippe est désormais représenté en héros, le vainqueur de Bouvines y est célébré dans toute sa majesté. L'évolution au fil du règne est importante, bien que les deux chroniques officielles restent des témoignages très isolés dans l'ensemble de la production littéraire du règne de Philippe Auguste.
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+ La chronique de Rigord et sa continuation par Guillaume le Breton sont ensuite traduites par Primat pour les Grandes Chroniques de France. C'est dans cette forme, plutôt que dans celle de la Philippide, que l'image de Philippe passe à la postérité.
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+ Enfin, on peut également noter la contribution de Gilles de Paris qui, dans son Karolinus, poème à la gloire de Charlemagne écrit à l'intention du roi Louis VIII, fait descendre Philippe et Louis VIII de Charlemagne, unissant donc les dynasties carolingienne et capétienne, et faisant de lui le premier vrai représentant d'un genus royal, à la base de l'idée de transmission de la royauté par le sang qui connaît après Philippe Auguste un essor important[103].
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+ Contrairement à ses prédécesseurs, Philippe II n'a pas associé son fils au trône : à sa mort, le passage de la couronne à Louis VIII n'a pas fait l'objet d'un vote ni même d'une approbation de principe de la part des pairs du Royaume. On peut considérer que, d'une certaine façon, la couronne de France est devenue héréditaire ce 14 juillet[e].
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+ Le règne de Philippe Auguste est une période de vives améliorations pour Paris. Si la cour est encore itinérante[f], Paris acquiert cependant un statut particulier dont les différents travaux accomplis témoignent. Un grand pas est effectué sous Philippe dans l'invention de la capitale. Quelques faits à retenir :
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+ L'expansion de Paris ne se résume pas aux travaux menés par Philippe Auguste. C'est également sous son règne que sont créés l'hospice Sainte-Catherine (1185) et l'hôpital de la Trinité (1202). Les travaux de Notre-Dame de Paris, entamés en 1163, progressent aussi à bon rythme. En 1182, le chœur est achevé et le maître-autel est consacré le 19 mai. Puis, la façade ouest est décorée, la galerie des rois est achevée dans les années 1220, la grande rose est entamée dans la foulée, tandis que le parvis est agrandi à la même époque.
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+ L'essor de Paris est confirmé par les estimations démographiques, qui estiment que la population parisienne passe en quelques années de 25 000 habitants[Quand ?] à 50 000 vers 1200, ce qui en fait la plus grande ville d'Europe, hors l'Italie[108],[109].
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+ En 1639, le bailli de Nogent-le-Rotrou écrivit sur son registre d'audience :
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+ « Le roi Philippe Auguste deffendit les jeux de hazard, juremens et bordelz, chassa les Juifs de son Royaume, institua le premier les maires et les eschevins. Il fist paver la ville de Paris, bastir les Halles et le Louvre et clore de murailles le bois de Vincennes qu'il peupla de bestes sauvages. Il fist achever le bastiment de l'église Nostre-Dame, à Paris, de laquelle il n'y mit que les fondements à fleur de terre. »
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+ — Archives départementales d'Eure-et-Loir-B 2600.
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+ Homme courageux et croyant, le roi Philippe affronte la mort avec lucidité. Quand elle s'annonce, en avait-il encore peur comme en 1191 ? Oui, si l'on en croit Payen Gastinel[110], chanoine de la Basilique Saint-Martin de Tours. Quand il ressent les premières atteintes de la maladie, il rédige au Château de Saint-Germain-en-Laye, en septembre 1222[111], un testament, le second en fait puisqu’il en avait déjà dicté un, l'Ordonnance-Testament de 1190 avant de partir outre-mer[112]'[113].
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+
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+ On y distingue en effet quelques remords et le roi veut réparer. Il constitue un fonds de 50 000 livres parisis (ou 25 000 marcs d'argent à 40 sous parisis le marc) destiné à la restitution de ce qu'il avait confisqué, perçu ou retenu injustement. La somme prévue est d'ailleurs fort insuffisante puisqu'en réponse aux enquêtes de janvier 1247[114], les spoliés, leurs veuves ou leurs descendants réclament beaucoup plus[115]. Philippe lègue ensuite 10 000 livres à sa « très chère épouse Ingeburge de Danemark ». Il reconnaît en 1222 qu'il aurait pu lui en attribuer davantage, mais il préfère laisser une très grosse somme d'argent afin de réparer ses abus envers ses sujets.
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+ Afin d'apaiser ses remords au sujet de la défense des États latins d'Orient et de réduire les conséquences de l'échec de la Cinquième croisade[116] dont il était absent, il attribue à Jean de Brienne, roi de Jérusalem, aux Hospitaliers et aux Templiers 150 000 marcs d'argent, pour qu'ils équipent en permanence 300 chevaliers. Le roi n'oublie pas les pauvres, les orphelins et les lépreux. Il leur lègue 21 000 livres parisis. Enfin, avec 2 000 livres, il récompense une dernière fois ses serviteurs ; il donne 10 000 livres à son second fils, Philippe Hurepel de Clermont, qu'il a eu d'Agnès de Méranie et réserve à son fils aîné, Louis, une somme d'argent dont il ne fixe pas le montant à condition qu'il la dépense pour la protection du royaume ou pour « une pérégrination lointaine » si Dieu lui en donne l'inspiration.
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+ Qui désigne-t-il comme exécuteurs testamentaires ? Les survivants de son équipe fidèle. Au-delà de la tombe, il fait confiance à Guérin (chancelier de France), évêque de Senlis[117], Barthélemy de Roye, chambrier, et Frère Aymard, trésorier du Temple[118]. Tenace dans ses choix et ses amitiés, il donne ainsi le dernier témoignage de son affection et de sa reconnaissance envers ceux qui l'ont aidé à construire son royaume et son pouvoir[119].
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+ Philippe rex Francorum peut attendre la mort. Il ne s'était pas vraiment remis de l'alerte de septembre 1222 où il avait souffert des premiers frissons d'une fièvre quarte. Malgré les assaut répétés de la maladie, il n'en poursuit pas moins son travail et ses chevauchées, mais il s'affaiblit peu à peu et, le 11 juillet 1223, son état empire alors qu'il résidait dans son château de Pacy-sur-Eure. Il recommande à son fils aîné la crainte de Dieu, la défense de l'Église, la justice envers son peuple et la protection des pauvres et des petits. Le 13 juillet, un léger mieux survient et lui permet de se diriger vers Paris où, depuis le 6 juillet, se tenait l'assemblée qui, sous la présidence du cardinal-légat Conrad d'Urach, s'occupait de l'affaire albigeoise[120]. Une nouvelle et violente poussée de fièvre le contraint à s'arrêter à Mantes où il meurt, sans véritable agonie, le lendemain 14 juillet 1223, à l'âge de cinquante-huit ans[121].
190
+
191
+ Philippe II mourut sur la Seine, où il naviguait pour rejoindre Mantes, la ville où était enterrée sa troisième épouse Agnès de Méranie. Il fut inhumé en la basilique Saint-Denis près de Paris[122]. Guillaume Le Breton, source assez fiable, affirme qu'« une pierre recouvrait son corps à côté de celui de Dagobert ». Le Roi aurait été enterré au sud du maître-autel. Pourtant, une chronique composée par un ecclésiastique bien informé de Saint-Martin de Tours, et qui va jusqu’aux années 1225-1227, nous dit que Philippe Auguste était enterré devant le maître-autel. Le corps du Roi aurait donc été déplacé.
192
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193
+ Lors de la réorganisation de la nécropole, sa tombe fut de fait placée au centre, avec celle de son fils Louis VIII, afin de symboliser l'union des lignées mérovingienne (à droite) et capétienne (à gauche), selon l'idée émise à l'origine par Gilles de Paris (Philippe Auguste, descendant plusieurs fois de Charlemagne, ayant épousé en la personne d'Isabelle de Hainaut une descendante directe de Charles de Basse-Lotharingie, prétendant carolingien et rival d'Hugues Capet).
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+
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+ Le tombeau de Philippe Auguste[123] fut cité dans plusieurs chroniques mentionnant sa beauté. Richer de Senones, qui écrit entre 1254 et 1260, est très impressionné par le « tombeau en argent doré avec de nombreuses images » de Philippe Auguste. Le Ménestrel de Reims (vers 1260) décrit ainsi ce tombeau : « ombe de fin or et d’argent où il est tresgeteiz comme rois ; et sont quarante-huit evesques en quatre costeiz de la tombe, enlevei et figurei comme esvesque, revestu si comme pour chanteir messe, les mitres en chiés et les croces es mains ».
196
+
197
+ Ce tombeau a été détruit, de même que ceux de Louis VIII et de Saint Louis, sous l’occupation anglaise entre 1420 et 1435. L’or et l’argent ont été fondus pour les besoins de la guerre en France menée par le roi Lancastre Henri IV et son oncle, le duc de Bedford. Après la fin de la guerre de Cent ans, il ne restait plus au sol que trois dalles marquant l’emplacement de ces somptueux sépulcres[124].
198
+
199
+ Plus généralement, la figure de Philippe II, telle que célébrée par les chroniqueurs du temps, a été en grande partie occultée par la concurrence de Saint Louis, devenu — et pour longtemps — le modèle royal par excellence dès la fin du XIIIe siècle. Il n'en reste pas moins que la victoire de Bouvines reste parmi les éléments les plus essentiels de la mythologie nationale française, grâce aux Grandes Chroniques de France ou, bien plus tard, par les manuels scolaires de la IIIe République. L'église Saint-Pierre de Bouvines, bâtie en 1882, a d'ailleurs été pourvue entre 1887 et 1906, de vingt-et-un vitraux retraçant le déroulement de la bataille, des pièces aujourd'hui classées[126].
200
+
201
+ Les autres traces du règne de Philippe Auguste ont quant à elles disparu progressivement. L'enceinte de Philippe Auguste subsiste à l'état de vestiges qui parsèment Paris, le Louvre médiéval a été dégagé et intégré au musée dans les années 1990. Enfin, toujours à Paris, une avenue et une station de métro continuent de commémorer le vainqueur de Bouvines[127].
202
+
203
+ La personnalité de Philippe II reste contrastée et énigmatique. Il n'a pas été inféodé ni soumis aux événements qu'il a pourtant souvent lui-même suscités. Il n'a jamais capitulé, et quand il a enduré du fait de ses propres erreurs, il a été capable de réparer pour le bien du Royaume[128].
204
+
205
+ Pour se libérer de la tutelle de sa mère et du clan champenois, il se marie alors qu'il est lui-même mineur avec une héritière non pubère qui lui amène dans sa corbeille une dot considérable, l'Artois. Soucieux de sa descendance, d'un tempérament très affirmé mais brouillon, il décide de se séparer d'Isabelle de Hainaut qui ne lui a pas donné d'enfant. Puis, il se ravise comprenant qu'il va commettre l'irréparable comme son père Louis VII le Jeune qui a perdu l'Aquitaine pour avoir laissé partir la duchesse Aliénor. Il se rabiboche avec sa jeune épouse et garde l'Artois, en plus d'un héritier.
206
+
207
+ Philippe II poursuit un but unique : l'accroissement du Royaume et de ses possessions[129]. Il cherchera toute sa vie à récupérer l'Aquitaine et l'Anjou en jouant pour cela le ferment de la division entre Henri II et ses fils, jusqu'à l'achèvement complet de ses objectifs après Bouvines. D'autre part, il est un suzerain loyal et honnête qui n'use pas de sa puissance pour conquérir par les armes. Ainsi, il défend l'héritage artésien de son fils Louis VIII le Lion et même il cherche à accroître le Comté d'Artois en rachetant des parcelles et en désintéressant les châtelains.
208
+
209
+ Philippe II reste marqué par ce qu'il estime être une dépossession territoriale qui réduit le royaume de France au compromis permanent avec des barons plus puissants et plus riches que le roi de France[131]. À l'instar d'un bourgeois ou d'un hobereau, il fait grossir son capital en achetant des terres, contraint les serfs à payer leur affranchissement. Philippe II est l'initiateur de l'état français, pour autant le trésor du royaume est sa fortune personnelle dont il dispose à son gré. Ainsi, dans son testament il répartit la moitié du trésor à des œuvres caritatives de son choix et laisse l'autre moitié à son fils pour qu'il en dispose dans la gestion de l'État[132].
210
+
211
+ Ingeburge de Danemark fut une épine dans son talon. Il ne l'aimait pas, il chercha à s'en débarrasser le plus rapidement possible, ce fut sa plus grande erreur car elle tint bon jusqu'au bout dans ses réclamations. Par son refus du divorce, son refus d'entrer en religion, son refus de retourner au Danemark, elle l'empêcha de vivre auprès d'Agnès de Méranie dont il eut des enfants considérés comme illégitimes.
212
+
213
+ À cet égard, on peut observer qu'il se conduisit envers Ingeburge de Danemark de la même façon qu'il s'était conduit avec Isabelle de Hainaut, avec mépris et arrogance. Isabelle de Hainaut avait su lui tenir tête, elle s'était positionnée en victime n'hésitant pas à mettre le peuple de son côté. C'est sans doute ce qu'a voulu éviter Philippe II en enfermant immédiatement Ingeburge à Étampes, en ne lui laissant pas le temps d'organiser auprès du peuple sa défense. Son rôle de victime serait apparu clairement, il aurait été contraint de la reprendre près de lui comme il l'avait fait avec Isabelle de Hainaut. Or, il ne voulait plus Ingeburge pour épouse et ne voulait pas cette fois se voir contraint à reprendre une épouse dont il ne voulait plus et qui cette fois ne lui rapportait aucune terre. C'est sans doute là qu'Ingeburge a joué de malheur. Ne rapportant qu'une dot assez faible pour un roi de France, et aucune terre, elle n'avait aucun moyen de pression dont elle aurait pu user pour obliger Philippe II à la respecter.
214
+
215
+ Comme quelques historiens l'ont avancé, le rejet d'Ingeburge pourrait s'expliquer par le fait que ce mariage ne lui rapportait pas tant qu'il l'avait espéré, une alliance notamment pour battre les Plantagenêt. Il n'est pas exclu qu'il ait estimé avoir été filouté sur les termes d'un contrat non écrit entre le Danemark et la France. Toutefois, il faut observer que Valdemar II de Danemark, le frère d'Ingeburge, intercédera sans relâche auprès de la France pour faire libérer sa sœur, et ira même plaider sa cause auprès du Pape, en vain. Secundo, Valdemar II de Danemark épouse en 1214, après la bataille de Bouvines et après la libération de sa sœur Ingeburge, Bérengère de Portugal, sœur de Ferrand de Portugal qui avait rejoint la coalition contre Philippe II à Bouvines. Ce mariage est intéressant car il se conclut à un moment où Ferrand de Flandre est captif dans les geôles du Louvre[134].
216
+
217
+ Ingeburge de Danemark n'a été reine de France qu'en titre puisqu'elle n'a jamais exercé et à aucun moment, les fonctions de reine ou de régente[135]. On peut voir le mariage de son frère Valdemar avec la sœur du prisonnier Ferrand de Flandre soit comme un remerciement tacite de la France pour la neutralité du Danemark à la bataille de Bouvines, soit comme une ultime provocation de la part du souverain danois, quoi qu'il en soit la conclusion d'un long épisode de gel diplomatique.
218
+
219
+ À partir de la deuxième moitié du XIIe siècle, les mercenaires sont presque toujours présents dans les armées royales. Ils sont considérés comme les précurseurs de l'armée de métier. Philippe Auguste utilise les mercenaires après ses rivaux Plantagenêt. Mais il réussit par deux fois à retourner les troupes de routiers de ceux-ci. Aux alentours de 1194, il récupéra Lambert Cadoc, un Gallois recruté par Richard Cœur de Lion. Cadoc lui restera fidèle durant 20 ans. Ensuite, au printemps 1204, en guerre contre le roi Jean sans Terre, Philippe Auguste négocie le ralliement de Lupicaire et de sa troupe[136],[137],[138].
220
+
221
+ Naissance de Philippe Auguste (Grandes Chroniques de France, XIVe siècle).
222
+
223
+ Philippe Auguste recevant des messagers du pape l'appelant à la croisade (Grandes Chroniques de France de Charles V, XIVe siècle).
224
+
225
+ Philippe et Richard à la croisade (Guillaume de Tyr, XIVe siècle).
226
+
227
+ Couronnement de Philippe Auguste (Grandes Chroniques de France (Jean Fouquet), XVe siècle).
228
+
229
+ Philippe Auguste (Recueil des rois de France de Jean du Tillet, vers 1550).
230
+
231
+ Tristan de Léonois, XVe siècle, BnF, manuscrit Français 116, enluminure du folio 676 verso.
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233
+ Roman de Renart, BnF (Mss.), fin XIIe siècle, Français 12584, folio 18v-19r.
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+ Bos primigenius, Bos taurus primigenius
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+ Espèce
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+
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+ Synonymes
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+ Statut de conservation UICN
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+
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+ EX : Éteint
10
+
11
+ L'aurochs[n 1] (ou auroch[1],[n 2]) est une espèce disparue de bovidé, ancêtre des races actuelles de bovins domestiques, et appartenant au genre Bos. Son nom scientifique est Bos primigenius mais, selon les auteurs, il peut être considéré comme une sous-espèce (Bos taurus primigenius) des bovins de l'espèce Bos taurus. Il est également désigné parfois par les noms d'urus ou ure. Menacé par la domestication et la chasse, l'aurochs n'existait plus qu'en Europe de l'Est à partir du XIIIe siècle, avant de s'éteindre dans la première moitié du XVIIe siècle (le dernier spécimen est mort en 1627 dans la forêt de Jaktorow en Pologne). L'aurochs a fait en 1920 l'objet de tentatives de reconstitution par élevage sélectif de races bovines. Les frères Heinz et Lucks Heck créèrent une race s'en approchant appelée « aurochs de Heck », et officiellement nommée de nos jours en France « aurochs-reconstitués », que l'on peut observer aujourd'hui en Europe, comme dans la forêt de Rambouillet, en France.
12
+
13
+ Le mot est attesté en français pour la première fois en 1414 sous la forme ourofl au sens de « bœuf sauvage », puis en 1611 sous la forme aurox. C'est seulement vers 1752 que l'on trouve l'orthographe actuelle.
14
+ Il s'agit d'un emprunt au germanique, plus précisément au moyen haut allemand urohse « aurochs » dans un premier temps, puis de nouveau à l'allemand moderne Auerochse dans un second temps[2],[3],[4]. Le terme allemand est issu du vieux haut allemand ûrohso, composé des éléments vieux haut allemands ûro « aurochs » et ohso « bœuf » (en allemand der Ochse, pluriel die Ochsen cf. anglais ox, pluriel oxen « bœuf(s) »). Il s'agit d'un composé explicatif, le sens du premier élément ūro étant devenu opaque. L'élément ûro, moyen allemand ûr(e), vieil anglais ūr, vieux norrois úrr signifie vraisemblablement à l'origine « celui qui répand sa semence humide », sur la base d’un vieux thème indo-européen *ūr désignant l'humidité et la pluie fine, que l'on retrouve dans le vieux norrois úr et le latin urina « urine »[5].
15
+
16
+ Il existe aussi un terme latin urus[6], lui-même d'origine celtique ou germanique[7],[8]. Le mot uros est, semble-t-il, attesté en gaulois dans des anthroponymes où il apparaît comme élément de composés tels que Uro-genius « issu de l'aurochs », Uro-geno-nertus « qui a la force d'un jeune aurochs », etc.[9]. Le mot français « ure » est un emprunt récent (1560) au latin urus[7].
17
+
18
+ L'aurochs serait apparu en Inde au Pléistocène inférieur, il y a environ deux millions d'années[10],[11]. Il serait probablement issu de Bos planifrons ou de Bos acutifrons, connus dans les Siwaliks[12].
19
+
20
+ Il aurait ensuite migré vers le Moyen-Orient et le reste de l'Asie pour gagner l'Europe au Pléistocène moyen. Il a aussi existé en Afrique du Nord[13]. La date précise de sa diffusion en Europe varie selon les sources : début du Pléistocène moyen (soit il y a environ 780 000 ans)[12], 275 000 ans[14] ou 250 000[15].
21
+
22
+ Beaucoup d'auteurs distinguent trois sous-espèces, largement répandues à travers l'ancien monde :
23
+
24
+ Il existe des formes régionales mal connues, et il est possible qu'il ait existé des sous-espèces non décrites. L'aurochs de Sicile avait ainsi une taille inférieure de 20 % aux aurochs continentaux[18].
25
+
26
+ L'aurochs a été chassé par les groupes de Néandertaliens, comme l'attestent les découvertes archéologiques réalisées dans les sites tels que Biache-Saint-Vaast ou La Borde. Ce dernier a livré de nombreux restes d'aurochs, correspondant au minimum à quarante individus. Il est interprété comme un lieu de chasse et d'abattage mettant à profit un piège naturel vers lequel des troupeaux étaient rabattus[19].
27
+
28
+ L'aurochs a ensuite très fréquemment été représenté dans l'art pariétal du Paléolithique supérieur, notamment à Lascaux ou Font-de-Gaume. La villa romaine du Casale conserve une mosaïque représentant une chasse à l'aurochs mais certains y voient un bison d'Europe.
29
+
30
+ Alors qu'une partie significative des forêts d'Europe de l'Ouest est déjà défrichée au profit de l'agriculture, Jules César, dans un chapitre de la Guerre des Gaules consacré à la description des Germains, évoque l'aurochs qu'on lui dit vivre dans l'immense forêt hercynienne avec des élans et d'autres animaux sauvages qu'on ne trouve déjà plus dans l'Italie romaine ni dans ses premières colonies.
31
+
32
+ « Une troisième espèce porte le nom d’urus. La taille de ces animaux est un peu moindre que celle des éléphants ; leur couleur et leur forme les font ressembler au taureau. Leur force et leur vélocité sont également remarquables ; rien de ce qu'ils aperçoivent, hommes ou bêtes, ne leur échappe. On les tue, en les prenant dans des fosses disposées avec soin. Ce genre de chasse est pour les jeunes gens un exercice qui les endurcit à la fatigue ; ceux qui ont tué le plus de ces urus en apportent les cornes en public, comme trophée, et reçoivent de grands éloges. On ne peut les apprivoiser, même dans le jeune âge. La grandeur, la forme et l'espèce de leurs cornes diffèrent beaucoup de celles de nos bœufs. On les recherche avidement, on les garnit d'argent sur les bords, et elles servent de coupes dans les festins solennels. »
33
+
34
+ Après avoir disparu des autres régions du monde, l'aurochs semble être resté relativement abondant dans les grands massifs forestiers d'Europe, relique de la forêt préhistorique ou regain sur des terres défrichées puis abandonnées au moment des grandes invasions ou des pestes, jusqu'au Moyen Âge, date à laquelle quelques mesures de protection sont prises (interdiction de chasse, garderie…), afin de protéger un gibier de choix pour la noblesse. Ainsi, Grégoire de Tours[20] rapporte que
35
+
36
+ « la quinzième année du roi Childebert (en 590), qui était la vingt-neuvième du roi Gontran, le roi Gontran, chassant dans la forêt des Vosges, y trouva les restes d’un buffle (aurochs ou bison ?) qu’on avait tué. Le garde de la forêt, sévèrement interrogé pour savoir qui avait osé tuer un buffle dans la forêt royale, nomma Chaudon, chambellan du roi. Alors le roi ordonna qu’il fût saisi et conduit à Châlons chargé de liens. Tous les deux ayant été confrontés en la présence du roi, et Chaudon soutenant qu’il ne s’était nullement permis l’action dont on l’accusait, le roi ordonna le combat. Le chambellan présenta son neveu pour combattre à sa place. Tous deux se rendirent sur le champ, et le jeune homme, ayant poussé sa lance contre le garde des forêts, lui perça le pied. Celui-ci tomba aussitôt en arrière ; et comme le jeune homme, tirant le couteau qui pendait à sa ceinture, tâchait de lui couper la gorge, l’autre lui perça le ventre de son couteau. Tous deux tombèrent morts ; ce que voyant, Chaudon prit la fuite pour se rendre à la basilique de Saint-Marcel (de Châlons) ; mais le roi s’écriant qu’on le prit avant qu’il n’atteignit le seuil de l’édifice sacré, il fut pris, attaché à un poteau, et lapidé. Le roi eut ensuite un grand repentir de s’être laissé aller si promptement à la colère, et d’avoir fait mourir avec tant de précipitation, pour une petite faute, un homme qui lui était nécessaire et fidèle. »
37
+
38
+ L'aurochs figure sur les armes de la ville lituanienne de Kaunas, et il est le symbole de la Principauté de Moldavie (roumain : bour, prononcé « bo-oure ») ; à ce titre il figure sur le blason de la Roumanie et de la République de Moldavie. Les aurochs ont disparu de ces pays au XVIe siècle, chassés par les boyards ou croisés avec le bétail domestique.
39
+
40
+ Au XIIIe siècle, le territoire de l'aurochs se limitait à la Prusse orientale, la Pologne, la Lituanie, la Moldavie et la Transylvanie. En Pologne, le droit de chasser de grands animaux a été limité d'abord à la noblesse puis, progressivement, aux seuls membres de la famille royale. Comme la population déclinait, la chasse cessa et la cour royale dut faire appel à des garde-chasses pour entretenir les dernières populations dans des zones délimitées. Ces garde-chasses étaient exemptés d'impôts locaux en échange de leur service ; le braconnage sur les aurochs était puni de mort.
41
+
42
+ Selon une enquête royale, ils n'étaient plus qu'une trentaine en 1564, vivant ainsi en liberté surveillée dans la forêt de Jaktorów (en), en Pologne. Principalement victimes de maladies apportées par les bovins domestiques, il ne restait plus que trois mâles et une femelle en 1602. Le dernier mâle est mort en 1620 et la femelle, dernier aurochs vivant connu, est morte en 1627[21].
43
+
44
+ John Bell mentionne toutefois sa présence en 1720 en Sibérie[22].
45
+
46
+ Les principales causes de l'extinction furent la chasse, la diminution de l'habitat en raison du développement de l'agriculture et des épizooties (notamment en provenance de bétail domestique)[23],[24].
47
+
48
+ La domestication de l'aurochs sauvage, Bos primigenius, remonterait à 8000 av. J.-C., au Moyen-Orient puis en Inde[25].
49
+
50
+ Les trois sous-espèces auraient été domestiquées, et seraient à l'origine de races domestiques : les aurochs européens et moyen-orientaux (Bos primigenius primigenius) seraient à l'origine des bétails sans bosse (Bos primigenius f. taurus), les aurochs asiatiques ou indiens (Bos primigenius namadicus) ont vraisemblablement donné le bétail à bosse, ou zébu (Bos primigenius f. taurus = Bos primigenius f. indicus) et l'Aurochs nord-africain (Bos primigenius africanus = Bos primigenius opisthonomous = Bos primigenius mauretanicus) pourrait avoir contribué au patrimoine génétique des bétails africains (par exemple Cluttonbrock 1999)[17] ».
51
+
52
+ Selon cette approche, les bovins domestiques européens descendent de la sous-espèce européenne et moyen-orientale, les bovins domestiques asiatiques à bosse (zébu) descendent des aurochs asiatiques, et les bovins domestiques africains descendent d'un mélange incluant des aurochs nord-africains. Les bovins domestiques européens et asiatiques (zébu), en particulier, ne seraient apparentés que de façon assez éloignée, puisqu'ils auraient été domestiqués indépendamment, à partir de sous-espèces sauvages déjà identifiées. Bien qu'on ait autrefois parlé de Bos indicus pour désigner les zébus, on les considère maintenant comme faisant partie de la même espèce que les bovins européens, puisque descendant de la même espèce sauvage (mais pas de la même sous-espèce).
53
+
54
+ Des études concluent à un mélange entre aurochs moyen-orientaux et européens (appartenant à la même sous-espèce Bos primigenius primigenius) dans le génotype des bovins domestiques occidentaux actuels.
55
+
56
+ « Nous avons montré pour la première fois au niveau de l'ADN « fossile » que la diversité génétique des populations d’aurochs était plus importante que celle des bœufs actuels et qu'ils ont été domestiqués il y a dix mille ans plusieurs fois dans le bassin du Haut-Euphrate au Proche-Orient. La présence d'haplotypes proche-orientaux au Néolithique sur le territoire français a démontré qu'ils ont été importés domestiqués en Europe quelque deux mille ans plus tard au cours des migrations néolithiques à travers la Méditerranée et le long du Danube. L'haplotype des aurochs européens étant significativement distinct de celui des bœufs domestiqués, nous avons aussi pu montrer l'existence sporadique de croisements spontanés ou souhaités par l'homme entre l'aurochs européen mâle et le bœuf domestique proche-oriental femelle[26].  »
57
+
58
+ L'aurochs était plus grand que les races actuelles de bovins. Les chercheurs ont cependant revu à la baisse leurs estimations. Herre, en 1953, estimait la taille au garrot des mâles à deux mètres, et celle des femelles à 1,80 mètre. Boessneck, en 1957, avait cependant une estimation de 1,65 à 1,85 m pour les mâles de l'Holocène[17]. Les estimations récentes sont plutôt de 1,60 à 1,80 mètre au garrot pour les mâles, et d'environ un mètre et demi pour les femelles[27], même si certains auteurs restent encore partisans d'une taille dépassant les 2 mètres[28]. Ces variations d'estimations s'expliquent par le faible nombre de squelettes complets disponibles. Si les os retrouvés sont nombreux, le nombre de squelettes plus ou moins complets n'était que de quinze en 2002[29].
59
+ Certains auteurs pensent que les très gros animaux (parfois deux mètres) seraient souvent plus anciens que les aurochs plus petits. Cette approche est contestée par d'autres auteurs.
60
+
61
+ Le poids pouvait atteindre 800 à 1 000 kg.
62
+
63
+ Le crâne était volumineux, avec un front plat et étroit muni de grandes cornes en forme de lyre, tournées vers l'avant en faisant un angle d'environ soixante degrés avec le front. La pointe pouvait parfois remonter vers le haut[30]. La forme précise de ces cornes pouvait légèrement varier d'un individu à l'autre. Celles des mâles pouvaient aller jusqu'à cent sept centimètres de longueur[31], quand celles des femelles étaient plus petites, jusqu'à soixante dix centimètres de longueur[27]. Claude Guintard indique même une taille maximale pour les mâles de cent vingt centimètres, mais des tailles moyennes bien inférieures à ces maximums : soixante deux centimètres pour les mâles, et quarante deux pour les femelles[32].
64
+
65
+ L'animal avait un dos rectiligne, et les jambes étaient proportionnellement un peu plus longues que celles des bovins domestiques actuels[27].
66
+
67
+ Le dimorphisme sexuel était prononcé chez cette espèce. Les mâles étaient plus gros, avaient des cornes plus longues, et avaient un pelage brun-noir, avec une raie plus pâle le long de l'épine dorsale. Les femelles et les jeunes des deux sexes avaient un pelage plus rougeâtre, sans cette raie dorsale. D'après les descriptions, il y avait une zone plus claire autour du museau chez les deux sexes[27].
68
+
69
+ Contrairement aux actuels bovins domestiques, les femelles avaient des mamelles discrètes, difficilement visibles[33].
70
+
71
+ Les aurochs avaient également une certaine réputation d'agressivité, encore que celle-ci ait pu être exagérée par les traditions, comme dans le cas des loups. Les derniers rapports historiques de Pologne, juste avant la disparition de l'animal, indiquent d'ailleurs que les aurochs n'avaient pas peur des humains, et ne se sauvaient pas quand ceux-ci approchaient, ne devenant agressifs que lorsqu'ils étaient chassés ou trop importunés[34].
72
+
73
+ Il y avait une certaine variabilité intra-spécifique, qui est encore mal connue, mais qui ressort de ce qu'on connaît des tailles des animaux ou des formes de leurs cornes.
74
+
75
+ Claude Guintard donne en 2005, une comparaison de différents auteurs sur la taille des cornes[37]. Les chiffres ci-dessous ne concernent que l'os. Il faut sans doute y rajouter 20 % pour avoir la longueur totale de la corne avec son étui kératinisé, aujourd'hui disparu.
76
+
77
+ Alzieu (1983)[38] souligne que la forme des cornes chez Bos primigenius est extrêmement homogène, contrairement à ce qu'on observe chez les bovins domestiques. Chez ces derniers les cornes peuvent en effet être absentes ou, à l'opposé, atteindre deux mètres cinquante (Watusi).
78
+
79
+ L'aurochs occupait en Europe des habitats de forêts et de marais[27]. Comme le montre la carte de sa répartition, la sous-espèce vivant en Europe occupait aussi les steppes allant de la Hongrie à la Mandchourie en passant par l'Asie centrale. Ces différences régionales sont compliquées par des différences d'époques. « S'il fréquentait les milieux plutôt ouverts à la fin du Pléistocène (Crégut-Bonnoure & Guérin, 1996)[12], il semble devenir de plus en plus forestier pendant l'Holocène comme en témoigne le
80
+ résultat des analyses isotopiques menées sur des restes d'Aurochs du Néolithique moyen de
81
+ Normandie[39]. Ce changement d'habitat est attribuable à une
82
+ réponse de l'espèce au dérangement par l'Homme et à la concurrence exercée par les Ovins
83
+ domestiques qui paissaient en milieux ouverts et en lisière de forêt[40] ».
84
+
85
+ C'était donc un animal opportuniste, occupant des milieux assez différents, et capable de s'adapter à eux.
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+ C'était un herbivore, s'alimentant principalement d'herbes et des graminées[27]. En automne, des glands pouvaient être ajoutés au menu, et des branches d'arbres ou de buissons en hiver[41]. Les bétails domestiques actuels vivant dans la nature ressemblent considérablement à leur ancêtre sauvage dans leur choix de nourriture[42].
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+ Pendant l'Holocène, le lion (Panthera leo), le tigre (Panthera tigris) et le loup (Canis lupus) étaient des prédateurs des aurochs[43]. En Europe même, en dehors des Balkans où vivaient des lions, le loup était le prédateur principal[27]. L'homme a été également un prédateur de l'aurochs, et sa pression cynégétique n'a cessé de croître, jusqu'à provoquer son extinction, mais ne l'a pas empêché de laisser derrière lui des descendants qui sont la vache et le zebu.
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+ D'après les rapports historiques, les femelles vivaient avec leurs veaux, les mâles vivant indépendamment, en petits groupes. Certains mâles restaient solitaires. A la saison des amours (août - septembre), les mâles rejoignaient les femelles, s'affrontant parfois violemment pour pouvoir se reproduire. Les jeunes naissaient en mai - juin[27].
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+
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+ L'« aurochs reconstitué » selon son nom officiel au sein du catalogue des races bovines françaises (code race no 30[44]) ou « aurochs de Heck » (nom vernaculaire le plus courant en France jusqu'à la fin des années 1990)[n 3], ou « néo aurochs », est une sélection de races bovines domestiques menée en Allemagne dans les années 1920 et 1930 par les frères Heck. Ce mélange visait à recréer le type originel sauvage des bovins domestiques, c’est-à-dire l'aurochs originel, Bos primigenius.
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+
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+ La méthode a consisté à croiser des races domestiques « rustiques », supposées plus proches de l'aurochs des origines, afin de recréer une diversité génétique moins marquée par la dérive génétique découlant de la domestication, puis de sélectionner dans le groupe d'animaux ainsi obtenus ceux ressemblant le plus au phénotype (apparence physique) originel. Ce phénotype était considéré comme un bon indicateur d'une proximité avec le génotype originel. En termes de ressemblance, le succès n'a été que partiel. L'apparence physique offre certes des ressemblances avec l'original, et la capacité à vivre en liberté est bien documentée, l'animal vivant dans des réserves naturelles des Pays-Bas, comme Oostvaardersplassen, depuis 1983. Mais la taille reste inférieure à celle de l'aurochs sauvage, les cornes sont nettement plus petites, et la couleur est généralement plus claire.
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+
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+ La méthode utilisée, ainsi que la personnalité des frères Heck, proches du régime nazi, ont entraîné depuis l'après-guerre des polémiques assez vives, certains biologistes considérant l'aurochs reconstitué comme une supercherie, d'autres, surtout en Allemagne et aux Pays-Bas, défendant la démarche, et même l'introduction de l'animal dans des espaces sauvages.
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+
99
+ Depuis le début des années 2000, des éleveurs allemands ont entrepris d'introduire de nouvelles variétés bovines domestiques dans des groupes reproducteurs d'aurochs de Heck. Ces variétés, aux cornes et à la taille plus imposantes, ont donné des petits groupes d'animaux plus proches en apparence de l'aurochs sauvage. L'aurochs de Heck actuel regroupe donc une majorité d'animaux dont l'apparence et les caractéristiques génétiques sont fixées depuis les frères Heck, et une petite minorité d'animaux dont les caractéristiques sont en train d'être revues pour se rapprocher du phénotype sauvage. En 2015, le séquençage du génome à partir d'ADN fossile extrait d'un fossile trouvé au Royaume-Uni et datant de plus de sept mille cinq cents ans a permis de comparer les races ainsi obtenues avec l'auroch primitif, et de montrer une concordance génétique assez forte[45]. Les méthodes de sélection animale classique ne permettent pas, toutefois, d'aboutir à des specimens véritablement identiques à l'auroch[45].
100
+
101
+ Diverses races obtenues par croisements de formes primitives ou ressemblant à l'aurochs ont été réintroduites en milieu naturel et sur des terres en friche, par exemple aux Pays-Bas, en Croatie, en Hongrie, ou encore au Portugal et en Espagne, ce qui permet, entre autres, de prévenir le reboisement spontané et ainsi de favoriser les écosystèmes de prairie[45].
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+
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+ Si la race dite « aurochs reconstitué » a morphologiquement une certaine prestance, on ne peut, contrairement à ce que souhaitaient les frères Heck, la comparer avec l'espèce « aurochs primitif », avec lequel elle ne partage pas plus de gènes qu'une Normande ou une Charolaise[46].
104
+
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+ Quelques fermes ont entrepris l'élevage d'aurochs reconstitués, qui se sont révélés très résistants et qui vivent dans les prairies et les bois attenant sans bâtiment de protection et dont les vêlages ont lieu sans intervention ni difficulté, même dans la neige.
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+
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+ Deux syndicats d'élevage gèrent la race : le VFA (en Allemagne)[47] et le SIERDA[48] (international, mais principalement en France). Ce dernier a élaboré pour la France une charte d'élevage et une charte de production de viande[n 4].
108
+
109
+ Dans leur recherche d'augmentation de la marge brute, tout en conservant des méthodes d'élevage rustiques et extensives, les éleveurs développent de nombreuses plus-values : accueil du public, pédagogie, filière biologique, produits cuisinés et produits dérivés (cuirs bruts, couteaux).
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+
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+ De leur côté, les gestionnaires d'espaces naturels ont recours à ces aurochs pour mener du pâturage conservatoire ou naturel dans le but de maintenir ouvert des milieux à la gestion difficile (zones humides)[49].
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+ « Aurochs » reconstitués de la « ferme des aurochs », en Charente.
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+ Idem.
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+ Idem.
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+ Cliquez sur une vignette pour l’agrandir.
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+ Face à l'échec relatif de reconstitution de l'Aurochs par les frères Heck, d'autres projets de reconstitution de cet animal ont vu le jour plus ou moins récemment. Ces projets fonctionnent pour la plupart de la même manière que pour la création de l'aurochs de Heck, c'est-à-dire en croisant différentes races bovines primitives ayant une ressemblance avec leur ancêtre sauvage. Les initiatives actuelles de reconstitution de l'aurochs sont les suivantes : le projet Taurus qui reprend la sélection du bétail Heck ; le programme Tauros, qui vise, en partenariat avec Rewilding Europe, à relâcher des Tauros dans les espaces de réensauvagement ; le projet Auerrind et enfin le projet Uruz[50].
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+ Philippe II dit « Auguste »[2], né le 21 août 1165 à Paris et mort à Mantes le 14 juillet 1223, est le septième roi (1180-1223) de la dynastie des Capétiens. Il est le fils héritier de Louis VII et d'Adèle de Champagne.
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+ Le surnom d'« Auguste » lui fut donné par le moine Rigord[3] après que Philippe II eut ajouté au domaine royal en juillet 1185 (traité de Boves) les seigneuries d’Artois, du Valois, d’Amiens et une bonne partie du Vermandois[4] et également parce qu'il était né au mois d'août. Référence directe aux empereurs romains, ce terme signifie qu'il a accru considérablement le domaine.
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+ Chapelain et biographe de Philippe II, Guillaume Le Breton le nomme « Philippe le Magnanime »[5] dans sa chronique La Philippide rédigée entre 1214 et 1224. Cette chronique est une continuation de celle de Rigord que Philippe II lui avait demandé d'expurger, la jugeant moins laudatrice qu'il le souhaitait.
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+ Philippe Auguste reste l'un des monarques les plus admirés et étudiés de la France médiévale, en raison non seulement de la longueur de son règne, mais aussi de ses importantes victoires militaires et des progrès essentiels accomplis pour affermir le pouvoir royal et mettre fin à l'époque féodale.
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+ Philippe Auguste est le premier roi ayant fait porter sur ses actes, sporadiquement à partir de 1190, officiellement à partir de 1204[6], Rex Franciæ, « roi de France », au lieu de Rex Francorum, « roi des Francs »[a]. Il faut cependant relever que les traités et conventions de paix signés entre les vassaux ou alliés et le royaume de France mentionnent sans exception Philippus rex Francorum (« Philippe, roi des Francs »), à la différence, par exemple, de Richardus rex Angliæ (« Richard, roi d'Angleterre »), mais comme Henri, roi des Romains.
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+ La naissance de Philippe Auguste, en 1165, est accueillie comme un miracle par la famille royale. En effet, Louis VII attend depuis près de trente ans un héritier et c'est sa troisième épouse, Adèle de Champagne, qui lui donne tardivement ce fils tant espéré. Une attente qui vaut au futur Philippe II le surnom de Dieudonné[8],[9]. Il est baptisé dès le lendemain de sa naissance dans la Chapelle Saint-Michel-du-Palais au palais de la Cité à Paris par l'évêque Maurice de Sully en présence de trois parrains[10] et trois marraines[11]'[12].
14
+
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+ Comme tous les premiers rois capétiens depuis Hugues Capet, Louis VII, accablé par la maladie, pense à associer son fils à la couronne au printemps 1179, puis à lui laisser le pouvoir le 28 juin 1180. Mais la cérémonie du sacre est retardée à la suite d'un accident de chasse du jeune prince[13] dont la vie est menacée. Jean Favier précise la nature de l'incident (et non l'accident) : le jeune Philippe s'est égaré dans la forêt et n'est retrouvé que deux jours plus tard tremblant de peur et passablement perturbé[14]. L'état de santé du prince est suffisamment grave pour que Louis VII se déplace en Angleterre, malgré sa santé déclinante, et aille se recueillir sur la tombe de Thomas Becket[15], l'archevêque de Cantorbéry mort assassiné en 1170 et devenu un saint thaumaturge[16].
16
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17
+ Complètement remis sur pied et en l'absence de son père de plus en plus souffrant, Philippe est associé à la couronne et sacré le 1er novembre 1179 à Reims par son oncle l'archevêque Guillaume aux Blanches Mains[17]. L'absence à la cérémonie de la reine Adèle ainsi que des trois autres oncles maternels, alors que les fils d'Henri II Plantagenêts y assistent et que surtout le comte de Flandre Philippe d'Alsace parraine l'adoubement, est symbolique du revirement des influences. La Maison de Blois-Champagne prépondérante à la fin du dernier règne cède le pas à la Maison de Flandre[14].
18
+
19
+ Pour échapper à l’emprise de sa mère et de ses oncles maternels, Philippe II se rapproche de son parrain Philippe d'Alsace, comte de Flandre, qui lui donne sa nièce Isabelle en mariage. Le 28 avril 1180, l'évêque Roger de Laon bénit les jeunes époux en l'abbaye d'Arrouaise près de Bapaume. Le Jeudi de l'Ascension 29 mai 1180 à Saint-Denis, lors de la consécration de son épouse Isabelle de Hainaut comme reine de France, il reçoit une seconde fois l'onction sainte par l'archevêque de Sens[18], Guy Ier de Noyers, successeur de Guillaume aux Blanches Mains, au grand dam de ce dernier, qui accuse d'usurpation son pair. Isabelle, fille de Baudouin V de Hainaut lui apporte l'Artois en dot. Puis, le 28 juin 1180, trois mois avant la mort de son père, il signe le Traité de Gisors avec Henri II d'Angleterre. Ces deux événements renforcent la position du jeune roi face aux maisons de Flandre et de Champagne[19].
20
+
21
+ La mort de son père survient le 18 septembre 1180 et laisse Philippe seul roi, à quinze ans. Confronté à l'affaiblissement du pouvoir royal, Philippe se révèle rapidement à la hauteur du défi.
22
+
23
+ À l'intérieur du domaine, l'une de ses premières décisions est totalement contraire à la politique suivie par son père : l'expulsion des juifs et la confiscation de leurs biens[20] (17 avril 1182[21]) tranche avec la protection que Louis VII avait accordée à la communauté juive[22]. La raison officiellement donnée désigne les juifs responsables de calamités diverses, mais l'objectif réel est surtout de renflouer les caisses royales, bien mal en point en ce début de règne[23]. Ces mesures ne dureront pas : l'interdiction du territoire (d'ailleurs difficile à faire respecter) cesse en 1198, et l'attitude conciliatrice qu'avait adoptée Louis VII redevient bientôt la norme. Cependant, le pape Innocent III condamne quelques activités des juifs en France et exhorte Philippe Auguste dans la lettre Etsi non displiceat en 1205 à les sanctionner pour montrer la ferveur de sa foi chrétienne[24] (en latin : « in eorum demonstret persecutione fervorem quo fidem prosequitur Christianam »)[25].
24
+
25
+ Du point de vue juif, la mesure fut ainsi perçue : « En l'année 4946, c'est-à-dire en 1186[b], il fit saisir les Juifs dans toutes les provinces de son royaume, leur ravit leur argent et leur or et les chassa de son pays. Beaucoup abjurèrent alors leur foi et recouvrèrent par là leurs fortunes et leurs biens, se mêlèrent aux chrétiens et vécurent comme eux. Les synagogues, Philippe en fit des églises pour son Dieu, et avec ce qu'il avait pris, il éleva de nombreux édifices, le palais de l'Hôtel-de-ville, le mur de la forêt de Vincennes près de Paris et les Champeaux, où se tient le marché de Paris. Les Juifs de France étaient alors deux fois plus nombreux que ceux qui sortirent d'Égypte : ils émigrèrent par sept chemins de ce pays devenu cruel pour eux, et Israël devint extrêmement malheureux »[27].
26
+
27
+ À la fin du règne de Louis VII, le comte Philippe de Flandre avait proposé au vieux roi sa nièce Ide, fille de son frère Mathieu, comte de Boulogne. Pour renforcer son influence, il négocie au début de 1180 le mariage de sa nièce Isabelle, fille de sa sœur Marguerite et de Baudouin, comte de Hainaut. Le parti flamand, rival du parti champenois, espérait ainsi disposer d'un membre influent à la cour, tout comme l'avait fait le parti champenois, son rival, avec Adèle de Champagne dans les dernières années du règne de Louis VII[28].
28
+
29
+ Le 28 avril 1180, Isabelle de Hainaut épouse donc Philippe, le mariage religieux est célébré par les évêques Henri de Senlis et Roger de Laon[29] en l'église de l'abbaye Saint-Nicolas d'Arrouaise, dédiée à la Sainte-Trinité[30]. Les cérémonies sont célébrées au château de Bapaume[31] à proximité du territoire flamand.
30
+
31
+ Le lieu du mariage avait été tenu secret par Philippe II de France car sa mère Adèle de Champagne, ses frères et tout le parti champenois étaient contre cette alliance mais Philippe II Auguste tenait à cette union et décida de choisir un lieu en dehors des terres champenoises. Ce désaccord valut à Isabelle de Hainaut un ressentiment profond de la part d'Adèle de Champagne[32].
32
+
33
+ Dès 1181, le conflit avec les barons est ranimé, mené par le comte de Flandre, Philippe d'Alsace, avec lequel Philippe s'est brouillé. Il parvient toutefois à contrer les ambitions du comte en brisant les alliances que ce dernier a nouées avec le landgrave de Brabant, Godefroy de Louvain, et l'archevêque de Cologne, Philippe de Heinsberg[33]. En juillet 1185, le traité de Boves confirme au roi la possession du Vermandois, de l'Artois et de l'Amiénois[34].
34
+
35
+ Les Plantagenêt sont l'autre préoccupation majeure de Philippe Auguste. Les possessions d'Henri II d'Angleterre, également comte d'Anjou, comprennent la Normandie, le Vexin, et la vaste Aquitaine. De plus, par le mariage de Geoffroy, fils de Henri II, les Plantagenêt gouvernent aussi la Bretagne. Après deux ans de combats (1186-1188), la situation reste indécise. Philippe cherche habilement à profiter des rivalités entre les fils du roi d'Angleterre, Richard, avec lequel il se lie d'amitié, et son cadet Jean sans Terre. Une paix de statu quo est finalement négociée, alors que le pape Grégoire VIII, après la prise de Jérusalem par Saladin en 1187, appelle à la croisade. Philippe Auguste est peu motivé par une telle aventure mais ne peut opposer un refus au pape. Il prend la croix et invoque les dangers qui menacent son royaume pour surseoir. La mort d'Henri II en juillet 1189 clôt cet épisode. Le roi ne peut plus se dédire, il se prépare au départ en Terre sainte.
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+ En 1183, Philippe Auguste, pressé d'avoir un héritier et brouillé avec Philippe d'Alsace et Baudouin V de Hainaut songe à se séparer d'Isabelle.
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39
+ En mars 1184, la répudiation est décidée. Une assemblée de prélats et de seigneurs réunie à Senlis va se prononcer, quand Isabelle, raconte le chroniqueur Gilbert de Mons[35], pieds nus et habillée en pénitente, fait à pied le tour des églises de la ville et implore Dieu devant le peuple qui l'aimait pour son grand cœur. Celui-ci prend fait et cause pour elle, et Philippe Auguste recule et la garde auprès de lui[36].
40
+
41
+ Philippe Auguste et Richard partent ensemble pour la troisième croisade, qui mobilise également la plupart des grands barons de France. Ils embarquent à la fin de l'été 1190, Philippe de Gênes et Richard de Marseille. Mais ils sont surpris par les tempêtes d'hiver en Méditerranée et doivent attendre plusieurs mois en Sicile, à Messine. Là, la rivalité entre les deux rois se ranime autour des projets de mariage de Richard, qui rompt ses fiançailles avec Adélaïde (demi-sœur de Philippe) et s'engage avec Bérengère de Navarre[37]. Philippe Auguste quitte Messine dès qu'il le peut, le 30 mars 1191.
42
+
43
+ Il arrive à Acre le 20 avril 1191 et participe au siège de la cité, contrôlée par les musulmans. Richard n'arrive qu'en juin, après un détour par Chypre : les renforts anglais sont les bienvenus mais les querelles reprennent immédiatement entre les deux rois. Pour aggraver la situation, ils sont tous deux victimes de maladie[c], causant notamment une forte fièvre, ils perdent cheveux et ongles. Philippe Auguste perd également l'usage d'un œil. Les opérations militaires avancent toutefois : les Français percent une première fois les murs d'Acre le 3 juillet, sans succès ; puis ce sont les Anglais qui échouent. Affaiblis, les assiégés capitulent le 12 juillet 1191.
44
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45
+ La croisade ne fait que commencer, pourtant Philippe décide de prendre le chemin du retour. La mort du comte de Flandre survenue le 1er juin lors du siège de Saint-Jean-d'Acre rouvre le dossier sensible de la succession flamande[44]. Le fait qu'il n'ait qu'un seul héritier l'invite par ailleurs à la prudence. C'est dans un état de santé délabré et très atteint physiquement que Philippe passe par Rome pour obtenir du pape l'autorisation de quitter la croisade. Le roi rentre à Paris le 27 décembre 1191.
46
+
47
+ Il s'agit là de la première préoccupation de Philippe à son retour de croisade. La mort du comte de Flandre, sans descendance, suscite les convoitises de trois prétendants : Baudouin, comte de Hainaut, Éléonore de Vermandois, comtesse de Beaumont, et Philippe Auguste lui-même.
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49
+ Au terme de tractations, Baudouin est désigné comme héritier du comté de Flandre après paiement de cinq mille marcs d'argent[45]. Cependant, Philippe Auguste confirme par une charte de 1192 le Valois et le Vermandois à Éléonore, qui doivent revenir au roi après la mort de celle-ci. Enfin, le roi reçoit Péronne et l'Artois, au nom de son fils Louis, comme héritage de la reine Isabelle de Hainaut morte en 1190[46]. Les positions royales au nord sont donc considérablement renforcées.
50
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51
+ Après la disparition de la reine Isabelle, Philippe Auguste sait qu'il doit se remarier au plus vite. La succession dynastique n'est en effet pas assurée : son seul fils, Louis, n'a que quatre ans et vient de survivre à une grave maladie. Le choix d'Ingeburge de Danemark s'organise autour de la nécessité pour le roi Philippe de mettre un empêchement aux ambitions des souverains britanniques (essayant par là de réveiller les vieilles rivalités entre Danois et Anglais, en vain), une politique française menée depuis bientôt un siècle par ses prédécesseurs.
52
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53
+ Sœur du roi Knut VI, âgée de dix-huit ans, Ingeburge n'est qu'une des nombreuses épouses possibles pour Philippe. Pourtant cette union avec la maison royale danoise lui permettrait de fragiliser la dynastie anglo-normande. En effet, Ingeburge descend par les femmes du roi Harold II mort à la bataille d'Hastings contre Guillaume de Normandie, futur roi d'Angleterre et fondateur de la dynastie anglo-normande. Philippe II pense avoir trouvé un moyen de pression avec l'antériorité des droits de sa future épouse Ingeburge, droits qu'il aurait envisagé de faire valoir par la force et avec le concours des princes danois.
54
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+ Un accord est conclu sur une dot de dix mille marcs d'argent dont une large partie est versée le jour du mariage par les plénipotentiaires danois présents à la cérémonie, la princesse est amenée en France, Philippe la rencontre à Amiens le 14 août 1193 et l'épouse le jour même[47]. Le lendemain, Philippe fait écourter la cérémonie du couronnement de la reine et expédie Ingeburge au monastère de Saint-Maur-des-Fossés. Le roi annonce qu'il souhaite faire annuler le mariage[48].
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+ Les raisons de cette séparation précipitée, suivie pour Ingeburge de sept ans de captivité[d] et, pour Philippe, du refus absolu de reconnaître sa place de reine, sont restées inconnues et ont donné lieu à toutes les spéculations possibles de la part des contemporains comme des historiens.
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59
+ Les sources britanniques prétendent que le roi Philippe avait conçu un dégoût immédiat pour son épouse, ce qui est contredit par le fait qu'il se soumettra plus tard et à de nombreuses reprises à ses obligations d'époux, même lorsqu'il le nia pour n'avoir pas à reprendre Ingeburge à ses côtés en qualité de reine de France.
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+ Les historiens français ont pensé que les Danois avaient pour leur part rejeté tout projet d'envahir l'Angleterre, ce qui rendait le mariage de Philippe II subitement inintéressant pour lui, car d'une part il n'obtenait plus le concours des Danois pour envahir l'Angleterre et en plus il devait rendre la dot de son épouse ce qui était au moins une aussi grande torture pour un roi qui comptait la moindre rentrée d'argent.
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+ C'est pourquoi la version selon laquelle le roi Philippe aurait été mal remis de la maladie qu'il avait contractée à la croisade ne peut être totalement écartée[50].
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+ Toujours est-il que pour défendre l'annulation du mariage, Philippe souhaite faire valoir, comme il l'avait fait avec Isabelle de Hainaut dont il avait également souhaité se séparer avant de reculer devant la pression populaire, un lien de parenté prohibé par l'Église.
66
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67
+ Ingeburge ne pourra faire appel à un soutien populaire, puisqu'elle ne parle pas un mot de français ; elle est tout juste capable de s'exprimer dans un latin assez rudimentaire. Une assemblée d'évêques et de barons donne aisément raison au roi, qui se remarie à la hâte avec Agnès de Méranie, jeune noble bavaroise, dès juin 1196.
68
+
69
+ Mais le nouveau pape Innocent III, élu en 1198, ne l'entend pas de cette oreille. Souhaitant affirmer son autorité, il enjoint à Philippe Auguste de renvoyer Agnès et de rendre sa place à Ingeburge. En l'absence de réaction du roi, l'interdit est lancé sur le royaume à partir du 13 janvier 1200 et le pape excommunie Philippe Auguste[51]. Philippe laisse toutefois la cause en suspens, Ingeburge reste captive, désormais dans la tour d'Étampes. Le roi organise finalement une cérémonie de réconciliation, et l'interdit est levé par le légat pontifical Octavien lors du concile de Nesle en Vermandois le 7 septembre 1200[52]. Mais la cérémonie ne rend pas tout à fait sa place à Ingeburge, et la procédure d'annulation du mariage se poursuit, Philippe étant désormais bigame. Le concile de Soissons qui se réunit en mars 1201 se conclut cependant par l'échec de Philippe Auguste, qui abrège lui-même les débats et renonce à faire casser le mariage. Finalement, en juillet 1201, Agnès de Méranie meurt à Poissy en donnant à Philippe un deuxième héritier mâle, Philippe (après avoir donné naissance à une fille, Marie, en 1198), reconnu comme tel par le pape en novembre 1201. La crise est momentanément close et la succession dynastique est assurée.
70
+
71
+ Philippe reprend la procédure d'annulation du mariage en 1205, cette fois sur motif de non-consommation dans le temps, un motif rejeté par l'Église catholique puisque Ingeburge put attester des visites régulières de son époux dans les lieux où il la retient captive.
72
+
73
+ Il est probable que son opiniâtreté à obtenir la séparation tienne à la naissance en 1205 de son troisième fils, Pierre Charlot, qui resta de ce fait illégitime et dont l'éducation fut confiée en 1212 à l'Église catholique probablement après la mort de sa mère, la « dame d'Arras ».
74
+
75
+ Constatant définitivement que ces projets débouchent sur une impasse gênante, le roi met fin brutalement aux négociations de rupture en 1212 (comme en 1201) et, résigné, rend sa place, sinon d'épouse, du moins de reine en titre, à la malheureuse Ingeburge.
76
+
77
+ Richard Cœur de Lion poursuit la croisade après le départ de Philippe : il reprend les principaux ports palestiniens, jusqu'à Jaffa, et rétablit le royaume latin de Jérusalem, bien que la ville proprement dite lui échappe. Il négocie finalement une trêve de cinq ans avec Saladin et rembarque au mois d'octobre 1192. Les tempêtes d'hiver le surprennent de nouveau : échoué à Corfou, il est capturé par le duc d'Autriche Léopold V, qui le remet entre les mains de l'empereur germanique Henri VI, son ennemi. Pour la libération de Richard, l'empereur demande une rançon de cent mille marcs d'argent, plus cinquante mille marcs pour l'aider à conquérir la Sicile[53].
78
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79
+ Philippe profite de la situation pour négocier avec Jean sans Terre, le frère cadet de Richard, qui a pris le contrôle du royaume anglo-normand. Espérant récupérer la couronne anglaise grâce au soutien de Philippe, il prête hommage en 1193. Puis, alors que Philippe Auguste attaque les possessions des Plantagenêt, Jean cède au roi de France l'Est de la Normandie (le Vexin normand), Le Vaudreuil, Verneuil et Évreux, moyennant mille marcs d'argent, par un accord écrit, en janvier 1194. Par sa finesse diplomatique et militaire, Philippe tient son rival en respect.
