id
stringlengths
18
25
text
stringlengths
3.75k
78.6k
reference-summary
stringlengths
202
4.45k
source
stringlengths
33
79
termith-1-archeologie
Le gisement de Regourdou (et non du Regourdou, Maureille et al. 2001) se situe sur la commune de Montignac en Dordogne (France). Il est localisé au sommet d'une colline, en rive gauche de la Vézère, où se trouve, un peu plus à l'Est, la grotte de Lascaux (fig. 1). Son altitude est de 205 m (la rivière, dans le village de Montignac, est à 60 m) et ses coordonnées ED50 sont 01°10'42,7” de longitude Est et 45°03'19,6” de latitude Nord. Le site, se traduisant actuellement par une vaste dépression de 23 m de long, 11 m de large et 4 m de profondeur au nord pour 6,7 m à l'aplomb du milieu de la paroi ouest (à proximité de la zone de la découverte de la sépulture; Harielle 1985), correspond à une ancienne cavité karstique dont le plafond et une partie des parois s'étaient presque totalement effondrés sur le remplissage sédimentaire. D'énormes blocs calcaires ont en effet été enlevés en 1960 lors de travaux réalisés sous la direction de l'un de nous (E. B.) pour accéder, sans danger, aux principaux faciès sédimentaires livrant du matériel archéologique et entreprendre la fouille d'une partie du gisement. Notons que cette dépression montre deux prolongements karstiques principaux vers le sud-sud-ouest sous la forme de galeries d'une vingtaine de mètres et deux autres plus discrets vers le nord-nord-ouest qui se dirigent vers le flanc de la colline regardant la vallée de la Vézère (Harielle 1985). Regourdou est un site mondialement connu qui se caractérise par plusieurs aspects. Il est un des rares gisements moustériens ayant livré les vestiges d'un squelette néandertalien assez bien conservé (mais sans calvarium) dans la couche 4, et plus précisément le “tumulus iv A” (Piveteau 1959, 1963; Bonifay et Vandermeersch 1962a, 1962b; Bonifay E. 1965a, 1965b; Bonifay E. 2002; Bonifay et al. 2007; Couture 2008) (fig.2). Une majorité de scientifiques s'accorde pour reconnaître la présence d'une sépulture moustérienne intentionnelle (par exemple Bonifay E. 1962; Leroi-Gourhan 1964; Otte 1993; Maureille et Vandermeersch 2007; Maureille et Tillier 2008). En fonction des vestiges fauniques mis au jour au sein du même faciès que celui livrant les restes humains (Bonifay E. 1965b; Bonifay M.F. 1989, 2008; Delpech 1996; Simard 1968) ce dernier se serait formé dans un environnement de type continental, peu humide et avec de forts écarts de température. Des tentatives de datations absolues sur dents animales ont échoué (Bonifay 2008). Regourdou se caractérise aussi par la présence de nombreux ours bruns appartenant à une population de petite taille (Bonifay M.F. 1989, 2008). L'origine de l'accumulation de ces vestiges d'ours bruns est en cours d'étude (Bonifay ibid ;Cavanhié 2007). (Photo Bernard Dupuy, collections MAAP, © Ville de Périgueux). (Picture Bernard Dupuy, MAAP collections, © Ville de Périgueux). En fonction de nos connaissances actuelles, la sépulture de Regourdou 1 pourrait être un des plus vieux, si ce n'est le plus vieux, dépôts funéraires moustériens d'Europe (Maureille et Vandermeersch ibid.; Turq et al. 2008). Toutefois, il convient d' être prudent, certaines sépultures néandertaliennes pouvant être rajeunies (Semal et al. 2009), y compris celle de Regourdou (Bonifay E. 2008). Selon A. Turq (comm. pers.), la couche 4 livre des vestiges lithiques attribuables à un Moustérien à débitage discoïde spécialisé dans la production de pointes pseudo-Levallois. La présence de racloirs à retouche scalariforme a pu faire penser à un Moustérien de type Quina (Bonifay E. 1965b) mais l'absence de débitage caractéristique de ce faciès (Bourguignon 1997; Turq 2000) interdit cette attribution (Bonifay E. 1965, 2002). L'absence, dans les collections que ce dernier a pu examiner, de micro-produits de débitage, est à souligner. Selon l'un de nous (E. B.), la cavité de Regourdou n'aurait jamais été un habitat en raison de la pauvreté des collections lithiques (Bonifay E. 2002) et des difficultés d'accès. Après avoir rappelé les circonstances particulières de la découverte des vestiges osseux de Regourdou 1 (Bonifay et al. 2007; Couture 2008), actuellement conservés dans les collections du Musée d'Art et d'Archéologie du Périgord (MAAP, Périgueux) et une partie de l'historiographie des fouilles programmées qui suivirent, nous présenterons les modalités des découvertes des nouveaux restes humains appartenant à ce même squelette. Puis, nous fournirons un inventaire de ces nouvelles pièces qui le complètent de façon significative, en particulier pour ce qui concerne les membres inférieurs. Notons que, lors de la rédaction de cette contribution, nous n'excluons pas la possibilité de trouver de nouveaux vestiges humains ou des fragments complétant certaines pièces que nous connaissons déjà. Enfin, rappelons qu'un talus d'un second individu adulte, Regourdou 2, a aussi été mis au jour dans ce gisement (Vandermeersch et Trinkaus 1995) dans une zone distincte de celle ayant livré la sépulture. C'est en mars 1954 que Roger Constant commença à dégager les sédiments colmatant entièrement un « puits », situé à proximité de la paroi nord-ouest de la dépression et à quelques mètres devant la porte d'entrée de sa maison. Selon l'un de nous (E. B.) ce puits aurait été, durant le Paléolithique moyen, le seul accès à une grotte (Bonifay et al. 2007). Après avoir dégagé cette cheminée karstique irrégulière, de 1,5 à 2,5 m de largeur, sur 5 à 6 mètres de profondeur, R. Constant creusa une galerie dans le remplissage et contre la paroi ouest de la grotte. Il suivait un niveau noirâtre, sableux et charbonneux, livrant des vestiges lithiques moustériens et des ossements de faune. C'est cette couche, la n° 4 selon la stratigraphie publiée du site (Bonifay E. 1965 a et b) qui livra, dans la nuit du 22 au 23 septembre 1957, les restes humains d'un jeune adulte néandertalien. Les circonstances exactes de cette découverte n'ont pas été établies avec certitude et semblent, pour partie, inaccessibles actuellement. Auraient été alors (au moins) présents lors de la découverte monsieur Vidal (du Moustier), monsieur et madame Antonietti, de Neuchâtel, messieurs Sautier (du Fonjal) et Salviat (du Moustier). Selon un document manuscrit de Fr. Bordes en date du 7 octobre 1957 (archives du Service régional de l'Archéologie d'Aquitaine), R. Constant aurait reçu, en 1956, l'autorisation de Fr. Bordes pour mener des fouilles dans le gisement (Roussot 2003). Mais selon l'un de nous (E. B.) la découverte aurait eu lieu en l'absence du propriétaire des lieux qui s'était retiré dans sa maison pour se reposer alors que les personnes travaillaient dans la cavité à la recherche de matériel archéologique (Bonifay et al. 2007). R. Constant constata la découverte de restes humains le matin du 23 septembre et en informa Fr. Bordes le jour même par lettre. Ce dernier était alors Directeur régional des Antiquités Préhistoriques de la circonscription de Bordeaux. Il se rendit sur le site en compagnie de l'un de nous (E. B.) le 25 septembre pour constater la découverte et prendre les dispositions qui s'imposaient (Bonifay et al. 2007). En fonction des circonstances très particulières de la découverte et des particularités du gisement, le tout ayant mis ou pouvant mettre en danger les restes humains encore en place, M. Prechet, Directeur général de l'Architecture décida d'interrompre les travaux menés par R. Constant et d'empêcher toute intrusion dans le gisement. Puis, sous la direction de Fr. Bordes, il fit pratiquer une fouille de sauvetage urgent (du 2 au 5 octobre inclus) qui fut confiée à E. Bonifay (avec l'aide partielle de G.Laplace le vendredi 4 octobre après-midi), en présence de M. Sarradet, alors Conservateur régional des Bâtiments de France à Périgueux et de certains représentants de R. Constant. L'objectif était de prélever les restes humains apparents et directement menacés en cas d'effondrement de la galerie (celle -ci étant en partie creusée dans des sédiments sableux recouverts par des blocs et blocailles calcaires). Cela nécessita l'intervention d'une entreprise spécialisée pour boiser cette galerie et l'édification d'un coffrage pour protéger la zone de la sépulture. L'effondrement se produisit néanmoins dès la fin de cette opération; après l'enlèvement des blocs et du sédiment effondré, un constat d'huissier fut dressé pour certifier que les ossements humains n'avaient pas souffert de cet accident (vendredi 4 octobre, à 10 heures 40 précisément). La fouille de sauvetage eut donc lieu du 2 octobre au 5 octobre 1957 en fin d'après-midi dans des circonstances très difficiles. Durant les quatre jours de la fouille, plusieurs tâches furent remplies : « nettoyer » la galerie par l'enlèvement des « déblais Constant » qui furent mis en dépôt afin d' être, par la suite, tamisés (en particulier pour la recherche de restes humains), prélever le matériel archéologique (ossements humains et animaux, industrie lithique) et le préparer pour le remettre pour étude aux spécialistes (ossements humains) ou à R. Constant. Nous tenons à souligner que des blocs rocheux numérotés - en particulier ceux provenant de la sépulture de la couche 4 - avaient été laissés en dépôt dans la maison de R. Constant. Ils sont actuellement introuvables. après cette fouille, certes limitée, reconstruire un solide coffrage pour protéger la zone dans l'attente de la reprise de la fouille. Puis, par décision administrative, un bâtiment sommaire fut construit sur l'entrée de la fouille avec apposition de scellés pour en interdire tout accès. Soulignons que pendant cette fouille de sauvetage, Fr. Bordes rédigea comme il se doit un « journal de fouille ». Il dressa aussi un plan sommaire portant l'emplacement du matériel numéroté. Une liste était associée à ce plan indiquant le numéro de l'objet et sa nature. Après le décès de Fr. Bordes, son épouse D. de Sonneville-Bordes remit à l'un de nous (E. B.) ce journal et ce plan qui sont toujours inédits. Malheureusement, la liste qui accompagnait ces documents n'a pas été retrouvée ou a disparu, ce qui nous prive de la possibilité de localiser une partie des pièces inventoriées (23 vestiges humains sur 63 objets numérotés). Au moment même de cette fouille “de sauvetage ”, les objets recueillis étaient marqués au crayon par Fr. Bordes (numéro correspondant à la liste) et enveloppés dans un papier. La fouille proprement dite eut lieu de 1960 à 1964. La campagne de 1960 a eu pour objectif l'enlèvement du toit rocheux de la grotte, complètement effondré sur le remplissage qui colmatait la cavité. Puis, annuellement, deux campagnes de fouilles de un à deux mois chacune furent réalisées sous la responsabilité de l'un de nous (E. B.) avec l'aide de deux d'entre nous (M.-F. B. et B. V.). M.-F. B. assurait le tri, le nettoyage et le marquage des objets extraits du gisement. Son attention s'est particulièrement portée sur les vestiges les plus complets pouvant lui servir dans le cadre de son analyse paléontologique. Réalisée dans des conditions très difficiles, dans une ambiance psychologique assez éprouvante (la campagne prévue en 1966 a du être reportée et n'a finalement jamais été réalisée, cf. Bonifay et al., 2007), la fouille de ce site n'a jamais été terminée mais elle a été menée avec les méthodes en usage à l'époque : décapage de grandes surfaces, relevés stratigraphiques, photographies, repérage des objets par coordonnées cartésiennes (un inventaire par carré, comme cela se faisait à cette époque, comportant : le numéro dans le carré, les coordonnées, la couche, la nature de l'objet, la nature du sédiment encaissant), relevé sur plan des blocs rocheux, tamisage des sédiments, journal de fouille. Notons que le système d'inventaire des objets par carré a aussi nécessité la création d'un autre listing, global à tout le gisement, avec, pour chaque objet, un nouveau numéro dit “d'inventaire général ”, le carré, le numéro dans le carré (dit « numéro de fouille »), la nature de l'objet, la couche, éventuellement la structure dans laquelle a été découvert l'objet, la nature du sédiment encaissant, le lieu de dépôt… Le numéro d'inventaire général n'a pas toujours été porté sur les objets, sauf pour les 63 premiers d'entre eux (donc ceux de la fouille de sauvetage 1957). Durant les quatre années de fouilles (1961-1964), une cinquantaine de mètres carrés ont été fouillés, sur une profondeur très variable, allant de 0,5 à 4 ou 5 mètres. Près de 4.600 objets ont été recueillis, coordonnés et inventoriés. De nombreux visiteurs, dont certains préhistoriens français et étrangers, ont visité le chantier. Rappelons que la stratigraphie a été décrite dans diverses publications (Bonifay E. 1962, 1965a et b, 2002, Bonifay et Vandermeersch, 1962, Bonifay et al., 2007). Nous avons déjà souligné que la sépulture humaine se trouvait dans la couche 4 qui fait partie de l'ensemble inférieur du remplissage sédimentaire que l'on rapporte à la première moitié de la dernière glaciation (Bonifay et al., 2007; Bonifay E. 2008). Selon l'un de nous (E. B.), il en serait de même pour le calcaneus Regourdou 2. Le matériel provenant de la fouille a eu principalement deux destinations : les ossements humains ont été remis à H.-V. Vallois (pour le corps et le manubrium du sternum) et à J. Piveteau pour le reste du squelette (Piveteau 1963, 1964, 1966; Vallois 1965; Vallois et de Félice 1976), le reste du matériel archéologique (faune, lithique) a été laissé chez R. Constant avant d' être transféré pour étude dans différents laboratoires. Ainsi, les ossements humains ont subi quelques déplacements puisqu'ils seraient allés de la Faculté des Sciences de Paris au Muséum National d'Histoire Naturelle puis au gisement de Regourdou (rappelons que J. Piveteau a ramené à R. Constant la mandibule humaine dès le 9 juillet 1962). Mais ce dernier les confia en mai 1978 (pour une raison que nous n'avons déterminée) au Musée de l'Homme (certaines pièces étaient aussi au Laboratoire d'Anthropologie de l'Université Bordeaux 1) avant d' être acquis par le MAAP en décembre 1984 (Fr. Soubeyran, discours du 15 septembre 2007). Au cours de ces nombreux déplacements et séjours, les ossements ont parfois été manipulés sans précaution. Ainsi, par exemple, l'axis a été détérioré lors d'une opération de moulage, son état actuel ne correspondant plus à celui décrit et photographié par J. Piveteau en 1966. Sur certaines pièces du squelette de Regourdou 1, présentées dans la salle d'exposition permanente du MAAP, un marquage à l'encre de chine est lisible. Nous avons inventorié 98 vestiges osseux (fig. 2) dont 74 sont marqués, soit 75 %. Au total, 55 pièces le sont avec une identification correspondant aux fouilles de 1957 mais seulement 22 ont un n° d'inventaire. Toutes les pièces mises au jour en 1957 n'ont donc pas été marquées, de plus les marquages sont parfois incomplets car sans numéro. Ainsi, par exemple, la mandibule de Regourdou 1 n'a aucun marquage : on sait cependant qu'elle correspond au n° 31 de l'inventaire. Mais le problème est un peu plus complexe puisque certaines pièces peuvent avoir le même numéro. Par exemple une côte, une vertèbre et un os de la main ont tous le n° 32. De plus, quelques objets ont aussi une double numérotation : par exemple, une phalange proximale de la main est inventoriée “Reg 1957 G Sep 35 Reg 18 “ce qui signifie peut-être n° 35 de la sépulture et n° 18 de la collection Regourdou, mais le n° 35 est également attribué à une vertèbre cervicale. Enfin il existe des marquages avec des mentions à des repères disparus depuis. Par exemple, sur le deuxième métacarpien gauche on peut lire “Reg Sep 1957 sur le bloc où était la p. (pour « partie » ?) droite de la Md “. Sur une côte droite nous lisons “Regourdou, sp. 1957, 58 par % axe, 32 du poteau “. Naturellement, nous n'oublions pas que certains marquages ont pu être effacés par exemple lors d'opérations de moulage ou de trop nombreuses manipulations. C'est peut-être le cas pour le sacrum qui mériterait d' être restauré. L'inventaire précis des pièces avec la mention du marquage encore accessible est fourni dans le tableau 1. Nous remarquons aussi que 19 éléments osseux ont un marquage et une numérotation liés aux fouilles 1961-1964 et que l'absence de n° d'inventaire sur les vestiges humains, toutes fouilles confondues, concerne 24 % de la collection. Les travaux de récolement des collections des musées de France, régis par l'article L. 451-2 du Code du Patrimoine, sont mis en œuvre selon un plan décennal programmé entre 2004 et 2014. Ainsi, le personnel scientifique et technique du Musée national de Préhistoire (MNP) est amené à passer en revue la totalité du matériel, inventorié ou non, présent dans ses collections. Certaines d'entre -elles, acquises récemment, n'ont pas encore fait l'objet d'un inventaire. Le récolement entrepris est donc l'occasion de mettre à jour ce travail, certes fastidieux, mais nécessaire. C'est dans ces circonstances que l'un d'entre nous (S.M.), chargé des collections fauniques au Musée national de Préhistoire, a débuté le récolement des ossements animaux du site de Regourdou en mai 2008. Ceux -ci proviennent en totalité de la collection acquise en 2002 et auparavant conservée à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l'Homme d'Aix-en-Provence sous l'autorité scientifique de deux d'entre -nous (E. B. & M.-Fr. B.). La majorité de ces vestiges correspond à des restes d'ours étudiés par M.