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La demande de la Commission et la requête du Gouvernement ont pour objet de soumettre l’affaire Neumeister à la Cour, afin que celle-ci puisse décider si les faits de la cause révèlent ou non, de la part de la République d’Autriche, une violation des obligations qui lui incombent aux termes des articles 5 par. 3, 5 par. 4 et 6 par. 1 (art. 5-3, art. 5-4, art. 6-1) de la Convention. Les faits de la cause, tels qu’ils ressortent du rapport de la Commission, de mémoires, pièces et documents produits et des déclarations orales des représentants respectifs de la Commission et du Gouvernement, peuvent se résumer ainsi: M. Fritz Neumeister, ressortissant autrichien né le 19 mai 1922, a son domicile à Vienne où il était, jadis, propriétaire et directeur d’une grande entreprise de transports, l’"Internationales Transportkontor" ou "ITEKA", qui comptait environ deux cents employés. Le 11 août 1959, le Parquet (Staatsanwaltschaft) de Vienne invita le Tribunal pénal régional (Landesgericht für Strafsachen) de cette ville à ouvrir une instruction préparatoire (Voruntersuchung), assortie d’arrestation immédiate, contre cinq individus dont les nommés Lothar Rafael, Herbert Huber et Franz Schmuckerschlag, et une enquête (Vorerhebungen) contre Fritz Neumeister et trois autres personnes. La veille, en effet, le Service des Finances du 1er arrondissement de la capitale avait dénoncé (Anzeige) les intéressés au Parquet: il soupçonnait les uns d’avoir fraudé le fisc en obtenant indûment de 1952 à 1958, au titre de l’aide à l’exportation (Ausfuhrhändlervergütung et Ausfuhrvergütung), le "remboursement" de plus de 54.500.000 schillings d’impôts sur le chiffre d’affaires (Umsatzsteuer), les autres - notamment Neumeister - d’avoir trempé dans ces tractations en qualité de complices (als Mitschuldige). En Autriche, un acte de ce genre ne constitue pas une simple infraction fiscale, mais une escroquerie (Betrug) au sens de l’article 197 du Code pénal. Aux termes de l’article 200, l’escroquerie devient un crime (Verbrechen) si le montant du dommage causé ou escompté dépasse 1500 schillings. La peine encourue est la "réclusion rigoureuse" de cinq à dix ans si ce montant excède 10.000 schillings, si le criminel a montré "une audace ou une ruse particulière" ou s’il est un escroc habituel (article 203). Ces deux montants ont été modifiés depuis lors; ils s’élèvent à l’heure actuelle à 2500 et 25.000 schillings respectivement. Conformément aux dispositions du droit autrichien (ständige Geschäftsverteilung), la conduite de l’instruction et de l’enquête provoquées par le Parquet échut automatiquement, le 17 août 1959, au Juge d’instruction Leonhard qui s’occupait déjà, depuis le 13 février 1959, d’une autre grosse affaire d’escroquerie, l’affaire Stögmüller. Le 21 janvier 1960, Neumeister comparut pour la première fois, comme suspect ("Verdächtigter", dans l’acceptation autrichienne de ce mot), devant le Juge d’instruction. Au cours de son interrogatoire, qui dura une heure un quart, il prit connaissance de l’initiative susmentionnée du Parquet; il protesta de son innocence, attitude dont il semble ne jamais s’être départi par la suite. À la demande du Parquet de Vienne (22 février 1961), le Juge d’instruction décida le 23 février 1961, d’ouvrir une instruction préparatoire contre Neumeister dont il ordonna la mise en détention préventive (Untersuchungshaft). En conséquence, Neumeister fut placé le lendemain en détention préventive dans l’affaire Rafael et consorts (24 a Vr 6101/59). Il s’entendit en même temps notifier sa mise en liberté provisoire dans une affaire de fraude douanière (no 6 b Vr 8622/60) pour laquelle il se trouvait détenu depuis une vingtaine de jours. Cette autre affaire n’est pas en cause devant la Cour européenne des Droits de l’Homme; elle s’est terminée par l’acquittement des huit prévenus, prononcé le 29 mars 1963 par le Tribunal pénal régional de Vienne dont la Cour Suprême d’Autriche (Oberster Gerichtshof) a confirmé le jugement le 14 avril 1964. Pendant sa détention, le requérant fut interrogé en qualité d’inculpé ("Beschuldigter", dans l’acceptation autrichienne de ce mot), les 27 février, 2 mars, 18 avril, 19 avril, 20 avril, 21 avril et 24 avril 1961. Des soixante-sept pages de procès-verbaux, il ressort que le Juge d’instruction l’informa en détail de déclarations faites à son sujet par plusieurs coïnculpés dont Franz Scherzer, Walter Vollmann (ancien directeur de la succursale que l’ITEKA avait à Salzbourg), Leopold Brunner et Lothar Rafael. Ce dernier avait fui à l’étranger mais avait adressé au tribunal une lettre longue de plus de trente pages, dans laquelle il accablait Neumeister. Le requérant s’expliqua en détail; les interrogatoires se déroulèrent le plus souvent en présence d’un inspecteur des contributions (Finanzoberrevisor), M. Besau. Le 12 mai 1961, Neumeister bénéficia d’une mesure de mise en liberté provisoire sur parole: il prêta le serment (Gelöbnis) prévu à l’article 191 du Code de procédure pénale mais n’eut pas à fournir de caution. Le Parquet attaqua en vain cette décision auprès de la Cour d’Appel (Oberlandesgericht) de Vienne. Après son élargissement, le requérant retourna à ses activités professionnelles. Au cours du procès concernant l’affaire de fraude douanière (6 b VR 8622/60), il avait dû vendre l’ITEKA, apparemment à vil prix - environ 700.000 schillings, payables en quarante-huit mensualités - mais il fonda une petite entreprise de transports, la firme Scherzinger, qui employait trois personnes. En juillet 1961, Neumeister se rendit en Finlande, avec l’autorisation du Juge d’instruction, pour y passer ses vacances en compagnie de son épouse et de leurs trois enfants. Au début de février 1962, il fit un voyage de quelques jours en Sarre, également avec l’accord de ce magistrat. Il affirme être allé souvent voir le Juge d’instruction, de son plein gré, tout au long de la période qui s’écoula jusqu’à sa deuxième arrestation (12 juillet 1962, par. 12 infra). Arrêté le 22 juin 1961 à Paderborn (République Fédérale d’Allemagne), Lothar Rafael fut extradé en Autriche le 21 décembre 1961, le Ministre de la Justice de Rhénanie du Nord-Westphalie ayant déféré à la demande que les autorités autrichiennes avaient présentée en ce sens. En janvier 1962, la police économique (Wirtschaftspolizei) de Vienne interrogea longuement Rafael qui porta de graves accusations contre Neumeister. Neumeister informa le Juge d’instruction, au printemps de 1962, qu’il désirait séjourner à nouveau en Finlande avec sa famille dans le courant du mois de juillet. Le magistrat instructeur ne souleva pas d’objections sur le moment. Par la suite, il aurait avisé le requérant qu’il serait probablement confronté avec Rafael en juin mais qu’il ne lui fallait pas renoncer pour autant à ses projets de vacances à l’étranger. Les 3, 4, 5 et 6 juillet 1962, Neumeister fut interrogé par le Juge d’instruction en présence de l’inspecteur des contributions Besau. Ayant pris connaissance des déclarations faites à son sujet par différents témoins ou inculpés, et notamment par Rafael en janvier 1962, il les contesta avec force. Cinquante pages de procès-verbaux furent rédigées à cette occasion. La confrontation de Neumeister avec Rafael se déroula devant la police économique de Vienne les 10 et 11 juillet 1962. Des vingt-deux pages de procès-verbaux, il ressort que Neumeister persista dans ses dénégations. Dans la matinée du 12 juillet, le Juge d’instruction fit savoir à Neumeister que son départ pour la Finlande, prévu pour le 15, se heurtait à l’opposition du Parquet. Entendu comme témoin, le 7 juillet 1965, par une Sous-Commission de la Commission européenne des Droits de l’Homme, il a fourni sur ce point les précisions suivantes: "Ce que je dis maintenant est un peu plus difficile pour moi. Personnellement, j’étais convaincu, parce que j’en avais le sentiment - je souligne: le sentiment -, que M. Neumeister reviendrait après son voyage en Finlande. Monsieur le Président, Messieurs de la Commission, vous savez qu’un juge ne doit pas se laisser influencer par le sentiment, mais uniquement par la loi. Cette loi m’a enjoint, étant donné qu’aucun accord d’assistance juridique ou d’extradition n’existe en tant que tel entre l’Autriche et la Finlande, de ne pas céder au sentiment que j’avais que Neumeister reviendrait. Je sais que j’ai dit à l’époque à M. Neumeister: "J’ai le sentiment que vous reviendrez; personnellement, je ne peux, sans l’approbation du Parquet, vous donner aucune autorisation." Cette approbation du Parquet fut refusée à l’époque." Le requérant a, pour sa part, allégué devant ladite Sous-Commission que le Juge d’instruction lui avait permis de se rendre en Finlande malgré l’avis négatif du Parquet. Quoi qu’il en soit, le Juge d’instruction ordonna le même jour, 12 juillet 1962, à la demande du Parquet, l’arrestation de Neumeister. Le mandat (Haftbefehl) relevait, pour commencer, que l’intéressé était soupçonné d’avoir commis avec Lothar Rafael et d’autres inculpés, de 1952 à 1957, une série d’actes d’escroquerie ayant causé à l’État un préjudice d’environ dix millions de schillings. Il ajoutait que Neumeister, connaissant les charges réunies contre lui depuis son élargissement (12 mai 1961), devait s’attendre à une lourde peine; que son ancien employé Walter Vollmann, pour qui les résultats de l’instruction se révélaient pourtant moins accablants, s’était soustrait aux poursuites en s’enfuyant; que les récents interrogatoires du requérant et sa confrontation avec Rafael lui avaient montré sans nul doute qu’il lui faudrait renoncer désormais à son attitude de pure dénégation; qu’il avait l’intention de passer ses vacances à l’étranger et que la remise de son passeport n’aurait pas offert une garantie adéquate, la possession de cette pièce n’étant plus nécessaire au franchissement de certaines frontières. De ces diverses circonstances, le mandat déduisait qu’il existait en l’espèce un danger de fuite (Fluchtgefahr), au sens de l’article 175 par. 1, alinéa 2, du Code de procédure pénale. Neumeister fut arrêté dans l’après-midi du 12 juillet 1962, à proximité de son bureau. Il pria aussitôt l’aînée de ses filles, Maria Neumeister, d’annuler par télégramme les billets qu’il avait commandés pour la traversée de la Baltique. Aux fonctionnaires de police venus l’appréhender, il déclara qu’il avait eu l’intention de se rendre le lendemain au Parquet afin de solliciter l’autorisation de partir pour la Finlande le lundi 16 juillet. Le 13 juillet 1962, Neumeister comparut pendant quelques instants devant le Juge d’instruction qui lui notifia sa mise en détention préventive (article 176 par. 1 du Code de procédure pénale). Le 23 juillet 1962, le requérant forma un premier recours contre le mandat d’arrêt du 12 juillet 1962. Soulignant que son entreprise, son domicile et sa famille se trouvaient à Vienne, il affirmait que rien ne permettait de croire à la réalité d’un risque de fuite et qu’il aurait d’ailleurs aisément pu s’enfuir auparavant s’il l’avait voulu. La Chambre du Conseil (Ratskammer) du Tribunal pénal régional de Vienne rejeta le recours le 31 juillet 1962 pour des raisons voisines de celles qu’énonçait le mandat litigieux. Elle insista en particulier sur les déclarations de Rafael qui, estimait-elle, avaient nettement empiré la situation de Neumeister. Le requérant attaqua cette décision le 4 août 1962. Il soutenait que l’article 175 par. 1, alinéa 2, du Code de procédure pénale exige un véritable "risque de fuite" et non une simple "possibilité de fuite", que pareil risque doit s’apprécier à la lumière de faits précis et que l’éventualité d’une condamnation sévère ne suffit pas à cet égard; il se référait à un arrêt rendu par la Cour Constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof) le 8 mars 1961 (Recueil Officiel des Décisions de cette Cour, 1961, pages 80 à 82). La Cour d’Appel (Oberlandesgericht) de Vienne repoussa le recours (Beschwerde) le 10 septembre 1962. Se ralliant aux motifs retenus par la Chambre du Conseil, elle ajouta que l’intéressé savait combien les charges pesant sur lui s’étaient aggravées depuis le 12 mai 1961, devait s’attendre à une lourde peine vu l’énormité du dommage causé et, d’après un rapport de police du 12 juillet 1962, avait entrepris des préparatifs de voyage à l’étranger et les avait maintenus bien que le Juge d’instruction compétent lui eût expressément refusé l’autorisation nécessaire. Dans ces conditions, la Cour jugea qu’il fallait conclure à l’existence d’un danger de fuite. Neumeister introduisit une deuxième demande de mise en liberté provisoire le 26 octobre 1962. Tout en s’efforçant à nouveau de prouver l’absence de danger de fuite, il offrit pour la première fois, en ordre subsidiaire, une garantie bancaire de 200.000 ou, à la rigueur, de 250.000 schillings (article 192 du Code de procédure pénale). La Chambre du Conseil rejeta la demande le 27 décembre 1962. Rappelant que Neumeister encourait une peine de cinq à dix ans de réclusion rigoureuse (article 203 du Code pénal) et avait à répondre d’un préjudice de près de 6.750.000 schillings, elle estima que la fourniture d’une garantie ne suffirait pas à conjurer le risque de fuite et qu’il n’y avait donc pas lieu d’examiner le taux de la garantie proposée. Neumeister attaqua cette décision le 15 janvier 1963. En sus des arguments développés dans sa demande du 23 juillet 1962 et dans son recours du 4 août 1962, il fit observer: - que le montant du dommage qu’on lui attribuait, à tort selon lui, avait fortement diminué, passant de plus de quarante millions de schillings (24 février 1961) à un peu plus de onze millions et demi (12 mai 1961) pour tomber à 6.748.510 schillings 45 (décision du 27 décembre 1962); - que des détenus impliqués dans d’autres affaires plus importantes avaient recouvré leur liberté contre le versement d’une caution; - qu’il n’avait jamais cherché à s’enfuir, par exemple entre son élargissement (12 mai 1961) et sa seconde arrestation (12 juillet 1962) et, spécialement, à la faveur de son séjour en Finlande; - que quelques heures à peine s’étaient écoulées entre sa comparution devant le Juge d’instruction, dans la matinée du 12 juillet 1962, et son arrestation; - que ce bref intervalle ne lui avait pas laissé la possibilité matérielle d’annuler ses préparatifs de voyage, préparatifs auxquels il n’avait d’ailleurs pas voulu renoncer sans tenter une ultime démarche auprès du Parquet; - qu’il avait déjà subi plus de neuf mois de détention préventive (24 février 1961 - 12 mai 1961 et 12 juillet 1962 - 15 janvier 1963), élément qui plaidait lui aussi, à l’en croire, pour l’absence de danger de fuite; - que tous ses intérêts professionnels et familiaux se trouvaient à Vienne où sa femme venait d’ailleurs d’ouvrir un magasin de confection pour dames. La Cour d’appel de Vienne repoussa le recours le 19 février 1963. Se référant à sa décision du 10 septembre 1962, elle releva que la situation n’avait pas évolué depuis lors dans un sens favorable à Neumeister. Sans doute le montant du préjudice imputé à ce dernier avait-il diminué, mais il ne comprenait pas la somme dont l’intéressé pourrait avoir à répondre dans une affaire d’exportation simulée de machines (Kreisverkehr der Textilien der Firma Benistex). D’ailleurs, il n’avait pas décru au point d’influer de manière décisive sur la peine à laquelle Neumeister devait s’attendre en cas de condamnation. La Cour en conclut que le danger de fuite demeurait si grand que même la fourniture éventuelle d’une garantie ne pouvait être prise en considération (indiskutabel ist) et qu’elle n’était nullement de nature à éliminer ce danger. Quatre semaines auparavant, et plus précisément le 21 janvier 1963, le Juge d’instruction avait procédé à une nouvelle confrontation de Rafael et de Neumeister qui avaient confirmé, pour l’essentiel, leurs déclarations respectives des 10 et 11 juillet 1962. D’après le requérant, la confrontation dura un quart d’heure environ. Un procès-verbal d’une page et demie fut établi à cette occasion. Le 12 juillet 1963, soit le jour même de l’introduction de sa requête devant la Commission européenne des Droits de l’Homme, Neumeister forma une troisième demande de mise en liberté provisoire, qu’il compléta le 16 juillet; il s’engageait à prêter le serment (Gelöbnis) prévu à l’article 191 du Code de procédure pénale et offrait derechef de fournir, au besoin, une garantie bancaire de 200.000 ou 250.000 schillings. Tout en réitérant ses arguments antérieurs, il faisait valoir: - qu’entre son élargissement (12 mai 1961) et sa seconde arrestation (12 juillet 1962), il s’était toujours tenu à la dispositions du magistrat instructeur, s’était présenté spontanément cinq ou six fois à ce dernier pour se renseigner sur la marche de l’instruction et l’avait informé dès le mois de mars 1962 de son dessein de se rendre en Finlande; - que les chemins de fer autrichiens l’avaient autorisé à construire à Vienne, près de la Gare de l’Est, un entrepôt d’une valeur de plus d’un million et demi de schillings, projet qu’il n’avait pu réaliser en raison de sa réincarcération; - que depuis celle-ci, aucune charge nouvelle n’avait été découverte contre lui; - que Lothar Rafael, ayant passé des aveux (Geständiger), essayait d’améliorer son cas en rejetant sa faute sur autrui et que ses déclarations ne méritaient aucun crédit; - qu’après plus d’un an de détention préventive, l’hypothèse d’un danger de fuite n’avait plus rien de plausible. Le Juge d’instruction repoussa la demande le 23 juillet 1963. Il estima en effet que les motifs retenus dans les décisions des 31 juillet 1962, 10 septembre 1962, 27 décembre 1962 et 19 février 1963 conservaient leur actualité et que les pièces du dossier corroboraient, pour l’essentiel, les accusations de Rafael contre Neumeister. Celui-ci saisit alors la Chambre du Conseil du Tribunal pénal régional de Vienne, le 5 août 1963, d’un recours où il reprenait beaucoup des considérations résumées plus haut, en y ajoutant notamment les suivantes: - vu l’ampleur et la complexité de l’affaire, l’instruction et la procédure ultérieure s’annonçaient extrêmement longues de sorte que la durée de la détention préventive, déjà supérieure à quatorze mois, risquait d’excéder celle de la peine éventuelle si l’on n’y remédiait à bref délai; - le Juge d’instruction avait négligé de répondre à plusieurs des arguments de Neumeister et d’indiquer les documents qui lui paraissaient étayer les déclarations de Rafael, lesquelles avaient d’ailleurs de grandes chances d’être retirées tôt ou tard; - le même magistrat avait minimisé à tort l’importance de la réduction du dommage attribué à Neumeister, réduction qui pouvait fort bien s’accentuer encore à l’avenir; - il n’avait pas fondé sa décision sur des faits, mais sur de simples présomptions relatives aux répercussions des dires de Rafael sur l’état d’âme (Seelenzustand) de Neumeister. L’intéressé soulignait en outre: - qu’il était prêt à remettre au tribunal ses papiers d’identité et son passeport; - qu’il n’avait nullement les moyens d’entretenir sa famille à l’étranger; - qu’une fuite n’aurait du reste aucun sens pour un homme de son âge d’autant qu’il s’exposait, en cas d’extradition, à ne pas bénéficier de l’imputation de sa détention préventive sur sa peine éventuelle (allusion à l’article 55 a) in fine du Code pénal). La Chambre du Conseil rejeta le recours le 8 août 1963. Se référant à la décision attaquée et à celles qui l’avaient précédée, elle releva en substance: - que les déclarations de Rafael se trouvaient confirmées par une série d’éléments (lettres originales, pièces comptables, extraits de comptes, dépositions de témoins, etc.); - que la confrontation de Rafael et de Neumeister en juillet 1962 avait profondément aggravé la situation du second et que le Juge d’instruction avait eu raison de s’attacher aux effets qu’elle n’avait pu manquer d’entraîner sur l’esprit du requérant; - que, dans ces conditions, la fourniture éventuelle d’une garantie ne pouvait être prise en considération (indiskutabel ist) et n’était nullement de nature à éliminer le danger de fuite. Le 20 août 1963, Neumeister introduisit auprès de la Cour d’Appel de Vienne un recours dirigé contre cette décision. Ses griefs coïncidaient en gros avec ceux qu’il avait formulés le 5 août 1963. Il reprochait aussi à la Chambre du Conseil de ne pas avoir précisé le contenu des pièces censées corroborer les accusations de Rafael, d’avoir laissé dans l’ombre la question de savoir si Neumeister avait eu connaissance de ces pièces et d’avoir perdu de vue le fait que plus de six mois s’étaient écoulés depuis la dernière décision de la Cour d’Appel (19 février 1963). Il faisait également observer qu’il aurait pu aisément s’enfuir, s’il l’avait voulu, entre sa confrontation avec Rafael et son arrestation. La Cour d’Appel n’eut cependant pas à statuer: Neumeister se désista le 11 septembre 1963, sans expliquer pourquoi. Le 16 septembre 1963, la fille aînée de Neumeister saisit le Ministère de la Justice d’une pétition tendant à l’élargissement de son père; elle offrait un cautionnement d’un million de schillings. La police économique de Vienne adressa au Tribunal pénal régional, le 13 novembre 1963, un rapport confidentiel d’où il ressortait que Maria Neumeister avait tenté en vain de se procurer une partie de cette somme auprès d’un ancien client des firmes Iteka et Scherzinger. Quelques jours plus tôt - le 6 novembre 1963, soit le surlendemain de la clôture de l’instruction préparatoire (paras. 