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+ Richard est finalement libéré le 2 février 1194. Sa mère, Aliénor d'Aquitaine, a payé les deux tiers de la rançon demandée, soit cent mille marcs d'argent, le solde devant être versé plus tard[53]. Conscient de la valeur de son adversaire, Philippe Auguste aurait écrit à Jean sans Terre : « Prenez garde à vous maintenant, le diable est lâché »[54]. La riposte de Richard est immédiate : après deux mois passés en Angleterre, il débarque en Normandie le 12 mai 1194 ; s'engage alors une guerre d'escarmouches. Le 10 mai, Philippe met le siège devant Verneuil, qui refuse de se soumettre. Quand lui parvient l'annonce du massacre de la garnison française d'Évreux, que Jean, réconcilié avec son frère, vient de lui livrer, il abandonne le siège, le 28 mai, et pousse vers Évreux, qu'il détruit. De son côté, Richard reprend Loches après huit jours de siège, le 14 juin. Puis, le 5 juillet, Philippe s'apprêtant à mettre le siège devant le château de Vendôme, Richard lui dresse un guet-apens près de Fréteval, au cours duquel il s'empare des bagages de Philippe, du sceau royal et de son chartrier (événement à l'origine de la création de la garde des archives royales, appelées Trésor des Chartes).
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+ Les deux souverains conviennent d'une trêve le 23 juillet 1194, mais celle-ci n'est pas respectée. En 1195, la guerre se déplace en Berry, où les deux armées se rencontrent, près d'Issoudun. Alors que l'on s'apprête au combat, Richard va trouver Philippe et lui prête hommage pour le duché de Normandie et les comtés d'Anjou et de Poitiers. Un traité de paix est signé à Gaillon le 15 janvier 1196 : Richard cède Gisors et le Vexin normand à Philippe, qui lui abandonne les différentes conquêtes qu'il a faites en Normandie et ses prétentions sur le Berry et l'Auvergne.
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+ Ayant perdu sa principale place forte avec Gisors, Richard entame la construction de Château-Gaillard, ce qui rallume la guerre. Richard prend et détruit le château de Vierzon, dans le Berry, et se fait livrer à prix d'argent le château de Nonancourt. De son côté, Philippe s'empare, à l'automne 1196, des châteaux de Dangu et d'Aumale, et reprend Nonancourt. Richard envahit le Vexin (1197-1198), ravageant les bords de Seine au-dessous de Paris. Philippe est battu en septembre 1198 entre Gamaches et Vernon. Le 26 septembre 1198, Richard s'empare des châteaux de Boury et de Courcelles, puis bat près de Gisors les troupes de Philippe, venu au secours de ces places fortes[55],[56]. Philippe manque de se faire tuer pendant la bataille. Chargeant à la tête de ses troupes, il aurait déclaré : « Je ne fuirai pas devant mon vassal »[57].
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+ Les deux rois cherchent des soutiens, tandis que le nouveau pape Innocent III[58], qui souhaite mettre sur pied une nouvelle croisade, les pousse à négocier. Le 13 janvier 1199, entre Les Andelys et Vernon, ils conviennent en présence du légat d'une trêve de cinq ans, d'ailleurs mal respectée[59]. La situation se règle brusquement : lors du siège du donjon du château de Châlus-Chabrol (Limousin) le 26 mars 1199, Richard est frappé par un carreau d'arbalète. Il succombe à sa blessure quelques jours plus tard, le 6 avril, à quarante-et-un ans et au faîte de sa gloire.
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+ La succession de Richard Cœur de Lion ne va pas de soi : face à Jean sans Terre le jeune Arthur de Bretagne (âgé de douze ans), fils de son frère aîné Geoffroy II de Bretagne mort en 1186, est un prétendant sérieux. Philippe Auguste profite de cette rivalité et, comme il avait pris position pour Jean contre Richard, il prend cette fois position pour Arthur contre Jean. Il reçoit l'hommage du duc Arthur Ier de Bretagne pour les possessions françaises des Plantagenêt au printemps 1199[60]. Ceci lui permet de négocier en position de force avec Jean sans Terre, et le traité du Goulet, en mai 1200, est favorable à Philippe Auguste. Le traité est scellé par le mariage entre Louis de France et Blanche de Castille, nièce de Jean.
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+ Les hostilités ne cessent pas vraiment, et se concentrent désormais en Aquitaine. Philippe se rapproche donc d'une part d'Arthur, et convoque Jean, son vassal au titre du traité du Goulet, pour ses actions en Aquitaine et à Tours. Jean ne se présente naturellement pas et la cour de France prononce la confiscation de ses fiefs.
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+ La suite se joue sur le terrain militaire. Philippe part dès le printemps 1202 à l'assaut de la Normandie tandis qu'Arthur s'attaque au Poitou. Mais le jeune duc est surpris par Jean sans Terre lors du siège de Mirebeau, et fait prisonnier avec ses troupes. Arthur de Bretagne disparaît dans les mois qui suivent, probablement assassiné début 1203. Philippe s'assure alors le soutien des vassaux d'Arthur et reprend son action en Normandie au printemps 1203. Il démantèle le système des châteaux normands, prend Le Vaudreuil, et entame le siège de Château-Gaillard en septembre 1203. De son côté, Jean fait l'erreur de quitter la Normandie pour rentrer en Angleterre, en décembre 1203. Château-Gaillard tombe le 6 mars 1204.
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+ Philippe Auguste peut alors envahir l'ensemble de la Normandie : Falaise, Caen, Bayeux, puis Rouen qui capitule et dont le capitaine et gouverneur Pierre de Préaux signe l'acte de capitulation, après 40 jours de siège, le 24 juin 1204 en constatant que le secours de Jean n'arrive pas. Verneuil et Arques tombent immédiatement après et parachèvent le succès de Philippe, qui vient de prendre toute la Normandie en deux ans de campagne. Philippe se tourne alors vers la vallée de la Loire, il prend d'abord Poitiers en août 1204, puis Loches et Chinon en 1205. Jean et Philippe conviennent finalement d'une trêve à Thouars, à compter du 13 octobre 1206. Pour Philippe Auguste, l'objectif est désormais de stabiliser ces conquêtes rapides.
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+ Toute la période qui s'étale de 1206 à 1212 voit Philippe Auguste s'efforcer de consolider ses conquêtes territoriales. Le cas est particulièrement violent en Auvergne. Depuis les années 1190 les conflits entre le roi de France et le comte Guy II d'Auvergne sont récurrents. Le comte se déclare tantôt vassal des Plantagenêt tantôt indépendant et à la suite de la prise de l'abbaye royale de Mozac par les troupes du comte d'Auvergne, Philippe-Auguste saisit l'opportunité et lance son armée à la conquête de l'Auvergne. La guerre dure entre deux et trois ans selon les sources mais se termine après le siège de Tournoël en décembre 1213[61],[62].
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+ La domination capétienne est acceptée en Champagne, en Bretagne mais l'Auvergne, le comté de Boulogne et la Flandre posent problème. À la suite de la conquête de 1213, la population auvergnate prend mal cette annexion et de nombreux scribes auvergnats partisans du comte Guy II d'Auvergne vont réaliser des sirventès vengeurs. Parmi ces pamphlets contre le roi de France et ses vassaux ayant mené la guerre contre Guy se retrouvent ceux du XIIIe siècle cités dans le roman de Flamenca[63].
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+ Renaud de Dammartin, comte de Boulogne, est une première source de préoccupation. Malgré les attentions de Philippe Auguste, qui marie notamment en 1210 son fils Philippe Hurepel à Mathilde, fille de Renaud, ce dernier négocie avec le camp ennemi, et les soupçons de Philippe prennent corps lorsque le comte entreprend de fortifier Mortain, en Normandie occidentale. En 1211, Philippe passe à l'offensive, il prend Mortain, Aumale et Dammartin. Renaud de Dammartin s'enfuit auprès du comte de Bar-le-Duc et ne constitue plus un danger immédiat.
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+ En Flandre s'ouvre une période d'incertitude : Baudouin, comte de Flandre et de Hainaut, prend part à la quatrième croisade à partir de l'été 1202, participe à la prise de Constantinople et est élu empereur du nouvel empire latin fondé en mai 1204. Mais il est fait prisonnier par les Bulgares en 1205 et tué peu après. Philippe, frère de Baudouin et comte de Namur, qui assure la régence en Flandre, jure finalement fidélité à Philippe Auguste, contre l'avis de ses conseillers. Le roi, pour stabiliser le comté, marie la seule héritière de Baudouin, sa fille Jeanne, à Ferrand de Portugal, en 1211. Philippe pense pouvoir compter sur son nouveau vassal[réf. nécessaire].
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+ Enfin, les affaires germaniques constituent un autre enjeu majeur. Après la mort de l'empereur Hohenstaufen, Henri VI, en 1197, un nouvel empereur doit en effet être désigné par le pape Innocent III. Deux candidats sont déclarés : d'une part, Otton de Brunswick, soutenu par son oncle Jean sans Terre et favori du pape Innocent III et, d'autre part, Philippe de Souabe, frère d'Henri VI, soutenu par Philippe Auguste et couronné roi de Germanie en 1205. Ce dernier est toutefois assassiné en juin 1208 : désormais sans rival, Otton est couronné empereur en octobre 1209. Innocent III regrette d'ailleurs vite son choix puisque le nouvel empereur exprime bientôt ses ambitions italiennes. Otton est excommunié en 1210, et Philippe Auguste négocie avec Frédéric II du Saint-Empire, le fils d'Henri VI, couronné roi de Germanie à Mayence en 1212 par Siegfried II von Eppstein, évêque de Mayence, un allié que Philippe Auguste espère bien opposer à l'ambition d'Otton.
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+ L'incroyable réussite de Philippe Auguste amène bientôt ses rivaux à s'unir. L'opposition se cristallise en 1214 : on y compte naturellement Jean sans Terre et Otton de Brunswick. Renaud de Dammartin est le véritable artisan de la coalition : lui qui n'a plus rien à perdre se rend à Francfort pour trouver l'appui d'Otton, puis en Angleterre où il fait hommage à Jean, qui le rétablit officiellement dans ses possessions anglaises. Les hostilités entre Philippe et Jean reprennent immédiatement[64].
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+ À la même époque, les premières opérations de la croisade contre les albigeois, menée par des barons, voient se quereller le comte de Toulouse et les croisés. Philippe Auguste remet cette question à plus tard et se concentre sur le danger anglais. Il réunit ses barons à Soissons le 8 avril 1213, charge son fils Louis de conduire l'expédition contre l'Angleterre[65] et obtient le soutien de tous ses vassaux, sauf un : Ferrand, le comte de Flandre qu'il a lui-même installé deux ans plus tôt. Philippe cherche alors de nouveaux soutiens, notamment auprès de Henri de Brabant. Après une période d'hésitation, le pape Innocent III choisit par contre de soutenir Jean, un soutien moral mais non négligeable. Les préparatifs du conflit se prolongent : le projet initial de Philippe, qui souhaite envahir l'Angleterre, prend l'eau lorsque sa flotte est assaillie et en partie détruite par la coalition ennemie à Damme, en mai 1213[66]. Les mois suivants voient Philippe et Louis s'acharner contre les comtés de Boulogne et de Flandre. Les villes du Nord sont presque toutes ravagées.
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+ En février 1214, Jean sans Terre débarque enfin sur le continent, à La Rochelle, espérant prendre Philippe à revers[67]. Une stratégie qui fonctionne d'abord, puisque Jean gagne des partisans parmi les barons du Limousin et dans le Poitou. En mai 1214, il remonte jusqu'à la vallée de la Loire et prend Angers. Philippe, toujours engagé en Flandre, confie alors à Louis la riposte contre Jean. Le jeune prince se tourne immédiatement vers la forteresse de La Roche-aux-Moines[68]. À son approche, Jean est pris de panique : le soutien des barons poitevins vacille, tandis qu'on annonce que Louis est accompagné de 800 chevaliers. Le roi d'Angleterre fuit le 2 juillet, la déroute anglaise est totale. Mais la coalition n'a pas encore perdu : c'est au nord que tout doit se jouer.
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+ L'affrontement final entre les armées de Philippe et la coalition, conduite par Otton, est désormais inévitable, après plusieurs semaines d'approche et d'évitement. Philippe entend couper ses ennemis des renforts en provenance d'Allemagne et tente de surprendre Otton par le nord-est. L'empereur a vent de la manœuvre et se déplace à Mortagne, à quelques lieues de l'armée royale. Philippe Auguste est conscient de son infériorité numérique, une partie importante de son armée se bat près d'Angers contre les Anglais. Et vient d'ailleurs de remporter, le 2 juillet, la victoire de La Roche aux Moines, avec le fils du roi, Louis VIII Le Lion, à sa tête. Philippe, ayant observé le terrain lors de son avancée, fait mine de se replier sur Lille. Otton pense qu'il veut éviter la bataille, et ses armées coalisées pensent que l'ennemi fuit. L'armée française se dirige vers le pont sur la Marque, à Bouvines, le dimanche 27 juillet 1214, — pont que l'intendance franchit. Un dimanche, l'interdiction de combattre est absolue pour les chrétiens, mais Otton IV, excommunié en 1210, décide de passer à l'offensive, espérant surprendre l'ennemi sur ses arrières. Arrivée proche d'un étang sur sa droite et d'un bois sur sa gauche, un véritable entonnoir, l'armée française, après une pause, se retourne brusquement. Étang à gauche et bois à droite. On ne peut se battre ni dans l'un, ni dans l'autre. Elle se déploie en ligne, et sur cette ligne, l'infériorité numérique est effacée. Une perfection tactique. L'armée d'Otton, en effet, n'a plus l'espace nécessaire pour déployer ses effectifs, d'où un effet de surnombre. Entravée dans ses manœuvres, devenue bien trop nombreuse pour ne pas être obligée de se gêner puis de se piétiner, elle subit le retournement. L'aile droite française s'engage contre les chevaliers flamands, conduits par Ferrand. Puis, au centre, Philippe et Otton se font face. Dans la mêlée de cavalerie, Philippe est désarçonné, il chute, mais ses chevaliers le protègent, lui offrent un cheval frais, et le roi reprend l'assaut. Ceux des gens d'armes d'Otton qui ne voient pas et ne comprennent pas ce qui se passe en première ligne commencent à voir des fuyards se débander. Otton est sur le point d'être capturé, il s'enfuit sous un déguisement. Enfin, sur l'aile gauche, les partisans de Philippe viennent à bout de Renaud de Dammartin, capturé après une longue résistance. Le sort vient de basculer en faveur de Philippe, malgré l'infériorité numérique de ses troupes (1 300 chevaliers et 4 000 à 6 000 sergents à pieds, contre 1 300 à 1 500 chevaliers et 7 500 sergents à pieds pour la coalition[69]). La victoire est totale : l'empereur est en fuite, les hommes de Philippe ont fait cent trente prisonniers, dont cinq comtes, notamment le traître honni, Renaud de Dammartin, et le comte de Flandre, Ferrand.
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+ La coalition est dissoute dans la défaite. Le 18 septembre 1214, à Chinon[70], Philippe signe une trêve de statu quo pour cinq ans avec Jean qui continue de harceler ses positions au sud. Le roi anglais retourne en Angleterre en 1214, contraint par le pape Innocent III d'accepter le traité qui consacrait la perte de ses possessions au nord de la Loire. Par ce traité de Chinon, Jean sans Terre abandonne toutes ses possessions au nord de la Loire : le Berry et la Touraine, avec le Maine et l'Anjou, retournaient dans le domaine royal qui couvre désormais le tiers de la France, et, singulièrement agrandi, se trouve libéré de toutes les menaces. Il dut en outre payer 60 000 livres à Philippe. Il ne conservait que le Duché d'Aquitaine.
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+ La victoire est totale sur le continent, et les ambitions royales ne s'arrêtent pas là. En effet, Philippe Auguste souhaite aller plus loin contre Jean d'Angleterre. Il fait ainsi valoir que Jean doit être privé du trône, rappelant sa trahison envers Richard en 1194, et le meurtre de son neveu Arthur. Faisant valoir une interprétation de la généalogie de son épouse Blanche de Castille, mais surtout parce que les barons, voulant écarter Jean sans Terre, lui avaient proposé la couronne, le fils de Philippe, Louis, conduit une expédition en Angleterre[71]. Le débarquement a lieu en mai 1216, et Louis, à la tête de troupes nombreuses (1 200 chevaliers, plus de nombreux rebelles anglais[72]), conquiert le royaume anglais, notamment Londres où il s'installe. Seuls Windsor, Lincoln et Douvres résistent. Mais malgré l'accueil chaleureux réservé à Louis par une majorité d'évêques anglais, le soutien du pape à Jean demeure ferme, et Louis est excommunié. Finalement, Jean meurt subitement d'une grave indigestion, le 19 octobre 1216. Les barons anglais — anciens alliés de Jean ou de Louis — font alors couronner Henri III, âgé de neuf ans. Innocent III vient aussi de mourir, mais son successeur Honorius III continue de défendre les loyalistes. Les évêques retirent bientôt leur soutien à Louis et les rebelles s'assagissent. Le prince revient chercher des appuis en France début 1217 et retourne en Angleterre. Il est battu sur terre par Guillaume le Maréchal à Lincoln, puis sur mer lorsque les renforts que lui envoie Blanche de Castille sont anéantis à la bataille des Cinq-Ports[73]. Louis accepte de négocier la paix, celle-ci est conclue en septembre 1217 et son excommunication est levée.
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+ L'attitude de Philippe Auguste quant à cette expédition est ambiguë. En tout cas, le roi ne la soutient pas officiellement. Blanche de Castille le convainc de payer pour lever une armée de secours, en menaçant de mettre ses deux fils en gage. Mais il est peu vraisemblable d'imaginer qu'il n'ait pas donné son assentiment à celle-ci, du moins à titre privé[74].
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+ Déclenchée en 1208, la croisade contre les Albigeois a tourné à l'affrontement entre Simon IV de Montfort, qui conduit la croisade composée de barons du Nord, et Raymond VI, comte de Toulouse, qui soutient secrètement les hérétiques. Par ailleurs, Pierre II d'Aragon a des vues sur la région et encourage le camp du comte de Toulouse avant d'être lui-même défait et tué par Simon de Montfort à la bataille de Muret, en 1213[75].
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+ Après la bataille de La Roche-aux-Moines, Louis part une première fois pour le Midi en avril 1215, et aide Simon de Montfort à consolider ses positions. Celui-ci devient finalement comte de Toulouse, avec l'accord du pape Honorius III et de Philippe Auguste, à qui il prête hommage. Mais la ville de Toulouse résiste, son siège dure, et Simon y meurt en avril 1218. Le pape désigne son fils Amaury de Montfort comme successeur et enjoint à Philippe Auguste d'envoyer une nouvelle expédition. Louis part en mai 1219, rejoint Amaury au siège de Marmande, dont les habitants sont massacrés. Après quarante jours d'ost, Louis rentre sans avoir pu prendre Toulouse. Une nouvelle expédition est envoyée par Philippe en 1221, sous les ordres de l'évêque de Bourges et du comte de la Marche, sans plus de succès[réf. nécessaire].
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+ Cependant ces différentes expéditions sont de faible envergure. Malgré les appels réitérés de la papauté, Philippe se garde d'intervenir personnellement dans cette croisade intérieure ; face au pape, il rappelle surtout et avec constance ses droits de suzerain sur le Midi. Il n'autorise son fils à se croiser qu'en 1219.
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+ Après Bouvines, les opérations militaires se déroulent en Angleterre ou dans le Midi de la France. Le domaine, et plus largement l'ensemble du Nord de la Loire, reste en paix, selon les termes de la trêve conclue à Chinon en 1215, originellement pour cinq ans, et prolongée en 1220 avec la garantie de Louis, une association qui marque le début de la transition de Philippe à son fils et héritier.
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+ Si les conquêtes par les armes cessent, Philippe étend néanmoins son influence en profitant des successions problématiques. C'est le cas en Champagne lors de l'accession de Thibaut IV, qui lui permet d'asseoir sa suzeraineté. C'est le cas surtout lorsque le roi récupère des terres, comme à Issoudun, Bully, Alençon, Clermont-en-Beauvaisis et Ponthieu.
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+ La prospérité du royaume à la fin du règne de Philippe Auguste est établie. On estime l'excédent annuel du Trésor à 25 210 livres en novembre 1221. À cette date, le Trésor a dans ses caisses 157 036 livres, soit plus de 80 % du revenu annuel ordinaire global de la monarchie. Le testament de Philippe Auguste, rédigé en septembre 1222, confirme ces chiffres, puisque la somme de ses legs s'élève à 790 000 livres parisis, soit près de quatre ans de revenus[76] ! Ce testament est rédigé alors que la santé de Philippe fait craindre sa mort, qui survient dix mois plus tard.
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+ Alors qu'il se trouve à Pacy, Philippe décide d'assister à la réunion ecclésiastique organisée à Paris pour la préparation de nouvelles croisades, contre l'avis de ses médecins. Il ne survit pas à la fatigue du voyage et meurt le 14 juillet 1223, à Mantes. Son corps est amené à Paris, et ses funérailles sont rapidement organisées, à Saint-Denis, en présence des grands du Royaume. Pour la première fois, le corps du roi de France revêtu de tous les regalia est exposé à la vénération du peuple avant sa sépulture dans un rite solennel inspiré de celui des rois d'Angleterre[77]. C'est donc le premier souverain français dont la mort ait été mise en scène, marquant symboliquement le dernier acte de souveraineté du monarque[78].
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+ À sa mort, Philippe II laisse à son fils et successeur Louis VIII un domaine royal considérablement agrandi.
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+ Le contraste est saisissant entre l'avènement de Philippe, sous une quasi-tutelle des barons, avec un domaine qui fait de lui le roi de l'Île-de-France plus que de la France, et la fin de son règne, avec un domaine agrandi, auxquels il faut ajouter de nombreux territoires soumis par hommage de leurs possesseurs. Le rival anglais est repoussé dans une Guyenne parcellaire, très loin de Paris. Ces conquêtes sont notamment permises par le développement important de l'ost royal qui compte en 1202 : en temps de paix 3 043 hommes (257 chevaliers, 2 000 sergents à pied et 267 à cheval, 133 arbalétriers à pied et 86 à cheval, 300 mercenaires) ; en temps de guerre, ce nombre s'accroît de 8 054 sergents[79].
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+ Ces gains territoriaux font de Philippe Auguste un roi rassembleur, dont l’œuvre est continuée par Louis VIII. Il faut attendre la guerre de Cent Ans pour assister à un recul important des possessions royales françaises.
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+ Philippe sut aussi stabiliser ces conquêtes. Il parvient à raffermir le pouvoir royal dans ces nouvelles terres par de nouveaux modes d'administration du territoire, et par une politique de fortifications et de châteaux : il fait dresser leur inventaire et lance à ses frais des constructions dans le domaine et les fiefs. Les mottes castrales disparaissent, remplacées par des donjons en pierre que Philippe veut polygonaux ou cylindriques, pour une meilleure résistance aux engins de siège, et pour éviter les angles morts à la défense. De nombreuses tours sont ainsi construites. Vers la fin du règne, le plan évolue vers un donjon circulaire, surmontant une forteresse quadrangulaire avec des tours rondes à chaque coin, dont le château du Louvre est le meilleur exemple (voir infra).
142
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143
+ Le roi Philippe forme une véritable équipe dirigeante, cohérente, capable, efficace[80]. Il ne procède pas à son choix sur un coup de tête, ne revient pas sur ses décisions, possède cette qualité indispensable à un homme d’État de détecter les talents les plus utiles au royaume[81]. Il éloigne les Grands, désigne des hommes de moins haute naissance et même un fils de petits gens, précisément celui qui est monté le plus haut, Guérin (chancelier de France)[82]'[83]. Celui-ci aurait-il éclipsé Philippe Auguste ? La question ne se pose que pour la fin du règne[84]. Auparavant, et surtout pendant la dizaine d'années qui s'écoule après le retour de sa croisade, clôt le XIIe siècle et entame le suivant ; le roi commence à constituer son équipe, éprouve les qualités de ceux qu'il va décider de retenir mais conserve la fougue, l'ivresse du pouvoir et s'annonce comme le grand maître d’œuvre des profondes réformes qui donnent un nouveau visage à son royaume[85].
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+ C'est vers 1200 que commence la phase constructive et finalement triomphante du règne : avec la collaboration d'une équipe de conseillers - le chambrier Gauthier de Villebéon, le templier Frère Aymard[86]'[87], le tout dévoué Barthélemy de Roye, Gauthier II de Nemours dit (Gautier le Jeune ou Le Maréchal)[88], Henri Ier Clément dit (Le petit Maréchal) et surtout l'infatigable et omniprésent hospitalier frère Guérin -, le royaume est doté des structures administratives et financières qui lui faisaient tant défaut, tandis que l'initiative politique est constamment menée avec fermeté[89]. On ne saurait trop insister sur l’œuvre réalisée par Guérin, dont on retrouve la main partout, récompensé seulement par l'évêché de Senlis et qui n'accédera qu'après la mort du roi à la charge de chancelier, restaurée pour lui. Jouissant pourtant de sa complète confiance, il fut durant un quart de siècle, et sans titre officiel, celui que Guillaume le Breton qualifie de « conseiller spécial » du roi, celui qui, dit-il, « traitait les affaires du royaume, comme le second après le roi »[90]'[91].
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+ Pour échapper à la tendance au morcellement, qui est le défaut du système féodal, Philippe Auguste entreprend très tôt de mettre sur pied une nouvelle structure administrative lui permettant d'exercer directement son pouvoir sur le territoire. De 1190 à 1203, dans cette décennie que J.-W. Baldwin a qualifiée à juste titre de décisive, le roi Philippe procède à de grandes réformes[92]. Il organise ce système à l'occasion de son départ en croisade, par une ordonnance-testament de 1190 réglant l'organisation du pouvoir en son absence. Il promeut les baillis, création d'origine anglo-normande dont le rôle, dans les territoires français, était mal défini. Il s'inspire aussi des réformes administratives qu'Henri II d'Angleterre a introduites en 1176 (comme en Flandre, qui se dote d'un corps similaire à la même époque).
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+ Cette réforme s'achève aux alentours de 1200, quand l'appellation baillivi devient courante dans les actes royaux. Nommés par le roi, ils sont une douzaine qui parcourent son domaine au gré des besoins, afin de rendre la justice et, surtout dans la seconde moitié du règne, d'établir une comptabilité du royaume. À la différence du système féodal, les baillis n'ont pas d'attache géographique précise (cela évolue après Philippe Auguste). Leur activité n'est pas liée à la possession de terres, ils n'exercent pas de pouvoir en propre, mais représentent le roi. Ils sont rémunérés directement par le souverain et soumis à un contrôle strict, avec obligation de rendre des comptes trois fois l'an. Baldwin[93] relève que leur salaire se situe entre dix sous et une livre, soit plus, par exemple, que les chevaliers mercenaires (dix sous) : indice à la fois de l'importance de leur statut et du prix de leur fidélité.
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+ Les baillis sont assistés par les prévôts, autre institution au rôle flou jusqu'alors. Ceux-ci sont par contre rattachés à une zone précise, où ils jugent les affaires courantes (les baillis jugeant surtout en appel) et dressent des comptes locaux[94].
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+ Dans certaines des régions conquises pendant le règne (Anjou, Maine, Touraine, Poitou, Saintonge), Philippe Auguste confie les fonctions administratives à des sénéchaux. Mais leur titre, auparavant héréditaire, devient non transmissible à partir de 1191, pour pallier le risque de les voir prendre localement une importance rivalisant avec le pouvoir royal, comme dans le système féodal ; les sénéchaux sont aussi souvent supprimés, notamment en Normandie dès l'annexion, pour être remplacés par des baillis.
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+ Grâce à sa grande victoire de Bouvines, Philippe Auguste achève son règne dans un enthousiasme populaire important. Dans ce contexte, l'idéologie royale progresse, signe peut-être le plus manifeste de l'émergence d'un État sous le règne de Philippe.
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+ On a beaucoup commenté l'utilisation croissante des termes Francia et rex Franciæ (roi de France) dans les textes contemporains, ceux des chroniqueurs du XIIe siècle comme des princes étrangers et de ses propres sujets[95]. Selon Marie Thérèse Jones-Davies, la formule rex Franciæ remplace officiellement le titre de rex Francorum (roi des Francs) dès 1181, dans un acte où il est appelé Philippus Dei gratia Franciæ rex[96]. Toutefois, nous ne disposons que d'une copie du XIIIe siècle de cet acte[97]. Pour Bernard Guenée et Anne Lombard-Jourdan, on rencontre les expressions rex Franciæ à partir de 1190 et regnum Franciæ en 1205[98],[99]. Pour Alain Derville[100], c'est au début du XIIIe siècle qu'apparaît l'expression rex Franciæ[101]. D'autres progrès idéologiques sont évidents.
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159
+ Surtout, la fin du règne voit se développer une véritable tentative de propagande royale, à travers les chroniques officielles. Déjà, à partir de 1186, Rigord, moine de Saint-Denis rédige une chronique en latin, dans la tradition de Suger, qu'il offre à Philippe en 1196. Ces Gesta Philippi Augusti sont ensuite complétées jusqu'en 1208. Cette œuvre n'est pas une commande du roi, mais elle n'en reste pas moins une chronique quasi officielle, à la gloire de Philippe (sauf quelques critiques touchant à l'affaire du mariage). C'est d'ailleurs Rigord qui, le premier, donne à Philippe le surnom d’Augustus, en référence au mois de sa naissance et à ses premières conquêtes qui l'élèvent, pour l'auteur, au rang des empereurs romains. Rigord se fonde en fait sur une interprétation très personnelle de l'étymologie d’Augustus, qu'il rattache au verbe augeo (augmenter, enrichir), en référence à l'agrandissement et à l'enrichissement du royaume par Philippe[102].
160
+
161
+ Philippe Auguste confie par la suite à un nouveau chroniqueur la tâche d'expurger la chronique de Rigord de ses passages critiques, et de la continuer. Guillaume le Breton, clerc et proche du souverain, s'acquitte de cette tâche. Il se voit ensuite confier la rédaction d'un véritable monument à la gloire du roi, à partir de 1214 : une chronique en vers, la Philippide, dans le style du poème épique, alors très en vogue (notamment depuis l’Alexandreis de Gautier de Châtillon, épopée à la gloire d'Alexandre). Plusieurs versions de la Philippide se suivent, la dernière étant achevée en 1224, un an après la mort du roi. Dans cette œuvre unique, Philippe est désormais représenté en héros, le vainqueur de Bouvines y est célébré dans toute sa majesté. L'évolution au fil du règne est importante, bien que les deux chroniques officielles restent des témoignages très isolés dans l'ensemble de la production littéraire du règne de Philippe Auguste.
162
+
163
+ La chronique de Rigord et sa continuation par Guillaume le Breton sont ensuite traduites par Primat pour les Grandes Chroniques de France. C'est dans cette forme, plutôt que dans celle de la Philippide, que l'image de Philippe passe à la postérité.
164
+
165
+ Enfin, on peut également noter la contribution de Gilles de Paris qui, dans son Karolinus, poème à la gloire de Charlemagne écrit à l'intention du roi Louis VIII, fait descendre Philippe et Louis VIII de Charlemagne, unissant donc les dynasties carolingienne et capétienne, et faisant de lui le premier vrai représentant d'un genus royal, à la base de l'idée de transmission de la royauté par le sang qui connaît après Philippe Auguste un essor important[103].
166
+
167
+ Contrairement à ses prédécesseurs, Philippe II n'a pas associé son fils au trône : à sa mort, le passage de la couronne à Louis VIII n'a pas fait l'objet d'un vote ni même d'une approbation de principe de la part des pairs du Royaume. On peut considérer que, d'une certaine façon, la couronne de France est devenue héréditaire ce 14 juillet[e].
168
+
169
+ Le règne de Philippe Auguste est une période de vives améliorations pour Paris. Si la cour est encore itinérante[f], Paris acquiert cependant un statut particulier dont les différents travaux accomplis témoignent. Un grand pas est effectué sous Philippe dans l'invention de la capitale. Quelques faits à retenir :
170
+
171
+ L'expansion de Paris ne se résume pas aux travaux menés par Philippe Auguste. C'est également sous son règne que sont créés l'hospice Sainte-Catherine (1185) et l'hôpital de la Trinité (1202). Les travaux de Notre-Dame de Paris, entamés en 1163, progressent aussi à bon rythme. En 1182, le chœur est achevé et le maître-autel est consacré le 19 mai. Puis, la façade ouest est décorée, la galerie des rois est achevée dans les années 1220, la grande rose est entamée dans la foulée, tandis que le parvis est agrandi à la même époque.
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+
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+ L'essor de Paris est confirmé par les estimations démographiques, qui estiment que la population parisienne passe en quelques années de 25 000 habitants[Quand ?] à 50 000 vers 1200, ce qui en fait la plus grande ville d'Europe, hors l'Italie[108],[109].
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+
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+ En 1639, le bailli de Nogent-le-Rotrou écrivit sur son registre d'audience :
176
+
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+ « Le roi Philippe Auguste deffendit les jeux de hazard, juremens et bordelz, chassa les Juifs de son Royaume, institua le premier les maires et les eschevins. Il fist paver la ville de Paris, bastir les Halles et le Louvre et clore de murailles le bois de Vincennes qu'il peupla de bestes sauvages. Il fist achever le bastiment de l'église Nostre-Dame, à Paris, de laquelle il n'y mit que les fondements à fleur de terre. »
178
+
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+ — Archives départementales d'Eure-et-Loir-B 2600.
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+
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+ Homme courageux et croyant, le roi Philippe affronte la mort avec lucidité. Quand elle s'annonce, en avait-il encore peur comme en 1191 ? Oui, si l'on en croit Payen Gastinel[110], chanoine de la Basilique Saint-Martin de Tours. Quand il ressent les premières atteintes de la maladie, il rédige au Château de Saint-Germain-en-Laye, en septembre 1222[111], un testament, le second en fait puisqu’il en avait déjà dicté un, l'Ordonnance-Testament de 1190 avant de partir outre-mer[112]'[113].
182
+
183
+ On y distingue en effet quelques remords et le roi veut réparer. Il constitue un fonds de 50 000 livres parisis (ou 25 000 marcs d'argent à 40 sous parisis le marc) destiné à la restitution de ce qu'il avait confisqué, perçu ou retenu injustement. La somme prévue est d'ailleurs fort insuffisante puisqu'en réponse aux enquêtes de janvier 1247[114], les spoliés, leurs veuves ou leurs descendants réclament beaucoup plus[115]. Philippe lègue ensuite 10 000 livres à sa « très chère épouse Ingeburge de Danemark ». Il reconnaît en 1222 qu'il aurait pu lui en attribuer davantage, mais il préfère laisser une très grosse somme d'argent afin de réparer ses abus envers ses sujets.
184
+
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+ Afin d'apaiser ses remords au sujet de la défense des États latins d'Orient et de réduire les conséquences de l'échec de la Cinquième croisade[116] dont il était absent, il attribue à Jean de Brienne, roi de Jérusalem, aux Hospitaliers et aux Templiers 150 000 marcs d'argent, pour qu'ils équipent en permanence 300 chevaliers. Le roi n'oublie pas les pauvres, les orphelins et les lépreux. Il leur lègue 21 000 livres parisis. Enfin, avec 2 000 livres, il récompense une dernière fois ses serviteurs ; il donne 10 000 livres à son second fils, Philippe Hurepel de Clermont, qu'il a eu d'Agnès de Méranie et réserve à son fils aîné, Louis, une somme d'argent dont il ne fixe pas le montant à condition qu'il la dépense pour la protection du royaume ou pour « une pérégrination lointaine » si Dieu lui en donne l'inspiration.
186
+
187
+ Qui désigne-t-il comme exécuteurs testamentaires ? Les survivants de son équipe fidèle. Au-delà de la tombe, il fait confiance à Guérin (chancelier de France), évêque de Senlis[117], Barthélemy de Roye, chambrier, et Frère Aymard, trésorier du Temple[118]. Tenace dans ses choix et ses amitiés, il donne ainsi le dernier témoignage de son affection et de sa reconnaissance envers ceux qui l'ont aidé à construire son royaume et son pouvoir[119].
188
+
189
+ Philippe rex Francorum peut attendre la mort. Il ne s'était pas vraiment remis de l'alerte de septembre 1222 où il avait souffert des premiers frissons d'une fièvre quarte. Malgré les assaut répétés de la maladie, il n'en poursuit pas moins son travail et ses chevauchées, mais il s'affaiblit peu à peu et, le 11 juillet 1223, son état empire alors qu'il résidait dans son château de Pacy-sur-Eure. Il recommande à son fils aîné la crainte de Dieu, la défense de l'Église, la justice envers son peuple et la protection des pauvres et des petits. Le 13 juillet, un léger mieux survient et lui permet de se diriger vers Paris où, depuis le 6 juillet, se tenait l'assemblée qui, sous la présidence du cardinal-légat Conrad d'Urach, s'occupait de l'affaire albigeoise[120]. Une nouvelle et violente poussée de fièvre le contraint à s'arrêter à Mantes où il meurt, sans véritable agonie, le lendemain 14 juillet 1223, à l'âge de cinquante-huit ans[121].
190
+
191
+ Philippe II mourut sur la Seine, où il naviguait pour rejoindre Mantes, la ville où était enterrée sa troisième épouse Agnès de Méranie. Il fut inhumé en la basilique Saint-Denis près de Paris[122]. Guillaume Le Breton, source assez fiable, affirme qu'« une pierre recouvrait son corps à côté de celui de Dagobert ». Le Roi aurait été enterré au sud du maître-autel. Pourtant, une chronique composée par un ecclésiastique bien informé de Saint-Martin de Tours, et qui va jusqu’aux années 1225-1227, nous dit que Philippe Auguste était enterré devant le maître-autel. Le corps du Roi aurait donc été déplacé.
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+ Lors de la réorganisation de la nécropole, sa tombe fut de fait placée au centre, avec celle de son fils Louis VIII, afin de symboliser l'union des lignées mérovingienne (à droite) et capétienne (à gauche), selon l'idée émise à l'origine par Gilles de Paris (Philippe Auguste, descendant plusieurs fois de Charlemagne, ayant épousé en la personne d'Isabelle de Hainaut une descendante directe de Charles de Basse-Lotharingie, prétendant carolingien et rival d'Hugues Capet).
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+ Le tombeau de Philippe Auguste[123] fut cité dans plusieurs chroniques mentionnant sa beauté. Richer de Senones, qui écrit entre 1254 et 1260, est très impressionné par le « tombeau en argent doré avec de nombreuses images » de Philippe Auguste. Le Ménestrel de Reims (vers 1260) décrit ainsi ce tombeau : « ombe de fin or et d’argent où il est tresgeteiz comme rois ; et sont quarante-huit evesques en quatre costeiz de la tombe, enlevei et figurei comme esvesque, revestu si comme pour chanteir messe, les mitres en chiés et les croces es mains ».
196
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+ Ce tombeau a été détruit, de même que ceux de Louis VIII et de Saint Louis, sous l’occupation anglaise entre 1420 et 1435. L’or et l’argent ont été fondus pour les besoins de la guerre en France menée par le roi Lancastre Henri IV et son oncle, le duc de Bedford. Après la fin de la guerre de Cent ans, il ne restait plus au sol que trois dalles marquant l’emplacement de ces somptueux sépulcres[124].
198
+
199
+ Plus généralement, la figure de Philippe II, telle que célébrée par les chroniqueurs du temps, a été en grande partie occultée par la concurrence de Saint Louis, devenu — et pour longtemps — le modèle royal par excellence dès la fin du XIIIe siècle. Il n'en reste pas moins que la victoire de Bouvines reste parmi les éléments les plus essentiels de la mythologie nationale française, grâce aux Grandes Chroniques de France ou, bien plus tard, par les manuels scolaires de la IIIe République. L'église Saint-Pierre de Bouvines, bâtie en 1882, a d'ailleurs été pourvue entre 1887 et 1906, de vingt-et-un vitraux retraçant le déroulement de la bataille, des pièces aujourd'hui classées[126].
200
+
201
+ Les autres traces du règne de Philippe Auguste ont quant à elles disparu progressivement. L'enceinte de Philippe Auguste subsiste à l'état de vestiges qui parsèment Paris, le Louvre médiéval a été dégagé et intégré au musée dans les années 1990. Enfin, toujours à Paris, une avenue et une station de métro continuent de commémorer le vainqueur de Bouvines[127].
202
+
203
+ La personnalité de Philippe II reste contrastée et énigmatique. Il n'a pas été inféodé ni soumis aux événements qu'il a pourtant souvent lui-même suscités. Il n'a jamais capitulé, et quand il a enduré du fait de ses propres erreurs, il a été capable de réparer pour le bien du Royaume[128].
204
+
205
+ Pour se libérer de la tutelle de sa mère et du clan champenois, il se marie alors qu'il est lui-même mineur avec une héritière non pubère qui lui amène dans sa corbeille une dot considérable, l'Artois. Soucieux de sa descendance, d'un tempérament très affirmé mais brouillon, il décide de se séparer d'Isabelle de Hainaut qui ne lui a pas donné d'enfant. Puis, il se ravise comprenant qu'il va commettre l'irréparable comme son père Louis VII le Jeune qui a perdu l'Aquitaine pour avoir laissé partir la duchesse Aliénor. Il se rabiboche avec sa jeune épouse et garde l'Artois, en plus d'un héritier.
206
+
207
+ Philippe II poursuit un but unique : l'accroissement du Royaume et de ses possessions[129]. Il cherchera toute sa vie à récupérer l'Aquitaine et l'Anjou en jouant pour cela le ferment de la division entre Henri II et ses fils, jusqu'à l'achèvement complet de ses objectifs après Bouvines. D'autre part, il est un suzerain loyal et honnête qui n'use pas de sa puissance pour conquérir par les armes. Ainsi, il défend l'héritage artésien de son fils Louis VIII le Lion et même il cherche à accroître le Comté d'Artois en rachetant des parcelles et en désintéressant les châtelains.
208
+
209
+ Philippe II reste marqué par ce qu'il estime être une dépossession territoriale qui réduit le royaume de France au compromis permanent avec des barons plus puissants et plus riches que le roi de France[131]. À l'instar d'un bourgeois ou d'un hobereau, il fait grossir son capital en achetant des terres, contraint les serfs à payer leur affranchissement. Philippe II est l'initiateur de l'état français, pour autant le trésor du royaume est sa fortune personnelle dont il dispose à son gré. Ainsi, dans son testament il répartit la moitié du trésor à des œuvres caritatives de son choix et laisse l'autre moitié à son fils pour qu'il en dispose dans la gestion de l'État[132].
210
+
211
+ Ingeburge de Danemark fut une épine dans son talon. Il ne l'aimait pas, il chercha à s'en débarrasser le plus rapidement possible, ce fut sa plus grande erreur car elle tint bon jusqu'au bout dans ses réclamations. Par son refus du divorce, son refus d'entrer en religion, son refus de retourner au Danemark, elle l'empêcha de vivre auprès d'Agnès de Méranie dont il eut des enfants considérés comme illégitimes.
212
+
213
+ À cet égard, on peut observer qu'il se conduisit envers Ingeburge de Danemark de la même façon qu'il s'était conduit avec Isabelle de Hainaut, avec mépris et arrogance. Isabelle de Hainaut avait su lui tenir tête, elle s'était positionnée en victime n'hésitant pas à mettre le peuple de son côté. C'est sans doute ce qu'a voulu éviter Philippe II en enfermant immédiatement Ingeburge à Étampes, en ne lui laissant pas le temps d'organiser auprès du peuple sa défense. Son rôle de victime serait apparu clairement, il aurait été contraint de la reprendre près de lui comme il l'avait fait avec Isabelle de Hainaut. Or, il ne voulait plus Ingeburge pour épouse et ne voulait pas cette fois se voir contraint à reprendre une épouse dont il ne voulait plus et qui cette fois ne lui rapportait aucune terre. C'est sans doute là qu'Ingeburge a joué de malheur. Ne rapportant qu'une dot assez faible pour un roi de France, et aucune terre, elle n'avait aucun moyen de pression dont elle aurait pu user pour obliger Philippe II à la respecter.
214
+
215
+ Comme quelques historiens l'ont avancé, le rejet d'Ingeburge pourrait s'expliquer par le fait que ce mariage ne lui rapportait pas tant qu'il l'avait espéré, une alliance notamment pour battre les Plantagenêt. Il n'est pas exclu qu'il ait estimé avoir été filouté sur les termes d'un contrat non écrit entre le Danemark et la France. Toutefois, il faut observer que Valdemar II de Danemark, le frère d'Ingeburge, intercédera sans relâche auprès de la France pour faire libérer sa sœur, et ira même plaider sa cause auprès du Pape, en vain. Secundo, Valdemar II de Danemark épouse en 1214, après la bataille de Bouvines et après la libération de sa sœur Ingeburge, Bérengère de Portugal, sœur de Ferrand de Portugal qui avait rejoint la coalition contre Philippe II à Bouvines. Ce mariage est intéressant car il se conclut à un moment où Ferrand de Flandre est captif dans les geôles du Louvre[134].
216
+
217
+ Ingeburge de Danemark n'a été reine de France qu'en titre puisqu'elle n'a jamais exercé et à aucun moment, les fonctions de reine ou de régente[135]. On peut voir le mariage de son frère Valdemar avec la sœur du prisonnier Ferrand de Flandre soit comme un remerciement tacite de la France pour la neutralité du Danemark à la bataille de Bouvines, soit comme une ultime provocation de la part du souverain danois, quoi qu'il en soit la conclusion d'un long épisode de gel diplomatique.
218
+
219
+ À partir de la deuxième moitié du XIIe siècle, les mercenaires sont presque toujours présents dans les armées royales. Ils sont considérés comme les précurseurs de l'armée de métier. Philippe Auguste utilise les mercenaires après ses rivaux Plantagenêt. Mais il réussit par deux fois à retourner les troupes de routiers de ceux-ci. Aux alentours de 1194, il récupéra Lambert Cadoc, un Gallois recruté par Richard Cœur de Lion. Cadoc lui restera fidèle durant 20 ans. Ensuite, au printemps 1204, en guerre contre le roi Jean sans Terre, Philippe Auguste négocie le ralliement de Lupicaire et de sa troupe[136],[137],[138].
220
+
221
+ Naissance de Philippe Auguste (Grandes Chroniques de France, XIVe siècle).
222
+
223
+ Philippe Auguste recevant des messagers du pape l'appelant à la croisade (Grandes Chroniques de France de Charles V, XIVe siècle).
224
+
225
+ Philippe et Richard à la croisade (Guillaume de Tyr, XIVe siècle).
226
+
227
+ Couronnement de Philippe Auguste (Grandes Chroniques de France (Jean Fouquet), XVe siècle).
228
+
229
+ Philippe Auguste (Recueil des rois de France de Jean du Tillet, vers 1550).
230
+
231
+ Tristan de Léonois, XVe siècle, BnF, manuscrit Français 116, enluminure du folio 676 verso.
232
+
233
+ Roman de Renart, BnF (Mss.), fin XIIe siècle, Français 12584, folio 18v-19r.
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+ Philippe II dit « Auguste »[2], né le 21 août 1165 à Paris et mort à Mantes le 14 juillet 1223, est le septième roi (1180-1223) de la dynastie des Capétiens. Il est le fils héritier de Louis VII et d'Adèle de Champagne.
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5
+ Le surnom d'« Auguste » lui fut donné par le moine Rigord[3] après que Philippe II eut ajouté au domaine royal en juillet 1185 (traité de Boves) les seigneuries d’Artois, du Valois, d’Amiens et une bonne partie du Vermandois[4] et également parce qu'il était né au mois d'août. Référence directe aux empereurs romains, ce terme signifie qu'il a accru considérablement le domaine.
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7
+ Chapelain et biographe de Philippe II, Guillaume Le Breton le nomme « Philippe le Magnanime »[5] dans sa chronique La Philippide rédigée entre 1214 et 1224. Cette chronique est une continuation de celle de Rigord que Philippe II lui avait demandé d'expurger, la jugeant moins laudatrice qu'il le souhaitait.
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9
+ Philippe Auguste reste l'un des monarques les plus admirés et étudiés de la France médiévale, en raison non seulement de la longueur de son règne, mais aussi de ses importantes victoires militaires et des progrès essentiels accomplis pour affermir le pouvoir royal et mettre fin à l'époque féodale.
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+ Philippe Auguste est le premier roi ayant fait porter sur ses actes, sporadiquement à partir de 1190, officiellement à partir de 1204[6], Rex Franciæ, « roi de France », au lieu de Rex Francorum, « roi des Francs »[a]. Il faut cependant relever que les traités et conventions de paix signés entre les vassaux ou alliés et le royaume de France mentionnent sans exception Philippus rex Francorum (« Philippe, roi des Francs »), à la différence, par exemple, de Richardus rex Angliæ (« Richard, roi d'Angleterre »), mais comme Henri, roi des Romains.
12
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+ La naissance de Philippe Auguste, en 1165, est accueillie comme un miracle par la famille royale. En effet, Louis VII attend depuis près de trente ans un héritier et c'est sa troisième épouse, Adèle de Champagne, qui lui donne tardivement ce fils tant espéré. Une attente qui vaut au futur Philippe II le surnom de Dieudonné[8],[9]. Il est baptisé dès le lendemain de sa naissance dans la Chapelle Saint-Michel-du-Palais au palais de la Cité à Paris par l'évêque Maurice de Sully en présence de trois parrains[10] et trois marraines[11]'[12].
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+ Comme tous les premiers rois capétiens depuis Hugues Capet, Louis VII, accablé par la maladie, pense à associer son fils à la couronne au printemps 1179, puis à lui laisser le pouvoir le 28 juin 1180. Mais la cérémonie du sacre est retardée à la suite d'un accident de chasse du jeune prince[13] dont la vie est menacée. Jean Favier précise la nature de l'incident (et non l'accident) : le jeune Philippe s'est égaré dans la forêt et n'est retrouvé que deux jours plus tard tremblant de peur et passablement perturbé[14]. L'état de santé du prince est suffisamment grave pour que Louis VII se déplace en Angleterre, malgré sa santé déclinante, et aille se recueillir sur la tombe de Thomas Becket[15], l'archevêque de Cantorbéry mort assassiné en 1170 et devenu un saint thaumaturge[16].
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+ Complètement remis sur pied et en l'absence de son père de plus en plus souffrant, Philippe est associé à la couronne et sacré le 1er novembre 1179 à Reims par son oncle l'archevêque Guillaume aux Blanches Mains[17]. L'absence à la cérémonie de la reine Adèle ainsi que des trois autres oncles maternels, alors que les fils d'Henri II Plantagenêts y assistent et que surtout le comte de Flandre Philippe d'Alsace parraine l'adoubement, est symbolique du revirement des influences. La Maison de Blois-Champagne prépondérante à la fin du dernier règne cède le pas à la Maison de Flandre[14].
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+ Pour échapper à l’emprise de sa mère et de ses oncles maternels, Philippe II se rapproche de son parrain Philippe d'Alsace, comte de Flandre, qui lui donne sa nièce Isabelle en mariage. Le 28 avril 1180, l'évêque Roger de Laon bénit les jeunes époux en l'abbaye d'Arrouaise près de Bapaume. Le Jeudi de l'Ascension 29 mai 1180 à Saint-Denis, lors de la consécration de son épouse Isabelle de Hainaut comme reine de France, il reçoit une seconde fois l'onction sainte par l'archevêque de Sens[18], Guy Ier de Noyers, successeur de Guillaume aux Blanches Mains, au grand dam de ce dernier, qui accuse d'usurpation son pair. Isabelle, fille de Baudouin V de Hainaut lui apporte l'Artois en dot. Puis, le 28 juin 1180, trois mois avant la mort de son père, il signe le Traité de Gisors avec Henri II d'Angleterre. Ces deux événements renforcent la position du jeune roi face aux maisons de Flandre et de Champagne[19].
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+ La mort de son père survient le 18 septembre 1180 et laisse Philippe seul roi, à quinze ans. Confronté à l'affaiblissement du pouvoir royal, Philippe se révèle rapidement à la hauteur du défi.
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23
+ À l'intérieur du domaine, l'une de ses premières décisions est totalement contraire à la politique suivie par son père : l'expulsion des juifs et la confiscation de leurs biens[20] (17 avril 1182[21]) tranche avec la protection que Louis VII avait accordée à la communauté juive[22]. La raison officiellement donnée désigne les juifs responsables de calamités diverses, mais l'objectif réel est surtout de renflouer les caisses royales, bien mal en point en ce début de règne[23]. Ces mesures ne dureront pas : l'interdiction du territoire (d'ailleurs difficile à faire respecter) cesse en 1198, et l'attitude conciliatrice qu'avait adoptée Louis VII redevient bientôt la norme. Cependant, le pape Innocent III condamne quelques activités des juifs en France et exhorte Philippe Auguste dans la lettre Etsi non displiceat en 1205 à les sanctionner pour montrer la ferveur de sa foi chrétienne[24] (en latin : « in eorum demonstret persecutione fervorem quo fidem prosequitur Christianam »)[25].
24
+
25
+ Du point de vue juif, la mesure fut ainsi perçue : « En l'année 4946, c'est-à-dire en 1186[b], il fit saisir les Juifs dans toutes les provinces de son royaume, leur ravit leur argent et leur or et les chassa de son pays. Beaucoup abjurèrent alors leur foi et recouvrèrent par là leurs fortunes et leurs biens, se mêlèrent aux chrétiens et vécurent comme eux. Les synagogues, Philippe en fit des églises pour son Dieu, et avec ce qu'il avait pris, il éleva de nombreux édifices, le palais de l'Hôtel-de-ville, le mur de la forêt de Vincennes près de Paris et les Champeaux, où se tient le marché de Paris. Les Juifs de France étaient alors deux fois plus nombreux que ceux qui sortirent d'Égypte : ils émigrèrent par sept chemins de ce pays devenu cruel pour eux, et Israël devint extrêmement malheureux »[27].
26
+
27
+ À la fin du règne de Louis VII, le comte Philippe de Flandre avait proposé au vieux roi sa nièce Ide, fille de son frère Mathieu, comte de Boulogne. Pour renforcer son influence, il négocie au début de 1180 le mariage de sa nièce Isabelle, fille de sa sœur Marguerite et de Baudouin, comte de Hainaut. Le parti flamand, rival du parti champenois, espérait ainsi disposer d'un membre influent à la cour, tout comme l'avait fait le parti champenois, son rival, avec Adèle de Champagne dans les dernières années du règne de Louis VII[28].
28
+
29
+ Le 28 avril 1180, Isabelle de Hainaut épouse donc Philippe, le mariage religieux est célébré par les évêques Henri de Senlis et Roger de Laon[29] en l'église de l'abbaye Saint-Nicolas d'Arrouaise, dédiée à la Sainte-Trinité[30]. Les cérémonies sont célébrées au château de Bapaume[31] à proximité du territoire flamand.
30
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31
+ Le lieu du mariage avait été tenu secret par Philippe II de France car sa mère Adèle de Champagne, ses frères et tout le parti champenois étaient contre cette alliance mais Philippe II Auguste tenait à cette union et décida de choisir un lieu en dehors des terres champenoises. Ce désaccord valut à Isabelle de Hainaut un ressentiment profond de la part d'Adèle de Champagne[32].
32
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33
+ Dès 1181, le conflit avec les barons est ranimé, mené par le comte de Flandre, Philippe d'Alsace, avec lequel Philippe s'est brouillé. Il parvient toutefois à contrer les ambitions du comte en brisant les alliances que ce dernier a nouées avec le landgrave de Brabant, Godefroy de Louvain, et l'archevêque de Cologne, Philippe de Heinsberg[33]. En juillet 1185, le traité de Boves confirme au roi la possession du Vermandois, de l'Artois et de l'Amiénois[34].
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+ Les Plantagenêt sont l'autre préoccupation majeure de Philippe Auguste. Les possessions d'Henri II d'Angleterre, également comte d'Anjou, comprennent la Normandie, le Vexin, et la vaste Aquitaine. De plus, par le mariage de Geoffroy, fils de Henri II, les Plantagenêt gouvernent aussi la Bretagne. Après deux ans de combats (1186-1188), la situation reste indécise. Philippe cherche habilement à profiter des rivalités entre les fils du roi d'Angleterre, Richard, avec lequel il se lie d'amitié, et son cadet Jean sans Terre. Une paix de statu quo est finalement négociée, alors que le pape Grégoire VIII, après la prise de Jérusalem par Saladin en 1187, appelle à la croisade. Philippe Auguste est peu motivé par une telle aventure mais ne peut opposer un refus au pape. Il prend la croix et invoque les dangers qui menacent son royaume pour surseoir. La mort d'Henri II en juillet 1189 clôt cet épisode. Le roi ne peut plus se dédire, il se prépare au départ en Terre sainte.
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+ En 1183, Philippe Auguste, pressé d'avoir un héritier et brouillé avec Philippe d'Alsace et Baudouin V de Hainaut songe à se séparer d'Isabelle.
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+ En mars 1184, la répudiation est décidée. Une assemblée de prélats et de seigneurs réunie à Senlis va se prononcer, quand Isabelle, raconte le chroniqueur Gilbert de Mons[35], pieds nus et habillée en pénitente, fait à pied le tour des églises de la ville et implore Dieu devant le peuple qui l'aimait pour son grand cœur. Celui-ci prend fait et cause pour elle, et Philippe Auguste recule et la garde auprès de lui[36].
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+ Philippe Auguste et Richard partent ensemble pour la troisième croisade, qui mobilise également la plupart des grands barons de France. Ils embarquent à la fin de l'été 1190, Philippe de Gênes et Richard de Marseille. Mais ils sont surpris par les tempêtes d'hiver en Méditerranée et doivent attendre plusieurs mois en Sicile, à Messine. Là, la rivalité entre les deux rois se ranime autour des projets de mariage de Richard, qui rompt ses fiançailles avec Adélaïde (demi-sœur de Philippe) et s'engage avec Bérengère de Navarre[37]. Philippe Auguste quitte Messine dès qu'il le peut, le 30 mars 1191.
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+ Il arrive à Acre le 20 avril 1191 et participe au siège de la cité, contrôlée par les musulmans. Richard n'arrive qu'en juin, après un détour par Chypre : les renforts anglais sont les bienvenus mais les querelles reprennent immédiatement entre les deux rois. Pour aggraver la situation, ils sont tous deux victimes de maladie[c], causant notamment une forte fièvre, ils perdent cheveux et ongles. Philippe Auguste perd également l'usage d'un œil. Les opérations militaires avancent toutefois : les Français percent une première fois les murs d'Acre le 3 juillet, sans succès ; puis ce sont les Anglais qui échouent. Affaiblis, les assiégés capitulent le 12 juillet 1191.
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+ La croisade ne fait que commencer, pourtant Philippe décide de prendre le chemin du retour. La mort du comte de Flandre survenue le 1er juin lors du siège de Saint-Jean-d'Acre rouvre le dossier sensible de la succession flamande[44]. Le fait qu'il n'ait qu'un seul héritier l'invite par ailleurs à la prudence. C'est dans un état de santé délabré et très atteint physiquement que Philippe passe par Rome pour obtenir du pape l'autorisation de quitter la croisade. Le roi rentre à Paris le 27 décembre 1191.
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+ Il s'agit là de la première préoccupation de Philippe à son retour de croisade. La mort du comte de Flandre, sans descendance, suscite les convoitises de trois prétendants : Baudouin, comte de Hainaut, Éléonore de Vermandois, comtesse de Beaumont, et Philippe Auguste lui-même.
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+ Au terme de tractations, Baudouin est désigné comme héritier du comté de Flandre après paiement de cinq mille marcs d'argent[45]. Cependant, Philippe Auguste confirme par une charte de 1192 le Valois et le Vermandois à Éléonore, qui doivent revenir au roi après la mort de celle-ci. Enfin, le roi reçoit Péronne et l'Artois, au nom de son fils Louis, comme héritage de la reine Isabelle de Hainaut morte en 1190[46]. Les positions royales au nord sont donc considérablement renforcées.