-Fr. Bonifay (Bonifay M.F 1989, 2008). Le complément est composé essentiellement de lagomorphes et de rongeurs plus quelques carnivores et herbivores beaucoup plus rares. Mais une partie du matériel fouillé est restée sur le site même, soit pour présentation en vitrines (principalement des échantillons d'ours et d'herbivores), soit stockée. Il s'y trouve entre autres tout ou partie des herbivores étudiés par Fr. Delpech (Delpech 1996). Soulignons qu'une thèse est actuellement en cours par l'un de nous (N.C.) sur l'ensemble des ossements de carnivores et d'herbivores du site. C'est donc en faisant le décompte et quelques tentatives de déterminations de pièces posant problème que S.M. a découvert en premier lieu le 21 mai 2008 une diaphyse fémorale droite dont la surface présente des atteintes pathologiques (hématomes calcifiés ?), taphonomiques (enlèvements et écrasements de matière, écaillures, rognages) et dont la restauration nuisait à sa reconnaissance taxinomique. Une fois exclues les éventuelles appartenances à l'Ours (brun, voire l'Ours des cavernes) et au Lion des cavernes (également présent sur le site), l'étude comparative assura à S.M. sa présomption : cette diaphyse fémorale est humaine, et, en fonction de ses caractères anatomiques, plutôt néandertalienne que moderne. Cette première détermination fut rapidement confirmée par B.M. d'autant qu'au fur et à mesure de l'avancée du récolement, et en redoublant de vigilance quant à la présence potentielle d'autres restes humains, une extrémité distale de tibia gauche fut isolée (dans la seconde quinzaine de mai), puis une patella droite le 30 mai en présence de B.M. L'étude comparative de cette pièce avec un moulage de la patella gauche, associée au squelette de Regourdou 1, mit en évidence leur symétrie. Quelques mois plus tard, le 15 octobre 2008 précisément, de nombreux ossements fragmentaires provenant d'un carton marqué « Faune sep.1957 » furent examinés de plus près et livrèrent à B.M. et S.M. une partie non négligeable de deux coxaux humains : six fragments appartenant au droit, trois au gauche, accompagnés d'une tubérosité ischiatique gauche non jointive. D'autres fragments présents dans ce carton pourront éventuellement encore recoller à ces coxaux (étant donné les cassures fraîches). A nouveau, on peut noter que ce fragment de tubérosité ischiatique est le symétrique de celui conservé dans les collections du MAAP avec le squelette de Regourdou 1. Le même jour, un autre portoir contenant des os qui n'avaient pas dû être triés et où se trouvaient regroupés plusieurs taxons mélangés (la plupart des vestiges étant indéterminables), livra à B.M. une tête de fémur humain droit, érodée et probablement rongée, ainsi qu'un fragment d'arc postérieur de vertèbre lombaire, alors que S.M. trouvait les deux tiers distaux d'une fibula gauche. Le 23 octobre, B.M. découvrit dans le carton marqué “Faune sep. 1957” un hamatum gauche humain, le symétrique de celui déjà connu, et des fragments de côtes probablement humaines (détermination en cours). Au début du mois de novembre, parmi des fragments de petites dimensions, S.M. isola une phalange moyenne de la main très proche de celle inventoriée “Reg 1957 Sep.D ”, une phalange moyenne du 5 ème rayon droit, et associée au squelette de Regourdou 1 dans les collections du MAAP. Ces découvertes revêtant une importance évidente, J.-J. Cleyet-Merle, directeur du Musée national de Préhistoire, décida la réunion d'une commission d'expertise mêlant anthropologues et paléontologues (tous les auteurs de cette contribution sauf N.C.) à laquelle assista aussi partiellement le Pr. M.-D. Garralda (Universidad Complutense de Madrid). Elle eut lieu le 1er décembre 2008 afin de discuter la diagnose anatomique et taxinomique de ces pièces et leur éventuelle appartenance à la sépulture de Regourdou 1. Cette commission confirma toutes les identifications réalisées par S.M. et B.M. Elle ne rejeta qu'un fragment de grande aile iliaque d'un coxal droit (provenant du carton “Faune sep. 1957 ”) qui avait été identifié comme celui d'un très grand ours brun mais qui méritait une attention très particulière tant la similitude avec la partie supérieure d'une aile iliaque humaine était forte. Cette analyse était d'autant plus légitime qu'un autre fragment d'aile iliaque de coxal (D3 15), mais peut-être gauche, devra être réexaminé tant il est difficile de proposer une hypothèse quant à son statut taxinomique même si l'organisation de son os spongieux, particulièrement dense avec des alvéoles très petites, ne semble pas plaider pour un fragment du bassin de Regourdou 1. Elle ne sera pas présentée dans les lignes qui suivent. Enfin, plus récemment, le 17 février 2009, deux d'entre nous (N.C. et S.M.) isolèrent, dans un portoir livrant essentiellement des vestiges indéterminés d'herbivores et de carnivores, un naviculaire droit humain consolidé et en très bon état de conservation. Photo et montage Philippe Jugie, collections et © MNP. Picture and realization Philippe Jugie, collections and © MNP. Il ressort de ce qui précède que les nouveaux ossements humains découverts pourraient provenir de plusieurs apports différents : des ossements récoltés par R. Constant avant septembre 1957. Le propriétaire du site les conservait chez lui, dans des cartons, en vrac, sans aucun inventaire. Cela représente des centaines d'objets. D'ailleurs, une partie de ceux -ci avait été déposée dans les vitrines du « musée de site » de Regourdou, parfois avec des faux (surtout pour le lithique), d'objets provenant d'autres gisements, ou des moulages de pièces originales de la collection de Regourdou. R. Constant écrivait parfois sur les vestiges provenant de son gisement « Regourdou » au crayon ou à l'encre, sans aucune autre mention; de la fouille de sauvetage de septembre 1957. Ces objets portaient la mention « Reg. » suivie d'un numéro compris entre 1 et 63 (ce même numéro a été conservé dans l'inventaire général et n'a pas été réutilisé). N'oublions pas que durant la nuit du 22 au 23 septembre 1957, voire peut-être auparavant, une partie de la sépulture avait été détruite, par exemple la zone où aurait pu se trouver le crâne. La mandibule, elle -même extraite de sa gangue sédimentaire, avait été cassée au niveau de l'intersection entre la base de la branche montante et le corps lors de sa découverte puis remise approximativement à sa place primitive (au moins la branche montante droite). Sur la figure 5 (Bonifay et al. 2007), il apparaît clairement que des cassures fraîches sont visibles sur un os long, probablement l'humérus droit et une vertèbre cervicale (la 3 e selon Piveteau 1966) cassée à l'extrémité de son processus épineux (cette pièce est marquée « Reg 1957 sep »); des campagnes de fouilles 1961-1964. Ces objets ont tous été marqués et portent donc les mentions du site « Reg. », du carré (une lettre et un numéro, D9 par exemple), et enfin, après un tiret, un numéro d'inventaire dans le carré de la mise au jour. M.-Fr. Bonifay, dans des conditions difficiles et sans aide, effectuait le nettoyage, le remontage et un premier tri de ce matériel tout en extrayant les ossements d'ours (Ursus arctos) les plus pertinents pour son étude (M.-F. Bonifay 1989, 2008); enfin, d'autres « récoltes » effectuées par R. Constant, puisque ce dernier aurait continué, après 1965, à fouiller illégalement dans le remplissage de la grotte et surtout au niveau de la bordure orientale de celle -ci. Ce matériel n'a jamais été observé par des spécialistes. Il est probable que ces objets n'ont jamais été inventoriés et nous ne savons pas s'ils ont été marqués. Nous n'allons pas détailler précisément ces pièces mais nous noterons certaines des caractéristiques qui nous assurent de leur appartenance soit au squelette de Regourdou 1 soit à la lignée néandertalienne. avec l'inscription sur un fragment d'aile iliaque “Regourdou sous le fémur “et inscription en partie effacée sur un fragment portant le bord supérieur de la grande échancrure ischiatique “Regourdou 1957 “. Sur le fragment de coxal droit, reconstitué (pour le moment) à partir de six fragments recollés, la cavité acétabulaire, la surface auriculaire et la grande incisure ischiatique sont assez bien conservées. On note de très nombreuses cassures fraîches et une excellente conservation de la structure trabéculaire de l'os spongieux. (pas d'inscription sur l'aile iliaque et “Reg. sous le fémur” sur la tubérosité ischiatique). Cet os est reconstitué à partir de trois fragments recollés. De même que sur l'os droit, la cavité acétabulaire est partiellement conservée. En revanche, la surface auriculaire est très bien préservée. La grande incisure ischiatique est également mieux conservée que sur le droit. A ce morceau de coxal gauche, on associe une tubérosité ischiatique gauche qui est similaire à celle connue, à droite, sur Regourdou 1. Notons enfin que ces deux os coxaux s'associent parfaitement au sacrum présent dans l'inventaire initial du squelette Regourdou 1. La diaphyse fémorale est assez bien conservée, elle est formée de deux fragments de longueur quasiment identique qui ont été collés et mal restaurés. Elle est de hauteur comparable aux autres diaphyses fémorales néandertaliennes et elle présente les courbures antéro-postérieure et médio-latérale caractéristiques des fémurs néandertaliens. Elle est de section arrondie et ne présente pas, sur sa face postérieure, le pilastre connu chez les Hommes de morphologie moderne. On souligne la présence de plusieurs hématomes calcifiés. La pièce montre aussi des traces de rognage par des carnivores et, collé à la diaphyse, du sédiment très noir avec des micro-charbons ce qui valide sa provenance de la couche 4. Sur l'épiphyse proximale du fémur droit (E2 - 69 sur la face antérieure et Reg 4B - 4050 sur la face inférieure du col) la tête est en partie présente mais très érodée sur son contour et dans sa masse, le col est bien préservé alors que la partie latérale est cassée en avant du grand trochanter, le petit trochanter étant absent. Le col est plutôt long, présentant une concentration de trous nourriciers sur sa face supérieure. La tête fémorale paraît assez volumineuse et très arrondie malgré son érosion. Comme cela a déjà été souligné chez les Néandertaliens, l'extrémité proximale paraît très massive relativement à la diaphyse sus-citée. Ce sont les fameuses extrémités en massue des Néandertaliens (Maureille 2007). Il s'agit d'une épiphyse distale assez complète avec, en particulier, une surface articulaire très bien conservée qui permet de vérifier la connexion avec le talus gauche et donc l'appartenance au squelette Regourdou 1. On note une facette d'accroupissement au niveau de la face antérieure et du bord avec la surface articulaire avec le talus. Un fragment de diaphyse a été recollé à la partie principale ce qui peut laisser augurer la découverte de fragments diaphysaires complémentaires d'autant que l'on souligne de nombreuses cassures fraîches. Malgré une très faible érosion sur son bord supérieur et son bord inférieur, cet os peut-être considéré comme complet. Sur sa face postérieure, les deux facettes articulaires sont semblables et il n'y a pas l'asymétrie relevée sur les patellas modernes (Trinkaus 2000). La fibula gauche est représentée par les deux tiers distaux de la diaphyse et l'épiphyse distale en très bon état de conservation. La diaphyse est constituée de 2 fragments qui ont été recollés. L'extrémité proximale de la diaphyse montre une cassure ancienne. Il est important de noter la très bonne conservation de la surface articulaire et la fosse de la malléole latérale qui permettra de reconstituer la chaîne articulaire tibia, fibula, talus (le talus gauche est en effet présent sur le squelette de Regourdou 1, fig. 2). Cet os est particulièrement bien conservé, avec des traces très discrètes d'érosion sur la face postérieure. Il se caractérise par ses dimensions importantes ainsi que la présence d'un tubercule médial très développé. Le talus droit étant présent sur Regourdou 1 (fig. 2), nous pourrons aussi tester la congruence articulaire entre la face articulaire postérieure du naviculaire et la face articulaire de la tête du talus. Rappelons toutefois que selon Villena y Mota (1997) cette articulation n'est pas la plus pertinente pour tester l'appartenance de deux os voisins par leurs dimensions à un même individu. L'hamatum gauche et une phalange moyenne complètent l'inventaire déjà connu, et un des plus complets, des os des mains droite et gauche. L'hamatum gauche (Reg N 51) est un peu érodé au niveau de ses crêtes osseuses (abrasion de tiroir ?) Il vient s'ajouter aux trois os gauches initialement présents : le scaphoïde, le triquetrum et le trapèze. Si les rangées carpienne et antibrachiale de la main restent incomplètes, la présence de l'hamatum permet de préciser les limites médiale et latérale du canal carpien. La phalange moyenne (F 287 Reg) est très bien conservée. Nous avons déjà souligné sa similitude avec celle placée actuellement au niveau du 5 e rayon de la main gauche de Regourdou 1. Nous pourrions donc être en présence de la phalange symétrique. Mais, il faut rester prudent avant de lui attribuer un côté et un rang même si, en fonction de l'état actuel des mains de Regourdou 1, nous sommes très probablement en présence d'un phalange moyenne de 4 e ou 5 e rayon. La pièce en l'état comprend les deux tiers de l'arc postérieur sauf le processus transverse gauche cassé. Le processus épineux est également cassé.. Il pourrait s'agir d'un arc de vertèbre de rang peu élevé, L2 ou L3. Notons la présence d'un collage au niveau du pédicule vertébral gauche, ce qui nous permet de supposer qu'une partie de cette vertèbre (probablement le corps ou une partie de ce dernier) reste à découvrir dans les collections de faune. Etant donné le marquage et la localisation précise par rapport à la sépulture déjà connue et aux secteurs de la fouille, il apparaît que certaines pièces proviennent des travaux effectués dans le gisement avant ou lors du 22 septembre 1957 (par exemple les fragments de coxaux et l'hamatum) alors que d'autres (les deux fragments de fémur, la patella, la fibula, l'extrémité de tibia, le fragment de vertèbre, le naviculaire et la phalange moyenne de la main) proviennent des fouilles de 1961 à 1964 (outre le marquage on peut souligner le traitement de consolidation, voire les collages). Enfin, ces derniers sont tous et toutes issus de la couche 4 qui a livré la sépulture humaine. Mais tous ne sont pas à rapporter au tumulus 4A auquel correspond cette sépulture (Bonifay et al. 2007). Si ces nouveaux restes humains ont pu échapper à l'étude et à la détermination pour des raisons diverses, la dévolution des collections de faune de Regourdou au MNP a permis leur découverte. Cela souligne une nouvelle fois (voir aussi par exemple Maureille 2002 ou Rougier et al. 2004) tout l'intérêt que les collections soient gérées et étudiées dans des conditions permettant leur réelle exploitation scientifique. L'inventaire du matériel découvert (tabl. 2 et fig. 3) fait donc état d'un hamatum gauche, une phalange moyenne de la main, un arc postérieur de vertèbre lombaire, des deux os coxaux fragmentaires, mais non déformés, ainsi qu'un fragment de tubérosité ischiatique gauche, une épiphyse proximale de fémur droit et une diaphyse fémorale droite sub-complète, une patella droite, une extrémité distale complète de tibia gauche, les deux tiers distaux d'une fibula gauche et un naviculaire droit. Une des caractéristiques du squelette de Regourdou 1 était la présence de deux chaînes articulaires très complètes au niveau des membres supérieurs, ce qui contrastait nettement avec l'absence des principaux os longs des membres inférieurs. La découverte de ces vestiges compense très significativement ce manque. Le bassin, maintenant formé des deux os coxaux, du sacrum, de fragments d'ischion et d'un fragment de pubis, devient d'ailleurs un des bassins de néandertaliens parmi les mieux conservés et non déformé, ce qui doit être noté. La présence des cassures fraîches au niveau des ailes iliaques est dramatique et probablement la conséquence de diverses circonstances. La découverte de l'hamatum enrichit aussi le corpus de données pour les mains, déjà très bien préservées chez Regourdou 1. Des travaux plus approfondis sur chacune des pièces nouvellement découvertes sont programmés dans le cadre d'un appel à projets - volet recherche de la Région Aquitaine. Ces analyses complèteront nos connaissances de la variabilité du squelette infra-crânien des Néandertaliens, Regourdou 1 devenant un des squelettes les plus complets des spécimens moustériens mis au jour dans le sud-ouest de la France. Ce projet permettrait aussi de reprendre des recherches interdisciplinaires dans ce gisement (historique, étude des vestiges lithiques, de faune, datations absolues, etc). Le travail de récolement des collections (S. M. en cours) et la recherche doctorale sur la totalité des restes de faune de Regourdou, orientée principalement sur une étude taphonomique, (N. C. en cours), n'étant pas terminés, nous n'excluons pas la découverte d'autres vestiges humains appartenant au squelette de Regourdou 1 (ou à au moins un autre sujet). Outre les stigmates d'ordre taphonomique et contemporains des temps préhistoriques présents sur ces ossements, notons que les vestiges nouvellement identifiés montrent de nombreuses cassures fraîches et que ce seront non seulement de nouveaux os ou fragments d'os qu'il faudra isoler mais aussi des petits fragments pouvant remonter, recoller, sur les vestiges maintenant reconnus. Ce travail très long et fastidieux nécessite une bonne expérience de l'anatomie humaine et de l'anatomie animale, principalement celle des ours qui sont très majoritaires. Si ces nouvelles découvertes ne modifient pas, pour le moment, pour certains d'entre nous (S. M., B. M.), les interprétations quant à la présence d'une sépulture néandertalienne (cf. Bonifay et al. 2007; Maureille et Vandermeersch 2007), l'étude plus fine, à venir, de la répartition spatiale des restes humains ouvre des perspectives nouvelles quant à la compréhension des dynamiques taphonomiques qui ont pu affecter cet assemblage osseux. Une des priorités futures sera donc de faire l'étude de la répartition spatiale des restes humains en s'appuyant à la fois sur les documents disponibles lors du sauvetage d'une partie de la sépulture en 1957, les éventuelles notes d'autres personnalités présentes lors de la fouille, et l'analyse des archives, des carnets de fouilles et des notes de terrain (fouilles 1961-1964). De plus, la recherche de marquage actuellement invisible mais éventuellement non disparu pourrait être menée en exposant certains des ossements humains à la lumière de Wood. Il nous semble aussi intéressant de terminer cette conclusion avec un aspect particulier de la représentation squelettique de Regourdou 1, à savoir l'absence du calvarium. Deux hypothèses sont généralement envisagées : un vol lors de la découverte (Roussot 2003; Bonifay in Bonifay et al. 2007) ou une absence pour des raisons taphonomiques (gestes funéraires des Néandertaliens (Maureille 2004) similaires à Kébara 2 (Arensburg et al. 1985) ou un déplacement en raison de la circulation des ours dans cette cavité (Cavanhié 2007). Pour certains d'entre nous, les nouvelles données plaident pour la seconde hypothèse. En effet, nous n'avons, pour le moment, trouvé aucun fragment d'une voûte crânienne humaine, aucune dent des maxillaires supérieurs (mais voir Vallois et de Felice, 1976) ni l'atlas (nous avons regardé toutes les vertèbres cervicales d'ours, de carnivores ou d'herbivores des collections en notre possession). Si on doit souligner que certains éléments du squelette, porteurs de cassures anciennes ou de traces de rognage, sont incomplets pour des raisons taphonomiques (la fibula gauche, la branche montante gauche de la mandibule, la tête fémorale, la diaphyse fémorale), le rachis cervical de ce sujet était dans un état de conservation exceptionnel. Or, nous savons que l'atlas présente avec le calvarium une articulation persistante (Duday 2005) qui se traduit par une mobilisation accompagnant souvent celle du calvarium lors d'évènements taphonomiques qui surviennent peu de temps après la décomposition des chairs et qui peuvent modifier, même a minima, le dépôt originel de l'extrémité céphalique… En conséquence, certains d'entre nous (B. M., S. M. et N. C.) n'excluent plus l'hypothèse que le calvarium de Regourdou 1 puisse se trouver encore au sein du remplissage sédimentaire non fouillé de ce site. Pour sa part, E.B. pense que cette hypothèse est peu probable, vu les conditions de l'inhumation du néandertalien Regourdou 1 .