19 et 20 infra) - Me Michael Stern, avocat, avait formé au nom de Neumeister une quatrième demande de mise en liberté provisoire. Il y reprenait brièvement les arguments développés dans les demandes précédentes, soulignait que la détention préventive du requérant durait depuis près de vingt mois et proposait une garantie bancaire d’un million de schillings. Au cours de la procédure suivie devant la Commission, Neumeister a déclaré que cette dernière offre avait été présentée contre son gré car il n’était pas en mesure, à l’époque, de fournir une garantie d’un montant aussi élevé. Par une lettre du 14 avril 1964, Me Stern a confirmé qu’il avait agi sur ce point de sa propre initiative. Les représentants du Gouvernement ont fait valoir devant la Commission que ladite offre liait Neumeister et que les juridictions compétentes n’avaient aucune raison de penser qu’elle ne reflétait pas sa volonté. Le Juge d’instruction rejeta la demande le 5 décembre 1963. Se référant aux décisions des 31 juillet 1962, 10 septembre 1962, 27 décembre 1962, 19 février 1963 et 8 août 1963, il estima que le requérant n’apportait aucun élément de nature à justifier son élargissement. Neumeister attaqua cette décision le 13 décembre 1963. Il contestait une fois de plus l’existence d’un danger de fuite; à l’en croire, le Tribunal pénal régional et la Cour d’Appel de Vienne n’avaient jamais bien apprécié les faits pertinents à cet égard, s’étaient appuyés sur de vagues présomptions et non sur des preuves solides et avaient attaché à tort une importance déterminante à l’énormité du dommage prétendument causé à l’État. Il se plaignait en particulier que le Tribunal pénal régional n’eût tenu aucun compte, dans sa décision du 5 décembre, de la longueur de la détention préventive déjà subie. En conclusion, le recours réitérait l’offre d’une garantie bancaire d’un million de schillings. La Chambre du Conseil du Tribunal pénal régional de Vienne accueillit le recours le 8 janvier 1964. Elle reconnut une certaine valeur à l’argumentation du requérant: rappelant que Neumeister encourait une peine de cinq à dix ans de réclusion rigoureuse, elle releva que l’on ne pouvait savoir s’il bénéficierait du "droit d’atténuation extraordinaire" (außerordentliches Milderungsrecht, article 265 a) du Code de procédure pénale) mais que la durée de la détention préventive serait, selon toute probabilité, imputée sur celle de la peine en cas de condamnation (article 55 a) du Code pénal) et que la tentation de s’enfuir s’en trouvait grandement amoindrie (wesentlich verringert). Elle jugea cependant qu’une garantie d’un million de schillings ne suffirait pas à éliminer le danger de fuite. A ce propos, elle souligna qu’aux termes de l’article 192 du Code de procédure pénale, le taux de la caution dépend non seulement de la situation du détenu et de la fortune du garant éventuel, mais encore des conséquences de l’infraction. Par ces motifs, la Chambre du Conseil ordonna la mise en liberté provisoire de Neumeister moyennant une caution de deux millions de schillings (en espèces ou sous forme de garantie bancaire) et le dépôt volontaire (freiwillige Hinterlegung) du passeport de l’intéressé auprès du Tribunal. Le 21 janvier 1964, Me Stern introduisit au nom de Neumeister un recours tendant à voir ramener le montant de la caution à un million de schillings. Il avançait en substance que d’après l’article 192 du Code de procédure pénale, les conséquences de l’infraction ne sont à prendre en considération qu’eu égard à la situation du détenu et à la fortune du garant. Il en inférait que les tribunaux ne doivent en aucun cas exiger une garantie excédant les facultés du demandeur (Gesuchssteller), sans quoi ils pourraient à leur guise, dans l’hypothèse d’un préjudice important, empêcher toute mise en liberté provisoire. La décision litigieuse fut partiellement réformée le 4 février 1964. Après avoir constaté que le recours visait uniquement le taux de la caution à fournir, la Cour d’Appel de Vienne estima, avec la Chambre du Conseil, qu’une somme d’un million de schillings apparaissait trop faible en regard du dommage entraîné par les actes dont Neumeister avait à répondre. Elle ajouta que le requérant disposait très vraisemblablement, grâce aux gains qu’il avait réalisés par ces mêmes actes, de moyens supérieurs de beaucoup à son offre. Elle nota aussi qu’il n’avait point allégué, de manière catégorique, qu’une garantie d’un million de schillings épuiserait ses ressources. La Cour releva toutefois qu’elle n’était pas en mesure de se prononcer sur le montant de la caution exigée par la Chambre du Conseil, car elle ne possédait pas les éléments d’appréciation nécessaires. Elle renvoya donc l’affaire à la Chambre du Conseil en soulignant qu’il incomberait à celle-ci de déterminer, à la lumière d’un examen approfondi de la situation de Neumeister et de la fortune des garants qu’il pourrait désigner, un taux de caution compris entre un et deux millions de schillings. Dans un rapport du 16 mars 1964, établi à la demande de la Chambre du Conseil, la police économique de Vienne exprima l’opinion que Neumeister n’était nullement à même de se procurer deux millions de schillings. Elle s’appuyait sur une série de pièces d’où il ressortait que la firme Scherzinger n’était guère florissante et que Maria Neumeister se déclarait capable de fournir une garantie de cinq cent mille schillings. La Chambre du Conseil du Tribunal pénal régional de Vienne statua le 31 mars 1964, soit deux semaines après l’établissement de l’acte d’accusation (paras. 19 et 21 infra). Outre le rapport de la police économique, elle mentionna une lettre de Neumeister, datée du 25 février 1964, d’après laquelle une personne qui entendait garder l’anonymat acceptait de constituer une caution d’un million deux cent cinquante mille schillings. Additionnant cette somme aux cinq cent mille schillings proposés par Maria Neumeister, la Chambre du Conseil réduisit à un million sept cent cinquante mille schillings le montant de la caution exigée du requérant. Par un recours du 20 avril 1964, Neumeister demanda que ce montant fût abaissé à un million deux cent cinquante mille schillings; d’après lui, l’offre de sa fille se trouvait incluse dans celle du garant qui ne désirait par révéler son identité. La Cour d’Appel de Vienne repoussa le recours le 20 mai 1964. Elle estima en effet que la Chambre du Conseil s’était conformée à la décision du 4 février et que les conséquences de l’infraction revêtaient une importance primordiale aux fins d’application de l’article 192 du Code de procédure pénale. Entre temps, le Juge Leonhard avait prononcé, le 4 novembre 1963, la clôture de l’instruction préparatoire et avait communiqué au Parquet le dossier qui comprenait vingt et un volumes d’environ cinq cents pages chacun, plus une quantité appréciable d’autres documents (articles 111 et 112 du Code de procédure pénale). Le 17 mars 1964, le Parquet de Vienne avait, de son côté, achevé d’établir l’acte d’accusation (Anklageschrift) qui avait été notifié à Neumeister le 26 mars (articles 207 et 208 du Code de procédure pénale). Dans l’accomplissement de sa tâche, le Juge d’instruction avait été secondé par la police économique de Vienne, par le service des contributions (inspecteur Besau), par les chemins de fers autrichiens et par l’administration des postes; il avait, néanmoins, rencontré des obstacles considérables. Ainsi, quatre des principaux inculpés, à savoir Lothar Rafael, Herbert Huber, Franz Schmuckerschlag et Walter Vollmann, avaient fui à l’étranger, les trois premiers dès le début des poursuites, le quatrième après avoir bénéficié d’une mesure de mise en liberté provisoire sur parole. A l’issue d’assez longues procédures, les autorités autrichiennes avaient obtenu de la République Fédérale d’Allemagne l’extradition de Rafael (21 décembre 1961) et de la Suisse celle de Huber (27 septembre 1962). Au contraire, la République Fédérale d’Allemagne avait refusé d’extrader Schmuckerschlag car il possédait la nationalité allemande en plus de la nationalité autrichienne. Quant à Vollmann, on n’a pas réussi à le découvrir jusqu’ici. A cela s’ajoutaient une série de difficultés inhérentes à la nature, à l’ampleur et à la complexité des actes incriminés. L’instruction visait à l’origine vingt-deux personnes et avait trait à vingt-deux chefs d’inculpation. Il incombait à l’accusation de prouver, notamment, que les pièces relatives à l’achat des marchandises avaient été falsifiées, que la valeur des exportations avait été frauduleusement majorée, que les entreprises destinataires à l’étranger n’existaient pas ou ignoraient tout de l’affaire et que les exportateurs avaient placé en Suisse ou au Liechtenstein le produit de leurs ventes. A cette fin, il avait fallu reconstituer de multiples opérations commerciales s’échelonnant sur plusieurs années, vérifier les itinéraires suivis par cent cinquante ou cent soixante wagons de chemin de fer, étudier un grand nombre de dossiers du service des contributions, entendre des dizaines de témoins dont certains avaient dû être interrogés à nouveau après l’extradition de Rafael, etc. Beaucoup de témoins vivaient à l’étranger, par exemple aux Pays-Bas, en Italie, aux États-Unis, au Canada, en Amérique Latine, en Afrique et dans le Proche-Orient. La République d’Autriche avait donc été obligée de recourir aux services de l’Interpol ou d’invoquer les traités d’entraide judiciaire qu’elle avait conclus avec des États tels que les Pays-Bas, la République Fédérale d’Allemagne, l’Italie, la Suisse et le Liechtenstein. Les enquêtes menées aux Pays-Bas, en République Fédérale d’Allemagne et en Suisse s’étaient déroulées, pour une part, en présence de fonctionnaires autrichiens et spécialement, en ce qui concerne la Suisse, du Juge d’instruction Leonhard. Des délais allant de six à seize mois s’étaient écoulés entre l’envoi des demandes d’aide judiciaire et la réception du résultat des recherches auxquelles elles avaient donné lieu aux Pays-Bas, en République Fédérale d’Allemagne, en Italie et en Suisse. A l’époque de la clôture de l’instruction, la demande adressée à la Suisse demeurait en instance sur un point pour lequel elle ne devait d’ailleurs pas aboutir, les autorités helvétiques ayant estimé (septembre 1964) que le secret professionnel des banques zurichoises en question s’opposait à la communication des renseignements souhaités. Quant à la réponse du Liechtenstein, elle ne parvint en Autriche qu’en juin 1964. Des entreprises sous administration soviétique se trouvaient également en cause, surtout pendant la première phase de l’instruction; or, aucun document ne pu être obtenu de la banque des forces armées soviétiques, par l’intermédiaire de laquelle des règlements avaient été effectués. La marche de l’instruction semble avoir été ralentie par le refus de l’un des inculpés - Herbert Huber - de faire la moindre déclaration devant le magistrat instructeur. D’un autre côté, les poursuites concernant certains faits ou inculpés avaient été disjointes en raison de leur importance secondaire (article 57 par. 1 du Code de procédure pénale); elles paraissent avoir été abandonnées ultérieurement (article 34 par. 2 du même code). Au moment de la clôture de l’instruction préparatoire, le nombre des individus inculpés en l’espèce ne s’élevait plus qu’à dix. Après le 21 janvier 1963, date de sa dernière confrontation avec Rafael, Neumeister ne fut plus entendu par le Juge d’instruction qui, au cours de la même période, interrogea vingt-huit fois Rafael (272 pages de procès-verbaux) et cinq autres inculpés dix-sept fois en tout (119 pages de procès-verbaux). D’après le procès-verbal de la confrontation du 21 janvier 1963, une nouvelle confrontation était projetée. Elle n’eut cependant pas lieu; à en croire le requérant, c’est le refus de Lothar Rafael qui empêcha de donner suite à cette intention. Long de 219 pages, l’acte d’accusation du 17 mars 1964 visait dix personnes à savoir, dans l’ordre, Lothar Rafael, Herbert Huber, Franz Scherzer, Fritz Neumeister, Iwan Ackermann, Leopold Brunner, Walter Vollmann, Hermann Fuchshuber, Helmut Dachs et Rudolf Grömmer; il n’avait point trait à l’affaire "Kreisverkehr der Textilien der Firma Benistex", objet d’une procédure indépendante (par. 22 infra). Pour sa part, Neumeister était accusé d’escroquerie qualifiée (articles 197, 200, 201, alinéas a) et d), et 203 du Code pénal) dans dix groupes de transactions portant sur des objets très divers: savon de toilette, outils (fraises et baguettes de soudure), vêtements féminins (bas en nylon, jupes, blouses etc.), chaussures de gymnastique, articles de cuir, articles de velours, lampes d’appartement et mécanismes de roulement. Le montant du préjudice dont il avait à répondre dépassait 5.200.000 schillings. A cet égard, le requérant arrivait en quatrième position, derrière Rafael (plus de 35.100.000 schillings), Vollmann (près de 31.900.000 schillings) et Huber (près de 31.800.000 schillings) mais devant Scherzer (plus de 1.400.000 schillings), Brunner (plus de 1.250.000 schilling), Dachs (plus de 1.100.000 schillings), Ackermann et Grömmer (près de 200.000 schillings). Certains des agissements incriminés ne le concernaient point. Tel était le cas, au premier chef, d’une grosse affaire d’exportation de produits textiles dans lesquels seuls Rafael, Huber et Vollmann se trouvaient en cause (plus de 25.700.000 schillings, pages 101 à 170 de l’acte d’accusation). Le Parquet demandait notamment l’ouverture de la procédure de jugement devant le Tribunal pénal régional de Vienne, la convocation de trente-cinq témoins et la lecture des dépositions de cinquante-sept autres. Le 3 juin 1964, le Parquet de Vienne avisa la Chambre du Conseil du Tribunal pénal régional qu’il abandonnait provisoirement, en se réservant de les réintroduire à une date ultérieure, les poursuites intentées contre Neumeister dans l’affaire "Kreisverkehr der Textilien der Firma Benistex" (article 34 par. 2, alinéa 1, du Code de procédure pénale). A l’occasion du dépôt de l’acte d’accusation, le Parquet avait obtenu du Tribunal la disjonction de ces poursuites qui avaient donné lieu, depuis lors, à une procédure séparée (26 d VR 2407/64). Le même jour, la Chambre du Conseil, constatant que le dommage global imputé à Neumeister se trouvait ainsi réduit de plus de quatre millions de schillings, décida d’abaisser à un million de schillings - en espèce ou sous forme de garantie bancaire - le taux de la caution exigée pour l’élargissement du requérant. Le 13 août 1964, Neumeister informa la Chambre du Conseil que sa fille Maria Neumeister et une autre personne nommément désignée consentaient à lui servir de garants (Bürgen), la première pour 850.000 schillings, la seconde pour 150.000. Les intéressés confirmèrent la chose le lendemain. Après avoir vérifié leur solvabilité (Tauglichkeit), la Chambre du Conseil accepta leur offre le 16 septembre 1964. Quelques heures plus tard, le requérant prêta le serment prévu à l’article 191 du Code de procédure pénale, déposa son passeport auprès du Tribunal conformément à la décision du 8 janvier 1964, restée inchangée sur ce point, et recouvra sa liberté. Les différentes décisions concernant la détention préventive de Neumeister ont toutes été prononcées conformément aux articles 113 par. 2 (première instance) et 114 par. 2 (appel) du Code de procédure pénale, à l’issue d’une séance non publique au cours de laquelle le Parquet avait été entendu en l’absence du requérant et de son avocat (in nichtöffentlicher Sitzung nach Anhörung der Staatsanwaltschaft bzw. der Oberstaatsanwaltschaft). Le 9 octobre 1964, la date d’ouverture de la procédure de jugement (Hauptverhandlung) fut fixée au 9 novembre. Le 18 juin 1965, après cent deux journées d’audience, le Tribunal pénal régional de Vienne, constitué en Tribunal d’échevins (Schöffengericht), renvoya les débats à une date indéterminée, et ce pour complément d’instruction. Saisi d’une série de demandes qui émanaient tant du Parquet que de différents accusés y compris Neumeister, il donna suite à plusieurs d’entre elles et prescrivit d’office certaines mesures d’instruction additionnelles. L’attitude de Herbert Huber semble avoir fortement contribué à rendre ce complément d’instruction nécessaire: alors qu’il avait gardé le silence durant l’instruction préparatoire, Huber s’expliqua en détail devant ses juges; à en croire Neumeister, ses déclarations furent favorables à ce dernier et accablantes pour Rafael. Le Tribunal indiqua néanmoins qu’il aurait fallu à ses yeux procéder plus tôt, pendant l’instruction préparatoire, à une partie des nouvelles enquêtes et auditions de témoins ordonnées par lui. En février et juillet 1965, Neumeister se rendit à Strasbourg, avec l’accord du Tribunal, pour les besoins de l’instance qu’il avait introduite auprès de la Commission européenne des Droits de l’Homme. Son passeport lui aurait été restitué quelques jour avant le second de ces voyages. L’instruction complémentaire ne put être assurée par le Juge Leonhard qui avait déposé devant le Tribunal en qualité de témoin (article 68 du Code de procédure pénale); elle échut à son suppléant permanent. Elle s’étendit sur plus de deux années et ne s’acheva donc qu’après l’adoption, le 27 mai 1966, du rapport de la Commission. Le Juge d’instruction interrogea de nombreux témoins dont Alfred Neumeister, frère du requérant (13 décembre 1966), fit établir des rapports d’expertise, recourut aux services du fisc, de la police économique de Vienne, de la gendarmerie, des postes, de l’Interpol, d’autorités helvétiques et allemandes, etc. Les accusés paraissent ne plus avoir été entendus. Le 8 mars 1966, le Tribunal pénal régional de Vienne avisa Neumeister qu’une décision du même jour avait arrêté (eingestellt), en vertu de l’article 109 du Code de procédure pénale, les poursuites intentées contre lui quant à deux des chefs d’accusation. Le montant du préjudice dont le requérant doit répondre s’en trouva réduit d’environ 370.000 schillings. La procédure de jugement a repris son cours devant le Tribunal pénal régional de Vienne le 4 décembre 1967. D’après les indications fournies à la Cour par le Gouvernement, elle devait durer de quatre à six mois. Dans sa requête introductive d’instance de juillet 1963, (no 1936/63), dont la Commission a produit le texte à la demande de la Cour, Neumeister prétendait: - qu’on l’avait arrêté et détenu sans "raisons plausibles" de le soupçonner d’avoir commis une infraction et sans "motifs raisonnables" de croire à la nécessité de l’empêcher de s’enfuir (article 5 par. 1 c) de la Convention) (art. 5-1-c); - qu’il avait lieu de douter de l’impartialité des personnes compétentes pour se prononcer sur son maintien en détention et pour mener l’instruction (article 6 par. 1) (art. 6-1); - que la procédure suivie pour l’examen de ses demandes de mise en liberté provisoire ne cadrait pas avec les exigences de l’article 5 par. 4 et de l’article 6 paras. 1 et 3 b) et c) (art. 5-4, art. 6-1, art. 6-3-b, art. 6-3-c) "égalité des armes", Waffengleichheit); - qu’on ne l’avait ni jugé "dans un délai raisonnable" ni libéré pendant la procédure. A cet égard, le requérant avançait en particulier que le Juge d’instruction, chargé de s’occuper simultanément de plusieurs grosses affaires, n’était plus en mesure d’accomplir sa tâche "dans un délai raisonnable" au sens des articles 5 par. 3 et 6 par. 1 (art. 5-3, art. 6-1) de la Convention. Neumeister se plaignait notamment des décisions rendues quelques mois plus tôt par la Chambre du Conseil du Tribunal pénal régional de Vienne et par la Cour d’Appel. Au cours d’une audience tenue devant la Commission, l’avocat du requérant a invoqué en outre l’article 5 par. 2 (art. 5-2) de la Convention, affirmant que son client n’avait pas été informé en détail et par écrit des accusations portées contre lui. La Commission a statué sur la recevabilité de la requête le 6 juillet 1964. Elle a rejeté, pour défaut manifeste de fondement, les griefs relatifs aux paragraphes 1 c) et 2 de l’article 5 (art. 5-1-c, art. 5-2) de la Convention, mais a déclaré la requête recevable sur le terrain des articles 5 par. 3, 5 par. 4 et 6 par. 1 (art. 5-3, art. 5-4, art. 6-1) ("délai raisonnable" et "égalité des armes"); elle n’a pas jugé nécessaire de se prononcer sur la violation alléguée du paragraphe 3 de l’article 6 (art. 6-3), car le requérant n’avait pas insisté sur ce point. À la suite de la décision déclarant recevable une partie de la requête, une Sous-Commission a établi les faits de la cause et recherché en vain un règlement amiable (articles 28 et 29 de la Convention) (art. 28, art. 29). Invoquant l’article 5 par. 3 (art. 5-3), le requérant a soutenu devant la Commission et la Sous-Commission que sa détention préventive avait duré plus que de raison. A l’appui de cette thèse, il a repris beaucoup des arguments qu’il avait développés auprès du Juge d’instruction, de la Chambre du Conseil et de la Cour d’Appel de Vienne (cf. supra). Il a prétendu en outre que ni les déclarations faites à son sujet par Lothar Rafael au début de 1962, ni la fuite de Walter Volmann ne pouvaient justifier sa seconde détention; il a souligné en particulier, à cet égard, que l’extradition de Rafael (21 décembre 1961) avait précédé sa propre réincarcération (12 juillet 1962) de plus de six mois. A l’en croire, la situation se présentait en réalité bien mieux pour lui à l’époque de l’introduction de sa requête (12 juillet 1963) que lors de sa première mise en liberté (12 mai 1961), grâce notamment à l’acquittement prononcé le 29 mars 1963 dans l’affaire de fraude douanière et à la diminution substantielle du volume du dommage dont il avait à répondre dans l’affaire Rafael et consorts. Les autorités judiciaires compétentes auraient méconnu cette évolution favorable en interdisant au requérant de se rendre à nouveau en Finlande, en ordonnant son arrestation et en refusant longtemps de l’élargir non seulement, comme en 1961, sur parole mais même moyennant la fourniture de garanties adéquates. Neumeister leur reproche aussi d’avoir tardé à se renseigner sur ses ressources avant que de fixer le taux du cautionnement à réclamer; d’après lui, l’article 5 par. 3 (art. 5-3) in fine de la Convention ne permet pas d’exiger une garantie d’un montant si considérable qu’il empêche, en pratique, la libération d’un détenu. Le requérant a également allégué - tout en protestant de son innocence - que la durée de sa détention n’était pas proportionnée à la peine à laquelle il lui fallait s’attendre en cas de condamnation: selon lui, cette peine ne saurait excéder vingt mois, ou à la rigueur deux ans dans l’hypothèse, extrême, où le principal accusé, Lothar Rafael, se verrait infliger le maximum légal. Sans contester les difficultés de l’instruction, Neumeister a relevé que la partie