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+ Après la disparition de la reine Isabelle, Philippe Auguste sait qu'il doit se remarier au plus vite. La succession dynastique n'est en effet pas assurée : son seul fils, Louis, n'a que quatre ans et vient de survivre à une grave maladie. Le choix d'Ingeburge de Danemark s'organise autour de la nécessité pour le roi Philippe de mettre un empêchement aux ambitions des souverains britanniques (essayant par là de réveiller les vieilles rivalités entre Danois et Anglais, en vain), une politique française menée depuis bientôt un siècle par ses prédécesseurs.
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+ Sœur du roi Knut VI, âgée de dix-huit ans, Ingeburge n'est qu'une des nombreuses épouses possibles pour Philippe. Pourtant cette union avec la maison royale danoise lui permettrait de fragiliser la dynastie anglo-normande. En effet, Ingeburge descend par les femmes du roi Harold II mort à la bataille d'Hastings contre Guillaume de Normandie, futur roi d'Angleterre et fondateur de la dynastie anglo-normande. Philippe II pense avoir trouvé un moyen de pression avec l'antériorité des droits de sa future épouse Ingeburge, droits qu'il aurait envisagé de faire valoir par la force et avec le concours des princes danois.
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+ Un accord est conclu sur une dot de dix mille marcs d'argent dont une large partie est versée le jour du mariage par les plénipotentiaires danois présents à la cérémonie, la princesse est amenée en France, Philippe la rencontre à Amiens le 14 août 1193 et l'épouse le jour même[47]. Le lendemain, Philippe fait écourter la cérémonie du couronnement de la reine et expédie Ingeburge au monastère de Saint-Maur-des-Fossés. Le roi annonce qu'il souhaite faire annuler le mariage[48].
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+ Les raisons de cette séparation précipitée, suivie pour Ingeburge de sept ans de captivité[d] et, pour Philippe, du refus absolu de reconnaître sa place de reine, sont restées inconnues et ont donné lieu à toutes les spéculations possibles de la part des contemporains comme des historiens.
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+ Les sources britanniques prétendent que le roi Philippe avait conçu un dégoût immédiat pour son épouse, ce qui est contredit par le fait qu'il se soumettra plus tard et à de nombreuses reprises à ses obligations d'époux, même lorsqu'il le nia pour n'avoir pas à reprendre Ingeburge à ses côtés en qualité de reine de France.
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+ Les historiens français ont pensé que les Danois avaient pour leur part rejeté tout projet d'envahir l'Angleterre, ce qui rendait le mariage de Philippe II subitement inintéressant pour lui, car d'une part il n'obtenait plus le concours des Danois pour envahir l'Angleterre et en plus il devait rendre la dot de son épouse ce qui était au moins une aussi grande torture pour un roi qui comptait la moindre rentrée d'argent.
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+ C'est pourquoi la version selon laquelle le roi Philippe aurait été mal remis de la maladie qu'il avait contractée à la croisade ne peut être totalement écartée[50].
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+ Toujours est-il que pour défendre l'annulation du mariage, Philippe souhaite faire valoir, comme il l'avait fait avec Isabelle de Hainaut dont il avait également souhaité se séparer avant de reculer devant la pression populaire, un lien de parenté prohibé par l'Église.
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+ Ingeburge ne pourra faire appel à un soutien populaire, puisqu'elle ne parle pas un mot de français ; elle est tout juste capable de s'exprimer dans un latin assez rudimentaire. Une assemblée d'évêques et de barons donne aisément raison au roi, qui se remarie à la hâte avec Agnès de Méranie, jeune noble bavaroise, dès juin 1196.
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+ Mais le nouveau pape Innocent III, élu en 1198, ne l'entend pas de cette oreille. Souhaitant affirmer son autorité, il enjoint à Philippe Auguste de renvoyer Agnès et de rendre sa place à Ingeburge. En l'absence de réaction du roi, l'interdit est lancé sur le royaume à partir du 13 janvier 1200 et le pape excommunie Philippe Auguste[51]. Philippe laisse toutefois la cause en suspens, Ingeburge reste captive, désormais dans la tour d'Étampes. Le roi organise finalement une cérémonie de réconciliation, et l'interdit est levé par le légat pontifical Octavien lors du concile de Nesle en Vermandois le 7 septembre 1200[52]. Mais la cérémonie ne rend pas tout à fait sa place à Ingeburge, et la procédure d'annulation du mariage se poursuit, Philippe étant désormais bigame. Le concile de Soissons qui se réunit en mars 1201 se conclut cependant par l'échec de Philippe Auguste, qui abrège lui-même les débats et renonce à faire casser le mariage. Finalement, en juillet 1201, Agnès de Méranie meurt à Poissy en donnant à Philippe un deuxième héritier mâle, Philippe (après avoir donné naissance à une fille, Marie, en 1198), reconnu comme tel par le pape en novembre 1201. La crise est momentanément close et la succession dynastique est assurée.
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+ Philippe reprend la procédure d'annulation du mariage en 1205, cette fois sur motif de non-consommation dans le temps, un motif rejeté par l'Église catholique puisque Ingeburge put attester des visites régulières de son époux dans les lieux où il la retient captive.
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+ Il est probable que son opiniâtreté à obtenir la séparation tienne à la naissance en 1205 de son troisième fils, Pierre Charlot, qui resta de ce fait illégitime et dont l'éducation fut confiée en 1212 à l'Église catholique probablement après la mort de sa mère, la « dame d'Arras ».
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+ Constatant définitivement que ces projets débouchent sur une impasse gênante, le roi met fin brutalement aux négociations de rupture en 1212 (comme en 1201) et, résigné, rend sa place, sinon d'épouse, du moins de reine en titre, à la malheureuse Ingeburge.
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+ Richard Cœur de Lion poursuit la croisade après le départ de Philippe : il reprend les principaux ports palestiniens, jusqu'à Jaffa, et rétablit le royaume latin de Jérusalem, bien que la ville proprement dite lui échappe. Il négocie finalement une trêve de cinq ans avec Saladin et rembarque au mois d'octobre 1192. Les tempêtes d'hiver le surprennent de nouveau : échoué à Corfou, il est capturé par le duc d'Autriche Léopold V, qui le remet entre les mains de l'empereur germanique Henri VI, son ennemi. Pour la libération de Richard, l'empereur demande une rançon de cent mille marcs d'argent, plus cinquante mille marcs pour l'aider à conquérir la Sicile[53].
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+ Philippe profite de la situation pour négocier avec Jean sans Terre, le frère cadet de Richard, qui a pris le contrôle du royaume anglo-normand. Espérant récupérer la couronne anglaise grâce au soutien de Philippe, il prête hommage en 1193. Puis, alors que Philippe Auguste attaque les possessions des Plantagenêt, Jean cède au roi de France l'Est de la Normandie (le Vexin normand), Le Vaudreuil, Verneuil et Évreux, moyennant mille marcs d'argent, par un accord écrit, en janvier 1194. Par sa finesse diplomatique et militaire, Philippe tient son rival en respect.
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+ Richard est finalement libéré le 2 février 1194. Sa mère, Aliénor d'Aquitaine, a payé les deux tiers de la rançon demandée, soit cent mille marcs d'argent, le solde devant être versé plus tard[53]. Conscient de la valeur de son adversaire, Philippe Auguste aurait écrit à Jean sans Terre : « Prenez garde à vous maintenant, le diable est lâché »[54]. La riposte de Richard est immédiate : après deux mois passés en Angleterre, il débarque en Normandie le 12 mai 1194 ; s'engage alors une guerre d'escarmouches. Le 10 mai, Philippe met le siège devant Verneuil, qui refuse de se soumettre. Quand lui parvient l'annonce du massacre de la garnison française d'Évreux, que Jean, réconcilié avec son frère, vient de lui livrer, il abandonne le siège, le 28 mai, et pousse vers Évreux, qu'il détruit. De son côté, Richard reprend Loches après huit jours de siège, le 14 juin. Puis, le 5 juillet, Philippe s'apprêtant à mettre le siège devant le château de Vendôme, Richard lui dresse un guet-apens près de Fréteval, au cours duquel il s'empare des bagages de Philippe, du sceau royal et de son chartrier (événement à l'origine de la création de la garde des archives royales, appelées Trésor des Chartes).
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+ Les deux souverains conviennent d'une trêve le 23 juillet 1194, mais celle-ci n'est pas respectée. En 1195, la guerre se déplace en Berry, où les deux armées se rencontrent, près d'Issoudun. Alors que l'on s'apprête au combat, Richard va trouver Philippe et lui prête hommage pour le duché de Normandie et les comtés d'Anjou et de Poitiers. Un traité de paix est signé à Gaillon le 15 janvier 1196 : Richard cède Gisors et le Vexin normand à Philippe, qui lui abandonne les différentes conquêtes qu'il a faites en Normandie et ses prétentions sur le Berry et l'Auvergne.
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+ Ayant perdu sa principale place forte avec Gisors, Richard entame la construction de Château-Gaillard, ce qui rallume la guerre. Richard prend et détruit le château de Vierzon, dans le Berry, et se fait livrer à prix d'argent le château de Nonancourt. De son côté, Philippe s'empare, à l'automne 1196, des châteaux de Dangu et d'Aumale, et reprend Nonancourt. Richard envahit le Vexin (1197-1198), ravageant les bords de Seine au-dessous de Paris. Philippe est battu en septembre 1198 entre Gamaches et Vernon. Le 26 septembre 1198, Richard s'empare des châteaux de Boury et de Courcelles, puis bat près de Gisors les troupes de Philippe, venu au secours de ces places fortes[55],[56]. Philippe manque de se faire tuer pendant la bataille. Chargeant à la tête de ses troupes, il aurait déclaré : « Je ne fuirai pas devant mon vassal »[57].
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+ Les deux rois cherchent des soutiens, tandis que le nouveau pape Innocent III[58], qui souhaite mettre sur pied une nouvelle croisade, les pousse à négocier. Le 13 janvier 1199, entre Les Andelys et Vernon, ils conviennent en présence du légat d'une trêve de cinq ans, d'ailleurs mal respectée[59]. La situation se règle brusquement : lors du siège du donjon du château de Châlus-Chabrol (Limousin) le 26 mars 1199, Richard est frappé par un carreau d'arbalète. Il succombe à sa blessure quelques jours plus tard, le 6 avril, à quarante-et-un ans et au faîte de sa gloire.
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+ La succession de Richard Cœur de Lion ne va pas de soi : face à Jean sans Terre le jeune Arthur de Bretagne (âgé de douze ans), fils de son frère aîné Geoffroy II de Bretagne mort en 1186, est un prétendant sérieux. Philippe Auguste profite de cette rivalité et, comme il avait pris position pour Jean contre Richard, il prend cette fois position pour Arthur contre Jean. Il reçoit l'hommage du duc Arthur Ier de Bretagne pour les possessions françaises des Plantagenêt au printemps 1199[60]. Ceci lui permet de négocier en position de force avec Jean sans Terre, et le traité du Goulet, en mai 1200, est favorable à Philippe Auguste. Le traité est scellé par le mariage entre Louis de France et Blanche de Castille, nièce de Jean.
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+ Les hostilités ne cessent pas vraiment, et se concentrent désormais en Aquitaine. Philippe se rapproche donc d'une part d'Arthur, et convoque Jean, son vassal au titre du traité du Goulet, pour ses actions en Aquitaine et à Tours. Jean ne se présente naturellement pas et la cour de France prononce la confiscation de ses fiefs.
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+ La suite se joue sur le terrain militaire. Philippe part dès le printemps 1202 à l'assaut de la Normandie tandis qu'Arthur s'attaque au Poitou. Mais le jeune duc est surpris par Jean sans Terre lors du siège de Mirebeau, et fait prisonnier avec ses troupes. Arthur de Bretagne disparaît dans les mois qui suivent, probablement assassiné début 1203. Philippe s'assure alors le soutien des vassaux d'Arthur et reprend son action en Normandie au printemps 1203. Il démantèle le système des châteaux normands, prend Le Vaudreuil, et entame le siège de Château-Gaillard en septembre 1203. De son côté, Jean fait l'erreur de quitter la Normandie pour rentrer en Angleterre, en décembre 1203. Château-Gaillard tombe le 6 mars 1204.
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+ Philippe Auguste peut alors envahir l'ensemble de la Normandie : Falaise, Caen, Bayeux, puis Rouen qui capitule et dont le capitaine et gouverneur Pierre de Préaux signe l'acte de capitulation, après 40 jours de siège, le 24 juin 1204 en constatant que le secours de Jean n'arrive pas. Verneuil et Arques tombent immédiatement après et parachèvent le succès de Philippe, qui vient de prendre toute la Normandie en deux ans de campagne. Philippe se tourne alors vers la vallée de la Loire, il prend d'abord Poitiers en août 1204, puis Loches et Chinon en 1205. Jean et Philippe conviennent finalement d'une trêve à Thouars, à compter du 13 octobre 1206. Pour Philippe Auguste, l'objectif est désormais de stabiliser ces conquêtes rapides.
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+ Toute la période qui s'étale de 1206 à 1212 voit Philippe Auguste s'efforcer de consolider ses conquêtes territoriales. Le cas est particulièrement violent en Auvergne. Depuis les années 1190 les conflits entre le roi de France et le comte Guy II d'Auvergne sont récurrents. Le comte se déclare tantôt vassal des Plantagenêt tantôt indépendant et à la suite de la prise de l'abbaye royale de Mozac par les troupes du comte d'Auvergne, Philippe-Auguste saisit l'opportunité et lance son armée à la conquête de l'Auvergne. La guerre dure entre deux et trois ans selon les sources mais se termine après le siège de Tournoël en décembre 1213[61],[62].
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+ La domination capétienne est acceptée en Champagne, en Bretagne mais l'Auvergne, le comté de Boulogne et la Flandre posent problème. À la suite de la conquête de 1213, la population auvergnate prend mal cette annexion et de nombreux scribes auvergnats partisans du comte Guy II d'Auvergne vont réaliser des sirventès vengeurs. Parmi ces pamphlets contre le roi de France et ses vassaux ayant mené la guerre contre Guy se retrouvent ceux du XIIIe siècle cités dans le roman de Flamenca[63].
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+ Renaud de Dammartin, comte de Boulogne, est une première source de préoccupation. Malgré les attentions de Philippe Auguste, qui marie notamment en 1210 son fils Philippe Hurepel à Mathilde, fille de Renaud, ce dernier négocie avec le camp ennemi, et les soupçons de Philippe prennent corps lorsque le comte entreprend de fortifier Mortain, en Normandie occidentale. En 1211, Philippe passe à l'offensive, il prend Mortain, Aumale et Dammartin. Renaud de Dammartin s'enfuit auprès du comte de Bar-le-Duc et ne constitue plus un danger immédiat.
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+ En Flandre s'ouvre une période d'incertitude : Baudouin, comte de Flandre et de Hainaut, prend part à la quatrième croisade à partir de l'été 1202, participe à la prise de Constantinople et est élu empereur du nouvel empire latin fondé en mai 1204. Mais il est fait prisonnier par les Bulgares en 1205 et tué peu après. Philippe, frère de Baudouin et comte de Namur, qui assure la régence en Flandre, jure finalement fidélité à Philippe Auguste, contre l'avis de ses conseillers. Le roi, pour stabiliser le comté, marie la seule héritière de Baudouin, sa fille Jeanne, à Ferrand de Portugal, en 1211. Philippe pense pouvoir compter sur son nouveau vassal[réf. nécessaire].
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+ Enfin, les affaires germaniques constituent un autre enjeu majeur. Après la mort de l'empereur Hohenstaufen, Henri VI, en 1197, un nouvel empereur doit en effet être désigné par le pape Innocent III. Deux candidats sont déclarés : d'une part, Otton de Brunswick, soutenu par son oncle Jean sans Terre et favori du pape Innocent III et, d'autre part, Philippe de Souabe, frère d'Henri VI, soutenu par Philippe Auguste et couronné roi de Germanie en 1205. Ce dernier est toutefois assassiné en juin 1208 : désormais sans rival, Otton est couronné empereur en octobre 1209. Innocent III regrette d'ailleurs vite son choix puisque le nouvel empereur exprime bientôt ses ambitions italiennes. Otton est excommunié en 1210, et Philippe Auguste négocie avec Frédéric II du Saint-Empire, le fils d'Henri VI, couronné roi de Germanie à Mayence en 1212 par Siegfried II von Eppstein, évêque de Mayence, un allié que Philippe Auguste espère bien opposer à l'ambition d'Otton.
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+ L'incroyable réussite de Philippe Auguste amène bientôt ses rivaux à s'unir. L'opposition se cristallise en 1214 : on y compte naturellement Jean sans Terre et Otton de Brunswick. Renaud de Dammartin est le véritable artisan de la coalition : lui qui n'a plus rien à perdre se rend à Francfort pour trouver l'appui d'Otton, puis en Angleterre où il fait hommage à Jean, qui le rétablit officiellement dans ses possessions anglaises. Les hostilités entre Philippe et Jean reprennent immédiatement[64].
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+ À la même époque, les premières opérations de la croisade contre les albigeois, menée par des barons, voient se quereller le comte de Toulouse et les croisés. Philippe Auguste remet cette question à plus tard et se concentre sur le danger anglais. Il réunit ses barons à Soissons le 8 avril 1213, charge son fils Louis de conduire l'expédition contre l'Angleterre[65] et obtient le soutien de tous ses vassaux, sauf un : Ferrand, le comte de Flandre qu'il a lui-même installé deux ans plus tôt. Philippe cherche alors de nouveaux soutiens, notamment auprès de Henri de Brabant. Après une période d'hésitation, le pape Innocent III choisit par contre de soutenir Jean, un soutien moral mais non négligeable. Les préparatifs du conflit se prolongent : le projet initial de Philippe, qui souhaite envahir l'Angleterre, prend l'eau lorsque sa flotte est assaillie et en partie détruite par la coalition ennemie à Damme, en mai 1213[66]. Les mois suivants voient Philippe et Louis s'acharner contre les comtés de Boulogne et de Flandre. Les villes du Nord sont presque toutes ravagées.
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+ En février 1214, Jean sans Terre débarque enfin sur le continent, à La Rochelle, espérant prendre Philippe à revers[67]. Une stratégie qui fonctionne d'abord, puisque Jean gagne des partisans parmi les barons du Limousin et dans le Poitou. En mai 1214, il remonte jusqu'à la vallée de la Loire et prend Angers. Philippe, toujours engagé en Flandre, confie alors à Louis la riposte contre Jean. Le jeune prince se tourne immédiatement vers la forteresse de La Roche-aux-Moines[68]. À son approche, Jean est pris de panique : le soutien des barons poitevins vacille, tandis qu'on annonce que Louis est accompagné de 800 chevaliers. Le roi d'Angleterre fuit le 2 juillet, la déroute anglaise est totale. Mais la coalition n'a pas encore perdu : c'est au nord que tout doit se jouer.
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+ L'affrontement final entre les armées de Philippe et la coalition, conduite par Otton, est désormais inévitable, après plusieurs semaines d'approche et d'évitement. Philippe entend couper ses ennemis des renforts en provenance d'Allemagne et tente de surprendre Otton par le nord-est. L'empereur a vent de la manœuvre et se déplace à Mortagne, à quelques lieues de l'armée royale. Philippe Auguste est conscient de son infériorité numérique, une partie importante de son armée se bat près d'Angers contre les Anglais. Et vient d'ailleurs de remporter, le 2 juillet, la victoire de La Roche aux Moines, avec le fils du roi, Louis VIII Le Lion, à sa tête. Philippe, ayant observé le terrain lors de son avancée, fait mine de se replier sur Lille. Otton pense qu'il veut éviter la bataille, et ses armées coalisées pensent que l'ennemi fuit. L'armée française se dirige vers le pont sur la Marque, à Bouvines, le dimanche 27 juillet 1214, — pont que l'intendance franchit. Un dimanche, l'interdiction de combattre est absolue pour les chrétiens, mais Otton IV, excommunié en 1210, décide de passer à l'offensive, espérant surprendre l'ennemi sur ses arrières. Arrivée proche d'un étang sur sa droite et d'un bois sur sa gauche, un véritable entonnoir, l'armée française, après une pause, se retourne brusquement. Étang à gauche et bois à droite. On ne peut se battre ni dans l'un, ni dans l'autre. Elle se déploie en ligne, et sur cette ligne, l'infériorité numérique est effacée. Une perfection tactique. L'armée d'Otton, en effet, n'a plus l'espace nécessaire pour déployer ses effectifs, d'où un effet de surnombre. Entravée dans ses manœuvres, devenue bien trop nombreuse pour ne pas être obligée de se gêner puis de se piétiner, elle subit le retournement. L'aile droite française s'engage contre les chevaliers flamands, conduits par Ferrand. Puis, au centre, Philippe et Otton se font face. Dans la mêlée de cavalerie, Philippe est désarçonné, il chute, mais ses chevaliers le protègent, lui offrent un cheval frais, et le roi reprend l'assaut. Ceux des gens d'armes d'Otton qui ne voient pas et ne comprennent pas ce qui se passe en première ligne commencent à voir des fuyards se débander. Otton est sur le point d'être capturé, il s'enfuit sous un déguisement. Enfin, sur l'aile gauche, les partisans de Philippe viennent à bout de Renaud de Dammartin, capturé après une longue résistance. Le sort vient de basculer en faveur de Philippe, malgré l'infériorité numérique de ses troupes (1 300 chevaliers et 4 000 à 6 000 sergents à pieds, contre 1 300 à 1 500 chevaliers et 7 500 sergents à pieds pour la coalition[69]). La victoire est totale : l'empereur est en fuite, les hommes de Philippe ont fait cent trente prisonniers, dont cinq comtes, notamment le traître honni, Renaud de Dammartin, et le comte de Flandre, Ferrand.
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+ La coalition est dissoute dans la défaite. Le 18 septembre 1214, à Chinon[70], Philippe signe une trêve de statu quo pour cinq ans avec Jean qui continue de harceler ses positions au sud. Le roi anglais retourne en Angleterre en 1214, contraint par le pape Innocent III d'accepter le traité qui consacrait la perte de ses possessions au nord de la Loire. Par ce traité de Chinon, Jean sans Terre abandonne toutes ses possessions au nord de la Loire : le Berry et la Touraine, avec le Maine et l'Anjou, retournaient dans le domaine royal qui couvre désormais le tiers de la France, et, singulièrement agrandi, se trouve libéré de toutes les menaces. Il dut en outre payer 60 000 livres à Philippe. Il ne conservait que le Duché d'Aquitaine.
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+ La victoire est totale sur le continent, et les ambitions royales ne s'arrêtent pas là. En effet, Philippe Auguste souhaite aller plus loin contre Jean d'Angleterre. Il fait ainsi valoir que Jean doit être privé du trône, rappelant sa trahison envers Richard en 1194, et le meurtre de son neveu Arthur. Faisant valoir une interprétation de la généalogie de son épouse Blanche de Castille, mais surtout parce que les barons, voulant écarter Jean sans Terre, lui avaient proposé la couronne, le fils de Philippe, Louis, conduit une expédition en Angleterre[71]. Le débarquement a lieu en mai 1216, et Louis, à la tête de troupes nombreuses (1 200 chevaliers, plus de nombreux rebelles anglais[72]), conquiert le royaume anglais, notamment Londres où il s'installe. Seuls Windsor, Lincoln et Douvres résistent. Mais malgré l'accueil chaleureux réservé à Louis par une majorité d'évêques anglais, le soutien du pape à Jean demeure ferme, et Louis est excommunié. Finalement, Jean meurt subitement d'une grave indigestion, le 19 octobre 1216. Les barons anglais — anciens alliés de Jean ou de Louis — font alors couronner Henri III, âgé de neuf ans. Innocent III vient aussi de mourir, mais son successeur Honorius III continue de défendre les loyalistes. Les évêques retirent bientôt leur soutien à Louis et les rebelles s'assagissent. Le prince revient chercher des appuis en France début 1217 et retourne en Angleterre. Il est battu sur terre par Guillaume le Maréchal à Lincoln, puis sur mer lorsque les renforts que lui envoie Blanche de Castille sont anéantis à la bataille des Cinq-Ports[73]. Louis accepte de négocier la paix, celle-ci est conclue en septembre 1217 et son excommunication est levée.
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+ L'attitude de Philippe Auguste quant à cette expédition est ambiguë. En tout cas, le roi ne la soutient pas officiellement. Blanche de Castille le convainc de payer pour lever une armée de secours, en menaçant de mettre ses deux fils en gage. Mais il est peu vraisemblable d'imaginer qu'il n'ait pas donné son assentiment à celle-ci, du moins à titre privé[74].
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+ Déclenchée en 1208, la croisade contre les Albigeois a tourné à l'affrontement entre Simon IV de Montfort, qui conduit la croisade composée de barons du Nord, et Raymond VI, comte de Toulouse, qui soutient secrètement les hérétiques. Par ailleurs, Pierre II d'Aragon a des vues sur la région et encourage le camp du comte de Toulouse avant d'être lui-même défait et tué par Simon de Montfort à la bataille de Muret, en 1213[75].
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+ Après la bataille de La Roche-aux-Moines, Louis part une première fois pour le Midi en avril 1215, et aide Simon de Montfort à consolider ses positions. Celui-ci devient finalement comte de Toulouse, avec l'accord du pape Honorius III et de Philippe Auguste, à qui il prête hommage. Mais la ville de Toulouse résiste, son siège dure, et Simon y meurt en avril 1218. Le pape désigne son fils Amaury de Montfort comme successeur et enjoint à Philippe Auguste d'envoyer une nouvelle expédition. Louis part en mai 1219, rejoint Amaury au siège de Marmande, dont les habitants sont massacrés. Après quarante jours d'ost, Louis rentre sans avoir pu prendre Toulouse. Une nouvelle expédition est envoyée par Philippe en 1221, sous les ordres de l'évêque de Bourges et du comte de la Marche, sans plus de succès[réf. nécessaire].
124
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125
+ Cependant ces différentes expéditions sont de faible envergure. Malgré les appels réitérés de la papauté, Philippe se garde d'intervenir personnellement dans cette croisade intérieure ; face au pape, il rappelle surtout et avec constance ses droits de suzerain sur le Midi. Il n'autorise son fils à se croiser qu'en 1219.
126
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127
+ Après Bouvines, les opérations militaires se déroulent en Angleterre ou dans le Midi de la France. Le domaine, et plus largement l'ensemble du Nord de la Loire, reste en paix, selon les termes de la trêve conclue à Chinon en 1215, originellement pour cinq ans, et prolongée en 1220 avec la garantie de Louis, une association qui marque le début de la transition de Philippe à son fils et héritier.
128
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+ Si les conquêtes par les armes cessent, Philippe étend néanmoins son influence en profitant des successions problématiques. C'est le cas en Champagne lors de l'accession de Thibaut IV, qui lui permet d'asseoir sa suzeraineté. C'est le cas surtout lorsque le roi récupère des terres, comme à Issoudun, Bully, Alençon, Clermont-en-Beauvaisis et Ponthieu.
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131
+ La prospérité du royaume à la fin du règne de Philippe Auguste est établie. On estime l'excédent annuel du Trésor à 25 210 livres en novembre 1221. À cette date, le Trésor a dans ses caisses 157 036 livres, soit plus de 80 % du revenu annuel ordinaire global de la monarchie. Le testament de Philippe Auguste, rédigé en septembre 1222, confirme ces chiffres, puisque la somme de ses legs s'élève à 790 000 livres parisis, soit près de quatre ans de revenus[76] ! Ce testament est rédigé alors que la santé de Philippe fait craindre sa mort, qui survient dix mois plus tard.
132
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+ Alors qu'il se trouve à Pacy, Philippe décide d'assister à la réunion ecclésiastique organisée à Paris pour la préparation de nouvelles croisades, contre l'avis de ses médecins. Il ne survit pas à la fatigue du voyage et meurt le 14 juillet 1223, à Mantes. Son corps est amené à Paris, et ses funérailles sont rapidement organisées, à Saint-Denis, en présence des grands du Royaume. Pour la première fois, le corps du roi de France revêtu de tous les regalia est exposé à la vénération du peuple avant sa sépulture dans un rite solennel inspiré de celui des rois d'Angleterre[77]. C'est donc le premier souverain français dont la mort ait été mise en scène, marquant symboliquement le dernier acte de souveraineté du monarque[78].
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+ À sa mort, Philippe II laisse à son fils et successeur Louis VIII un domaine royal considérablement agrandi.
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+ Le contraste est saisissant entre l'avènement de Philippe, sous une quasi-tutelle des barons, avec un domaine qui fait de lui le roi de l'Île-de-France plus que de la France, et la fin de son règne, avec un domaine agrandi, auxquels il faut ajouter de nombreux territoires soumis par hommage de leurs possesseurs. Le rival anglais est repoussé dans une Guyenne parcellaire, très loin de Paris. Ces conquêtes sont notamment permises par le développement important de l'ost royal qui compte en 1202 : en temps de paix 3 043 hommes (257 chevaliers, 2 000 sergents à pied et 267 à cheval, 133 arbalétriers à pied et 86 à cheval, 300 mercenaires) ; en temps de guerre, ce nombre s'accroît de 8 054 sergents[79].
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+ Ces gains territoriaux font de Philippe Auguste un roi rassembleur, dont l’œuvre est continuée par Louis VIII. Il faut attendre la guerre de Cent Ans pour assister à un recul important des possessions royales françaises.
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+ Philippe sut aussi stabiliser ces conquêtes. Il parvient à raffermir le pouvoir royal dans ces nouvelles terres par de nouveaux modes d'administration du territoire, et par une politique de fortifications et de châteaux : il fait dresser leur inventaire et lance à ses frais des constructions dans le domaine et les fiefs. Les mottes castrales disparaissent, remplacées par des donjons en pierre que Philippe veut polygonaux ou cylindriques, pour une meilleure résistance aux engins de siège, et pour éviter les angles morts à la défense. De nombreuses tours sont ainsi construites. Vers la fin du règne, le plan évolue vers un donjon circulaire, surmontant une forteresse quadrangulaire avec des tours rondes à chaque coin, dont le château du Louvre est le meilleur exemple (voir infra).
142
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143
+ Le roi Philippe forme une véritable équipe dirigeante, cohérente, capable, efficace[80]. Il ne procède pas à son choix sur un coup de tête, ne revient pas sur ses décisions, possède cette qualité indispensable à un homme d’État de détecter les talents les plus utiles au royaume[81]. Il éloigne les Grands, désigne des hommes de moins haute naissance et même un fils de petits gens, précisément celui qui est monté le plus haut, Guérin (chancelier de France)[82]'[83]. Celui-ci aurait-il éclipsé Philippe Auguste ? La question ne se pose que pour la fin du règne[84]. Auparavant, et surtout pendant la dizaine d'années qui s'écoule après le retour de sa croisade, clôt le XIIe siècle et entame le suivant ; le roi commence à constituer son équipe, éprouve les qualités de ceux qu'il va décider de retenir mais conserve la fougue, l'ivresse du pouvoir et s'annonce comme le grand maître d’œuvre des profondes réformes qui donnent un nouveau visage à son royaume[85].
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+ C'est vers 1200 que commence la phase constructive et finalement triomphante du règne : avec la collaboration d'une équipe de conseillers - le chambrier Gauthier de Villebéon, le templier Frère Aymard[86]'[87], le tout dévoué Barthélemy de Roye, Gauthier II de Nemours dit (Gautier le Jeune ou Le Maréchal)[88], Henri Ier Clément dit (Le petit Maréchal) et surtout l'infatigable et omniprésent hospitalier frère Guérin -, le royaume est doté des structures administratives et financières qui lui faisaient tant défaut, tandis que l'initiative politique est constamment menée avec fermeté[89]. On ne saurait trop insister sur l’œuvre réalisée par Guérin, dont on retrouve la main partout, récompensé seulement par l'évêché de Senlis et qui n'accédera qu'après la mort du roi à la charge de chancelier, restaurée pour lui. Jouissant pourtant de sa complète confiance, il fut durant un quart de siècle, et sans titre officiel, celui que Guillaume le Breton qualifie de « conseiller spécial » du roi, celui qui, dit-il, « traitait les affaires du royaume, comme le second après le roi »[90]'[91].
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+ Pour échapper à la tendance au morcellement, qui est le défaut du système féodal, Philippe Auguste entreprend très tôt de mettre sur pied une nouvelle structure administrative lui permettant d'exercer directement son pouvoir sur le territoire. De 1190 à 1203, dans cette décennie que J.-W. Baldwin a qualifiée à juste titre de décisive, le roi Philippe procède à de grandes réformes[92]. Il organise ce système à l'occasion de son départ en croisade, par une ordonnance-testament de 1190 réglant l'organisation du pouvoir en son absence. Il promeut les baillis, création d'origine anglo-normande dont le rôle, dans les territoires français, était mal défini. Il s'inspire aussi des réformes administratives qu'Henri II d'Angleterre a introduites en 1176 (comme en Flandre, qui se dote d'un corps similaire à la même époque).
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+ Cette réforme s'achève aux alentours de 1200, quand l'appellation baillivi devient courante dans les actes royaux. Nommés par le roi, ils sont une douzaine qui parcourent son domaine au gré des besoins, afin de rendre la justice et, surtout dans la seconde moitié du règne, d'établir une comptabilité du royaume. À la différence du système féodal, les baillis n'ont pas d'attache géographique précise (cela évolue après Philippe Auguste). Leur activité n'est pas liée à la possession de terres, ils n'exercent pas de pouvoir en propre, mais représentent le roi. Ils sont rémunérés directement par le souverain et soumis à un contrôle strict, avec obligation de rendre des comptes trois fois l'an. Baldwin[93] relève que leur salaire se situe entre dix sous et une livre, soit plus, par exemple, que les chevaliers mercenaires (dix sous) : indice à la fois de l'importance de leur statut et du prix de leur fidélité.
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+ Les baillis sont assistés par les prévôts, autre institution au rôle flou jusqu'alors. Ceux-ci sont par contre rattachés à une zone précise, où ils jugent les affaires courantes (les baillis jugeant surtout en appel) et dressent des comptes locaux[94].
152
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+ Dans certaines des régions conquises pendant le règne (Anjou, Maine, Touraine, Poitou, Saintonge), Philippe Auguste confie les fonctions administratives à des sénéchaux. Mais leur titre, auparavant héréditaire, devient non transmissible à partir de 1191, pour pallier le risque de les voir prendre localement une importance rivalisant avec le pouvoir royal, comme dans le système féodal ; les sénéchaux sont aussi souvent supprimés, notamment en Normandie dès l'annexion, pour être remplacés par des baillis.
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+ Grâce à sa grande victoire de Bouvines, Philippe Auguste achève son règne dans un enthousiasme populaire important. Dans ce contexte, l'idéologie royale progresse, signe peut-être le plus manifeste de l'émergence d'un État sous le règne de Philippe.
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+ On a beaucoup commenté l'utilisation croissante des termes Francia et rex Franciæ (roi de France) dans les textes contemporains, ceux des chroniqueurs du XIIe siècle comme des princes étrangers et de ses propres sujets[95]. Selon Marie Thérèse Jones-Davies, la formule rex Franciæ remplace officiellement le titre de rex Francorum (roi des Francs) dès 1181, dans un acte où il est appelé Philippus Dei gratia Franciæ rex[96]. Toutefois, nous ne disposons que d'une copie du XIIIe siècle de cet acte[97]. Pour Bernard Guenée et Anne Lombard-Jourdan, on rencontre les expressions rex Franciæ à partir de 1190 et regnum Franciæ en 1205[98],[99]. Pour Alain Derville[100], c'est au début du XIIIe siècle qu'apparaît l'expression rex Franciæ[101]. D'autres progrès idéologiques sont évidents.
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+ Surtout, la fin du règne voit se développer une véritable tentative de propagande royale, à travers les chroniques officielles. Déjà, à partir de 1186, Rigord, moine de Saint-Denis rédige une chronique en latin, dans la tradition de Suger, qu'il offre à Philippe en 1196. Ces Gesta Philippi Augusti sont ensuite complétées jusqu'en 1208. Cette œuvre n'est pas une commande du roi, mais elle n'en reste pas moins une chronique quasi officielle, à la gloire de Philippe (sauf quelques critiques touchant à l'affaire du mariage). C'est d'ailleurs Rigord qui, le premier, donne à Philippe le surnom d’Augustus, en référence au mois de sa naissance et à ses premières conquêtes qui l'élèvent, pour l'auteur, au rang des empereurs romains. Rigord se fonde en fait sur une interprétation très personnelle de l'étymologie d’Augustus, qu'il rattache au verbe augeo (augmenter, enrichir), en référence à l'agrandissement et à l'enrichissement du royaume par Philippe[102].
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+ Philippe Auguste confie par la suite à un nouveau chroniqueur la tâche d'expurger la chronique de Rigord de ses passages critiques, et de la continuer. Guillaume le Breton, clerc et proche du souverain, s'acquitte de cette tâche. Il se voit ensuite confier la rédaction d'un véritable monument à la gloire du roi, à partir de 1214 : une chronique en vers, la Philippide, dans le style du poème épique, alors très en vogue (notamment depuis l’Alexandreis de Gautier de Châtillon, épopée à la gloire d'Alexandre). Plusieurs versions de la Philippide se suivent, la dernière étant achevée en 1224, un an après la mort du roi. Dans cette œuvre unique, Philippe est désormais représenté en héros, le vainqueur de Bouvines y est célébré dans toute sa majesté. L'évolution au fil du règne est importante, bien que les deux chroniques officielles restent des témoignages très isolés dans l'ensemble de la production littéraire du règne de Philippe Auguste.
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+ La chronique de Rigord et sa continuation par Guillaume le Breton sont ensuite traduites par Primat pour les Grandes Chroniques de France. C'est dans cette forme, plutôt que dans celle de la Philippide, que l'image de Philippe passe à la postérité.
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+ Enfin, on peut également noter la contribution de Gilles de Paris qui, dans son Karolinus, poème à la gloire de Charlemagne écrit à l'intention du roi Louis VIII, fait descendre Philippe et Louis VIII de Charlemagne, unissant donc les dynasties carolingienne et capétienne, et faisant de lui le premier vrai représentant d'un genus royal, à la base de l'idée de transmission de la royauté par le sang qui connaît après Philippe Auguste un essor important[103].
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+ Contrairement à ses prédécesseurs, Philippe II n'a pas associé son fils au trône : à sa mort, le passage de la couronne à Louis VIII n'a pas fait l'objet d'un vote ni même d'une approbation de principe de la part des pairs du Royaume. On peut considérer que, d'une certaine façon, la couronne de France est devenue héréditaire ce 14 juillet[e].
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+ Le règne de Philippe Auguste est une période de vives améliorations pour Paris. Si la cour est encore itinérante[f], Paris acquiert cependant un statut particulier dont les différents travaux accomplis témoignent. Un grand pas est effectué sous Philippe dans l'invention de la capitale. Quelques faits à retenir :
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+ L'expansion de Paris ne se résume pas aux travaux menés par Philippe Auguste. C'est également sous son règne que sont créés l'hospice Sainte-Catherine (1185) et l'hôpital de la Trinité (1202). Les travaux de Notre-Dame de Paris, entamés en 1163, progressent aussi à bon rythme. En 1182, le chœur est achevé et le maître-autel est consacré le 19 mai. Puis, la façade ouest est décorée, la galerie des rois est achevée dans les années 1220, la grande rose est entamée dans la foulée, tandis que le parvis est agrandi à la même époque.
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+ L'essor de Paris est confirmé par les estimations démographiques, qui estiment que la population parisienne passe en quelques années de 25 000 habitants[Quand ?] à 50 000 vers 1200, ce qui en fait la plus grande ville d'Europe, hors l'Italie[108],[109].
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+ En 1639, le bailli de Nogent-le-Rotrou écrivit sur son registre d'audience :
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+ « Le roi Philippe Auguste deffendit les jeux de hazard, juremens et bordelz, chassa les Juifs de son Royaume, institua le premier les maires et les eschevins. Il fist paver la ville de Paris, bastir les Halles et le Louvre et clore de murailles le bois de Vincennes qu'il peupla de bestes sauvages. Il fist achever le bastiment de l'église Nostre-Dame, à Paris, de laquelle il n'y mit que les fondements à fleur de terre. »
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+ — Archives départementales d'Eure-et-Loir-B 2600.
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+ Homme courageux et croyant, le roi Philippe affronte la mort avec lucidité. Quand elle s'annonce, en avait-il encore peur comme en 1191 ? Oui, si l'on en croit Payen Gastinel[110], chanoine de la Basilique Saint-Martin de Tours. Quand il ressent les premières atteintes de la maladie, il rédige au Château de Saint-Germain-en-Laye, en septembre 1222[111], un testament, le second en fait puisqu’il en avait déjà dicté un, l'Ordonnance-Testament de 1190 avant de partir outre-mer[112]'[113].
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+ On y distingue en effet quelques remords et le roi veut réparer. Il constitue un fonds de 50 000 livres parisis (ou 25 000 marcs d'argent à 40 sous parisis le marc) destiné à la restitution de ce qu'il avait confisqué, perçu ou retenu injustement. La somme prévue est d'ailleurs fort insuffisante puisqu'en réponse aux enquêtes de janvier 1247[114], les spoliés, leurs veuves ou leurs descendants réclament beaucoup plus[115]. Philippe lègue ensuite 10 000 livres à sa « très chère épouse Ingeburge de Danemark ». Il reconnaît en 1222 qu'il aurait pu lui en attribuer davantage, mais il préfère laisser une très grosse somme d'argent afin de réparer ses abus envers ses sujets.
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+ Afin d'apaiser ses remords au sujet de la défense des États latins d'Orient et de réduire les conséquences de l'échec de la Cinquième croisade[116] dont il était absent, il attribue à Jean de Brienne, roi de Jérusalem, aux Hospitaliers et aux Templiers 150 000 marcs d'argent, pour qu'ils équipent en permanence 300 chevaliers. Le roi n'oublie pas les pauvres, les orphelins et les lépreux. Il leur lègue 21 000 livres parisis. Enfin, avec 2 000 livres, il récompense une dernière fois ses serviteurs ; il donne 10 000 livres à son second fils, Philippe Hurepel de Clermont, qu'il a eu d'Agnès de Méranie et réserve à son fils aîné, Louis, une somme d'argent dont il ne fixe pas le montant à condition qu'il la dépense pour la protection du royaume ou pour « une pérégrination lointaine » si Dieu lui en donne l'inspiration.
186
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187
+ Qui désigne-t-il comme exécuteurs testamentaires ? Les survivants de son équipe fidèle. Au-delà de la tombe, il fait confiance à Guérin (chancelier de France), évêque de Senlis[117], Barthélemy de Roye, chambrier, et Frère Aymard, trésorier du Temple[118]. Tenace dans ses choix et ses amitiés, il donne ainsi le dernier témoignage de son affection et de sa reconnaissance envers ceux qui l'ont aidé à construire son royaume et son pouvoir[119].
188
+
189
+ Philippe rex Francorum peut attendre la mort. Il ne s'était pas vraiment remis de l'alerte de septembre 1222 où il avait souffert des premiers frissons d'une fièvre quarte. Malgré les assaut répétés de la maladie, il n'en poursuit pas moins son travail et ses chevauchées, mais il s'affaiblit peu à peu et, le 11 juillet 1223, son état empire alors qu'il résidait dans son château de Pacy-sur-Eure. Il recommande à son fils aîné la crainte de Dieu, la défense de l'Église, la justice envers son peuple et la protection des pauvres et des petits. Le 13 juillet, un léger mieux survient et lui permet de se diriger vers Paris où, depuis le 6 juillet, se tenait l'assemblée qui, sous la présidence du cardinal-légat Conrad d'Urach, s'occupait de l'affaire albigeoise[120]. Une nouvelle et violente poussée de fièvre le contraint à s'arrêter à Mantes où il meurt, sans véritable agonie, le lendemain 14 juillet 1223, à l'âge de cinquante-huit ans[121].
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191
+ Philippe II mourut sur la Seine, où il naviguait pour rejoindre Mantes, la ville où était enterrée sa troisième épouse Agnès de Méranie. Il fut inhumé en la basilique Saint-Denis près de Paris[122]. Guillaume Le Breton, source assez fiable, affirme qu'« une pierre recouvrait son corps à côté de celui de Dagobert ». Le Roi aurait été enterré au sud du maître-autel. Pourtant, une chronique composée par un ecclésiastique bien informé de Saint-Martin de Tours, et qui va jusqu’aux années 1225-1227, nous dit que Philippe Auguste était enterré devant le maître-autel. Le corps du Roi aurait donc été déplacé.
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193
+ Lors de la réorganisation de la nécropole, sa tombe fut de fait placée au centre, avec celle de son fils Louis VIII, afin de symboliser l'union des lignées mérovingienne (à droite) et capétienne (à gauche), selon l'idée émise à l'origine par Gilles de Paris (Philippe Auguste, descendant plusieurs fois de Charlemagne, ayant épousé en la personne d'Isabelle de Hainaut une descendante directe de Charles de Basse-Lotharingie, prétendant carolingien et rival d'Hugues Capet).
194
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+ Le tombeau de Philippe Auguste[123] fut cité dans plusieurs chroniques mentionnant sa beauté. Richer de Senones, qui écrit entre 1254 et 1260, est très impressionné par le « tombeau en argent doré avec de nombreuses images » de Philippe Auguste. Le Ménestrel de Reims (vers 1260) décrit ainsi ce tombeau : « ombe de fin or et d’argent où il est tresgeteiz comme rois ; et sont quarante-huit evesques en quatre costeiz de la tombe, enlevei et figurei comme esvesque, revestu si comme pour chanteir messe, les mitres en chiés et les croces es mains ».
196
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197
+ Ce tombeau a été détruit, de même que ceux de Louis VIII et de Saint Louis, sous l’occupation anglaise entre 1420 et 1435. L’or et l’argent ont été fondus pour les besoins de la guerre en France menée par le roi Lancastre Henri IV et son oncle, le duc de Bedford. Après la fin de la guerre de Cent ans, il ne restait plus au sol que trois dalles marquant l’emplacement de ces somptueux sépulcres[124].
198
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199
+ Plus généralement, la figure de Philippe II, telle que célébrée par les chroniqueurs du temps, a été en grande partie occultée par la concurrence de Saint Louis, devenu — et pour longtemps — le modèle royal par excellence dès la fin du XIIIe siècle. Il n'en reste pas moins que la victoire de Bouvines reste parmi les éléments les plus essentiels de la mythologie nationale française, grâce aux Grandes Chroniques de France ou, bien plus tard, par les manuels scolaires de la IIIe République. L'église Saint-Pierre de Bouvines, bâtie en 1882, a d'ailleurs été pourvue entre 1887 et 1906, de vingt-et-un vitraux retraçant le déroulement de la bataille, des pièces aujourd'hui classées[126].
200
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201
+ Les autres traces du règne de Philippe Auguste ont quant à elles disparu progressivement. L'enceinte de Philippe Auguste subsiste à l'état de vestiges qui parsèment Paris, le Louvre médiéval a été dégagé et intégré au musée dans les années 1990. Enfin, toujours à Paris, une avenue et une station de métro continuent de commémorer le vainqueur de Bouvines[127].
202
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203
+ La personnalité de Philippe II reste contrastée et énigmatique. Il n'a pas été inféodé ni soumis aux événements qu'il a pourtant souvent lui-même suscités. Il n'a jamais capitulé, et quand il a enduré du fait de ses propres erreurs, il a été capable de réparer pour le bien du Royaume[128].
204
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205
+ Pour se libérer de la tutelle de sa mère et du clan champenois, il se marie alors qu'il est lui-même mineur avec une héritière non pubère qui lui amène dans sa corbeille une dot considérable, l'Artois. Soucieux de sa descendance, d'un tempérament très affirmé mais brouillon, il décide de se séparer d'Isabelle de Hainaut qui ne lui a pas donné d'enfant. Puis, il se ravise comprenant qu'il va commettre l'irréparable comme son père Louis VII le Jeune qui a perdu l'Aquitaine pour avoir laissé partir la duchesse Aliénor. Il se rabiboche avec sa jeune épouse et garde l'Artois, en plus d'un héritier.
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207
+ Philippe II poursuit un but unique : l'accroissement du Royaume et de ses possessions[129]. Il cherchera toute sa vie à récupérer l'Aquitaine et l'Anjou en jouant pour cela le ferment de la division entre Henri II et ses fils, jusqu'à l'achèvement complet de ses objectifs après Bouvines. D'autre part, il est un suzerain loyal et honnête qui n'use pas de sa puissance pour conquérir par les armes. Ainsi, il défend l'héritage artésien de son fils Louis VIII le Lion et même il cherche à accroître le Comté d'Artois en rachetant des parcelles et en désintéressant les châtelains.
208
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209
+ Philippe II reste marqué par ce qu'il estime être une dépossession territoriale qui réduit le royaume de France au compromis permanent avec des barons plus puissants et plus riches que le roi de France[131]. À l'instar d'un bourgeois ou d'un hobereau, il fait grossir son capital en achetant des terres, contraint les serfs à payer leur affranchissement. Philippe II est l'initiateur de l'état français, pour autant le trésor du royaume est sa fortune personnelle dont il dispose à son gré. Ainsi, dans son testament il répartit la moitié du trésor à des œuvres caritatives de son choix et laisse l'autre moitié à son fils pour qu'il en dispose dans la gestion de l'État[132].
210
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211
+ Ingeburge de Danemark fut une épine dans son talon. Il ne l'aimait pas, il chercha à s'en débarrasser le plus rapidement possible, ce fut sa plus grande erreur car elle tint bon jusqu'au bout dans ses réclamations. Par son refus du divorce, son refus d'entrer en religion, son refus de retourner au Danemark, elle l'empêcha de vivre auprès d'Agnès de Méranie dont il eut des enfants considérés comme illégitimes.
212
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213
+ À cet égard, on peut observer qu'il se conduisit envers Ingeburge de Danemark de la même façon qu'il s'était conduit avec Isabelle de Hainaut, avec mépris et arrogance. Isabelle de Hainaut avait su lui tenir tête, elle s'était positionnée en victime n'hésitant pas à mettre le peuple de son côté. C'est sans doute ce qu'a voulu éviter Philippe II en enfermant immédiatement Ingeburge à Étampes, en ne lui laissant pas le temps d'organiser auprès du peuple sa défense. Son rôle de victime serait apparu clairement, il aurait été contraint de la reprendre près de lui comme il l'avait fait avec Isabelle de Hainaut. Or, il ne voulait plus Ingeburge pour épouse et ne voulait pas cette fois se voir contraint à reprendre une épouse dont il ne voulait plus et qui cette fois ne lui rapportait aucune terre. C'est sans doute là qu'Ingeburge a joué de malheur. Ne rapportant qu'une dot assez faible pour un roi de France, et aucune terre, elle n'avait aucun moyen de pression dont elle aurait pu user pour obliger Philippe II à la respecter.
214
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215
+ Comme quelques historiens l'ont avancé, le rejet d'Ingeburge pourrait s'expliquer par le fait que ce mariage ne lui rapportait pas tant qu'il l'avait espéré, une alliance notamment pour battre les Plantagenêt. Il n'est pas exclu qu'il ait estimé avoir été filouté sur les termes d'un contrat non écrit entre le Danemark et la France. Toutefois, il faut observer que Valdemar II de Danemark, le frère d'Ingeburge, intercédera sans relâche auprès de la France pour faire libérer sa sœur, et ira même plaider sa cause auprès du Pape, en vain. Secundo, Valdemar II de Danemark épouse en 1214, après la bataille de Bouvines et après la libération de sa sœur Ingeburge, Bérengère de Portugal, sœur de Ferrand de Portugal qui avait rejoint la coalition contre Philippe II à Bouvines. Ce mariage est intéressant car il se conclut à un moment où Ferrand de Flandre est captif dans les geôles du Louvre[134].
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217
+ Ingeburge de Danemark n'a été reine de France qu'en titre puisqu'elle n'a jamais exercé et à aucun moment, les fonctions de reine ou de régente[135]. On peut voir le mariage de son frère Valdemar avec la sœur du prisonnier Ferrand de Flandre soit comme un remerciement tacite de la France pour la neutralité du Danemark à la bataille de Bouvines, soit comme une ultime provocation de la part du souverain danois, quoi qu'il en soit la conclusion d'un long épisode de gel diplomatique.
218
+
219
+ À partir de la deuxième moitié du XIIe siècle, les mercenaires sont presque toujours présents dans les armées royales. Ils sont considérés comme les précurseurs de l'armée de métier. Philippe Auguste utilise les mercenaires après ses rivaux Plantagenêt. Mais il réussit par deux fois à retourner les troupes de routiers de ceux-ci. Aux alentours de 1194, il récupéra Lambert Cadoc, un Gallois recruté par Richard Cœur de Lion. Cadoc lui restera fidèle durant 20 ans. Ensuite, au printemps 1204, en guerre contre le roi Jean sans Terre, Philippe Auguste négocie le ralliement de Lupicaire et de sa troupe[136],[137],[138].
220
+
221
+ Naissance de Philippe Auguste (Grandes Chroniques de France, XIVe siècle).
222
+
223
+ Philippe Auguste recevant des messagers du pape l'appelant à la croisade (Grandes Chroniques de France de Charles V, XIVe siècle).
224
+
225
+ Philippe et Richard à la croisade (Guillaume de Tyr, XIVe siècle).
226
+
227
+ Couronnement de Philippe Auguste (Grandes Chroniques de France (Jean Fouquet), XVe siècle).
228
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229
+ Philippe Auguste (Recueil des rois de France de Jean du Tillet, vers 1550).
230
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+ Tristan de Léonois, XVe siècle, BnF, manuscrit Français 116, enluminure du folio 676 verso.
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+ Roman de Renart, BnF (Mss.), fin XIIe siècle, Français 12584, folio 18v-19r.
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+ Philippe IV, dit « le Bel »[1] et « le Roi de fer » (né à Fontainebleau en avril/juin 1268 – mort à Fontainebleau le 29 novembre 1314), fils de Philippe III le Hardi et de sa première épouse Isabelle d'Aragon, est roi de France de 1285 à 1314, onzième roi de la dynastie des Capétiens directs.
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+ Devenu roi à l'âge de dix-sept ans, à la mort de son père en octobre 1285, l'importance de Philippe le Bel dans l'histoire de France est reconnue par les historiens.
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+ Sous son règne, le royaume de France atteignit l'apogée de sa puissance médiévale. Avec entre seize et vingt millions d'habitants[2], c'était l'État le plus peuplé de la Chrétienté, il connaissait une grande prospérité économique, le pouvoir royal se renforce considérablement, si bien qu'on voit dans Philippe IV, entouré de ses « légistes », le premier souverain « moderne » d'un État puissant et centralisé.
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+ Philippe IV eut des difficultés à reprendre la maîtrise des finances de son royaume et à mettre fin aux mutations monétaires. Pour cela, il a cru bon d'abattre l'ordre du Temple qui était devenu une puissance financière internationale, d'expulser les Juifs, de procéder à une dévaluation en rétablissant une monnaie d'or qui restera ferme pendant plus d'un siècle. À la fin du règne, les foires champenoises sont concurrencées par le commerce maritime direct de l'Europe du Nord avec l'Italie.
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+ Plusieurs affaires marquent le règne de Philippe IV. Le procès de l'évêque de Troyes, Guichard, accusé d'avoir tué la reine par sorcellerie, le procès de l'évêque de Pamiers, Bernard Saisset, qui ne fit qu'aggraver les démêlés du roi avec le Saint-Siège, l'affaire de la tour de Nesle (l'emprisonnement des brus du roi et l'exécution de leurs amants), mais surtout le célèbre procès des Templiers.
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+ Philippe le Bel est appréhendé comme n'étant plus un souverain « classique » du Moyen Âge. Bien qu'il ait été reconnu comme un roi pieux et que son gouvernement ait continué l'évolution vers la centralisation de l'État amorcée un siècle plus tôt, bien qu'il ait eu une révération particulière pour son grand-père Louis IX dont il obtint la canonisation en 1297, Philippe IV apparaît comme un roi symbole d'une rupture avec le passé, particulièrement sur les liens entretenus entre les rois de France et la papauté. Ses contemporains déplorèrent les détériorations survenues depuis « le temps de monseigneur Saint-Louis », considéré comme un âge d'or. On pressentait ainsi un roi d'un nouveau type, annonciateur d'une autre époque.
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+ Philippe IV le Bel est le second fils de Philippe III le Hardi, après Louis (1264-1276). Il a deux frères cadets, Robert (1269 - av. 1276) et Charles, comte de Valois.
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+ Par le remariage de son père, il a, en outre, trois autres demi-frères et demi-sœurs : Louis, comte d'Évreux, Marguerite qui épouse en 1299 Édouard Ier, roi d'Angleterre, et Blanche (1278-1306), qui épouse en 1300 Rodolphe III d'Autriche, duc d'Autriche.
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+ Son père confie une partie de l'éducation du jeune Philippe à Guillaume d'Ercuis, son aumônier. À la différence de son père, Philippe le Bel reçoit par le soin de son précepteur une bonne éducation[3]. Il comprend le latin et aime étudier.
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+ Surnommé par ses ennemis tout comme par ses admirateurs le « roi de marbre » ou « roi de fer », il se démarque par sa personnalité rigide et sévère. L'un de ses plus farouches opposants, l'évêque de Pamiers Bernard Saisset, dit d'ailleurs de lui : « Notre roi ressemble au duc, le plus beau des oiseaux, et qui ne vaut rien ; c’est le plus bel homme du monde, mais il ne sait que regarder les gens fixement sans parler. »[4] Philippe le Bel est un roi qui soulève au cours de son règne beaucoup de polémiques, le même Bernard Saisset le traitant par exemple de « faux-monnayeur ».
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+ Le roi Philippe III meurt le 5 octobre 1285 à 40 ans, après quinze années de règne. Philippe devient alors le nouveau souverain et succède à son père, à l'âge de 17 ans, sous le nom de Philippe IV.
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+ Le 6 janvier 1286, en la cathédrale de Reims, Philippe IV le Bel est sacré et couronné par l'archevêque Pierre Barbet.
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+ Sous le règne de Philippe IV, les traditions féodales sont abandonnées pour mettre en place une administration moderne. Mais la centralisation monarchique mécontente les grands seigneurs et les nouveaux impôts dressent les bourgeois contre le pouvoir royal.
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+ À l'aide de juristes, notamment de son fidèle collaborateur Guillaume de Nogaret, Philippe IV transforme un État encore féodal en une monarchie moderne où la volonté du roi s'impose à tous (où par exemple la justice royale prévaut), et un impôt national est prélevé sur tout le royaume de France.
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+ Son règne est particulièrement agité sur le plan monétaire. Le roi et ses conseillers multiplient les émissions de nouvelles monnaies. Aux dévaluations succèdent les réévaluations, qui donnent un sentiment d'incohérence de la politique royale. Ces mutations monétaires aboutissent à un mécontentement général dans le Royaume. Entre 1306 et sa mort, le roi fait face à des émeutes populaires mais aussi à des ligues nobiliaires qui exigent, entre autres, le retour à la bonne monnaie.
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+ Dans la pratique, le roi ne contrôle pas tous les paramètres de la politique monétaire. Les assemblées de prélats et de barons, convoquées périodiquement au début du XIVe siècle pour donner leur avis sur la question monétaire, réclament toutes le retour à la bonne monnaie de Saint Louis, quelque peu idéalisée. Il est vrai que la politique monétaire de Philippe le Bel est très instable. Le système monétaire a été bouleversé de fond en comble. Cette situation, qui n'avait pas de précédent historique, contraste fortement avec les pratiques monétaires de ses prédécesseurs, Saint Louis et Philippe le Hardi, dont les monnayages sont alors considérés comme des modèles de stabilité. Pour l'opinion publique, le résultat des mutations est facile à comprendre : bien que le roi agisse selon son bon droit, toute transformation de la monnaie est assimilée à un abus déloyal, voire à une falsification pure et simple.