Le présent article fait état de la découverte de nouveaux ossements néandertaliens issus des collections fauniques du site moustérien de Regourdou. Après une présentation du gisement situant rapidement le cadre chrono-culturel, l'accent est mis sur l'aspect historiographique, rappelant les travaux de Roger Constant, la découverte de la sépulture néandertalienne « Regourdou 1 » en 1957, les fouilles qui suivirent, et les mouvements des vestiges découverts. Ces précisions montrent que le contexte n'a pas joué en faveur de la préservation idéale du matériel exhumé. Pour preuve, des travaux de récolement et une étude en cours ont permis d'isoler plusieurs ossements humains parmi les vestiges fauniques acquis en 2002 par le Musée national de Préhistoire. Ils sont a priori tous attribuables à la sépulture qu'ils complètent de façon significative. Ces pièces sont issues de la couche 4 qui a livré la sépulture humaine, mais elles ne sont pas toutes à rapporter au "tumulus" IVA auquel correspond cette sépulture. Les caractéristiques anatomiques de ces nouvelles pièces mettent en évidence leur appartenance soit au squelette Regourdou 1 soit à la lignée néandertalienne. Le squelette original Regourdou 1, découvert en 1957, présentait un contraste très net entre la présence de deux chaînes articulaires assez complètes pour les membres supérieurs et la quasi-absence de restes pour les membres inférieurs, en dehors des pieds. Les nouvelles découvertes viennent, en partie, combler ce manque. Des travaux plus approfondis sur chacune des pièces nouvellement identifiées compléteront nos connaissances de la variabilité du squelette infra-crânien des Néandertaliens, Regourdou 1 devenant un des squelettes moustériens les plus complets mis au jour dans le sud-ouest de la France. Quant à l'absence totale du calvarium, compte-tenu du contexte général, il faut peut-être aussi envisager une nouvelle hypothèse selon laquelle il se trouverait encore au sein du remplissage sédimentaire non fouillé du site.
archeologie_10-0039790_tei_212.xml
termith-2-archeologie
La période de l' Âge du Fer (viii e / i er siècle av. J.-C.) a donné lieu à de nombreux échanges de matériaux ou d'objets entre les populations celtes installées en Europe. Un type de production tout à fait spécifique prend un essor considérable au cours de cette période et mérite qu'on y porte une attention particulière. Il s'agit d'objets de parure et de récipients fabriqués à partir de diverses roches sédimentaires appelées communément « lignite ». La distribution de ces objets observée à une large échelle européenne pose plusieurs questions sur la provenance de ces matériaux. La restitution des filiations entre les matériaux archéologiques employés et les sources géologiques potentielles demeure essentielle dans la restitution des échanges et plus largement dans le système socio-économique qui se développe à l' Âge du Fer. Les aspects de diffusion et de relations avec les centres de production constituent un système commercial spécifique à ces matériaux. Leur caractérisation constitue donc la base de toute étude de provenance. La terminologie donnée vis-à-vis de ces matériaux est multiple et complexe. Ces matériaux sont des roches sédimentaires (à structure feuilletée) de couleur noire à marron constituées d'une fraction minérale et d'une fraction organique (pollens, bois, spores…) en proportions variables. L'identification de ces matériaux fait donc parfois appel à la nomenclature des charbons (Hallsworth et Knox, 1999) mais aussi à celle des roches sédimentaires (Slansky, 1992). Le manque de caractérisation et la diversité de leur composition a engendré un manque de rigueur dans l'utilisation, parfois trop large et inappropriée du terme « lignite » en archéologie. Au xix e siècle, les érudits de l'époque ont utilisé ce terme pour dénommer ces matériaux sans connaître sa constitution. Certains pensaient qu'il s'agissait de bois d'if fossilisé ou de terre agglomérée (Faudel et Bleicher, 1888). Au fil du temps, les archéologues ont donc adopté le terme de « lignite » pour qualifier ces objets. Des travaux récents (Teichmüller, 1992; Brechbühl, 2005) ont montré que le lignite au sens géologique n'a pas été employé pour fabriquer ces objets car celui -ci présente un stade de maturation de matière organique assez avancé tel qu'il ne permet pas d' être travaillé par l'homme. Afin de fixer un terme transitoire plus général dont la définition géologique correspond réellement à la nature géologique des objets, nous proposons le terme de black shales. Le terme de shale est couramment utilisé par les géologues anglais et offre l'avantage de regrouper plusieurs types de roches : roches carbonatées, carbonées, argilites, schistes bitumineux… Cependant, le jais ne peut être inclus dans cette définition car sa composition est différente. Il est plus riche en carbone, très brillant, à cassure conchoïdale ce qui permet de l'identifier plus aisément. La traduction de ce terme en français par « schistes noirs » peut porter à confusion car il désigne les schistes au sens large du terme (schistes métamorphiques ou schistes ardoisiers…). Les travaux publiés en Grande-Bretagne (Allason-Jones et Jones, 1994, 2001; Hunter et al., 1993; Pollard et al., 1981; Watts et Pollard, 1998) sur la caractérisation du Kimmeridge shale et des objets manufacturés en jais par différentes techniques analytiques (FTIR, chromatographie, MEB, fluorescence X) ont permis de retracer la diffusion de ces matériaux (à l'échelle insulaire principalement). En Allemagne, différents travaux (Rochna, 1962; Rochna et Mädler, 1984; Grasselt et Volkmann, 1991; Teichmüller, 1992) au début des années 1960 ont permis de poser les premiers jalons de la recherche sur la caractérisation de ces matériaux, mais les études de provenance n'ont pas été établies clairement. Cartographie A. Baron, fond de carte : Géoatlas©. Les études menées récemment en République Tchèque (Valterova, 1998; Venclová, 2001) ont montré que les black shales ont pu être importés ou diffusés sur de longues distances (dans un rayon d'environ 400 km). La présence de nombreux ateliers de production et d'une source géologique conséquente située dans le bassin de Kladno près de Prague ont permis de restituer la filiation entre la source d'approvisionnement et les objets finis (cf. Fig. n° 1). Les analyses réalisées (pétrographie et palynologie) ont permis de retracer la diffusion de ce type d'objets pour la période de La Tène moyenne (iii e - ii e av. J.-C.). Les travaux antérieurs ont montré que certaines méthodes de caractérisation et notamment la palynologie ne sont pas nécessairement appropriées à l'étude des black shales (Thomas 2003; Baron 2005; Grasselt et Volkmann 1991). Pour la palynologie, par exemple, une bonne conservation du matériau est nécessaire afin de pouvoir identifier les différents constituants. Les phénomènes d'altération due à sa désagrégation font disparaître de nombreux indices palynologiques et les chances d'identification sont réduites pour les échantillons archéologiques. Le caractère destructif des méthodes (broyage de l'échantillon) ne permet pas toujours d'élargir l'échantillonnage archéologique. Certaines études archéologiques ont montré que la diversité des matériaux employés varie d'un site à un autre et peut parfois différer au sein d'une même production artisanale (Eggl, 2000; Venclová, 2001). Les sources géologiques ayant servi à confectionner ces objets peuvent donc être multiples et les matériaux employés avoir des origines diverses. Afin de résoudre les questions de provenance, notre objectif a été d'élaborer et de tester une méthodologie appropriée permettant une discrimination des sources de matériaux géologiques et archéologiques. Les méthodes utilisées jusqu' à présent telles que la palynologie, la pétrographie, ou l'émission de rayons X par exemple sont destructrices. L'analyse chimique élémentaire par le choix de la spectrométrie de masse couplée à un plasma inductif avec prélèvement par ablation laser (LA-ICP/MS) est pertinente dans la mesure où une large gamme d'éléments chimiques peut être mesurée. Cette technique étant peu destructrice, permet d'élargir l'échantillonnage et de multiplier le nombre d'analyses : les échantillons ne nécessitant aucun traitement préalable. La méthode employée se base sur le constat qu'un gisement qui a été exploité à des fins artisanales possède une signature chimique qui lui est propre. Cette signature est conservée dans les objets archéologiques. La question est de déterminer les éléments discriminants qui vont permettre de mettre en relation les objets archéologiques avec les sites d'extraction. La technique LA-ICP/MS a largement été développée et testée dans différentes études portant sur les matériaux du patrimoine culturel (Gratuze et al., 1993; Gratuze et al., 2001; Speakman et Neff, 2005; Janssens et Grieken, 2004). Le principe est donc rappelé brièvement ici : l'objet à analyser est placé dans une cellule de quartz. L'ablation se fait grâce à un faisceau laser où la matière prélevée est transportée par un flux d'argon, puis est transmise dans une torche à plasma afin d' être dissociée et ionisée. Les ions sont ensuite dirigés vers des lentilles électrostatiques puis sont focalisés vers le quadripôle qui permet de séparer les éléments selon le rapport m/z (masse atomique/charge – avec ici z = 1 pour plus de 90 % des éléments). L'utilisation d'étalons géochimiques permet de quantifier les éléments observés. La composition des objets en black shales est proche des roches sédimentaires argileuses. La fraction minérale étant assez importante, les éléments chimiques s'y rapportant ont été dosés. La silice y est l'un des éléments les plus abondants, on peut supposer que sa distribution est l'une des moins hétérogène, elle a donc été choisie comme étalon interne. L'utilisation d'étalons internationaux NIST610 (Pearce et al. 1997) et CORNING B (Brill, 1999; Popelka et al., 2005; Bronk et Freestone, 2001; Verità et al., 1994) permettent de calibrer l'appareil et de vérifier la justesse de la méthode. Faute de disposer d'un étalon certifié pour le carbone, celui -ci est dosé de façon relative en utilisant une mine de graphite pour laquelle nous avons fixé arbitrairement une teneur de 12 % en graphite. Le matériau étudié est poreux, il faut donc tenir compte dans l'interprétation des données de la possibilité de modification de la composition des objets durant leur enfouissement : soit par fixation d'éléments provenant du sol (carbonates, phosphates, sulfates, fer, manganèse…), soit par lixiviation ou dissolution par les acides humiques d'éléments ou de composés partiellement solubles. Les ablations sont réalisées de manière aléatoire sur la surface de l'objet ou sur sa tranche lorsque cela est possible. Une première série de 2 ablations permet la mesure des éléments majeurs. Celles -ci sont réalisées de manière ponctuelle en trois points de l'échantillon. Une deuxième série de 2 ablations également permet le dosage des éléments en traces y compris les Terres Rares (La, Ce, Pr, Tb et Lu). Ayant conscience de l'hétérogénéité du matériau, nous avons fait le choix d'analyser un plus grand nombre d'échantillons par gisement, de façon à raisonner sur une population plus importante. Les teneurs brutes étant difficilement spécifiques à chaque gisement (cas de l'obsidienne par exemple), nous porterons une attention particulière sur la présence ou l'absence de combinaisons d'éléments chimiques susceptibles de caractériser un gisement. Malgré l'aspect non-destructif de la méthode, certaines institutions ne souhaitent pas que l'objet soit étudié par des moyens analytiques, ce qui a restreint dans un premier temps le choix des sites et a limité notre échantillonnage. L'échantillonnage a été orienté vers les sites d'artisanat et certains sites d'habitats en essayant de couvrir au mieux l'aire géographique et les périodes de l' Âge du Fer (Hallstatt et La Tène) en Europe. D'autres types d'objets ont également été sélectionnés, il s'agit de récipients ou de vases. Nous constituons actuellement une « lithothèque » de black shales la plus représentative possible tout en connaissant les limites que cela impose (sources épuisées, non connues etc.). Cet échantillonnage en cours de réalisation constitue une première base sur ce type de matériaux. Le recensement des échantillons géologiques s'effectue soit par le biais d'institutions ou d'associations géologiques, soit par des prospections géologiques sur le secteur étudié. Celles -ci ont été effectuées dans le secteur de Buxières-les-Mines, ainsi que pour les shales à Posidonies par l'intermédiaire des géologues des Landesamt für Geologie d'Allemagne. Le prélèvement d'échantillons géologiques à différents niveaux stratigraphiques voire au sein d'un même niveau a pour objectif d'évaluer l'hétérogénéité des gisements et leur variabilité chimique. Pour les autres gisements échantillonnés, il n'est pas possible d'évaluer cette hétérogénéité à partir des quelques échantillons fournis. Vingt et un échantillons géologiques et sept échantillons archéologiques ont donc été analysés par LA-ICP/MS dans le cadre de cette étude préliminaire (cf. Tableau 1). Les éléments majeurs présentant une grande variabilité sont le carbone (entre 1 et 60 % environ), l'oxyde de calcium (entre 1 et 50 % environ), la silice (entre 1 et 60 % environ), l'alumine (entre 5 et 30 % environ) et l'oxyde de fer (entre 2 et 20 % environ) (cf. Fig. 2). Les oxydes de magnésium (MgO), de titane (TiO 2), de potassium (K 2 O) et de phosphore (P 2 O 5) présentent des teneurs homogènes. L'oxyde de manganèse (MnO) et l'oxyde de sodium (Na 2 O) varient peu et ont des teneurs inférieures à 1 %. Pour les éléments traces (cf. Fig. 2), le strontium et le baryum présentent une grande variabilité (Sr : entre 70 et 2 500 ppm environ; Ba : entre 100 et 2 600 ppm environ). Les autres éléments traces dosés présentent des variabilités différentes non négligeables. Seuls, le béryllium, le niobium, le terbium et le lutétium varient peu. Leurs teneurs sont relativement homogènes au sein de l'échantillonnage. Nous présentons ici, seulement certains éléments qui semblent jouer un rôle discriminant dans la caractérisation des sources potentielles; les autres éléments dosés demandant à être mieux étudiés par l'analyse d'autres échantillons. Le faible nombre d'échantillons géologiques analysés ne permet pas actuellement de connaître la variabilité de certaines teneurs au sein d'un gisement. Il est donc difficile de pouvoir déterminer leur pouvoir discriminant. D'une manière générale, les teneurs mesurées dans les échantillons géologiques sont plus ou moins cohérentes avec les teneurs des échantillons archéologiques. Cependant, ces derniers présentent une hétérogénéité marquée. Au niveau des éléments majeurs (cf. Tab.2), les échantillons géologiques des shales à Posidonies d'Allemagne s'individualisent nettement par des teneurs en alumine (Al 2 O 3) d'environ 8 %, entre 20 et 30 % en silice (SiO 2) et environ 40-50 % en oxyde de calcium (CaO). Leur composition est relativement homogène exceptée pour l'échantillon provenant d'Allemagne du Nord. Ce dernier (G-WIS 015) présente une teneur plus élevée en Al 2 O 3 (19,2 %), plus de 50 % en SiO 2 et moins de 15 % en CaO. Il n'est pas rattachable aux autres échantillons allemands. Les échantillons de Buxières-les-Mines présentent également des compositions assez homogènes (sauf G-BUX 008 et G-BUX 010). Les teneurs en Al 2 O 3 sont comprises entre 10 et 20 %. Les valeurs en SiO 2 sont élevées et se situent aux environs de 50-60 %. Par contre, les teneurs en CaO sont très variables et montre que les couches de ce gisement se sont enrichies de manière sporadique. La représentation graphique des teneurs en éléments majeurs (cf. Fig. 3) ne permet pas de distinguer des groupes dont la composition élémentaire se définie clairement. Les échantillons géologiques provenant d'Autun présentent des teneurs d'environ 30 % en Al 2 O 3, de fortes teneurs en SiO 2 (plus de 60 %), mais de très faibles teneurs en CaO (moins de 1 %), ce qui ne permet pas de les individualiser des échantillons de Buxières-les-Mines. Bien que l'échantillon de Foix (G-FOI 004) présente une composition élémentaire particulière, les autres échantillons géologiques de Barjac (G-BAJ 005), de Gardanne (G-GDN 003), de Suisse (G-MSG 014), de République Tchèque (G-MKZ 013) et d'Angleterre (G-KIM 033) ne peuvent supporter une interprétation fiable actuellement. En effet, un seul spécimen ne permet pas de caractériser un gisement. La distinction des matériaux par les teneurs en éléments majeurs reste difficile à appréhender. Les teneurs des éléments en traces permettent de mieux discriminer les sources (cf. Tab. 3). En effet, la variabilité de certains éléments (cf. Fig. 2) et leur représentation graphique permet d'individualiser plus précisément certains gisements (cf. Fig. 4). Les échantillons d'Autun, notamment, présentent une composition élémentaire caractérisée par de très fortes teneurs en césium et en rubidium (plus de 150 ppm), mais de très faibles teneurs en molybdène. Ils s'individualisent clairement par rapport aux autres gisements. Les échantillons de Buxières-les-Mines présentent des teneurs en césium et en molybdène plus disparates (Cs : entre 20 et 60 ppm environ; Mo : entre 10 et 30 ppm environ), mais des teneurs en rubidium élevées (Rb : entre 150-250 ppm environ). Deux sous-groupes au sein de ce gisement semblent se définir en ce qui concerne les teneurs en césium : un premier dont les teneurs sont d'environ 20-30 ppm et un deuxième présentant des teneurs supérieures à 50 ppm. Les shales à Posidonies sont plus difficiles à discerner; leurs faibles teneurs en césium (moins de 5 ppm), en rubidium (60-80 ppm), mais élevées en molybdène (40-60 ppm) ne permet pas de les individualiser des autres gisements. Cependant, l'échantillon d'Allemagne du Nord se distingue toujours par sa composition élémentaire particulière, semblant se rapprocher de celle des schistes bitumineux de Buxières-les-Mines. D'autres gisements analysés se particularisent également par leur composition : l'échantillon de jais de Foix (G-FOI 004) est caractérisé par de très faibles teneurs en rubidium, césium et molybdène, et l'échantillon G-KIM 012 s'identifie par une très forte teneur en molybdène, mais faible en césium (10 ppm). Les autres matériaux analysés, dont les échantillons archéologiques de Bourges, d'Illfurth et de Sennecé-lès-Mâcon, ne permettent pas de définir des groupes précis par manque d'analyses sur un même matériau. D'autres élément traces, notamment le lithium et le tungstène permettent de confirmer la séparation de certains groupes (cf. Fig. 5). Les shales à Posidonies d'Allemagne sont caractérisés par des teneurs en lithium assez faibles (entre 20 et 30 ppm), des teneurs assez fortes en molybdène (entre 50 et 60 ppm), mais des teneurs extrêmement faibles en tungstène. La composition chimique de l'échantillon d'Allemagne du Nord (G-WIS 015) diffère et est difficilement attribuable à un groupe. Le groupe d'échantillons de Buxières-les-Mines est homogène. Il est caractérisé par des teneurs en lithium entre 60 et 100 ppm environ, des teneurs assez faibles en molybdène comprises entre 10-30 ppm environ. Enfin, ces schistes bitumineux s'identifient par de fortes teneurs en tungstène (entre 10-20 ppm). Les schistes bitumineux d'Autun se différencient nettement par une très forte teneur en lithium et en tungstène (plus de 200 ppm) et de très faibles quantités en molybdène (moins de 3 ppm). L'échantillon de jais provenant de Foix (G-FOI 004) se distingue également par une teneur en tungstène de 20 ppm, mais de très faibles quantités en lithium et en molybdène. Les autres échantillons analysés présentent des teneurs encore trop disparates pour les différencier. Si pour les échantillons géologiques analysés, il est possible de distinguer certains groupes, cela est plus difficile pour les matériaux archéologiques. En effet, leurs teneurs très variées ne permettent pas toujours d'établir des corrélations avec les gisements potentiels. De plus, la composition de certains échantillons provenant d'un même site ne présente pas toujours des teneurs similaires (cf. teneurs élémentaires pour le site de Bourges Tableaux 2 et 3). Cependant, les échantillons provenant du site archéologique de Buxières-les-Mines présentent des teneurs plus ou moins proches de celles des échantillons géologiques provenant du même secteur (cf. Fig. 4 et 5). Le test de plusieurs échantillons à différents endroits de la couche a permis d'observer la variabilité de la signature chimique du gisement et de pouvoir les comparer avec les échantillons retrouvés sur le site archéologique. Les objets découverts à Buxières-les-Mines ont été fabriqués à partir des schistes bitumineux de l'Aumance situés à proximité. Les autres objets archéologiques provenant de Bourges, Illfurth ou Sennecé-lès-Mâcon sont difficilement rattachables à l'un des gisements analysés. Malgré le faible nombre d'analyses effectuées sur du mobilier archéologique (d'autres analyses sont actuellement en cours), les matériaux employés sont nettement différents de ceux des sources d'approvisionnement potentielles recensées à ce jour (exceptés pour le site de Buxières-les-Mines). Les éléments discriminants dans l'état actuel de l'avancement des travaux sont le lithium, le molybdène, le césium, le tungstène et le rubidium. D'une manière générale, il semble que les alcalins jouent un rôle important dans la composition chimique de ces roches. Par ailleurs, le lithium semble être un excellent traceur pour ces matériaux, ainsi que le tungstène dont la présence pourrait s'expliquer par l'héritage sédimentaire provenant de minéraux lourds. Le thorium, le strontium, le baryum et ou bien encore le zirconium sont des éléments dont le pouvoir discriminant semble prometteur. Les terres rares (particulièrement le niobium, le terbium et le lutétium), généralement bons traceurs géologiques, ne semblent pas pour ces matériaux être utilisables comme éléments discriminants. Les mesures de composition élémentaires par LA-ICP/MS permettent de différencier les origines de certains des objets de parure en black shales. D'autres analyses (en cours de réalisation) seront nécessaires pour établir les potentialités de cette approche. L'étude du pouvoir discriminant d'éléments comme le zirconium, le cuivre, le baryum, l'uranium, le cérium, ou le strontium par exemple, reste à développer. Cette approche a permis de mettre en évidence la variété des teneurs élémentaires présentes dans les matériaux employés et la complexité à déterminer leurs provenances. Cette diversité ne permet pas dans l'état actuel de la recherche de définir clairement un type de roche précis. Il peut s'agir de schiste bitumineux, d'argilites, voire de pélites ou toutes autres roches sédimentaires d'origine détritique dont les modes d'enfouissement peuvent différer et avoir subi des transformations différentes. La détermination des minéraux présents dans ces roches est nécessaire pour affiner cette caractérisation. La poursuite de cette recherche s'organisera donc en couplant d'autres méthodes analytiques, et notamment la diffraction X, avec les compositions élémentaires obtenues par LA-ICP/MS .