la plus complexe de celle-ci avait trait à une affaire de textiles qui ne le concernait en aucune manière; il a ajouté que le magistrat instructeur ne l’avait pas entendu depuis le 21 janvier 1963. Sa détention préventive lui aurait causé un grave préjudice, tant moral que matériel, et l’aurait fortement gêné dans la préparation de sa défense. Dans sa requête introductive d’instance de juillet 1963, Neumeister affirmait que le Juge d’instruction, chargé de s’occuper simultanément de plusieurs grosses affaires dont l’affaire Stögmüller, n’était pas en mesure d’accomplir sa tâche dans le délai raisonnable visé aux articles 5 par. 3 et 6 par. 1 (art. 5-3, art. 6-1) de la Convention. Par la suite, il ne semble plus avoir invoqué cette dernière disposition sur le point dont il s’agit. D’après le requérant, enfin, la procédure à laquelle l’examen des demandes de mise en liberté provisoire obéit en Autriche (articles 113 par. 2 et 114 par. 2 du Code de procédure pénale) ne respecte pas le principe de l’"égalité des armes" (Waffengleichheit), consacré par l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention. Neumeister s’est référé, à ce sujet, à l’avis exprimé par la Commission dans les affaires Pataki et Dunshirn (requêtes no 596/59 et 789/60). Il a soutenu en outre qu’un organe judiciaire se conformant à cette procédure, ne saurait passer pour un "tribunal" au sens de l’article 5 par. 4 (art. 5-4). Après l’échec de la tentative de règlement amiable à laquelle la Sous-Commission avait procédé, la Commission plénière a rédigé le rapport prévu à l’article 31 (art. 31) de la Convention. Adopté le 27 mai 1966, ce rapport a été transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 17 août 1966. La Commission y exprimait l’avis suivant, qu’elle a confirmé depuis lors devant la Cour: (a) par onze voix contre une: la détention du requérant a duré, au-delà d’un "délai raisonnable", de sorte qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention; (b) par six voix, dont la voix prépondérante du Président (article 29 par. 3 du Règlement intérieur de la Commission), contre six: la cause de Neumeister n’a pas été entendue dans un délai "raisonnable", au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1); (c) par huit voix contre deux, avec deux abstentions: la procédure concernant la mise en liberté du requérant a respecté les articles 5 par. 4 et 6 par. 1 (art. 5-4, art. 6-1). Le rapport contient plusieurs opinions individuelles, les unes concordantes, les autres dissidentes. Arguments de la Commission et du Gouvernement De l’avis de la Commission, l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention garantit à toute personne détenue dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du même article (art. 5-1-c) le droit d’être soit libérée pendant la procédure, soit jugée dans un délai raisonnable. Si un individu placé en détention préventive bénéficie d’une décision de mise en liberté provisoire, satisfaction est donnée pour l’avenir aux exigences de l’article 5 par. 3 (art. 5-3); en l’absence de pareil élargissement, il faut que l’intéressé soit jugé dans un délai raisonnable. La Commission en infère que la détention ne doit pas s’étendre au-delà d’une durée raisonnable. Dès lors, le problème le plus important consisterait à interpréter les mots "délai raisonnable". Aux yeux de la Commission, cette expression est vague et manque de précision; on ne peut donc en apprécier la portée exacte qu’à la lumière des circonstances de la cause et non in abstracto. Afin de faciliter une telle appréciation, la Commission estime qu’il y a lieu en général d’examiner les cas d’espèce suivant les sept "critères", "facteurs" ou "éléments" que voici: (i) La durée effective de la détention. La Commission n’entendrait point par là introduire une "limite temporelle absolue" à la durée de la détention. Il ne s’agirait pas davantage de mesurer cette durée à elle-même, mais simplement de l’utiliser comme l’un des critères qui permettent d’en déterminer le caractère raisonnable ou déraisonnable. (ii) La durée de la détention préventive par rapport à la nature de l’infraction, au taux de la peine prescrite et à laquelle on doit s’attendre dans le cas d’une condamnation et par rapport au système légal relatif à l’imputation de la détention préventive sur la peine éventuelle. A ce sujet, la Commission relève que la durée de la détention préventive peut varier selon la nature de l’infraction, le taux de la peine prévue et celui de la peine à laquelle on doit s’attendre. Néanmoins, pour apprécier le rapport entre la peine et la longueur de la détention préventive, il y a lieu d’après elle de tenir compte de la présomption d’innocence consacrée par l’article 6 par. 2 (art. 6-2) de la Convention. Si la durée de la détention se rapprochait trop de celle de la peine à laquelle il faut s’attendre dans le cas d’une condamnation, le principe de la présomption d’innocence ne se trouverait pas entièrement respecté. (iii) Les effets d’ordre matériel, moral ou autre que la détention produit sur le détenu, pour autant qu’ils dépassent les conséquences normales d’une détention. (iv) La conduite de l’inculpé: (a) a-t-il contribué à retarder ou à accélérer l’instruction ou les débats? (b) la procédure a-t-elle été retardée par suite de l’introduction de demandes de libération provisoire, d’appels ou d’autres recours? (c) a-t-il demandé sa mise en liberté sous caution ou a-t-il offert d’autres garanties assurant sa comparution à l’audience? Sur ce point, la Commission considère qu’un inculpé refusant de coopérer avec les organes d’instruction, ou exerçant les recours dont il dispose, ne fait que se prévaloir de ses droits et ne saurait donc être pénalisé de ce chef, sauf s’il agit abusivement ou avec outrance. Quant à la conduite des coïnculpés, la Commission ne croit guère qu’elle soit de nature à justifier, le cas échéant, la prolongation de la détention d’un individu. (v) Les difficultés de l’instruction de l’affaire (sa complexité quant aux faits ou au nombre des témoins et inculpés, nécessité de recueillir des preuves à l’étranger, etc.). (vi) La façon dont l’instruction a été conduite: (a) le système régissant l’instruction; (b) la conduite de l’instruction de la part des autorités (le soin qu’elles ont apporté à l’affaire et la façon dont elles ont organisé l’instruction). (vii) La conduite des autorités judiciaires: (a) dans l’examen des demandes de libération pendant l’instruction; (b) dans le jugement de l’affaire. La Commission pense qu’un tel plan rationnel permet une interprétation "cohérente" et "dépourvue de toute apparence d’arbitraire". Elle souligne en outre que l’avis à formuler dans un litige donné résultera d’une appréciation des éléments dans leur ensemble. En effet, il peut arriver que l’application de certains critères tende à établir le caractère raisonnable de la durée d’une détention préventive et que celle d’autres critères aille dans le sens opposé ou encore ne fournisse aucune indication claire. La conclusion globale dépendrait, par conséquent, de la valeur et de l’importance relatives des divers éléments; ceci n’exclurait nullement que l’un d’entre eux ait à lui seul un poids décisif le cas échéant. La Commission ajoute qu’elle a essayé de couvrir, par lesdits critères, toutes les situations de fait qui se présentent habituellement dans les affaires de détention préventive mais que la liste dressée par elle ne revêt point un caractère limitatif, des situations exceptionnelles pouvant justifier l’examen d’autres critères. En l’espèce, la Commission a constaté les faits à la lumière des sept critères et a procédé à leur appréciation juridique en suivant la même méthode; certains des faits de la cause lui ont paru pertinents à l’égard de plusieurs critères. Selon la Commission, l’application du premier critère incite à conclure que la longueur de la détention de Neumeister a été excessive. La Commission estime que le délai de six mois institué par l’article 26 (art. 26) in fine de la Convention l’empêche de se prononcer sur le caractère "raisonnable" de la durée de la première détention préventive du requérant, soit deux mois et dix-sept jours (24 février 1961 - 12 mai 1961). En revanche, elle retient l’ensemble de la période de vingt-six mois et quatre jours qui s’est écoulée entre le 12 juillet 1962, date de la réincarcération de l’intéressé, et le 16 septembre 1964, date à laquelle il a recouvré sa liberté. Le Gouvernement ayant soutenu que seule devait entrer en ligne de compte la détention antérieure à l’introduction de la requête (12 juillet 1963), la Commission objecte que ses efforts seraient voués à l’échec si, placée comme en l’occurrence devant une situation continue, elle n’avait pas compétence pour prendre en considération les faits nouveaux postérieurs au dépôt de la requête, faits qui peuvent d’ailleurs fort bien jouer en faveur d’un État défendeur. Aux yeux de la Commission, le deuxième critère a trait, par essence, à la situation qui se présentait aux autorités nationales à l’époque de la détention; il ne saurait donc s’appliquer de manière rétrospective, c’est-à-dire en fonction de la sentence rendue par le juge du fond. S’employant, à titre purement indicatif "tentative opinion", à se faire une idée de la peine à laquelle le requérant doit s’attendre en cas de condamnation, la Commission relève: - que l’article 203 du Code pénal prévoit une peine de cinq à dix ans de réclusion rigoureuse; - que les parties ont discuté devant elle de l’existence d’un rapport de proportionnalité entre le taux des peines éventuelles et le montant du dommage dont chacun des accusés doit répondre en l’espèce, mais qu’elle n’entend pas se prononcer sur cette controverse; - que la législation autrichienne permet aux tribunaux d’infliger une peine inférieure au minimum normalement encouru, pourvu que l’accusé bénéficie de circonstances atténuantes. Tenant compte tout particulièrement de cette dernière possibilité, dont les juridictions autrichiennes useraient largement en pratique, la Commission considère que la durée de la détention de Neumeister se rapproche de la peine à prévoir en cas de condamnation. Elle note en outre qu’aux termes de l’article 55 a) du Code pénal autrichien, la période de détention préventive est imputée en principe sur la peine. La Commission ne pense cependant pas qu’il y ait là un élément de nature à modifier, sous l’angle du deuxième critère, l’appréciation du caractère raisonnable de la longueur d’une détention; elle insiste, à ce sujet, sur l’incertitude dans laquelle le détenu doit vivre avant le jugement. Au total, l’application du deuxième critère inciterait donc, elle aussi, à conclure que la détention du requérant a duré plus que de raison. Il en irait de même de celle du troisième critère, car Neumeister aurait, à un degré exceptionnel, souffert de sa détention sur le plan professionnel et financier. En ce qui concerne le quatrième critère, la Commission constate que le requérant ne paraît pas avoir prolongé indûment l’instruction par son attitude. Sans doute n’a-t-il pas non plus contribué à l’abréger puisqu’il n’a cessé de proclamer son innocence, mais tel était son droit le plus strict. La Commission ne trouve pas davantage que le fait d’avoir introduit une série de demandes et recours, dans les conditions définies par la loi, révèle de la part de Neumeister l’intention de ralentir abusivement la marche de la procédure. Certes, les initiatives de l’intéressé ont pu interrompre ou freiner le travail du Juge d’instruction et du Parquet en les obligeant à transmettre le dossier aux juridictions compétentes, mais la Commission fait valoir qu’il existe des moyens techniques – par exemple l’établissement de copies des pièces nécessaires - propres à assurer en pareil cas le déroulement continu des poursuites. De l’avis de la Commission, l’affaire dont il s’agit était d’une très grande complexité en raison de la nature, de l’ampleur et de la multiplicité des transactions litigieuses, de leurs ramifications à l’étranger et du nombre des inculpés et des témoins. L’examen du cinquième critère tendrait donc à justifier une longue période de détention. La Commission estime néanmoins que le maintien de Neumeister en détention préventive ne saurait s’expliquer par les difficultés de l’instruction préparatoire après la clôture de celle-ci, qui remonte au 4 novembre 1963. Pour ce qui est du sixième critère, la Commission commence par analyser les textes régissant, en Autriche, l’instruction préparatoire et notamment la distribution des affaires entre les magistrats instructeurs (articles 83 par. 2 et 87 par. 3 de la Constitution; article 18 du Code de procédure pénale; article 4 par. 2 de la "Gerichtsverfassungsnovelle"; articles 17 à 19 de la "Geschäftsordnung für die Gerichtshöfe Erster und Zweiter Instanz"); elle étudie ensuite le déroulement de l’instruction ouverte contre le requérant. Les organes compétents à cet égard ne lui paraissent pas avoir négligé leurs devoirs ni prolongé la détention de Neumeister de quelque autre manière comparable, mais le fonctionnement du système en vigueur lui semble avoir entraîné certains retards en l’espèce, étant donné que le Juge d’instruction avait à s’occuper simultanément de plusieurs affaires fort lourdes et complexes. La Commission signale qu’elle a éprouvé des difficultés à déterminer si la répartition des affaires peut se modifier, en droit autrichien, après l’établissement du rôle annuel. Elle relève que si le Gouvernement conteste l’existence d’une telle possibilité, le juge chargé d’instruire l’affaire Matznetter, elle aussi pendante devant la Cour, a été temporairement dispensé de traiter d’autres affaires. La Commission ne croit pas, du reste, qu’il faille approfondir la question: d’après un principe général de droit international, un État ne saurait invoquer sa propre législation pour justifier le non-accomplissement de ses obligations conventionnelles. Dès lors, la Commission n’entend pas rechercher si les retards constatés par elle découlaient d’un obstacle légal ou plutôt de l’inapplication de clauses qui auraient permis de les éviter. En définitive, l’examen des faits sous l’angle du sixième critère inciterait à conclure que la durée de la détention de Neumeister a été excessive. Sans doute les représentants du Gouvernement ont-ils communiqué à la Cour, à l’audience de février 1968, des précisions nouvelles sur les mesures prises pour alléger la tâche du Juge d’instruction (cf. infra). La Commission répond que ces renseignements l’auraient amenée à compléter quelque peu son rapport si elle en avait disposé à l’époque; elle ne les trouve cependant pas de nature à renverser sa conclusion. Aux yeux de la Commission, la conduite adoptée par les autorités judiciaires quant aux demandes de mise en liberté provisoire de Neumeister (première branche du septième critère) peut donner lieu à des appréciations différentes. La Commission estime donc difficile de déterminer si l’examen de cet élément donne à penser que la durée de la détention litigieuse a dépassé ou non des limites raisonnables. La Commission n’admet en tout cas pas l’argument, avancé par le Gouvernement (cf. infra), selon lequel Neumeister a perdu son droit "d’être jugé dans un délai raisonnable" du jour où la Chambre du Conseil du Tribunal pénal régional de Vienne a, pour la première fois, accepté en principe de le libérer sous caution (8 janvier 1964). La seconde phrase de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention offrirait aux États contractants une solution intermédiaire entre la poursuite de la détention et un élargissement pur et simple mais le recours à pareille solution ne saurait, d’après la Commission, servir d’excuse à un gouvernement pour prolonger indéfiniment la détention d’une personne qui refuse de constituer la garantie requise, en particulier si elle n’est pas en mesure de la fournir; s’il en était autrement, ledit gouvernement pourrait aisément échapper à ses obligations en réclamant des garanties excessives. La Commission ajoute que la seconde branche du septième critère (la conduite des autorités judiciaires dans le jugement de l’affaire) n’entre pas en ligne de compte en l’espèce sur le terrain de l’article 5 par. 3 (art. 5-3), Neumeister ayant recouvré sa liberté avant le début du procès. A la lumière d’une appréciation globale de ces divers éléments, la Commission arrive, par onze voix contre une, à la conclusion qu’il y a eu violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3). Elle n’indique pas à quelle date précise cette violation a pris naissance à ses yeux: d’après elle, il lui incombait uniquement de se prononcer sur le point de savoir si la durée de la détention de Neumeister a été raisonnable ou non. Selon la Commission, le problème du "délai" prévu à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention ne se pose pas de la même manière que pour l’article 5 par. 3 (art. 5-3), car l’applicabilité de la première de ces deux clauses ne dépend pas, elle, de l’existence d’une détention. En matière pénale, le délai dont il s’agit commencerait à courir dès que les soupçons pesant sur l’intéressé ont eu des répercussions importantes sur sa situation. La Commission retient en l’occurrence, par sept voix contre cinq, le jour du premier interrogatoire de Neumeister par le Juge d’instruction (21 janvier 1960) et non, par exemple, la date de l’établissement de l’acte d’accusation (17 mars 1964). La Commission considère d’autre part, à la majorité de neuf voix contre trois, que le délai de l’article 6 (art. 6) n’a pas pour terme l’ouverture du procès ni l’audition de l’accusé par la juridiction de jugement (cf. les mots "entendue" et "hearing"), mais pour le moins la "décision" du tribunal de première instance "sur le bien-fondé de l’accusation" ("determination of any criminal charge"), décision non encore rendue dans la présente affaire. Elle ne croit pas devoir rechercher en l’espèce s’il comprendrait aussi, le cas échéant, les procédures de recours. En ce qui concerne le caractère "raisonnable" du délai, plusieurs des critères que la Commission utilise dans le domaine de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) joueraient également, mutatis mutandis, dans celui de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) (le premier, le quatrième, le cinquième, le sixième et les deux branches du septième). La Commission estime en définitive, par six voix - dont la voix prépondérante de son Président - contre six, que la cause de Neumeister n’a pas été entendue dans un délai raisonnable et, partant, que l’article 6 par. 1 (art. 6-1) n’a pas été observé à cet égard. Elle ne s’arrête pas à la circonstance que Neumeister n’a guère formulé de griefs à ce sujet: elle estime avoir compétence pour connaître de tout point de droit que les faits relatifs à une requête lui paraissent soulever, en se plaçant au besoin sous l’angle d’un article de la Convention que le requérant n’a pas expressément invoqué; sa pratique et l’article 41 par. 1 d) de son Règlement iraient en ce sens. Aux yeux de la Commission, la procédure à laquelle obéit, en Autriche, l’examen des demandes de mise en liberté provisoire, échappe à l’empire de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention car elle n’a trait ni au "bien-fondé d’une accusation en matière pénale" (unanimité), ni à des "contestations sur des droits et obligations de caractère civil" (sept voix contre cinq). A la différence du Gouvernement (cf. infra), la Commission ne pense pas que l’article 6 (art. 6) abandonne la définition de ces derniers mots à l’ordre juridique interne de chaque État contractant. Elle ne croit cependant pas pouvoir leur donner une interprétation assez large pour englober la procédure litigieuse. S’attachant à préciser comment elle conçoit la notion autonome de "droits et obligations de caractère civil", elle se réfère notamment aux travaux préparatoires de la Convention et à sa propre jurisprudence. De l’avis de la Commission, on peut soutenir que l’article 5 par. 4 (art. 5-4) de la Convention, dans la mesure où il exige qu’un tribunal statue sur la légalité de la détention, implique le respect de certains principes fondamentaux. Néanmoins, la procédure fixée par les articles 113 et 114 du Code autrichien de procédure pénale ne serait pas contraire à cette disposition (sept voix contre cinq). La Commission conclut, par huit voix contre deux et avec deux abstentions, que dans la procédure concernant la mise en liberté de Neumeister il n’y a eu violation ni de l’article 5 par. 4 (art. 5-4), ni de l’article 6 par. 1 (art. 6-1). La Commission attire l’attention de la Cour sur les opinions individuelles - concordantes ou dissidentes selon le cas – que plusieurs de ses membres ont exprimées dans son rapport sur les diverses questions surgissant en l’espèce. À l’audience du 12 février 1968, la Commission a présenté les conclusions suivantes: "Plaise à la Cour de dire: (1) si l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention a ou n’a pas été violé par la détention de Fritz Neumeister entre le 12 juillet 1962 et le 16 septembre 1964; (2) si l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention a ou n’a pas été violé par le non-achèvement des poursuites pénales engagées contre Fritz Neumeister à partir du 21 janvier 1960, date à laquelle l’intéressé a été entendu pour la première fois par le Juge d’instruction en tant que suspect, ou à partir d’une date ultérieure; (3) si l’article 6 par. 1 (art. 6-1) ou l’article 5 par. 4 (art. 5-4), ou encore les deux articles à la fois, ont ou n’ont pas été violés par la procédure suivie, en application des articles 113 et 114 du Code autrichien de procédure pénale, au sujet des recours introduits par Fritz Neumeister contre sa détention préventive." D’après le Gouvernement, l’avis que la Commission a exprimé dans son rapport et selon lequel la République d’Autriche a violé les articles 5 par. 3 et 6 par. 1 (art. 5-3, art. 6-1) dans le cas de Neumeister, repose sur un établissement défectueux des faits et sur une interprétation erronée de la Convention. Au sujet de l’interprétation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) et