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+ Par ailleurs, le règne de Philippe le Bel se traduit par une période de changements majeurs. L'innovation la plus remarquable de cette période est sans doute l'apparition durable d'émissions de monnaies d'or. Le retour à un vrai bimétallisme s'est accompagné de sévères crises monétaires, attisées par la spéculation internationale, la concurrence des monnaies seigneuriales et les incohérences du système monétaire. La carence en métaux précieux provoque une forte dévaluation de la monnaie de compte, qui se traduit dans la pratique par de nombreuses émissions de nouvelles monnaies. L'inflation, provoquée par ces mutations, mécontente la noblesse, les bourgeois des bonnes villes et l'Église qui voient leurs revenus diminuer considérablement. Des réévaluations des pièces d'argent et de billon sont tentées mais leur résultat est plus que mitigé : des émeutes populaires éclatent, et surtout, l'argent finit par ne plus être monnayé, car son prix d'achat est fixé trop bas. Le roi, après avoir tenté en vain de stabiliser sa monnaie, se trouve dans une position politique difficile. À la fin de son règne, il doit affronter la fronde d'une partie de ses sujets.
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+ Pour assainir les finances et acheter le Quercy aux Anglais contre une rente de 3 000 livres, il s'attaque à ceux qui ont de l'argent, y compris aux religieux de l'Église catholique, aux Lombards, aux Juifs (« Don de joyeux avènement » en 1285[5]) et aux Templiers.
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+ Pour pallier ses difficultés financières, il établit des impôts réguliers, taxant lourdement les Juifs et les Lombards, confisquant parfois leurs biens, et pratique les dévaluations monétaires. Il conserve les richesses monétaires de l'ordre des Templiers après l'avoir dissout. Il centralise également le pouvoir royal. La dure crise économique que subit le royaume de France sous son règne provoque de vastes mouvements de révoltes de la part du peuple mais aussi des nobles et de l'aristocratie. Pour contrer ces graves difficultés économiques, il altère le cours de la monnaie.
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+ Philippe IV s'entoure de légistes, des conseillers compétents qui jouent un rôle décisif dans sa politique. Les légistes appartiennent pour la plupart, au début, à la petite noblesse puis à la bourgeoisie ou à la noblesse de robe. Les légistes, apparus sous Philippe Auguste, sont formés au droit romain pour faire évoluer une monarchie féodale, où les pouvoirs du roi sont limités par ses vassaux, vers une monarchie absolue. Il termine cette centralisation commencée par son grand-père, Louis IX, mais ce système sera remis en cause par les Valois directs. Outre les légistes, le roi est entouré de ses héritiers et de sa famille.
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+ L'administration du Royaume, limitée à la cour du roi chez ses prédécesseurs, se spécialise en trois sections sous le règne de Philippe le Bel :
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+ Ces transformations rendirent Philippe le Bel très impopulaire dans toutes les couches de la société.
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+ Philippe IV a aussi créé l'embryon des états généraux, en ordonnant la tenue d'assemblées formées de représentants des trois ordres : le clergé, la noblesse et la bourgeoisie. Ces assemblées, très peu réunies, seulement lors de crises, n'avaient pas beaucoup de pouvoir, leur rôle n'étant que d'approuver les propositions du roi et de ses conseillers.
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+ Sous le règne de Philippe IV, la France abandonna ses traditions féodales pour devenir un État avec une administration moderne. Mais la centralisation monarchique mécontenta les grands seigneurs, les nouveaux impôts dressèrent les bourgeois contre le pouvoir, et les paysans, accablés de taxes diverses, se révoltèrent.
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+ Philippe IV le Bel profite d'un incident pour confirmer sa suzeraineté sur le duché de Guyenne gouverné par le roi d'Angleterre Edouard Ier, ce qui provoque un conflit militaire opposant les deux royaumes rivaux de 1294 à 1297. Il se traduit notamment par l'occupation française de Bordeaux, capitale de la Guyenne, jusqu'en 1303, soldée par le traité de Paris qui rétablit la situation antérieure, les Plantagenêt reprenant possession de leur fief, à la grande satisfaction des Bordelais[Qui ?].
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+ Cet affrontement franco-anglais est l'un des prémices de la guerre de Cent Ans (1337-1453).
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+ Lorsque le comte de Flandre, Gui de Dampierre, allié à Édouard Ier (roi d'Angleterre), rompit son hommage de vassal au roi de France en 1297, Philippe IV mobilisa 70 000 hommes pour envahir son comté. Cette rivalité avec le roi d'Angleterre pousse le roi à développer le premier arsenal de marine aux Clos aux galées et à se doter d'une flotte de guerre. Après l'abandon du projet d'invasion de l'Angleterre, Philippe IV tourne son armée contre les Flamands révoltés.
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+ Après une conquête relativement facile, prise de Lille en 1297, de Courtrai, Furnes, Bergues et Bruges, une trêve fut signée en 1300 aux termes de laquelle Philippe IV conservait ces conquêtes. Philippe subit ensuite deux échecs en 1302 avant d'être finalement victorieux des Flamands :
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+ À l'issue de ce conflit, Lille et la Flandre wallonne restèrent dans le royaume de France jusqu'en 1369.
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+ En 1289, Arghoun, khan des Mongols ilkhanides, gouvernant la Perse, envoie un message à Philippe le Bel lui demandant son alliance contre les Mamelouks et les Kiptchaks, l'année suivante il fait la même demande au pape Nicolas IV. Cette demande d'alliance reste sans réponse de la part de Philippe le Bel.
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+ Le règne de Philippe IV le Bel est marqué par ses différends avec le pape Boniface VIII, dont le point central est le droit que s'attribue le roi de France d'imposer les biens de l'Église situés dans son royaume, la France. Ce que va contester le Pape, soucieux de conserver la force du principe de pré-éminence du pape sur les rois, du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel. La décrétale Clericis laicos du 24 février 1296 est le point de départ. Boniface VIII, qui a alors d'autres préoccupations (conflits avec les Aragonais de Sicile et les Colonna), se trouve dans l'embarras et, en dépit de son caractère hautain, cède bientôt. Les bulles Romana mater (février 1297) et Etsi de statu (en) (juillet 1297) donnent au roi gain de cause. Ce dernier document contient une renonciation formelle aux prétentions émises pour la défense des biens ecclésiastiques contre l'arbitraire des rois dans la décrétale Clericis laicos.
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+ Cependant, en 1302, par la bulle Unam Sanctam, Boniface VIII déclare la supériorité du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel, et par ce biais la supériorité du pape sur les rois, ces derniers étant responsables devant le chef de l'Église.
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+ Philippe le Bel réunit un concile des évêques de France pour condamner le pape, ainsi que des assemblées de nobles et de bourgeois à Paris (précurseurs des états généraux, qui apparaissent pour la première fois sous son règne). Le roi cherche l'appui de tous ses sujets afin de légitimer la lutte qu'il mène contre le pape. Ce dernier menace de l'excommunier et de jeter l'interdit sur le royaume de France.
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+ Fort du soutien de la population et des ecclésiastiques, le roi envoie alors son conseiller (et futur garde des Sceaux), le chevalier Guillaume de Nogaret, avec une petite escorte armée vers l'Italie, dans le but d'arrêter le pape et de le faire juger par un concile. Nogaret est bientôt rejoint par un ennemi personnel de Boniface VIII, Sciarra Colonna, membre de la noblesse romaine, qui lui indique que le pape s'est réfugié à Anagni, résidence d'été du pape, proche de Rome, et fief des Caetani, la famille du pape.
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+ Le 7 septembre 1303, Nogaret et Colonna arrivent à Anagni et trouvent le pape seul dans la grande salle du palais épiscopal des Caetani abandonné par ses partisans. Le vieil homme de 68 ans est assis sur un haut siège, en habit de cérémonie, et ne réagit pas à l'irruption de la troupe armée. En voyant Guillaume de Nogaret et Sciarra Colonna approcher, il incline légèrement la tête et déclare : « Voilà ma tête, voilà mon cou, au moins je mourrai en pape[11] ! »
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+ Guillaume de Nogaret recule, impressionné, tandis que Sciarra Colonna, dans sa haine de Boniface VIII, se serait avancé insolemment et lui aurait, dit-on, donné une gifle avec son gantelet de fer.
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+ Peu de temps après le 9 septembre, la population de la ville d'Anagni se révolte et dégage le pape des mains des Français, mais le souverain pontife tombe malade et meurt un mois plus tard à Rome le 11 octobre 1303.
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+ Cet énorme scandale éclabousse Philippe le Bel, bien qu'il n'en soit pas directement responsable, mais ceux qui ne le savaient pas encore comprennent qu'il vaut mieux ne pas s'opposer au roi de France. D'après Jean-François Chantaraud dans L'État social de la France, cette partie d'échecs remportée par Philippe IV contre le Pape constitue la clé de voûte de la fusion française des pouvoirs temporel et spirituel : dès lors, le chef de l'exécutif détient le monopole de la légitimité à dire le juste et l'État va devenir le producteur des justifications sur lesquelles il fait reposer ses propres décisions.
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+ Après le très court pontificat de Benoît XI, Clément V, archevêque de Bordeaux, est couronné pape à Lyon. Après une longue itinérance, il s'installe dans le Comtat Venaissin. Comptant sur son appui, mais sans lui demander la permission, le roi met en marche l'anéantissement de l'ordre du Temple. Le vendredi 13 octobre 1307, les Templiers sont mis en prison puis torturés pour leur faire admettre l'hérésie dans leur ordre. Le maître de l'ordre, Jacques de Molay, périt sur le bûcher à Paris en 1314 après avoir été déclaré relaps. Selon Geoffroi de Paris, témoin oculaire[12] de l'événement et chroniqueur de l'époque, ses dernières paroles auraient été[12] :
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+ « Je vois ici mon jugement où mourir me convient librement ; Dieu sait qui a tort, qui a péché. Il va bientôt arriver malheur à ceux qui nous ont condamnés à tort : Dieu vengera notre mort. »
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+ Une succession de malheurs touchait alors la famille royale capétienne, dont la plus célèbre reste l'affaire des deux brus adultères du roi (affaire de la tour de Nesle). Marguerite de Bourgogne, capétienne, fille du duc Robert II de Bourgogne (1248-1306) et d'Agnès de France (1260-1325), Jeanne de Bourgogne et Blanche de Bourgogne, toutes deux filles du comte Othon IV de Bourgogne et de la comtesse Mahaut d'Artois, épousent respectivement les rois Louis X, Philippe V le Long et Charles IV le Bel, les trois fils de Philippe le Bel.
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84
+ Si vous connaissez le sujet dont traite l'article, merci de le reprendre à partir de sources pertinentes en utilisant notamment les notes de fin de page. Vous pouvez également laisser un mot d'explication en page de discussion (modifier l'article).
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86
+ Philippe le Bel prit, comme plusieurs des rois ses prédécesseurs, une mesure d'expulsion des Juifs du Royaume parce qu'ils pratiquaient l'usure, mais cette fois la mesure sera définitive. Ceux-ci avaient en France le statut d'étrangers résidant avec la permission — et sous la juridiction directe — du roi. Les étrangers, ou aubains, pouvaient posséder des immeubles, mais ils ne pouvaient pas les léguer à leurs héritiers, ceux-ci revenant à leur mort au ban du seigneur, c'est-à-dire au roi en ce qui les concernait. En 1289, Philippe le Bel expulse les Juifs du Poitou. En 1306, il promulgue un édit d'expulsion général dont Juliette Sibon estime qu'il a concerné 100 000 juifs[13]. Ensuite, les droits que leurs communautés avaient sur certains immeubles qui leur avaient été affectés pour leur servir par exemple de synagogues, furent remis en adjudication au profit du trésor royal. On trouve plusieurs exemples de ces adjudications :
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+ Pendant le règne de Philippe le Bel, le domaine royal (voir Domaine de la Couronne) s'est agrandi grâce à la politique d'assujettissement des grands féodaux et aussi :
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+ En avril 1314, année même de la mort de Philippe le Bel, un énorme scandale éclate : Marguerite de Bourgogne, épouse de Louis X, déjà roi de Navarre à la mort de sa mère Jeanne Ire de Navarre, et Blanche de Bourgogne, femme de Charles (futur Charles IV le Bel), sont dénoncées par Isabelle de France (fille de Philippe le Bel et reine consort d'Angleterre) dans l'affaire de la tour de Nesle. Elles auraient trompé leurs maris avec les frères Philippe et Gauthier d'Aunay, tous deux chevaliers de l'hôtel royal. Une enquête est menée et les deux frères avouent, sous la torture, entretenir des relations adultérines avec deux des belles-filles du roi.
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+ Les deux amants sont jugés et condamnés pour rapt d'honneur sur personne de majesté royale ; ils sont exécutés sur-le-champ en place publique à Pontoise : dépecés vivants, leur sexe tranché et jeté aux chiens, ils sont finalement décapités, leurs corps traînés puis pendus par les aisselles au gibet. Une telle cruauté s'explique par l'affront fait à la famille royale, mais aussi par l'atteinte aux institutions du Royaume : cet acte met en péril la dynastie capétienne et le royaume de France. « Quelles auraient été la légitimité et l'autorité d'un futur souverain dont on aurait pu mettre en doute la royale paternité ? »
92
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+ Les implications politiques sont si graves que le châtiment se doit d'être exemplaire. Marguerite de Bourgogne est condamnée à être tondue et conduite dans un chariot couvert de draps noirs à Château-Gaillard. Occupant une cellule ouverte à tous vents au sommet du donjon, elle y meurt en 1315. Dans Les Rois maudits, Maurice Druon laisse entendre qu'elle fut étranglée afin que son mari, Louis X, puisse se remarier avec Clémence de Hongrie[14], mais ses conditions d'incarcération ne mettent pas en doute une mort d'épuisement.
94
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+ Blanche de Bourgogne est aussi tondue mais bénéficie d'un « traitement de faveur » : elle est emprisonnée pendant sept ans, puis obtient l'autorisation de prendre l'habit de religieuse. Femme du cadet et non du futur roi de France (du moins, c'est ce que l'on croit, puisque son époux deviendra le roi Charles IV le Bel en 1322), Blanche a donc un traitement moins cruel que sa belle-sœur. Elle devient reine de France en prison le 21 février, jusqu'à ce que la nullité de son mariage soit prononcée le 19 mai par le pape Jean XXII.
96
+
97
+ Quant à la troisième, la comtesse Jeanne de Bourgogne et d'Artois, femme du futur Philippe V le Long, elle est enfermée à Dourdan pour avoir gardé ce secret. Soutenue par sa mère Mahaut d'Artois, elle se réconcilie avec son mari le roi Philippe le Long et devient reine de France en 1317.
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+ Le 4 novembre 1314, Philippe le Bel rend visite à son oncle le comte Robert de Clermont[réf. nécessaire] et c'est lors d'une partie de chasse en forêt de Pont-Sainte-Maxence (forêt d'Halatte) qu'il fait une chute de cheval. Blessé à la jambe, il « éprouv[e] un saisissement subit, avec impossibilité de prononcer une parole »[15] (un probable accident cérébro-vasculaire, qui frappe également son frère Charles de Valois plus tard, est évoqué sans que l'on puisse dire si cette atteinte cérébrale est antérieure, contemporaine ou consécutive à la chute). Les chroniques du temps se partagent entre l'accident ou la maladie inexplicable[16]. Transporté en bateau à Poissy[15], puis porté en litière à Fontainebleau, il meurt quelques semaines plus tard, à 46 ans, dans la journée du 29 novembre 1314, après 29 années de règne[17],[18]. Il est le premier roi de France qui naît et meurt au Château de Fontainebleau[19].
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+ Son cœur et ses entrailles furent déposés séparément à l'église du prieuré de Poissy, le cœur dans une urne retrouvée le 28 juillet 1687 lors de travaux dans un des caveaux. Philippe reconnaissait ainsi l'importance du prieuré de cette ville, où il était déjà venu plusieurs fois. Il y avait par ailleurs fait bâtir, près de la collégiale, un couvent ouvert en 1304 pour honorer son grand-père Saint-Louis, qui y était né. Philippe offrit par la suite aux religieuses une relique (un bout de la mâchoire du saint), rattachant ainsi ce lieu à sa mémoire, et y fit enterrer son jeune fils Robert. L'endroit où est inhumé le cœur est surmonté d'un gisant réalisé en 1327 et détruit sous la Révolution : il représentait Philippe sur une lame de marbre noir. Couronné, la statue tenait le sceptre dans sa main droite et la main de justice dans sa main gauche, contrairement au gisant de Saint-Denis, où la main de justice n'apparaissait pas. Pour l'historien Alexandre Bande, cela sert à distinguer les deux sépultures : « [la main de justice] était alors assimilée à l'équité, forme la plus élevée de justice, et à la charité, une des valeurs essentielles du cœur du roi : les contemporains pouvaient ainsi déchiffrer aisément ces sépultures et leurs différences »[20].
102
+
103
+ Son corps sera inhumé dans la basilique de Saint-Denis. Sa sépulture, comme celles des autres princes et dignitaires reposant en ce lieu, sera profanée par les révolutionnaires en octobre 1793. Il s'agissait d'un gisant en marbre blanc, commandé par son fils Charles IV, également en 1327[20].
104
+
105
+ Il fut le premier roi de France à demander par testament une tripartition de son corps (dilaceratio corporis, « division du corps » en cœur, entrailles et ossements) avec des sépultures multiples[Note 2]. Cette pratique devint à partir du XIIIe siècle un privilège[Note 3] de la dynastie capétienne dans le royaume de France (majoritairement les rois, parfois les reines ou les proches, et ce malgré l'interdiction par une décrétale en 1299 du pape Boniface VIII qui voyait cette pratique se répandre chez certains membres de la Curie romaine[Note 4]) qui permettait la multiplication des cérémonies (funérailles du corps, la plus importante, puis funérailles du cœur et funérailles des entrailles) et des lieux (avec un tombeau de corps, un tombeau de cœur et un tombeau d'entraille, comme les gisants royaux à entrailles de l'abbaye de Maubuisson[21]) où honorer le roi défunt[22].
106
+
107
+ Les Grandes Chroniques de France signalent que Pierre de Latilly, évêque de Châlons, fut emprisonné un moment en 1315, soupçonné d'avoir empoisonné le roi défunt[23].
108
+
109
+ Le 14 août 1284, Philippe épouse à l'âge de 16 ans Jeanne Ire de Navarre, comtesse de Champagne et reine de Navarre qui en a 11. La princesse a succédé à son père sur les trônes de Champagne et de Navarre (elle régnera de 1274 à 1305).
110
+
111
+ De cette union, qui confère au roi le titre de roi de Navarre (Philippe Ier, voir Liste des monarques de Navarre) jusqu'à la mort de la reine en 1305, naissent sept enfants :
112
+
113
+ Bien que veuf encore jeune (37 ans), Philippe IV ne se remarie pas et restera fidèle au souvenir de son épouse décédée.
114
+
115
+ La nature même du pouvoir de ce grand souverain reste une énigme : fut-il le jouet de ses ministres ou le premier « roi absolu » ? La plupart des analyses tendent vers la seconde proposition, au vu de sa politique au long terme qui témoigne d'une volonté unique et cohérente (alors qu'il changea souvent de conseillers), et de son caractère intransigeant.
116
+
117
+ Grâce à l'aide de juristes, il transforme véritablement un État encore féodal en une monarchie moderne où la volonté du roi s'impose à tous, et un impôt national est prélevé sur tout le royaume de France.
118
+
119
+ Il agrandit également le territoire du Royaume, notamment avec l'annexion de Lille après la signature de la guerre de Flandre.
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121
+ Ses contemporains le jugent comme étant d'une rare beauté, et son physique tout entier « semblait une vivante image de la grandeur et de la majesté des rois de France » (d'après une chronique médiévale)Interprétation abusive ?.
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+ Philippe IV, dit « le Bel »[1] et « le Roi de fer » (né à Fontainebleau en avril/juin 1268 – mort à Fontainebleau le 29 novembre 1314), fils de Philippe III le Hardi et de sa première épouse Isabelle d'Aragon, est roi de France de 1285 à 1314, onzième roi de la dynastie des Capétiens directs.
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+ Devenu roi à l'âge de dix-sept ans, à la mort de son père en octobre 1285, l'importance de Philippe le Bel dans l'histoire de France est reconnue par les historiens.
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+ Sous son règne, le royaume de France atteignit l'apogée de sa puissance médiévale. Avec entre seize et vingt millions d'habitants[2], c'était l'État le plus peuplé de la Chrétienté, il connaissait une grande prospérité économique, le pouvoir royal se renforce considérablement, si bien qu'on voit dans Philippe IV, entouré de ses « légistes », le premier souverain « moderne » d'un État puissant et centralisé.
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+ Philippe IV eut des difficultés à reprendre la maîtrise des finances de son royaume et à mettre fin aux mutations monétaires. Pour cela, il a cru bon d'abattre l'ordre du Temple qui était devenu une puissance financière internationale, d'expulser les Juifs, de procéder à une dévaluation en rétablissant une monnaie d'or qui restera ferme pendant plus d'un siècle. À la fin du règne, les foires champenoises sont concurrencées par le commerce maritime direct de l'Europe du Nord avec l'Italie.
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+ Plusieurs affaires marquent le règne de Philippe IV. Le procès de l'évêque de Troyes, Guichard, accusé d'avoir tué la reine par sorcellerie, le procès de l'évêque de Pamiers, Bernard Saisset, qui ne fit qu'aggraver les démêlés du roi avec le Saint-Siège, l'affaire de la tour de Nesle (l'emprisonnement des brus du roi et l'exécution de leurs amants), mais surtout le célèbre procès des Templiers.
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+ Philippe le Bel est appréhendé comme n'étant plus un souverain « classique » du Moyen Âge. Bien qu'il ait été reconnu comme un roi pieux et que son gouvernement ait continué l'évolution vers la centralisation de l'État amorcée un siècle plus tôt, bien qu'il ait eu une révération particulière pour son grand-père Louis IX dont il obtint la canonisation en 1297, Philippe IV apparaît comme un roi symbole d'une rupture avec le passé, particulièrement sur les liens entretenus entre les rois de France et la papauté. Ses contemporains déplorèrent les détériorations survenues depuis « le temps de monseigneur Saint-Louis », considéré comme un âge d'or. On pressentait ainsi un roi d'un nouveau type, annonciateur d'une autre époque.
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+ Philippe IV le Bel est le second fils de Philippe III le Hardi, après Louis (1264-1276). Il a deux frères cadets, Robert (1269 - av. 1276) et Charles, comte de Valois.
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+ Par le remariage de son père, il a, en outre, trois autres demi-frères et demi-sœurs : Louis, comte d'Évreux, Marguerite qui épouse en 1299 Édouard Ier, roi d'Angleterre, et Blanche (1278-1306), qui épouse en 1300 Rodolphe III d'Autriche, duc d'Autriche.
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+ Son père confie une partie de l'éducation du jeune Philippe à Guillaume d'Ercuis, son aumônier. À la différence de son père, Philippe le Bel reçoit par le soin de son précepteur une bonne éducation[3]. Il comprend le latin et aime étudier.
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+ Surnommé par ses ennemis tout comme par ses admirateurs le « roi de marbre » ou « roi de fer », il se démarque par sa personnalité rigide et sévère. L'un de ses plus farouches opposants, l'évêque de Pamiers Bernard Saisset, dit d'ailleurs de lui : « Notre roi ressemble au duc, le plus beau des oiseaux, et qui ne vaut rien ; c’est le plus bel homme du monde, mais il ne sait que regarder les gens fixement sans parler. »[4] Philippe le Bel est un roi qui soulève au cours de son règne beaucoup de polémiques, le même Bernard Saisset le traitant par exemple de « faux-monnayeur ».
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+ Le roi Philippe III meurt le 5 octobre 1285 à 40 ans, après quinze années de règne. Philippe devient alors le nouveau souverain et succède à son père, à l'âge de 17 ans, sous le nom de Philippe IV.
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+ Le 6 janvier 1286, en la cathédrale de Reims, Philippe IV le Bel est sacré et couronné par l'archevêque Pierre Barbet.
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+ Sous le règne de Philippe IV, les traditions féodales sont abandonnées pour mettre en place une administration moderne. Mais la centralisation monarchique mécontente les grands seigneurs et les nouveaux impôts dressent les bourgeois contre le pouvoir royal.
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+ À l'aide de juristes, notamment de son fidèle collaborateur Guillaume de Nogaret, Philippe IV transforme un État encore féodal en une monarchie moderne où la volonté du roi s'impose à tous (où par exemple la justice royale prévaut), et un impôt national est prélevé sur tout le royaume de France.
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+ Son règne est particulièrement agité sur le plan monétaire. Le roi et ses conseillers multiplient les émissions de nouvelles monnaies. Aux dévaluations succèdent les réévaluations, qui donnent un sentiment d'incohérence de la politique royale. Ces mutations monétaires aboutissent à un mécontentement général dans le Royaume. Entre 1306 et sa mort, le roi fait face à des émeutes populaires mais aussi à des ligues nobiliaires qui exigent, entre autres, le retour à la bonne monnaie.
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+ Dans la pratique, le roi ne contrôle pas tous les paramètres de la politique monétaire. Les assemblées de prélats et de barons, convoquées périodiquement au début du XIVe siècle pour donner leur avis sur la question monétaire, réclament toutes le retour à la bonne monnaie de Saint Louis, quelque peu idéalisée. Il est vrai que la politique monétaire de Philippe le Bel est très instable. Le système monétaire a été bouleversé de fond en comble. Cette situation, qui n'avait pas de précédent historique, contraste fortement avec les pratiques monétaires de ses prédécesseurs, Saint Louis et Philippe le Hardi, dont les monnayages sont alors considérés comme des modèles de stabilité. Pour l'opinion publique, le résultat des mutations est facile à comprendre : bien que le roi agisse selon son bon droit, toute transformation de la monnaie est assimilée à un abus déloyal, voire à une falsification pure et simple.
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+ Par ailleurs, le règne de Philippe le Bel se traduit par une période de changements majeurs. L'innovation la plus remarquable de cette période est sans doute l'apparition durable d'émissions de monnaies d'or. Le retour à un vrai bimétallisme s'est accompagné de sévères crises monétaires, attisées par la spéculation internationale, la concurrence des monnaies seigneuriales et les incohérences du système monétaire. La carence en métaux précieux provoque une forte dévaluation de la monnaie de compte, qui se traduit dans la pratique par de nombreuses émissions de nouvelles monnaies. L'inflation, provoquée par ces mutations, mécontente la noblesse, les bourgeois des bonnes villes et l'Église qui voient leurs revenus diminuer considérablement. Des réévaluations des pièces d'argent et de billon sont tentées mais leur résultat est plus que mitigé : des émeutes populaires éclatent, et surtout, l'argent finit par ne plus être monnayé, car son prix d'achat est fixé trop bas. Le roi, après avoir tenté en vain de stabiliser sa monnaie, se trouve dans une position politique difficile. À la fin de son règne, il doit affronter la fronde d'une partie de ses sujets.
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+ Pour assainir les finances et acheter le Quercy aux Anglais contre une rente de 3 000 livres, il s'attaque à ceux qui ont de l'argent, y compris aux religieux de l'Église catholique, aux Lombards, aux Juifs (« Don de joyeux avènement » en 1285[5]) et aux Templiers.
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+ Pour pallier ses difficultés financières, il établit des impôts réguliers, taxant lourdement les Juifs et les Lombards, confisquant parfois leurs biens, et pratique les dévaluations monétaires. Il conserve les richesses monétaires de l'ordre des Templiers après l'avoir dissout. Il centralise également le pouvoir royal. La dure crise économique que subit le royaume de France sous son règne provoque de vastes mouvements de révoltes de la part du peuple mais aussi des nobles et de l'aristocratie. Pour contrer ces graves difficultés économiques, il altère le cours de la monnaie.
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+ Philippe IV s'entoure de légistes, des conseillers compétents qui jouent un rôle décisif dans sa politique. Les légistes appartiennent pour la plupart, au début, à la petite noblesse puis à la bourgeoisie ou à la noblesse de robe. Les légistes, apparus sous Philippe Auguste, sont formés au droit romain pour faire évoluer une monarchie féodale, où les pouvoirs du roi sont limités par ses vassaux, vers une monarchie absolue. Il termine cette centralisation commencée par son grand-père, Louis IX, mais ce système sera remis en cause par les Valois directs. Outre les légistes, le roi est entouré de ses héritiers et de sa famille.
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+ L'administration du Royaume, limitée à la cour du roi chez ses prédécesseurs, se spécialise en trois sections sous le règne de Philippe le Bel :
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+ Ces transformations rendirent Philippe le Bel très impopulaire dans toutes les couches de la société.
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+ Philippe IV a aussi créé l'embryon des états généraux, en ordonnant la tenue d'assemblées formées de représentants des trois ordres : le clergé, la noblesse et la bourgeoisie. Ces assemblées, très peu réunies, seulement lors de crises, n'avaient pas beaucoup de pouvoir, leur rôle n'étant que d'approuver les propositions du roi et de ses conseillers.
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+ Sous le règne de Philippe IV, la France abandonna ses traditions féodales pour devenir un État avec une administration moderne. Mais la centralisation monarchique mécontenta les grands seigneurs, les nouveaux impôts dressèrent les bourgeois contre le pouvoir, et les paysans, accablés de taxes diverses, se révoltèrent.
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+ Philippe IV le Bel profite d'un incident pour confirmer sa suzeraineté sur le duché de Guyenne gouverné par le roi d'Angleterre Edouard Ier, ce qui provoque un conflit militaire opposant les deux royaumes rivaux de 1294 à 1297. Il se traduit notamment par l'occupation française de Bordeaux, capitale de la Guyenne, jusqu'en 1303, soldée par le traité de Paris qui rétablit la situation antérieure, les Plantagenêt reprenant possession de leur fief, à la grande satisfaction des Bordelais[Qui ?].
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+ Cet affrontement franco-anglais est l'un des prémices de la guerre de Cent Ans (1337-1453).
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+ Lorsque le comte de Flandre, Gui de Dampierre, allié à Édouard Ier (roi d'Angleterre), rompit son hommage de vassal au roi de France en 1297, Philippe IV mobilisa 70 000 hommes pour envahir son comté. Cette rivalité avec le roi d'Angleterre pousse le roi à développer le premier arsenal de marine aux Clos aux galées et à se doter d'une flotte de guerre. Après l'abandon du projet d'invasion de l'Angleterre, Philippe IV tourne son armée contre les Flamands révoltés.
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+ Après une conquête relativement facile, prise de Lille en 1297, de Courtrai, Furnes, Bergues et Bruges, une trêve fut signée en 1300 aux termes de laquelle Philippe IV conservait ces conquêtes. Philippe subit ensuite deux échecs en 1302 avant d'être finalement victorieux des Flamands :
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+ À l'issue de ce conflit, Lille et la Flandre wallonne restèrent dans le royaume de France jusqu'en 1369.
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+ En 1289, Arghoun, khan des Mongols ilkhanides, gouvernant la Perse, envoie un message à Philippe le Bel lui demandant son alliance contre les Mamelouks et les Kiptchaks, l'année suivante il fait la même demande au pape Nicolas IV. Cette demande d'alliance reste sans réponse de la part de Philippe le Bel.
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+ Le règne de Philippe IV le Bel est marqué par ses différends avec le pape Boniface VIII, dont le point central est le droit que s'attribue le roi de France d'imposer les biens de l'Église situés dans son royaume, la France. Ce que va contester le Pape, soucieux de conserver la force du principe de pré-éminence du pape sur les rois, du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel. La décrétale Clericis laicos du 24 février 1296 est le point de départ. Boniface VIII, qui a alors d'autres préoccupations (conflits avec les Aragonais de Sicile et les Colonna), se trouve dans l'embarras et, en dépit de son caractère hautain, cède bientôt. Les bulles Romana mater (février 1297) et Etsi de statu (en) (juillet 1297) donnent au roi gain de cause. Ce dernier document contient une renonciation formelle aux prétentions émises pour la défense des biens ecclésiastiques contre l'arbitraire des rois dans la décrétale Clericis laicos.
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+ Cependant, en 1302, par la bulle Unam Sanctam, Boniface VIII déclare la supériorité du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel, et par ce biais la supériorité du pape sur les rois, ces derniers étant responsables devant le chef de l'Église.
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+ Philippe le Bel réunit un concile des évêques de France pour condamner le pape, ainsi que des assemblées de nobles et de bourgeois à Paris (précurseurs des états généraux, qui apparaissent pour la première fois sous son règne). Le roi cherche l'appui de tous ses sujets afin de légitimer la lutte qu'il mène contre le pape. Ce dernier menace de l'excommunier et de jeter l'interdit sur le royaume de France.
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+ Fort du soutien de la population et des ecclésiastiques, le roi envoie alors son conseiller (et futur garde des Sceaux), le chevalier Guillaume de Nogaret, avec une petite escorte armée vers l'Italie, dans le but d'arrêter le pape et de le faire juger par un concile. Nogaret est bientôt rejoint par un ennemi personnel de Boniface VIII, Sciarra Colonna, membre de la noblesse romaine, qui lui indique que le pape s'est réfugié à Anagni, résidence d'été du pape, proche de Rome, et fief des Caetani, la famille du pape.
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+ Le 7 septembre 1303, Nogaret et Colonna arrivent à Anagni et trouvent le pape seul dans la grande salle du palais épiscopal des Caetani abandonné par ses partisans. Le vieil homme de 68 ans est assis sur un haut siège, en habit de cérémonie, et ne réagit pas à l'irruption de la troupe armée. En voyant Guillaume de Nogaret et Sciarra Colonna approcher, il incline légèrement la tête et déclare : « Voilà ma tête, voilà mon cou, au moins je mourrai en pape[11] ! »
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+ Guillaume de Nogaret recule, impressionné, tandis que Sciarra Colonna, dans sa haine de Boniface VIII, se serait avancé insolemment et lui aurait, dit-on, donné une gifle avec son gantelet de fer.
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+ Peu de temps après le 9 septembre, la population de la ville d'Anagni se révolte et dégage le pape des mains des Français, mais le souverain pontife tombe malade et meurt un mois plus tard à Rome le 11 octobre 1303.
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+ Cet énorme scandale éclabousse Philippe le Bel, bien qu'il n'en soit pas directement responsable, mais ceux qui ne le savaient pas encore comprennent qu'il vaut mieux ne pas s'opposer au roi de France. D'après Jean-François Chantaraud dans L'État social de la France, cette partie d'échecs remportée par Philippe IV contre le Pape constitue la clé de voûte de la fusion française des pouvoirs temporel et spirituel : dès lors, le chef de l'exécutif détient le monopole de la légitimité à dire le juste et l'État va devenir le producteur des justifications sur lesquelles il fait reposer ses propres décisions.
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+ Après le très court pontificat de Benoît XI, Clément V, archevêque de Bordeaux, est couronné pape à Lyon. Après une longue itinérance, il s'installe dans le Comtat Venaissin. Comptant sur son appui, mais sans lui demander la permission, le roi met en marche l'anéantissement de l'ordre du Temple. Le vendredi 13 octobre 1307, les Templiers sont mis en prison puis torturés pour leur faire admettre l'hérésie dans leur ordre. Le maître de l'ordre, Jacques de Molay, périt sur le bûcher à Paris en 1314 après avoir été déclaré relaps. Selon Geoffroi de Paris, témoin oculaire[12] de l'événement et chroniqueur de l'époque, ses dernières paroles auraient été[12] :
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+ « Je vois ici mon jugement où mourir me convient librement ; Dieu sait qui a tort, qui a péché. Il va bientôt arriver malheur à ceux qui nous ont condamnés à tort : Dieu vengera notre mort. »
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+ Une succession de malheurs touchait alors la famille royale capétienne, dont la plus célèbre reste l'affaire des deux brus adultères du roi (affaire de la tour de Nesle). Marguerite de Bourgogne, capétienne, fille du duc Robert II de Bourgogne (1248-1306) et d'Agnès de France (1260-1325), Jeanne de Bourgogne et Blanche de Bourgogne, toutes deux filles du comte Othon IV de Bourgogne et de la comtesse Mahaut d'Artois, épousent respectivement les rois Louis X, Philippe V le Long et Charles IV le Bel, les trois fils de Philippe le Bel.
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+ Si vous connaissez le sujet dont traite l'article, merci de le reprendre à partir de sources pertinentes en utilisant notamment les notes de fin de page. Vous pouvez également laisser un mot d'explication en page de discussion (modifier l'article).
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+ Philippe le Bel prit, comme plusieurs des rois ses prédécesseurs, une mesure d'expulsion des Juifs du Royaume parce qu'ils pratiquaient l'usure, mais cette fois la mesure sera définitive. Ceux-ci avaient en France le statut d'étrangers résidant avec la permission — et sous la juridiction directe — du roi. Les étrangers, ou aubains, pouvaient posséder des immeubles, mais ils ne pouvaient pas les léguer à leurs héritiers, ceux-ci revenant à leur mort au ban du seigneur, c'est-à-dire au roi en ce qui les concernait. En 1289, Philippe le Bel expulse les Juifs du Poitou. En 1306, il promulgue un édit d'expulsion général dont Juliette Sibon estime qu'il a concerné 100 000 juifs[13]. Ensuite, les droits que leurs communautés avaient sur certains immeubles qui leur avaient été affectés pour leur servir par exemple de synagogues, furent remis en adjudication au profit du trésor royal. On trouve plusieurs exemples de ces adjudications :
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+ Pendant le règne de Philippe le Bel, le domaine royal (voir Domaine de la Couronne) s'est agrandi grâce à la politique d'assujettissement des grands féodaux et aussi :
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+ En avril 1314, année même de la mort de Philippe le Bel, un énorme scandale éclate : Marguerite de Bourgogne, épouse de Louis X, déjà roi de Navarre à la mort de sa mère Jeanne Ire de Navarre, et Blanche de Bourgogne, femme de Charles (futur Charles IV le Bel), sont dénoncées par Isabelle de France (fille de Philippe le Bel et reine consort d'Angleterre) dans l'affaire de la tour de Nesle. Elles auraient trompé leurs maris avec les frères Philippe et Gauthier d'Aunay, tous deux chevaliers de l'hôtel royal. Une enquête est menée et les deux frères avouent, sous la torture, entretenir des relations adultérines avec deux des belles-filles du roi.
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+ Les deux amants sont jugés et condamnés pour rapt d'honneur sur personne de majesté royale ; ils sont exécutés sur-le-champ en place publique à Pontoise : dépecés vivants, leur sexe tranché et jeté aux chiens, ils sont finalement décapités, leurs corps traînés puis pendus par les aisselles au gibet. Une telle cruauté s'explique par l'affront fait à la famille royale, mais aussi par l'atteinte aux institutions du Royaume : cet acte met en péril la dynastie capétienne et le royaume de France. « Quelles auraient été la légitimité et l'autorité d'un futur souverain dont on aurait pu mettre en doute la royale paternité ? »
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+ Les implications politiques sont si graves que le châtiment se doit d'être exemplaire. Marguerite de Bourgogne est condamnée à être tondue et conduite dans un chariot couvert de draps noirs à Château-Gaillard. Occupant une cellule ouverte à tous vents au sommet du donjon, elle y meurt en 1315. Dans Les Rois maudits, Maurice Druon laisse entendre qu'elle fut étranglée afin que son mari, Louis X, puisse se remarier avec Clémence de Hongrie[14], mais ses conditions d'incarcération ne mettent pas en doute une mort d'épuisement.
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+ Blanche de Bourgogne est aussi tondue mais bénéficie d'un « traitement de faveur » : elle est emprisonnée pendant sept ans, puis obtient l'autorisation de prendre l'habit de religieuse. Femme du cadet et non du futur roi de France (du moins, c'est ce que l'on croit, puisque son époux deviendra le roi Charles IV le Bel en 1322), Blanche a donc un traitement moins cruel que sa belle-sœur. Elle devient reine de France en prison le 21 février, jusqu'à ce que la nullité de son mariage soit prononcée le 19 mai par le pape Jean XXII.
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+ Quant à la troisième, la comtesse Jeanne de Bourgogne et d'Artois, femme du futur Philippe V le Long, elle est enfermée à Dourdan pour avoir gardé ce secret. Soutenue par sa mère Mahaut d'Artois, elle se réconcilie avec son mari le roi Philippe le Long et devient reine de France en 1317.
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+ Le 4 novembre 1314, Philippe le Bel rend visite à son oncle le comte Robert de Clermont[réf. nécessaire] et c'est lors d'une partie de chasse en forêt de Pont-Sainte-Maxence (forêt d'Halatte) qu'il fait une chute de cheval. Blessé à la jambe, il « éprouv[e] un saisissement subit, avec impossibilité de prononcer une parole »[15] (un probable accident cérébro-vasculaire, qui frappe également son frère Charles de Valois plus tard, est évoqué sans que l'on puisse dire si cette atteinte cérébrale est antérieure, contemporaine ou consécutive à la chute). Les chroniques du temps se partagent entre l'accident ou la maladie inexplicable[16]. Transporté en bateau à Poissy[15], puis porté en litière à Fontainebleau, il meurt quelques semaines plus tard, à 46 ans, dans la journée du 29 novembre 1314, après 29 années de règne[17],[18]. Il est le premier roi de France qui naît et meurt au Château de Fontainebleau[19].
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+ Son cœur et ses entrailles furent déposés séparément à l'église du prieuré de Poissy, le cœur dans une urne retrouvée le 28 juillet 1687 lors de travaux dans un des caveaux. Philippe reconnaissait ainsi l'importance du prieuré de cette ville, où il était déjà venu plusieurs fois. Il y avait par ailleurs fait bâtir, près de la collégiale, un couvent ouvert en 1304 pour honorer son grand-père Saint-Louis, qui y était né. Philippe offrit par la suite aux religieuses une relique (un bout de la mâchoire du saint), rattachant ainsi ce lieu à sa mémoire, et y fit enterrer son jeune fils Robert. L'endroit où est inhumé le cœur est surmonté d'un gisant réalisé en 1327 et détruit sous la Révolution : il représentait Philippe sur une lame de marbre noir. Couronné, la statue tenait le sceptre dans sa main droite et la main de justice dans sa main gauche, contrairement au gisant de Saint-Denis, où la main de justice n'apparaissait pas. Pour l'historien Alexandre Bande, cela sert à distinguer les deux sépultures : « [la main de justice] était alors assimilée à l'équité, forme la plus élevée de justice, et à la charité, une des valeurs essentielles du cœur du roi : les contemporains pouvaient ainsi déchiffrer aisément ces sépultures et leurs différences »[20].
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+ Son corps sera inhumé dans la basilique de Saint-Denis. Sa sépulture, comme celles des autres princes et dignitaires reposant en ce lieu, sera profanée par les révolutionnaires en octobre 1793. Il s'agissait d'un gisant en marbre blanc, commandé par son fils Charles IV, également en 1327[20].
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+ Il fut le premier roi de France à demander par testament une tripartition de son corps (dilaceratio corporis, « division du corps » en cœur, entrailles et ossements) avec des sépultures multiples[Note 2]. Cette pratique devint à partir du XIIIe siècle un privilège[Note 3] de la dynastie capétienne dans le royaume de France (majoritairement les rois, parfois les reines ou les proches, et ce malgré l'interdiction par une décrétale en 1299 du pape Boniface VIII qui voyait cette pratique se répandre chez certains membres de la Curie romaine[Note 4]) qui permettait la multiplication des cérémonies (funérailles du corps, la plus importante, puis funérailles du cœur et funérailles des entrailles) et des lieux (avec un tombeau de corps, un tombeau de cœur et un tombeau d'entraille, comme les gisants royaux à entrailles de l'abbaye de Maubuisson[21]) où honorer le roi défunt[22].
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+ Les Grandes Chroniques de France signalent que Pierre de Latilly, évêque de Châlons, fut emprisonné un moment en 1315, soupçonné d'avoir empoisonné le roi défunt[23].
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+ Le 14 août 1284, Philippe épouse à l'âge de 16 ans Jeanne Ire de Navarre, comtesse de Champagne et reine de Navarre qui en a 11. La princesse a succédé à son père sur les trônes de Champagne et de Navarre (elle régnera de 1274 à 1305).
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+ De cette union, qui confère au roi le titre de roi de Navarre (Philippe Ier, voir Liste des monarques de Navarre) jusqu'à la mort de la reine en 1305, naissent sept enfants :
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+ Bien que veuf encore jeune (37 ans), Philippe IV ne se remarie pas et restera fidèle au souvenir de son épouse décédée.
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+ La nature même du pouvoir de ce grand souverain reste une énigme : fut-il le jouet de ses ministres ou le premier « roi absolu » ? La plupart des analyses tendent vers la seconde proposition, au vu de sa politique au long terme qui témoigne d'une volonté unique et cohérente (alors qu'il changea souvent de conseillers), et de son caractère intransigeant.
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+ Grâce à l'aide de juristes, il transforme véritablement un État encore féodal en une monarchie moderne où la volonté du roi s'impose à tous, et un impôt national est prélevé sur tout le royaume de France.
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+ Il agrandit également le territoire du Royaume, notamment avec l'annexion de Lille après la signature de la guerre de Flandre.
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+ Ses contemporains le jugent comme étant d'une rare beauté, et son physique tout entier « semblait une vivante image de la grandeur et de la majesté des rois de France » (d'après une chronique médiévale)Interprétation abusive ?.
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+ Philippe IV, dit « le Bel »[1] et « le Roi de fer » (né à Fontainebleau en avril/juin 1268 – mort à Fontainebleau le 29 novembre 1314), fils de Philippe III le Hardi et de sa première épouse Isabelle d'Aragon, est roi de France de 1285 à 1314, onzième roi de la dynastie des Capétiens directs.
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+ Devenu roi à l'âge de dix-sept ans, à la mort de son père en octobre 1285, l'importance de Philippe le Bel dans l'histoire de France est reconnue par les historiens.
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+ Sous son règne, le royaume de France atteignit l'apogée de sa puissance médiévale. Avec entre seize et vingt millions d'habitants[2], c'était l'État le plus peuplé de la Chrétienté, il connaissait une grande prospérité économique, le pouvoir royal se renforce considérablement, si bien qu'on voit dans Philippe IV, entouré de ses « légistes », le premier souverain « moderne » d'un État puissant et centralisé.
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+ Philippe IV eut des difficultés à reprendre la maîtrise des finances de son royaume et à mettre fin aux mutations monétaires. Pour cela, il a cru bon d'abattre l'ordre du Temple qui était devenu une puissance financière internationale, d'expulser les Juifs, de procéder à une dévaluation en rétablissant une monnaie d'or qui restera ferme pendant plus d'un siècle. À la fin du règne, les foires champenoises sont concurrencées par le commerce maritime direct de l'Europe du Nord avec l'Italie.
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+ Plusieurs affaires marquent le règne de Philippe IV. Le procès de l'évêque de Troyes, Guichard, accusé d'avoir tué la reine par sorcellerie, le procès de l'évêque de Pamiers, Bernard Saisset, qui ne fit qu'aggraver les démêlés du roi avec le Saint-Siège, l'affaire de la tour de Nesle (l'emprisonnement des brus du roi et l'exécution de leurs amants), mais surtout le célèbre procès des Templiers.
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+ Philippe le Bel est appréhendé comme n'étant plus un souverain « classique » du Moyen Âge. Bien qu'il ait été reconnu comme un roi pieux et que son gouvernement ait continué l'évolution vers la centralisation de l'État amorcée un siècle plus tôt, bien qu'il ait eu une révération particulière pour son grand-père Louis IX dont il obtint la canonisation en 1297, Philippe IV apparaît comme un roi symbole d'une rupture avec le passé, particulièrement sur les liens entretenus entre les rois de France et la papauté. Ses contemporains déplorèrent les détériorations survenues depuis « le temps de monseigneur Saint-Louis », considéré comme un âge d'or. On pressentait ainsi un roi d'un nouveau type, annonciateur d'une autre époque.
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+ Philippe IV le Bel est le second fils de Philippe III le Hardi, après Louis (1264-1276). Il a deux frères cadets, Robert (1269 - av. 1276) et Charles, comte de Valois.
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+ Par le remariage de son père, il a, en outre, trois autres demi-frères et demi-sœurs : Louis, comte d'Évreux, Marguerite qui épouse en 1299 Édouard Ier, roi d'Angleterre, et Blanche (1278-1306), qui épouse en 1300 Rodolphe III d'Autriche, duc d'Autriche.
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+ Son père confie une partie de l'éducation du jeune Philippe à Guillaume d'Ercuis, son aumônier. À la différence de son père, Philippe le Bel reçoit par le soin de son précepteur une bonne éducation[3]. Il comprend le latin et aime étudier.
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+ Surnommé par ses ennemis tout comme par ses admirateurs le « roi de marbre » ou « roi de fer », il se démarque par sa personnalité rigide et sévère. L'un de ses plus farouches opposants, l'évêque de Pamiers Bernard Saisset, dit d'ailleurs de lui : « Notre roi ressemble au duc, le plus beau des oiseaux, et qui ne vaut rien ; c’est le plus bel homme du monde, mais il ne sait que regarder les gens fixement sans parler. »[4] Philippe le Bel est un roi qui soulève au cours de son règne beaucoup de polémiques, le même Bernard Saisset le traitant par exemple de « faux-monnayeur ».
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+ Le roi Philippe III meurt le 5 octobre 1285 à 40 ans, après quinze années de règne. Philippe devient alors le nouveau souverain et succède à son père, à l'âge de 17 ans, sous le nom de Philippe IV.
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+ Le 6 janvier 1286, en la cathédrale de Reims, Philippe IV le Bel est sacré et couronné par l'archevêque Pierre Barbet.
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+ Sous le règne de Philippe IV, les traditions féodales sont abandonnées pour mettre en place une administration moderne. Mais la centralisation monarchique mécontente les grands seigneurs et les nouveaux impôts dressent les bourgeois contre le pouvoir royal.
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+ À l'aide de juristes, notamment de son fidèle collaborateur Guillaume de Nogaret, Philippe IV transforme un État encore féodal en une monarchie moderne où la volonté du roi s'impose à tous (où par exemple la justice royale prévaut), et un impôt national est prélevé sur tout le royaume de France.
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+ Son règne est particulièrement agité sur le plan monétaire. Le roi et ses conseillers multiplient les émissions de nouvelles monnaies. Aux dévaluations succèdent les réévaluations, qui donnent un sentiment d'incohérence de la politique royale. Ces mutations monétaires aboutissent à un mécontentement général dans le Royaume. Entre 1306 et sa mort, le roi fait face à des émeutes populaires mais aussi à des ligues nobiliaires qui exigent, entre autres, le retour à la bonne monnaie.
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+ Dans la pratique, le roi ne contrôle pas tous les paramètres de la politique monétaire. Les assemblées de prélats et de barons, convoquées périodiquement au début du XIVe siècle pour donner leur avis sur la question monétaire, réclament toutes le retour à la bonne monnaie de Saint Louis, quelque peu idéalisée. Il est vrai que la politique monétaire de Philippe le Bel est très instable. Le système monétaire a été bouleversé de fond en comble. Cette situation, qui n'avait pas de précédent historique, contraste fortement avec les pratiques monétaires de ses prédécesseurs, Saint Louis et Philippe le Hardi, dont les monnayages sont alors considérés comme des modèles de stabilité. Pour l'opinion publique, le résultat des mutations est facile à comprendre : bien que le roi agisse selon son bon droit, toute transformation de la monnaie est assimilée à un abus déloyal, voire à une falsification pure et simple.
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+ Par ailleurs, le règne de Philippe le Bel se traduit par une période de changements majeurs. L'innovation la plus remarquable de cette période est sans doute l'apparition durable d'émissions de monnaies d'or. Le retour à un vrai bimétallisme s'est accompagné de sévères crises monétaires, attisées par la spéculation internationale, la concurrence des monnaies seigneuriales et les incohérences du système monétaire. La carence en métaux précieux provoque une forte dévaluation de la monnaie de compte, qui se traduit dans la pratique par de nombreuses émissions de nouvelles monnaies. L'inflation, provoquée par ces mutations, mécontente la noblesse, les bourgeois des bonnes villes et l'Église qui voient leurs revenus diminuer considérablement. Des réévaluations des pièces d'argent et de billon sont tentées mais leur résultat est plus que mitigé : des émeutes populaires éclatent, et surtout, l'argent finit par ne plus être monnayé, car son prix d'achat est fixé trop bas. Le roi, après avoir tenté en vain de stabiliser sa monnaie, se trouve dans une position politique difficile. À la fin de son règne, il doit affronter la fronde d'une partie de ses sujets.
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+ Pour assainir les finances et acheter le Quercy aux Anglais contre une rente de 3 000 livres, il s'attaque à ceux qui ont de l'argent, y compris aux religieux de l'Église catholique, aux Lombards, aux Juifs (« Don de joyeux avènement » en 1285[5]) et aux Templiers.
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+ Pour pallier ses difficultés financières, il établit des impôts réguliers, taxant lourdement les Juifs et les Lombards, confisquant parfois leurs biens, et pratique les dévaluations monétaires. Il conserve les richesses monétaires de l'ordre des Templiers après l'avoir dissout. Il centralise également le pouvoir royal. La dure crise économique que subit le royaume de France sous son règne provoque de vastes mouvements de révoltes de la part du peuple mais aussi des nobles et de l'aristocratie. Pour contrer ces graves difficultés économiques, il altère le cours de la monnaie.
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+ Philippe IV s'entoure de légistes, des conseillers compétents qui jouent un rôle décisif dans sa politique. Les légistes appartiennent pour la plupart, au début, à la petite noblesse puis à la bourgeoisie ou à la noblesse de robe. Les légistes, apparus sous Philippe Auguste, sont formés au droit romain pour faire évoluer une monarchie féodale, où les pouvoirs du roi sont limités par ses vassaux, vers une monarchie absolue. Il termine cette centralisation commencée par son grand-père, Louis IX, mais ce système sera remis en cause par les Valois directs. Outre les légistes, le roi est entouré de ses héritiers et de sa famille.
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+ L'administration du Royaume, limitée à la cour du roi chez ses prédécesseurs, se spécialise en trois sections sous le règne de Philippe le Bel :
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+ Ces transformations rendirent Philippe le Bel très impopulaire dans toutes les couches de la société.
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+ Philippe IV a aussi créé l'embryon des états généraux, en ordonnant la tenue d'assemblées formées de représentants des trois ordres : le clergé, la noblesse et la bourgeoisie. Ces assemblées, très peu réunies, seulement lors de crises, n'avaient pas beaucoup de pouvoir, leur rôle n'étant que d'approuver les propositions du roi et de ses conseillers.
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+ Sous le règne de Philippe IV, la France abandonna ses traditions féodales pour devenir un État avec une administration moderne. Mais la centralisation monarchique mécontenta les grands seigneurs, les nouveaux impôts dressèrent les bourgeois contre le pouvoir, et les paysans, accablés de taxes diverses, se révoltèrent.
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+ Philippe IV le Bel profite d'un incident pour confirmer sa suzeraineté sur le duché de Guyenne gouverné par le roi d'Angleterre Edouard Ier, ce qui provoque un conflit militaire opposant les deux royaumes rivaux de 1294 à 1297. Il se traduit notamment par l'occupation française de Bordeaux, capitale de la Guyenne, jusqu'en 1303, soldée par le traité de Paris qui rétablit la situation antérieure, les Plantagenêt reprenant possession de leur fief, à la grande satisfaction des Bordelais[Qui ?].
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+ Cet affrontement franco-anglais est l'un des prémices de la guerre de Cent Ans (1337-1453).
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+ Lorsque le comte de Flandre, Gui de Dampierre, allié à Édouard Ier (roi d'Angleterre), rompit son hommage de vassal au roi de France en 1297, Philippe IV mobilisa 70 000 hommes pour envahir son comté. Cette rivalité avec le roi d'Angleterre pousse le roi à développer le premier arsenal de marine aux Clos aux galées et à se doter d'une flotte de guerre. Après l'abandon du projet d'invasion de l'Angleterre, Philippe IV tourne son armée contre les Flamands révoltés.
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+ Après une conquête relativement facile, prise de Lille en 1297, de Courtrai, Furnes, Bergues et Bruges, une trêve fut signée en 1300 aux termes de laquelle Philippe IV conservait ces conquêtes. Philippe subit ensuite deux échecs en 1302 avant d'être finalement victorieux des Flamands :
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+ À l'issue de ce conflit, Lille et la Flandre wallonne restèrent dans le royaume de France jusqu'en 1369.
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+ En 1289, Arghoun, khan des Mongols ilkhanides, gouvernant la Perse, envoie un message à Philippe le Bel lui demandant son alliance contre les Mamelouks et les Kiptchaks, l'année suivante il fait la même demande au pape Nicolas IV. Cette demande d'alliance reste sans réponse de la part de Philippe le Bel.
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+ Le règne de Philippe IV le Bel est marqué par ses différends avec le pape Boniface VIII, dont le point central est le droit que s'attribue le roi de France d'imposer les biens de l'Église situés dans son royaume, la France. Ce que va contester le Pape, soucieux de conserver la force du principe de pré-éminence du pape sur les rois, du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel. La décrétale Clericis laicos du 24 février 1296 est le point de départ. Boniface VIII, qui a alors d'autres préoccupations (conflits avec les Aragonais de Sicile et les Colonna), se trouve dans l'embarras et, en dépit de son caractère hautain, cède bientôt. Les bulles Romana mater (février 1297) et Etsi de statu (en) (juillet 1297) donnent au roi gain de cause. Ce dernier document contient une renonciation formelle aux prétentions émises pour la défense des biens ecclésiastiques contre l'arbitraire des rois dans la décrétale Clericis laicos.
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+ Cependant, en 1302, par la bulle Unam Sanctam, Boniface VIII déclare la supériorité du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel, et par ce biais la supériorité du pape sur les rois, ces derniers étant responsables devant le chef de l'Église.
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+ Philippe le Bel réunit un concile des évêques de France pour condamner le pape, ainsi que des assemblées de nobles et de bourgeois à Paris (précurseurs des états généraux, qui apparaissent pour la première fois sous son règne). Le roi cherche l'appui de tous ses sujets afin de légitimer la lutte qu'il mène contre le pape. Ce dernier menace de l'excommunier et de jeter l'interdit sur le royaume de France.
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+ Fort du soutien de la population et des ecclésiastiques, le roi envoie alors son conseiller (et futur garde des Sceaux), le chevalier Guillaume de Nogaret, avec une petite escorte armée vers l'Italie, dans le but d'arrêter le pape et de le faire juger par un concile. Nogaret est bientôt rejoint par un ennemi personnel de Boniface VIII, Sciarra Colonna, membre de la noblesse romaine, qui lui indique que le pape s'est réfugié à Anagni, résidence d'été du pape, proche de Rome, et fief des Caetani, la famille du pape.
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+ Le 7 septembre 1303, Nogaret et Colonna arrivent à Anagni et trouvent le pape seul dans la grande salle du palais épiscopal des Caetani abandonné par ses partisans. Le vieil homme de 68 ans est assis sur un haut siège, en habit de cérémonie, et ne réagit pas à l'irruption de la troupe armée. En voyant Guillaume de Nogaret et Sciarra Colonna approcher, il incline légèrement la tête et déclare : « Voilà ma tête, voilà mon cou, au moins je mourrai en pape[11] ! »
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+ Guillaume de Nogaret recule, impressionné, tandis que Sciarra Colonna, dans sa haine de Boniface VIII, se serait avancé insolemment et lui aurait, dit-on, donné une gifle avec son gantelet de fer.