Certaines roches sédimentaires, notamment les black shales ont servi à fabriquer des objets de parure pendant l'époque celtique. Ces matériaux sont peu étudiés et les études de caractérisation spécifique peu nombreuses. La présence récurrente de ces objets observés à une large échelle géographique pose plusieurs questions sur la provenance de ces matériaux. Or, la caractérisation de ces derniers constitue la base de toute étude de provenance. La filiation entre les matériaux archéologiques et les sources géologiques demeure essentielle dans la restitution des échanges. L'apport de l'analyse élémentaire par spectrométrie de masse couplée à un plasma inductif avec prélèvement par ablation laser (LA-ICP/MS) permet d'établir des distinctions entre les divers matériaux. Cette approche permet de dresser un premier bilan. Certains éléments chimiques tels que le tungstène, le molybdène, le lithium, le césium et le rubidium sont discriminants au sein des différents matériaux. Des gisements de différentes régions présentent des caractéristiques chimiques distinctes. Des rapprochements sont faits entre des artefacts archéologiques et des gisements géologiques situés à proximité du site. Cependant, l'attribution des objets archéologiques à des gisements géologiques passe par un meilleur inventaire des sources potentielles.
archeologie_08-0463643_tei_381.xml
termith-3-archeologie
Le site de Fontbelle (Villars-les-Bois, Charente-Maritime – fig. 1) a été découvert sur le versant sud d'une colline à proximité immédiate du Souillac en 1975, au cours d'une des nombreuses prospections de surface menées par F. et J. Blanchet sur les communes de Villars-les-Bois et Brizambourg. Ces opérations ont révélé une vingtaine de sites mésolithiques dont certains ont livré des collections primordiales pour la compréhension, dans l'ouest de la France, du Premier Mésolithique – ou industries à triangles par opposition aux carquois à trapèzes du Second Mésolithique (Costa et Marchand, 2006; Marchand, 2008). Malgré le Programme Collectif de Recherche Fin Würm/début Holocène sur le littoral charentais (1993-1998), ces séries n'ont été que globalement observées et rarement mentionnées (Joussaume, 1981; Favre, 1993, 2000; Blanchet, 2004; Michel, 2006); elles n'ont jamais été intégrées à une étude technologique et économique. Suite à l'examen du matériel lithique de Fontbelle, une série de sondages a été réalisée sur ce site au premier semestre 2008, permettant ainsi d'étoffer le corpus du Premier Mésolithique (9 700-6 900 cal B.C.; Cupillard et Richard, 1998) en Charente-Maritime. Trois sondages de 2 à 4 m² chacun, ont été réalisés (fig. 1). La couche de calcaire gréseux, appréhendée en S2, est apparue tronquée dans la partie supérieure de la parcelle suite à des phénomènes érosifs : ainsi, S1 et S3 ne présentent plus, sur toute la hauteur explorée, que la couche argilo-sableuse sous-jacente (Cénomanien inférieur). Cette modification du terrain doit en partie être liée à la forte inclinaison des couches vers le sud-ouest, c'est-à-dire dans le sens de la pente actuelle. Le dénivelé entre les parties haute et basse de la parcelle est de 10 m, soit une pente de 8 %. Cet article ne traite que des résultats concernant S1, compte tenu : – de l'indigence des indices au sein de S3, qui se trouve alors exclu de l'emprise de l'occupation mésolithique; – de la position secondaire du matériel découvert en S2, au sein du labour et certainement associé à un léger colluvionnement; – du fait que le matériel lithique de S2 et S3 n'apporte aucun élément nouveau aux conclusions que l'on peut émettre à partir de S1. Sous les terres labourées et jusqu'au fond du sondage à près d'un mètre sous la surface actuelle, le niveau sableux ne présente pas de réelles subdivisions mais seulement des variations de couleur allant du marron-orangé au beige, certainement dues à des migrations d'oxydes ferreux; aucune unité stratigraphique n'a donc été distinguée. Le tamisage des sédiments a été systématique afin d'obtenir un ensemble complet et représentatif. Outre l'occupation mésolithique, la présence de quelques scories dans le niveau labouré évoque des activités de sidérurgie ancienne et plus précisément la réduction de fer en bas fourneaux. Les tessons de céramique à glaçure verte également découverts dans ce niveau – 81 fragments de très petites dimensions – rappellent ce qui est connu pour les xiii e - xv e siècles en Centre-Ouest, attribution chronologique qui pourrait éventuellement concorder avec les activités métallurgiques. Un cinquième des pièces archéologiques mises au jour provient des terres brassées par les travaux aratoires. Les niveaux sous-jacents, eux, sont perturbés par des percolations liées à la nature du sol occupé : en S1, le mobilier lithique a été découvert dans des sables cénomaniens sur 60 cm de haut, sans que l'on y ait détecté de structures en creux. On note tout de même une chute brusque du taux de pièces à mi-hauteur (5,8 % pour les trente centimètres inférieurs). Sur le site voisin des Prises (commune de Brizambourg), en milieu sédimentaire similaire, la série lithique se répartit sur 80 cm de haut (Blanchet et al., 2007). Ce type de phénomène taphonomique est courant sur les sites ouest-européens du Paléolithique final et du Mésolithique implantés en milieu sableux, qui ne présentent alors souvent plus de niveau(x) d'occupation mais des éléments dispersés sur 25 à 50 cm de haut suite à des bioturbations (Barton, 1987; Crombé, 1993; Vermeersch, 1976; 1995). Plusieurs hypothèses ont été formulées pour expliquer cette dispersion sur le plan vertical, avec l'activité biologique comme principal suspect. En plus des terriers de mammifères, les petits agents fauniques jouent directement un rôle dans la dispersion verticale des éléments archéologiques : les lombrics, par exemple, permettent l'enfouissement des vestiges de 5 mm par an et auraient agit dès le début de l'Holocène en milieu forestier (Vermeersch, 1995). Le degré d'homogénéité de l'assemblage peut être discuté à deux niveaux. Si l'on se place à l'échelle du Premier Mésolithique et de sa phase la plus ancienne telle qu'elle est définie par les modèles basés sur l'évolution morphologique des armatures depuis les travaux de J.-G. Rozoy (1978), l'ensemble est clairement cohérent avec de très rares intrusions d'occupations du Paléolithique final, du Mésolithique final et postérieures. On peut alors parler d'homogénéité relative pour une période qui s'étend tout de même sur plus d'un millénaire. Nous ne pouvons pas, par contre, affiner la résolution chronologique ou individualiser des occupations successives à Fontbelle, ce qui n'empêche pas d'y consolider les connaissances à l'échelle du Premier Mésolithique dans le Centre-Ouest. À l'ensemble récolté en prospection (1 225 éléments – Blanchet, 2004) s'ajoutent désormais 9 476 pièces lithiques dont 85 % proviennent de S1 (tableau 1). Elles ne sont malheureusement pas accompagnées de matériel osseux, l'acidité de la matrice sableuse encaissante n'ayant pas permis sa conservation. Les faibles surfaces ouvertes n'ont pas non plus livré de structure. Le matériel lithique est peu patiné, ce qui permet l'observation des matières premières employées qui s'avèrent être exclusivement du silex. Il revêt un aspect assez homogène, semi-opaque, aux variations de teinte allant du marron-beige au brun foncé. Ce silex correspond aux matériaux que nous avons pu récolter sur les affleurements turoniens dans les 5 km alentours lors de prospections menées en 2008 (fig. 1). Ceci n'implique pas que les tailleurs se soient approvisionnés en ces points précis, la végétation du début de l'Holocène ayant pu plus ou moins masquer ses affleurements; on peut tout de même penser à un territoire d'acquisition des matières premières siliceuses taillables restreint. Au-delà du « territoire domestique élargi » (Geneste, 1992), il ne semble pas y avoir d'attrait pour le silex, à preuve la présence plus qu'anecdotique d'une seule pièce en silex d'Ecoyeux, pourtant disponible à quelque 7 km seulement. Ce choix est compréhensible compte tenu de la qualité des silex locaux qui assure une bonne conduite du débitage. Il évoque les stratégies déjà observées pour le Premier Mésolithique en Corrèze, Quercy et Pyrénées (Demars, 1998) ou encore à l'abri des Rocs (Bellefonds, Vienne : Fouéré in Joussaume, 1992; Gouraud in Joussaume, 1996). Les indices récoltés évoquent une chaîne opératoire de production menée dans sa quasi-totalité sur le site même. En effet, si l'on se réfère aux pièces (semi -) corticales (11,3 % du corpus hors esquilles) et aux quelques blocs testés abandonnés immédiatement après l'apparition d'inclusions ou de plages mal silicifiées, on peut penser que les blocs de silex ont été, du moins en partie, introduits bruts sur le site. La mise en forme du bloc est simplifiée. Elle ne met pas en jeu de crêtes d'entame (à une exception près) et appelle plutôt un simple décorticage à l'aide d'un percuteur de pierre dure; les grands éclats ou lames alors extraits dégagent des nervures guides. Que l'on prenne en compte les enlèvements bruts ou les négatifs lisibles sur les nucleus (fig. 2 et 3), le débitage est orienté vers la production lamellaire au sens large du terme. Hormis pour quelques nucleus à éclats dont l'organisation succincte ne permet pas une grande productivité, les productions de lames et d'éclats ne sont pas autonomes : elles interviennent au cours des processus visant à la fabrication de lamelles. Ces derniers produits ne sont ni réguliers ni standardisés et peu importe que l'enlèvement extrait soit strictement lamellaire ou approximativement allongé tel un éclat lamellaire. On peut s'interroger sur la nature de cette seconde catégorie de produits qui peut être tantôt d'origine intentionnelle, tantôt relever d'enlèvements strictement lamellaires qui ont rebroussé ou qui n'ont pas filé. La faible régularité des lamelles stricto sensu confirme que, même si l'on exclut les éclats lamellaires, les tailleurs de Fontbelle ne recherchaient pas des produits calibrés. L'exploitation sur bloc laisse une place minoritaire au débitage sur éclat (fig. 3, n° 3). La table s'implante alors dans l'épaisseur de l'éclat, son exploitation étant frontale à partir d'un seul plan de frappe, lisse, qui s'avère être la face inférieure de l'éclat-support. Pour les autres nucleus, le débitage se fait majoritairement sur une table, ce qui n'exclut pas parfois le recours à une seconde surface de débitage. Les tailleurs n'ont pas cherché à implanter la table dans une partie étroite du bloc ou à en conserver l'axe longitudinal pour le débitage. Les nucleus peuvent être exploités aussi bien de manière frontale (fig. 3, n° 1) ou semi-tournante (fig. 2, n° 3, fig. 3, n° 2) que sur la totalité de leur pourtour (exploitation tournante : fig. 2, n° 1-2). Le débitage est essentiellement unipolaire. En présence d'un second plan de frappe en face opposée au premier, soit les séquences obtenues depuis l'un et l'autre sont clairement indépendantes et successives, soit la production est contrôlée par un plan de frappe, le second servant au contrôle de la carène. Les tailleurs ne préparent que sommairement les plans de frappe, les laissant lisses sans aménagement supplémentaire hormis l'abrasion de la corniche. Durant les séquences de débitage lamellaire, le tailleur a recours à un percuteur de pierre utilisé en percussion directe. En suivant les critères de J. Pelegrin (2000), les stigmates lisibles sur ces talons n'aident pas toujours à trancher quant à la dureté du minéral utilisé, même si les arguments vont plus dans le sens d'un percuteur de pierre tendre : des talons abrasés lisses minces, de quelques millimètres à punctiformes, des angles de chasse compris entre 70 et 80°, la récurrence d'une ligne postérieure irrégulière du talon, ainsi que la présence de petits bulbes avec identification ponctuelle d'esquillement du bulbe. Les flancs, quand ils n'ont pas été investis par le débitage, ont été conservés corticaux ou ont participé à l'aménagement du volume avec le retrait, à partir du plan de frappe contrôlant la table, d'enlèvements débordants tirés parfois bien en arrière du bord pour reconquérir du cintre. Le dos se résume le plus souvent à une plage corticale mais n'est pas toujours exclu de la logique volumétrique comme le prouvent quelques exemplaires à crête postérieure. Les néo-crêtes, essentiellement partielles à un pan, sont peu fréquentes dans la série. Il en est de même pour les enlèvements de réaménagement du plan de frappe qui prennent la forme d'éclats, parfois semi-corticaux, tirés sans exception depuis la table lamellaire. Leur épaisseur montre que les tailleurs ne se préoccupaient pas du coût en matière première de cette opération, ce qui est compréhensible compte tenu des facilités d'approvisionnement. L'abandon du nucleus répond à deux causes complémentaires : la présence de réfléchissements et un aplatissement marqué des convexités qui compromet le débitage. La perte de carène semble un problème majeur dans ces débitages, sans que les tailleurs y remédient pour autant : le changement de bloc est-il préféré aux réaménagements des blocs endommagés ? Est -ce alors en lien avec la disponibilité locale du silex ? Les 151 armatures mises au jour – 4,2 % du corpus hors esquilles; 86,8 % de l'outillage – permettent une bonne approche de la préparation des activités cynégétiques (schéma opératoire de fabrication des armatures) et des choix stylistiques préférentiels (types et caractéristiques des armatures) (fig. 4; tableau 2). Le tamisage systématique des sédiments a notamment permis d'orienter le débat sur les liens entre les groupes de Poitou-Charentes et le techno-complexe méridional sauveterrien caractérisé par des armatures hypermicrolithiques dites triangle de Montclus et pointe de Sauveterre. Le mobilier contient 178 pièces attestant du procédé du microburin, à savoir des microburins à proprement parler et des lamelles à cassure dans ou au-dessus de la coche. Parmi leurs caractères principaux s'affichent une implantation préférentielle des coches à droite ainsi que la prédominance des éléments proximaux sur les distaux, ce qui s'explique certainement par la difficulté à modifier par la seule retouche la partie proximale des supports à cause du bulbe et du talon. Certains microburins ont conservé du cortex, avec d'ailleurs parfois une face supérieure entièrement corticale, ce qui souligne une certaine flexibilité dans la sélection des supports. La régularité des 178 pièces est d'ailleurs faible à moyenne et se couple à des profils légèrement tors. Notons pour finir la forte amplitude de la largeur de ces éléments (2,4 à 15,1 mm). Quatorze pièces possèdent un bord abattu sinueux dont part une cassure orthogonale à l'axe du support. Elle se résume dans la quasi-totalité des cas à des accidents de type Krukowski (Tixier, 1963). Si l'on considère ces pièces en cours d'aménagement, on peut alors penser que l'abattage du bord s'effectue en deux temps : amorce par retouches abruptes à semi-abruptes et finition par retouches abruptes régulières. Le côté opposé est conservé brut, ce qui placerait l'opération de bordage en fin de fabrication. Les triangles, avec près des trois quarts de l'effectif, ne laissent que peu place aux autres types d'armatures. Une attention particulière a été portée aux modèles isocèles puisqu'ils forment plus de la moitié des armatures ayant obtenu une attribution typologique. Ces armatures ont dans un tiers des cas un profil tors, ce qui, plus qu'un trait recherché, traduirait une conséquence technique assumée. La conservation de cortex sur certains exemplaires portant des traces d'impact souligne la flexibilité des normes régissant les séquences de production et la sélection des supports. Quelques piquants-trièdres s'affichent en pointe (fig. 4, n° 8), d'autres ayant dû être entièrement retouchés. Aux retouches directes abruptes se substituent parfois des retouches croisées (fig. 4, n° 3). Les troncatures suivent une délinéation rectiligne; quand elles sont légèrement concaves ou convexes, la morphologie générale de la pièce ne sort pas réellement du lot. Le troisième côté n'est que peu fréquemment bordé; parfois quelques retouches inverses semi-abruptes servent à appointer un peu plus l'armature (fig. 4, n° 10). Les modèles longs, outre le fait d' être majoritaires dans ce corpus, sont en général légèrement plus étroits que les courts avec des largeurs moyennes respectives de 5,5 et 6,2 mm. Si l'on s'intéresse désormais aux triangles scalènes, on distingue les pièces proches du triangle isocèle (fig. 4, n° 18) des triangles scalènes allongés qui sont alors des hypermicrolithes (fig. 4, n° 21-24). Dans ce second cas, la « distance de dégagement de la barbelure », pour suivre la terminologie d'A. Thévenin (2005; fig. 5), peut ne mesurer qu'un douzième de la totalité de l'armature. Certaines possèdent un troisième côté bordé, mais une seule mérite l'assimilation au sous-type triangle de Montclus (fig. 4, n° 22). Si l'on revient à l'ensemble des triangles scalènes, un des faits marquants concerne leur latéralisation quasi-exclusivement dextre. L'allure la plus récurrente pour les deux troncatures correspond à une délinéation rectiligne pouvant parfois tendre vers la concavité ou la convexité sans être souvent affirmée. Notons, pour la suite du raisonnement, la présence aussi bien des modèles [a = 4-6 mm;  > 115°] et [a = 7-12 mm;  < 115°] définis par A. Thévenin (ibid.; cf. infra). Une armature, avec un bord abattu rectiligne et une troncature en partie distale du support formant un angle de 45° par rapport à l'orthogonale de la pièce, a été classée en lamelle-scalène (fig. 4, n° 27). Ce microlithe, qui a conservé un talon lisse mince, rappelle certains triangles scalènes mais aucun des deux modèles présents à Fontbelle, dont il se distingue nettement. L'étude a révélé que près d'un quart seulement du carquois s'exprimait sous la forme de pointes, sans préférence marquée pour les modèles à base naturelle ou retouchée. On peut en quelques points résumer ce qui les caractérise principalement : – une latéralisation majoritairement senestre; – le choix de placer la pointe du microlithe en partie proximale du support; – le recours ponctuel à la retouche inverse rasante (fig. 4, n° 30); – la variation de l'angle formé entre la troncature et l'orthogonale à l'axe du microlithe qui est soit proche de 45°, soit de 80° dans le cas des troncatures très oblique; – la rareté du bordage du côté opposé (fig. 4, n° 33-34); – la fréquente orthogonalité de la base lorsqu'elle est retouchée, avec alors une possible délinéation aussi bien rectiligne que concave (fig. 4, n° 28-29); – l'absence de pointes segmentiformes ou fusiformes, dont les sous-types de Chaville, de la Majoire et de Sauveterre. Quelques pièces isolées semblent se démarquer de ces armatures attribuables au Premier Mésolithique : outre deux fragments épais de pointes à bord abattu, une monopointe évoque aussi une phase récente de l'Azilien. Les segments, d'étroites pièces peu épaisses et symétriques, ne sont qu'au nombre de trois dans cet ensemble microlithique (fig. 4, n° 16); l'un ressemble à certains triangles isocèles, le schéma morpho-technique pouvant éventuellement être similaire. Avant même d'aborder la question de la fragmentation des pièces à l'utilisation, il est important de prendre en compte les armatures classées comme fragments dans cette partie. En effet, la plupart d'entre elles montrent un bord abattu, ce qui pourrait potentiellement les placer dans la catégorie des lamelles à bord abattu mais aussi, selon les cas, dans celles des triangles effilés ou des pointes. Même si cela relève de l'anecdote, finissons ce tour d'horizon du fonds microlithique par la présence isolée d'un trapèze (fig. 4, n° 42). De nombreuses séries du Premier Mésolithique, y compris dans des contextes considérés à juste titre comme homogènes pour ne prendre que l'exemple de la couche 6 de Fontfaurès (Lentillac-Lauzac, Lot : Barbaza et al., 1991), ont livré un voire quelques trapèzes. Volonté originale, armatures inachevées, intrusions ponctuelles de matériel provenant d'occupations ultérieures, le sujet