de son application en l’espèce, le Gouvernement conteste avant tout la méthode adoptée par la Commission. En effet, il ressortirait clairement du sens littéral du mot "raisonnable" ("reasonable") que la question de savoir si la longueur de la détention préventive a été excessive ne peut se résoudre qu’à la lumière des circonstances de la cause et non à l’aide d’une série de "critères", "éléments" ou "facteurs" préconçus. Cette opinion serait d’ailleurs conforme à la pratique antérieure de la Commission et aux intentions des rédacteurs de l’article 5 par. 3 (art. 5-3). Au surplus, le Gouvernement estime que le système de procédure pénale de l’État considéré revêt une grande importance en la matière. A ses yeux, les auteurs de la Convention étaient convaincus que les deux systèmes de procédure pénale en vigueur dans les États membres du Conseil de l’Europe, à savoir le système anglo-américain et le système continental, étaient en parfaite harmonie avec la Convention bien qu’ils diffèrent profondément l’un de l’autre. Le Gouvernement en déduit que l’article 5 par. 3 (art. 5-3) ne doit pas être envisagé sous l’angle d’un seul système juridique donné. Il s’ensuivrait qu’en recherchant si la durée d’une détention préventive est "raisonnable" ou non, il ne faut jamais perdre de vue les "normes habituelles" ("Common Standard") du système juridique dont relève la Haute Partie Contractante en cause. D’après le Gouvernement, une décision déclarant que la Convention n’a pas été respectée dans le cas de Neumeister signifierait indirectement que le droit autrichien de procédure pénale n’est pas conforme aux principes de la Convention, alors pourtant qu’il ressemble beaucoup à celui de la plupart des autres pays du continent européen. Le Gouvernement reproche aussi à la Commission d’avoir constaté les faits en fonction des critères choisis par elle. Partant d’une opinion juridique préconçue, la Commission n’aurait pas fondé son avis sur l’ensemble des faits de la cause, mais uniquement sur ceux dont elle avait besoin pour répondre à certaines questions auxquelles la solution du problème juridique lui paraissait liée. En procédant de la sorte, elle aurait négligé d’établir ou d’apprécier plusieurs faits importants. Le Gouvernement oppose en outre au raisonnement de la Commission les considérations suivantes qui démontreraient l’absence de violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3). A l’encontre du premier des sept "critères", à savoir la durée effective de la détention, le Gouvernement soulève des objections de principe. Selon lui, ce "critère" tend à introduire dans la Convention une limite absolue de la longueur de la détention préventive, ce que les Hautes Parties Contractantes auraient précisément voulu éviter par l’emploi des mots "délai raisonnable". Il ne s’analyserait d’ailleurs pas en un véritable critère, car il préjugerait la conclusion à laquelle les divers critères sont censés mener. Du reste, la Commission ne le retenait pas dans sa jurisprudence antérieure. D’autre part, le Gouvernement estime que la requête vise exclusivement la durée de la détention subie par Neumeister jusqu’au moment où celui-ci a saisi la Commission (12 juillet 1963). En prenant en considération le laps de temps qui s’est écoulé jusqu’à la mise en liberté provisoire du requérant (16 septembre 1964), la Commission aurait outrepassé la compétence que lui attribuent les articles 24 à 31 (art. 24, art. 25, art. 26, art. 27, art. 28, art. 29, art. 30, art. 31) de la Convention. Le Gouvernement avance, en ordre subsidiaire, que la période postérieure au 8 janvier 1964, date à laquelle la Chambre du Conseil a, pour la première fois, accepté en principe d’élargir Neumeister sous caution, ne saurait entrer en ligne de compte. D’après lui, une telle offre de mise en liberté satisfait aux prescriptions de l’article 5 par. 3 (art. 5-3). Si l’intéressé n’en profite pas, soit qu’il ne consente pas à fournir la garantie exigée, soit qu’il n’en ait pas la possibilité, il perd, aux yeux du Gouvernement, le droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Au demeurant, on ne trouve à l’article 5 par. 3 (art. 5 - 3) aucune clause expresse interdisant de demander aux détenus des garanties "excessives"; il en résulterait que les rédacteurs de la Convention n’ont entendu imposer aux États aucune obligation à cet égard. Le Gouvernement ne partage pas davantage l’opinion émise par la Commission au sujet du deuxième critère. En appliquant celui-ci, la Commission se serait livrée, par la force des choses, à certaines spéculations concernant la peine dont le requérant risque de se voir frapper, aucun jugement de condamnation n’ayant été rendu jusqu’ici en l’espèce. Or, ces spéculations se fonderaient tant sur une appréciation erronée des faits considérés comme acquis que sur un établissement défectueux des faits. Ainsi, l’hypothèse selon laquelle une juridiction autrichienne a la faculté de prononcer, s’il existe des circonstances atténuantes, une peine inférieure au minimum légal, serait inexacte sous la forme inconditionnelle que lui donnerait la Commission. En effet, l’article 265 a) du Code de procédure pénale, pertinent en la matière, ne jouerait que dans le cas exceptionnel d’un concours de circonstances atténuantes très importantes et prédominantes. Pour constater les faits de manière objective et complète, la Commission aurait dû, de l’avis du Gouvernement, tenir compte de la pratique des tribunaux autrichiens, lesquels n’auraient pas coutume d’infliger à un accusé une peine sensiblement plus légère que le minimum légal dans une affaire où le préjudice s’élève à plusieurs millions de schillings. Le Gouvernement souligne d’autre part que le Code pénal autrichien prévoit également, en ses articles 43 à 45, un certain nombre de circonstances aggravantes. Enfin, un calcul purement mathématique qui proportionnerait le taux de la peine au montant du dommage dont un accusé doit répondre aboutirait, d’après le Gouvernement, à des conséquences inacceptables. Le troisième critère serait lui aussi impropre à l’examen de la présente affaire: il introduirait des différences de traitement dans l’application des clauses légales relatives à la mise en liberté provisoire, résultat incompatible avec le principe de l’égalité devant la loi, consacré par l’article 7 de la Constitution autrichienne et l’article 7 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. De plus, l’application de ce critère exigerait la constatation précise des effets de la détention sur toute la vie personnelle de Neumeister. Or, la Commission aurait négligé de procéder à pareille constatation. Elle n’aurait étayé d’aucun argument sa conclusion suivant laquelle la détérioration de la situation financière du requérant était essentiellement ou exclusivement imputable à la détention litigieuse; sur ce point, elle n’aurait cité que les déclarations sans preuve de l’intéressé et un passage isolé d’une décision de la Chambre du Conseil du Tribunal pénal régional de Vienne. De même, la Commission n’aurait pas fourni de détails au sujet des difficultés que Neumeister affirme avoir rencontrées dans la préparation de sa défense. D’une manière générale, elle aurait perdu de vue le fait que toute détention entraîne nécessairement des inconvénients pour le détenu. Selon le Gouvernement, la Commission s’est contentée de présenter, sous l’angle du quatrième critère, une partie du résultat de ses investigations, sans relever spécialement certains faits dont elle avait connaissance et qui, appréciés à leur juste valeur, auraient éclairé d’un jour différent la conduite du requérant. La Commission aurait eu le tort d’appliquer le quatrième critère dans un sens subjectif, oubliant que l’attitude d’un inculpé pendant le procès constitue un élément objectif. Assurément, Neumeister n’aurait pas cherché à ralentir la procédure par les recours qu’il a exercés. Ceux-ci n’en auraient pas moins provoqué des retards, le dossier ayant dû chaque fois être transmis aux autorités compétentes. En outre, Neumeister n’aurait rien fait pour accélérer la marche de la procédure. Au contraire, il n’aurait pas donné un compte rendu exact de son rôle dans les transactions en cause. Le Gouvernement souligne enfin que la Commission, bien que son critère no 4 vise également la conduite des autres inculpés, a examiné isolément le comportement du requérant. Or, il estime que si des poursuites sont engagées simultanément contre plusieurs inculpés soupçonnés de complicité, chacun d’eux doit subir les conséquences des initiatives des autres. Aussi reproche-t-il à la Commission d’avoir dissocié de l’ensemble de l’affaire les poursuites intentées contre le requérant, alors pourtant que le Juge d’instruction, déposant devant elle en qualité de témoin, avait déclaré que s’il n’avait pas instruit séparément le cas de Neumeister, c’est parce que certaines des infractions imputées à ce dernier étaient inextricablement liées aux activités de ses coïnculpés. D’après le Gouvernement, un établissement complet et correct des faits et une application juridiquement exacte de ce critère auraient nécessairement amené la Commission à exprimer l’avis que la durée de la détention préventive avait été raisonnable. Au sujet du cinquième critère, le Gouvernement approuve la conclusion de la Commission. Celle-ci n’aurait cependant pas assez tenu compte des difficultés inhérentes à la procédure pénale dont il s’agit (exposé des faits, par. 20). Le Gouvernement rappelle qu’il a fallu, en l’espèce, recourir à l’aide judiciaire de l’étranger et demander l’extradition de plusieurs inculpés. En raison de l’ampleur et de la complexité des transactions incriminées, les enquêtes et interrogatoires menés hors d’Autriche auraient exigé beaucoup de temps et, parfois, la participation personnelle du magistrat instructeur. De plus, les demandes d’aide judiciaire auraient soulevé dans certains pays requis, notamment en Suisse, des problèmes de droit dont la solution aurait également entraîné une perte de temps. Le rapport de la Commission ne mentionnerait pas ces faits sans lesquels on ne saurait convenablement apprécier la complexité de l’affaire ni les obstacles rencontrés par le Juge d’instruction. Le Gouvernement regrette enfin qu’ici encore la Commission n’ait pas pris en considération la conduite des coïnculpés pendant la procédure, mais seulement leur nombre. En ce qui concerne le sixième critère, les fait constatés par la Commission ne suffiraient pas à justifier la conclusion à laquelle elle arrive. En premier lieu, la Commission aurait sous-estimé le rôle de l’instruction préparatoire dans la procédure pénale autrichienne. Le Gouvernement souligne que la "Voruntersuchung" a pour but l’établissement de la matérialité des faits. Il en résulterait que dans les affaires pénales complexes et difficiles, une assez longue instruction préparatoire et, par voie de conséquence, une assez longue détention préventive sont souvent inévitables. La Commission n’aurait pas non plus apprécié les faits de la cause à leur juste valeur. Elle serait partie de l’hypothèse qu’il eût été possible de dispenser le Juge d’instruction de tout autre travail pour lui permettre de se consacrer uniquement à l’instruction ouverte contre le requérant. Or, la législation autrichienne (article 87 par. 3 de la Constitution, article 18 du Code de procédure pénale, article 34 par. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire et article 17 par. 5 du Règlement intérieur adopté par le Ministère de la Justice à l’intention des tribunaux de première et deuxième instances) empêcherait de modifier, en cours d’année, la répartition des affaires pénales pour la simple raison qu’un juge se trouve débordé. Le Gouvernement signale cependant que le Président et la "Chambre du Personnel" (Personalsenat) du Tribunal pénal régional de Vienne, soucieux d’alléger la tâche du Juge d’instruction, ont à maintes reprises attribué à d’autres magistrats les affaires qui auraient dû normalement lui échoir, dans toute la mesure où les textes en vigueur s’y prêtaient (du 1er au 30 juin 1959, du 1er décembre 1960 au 31 mai 1961, du 18 septembre 1961 au 31 juillet 1962, du 1er octobre au 31 décembre 1962 et du 15 mai au 30 septembre 1963). Entendu par la Commission en qualité de témoin, le Juge d’instruction a déclaré d’ailleurs que s’il ne lui avait pas fallu s’occuper en même temps de plusieurs affaires, l’instruction de l’affaire Neumeister en aurait été abrégée mais que le gain de temps eût été si minime qu’il ne valait guère la peine d’en parler. En examinant l’attitude des autorités chargées de l’instruction, d’autre part, la Commission n’aurait fondé ses constatations que sur les dépositions du Juge d’instruction, sans les apprécier ensuite du point de vue juridique. D’après le Gouvernement, une telle appréciation aurait montré que le magistrat instructeur et ses assistants ont agi avec le soin et la diligence nécessaires, encore qu’un certain retard ait été inévitable du fait que deux des principaux inculpés avaient fui à l’étranger et que l’on du, pour les découvrir, lancer des avis de recherche internationaux. D’une manière générale, le Gouvernement estime que l’on n’a épargné aucun effort pour accélérer le cours de l’instruction. Il relève, à ce sujet, que les poursuites relatives à certains actes ou à certains inculpés ont été disjointes ou abandonnées en vertu des articles 57 par. 1 et 34 par. 2 du Code de procédure pénale. Il considère que l’on ne pouvait aller plus loin dans cette voie qu’on ne l’a fait. A ses yeux, les différentes infractions incriminées étaient si étroitement liées entre elles qu’elles ne permettaient pas de dissocier le cas de Neumeister de celui de ses coïnculpés. Pareille disjonction, contraire au principe légal de la connexité (article 56 par. 1 du Code de procédure pénale), aurait du reste abouti en réalité à ralentir la marche de la procédure, car le Tribunal aurait nécessairement dû comparer entre elles les allégations de tous les accusés afin d’en contrôler la véracité. Pour ce qui est du septième critère, le Gouvernement se déclare hors d’état de présenter des observations critiques: il reproche à la Commission de ne point préciser les conclusions qu’elle tire des faits qu’elle croit avoir constatés dans son rapport. Le Gouvernement soutient en particulier que la décision du 8 janvier 1964, qui subordonnait l’élargissement du requérant à la fourniture d’une garantie de deux millions de schillings, était pleinement compatible avec l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention, vu l’existence d’un danger de fuite et le fait que Neumeister s’était sans doute beaucoup enrichi grâce aux infractions dont il doit répondre. Selon le Gouvernement, la Commission n’aurait pu manquer de reconnaître le caractère raisonnable de la durée de la détention litigieuse si elle avait correctement apprécié les faits pertinents. De ce qui précède, le Gouvernement déduit que même si l’on utilise la méthode choisie par la Commission, on ne saurait apercevoir en l’espèce aucune violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3), car les arguments militant pour le caractère raisonnable de la longueur de la détention l’emporteraient de loin sur ceux qui vont dans la direction opposée. Ceci vaudrait notamment pour les critères no 4, 5 et 6, lesquels seraient décisifs en l’occurrence. Le Gouvernement s’étonne enfin que la Commission n’indique pas à quelle date, d’après elle, la durée de la détention de Neumeister est devenue excessive. De l’avis du Gouvernement, la Commission a outrepassé sa compétence en recherchant si la cause de Neumeister a ou non été entendue dans le "délai raisonnable" visé à l’article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention: le requérant n’aurait pas formulé de griefs à cet égard et le problème dont il s’agit n’aurait joué aucun rôle à l’audience de juillet 1964 sur la recevabilité de la requête. Le Gouvernement considère, d’autre part, que les mots "délai raisonnable" ont le même sens dans les deux articles où ils figurent, l’article 5 par. 3 et l’article 6 par. 1 (art. 5-3, art. 6-1). Le délai à retenir sur le terrain de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) n’aurait pas commencé à courir dès le premier interrogatoire de Neumeister par le Juge d’instruction (21 janvier 1960), mais uniquement à compter de la mise en état d’accusation (17 mars 1964). Les termes "accusation" et "criminal charge" désigneraient en effet, tant dans le système continental que dans le système anglo-américain, l’acte juridique consistant à saisir le tribunal pour l’inviter à statuer sur le bien-fondé de l’allégation d’après laquelle un individu a commis une infraction punissable. Le Gouvernement signale à ce sujet que selon le Code autrichien de procédure pénale, seule une personne contre laquelle une "Anklage" a été déposée a le droit d’être jugée par un tribunal indépendant. A ses yeux, on aboutirait à des conséquences incompatibles avec les buts de la Convention si l’on se ralliait à l’interprétation adoptée en la matière par la Commission: on en arriverait à empêcher l’arrêt des poursuites avant l’ouverture du procès, alors que plusieurs systèmes juridiques nationaux, et notamment les articles 90, 189 et 227 du Code autrichien de procédure pénale, en prévoient la possibilité. Ladite interprétation se heurterait également au paragraphe 3 a) et au paragraphe 2 de l’article 6 (art. 6-3-a, art. 6-2): on voit mal comment une personne contre laquelle est engagée une simple enquête ou instruction préparatoire (Vorverhandlungen), serait informée en détail "de la nature et de la cause de l’accusation portée contre elle"; quant à la présomption d’innocence, elle vaudrait exclusivement pour les individus "accusés" au sens de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), ainsi du reste que la Commission l’aurait reconnu elle-même à maintes reprises. Le Gouvernement ne partage pas non plus l’opinion, exprimée par la Commission, selon laquelle le délai de l’article 6 par. 1 (art. 6-1) s’étend, pour le moins, jusqu’à la décision du tribunal de première instance sur le bien-fondé de l’accusation. Ce délai s’achèverait en réalité aussitôt que l’accusé est "entendu", c’est-à-dire dès le début de la procédure de jugement. Le Gouvernement insiste à ce propos sur le contraste existant entre l’article 6 par. 1 et l’article 5 par. 3 (art. 6-1, art. 5-3) qui, lui, contient le mot "jugé". Il ajoute que les auteurs de la Convention auraient utilisé, dans la version anglaise de l’article 6 par. 1 (art. 6-1), les mots "for the determination", au lieu de "in the determination", s’ils avaient vraiment voulu exiger qu’il soit statué sur toute accusation dans un délai raisonnable. Le Gouvernement reproche enfin à la Commission de se borner à déclarer que certains des critères appliqués par elle sous l’angle de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) valent aussi pour l’article 6 par. 1 (art. 6-1), sans préciser quels faits lui semblent plus particulièrement pertinents sur le terrain de la première ou, au contraire, de la seconde de ces dispositions. Quant à la procédure à laquelle obéit, en Autriche, l’examen des demandes de mise en liberté provisoire, le Gouvernement se réfère pour l’essentiel à l’avis de la Commission, suivant lequel cette procédure n’enfreint pas les articles 6 par. 1 et 5 par. 4 (art. 6-1, art. 5-4). Il souligne qu’il a toujours approuvé l’interprétation restrictive des mots "droits de caractère civil" ("civil rights"), telle qu’elle ressort de la jurisprudence constante de la Commission. Il pense pourtant, à la différence de cette dernière, que la Convention abandonne la définition de ces termes à l’ordre juridique interne de chacun des États contractants, lesquels n’auraient point de conception commune en la matière. Il demande à la Cour de statuer sur cet important problème. À l’audience du 13 février 1968, le Gouvernement a présenté les conclusions suivantes: "(Plaise à la Cour de) dire: que les mesures, prises par les autorités autrichiennes, qui font l’objet de la requête introduite par Fritz Neumeister contre la République d’Autriche, ainsi que du rapport établi par la Commission européenne des Droits de l’Homme, le 27 mai 1966, conformément à l’article 31 (art. 31) de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, ne sont pas en opposition avec les obligations découlant de cette Convention."(...TRUNCATED)