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+ Peu de temps après le 9 septembre, la population de la ville d'Anagni se révolte et dégage le pape des mains des Français, mais le souverain pontife tombe malade et meurt un mois plus tard à Rome le 11 octobre 1303.
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+ Cet énorme scandale éclabousse Philippe le Bel, bien qu'il n'en soit pas directement responsable, mais ceux qui ne le savaient pas encore comprennent qu'il vaut mieux ne pas s'opposer au roi de France. D'après Jean-François Chantaraud dans L'État social de la France, cette partie d'échecs remportée par Philippe IV contre le Pape constitue la clé de voûte de la fusion française des pouvoirs temporel et spirituel : dès lors, le chef de l'exécutif détient le monopole de la légitimité à dire le juste et l'État va devenir le producteur des justifications sur lesquelles il fait reposer ses propres décisions.
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+ Après le très court pontificat de Benoît XI, Clément V, archevêque de Bordeaux, est couronné pape à Lyon. Après une longue itinérance, il s'installe dans le Comtat Venaissin. Comptant sur son appui, mais sans lui demander la permission, le roi met en marche l'anéantissement de l'ordre du Temple. Le vendredi 13 octobre 1307, les Templiers sont mis en prison puis torturés pour leur faire admettre l'hérésie dans leur ordre. Le maître de l'ordre, Jacques de Molay, périt sur le bûcher à Paris en 1314 après avoir été déclaré relaps. Selon Geoffroi de Paris, témoin oculaire[12] de l'événement et chroniqueur de l'époque, ses dernières paroles auraient été[12] :
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+ « Je vois ici mon jugement où mourir me convient librement ; Dieu sait qui a tort, qui a péché. Il va bientôt arriver malheur à ceux qui nous ont condamnés à tort : Dieu vengera notre mort. »
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+ Une succession de malheurs touchait alors la famille royale capétienne, dont la plus célèbre reste l'affaire des deux brus adultères du roi (affaire de la tour de Nesle). Marguerite de Bourgogne, capétienne, fille du duc Robert II de Bourgogne (1248-1306) et d'Agnès de France (1260-1325), Jeanne de Bourgogne et Blanche de Bourgogne, toutes deux filles du comte Othon IV de Bourgogne et de la comtesse Mahaut d'Artois, épousent respectivement les rois Louis X, Philippe V le Long et Charles IV le Bel, les trois fils de Philippe le Bel.
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+ Si vous connaissez le sujet dont traite l'article, merci de le reprendre à partir de sources pertinentes en utilisant notamment les notes de fin de page. Vous pouvez également laisser un mot d'explication en page de discussion (modifier l'article).
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+ Philippe le Bel prit, comme plusieurs des rois ses prédécesseurs, une mesure d'expulsion des Juifs du Royaume parce qu'ils pratiquaient l'usure, mais cette fois la mesure sera définitive. Ceux-ci avaient en France le statut d'étrangers résidant avec la permission — et sous la juridiction directe — du roi. Les étrangers, ou aubains, pouvaient posséder des immeubles, mais ils ne pouvaient pas les léguer à leurs héritiers, ceux-ci revenant à leur mort au ban du seigneur, c'est-à-dire au roi en ce qui les concernait. En 1289, Philippe le Bel expulse les Juifs du Poitou. En 1306, il promulgue un édit d'expulsion général dont Juliette Sibon estime qu'il a concerné 100 000 juifs[13]. Ensuite, les droits que leurs communautés avaient sur certains immeubles qui leur avaient été affectés pour leur servir par exemple de synagogues, furent remis en adjudication au profit du trésor royal. On trouve plusieurs exemples de ces adjudications :
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+ Pendant le règne de Philippe le Bel, le domaine royal (voir Domaine de la Couronne) s'est agrandi grâce à la politique d'assujettissement des grands féodaux et aussi :
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+ En avril 1314, année même de la mort de Philippe le Bel, un énorme scandale éclate : Marguerite de Bourgogne, épouse de Louis X, déjà roi de Navarre à la mort de sa mère Jeanne Ire de Navarre, et Blanche de Bourgogne, femme de Charles (futur Charles IV le Bel), sont dénoncées par Isabelle de France (fille de Philippe le Bel et reine consort d'Angleterre) dans l'affaire de la tour de Nesle. Elles auraient trompé leurs maris avec les frères Philippe et Gauthier d'Aunay, tous deux chevaliers de l'hôtel royal. Une enquête est menée et les deux frères avouent, sous la torture, entretenir des relations adultérines avec deux des belles-filles du roi.
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+ Les deux amants sont jugés et condamnés pour rapt d'honneur sur personne de majesté royale ; ils sont exécutés sur-le-champ en place publique à Pontoise : dépecés vivants, leur sexe tranché et jeté aux chiens, ils sont finalement décapités, leurs corps traînés puis pendus par les aisselles au gibet. Une telle cruauté s'explique par l'affront fait à la famille royale, mais aussi par l'atteinte aux institutions du Royaume : cet acte met en péril la dynastie capétienne et le royaume de France. « Quelles auraient été la légitimité et l'autorité d'un futur souverain dont on aurait pu mettre en doute la royale paternité ? »
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+ Les implications politiques sont si graves que le châtiment se doit d'être exemplaire. Marguerite de Bourgogne est condamnée à être tondue et conduite dans un chariot couvert de draps noirs à Château-Gaillard. Occupant une cellule ouverte à tous vents au sommet du donjon, elle y meurt en 1315. Dans Les Rois maudits, Maurice Druon laisse entendre qu'elle fut étranglée afin que son mari, Louis X, puisse se remarier avec Clémence de Hongrie[14], mais ses conditions d'incarcération ne mettent pas en doute une mort d'épuisement.
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+ Blanche de Bourgogne est aussi tondue mais bénéficie d'un « traitement de faveur » : elle est emprisonnée pendant sept ans, puis obtient l'autorisation de prendre l'habit de religieuse. Femme du cadet et non du futur roi de France (du moins, c'est ce que l'on croit, puisque son époux deviendra le roi Charles IV le Bel en 1322), Blanche a donc un traitement moins cruel que sa belle-sœur. Elle devient reine de France en prison le 21 février, jusqu'à ce que la nullité de son mariage soit prononcée le 19 mai par le pape Jean XXII.
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+ Quant à la troisième, la comtesse Jeanne de Bourgogne et d'Artois, femme du futur Philippe V le Long, elle est enfermée à Dourdan pour avoir gardé ce secret. Soutenue par sa mère Mahaut d'Artois, elle se réconcilie avec son mari le roi Philippe le Long et devient reine de France en 1317.
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+ Le 4 novembre 1314, Philippe le Bel rend visite à son oncle le comte Robert de Clermont[réf. nécessaire] et c'est lors d'une partie de chasse en forêt de Pont-Sainte-Maxence (forêt d'Halatte) qu'il fait une chute de cheval. Blessé à la jambe, il « éprouv[e] un saisissement subit, avec impossibilité de prononcer une parole »[15] (un probable accident cérébro-vasculaire, qui frappe également son frère Charles de Valois plus tard, est évoqué sans que l'on puisse dire si cette atteinte cérébrale est antérieure, contemporaine ou consécutive à la chute). Les chroniques du temps se partagent entre l'accident ou la maladie inexplicable[16]. Transporté en bateau à Poissy[15], puis porté en litière à Fontainebleau, il meurt quelques semaines plus tard, à 46 ans, dans la journée du 29 novembre 1314, après 29 années de règne[17],[18]. Il est le premier roi de France qui naît et meurt au Château de Fontainebleau[19].
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+ Son cœur et ses entrailles furent déposés séparément à l'église du prieuré de Poissy, le cœur dans une urne retrouvée le 28 juillet 1687 lors de travaux dans un des caveaux. Philippe reconnaissait ainsi l'importance du prieuré de cette ville, où il était déjà venu plusieurs fois. Il y avait par ailleurs fait bâtir, près de la collégiale, un couvent ouvert en 1304 pour honorer son grand-père Saint-Louis, qui y était né. Philippe offrit par la suite aux religieuses une relique (un bout de la mâchoire du saint), rattachant ainsi ce lieu à sa mémoire, et y fit enterrer son jeune fils Robert. L'endroit où est inhumé le cœur est surmonté d'un gisant réalisé en 1327 et détruit sous la Révolution : il représentait Philippe sur une lame de marbre noir. Couronné, la statue tenait le sceptre dans sa main droite et la main de justice dans sa main gauche, contrairement au gisant de Saint-Denis, où la main de justice n'apparaissait pas. Pour l'historien Alexandre Bande, cela sert à distinguer les deux sépultures : « [la main de justice] était alors assimilée à l'équité, forme la plus élevée de justice, et à la charité, une des valeurs essentielles du cœur du roi : les contemporains pouvaient ainsi déchiffrer aisément ces sépultures et leurs différences »[20].
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+ Son corps sera inhumé dans la basilique de Saint-Denis. Sa sépulture, comme celles des autres princes et dignitaires reposant en ce lieu, sera profanée par les révolutionnaires en octobre 1793. Il s'agissait d'un gisant en marbre blanc, commandé par son fils Charles IV, également en 1327[20].
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105
+ Il fut le premier roi de France à demander par testament une tripartition de son corps (dilaceratio corporis, « division du corps » en cœur, entrailles et ossements) avec des sépultures multiples[Note 2]. Cette pratique devint à partir du XIIIe siècle un privilège[Note 3] de la dynastie capétienne dans le royaume de France (majoritairement les rois, parfois les reines ou les proches, et ce malgré l'interdiction par une décrétale en 1299 du pape Boniface VIII qui voyait cette pratique se répandre chez certains membres de la Curie romaine[Note 4]) qui permettait la multiplication des cérémonies (funérailles du corps, la plus importante, puis funérailles du cœur et funérailles des entrailles) et des lieux (avec un tombeau de corps, un tombeau de cœur et un tombeau d'entraille, comme les gisants royaux à entrailles de l'abbaye de Maubuisson[21]) où honorer le roi défunt[22].
106
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+ Les Grandes Chroniques de France signalent que Pierre de Latilly, évêque de Châlons, fut emprisonné un moment en 1315, soupçonné d'avoir empoisonné le roi défunt[23].
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+ Le 14 août 1284, Philippe épouse à l'âge de 16 ans Jeanne Ire de Navarre, comtesse de Champagne et reine de Navarre qui en a 11. La princesse a succédé à son père sur les trônes de Champagne et de Navarre (elle régnera de 1274 à 1305).
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+ De cette union, qui confère au roi le titre de roi de Navarre (Philippe Ier, voir Liste des monarques de Navarre) jusqu'à la mort de la reine en 1305, naissent sept enfants :
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+ Bien que veuf encore jeune (37 ans), Philippe IV ne se remarie pas et restera fidèle au souvenir de son épouse décédée.
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+ La nature même du pouvoir de ce grand souverain reste une énigme : fut-il le jouet de ses ministres ou le premier « roi absolu » ? La plupart des analyses tendent vers la seconde proposition, au vu de sa politique au long terme qui témoigne d'une volonté unique et cohérente (alors qu'il changea souvent de conseillers), et de son caractère intransigeant.
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+ Grâce à l'aide de juristes, il transforme véritablement un État encore féodal en une monarchie moderne où la volonté du roi s'impose à tous, et un impôt national est prélevé sur tout le royaume de France.
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+ Il agrandit également le territoire du Royaume, notamment avec l'annexion de Lille après la signature de la guerre de Flandre.
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+ Ses contemporains le jugent comme étant d'une rare beauté, et son physique tout entier « semblait une vivante image de la grandeur et de la majesté des rois de France » (d'après une chronique médiévale)Interprétation abusive ?.
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+ Philippe IV, dit « le Bel »[1] et « le Roi de fer » (né à Fontainebleau en avril/juin 1268 – mort à Fontainebleau le 29 novembre 1314), fils de Philippe III le Hardi et de sa première épouse Isabelle d'Aragon, est roi de France de 1285 à 1314, onzième roi de la dynastie des Capétiens directs.
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+ Devenu roi à l'âge de dix-sept ans, à la mort de son père en octobre 1285, l'importance de Philippe le Bel dans l'histoire de France est reconnue par les historiens.
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+ Sous son règne, le royaume de France atteignit l'apogée de sa puissance médiévale. Avec entre seize et vingt millions d'habitants[2], c'était l'État le plus peuplé de la Chrétienté, il connaissait une grande prospérité économique, le pouvoir royal se renforce considérablement, si bien qu'on voit dans Philippe IV, entouré de ses « légistes », le premier souverain « moderne » d'un État puissant et centralisé.
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+ Philippe IV eut des difficultés à reprendre la maîtrise des finances de son royaume et à mettre fin aux mutations monétaires. Pour cela, il a cru bon d'abattre l'ordre du Temple qui était devenu une puissance financière internationale, d'expulser les Juifs, de procéder à une dévaluation en rétablissant une monnaie d'or qui restera ferme pendant plus d'un siècle. À la fin du règne, les foires champenoises sont concurrencées par le commerce maritime direct de l'Europe du Nord avec l'Italie.
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+ Plusieurs affaires marquent le règne de Philippe IV. Le procès de l'évêque de Troyes, Guichard, accusé d'avoir tué la reine par sorcellerie, le procès de l'évêque de Pamiers, Bernard Saisset, qui ne fit qu'aggraver les démêlés du roi avec le Saint-Siège, l'affaire de la tour de Nesle (l'emprisonnement des brus du roi et l'exécution de leurs amants), mais surtout le célèbre procès des Templiers.
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+ Philippe le Bel est appréhendé comme n'étant plus un souverain « classique » du Moyen Âge. Bien qu'il ait été reconnu comme un roi pieux et que son gouvernement ait continué l'évolution vers la centralisation de l'État amorcée un siècle plus tôt, bien qu'il ait eu une révération particulière pour son grand-père Louis IX dont il obtint la canonisation en 1297, Philippe IV apparaît comme un roi symbole d'une rupture avec le passé, particulièrement sur les liens entretenus entre les rois de France et la papauté. Ses contemporains déplorèrent les détériorations survenues depuis « le temps de monseigneur Saint-Louis », considéré comme un âge d'or. On pressentait ainsi un roi d'un nouveau type, annonciateur d'une autre époque.
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+ Philippe IV le Bel est le second fils de Philippe III le Hardi, après Louis (1264-1276). Il a deux frères cadets, Robert (1269 - av. 1276) et Charles, comte de Valois.
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+ Par le remariage de son père, il a, en outre, trois autres demi-frères et demi-sœurs : Louis, comte d'Évreux, Marguerite qui épouse en 1299 Édouard Ier, roi d'Angleterre, et Blanche (1278-1306), qui épouse en 1300 Rodolphe III d'Autriche, duc d'Autriche.
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+ Son père confie une partie de l'éducation du jeune Philippe à Guillaume d'Ercuis, son aumônier. À la différence de son père, Philippe le Bel reçoit par le soin de son précepteur une bonne éducation[3]. Il comprend le latin et aime étudier.
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+ Surnommé par ses ennemis tout comme par ses admirateurs le « roi de marbre » ou « roi de fer », il se démarque par sa personnalité rigide et sévère. L'un de ses plus farouches opposants, l'évêque de Pamiers Bernard Saisset, dit d'ailleurs de lui : « Notre roi ressemble au duc, le plus beau des oiseaux, et qui ne vaut rien ; c’est le plus bel homme du monde, mais il ne sait que regarder les gens fixement sans parler. »[4] Philippe le Bel est un roi qui soulève au cours de son règne beaucoup de polémiques, le même Bernard Saisset le traitant par exemple de « faux-monnayeur ».
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+ Le roi Philippe III meurt le 5 octobre 1285 à 40 ans, après quinze années de règne. Philippe devient alors le nouveau souverain et succède à son père, à l'âge de 17 ans, sous le nom de Philippe IV.
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+ Le 6 janvier 1286, en la cathédrale de Reims, Philippe IV le Bel est sacré et couronné par l'archevêque Pierre Barbet.
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+ Sous le règne de Philippe IV, les traditions féodales sont abandonnées pour mettre en place une administration moderne. Mais la centralisation monarchique mécontente les grands seigneurs et les nouveaux impôts dressent les bourgeois contre le pouvoir royal.
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+ À l'aide de juristes, notamment de son fidèle collaborateur Guillaume de Nogaret, Philippe IV transforme un État encore féodal en une monarchie moderne où la volonté du roi s'impose à tous (où par exemple la justice royale prévaut), et un impôt national est prélevé sur tout le royaume de France.
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+ Son règne est particulièrement agité sur le plan monétaire. Le roi et ses conseillers multiplient les émissions de nouvelles monnaies. Aux dévaluations succèdent les réévaluations, qui donnent un sentiment d'incohérence de la politique royale. Ces mutations monétaires aboutissent à un mécontentement général dans le Royaume. Entre 1306 et sa mort, le roi fait face à des émeutes populaires mais aussi à des ligues nobiliaires qui exigent, entre autres, le retour à la bonne monnaie.
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+ Dans la pratique, le roi ne contrôle pas tous les paramètres de la politique monétaire. Les assemblées de prélats et de barons, convoquées périodiquement au début du XIVe siècle pour donner leur avis sur la question monétaire, réclament toutes le retour à la bonne monnaie de Saint Louis, quelque peu idéalisée. Il est vrai que la politique monétaire de Philippe le Bel est très instable. Le système monétaire a été bouleversé de fond en comble. Cette situation, qui n'avait pas de précédent historique, contraste fortement avec les pratiques monétaires de ses prédécesseurs, Saint Louis et Philippe le Hardi, dont les monnayages sont alors considérés comme des modèles de stabilité. Pour l'opinion publique, le résultat des mutations est facile à comprendre : bien que le roi agisse selon son bon droit, toute transformation de la monnaie est assimilée à un abus déloyal, voire à une falsification pure et simple.
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+ Par ailleurs, le règne de Philippe le Bel se traduit par une période de changements majeurs. L'innovation la plus remarquable de cette période est sans doute l'apparition durable d'émissions de monnaies d'or. Le retour à un vrai bimétallisme s'est accompagné de sévères crises monétaires, attisées par la spéculation internationale, la concurrence des monnaies seigneuriales et les incohérences du système monétaire. La carence en métaux précieux provoque une forte dévaluation de la monnaie de compte, qui se traduit dans la pratique par de nombreuses émissions de nouvelles monnaies. L'inflation, provoquée par ces mutations, mécontente la noblesse, les bourgeois des bonnes villes et l'Église qui voient leurs revenus diminuer considérablement. Des réévaluations des pièces d'argent et de billon sont tentées mais leur résultat est plus que mitigé : des émeutes populaires éclatent, et surtout, l'argent finit par ne plus être monnayé, car son prix d'achat est fixé trop bas. Le roi, après avoir tenté en vain de stabiliser sa monnaie, se trouve dans une position politique difficile. À la fin de son règne, il doit affronter la fronde d'une partie de ses sujets.
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+ Pour assainir les finances et acheter le Quercy aux Anglais contre une rente de 3 000 livres, il s'attaque à ceux qui ont de l'argent, y compris aux religieux de l'Église catholique, aux Lombards, aux Juifs (« Don de joyeux avènement » en 1285[5]) et aux Templiers.
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+ Pour pallier ses difficultés financières, il établit des impôts réguliers, taxant lourdement les Juifs et les Lombards, confisquant parfois leurs biens, et pratique les dévaluations monétaires. Il conserve les richesses monétaires de l'ordre des Templiers après l'avoir dissout. Il centralise également le pouvoir royal. La dure crise économique que subit le royaume de France sous son règne provoque de vastes mouvements de révoltes de la part du peuple mais aussi des nobles et de l'aristocratie. Pour contrer ces graves difficultés économiques, il altère le cours de la monnaie.
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+ Philippe IV s'entoure de légistes, des conseillers compétents qui jouent un rôle décisif dans sa politique. Les légistes appartiennent pour la plupart, au début, à la petite noblesse puis à la bourgeoisie ou à la noblesse de robe. Les légistes, apparus sous Philippe Auguste, sont formés au droit romain pour faire évoluer une monarchie féodale, où les pouvoirs du roi sont limités par ses vassaux, vers une monarchie absolue. Il termine cette centralisation commencée par son grand-père, Louis IX, mais ce système sera remis en cause par les Valois directs. Outre les légistes, le roi est entouré de ses héritiers et de sa famille.
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+ L'administration du Royaume, limitée à la cour du roi chez ses prédécesseurs, se spécialise en trois sections sous le règne de Philippe le Bel :
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+ Ces transformations rendirent Philippe le Bel très impopulaire dans toutes les couches de la société.
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+ Philippe IV a aussi créé l'embryon des états généraux, en ordonnant la tenue d'assemblées formées de représentants des trois ordres : le clergé, la noblesse et la bourgeoisie. Ces assemblées, très peu réunies, seulement lors de crises, n'avaient pas beaucoup de pouvoir, leur rôle n'étant que d'approuver les propositions du roi et de ses conseillers.
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+ Sous le règne de Philippe IV, la France abandonna ses traditions féodales pour devenir un État avec une administration moderne. Mais la centralisation monarchique mécontenta les grands seigneurs, les nouveaux impôts dressèrent les bourgeois contre le pouvoir, et les paysans, accablés de taxes diverses, se révoltèrent.
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+ Philippe IV le Bel profite d'un incident pour confirmer sa suzeraineté sur le duché de Guyenne gouverné par le roi d'Angleterre Edouard Ier, ce qui provoque un conflit militaire opposant les deux royaumes rivaux de 1294 à 1297. Il se traduit notamment par l'occupation française de Bordeaux, capitale de la Guyenne, jusqu'en 1303, soldée par le traité de Paris qui rétablit la situation antérieure, les Plantagenêt reprenant possession de leur fief, à la grande satisfaction des Bordelais[Qui ?].
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+ Cet affrontement franco-anglais est l'un des prémices de la guerre de Cent Ans (1337-1453).
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+ Lorsque le comte de Flandre, Gui de Dampierre, allié à Édouard Ier (roi d'Angleterre), rompit son hommage de vassal au roi de France en 1297, Philippe IV mobilisa 70 000 hommes pour envahir son comté. Cette rivalité avec le roi d'Angleterre pousse le roi à développer le premier arsenal de marine aux Clos aux galées et à se doter d'une flotte de guerre. Après l'abandon du projet d'invasion de l'Angleterre, Philippe IV tourne son armée contre les Flamands révoltés.
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+ Après une conquête relativement facile, prise de Lille en 1297, de Courtrai, Furnes, Bergues et Bruges, une trêve fut signée en 1300 aux termes de laquelle Philippe IV conservait ces conquêtes. Philippe subit ensuite deux échecs en 1302 avant d'être finalement victorieux des Flamands :
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+ À l'issue de ce conflit, Lille et la Flandre wallonne restèrent dans le royaume de France jusqu'en 1369.
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+ En 1289, Arghoun, khan des Mongols ilkhanides, gouvernant la Perse, envoie un message à Philippe le Bel lui demandant son alliance contre les Mamelouks et les Kiptchaks, l'année suivante il fait la même demande au pape Nicolas IV. Cette demande d'alliance reste sans réponse de la part de Philippe le Bel.
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+ Le règne de Philippe IV le Bel est marqué par ses différends avec le pape Boniface VIII, dont le point central est le droit que s'attribue le roi de France d'imposer les biens de l'Église situés dans son royaume, la France. Ce que va contester le Pape, soucieux de conserver la force du principe de pré-éminence du pape sur les rois, du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel. La décrétale Clericis laicos du 24 février 1296 est le point de départ. Boniface VIII, qui a alors d'autres préoccupations (conflits avec les Aragonais de Sicile et les Colonna), se trouve dans l'embarras et, en dépit de son caractère hautain, cède bientôt. Les bulles Romana mater (février 1297) et Etsi de statu (en) (juillet 1297) donnent au roi gain de cause. Ce dernier document contient une renonciation formelle aux prétentions émises pour la défense des biens ecclésiastiques contre l'arbitraire des rois dans la décrétale Clericis laicos.
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+ Cependant, en 1302, par la bulle Unam Sanctam, Boniface VIII déclare la supériorité du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel, et par ce biais la supériorité du pape sur les rois, ces derniers étant responsables devant le chef de l'Église.
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+ Philippe le Bel réunit un concile des évêques de France pour condamner le pape, ainsi que des assemblées de nobles et de bourgeois à Paris (précurseurs des états généraux, qui apparaissent pour la première fois sous son règne). Le roi cherche l'appui de tous ses sujets afin de légitimer la lutte qu'il mène contre le pape. Ce dernier menace de l'excommunier et de jeter l'interdit sur le royaume de France.
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+ Fort du soutien de la population et des ecclésiastiques, le roi envoie alors son conseiller (et futur garde des Sceaux), le chevalier Guillaume de Nogaret, avec une petite escorte armée vers l'Italie, dans le but d'arrêter le pape et de le faire juger par un concile. Nogaret est bientôt rejoint par un ennemi personnel de Boniface VIII, Sciarra Colonna, membre de la noblesse romaine, qui lui indique que le pape s'est réfugié à Anagni, résidence d'été du pape, proche de Rome, et fief des Caetani, la famille du pape.
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+ Le 7 septembre 1303, Nogaret et Colonna arrivent à Anagni et trouvent le pape seul dans la grande salle du palais épiscopal des Caetani abandonné par ses partisans. Le vieil homme de 68 ans est assis sur un haut siège, en habit de cérémonie, et ne réagit pas à l'irruption de la troupe armée. En voyant Guillaume de Nogaret et Sciarra Colonna approcher, il incline légèrement la tête et déclare : « Voilà ma tête, voilà mon cou, au moins je mourrai en pape[11] ! »
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+ Guillaume de Nogaret recule, impressionné, tandis que Sciarra Colonna, dans sa haine de Boniface VIII, se serait avancé insolemment et lui aurait, dit-on, donné une gifle avec son gantelet de fer.
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+ Peu de temps après le 9 septembre, la population de la ville d'Anagni se révolte et dégage le pape des mains des Français, mais le souverain pontife tombe malade et meurt un mois plus tard à Rome le 11 octobre 1303.
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+ Cet énorme scandale éclabousse Philippe le Bel, bien qu'il n'en soit pas directement responsable, mais ceux qui ne le savaient pas encore comprennent qu'il vaut mieux ne pas s'opposer au roi de France. D'après Jean-François Chantaraud dans L'État social de la France, cette partie d'échecs remportée par Philippe IV contre le Pape constitue la clé de voûte de la fusion française des pouvoirs temporel et spirituel : dès lors, le chef de l'exécutif détient le monopole de la légitimité à dire le juste et l'État va devenir le producteur des justifications sur lesquelles il fait reposer ses propres décisions.
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+ Après le très court pontificat de Benoît XI, Clément V, archevêque de Bordeaux, est couronné pape à Lyon. Après une longue itinérance, il s'installe dans le Comtat Venaissin. Comptant sur son appui, mais sans lui demander la permission, le roi met en marche l'anéantissement de l'ordre du Temple. Le vendredi 13 octobre 1307, les Templiers sont mis en prison puis torturés pour leur faire admettre l'hérésie dans leur ordre. Le maître de l'ordre, Jacques de Molay, périt sur le bûcher à Paris en 1314 après avoir été déclaré relaps. Selon Geoffroi de Paris, témoin oculaire[12] de l'événement et chroniqueur de l'époque, ses dernières paroles auraient été[12] :
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+ « Je vois ici mon jugement où mourir me convient librement ; Dieu sait qui a tort, qui a péché. Il va bientôt arriver malheur à ceux qui nous ont condamnés à tort : Dieu vengera notre mort. »
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+ Une succession de malheurs touchait alors la famille royale capétienne, dont la plus célèbre reste l'affaire des deux brus adultères du roi (affaire de la tour de Nesle). Marguerite de Bourgogne, capétienne, fille du duc Robert II de Bourgogne (1248-1306) et d'Agnès de France (1260-1325), Jeanne de Bourgogne et Blanche de Bourgogne, toutes deux filles du comte Othon IV de Bourgogne et de la comtesse Mahaut d'Artois, épousent respectivement les rois Louis X, Philippe V le Long et Charles IV le Bel, les trois fils de Philippe le Bel.
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+ Si vous connaissez le sujet dont traite l'article, merci de le reprendre à partir de sources pertinentes en utilisant notamment les notes de fin de page. Vous pouvez également laisser un mot d'explication en page de discussion (modifier l'article).
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+ Philippe le Bel prit, comme plusieurs des rois ses prédécesseurs, une mesure d'expulsion des Juifs du Royaume parce qu'ils pratiquaient l'usure, mais cette fois la mesure sera définitive. Ceux-ci avaient en France le statut d'étrangers résidant avec la permission — et sous la juridiction directe — du roi. Les étrangers, ou aubains, pouvaient posséder des immeubles, mais ils ne pouvaient pas les léguer à leurs héritiers, ceux-ci revenant à leur mort au ban du seigneur, c'est-à-dire au roi en ce qui les concernait. En 1289, Philippe le Bel expulse les Juifs du Poitou. En 1306, il promulgue un édit d'expulsion général dont Juliette Sibon estime qu'il a concerné 100 000 juifs[13]. Ensuite, les droits que leurs communautés avaient sur certains immeubles qui leur avaient été affectés pour leur servir par exemple de synagogues, furent remis en adjudication au profit du trésor royal. On trouve plusieurs exemples de ces adjudications :
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+ Pendant le règne de Philippe le Bel, le domaine royal (voir Domaine de la Couronne) s'est agrandi grâce à la politique d'assujettissement des grands féodaux et aussi :
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+ En avril 1314, année même de la mort de Philippe le Bel, un énorme scandale éclate : Marguerite de Bourgogne, épouse de Louis X, déjà roi de Navarre à la mort de sa mère Jeanne Ire de Navarre, et Blanche de Bourgogne, femme de Charles (futur Charles IV le Bel), sont dénoncées par Isabelle de France (fille de Philippe le Bel et reine consort d'Angleterre) dans l'affaire de la tour de Nesle. Elles auraient trompé leurs maris avec les frères Philippe et Gauthier d'Aunay, tous deux chevaliers de l'hôtel royal. Une enquête est menée et les deux frères avouent, sous la torture, entretenir des relations adultérines avec deux des belles-filles du roi.
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+ Les deux amants sont jugés et condamnés pour rapt d'honneur sur personne de majesté royale ; ils sont exécutés sur-le-champ en place publique à Pontoise : dépecés vivants, leur sexe tranché et jeté aux chiens, ils sont finalement décapités, leurs corps traînés puis pendus par les aisselles au gibet. Une telle cruauté s'explique par l'affront fait à la famille royale, mais aussi par l'atteinte aux institutions du Royaume : cet acte met en péril la dynastie capétienne et le royaume de France. « Quelles auraient été la légitimité et l'autorité d'un futur souverain dont on aurait pu mettre en doute la royale paternité ? »
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+ Les implications politiques sont si graves que le châtiment se doit d'être exemplaire. Marguerite de Bourgogne est condamnée à être tondue et conduite dans un chariot couvert de draps noirs à Château-Gaillard. Occupant une cellule ouverte à tous vents au sommet du donjon, elle y meurt en 1315. Dans Les Rois maudits, Maurice Druon laisse entendre qu'elle fut étranglée afin que son mari, Louis X, puisse se remarier avec Clémence de Hongrie[14], mais ses conditions d'incarcération ne mettent pas en doute une mort d'épuisement.
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+ Blanche de Bourgogne est aussi tondue mais bénéficie d'un « traitement de faveur » : elle est emprisonnée pendant sept ans, puis obtient l'autorisation de prendre l'habit de religieuse. Femme du cadet et non du futur roi de France (du moins, c'est ce que l'on croit, puisque son époux deviendra le roi Charles IV le Bel en 1322), Blanche a donc un traitement moins cruel que sa belle-sœur. Elle devient reine de France en prison le 21 février, jusqu'à ce que la nullité de son mariage soit prononcée le 19 mai par le pape Jean XXII.
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+ Quant à la troisième, la comtesse Jeanne de Bourgogne et d'Artois, femme du futur Philippe V le Long, elle est enfermée à Dourdan pour avoir gardé ce secret. Soutenue par sa mère Mahaut d'Artois, elle se réconcilie avec son mari le roi Philippe le Long et devient reine de France en 1317.
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+ Le 4 novembre 1314, Philippe le Bel rend visite à son oncle le comte Robert de Clermont[réf. nécessaire] et c'est lors d'une partie de chasse en forêt de Pont-Sainte-Maxence (forêt d'Halatte) qu'il fait une chute de cheval. Blessé à la jambe, il « éprouv[e] un saisissement subit, avec impossibilité de prononcer une parole »[15] (un probable accident cérébro-vasculaire, qui frappe également son frère Charles de Valois plus tard, est évoqué sans que l'on puisse dire si cette atteinte cérébrale est antérieure, contemporaine ou consécutive à la chute). Les chroniques du temps se partagent entre l'accident ou la maladie inexplicable[16]. Transporté en bateau à Poissy[15], puis porté en litière à Fontainebleau, il meurt quelques semaines plus tard, à 46 ans, dans la journée du 29 novembre 1314, après 29 années de règne[17],[18]. Il est le premier roi de France qui naît et meurt au Château de Fontainebleau[19].
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+ Son cœur et ses entrailles furent déposés séparément à l'église du prieuré de Poissy, le cœur dans une urne retrouvée le 28 juillet 1687 lors de travaux dans un des caveaux. Philippe reconnaissait ainsi l'importance du prieuré de cette ville, où il était déjà venu plusieurs fois. Il y avait par ailleurs fait bâtir, près de la collégiale, un couvent ouvert en 1304 pour honorer son grand-père Saint-Louis, qui y était né. Philippe offrit par la suite aux religieuses une relique (un bout de la mâchoire du saint), rattachant ainsi ce lieu à sa mémoire, et y fit enterrer son jeune fils Robert. L'endroit où est inhumé le cœur est surmonté d'un gisant réalisé en 1327 et détruit sous la Révolution : il représentait Philippe sur une lame de marbre noir. Couronné, la statue tenait le sceptre dans sa main droite et la main de justice dans sa main gauche, contrairement au gisant de Saint-Denis, où la main de justice n'apparaissait pas. Pour l'historien Alexandre Bande, cela sert à distinguer les deux sépultures : « [la main de justice] était alors assimilée à l'équité, forme la plus élevée de justice, et à la charité, une des valeurs essentielles du cœur du roi : les contemporains pouvaient ainsi déchiffrer aisément ces sépultures et leurs différences »[20].
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+ Son corps sera inhumé dans la basilique de Saint-Denis. Sa sépulture, comme celles des autres princes et dignitaires reposant en ce lieu, sera profanée par les révolutionnaires en octobre 1793. Il s'agissait d'un gisant en marbre blanc, commandé par son fils Charles IV, également en 1327[20].
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+ Il fut le premier roi de France à demander par testament une tripartition de son corps (dilaceratio corporis, « division du corps » en cœur, entrailles et ossements) avec des sépultures multiples[Note 2]. Cette pratique devint à partir du XIIIe siècle un privilège[Note 3] de la dynastie capétienne dans le royaume de France (majoritairement les rois, parfois les reines ou les proches, et ce malgré l'interdiction par une décrétale en 1299 du pape Boniface VIII qui voyait cette pratique se répandre chez certains membres de la Curie romaine[Note 4]) qui permettait la multiplication des cérémonies (funérailles du corps, la plus importante, puis funérailles du cœur et funérailles des entrailles) et des lieux (avec un tombeau de corps, un tombeau de cœur et un tombeau d'entraille, comme les gisants royaux à entrailles de l'abbaye de Maubuisson[21]) où honorer le roi défunt[22].
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+ Les Grandes Chroniques de France signalent que Pierre de Latilly, évêque de Châlons, fut emprisonné un moment en 1315, soupçonné d'avoir empoisonné le roi défunt[23].
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+ Le 14 août 1284, Philippe épouse à l'âge de 16 ans Jeanne Ire de Navarre, comtesse de Champagne et reine de Navarre qui en a 11. La princesse a succédé à son père sur les trônes de Champagne et de Navarre (elle régnera de 1274 à 1305).
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+ De cette union, qui confère au roi le titre de roi de Navarre (Philippe Ier, voir Liste des monarques de Navarre) jusqu'à la mort de la reine en 1305, naissent sept enfants :
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+ Bien que veuf encore jeune (37 ans), Philippe IV ne se remarie pas et restera fidèle au souvenir de son épouse décédée.
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+ La nature même du pouvoir de ce grand souverain reste une énigme : fut-il le jouet de ses ministres ou le premier « roi absolu » ? La plupart des analyses tendent vers la seconde proposition, au vu de sa politique au long terme qui témoigne d'une volonté unique et cohérente (alors qu'il changea souvent de conseillers), et de son caractère intransigeant.
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+ Grâce à l'aide de juristes, il transforme véritablement un État encore féodal en une monarchie moderne où la volonté du roi s'impose à tous, et un impôt national est prélevé sur tout le royaume de France.
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+ Il agrandit également le territoire du Royaume, notamment avec l'annexion de Lille après la signature de la guerre de Flandre.
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+ Ses contemporains le jugent comme étant d'une rare beauté, et son physique tout entier « semblait une vivante image de la grandeur et de la majesté des rois de France » (d'après une chronique médiévale)Interprétation abusive ?.
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+ Philippe IV, dit « le Bel »[1] et « le Roi de fer » (né à Fontainebleau en avril/juin 1268 – mort à Fontainebleau le 29 novembre 1314), fils de Philippe III le Hardi et de sa première épouse Isabelle d'Aragon, est roi de France de 1285 à 1314, onzième roi de la dynastie des Capétiens directs.
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+ Devenu roi à l'âge de dix-sept ans, à la mort de son père en octobre 1285, l'importance de Philippe le Bel dans l'histoire de France est reconnue par les historiens.
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+ Sous son règne, le royaume de France atteignit l'apogée de sa puissance médiévale. Avec entre seize et vingt millions d'habitants[2], c'était l'État le plus peuplé de la Chrétienté, il connaissait une grande prospérité économique, le pouvoir royal se renforce considérablement, si bien qu'on voit dans Philippe IV, entouré de ses « légistes », le premier souverain « moderne » d'un État puissant et centralisé.
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+ Philippe IV eut des difficultés à reprendre la maîtrise des finances de son royaume et à mettre fin aux mutations monétaires. Pour cela, il a cru bon d'abattre l'ordre du Temple qui était devenu une puissance financière internationale, d'expulser les Juifs, de procéder à une dévaluation en rétablissant une monnaie d'or qui restera ferme pendant plus d'un siècle. À la fin du règne, les foires champenoises sont concurrencées par le commerce maritime direct de l'Europe du Nord avec l'Italie.
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+ Plusieurs affaires marquent le règne de Philippe IV. Le procès de l'évêque de Troyes, Guichard, accusé d'avoir tué la reine par sorcellerie, le procès de l'évêque de Pamiers, Bernard Saisset, qui ne fit qu'aggraver les démêlés du roi avec le Saint-Siège, l'affaire de la tour de Nesle (l'emprisonnement des brus du roi et l'exécution de leurs amants), mais surtout le célèbre procès des Templiers.
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+ Philippe le Bel est appréhendé comme n'étant plus un souverain « classique » du Moyen Âge. Bien qu'il ait été reconnu comme un roi pieux et que son gouvernement ait continué l'évolution vers la centralisation de l'État amorcée un siècle plus tôt, bien qu'il ait eu une révération particulière pour son grand-père Louis IX dont il obtint la canonisation en 1297, Philippe IV apparaît comme un roi symbole d'une rupture avec le passé, particulièrement sur les liens entretenus entre les rois de France et la papauté. Ses contemporains déplorèrent les détériorations survenues depuis « le temps de monseigneur Saint-Louis », considéré comme un âge d'or. On pressentait ainsi un roi d'un nouveau type, annonciateur d'une autre époque.
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+ Philippe IV le Bel est le second fils de Philippe III le Hardi, après Louis (1264-1276). Il a deux frères cadets, Robert (1269 - av. 1276) et Charles, comte de Valois.
18
+ Par le remariage de son père, il a, en outre, trois autres demi-frères et demi-sœurs : Louis, comte d'Évreux, Marguerite qui épouse en 1299 Édouard Ier, roi d'Angleterre, et Blanche (1278-1306), qui épouse en 1300 Rodolphe III d'Autriche, duc d'Autriche.
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20
+ Son père confie une partie de l'éducation du jeune Philippe à Guillaume d'Ercuis, son aumônier. À la différence de son père, Philippe le Bel reçoit par le soin de son précepteur une bonne éducation[3]. Il comprend le latin et aime étudier.
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22
+ Surnommé par ses ennemis tout comme par ses admirateurs le « roi de marbre » ou « roi de fer », il se démarque par sa personnalité rigide et sévère. L'un de ses plus farouches opposants, l'évêque de Pamiers Bernard Saisset, dit d'ailleurs de lui : « Notre roi ressemble au duc, le plus beau des oiseaux, et qui ne vaut rien ; c’est le plus bel homme du monde, mais il ne sait que regarder les gens fixement sans parler. »[4] Philippe le Bel est un roi qui soulève au cours de son règne beaucoup de polémiques, le même Bernard Saisset le traitant par exemple de « faux-monnayeur ».
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24
+ Le roi Philippe III meurt le 5 octobre 1285 à 40 ans, après quinze années de règne. Philippe devient alors le nouveau souverain et succède à son père, à l'âge de 17 ans, sous le nom de Philippe IV.
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+
26
+ Le 6 janvier 1286, en la cathédrale de Reims, Philippe IV le Bel est sacré et couronné par l'archevêque Pierre Barbet.
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28
+ Sous le règne de Philippe IV, les traditions féodales sont abandonnées pour mettre en place une administration moderne. Mais la centralisation monarchique mécontente les grands seigneurs et les nouveaux impôts dressent les bourgeois contre le pouvoir royal.
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+
30
+ À l'aide de juristes, notamment de son fidèle collaborateur Guillaume de Nogaret, Philippe IV transforme un État encore féodal en une monarchie moderne où la volonté du roi s'impose à tous (où par exemple la justice royale prévaut), et un impôt national est prélevé sur tout le royaume de France.
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32
+ Son règne est particulièrement agité sur le plan monétaire. Le roi et ses conseillers multiplient les émissions de nouvelles monnaies. Aux dévaluations succèdent les réévaluations, qui donnent un sentiment d'incohérence de la politique royale. Ces mutations monétaires aboutissent à un mécontentement général dans le Royaume. Entre 1306 et sa mort, le roi fait face à des émeutes populaires mais aussi à des ligues nobiliaires qui exigent, entre autres, le retour à la bonne monnaie.
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+ Dans la pratique, le roi ne contrôle pas tous les paramètres de la politique monétaire. Les assemblées de prélats et de barons, convoquées périodiquement au début du XIVe siècle pour donner leur avis sur la question monétaire, réclament toutes le retour à la bonne monnaie de Saint Louis, quelque peu idéalisée. Il est vrai que la politique monétaire de Philippe le Bel est très instable. Le système monétaire a été bouleversé de fond en comble. Cette situation, qui n'avait pas de précédent historique, contraste fortement avec les pratiques monétaires de ses prédécesseurs, Saint Louis et Philippe le Hardi, dont les monnayages sont alors considérés comme des modèles de stabilité. Pour l'opinion publique, le résultat des mutations est facile à comprendre : bien que le roi agisse selon son bon droit, toute transformation de la monnaie est assimilée à un abus déloyal, voire à une falsification pure et simple.
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+ Par ailleurs, le règne de Philippe le Bel se traduit par une période de changements majeurs. L'innovation la plus remarquable de cette période est sans doute l'apparition durable d'émissions de monnaies d'or. Le retour à un vrai bimétallisme s'est accompagné de sévères crises monétaires, attisées par la spéculation internationale, la concurrence des monnaies seigneuriales et les incohérences du système monétaire. La carence en métaux précieux provoque une forte dévaluation de la monnaie de compte, qui se traduit dans la pratique par de nombreuses émissions de nouvelles monnaies. L'inflation, provoquée par ces mutations, mécontente la noblesse, les bourgeois des bonnes villes et l'Église qui voient leurs revenus diminuer considérablement. Des réévaluations des pièces d'argent et de billon sont tentées mais leur résultat est plus que mitigé : des émeutes populaires éclatent, et surtout, l'argent finit par ne plus être monnayé, car son prix d'achat est fixé trop bas. Le roi, après avoir tenté en vain de stabiliser sa monnaie, se trouve dans une position politique difficile. À la fin de son règne, il doit affronter la fronde d'une partie de ses sujets.
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+ Pour assainir les finances et acheter le Quercy aux Anglais contre une rente de 3 000 livres, il s'attaque à ceux qui ont de l'argent, y compris aux religieux de l'Église catholique, aux Lombards, aux Juifs (« Don de joyeux avènement » en 1285[5]) et aux Templiers.
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+ Pour pallier ses difficultés financières, il établit des impôts réguliers, taxant lourdement les Juifs et les Lombards, confisquant parfois leurs biens, et pratique les dévaluations monétaires. Il conserve les richesses monétaires de l'ordre des Templiers après l'avoir dissout. Il centralise également le pouvoir royal. La dure crise économique que subit le royaume de France sous son règne provoque de vastes mouvements de révoltes de la part du peuple mais aussi des nobles et de l'aristocratie. Pour contrer ces graves difficultés économiques, il altère le cours de la monnaie.
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+ Philippe IV s'entoure de légistes, des conseillers compétents qui jouent un rôle décisif dans sa politique. Les légistes appartiennent pour la plupart, au début, à la petite noblesse puis à la bourgeoisie ou à la noblesse de robe. Les légistes, apparus sous Philippe Auguste, sont formés au droit romain pour faire évoluer une monarchie féodale, où les pouvoirs du roi sont limités par ses vassaux, vers une monarchie absolue. Il termine cette centralisation commencée par son grand-père, Louis IX, mais ce système sera remis en cause par les Valois directs. Outre les légistes, le roi est entouré de ses héritiers et de sa famille.
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+ L'administration du Royaume, limitée à la cour du roi chez ses prédécesseurs, se spécialise en trois sections sous le règne de Philippe le Bel :
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+ Ces transformations rendirent Philippe le Bel très impopulaire dans toutes les couches de la société.
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+ Philippe IV a aussi créé l'embryon des états généraux, en ordonnant la tenue d'assemblées formées de représentants des trois ordres : le clergé, la noblesse et la bourgeoisie. Ces assemblées, très peu réunies, seulement lors de crises, n'avaient pas beaucoup de pouvoir, leur rôle n'étant que d'approuver les propositions du roi et de ses conseillers.
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+
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+ Sous le règne de Philippe IV, la France abandonna ses traditions féodales pour devenir un État avec une administration moderne. Mais la centralisation monarchique mécontenta les grands seigneurs, les nouveaux impôts dressèrent les bourgeois contre le pouvoir, et les paysans, accablés de taxes diverses, se révoltèrent.
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+ Philippe IV le Bel profite d'un incident pour confirmer sa suzeraineté sur le duché de Guyenne gouverné par le roi d'Angleterre Edouard Ier, ce qui provoque un conflit militaire opposant les deux royaumes rivaux de 1294 à 1297. Il se traduit notamment par l'occupation française de Bordeaux, capitale de la Guyenne, jusqu'en 1303, soldée par le traité de Paris qui rétablit la situation antérieure, les Plantagenêt reprenant possession de leur fief, à la grande satisfaction des Bordelais[Qui ?].
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+
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+ Cet affrontement franco-anglais est l'un des prémices de la guerre de Cent Ans (1337-1453).
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+ Lorsque le comte de Flandre, Gui de Dampierre, allié à Édouard Ier (roi d'Angleterre), rompit son hommage de vassal au roi de France en 1297, Philippe IV mobilisa 70 000 hommes pour envahir son comté. Cette rivalité avec le roi d'Angleterre pousse le roi à développer le premier arsenal de marine aux Clos aux galées et à se doter d'une flotte de guerre. Après l'abandon du projet d'invasion de l'Angleterre, Philippe IV tourne son armée contre les Flamands révoltés.
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+ Après une conquête relativement facile, prise de Lille en 1297, de Courtrai, Furnes, Bergues et Bruges, une trêve fut signée en 1300 aux termes de laquelle Philippe IV conservait ces conquêtes. Philippe subit ensuite deux échecs en 1302 avant d'être finalement victorieux des Flamands :
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+
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+ À l'issue de ce conflit, Lille et la Flandre wallonne restèrent dans le royaume de France jusqu'en 1369.
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+ En 1289, Arghoun, khan des Mongols ilkhanides, gouvernant la Perse, envoie un message à Philippe le Bel lui demandant son alliance contre les Mamelouks et les Kiptchaks, l'année suivante il fait la même demande au pape Nicolas IV. Cette demande d'alliance reste sans réponse de la part de Philippe le Bel.
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+
63
+ Le règne de Philippe IV le Bel est marqué par ses différends avec le pape Boniface VIII, dont le point central est le droit que s'attribue le roi de France d'imposer les biens de l'Église situés dans son royaume, la France. Ce que va contester le Pape, soucieux de conserver la force du principe de pré-éminence du pape sur les rois, du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel. La décrétale Clericis laicos du 24 février 1296 est le point de départ. Boniface VIII, qui a alors d'autres préoccupations (conflits avec les Aragonais de Sicile et les Colonna), se trouve dans l'embarras et, en dépit de son caractère hautain, cède bientôt. Les bulles Romana mater (février 1297) et Etsi de statu (en) (juillet 1297) donnent au roi gain de cause. Ce dernier document contient une renonciation formelle aux prétentions émises pour la défense des biens ecclésiastiques contre l'arbitraire des rois dans la décrétale Clericis laicos.
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+
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+ Cependant, en 1302, par la bulle Unam Sanctam, Boniface VIII déclare la supériorité du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel, et par ce biais la supériorité du pape sur les rois, ces derniers étant responsables devant le chef de l'Église.
66
+ Philippe le Bel réunit un concile des évêques de France pour condamner le pape, ainsi que des assemblées de nobles et de bourgeois à Paris (précurseurs des états généraux, qui apparaissent pour la première fois sous son règne). Le roi cherche l'appui de tous ses sujets afin de légitimer la lutte qu'il mène contre le pape. Ce dernier menace de l'excommunier et de jeter l'interdit sur le royaume de France.
67
+
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+ Fort du soutien de la population et des ecclésiastiques, le roi envoie alors son conseiller (et futur garde des Sceaux), le chevalier Guillaume de Nogaret, avec une petite escorte armée vers l'Italie, dans le but d'arrêter le pape et de le faire juger par un concile. Nogaret est bientôt rejoint par un ennemi personnel de Boniface VIII, Sciarra Colonna, membre de la noblesse romaine, qui lui indique que le pape s'est réfugié à Anagni, résidence d'été du pape, proche de Rome, et fief des Caetani, la famille du pape.
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+
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+ Le 7 septembre 1303, Nogaret et Colonna arrivent à Anagni et trouvent le pape seul dans la grande salle du palais épiscopal des Caetani abandonné par ses partisans. Le vieil homme de 68 ans est assis sur un haut siège, en habit de cérémonie, et ne réagit pas à l'irruption de la troupe armée. En voyant Guillaume de Nogaret et Sciarra Colonna approcher, il incline légèrement la tête et déclare : « Voilà ma tête, voilà mon cou, au moins je mourrai en pape[11] ! »
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+
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+ Guillaume de Nogaret recule, impressionné, tandis que Sciarra Colonna, dans sa haine de Boniface VIII, se serait avancé insolemment et lui aurait, dit-on, donné une gifle avec son gantelet de fer.
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+ Peu de temps après le 9 septembre, la population de la ville d'Anagni se révolte et dégage le pape des mains des Français, mais le souverain pontife tombe malade et meurt un mois plus tard à Rome le 11 octobre 1303.
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+
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+ Cet énorme scandale éclabousse Philippe le Bel, bien qu'il n'en soit pas directement responsable, mais ceux qui ne le savaient pas encore comprennent qu'il vaut mieux ne pas s'opposer au roi de France. D'après Jean-François Chantaraud dans L'État social de la France, cette partie d'échecs remportée par Philippe IV contre le Pape constitue la clé de voûte de la fusion française des pouvoirs temporel et spirituel : dès lors, le chef de l'exécutif détient le monopole de la légitimité à dire le juste et l'État va devenir le producteur des justifications sur lesquelles il fait reposer ses propres décisions.
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+ Après le très court pontificat de Benoît XI, Clément V, archevêque de Bordeaux, est couronné pape à Lyon. Après une longue itinérance, il s'installe dans le Comtat Venaissin. Comptant sur son appui, mais sans lui demander la permission, le roi met en marche l'anéantissement de l'ordre du Temple. Le vendredi 13 octobre 1307, les Templiers sont mis en prison puis torturés pour leur faire admettre l'hérésie dans leur ordre. Le maître de l'ordre, Jacques de Molay, périt sur le bûcher à Paris en 1314 après avoir été déclaré relaps. Selon Geoffroi de Paris, témoin oculaire[12] de l'événement et chroniqueur de l'époque, ses dernières paroles auraient été[12] :
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+
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+ « Je vois ici mon jugement où mourir me convient librement ; Dieu sait qui a tort, qui a péché. Il va bientôt arriver malheur à ceux qui nous ont condamnés à tort : Dieu vengera notre mort. »
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+ Une succession de malheurs touchait alors la famille royale capétienne, dont la plus célèbre reste l'affaire des deux brus adultères du roi (affaire de la tour de Nesle). Marguerite de Bourgogne, capétienne, fille du duc Robert II de Bourgogne (1248-1306) et d'Agnès de France (1260-1325), Jeanne de Bourgogne et Blanche de Bourgogne, toutes deux filles du comte Othon IV de Bourgogne et de la comtesse Mahaut d'Artois, épousent respectivement les rois Louis X, Philippe V le Long et Charles IV le Bel, les trois fils de Philippe le Bel.
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+
84
+ Si vous connaissez le sujet dont traite l'article, merci de le reprendre à partir de sources pertinentes en utilisant notamment les notes de fin de page. Vous pouvez également laisser un mot d'explication en page de discussion (modifier l'article).
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+
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+ Philippe le Bel prit, comme plusieurs des rois ses prédécesseurs, une mesure d'expulsion des Juifs du Royaume parce qu'ils pratiquaient l'usure, mais cette fois la mesure sera définitive. Ceux-ci avaient en France le statut d'étrangers résidant avec la permission — et sous la juridiction directe — du roi. Les étrangers, ou aubains, pouvaient posséder des immeubles, mais ils ne pouvaient pas les léguer à leurs héritiers, ceux-ci revenant à leur mort au ban du seigneur, c'est-à-dire au roi en ce qui les concernait. En 1289, Philippe le Bel expulse les Juifs du Poitou. En 1306, il promulgue un édit d'expulsion général dont Juliette Sibon estime qu'il a concerné 100 000 juifs[13]. Ensuite, les droits que leurs communautés avaient sur certains immeubles qui leur avaient été affectés pour leur servir par exemple de synagogues, furent remis en adjudication au profit du trésor royal. On trouve plusieurs exemples de ces adjudications :
87
+
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+ Pendant le règne de Philippe le Bel, le domaine royal (voir Domaine de la Couronne) s'est agrandi grâce à la politique d'assujettissement des grands féodaux et aussi :
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+
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+ En avril 1314, année même de la mort de Philippe le Bel, un énorme scandale éclate : Marguerite de Bourgogne, épouse de Louis X, déjà roi de Navarre à la mort de sa mère Jeanne Ire de Navarre, et Blanche de Bourgogne, femme de Charles (futur Charles IV le Bel), sont dénoncées par Isabelle de France (fille de Philippe le Bel et reine consort d'Angleterre) dans l'affaire de la tour de Nesle. Elles auraient trompé leurs maris avec les frères Philippe et Gauthier d'Aunay, tous deux chevaliers de l'hôtel royal. Une enquête est menée et les deux frères avouent, sous la torture, entretenir des relations adultérines avec deux des belles-filles du roi.
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+ Les deux amants sont jugés et condamnés pour rapt d'honneur sur personne de majesté royale ; ils sont exécutés sur-le-champ en place publique à Pontoise : dépecés vivants, leur sexe tranché et jeté aux chiens, ils sont finalement décapités, leurs corps traînés puis pendus par les aisselles au gibet. Une telle cruauté s'explique par l'affront fait à la famille royale, mais aussi par l'atteinte aux institutions du Royaume : cet acte met en péril la dynastie capétienne et le royaume de France. « Quelles auraient été la légitimité et l'autorité d'un futur souverain dont on aurait pu mettre en doute la royale paternité ? »
92
+
93
+ Les implications politiques sont si graves que le châtiment se doit d'être exemplaire. Marguerite de Bourgogne est condamnée à être tondue et conduite dans un chariot couvert de draps noirs à Château-Gaillard. Occupant une cellule ouverte à tous vents au sommet du donjon, elle y meurt en 1315. Dans Les Rois maudits, Maurice Druon laisse entendre qu'elle fut étranglée afin que son mari, Louis X, puisse se remarier avec Clémence de Hongrie[14], mais ses conditions d'incarcération ne mettent pas en doute une mort d'épuisement.
94
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+ Blanche de Bourgogne est aussi tondue mais bénéficie d'un « traitement de faveur » : elle est emprisonnée pendant sept ans, puis obtient l'autorisation de prendre l'habit de religieuse. Femme du cadet et non du futur roi de France (du moins, c'est ce que l'on croit, puisque son époux deviendra le roi Charles IV le Bel en 1322), Blanche a donc un traitement moins cruel que sa belle-sœur. Elle devient reine de France en prison le 21 février, jusqu'à ce que la nullité de son mariage soit prononcée le 19 mai par le pape Jean XXII.
96
+
97
+ Quant à la troisième, la comtesse Jeanne de Bourgogne et d'Artois, femme du futur Philippe V le Long, elle est enfermée à Dourdan pour avoir gardé ce secret. Soutenue par sa mère Mahaut d'Artois, elle se réconcilie avec son mari le roi Philippe le Long et devient reine de France en 1317.
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+ Le 4 novembre 1314, Philippe le Bel rend visite à son oncle le comte Robert de Clermont[réf. nécessaire] et c'est lors d'une partie de chasse en forêt de Pont-Sainte-Maxence (forêt d'Halatte) qu'il fait une chute de cheval. Blessé à la jambe, il « éprouv[e] un saisissement subit, avec impossibilité de prononcer une parole »[15] (un probable accident cérébro-vasculaire, qui frappe également son frère Charles de Valois plus tard, est évoqué sans que l'on puisse dire si cette atteinte cérébrale est antérieure, contemporaine ou consécutive à la chute). Les chroniques du temps se partagent entre l'accident ou la maladie inexplicable[16]. Transporté en bateau à Poissy[15], puis porté en litière à Fontainebleau, il meurt quelques semaines plus tard, à 46 ans, dans la journée du 29 novembre 1314, après 29 années de règne[17],[18]. Il est le premier roi de France qui naît et meurt au Château de Fontainebleau[19].
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+
101
+ Son cœur et ses entrailles furent déposés séparément à l'église du prieuré de Poissy, le cœur dans une urne retrouvée le 28 juillet 1687 lors de travaux dans un des caveaux. Philippe reconnaissait ainsi l'importance du prieuré de cette ville, où il était déjà venu plusieurs fois. Il y avait par ailleurs fait bâtir, près de la collégiale, un couvent ouvert en 1304 pour honorer son grand-père Saint-Louis, qui y était né. Philippe offrit par la suite aux religieuses une relique (un bout de la mâchoire du saint), rattachant ainsi ce lieu à sa mémoire, et y fit enterrer son jeune fils Robert. L'endroit où est inhumé le cœur est surmonté d'un gisant réalisé en 1327 et détruit sous la Révolution : il représentait Philippe sur une lame de marbre noir. Couronné, la statue tenait le sceptre dans sa main droite et la main de justice dans sa main gauche, contrairement au gisant de Saint-Denis, où la main de justice n'apparaissait pas. Pour l'historien Alexandre Bande, cela sert à distinguer les deux sépultures : « [la main de justice] était alors assimilée à l'équité, forme la plus élevée de justice, et à la charité, une des valeurs essentielles du cœur du roi : les contemporains pouvaient ainsi déchiffrer aisément ces sépultures et leurs différences »[20].