est à creuser. Notons en tout cas que ce modèle – trapèze rectangle à grande troncature concave latéralisé à gauche – traduit plutôt une phase précoce du Second Mésolithique et donc peut-être une phase transitionnelle entre les industries à triangles et le Mésolithique aux armatures dites évoluées. Les traces de macro-utilisation sont plus nombreuses sur les triangles scalènes et les pointes à base naturelle que sur les triangles isocèles et les pointes à base retouchée. Plus des deux tiers des fractures sont nettes, mais l'on distingue également des fractures diagnostiques de l'impact – en charnière, plume ou marche (Fischer et al., 1984) – qui ampute plus ou moins les armatures au niveau de leur apex (fig. 6). S'y ajoutent des cassures secondaires comme les spin-off (ibid.) et les coups de burin. Les triangles portent également des ébréchures sur leur troisième côté, tranchant ou retouché. En associant l'observation des stigmates (types, localisation, orientation…), on peut facilement joindre les pointes à base naturelle ou aménagée au groupe des pointes axiales (fig. 6). La détermination se complique pour les triangles : il semble que l'on ait plus fréquemment affaire à des barbelures mais certains scalènes, avec une intensification de l'abattage du bord vers la grande pointe, pourraient fonctionner en pointes barbelures telles qu'elles ont pu être définies dans le techno-complexe sauveterrien (Philibert, 2002; Chesnaux, 2008). Ces pièces combinent alors les fonctions de pointes axiales perçantes et de barbelures dilacérantes. Sans pouvoir interpréter cette donnée et la traduire en termes d'emmanchement, notons que la troncature des triangles qui porte l'impact est constituée de retouches souvent plus abruptes que la seconde. L'outillage commun n'est constitué que de 23 pièces (fig. 7). Elles se rattachent majoritairement aux outils a posteriori et outils retouchés sans organisation de l'aménagement, qui forment 58,6 % de l'ensemble (n° 9-12). Les supports alors majoritairement utilisés, des pièces épaisses conservant en partie des plages corticales, proviennent des phases de mise en forme et des séquences de réaménagement. Cette stratégie signe plus un choix délibéré qu'une contrainte liée au matériau, compte tenu de son abondance locale. Les outils aménagés sont peu diversifiés puisque la moitié d'entre eux sont des grattoirs (n° 7-8). Les quelques outils encochés (n° 3-6), réalisés sur enlèvements de toute nature, ne voient leur bord modifié que par une seule coche. Leur statut de pièce achevée prête à l'emploi en tant qu'outil reste à confirmer; malheureusement, le sédiment encaissant n'est pas favorable à l'observation des traces de micro-utilisation (polis, émoussés, stries). La même question peut se poser pour les lames tronquées (n° 1-2). On trouve également de manière isolée les types burin et couteau. S'y ajoute un nucleus dont les stigmates de réutilisation pourraient évoquer une réfection de percuteur. Aucun couteau à encoches basilaires n'est venu s'ajouter aux deux exemplaires découverts en prospections. Nous avons ici affaire à une composante cohérente de pièces culturellement diagnostiques du Premier Mésolithique et plus exactement de sa phase ancienne (9700-8020 cal B.C. : Cupillard et Richard, 1998) si l'on s'en tient à la forte proportion de triangles isocèles. Les deux couteaux à encoches basilaires iraient dans le même sens puisque ce type d'outil assez caractéristique est associé à des corpus contemporains; une datation dans le dernier quart du 9 e millénaire avant notre ère a d'ailleurs été obtenue à partir d'ossements humains d'une tombe de la Grande Pièce (La Vergne, Charente-Maritime : Duday et Courtaud, 1998; Courtaud et al., 1999) présentant huit de ces outils. À Fontbelle, une poignée d'armatures évoque une phase azilienne, ce qui n'est pas le cas des autres éléments lithiques : ainsi les nucleus – et leurs objectifs de production – ne traduisent rien de ce qui a été observé pour cette époque sur le site voisin des Prises (Brizambourg, Charente-Maritime : Naudinot in Blanchet et al., 2007). Cette composante reste anecdotique et nous pouvons ainsi proposer une esquisse des savoir-faire et des choix stylistiques concernant l'occupation mésolithique. À Fontbelle, la production semble « intégrée au sein d'une unique chaîne opératoire » (Perlès, 1991) et orientée pour fournir des supports d'armatures. Les sous-produits, eux, sont utilisés en tant que supports de l'outillage commun. Les lamelles sont majoritairement extraites sur une table large exploitée de manière semi-tournante à partir d'un plan de frappe incliné vers le dos; un plan de frappe secondaire peut être utilisé pour corriger les convexités du bloc. Différentes options sont ensuite possibles : – l'exploitation devient périphérique, avec un débitage strictement unipolaire; – la gestion volumétrique se base sur des changements d'axe de débitage avec, soit une seconde table unipolaire recoupant orthogonalement la première, soit de multiples retournements du bloc. Ces savoir-faire et choix techniques s'affichent dans d'autres collections du Premier Mésolithique issues de prospections de J. et F. Blanchet, mais aussi à La Pierre-Saint-Louis (Geay, Charente-Maritime : Michel, à paraître), à une trentaine de kilomètres de là. On retrouve également les modalités Essart-E, Essart-F, Essart-G telles qu'elles ont été définies sur le site éponyme (Poitiers, Vienne : Marchand (dir.), 2009), auxquelles s'ajoutent des variantes opératoires mais aussi des gestions volumétriques tout autres. Les résultats de l'étude en cours sur la collection E. Patte (1971) de l'abri des Rocs (Bellefonds) permettront de préciser les filiations avec la Vienne. Mais les comparaisons ne s'arrêtent pas là et l'on peut notamment s'en référer à des sites de Loire-Atlantique tels que Les Vingt-Deux-Boisselées (Saint-Père-en-Retz : Tessier, 2000; 2001; Le Goff, 2002) ou L'Organais (Sainte-Reine-de-Bretagne : Gallais et al., 1985; Le Goff, 2003), même si les options de poursuite du débitage diffèrent alors (Michel, à paraître). Compte tenu de sa position médiane sur la façade atlantique de la France, la Charente-Maritime, au delà même des limites chronologiques du Premier Mésolithique, s'est vue tantôt rattachée à des groupes plus septentrionaux, tantôt soumise à des influences méridionales. Dans le cadre chronologique qui nous intéresse ici, les industries lithiques y ont parfois été attribuées, essentiellement à partir de modèles forgés sur les armatures, à des groupes évoluant en périphérie du centre sauveterrien localisé plus au sud, voire qualifiés de sauveterroïdes. Il est en effet indéniable qu'un lien existe entre les populations de Charente-Maritime et celles évoluant plus au sud (Gouraud, 1996; 2000; Laporte et al., 2000; Marchand et Laporte, 2000). Cependant, deux points peuvent être discutés : – la notion binaire opposant centre et périphérie, désormais largement contestée car sans doute peu adaptée pour définir des chasseurs-collecteurs; – la minimisation aussi bien de particularismes locaux que de traits communs aux industries des communautés plus septentrionales ou orientales. Fontbelle confirme en effet ce qui a été observé dans les Charentes avec un carquois d'une phase ancienne du Mésolithique dominé par des triangles, avec une faible occurrence des triangles de Montclus – qui d'ailleurs sont peu nombreux plus au sud avant le Montclusien (Valdeyron, 1994). Cette préférence stylistique se fait aussi au détriment des pointes, notamment des modèles fusiformes – telles les pointes de Sauveterre, de la Majoire ou de Chaville – absents à Fontbelle, des segments de cercle et des lamelles à bord(s) abattu(s). L'intervention du procédé du microburin dans la fabrication des armatures est fréquente. Par analogie avec le Mésolithique ancien ligérien (Valdeyron, 1994), on pourrait parler pour cette composition typologique d'un « Mésolithique ancien charentais » (Michel, 2007). Ce faciès ne s'intégrerait pas purement et simplement au techno-complexe sauveterrien mais s'insérerait dans de vastes réseaux d'interactions croisées qu'il resterait à définir. Certains auteurs ont soumis l'hypothèse d'un Mésolithique ancien atlantico-ligérien (Roussot-Larroque, 2000; Thévenin, 2005). Le décryptage des triangles de Fontbelle ne va pas à l'encontre de cette idée; en effet, des modèles [a = 4-6 mm;  > 115°] et [a = 7-12 mm;  < 115° ], qui respectivement caractériseraient les industries sauveterriennes ou le Mésolithique ancien ligérien et qui, associées, correspondraient au Mésolithique ancien atlantico-ligérien (Thévenin, 2005), ont été observés à Fontbelle. Ce site de Fontbelle contribue donc à la construction de modèles sur le Premier Mésolithique en Charente-Maritime. La proportion de triangles isocèles, mais aussi la présence de couteaux à encoches basilaires, plaideraient plus exactement pour des industries de la fin du 9 e millénaire avant notre ère. Les chasseurs-collecteurs de Fontbelle ont opté pour l'acquisition de matières siliceuses taillables uniquement locales. La totalité des phases de débitage sont représentées sur le site : à la suite d'une mise en forme simplifiée, le débitage lamellaire est régi par des séquences unipolaires qui peuvent se succéder avec un plan de frappe actif alors différent. La production est intégrée à une unique chaîne opératoire : les sous-produits servent de supports à l'outillage commun alors que les lamelles sont transformées en armatures. Le carquois, dominé par des triangles, traduit, plutôt qu'une zone sous influence méridionale, un « melting-pot » certainement dû à un réseau d'interactions réciproques multidirectionnelles. Si cette série de sondages a permis d'en savoir plus sur l'industrie lithique du Premier Mésolithique, l'organisation du site n'a, en revanche, pas pu être appréhendée compte tenu des dispersions du matériel en milieu sableux. Rappelons pour finir que la récurrence de l'implantation de l'habitat mésolithique sur ce type de terrain résulte localement d'un effet de prospection plutôt que d'une « loi des sables », comme l'indiquent des occupations voisines en fond de vallée, dont celle de la Grange (Surgères, Charente-Maritime : Laporte et al., 2000; Marchand et Laporte, 2000) .
Suite aux prospections de J. et F. Blanchet, une série de sondages a été réalisée à Fontbelle (Villars-les-Bois, Charente-Maritime) pour définir plus clairement l'occupation de ce site. L'étude de la série lithique a mis en évidence, sur des matériaux siliceux locaux, une production intégrée au sein d'une unique chaîne opératoire, les lamelles servant essentiellement à la confection d'armatures et plus particulièrement de triangles isocèles.
archeologie_10-0500453_tei_157.xml
termith-4-archeologie
Le site de La Magdeleine -La Plaine se trouve sur la rive droite de l'Aveyron à 2,5 km environ à vol d'oiseau en aval du village de Penne (Tarn) et à 3,5 km environ en amont de Bruniquel (Tarn-et-Garonne). Il se situe dans les environs immédiats du confluent de l'Aveyron avec un petit ruisseau temporaire, alimenté par une source de faible débit. L'étroite vallée creusée par ce ruisseau constitue un des rares accès au plateau situé en contre-haut. La vallée de l'Aveyron est ici très étroite et très encaissée, bordée en son sommet d'abrupts calcaires parfois surplombants. Le plateau culmine à 307 m tandis que l'étiage de l'Aveyron est à 101 m. Le gisement se trouve à proximité immédiate d'un réseau de grottes se développant sur quatre niveaux et dont les porches ne sont pas exactement superposés. La grotte occupant le deuxième niveau de ce réseau n'est autre que la grotte de la Magdeleine-des-Albis, connue pour les bas-reliefs paléolithiques (Magdalénien moyen probable, Rouzaud et alii 1989) qui ornent ses parois : c'est la grotte des Vénus, découvertes en 1952 par Henri Bessac (Bessac 1971) et authentifiées la même année par l'abbé Breuil (Breuil 1952). Le gisement se trouve à trois mètres environ en contrebas de la cavité ornée; il occupe une terrasse d'une douzaine de mètres de large, couverte d'une épaisse végétation de buis, chênes et érables. Ce replat surplombe de 2,5 m environ un chemin de terre qui longe la rive droite de l'Aveyron. Il bénéficie d'une excellente exposition au sud et son altitude par rapport à l'Aveyron, bien que modérée (une douzaine de mètres), le met à l'abri des plus hautes crues actuelles (Carte 1). La présence probable d'un gisement paléolithique a été signalée en 1977 par H. Bessac, inventeur des bas-reliefs de la grotte ornée. Des travaux d'élargissement du chemin, entamant le talus, avaient mis au jour en 1971 une abondante industrie lithique ainsi que de la faune fragmentée riche en renne (Bessac 1977). Par la suite, probablement entre 1976 et 1980, H. Bessac avait pratiqué un petit sondage sur le replat, opération qu'il n'avait jamais publiée mais qui lui avait donné un intéressant mobilier. Le gisement était donc peu et mal connu. Seule la publication de 1977 faisait état du matériel mis au jour lors de l'élargissement du chemin. Le matériel publié par H. Bessac était intéressant par son abondance (plus de 10 000 artefacts) et son attribution culturelle (Magdalénien final), corroborée par une radiodatation effectuée à Lyon (Ly-1109 : 11 800 ± 300 BP). La nature du gisement posait problème : habitat de plein air, vidanges répétées de la grotte des Vénus, mélange des deux ? C'est essentiellement pour tenter de répondre à ces questions qu'un nouveau sondage a été effectué par l'auteur en 1994. Le sondage principal, de 2 m par 1 m, orienté nord-sud, situé à proximité immédiate du sondage de H. Bessac, se trouve en contrebas de la grotte des Vénus. Fouillé jusqu' à une profondeur de 1,40 m sur 2 m2, il a été poursuivi par une fenêtre de 1/4 de mètre carré jusqu' à 1,90 m sans que la base des niveaux d'occupation ait été atteinte. La fouille a été abandonnée à cette profondeur lorsqu'il n'a plus été matériellement possible de travailler. En raison de l'importante épaisseur des niveaux archéologiques, de l'abondance du matériel mis au jour, et de la difficulté d'interprétation du site, il a paru préférable d'arrêter là l'opération. Le site est ainsi préservé au maximum pour une étude ultérieure plus approfondie. La stratigraphie est la suivante (fig. 1) : C 1 : 0,40 m : humus C 2 a : 0,05 m : argile rouge C 2 b : 0,06 m : argile jaune C 3 : 0,10 m : cendres blanches C 4 : 1 m à 1,10 m : sédiment très noir, charbonneux, cailloux et blocs calcaires, galets de quartz, gneiss, schiste, interstratifié en 14 niveaux, (C 4a à C4g) très riches en mobilier et faune. Pendage assez accentué (environ 12°) C 5 : puissance inconnue, fouillé sur 0,30 m : éboulis calcaire, sédiment interstitiel très noir, mobilier et faune abondants. Dans le niveau C 4 g, on note, en partie engagé dans la coupe, un foyer en cuvette bordé de pierres, surmonté de gros blocs anguleux. La couche C 4 a été étudiée sur toute la superficie du sondage. C'est donc elle qui a fourni l'essentiel du mobilier ainsi que trois des six plaquettes gravées, dont celle qui porte les figures féminines schématiques. Voici les principales données concernant ce niveau : Industrie lithique : très abondante (plus de 5200 artefacts) et très variée, elle comporte 548 outils. On note une nette prépondérance des burins (12,2 %) sur les grattoirs (6,02 %) qui sont en même proportion que les perçoirs. Les burins dièdres l'emportent sur les troncatures (Ibd : 7,48 %).L'indice de microlithes atteint 60,04 %, les lamelles à dos représentent plus de la moitié de l'outillage (54,18 %), les pièces à coche (6,39 %) et les denticulés (4,01 %) sont en nombre non négligeable. Industrie osseuse : moins abondante, elle comporte quelques fragments d'aiguilles et de sagaies ainsi que deux harpons. L'un, relativement complet, bien que les barbelures manquent, est bilatéral (fig. 2), l'autre, incomplet, est sans doute du même type puisqu'il montre deux tubercules au niveau de l'embase. Une radiodatation effectuée sur un fragment de bois de renne provenant du même niveau que le harpon bilatéral a donné un âge de 13620 ± 130 BP (GifA 96345). La présence de harpons permet d'attribuer l'industrie au Magdalénien supérieur. Faune : très abondante, très fragmentée parfois (fragmentation sur place due au gel probablement). On note la présence de cervidés (rennes et cerfs), de chevaux, de grands bovidés, de renards. Les restes d'oiseaux, comme les restes de poissons ne sont pas négligeables. Restes humains : plusieurs dents humaines, trouvées mêlées à la faune, sont en cours d'étude. Art mobilier : représenté par trois plaquettes de calcaire gravées, dont celle qui fait l'objet principal de ce travail. Trois autres plaquettes proviennent des déblais de H. Bessac. A l'exception d'un exemplaire (fragment de stalagmite), ce sont des plaquettes en calcaire local, dont le poids varie de 1 à 11 kg. Nous distinguerons les plaquettes portant des décors figuratifs de celles qui en sont dépourvues, en commençant par ces dernières. Longueur max. : 19,5 cm; largeur max. : 12,5 cm; épaisseur : 1 à 3 cm; poids : 1 kg. Fragment de stalagmite, de forme irrégulière. Le recto, convexe, montre une surface ondulée, encombrée partiellement de concrétions grisâtres. Le verso montre des traces d'arrachement. Sur le recto on note un décor sommaire, non figuratif, centré vers la gauche et en bas : quelques tracés rectilignes ou légèrement courbes forment une sorte d'angle aigu. Longueur max. : 28,5 cm; largeur max. : 17,5 cm; épaisseur : de 3 à 3,5 cm; poids : 3,8 kg. Plaquette de calcaire beige jaunâtre, de forme grossièrement hexagonale allongée, décorée sur les deux faces. Recto : surface assez plane peu accidentée, portant vers le milieu une dépression naturelle ovale, aux bords bien délimités. Un second creux assez semblable se situe sur le bord inférieur. La partie gauche de la plaquette porte un décor non figuratif constitué d'une série de tracés fins, plus ou moins rectilignes ou courbes. Vers le bord gauche, un léger ressaut de la surface est souligné à la base par un étroit faisceau de traits fins. Quelques traits isolés occupent l'extrémité droite de la pièce (fig.4). Verso : surface très accidentée, bosselée, portant des zones avec des concrétions de calcite. La partie droite était recouverte d'épaisses concrétions cendreuses, qui ont été enlevées à l'aiguille, sous loupe grossissement x 2, afin de dégager les traits gravés sous-jacents. La presque totalité de la surface est recouverte d'une fine couche d'ocre; les 2/3 droits portent en outre des plages noirâtres, probablement brûlées. Le décor gravé sur la partie gauche de la plaquette est postérieur au dépôt d'ocre : les traits se détachent en beige clair sur le fond rosé. En revanche, dans la zone droite, le fond des traits les plus profonds est encombré d'un épais dépôt d'ocre : les gravures sont donc antérieures (fig. 5). Longueur max. : 46,5 cm; largeur max. : 19 cm; épaisseur max. : 9,5 cm; poids : 11 kg. Grande plaquette de forme grossièrement triangulaire, en calcaire beige clair, avec une patine rougeâtre, couverte d'épaisses concrétions grisâtres, cendreuses, qui ont été retirées à l'aiguille pour dégager le décor. Celui -ci n'existe que sur une face. La surface décorée affecte la forme générale d'un triangle allongé; elle est grenue mais pas trop irrégulière. Le décor se concentre vers le bord gauche de la plaquette, dans une concavité qui s'étend du bord supérieur au bord inférieur. Centré plutôt vers le bord supérieur, ce décor consiste en traits plus ou moins profonds, d'orientations diverses, qui ne montrent aucune représentation figurative. Longueur max. : 24,5 cm; largeur max. : 14 cm; épaisseur : de 0,5 à 3,5 cm; poids : 1,350 kg. Calcaire beige clair, grossièrement en forme d'hexagone allongé. Le recto montre une surface assez lisse et régulière, portant une légère protubérance vers le haut, au milieu. Le verso est assez semblable; il montre en outre des concrétions brun clair. Le recto porte un décor figuratif, centré vers le bord gauche de la plaquette. une tête de bison, très simplifiée, tournée à gauche : cornes en accolade, de tracé discontinu, dirigées vers l'arrière, représentées en perspective, chanfrein, amorce