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La demande de la Commission et la requête du Gouvernement ont pour objet de soumettre l’affaire Stögmüller à la Cour, afin que celle-ci puisse décider si les faits de la cause révèlent ou non, de la part de la République d’Autriche, une violation des obligations qui lui incombent aux termes de l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3) de la Convention. Les faits de la cause, tels qu’ils ressortent du rapport de la Commission, du mémoire du Gouvernement, des pièces et documents produits et des déclarations orales des représentants respectifs de la Commission et du Gouvernement, peuvent se résumer ainsi: M. Ernst Stögmüller, ressortissant autrichien, est né à Vienne le 19 juin 1934. En 1955, il travaillait en qualité d’inspecteur pour la compagnie d’assurances "Heimat" à Vienne. Tandis qu’il remplissait ses fonctions, il commença, pour son compte et pour celui de la compagnie, à négocier des prêts aux clients de celle-ci et finit par exercer de manière indépendante la profession d’agent financier. Le 10 janvier 1958, il fonda avec deux autres personnes, Karl Hammerling et Franz Beyer, la société à responsabilité limitée Stögmüller et Cie. Cette société, dont le siège était à Linz, avait un capital initial de 100.000 schillings. Ses activités consistaient en des transactions portant sur des biens immobiliers, y compris la négociation et l’octroi de prêts garantis par des biens immobiliers ou autres, l’administration de biens moyennant rémunération, la négociation de règlements judiciaires ou extrajudiciaires et les opérations d’une agence immobilière et d’une maison de commission. La société s’occupait aussi de commerce de gros et de détail, de produits de tous genres, et notamment d’importation et d’exportation. Chacun des trois associés avait le titre de directeur. Les affaires de la société pouvaient être conclues par deux quelconques d’entre eux mais Stögmüller, qui détenait 80 % des parts, gérait seul l’entreprise dans la pratique. En vue de conclure des contrats de prêts, Stögmüller insérait des annonces dans les journaux et adressait des circulaires aux avocats et aux notaires. Il y promettait des crédits à des conditions particulièrement favorables que pourtant, en règle générale, il n’observait pas. De plus, il chargeait l’un de ses collaborateurs d’étudier les tableaux d’affichage des tribunaux afin de connaître l’identité des propriétaires fonciers menacés de saisie, auxquels il offrait ensuite des crédits. Bien que l’article 2 du Règlement sur l’usure (Verordnung der Bundesregierung vom 11.3.1933 gegen die Ausbeutung Kreditsuchender) n’autorise en pareil cas qu’un taux de commission égal ou inférieur à 2%, Stögmüller percevait d’ordinaire une commission de 6% à 7% et parfois même de 15%. D’autre part, un seul des trois associés, à savoir Karl Hammerling, était titulaire de la licence professionnelle exigée par la loi en la matière. A l’occasion d’un procès intenté par la compagnie d’assurances "Heimat" devant le Tribunal de district (Bezirksgericht) de Ferlach, le juge estima de son devoir, étant donné la révélation de ces pratiques commerciales du requérant, de communiquer les faits au Parquet. L’enquête qui en résulta devait aboutir à la mise en accusation du requérant par le Parquet de Klagenfurt, pour escroquerie qualifiée dans cinq cas, en vertu des articles 197, 200, 201 alinéa (d), 203 et 199 du Code pénal. Le 9 juillet 1959, les poursuites dont il s’agit furent, à la demande de Stögmüller, transférées au Tribunal pénal régional (Landesgericht für Strafsachen) de Vienne qui, le 15 juin 1960, prononça une sentence d’acquittement (2b Vr 5328/59). Statuant le 31 janvier 1961 sur un recours en annulation (Nichtigkeitsbeschwerde) introduit par le Parquet, la Cour suprême (Oberster Gerichtshof) confirma le jugement du Tribunal régional sur deux des chefs d’accusation et renvoya l’affaire devant le Tribunal pour un nouvel examen des trois autres. Le 28 mai 1963, le Tribunal condamna le requérant à cinq mois de prison pour avoir commis devant le Tribunal de district de Vienne, le 12 décembre 1957, un faux témoignage constitutif d’escroquerie qualifiée (articles 197 et 199, alinéa (a) du Code pénal). Stögmüller fut acquitté pour le surplus. Par un arrêt du 5 mars 1964, la Cour suprême a réduit à quatre mois la peine en question à la suite d’un appel interjeté par Stögmüller. Toutefois, la requête de ce dernier ne se dirige pas contre la procédure dont il s’agit. Soupçonné d’avoir commis des infractions à la loi sur l’usure (Wuchergesetz), Stögmüller fut arrêté le 3 mars 1958 en exécution d’une décision du Tribunal de district de Linz. Le lendemain, cette juridiction le mit en détention provisoire (Verwahrungshaft) en vertu de l’article 175, paragraphe 1, alinéas 2 (danger de fuite) et 3 (danger de suppression des preuves - Verdunkelungsgefahr) du Code de procédure pénale. Traduit devant un Juge du Tribunal de Linz le 5 mars 1958, le requérant déclara prendre connaissance de cette dernière décision sans exercer de recours (beschwerdelos), mais demanda que le dossier fût transféré au Juge d’instruction de Wels. Ce transfert ayant été effectué, le Tribunal de Wels ouvrit le 10 mars 1958 une instruction préparatoire (Voruntersuchung) contre le requérant, soupçonné d’avoir commis le crime d’usure au sens de l’article 3, paragraphe 4, de la loi sur l’usure et de l’article 2 du Règlement sur l’usure. En même temps, le Tribunal ordonna la mise en détention préventive (Untersuchungshaft) du requérant en vertu des articles 175, paragraphe 1, alinéa 3 (danger de suppression des preuves - Verdunkelungsgefahr) et 180 du Code de procédure pénale. Ayant comparu devant le Juge d’instruction du Tribunal de Wels le même jour, Stögmüller déclara prendre connaissance des deux décisions susmentionnées du Tribunal, ne pas introduire de recours contre elles (beschwerdelos) et retirer une demande de mise en liberté qu’il avait présentée auparavant. Il protesta de son innocence et nota qu’on l’interrogerait en détail sur les faits dès le dépôt des plaintes portées contre lui. A la demande du requérant (15 et 17 mars 1958), l’affaire fut transférée au Tribunal régional de Linz. Le 21 avril 1958, Stögmüller bénéficia d’une mesure de mise en liberté provisoire sur parole: il prêta le serment (Gelöbnis) prévu à l’article 191 du Code de procédure pénale mais n’eut pas à fournir de caution. Sa détention préventive avait donc duré, sans interruption, un mois et dix-huit jours. Selon le procès-verbal rédigé à cette occasion, le requérant déclara: "Je prends connaissance de la décision de me mettre en liberté sur parole en vertu de l’article 191 du Code de procédure pénale et je prête le serment dont il s’agit après avoir été informé en détail des conséquences de sa rupture éventuelle. Je prends connaissance de ce que je devrai désormais signaler au Tribunal, sans délai, tout changement de mon lieu de séjour. Après mon élargissement je me rendrai à Vienne XIII, Auhofgasse no 255." En juin 1958, le Parquet de Linz recueillit des plaintes supplémentaires qui faisaient état d’escroqueries, de détournements de fonds et de profits excessifs de la part du requérant ainsi que d’un certain Dr. S., avocat. Stögmüller était notamment soupçonné d’avoir, depuis 1957, exigé des garanties exorbitantes pour les prêts contractés par un grand nombre de personnes qui se trouvaient en difficultés financières et d’avoir en outre, seul ou en compagnie d’autres personnes, obtenu de l’argent de nombreuses autres personnes par des pratiques frauduleuses et détourné à son profit des capitaux qui lui étaient confiés. Le Juge d’instruction du Tribunal régional de Linz venait précisément d’ouvrir des enquêtes (Untersuchungshandlungen) étendues quand le requérant demanda, le 23 octobre 1958, que l’affaire fût transférée au Tribunal pénal régional de Vienne. Ce transfert eut effectivement lieu, les autres inculpés l’ayant accepté. Le dossier portait le numéro 26 d Vr 1105/59. Conformément aux dispositions du droit autrichien (ständige Geschäftsverteilung), la conduite de l’instruction échut automatiquement, le 13 février 1959, au Juge d’instruction Leonhard qui s’occupait déjà d’autres affaires auxquelles vint s’ajouter, le 17 août 1959, l’affaire Rafael, Neumeister et consorts (voir l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Neumeister, Publications de la Cour, 1968, Série A, p. 7). Le 15 novembre 1960, le Tribunal pénal régional de Vienne décida: - de poursuivre l’instruction préparatoire sur une série de chefs d’inculpation concernant trente ou trente et un actes de gestion infidèle qualifiée (Veruntreuung - article 183 du Code pénal), vingt actes d’escroquerie qualifiée (Betrug - articles 197, 200 et 203 du Code pénal), un autre acte d’escroquerie (articles 197, 199 alinéas d) et 5 du Code pénal) et vingt et un actes de crime d’usure (articles 2 et 3, alinéa 4, de la loi sur l’usure); - d’étendre l’instruction préparatoire à cinq chefs d’inculpation concernant des actes de gestion infidèle qualifiée (article 183 du Code pénal), d’escroquerie (articles 197 et suivants du Code pénal) et d’abus de confiance (Untreue - article 205 (c) du Code pénal); - de suspendre l’instruction préparatoire, conformément à l’article 109 du Code de procédure pénale, pour huit ou dix chefs d’inculpation. Aux termes de l’article 184 du Code pénal, l’abus de confiance est puni de cinq à dix ans de "réclusion rigoureuse" (schwerer Kerker) si la somme en cause dépasse 10.000 schillings. L’escroquerie et la gestion infidèle deviennent des crimes si le montant du dommage causé ou escompté excède 1.500 schillings (articles 200 et 205 (c) du Code pénal). La peine encourue est la "réclusion rigoureuse" de cinq à dix ans si ce montant dépasse 10.000 schillings, ou, en cas d’escroquerie, si le criminel a montré "une audace ou une ruse particulières" ou s’il est un escroc habituel (articles 203 et 205 (c) du Code pénal). Les montants susmentionnés ont été modifiés depuis lors; ils s’élèvent à l’heure actuelle à 2.500 et 25.000 schillings respectivement. L’article 2 de la loi sur l’usure prévoit une peine de trois mois à un an de détention de rigueur (strenger Arrest); le criminel ayant pratiqué l’usure à titre professionnel est puni d’un an à cinq ans de prison si plusieurs personnes ont subi un grave préjudice pécuniaire (article 3, paragraphe 4, de la loi sur l’usure). Le 10 février 1961, le requérant, alors en liberté, fut informé des faits qui lui étaient reprochés; il déclara ne pas introduire de recours contre la poursuite et l’extension de l’instruction préparatoire. Le Juge d’instruction l’interrogea ensuite sur un acte d’escroquerie qualifiée concernant Gertrude Kucik. Après son élargissement en avril 1958, Stögmüller avait continué de gérer son affaire. Les autorités compétentes ayant refusé de transférer la licence de Karl Harmmerling à la société Stögmüller et Cie, les deux associés avaient quitté celle-ci et Stögmüller était devenu l’unique sociétaire et directeur au mois d’août 1959. Il avait alors déplacé à Vienne le siège de la société. Décidé à changer de profession, il avait commencé à prendre des leçons de pilotage d’avion au cours de l’été 1959; après avoir produit les pièces exigées par la loi, il obtint son brevet de pilote non professionnel le 10 décembre 1959 et une licence restreinte de radiotéléphonie le 25 février 1960. En vue de s’établir pilote professionnel, il effectua jusqu’à l’été de 1961 à peu près quatre cents vols sur une distance totale de 40.000 milles avec des atterrissages sur cinquante aéroports différents parmi lesquels ceux de Vienne, Linz, Wels, Salzbourg, Graz, Innsbruck, Klagenfurt, Munich, Würzbourg, Pöcking, Fulda, Hanovre, Copenhague, Malmö, Norköpping, Lugano, Bologne, Florence, Rome, Naples, Palerme, Alghero (Sardaigne), Brindisi, Corfou, Salonique, Athènes, Héraclion (Crète), Cavalla, Belgrade et Zagreb. En juillet 1961, il conduisit à deux reprises un appareil transportant des touristes entre l’Autriche, la Suisse, l’Italie, la Grèce et la Yougoslavie. Le 14 août 1961, le requérant vendit sa société et son nom fut rayé du registre de commerce. À la demande du Parquet, l’instruction préparatoire fut étendue le 2 août 1961, quant aux faits concernant Alois Holznecht, à des infractions aux articles 183, 197 et 205 (c) du Code pénal. Par une ordonnance datée du même jour et notifiée le 4 août 1961, le Juge d’instruction convoqua le requérant pour le 18 août 1961 afin de procéder à un nouvel interrogatoire. Stögmüller ne comparut cependant pas: le 7 août, il avait gagné la Grèce à bord d’un avion qu’il disait appartenir à son père; il ne retourna à Vienne que le 21 août 1961. De Thasos en Grèce, Stögmüller avait toutefois adressé à son père, le 14 août 1961, une carte postale par laquelle il l’informait qu’on pourrait l’atteindre par l’aéroport de Cavalla. Il demandait à son père de lui envoyer un télégramme en cas de besoin et de téléphoner à son avocat, Me Tuma, pour qu’il obtînt un ajournement de l’interrogatoire ("damit die Terminverlegung vom 18.VIII. klappt"). Selon les déclarations que Me Tuma a faites le 30 septembre 1965 devant la sous-commission - et que le Gouvernement n’a pas contestées - Mme Tuma, sa femme et secrétaire, avait sollicité le 17 août 1961 un ajournement de l’interrogatoire, ajournement auquel le Juge d’instruction avait consenti. Entendue comme témoin par la sous-commission le 1er octobre 1965, Mme Tuma, bien qu’elle n’ait pas été interrogée à ce sujet malgré la demande de Me Tuma, a affirmé que le Juge d’instruction avait accepté les excuses qu’elle lui avait présentées de vive voix pour la non-comparution du requérant. Le 21 août 1961 aussitôt après son retour, Stögmüller - toujours selon les déclarations non contestées de Me Tuma - se rendit avec Mme Tuma au bureau du Juge d’instruction qui refusa cependant de l’interroger, déclarant qu’il n’avait pas le temps nécessaire et qu’il procéderait à cet interrogatoire en septembre 1961. Encore le 21 août 1961, le Juge d’instruction fut saisi par le Parquet d’une demande datée du 18 août 1961 et tendant à voir élargir l’objet de l’instruction préparatoire ouverte contre Stögmüller, décerner un mandat d’arrêt contre lui et mettre l’intéressé en détention préventive en vertu des articles 175, paragraphe 1, alinéas 2 et 4, et 180 du Code de procédure pénale. Selon le Parquet, il existait un danger de fuite (Fluchtgefahr - article 175, paragraphe 1, alinéa 2) et un danger de répétition des infractions (Wiederholungsgefahr - article 175, paragraphe 1, alinéa 4) car le requérant avait, par son voyage non autorisé en Grèce, rompu le serment prêté lors de son élargissement (voir supra, paragraphe 5) et avait commis d’autres infractions dans les années 1960 en 1961. Le 24 août 1961, le Juge d’instruction ordonna l’arrestation de Stögmüller. Le mandat (Haftbefehl) relevait que l’intéressé s’était rendu à l’étranger sans l’accord du Juge, violant ainsi son engagement du 21 avril 1958 (paragraphe 5, supra), et qu’il avait commis de nouvelles infractions en 1960 et 1961 au détriment d’emprunteurs. Le mandat soulignait que la rupture du serment entraînait la mise en détention préventive de l’inculpé (article 191 in fine du Code de procédure pénale) et que la conduite du requérant après son élargissement prouvait également l’existence d’un danger de répétition des infractions. Le même jour, l’instruction préparatoire ouverte contre Stögmüller fut étendue, quant aux faits concernant les nommés Hans Burgmüller, Josef et Maria Reichel et Karl Schumlitsch, à des infractions aux articles 197 et suivants, 205 (c) et 5 du Code pénal. Le requérant fut arrêté le 25 août 1961. Le lendemain, il fut interrogé sur sa situation personnelle par un Juge du Tribunal pénal régional de Vienne et placé en détention provisoire (Verwahrungshaft) en vertu de l’article 175, paragraphe 1, alinéas 2 (danger de fuite) et 3 (danger de suppression des preuves) du Code de procédure pénale. Le 29 août 1961, Stögmüller fut informé de l’extension de l’instruction préparatoire, ordonnée par le Tribunal pénal régional de Vienne les 2 et 24 août 1961 (cf. les paragraphes 10 et 14, supra). Le même jour lui fut communiquée la décision de ce Tribunal prescrivant sa mise en détention préventive (Untersuchungshaft) pour les motifs donnés dans le mandat d’arrêt. Le 29 août 1961, le requérant exerça un premier recours contre cette décision. Il affirmait avoir signalé au Juge d’instruction du Tribunal pénal régional de Linz, lors de son élargissement, qu’il lui fallait voyager beaucoup car il avait sa résidence à Vienne tandis que son bureau se trouvait à Linz, et lui avoir demandé si chacun de ses déplacements devait être communiqué par avance au Tribunal. Le Juge d’instruction lui aurait répondu qu’il lui suffirait de laisser son adresse à son bureau ou à ses parents. Stögmüller soulignait qu’il avait toujours respecté cette condition lors des nombreux voyages qu’il avait entrepris en Autriche et à l’étranger, notamment après avoir obtenu son brevet de pilote. Il ajoutait qu’il se rendait aussi souvent à l’étranger en qualité de membre de l’équipe nationale autrichienne de judo. Au printemps 1961, il aurait d’ailleurs informé le Juge d’instruction du Tribunal pénal régional de Vienne de son intention de changer de profession et de devenir pilote. Le Juge n’aurait pas soulevé d’objections alors pourtant qu’il aurait pu déduire de cette déclaration que le requérant avait effectué et comptait effectuer beaucoup de vols en Autriche et à l’étranger. Quant à la non-comparution du requérant devant le Juge d’instruction le 18 août 1961, Mme Tuma en aurait indiqué les raisons à ce magistrat qu’elle avait en outre prié, après le retour de Stögmüller (21 août 1961), de fixer une nouvelle date pour l’interrogatoire. Le Juge lui aurait répondu qu’il était surchargé de travail dans l’immédiat et qu’il convoquerait donc le requérant après le 14 septembre. De ces diverses circonstances, Stögmüller inférait qu’il n’avait pas rompu le serment prêté par lui le 21 avril 1958. Stögmüller prétendait aussi avoir vendu son affaire par acte notarié le 14 août 1961, suivant ainsi un bon conseil du Juge d’instruction lui-même, et avoir commencé à gagner sa vie comme pilote. Il en concluait qu’il n’existait aucun risque de répétition des infractions. Le 6 septembre 1961, le Juge d’instruction adressa au Parquet une copie du recours en question en l’invitant à exprimer un avis détaillé sur les déclarations de Stögmüller relatives au danger de répétition des infractions. Il ajouta: "Ceci dans le sens de notre entretien oral. L’allégation non encore prouvée de l’inculpé, d’après laquelle il avait abandonné sa profession de prêteur depuis le 14 août 1961, est à cet égard sans intérêt." En réponse à cette demande, le Parquet répondit, le 11 septembre, qu’à son avis les motifs de détention existaient toujours. Rappelant que l’objet de l’instruction préparatoire ouverte contre le requérant avait été élargi en 1960 (voir supra, paragraphe 8) et qu’à la suite de plaintes circonstanciées (fundierte Anzeigen) une nouvelle extension avait été décidée en 1961 (voir supra, paragraphes 10 et 14), le Parquet concluait à la persistance d’un danger de répétition des infractions. Concernant le danger de fuite, il avançait entre autres que, depuis son élargissement, le requérant avait rompu son serment de 1958, avait obtenu le brevet de pilote, s’était rendu en Grèce sans l’accord du Juge à bord d’un avion appartenant à son père, avait entrepris de fréquents voyages à l’étranger et devait, eu égard aux résultats de l’instruction, s’attendre à une lourde peine qui pouvait aller, d’après les textes légaux applicables, de cinq à dix ans de réclusion rigoureuse (schwerer Kerker). Le Parquet invitait en outre le Juge d’instruction à clore l’instruction préparatoire le plus tôt possible. Par une décision du 7 septembre 1961, la Chambre du Conseil (Ratskammer) du Tribunal pénal régional de Vienne chargea le Juge d’instruction de se procurer auprès du Juge Thurner, de Linz, qui avait libéré Stögmüller en 1958, des renseignements concernant les consignes qu’il avait données au requérant à cette occasion. Le 16 septembre 1961, Stögmüller soumit au Tribunal pénal régional de Vienne une lettre que Me Otto Bittner, l’avocat qui l’avait représenté à l’époque de sa première détention préventive en 1958, avait envoyée à Me Tuma le 11 septembre 1961. En réponse à des questions de Me Tuma, Me Bittner y expliquait qu’en 1958, lors de l’élargissement de Stögmüller, il avait été question dès le début que celui-ci se rendît à Vienne. Voilà pourquoi le requérant n’avait pas été astreint à se présenter aux autorités (Meldepflicht) de Linz. Si on ne lui avait pas imposé une telle obligation, c’est aussi parce qu’il s’était engagé à laisser son adresse au bureau de Me Bittner, de manière qu’on pût l’atteindre dans le délai d’une semaine. Cet arrangement avait bien fonctionné en pratique jusqu’au transfert de l’affaire à Vienne: la secrétaire de Stögmüller, Mlle Ingrid Lintinger, avait toujours informé Me Bittner, dans les années 1958/59, du lieu de séjour de son employeur. Dans une déclaration écrite du 20 septembre 1961, destinée au Juge Leonhard (cf. paragraphe 18, supra), M. Thurner, ancien Juge d’instruction au Tribunal de Linz, souligna de son côté: - que s’il avait bonne mémoire, on n’avait parlé en 1958, lors de la mise en liberté de Stögmüller, que de l’adresse de celui-ci à Vienne; - qu’il se pouvait cependant que le requérant lui eût signalé qu’il ne serait pas en mesure d’aviser immédiatement le Tribunal de chacun des nombreux voyages qu’il devrait entreprendre; - qu’à supposer qu’il en fût ainsi, M. Thurner n’avait certainement pas répondu à l’intéressé qu’il lui suffirait de laisser son adresse dans son bureau à Linz ou chez ses parents à Vienne; qu’il l’avait bien plutôt invité, comme d’habitude en pareil cas, à veiller à ce que les convocations du Tribunal lui parvinssent dans les meilleurs délais, afin de pouvoir s’y rendre à temps; que cette réponse ne signifiait pas qu’il incomberait au Tribunal de se renseigner lui-même, au besoin, sur le lieu de séjour du requérant; - que M. Thurner n’avait pas exigé pour autant d’être informé de chaque départ ou retour de l’inculpé, pratique inconnue d’ailleurs au Tribunal de Linz à son avis. Le 20 septembre 1961, le Juge Leonhard demanda que Me Bittner - délié au préalable du secret professionnel par Stögmüller – fut interrogé sur les points suivants: (a) quelles étaient les personnes présentes au moment de l’élargissement de Stögmüller, lorsqu’il fut question que ce dernier se rendît à Vienne (cf. paragraphe 19, supra)? (b) en renonçant à imposer au requérant l’obligation d’informer les autorités de tout déplacement, avait-on précisé que ceci vaudrait également pour des voyages autres qu’entre Vienne et Linz, et par exemple pour des voyages à l’étranger? Entendu le 9 octobre 1961, en qualité de témoin, par un Juge du Tribunal régional de Linz, Me Bittner déclara qu’il n’avait pas assisté, le 21 avril 1958, à la mise en liberté de Stögmüller mais que ce dernier l’avait informé de son intention d’aller à Vienne, affirmant que le magistrat instructeur était au courant. Me Bittner ajouta que le Juge Thurner l’avait invité, le 30 avril 1958, à veiller à ce que le requérant fût présent quand on aurait besoin de lui; aussi la secrétaire de Stögmüller se serait-elle régulièrement renseignée auprès de Me Bittner sur le déroulement de la procédure. Les 29 mai et 7 juillet 1959, le Juge Thurner aurait prié Me Bittner de faire venir son client, lequel aurait comparu en effet dans les délais prescrits. A la demande du requérant, Me Bittner aurait avisé le Tribunal régional de Linz, le 12 janvier 1959, que Stögmüller comptait se rendre en Egypte; le Tribunal n’aurait pas soulevé d’objections. Une autorisation expresse de voyager n’aurait jamais