102
+
103
+ Son corps sera inhumé dans la basilique de Saint-Denis. Sa sépulture, comme celles des autres princes et dignitaires reposant en ce lieu, sera profanée par les révolutionnaires en octobre 1793. Il s'agissait d'un gisant en marbre blanc, commandé par son fils Charles IV, également en 1327[20].
104
+
105
+ Il fut le premier roi de France à demander par testament une tripartition de son corps (dilaceratio corporis, « division du corps » en cœur, entrailles et ossements) avec des sépultures multiples[Note 2]. Cette pratique devint à partir du XIIIe siècle un privilège[Note 3] de la dynastie capétienne dans le royaume de France (majoritairement les rois, parfois les reines ou les proches, et ce malgré l'interdiction par une décrétale en 1299 du pape Boniface VIII qui voyait cette pratique se répandre chez certains membres de la Curie romaine[Note 4]) qui permettait la multiplication des cérémonies (funérailles du corps, la plus importante, puis funérailles du cœur et funérailles des entrailles) et des lieux (avec un tombeau de corps, un tombeau de cœur et un tombeau d'entraille, comme les gisants royaux à entrailles de l'abbaye de Maubuisson[21]) où honorer le roi défunt[22].
106
+
107
+ Les Grandes Chroniques de France signalent que Pierre de Latilly, évêque de Châlons, fut emprisonné un moment en 1315, soupçonné d'avoir empoisonné le roi défunt[23].
108
+
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+ Le 14 août 1284, Philippe épouse à l'âge de 16 ans Jeanne Ire de Navarre, comtesse de Champagne et reine de Navarre qui en a 11. La princesse a succédé à son père sur les trônes de Champagne et de Navarre (elle régnera de 1274 à 1305).
110
+
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+ De cette union, qui confère au roi le titre de roi de Navarre (Philippe Ier, voir Liste des monarques de Navarre) jusqu'à la mort de la reine en 1305, naissent sept enfants :
112
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+ Bien que veuf encore jeune (37 ans), Philippe IV ne se remarie pas et restera fidèle au souvenir de son épouse décédée.
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+
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+ La nature même du pouvoir de ce grand souverain reste une énigme : fut-il le jouet de ses ministres ou le premier « roi absolu » ? La plupart des analyses tendent vers la seconde proposition, au vu de sa politique au long terme qui témoigne d'une volonté unique et cohérente (alors qu'il changea souvent de conseillers), et de son caractère intransigeant.
116
+
117
+ Grâce à l'aide de juristes, il transforme véritablement un État encore féodal en une monarchie moderne où la volonté du roi s'impose à tous, et un impôt national est prélevé sur tout le royaume de France.
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+ Il agrandit également le territoire du Royaume, notamment avec l'annexion de Lille après la signature de la guerre de Flandre.
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+ Ses contemporains le jugent comme étant d'une rare beauté, et son physique tout entier « semblait une vivante image de la grandeur et de la majesté des rois de France » (d'après une chronique médiévale)Interprétation abusive ?.
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+ Philippe Noiret est un acteur français, né le 1er octobre 1930 à Lille et mort le 23 novembre 2006 à Paris.
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+ Considéré comme l'un des grands acteurs du cinéma français, il a reçu deux César du meilleur acteur : en 1976 pour Le Vieux fusil et en 1990 pour La Vie et rien d'autre.
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+ Philippe Noiret est issu d'une famille de la petite bourgeoisie provinciale. Son père, Pierre Georges Noiret, descendant d'une vieille souche picarde, est vendeur de faux-cols dans une grande maison de confection, les Établissements Sigrand[1]. Mais il est aussi passionné de littérature, de textes d'auteurs et de poésie. Sa mère, Lucy Clémence Ghislaine Heirman, d'origine belge, est femme au foyer. Dans son enfance, Philippe reçoit une éducation catholique[2].
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+ Après de multiples déplacements (Lille, Boulogne-sur-Mer, Berck, Lyon et même le Maroc entre 1936 et 1938), Philippe Noiret passe son enfance à Toulouse en Midi-Pyrénées, région à laquelle il est resté très attaché. Il possédait une maison traditionnelle, où il se ressourçait régulièrement lorsqu'il ne travaillait pas et où il cultivait sa passion de l'élevage de chevaux à Montréal dans l’Aude, à vingt kilomètres à l'ouest de Carcassonne. C'est dans les environs de sa propriété que l'ultime scène du film La Vie et rien d'autre de Bertrand Tavernier a été tournée, scène dans laquelle son personnage se promène à travers la campagne.
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+ Il étudie au lycée Janson-de-Sailly dans le 16e arrondissement de Paris, d'où il est exclu, puis, en septembre 1945, au collège de Juilly en Seine-et-Marne. Vivant mal son état de cancre, il chante à la chorale de la Cigale, filiale des Petits Chanteurs à la Croix de Bois, avec laquelle il se produira à la Basilique Saint-Pierre de Rome à Pâques en 1949. Il enregistre aussi un disque comme chanteur sous la direction de François Vercken.
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+ Au pensionnat, à l'imitation de camarades d'ascendance aristocratique, il obtient pour présent de ses parents, qui vendent leurs alliances pour la lui payer, une chevalière armoriée. C'est également au collège de Juilly que l'un de ses professeurs, père oratorien, lui révèle sa vocation de comédien. Afin de tester ses aptitudes, le Père Louis Bouyer lui propose de mettre en scène des pièces de théâtre, invitant Julien Green et Marcel Jouhandeau aux représentations. Ces deux derniers écrivains confirment le potentiel de Philippe Noiret pour le métier de comédien[3].
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+ En 1949, ayant échoué trois fois au baccalauréat, il abandonne ses études et s'inscrit aux cours d'art dramatique de Roger Blin à Paris, à l'association de l'Éducation par le jeu dramatique (EPJD), fondée par Jean-Marie Conty. Puis il se forme au Centre dramatique de l'Ouest, où il rencontre Jean-Pierre Darras[4].
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17
+ En 1953, Philippe Noiret entre au Théâtre national populaire (TNP) après une audition devant Gérard Philipe, Jean Vilar étant absent[5]. Durant sept ans, il connaît la vie de troupe de théâtre, interprétant plus de quarante rôles des grands classiques (Le Cid de Pierre Corneille en 1953, Macbeth de William Shakespeare en 1954, Dom Juan de Molière en 1955, Le Mariage de Figaro de Beaumarchais en 1956, Le Malade imaginaire en 1957 ou L'École des femmes de Molière en 1958). Avec la troupe, il se produit notamment au Théâtre national de Chaillot et au Festival d'Avignon, créé par Jean Vilar.
18
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19
+ Il quitte le TNP en 1960 pour jouer dans la pièce de théâtre Château en Suède de Françoise Sagan, sous la direction d'André Barsacq, au Théâtre de l'Atelier. Dans le même temps, il interprète avec succès au cabaret un duo comique d'actualité politique avec Jean-Pierre Darras (à l'Écluse, aux Trois Baudets, à la Villa d'Este et à l'Échelle de Jacob). À travers leurs personnages de Louis XIV et de Jean Racine, les deux comédiens se moquent de la politique du général de Gaulle et de Michel Debré ou d'André Malraux.
20
+
21
+ De plus en plus sollicité par le cinéma à partir des années 1960, il abandonne le théâtre pendant trente ans, jusqu'à son retour en 1997 dans Les Côtelettes de Bertrand Blier, où il joue le rôle « d'un pauvre mec de gauche qui se retrouve en train de glisser à droite »[6]. La pièce est jugée sévèrement par la critique, mais est un succès public.
22
+
23
+ S'ensuivent L'Homme du hasard de Yasmina Reza aux côtés de Catherine Rich en 2001, Les Contemplations en 2002 où, seul en scène, il se livre à la lecture du texte de Victor Hugo, et enfin Love Letters (en) d'Albert Ramsdell Gurney (en) avec Anouk Aimée en 2005, correspondance épistolaire de deux personnages durant toute leur vie. Ces pièces sont autant de succès critiques et publics.
24
+
25
+ Formé au théâtre, Philippe Noiret n'envisageait pas à ses débuts de faire une carrière au cinéma[note 1]. Il fait une première figuration dans le film Olivia (1951) : on peut l'apercevoir très brièvement en arrière-plan dans la scène du salon de thé[7].
26
+
27
+ Sa première véritable expérience cinématographique a lieu en 1955, dans la première réalisation d'Agnès Varda, La Pointe Courte. À la dernière minute, il prend la place de Georges Wilson, tombé malade. Il est alors très marqué de se voir pour la première fois à l’écran (marchant de dos), ressentant un certain malaise du fait de son physique, malaise qu'il surmontera lorsqu'il tournera avec Jean Gabin[8].
28
+
29
+ Il retrouve le grand écran cinq ans plus tard, avec le rôle de l'oncle Gabriel de Zazie dans le métro de Louis Malle (1960). Cependant, son incursion au cinéma est lente. Alors que le paysage cinématographique est marqué par le mouvement de la Nouvelle Vague, il tourne sous la direction de réalisateurs de l'ancienne génération (comme Jean Delannoy, René Clair, Pierre Gaspard-Huit ou Jean-Paul Le Chanois), dans des films plutôt mineurs de leurs filmographies, le plus souvent dans des seconds rôles. Parallèlement, il commence une carrière internationale sous la direction de réalisateurs comme Peter Ustinov, William Klein ou Vittorio De Sica.
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+ Après un rôle dur dans Thérèse Desqueyroux de Georges Franju en 1962, il se fait remarquer en 1966 dans La Vie de château de Jean-Paul Rappeneau (Prix Louis-Delluc 1966). En 1968, sa carrière prend un nouvel essor avec Alexandre le bienheureux d'Yves Robert. Il obtient les faveurs de la presse et du public pour son rôle de cultivateur soumis à de rudes journées et ayant soudainement décidé d'arrêter de travailler. Le film sort quelques mois avant les événements de mai 68 et les idées libertaires du personnage contribuent à son succès auprès du public.
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+ En 1969, il tourne avec Alfred Hitchcock dans le film d'espionnage L'Étau, au sein d’une distribution composée de comédiens français, notamment Dany Robin, Claude Jade, Michel Subor et Michel Piccoli.
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+ La fin des années 1960 est ponctuée de films tournés à l'étranger et d'échecs retentissants (Clérambard en 1969 ou Les Caprices de Marie en 1970).
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+ Le second film charnière de la carrière de Philippe Noiret est La Vieille fille de Jean-Pierre Blanc, tourné en 1971. Avec l'immense succès remporté par La Vieille fille, il s'implante définitivement dans le paysage cinématographique français, en confortant sa popularité auprès du public. Toujours en 1971, il tourne La Guerre de Murphy (Murphy's War), film de guerre britannique réalisé par Peter Yates avec Peter O'Toole dans lequel il interprète un ingénieur français travaillant pour une compagnie pétrolière dans les derniers jours de la Seconde Guerre mondiale au Venezuela.
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+ Tout au long de sa carrière, Philippe Noiret a fait preuve d’éclectisme dans ses choix, lui permettant de s’imposer aussi bien dans la comédie que dans le drame ou les films noirs. Sa femme, Monique Chaumette, a été une précieuse conseillère[8]. De même, n'ayant pas le physique de jeune premier, il interprète des personnages de « Monsieur Tout-le-Monde », tout en jouant avec son image. Il est sollicité pour des rôles de personnages odieux comme il avait déjà joué dans La Porteuse de pain (1963), pour des films avec une dimension engagée (comme Trois frères en 1980, interprétant un juge menacé de mort par les Brigades rouges ou Les Lunettes d'or en 1987, avec le rôle d'un homosexuel à l'époque fasciste). On lui refuse le rôle de Porthos au cinéma car « le metteur en scène ne l'a pas trouvé assez grand et a pensé qu'il n'avait pas l'humour du personnage »[9]. Ou encore, il n'hésite pas à accepter des rôles controversés. Ce fut le cas avec La Grande Bouffe de Marco Ferreri aux côtés de Marcello Mastroianni, Michel Piccoli, Ugo Tognazzi et son épouse Monique Chaumette. Ce film délirant, où un groupe d'amis quinquagénaires, désabusés de la vie, décident de se suicider collectivement dans une dernière orgie en se gavant de nourriture et de sexe, provoque un scandale au Festival de Cannes 1973.
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+ Par ailleurs, production franco-italienne, La Grande Bouffe lui ouvre les portes d'une carrière en Italie. Ainsi, dès 1973 il retrouve Marco Ferreri pour Touche pas à la femme blanche. Puis il tourne notamment Mes chers amis de Mario Monicelli (1975), dont l'énorme succès le fait définitivement adopter par le public italien et dont il tournera la suite en 1982 (Mes chers amis 2), Le Désert des Tartares de Valerio Zurlini en 1976, Trois frères de Francesco Rosi en 1980, La Famille d'Ettore Scola en 1986, Les Lunettes d'or de Giuliano Montaldo en 1987, puis Cinema Paradiso de Giuseppe Tornatore en 1988 ou Le Facteur de Michael Radford en 1994. Au total, il tournera une vingtaine de films outre Alpes.
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+ De même, les années 1970 sont marquées par sa rencontre importante avec le réalisateur Bertrand Tavernier. Comme il avait tourné dans Poil de carotte (1973), premier film d’Henri Graziani, Philippe Noiret s’attache à tourner avec les réalisateurs se lançant dans leur première œuvre. Il aide ainsi Tavernier à monter son premier film, L'Horloger de Saint-Paul (1974), et devient un de ses comédiens fétiches marqué par une longue collaboration et une grande complicité (il a été le témoin de mariage de Bertrand Tavernier).
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+ Après cette première expérience de L'Horloger de Saint-Paul, ils tournent encore sept films ensemble : Que la fête commence (1975), Le Juge et l'Assassin (1976), Coup de torchon (1981), La Vie et rien d'autre (1989) et La Fille de d'Artagnan (1994), films dans lesquels il endosse les premiers rôles ; et il effectue quelques participations amicales, d'une part dans Une semaine de vacances (1981) où il reprend son personnage de L'Horloger de Saint-Paul (le temps d'une scène, ce dernier évoque les événements relatés dans le film précédent et présente un personnage plus apaisé ayant tiré des leçons de la vie) et d'autre part, dans Autour de minuit (1986). De plus, La Mort en direct (1980) aurait pu porter à neuf le nombre de leur collaboration, puisque Philippe Noiret devait interpréter le rôle du mari de Romy Schneider. Cependant, absent des plateaux de cinéma pour cause de santé, il est remplacé par Max von Sydow.
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+ Le 3 avril 1976, il obtient son premier César du meilleur acteur pour son rôle dans Le Vieux Fusil de Robert Enrico. Il prend le rôle d’un médecin qui venge la mort de sa femme et sa fille, sauvagement assassinées par des soldats SS, à la fin de l'Occupation allemande. Le film remporte un énorme succès[10], et avec ce personnage fou de douleur face à la mort de sa femme interprétée par Romy Schneider, il impose l'image d'homme séduisant. Le face-à-face avec Romy Schneider, marquée par la vie, et malgré des débuts délicats, se révèle finalement une belle rencontre humaine entre les deux acteurs et donnera lieu à de grands moments de cinéma (notamment lors de la séquence tournée à La Closerie des Lilas qui relate la rencontre entre Julien Dandieu et celle qui deviendra l'épouse adorée du personnage. Il lui déclare de but en blanc qu'il l'aime et qu'il désire l'épouser après l'avoir regardée en silence)[8]. Il retrouve par la suite des personnages charmants, notamment face à Catherine Deneuve, Sabine Azéma, Charlotte Rampling (Un taxi mauve), Simone Signoret, Fiona Gélin ou Ornella Muti. Du fait de cette image qu'il impose désormais, il devient le premier homme à faire la couverture du magazine féminin Elle en 1978[11].
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+ En 1978, il prête sa voix au spectacle de nuit La Cinéscenie du Puy du Fou, aux côtés d'Alain Delon, Jean Piat, Suzanne Flon ou encore Robert Hossein.
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+ Cependant, la fin des années 1970 est marquée par quelques difficultés connues par l'industrie cinématographique et des projets ne voient pas le jour. Philippe Noiret s'engageant sur certains de ces projets et attendant leur aboutissement, il tourne alors moins de films. Ou bien certains films sont entrepris mais ne sont pas menés à terme, comme Coup de foudre de Robert Enrico (1977) avec Catherine Deneuve, qui est arrêté au bout d’une semaine de tournage. Puis il reste un an sans tourner, étant malade.
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+ Philippe Noiret revient sur grand écran dans les années 1980 avec Pile ou Face de Robert Enrico.
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+ Durant cette décennie, il devient un acteur incontournable du paysage cinématographique, tournant avec les réalisateurs reconnus : Pierre Granier-Deferre, Alain Corneau, Philippe de Broca, Bertrand Tavernier, Claude Chabrol, Claude Zidi ou Ettore Scola, ainsi que dans de multiples films ayant connu le succès. Il joue également des films au budget important comme Fort Saganne d’Alain Corneau (1984) ou Chouans ! de Philippe de Broca (1988).
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+ En 1984, il tourne le premier volet de la trilogie à grand succès Les Ripoux de Claude Zidi, un tandem tonitruant de flics formé avec Thierry Lhermitte, où il initie celui-ci, policier novice sorti de l’école, aux petites combines à l'amiable avec les truands. Il retrouvera son personnage de René Boisrond en 1990 dans Ripoux contre ripoux, puis Ripoux 3 en 2003. Régine, Line Renaud et Grace de Capitani endossent le costume de leurs compagnes prostituées.
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+ En 1986, il tourne Masques de Claude Chabrol, critique de la télévision et du monde bourgeois. Il prend les traits d’un animateur de télévision qui derrière sa bonhomie cache une figure exécrable, n'hésitant pas à séquestrer et tuer pour arriver à ses fins. En 1988, il tourne Cinema Paradiso de Giuseppe Tornatore qui le rend internationalement célèbre, notamment du fait de son accueil extrêmement chaleureux au Festival de Cannes 1989, ou encore La Vie et rien d'autre de Bertrand Tavernier pour lequel il reçoit son second César du meilleur acteur en 1990.
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+ Dans les années 1990, Philippe Noiret continue à tourner parmi ses films les plus notables comme Uranus de Claude Berri (1990), J'embrasse pas d'André Téchiné (1991) où il endosse le rôle d’un homosexuel sollicitant les prostitués, Max et Jérémie de Claire Devers (1992) film noir où il interprète le personnage sombre d'un tueur à gages, ou encore Le Facteur de Michael Radford (1994) où il campe le rôle du poète chilien Pablo Neruda exilé en Italie pour protester contre la dictature de González Videla.
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+ En 1996, il retrouve ses deux grands amis Jean Rochefort et Jean-Pierre Marielle dans un trio au sommet avec le film Les Grands Ducs de Patrice Leconte, mais le film n'obtient pas le succès escompté. En 1997, il retrouve son complice Philippe de Broca dans Le Bossu, où endosse de nouveau le costume du Régent Philippe d'Orléans, vingt ans après Que la fête commence.
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+ En mai 2000, Gilles Jacob lui remet le Trophée du meilleur ouvrier de France.
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+ Moins sollicité par le cinéma dans les années 2000, il revient sur les planches, avant un ultime succès sur grand écran avec Père et Fils de Michel Boujenah en 2003. Sur le ton de l'humour, il joue le personnage d’un père de famille s’inventant une maladie grave afin de partir en voyage avec ses trois enfants en vue de les réconcilier.
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+ À l'occasion du 14 juillet 2005, alors qu'il l'avait toujours refusée auparavant (estimant que la reconnaissance venait du public), il se voit remettre la décoration de chevalier de la Légion d'honneur par le Premier ministre Dominique de Villepin. Il est alors âgé de 74 ans.
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+ En 1962, Philippe Noiret épouse la comédienne Monique Chaumette, rencontrée au Théâtre national populaire. Ils ont une fille, Frédérique Noiret (née le 25 mai 1960[8]) qui est assistante de direction de tournage de cinéma et scénariste. Il est le grand-père de Deborah Grall, également comédienne et n'a pas connu son arrière-petite-fille, Lou, née en 2013.
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+ Depuis les années 1980, il a arrêté toute consommation d'alcool à la suite d'une hospitalisation pour de graves douleurs au ventre, mais fume deux cigares par jour[8].
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+ Philippe Noiret meurt dans l'après-midi du 23 novembre 2006 (vers 18 heures) à son domicile parisien, à l'âge de 76 ans, des suites d'un cancer généralisé. Son ami Jean Rochefort dit de lui : « Un grand seigneur nous a quittés. »
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+ Parmi les hommages officiels, celui du président de la République Jacques Chirac : « Avec lui, c'est un géant qui nous quitte, il restera l'un de nos plus grands acteurs » et celui du ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres : « Philippe Noiret était une immense figure du septième art mais aussi l'un des acteurs les plus aimés et les plus respectés des Français. […] Nous garderons le souvenir de son élégance, dans tous les sens du terme, de sa voix incomparable et reconnaissable entre toutes. »
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+ Ses obsèques sont célébrées en la basilique Sainte-Clotilde à Paris en présence de nombreux cinéastes et comédiens dont beaucoup ont tourné avec lui[12] et du Premier ministre Dominique de Villepin. Très affectés, ses amis Jean-Pierre Marielle et Jean Rochefort préfèrent ne pas assister à la cérémonie. Il est inhumé le 27 novembre 2006 au cimetière du Montparnasse (3e division) à Paris, face à la tombe de l'acteur et réalisateur Jean Poiret, de l'autre côté de l'avenue Transversale.
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+ Une aurore polaire (également appelée aurore boréale dans l'hémisphère nord et aurore australe dans l'hémisphère sud[1]) est un phénomène lumineux caractérisé par des voiles extrêmement colorés dans le ciel nocturne, le vert étant prédominant.
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+ Provoquées par l'interaction entre les particules chargées du vent solaire et la haute atmosphère, les aurores se produisent principalement dans les régions proches des pôles magnétiques, dans une zone annulaire justement appelée « zone aurorale » (entre 65 et 75° de latitude)[2]. En cas d'activité magnétique solaire intense, l'arc auroral s'étend et commence à envahir des zones beaucoup plus proches de l'équateur. L'aurore polaire due à l'éruption solaire de 1859 est « descendue » jusqu'à Honolulu et jusqu'à Singapour en septembre 1909 atteignant ainsi le dixième degré de latitude sud[3]. En octobre et novembre 2003, une aurore boréale a pu être observée dans le sud de l'Europe[4]. Un phénomène d'ampleur exceptionnelle s'est produit le 24 octobre 2014, visible en Amérique du Nord et en Europe du Nord[5]. Les régions les plus concernées par ce phénomène restent le Groenland, l'Alaska, l'Antarctique, le nord du Canada, l'Islande, la Norvège, la Suède, la Finlande, ainsi que dans les îles Shetlands au nord du Royaume-Uni.
4
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5
+ Les aurores boréales ont été observées depuis toujours et ont probablement beaucoup impressionné les Anciens ; dans l'Antiquité, aussi bien en Occident qu'en Chine, les aurores étaient ainsi considérées comme des serpents ou des dragons dans le ciel[6].
6
+
7
+ Pline l'Ancien écrit : « On a vu pendant la nuit, sous le consulat de C. Caecilius et de Cn. Papirius (an de Rome 641), et d'autres fois encore, une lumière se répandre dans le ciel, de sorte qu'une espèce de jour remplaçait les ténèbres. »[7].
8
+
9
+ Les aurores polaires sont associées à de nombreux mythes et légendes. Toutes les langues les désignent sous le nom de « lumières du nord » à l'exception des Finlandais qui utilisent le terme finnois de revontulet pouvant se traduire par la « queue de renard rouge » ou les « feux du renard » : certains peuples Samis racontent en effet que le renard polaire, en parcourant rapidement les vastes étendues enneigées, éjecte de la poussière avec sa queue dans le ciel, ce qui crée ainsi les aurores boréales le long de son passage[8]. Les Inuits du Groenland surnomment les aurores aqsarniit, croyant que les âmes des morts jouent à la balle avec des crânes de morses. Une tribu du Nunavut pense à l'inverse que ce sont les morses qui jouent à la balle avec des crânes humains. Leur teinte rouge associée au sang est responsable du fait que les Inuits de l'Est du Groenland croient que les aurores polaires sont l'âme d'enfants morts-nés[9].
10
+
11
+ D'autres mythologies nordiques évoquent le bifröst, la danse des esprits de certains animaux, particulièrement les saumons, les rennes, les phoques et les bélugas ; le souffle des baleines de l’océan Arctique ; le reflet du Soleil ou de la Lune sur les armures des Valkyries quand elles traversent le ciel ; des torches allumées par les esprits des morts pour accueillir au paradis les nouveaux arrivants[6].
12
+
13
+ En Europe au Moyen Âge, les aurores polaires qui prennent des teintes rouges sont associées au sang et à la guerre. Elles présagent une catastrophe ou sont vues comme le souffle des guerriers célestes qui racontent leurs combats dans le ciel[10].
14
+
15
+ Elles n'ont été étudiées scientifiquement qu'à partir du XVIIe siècle. En 1621, l'astronome français Pierre Gassendi décrit ce phénomène observé jusque dans le sud de la France et lui donne le nom d'aurore boréale[réf. souhaitée]. Au XVIIIe siècle, l'astronome britannique Edmond Halley soupçonne le champ magnétique terrestre de jouer un rôle dans la formation des aurores boréales. Henry Cavendish, en 1768, parvient à évaluer l'altitude à laquelle se produit le phénomène, mais il faudra attendre 1896 pour que celui-ci soit reproduit en laboratoire par Birkeland. Les travaux de Carl Størmer sur les mouvements des particules électrisées dans un champ magnétique ont facilité la compréhension du mécanisme de formation des aurores.
16
+
17
+ À partir de 1957, l'exploration spatiale a permis non seulement une meilleure connaissance des aurores polaires terrestres mais aussi l'observation de phénomènes auroraux sur les grosses planètes comme Jupiter ou Saturne. En 1975, le programme franco-russe ARAKS parvient à créer une aurore polaire artificielle.
18
+
19
+ En 2008, le chercheur Jean Lilensten a mis au point une expérience, reprenant la terrella de Birkeland, appelée la Planeterrella. Celle-ci permet de simuler les aurores polaires[11].
20
+
21
+ Les aurores boréales sont aujourd'hui prévisibles, grâce notamment aux travaux de l'observatoire Kjell Henriksen avec le Centre universitaire du Svalbard, et à leur programme informatique SvaltrackII disponible au grand public[12].
22
+
23
+ Lors d'un orage magnétique faisant suite à une éruption solaire ou un sursaut solaire important[13], un afflux de particules chargées, éjectées par le Soleil, entre en collision avec le bouclier que constitue la magnétosphère. Des particules électrisées à haute énergie peuvent alors être captées et canalisées par les lignes du champ magnétique terrestre du côté nuit de la magnétosphère (la queue) et aboutir dans une zone appelée ovale auroral. Ces particules, — électrons, protons et ions positifs —, excitent ou ionisent les atomes de la haute atmosphère, l'ionosphère[14]. L'atome excité ne peut rester dans cet état, et un électron change alors de couche, libérant au passage un peu d'énergie, en émettant un photon (particule élémentaire constitutive de la lumière visible). Comme la nature des espèces composant l'atmosphère (oxygène, hydrogène, azote, etc.) dépend de l'altitude, ceci explique en partie les variations de teintes des nuages, draperies, rideaux, arcs, rayons... qui se déploient dans le ciel à des altitudes comprises entre 80 et 1 000 km. L'ionisation résultant de cet afflux de particules provoque la formation de nuages ionisés réfléchissant les ondes radio.
24
+
25
+ C'est en juillet 2008 qu'une explication cohérente de ce phénomène a été fournie par la NASA grâce à la mission américaine THEMIS. Les scientifiques ont en effet localisé la source de ces phénomènes dans des explosions d'énergie magnétique se produisant à un tiers de la distance qui sépare la Terre de la Lune. Ils sont ainsi provoqués par des « reconnexions » entre les « cordes magnétiques géantes » reliant la Terre au Soleil qui stockent l'énergie des vents solaires.
26
+
27
+ Les phénomènes auroraux prennent plusieurs teintes différentes, passant du vert au rose, au rouge et à l'indigo violet. L'étude spectrographique de la lumière émise montre la présence de l'oxygène atomique (raie verte à 557,7 nm entre 120 et 180 km d'altitude et doublet rouge à 630 et 636,4 nm au-dessus de 150 km d'altitude), de l'azote et de ses composés et de l'hydrogène (656,3 nm) lors des aurores à protons. Aux plus basses altitudes[15], la couleur observée le plus fréquemment est le pourpre (altitudes de 90 à 100 km).
28
+
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+ L'excitation des molécules, atomes et ions d'azote et d'oxygène sont à l'origine des principales couleurs. L'oxygène émet principalement du vert et du rouge, tandis que l'azote émet du bleu, du rouge et du violet. L'atmosphère a des densités en oxygène et en azote qui varient avec l'altitude, l'oxygène devenant plus dense que l'azote au-dessus de 200 km d'altitude, ce qui explique en partie la prédominance de vert dans les aurores polaires. Excitées, certaines des molécules de diazote interagissent aussi avec l'oxygène, causant une émission additionnelle de vert, ce qui contribue également à la dominance de la couleur verte. L'hélium et l'hydrogène produisent des aurores mauves ou bleues[16]. Enfin, l'énergie du vent solaire joue aussi un rôle dans les couleurs observées[17].
30
+
31
+ Les premiers scientifiques qui se sont intéressés aux phénomènes auroraux ont tout d'abord instauré des classifications de celles-ci en tenant compte de la forme, de l'étendue et de l'intensité des émissions, ce qui permet une approche objective et quantitative du phénomène[14]. Ainsi en sont-ils venus à deux types d'aurores : les formes discrètes et les formes diffuses.
32
+
33
+ Les formes discrètes ont comme caractéristique de se former en longs arcs ou en bandes. Les arcs « ondulent » de seconde en seconde, comme certains nuages changent d'apparence sous l'effet du vent. Elles prennent ainsi la forme de la magnétosphère, ce qui leur donne les apparences d'une largeur plutôt mince (de 1 à 10 km), mais d'une longueur courbée presque infinie.
34
+
35
+ En 2018 une nouvelle forme d'aurore polaire, les « dunes », a été décrite pour la première fois[18]. Ce nouveau type témoigne de phénomènes atmosphériques ayant lieu à environ 100 km d'altitude, où il est difficile d'envoyer des instruments de mesure[18].
36
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37
+ Les aurores recouvrent le ciel de draperies luminescentes pouvant furtivement reproduire sur leur bord toutes les couleurs du spectre. Il faut que le ciel soit clair, dégagé de préférence sans Lune et dépourvu de lumières parasites.
38
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+ Le spectacle est très changeant et peut débuter par la formation d'un arc (arc auroral) perpendiculaire au méridien magnétique du lieu, puis s'accompagner de rayons parfois animés d'une pulsation plus ou moins rapide (0,05 à 15 Hertz) ou se déplacer plus ou moins rapidement. On observe parfois des lueurs ressemblant à un rideau ou une draperie agitée par la brise.
40
+
41
+ La luminosité peut considérablement varier, de sorte que le phénomène peut durer de quelques minutes à plusieurs heures. Il est très rare d'observer des aurores à des latitudes magnétiques inférieures à 50 degrés. Cela se produit seulement pendant la période d'activité solaire maximale du cycle de 11 ans, lors des éruptions solaires les plus importantes.
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+ Avant l'ère des communications par satellites, le meilleur moyen de communication dans les régions vastes et étendues comme celle du Canada était la communication par les ondes radio. Lors d'orages solaires intenses, les communications se voyaient interrompues puisque ces ondes voyagent par le biais de la haute atmosphère[19].
44
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45
+ Le nuage ionisé que constitue l'aurore polaire réfléchit les ondes électromagnétiques dans le domaine des très hautes fréquences (VHF et au-delà). Les radioamateurs utilisent ce phénomène pour réaliser des liaisons expérimentales à grande distance. Les ondes radio sont en fait diffusées plus que réfléchies ce qui produit une forte déformation de la modulation. La télégraphie morse est pratiquement le seul mode de transmission utilisable. Un effet néfaste de ce phénomène est la perturbation des communications sur ces fréquences.
46
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+ Les aurores polaires ne sont pas un phénomène spécifique à la Terre. Il est possible d'en trouver sur n'importe quelle planète possédant un champ magnétique. Elles sont observables, entre autres, grâce aux photographies prises en ultraviolet par le télescope Hubble[20].
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+ Les aurores polaires vues sur les planètes autres que la Terre peuvent être générées par d’autres phénomènes physiques que ceux provoquant les aurores terrestres. Sur Jupiter, par exemple, l'ovale auroral principal est une conséquence de la « rupture de co-rotation » du plasma : le champ magnétique de la planète entraîne normalement le plasma avec lui, mais, à partir d'une certaine distance, la vitesse à communiquer au plasma devient trop grande et celui-ci ne suit plus. Cela crée un courant électrique à l'origine de l'ovale auroral.
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+ Sur Jupiter, les satellites de la planète créent un courant électrique en se déplaçant par rapport au champ magnétique (même phénomène que pour une dynamo). Ces courants créent des « spots auroraux », vus pour la première fois en infrarouge[21], puis en UV[22]. On peut voir ces spots sur l'image ci-contre, en dehors de l'ovale principal : le spot le plus brillant correspond à Io (à gauche), ceux de Europe et Ganymède sont visibles au premier plan.
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+ Toujours sur Jupiter, un groupe de chercheurs du Laboratoire de physique atmosphérique et planétaire de l'ULg a observé des phénomènes auroraux sur la géante gazeuse par le biais du télescope Hubble[23], dont en particulier ceux dus aux satellites Io, Europe et Ganymède. Leur travail révèle le détail des spots ultraviolets et permet une meilleure compréhension des phénomènes les engendrant.
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+ Des aurores polaires ont également été photographiées par Hubble sur Saturne[24] et d'autres par Mars Express sur la planète Mars grâce à l'instrument SPICAM[25],[26] (Mars ne possédant pas de champ magnétique global, ces aurores sont localisées dans des zones où subsistent un champ magnétique local[27],[28]).
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+ Des aurores polaires ont également été détectées sur Vénus, Uranus et Neptune[29].
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+ Le 21 janvier 2013, des chercheurs annoncent avoir très probablement détecté pour la première fois des aurores sur des exoplanètes, grâce au Low-Frequency Array radio telescope basé aux Pays-Bas[30].
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+ Philippe de Valois, roi de France de 1328 à 1350 sous le nom de Philippe VI, né en 1293 et mort le 22 août 1350 à Nogent-le-Roi[n 1] est issu de la branche cadette de la maison capétienne, dite maison de Valois, fondée par son père Charles de Valois, frère cadet de Philippe IV le Bel.
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+ Son accession au trône en 1328 découle d'un choix politique, à la suite de la mort sans fils ni frère de Jean Ier le Posthume en 1316 puis de Charles IV en 1328, afin d'éviter que la couronne de France passe dans les mains de la maison Plantagenêt. Quoique respectivement petit-fils de Philippe le Long et petit-fils de Philippe le Bel, Philippe de Bourgogne et Édouard III d'Angleterre — mais aussi[1] le futur Louis II de Flandre, second petit-fils de Philippe le Long, et le futur Charles II de Navarre, petit-fils de Louis le Hutin, qui allaient naître en 1330 et en 1332 — sont tous les quatre écartés de la succession au profit de l'ainé agnatique des Capétiens. Lors de son avènement, Philippe VI doit aussi négocier avec Jeanne II de Navarre, fille de Louis X le Hutin, écartée de la succession en 1316 parce que c'est une femme. Quoique soupçonnée de bâtardise, Jeanne revendiquait le royaume de Navarre et les comtés de Champagne et de Brie que Philippe IV le Bel tenait de son épouse Jeanne Ire de Navarre. N'étant pas héritier des rois de Navarre comme l'étaient ses prédécesseurs, Philippe VI restitue le royaume de Navarre à Jeanne, mais refuse de lui céder la Champagne et la Brie, redoutant d'être confronté à un parti trop puissant.
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+ S'il accède à la tête de l'État le plus puissant d'Occident, Philippe VI manque de moyens financiers, ce qu'il tente de compenser par la manipulation de la monnaie et des impôts supplémentaires, lesquels ne sont acceptés qu'en période de guerre. Il doit assoir au plus vite sa légitimité. Il le fait en restaurant l'autorité royale en Flandre en y écrasant la rébellion lors de la bataille de Cassel, le 23 août 1328, au cours de laquelle furent tués et massacrés 16 000 artisans et paysans révoltés contre le comte de Flandre. Par une habile politique diplomatique et matrimoniale, il contribue à augmenter l'influence du royaume à l'est du royaume de France. Il rachète le Dauphiné pour le compte de son petit-fils, remarie son fils à une héritière potentielle de la Bourgogne et prend une option sur le comté de Provence.
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+ En conflit avec Édouard III d'Angleterre, Philippe finit par obtenir de celui-ci l'hommage pour la Guyenne, mais leurs intrigues pour le contrôle des Flandres, l'alliance franco-écossaise et la nécessité de justifier les impôts supplémentaires conduiront à la guerre de Cent Ans. Celle-ci commence de manière larvée, aucun des deux rois n'ayant suffisamment de ressources pour soutenir ses ambitions. La guerre se mène par alliés interposés, hormis en Guyenne où les forces françaises assiègent Bordeaux mais doivent renoncer faute de vivres. De la même manière si la flotte française est en grande partie détruite à la bataille de L'Écluse en 1340, Édouard III ne peut concrétiser cette victoire sur terre et l'alliance germano-anglaise qu'il a organisée se disloque faute de pouvoir tenir ses promesses pécuniaires.
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+ Après la mort du duc Jean III de Bretagne, en avril 1341, un conflit successoral oppose Jean de Montfort à Charles de Blois pour la succession de Bretagne. Philippe VI arbitre en faveur de son neveu, Charles de Blois. Jean de Montfort s'allie aux Anglais, qui débarquent à Brest en 1342 et qui occuperont l'ouest de la Bretagne jusqu'en 1397.
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+ Toutefois, le véritable tournant du conflit a lieu en juin 1344, quand Édouard III obtient du Parlement anglais des ressources fiscales importantes pour deux ans. Philippe ne peut répondre qu'en recourant à des mutations monétaires qui entraînent des dévaluations très impopulaires car elles déstabilisent l'économie. Fort de ses ressources financières, Édouard III est capable d'attaquer en force sur au moins deux fronts. Il regagne du terrain en Aquitaine et surtout inflige une défaite écrasante à Philippe à la bataille de Crécy le 26 août 1346. Ce dernier n'a plus les moyens d'empêcher le roi d'Angleterre de prendre Calais après onze mois de siège le 3 août 1347.
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+ C'est complètement discrédité et en pleine épidémie de peste que Philippe VI meurt en 1350.
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+ Philippe VI est le fils aîné de Charles de Valois, frère cadet du roi Philippe le Bel, et de Marguerite d'Anjou. Il est donc cousin des trois fils de Philippe le Bel (Louis X, Philippe V et Charles IV), lesquels se succèdent sur le trône de France entre 1314 et 1328.
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+ Philippe de Valois se marie en juillet 1313 avec Jeanne de Bourgogne.
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+ Pour comprendre l'accession de Philippe VI au trône de France au détriment d'Édouard III, il faut remonter à 1316. Cas inédit depuis Hugues Capet, Louis X meurt sans héritier mâle : l'héritier direct du royaume de France se trouve donc être Jeanne de Navarre, une fille mineure[2]. La décision qui est prise à ce moment est très importante, car elle devient coutume et sera à nouveau appliquée lorsque la question dynastique se posera en 1328. L'infidélité avérée de la reine Marguerite fait planer le risque qu'un prétendant au trône, pour légitimer sa révolte, ne prenne pour prétexte que la reine fût bâtarde[3]. Le puissant Philippe de Poitiers, chevalier aguerri et formé par son père au métier de roi, s'impose comme régent à la mort de son frère Louis X le Hutin. À la mort de Jean le Posthume il est considéré par les grands comme le plus apte à gouverner et se fait sacrer roi de France, consacrant l'éviction de Jeanne[2] : si le choix du monarque français se fonde sur l'hérédité et le sacre, l'élection peut reprendre ses droits en cas de problème.
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+ Après le court règne de Philippe V, mort sans héritier mâle, c'est son plus jeune frère, Charles IV, qui, bénéficiant du précédent de son aîné, ceint à son tour la couronne. Malgré ses mariages successifs, Charles IV est toujours sans héritier mâle lorsqu'il meurt à Vincennes le 1er février 1328. Jeanne d'Évreux, sa veuve, étant enceinte, on attend avec impatience de savoir quel sera le sexe de l'enfant. Philippe de Valois est choisi comme régent et a donc de grandes chances de devenir roi s'il s'avère que c'est une fille. Il profite de la régence pour neutraliser ses éventuels rivaux les plus menaçants, les Évreux-Navarre. La reine Jeanne d'Évreux accouche d'une fille, Blanche le 1er avril 1328. Quand le troisième et dernier fils de Philippe le Bel meurt sans descendant mâle, la question dynastique est la suivante : Jeanne de Navarre n'a pas encore de fils (Charles de Navarre ne naît que quatre ans plus tard), Isabelle de France, dernière fille de Philippe le Bel, a un fils, Édouard III, roi d'Angleterre. Peut-elle transmettre un droit qu'elle ne peut elle-même exercer selon la coutume fixée dix ans plus tôt ?
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+ Édouard III pourrait être candidat, mais c'est Philippe de Valois qui est choisi[4]. Il est le fils de Charles de Valois, frère cadet de Philippe le Bel et descend donc par les mâles de la lignée capétienne. Il s'agit d'un choix géopolitique et une claire expression d'une conscience nationale naissante : le refus de voir un éventuel étranger épouser la reine et diriger le pays[5]. Les pairs de France refusent de donner la couronne à un roi étranger, suivant la même logique de politique nationale que dix ans auparavant[6]. Philippe de Valois cesse de porter le titre de régent des royaumes de France et de Navarre[7] et devient roi de France. Le dimanche 29 mai 1328, il est sacré à Reims par l'archevêque Guillaume de Trie. En tant que duc d'Aquitaine, Édouard III, pourtant pair de France, n'assiste pas à la cérémonie. La nouvelle ne surprend pas en Angleterre, seule Isabelle de France, qui est fille de Philippe le Bel, proteste de cette décision qui prive son fils de la couronne. Elle envoie deux évêques à Paris pour réclamer l'héritage de son fils, mais ceux-ci ne sont même pas reçus[8]. En outre, le Parlement anglais, réuni en 1329, déclare qu'Édouard n'a pas de droit à la couronne et doit prêter l'hommage pour l'Aquitaine[8]. De la même manière, Jeanne de Navarre, qui avait été évincée en 1316, reste candidate en 1328, son fils Charles qui est le descendant mâle le plus direct de Louis X ne naît qu'en 1332 et ne peut a fortiori être candidat.
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+ À sa majorité, Jeanne aurait dû confirmer sa renonciation à la Navarre, à la Champagne et à la Brie. Philippe le Bel détenait ces terres de sa femme Jeanne Ire de Navarre et Jeanne se trouve être leur descendante et héritière directe (dans ce cas, le roi tenant ces terres par les femmes ne peut contester que leur transmission se fasse par les femmes). Jeanne est mariée à Philippe d'Évreux (héritier de la Couronne si la branche des Valois s'éteignait) et peut compter sur le soutien inconditionnel des barons navarrais qui refusent que le royaume ne soit qu'une annexe gouvernée à distance par le roi de France. Contre Philippe d'Évreux et sa femme, il y a les filles de Philippe V et de Charles IV qui ont tous deux été rois de Navarre. Elles rappellent n'avoir jamais renoncé même provisoirement à leur héritage et surtout n'avoir reçu aucune indemnisation. Elles ont elles aussi leurs champions. L'aînée des filles de Philippe V a épousé Eudes, duc de Bourgogne, qui met son influence dans la balance. Sa mère était fille de Saint Louis, le couple n'est donc pas à prendre à la légère. Quant aux enfants du dernier roi, ils ont pour champion leur propre mère, la reine Jeanne d'Évreux. On voit donc là réapparaître cette famille d'Évreux qui est la première branche collatérale de la maison de France mais porte également les couleurs des Capétiens directs.
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+ Les Navarrais ont choisi leur camp, ils réclament la fille du fils aîné de leur ancienne reine pour souveraine, soit Jeanne de Navarre, femme de Philippe d'Évreux. Ils n'ont en effet pas le souci d'éviter que leur couronne ne tombe entre les mains de souverains étrangers imprévisibles, eux qui ont vu leur couronne passer en un siècle des Champenois aux Capétiens. De plus, les Navarrais ont mal supporté de voir la femme de Philippe IV ne s'occuper, de la ville de Paris où elle réside, que de la Champagne, ce qui s'explique par la proximité géographique. Les souverains champenois s'étaient installés dans leur royaume pyrénéen, ce que les Capétiens ne feront pas, transformant la Navarre en un bout de France. Les Navarrais choisissent en fait l'indépendance. Philippe VI doit donc transiger : en avril 1328, le grand conseil assemblé à Saint-Germain-en-Laye laisse la Navarre à Jeanne, mais refuse de céder la Champagne et la Brie, car cela ferait des Navarrais des prétendants trop puissants, prenant Paris en tenaille entre leurs terres normandes et champenoises. Une compensation est donc prévue mais n'est pas fixée. Les Évreux ont le tort d'accepter à l'avance l'échange qui sera fixé en 1336 : ils obtiennent seulement le comté de Mortain et, pour un temps seulement, le comté d'Angoulême. Philippe VI de Valois écarte ainsi une terrible menace à l'est, mais le voilà avec un second roi étranger (après le roi d'Angleterre) possédant des terres en France, et qui rechignerait à lui présenter l'hommage vassalique.
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+ Les positions du roi en Flandre peuvent paraître fortes. Les expéditions militaires du temps de Philippe IV le Bel sont oubliées, le long contentieux autour des clauses inapplicables du traité d'Athis de 1305 également. Les « matines de Bruges » et le massacre de Courtrai étaient par contre dans tous les esprits et ne donnaient pas envie à la noblesse française de se frotter aux Flamands. L'adversaire le plus coriace du Capétien au temps de Robert de Béthune, comte de Flandre, est son fils Louis Ier de Nevers, qui meurt quelques mois avant son père. À Robert de Béthune succède donc son petit-fils, Louis Ier de Flandre connu aussi sous les noms de Louis de Nevers, de Louis de Dampierre ou encore Louis de Crécy. Comte de Flandre en 1322, ce prince va jouer la carte royale et s'appuyer délibérément à l'intérieur sur l'aristocratie d'affaires, qui avait partie liée avec le roi de France. Son arrière-grand-père Gui de Dampierre et son grand-père Robert de Béthune avaient su jouer des tensions sociales engendrées par un développement économique axé sur l'industrie textile contre les empiètements du pouvoir royal. Louis Ier de Flandre, allié au patriciat, sera une cible de choix quand se manifesteront les premiers remous sociaux.
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+ Son accession à la tête du comté de Flandre provoque en 1323 le mécontentement de certains Flamands, mais ce n'est d'abord qu'un grondement diffus à travers les campagnes de la Flandre maritime. Des officiers et des châtelains sont molestés. L'affaire change de dimension quand Bruges, grand port industriel riche de ses trente mille habitants et d'un mouvement portuaire favorable aux brassages des idées et des hommes, s'insurge.
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+ Gand se range évidemment dans le camp adverse de celui de Bruges. Les Gantois gardent un souvenir amer de ce qu'il avait coûté aux villes flamandes de suivre Bruges en 1302. En revanche, Ypres suit Bruges par hostilité pour les Gantois, leurs concurrents dans l'industrie des draperies. Furnes, Dixmude, Poperingue s'allient à Bruges. La guerre civile commence. L'audace du petit peuple est conforté par le souvenir de Courtrai, où la chevalerie française fut corrigée par tisserands et foulons. Les insurgés battent la campagne pendant cinq ans. Les villages brûlent, les villes tremblent derrière leurs murailles. Les collecteurs d'impôts et tout homme du comte de Flandre se terrent s'ils n'ont pas fui. Les patriciens s'exilent, leurs maisons sont abattues. On ne compte plus les morts : les bourgeois sont égorgés aux coins des rues, paysans et artisans sont rossés à leur domicile ou massacrés en bataille rangée.
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+ Les problèmes sont aggravés par l'alourdissement des exigences fiscales du comte qui, en grossissant les moyens de son gouvernement, lui permettent de résister à l'administration tentaculaire du roi de France. Celle-ci se rajoute à des récoltes difficiles qui conduisent à la misère, tandis que le chômage progresse à cause de l'inadaptation des productions. L'Église n'échappe pas à la fureur populaire.
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+ En 1328, le comte de Flandre profite de l'hommage qu'il rendait à son nouveau seigneur Philippe VI pour lui demander de l'aide. Il le relance lors de la cérémonie du sacre de Philippe VI en juin. Philippe y voit l'occasion de renforcer sa légitimité en restaurant l'ordre social bafoué sur le champ. On profite du fait que l'ensemble des barons se retrouve à Reims pour le sacre. Philippe veut marcher tout de suite contre les Flamands. Il convoque l'ost à Arras pour le mois de juillet 1328 et va prendre l'oriflamme à Saint-Denis. Gand attaque Bruges immobilisant pour la défense de la ville une bonne partie des forces de l'insurrection. Comptant forcer l'ennemi à le combattre en rase campagne et en terrain favorable à sa cavalerie, le roi confie aux maréchaux l'organisation d'une chevauchée qui pille et ravage la Flandre occidentale jusqu'aux portes de Bruges. Pendant ce temps, le gros de l'armée marche sur Cassel. La rencontre s'y fait le 23 août 1328. Les insurgés sont retranchés sur le mont Cassel, une butte haute de 157 mètres[9]. Ils voient de là leurs villages brûler et l'armée française qui se déploie. La « bataille » du roi compte 29 bannières, celle du comte d'Artois 22. Le souvenir de la bataille de Courtrai, où en 1302 les piquiers flamands ont mis en pièces la chevalerie française, est toujours présent, et l'époque est marquée par la prééminence de la défense sur l'attaque. Philippe VI en est parfaitement conscient et se garde bien de faire charger sa cavalerie sans réfléchir. Nicolaas Zannekin (avec Zeger Janszone et Lambrecht Bovyn)[10] est le chef des insurgés. C'est un petit propriétaire foncier qui veut jouer au chevalier. Il envoie des messagers pour proposer au roi de fixer « jour de bataille » mais on leur répond par le mépris, considérant qu'ils étaient « gens sans chef » tout juste bons à rosser. Sans considération pour cet adversaire de basse classe sociale, les chevaliers du roi délacent leurs armures et prennent leurs aises dans leur campement[9]. Les insurgés ne l'entendant pas de cette oreille attaquent à l'improviste, surprenant en pleine sieste l'infanterie laquelle ne doit son salut que dans la fuite. On retrouvera l'infanterie à peu près groupée le lendemain à Saint-Omer. L'alerte est donnée et le roi et ses chevaliers se ressaisissent vite. Le roi, en robe bleue brodée de fleurs de lys d'or et seulement coiffé d'un chapeau de cuir, regroupe sa chevalerie et lance la contre-attaque dans le plus pur esprit chevaleresque payant de sa personne à la tête de ses troupes[9]. Les chevaliers avaient perdu l'habitude de voir le roi s'exposer ainsi, ceci depuis la mort de Saint Louis sous les murailles de Tunis. Son cri de ralliement : « qui m'aime me suive » est resté célèbre. La contre-attaque française contraint les insurgés à se former en cercle, coude à coude, ce qui leur interdit tout repli. À bout portant les arcs sont peu efficaces et c'est un vrai carnage. Menés par le comte de Hainaut, les chevaliers du roi entament une charge tournante autour du cercle faisant voler les têtes au bout de leurs longues épées. Il n'y a pas un survivant parmi les insurgés.
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+ L'armée royale incendie Cassel. Ypres se soumet et Bruges suit[11]. Philippe VI place Jean III de Bailleul comme gouverneur dans la ville d'Ypres pour qu'il commande en son nom[12]. Louis de Nevers reprend le contrôle du comté dans le sang des exécutions capitales et Philippe VI en retire tout le prestige d'un roi chevalier : il assoit ainsi pleinement son autorité sur le trône. Plus encore, en se posant comme le défenseur d'un de ses princes dont le pouvoir était contesté par ces temps de mutation, il devient le garant de l'ordre social féodal et obtient le soutien de ces puissants princes qui auraient pu contester sa légitimité et son autorité. La légitimité du Valois s'en trouve grandie. À partir de ce moment, l'éventuelle contestation de sa souveraineté sur la Guyenne par Édouard III devient difficile[11].
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+ Depuis Saint Louis, la modernisation du système juridique attire dans la sphère culturelle française de nombreuses régions limitrophes. En particulier en terres d'Empire, les villes du Dauphiné ou du comté de Bourgogne recourent depuis Saint Louis à la justice royale pour régler des litiges. Le roi envoie par exemple le bailli de Mâcon, qui intervient à Lyon pour régler des différends, comme le sénéchal de Beaucaire intervient à Viviers ou à Valence[13]. Ainsi, la cour de Philippe VI est largement cosmopolite : beaucoup de seigneurs tels le connétable de Brienne ont des possessions à cheval sur plusieurs royaumes. Les rois de France élargissent l'influence culturelle du royaume en attirant à leur cour la noblesse de ces régions en lui allouant des rentes et en se livrant à une habile politique matrimoniale. Ainsi, les comtes de Savoie prêtent hommage au roi de France contre l'octroi de pensions. Jean de Luxembourg, dit « l'Aveugle », roi de Bohême, est un habitué de la cour de France tout comme son fils Venceslas, le futur empereur Charles IV[14].
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+ En 1330, le conflit entre le pape Jean XXII et l'empereur Louis IV tourne à l'avantage du premier. Louis IV, excommunié, tente de nommer un antipape mais, se retrouvant discrédité, est obligé de quitter l'Italie où il n'a plus de soutien. Le roi de France y voit l'occasion d'étendre son royaume à l'est, et de prendre plus particulièrement le contrôle de l'axe rhodanien car il est l'une des principales voies de commerce entre l'Europe du Nord et la Méditerranée. Ainsi, le Dauphiné, la Provence ou le comté de Bourgogne sont fortement convoités par les rois de France.
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+ L'accession au trône de Philippe VI s'étant faite au détriment d'Édouard III, pourtant petit-fils de Philippe le Bel, le nouveau roi doit donc impérativement asseoir la légitimité de sa dynastie. À son avènement, au printemps 1328, Jean le Bon, alors âgé de neuf ans, est son seul fils vivant. En 1332, naît Charles de Navarre, prétendant plus direct qu'Édouard III à la couronne de France. Philippe VI décide donc de marier rapidement son fils — alors âgé de treize ans — pour nouer l'alliance matrimoniale la plus prestigieuse possible et de lui confier un apanage (la Normandie). Il envisage un temps de l'unir à Aliénor, sœur du roi d'Angleterre.
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+ Mais, c'est à l'est que Philippe VI trouve une alliance matrimoniale prestigieuse. Jean de Luxembourg est le fils de l'empereur Henri VII, mais il a été évincé de l'élection impériale en raison de son jeune âge. Avide de projets grandioses, il est particulièrement dispendieux et chroniquement endetté. Il cadre parfaitement avec les projets d'expansion vers l'est du royaume de France aux dépens du Saint-Empire, lequel est au plus bas de sa puissance politique, et tout est fait de la part du monarque français pour le fidéliser : il est pensionné à la cour de France qu'il fréquente assidument[14]. Le conflit entre le Saint-Empire et la papauté d'Avignon vient de tourner à l'avantage du pape Jean XXII et donne l'occasion à Philippe VI et Jean de Bohême de sceller leur alliance de manière bénéfique pour les deux parties. Le départ forcé de l'empereur Louis IV d'Italie permet au roi de Bohême Jean de Luxembourg de mettre la main sur plusieurs villes italiennes, ce qui le met en position forte pour régner sur un royaume guelfe en Italie du Nord subordonné à l'autorité pontificale équivalent au royaume de Naples pour l'Italie du Sud. Cela permettrait aussi de limiter les possibilités pour Robert d'Anjou, roi de Naples, de soumettre la papauté à un véritable protectorat[15]. Pour ce faire, le roi de Bohême a besoin du soutien diplomatique du plus puissant souverain d'Occident : le roi de France.
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+ En janvier 1332, Philippe VI invite Jean de Luxembourg pour lui proposer un traité d'alliance qui serait cimenté par le mariage d'une des filles du roi de Bohême avec son fils Jean. Le roi de Bohême, qui a des visées sur la Lombardie et a besoin du soutien diplomatique français, accepte cet accord. Les clauses militaires du traité de Fontainebleau stipulent qu'en cas de guerre, le roi de Bohême se joindrait à l'armée du roi de France avec quatre cents hommes d'armes si le conflit se déroule en Champagne ou dans l'Amiénois ; avec trois cents hommes, si le théâtre des opérations est plus éloigné. Les clauses politiques prévoient que la Couronne lombarde ne serait pas contestée au roi de Bohême s'il parvient à la conquérir ; et que, s'il peut disposer du royaume d'Arles, celui-ci reviendrait à la France. Par ailleurs, le traité entérine le statu quo concernant les avancées françaises en terre d'Empire. Le choix est laissé au roi de France entre les deux filles du roi de Bohême. Il choisit Bonne comme épouse car celle-ci, étant en âge de procréer (elle a 16 ans et sa sœur Anne 9), peut lui donner un fils. La dot est fixée à 120 000 florins.
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+ Enfin la ville de Lucques est cédée au roi de France. Mais Robert d'Anjou, roi de Naples et comte de Provence, ne peut qu'être hostile à ce projet soutenu par Jean XXII. Surtout que les villes italiennes, ayant depuis longtemps goûté à leur indépendance, il n'est plus possible dans les faits de leur imposer leur soumission à un royaume guelfe comme c'est le cas en Italie du Sud. Guelfes et gibelins s'allient et créent une ligue à Ferrare qui met à mal les forces de Jean de Luxembourg et de Bertrand du Pouget[16]. Brescia, Bergame, Modène et Pavie retombent à l'automne 1332 aux mains des Visconti. Jean de Luxembourg retourne en Bohême en 1333 et Bertrand du Pouget est chassé de Bologne par une insurrection en 1334[17].
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+ Alors que, sous l'effet des progrès des techniques agraires et des défrichements, la population s'accroît en Occident depuis le Xe siècle, il est atteint un seuil qui dépasse les capacités de productions agricoles dans certaines zones d'Europe dès la fin du XIIIe siècle. Avec le jeu des partages successoraux, les parcelles se réduisent : elles n'ont plus en 1310 que le tiers de leur superficie moyenne de 1240[18]. Certaines régions comme les Flandres sont en surpopulation et essayent de gagner des terres cultivables sur la mer. Néanmoins, pour couvrir leurs besoins, elles optent pour une économie de commerce permettant d'importer les denrées agricoles. En Angleterre, dès 1279, 46 % des paysans ne disposent que d'une superficie cultivable inférieure à 5 hectares. Or, pour nourrir une famille de 5 personnes, il faut de 4 à 5 hectares[18]. La population rurale s'appauvrit, le prix des produits agricoles baisse et les revenus fiscaux de la noblesse diminuent alors que la pression fiscale augmente et donc les tensions avec la population rurale. Beaucoup de paysans tentent donc leur chance comme saisonniers dans les villes pour des salaires très faibles engendrant aussi des tensions sociales en milieu urbain. Le refroidissement climatique[n 2] provoque de mauvaises récoltes qui se traduisent du fait de la pression démographique en famines (lesquelles avaient disparu depuis le XIIe siècle) dans le Nord de l'Europe en 1314, 1315 et 1316 : Ypres perd 10 % de sa population et Bruges 5 % en 1316[18].