du mufle, naseau possible, barbe et fanon traités en longues hachures parallèles. On distingue également une oreille, petite, ourlée, sous la corne gauche, et un œil, grand, bien dessiné par un trait large et peu profond. Le tracé du chanfrein, très accentué, repassé, souligne la base d'un léger ressaut de la surface. Le tracé est discontinu, l'assemblage des divers éléments de cette tête étant visuel (fig. 7 et 8). un faisceau de traits plus ou moins profonds, presque raclés pour certains, postérieur au chanfrein qu'il recoupe. Quatre traits parallèles, dans le prolongement de la barbe, à l'emplacement du mufle absent, sont antérieurs au tracé du chanfrein qui en recoupe un. La partie droite de la plaquette porte deux tracés légèrement courbes et subparallèles. Longueur max. : 32,5 cm; largeur max. : 20,5 cm; épaisseur max. : 6 cm; poids : 8 kg. Calcaire beige clair, à patine rougeâtre. Les recto et le verso sont recouverts d'épaisses concrétions grises, cendreuses, qui ont été enlevées à l'aiguille pour laisser apparaître le décor, limité au recto de la plaquette. Celle -ci est de forme à peu près rectangulaire; le petit côté supérieur porte une profonde encoche naturelle. La surface est plane, régulière, partagée en trois zones inégales par de légers ressauts à peu près parallèles entre eux et aux petits côtés. Le décor est centré dans les deux registres inférieurs. Le registre supérieur porte quelques traits extrêmement fins, inorganisés pour la plupart. Le registre central de la plaquette porte un faisceau de tracés plus ou moins profonds, plus ou moins larges, pour certains presque raclés, dessinant une sorte de feston. Sur le registre inférieur, à proximité immédiate du ressaut le séparant du registre central, se distingue une petite tête animale tournée à gauche, en position médiane. Esquissée, incomplète, elle comporte un chanfrein avec l'amorce du mufle et une oreille ourlée bien dessinée, surmontée de deux “cornes” étroites, en croissant. Ni les yeux, ni les naseaux, ni la bouche ne sont figurés. L'encolure est esquissée. La minceur des cornes légèrement indiquées par deux traits, comme leur courbure divergente, exclut la représentation d'un bouquetin ou d'un chamois (fig. 10a et 10b). Les tracés sont fins mais vigoureux. Cette tête, d'allure gracile, portée droite sur l'encolure, peut être interprétée comme la représentation d'un daguet, cerf de un an à un an et demi, dont la ramure se limite à une perche non ramifiée (Grzimek et Fontaine 1972). Longueur max. : 30 cm; largeur max. : 24,5 cm; épaisseur : de 3 à 15 cm; poids : 10 kg. Grande plaquette de forme trapézoïdale irrégulière, en calcaire beige clair à patine rougeâtre, recouverte d'épaisses concrétions cendreuses, qui ont été nettoyées à l'aiguille pour faire apparaître le décor, limité au recto et à un chant. La face décorée est grenue mais relativement régulière, de forme généralement concave. Un ressaut naturel très accentué, en arc de cercle, occupe le centre de cette face, et le décor est manifestement organisé en fonction de ce godet naturel, peut-être régularisé par piquetage. Trois éléments constituent le décor (fig. 11) : encadrement du godet : trois faisceaux de traits, le premier et le deuxième contigus, formant un angle ouvert, le troisième interne recoupant le second selon un angle ouvert. Ils sont constitués de traits larges avec sillon central. Le deuxième faisceau est recoupé perpendiculairement par une série de traits ondulés profonds. à proximité du bord du godet, quelques traits plus ou moins tangents à celui -ci. centrées dans le godet, quatre figures féminines schématiques de type Lalinde-Gönnersdorf (fig. 12). Figure a : tournée à droite : longue ligne de dos prenant naissance dans le godet, fessier proéminent, ligne de ventre, pliure postérieure du genou présente mais peu accentuée. Présence possible d'un sein conique, menu. Figure b : tournée à droite, emboîtée dans la précédente : ligne de dos esquissée, fessier proéminent, pas de pliure du genou. Utilise peut-être la ligne de ventre de la précédente. Ces deux figures sont gravées légèrement, au moyen de traits dissymétriques en V, fins, usés. Figure c : tournée à gauche : ligne dorsale prenant naissance dans le bord du godet, fessier peu volumineux mais bien marqué, ligne postérieure de la jambe légèrement concave, prolongée par un long tracé rectiligne. Le cou est indiqué, son tracé antérieur se poursuit par une ligne courbe, continue, qui paraît représenter un sein de profil, volumineux. Il serait disproportionné avec le fessier, selon les canons habituels de ce type de figuration, où les seins sont absents ou menus (Bosinski et Fischer 1974). Figure d : tournée à gauche : longue ligne de dos, arrondi du fessier, ligne postérieure de la cuisse dans le prolongement de celui -ci, indication possible de la pliure du genou (fig. 12). Le décor de la plaquette paraît constituer une composition, organisée autour du “godet” central : deux groupes de traits paraissant encadrer celui -ci en suivant son contour, deux groupes de deux femmes centrées à l'intérieur. L'élément principal de la composition est le groupe de quatre femmes, emboîtées deux à deux et disposées face à face. Divers éléments montrent l'existence de relations entre les deux groupes de deux femmes : leur situation dans le “godet ”, leur disposition en face à face, les différences morphologiques entre les deux groupes. Celles orientées à droite sont sveltes, élancées, représentées debout; celles orientées à gauche paraissent plus massives et sont représentées en position assise. Cette différence qui marque une opposition entre les deux groupes indique -t-elle une scène ? Il est difficile de l'affirmer. En tout état de cause, cette opposition renforce encore l'unité de la composition de ce groupe de femmes. Les représentations féminines schématiques mobilières, gravures ou statuettes, ne sont pas rares dans la vallée de l'Aveyron : on dénombre neuf gravures et deux statuettes à l'abri de Fontalès, une statuette et deux gravures à la grotte du Courbet (Ladier 1992, Welté et Ladier 1995). Ces quatre nouvelles figures féminines schématiques de type Lalinde-Gönnersdorf complètent les inventaires de ce type de figurations, montrant dans la vallée de l'Aveyron la principale concentration des figures féminines schématiques mobilières du Quercy (Ladier, Lenoir, Welté sous presse). Le site magdalénien supérieur de la Magdeleine -La Plaine, exploré sur une surface très restreinte, se caractérise par l'abondance de son industrie lithique et la présence d'art mobilier sur support lithique, en particulier de figures féminines. La superficie restreinte du sondage n'a pas permis de statuer sur la nature exacte du remplissage anthropique, d'autant que celui -ci n'a pas pu être exploré sur toute son épaisseur. Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées. L'existence d'une stratification nette et d'un foyer dans la C 4 semblent indiquer un habitat de plein air. La présence de figures féminines schématiques paraît constituer un argument supplémentaire dans ce sens, car dans la vallée de l'Aveyron toutes les autres figures de ce type proviennent d'habitats (Fontalès, le Courbet). Pourtant, cette interprétation peut être infirmée par le pendage du niveau, environ 12°, qui paraît incompatible avec un habitat, bien que nombre d'habitats de plein air paléolithiques occupant des terrasses situées au-dessus de cours d'eau montrent une pente sensible. C'est le cas par exemple à Gönnersdorf, où cette particularité pouvait permettre une bonne évacuation des eaux pluviales, et contribuer ainsi à la salubrité des habitations (G. Bosinski, communication personnelle). Compte tenu de la faible superficie explorée, le doute subsiste sur l'existence d'un habitat, sans que cette hypothèse puisse être totalement écartée. La situation du gisement, en contrebas de la grotte ornée, peut permettre de penser que le dépôt archéologique s'est constitué par des vidanges successives de la cavité, effectuées au Paléolithique. La stratification observée pourrait résulter de cette opération. La grotte a été vidée au siècle dernier, mais des restes du remplissage soudés aux parois par de la calcite contiennent encore du matériel archéologique. F. Rouzaud évoque un “dégagement périodique de la base des sculptures” (Rouzaud et alii, op. cit.) par les paléolithiques, visant à ce qu'elles ne soient pas recouvertes par le remplissage. Mais rien ne prouve qu'ils évacuaient le sédiment. Le volume des niveaux anthropiques, l'étendue du gisement, et surtout sa large extension de part et d'autre de la grotte constituent autant d'obstacles à cette interprétation. En effet, le faible volume de cette cavité aurait nécessité des vidanges répétées, sur une très longue période, que rien ne peut démontrer. Là encore, nous n'avons que trop peu d'éléments pour trancher. On peut envisager enfin que la constitution des niveaux archéologiques soit due à l'accumulation ou à la succession des deux causes précédentes. La nature du gisement reste donc hypothétique, plusieurs possibilités étant envisageables. En tout état de cause, la présence des figures féminines schématiques permet de rattacher le site, quelle que soit sa nature, au groupe culturel qui occupait les sites de Fontalès et du Courbet (Ladier et Welté sous presse). L'existence d'une relation entre le gisement de plein air et la grotte ornée, si elle paraît probable, reste à établir et éventuellement à déterminer dans sa nature. Il en va de même en ce qui concerne d'éventuelles relations entre les femmes mobilières et les femmes pariétales. Ces questions sont particulièrement épineuses, puisque les œuvres de la grotte sont attribuées au Magdalénien moyen au plus tard, alors que le gisement se rapporte au Magdalénien supérieur .
Lors d'un sondage réalisé en 1994 sur le site magdalénien supérieur de La Magdeleine-La Plaine, plusieurs plaquettes gravées ont été mises au jour. L'une d'elles porte quatre figures féminines schématiques de type Lalinde-Gοnnersdorf.
archeologie_525-02-11807_tei_296.xml
termith-5-archeologie
Les vestiges gallo-romains de Cassinomagus sont localisés à Chassenon, commune implantée en bordure orientale du département de la Charente. Cassinomagus est positionné sur un plateau culminant à 250 m d'altitude, bordé au Nord par la Vienne et au Sud par l'un de ses affluents, la Graine (Fig. 1). Deux particularités majeures caractérisent Cassinomagus. La première est la présence d'un complexe monumental démesuré, s'étendant sur une superficie de plus de 20 hectares, à l'intérieur duquel ont été retrouvées des structures atypiques liées au culte de l'eau, par exemple un réseau de 49 fosses disposées en damier au sud du temple gallo-romain. Le contexte géologique constitue la seconde particularité du site : le substrat de Cassinomagus est constitué d'impactites. Ces formations géologiques sont affiliées à l'astroblème de Rochechouart-Chassenon (Kraut, 1969) et résultent d'un impact de météorite survenu à la fin du Trias, daté à 214 ± 8 Ma (Kelley et Spray, 1997). Durant la période gallo-romaine, le fonctionnement du bâtiment thermal, les pratiques liées au culte de l'eau et, éventuellement, l'alimentation des quartiers privés de Cassinomagus, ont nécessité un apport régulier et important en eau. Cependant, les modalités d'approvisionnement en eau et les ressources hydrogéologiques du site restaient mal connues. En effet, seulement quelques tronçons de l'aqueduc ont été mis au jour et l'observation des galeries profondes sub-horizontales, ayant pour fonction de drainer la nappe phréatique, n'a été possible qu'en deux puits-regards. Par ailleurs, les estimations avancées sur les débits apportés par l'aqueduc paraissaient peu vraisemblables (Saumade, 1995) : 30 à 50 m 3 auraient été acheminés quotidiennement via le réseau superficiel alors que le remplissage des piscines et des fosses nécessitait à elles seules plus de 700 m 3 d'eau. À tout ceci s'ajoutent les inconnues sur le fonctionnement hydrogéologique des impactites, connaissance indispensable à la compréhension du fonctionnement hydrodynamique des galeries drainantes. L'étude visait à identifier les stratégies d'approvisionnement en eau choisies pour alimenter l'agglomération de Cassinomagus (Bobée, 2007). Elle ambitionnait plus particulièrement de i) retrouver le réseau hydraulique gallo-romain, ii) mettre en évidence les connexions entre ce réseau et la trame urbaine et, iii) localiser les ressources permettant l'alimentation en eau de Cassinomagus. Pour répondre à cette problématique, archéologique et hydrogéologique, une étude couplant prospections géophysiques à maille large, à maille fine et mesures de susceptibilité magnétique a été menée entre 2003 et 2006. Ce travail a été réalisé dans le cadre d'un programme de valorisation du site archéologique de Chassenon, en réponse à un appel à projets de recherches lancé en 2003 par le Conseil Général de la Charente, appel qui a permis la création d'une réserve archéologique de 28 hectares englobant les édifices monumentaux (Fig. 1 et Fig. 3). Cassinomagus fut implantée sur le cratère de Rochechouart-Chassenon, à 5 km au nord-ouest du point d'impact, situé à Babaudus (Pohl et al., 1978) (Fig. 2). Le socle de la région était constitué avant l'impact de formations plutoniques à sub-volcaniques (granites et granodiorites) et de roches métamorphiques (gneiss plagioclasiques), mises en place au cours du cycle orogénique hercynien, entre 420 et 280 Ma (Chèvremont et al., 1996). L'impact météoritique, daté à 214 ± 8 Ma (Kelley et Spray, 1997), a provoqué deux phénomènes majeurs. La propagation de l'onde de choc a d'une part engendré une intense fracturation du socle cristallin, appelé brèche monogénique de dislocation et, d'autre part, a causé l'éjection puis la retombée de fragments de socle; ces matériaux, liés par une fine matrice, sont appelés impactites ou bien encore brèches polygéniques de retombée. Kraut (1969) classa les impactites en fonction de leur éloignement par rapport au point d'impact. À Chassenon, deux types de brèches ont été identifiés : les impactites de type Chassenon et les impactites de type Rochechouart. La différence entre ces deux matériaux est pétrochimique : les impactites de Chassenon contiennent des inclusions vitreuses riches en fer et en nickel (résidus de fusion de la météorite) alors que les impactites de type Rochechouart en sont dépourvues. Des études récentes (Bobée, 2007) ont montré que les matériaux bréchiques, dépassant localement 100 m d'épaisseur, présentaient une stratification complexe. Son toponyme gaulois, composé des termes cassino et magos, a été traduit par « le marché du chêne » (Delage, 1935). Cassinomagus fut implantée au cours de la seconde moitié du i er siècle apr. J.-C., dans la partie occidentale de la cité des Lémovices, dans une zone de contact avec les peuples Angoumoisins, Pictons et Pétrucores. Le vicus se situait à 1 km au sud de la Vienne et au croisement des axes routiers Lyon-Saintes et Périgueux-Poitiers (Courraud, 1962). Si Gémon (1958) ne voyait en Cassinomagus qu'un simple relais routier rattaché à un sanctuaire rural, le vicus aurait été, à la vue des découvertes récentes, une agglomération secondaire de type urbain (Aupert et al., 1998). En effet, la mise au jour de fondations d'habitats, datées entre le i er et le iii e siècle apr. J.-C., au Coutis (Delage, 1947), à Lachenaud (Eygun, 1961), à Chènevière (Précigou, 1889) et à Longeas (Poirier et al., 2005), et les traces d'occupations appréhendées en prospection géophysique (Aubry et al., 1999 et 2000), en prospection pédestre (Sicard, 2001), phytologique (Ghestem et al., 1999) et aérienne (Perrin et Vernou, 2001) ont permis d'évaluer la superficie de l'agglomération (Fig. 3a) : celle -ci serait de plus de 40 hectares (Bobée, 2007). L'agglomération est également composée d'un complexe monumental : thermes de Longeas, temple de Montélu, fana et édifice de spectacle sont disposés sur une superficie de plus de 20 hectares (Fig. 3a). Le réseau l'alimentation en eau se compose d'un aqueduc et de galeries profondes sub-horizontales (Fig. 3a et Fig. 3b). L'aqueduc est visible en deux endroits. Le specus a été retrouvé sur 27 m au sud-est des fana (n° A1, Fig. 3b). Le second tronçon connu est situé au sud du complexe monumental (n° A2, Fig. 3b) : la conduite repose ici sur un mur de soutènement large de 2,15 m (Aupert et Hourcade, 1995). Les fouilles récentes de Rocque et al. (2005) ont pu mettre en évidence la connexion entre ces deux tronçons (n° A3, Fig. 3b). Par ailleurs, une anomalie résistante linéaire, détectée en prospection électrique (Aubry et al., 1999) et se raccordant aux thermes et à l'aqueduc, laissait présager la présence d'une canalisation secondaire (n° A4, Fig. 3b). Sa fonction fut confirmée par Sicard et al. (2005) : au sud du temple de Montélu l'aqueduc pivote à angle droit vers le Nord, se prolonge alors sur quelques mètres pour aboutir à un premier bassin partiteur. De ce point, une première canalisation alimenterait les thermes de Longeas tandis que la seconde, d'extension encore inconnue, se dirigerait vers l'ouest (n° A4, Fig. 3b). L'aqueduc canaliserait les sources de Londeix (Fig. 1), situées à 1,8 km au sud-est des thermes de Longeas et sourdant à 230 m d'altitude (Michon, 1848; Précigou, 1889; Saumade et Moreau, 1972). Cette hypothèse est cependant en contradiction avec les études hydrologiques de Bobée (2007) : en général les sources de Chassenon ne présentent pas de forts débits, tout au plus quelques centaines de m 3 par jour en période de hautes eaux, et les sources de Londeix ne présentent pas de débits particulièrement importants. Des galeries drainantes, creusées dans le plateau au sud du complexe monumental, ont été observées lors de la fouille de deux puits-regards (Fig. 3a et Fig. 3b) : le puits de Longeas (Moreau, 1972) et le puits de Champonger (Masfrand, 1961). Larges de 0,7 m et hautes de 1,7 m, elles permettaient le passage d'un homme. La galerie de Longeas est orientée nord-sud (Fig. 3b); située à 8,5 m de profondeur, le fond du regard a été coté à 213,4 m NGF (Aupert et Hourcade, 1997). La galerie de Longeas approvisionnerait un bassin en contrebas des thermes de Longeas (B, Fig. 3b) (Aupert et Hourcade, 1997). Les galeries nord-sud et est-ouest de Champonger ont été retrouvées à 3 m de profondeur (Fig. 3b); le fond du regard, à 223 m NGF, pourrait approvisionner une partie du complexe monumental. Cependant, si selon Masfrand (1961) les galeries de Champonger s'étendent bien « au-delà des limites de la vue », leur extension reste inconnue et leur orientation approximative. Par ailleurs, des structures singulières ont été retrouvées au sud du temple de Montélu (Masfrand, 1900; Perrin et Vernou, 2001; Aubry et al., 1999) : sept rangées de sept fosses cylindriques sont disposées en damier. Profondes de 1,2 m, elles seraient reliées entre elles par de « petits aqueducs » (Masfrand, 1900) et raccordées à un canal collecteur (n° A5, Fig. 3b). Retrouver les stratégies d'approvisionnement en eau nécessite de mettre en évidence d'une part les relations entre le réseau hydraulique et l'agglomération de Cassinomagus et, d'autre part, les relations entre le réseau hydraulique et les ressources en eau superficielles. Si les connaissances actuelles laissent présager une double alimentation en eau via un aqueduc et des galeries profondes, le lieu de captage et les modalités de redistribution de l'eau ne sont pas connus. Par ailleurs, on peut questionner sur le choix, stratégique ou non, de l'implantation de galeries profondes : interceptent-elles un aquifère dans les impactites ? Pour retrouver l'agencement spatial des structures archéologiques enfouies à proximité et à l'intérieur du périmètre de valorisation archéologique, nous avons réalisé des prospections magnétiques, couplées localement avec des prospections électriques. L'interprétation des anomalies magnétiques n'est possible, dans ce contexte géologique singulier, qu'après avoir effectué des campagnes de mesures de susceptibilité magnétique sur les sols et formations géologiques présentes à Chassenon. En effet, les mesures de susceptibilité magnétique doivent