été donnée. Le 19 octobre 1961, la Chambre du Conseil (Ratskammer) du Tribunal régional de Vienne rejeta le recours du 29 août 1961 (paragraphe 16, supra). Elle constata en premier lieu que Stögmüller s’était rendu en Grèce sans l’accord du Juge d’instruction. S’appuyant sur les dépositions de MM. Thurner et Bittner, elle releva que M. Thurner n’avait pas non plus donné au requérant l’autorisation générale de se déplacer en Autriche et à l’étranger. Sans doute Stögmüller était-il toujours revenu de ses voyages, mais la Chambre considéra que cet élément manquait de pertinence: à ses yeux, il ressortait clairement de l’article 191 du Code de procédure pénale que la rupture du serment suffit à entraîner la mise en détention préventive de l’intéressé. Pour des motifs très voisins de ceux donnés par le Parquet dans son avis négatif du 11 septembre 1961 (paragraphe 17, supra), la décision du 19 octobre 1961 admit en outre l’existence d’un danger de fuite et d’un danger de répétition des infractions. Sur ce dernier point, la Chambre du Conseil estima qu’il importait peu de savoir si l’inculpé avait réellement vendu son affaire le 14 août 1961. Le requérant attaqua cette décision le 25 octobre 1961. Il commença par souligner que ni son avocat ni lui-même n’avaient encore eu la faculté de consulter le dossier (Akteneinsicht) et qu’ils ne pouvaient donc se prononcer sur les résultats de l’enquête et de l’instruction qu’à la lumière des indications ressortant des décisions du Tribunal. Stögmüller affirmait en outre qu’il croyait se souvenir que seule l’existence d’un danger de suppression de preuves avait motivé sa première détention préventive et que le magistrat instructeur lui avait rappelé en premier lieu, lors de son élargissement, la nécessité de ne supprimer aucun moyen de preuve et en particulier de ne pas essayer d’influencer les témoins. En conséquence, il estimait ne pas avoir rompu son serment du 21 avril 1958. Sur ce point, il reprenait les arguments de son recours du 29 août 1961 (paragraphe 16, supra). Soulignant qu’il ignorait le contenu de la déclaration du Juge Thurner (paragraphe 20, supra), il avançait aussi que ce magistrat avait dit à Mme Tuma, en septembre 1961, qu’à ses yeux le requérant n’avait pas manqué à sa parole. Stögmüller se plaignait d’autre part de ce que Mme Tuma n’avait pas été entendue comme témoin sur ses entretiens des 17 et 21 août 1961 avec le Juge Leonhard (paragraphe 11, supra). Il ajoutait qu’elle avait prié celui-ci, le 21 août 1961, de ne pas fixer au surlendemain l’interrogatoire du requérant, pour la raison que Stögmüller voulait se rendre à Steyr ce jour-là; or, le Juge Leonhard n’aurait pas soulevé d’objections. Dans le même ordre d’idées, l’intéressé précisait qu’après le 21 avril 1958, il avait fait une dizaine ou une douzaine de voyages à l’étranger afin de participer à des compétitions internationales de judo, sport dont il avait été plusieurs fois champion en Autriche jusqu’en 1960; presque tous les journaux auraient relaté, à l’époque, ses succès et des échecs. De plus, certains procès civils intentés contre lui par des personnes qui se prétendaient victimes de ses agissements, l’auraient obligé à voyager dans son propre pays. Il était en droit, pensait-il, de présumer que le Juge d’instruction apprendrait ces diverses absences par la lecture de la presse et de pièces officielles. Le requérant se référait ici aux dossiers 40 Cg 174/60 (Tribunal civil régional de Vienne) et 6 C 413/59 (Tribunal de district de Hietzing) ainsi qu’aux plaintes de Holzknecht, Reichel et Schumlitsch. De son côté, le Procureur compétent en l’espèce aurait eu connaissance des déplacements susmentionnés grâce aux débats auxquels avait donné lieu, le 15 juin 1960, l’affaire 2b Vr 5328/59 (paragraphe 4, supra), dont il s’était également occupé. Stögmüller voyait dans cet ensemble de faits la preuve qu’il n’avait jamais cru avoir besoin, pour voyager, de l’accord du magistrat instructeur à la disposition duquel il n’avait du reste cessé de se tenir. Le requérant reprochait d’autre part à la Chambre du Conseil d’avoir conclu, dans sa décision du 19 octobre 1961, qu’il y avait danger de fuite alors pourtant que le mandat d’arrêt se fondait uniquement sur la rupture du serment et sur le danger de répétition des infractions. D’après lui, cette manière de procéder avait porté atteinte aux droits de la défense car il n’avait pas eu la possibilité d’invoquer, dans son recours du 29 août 1961, des arguments de nature à établir l’absence de danger de fuite. Or, à son avis, pareil danger n’existait pas en l’occurrence. Stögmüller rappelait à cet égard qu’il était revenu de chacun de ses nombreux voyages et notamment qu’il avait comparu devant le Tribunal pénal régional de Vienne, le 15 juin 1960, dans l’affaire 2b Vr 5328/59 (paragraphe 4, supra) bien qu’il dût s’attendre, selon l’acte d’accusation, à une peine privative de liberté de cinq à dix ans. Quant aux nouvelles plaintes, il soulignait qu’il en avait été informé six mois avant sa seconde arrestation. Il ajoutait que la peine à prévoir dans la présente affaire était la même qu’en 1958. Le fait qu’il se préparait à l’examen de pilote professionnel, affirmait-il encore, fournissait une garantie supplémentaire: une fois en possession du brevet nécessaire, il ne pourrait piloter que des avions autrichiens; les frais de sa formation professionnelle - qui s’élevaient à environ 150.000 ou 200.000 schillings et que son père comptait couvrir en vendant son avion - constituaient donc une véritable caution. Le requérant soulignait aussi que son brevet de pilote non professionnel serait périmé le 1er décembre 1961 et qu’il ne pourrait en obtenir le renouvellement s’il ne recouvrait pas sa liberté avant cette date. Au sujet du danger de répétition des infractions, Stögmüller alléguait, non sans protester de son innocence, que tous les faits postérieurs à son élargissement étaient liés à son activité d’agent financier, qu’il avait abandonnée le 14 août 1961. L’intéressé relevait enfin qu’on ne l’avait pas encore interrogé sur une grande partie des actes incriminés et spécialement qu’on ne l’avait pas entendu sur le fond de l’affaire depuis sa seconde arrestation. 23, Le Parquet, auquel le Juge d’instruction avait soumis le recours pour avis, répondit le 31 octobre 1961: - que le Procureur qui avait assisté à l’audience du 15 juin 1960 ne connaissait pas, à l’époque, le dossier de la présente affaire, dont un de ses collègues s’était occupé jusqu’au printemps de 1960, et que les assertions du requérant se révélaient par conséquent inexactes sous ce rapport; - que l’inculpé avait commis ses premières infractions avant même d’avoir commencé à travailler dans sa société; - qu’il y avait lieu d’entreprendre des recherches détaillées sur les circonstances de l’achat de l’avion et de la vente de la société Stögmüller et Cie, ainsi que sur les dettes de l’inculpé et sur les dépenses exposées par celui-ci pour sa formation professionnelle. Le requérant fut en effet interrogé sur ces divers points par le Juge d’instruction le 28 décembre 1961. Le 10 novembre 1961, la Cour d’Appel (Oberlandesgericht) de Vienne repoussa le recours du 25 octobre. Elle ne crut pas nécessaire d’examiner si Stögmüller avait violé ou non son serment du 21 avril 1958: contrairement à la Chambre du Conseil, elle estima que pareille rupture ne constitue jamais un motif spécifique de mise en détention préventive; elle se référa, sur ce point, à un arrêt de la Cour Suprême du 22 août 1958. En conséquence, la Cour d’Appel s’attacha exclusivement à déterminer s’il y avait danger de fuite et danger de répétition des infractions. Quant au premier de ces dangers, elle trancha la question par la négative: elle releva que, pendant plus de trois ans et demi, le requérant avait toujours répondu aux convocations du magistrat instructeur, et était revenu de chacun de ses nombreux voyages bien qu’il possédât le brevet de pilote, disposât d’un avion et connût l’aggravation des charges pesant sur lui. La Cour confirma en revanche la décision du 19 octobre 1961 en ce qui concerne le danger de répétition des infractions. Elle nota en effet que d’après les plaintes fort circonstanciées (durchaus fundierte Anzeigen) de Josef et Maria Reichel, Karl Schumlitsch, Hans Bergmüller et Alois Holzknecht, l’inculpé avait commis entre mai 1959 et mars 1961, tantôt seul, tantôt de concert avec les nommés Knöpflmacher et Brommer, de nouveaux actes punissables à l’occasion de l’octroi de prêts, causant aux intéressés un préjudice de plus de 70.000 schillings. La Cour en conclut qu’il fallait craindre que Stögmüller ne se rendît coupable, s’il recouvrait sa liberté jusqu’à l’issue définitive de la procédure pénale en question ("bis zur rechtskräftigen Beendigung des vorliegenden Strafverfahrens"), de nouvelles infractions semblables à celles qu’il avait coutume d’accomplir depuis des années. Sans doute le requérant s’était-il officiellement retiré des affaires, mais le risque n’en était que plus grand aux yeux de la Cour: privé de ses moyens d’existence antérieurs, Stögmüller pouvait avoir la tentation de se livrer derechef à des manoeuvres frauduleuses pour conserver son niveau de vie habituel. Le 24 novembre 1961, Stögmüller, s’adressant au Président du Tribunal pénal régional de Vienne, exposa en détail sa carrière professionnelle et, en particulier, les préparatifs qu’il avait entrepris en vue de s’établir pilote professionnel. Il soulignait notamment qu’il disposait de moyens suffisants pour pouvoir terminer sa formation de pilote, car il aurait perçu 80.000 schillings comme prix de vente de sa société et pensait obtenir 160.000 schillings pour l’avion de son père qu’il avait l’intention de vendre. Tout en offrant de fournir une caution s’il recouvrait sa liberté, Stögmüller se déclarait prêt à s’engager par serment à ne plus exercer d’activités commerciales. Enfin, il se plaignait de n’avoir jamais eu l’occasion d’expliquer son cas au Juge Leonhard, et demandait au Président de l’autoriser à le faire devant un membre du bureau (Präsidium) du Tribunal. L’examen du dossier ne permet pas de déterminer si le Président du Tribunal a répondu à cette lettre. Le 6 décembre 1961, le requérant introduisit une deuxième demande de mise en liberté provisoire. Tout en concédant qu’il avait perdu son gagne-pain par la vente de sa société, il soulignait qu’il comptait passer l’examen de pilote professionnel et que son père acceptait de subvenir à ses besoins; il y voyait la preuve de l’absence de danger de répétition des infractions. Il ajoutait qu’on l’empêcherait d’embrasser la carrière de pilote si l’on prolongeait sa détention. Il offrait enfin de fournir une caution d’un montant compatible avec ses ressources et avec celles de sa famille. La demande s’accompagnait d’une lettre adressée à Me Tuma, le 27 novembre 1961, par le père du requérant, Johann Stögmüller. Ce dernier s’y montrait disposé, en cas de libération de son fils, à l’entretenir et à supporter les frais de sa formation professionnelle de pilote. Le 21 décembre 1961, Stögmüller compléta ladite demande en exposant en détail les perspectives professionnelles qui, d’après lui, s’offraient à un pilote en Autriche; il se référait notamment à un rapport du journal "Express" sur la nécessité, pour l’Autriche, de recruter des pilotes étrangers, faute de pilotes autrichiens. Le requérant renouvelait son offre de ne plus exercer d’activités commerciales et se déclarait prêt à présenter au Tribunal, dans un délai raisonnable, un contrat d’engagement comme pilote. Le Parquet, que le Juge d’instruction avait consulté, s’opposa le 29 décembre 1961 à la mise en liberté du requérant, soutenant que le danger de répétition des infractions subsistait en l’espèce. Il se référait, sur ce point, à la décision de la Cour d’Appel (paragraphe 24, supra) et à la découverte, en décembre 1961, d’autres manquements graves commis par Stögmüller depuis son élargissement. Il faisait remarquer en outre que l’intéressé était endetté et avait dû engager, pour percevoir le prix de vente de sa société, un procès civil qui demeurait pendant. Le Juge d’instruction rejeta la demande le 3 janvier 1962. Il releva en substance que la situation n’avait pas évolué dans un sens favorable au requérant depuis la décision du 10 novembre 1961; que le danger de répétition des infractions s’était, au contraire, accru entre-temps car on avait appris que Stögmüller avait causé à un certain Michael Schwanninger, en 1959, un dommage de plusieurs centaines de milliers de schillings; que l’inculpé avait des dettes et ne disposait pas de moyens propres. Le magistrat instructeur ne se prononça pas sur l’offre de caution. Le requérant attaqua cette décision le 8 janvier 1962. Tirant argument de la lettre susmentionnée de son père (paragraphe 26, supra), il alléguait que la situation avait bien évolué en sa faveur. Il ajoutait que selon la jurisprudence de la Cour Suprême, seuls des indices concrets permettent de conclure à la présence d’un danger de répétition des infractions. Or, de tels indices lui paraissaient faire défaut en l’espèce puisqu’il avait abandonné son activité d’agent financier et que l’affaire Schwanninger remontait à 1959. Consulté derechef, le Parquet exprima un avis négatif le 11 janvier 1962. Il estima en effet que l’existence d’un danger de répétition des infractions ressortait in concreto des nombreux actes punissables commis par Stögmüller depuis le 21 avril 1958. A ce sujet, il rappela en outre que l’inculpé avait négocié des prêts sur une grande échelle avant même d’avoir commencé à travailler dans sa société. Le Parquet suggéra enfin l’ouverture de recherches complémentaires portant sur la situation de fortune du requérant et de son père ainsi que sur les circonstances de la vente prétendue de ladite société. La Chambre du Conseil du Tribunal pénal régional de Vienne repoussa le recours le 25 janvier 1962. Se référant aux motifs retenus par la Cour d’Appel le 10 novembre 1961 et par le Juge d’instruction le 3 janvier 1962, elle ajouta qu’il y avait lieu de soupçonner fortement Stögmüller d’avoir continué ses agissements en 1960. Selon une plainte reçue par le Tribunal le 19 janvier 1962, en effet, le requérant avait persuadé les nommées Stefanie Holzdorfer et Margarete Lorin qu’elles réaliseraient une excellente affaire en achetant un avion; à l’issue de cette opération, Mme Holzdorfer avait perdu toute sa fortune, à savoir une maison d’une valeur de 400.000 schillings, tandis que le père de l’inculpé avait acquis la propriété de l’appareil. La Chambre du Conseil nota que l’avion étant revendiqué par les deux femmes, Johann Stögmüller ne pourrait éventuellement pas le vendre pour financer l’entretien et la formation professionnelle de son fils. Elle ne se prononça pas sur l’offre de caution du requérant. Dans l’affaire de l’avion, qui donnait lieu à des poursuites séparées (26 d Vr 592/62), l’ouverture d’une instruction préparatoire avait été décidée le 24 janvier 1962. Le 25 janvier ainsi que les 12 et 15 février 1962, Stögmüller recourut contre la décision du 25 janvier. Rappelant qu’il avait vendu sa société le 14 août 1961, il concluait à l’absence d’un danger de répétition des infractions. Il déclarait d’autre part disposer de 250.000 schillings environ, dont 170.000 provenaient de la vente de l’avion et 80.000 revêtaient la forme d’un titre exécutoire contre l’acheteur de la société; il en déduisait que son entretien et sa formation professionnelle étaient assurés. Il reprochait notamment au magistrat instructeur et à la Chambre du Conseil de ne pas avoir pris en considération la lettre susmentionnée de son père (paragraphe 26, supra). Après avoir décrit en détail la manière dont il se préparait à l’examen de pilote (paragraphe 9, supra), il soulignait qu’il avait presque achevé sa formation professionnelle et qu’il n’aurait aucune peine, en raison de la pénurie de pilotes de métier en Autriche, à trouver rapidement un emploi dans cette branche. Il en déduisait qu’il n’y avait pas de danger de répétition des infractions. Afin d’offrir à cet égard des garanties supplémentaires, il se déclarait prêt à s’engager, si on le libérait, à ne plus exercer d’activités commerciales, à rendre compte périodiquement au Tribunal de ses occupations et à lui présenter son contrat de travail. La Cour d’Appel de Vienne rejeta le recours le 14 mars 1962. Elle estima que ni le changement de profession envisagé par le requérant, ni le temps que celui-ci voulait consacrer à sa formation le pilote, n’étaient de nature à écarter le danger de répétition des infractions. Elle souligna en outre que quatre jours après la décision litigieuse, un avocat de Lienz, Me Oberhofer, avait porté plainte contre Stögmüller auprès du Tribunal, l’accusant d’avoir frauduleusement causé à ses mandants, Alois et Martha Weiskopf de Virgen, un préjudice de 43.000 schillings à l’occasion de l’octroi d’un prêt. Le 16 avril 1962, le requérant exerça un recours hiérarchique (Aufsichtsbeschwerde) concernant la conduite de la procédure par le Juge d’instruction; il le compléta le 27 avril 1962. Le 9 mai 1962, il déposa un second recours par lequel il se plaignait de ce que les autorités compétentes n’avaient pas encore donné suite au premier. Le 31 octobre 1962, soit un peu moins de trois mois après l’introduction de sa requête devant la Commission (1er août 1962), Stögmüller saisit le Président du Tribunal pénal régional de Vienne d’un nouveau recours hiérarchique. Il y reprochait au Juge Leonhard de faire traîner l’instruction, de ne pas l’avoir entendu pendant les dix-sept mois de sa détention sauf sur trois chefs d’inculpation, de le traiter plus mal que certains codétenus, de ne pas inquiéter des tiers impliqués eux aussi dans l’affaire, d’avoir pris contre lui des mesures de représailles et d’avoir été suborné, dans une autre procédure pénale, par des complices du requérant. Son recours au Président du Tribunal, n’ayant pas abouti - non plus d’ailleurs que ses autres recours hiérarchiques - Stögmüller s’adressa le 16 novembre 1962 à la Cour d’Appel qui rejeta ses griefs le 23 janvier 1963 après un examen approfondi. Entre-temps, et plus précisément le 7 novembre 1962, le requérant avait demandé, outre la jonction des procédures 26 d Vr 1105/59 et 26 d Vr 592/62 (paragraphes 6 et 31, supra), la récusation de tous les juges du ressort de la Cour d’Appel de Vienne et le transfert de l’affaire au Tribunal régional de Salzbourg. Il taxait en effet lesdits juges de partialité. A ce sujet, il alléguait qu’un conseiller à la Cour d’Appel était impliqué (verwickelt) dans l’affaire 26 d Vr 1105/59 et qu’un coïnculpé était le fils d’un magistrat. Il soulignait aussi que les poursuites avaient déjà duré près de cinq ans et qu’il se trouvait détenu depuis dix-sept mois sans avoir été entendu par le Juge d’instruction, sauf sur trois points d’importance secondaire. La Cour suprême repoussa la demande de transfert puis, le 6 février 1963, la demande de récusation pour autant que celle-ci visait les magistrats de la Cour d’Appel de Vienne. Quant à la demande de récusation des autres juges du ressort de la Cour d’Appel, celle-ci la rejeta le 27 février 1963. Les 15 janvier et 4 mars 1963, ces diverses décisions furent communiquées au Juge d’instruction qui, conformément aux lois en vigueur, avait suspendu l’instruction en attendant de connaître le résultat de la demande de récusation. Le 5 décembre 1962, Stögmüller avait formé un recours constitutionnel. Soulignant que la procédure engagée contre lui avait déjà duré cinq ans et qu’il était en détention préventive depuis dix-huit mois sans avoir été entendu par le Juge d’instruction sauf sur trois des cinquante-six transactions litigieuses, il se prétendait victime d’une violation des articles 5, paragraphes 1 (c) et 3, et 6, paragraphe 1 (art. 5-1-c, art. 5-3, art. 6-1), de la Convention. Il se plaignait en outre d’avoir été empêché par le Tribunal pénal régional de Vienne de voter lors des élections législatives. Le 27 mars 1963, la Cour Constitutionnelle (Verfassungsgerichtshof) se déclara incompétente pour la raison que le recours se dirigeait contre des organes judiciaires agissant dans le cadre normal de leurs attributions. Le 4 juin 1963, le Juge d’instruction prononça la jonction des procédures 26 d Vr 1105/59 et 26 d Vr 592/62 (paragraphe 35, supra). Après avoir consulté le Parquet par l’intermédiaire de Me Tuma, le requérant introduisit, le 9 août 1963, une troisième demande de mise en liberté provisoire. Il avançait que les longs mois - plus de vingt-cinq au total - passés par lui en détention préventive avaient entraîné la rupture de ses relations d’affaires, ce qui rendait beaucoup plus vraisemblable son désir de renoncer à son ancien métier. Il ajoutait qu’il risquait de perdre son brevet de pilote si on ne l’élargissait pas rapidement et qu’il avait purgé par avance une grande partie de sa peine éventuelle. D’après lui, la carrière qu’il comptait embrasser ne lui donnerait pas l’occasion de commettre des infractions du genre de celles dont il avait à répondre. Stögmüller concédait cependant que l’exercice de la profession de pilote pouvait faire croire à l’existence d’un certain danger de fuite. Sur ce point, il affirmait n’avoir nullement l’intention de se soustraire aux poursuites intentées contre lui, solution qui n’aurait d’ailleurs aucun sens dans son cas pour une série de raisons. Soucieux de prouver sa bonne volonté, il offrait néanmoins une garantie de 280.370 schillings, y compris la caution personnelle de quatre parents et alliés à concurrence de 32.000 schillings chacun. Consulté par le Juge d’instruction, le Parquet consentit, le 19 août 1963, à la mise en liberté provisoire du requérant. Il déclara se rallier à la thèse de Stögmüller, d’après laquelle il y avait non plus danger de répétition des infractions mais danger de fuite. A cet égard, il souligna que l’instruction avait révélé des charges importantes et qu’il fallait donc s’attendre à une lourde peine; il rappela aussi que l’inculpé envisageait d’exercer la profession de pilote. Il en conclut que seul était acceptable un élargissement assorti de la garantie