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+ La noblesse doit compenser la diminution de ses revenus fonciers et la guerre en est un excellent moyen : par les rançons perçues après capture d'un adversaire, le pillage et l'augmentation des impôts justifiée par la guerre. C'est ainsi que la noblesse pousse à la guerre et particulièrement la noblesse anglaise dont les revenus fonciers sont les plus touchés[22]. Philippe VI a besoin de renflouer les caisses de l'État et une guerre permettrait de lever des impôts exceptionnels.
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+ En débarquant à la tête d'une armée privée le 6 août 1332 dans le comté de Fife au nord-ouest de l'Écosse, Édouard Balliol, le fils de l'ex-roi pro-anglais Jean Balliol, ravive le conflit anglo-écossais[23]. Depuis 1296, profitant de la mort d'Alexandre III sans héritier mâle et d'une tentative de prise de contrôle par mariage, l'Angleterre considère l'Écosse comme un État vassal. Cependant, les Écossais ont contracté avec la France la Auld Alliance le 23 octobre 1295. Philippe le Bel joue des Écossais contre Édouard Ier d'Angleterre, à qui le fait d'avoir arbitré en faveur de Jean Balliol la difficile succession de Marguerite d'Écosse ne procurait même pas la fidélité de ce roi-vassal. Le roi de France était intervenu en faveur de Balliol, vaincu, et avait obtenu sa libération. William Wallace, chef des barons insurgés contre la tutelle anglaise, trouve refuge en France après sa défaite de 1298. Le chancelier Pierre Flote menace tout ensemble le pape Boniface VIII et les négociateurs anglais, lors d'une médiation du Saint-Siège, d'intervenir directement en Écosse si le roi d'Angleterre s'obstine à soutenir les insurgés flamands. Les années suivantes marquent un revirement, la paix franco-anglaise et la succession des princesses capétiennes sur le trône d'Angleterre dissuadent le roi de France d'interventions trop voyantes en faveur des rebelles écossais. En 1305, Philippe le Bel laisse prendre et exécuter Wallace. L'abcès de fixation que fut l'Écosse de Robert Bruce pour Édouard Ier assura à la France une relative tranquillité. Conflits de frontières, brèves expéditions militaires, harcèlement sur le terrain se succèdent. Robert Bruce (futur Robert Ier d'Écosse) finit, lors de la bataille de Bannockburn en 1314, par écraser la chevalerie anglaise, pourtant très supérieure en nombre, grâce à ses piquiers qui, en fichant leurs lances dans le sol, peuvent briser les charges de cavalerie comme l'ont fait les Flamands contre les Français à la bataille de Courtrai[24]. Ces formations de piquiers peuvent être utilisées de manière offensive à la manière des phalanges grecques (la formation serrée permet de cumuler l'énergie cinétique de tous les combattants qui peuvent renverser l'infanterie adverse) et ont disloqué les rangs anglais, leur infligeant une sévère défaite. En 1328, Robert Bruce est reconnu roi d'Écosse par le traité de Northampton. Mais à la mort de ce dernier en 1329 David II n'a que huit ans et l'occasion est belle pour Édouard Balliol de réclamer la couronne[23].
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+ Après le désastre de Bannockburn, les Anglais prennent acte de la fin de la supériorité de la chevalerie sur les champs de bataille et mettent au point de nouvelles tactiques. Le roi Édouard Ier d'Angleterre instaure ainsi une loi qui incite les archers à s'entraîner le dimanche en bannissant l'usage des autres sports ; les Anglais deviennent ainsi habiles au maniement de l'arc long. Le bois utilisé est l'if (que l'Angleterre importe d'Italie) qui possède des qualités mécaniques supérieures à l'orme blanc des arcs gallois : les performances sont ainsi améliorées. Cette arme plus puissante peut être utilisée en tir massif à longue distance. Les Anglais adaptent leur manière de combattre en diminuant la cavalerie mais en utilisant plus d'archers et d'hommes d'armes à pied protégés des charges par des pieux plantés dans le sol (ces unités se déplacent à cheval mais combattent à pied)[25],[26]. Pour être efficace l'arc long doit être employé par une armée protégée et donc en position défensive. Il faut donc obliger l'adversaire à attaquer. Pour cela les Anglais utilisent en Écosse le principe de la chevauchée : l'armée déployée sur une grande largeur dévaste tout un territoire jusqu'à ce que l'adversaire soit obligé de l'attaquer pour mettre un terme au pillage. Utilisant ainsi un schéma tactique qui préfigure la bataille de Crécy, avec des hommes d'armes retranchés derrière des pieux fichés dans le sol et des archers disposés sur les flancs pour éviter que les projectiles ne ricochent sur les bassinets et armures profilés pour dévier les coups portés de face, Édouard Balliol écrase les Écossais pourtant très supérieurs en nombre, le 11 août 1332 à la bataille de Dupplin Moor. Après un autre succès, il est couronné roi d'Écosse à Scone le 24 septembre 1332. Édouard III n'a pas participé à la campagne mais, laissant faire, il n'ignore pas que le résultat lui est très favorable : il a un allié à la tête de l'Écosse[23].
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+ Les succès de Balliol ont montré la supériorité tactique conférée par l'arc long anglais, aussi quand celui-ci est renversé le 16 décembre 1332, Édouard III prend ouvertement les choses en main. Il révoque le traité de Northampton qui avait été signé durant la régence, renouvelant ainsi les prétentions de souveraineté anglaise sur l'Écosse et déclenchant la seconde guerre d'indépendance écossaise. Dans l'intention de regagner ce que l'Angleterre avait concédé, il assiège et reprend le contrôle de Berwick, puis il écrase l'armée de secours écossaise à la bataille de Halidon Hill en utilisant exactement la même tactique qu'à Dupplin Moor. Il fait preuve d'une extrême fermeté : tous les prisonniers sont exécutés[27]. Édouard III est alors en position de mettre Édouard Balliol sur le trône d'Écosse. Ce dernier prête hommage au roi d'Angleterre en juin 1334 à Newcastle et lui cède 2 000 « librates » de terrains dans les comtés du Sud : les Lothians, le Roxburghshire, le Berwickshire, le Dumfriesshire, le Lanarkshire et le Peeblesshire[27].
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+ La longueur du conflit écossais sert les desseins de Philippe VI, il laisse donc ses alliés traditionnels se débrouiller seuls. Il sait son pouvoir en France encore faible et ne peut risquer les troubles que provoqueraient la perte des approvisionnements en laine anglaise dont l'industrie drapante des grandes villes flamandes est friande. Le roi de France se contente donc d'observer. Philippe VI gagne la paix dans l'immédiat par sa prudence, mais à terme, il est perdant. Un David Bruce eût été plus utile puissant et avec des raisons d'être reconnaissant. Le pape Benoît XII voit dans le conflit anglo-écossais le principal risque de conflit européen, si le roi de France s'en mêle de nouveau, le comte de Namur, celui de Gueldre et celui de Juliers étant impliqués en Écosse par les contingents qu'ils mettent à disposition d'Édouard III. De plus, les marins de Dieppe et de Rouen se risquent à la course contre ceux de Southampton. On peut raisonnablement situer la prochaine guerre autour de la Manche, et non vers Saint-Sardos, où les barons font traîner les pourparlers avec la mauvaise volonté la plus évidente. Cela fait le jeu de Philippe VI qui accueille David II en mai 1334 et l'installe avec sa cour dans le glacial Château-Gaillard[28]. Ce qui compte n'est pas le succès des Écossais, mais la menace qu'ils font peser sur l'Angleterre. Édouard III tente d'apaiser le roi de France et d'obtenir rétrocession des terres saisies par Charles IV en Aquitaine, mais Philippe exige en échange le rétablissement de David II : les questions de Guyenne et d'Écosse sont désormais liées. En dépit des victoires de Dupplin et Halidon, les forces de David Bruce commencent bientôt à se ressaisir. Dès juillet 1334 Édouard Balliol doit fuir à Berwick et demander l'aide d'Édouard III. Grâce à une taxe obtenue du Parlement et à un emprunt auprès de la banque Bardi, il relance une campagne écossaise[28]. Il lance une chevauchée dévastatrice mais les Écossais ont compris la leçon. Ils évitent les batailles rangées et lui opposent la tactique de la terre déserte. L'occupation des Plantagenêts est mise en danger et les forces de Balliol perdent rapidement du terrain. Édouard lève alors une armée de 13 000 hommes qui s'engage dans une deuxième campagne stérile. Les Français montent un corps expéditionnaire de 6 000 hommes et livrent une guerre de course dans la Manche[29]. Édouard III licencie son armée à l'automne. Fin de l'année 1335, les Écossais indépendantistes menés par sir Andrew Murray livrent bataille à Culblean contre un partisan d'Édouard Balliol. Ils feignent de fuir et les Anglais chargent en quittant leur position défensive. Ils subissent alors une charge de flanc et se débandent.
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+ En 1336, Philippe VI, sentant son pouvoir plus assuré, prend des initiatives. En mars, il est à Avignon où le pape Benoît XII, qui commence à bâtir la célèbre forteresse, refuse de lancer la croisade tant voulue par le roi de France, jugeant l'opération impossible étant données les divisions nombreuses en Occident. Ce dernier, vexé (on lui avait promis le commandement de la croisade) fait passer la flotte française de Méditerranée en mer du Nord. L'Angleterre tremble. Édouard III met ses côtes en état d'alerte. Les shérifs arment de toute urgence tous les hommes de seize à soixante ans. Le Parlement vote un subside sans se faire prier. Benoît XII avait déjà retenu le roi de France sur le chemin de la croisade, il s'efforce de le retenir également sur celui de l'Écosse. Philippe VI reçoit de lui une lettre d'une sagesse politique consommée et dont le roi aurait eu avantage à méditer la leçon :
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+ « En ces temps de troubles, où des conflits éclatent dans toutes les parties du monde, il faut longuement réfléchir avant de s'engager. Il n'est pas difficile d'entreprendre une affaire. Mais il faut d'abord savoir, c'est une question de science et de réflexion, comment on la terminera et quelles en seront les conséquences ».
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+ Le roi de France ignore la leçon et ses ambassadeurs tiennent en Angleterre une conférence avec ceux de David Bruce et une délégation de barons écossais. On y parle de guerre. Édouard III, informé, ne se fait plus d'illusions, son cousin se pose en ennemi. Benoît XII impose à nouveau sa médiation, et calme difficilement les ardeurs de Philippe. Il empêche également l'empereur Louis de Bavière de former contre la France une coalition avec Édouard III. L'équilibre est fragile et la course aux armements reprend de plus belle, gênée par le manque d'argent de chacune des parties. Avec le concours de son principal conseiller Miles de Noyers, Philippe VI s'assure le soutien de quelques États (Gênes, Castille, Montferrat) et achète des places fortes au nord et à l'est du Royaume[30].
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+ À cette époque, en 1336, le frère d'Édouard III, Jean d'Eltham, comte de Cornouailles, meurt. Dans son ouvrage Gestia annalia, l'historien Jean de Fordun accuse Édouard d'avoir tué son frère dans une querelle à Perth. Bien qu'Édouard III alloue une très large armée aux opérations écossaises, la vaste majorité de l'Écosse a été reconquise par les forces de David II en 1337, laissant uniquement quelques châteaux tels que Édimbourg, Roxburgh et Stirling aux mains des Plantagenêts. Une médiation papale tente d'obtenir la paix : on propose que Balliol reste roi jusqu'à sa mort et qu'il soit ensuite remplacé par David Bruce. Ce dernier refuse à l'instigation de Philippe VI[29]. Au printemps de 1337, la guerre franco-anglaise semble inévitable.
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+ Les quelques places fortes encore sous contrôle sont insuffisantes pour imposer la loi d'Édouard et dans les années 1338-1339, il passe d'une stratégie de conquête à une stratégie de défense des acquis. Édouard doit faire face à des problèmes militaires sur deux fronts ; la lutte pour le trône de France n'est pas d'une moindre importance. Les Français représentent un problème dans trois domaines : premièrement, ils pourvoient un support constant aux Écossais par le biais d'une alliance franco-écossaise. Ensuite, les Français attaquent régulièrement plusieurs villes côtières anglaises, initiant les rumeurs d'une invasion massive en Angleterre[31]. En effet, Philippe VI monte une expédition de 20 000 hommes d'armes et 5 000 arbalétriers. Mais pour transférer une telle force il doit louer des galères génoises. Édouard III, mis au courant par des espions, empêche le projet en payant les Génois pour neutraliser leur flotte : Philippe VI n'a pas les moyens de surenchérir[29].
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+ À la Toussaint 1337, l'évêque de Lincoln, Henry Burghersh, arrive, porteur d'un message du roi d'Angleterre adressé à « Philippe de Valois, qui se dit roi de France ». C'est une rupture de l'hommage et une déclaration de guerre.
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+ Depuis le vote des subsides par le Parlement anglais réuni à Nottingham un an plus tôt, la marche à la guerre avait été rapide. Le roi Édouard III d'Angleterre avait armé une flotte et envoyé des armes en Guyenne. Il avait, à la fin de l'année 1336, décrété l'interdiction de la vente de laines anglaises à destination de la Flandre et accordait en février 1337 des privilèges aux ouvriers étrangers qui viendraient s'établir dans les villes anglaises, pour forcer les villes drapantes (Ypres, Gand, Bruges, Lille) à choisir entre ses fournisseurs anglais et ses clients français. L'importation de draps étrangers est interdite. L'Angleterre veut donner l'impression de se préparer à vivre sans la Flandre. Édouard III jouait également sur les rivalités entre les provinces du Nord. Il favorise les exportations anglaises vers le Brabant, la draperie de Malines et de Bruxelles commençant à rivaliser efficacement avec celle des grands centres traditionnels de Flandre. Le Brabant reçoit 30 000 sacs de laine à la seule condition de n'en rien céder aux cités flamandes. Le roi d'Angleterre récompensait également la fermeté du duc de Brabant, Jean III, face aux observations du roi de France au temps où Robert d'Artois était en exil sur ses terres. La diplomatie du sterling se déploie aux confins occidentaux du Saint-Empire romain germanique contre le roi de France. Des ambassadeurs anglais tiennent à Valenciennes, aux portes du royaume, une bourse aux alliances où se monnaie la haine du Valois. Le roi de France masse de son côté sa flotte en Normandie et relance contre Édouard III la résistance des Écossais. Le 24 mai 1337, ayant refusé de déférer à la citation, Édouard III est condamné à la saisie de son duché. Le pape Benoît XII obtient du roi de France un sursis à l'exécution de la saisie. Philippe VI promet de n'occuper le duché de Guyenne que l'année suivante. La réplique d'Édouard III fut le défi porté par Henry Burghersh, l'évêque de Lincoln.
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+ Les cités flamandes et le Brabant optent donc pour l'alliance anglaise, entraînant avec eux le Hainaut, qui après un temps d'hésitation, se décide pour ne pas se trouver inutilement isolé. De plus, Édouard III, époux de Philippa de Hainaut, est gendre du comte. Comme Guillaume Ier de Hainaut est également comte de Hollande et de Zélande, la Flandre se trouve entourée du côté de l'Empire, de la mer du Nord à la frontière française, par un État résolument hostile au Valois. Les principautés rhénanes complètent la coalition ; Juliers, Limbourg, Clèves et quelques autres cèdent à la politique du sterling. Philippe VI ne peut, lui, compter dans cette région que sur les survivances d'une influence française qui connut son apogée sous Louis IX de France et Philippe IV le Bel. Le comte de Flandre n'est pas fiable car son comté lui échappe. L'évêque de Liège et la ville de Cambrai permettent tout juste de balancer l'influence de leurs trop puissants voisins de Brabant et de Hainaut. Le roi de France a finalement peu à espérer au nord.
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+ Le jeu est plus subtil du côté de l'empereur Louis de Bavière, excommunié et schismatique. Pour survivre, lui si affaibli, il doit donc disloquer l'entente des princes chrétiens et met son alliance aux enchères. En août 1337, il finit par vendre son adhésion aux Plantagenêt. Édouard III obtient même de l'empereur le titre de « vicaire impérial en Basse-Germanie » qui en fait le représentant officiel de l'autorité impériale sur le Rhin et sur la Meuse. L'affaire se fête en septembre 1338 à Coblence lors de réjouissances magnifiques organisées par l'empereur mais financées par le roi d'Angleterre. Cela devrait automatiquement entraîner le soutien du pape au roi de France mais Benoît XII tergiverse, se contentant de protester contre cette alliance, espérant toujours imposer sa médiation. Le roi d'Angleterre le forcera à se décider lorsqu'il rappellera en juillet 1338 ses ambassadeurs en Avignon. Édouard se croit tout permis. Il reçoit à Coblence l'hommage des vassaux de l'Empire, à l'exception de l'évêque de Liège. Il noue des relations avec le comte de Genève et le comte de Savoie. Le duc de Bourgogne lui-même, toujours amer du choix dynastique de 1328, prête une oreille complaisante aux propos du Plantagenêt. Édouard III passe commande d'une couronne fleurdelisée, il se voit déjà à Reims.
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+ Les alliances de Philippe VI sont moins nombreuses mais plus solides et donc plus utiles sur le long terme. Des distributions de rente sur le Trésor ont acquis au Valois les comtes de Genève et de Savoie tentés par l'alliance anglaise, tout comme le comte de Vaudémont et celui de Deux-Ponts (de). Jean l'Aveugle, comte de Luxembourg et roi de Bohême, un habitué de la cour de France, se range dans le camp français, entraînant avec lui son gendre, le duc de Basse-Bavière. Gênes s'engage à fournir des navires et des arbalétriers expérimentés. Le Habsbourg marque sa sympathie. Mais le plus grand succès de l'activité diplomatique française, menée par Miles de Noyers, est l'alliance du roi de Castille obtenue en décembre 1336. Alphonse XI promet au roi de France un appui maritime qui se révèlera très utile sur l'Atlantique. En effet, marins gascons et anglais d'un côté et marins français et bretons de l'autre combattent à toute occasion, sur mer ou à quai. Quatre ans plus tard, on verra le renfort des navires castillans jusqu'en mer du Nord.
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+ Au début de la guerre de Cent Ans, constatant l'inefficacité de la campagne qu'il a confié à Raoul II de Brienne, Philippe VI se tourne vers Jean Ier de Bohême. En effet, le connétable de France, ayant commis l'erreur de diviser ses troupes pour tenter de prendre les forteresses gasconnes, se retrouve enlisé depuis le printemps 1338 dans des sièges interminables alors que les Anglais ont très peu d'hommes[32]. Jean de Bohême se voit adjoindre Gaston Fébus (qui reçoit en échange quelques seigneuries) et deux mercenaires savoyards : Pierre de la Palu et Le Galois de la Baume[32]. Le roi alloue 45 000 livres par mois à cette force qui compte 12 000 hommes. Considérant qu'il va s'agir de prendre les forteresses gasconnes les unes après les autres sans espoir de les affamer, on recrute un corps de sapeurs-mineurs allemands et on équipe cette armée de quelques bombardes. Le succès est rapide : les places fortes de Penne, Castelgaillard, Puyguilhem, Blaye et Bourg sont prises[32]. L'objectif n'est pas loin d'être atteint quand l'armée met le siège devant Bordeaux en juillet 1339. Mais la ville résiste, une porte est prise, mais les assaillants sont repoussés avec difficulté. Le problème du ravitaillement de 12 000 hommes se révèle insoluble, les ressources locales sont épuisées. Des troupes sont prélevées pour aller combattre dans le Nord. Le siège est levé le 19 juillet 1339[33].
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+ L'armée de Philippe ayant lancé son offensive victorieuse en Aquitaine et Édouard III étant sous la menace d'un débarquement français en Angleterre, ce dernier décide de porter la guerre en Flandre. Il s'est assuré l'alliance des villes flamandes qui ont besoin de la laine anglaise pour faire tourner leur économie, mais aussi de l'empereur et des princes de la région qui voient d'un mauvais œil les avancées françaises en terres d'empire. Parmi ces princes du Nord, non des moindres, se rencontrent Guillaume Ier (d'Avesnes), comte de Hainaut[n 3], le duc de Brabant, le duc de Gueldre, l'archevêque de Cologne et le comte (marquis ?) de Juliers. Ces alliances se sont faites sous la promesse de compensations financières de la part du roi d'Angleterre. Aussi quand il débarque le 22 juillet 1338 à Anvers, à la tête de 1 400 hommes d'armes et 3 000 archers, ses alliés s'empressent de lui demander d'acquitter ses dettes plutôt que de lui fournir les contingents prévus. Le roi d'Angleterre passe l'hiver en Brabant à négocier avec ses créanciers[34]. Pour neutraliser les troupes du roi de France arrivées à Amiens le 24 août, il lance des négociations que mènent l'archevêque de Cantorbéry et l'évêque de Durham. La manœuvre ayant réussi, le roi de France doit renvoyer sa considérable armée.
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+ Mais ce statu quo, lequel va durer près d'une année, mécontente les contribuables des deux camps qui se saignent pour financer des armées qui se regardent en chiens de faïence[35]. Au cours de l'été 1339, c'est Édouard III qui lance l'offensive. Ayant reçu des renforts d'Angleterre, et ayant réussi à garantir ses dettes vis-à-vis de ses alliés, il marche avec eux sur Cambrai (ville d'Empire mais dont l'évêque s'est rangé du côté de Philippe VI) fin septembre 1339. Cherchant à provoquer une bataille rangée avec les Français, il pille tout sur son passage, mais Philippe VI ne bouge pas. Le 9 octobre, commençant à épuiser les ressources locales, le roi d'Angleterre doit se décider à livrer bataille. Il oblique donc vers le sud-ouest et traverse le Cambrésis en brûlant et tuant tout sur son passage : 55 villages du diocèse de Noyon sont rasés[36]. Pendant ce temps, Philippe VI a fait réunir son ost et arrive jusqu'à Buironfosse. Les deux armées marchent alors l'une vers l'autre et se rencontrent une première fois près de Péronne. Édouard a 12 000 hommes et Philippe 25 000. Le roi d'Angleterre, trouvant le terrain défavorable, se retire. Philippe VI lui propose de se rencontrer le 21 ou 22 octobre en terrain découvert où leurs armées pourront en découdre selon les règles de chevalerie. Édouard III l'attend près du village de La Capelle où il a établi son camp en terrain favorable, retranché derrière pieux et fossés, ses archers positionnés sur les ailes. Le roi de France, estimant qu'une charge de cavalerie serait suicidaire, se retranche aussi, laissant l'honneur aux Anglais d'attaquer. Le 23 octobre 1339, faute que l'un des deux adversaires prenne l'initiative, les deux armées rentrent chez elles. La chevalerie française qui comptait se financer sur les rançons demandées aux éventuels prisonniers faits au cours des combats gronde et accuse Philippe VI de « renardie »[37].
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+ La conduite de la guerre de Philippe VI engendre de nombreux mécontentements. Faute de pouvoir lever suffisamment d'impôts pour soutenir l'effort de guerre autant que son administration et les pensions et exemptions de plus en plus importantes qu'il alloue aux seigneurs qu'il craint voir basculer dans le camp anglais, il a recours à de fréquentes mutations monétaires qui entraînent de l'inflation : la teneur en métaux nobles de la monnaie est confidentiellement diminuée. Il gouverne avec un conseil restreint constitué de parents proches, ce qui mécontente les princes exclus de la sphère dirigeante. Sa stratégie qui consiste à éviter les batailles rangées est décriée par la chevalerie qui espère beaucoup des rançons versées par d'éventuels prisonniers. Quant à Édouard III, s'il est ruiné, il intéresse les féodaux par une politique visant à s'attirer les bonnes grâces des vassaux gascons du roi de France. Fin 1339, Oliver Ingham, sénéchal de Bordeaux, réussit à tirer dans son camp Bernard-Ezy V, sire d'Albret, qui entraîne avec lui de nombreux seigneurs. Édouard III le désigne comme lieutenant en Aquitaine. À la tête de troupes gasconnes, il progresse vers l'est prenant Sainte-Bazeille sur la Garonne et assiège Condom. Son avancée culmine en septembre 1340 mais Pierre de la Palu, le sénéchal de Toulouse, mène alors une contre-offensive qui l'oblige à lever le siège. Dans la foulée toutes les villes sont reprises[38].
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+ L'année 1340 n'est pas plus favorable à Édouard III sur le front écossais : la guérilla des partisans de David Bruce s'intensifie et des raids sont menés sur le Northumberland. William Douglas, lord de Liddesdale, s'empare d'Édimbourg et David Bruce rentre d'exil en juin 1341[39].
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+ Édouard III, qui n'a négocié la trêve d'Esplechin que pour gagner du temps au moment où l'évolution du conflit lui est défavorable (il n'a aucune confiance dans la médiation papale qu'il juge complètement pro-française), reprend les hostilités et prend Bourg en août 1341 alors que la tension monte entre Philippe VI et Jacques II de Majorque, ce dernier refusant de prêter hommage au roi de France pour la ville de Montpellier[40].
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+ Le 30 avril 1341, meurt le duc Jean III de Bretagne, sans descendance malgré trois mariages, avec Isabelle de Valois, Isabelle de Castille et Jeanne de Savoie, et sans avoir désigné son successeur. Les prétendants sont, d'une part, Jeanne de Penthièvre, fille de son frère Guy de Penthièvre, mariée depuis 1337 à Charles de Blois, parent du roi et, d'autre part, Jean de Montfort, comte de Montfort-l'Amaury, demi-frère du défunt duc, fils du second mariage d'Arthur II de Bretagne avec Yolande de Dreux, comtesse de Montfort-l'Amaury.
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+ En mai 1341, sentant que le verdict serait en faveur de Charles de Blois, proche parent du roi, Jean de Montfort, poussé par sa femme, Jeanne de Flandre, prend les devants : il s'installe à Nantes, la capitale ducale et s'empare du trésor ducal à Limoges, ville dont Jean III avait été le vicomte. Il convoque les grands vassaux bretons pour se faire reconnaître comme duc mais la majorité ne vient pas (beaucoup d'entre eux ont aussi des possessions en France qu'ils risqueraient de se voir confisquer s'ils s'opposaient au roi)[41].
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+ Dans les mois qui suivent (juin-juillet), il effectue une grande chevauchée dans son duché pour s'assurer le contrôle des places fortes (Rennes, Malestroit, Vannes, Quimperlé, La Roche-Piriou, Quimper, Brest, Saint-Brieuc, Dinan et Mauron avant de rentrer à Nantes). Il parvient à prendre le contrôle d'une vingtaine de places[42].
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+ Jean de Montfort ayant pris possession de toutes les places fortes du duché au printemps 1341 et ayant donné l'hommage lige à Édouard III, il faut mettre effectivement Charles de Blois en possession du duché[42]. Philippe VI convoque donc une armée de 7 000 hommes renforcée de mercenaires génois à Angers pour le 26 septembre 1341. Jean le Bon, duc de Normandie est mis à la tête de l'expédition, flanqué de Miles de Noyer, du duc de Bourgogne et de Charles de Blois. L'armée quitte Angers début octobre 1341, bouscule Jean de Montfort à L'Humeau, puis assiège Nantes où il s'est réfugié. Il enlève la forteresse de Champtoceaux qui, sur la rive gauche de la Loire, verrouille l'accès de Nantes[43]. Édouard III qui vient de prolonger la trêve d'Esplechin ne peut intervenir. La ville capitule au bout d'une semaine, début novembre 1341[44]. Jean de Montfort se rend sur parole au fils du roi de France le 21 novembre et lui remet sa capitale. Il reçoit un sauf-conduit pour se rendre à Paris pour plaider sa cause mais il y est arrêté et incarcéré au Louvre en décembre 1341[45]. Privé de son chef et du soutien des grandes familles bretonnes, le parti monfortiste devait s'effondrer. Avec l'hiver le duc de Normandie achève la campagne sans avoir annihilé les derniers obstacles : pensant avoir réglé l'affaire en s'assurant de la personne de Jean de Montfort, il rentre à Paris. C'est compter sans Jeanne de Flandre, épouse de Jean de Montfort, qui ranime la flamme de la résistance et rallie ses partisans à Vannes. Elle se retranche à Hennebond, envoie son fils en Angleterre et conclut un traité d'alliance avec Édouard III en janvier 1342[44]. Soucieux d'ouvrir un nouveau front susceptible d'alléger la pression française en Guyenne et de limiter le nombre de troupes qui peuvent être envoyées en soutien des Écossais, Édouard III se décide à répondre favorablement aux demandes d'assistance militaire de Jeanne de Flandre[46]. Le roi d'Angleterre n'a pas un sou pour payer une expédition : c'est donc le trésor ducal breton qui va la financer. Il ne peut envoyer en avril 1342 que 34 hommes d'armes et 200 archers. Entretemps les Français ont pris Rennes et assiègent Hennebont, Vannes et Auray qui résistent. Charles de Blois est contraint de lever le camp en juin 1342 devant l'arrivée de Wauthier de Masny et Robert d'Artois à la tête de troupes anglaises[47]. En juillet 1342, de forts renforts français arrivent, Jeanne de Flandre doit fuir et se retrouve assiégée dans Brest[48]. Mais le 15 août, le gros des troupes anglaises arrive enfin à Brest avec 260 bateaux et 1 350 combattants. Charles de Blois se replie vers Morlaix et s'y retrouve assiégé par Robert d'Artois qui espère ouvrir aux Anglais un deuxième port au nord de la Bretagne. Les Anglais tentent de prendre Rennes et Nantes, mais ils doivent se contenter de saccager Dinan et de mettre le siège devant Vannes, ville devant laquelle Robert d'Artois est grièvement blessé[46]. Les Français, qui les attendaient à Calais, avaient retiré leurs forces du fait des succès de Charles de Blois. Le 30 septembre, les forces de ce dernier subissent de sérieuses pertes près de Lanmeur[48].
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+ Une armée française aux ordres, une nouvelle fois, du duc de Normandie, est rassemblée pour faire face. Mais Jean de Montfort étant prisonnier et Jeanne de Flandre ayant sombré dans la folie, une trêve est signée le 19 janvier 1343[49]. De fait les Anglais occupent et administrent les places fortes encore fidèles à Jean de Montfort. Une importante garnison anglaise va occuper Brest. Vannes sera administrée par le pape. Le conflit nullement réglé va se prolonger 22 ans et permettre aux Anglais de prendre durablement pied en Bretagne.
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+ La trêve de Malestroit en janvier 1343 conduit au renvoi de nombreux mercenaires qui forment les premières Grandes Compagnies. Ces dernières agissent en Languedoc comme la Société de la Folie qui sévit dans les environs de Nîmes ou encore les bandes anglaises ou bretonnes non soldées qui rançonnent les populations et enfoncent du même coup le duché de Bretagne dans l'anarchie[50].
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+ Le tournant de la guerre se joue sur le plan financier. Mettant à profit la trêve de Malestroit, Édouard réussit à convaincre le Parlement qu'il n'est pas possible de remporter cette guerre sans envoyer des forces considérables contre l'ennemi[51]. Il a déployé d'importants efforts de propagande pour convaincre la population de la menace que fait peser sur elle le roi de France[52]. Le Parlement lui vote en juin 1344 un impôt sur deux ans : de quoi réunir deux armées très bien équipées pour mener des campagnes décisives en Aquitaine et dans le Nord de la France, et de plus petits contingents pour peser sur la guerre de Succession de Bretagne.
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+ Début août 1345, le comte Henry de Lancastre débarque à Bordeaux avec 500 hommes d'armes, 1 000 archers et 500 fantassins gallois. Il a le titre de lieutenant pour l'Aquitaine et toute liberté d'action. Son premier objectif : neutraliser Bergerac d'où partent régulièrement des raids dévastateurs. La ville est prise dès le mois d'août. Il y fait des centaines de prisonniers qui sont mis à rançon. Renforcé de troupes gasconnes et des troupes de Stafford (son armée compte 2 000 hommes d'armes et 5 000 archers et fantassins), il assiège Périgueux[53]. Jean le Bon, chargé de la défense de l'Aquitaine, envoie le comte de Valentinois, Louis de Poitiers, avec 3 000 hommes d'armes et 6 000 fantassins secourir la ville. Mais à quinze kilomètres de Périgueux, Louis de Poitiers s'arrête pour assiéger le château d'Auberoche. Il y est surpris par Henry de Lancastre le 21 octobre, l'armée française est défaite et les Anglais font une nouvelle fois de nombreux prisonniers[54]. Fort de ce succès, Henry de Lancastre prend plusieurs bastides, nettoyant de ses garnisons françaises l'espace compris entre la Dordogne et la Garonne, puis il met le siège devant La Réole. La ville est prise dès le 8 novembre, mais la citadelle résiste : elle promet de se rendre si aucun secours n'arrive dans les cinq semaines[55]. Jean le Bon, lui, ne bouge pas, une grande partie de son armée a été défaite à Auberoche et il a licencié le reste. La Réole mais aussi Langon et Sainte-Bazeille font de même, en janvier 1346. Cela a un effet catastrophique : devant l'inertie des Français, de nombreux seigneurs gascons changent de camp, comme les puissantes familles Durfort et Duras, les communautés locales organisent leur propre défense et refusent donc de payer les impôts royaux[55]. De ce fait la souveraineté française sur l'Aquitaine recule, laissant place à l'action des Grandes Compagnies et aux guerres privées, ce qui accentue le phénomène. D'autre part, les prisonniers de Bergerac et d'Auberoche rapportent près de 70 000 livres de rançon à Henry de Lancastre et ses lieutenants ne sont pas en reste : on prend conscience en Angleterre que la guerre en France peut être rentable, ce qui suscite nombre de vocations[55]. Aiguillon chute début 1346, Philippe VI se décide enfin à agir : il doit trouver des finances pour monter une armée. Il obtient avec grande difficulté des finances des États de langue d'oïl et de langue d'oc, il emprunte aux banques italiennes de Paris et surtout il reçoit le soutien du pape qui l'autorise à prélever 10 % des revenus ecclésiastiques du royaume et lui prête 33 000 florins[56]. Il recrute des mercenaires en Aragon et en Italie. Son fils Jean se retrouve à la tête de 15 000 hommes dont 1 400 Génois[56]. Il commence la campagne d'Aquitaine en assiégeant Aiguillon le 1er août[56]. La place au confluent de la Garonne et du Lot est extrêmement bien fortifiée et tenue par une solide garnison de 600 archers et 300 hommes d'armes[52]. Jean fait le serment de ne pas quitter les lieux avant d'avoir pris la ville. Il emploie les grands moyens : réseau de tranchées pour protéger l'approche et les arrières, construction de ponts sur la Garonne et le Lot pour bloquer le ravitaillement de la ville. Mais, le siège piétine et ce sont bientôt ses propres forces qui se retrouvent affamées, d'autant que les assiégés ont fait main basse sur le ravitaillement des assiégeants au cours de sorties audacieuses[52]. Fin août 1346, il doit lever le siège : Édouard III a attaqué au nord du Royaume et Philippe VI a besoin de lui.
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+ Les Anglais se faisant menaçants, Philippe pousse le roi David II d'Écosse à envahir l'Angleterre par le nord, théoriquement peu défendue étant donné qu'Édouard prépare au sud l'invasion de la France. David II est battu et capturé à Neville's Cross le 17 octobre 1346. Pendant ce temps, Édouard III d'Angleterre débarque en Normandie en juillet 1346 et effectue une razzia systématique des régions françaises traversées.
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+ Les deux armées se rencontrent à Crécy le 26 août 1346. Les Français sont plus nombreux, mais l'armée française, comptant sur sa puissante chevalerie, affronte une armée anglaise composée d'archers et de fantassins en cours de professionnalisation. Confrontée à la baisse de ses revenus fonciers, la noblesse compte se renflouer avec les rançons demandées en échange des chevaliers adverses capturés[22]. Elle est échaudée par les dérobades de Philippe VI qui, conscient de la supériorité tactique anglaise conférée par l'arc long, a préféré plusieurs fois renoncer au combat plutôt que de risquer une défaite. Le roi n'a plus le charisme et la crédibilité nécessaires pour tenir ses troupes. Dès lors, chacun veut atteindre le plus vite possible l'ennemi anglais afin de se tailler la part du lion ; personne n'obéit aux ordres du roi Philippe VI qui, emporté par le mouvement, est contraint de se lancer à corps perdu dans la bataille. Gênés dans leur progression par leurs propres piétons et les arbalétriers mercenaires génois mis en déroute par la pluie de flèches anglaises, les chevaliers français sont obligés d'en découdre avec leurs propres hommes. C'est un désastre du côté français où Philippe VI de Valois s'illustre par son incompétence militaire. Les chevaliers français chargent par vagues successives le mont de Crécy, mais leurs montures (à l'époque non ou peu protégées) sont massacrées par les pluies de flèches décochées par les archers anglais abrités derrière des rangées de pieux. Peinant à se relever de leur chute, les chevaliers français, lourdement engoncés dans leurs armures, sont des proies faciles pour les fantassins qui n'ont plus qu'à les achever[57].
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+ L'armée française anéantie, Édouard III remonte vers le nord et met le siège devant Calais. Avec une armée de secours, le roi de France essaie bien de lever le blocus de la ville, mais n'ose pas affronter Édouard III. C'est dans de dramatiques circonstances, au cours desquelles les célèbres bourgeois de Calais remettent les clés de leur ville aux assiégeants, que Calais passe sous domination anglaise, laquelle va durer jusqu'au XVIe siècle. Philippe VI négocie une trêve avec Édouard III, qui, en position de force, obtient la souveraineté pleine et entière sur Calais.
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+ En 1347, après la chute de Calais, Philippe VI, âgé (53 ans) et discrédité, doit céder à la pression. C'est son fils Jean, le duc de Normandie, qui prend les choses en main. Ses alliés (les Melun et les membres de la bourgeoisie d'affaires qui viennent d'être victimes de la purge qui a suivi Crécy et qu'il fait réhabiliter) entrent au conseil du roi, à la Chambre des comptes[58] et occupent des postes élevés dans l'administration. L'attraction politique de la France permet d'étendre le royaume vers l'est en dépit des défaites militaires. Ainsi, le comte Humbert II, ruiné par son incapacité à lever l'impôt[59] et sans héritier après la mort de son fils unique, vend le Dauphiné[60] à Philippe VI. Jean prend part directement aux négociations et finalise l'accord.
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+ La peste noire est une pandémie qui a touché la population européenne entre 1347 et 1351. Les maladies appelées « peste » avaient disparu d'Occident depuis le VIIIe siècle (peste de Justinien). Il s'agit de la pandémie la plus meurtrière de l'histoire de l'humanité jusqu'à la grippe espagnole, en l'état des connaissances. C'est la première pandémie de l'histoire à avoir été bien décrite par les chroniqueurs contemporains.
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+ On estime que la peste noire a tué entre 30 et 50 % de la population européenne en cinq ans, faisant environ vingt-cinq millions de victimes. Cette pandémie eut des conséquences durables sur la civilisation européenne, mais aussi au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. De plus, après cette première vague, la maladie refit ensuite régulièrement son apparition dans les différents pays touchés : entre 1353 et 1355 en France, et entre 1360 et 1369 en Angleterre, notamment, puis à peu près tous les 20 ans, jusqu'au XVIIe siècle inclus.
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+ En 1331, Jacques III de Majorque âgé de 16 ans rend hommage à Philippe VI pour la ville de Montpellier, que sa famille tient d'un mariage[61]. Montpellier est située dans le royaume de France mais est une possession du roi de Majorque à l'instar de la Guyenne pour le roi d'Angleterre. Le royaume de Majorque est lui-même état vassal du royaume d'Aragon mais supporte mal le poids fiscal de cette vassalité qui lui a été imposée par la force.
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+ Montpellier a elle-même beaucoup d'indépendance. Elle est à 3 jours de marche du reste des possessions continentales du roi de Majorque, en Roussillon. Elle est commercialement dépendante du Languedoc mais les échanges avec les Espagnols sont moins avantageux du fait de leur propre monnaie. L'usage de monnaies françaises y est courant et ses intérêts commerciaux la pousse vers le royaume de France[62]. Suspicieux quant aux velléités d'indépendance de Jacques III de Majorque qui a rechigné à lui rendre hommage, Pierre IV d'Aragon dit le Cérémonieux travaille à la réunion des deux couronnes.
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+ En 1339, inquiété par les rumeurs de mariage d'un fils de Jacques III avec une fille d'Édouard III, rumeurs colportées par le roi d'Aragon qui travaille activement à isoler son vassal, Philippe VI somme le roi de Majorque de renouveler son hommage pour la ville de Montpellier. Jacques III lui répond qu'il doute de la légalité de cet hommage et s'en remet au pape[63]. Voyant que la France est mise en difficulté par l'Angleterre, Jacques III fait organiser des joutes à Montpellier, ce qui est en contradiction avec l'ordre du roi de France qui les a interdites en temps de guerre : c'est une remise en cause claire de la souveraineté de Philippe VI sur Montpellier[64]. Pierre IV, jouant un double jeu et assurant à Jacques qu'il l'aiderait militairement en cas de conflit avec la France, pousse le roi de Majorque à s'affirmer de plus en plus dans une alliance avec le roi d'Angleterre, mais dans le même temps il demande le soutien du roi de France[65]. Philippe VI fait saisir la ville de Montpellier et les vicomtés d'Omella et Carladis. Il charge Jean le Bon de monter une armée pour entrer en Roussillon. Mais Jacques III se rend compte qu'il a été joué par le roi d'Aragon et fait amende honorable. Philippe VI, qui a bien compris que les jeux sont faits, entérine l'alliance avec Pierre le Cérémonieux et rend ses possessions françaises au roi de Majorque, sachant pertinemment que celui-ci, cerné par une si puissante alliance, ne pourra pas les conserver. En 1343, Pierre IV envahit les Baléares, et se rend maître du Roussillon en 1344. Le 5 septembre 1343, Philippe VI soutient l'offensive aragonaise en interdisant tout ravitaillement du roi de Majorque en armes, vivres ou chevaux[66]. Complètement isolé, Jacques III est contraint d'accepter la défaite. Son sort est scellé par les Cortes à Barcelone, où il est décidé de lui laisser son fief de Montpellier. Mais il refuse et s'enfuit chez un de ses amis, le comte de Foix, avec une quarantaine de ses chevaliers. Rencontrant Philippe VI à Avignon, il lui revend la ville de Montpellier et engage une partie de la Cerdagne et du Roussillon le 18 avril 1349 pour 120 000 écus d'or. Il peut ainsi se reconstituer une armée et une flotte. Les accords stipulent qu'il conserve les droits sur sa ville jusqu'à sa mort. Celle-ci survient le 25 octobre 1349: Montpellier appartient désormais à la couronne de France[67]. Par contre, la Cerdagne et le Roussillon, contestés par le roi d'Aragon, restent aragonais.
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+ Le comte Humbert II, ruiné du fait de son incapacité à lever l'impôt[59] et sans héritier après la mort de son fils unique, vend le Dauphiné[60], terre du Saint-Empire romain germanique. Ni le pape ni l'empereur ne se portant acquéreurs, l'affaire est conclue avec Philippe VI. Selon l'accord, il doit revenir à un fils du futur roi Jean le Bon. C'est donc Charles V, en tant que fils aîné de ce dernier, qui devient le dauphin. Il n'a que onze ans, mais est immédiatement confronté à l'exercice du pouvoir. Le contrôle du Dauphiné est précieux pour le royaume de France car il occupe la vallée du Rhône, un axe commercial majeur entre Méditerranée et Nord de l'Europe depuis l'Antiquité, les mettant en contact direct avec Avignon, ville papale et centre diplomatique incontournable de l'Europe médiévale.
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+ La belle-fille de Philippe VI, Bonne de Luxembourg, meurt de la peste en 1349. Philippe réalise une nouvelle manœuvre diplomatique qui accroît ses possessions vers l'est. Jean de Normandie épouse en secondes noces, le 19 février 1350 à Nanterre, la comtesse Jeanne de Boulogne, fille de Guillaume XII d'Auvergne et de Marguerite d'Évreux, veuve âgée de 24 ans, héritière des comtés de Boulogne et d'Auvergne et régente du duché de Bourgogne, des comtés de Bourgogne et d'Artois au nom de son fils du premier lit, Philippe de Rouvre. Elle reçoit en douaire les seigneuries de Montargis, Lorris, Vitry-aux-Loges, Boiscommun, Châteauneuf-sur-Loire, Corbeil, Fontainebleau, Melun et Montreuil[n 4],[69].
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+ Philippe VI meurt dans la nuit du 22 au 23 août 1350 au château de Nogent-le-Roi selon certains historiens ou plus vraisemblablement à l'abbaye Notre-Dame de Coulombs selon d'autres[70]. Philippe laisse un royaume durablement désorganisé, entré dans une phase de révoltes qui tournera à la guerre civile avec la Grande Jacquerie de l'année 1358.
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+ En juillet 1313, Philippe VI de Valois épouse en premières noces Jeanne de Bourgogne (v. 1293-1349), fille de Robert II (1248-1306), duc de Bourgogne (1272-1306) et roi titulaire de Thessalonique, et d'Agnès de France (1260-1325). De cette union sont issus au moins huit enfants[n 5] :
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+ Devenu veuf de Jeanne de Bourgogne, décédée le 12 décembre 1349, le roi épouse en secondes noces à Brie-Comte-Robert, le 11 ou 29 janvier 1350 (selon les sources), Blanche de Navarre (v. 1331-1398), dite Blanche d'Évreux, fille de Philippe III (1306-1343), comte d'Évreux (1319-1343) et roi de Navarre par mariage, et de Jeanne II (1311-1349), reine de Navarre (1328-1349) et comtesse de Champagne. De cette union est issue une fille posthume :
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+ Philippe VI de Valois aurait eu deux fils naturels :
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+ D'après la Chronique latine du moine bénédictin Guillaume de Nangis[75], les barons français préconisaient majoritairement de reporter le combat contre les milices flamandes à Cassel le 23 août 1328, en arguant de l'approche de l'hiver. Le roi Philippe VI demanda conseil à son connétable, Gaucher de Châtillon, qui l'exhorta à livrer bataille en répondant hardiment : « Qui a bon cœur trouve toujours bon temps pour la guerre. » Galvanisé par cette réponse, le souverain lui aurait donné l'accolade avant de lancer à ses barons la fameuse formule « Qui m'aime me suive ! »[76] (« Qui me diligit me sequatur »).
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+ Cependant, l'origine de ce « mot historique » est controversée puisque Plutarque attribuait déjà la tirade « Qui m'aime me suive » à Alexandre le Grand, plusieurs siècles plus tôt[77].
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+ Pour l'anecdote, c'est aussi avant cette bataille que Philippe récolta le sobriquet railleur de « roi trouvé » : les rebelles flamands étaient menés par un marchand de poisson nommé Nicolaas Zannekin, par ailleurs plein d'esprit. Il se moqua de la manière dont Philippe VI avait accédé au trône en peignant sur les étendards un coq avec l'inscription : Quand ce coq icy chantera, le Roy trouvé cy entrera[78],[79]. L'issue de la bataille le leur fit amèrement regretter.
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+ Philippe de Valois, roi de France de 1328 à 1350 sous le nom de Philippe VI, né en 1293 et mort le 22 août 1350 à Nogent-le-Roi[n 1] est issu de la branche cadette de la maison capétienne, dite maison de Valois, fondée par son père Charles de Valois, frère cadet de Philippe IV le Bel.
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+ Son accession au trône en 1328 découle d'un choix politique, à la suite de la mort sans fils ni frère de Jean Ier le Posthume en 1316 puis de Charles IV en 1328, afin d'éviter que la couronne de France passe dans les mains de la maison Plantagenêt. Quoique respectivement petit-fils de Philippe le Long et petit-fils de Philippe le Bel, Philippe de Bourgogne et Édouard III d'Angleterre — mais aussi[1] le futur Louis II de Flandre, second petit-fils de Philippe le Long, et le futur Charles II de Navarre, petit-fils de Louis le Hutin, qui allaient naître en 1330 et en 1332 — sont tous les quatre écartés de la succession au profit de l'ainé agnatique des Capétiens. Lors de son avènement, Philippe VI doit aussi négocier avec Jeanne II de Navarre, fille de Louis X le Hutin, écartée de la succession en 1316 parce que c'est une femme. Quoique soupçonnée de bâtardise, Jeanne revendiquait le royaume de Navarre et les comtés de Champagne et de Brie que Philippe IV le Bel tenait de son épouse Jeanne Ire de Navarre. N'étant pas héritier des rois de Navarre comme l'étaient ses prédécesseurs, Philippe VI restitue le royaume de Navarre à Jeanne, mais refuse de lui céder la Champagne et la Brie, redoutant d'être confronté à un parti trop puissant.
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+ S'il accède à la tête de l'État le plus puissant d'Occident, Philippe VI manque de moyens financiers, ce qu'il tente de compenser par la manipulation de la monnaie et des impôts supplémentaires, lesquels ne sont acceptés qu'en période de guerre. Il doit assoir au plus vite sa légitimité. Il le fait en restaurant l'autorité royale en Flandre en y écrasant la rébellion lors de la bataille de Cassel, le 23 août 1328, au cours de laquelle furent tués et massacrés 16 000 artisans et paysans révoltés contre le comte de Flandre. Par une habile politique diplomatique et matrimoniale, il contribue à augmenter l'influence du royaume à l'est du royaume de France. Il rachète le Dauphiné pour le compte de son petit-fils, remarie son fils à une héritière potentielle de la Bourgogne et prend une option sur le comté de Provence.
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+ En conflit avec Édouard III d'Angleterre, Philippe finit par obtenir de celui-ci l'hommage pour la Guyenne, mais leurs intrigues pour le contrôle des Flandres, l'alliance franco-écossaise et la nécessité de justifier les impôts supplémentaires conduiront à la guerre de Cent Ans. Celle-ci commence de manière larvée, aucun des deux rois n'ayant suffisamment de ressources pour soutenir ses ambitions. La guerre se mène par alliés interposés, hormis en Guyenne où les forces françaises assiègent Bordeaux mais doivent renoncer faute de vivres. De la même manière si la flotte française est en grande partie détruite à la bataille de L'Écluse en 1340, Édouard III ne peut concrétiser cette victoire sur terre et l'alliance germano-anglaise qu'il a organisée se disloque faute de pouvoir tenir ses promesses pécuniaires.
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+ Après la mort du duc Jean III de Bretagne, en avril 1341, un conflit successoral oppose Jean de Montfort à Charles de Blois pour la succession de Bretagne. Philippe VI arbitre en faveur de son neveu, Charles de Blois. Jean de Montfort s'allie aux Anglais, qui débarquent à Brest en 1342 et qui occuperont l'ouest de la Bretagne jusqu'en 1397.
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+ Toutefois, le véritable tournant du conflit a lieu en juin 1344, quand Édouard III obtient du Parlement anglais des ressources fiscales importantes pour deux ans. Philippe ne peut répondre qu'en recourant à des mutations monétaires qui entraînent des dévaluations très impopulaires car elles déstabilisent l'économie. Fort de ses ressources financières, Édouard III est capable d'attaquer en force sur au moins deux fronts. Il regagne du terrain en Aquitaine et surtout inflige une défaite écrasante à Philippe à la bataille de Crécy le 26 août 1346. Ce dernier n'a plus les moyens d'empêcher le roi d'Angleterre de prendre Calais après onze mois de siège le 3 août 1347.
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+ C'est complètement discrédité et en pleine épidémie de peste que Philippe VI meurt en 1350.
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+ Philippe VI est le fils aîné de Charles de Valois, frère cadet du roi Philippe le Bel, et de Marguerite d'Anjou. Il est donc cousin des trois fils de Philippe le Bel (Louis X, Philippe V et Charles IV), lesquels se succèdent sur le trône de France entre 1314 et 1328.
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+ Philippe de Valois se marie en juillet 1313 avec Jeanne de Bourgogne.
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+ Pour comprendre l'accession de Philippe VI au trône de France au détriment d'Édouard III, il faut remonter à 1316. Cas inédit depuis Hugues Capet, Louis X meurt sans héritier mâle : l'héritier direct du royaume de France se trouve donc être Jeanne de Navarre, une fille mineure[2]. La décision qui est prise à ce moment est très importante, car elle devient coutume et sera à nouveau appliquée lorsque la question dynastique se posera en 1328. L'infidélité avérée de la reine Marguerite fait planer le risque qu'un prétendant au trône, pour légitimer sa révolte, ne prenne pour prétexte que la reine fût bâtarde[3]. Le puissant Philippe de Poitiers, chevalier aguerri et formé par son père au métier de roi, s'impose comme régent à la mort de son frère Louis X le Hutin. À la mort de Jean le Posthume il est considéré par les grands comme le plus apte à gouverner et se fait sacrer roi de France, consacrant l'éviction de Jeanne[2] : si le choix du monarque français se fonde sur l'hérédité et le sacre, l'élection peut reprendre ses droits en cas de problème.
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+ Après le court règne de Philippe V, mort sans héritier mâle, c'est son plus jeune frère, Charles IV, qui, bénéficiant du précédent de son aîné, ceint à son tour la couronne. Malgré ses mariages successifs, Charles IV est toujours sans héritier mâle lorsqu'il meurt à Vincennes le 1er février 1328. Jeanne d'Évreux, sa veuve, étant enceinte, on attend avec impatience de savoir quel sera le sexe de l'enfant. Philippe de Valois est choisi comme régent et a donc de grandes chances de devenir roi s'il s'avère que c'est une fille. Il profite de la régence pour neutraliser ses éventuels rivaux les plus menaçants, les Évreux-Navarre. La reine Jeanne d'Évreux accouche d'une fille, Blanche le 1er avril 1328. Quand le troisième et dernier fils de Philippe le Bel meurt sans descendant mâle, la question dynastique est la suivante : Jeanne de Navarre n'a pas encore de fils (Charles de Navarre ne naît que quatre ans plus tard), Isabelle de France, dernière fille de Philippe le Bel, a un fils, Édouard III, roi d'Angleterre. Peut-elle transmettre un droit qu'elle ne peut elle-même exercer selon la coutume fixée dix ans plus tôt ?
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+ Édouard III pourrait être candidat, mais c'est Philippe de Valois qui est choisi[4]. Il est le fils de Charles de Valois, frère cadet de Philippe le Bel et descend donc par les mâles de la lignée capétienne. Il s'agit d'un choix géopolitique et une claire expression d'une conscience nationale naissante : le refus de voir un éventuel étranger épouser la reine et diriger le pays[5]. Les pairs de France refusent de donner la couronne à un roi étranger, suivant la même logique de politique nationale que dix ans auparavant[6]. Philippe de Valois cesse de porter le titre de régent des royaumes de France et de Navarre[7] et devient roi de France. Le dimanche 29 mai 1328, il est sacré à Reims par l'archevêque Guillaume de Trie. En tant que duc d'Aquitaine, Édouard III, pourtant pair de France, n'assiste pas à la cérémonie. La nouvelle ne surprend pas en Angleterre, seule Isabelle de France, qui est fille de Philippe le Bel, proteste de cette décision qui prive son fils de la couronne. Elle envoie deux évêques à Paris pour réclamer l'héritage de son fils, mais ceux-ci ne sont même pas reçus[8]. En outre, le Parlement anglais, réuni en 1329, déclare qu'Édouard n'a pas de droit à la couronne et doit prêter l'hommage pour l'Aquitaine[8]. De la même manière, Jeanne de Navarre, qui avait été évincée en 1316, reste candidate en 1328, son fils Charles qui est le descendant mâle le plus direct de Louis X ne naît qu'en 1332 et ne peut a fortiori être candidat.
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+ À sa majorité, Jeanne aurait dû confirmer sa renonciation à la Navarre, à la Champagne et à la Brie. Philippe le Bel détenait ces terres de sa femme Jeanne Ire de Navarre et Jeanne se trouve être leur descendante et héritière directe (dans ce cas, le roi tenant ces terres par les femmes ne peut contester que leur transmission se fasse par les femmes). Jeanne est mariée à Philippe d'Évreux (héritier de la Couronne si la branche des Valois s'éteignait) et peut compter sur le soutien inconditionnel des barons navarrais qui refusent que le royaume ne soit qu'une annexe gouvernée à distance par le roi de France. Contre Philippe d'Évreux et sa femme, il y a les filles de Philippe V et de Charles IV qui ont tous deux été rois de Navarre. Elles rappellent n'avoir jamais renoncé même provisoirement à leur héritage et surtout n'avoir reçu aucune indemnisation. Elles ont elles aussi leurs champions. L'aînée des filles de Philippe V a épousé Eudes, duc de Bourgogne, qui met son influence dans la balance. Sa mère était fille de Saint Louis, le couple n'est donc pas à prendre à la légère. Quant aux enfants du dernier roi, ils ont pour champion leur propre mère, la reine Jeanne d'Évreux. On voit donc là réapparaître cette famille d'Évreux qui est la première branche collatérale de la maison de France mais porte également les couleurs des Capétiens directs.
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+ Les Navarrais ont choisi leur camp, ils réclament la fille du fils aîné de leur ancienne reine pour souveraine, soit Jeanne de Navarre, femme de Philippe d'Évreux. Ils n'ont en effet pas le souci d'éviter que leur couronne ne tombe entre les mains de souverains étrangers imprévisibles, eux qui ont vu leur couronne passer en un siècle des Champenois aux Capétiens. De plus, les Navarrais ont mal supporté de voir la femme de Philippe IV ne s'occuper, de la ville de Paris où elle réside, que de la Champagne, ce qui s'explique par la proximité géographique. Les souverains champenois s'étaient installés dans leur royaume pyrénéen, ce que les Capétiens ne feront pas, transformant la Navarre en un bout de France. Les Navarrais choisissent en fait l'indépendance. Philippe VI doit donc transiger : en avril 1328, le grand conseil assemblé à Saint-Germain-en-Laye laisse la Navarre à Jeanne, mais refuse de céder la Champagne et la Brie, car cela ferait des Navarrais des prétendants trop puissants, prenant Paris en tenaille entre leurs terres normandes et champenoises. Une compensation est donc prévue mais n'est pas fixée. Les Évreux ont le tort d'accepter à l'avance l'échange qui sera fixé en 1336 : ils obtiennent seulement le comté de Mortain et, pour un temps seulement, le comté d'Angoulême. Philippe VI de Valois écarte ainsi une terrible menace à l'est, mais le voilà avec un second roi étranger (après le roi d'Angleterre) possédant des terres en France, et qui rechignerait à lui présenter l'hommage vassalique.
30
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31
+ Les positions du roi en Flandre peuvent paraître fortes. Les expéditions militaires du temps de Philippe IV le Bel sont oubliées, le long contentieux autour des clauses inapplicables du traité d'Athis de 1305 également. Les « matines de Bruges » et le massacre de Courtrai étaient par contre dans tous les esprits et ne donnaient pas envie à la noblesse française de se frotter aux Flamands. L'adversaire le plus coriace du Capétien au temps de Robert de Béthune, comte de Flandre, est son fils Louis Ier de Nevers, qui meurt quelques mois avant son père. À Robert de Béthune succède donc son petit-fils, Louis Ier de Flandre connu aussi sous les noms de Louis de Nevers, de Louis de Dampierre ou encore Louis de Crécy. Comte de Flandre en 1322, ce prince va jouer la carte royale et s'appuyer délibérément à l'intérieur sur l'aristocratie d'affaires, qui avait partie liée avec le roi de France. Son arrière-grand-père Gui de Dampierre et son grand-père Robert de Béthune avaient su jouer des tensions sociales engendrées par un développement économique axé sur l'industrie textile contre les empiètements du pouvoir royal. Louis Ier de Flandre, allié au patriciat, sera une cible de choix quand se manifesteront les premiers remous sociaux.