permettre de caractériser les contrastes d'aimantation entre structures archéologiques maçonnées ou fossoyées et les sols développés sur les impactites de type Chassenon et de type Rochechouart. Par ailleurs, le fonctionnement hydrogéologique n'ayant fait l'objet d'aucune étude, nous avons tenté de caractériser l'extension de l'aquifère superficiel dans les impactites par la réalisation de prospections électromagnétiques fréquentielles à maille large. En général, les sols, produits d'altération enrichis en oxydes et hydroxydes de fer fortement magnétiques, présentent une intensité d'aimantation induite plus importante que leurs matériaux parentaux. Ce phénomène est généralement amplifié par l'activité bactérienne (Fassbinder, 1990) et l'activité humaine (Marmet, 2000). Les structures fossoyées se détectent alors souvent par une augmentation du signal magnétique alors que les structures empierrées sont moins magnétiques que le sol. Afin de définir les signatures magnétiques des matériaux rencontrés à Chassenon, 80 mesures de susceptibilité magnétique au sol et 85 mesures sur un affleurement original, l'église de Chassenon (localisée au bourg, Fig. 1), ont été effectuées. Ce dernier présentait l'avantage d'offrir des surfaces planes de granite, de gneiss et d'impactites de type Rochechouart et de type Chassenon. Au préalable, quarante mesures au sol ont été faites entre le temple de Montélu et le bâtiment thermal. Après chaque mesure, la couverture végétale a été ôtée et la mesure renouvelée afin de réaliser une correction liée à la présence du couvert végétal (Benech et Marmet, 1999). L'appareil utilisé (MS2, Bartington) a une profondeur d'investigation de l'ordre de 10 cm et présente les caractéristiques suivantes : une bobine unique de 18,5 cm, une fréquence d'émission de 958 Hz. Des prospections électriques (3 ha) et magnétiques (13,6 ha) ont été effectuées à l'intérieur et à proximité de la réserve archéologique. Les variations spatiales du champ magnétique terrestre ont été enregistrées à l'aide d'un magnétomètre à vapeur de césium (G858, Geometrics) en mode gradiométrique, par un balayage régulier des surfaces de prospection par profils en boustrophédon. La distance entre chaque profil a été fixée à 1 m et le pas d'enregistrement sur chaque profil a été défini à 0,2 seconde. Les prospections électriques ont été faites avec un RM15 (Geoscan); ce résistivimètre, relié à un multiplexeur (MXP15, Geoscan), permet un enregistrement multi-profondeurs des résistivités électriques apparentes. Seules les cartes acquises en dispositif pôle-pôle et pour un écartement entre électrodes de 1 m (fixées sur le portique), seront présentées. La maille d'échantillonnage est de 1 m 2. Une campagne de prospections électromagnétiques fréquentielles à maille large a été menée sur l'ensemble de la commune de Chassenon. L'appareil, de type slingram (EM34, Geonics), est composé d'une bobine émettrice (63 cm de diamètre) et d'une bobine réceptrice (100 cm de diamètre) reliées par un câble mesurant 10, 20 ou 40 m, selon la profondeur d'investigation que l'on cherche à atteindre. La fréquence d'émission, allant de 400 à 6 400 Hz, dépend de la distance séparant les bobines. En jouant sur la position des bobines, verticale coplanaire ou horizontale coplanaire, et sur la distance séparant les parties émettrices et réceptrices, six mesures de conductivité électrique apparente ont été enregistrées par point de sondage. Après inversion, chaque sondage permet la description de la variation verticale de la résistivité électrique des terrains jusqu' à une profondeur de l'ordre de 40 m. Après interpolation des modèles, des cartes de résistivité électrique pour différentes profondeurs du sous-sol ont été effectuées. La carte de résistivité électrique pour une profondeur de terrain de 8 m sera présentée. Les valeurs de susceptibilité magnétique sont globalement plus fortes dans les impactites que dans les matériaux parentaux de type gneissique (tableau 1). Les impactites de Chassenon présentent une susceptibilité magnétique de l'ordre de 145.10 - 5 uSI et, contrairement à ce que pourraient laisser présager les connaissances sur les caractéristiques magnétiques des matériaux pédogénéisés, les arènes qui se développent à leurs dépens ont une susceptibilité magnétique plus faible, d'environ 55.10 - 5 uSI en moyenne. A contrario, les sols se développant sur les impactites de type Rochechouart sont caractérisés par une légère augmentation de la susceptibilité magnétique. Enfin, les trois mesures de susceptibilité sur granite rose, localisés dans la partie sud-ouest de la commune et enregistrées sur l'affleurement, sont très variables : elles peuvent varier de plus d'un facteur 100. Les fortes gammes de susceptibilité des impactites peuvent être causées par trois facteurs : i) les conditions thermiques très élevées lors de l'impact (Lambert, 1974), provoquant la fusion et/ou la décomposition des minéraux ferromagnésiens et la formation préférentielle de magnétite, ii) la présence de particules vitrifiées en proportion variable dans les impactites et iii) la nature des éléments clastiques (gneiss ou granite) et les proportions de clastes par rapport à la fraction matricielle. À la vue des mesures de susceptibilité magnétique, l'interprétation des anomalies magnétiques est complexe. Cependant, nous avons remarqué que les structures gallo-romaines avaient été bâties essentiellement en impactites de Rochechouart, ce qui tend à simplifier l'analyse des anomalies magnétiques. En effet, les prospections magnétiques ont été réalisées au niveau des impactites de type Chassenon. Les sols qui s'y développent ont une susceptibilité magnétique de 55.10 - 5 uSI en moyenne. Ainsi, les anomalies linéaires présentant une intensité d'aimantation moins importante que le sol seront dues à la présence de structures maçonnées enfouies (impactites type Rochechouart) tandis que les anomalies légèrement contrastées avec le sol marqueront la présence de structures fossoyées. Quatre zones ont été couvertes en prospections géophysiques; celles -ci sont notées Z1 à Z4 (Fig. 4a et Fig. 4b). La zone Z1, couverte en prospection magnétique, se localise au sud-ouest du complexe monumental (Fig. 4a et Fig. 5). Les parcelles sont parcourues de linéaments de plus faible intensité d'aimantation que le sol; ceux -ci sont agencés en deux réseaux orthogonaux orientés NNE-SSO et ONO-ESE dans le secteur occidental (quartiers 1 et 2, Fig. 5) et NO-SE/NE-SO plus à l'est (quartiers 3 et 4, Fig. 5). Les anomalies longilignes, plus magnétiques que le sol, parfois en relation avec d'anciennes limites de parcelle, marqueraient la trace de fossés. Les linéaments traduisent la présence de structures maçonnées; en recoupant ces informations avec les découvertes faites en prospection aérienne (Perrin et Vernou, 2001) et lors de fouilles (Poirier et al., 2005), ces anomalies linéaires soulignent l'agencement de quartiers d'habitations. Par ailleurs, les cartes magnétiques sont bruitées : les anomalies ponctuelles, fortement contrastées avec l'encaissant, traduisent ici la présence d'accumulations de terres cuites (niveaux de destruction et/ou rejets d'activités artisanales) et de structures de combustion. Les prospections géophysiques montrent aussi la présence d'une structure linéaire maçonnée (structure A, Fig. 5) délimitant le quartier 2 au nord; possédant au moins trois exèdres sur son flanc sud, elle pourrait correspondre au prolongement du péribole du temple de Montélu vers l'ouest, sur une distance d'au moins 125 mètres. Disposés dans un secteur excentré de l'agglomération, à proximité des édifices monumentaux et de la carrière gallo-romaine de Champonger (Fig. 3a), ces quartiers privés pourraient également être le siège d'une activité artisanale. Cette hypothèse est appuyée par la présence probable de structures de combustion, identifiées en prospection magnétique, ainsi que par les fouilles de Poirier et al. (2005) qui, effectuées dans la partie est du quartier 3, ont mis au jour six unités d'habitats à caractère artisanal (2 e moitié du i er siècle apr. J.-C. - iii e siècle. apr. J.-C.). Les prospections réalisées dans la zone Z2 (Fig. 4a et Fig. 4b) ont permis d'entrevoir en partie la géométrie de l'édifice de spectacle et de mettre en évidence la présence d'un autre bâtiment au nord des thermes de Longeas. En effet, d'une part, les deux anomalies magnétiques arquées, notées B et C (Fig. 5), visibles dans la partie ouest de l'édifice de spectacle et, d'autre part, les fouilles anciennes (Michon, 1848; George et Guérin-boutaud, 1913) et l'analyse des anomalies microtopographiques (Bobée, 2007), suggèrent que l'édifice de spectacle est inscrit dans un cercle d'environ 80 mètres de diamètre. Par ailleurs, une structure faiblement magnétique et résistante, longue de 30 m et large de 22 m (Zone Z2, structure D, Fig. 5), revêt un caractère monumental. Des structures monumentales ont également été détectées au nord et à l'est des fana (structures E, zone Z3, Fig. 5). Enfin, les cartes électriques réalisées dans la zone Z3 (Fig. 4b) ont permis d'établir un plan du bâtiment thermal encore enfoui (structures F, Fig. 5) : nous avons pu mettre en évidence le prolongement des deux palestres à natatio (dimensions : 40 m x 30 m), et de l'entrée principale (dimensions : 40 m x 45 m). Une « salle » non appréhendée (structure G, Fig. 5) se situerait dans la partie nord-est du bâtiment (dimensions : 40 m x 15 m). La zone Z4 est localisée à l'extérieur du périmètre de valorisation archéologique et des tronçons connus de l'aqueduc (Fig. 4a et Fig. 4b). Les contrastes d'aimantation observés dans cette zone sont généralement très faibles (hors pollutions métalliques). Dans le prolongement théorique de l'aqueduc ont été retrouvées les anomalies géophysiques M1-E1 (Fig. 6a et Fig. 6b). L'anomalie linéaire M1, très nette, est moins magnétique que le sol (secteur M3, Fig. 6a). Elle s'observe également sur les cartes électriques : un linéament résistant E1 s'individualise dans une zone particulièrement conductrice (notée E3, Fig. 6b). Cette anomalie longiligne M1-E1, en déviant légèrement vers le sud, semble se prolonger en M2-E2; résistante, elle est cette fois -ci marquée par un contraste d'aimantation positif avec le sol, causé soit par l'emploi de matériaux de construction différents soit par le remplissage argileux d'une conduite. Les anomalies M1-E1 et M2-E2 mesurent au total près de 80 mètres de long et traduisent la présence d'un aqueduc. Une grande anomalie en arc de cercle, notée M5-E5 (Fig. 6a et Fig. 6b), est définie par une intensité d'aimantation légèrement plus faible que le sol. Cette structure s'identifie également très nettement par une augmentation de la résistivité électrique. Elle est large de 4 mètres et mesure environ 80 mètres. Ce secteur montre également de nombreux linéaments magnétiques faiblement contrastés avec le sol (anomalies M4, M6 à M8, Fig. 6a) et fortement résistants (anomalies E4 et E6, Fig. 6b); ils sont globalement orientés NE-SO et NO-SE. Ainsi, l'aqueduc en amont a été retrouvé sur 800 m de long. Les prospections électriques et magnétiques ne montrent aucun prolongement de l'aqueduc vers les sources de Londeix, supposées captées. Deux cartes électriques ont été réalisées dans la zone Z1 (Fig 4b et Fig. 6c). Cette zone d'étude est localisée dans le prolongement de la canalisation occidentale (cf. structure n° A4, Fig. 3b) mise au jour par Sicard et al. (2005). Dans le prolongement vers l'ouest de la canalisation secondaire (cf. structure n° A4, Fig. 3b) s'observe une structure linéaire résistante notée E7 (Fig. 6c). Elle se dirige à l'ouest vers une structure sub-circulaire résistante E8 de 5 m de diamètre. Celle -ci est traversée par une anomalie linéaire conductrice (E9) se dirigeant vers les fosses du sanctuaire. Un peu plus vers l'ouest se dessine une structure rectangulaire résistante E10 (dimensions : 7 m x 12 m). Elle possède deux petites « ouvertures » sur ses côtés ouest et sud. Deux anomalies linéaires conductrices, sub-parallèles, sont visibles en E11 et en E12. Enfin, notons également la présence du mur à exèdres en E13. La structure linéaire résistante E7 correspond probablement à une canalisation secondaire. La canalisation s'interrompt en limite de parcelle. Sa terminaison montre un évasement des fortes résistivités, traduisant peut-être la présence d'un bassin partiteur en E8. De là partirait deux drains (E9 et E10) : l'un conduirait l'eau vers les fosses en se raccordant au canal collecteur (cf. structure n° A5, Fig. 3b), l'autre alimenterait les quartiers privés à l'ouest du complexe monumental. Notons que E10 recoupe une structure rectangulaire maçonnée qui lui est peut-être antérieure. L'anomalie E11 est par contre à mettre en relation avec un fossé actuel, confondu avec une ancienne limite de parcelle. Ainsi, les prospections électriques effectuées dans la zone Z1 (Fig. 4b et Fig. 6c) ont permis de visualiser la présence d'un second bassin partiteur, acheminant l'eau vers les fosses du sanctuaire et vers les quartiers d'habitations. Des cartes de résistivité électrique, couvrant la commune de Chassenon, ont été construites pour différentes profondeurs de sous-sol par interpolation des modèles de résistivité électrique. Nous montrons ici la carte de résistivité électrique pour une profondeur de sous-sol de 8 mètres (Fig. 7). Les résistivités électriques des terrains oscillent entre 15 et 820 Ω.m. Un grand lambeau conducteur (résistivité inférieure à 55 Ω.m) se développe dans les zones de plateau, essentiellement au niveau des impactites. Quelques lambeaux conducteurs sont également présents au niveau des poches d'alluvions anciennes de la Vienne et des altérites. Le socle granito-gneissique est caractérisé par des résistivités électriques plus élevées, comprises entre 120 et 820 Ω.m. La zone conductrice peut-être interprétée comme étant une couche plus argileuse aussi bien saturée que non saturée en eau. Cependant, en superposant à la carte de résistivité électrique le réseau hydrographique, nous voyons qu'il existe une relation étroite entre la morphologie des cours d'eau et l'extension de la zone conductrice : les sources sourdent à la périphérie des zones conductrices. La carte de résistivité électrique pour une profondeur de terrain de 8 mètres (profondeur à laquelle l'extension du lambeau conducteur dans les impactites est maximale) révèle ainsi la géométrie de l'aquifère superficiel dans les impactites. Les prospections géophysiques à maille fine ont montré que l'aqueduc s'arrêtait après 800 mètres de parcours, en amont des sources d'Epenèdre (Fig. 1). Contrairement aux hypothèses avancées dans la littérature, le captage ne se situerait pas à Londeix (Fig. 1). L'interruption de l'aqueduc traduit soit un arrêt du chantier de construction soit un captage. Pour lever cette indétermination, une confrontation entre données archéologiques et hydrogéologiques est nécessaire. Dans cette optique, un programme informatique a été conçu afin de visualiser en coupe les variations verticales de la résistivité électrique recalées par rapport à un modèle numérique de terrain (Bobée, 2007). Une coupe, allant du plateau au sud du complexe monumental aux sources d'Epenèdre a été construite (Fig. 8). Les terrains présentent une légère déclivité allant du OSO vers ENE. Dans la partie OSO de la coupe, sur près de 400 m de long s'observe un horizon superficiel défini par de faibles résistivités électriques, allant de 15 à 80 Ω.m (épaisseur de 10 m environ). Cet horizon caractérise l'aquifère dans les impactites. Les terrains bréchiques sous-jacents et les formations gneissiques possèdent des résistivités plus importantes, comprises entre 80 et 820 Ω.m. Ici, cette différence de résistivité électrique se traduit par une différence de perméabilité hydraulique. C'est en bordure de cette langue conductrice superficielle, où sourdent généralement les sources, qu'est positionné le point amont de l'aqueduc gallo-romain. Si les sources d'Epenèdre, actuellement captées, sourdent à plus faible altitude, cette coupe (Fig. 8) révèle que le point amont de l'aqueduc pouvait être le lieu de captage. L'aqueduc gallo-romain de Cassinomagus a été retrouvé sur 800 mètres. À environ 500 m à l'est des thermes de Longeas, l'aqueduc s'interrompt brutalement. Aucune trace n'indique son prolongement vers le lieu présumé du captage, Londeix (cf. Fig. 1). Plusieurs hypothèses peuvent a priori être émises pour expliquer cette interruption : i) l'aqueduc a été démoli ou récupéré plus à l'est, ii) L'aqueduc n'a pas été achevé ou iii) l'aqueduc capte une source ou draine un aquifère. Les prospections géophysiques à maille fine nous livrent des indices permettant de plaider en faveur de la troisième hypothèse : Des linéaments NE-SO (M4, Fig. 6a) recoupent le tracé théorique de l'aqueduc dans la partie est de la prospection. Le démantèlement ou la destruction de l'aqueduc à l'est de M2-E2 (Fig. 6a et Fig. 6b) montrerait un contraste d'aimantation avec l'encaissant. Or, aucune anomalie géophysique traduisant sa présence n'a été repérée plus à l'est. L'anomalie M5-E5 (Fig. 6a et Fig. 6b) définit une structure arquée maçonnée s'inscrivant dans un cercle de 80 mètres de diamètre. Elle se situe au nord de l'aqueduc et pourrait constituer une des clés pour expliquer le mode de captage des eaux, peut-être en servant de barrière aux écoulements superficiels venant du plateau de Champonger. Par ailleurs, la carte de résistivité électrique pour une profondeur de 8 mètres (Fig. 7) montre également un écoulement souterrain certain allant du plateau sud de Champonger vers les sources d'Epenèdre, recoupant le lieu de captage gallo-romain. Les travaux de Bobée (2007) indiquent que ce sont les sources d'Epenèdre qui présentent les plus forts débits; ils ont été estimés à environ 600 m 3 /jour en périodes de hautes eaux. Ces débits restent faibles et il est probable que, pour répondre aux besoins en eau de la population, des galeries souterraines aient été creusées. Nous noterons également que l'implantation des galeries résultent d'un choix judicieux : elles sont situées dans le secteur le plus aquifère de Chassenon. Nous notons également que les modèles hydrogéologiques effectués par Bobée (2007) ont montré que l'apport en eau via les galeries drainantes constituent une ressource non négligeable : si les galeries traversent de part -en part l'aquifère, ce sont environ 3 000 m 3 qui pouvaient être apportés quotidiennement à Cassinomagus. Au niveau du complexe monumental, les sondages archéologiques de Sicard et al. (2005) ont mis en évidence une bifurcation à angle droit de l'aqueduc : celui -ci dévie au nord sur quelques mètres au niveau du Temple de Montélu et aboutit à un premier bassin partiteur; de là deux canalisations conduisent l'eau vers les thermes de Longeas et vers l'ouest. Les prospections géophysiques à maille fine ont montré que la conduite secondaire occidentale se poursuit sur 130 m et aboutit à un second bassin de forme ovoïde. De ce point, deux drains ont été mis en évidence : l'un se dirige vers le nord pour se raccorder au canal collecteur passant entre les fosses disposées en damier, l'autre permettrait l'alimentation des quartiers privés mis en évidence à l'ouest du complexe monumental. L'étude hydrogéophysique menée sur le site gallo-romain de Chassenon visait à retrouver l'organisation spatiale et le réseau hydraulique de Cassinomagus. Les mesures de susceptibilité magnétique et les prospections géophysiques à maille fine et à maille large ont permis d'entrevoir les relations entre réseau hydraulique et ressources en eau. Ainsi, bien que les ressources en eau soient faibles sur le site, les architectes de Cassinomagus ont fait le choix de puiser préférentiellement les ressources locales plutôt que de construire un aqueduc de grande dimension. L'alimentation en eau des thermes de Longeas, des fosses présentes dans le sanctuaire et des quartiers d'habitations à caractère artisanal (quartiers 1 à 4, Fig. 5), n'a pu être réalisée que par le choix d'associer le captage de sources (Epenèdre) et le drainage par galeries souterraines de l'aquifère superficiel dans les impactites .