susmentionnée. Le 30 septembre 1965, Me Tuma a soutenu devant la sous-commission que ladite garantie n’avait été offerte que pour la forme, avec l’accord du Parquet: il s’agissait uniquement de permettre au Tribunal de libérer le requérant dont la famille était en réalité sans ressources. Quoi qu’il en soit, le Juge d’instruction décida le 21 août 1963 de mettre le requérant en liberté provisoire. Il releva qu’eu égard à la rupture des relations d’affaires du requérant depuis plus de deux ans, le danger de répétition des infractions avait manifestement disparu, mais qu’il existait désormais un danger de fuite; il ajouta cependant que ce dernier pouvait être écarté par la prestation du serment et le dépôt d’une garantie. Le lendemain, la Chambre du Conseil du Tribunal pénal régional de Vienne fixa le taux de la garantie à 280.370 schillings. Stögmüller recouvra sa liberté le 26 août 1963 après avoir prêté le serment prévu à l’article 191 du Code de procédure pénale. Sa seconde détention avait donc duré, sans interruption, deux ans et un jour. Selon le procès-verbal rédigé à cette occasion, le requérant déclara: "Je prends connaissance de ce que j’ai été mis en liberté sur parole, en vertu de l’article 191 du Code de procédure pénale. J’ai été informé des conséquences de la rupture du serment; je résiderai à Vienne 13, Auhofstrasse 255. Si je quitte ce lieu de séjour pour plus de sept jours - ce qui se peut puisque je me propose de travailler comme pilote - j’en aviserai au préalable le Tribunal." Le 27 août 1963, la Cour d’Appel accusa réception de la garantie exigée. Déposant le 20 juillet 1966 devant la Sous-commission en qualité de témoin, le Juge d’instruction Leonhard a déclaré à ce sujet: "Lorsque Stögmüller eut décidé d’abandonner la profession de prêteur pour celle d’aviateur, le danger de nouvelles infractions disparut. S’il renonce à être prêteur d’argent, il ne peut plus commettre d’infractions du genre de celles qui lui sont reprochées. En revanche, son désir de devenir pilote crée à nouveau un danger de fuite. En effet, un pilote passe souvent plus de temps à l’étranger que dans son pays ... Le changement de profession a fait disparaître le danger de répétition des infractions et le dépôt d’une caution a écarté le danger de fuite ..." En juillet 1966, le Juge Leonhard a prononcé la clôture de l’instruction préparatoire et communiqué au Parquet le dossier qui comprenait beaucoup plus de vingt mille pages (articles 111 et 112 du Code de procédure pénale). Devant la Commission, les Parties se sont accordées à reconnaître la grande complexité des faits que les organes chargés de l’instruction devaient examiner en l’espèce. La difficulté résidait, pour l’essentiel, dans le volume des tractations litigieuses. A l’origine, l’instruction portait sur quatre-vingts transactions commerciales du requérant, dont soixante-dix concernaient des prêts consentis, presque tous, à des agriculteurs menacés de saisis. A la fin, seules quarante-cinq transactions restaient en cause. L’instruction visait une série de crimes d’escroquerie (articles 197, 199 alinéa (d), 200, 201 alinéa (d) et 203 du Code pénal), de gestion infidèle (articles 183 et 184 du Code pénal), d’abus de confiance (article 205 (c) du Code pénal) et d’usure (articles 2, paragraphe 3, et 3, paragraphe 4, du Wuchergesetz), ainsi que de certains délits et contraventions. Les infractions reprochées à Stögmüller avaient causé à leurs victimes un dommage largement supérieur à un million de schillings. Les activités considérées avaient eu lieu sur tout le territoire autrichien, mais plus particulièrement dans les environs de Wels en Haute-Autriche. Wels n’étant pas situé dans le ressort de la Cour d’Appel de Vienne, le Juge d’instruction ne pouvait mener à bien en personne chacune des recherches nécessaires; pour une centaine de faits et de moyens de preuve, il fallut donc délivrer des commissions rogatoires. En vue de simplifier la procédure, M. Leonhard séjourna cependant quelques semaines en Haute-Autriche en novembre et décembre 1961; avec l’accord des autorités compétentes, il y consulta les registres du cadastre et interrogea lui-même cinq témoins à Wels, onze à Ried im Innkreis et sept à Braunau. Au total, cent soixante dix neuf témoins - dont soixante-sept pendant la seconde détention préventive de Stögmüller (25 août 1961 - 26 août 1963) - et dix inculpés furent entendus au cours de l’instruction. Selon des renseignements fournis à la Commission par le Gouvernement le 14 juin 1966, le nombre des jours marqués par une audition du requérant entre le 5 mars 1958 et le 18 mars 1965 s’élève à deux cents ou deux cent trente environ. Toutefois, seuls soixante-dix-huit interrogatoires ont été consignés par écrit, à savoir quatre entre le 5 mars et le 21 avril 1958, quatre en 1961 (dont trois après la deuxième arrestation de Stögmüller), six en 1962, six en 1963 (jusqu’au 26 août, date de son élargissement), cinquante et un en 1964 et sept en 1965. Les procès-verbaux couvrent un millier de pages. Ainsi qu’il ressort du relevé présenté par le Gouvernement à la Commission, aucun interrogatoire du requérant n’a été acté du 28 décembre 1961 au 11 juillet 1962, ni du 23 juillet 1962 au 29 mai 1963, ni du 26 août 1963 au 27 janvier 1964. Selon les procès-verbaux des interrogatoires, que le Gouvernement a soumis à la Cour le 24 septembre 1968, Stögmüller a été entendu entre le 5 mars 1958 et le 26 août 1963, date de son deuxième élargissement, sur six seulement des nombreuses imputations dont il avait à répondre. Les procès-verbaux établis pendant cette période totalisent cent sept pages. La Présidente de la sous-commission lui ayant demandé, le 20 juillet 1966, pourquoi le requérant n’avait pas été interrogé plus souvent au cours de sa seconde détention préventive, le Juge Leonhard a déclaré notamment ce qui suit: "(...) Je voudrais dire que Stögmüller est l’homme, le plus intelligent que j’aie rencontré depuis trente ans. (...) Au début, je me suis rendu auprès de Stögmüller à la prison (...) et j’ai passé les faits en revue avec lui. Après deux ou trois jours, j’ai dû constater que je n’avançais pas d’un pouce de cette manière en raison de l’intelligence de Stögmüller. D’ordinaire, un Juge entend certainement l’inculpé (...), puis les témoins (...). En l’espèce, ce n’était pas possible. J’ai interrogé Stögmüller (...). Il a insisté pour que seuls ses propres termes fussent consignés au procès-verbal. Il a refusé tout procès-verbal sommaire. Il m’a fallu recueillir toutes les allégations de Stögmüller, sans pouvoir lui adresser la moindre remarque sur l’exactitude de telles d’entre elles, car je ne disposais pas de moyens de preuves correspondants (...). J’ai vu alors que les choses ne progressaient pas de la sorte. En définitive, voilà pourquoi j’ai interrompu les interrogatoires de Stögmüller. Je voulais commencer par rassembler les preuves (...)." Pendant sa seconde détention, Stögmüller forma cinquant-neuf demandes et recours, dont vingt-sept ou vingt-huit recours hiérarchiques dirigés contre le Juge d’instruction et qui furent tous déclarés mal fondés. Devant la Sous-commission, ce dernier a exprimé l’opinion qu’il s’agissait là de manoeuvres délibérées tendant à contrecarrer ses efforts. Il a mentionné, en ce sens, une lettre que le requérant avait adressée à son avocat le 5 février 1963. Stögmüller y suggérait à Me Tuma de se servir des bons offices d’un confrère, Me Lang, pour négocier un accord avec le Juge d’instruction: tout en se réservant le droit de continuer à réclamer sa mise en liberté, il se déclarait prêt, moyennant l’octroi de certaines concessions, à ne plus présenter d’autres demandes et recours malgré la légitimité de ses griefs; en attendant, ajoutait-il, il s’en tiendrait à la tactique qu’il avait arrêtée de concert avec son défenseur. Le Gouvernement avait produit cette pièce le 20 juillet 1966 avec l’autorisation de la Sous-commission. Dans son rapport du 9 février 1967, la Commission plénière a noté que le Juge Leonhard, qui contrôlait la correspondance du requérant, avait lu ladite lettre et en avait fait établir une photocopie avant de la transmettre à Me Tuma; dans ces conditions, elle n’a pas cru pouvoir la prendre en considération. Il appert en outre que Stögmüller retira le 3 juillet 1962, afin d’accélérer la marche de la procédure et à la suite d’un échange de vues entre son avocat et le Juge d’instruction, un recours qu’il avait exercé le 25 juin 1962 contre une décision ordonnant de joindre au dossier une lettre écrite par lui à ses parents. En 1966/1967, le brevet de pilote du requérant et sa licence restreinte de radiotéléphonie ont été révoqués par les autorités compétentes à la suite de la condamnation susmentionnée du 5 mars 1964 (paragraphe 4, supra). Le 1er août 1967, soit un peu moins de six mois après l’adoption du rapport de la Commission (9 février 1967), le Parquet de Vienne acheva d’établir l’acte d’accusation (Anklageschrift, article 207 du Code de procédure pénale). Long de cent quarante pages, ce document visait trois personnes, et en premier lieu Ernst Stögmüller; un quatrième inculpé était décédé entre temps. Pour sa part, Stögmüller était accusé: - d’usure qualifiée (articles 2, paragraphes 1 et 3, et 3, paragraphe 4, de la loi sur l’usure) dans dix-neuf cas; - de délit d’usure (article 4, paragraphe 1, de la loi sur l’usure) dans deux cas; - d’escroquerie qualifiée ou de complicité d’escroquerie qualifiée (articles 197, 199 lit. d), 200, 201 lit. d), 203 et 5 du Code pénal) dans dix-neuf cas; - de crime de gestion infidèle (articles 183 et 184 du Code pénal) dans sept cas; - d’une contravention à l’article 8 du Code pénal et à l’article 5, avant-dernier alinéa, de la loi sur le vagabondage. Le montant du préjudice dont Stögmüller avait à répondre dépassait un million de schillings. Selon l’acte d’accusation, trente-deux des quarante-huit actes ainsi incriminés remontaient à une période antérieure au premier élargissement du requérant (21 avril 1958). Quant aux seize autres, ils avaient eu lieu en 1959, 1960 et 1961; ils ne concernaient toutefois que six groupes de personnes sur un total de 27. Il appert en effet que les poursuites relatives à certains actes ont été disjointes puis abandonnées (articles 57, 109 et 34, paragraphe 2, du Code de procédure pénale). Tel a été le cas notamment des poursuites relatives à l’affaire Weiskopf (paragraphe 33, supra). Le Parquet demandait notamment l’ouverture de la procédure de jugement devant le Tribunal pénal régional de Vienne, constitué en Tribunal d’échevins, la citation des accusés, la convocation de soixante témoins ainsi que la lecture des dépositions de trente-sept autres, la lecture des avis de deux experts et celle d’une série d’autres pièces. Le procès s’est ouvert le 17 avril 1968. Le Tribunal pénal régional de Vienne a entendu dix-huit témoins et donné lecture des dépositions de soixante-dix-huit autres ainsi que des avis de deux experts. Le 9 mai 1968, le Tribunal a infligé à Stögmüller une peine de quatre ans et demi de réclusion rigoureuse, aggravée d’une nuit de "couche dure" (hartes Lager) et d’un jour de jeûne par an, pour usure qualifiée dans dix-neuf cas, usure dans un cas, escroquerie qualifiée dans dix-neuf cas et gestion infidèle qualifiée dans sept cas. En application de l’article 265 du Code de procédure pénale, il a tenu compte de la sentence rendue contre le requérant en 1963-1964 (paragraphe 4, supra). En outre, il a condamné Stögmüller à payer à cinq de ses victimes un montant supérieur, au total, à 315.000 schillings de dommages-intérêts, les droits des parties civiles étant expressément réservés pour le reste. Le requérant a été acquitté quant au surplus. En vertu de l’article 55 (a) du Code pénal, il a bénéficié de l’imputation de la durée de ses détentions provisoires et préventives sur celle de sa peine. En fixant le taux de celle-ci, le Tribunal a estimé qu’il existait en l’espèce, malgré certaines circonstances aggravantes - l’ampleur du préjudice causé et le nombre des manquements constatés - un concours de circonstances atténuantes "très importantes et prédominantes" (article 265 (a) du Code de procédure pénale). A cet égard, il a relevé d’abord qu’un long laps de temps s’était écoulé entre la perpétration des infractions et le prononcé du jugement; il a reconnu, notamment, que Stögmüller n’était qu’en partie responsable du fait que dix ans avaient passé depuis l’ouverture de l’instruction. Le Tribunal a souligné aussi que le requérant, âgé de vingt-deux ans seulement au début de son activité criminelle, n’avait plus commis d’infractions depuis la fin de 1960 et qu’il avait au contraire, après son élargissement, choisi une profession "normale" (bürgerlich), observé une conduite irréprochable, fondé une famille et réussi à se réintégrer dans la société. Stögmüller n’a ni interjeté appel (Berufung), ni formé un pourvoi en cassation (Nichtigkeitsbeschwerde). Quelque temps après son élargissement, il s’était fixé au Royaume-Uni, il y exerçait la profession d’instructeur-pilote et y avait obtenu le brevet nécessaire. Cependant, il a récemment regagné son pays où il a commencé à purger ses peines le 4 septembre 1968. Dans sa requête introductive d’instance du 1er août 1962 (no 1602/62), Stögmüller affirmait: - qu’on l’avait arrêté et détenu sans "raisons plausibles" de le soupçonner d’avoir commis des infractions et sans "motifs raisonnables" de croire à la nécessité de l’empêcher d’en commettre (article 5, paragraphe 1 (c), de la Convention) (art. 5-1-c); - qu’on ne l’avait ni jugé "dans un délai raisonnable", ni libéré pendant la procédure (article 5, paragraphe 3) (art. 5-3); - que sa cause n’avait pas été entendue par un tribunal "équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable" (article 6, paragraphe 1) (art. 6-1); - que la manière dont l’instruction était conduite ne respectait pas la présomption d’innocence (article 6, paragraphe 2) (art. 6-2); - qu’on ne l’avait pas informé, dans le plus court délai et en détail, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui (article 6, paragraphe 3 (a)) (art. 6-3-a); - qu’on ne lui avait pas permis d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge (article 6, paragraphe 3 (d)) (art. 6-3-d). Le requérant demandait: - sa mise en liberté, subordonnée le cas échéant à la seule condition de ne plus exercer d’autre profession que celle de pilote; - la possibilité d’interroger les témoins à charge. Le 14 septembre 1963, l’intéressé a prétendu en outre que le Juge d’instruction avait adopté envers lui une attitude partiale (article 6, paragraphe 1, de la Convention) (art. 6-1). Le 7 juillet 1964, la Commission a déclaré irrecevables, pour défaut manifeste de fondement, ce dernier grief et celui qui s’appuyait sur l’article 5, paragraphe 1 (c) (art. 5-1-c); elle a sursis à statuer sur la recevabilité du restant de la requête. Lors d’une audience contradictoire qui s’est déroulée devant la Commission le 1er octobre 1964, Me Tuma a déclaré ne maintenir que le moyen tiré de la violation alléguée de l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3). Le même jour, la Commission a jugé la requête recevable sous l’angle de cette disposition; elle a décidé de ne pas poursuivre d’office l’examen des griefs abandonnés par l’avocat du requérant (article 6, paragraphes 1 et 3) (art. 6-1, art. 6-3). Le 14 décembre 1966, elle a estimé ne pas devoir reprendre d’office l’étude de l’un d’entre eux, relatif à la longueur de la procédure pénale engagée contre Stögmüller (article 6, paragraphe 1, "délai raisonnable") (art. 6-1). La Commission n’a cependant pas exclu la possibilité de considérer la période de plus de deux ans qui s’était écoulée depuis sa décision du 1er octobre 1964 comme un élément de nature à justifier l’introduction éventuelle d’une nouvelle requête. À la suite de la décision déclarant recevable une partie de la requête, une Sous-commission a établi les faits de la cause et recherché en vain un règlement amiable (articles 28 et 29 de la Convention) (art. 28, art. 29). Devant la Commission et la Sous-commission, le requérant a précisé la manière dont il concevait le problème qui se pose en l’occurrence sur le terrain de l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3). A ses yeux, il ne suffit pas de constater qu’il a recouvré sa liberté le 26 août 1963: il s’agit de déterminer si on la lui a rendue à temps ou au terme d’un délai excessif. Or, la durée totale de ses deux détentions préventives - deux ans et sept semaines - ne saurait, d’après lui, passer pour "raisonnable" au sens de la Convention. Inculpé d’infractions pour lesquelles les lois autrichiennes prévoient un minimum de six mois d’emprisonnement et un maximum de dix ans de réclusion criminelle, Stögmüller a déclaré s’attendre, en cas de condamnation, à une peine de deux ou trois ans. Il en a déduit que sa détention avait constitué une peine anticipée. A l’en croire, la marche de l’instruction a subi des retards anormaux qu’il attribue à deux causes: le Juge Leonhard avait à s’occuper d’une autre affaire très complexe (Rafael, Neumeister et consorts); de plus, ce même magistrat aurait commencé par convoquer un grand nombre de témoins, au lieu d’entendre d’abord le requérant conformément à la pratique habituelle. Stögmüller a relevé en outre qu’on ne l’avait interrogé, pendant sa seconde détention, qu’à treize reprises et sur cinq seulement des quelque quatre-vingts transactions litigieuses. Sa détention aurait servi en réalité de moyen de pression: en la prolongeant, on aurait essayé de le pousser aux aveux. Le Juge d’instruction aurait eu à ce sujet, en 1961, une conversation édifiante avec Mme Tuma. Le requérant a concédé que ses demandes de récusation avaient eu pour effet de suspendre l’instruction (cf. le paragraphe 35, supra). Il a souligné, cependant, qu’il ne les avait présentées qu’après environ un an de détention préventive, et les a expliquées par l’exaspération créée en lui par la lenteur de la procédure; selon lui, les juridictions compétentes auraient d’ailleurs pu se prononcer sur lesdites demandes dans le délai d’un mois. Se référant aussi à l’article 5, paragraphe 1 (c) (art. 5-1-c), de la Convention, le requérant a prétendu que sa détention avait cessé d’être "régulière" (lawful) le 10 novembre 1961, date à laquelle la Cour d’Appel de Vienne a reconnu l’absence de danger de fuite (cf. le paragraphe 24, supra). Quant au danger de répétition des infractions, Stögmüller en a contesté l’existence: le 14 août 1961, soit onze jours avant sa deuxième arrestation, il aurait vendu son cabinet d’affaires et abandonné toute activité commerciale de nature à justifier éventuellement la crainte d’un tel danger. Le requérant a fait valoir enfin que les raisons qui ont amené les autorités à l’élargir en 1963 coïncidaient exactement avec des arguments développés par lui deux ans plus tôt dans ses propres demandes et recours. Il en a conclu qu’il aurait fallu le libérer dès 1961. Après l’échec de la tentative de règlement amiable à laquelle la Sous-commission avait procédé, la Commission a rédigé le rapport prévu à l’article 31 (art. 31) de la Convention. Adopté le 9 février 1967, ce document a été transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 11 mai 1967. La Commission y exprime, par huit voix contre trois, l’avis qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3). Le rapport contient deux opinions individuelles concordantes et trois opinions individuelles dissidentes. Arguments de la Commission et du Gouvernement Dans son rapport du 9 février 1967, la Commission a suivi la méthode, dite des sept "critères" ou "éléments", qu’elle avait adoptée pour se prononcer sur les affaires Wemhoff et Neumeister (voir par exemple publications de la Cour, Série A, affaire Neumeister, arrêt du 27 juin 1968, pages 23-24). Après voir appliqué chacun de ces critères au cas d’espèce, elle les a appréciés dans leur ensemble. Les éléments dont l’examen incitait, d’après elle, à conclure au caractère "déraisonnable" de la durée de la détention préventive litigieuse, à savoir les éléments no 1, 2 et 6, lui ont paru l’emporter sur ceux qui, à ses yeux, tendaient vers une conclusion différente. Elle a exprimé, par huit voix contre trois, l’avis qu’il y avait eu, en conséquence, violation de l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3), de la Convention. Lors des audiences des 10 et 11 février 1969, les Délégués de la Commission ont basé leurs déclarations, pour l’essentiel, sur les arrêts rendus entre temps par la Cour dans les affaires Wemhoff et Neumeister tout en se référant fréquemment au rapport de la Commission et en particulier à l’avis de la majorité. Citant le paragraphe 10 de la partie "En Droit" du premier de ces arrêts, les Délégués ont relevé qu’aux yeux de la Cour comme à ceux de la Commission, la notion de "délai raisonnable" doit s’interpréter à la lumière des données concrètes de chaque affaire. Selon la Commission, il est dans la nature des choses que les mêmes éléments ne jouent pas nécessairement un rôle chaque fois que l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3), est en cause. L’expérience des affaires Wemhoff, Neumeister, Stögmüller et Matznetter montrerait cependant que certains éléments retiennent d’ordinaire, en pareil cas, l’attention de la Commission et de la Cour. Dans cet ordre d’idées, les Délégués de la Commission, se référant notamment au paragraphe 5 de la partie "En Droit" de l’arrêt Neumeister, ont résumé les arguments que le requérant avait avancés à l’appui de ses trois demandes de mise en liberté provisoire et les raisons pour lesquelles les juridictions autrichiennes compétentes avaient repoussé les deux premières et accueilli la troisième. Ils ont rappelé que la Commission avait examiné ces faits pour rechercher si la procédure relative aux demandes de mise en liberté provisoire du requérant avait été indûment prolongée par la faute des autorités compétentes et qu’elle n’avait constaté aucune faute de ce genre. D’autres éléments entreraient eux aussi en ligne de compte. A cet égard, les Délégués ont mentionné d’abord la conduite du requérant pendant l’instruction, et