32
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33
+ Son accession à la tête du comté de Flandre provoque en 1323 le mécontentement de certains Flamands, mais ce n'est d'abord qu'un grondement diffus à travers les campagnes de la Flandre maritime. Des officiers et des châtelains sont molestés. L'affaire change de dimension quand Bruges, grand port industriel riche de ses trente mille habitants et d'un mouvement portuaire favorable aux brassages des idées et des hommes, s'insurge.
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+ Gand se range évidemment dans le camp adverse de celui de Bruges. Les Gantois gardent un souvenir amer de ce qu'il avait coûté aux villes flamandes de suivre Bruges en 1302. En revanche, Ypres suit Bruges par hostilité pour les Gantois, leurs concurrents dans l'industrie des draperies. Furnes, Dixmude, Poperingue s'allient à Bruges. La guerre civile commence. L'audace du petit peuple est conforté par le souvenir de Courtrai, où la chevalerie française fut corrigée par tisserands et foulons. Les insurgés battent la campagne pendant cinq ans. Les villages brûlent, les villes tremblent derrière leurs murailles. Les collecteurs d'impôts et tout homme du comte de Flandre se terrent s'ils n'ont pas fui. Les patriciens s'exilent, leurs maisons sont abattues. On ne compte plus les morts : les bourgeois sont égorgés aux coins des rues, paysans et artisans sont rossés à leur domicile ou massacrés en bataille rangée.
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+ Les problèmes sont aggravés par l'alourdissement des exigences fiscales du comte qui, en grossissant les moyens de son gouvernement, lui permettent de résister à l'administration tentaculaire du roi de France. Celle-ci se rajoute à des récoltes difficiles qui conduisent à la misère, tandis que le chômage progresse à cause de l'inadaptation des productions. L'Église n'échappe pas à la fureur populaire.
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+ En 1328, le comte de Flandre profite de l'hommage qu'il rendait à son nouveau seigneur Philippe VI pour lui demander de l'aide. Il le relance lors de la cérémonie du sacre de Philippe VI en juin. Philippe y voit l'occasion de renforcer sa légitimité en restaurant l'ordre social bafoué sur le champ. On profite du fait que l'ensemble des barons se retrouve à Reims pour le sacre. Philippe veut marcher tout de suite contre les Flamands. Il convoque l'ost à Arras pour le mois de juillet 1328 et va prendre l'oriflamme à Saint-Denis. Gand attaque Bruges immobilisant pour la défense de la ville une bonne partie des forces de l'insurrection. Comptant forcer l'ennemi à le combattre en rase campagne et en terrain favorable à sa cavalerie, le roi confie aux maréchaux l'organisation d'une chevauchée qui pille et ravage la Flandre occidentale jusqu'aux portes de Bruges. Pendant ce temps, le gros de l'armée marche sur Cassel. La rencontre s'y fait le 23 août 1328. Les insurgés sont retranchés sur le mont Cassel, une butte haute de 157 mètres[9]. Ils voient de là leurs villages brûler et l'armée française qui se déploie. La « bataille » du roi compte 29 bannières, celle du comte d'Artois 22. Le souvenir de la bataille de Courtrai, où en 1302 les piquiers flamands ont mis en pièces la chevalerie française, est toujours présent, et l'époque est marquée par la prééminence de la défense sur l'attaque. Philippe VI en est parfaitement conscient et se garde bien de faire charger sa cavalerie sans réfléchir. Nicolaas Zannekin (avec Zeger Janszone et Lambrecht Bovyn)[10] est le chef des insurgés. C'est un petit propriétaire foncier qui veut jouer au chevalier. Il envoie des messagers pour proposer au roi de fixer « jour de bataille » mais on leur répond par le mépris, considérant qu'ils étaient « gens sans chef » tout juste bons à rosser. Sans considération pour cet adversaire de basse classe sociale, les chevaliers du roi délacent leurs armures et prennent leurs aises dans leur campement[9]. Les insurgés ne l'entendant pas de cette oreille attaquent à l'improviste, surprenant en pleine sieste l'infanterie laquelle ne doit son salut que dans la fuite. On retrouvera l'infanterie à peu près groupée le lendemain à Saint-Omer. L'alerte est donnée et le roi et ses chevaliers se ressaisissent vite. Le roi, en robe bleue brodée de fleurs de lys d'or et seulement coiffé d'un chapeau de cuir, regroupe sa chevalerie et lance la contre-attaque dans le plus pur esprit chevaleresque payant de sa personne à la tête de ses troupes[9]. Les chevaliers avaient perdu l'habitude de voir le roi s'exposer ainsi, ceci depuis la mort de Saint Louis sous les murailles de Tunis. Son cri de ralliement : « qui m'aime me suive » est resté célèbre. La contre-attaque française contraint les insurgés à se former en cercle, coude à coude, ce qui leur interdit tout repli. À bout portant les arcs sont peu efficaces et c'est un vrai carnage. Menés par le comte de Hainaut, les chevaliers du roi entament une charge tournante autour du cercle faisant voler les têtes au bout de leurs longues épées. Il n'y a pas un survivant parmi les insurgés.
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+ L'armée royale incendie Cassel. Ypres se soumet et Bruges suit[11]. Philippe VI place Jean III de Bailleul comme gouverneur dans la ville d'Ypres pour qu'il commande en son nom[12]. Louis de Nevers reprend le contrôle du comté dans le sang des exécutions capitales et Philippe VI en retire tout le prestige d'un roi chevalier : il assoit ainsi pleinement son autorité sur le trône. Plus encore, en se posant comme le défenseur d'un de ses princes dont le pouvoir était contesté par ces temps de mutation, il devient le garant de l'ordre social féodal et obtient le soutien de ces puissants princes qui auraient pu contester sa légitimité et son autorité. La légitimité du Valois s'en trouve grandie. À partir de ce moment, l'éventuelle contestation de sa souveraineté sur la Guyenne par Édouard III devient difficile[11].
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+ Depuis Saint Louis, la modernisation du système juridique attire dans la sphère culturelle française de nombreuses régions limitrophes. En particulier en terres d'Empire, les villes du Dauphiné ou du comté de Bourgogne recourent depuis Saint Louis à la justice royale pour régler des litiges. Le roi envoie par exemple le bailli de Mâcon, qui intervient à Lyon pour régler des différends, comme le sénéchal de Beaucaire intervient à Viviers ou à Valence[13]. Ainsi, la cour de Philippe VI est largement cosmopolite : beaucoup de seigneurs tels le connétable de Brienne ont des possessions à cheval sur plusieurs royaumes. Les rois de France élargissent l'influence culturelle du royaume en attirant à leur cour la noblesse de ces régions en lui allouant des rentes et en se livrant à une habile politique matrimoniale. Ainsi, les comtes de Savoie prêtent hommage au roi de France contre l'octroi de pensions. Jean de Luxembourg, dit « l'Aveugle », roi de Bohême, est un habitué de la cour de France tout comme son fils Venceslas, le futur empereur Charles IV[14].
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+ En 1330, le conflit entre le pape Jean XXII et l'empereur Louis IV tourne à l'avantage du premier. Louis IV, excommunié, tente de nommer un antipape mais, se retrouvant discrédité, est obligé de quitter l'Italie où il n'a plus de soutien. Le roi de France y voit l'occasion d'étendre son royaume à l'est, et de prendre plus particulièrement le contrôle de l'axe rhodanien car il est l'une des principales voies de commerce entre l'Europe du Nord et la Méditerranée. Ainsi, le Dauphiné, la Provence ou le comté de Bourgogne sont fortement convoités par les rois de France.
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+ L'accession au trône de Philippe VI s'étant faite au détriment d'Édouard III, pourtant petit-fils de Philippe le Bel, le nouveau roi doit donc impérativement asseoir la légitimité de sa dynastie. À son avènement, au printemps 1328, Jean le Bon, alors âgé de neuf ans, est son seul fils vivant. En 1332, naît Charles de Navarre, prétendant plus direct qu'Édouard III à la couronne de France. Philippe VI décide donc de marier rapidement son fils — alors âgé de treize ans — pour nouer l'alliance matrimoniale la plus prestigieuse possible et de lui confier un apanage (la Normandie). Il envisage un temps de l'unir à Aliénor, sœur du roi d'Angleterre.
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+ Mais, c'est à l'est que Philippe VI trouve une alliance matrimoniale prestigieuse. Jean de Luxembourg est le fils de l'empereur Henri VII, mais il a été évincé de l'élection impériale en raison de son jeune âge. Avide de projets grandioses, il est particulièrement dispendieux et chroniquement endetté. Il cadre parfaitement avec les projets d'expansion vers l'est du royaume de France aux dépens du Saint-Empire, lequel est au plus bas de sa puissance politique, et tout est fait de la part du monarque français pour le fidéliser : il est pensionné à la cour de France qu'il fréquente assidument[14]. Le conflit entre le Saint-Empire et la papauté d'Avignon vient de tourner à l'avantage du pape Jean XXII et donne l'occasion à Philippe VI et Jean de Bohême de sceller leur alliance de manière bénéfique pour les deux parties. Le départ forcé de l'empereur Louis IV d'Italie permet au roi de Bohême Jean de Luxembourg de mettre la main sur plusieurs villes italiennes, ce qui le met en position forte pour régner sur un royaume guelfe en Italie du Nord subordonné à l'autorité pontificale équivalent au royaume de Naples pour l'Italie du Sud. Cela permettrait aussi de limiter les possibilités pour Robert d'Anjou, roi de Naples, de soumettre la papauté à un véritable protectorat[15]. Pour ce faire, le roi de Bohême a besoin du soutien diplomatique du plus puissant souverain d'Occident : le roi de France.
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+ En janvier 1332, Philippe VI invite Jean de Luxembourg pour lui proposer un traité d'alliance qui serait cimenté par le mariage d'une des filles du roi de Bohême avec son fils Jean. Le roi de Bohême, qui a des visées sur la Lombardie et a besoin du soutien diplomatique français, accepte cet accord. Les clauses militaires du traité de Fontainebleau stipulent qu'en cas de guerre, le roi de Bohême se joindrait à l'armée du roi de France avec quatre cents hommes d'armes si le conflit se déroule en Champagne ou dans l'Amiénois ; avec trois cents hommes, si le théâtre des opérations est plus éloigné. Les clauses politiques prévoient que la Couronne lombarde ne serait pas contestée au roi de Bohême s'il parvient à la conquérir ; et que, s'il peut disposer du royaume d'Arles, celui-ci reviendrait à la France. Par ailleurs, le traité entérine le statu quo concernant les avancées françaises en terre d'Empire. Le choix est laissé au roi de France entre les deux filles du roi de Bohême. Il choisit Bonne comme épouse car celle-ci, étant en âge de procréer (elle a 16 ans et sa sœur Anne 9), peut lui donner un fils. La dot est fixée à 120 000 florins.
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+ Enfin la ville de Lucques est cédée au roi de France. Mais Robert d'Anjou, roi de Naples et comte de Provence, ne peut qu'être hostile à ce projet soutenu par Jean XXII. Surtout que les villes italiennes, ayant depuis longtemps goûté à leur indépendance, il n'est plus possible dans les faits de leur imposer leur soumission à un royaume guelfe comme c'est le cas en Italie du Sud. Guelfes et gibelins s'allient et créent une ligue à Ferrare qui met à mal les forces de Jean de Luxembourg et de Bertrand du Pouget[16]. Brescia, Bergame, Modène et Pavie retombent à l'automne 1332 aux mains des Visconti. Jean de Luxembourg retourne en Bohême en 1333 et Bertrand du Pouget est chassé de Bologne par une insurrection en 1334[17].
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+ Alors que, sous l'effet des progrès des techniques agraires et des défrichements, la population s'accroît en Occident depuis le Xe siècle, il est atteint un seuil qui dépasse les capacités de productions agricoles dans certaines zones d'Europe dès la fin du XIIIe siècle. Avec le jeu des partages successoraux, les parcelles se réduisent : elles n'ont plus en 1310 que le tiers de leur superficie moyenne de 1240[18]. Certaines régions comme les Flandres sont en surpopulation et essayent de gagner des terres cultivables sur la mer. Néanmoins, pour couvrir leurs besoins, elles optent pour une économie de commerce permettant d'importer les denrées agricoles. En Angleterre, dès 1279, 46 % des paysans ne disposent que d'une superficie cultivable inférieure à 5 hectares. Or, pour nourrir une famille de 5 personnes, il faut de 4 à 5 hectares[18]. La population rurale s'appauvrit, le prix des produits agricoles baisse et les revenus fiscaux de la noblesse diminuent alors que la pression fiscale augmente et donc les tensions avec la population rurale. Beaucoup de paysans tentent donc leur chance comme saisonniers dans les villes pour des salaires très faibles engendrant aussi des tensions sociales en milieu urbain. Le refroidissement climatique[n 2] provoque de mauvaises récoltes qui se traduisent du fait de la pression démographique en famines (lesquelles avaient disparu depuis le XIIe siècle) dans le Nord de l'Europe en 1314, 1315 et 1316 : Ypres perd 10 % de sa population et Bruges 5 % en 1316[18].
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+ La noblesse doit compenser la diminution de ses revenus fonciers et la guerre en est un excellent moyen : par les rançons perçues après capture d'un adversaire, le pillage et l'augmentation des impôts justifiée par la guerre. C'est ainsi que la noblesse pousse à la guerre et particulièrement la noblesse anglaise dont les revenus fonciers sont les plus touchés[22]. Philippe VI a besoin de renflouer les caisses de l'État et une guerre permettrait de lever des impôts exceptionnels.
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+ En débarquant à la tête d'une armée privée le 6 août 1332 dans le comté de Fife au nord-ouest de l'Écosse, Édouard Balliol, le fils de l'ex-roi pro-anglais Jean Balliol, ravive le conflit anglo-écossais[23]. Depuis 1296, profitant de la mort d'Alexandre III sans héritier mâle et d'une tentative de prise de contrôle par mariage, l'Angleterre considère l'Écosse comme un État vassal. Cependant, les Écossais ont contracté avec la France la Auld Alliance le 23 octobre 1295. Philippe le Bel joue des Écossais contre Édouard Ier d'Angleterre, à qui le fait d'avoir arbitré en faveur de Jean Balliol la difficile succession de Marguerite d'Écosse ne procurait même pas la fidélité de ce roi-vassal. Le roi de France était intervenu en faveur de Balliol, vaincu, et avait obtenu sa libération. William Wallace, chef des barons insurgés contre la tutelle anglaise, trouve refuge en France après sa défaite de 1298. Le chancelier Pierre Flote menace tout ensemble le pape Boniface VIII et les négociateurs anglais, lors d'une médiation du Saint-Siège, d'intervenir directement en Écosse si le roi d'Angleterre s'obstine à soutenir les insurgés flamands. Les années suivantes marquent un revirement, la paix franco-anglaise et la succession des princesses capétiennes sur le trône d'Angleterre dissuadent le roi de France d'interventions trop voyantes en faveur des rebelles écossais. En 1305, Philippe le Bel laisse prendre et exécuter Wallace. L'abcès de fixation que fut l'Écosse de Robert Bruce pour Édouard Ier assura à la France une relative tranquillité. Conflits de frontières, brèves expéditions militaires, harcèlement sur le terrain se succèdent. Robert Bruce (futur Robert Ier d'Écosse) finit, lors de la bataille de Bannockburn en 1314, par écraser la chevalerie anglaise, pourtant très supérieure en nombre, grâce à ses piquiers qui, en fichant leurs lances dans le sol, peuvent briser les charges de cavalerie comme l'ont fait les Flamands contre les Français à la bataille de Courtrai[24]. Ces formations de piquiers peuvent être utilisées de manière offensive à la manière des phalanges grecques (la formation serrée permet de cumuler l'énergie cinétique de tous les combattants qui peuvent renverser l'infanterie adverse) et ont disloqué les rangs anglais, leur infligeant une sévère défaite. En 1328, Robert Bruce est reconnu roi d'Écosse par le traité de Northampton. Mais à la mort de ce dernier en 1329 David II n'a que huit ans et l'occasion est belle pour Édouard Balliol de réclamer la couronne[23].
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+ Après le désastre de Bannockburn, les Anglais prennent acte de la fin de la supériorité de la chevalerie sur les champs de bataille et mettent au point de nouvelles tactiques. Le roi Édouard Ier d'Angleterre instaure ainsi une loi qui incite les archers à s'entraîner le dimanche en bannissant l'usage des autres sports ; les Anglais deviennent ainsi habiles au maniement de l'arc long. Le bois utilisé est l'if (que l'Angleterre importe d'Italie) qui possède des qualités mécaniques supérieures à l'orme blanc des arcs gallois : les performances sont ainsi améliorées. Cette arme plus puissante peut être utilisée en tir massif à longue distance. Les Anglais adaptent leur manière de combattre en diminuant la cavalerie mais en utilisant plus d'archers et d'hommes d'armes à pied protégés des charges par des pieux plantés dans le sol (ces unités se déplacent à cheval mais combattent à pied)[25],[26]. Pour être efficace l'arc long doit être employé par une armée protégée et donc en position défensive. Il faut donc obliger l'adversaire à attaquer. Pour cela les Anglais utilisent en Écosse le principe de la chevauchée : l'armée déployée sur une grande largeur dévaste tout un territoire jusqu'à ce que l'adversaire soit obligé de l'attaquer pour mettre un terme au pillage. Utilisant ainsi un schéma tactique qui préfigure la bataille de Crécy, avec des hommes d'armes retranchés derrière des pieux fichés dans le sol et des archers disposés sur les flancs pour éviter que les projectiles ne ricochent sur les bassinets et armures profilés pour dévier les coups portés de face, Édouard Balliol écrase les Écossais pourtant très supérieurs en nombre, le 11 août 1332 à la bataille de Dupplin Moor. Après un autre succès, il est couronné roi d'Écosse à Scone le 24 septembre 1332. Édouard III n'a pas participé à la campagne mais, laissant faire, il n'ignore pas que le résultat lui est très favorable : il a un allié à la tête de l'Écosse[23].
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+ Les succès de Balliol ont montré la supériorité tactique conférée par l'arc long anglais, aussi quand celui-ci est renversé le 16 décembre 1332, Édouard III prend ouvertement les choses en main. Il révoque le traité de Northampton qui avait été signé durant la régence, renouvelant ainsi les prétentions de souveraineté anglaise sur l'Écosse et déclenchant la seconde guerre d'indépendance écossaise. Dans l'intention de regagner ce que l'Angleterre avait concédé, il assiège et reprend le contrôle de Berwick, puis il écrase l'armée de secours écossaise à la bataille de Halidon Hill en utilisant exactement la même tactique qu'à Dupplin Moor. Il fait preuve d'une extrême fermeté : tous les prisonniers sont exécutés[27]. Édouard III est alors en position de mettre Édouard Balliol sur le trône d'Écosse. Ce dernier prête hommage au roi d'Angleterre en juin 1334 à Newcastle et lui cède 2 000 « librates » de terrains dans les comtés du Sud : les Lothians, le Roxburghshire, le Berwickshire, le Dumfriesshire, le Lanarkshire et le Peeblesshire[27].
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+ La longueur du conflit écossais sert les desseins de Philippe VI, il laisse donc ses alliés traditionnels se débrouiller seuls. Il sait son pouvoir en France encore faible et ne peut risquer les troubles que provoqueraient la perte des approvisionnements en laine anglaise dont l'industrie drapante des grandes villes flamandes est friande. Le roi de France se contente donc d'observer. Philippe VI gagne la paix dans l'immédiat par sa prudence, mais à terme, il est perdant. Un David Bruce eût été plus utile puissant et avec des raisons d'être reconnaissant. Le pape Benoît XII voit dans le conflit anglo-écossais le principal risque de conflit européen, si le roi de France s'en mêle de nouveau, le comte de Namur, celui de Gueldre et celui de Juliers étant impliqués en Écosse par les contingents qu'ils mettent à disposition d'Édouard III. De plus, les marins de Dieppe et de Rouen se risquent à la course contre ceux de Southampton. On peut raisonnablement situer la prochaine guerre autour de la Manche, et non vers Saint-Sardos, où les barons font traîner les pourparlers avec la mauvaise volonté la plus évidente. Cela fait le jeu de Philippe VI qui accueille David II en mai 1334 et l'installe avec sa cour dans le glacial Château-Gaillard[28]. Ce qui compte n'est pas le succès des Écossais, mais la menace qu'ils font peser sur l'Angleterre. Édouard III tente d'apaiser le roi de France et d'obtenir rétrocession des terres saisies par Charles IV en Aquitaine, mais Philippe exige en échange le rétablissement de David II : les questions de Guyenne et d'Écosse sont désormais liées. En dépit des victoires de Dupplin et Halidon, les forces de David Bruce commencent bientôt à se ressaisir. Dès juillet 1334 Édouard Balliol doit fuir à Berwick et demander l'aide d'Édouard III. Grâce à une taxe obtenue du Parlement et à un emprunt auprès de la banque Bardi, il relance une campagne écossaise[28]. Il lance une chevauchée dévastatrice mais les Écossais ont compris la leçon. Ils évitent les batailles rangées et lui opposent la tactique de la terre déserte. L'occupation des Plantagenêts est mise en danger et les forces de Balliol perdent rapidement du terrain. Édouard lève alors une armée de 13 000 hommes qui s'engage dans une deuxième campagne stérile. Les Français montent un corps expéditionnaire de 6 000 hommes et livrent une guerre de course dans la Manche[29]. Édouard III licencie son armée à l'automne. Fin de l'année 1335, les Écossais indépendantistes menés par sir Andrew Murray livrent bataille à Culblean contre un partisan d'Édouard Balliol. Ils feignent de fuir et les Anglais chargent en quittant leur position défensive. Ils subissent alors une charge de flanc et se débandent.
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+ En 1336, Philippe VI, sentant son pouvoir plus assuré, prend des initiatives. En mars, il est à Avignon où le pape Benoît XII, qui commence à bâtir la célèbre forteresse, refuse de lancer la croisade tant voulue par le roi de France, jugeant l'opération impossible étant données les divisions nombreuses en Occident. Ce dernier, vexé (on lui avait promis le commandement de la croisade) fait passer la flotte française de Méditerranée en mer du Nord. L'Angleterre tremble. Édouard III met ses côtes en état d'alerte. Les shérifs arment de toute urgence tous les hommes de seize à soixante ans. Le Parlement vote un subside sans se faire prier. Benoît XII avait déjà retenu le roi de France sur le chemin de la croisade, il s'efforce de le retenir également sur celui de l'Écosse. Philippe VI reçoit de lui une lettre d'une sagesse politique consommée et dont le roi aurait eu avantage à méditer la leçon :
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+ « En ces temps de troubles, où des conflits éclatent dans toutes les parties du monde, il faut longuement réfléchir avant de s'engager. Il n'est pas difficile d'entreprendre une affaire. Mais il faut d'abord savoir, c'est une question de science et de réflexion, comment on la terminera et quelles en seront les conséquences ».
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+ Le roi de France ignore la leçon et ses ambassadeurs tiennent en Angleterre une conférence avec ceux de David Bruce et une délégation de barons écossais. On y parle de guerre. Édouard III, informé, ne se fait plus d'illusions, son cousin se pose en ennemi. Benoît XII impose à nouveau sa médiation, et calme difficilement les ardeurs de Philippe. Il empêche également l'empereur Louis de Bavière de former contre la France une coalition avec Édouard III. L'équilibre est fragile et la course aux armements reprend de plus belle, gênée par le manque d'argent de chacune des parties. Avec le concours de son principal conseiller Miles de Noyers, Philippe VI s'assure le soutien de quelques États (Gênes, Castille, Montferrat) et achète des places fortes au nord et à l'est du Royaume[30].
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+ À cette époque, en 1336, le frère d'Édouard III, Jean d'Eltham, comte de Cornouailles, meurt. Dans son ouvrage Gestia annalia, l'historien Jean de Fordun accuse Édouard d'avoir tué son frère dans une querelle à Perth. Bien qu'Édouard III alloue une très large armée aux opérations écossaises, la vaste majorité de l'Écosse a été reconquise par les forces de David II en 1337, laissant uniquement quelques châteaux tels que Édimbourg, Roxburgh et Stirling aux mains des Plantagenêts. Une médiation papale tente d'obtenir la paix : on propose que Balliol reste roi jusqu'à sa mort et qu'il soit ensuite remplacé par David Bruce. Ce dernier refuse à l'instigation de Philippe VI[29]. Au printemps de 1337, la guerre franco-anglaise semble inévitable.
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+ Les quelques places fortes encore sous contrôle sont insuffisantes pour imposer la loi d'Édouard et dans les années 1338-1339, il passe d'une stratégie de conquête à une stratégie de défense des acquis. Édouard doit faire face à des problèmes militaires sur deux fronts ; la lutte pour le trône de France n'est pas d'une moindre importance. Les Français représentent un problème dans trois domaines : premièrement, ils pourvoient un support constant aux Écossais par le biais d'une alliance franco-écossaise. Ensuite, les Français attaquent régulièrement plusieurs villes côtières anglaises, initiant les rumeurs d'une invasion massive en Angleterre[31]. En effet, Philippe VI monte une expédition de 20 000 hommes d'armes et 5 000 arbalétriers. Mais pour transférer une telle force il doit louer des galères génoises. Édouard III, mis au courant par des espions, empêche le projet en payant les Génois pour neutraliser leur flotte : Philippe VI n'a pas les moyens de surenchérir[29].
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+ À la Toussaint 1337, l'évêque de Lincoln, Henry Burghersh, arrive, porteur d'un message du roi d'Angleterre adressé à « Philippe de Valois, qui se dit roi de France ». C'est une rupture de l'hommage et une déclaration de guerre.
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+ Depuis le vote des subsides par le Parlement anglais réuni à Nottingham un an plus tôt, la marche à la guerre avait été rapide. Le roi Édouard III d'Angleterre avait armé une flotte et envoyé des armes en Guyenne. Il avait, à la fin de l'année 1336, décrété l'interdiction de la vente de laines anglaises à destination de la Flandre et accordait en février 1337 des privilèges aux ouvriers étrangers qui viendraient s'établir dans les villes anglaises, pour forcer les villes drapantes (Ypres, Gand, Bruges, Lille) à choisir entre ses fournisseurs anglais et ses clients français. L'importation de draps étrangers est interdite. L'Angleterre veut donner l'impression de se préparer à vivre sans la Flandre. Édouard III jouait également sur les rivalités entre les provinces du Nord. Il favorise les exportations anglaises vers le Brabant, la draperie de Malines et de Bruxelles commençant à rivaliser efficacement avec celle des grands centres traditionnels de Flandre. Le Brabant reçoit 30 000 sacs de laine à la seule condition de n'en rien céder aux cités flamandes. Le roi d'Angleterre récompensait également la fermeté du duc de Brabant, Jean III, face aux observations du roi de France au temps où Robert d'Artois était en exil sur ses terres. La diplomatie du sterling se déploie aux confins occidentaux du Saint-Empire romain germanique contre le roi de France. Des ambassadeurs anglais tiennent à Valenciennes, aux portes du royaume, une bourse aux alliances où se monnaie la haine du Valois. Le roi de France masse de son côté sa flotte en Normandie et relance contre Édouard III la résistance des Écossais. Le 24 mai 1337, ayant refusé de déférer à la citation, Édouard III est condamné à la saisie de son duché. Le pape Benoît XII obtient du roi de France un sursis à l'exécution de la saisie. Philippe VI promet de n'occuper le duché de Guyenne que l'année suivante. La réplique d'Édouard III fut le défi porté par Henry Burghersh, l'évêque de Lincoln.
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+ Les cités flamandes et le Brabant optent donc pour l'alliance anglaise, entraînant avec eux le Hainaut, qui après un temps d'hésitation, se décide pour ne pas se trouver inutilement isolé. De plus, Édouard III, époux de Philippa de Hainaut, est gendre du comte. Comme Guillaume Ier de Hainaut est également comte de Hollande et de Zélande, la Flandre se trouve entourée du côté de l'Empire, de la mer du Nord à la frontière française, par un État résolument hostile au Valois. Les principautés rhénanes complètent la coalition ; Juliers, Limbourg, Clèves et quelques autres cèdent à la politique du sterling. Philippe VI ne peut, lui, compter dans cette région que sur les survivances d'une influence française qui connut son apogée sous Louis IX de France et Philippe IV le Bel. Le comte de Flandre n'est pas fiable car son comté lui échappe. L'évêque de Liège et la ville de Cambrai permettent tout juste de balancer l'influence de leurs trop puissants voisins de Brabant et de Hainaut. Le roi de France a finalement peu à espérer au nord.
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+ Le jeu est plus subtil du côté de l'empereur Louis de Bavière, excommunié et schismatique. Pour survivre, lui si affaibli, il doit donc disloquer l'entente des princes chrétiens et met son alliance aux enchères. En août 1337, il finit par vendre son adhésion aux Plantagenêt. Édouard III obtient même de l'empereur le titre de « vicaire impérial en Basse-Germanie » qui en fait le représentant officiel de l'autorité impériale sur le Rhin et sur la Meuse. L'affaire se fête en septembre 1338 à Coblence lors de réjouissances magnifiques organisées par l'empereur mais financées par le roi d'Angleterre. Cela devrait automatiquement entraîner le soutien du pape au roi de France mais Benoît XII tergiverse, se contentant de protester contre cette alliance, espérant toujours imposer sa médiation. Le roi d'Angleterre le forcera à se décider lorsqu'il rappellera en juillet 1338 ses ambassadeurs en Avignon. Édouard se croit tout permis. Il reçoit à Coblence l'hommage des vassaux de l'Empire, à l'exception de l'évêque de Liège. Il noue des relations avec le comte de Genève et le comte de Savoie. Le duc de Bourgogne lui-même, toujours amer du choix dynastique de 1328, prête une oreille complaisante aux propos du Plantagenêt. Édouard III passe commande d'une couronne fleurdelisée, il se voit déjà à Reims.
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+ Les alliances de Philippe VI sont moins nombreuses mais plus solides et donc plus utiles sur le long terme. Des distributions de rente sur le Trésor ont acquis au Valois les comtes de Genève et de Savoie tentés par l'alliance anglaise, tout comme le comte de Vaudémont et celui de Deux-Ponts (de). Jean l'Aveugle, comte de Luxembourg et roi de Bohême, un habitué de la cour de France, se range dans le camp français, entraînant avec lui son gendre, le duc de Basse-Bavière. Gênes s'engage à fournir des navires et des arbalétriers expérimentés. Le Habsbourg marque sa sympathie. Mais le plus grand succès de l'activité diplomatique française, menée par Miles de Noyers, est l'alliance du roi de Castille obtenue en décembre 1336. Alphonse XI promet au roi de France un appui maritime qui se révèlera très utile sur l'Atlantique. En effet, marins gascons et anglais d'un côté et marins français et bretons de l'autre combattent à toute occasion, sur mer ou à quai. Quatre ans plus tard, on verra le renfort des navires castillans jusqu'en mer du Nord.
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+ Au début de la guerre de Cent Ans, constatant l'inefficacité de la campagne qu'il a confié à Raoul II de Brienne, Philippe VI se tourne vers Jean Ier de Bohême. En effet, le connétable de France, ayant commis l'erreur de diviser ses troupes pour tenter de prendre les forteresses gasconnes, se retrouve enlisé depuis le printemps 1338 dans des sièges interminables alors que les Anglais ont très peu d'hommes[32]. Jean de Bohême se voit adjoindre Gaston Fébus (qui reçoit en échange quelques seigneuries) et deux mercenaires savoyards : Pierre de la Palu et Le Galois de la Baume[32]. Le roi alloue 45 000 livres par mois à cette force qui compte 12 000 hommes. Considérant qu'il va s'agir de prendre les forteresses gasconnes les unes après les autres sans espoir de les affamer, on recrute un corps de sapeurs-mineurs allemands et on équipe cette armée de quelques bombardes. Le succès est rapide : les places fortes de Penne, Castelgaillard, Puyguilhem, Blaye et Bourg sont prises[32]. L'objectif n'est pas loin d'être atteint quand l'armée met le siège devant Bordeaux en juillet 1339. Mais la ville résiste, une porte est prise, mais les assaillants sont repoussés avec difficulté. Le problème du ravitaillement de 12 000 hommes se révèle insoluble, les ressources locales sont épuisées. Des troupes sont prélevées pour aller combattre dans le Nord. Le siège est levé le 19 juillet 1339[33].
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+ L'armée de Philippe ayant lancé son offensive victorieuse en Aquitaine et Édouard III étant sous la menace d'un débarquement français en Angleterre, ce dernier décide de porter la guerre en Flandre. Il s'est assuré l'alliance des villes flamandes qui ont besoin de la laine anglaise pour faire tourner leur économie, mais aussi de l'empereur et des princes de la région qui voient d'un mauvais œil les avancées françaises en terres d'empire. Parmi ces princes du Nord, non des moindres, se rencontrent Guillaume Ier (d'Avesnes), comte de Hainaut[n 3], le duc de Brabant, le duc de Gueldre, l'archevêque de Cologne et le comte (marquis ?) de Juliers. Ces alliances se sont faites sous la promesse de compensations financières de la part du roi d'Angleterre. Aussi quand il débarque le 22 juillet 1338 à Anvers, à la tête de 1 400 hommes d'armes et 3 000 archers, ses alliés s'empressent de lui demander d'acquitter ses dettes plutôt que de lui fournir les contingents prévus. Le roi d'Angleterre passe l'hiver en Brabant à négocier avec ses créanciers[34]. Pour neutraliser les troupes du roi de France arrivées à Amiens le 24 août, il lance des négociations que mènent l'archevêque de Cantorbéry et l'évêque de Durham. La manœuvre ayant réussi, le roi de France doit renvoyer sa considérable armée.
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+ Mais ce statu quo, lequel va durer près d'une année, mécontente les contribuables des deux camps qui se saignent pour financer des armées qui se regardent en chiens de faïence[35]. Au cours de l'été 1339, c'est Édouard III qui lance l'offensive. Ayant reçu des renforts d'Angleterre, et ayant réussi à garantir ses dettes vis-à-vis de ses alliés, il marche avec eux sur Cambrai (ville d'Empire mais dont l'évêque s'est rangé du côté de Philippe VI) fin septembre 1339. Cherchant à provoquer une bataille rangée avec les Français, il pille tout sur son passage, mais Philippe VI ne bouge pas. Le 9 octobre, commençant à épuiser les ressources locales, le roi d'Angleterre doit se décider à livrer bataille. Il oblique donc vers le sud-ouest et traverse le Cambrésis en brûlant et tuant tout sur son passage : 55 villages du diocèse de Noyon sont rasés[36]. Pendant ce temps, Philippe VI a fait réunir son ost et arrive jusqu'à Buironfosse. Les deux armées marchent alors l'une vers l'autre et se rencontrent une première fois près de Péronne. Édouard a 12 000 hommes et Philippe 25 000. Le roi d'Angleterre, trouvant le terrain défavorable, se retire. Philippe VI lui propose de se rencontrer le 21 ou 22 octobre en terrain découvert où leurs armées pourront en découdre selon les règles de chevalerie. Édouard III l'attend près du village de La Capelle où il a établi son camp en terrain favorable, retranché derrière pieux et fossés, ses archers positionnés sur les ailes. Le roi de France, estimant qu'une charge de cavalerie serait suicidaire, se retranche aussi, laissant l'honneur aux Anglais d'attaquer. Le 23 octobre 1339, faute que l'un des deux adversaires prenne l'initiative, les deux armées rentrent chez elles. La chevalerie française qui comptait se financer sur les rançons demandées aux éventuels prisonniers faits au cours des combats gronde et accuse Philippe VI de « renardie »[37].
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+ La conduite de la guerre de Philippe VI engendre de nombreux mécontentements. Faute de pouvoir lever suffisamment d'impôts pour soutenir l'effort de guerre autant que son administration et les pensions et exemptions de plus en plus importantes qu'il alloue aux seigneurs qu'il craint voir basculer dans le camp anglais, il a recours à de fréquentes mutations monétaires qui entraînent de l'inflation : la teneur en métaux nobles de la monnaie est confidentiellement diminuée. Il gouverne avec un conseil restreint constitué de parents proches, ce qui mécontente les princes exclus de la sphère dirigeante. Sa stratégie qui consiste à éviter les batailles rangées est décriée par la chevalerie qui espère beaucoup des rançons versées par d'éventuels prisonniers. Quant à Édouard III, s'il est ruiné, il intéresse les féodaux par une politique visant à s'attirer les bonnes grâces des vassaux gascons du roi de France. Fin 1339, Oliver Ingham, sénéchal de Bordeaux, réussit à tirer dans son camp Bernard-Ezy V, sire d'Albret, qui entraîne avec lui de nombreux seigneurs. Édouard III le désigne comme lieutenant en Aquitaine. À la tête de troupes gasconnes, il progresse vers l'est prenant Sainte-Bazeille sur la Garonne et assiège Condom. Son avancée culmine en septembre 1340 mais Pierre de la Palu, le sénéchal de Toulouse, mène alors une contre-offensive qui l'oblige à lever le siège. Dans la foulée toutes les villes sont reprises[38].
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+ L'année 1340 n'est pas plus favorable à Édouard III sur le front écossais : la guérilla des partisans de David Bruce s'intensifie et des raids sont menés sur le Northumberland. William Douglas, lord de Liddesdale, s'empare d'Édimbourg et David Bruce rentre d'exil en juin 1341[39].
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+ Édouard III, qui n'a négocié la trêve d'Esplechin que pour gagner du temps au moment où l'évolution du conflit lui est défavorable (il n'a aucune confiance dans la médiation papale qu'il juge complètement pro-française), reprend les hostilités et prend Bourg en août 1341 alors que la tension monte entre Philippe VI et Jacques II de Majorque, ce dernier refusant de prêter hommage au roi de France pour la ville de Montpellier[40].
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+ Le 30 avril 1341, meurt le duc Jean III de Bretagne, sans descendance malgré trois mariages, avec Isabelle de Valois, Isabelle de Castille et Jeanne de Savoie, et sans avoir désigné son successeur. Les prétendants sont, d'une part, Jeanne de Penthièvre, fille de son frère Guy de Penthièvre, mariée depuis 1337 à Charles de Blois, parent du roi et, d'autre part, Jean de Montfort, comte de Montfort-l'Amaury, demi-frère du défunt duc, fils du second mariage d'Arthur II de Bretagne avec Yolande de Dreux, comtesse de Montfort-l'Amaury.
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+ En mai 1341, sentant que le verdict serait en faveur de Charles de Blois, proche parent du roi, Jean de Montfort, poussé par sa femme, Jeanne de Flandre, prend les devants : il s'installe à Nantes, la capitale ducale et s'empare du trésor ducal à Limoges, ville dont Jean III avait été le vicomte. Il convoque les grands vassaux bretons pour se faire reconnaître comme duc mais la majorité ne vient pas (beaucoup d'entre eux ont aussi des possessions en France qu'ils risqueraient de se voir confisquer s'ils s'opposaient au roi)[41].
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+ Dans les mois qui suivent (juin-juillet), il effectue une grande chevauchée dans son duché pour s'assurer le contrôle des places fortes (Rennes, Malestroit, Vannes, Quimperlé, La Roche-Piriou, Quimper, Brest, Saint-Brieuc, Dinan et Mauron avant de rentrer à Nantes). Il parvient à prendre le contrôle d'une vingtaine de places[42].
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+ Jean de Montfort ayant pris possession de toutes les places fortes du duché au printemps 1341 et ayant donné l'hommage lige à Édouard III, il faut mettre effectivement Charles de Blois en possession du duché[42]. Philippe VI convoque donc une armée de 7 000 hommes renforcée de mercenaires génois à Angers pour le 26 septembre 1341. Jean le Bon, duc de Normandie est mis à la tête de l'expédition, flanqué de Miles de Noyer, du duc de Bourgogne et de Charles de Blois. L'armée quitte Angers début octobre 1341, bouscule Jean de Montfort à L'Humeau, puis assiège Nantes où il s'est réfugié. Il enlève la forteresse de Champtoceaux qui, sur la rive gauche de la Loire, verrouille l'accès de Nantes[43]. Édouard III qui vient de prolonger la trêve d'Esplechin ne peut intervenir. La ville capitule au bout d'une semaine, début novembre 1341[44]. Jean de Montfort se rend sur parole au fils du roi de France le 21 novembre et lui remet sa capitale. Il reçoit un sauf-conduit pour se rendre à Paris pour plaider sa cause mais il y est arrêté et incarcéré au Louvre en décembre 1341[45]. Privé de son chef et du soutien des grandes familles bretonnes, le parti monfortiste devait s'effondrer. Avec l'hiver le duc de Normandie achève la campagne sans avoir annihilé les derniers obstacles : pensant avoir réglé l'affaire en s'assurant de la personne de Jean de Montfort, il rentre à Paris. C'est compter sans Jeanne de Flandre, épouse de Jean de Montfort, qui ranime la flamme de la résistance et rallie ses partisans à Vannes. Elle se retranche à Hennebond, envoie son fils en Angleterre et conclut un traité d'alliance avec Édouard III en janvier 1342[44]. Soucieux d'ouvrir un nouveau front susceptible d'alléger la pression française en Guyenne et de limiter le nombre de troupes qui peuvent être envoyées en soutien des Écossais, Édouard III se décide à répondre favorablement aux demandes d'assistance militaire de Jeanne de Flandre[46]. Le roi d'Angleterre n'a pas un sou pour payer une expédition : c'est donc le trésor ducal breton qui va la financer. Il ne peut envoyer en avril 1342 que 34 hommes d'armes et 200 archers. Entretemps les Français ont pris Rennes et assiègent Hennebont, Vannes et Auray qui résistent. Charles de Blois est contraint de lever le camp en juin 1342 devant l'arrivée de Wauthier de Masny et Robert d'Artois à la tête de troupes anglaises[47]. En juillet 1342, de forts renforts français arrivent, Jeanne de Flandre doit fuir et se retrouve assiégée dans Brest[48]. Mais le 15 août, le gros des troupes anglaises arrive enfin à Brest avec 260 bateaux et 1 350 combattants. Charles de Blois se replie vers Morlaix et s'y retrouve assiégé par Robert d'Artois qui espère ouvrir aux Anglais un deuxième port au nord de la Bretagne. Les Anglais tentent de prendre Rennes et Nantes, mais ils doivent se contenter de saccager Dinan et de mettre le siège devant Vannes, ville devant laquelle Robert d'Artois est grièvement blessé[46]. Les Français, qui les attendaient à Calais, avaient retiré leurs forces du fait des succès de Charles de Blois. Le 30 septembre, les forces de ce dernier subissent de sérieuses pertes près de Lanmeur[48].
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+ Une armée française aux ordres, une nouvelle fois, du duc de Normandie, est rassemblée pour faire face. Mais Jean de Montfort étant prisonnier et Jeanne de Flandre ayant sombré dans la folie, une trêve est signée le 19 janvier 1343[49]. De fait les Anglais occupent et administrent les places fortes encore fidèles à Jean de Montfort. Une importante garnison anglaise va occuper Brest. Vannes sera administrée par le pape. Le conflit nullement réglé va se prolonger 22 ans et permettre aux Anglais de prendre durablement pied en Bretagne.
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+ La trêve de Malestroit en janvier 1343 conduit au renvoi de nombreux mercenaires qui forment les premières Grandes Compagnies. Ces dernières agissent en Languedoc comme la Société de la Folie qui sévit dans les environs de Nîmes ou encore les bandes anglaises ou bretonnes non soldées qui rançonnent les populations et enfoncent du même coup le duché de Bretagne dans l'anarchie[50].
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+ Le tournant de la guerre se joue sur le plan financier. Mettant à profit la trêve de Malestroit, Édouard réussit à convaincre le Parlement qu'il n'est pas possible de remporter cette guerre sans envoyer des forces considérables contre l'ennemi[51]. Il a déployé d'importants efforts de propagande pour convaincre la population de la menace que fait peser sur elle le roi de France[52]. Le Parlement lui vote en juin 1344 un impôt sur deux ans : de quoi réunir deux armées très bien équipées pour mener des campagnes décisives en Aquitaine et dans le Nord de la France, et de plus petits contingents pour peser sur la guerre de Succession de Bretagne.
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+ Début août 1345, le comte Henry de Lancastre débarque à Bordeaux avec 500 hommes d'armes, 1 000 archers et 500 fantassins gallois. Il a le titre de lieutenant pour l'Aquitaine et toute liberté d'action. Son premier objectif : neutraliser Bergerac d'où partent régulièrement des raids dévastateurs. La ville est prise dès le mois d'août. Il y fait des centaines de prisonniers qui sont mis à rançon. Renforcé de troupes gasconnes et des troupes de Stafford (son armée compte 2 000 hommes d'armes et 5 000 archers et fantassins), il assiège Périgueux[53]. Jean le Bon, chargé de la défense de l'Aquitaine, envoie le comte de Valentinois, Louis de Poitiers, avec 3 000 hommes d'armes et 6 000 fantassins secourir la ville. Mais à quinze kilomètres de Périgueux, Louis de Poitiers s'arrête pour assiéger le château d'Auberoche. Il y est surpris par Henry de Lancastre le 21 octobre, l'armée française est défaite et les Anglais font une nouvelle fois de nombreux prisonniers[54]. Fort de ce succès, Henry de Lancastre prend plusieurs bastides, nettoyant de ses garnisons françaises l'espace compris entre la Dordogne et la Garonne, puis il met le siège devant La Réole. La ville est prise dès le 8 novembre, mais la citadelle résiste : elle promet de se rendre si aucun secours n'arrive dans les cinq semaines[55]. Jean le Bon, lui, ne bouge pas, une grande partie de son armée a été défaite à Auberoche et il a licencié le reste. La Réole mais aussi Langon et Sainte-Bazeille font de même, en janvier 1346. Cela a un effet catastrophique : devant l'inertie des Français, de nombreux seigneurs gascons changent de camp, comme les puissantes familles Durfort et Duras, les communautés locales organisent leur propre défense et refusent donc de payer les impôts royaux[55]. De ce fait la souveraineté française sur l'Aquitaine recule, laissant place à l'action des Grandes Compagnies et aux guerres privées, ce qui accentue le phénomène. D'autre part, les prisonniers de Bergerac et d'Auberoche rapportent près de 70 000 livres de rançon à Henry de Lancastre et ses lieutenants ne sont pas en reste : on prend conscience en Angleterre que la guerre en France peut être rentable, ce qui suscite nombre de vocations[55]. Aiguillon chute début 1346, Philippe VI se décide enfin à agir : il doit trouver des finances pour monter une armée. Il obtient avec grande difficulté des finances des États de langue d'oïl et de langue d'oc, il emprunte aux banques italiennes de Paris et surtout il reçoit le soutien du pape qui l'autorise à prélever 10 % des revenus ecclésiastiques du royaume et lui prête 33 000 florins[56]. Il recrute des mercenaires en Aragon et en Italie. Son fils Jean se retrouve à la tête de 15 000 hommes dont 1 400 Génois[56]. Il commence la campagne d'Aquitaine en assiégeant Aiguillon le 1er août[56]. La place au confluent de la Garonne et du Lot est extrêmement bien fortifiée et tenue par une solide garnison de 600 archers et 300 hommes d'armes[52]. Jean fait le serment de ne pas quitter les lieux avant d'avoir pris la ville. Il emploie les grands moyens : réseau de tranchées pour protéger l'approche et les arrières, construction de ponts sur la Garonne et le Lot pour bloquer le ravitaillement de la ville. Mais, le siège piétine et ce sont bientôt ses propres forces qui se retrouvent affamées, d'autant que les assiégés ont fait main basse sur le ravitaillement des assiégeants au cours de sorties audacieuses[52]. Fin août 1346, il doit lever le siège : Édouard III a attaqué au nord du Royaume et Philippe VI a besoin de lui.
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+ Les Anglais se faisant menaçants, Philippe pousse le roi David II d'Écosse à envahir l'Angleterre par le nord, théoriquement peu défendue étant donné qu'Édouard prépare au sud l'invasion de la France. David II est battu et capturé à Neville's Cross le 17 octobre 1346. Pendant ce temps, Édouard III d'Angleterre débarque en Normandie en juillet 1346 et effectue une razzia systématique des régions françaises traversées.
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+ Les deux armées se rencontrent à Crécy le 26 août 1346. Les Français sont plus nombreux, mais l'armée française, comptant sur sa puissante chevalerie, affronte une armée anglaise composée d'archers et de fantassins en cours de professionnalisation. Confrontée à la baisse de ses revenus fonciers, la noblesse compte se renflouer avec les rançons demandées en échange des chevaliers adverses capturés[22]. Elle est échaudée par les dérobades de Philippe VI qui, conscient de la supériorité tactique anglaise conférée par l'arc long, a préféré plusieurs fois renoncer au combat plutôt que de risquer une défaite. Le roi n'a plus le charisme et la crédibilité nécessaires pour tenir ses troupes. Dès lors, chacun veut atteindre le plus vite possible l'ennemi anglais afin de se tailler la part du lion ; personne n'obéit aux ordres du roi Philippe VI qui, emporté par le mouvement, est contraint de se lancer à corps perdu dans la bataille. Gênés dans leur progression par leurs propres piétons et les arbalétriers mercenaires génois mis en déroute par la pluie de flèches anglaises, les chevaliers français sont obligés d'en découdre avec leurs propres hommes. C'est un désastre du côté français où Philippe VI de Valois s'illustre par son incompétence militaire. Les chevaliers français chargent par vagues successives le mont de Crécy, mais leurs montures (à l'époque non ou peu protégées) sont massacrées par les pluies de flèches décochées par les archers anglais abrités derrière des rangées de pieux. Peinant à se relever de leur chute, les chevaliers français, lourdement engoncés dans leurs armures, sont des proies faciles pour les fantassins qui n'ont plus qu'à les achever[57].
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+ L'armée française anéantie, Édouard III remonte vers le nord et met le siège devant Calais. Avec une armée de secours, le roi de France essaie bien de lever le blocus de la ville, mais n'ose pas affronter Édouard III. C'est dans de dramatiques circonstances, au cours desquelles les célèbres bourgeois de Calais remettent les clés de leur ville aux assiégeants, que Calais passe sous domination anglaise, laquelle va durer jusqu'au XVIe siècle. Philippe VI négocie une trêve avec Édouard III, qui, en position de force, obtient la souveraineté pleine et entière sur Calais.
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+ En 1347, après la chute de Calais, Philippe VI, âgé (53 ans) et discrédité, doit céder à la pression. C'est son fils Jean, le duc de Normandie, qui prend les choses en main. Ses alliés (les Melun et les membres de la bourgeoisie d'affaires qui viennent d'être victimes de la purge qui a suivi Crécy et qu'il fait réhabiliter) entrent au conseil du roi, à la Chambre des comptes[58] et occupent des postes élevés dans l'administration. L'attraction politique de la France permet d'étendre le royaume vers l'est en dépit des défaites militaires. Ainsi, le comte Humbert II, ruiné par son incapacité à lever l'impôt[59] et sans héritier après la mort de son fils unique, vend le Dauphiné[60] à Philippe VI. Jean prend part directement aux négociations et finalise l'accord.
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+ La peste noire est une pandémie qui a touché la population européenne entre 1347 et 1351. Les maladies appelées « peste » avaient disparu d'Occident depuis le VIIIe siècle (peste de Justinien). Il s'agit de la pandémie la plus meurtrière de l'histoire de l'humanité jusqu'à la grippe espagnole, en l'état des connaissances. C'est la première pandémie de l'histoire à avoir été bien décrite par les chroniqueurs contemporains.
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+ On estime que la peste noire a tué entre 30 et 50 % de la population européenne en cinq ans, faisant environ vingt-cinq millions de victimes. Cette pandémie eut des conséquences durables sur la civilisation européenne, mais aussi au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. De plus, après cette première vague, la maladie refit ensuite régulièrement son apparition dans les différents pays touchés : entre 1353 et 1355 en France, et entre 1360 et 1369 en Angleterre, notamment, puis à peu près tous les 20 ans, jusqu'au XVIIe siècle inclus.
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+ En 1331, Jacques III de Majorque âgé de 16 ans rend hommage à Philippe VI pour la ville de Montpellier, que sa famille tient d'un mariage[61]. Montpellier est située dans le royaume de France mais est une possession du roi de Majorque à l'instar de la Guyenne pour le roi d'Angleterre. Le royaume de Majorque est lui-même état vassal du royaume d'Aragon mais supporte mal le poids fiscal de cette vassalité qui lui a été imposée par la force.
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+ Montpellier a elle-même beaucoup d'indépendance. Elle est à 3 jours de marche du reste des possessions continentales du roi de Majorque, en Roussillon. Elle est commercialement dépendante du Languedoc mais les échanges avec les Espagnols sont moins avantageux du fait de leur propre monnaie. L'usage de monnaies françaises y est courant et ses intérêts commerciaux la pousse vers le royaume de France[62]. Suspicieux quant aux velléités d'indépendance de Jacques III de Majorque qui a rechigné à lui rendre hommage, Pierre IV d'Aragon dit le Cérémonieux travaille à la réunion des deux couronnes.
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+ En 1339, inquiété par les rumeurs de mariage d'un fils de Jacques III avec une fille d'Édouard III, rumeurs colportées par le roi d'Aragon qui travaille activement à isoler son vassal, Philippe VI somme le roi de Majorque de renouveler son hommage pour la ville de Montpellier. Jacques III lui répond qu'il doute de la légalité de cet hommage et s'en remet au pape[63]. Voyant que la France est mise en difficulté par l'Angleterre, Jacques III fait organiser des joutes à Montpellier, ce qui est en contradiction avec l'ordre du roi de France qui les a interdites en temps de guerre : c'est une remise en cause claire de la souveraineté de Philippe VI sur Montpellier[64]. Pierre IV, jouant un double jeu et assurant à Jacques qu'il l'aiderait militairement en cas de conflit avec la France, pousse le roi de Majorque à s'affirmer de plus en plus dans une alliance avec le roi d'Angleterre, mais dans le même temps il demande le soutien du roi de France[65]. Philippe VI fait saisir la ville de Montpellier et les vicomtés d'Omella et Carladis. Il charge Jean le Bon de monter une armée pour entrer en Roussillon. Mais Jacques III se rend compte qu'il a été joué par le roi d'Aragon et fait amende honorable. Philippe VI, qui a bien compris que les jeux sont faits, entérine l'alliance avec Pierre le Cérémonieux et rend ses possessions françaises au roi de Majorque, sachant pertinemment que celui-ci, cerné par une si puissante alliance, ne pourra pas les conserver. En 1343, Pierre IV envahit les Baléares, et se rend maître du Roussillon en 1344. Le 5 septembre 1343, Philippe VI soutient l'offensive aragonaise en interdisant tout ravitaillement du roi de Majorque en armes, vivres ou chevaux[66]. Complètement isolé, Jacques III est contraint d'accepter la défaite. Son sort est scellé par les Cortes à Barcelone, où il est décidé de lui laisser son fief de Montpellier. Mais il refuse et s'enfuit chez un de ses amis, le comte de Foix, avec une quarantaine de ses chevaliers. Rencontrant Philippe VI à Avignon, il lui revend la ville de Montpellier et engage une partie de la Cerdagne et du Roussillon le 18 avril 1349 pour 120 000 écus d'or. Il peut ainsi se reconstituer une armée et une flotte. Les accords stipulent qu'il conserve les droits sur sa ville jusqu'à sa mort. Celle-ci survient le 25 octobre 1349: Montpellier appartient désormais à la couronne de France[67]. Par contre, la Cerdagne et le Roussillon, contestés par le roi d'Aragon, restent aragonais.
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+ Le comte Humbert II, ruiné du fait de son incapacité à lever l'impôt[59] et sans héritier après la mort de son fils unique, vend le Dauphiné[60], terre du Saint-Empire romain germanique. Ni le pape ni l'empereur ne se portant acquéreurs, l'affaire est conclue avec Philippe VI. Selon l'accord, il doit revenir à un fils du futur roi Jean le Bon. C'est donc Charles V, en tant que fils aîné de ce dernier, qui devient le dauphin. Il n'a que onze ans, mais est immédiatement confronté à l'exercice du pouvoir. Le contrôle du Dauphiné est précieux pour le royaume de France car il occupe la vallée du Rhône, un axe commercial majeur entre Méditerranée et Nord de l'Europe depuis l'Antiquité, les mettant en contact direct avec Avignon, ville papale et centre diplomatique incontournable de l'Europe médiévale.
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+ La belle-fille de Philippe VI, Bonne de Luxembourg, meurt de la peste en 1349. Philippe réalise une nouvelle manœuvre diplomatique qui accroît ses possessions vers l'est. Jean de Normandie épouse en secondes noces, le 19 février 1350 à Nanterre, la comtesse Jeanne de Boulogne, fille de Guillaume XII d'Auvergne et de Marguerite d'Évreux, veuve âgée de 24 ans, héritière des comtés de Boulogne et d'Auvergne et régente du duché de Bourgogne, des comtés de Bourgogne et d'Artois au nom de son fils du premier lit, Philippe de Rouvre. Elle reçoit en douaire les seigneuries de Montargis, Lorris, Vitry-aux-Loges, Boiscommun, Châteauneuf-sur-Loire, Corbeil, Fontainebleau, Melun et Montreuil[n 4],[69].
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+ Philippe VI meurt dans la nuit du 22 au 23 août 1350 au château de Nogent-le-Roi selon certains historiens ou plus vraisemblablement à l'abbaye Notre-Dame de Coulombs selon d'autres[70]. Philippe laisse un royaume durablement désorganisé, entré dans une phase de révoltes qui tournera à la guerre civile avec la Grande Jacquerie de l'année 1358.
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+ En juillet 1313, Philippe VI de Valois épouse en premières noces Jeanne de Bourgogne (v. 1293-1349), fille de Robert II (1248-1306), duc de Bourgogne (1272-1306) et roi titulaire de Thessalonique, et d'Agnès de France (1260-1325). De cette union sont issus au moins huit enfants[n 5] :
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+ Devenu veuf de Jeanne de Bourgogne, décédée le 12 décembre 1349, le roi épouse en secondes noces à Brie-Comte-Robert, le 11 ou 29 janvier 1350 (selon les sources), Blanche de Navarre (v. 1331-1398), dite Blanche d'Évreux, fille de Philippe III (1306-1343), comte d'Évreux (1319-1343) et roi de Navarre par mariage, et de Jeanne II (1311-1349), reine de Navarre (1328-1349) et comtesse de Champagne. De cette union est issue une fille posthume :
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+ Philippe VI de Valois aurait eu deux fils naturels :
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+ D'après la Chronique latine du moine bénédictin Guillaume de Nangis[75], les barons français préconisaient majoritairement de reporter le combat contre les milices flamandes à Cassel le 23 août 1328, en arguant de l'approche de l'hiver. Le roi Philippe VI demanda conseil à son connétable, Gaucher de Châtillon, qui l'exhorta à livrer bataille en répondant hardiment : « Qui a bon cœur trouve toujours bon temps pour la guerre. » Galvanisé par cette réponse, le souverain lui aurait donné l'accolade avant de lancer à ses barons la fameuse formule « Qui m'aime me suive ! »[76] (« Qui me diligit me sequatur »).
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+ Cependant, l'origine de ce « mot historique » est controversée puisque Plutarque attribuait déjà la tirade « Qui m'aime me suive » à Alexandre le Grand, plusieurs siècles plus tôt[77].
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+ Pour l'anecdote, c'est aussi avant cette bataille que Philippe récolta le sobriquet railleur de « roi trouvé » : les rebelles flamands étaient menés par un marchand de poisson nommé Nicolaas Zannekin, par ailleurs plein d'esprit. Il se moqua de la manière dont Philippe VI avait accédé au trône en peignant sur les étendards un coq avec l'inscription : Quand ce coq icy chantera, le Roy trouvé cy entrera[78],[79]. L'issue de la bataille le leur fit amèrement regretter.
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+ : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.