notamment ses cinquante-neuf recours, demandes et autres requêtes dont trente-quatre n’ont pu être pris en considération dans le rapport du 9 février 1967, le Gouvernement ne les ayant signalés que dans son mémoire du 4 décembre 1967. Les Délégués ont relevé qu’aux yeux de la Commission, Stögmüller "a dépassé les limites raisonnables de son droit de recours" en demandant la récusation de tous les juges du ressort de la Cour d’Appel de Vienne, de sorte que "l’examen de cet élément incite à conclure que la prolongation de la détention" entraînée par cette demande "n’a pas été excessive" (paragraphe 69.4 du rapport). Les Délégués ont cependant produit une lettre, datée du 23 décembre 1967 et adressée à la Commission, dans laquelle l’intéressé explique pourquoi il avait présenté ladite demande. De leur côté, la complexité et les difficultés de l’instruction plaideraient en faveur du caractère raisonnable de la durée de la détention litigieuse. La Cour aurait d’ailleurs retenu un élément semblable dans son arrêt Wemhoff du 27 juin 1968 (paragraphe 17 de la partie "En Droit"). Certains éléments joueraient au contraire dans le sens opposé, à savoir la durée de la détention du requérant - tant en elle-même que par rapport, notamment, à la peine prévue en cas de condamnation – et la façon dont l’instruction a été menée. Au paragraphe 16 des motifs de son arrêt Wemhoff, la Cour aurait laissé entendre que la durée effective d’une détention peut, à l’occasion, devenir déterminante pour l’appréciation de son caractère raisonnable. Quant à la manière dont l’instruction a été conduite, la Cour en aurait tenu compte dans son arrêt Neumeister (paragraphe 21 des motifs); sans doute se plaçait-elle sur le terrain de l’article 6, paragraphe 1 (art. 6-1), de la Convention mais l’aspect dont il s’agit offrirait a fortiori de l’intérêt sous l’angle de l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3). Or, en l’espèce, le Juge Leonhard a dû instruire simultanément plusieurs affaires très difficiles et fort complexes, dont l’affaire Rafael, Neumeister et consorts; les mesures prises pour le dispenser de s’occuper d’affaires nouvelles, mesures que le Gouvernement a signalées pour la première fois lors des débats oraux, ne concernaient nullement les affaires déjà pendantes. Les Délégués ont ensuite répondu aux critiques du Gouvernement concernant la méthode que la Commission avait adoptée pour établir les faits et pour les exposer dans son rapport. D’après la Commission, la durée de détention dont il y a lieu de vérifier la conformité avec l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3), s’étend du 25 août 1961 au 26 août 1963. La détention subie par le requérant du 3 mars au 21 avril 1958 n’entrerait pas en ligne de compte, car elle s’est déroulée avant l’entrée en vigueur de la Convention à l’égard de l’Autriche (3 septembre 1958). Le Gouvernement ayant objecté que la présente affaire avait uniquement trait à la détention antérieure au dépôt de la requête (25 août 1961 - 1er août 1962, voir plus loin, paragraphe 11), les Délégués ont commencé par se référer au paragraphe 7 des motifs de l’arrêt Neumeister où la Cour a écarté une objection analogue. Ils ont précisé que la Commission s’est appuyée sur cette opinion de la Cour dans sa décision récente sur la recevabilité de la requête no 2614/65, Ringeisen contre République d’Autriche (Recueil de Décisions de la Commission, no 27, page 51). A la demande de la Cour, les Délégués ont répondu ensuite aux arguments que le Gouvernement a tirés de l’article 26 (art. 26) de la Convention. Ils ont d’abord rappelé que la détention du requérant a pris fin le 26 août 1963, donc avant la décision de la Commission sur la recevabilité (1er octobre 1964). Selon eux, il faut aussi noter que ladite décision a été rendue après une audience contradictoire du même jour au cours de laquelle les parties avaient discuté de la recevabilité du grief en question qui visait toute la durée de la détention. Or, ce grief n’avait fait l’objet, de la part du Gouvernement, d’aucune objection fondée sur les articles 26 et 27, paragraphe 3 (art. 26, art. 27-3), de la Convention, et la Commission n’avait pas estimé devoir le rejeter en vertu de ces dispositions, pour non-épuisement des voies de recours internes. Avant la décision susmentionnée du 1er octobre 1964, le requérant est passé deux fois par chacune des autorités auxquelles une personne mise en détention préventive en Autriche peut demander son élargissement en vertu des articles 113 et suivants du Code de procédure pénale; il avait ainsi épuisé les voies de recours internes. D’autre part, le droit autrichien ne limite pas le nombre et la fréquence des demandes de ce genre. Si donc on adoptait la thèse du Gouvernement, on pourrait, selon les Délégués, arriver à conclure qu’une personne placée en détention préventive doit déposer continuellement de telles demandes afin d’épuiser les voies de recours internes pour toute la durée de sa détention; or, le dépôt d’un si grande nombre de demandes risquerait de passer non seulement pour une entrave au déroulement normal de la procédure pénale, mais même pour un abus du droit de recours. En outre, quiconque allègue la violation de l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3), à propos de la durée de sa détention préventive, se plaint d’une situation continue devant être considérée comme un tout et non pas être compartimentée de la façon proposée par le Gouvernement. L’adoption de la thèse de ce dernier entraînerait du reste, de l’avis des Délégués, une grave atteinte à l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3); elle inciterait les détenus à ne pas saisir la Commission avant d’avoir subi une longue détention préventive. Les Délégués ont souligné aussi qu’elle pourrait conduire à des résultats moins favorables pour l’État défendeur dans l’hypothèse où le détenu a recouvré sa liberté grâce à une demande d’élargissement postérieure au dépôt de sa requête. Les Délégués ont conclu qu’une fois la requête déclarée recevable, et l’article 26 (art. 26) de la Convention ayant été respecté au stade de l’examen de la recevabilité, la Commission et la Cour ont compétence pour juger du caractère raisonnable de la durée de la détention litigieuse, sans que cette compétence se heurte à une limite quelconque dans le temps. Les Délégués ont répondu enfin aux arguments que le Gouvernement a tirés du fait que le requérant avait été condamné le 28 mai 1963 par le Tribunal pénal régional de Vienne à l’issue d’une première procédure pénale engagée contre lui (dossier 2 b Vr 5328/59; voir plus loin, paragraphe 10). D’après eux, l’instance qui s’est déroulée devant la Commission concernait exclusivement la deuxième procédure (dossier 26 d Vr 1105/59); le rapport du 9 février 1967 le montrerait clairement. Il serait en outre évident que les décisions prises par les tribunaux autrichiens, entre 1961 et 1963, quant à la détention du requérant, avaient trait à ces mêmes poursuites. Les Délégués ont relevé d’autre part que dans le cadre des premières poursuites, le premier jugement du Tribunal pénal régional de Vienne fut rendu en juin 1960, soit plus d’un an avant l’arrestation et la mise en détention du requérant au titre de la deuxième procédure. Il en résulterait que la première procédure n’entre pas en ligne de compte pour la solution du problème dont la Cour se trouve saisie en l’espèce. À l’audience du 10 février 1969, la Commission a prié la Cour: "de décider si l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3), de la Convention a été violé ou non du fait de la détention d’Ernst Stögmüller depuis le 25 août 1961 jusqu’au 26 août 1963." Dans sa requête du 12 juin 1967, le Gouvernement avait exprimé l’opinion que le rapport de la Commission se fondait sur un raisonnement juridique erroné, un établissement incorrect des faits de la cause et une appréciation inexacte des éléments de preuve. Le mémoire du 6 décembre 1967 a développé cette thèse en détail. Le Gouvernement y a invoqué des arguments assez voisins de ceux qu’il avait avancés dans l’affaire Neumeister (voir les pages 29 à 34, paragraphes 18 à 27, de l’arrêt du 27 juin 1968). Il a notamment élevé des objections de principe contre la méthode des critères, contre son application à l’analyse des faits et contre le critère no 1; il a aussi contesté la manière dont la Commission avait utilisé en l’espèce les critères no 2, 4 et 6. Lors des audiences des 10 et 11 février 1969, les représentants du Gouvernement ont basé une partie de leurs plaidoiries sur les arrêts rendus entre-temps par la Cour dans les affaires Wemhoff et Neumeister. D’après eux, les motifs qui ont entraîné le rejet des deux premières demandes de mise en liberté provisoire du requérant étaient concluants et convaincants: si l’absence de danger de fuite a été reconnue par la Cour d’Appel dès le 10 novembre 1961, le danger de répétition des infractions n’aurait jamais disparu pendant la détention litigieuse; les décisions en ce sens des juridictions autrichiennes en auraient trouvé une confirmation dans le jugement de condamnation du 9 mai 1968 établissant que des infractions avaient été commises après le premier élargissement. Même pendant sa détention préventive, le requérant aurait réclamé le paiement de créances issues de son activité commerciale, donnant ainsi à penser qu’il n’était pas encore disposé à renoncer à celle-ci. Le danger de répétition des infractions aurait cependant perdu peu à peu sa force grâce, notamment, aux progrès de l’instruction et au changement de profession du requérant. En revanche, la vente de la société n’aurait eu guère d’importance à cet égard: le requérant, qui n’avait jamais obtenu la concession indispensable pour jouer le rôle d’intermédiaire pour des opérations de crédit, aurait pu reprendre son activité commerciale à tout moment. D’autre part, pendant que le danger de répétition des infractions diminuait progressivement, le danger de fuite aurait réapparu vu la gravité de la peine probable et le fait que le requérant envisageait d’exercer la profession de pilote au Royaume-Uni, État qui n’a pas conclu de traité d’extradition avec l’Autriche. Toutefois, les autorités auraient conjuré ce danger en acceptant la garantie offerte par le requérant. Le Gouvernement considère que la méthode définie par la Cour dans les deux arrêts du 27 juin 1968 (voir, par exemple, le paragraphe 5 de la partie "En Droit" de l’arrêt concernant l’affaire Neumeister) conduit forcément à soumettre à l’examen de la Cour le bien-fondé de la dernière décision interne relative au maintien en détention. Or, pareil résultat serait contraire à la Convention et à la jurisprudence de la Commission et de la Cour. Ladite méthode risquerait en outre d’effacer la nette distinction que l’on doit, selon le Gouvernement, observer entre le paragraphe 1 (c) et le paragraphe 3 de l’article 5 (art. 5-1-c, art. 5-3). Seule serait en cause la durée de la détention, et non pas la détention en tant que telle. La question de savoir si les conditions de mise en détention préventive se trouvaient réunies ne revêtirait donc pas, en l’occurrence, l’importance que la Cour lui aurait attribuée dans l’arrêt Neumeister. Se référant au paragraphe 10 des motifs de l’arrêt Wemhoff, les représentants du Gouvernement ont déclaré approuver la manière dont la Cour interprète la notion de délai raisonnable. D’après eux, en effet, il faut faire la part de toutes les circonstances qui ont influé sur la durée de la détention: difficultés objectives de l’instruction eu égard, notamment, au principe de la recherche de la matérialité des faits, comportement subjectif du requérant, etc... Il s’agirait en somme de rechercher si un organe de l’État autrichien a retardé la procédure, faute de quoi le Gouvernement estime qu’on ne saurait l’accuser d’avoir manqué aux exigences du paragraphe 3 de l’article 5 (art. 5-3). Dans cet ordre d’idées, le Gouvernement a beaucoup insisté sur les difficultés exceptionnelles auxquelles l’instruction préparatoire se serait heurtée en raison, notamment, de l’ampleur des tractations incriminées, de la complexité des faits, de l’habileté du requérant et du nombre des témoins. Il a signalé en outre que les autorités compétentes, soucieuses d’accélérer la marche de la procédure dans la mesure du possible, avaient ordonné la disjonction de certaines poursuites et dispensé le Juge Leonhard de l’obligation de s’occuper d’affaires nouvelles pendant une série de périodes s’échelonnant entre le 1er juin 1959 et le 30 septembre 1963 et totalisant vingt-cinq mois environ. Ce dernier renseignement n’avait pas été communiqué à la Commission mais les représentants du Gouvernement ont estimé juste et nécessaire de le fournir à la Cour; l’interdiction de présenter des moyens nouveaux (Neuerungsverbot) n’existerait d’ailleurs pas devant celle-ci. Sans doute le Juge Leonhard a-t-il dû s’occuper simultanément de l’affaire Stögmüller et de l’affaire Rafael, Neumeister et consorts; il a cependant déclaré devant la Sous-commission que seule la durée de l’instruction, et non celle de la détention préventive du requérant, s’en était trouvée prolongée. Du reste, la Commission n’a constaté dans son rapport aucune faute imputable aux autorités judiciaires autrichiennes; elle aurait ainsi donné à penser que la présente affaire - comme d’ailleurs l’affaire Neumeister - concerne moins un cas d’espèce que le système autrichien d’instruction. A la différence des autorités, le requérant aurait systématiquement cherché à ralentir et compliquer l’instruction. Sa tactique dilatoire se serait manifestée en particulier par une foule de demandes et de recours - dont des demandes de récusation et de transfert - et par des plaintes pour faux témoignages portées contre des témoins à charge. Elle ressortirait à l’évidence de la lettre adressée par Stögmüller à son avocat le 5 février 1963. Au demeurant, le fait que la procédure n’ait pu se terminer plus tôt n’aurait causé aucun préjudice au requérant: celui-ci a bénéficié de l’imputation de la durée de sa détention sur celle de sa peine; de plus, le Tribunal a usé en sa faveur du "droit extraordinaire d’atténuation" (article 265 (a) du Code de procédure pénale), et ce précisément pour le motif qu’un délai assez long s’était écoulé depuis la date des infractions. Pour trancher le problème qui se pose en l’espèce, il faut aussi tenir compte, selon le Gouvernement, de la première procédure pénale engagée contre le requérant. Cette procédure, qui s’est achevée le 28 mai 1963 par un jugement du Tribunal pénal régional de Vienne (dossier 2 b Vr 5328/59), formerait avec la seconde (dossier 26 d Vr 1105/59), un tout indissociable. En effet, les deux procédures auraient porté sur des infractions de même nature, liées entre elles et soumises au même tribunal; en outre, toutes les conditions légales (article 56 du Code de procédure pénale) se seraient trouvées remplies pour une réunion des deux procédures, tant à l’époque du prononcé du jugement que durant la détention préventive. D’après le Gouvernement, le jugement du 28 mai 1963 doit être considéré comme un jugement (Aburteilung) au sens de l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3), de la Convention. Il constituerait en quelque sorte un jugement partiel ou un premier jugement. Quant au jugement du 9 mai 1968, il représenterait un simple jugement complémentaire de celui du 28 mai 1963 auquel il se réfère expressément (cf. l’article 265 du Code de procédure pénale). Le Gouvernement a ajouté que si la Cour faisait abstraction du premier jugement, il pourrait en résulter de graves inconvénients: il a rappelé que quand on reproche à un inculpé un très grand nombre d’actes, l’accusation commence souvent, surtout dans les pays de droit non européen, par en disjoindre quelques-uns pour les soumettre au tribunal compétent; or il lui semble que cette pratique, entièrement conforme à la Convention, devrait être abandonnée si la Cour ne voyait pas dans le jugement du 28 mai 1963 une véritable décision judiciaire au sens de l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3). En réponse aux arguments des Délégués de la Commission, les représentants du Gouvernement ont souligné que si la première procédure pénale n’a donné lieu à aucune requête de Stögmüller contre la République d’Autriche, elle n’en a pas moins joué un certain rôle devant la Commission: le rapport la mentionne dans l’une de ses annexes, et une question la concernant a été posée aux parties par la Présidente de la Sous-commission. Sans doute un jugement a-t-il été rendu dès le 15 juin 1960 dans le cadre de ladite procédure, mais la Cour suprême l’a cassé le 31 janvier 1961; seul donc entrerait en ligne de compte le jugement du 28 mai 1963. Le Gouvernement en a conclu que la durée de détention à examiner en l’espèce, durée dont il faut à son avis retrancher près de six mois en raison des retards provoqués par les demandes en récusation de Stögmüller, se trouve réduite de trois mois supplémentaires. Dans son mémoire du 6 décembre 1967, le Gouvernement avait d’autre part reproché à la Commission d’avoir pris en considération la période postérieure au dépôt de la requête (1er août 1962 - 26 août 1963): selon lui, la Commission ne peut connaître que des faits dont elle est saisie au moyen d’une requête présentée en vertu de l’article 24 (art. 24) ou de l’article 25 (art. 25), et une requête ne saurait concerner, en bonne logique, que des événements antérieurs à son introduction. La Cour a écarté, par un arrêt du 27 juin 1968, une thèse semblable que le même Gouvernement avait défendue dans l’affaire Neumeister (voir les pages 30 et 38 de l’arrêt). Le Gouvernement n’en a pas moins confirmé sa position les 10 et 11 février 1969. A ses yeux, l’instance pendante devant la Cour porte exclusivement sur la période comprise entre le 25 août 1961 et le 1er août 1962. En sus des articles 24 et 25 (art. 24, art. 25), le Gouvernement a invoqué avec force l’article 26 (art. 26) de la Convention. Il a précisé à ce sujet que la décision de la Commission sur la recevabilité ne saurait être infaillible et que la Cour a compétence, aux termes des articles 19 et 45 (art. 19, art. 45) de la Convention, pour rechercher si l’État défendeur a été mis en cause à bon droit et si la requête était recevable. Selon le Gouvernement, on arriverait à un résultat contraire à l’article 26 (art. 26) si l’on adoptait la thèse d’après laquelle une requête alléguant la violation de l’article 5, paragraphe 3 (art. 5-3), vise une situation et non un acte isolé (paragraphe 7 des motifs de l’arrêt Neumeister): il suffirait à un individu d’avoir exercé des recours internes aussitôt après le début de sa détention préventive pour pouvoir contester la durée totale de celle-ci en s’adressant à la Commission; on empêcherait ainsi l’État défendeur de remédier, par ses propres moyens et dans le cadre de son ordre juridique interne, à une violation supposée qui a très bien pu ne naître qu’après le dépôt de la requête. Aux yeux du Gouvernement, pareille conséquence contredirait un principe du droit international coutumier, principe que l’article 26 (art. 26) se borne à consacrer. Le point de départ du raisonnement de la Cour ne serait d’ailleurs nullement à l’abri de la discussion. En effet, la requête ne se dirigeait point contre la détention en tant que telle, mais contre la durée d’une détention conforme, en elle-même, aux exigences de la Convention. Dès lors, l’élément temporel revêtirait une importance cruciale pour la détermination de l’objet du litige, lequel consisterait moins en une situation qu’en un fait précis: la durée d’une détention régulière au regard de l’article 5, paragraphe 1 (c) (art. 5-1-c). Se référant notamment à la décision du 18 juillet 1968 sur la recevabilité de la requête no 2614/65 (Ringeisen contre République d’Autriche), le Gouvernement a exprimé les inquiétudes que lui inspire la manière dont la Commission interprète l’article 26 (art. 26): dépourvue de tout formalisme et fort libre, cette interprétation ne correspondrait pas à l’intention des États contractants. Quant à sa propre conception, le Gouvernement ne croit pas qu’elle entraîne la nécessité, pour un individu soucieux de sauvegarder ses droits, d’introduire une série de requêtes successives. D’après lui, la personne lésée doit saisir la Commission lorsqu’elle estime être restée trop longtemps en détention: la requête aboutira si tel est effectivement le cas; sinon, il faudra la rejeter car son auteur se sera plaint d’une violation qui n’existait pas encore. Le Gouvernement concède qu’il n’a peut-être pas invoqué devant la Commission l’objection tirée de l’article 26 (art. 26). Il s’estime cependant en droit de la soulever auprès de la Cour: ni l’interdiction de présenter des moyens nouveaux (Neuerungsverbot), ni l’obligation d’énoncer certains moyens in limine litis (Eventualmaxime) ne lui paraissent jouer en l’occurrence. De l’avis du Gouvernement, la Cour devrait préciser, si elle constatait malgré toute une violation du paragraphe 3 de l’article 5 (art. 5-3), à quel moment cette violation a commencé. Comme nul ne conteste la régularité de l’arrestation initiale de Stögmüller (paragraphe 1 (c) de l’article 5) (art. 5-1-c), pareille conclusion impliquerait en effet, d’après le Gouvernement, que la détention litigieuse était, à l’origine, compatible avec le paragraphe 3 (art. 5-3). Or, il importerait beaucoup au Gouvernement de savoir - le cas échéant - pendant combien de temps la durée de ladite détention est restée raisonnable. Dans son mémoire du 6 décembre 1967, le Gouvernement a présenté les conclusions suivantes, qu’il a confirmées à l’audience du 10 février 1969: "Plaise à la Cour de dire que la durée de la détention préventive, qui fait l’objet de la requête introduite par Ernst Stögmüller contre la République d’Autriche, ainsi que du rapport établi par la Commission européenne des Droits de l’Homme le 9 février 1967, conformément à l’article 31 (art. 31) de la Convention européenne des Droits de l’Homme, n’est pas en opposition avec les obligations découlant de ladite Convention."(...TRUNCATED)
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