Le but de cette étude était de retrouver les ressources en eau en contexte de métamorphisme de choc (astroblème de Rochechouart-Chassenon), de reconstituer l'organisation spatiale des structures gallo-romaines de Cassinomagus, implantées à Chassenon, et de tenter de comprendre les relations entre les constructions gallo-romaines et les ressources en eau. Nous avons répondu à cette problématique par la réalisation de prospections géophysiques. La réalisation de prospections électriques et magnétiques à maille fine, couplées à des mesures de susceptibilité magnétique, ont permis d'entrevoir l'extension du bâtiment thermal, l'agencement des quartiers privés à proximité du complexe monumental ainsi que l'extension du réseau hydraulique superficiel. Le traitement des sondages électromagnétiques à maille large a permis de produire des cartes de résistivité électrique pour différentes profondeurs de terrains; ces cartes ont révélé la présence d'un aquifère dans les impactites et ont montré d'étroites relations entre la position du captage, des galeries drainantes et l'extension des formations aquifères.
archeologie_08-0463629_tei_385.xml
termith-6-archeologie
La première moitié du XXème siècle a vu émerger les principales appellations d'outils, encore usitées aujourd'hui. Dans cette phase de désignation et de caractérisation des industries, le nom du site éponyme a souvent été employé pour singulariser un outil, définissant alors un type particulier. Ces termes eurent des avenirs contrastés, certains furent adoptés très rapidement, d'autres concurrencés, puis remplacés, voire oubliés (Le Brun-Ricalens 2005). À ces péripéties historiographiques, s'ajoute parfois un glissement terminologique. Ainsi, un décalage peut également se dessiner entre le sens initial d'une appellation et l'acception qui en est faite quelques décennies plus tard (Brézillon 1968; Le Brun-Ricalens 2005). L ' « histoire » du burin des Vachons illustre bien le long processus qui se déroule entre la découverte d'un outil, la reconnaissance de ses spécificités et les différentes phases de description. Le burin des Vachons, mis au jour à la fin du XIXème siècle par J. Coiffard, identifié par J. Bouyssonie en 1948, puis défini par M. Perpère en 1972, se trouve actuellement dans sa phase de caractérisation technologique. La dénomination « Vachons » a été appliquée à de nombreux burins carénés plans dont les enlèvements tendent à envahir la face inférieure de l'éclat, conférant à ce « type » une définition très large et, par conséquent, assez floue. Un retour à la série éponyme, objet de cet article, révèle clairement que l'appellation Vachons ne peut se résumer ainsi, et renvoie au contraire à une réalité technique bien plus spécifique, qu'il paraît pertinent de préciser et définir. Une fois redéfini et replacé dans son contexte chronologique, le burin des Vachons illustre bien plus qu'une anecdote technologique : il semble synonyme d'un changement fort dans les conceptions et les objectifs de la production lamellaire qui accompagne les dernières phases de l'Aurignacien. La station des Vachons, commune de Voulgézac, Charente, correspond à une suite d'abris et de grottes, s'ouvrant sur la partie méridionale d'un vallon dans lequel serpente la bien-nommée Font-Robert. Dès 1867, A. Trémeau de Rochebrune, puis G. Chauvet en 1896, commencèrent les premières prospections et ramassages. Peu après J. Coiffard entreprit des fouilles (Coiffard 1914,1922) dans l'Abri 1 et plus particulièrement dans l'Abri 2. P. David réalisa ensuite une tranchée dans la grotte attenante. De 1929 à 1937, les fouilles furent menées de concert par J. Coiffard et J. Bouyssonie (Bouyssonie et Sonneville-Bordes 1956; Fontaine 2000). Le chanoine de Brive effectua dans l'Abri 1 une tranchée perpendiculaire à la cavité, puis prolongea la fouille de P. David dans la grotte de l'Oeil-de-boeuf. J. Bouyssonie reconnut cinq niveaux archéologiques dans l'Abri 1, allant de l'Aurignacien au Gravettien final, et un seul niveau gravettien sur la plateforme inférieure du même abri (Bouyssonie 1948). L'Abri 2 livra à J. Coiffard une séquence similaire (Bouyssonie et Sonneville-Bordes 1956). La séquence de la grotte est légèrement plus récente. Dans cette cavité, les quatre ensembles rencontrés débutent au Gravettien pour s'achever avec le Solutréen. La qualité de la lecture stratigraphique des fouilleurs permet à partir de leurs observations de restituer avec plus de précision la séquence archéologique. Dans l'Abri 1, à la base du niveau 1, J. Bouyssonie mentionne la présence « d'un lit assez mince et poussiéreux, mais gris » contenant des pièces aurignaciennes, mais aussi « des éclats de facture moustérienne, voire un biface » (Bouyssonie 1948, p. 5). Cette observation fut reprise dans la publication suivante : « il est vraisemblable de supposer qu'une trace de niveau moustérien existait aussi à l'Abri n°2 » (Bouyssonie et Sonneville-Bordes 1956, p. 279). En effet, de nombreux éléments lithiques peuvent être rapportés à une occupation du Paléolithique moyen : racloirs, denticulés, supports issus de productions discoïdes, biface et fragment de biface, tous deux de type MTA (comm. pers. J.-Ph. Faivre). Selon J. Bouyssonie, la couche 2 de l'Abri 1 correspond peut-être à « deux strates, assez friables en arrière, très compactes en avant, où elles se trouvent coincées sous des blocs tombés » (Bouyssonie 1948, p. 6). Enfin, si un seul ensemble est individualisé sur la plateforme inférieure de l'Abri 1, le chanoine identifia « plusieurs lits minces noirâtres, sensiblement horizontaux, intercalés de lits sableux » (Bouyssonie 1948, p. 8). Il note que « les plus inférieurs de ces foyers bousculés contenaient pas mal de grattoirs carénés et de rabots [et] pourraient être contemporains de la couche 2 de l'Abri 1. À peu près au même niveau, j'ai remarqué de jolis spécimens de « fléchettes » du type de La Gravette; les autres foyers, plus ou moins superposés, fournirent toujours des pointes à pédoncule » (Bouyssonie, 1948, p. 9). Ces éléments témoignent en faveur de l'existence de plusieurs niveaux archéologiques identifiés lors de la fouille, mais non isolés les uns des autres. Enfin, dans la grotte, J. Bouyssonie mentionne la présence d'un niveau d'Aurignacien évolué, comparable à celui de la couche 2, situé un peu en avant (Bouyssonie 1948, p. 35). Ces observations permettent d'affiner la stratigraphie habituellement retenue, bien que cela ne corresponde vraisemblablement qu' à une vague image de ce que fût la séquence archéologique complète (tab. 1). Les burins des Vachons furent rencontrés dans des ensembles comparables dans les quatre locus fouillés (Bouyssonie 1948; Bouyssonie et Sonneville-Bordes 1956; Perpère 1972 a et b, 1977). Sa position stratigraphique peut être définie comme sus-jacente à l'Aurignacien typique dans l'Abri 1, sous-jacent au Gravettien ancien devant ce même abri, dans le prolongement horizontal de l'Aurignacien typique de l'Abri 2, et pour la grotte, sur le substrat, en avant, apparemment déconnecté de la séquence intérieure. La collection des Vachons fut dispersée dans divers musées et institutions dont le Centre Régional d'Archéologie de Poitiers, l'Institut de Paléontologie Humaine (Fontaine 2000) et le musée Henri Barré de Thouars dans les Deux-Sèvres. La série de la couche 2 abordée ici provient des fouilles réalisées par J. Coiffard. Il en fit don, en 1900, au Musée des Eyzies, actuel Musée National de Préhistoire; elle provient majoritairement de l'Abri 2 (tabl. 2). Son intégrité peut être largement remise en question par la présence d'éléments lithiques attribuables à différentes périodes du Paléolithique : éléments moustériens cités précédemment, puis un outillage comparable à celui de la couche 1, dont de nombreux grattoirs carénés et une lame étranglée, et enfin, une microgravette proche de celles de la couche 3. Compte tenu de ces biais, le mobilier présent ne peut être abordé comme un système technique cohérent et donc être interprété de manière globale. C'est donc à une approche du burin des Vachons partiellement déconnecté de son contexte industriel que nous contraint cet assemblage. Très tôt l'abbé J. Bouyssonie distingua les burins rencontrés à l'Abri des Vachons : « Ici, nos ouvriers sont arrivés à une perfection remarquable : en amincissant la pièce par des retouches latérales en écaille, ils obtiennent ce qu'on pourrait appeler un burin caréné plan ou pointu » (Bouyssonie 1948, p. 16). En 1956, il affine leur caractérisation : ces burins « ont en commun le fait qu' à un enlèvement unique, celui qui est parallèle à l'axe de la pièce, est opposé un groupe d'enlèvements étroits obtenus par une technique lamellaire identique à celle employée pour les grattoirs carénés les moins larges » (Bouyssonie et Sonneville-Bordes 1956, p. 284). Toutefois, ce burin ne futpas introduit dans la liste typologique du Paléolithique supérieur (Sonneville-Bordes et Perrot 1956), ni dans celle révisée en 1972 (non publiée), mais intégré au manuel de typologie de Heinzelin (Heinzelin 1962, p. 30). M. Brézillon compara ensuite ces pièces à des « burins carénés sans encoche » (Brézillon 1968, p. 181). En 1972, M. Perpère individualisa enfin ces outils sous le terme « burin des Vachons » (Perpère 1972a, p. 414; 1972b, p. 321). Les critères de définition retenus concernent la présence d'un pan unique préférentiellement à droite, des enlèvements plans multiples à gauche, une retouche inverse du bord droit prolongeant ces négatifs, la présence d'une coche sur le bord gauche et l'implantation du burin fréquemment sur la partie proximale d'un éclat cortical épais (Perpère 1972a, p. 416). Cette définition fut reprise dans le dernier essai de classification des outils du Paléolithique supérieur (Demars et Laurent 1989). Le burin des Vachons constitue une catégorie apparemment polymorphe. Les aménagements varient en effet de manière très prononcée. Toutefois, la mise en forme de ces pièces conduit toujours à interpréter ces aménagements comme tributaires d'une intention de production lamellaire, ce que la restitution des logiques opératoires semble confirmer. Ces burins sont réalisés sur des supports de natures diverses, comprenant des lames, des sous-produits du débitage laminaire, et une fraction importante d'éclats, fréquemment corticaux. Les supports recherchés sont souvent asymétriques et présentent parfois un dos naturel qui sera utilisé comme plan de frappe, brut ou après une modification du bord par une retouche directe abrupte. La variabilité morphologique initiale des supports est corrélée à une mise en forme différentiée, sensiblement liée à la régularité et à l'épaisseur du support transformé. Les supports les plus fins, comme les lames, ne sont ainsi pratiquement pas investis (fig. 1, n° 1). A l'opposé, l'exploitation de supports épais, notamment des éclats corticaux, induit un aménagement accru (fig. 1, n° 2; fig. 2), voire complet, de la face inférieure (fig. 3). Les exemplaires les plus investis témoignent de mises en forme complètes, par le biais d'une crête périphérique, structurant totalement le volume initial, qu'il s'agisse d'éclats, d'éclats diaclasiques ou même de fines plaquettes (fig 4). Les nucléus ainsi obtenus possèdent des morphologies très distinctes. Les nucléus sur lames ou sur préformes complètes sont étroits et symétriques alors que l'exploitation d'éclats épais, fréquemment corticaux, configure le volume de manière asymétrique. Ce facteur trouve une incidence notable sur les modalités respectives de gestion du débitage. Le positionnement de la table s'effectue dans la partie étroite du volume, transversalement à la longueur du support. Dans certains cas, l'allongement des enlèvements a été privilégié par le biais d'une orientation de la table dans le grand axe du nucléus (fig. 3, n° 1). L'exploitation de nucléus étroits permet de maintenir la progression du débitage au centre du volume, de manière frontale, sans investir fortement les flancs (fig. 1, n° 1; fig. 4). En revanche, l'asymétrie des nucléus épais implique un positionnement de la table légèrement différent car l'importante convexité du flanc cortical réduit la possibilité de déborder vers la face supérieure. L'envahissement se trouve plus fortement limité si le plan de frappe est aménagé par retouche directe. Dans ce cas, la table est alors implantée de manière désaxée entre la tranche et la face inférieure de l'éclat (fig. 1, n° 2; fig. 2). Le débordement vers la face inférieure s'effectue par l'intermédiaire de lamelles torses et outrepassantes, emportant un pan de la face inférieure en bordure de table ou les négatifs de la mise en forme. L'entretien de la face supérieure passe préalablement par l'extraction d'une tablette emportant la troncature (Le Brun-Ricalens et Brou 2003). Cet enlèvement burinant met en place une angulation plan de frappe/face supérieure et une nervure d'accroche pour le percuteur, favorables à l'envahissement de la face supérieure. Un éclat de cadrage peut alors être extrait à la jonction table/face supérieure. Cet éclat très standardisé présente une morphologie triangulaire, évasée en partie distale. Il emporte sur son bord droit une part des négatifs lamellaires issus de la table, en son centre, le négatif du précédent éclat de même type, et en son bord gauche, un pan de la face supérieure (emportant soit les négatifs des enlèvements antérieurs, soit du cortex) (fig. 5, n° 3 et 4, et pour les négatifs de ces éclats fig. 1, n°2; fig. 3, n°2). L'exploitation d'éclats épais asymétriques implique donc une gestion différentiée des flancs. La progression, dans ce cas, n'est pas véritablement semi-tournante, puisque la position des produits recherchés ne varie pas au cours de la réduction. L'extraction de supports de cadrage en bordure de table constitue une des spécificités de la production de type Vachons. Il répond à une intention de délimiter précisément la table, en réduisant les convexités latérales, liées à l'exploitation d'une tranche d'éclat. Cela contribue également à configurer la délinéation latérale des enlèvements. Ainsi, la morphologie des supports lamellaires extraits au centre de la table n'est pas tributaire de la morphologie initiale du volume exploité. Compte tenu de l'absence de fraction lamellaire dans la série étudiée, la morphologie des produits recherchés ne peut être appréhendée que par l'observation des négatifs lamellaires et la compréhension des logiques d'agencements des supports. Deux types d'enlèvements peuvent ainsi être distingués. Les supports extraits au centre de la table sont droits et rectilignes car l'onde de choc détache l'enlèvement avant d'arriver en fin de table. Les supports, extraits à partir du négatif du bord droit des précédents, donc légèrement désaxés vers la face inférieure, montrent une torsion dextrogyre ténue en partie proximale et une faible courbure. L'outrepassage des lamelles latérales et la convergence des enlèvements lamellaires confèrent une extrémité acuminée à ces deux types de produits. D'un point de vue dimensionnel, les négatifs lamellaires dessinent des gabarits très distincts, de 17 à 60 mm de longueur (jusquà 80 mm pour le plus long), et 3 à 12 mm de large. Seules certaines orientations techniques, certaines conceptions de la production de type Vachons transparaissent dans cette collection, très fragmentaire. En dépit de ce biais, la diversité et la complexité de ce système technique se profilent clairement. La production de type Vachons ne peut être comprise comme l'expression d'une unique modalité technique mais comme un « concept » de production se déclinant selon différents axes. Cette conception se manifeste par la réalisation d'un objectif, la production de lamelles subrectilignes à rectilignes, pointues, selon différentes modalités techniques, liées notamment à la morphologie initiale des supports sélectionnés (fig. 5). L'apparente variabilité du burin des Vachons disparaît ainsi derrière une manière unique de concevoir la production. Seule l'étude d'ensembles lithiques homogènes sera à même de définir si à ces modalités peuvent être corrélées des différences d'objectifs notables, et ainsi de distinguer des sous-types de production. La reconnaissance d'une logique de production de type Vachons s'avère d'autant plus importante que les débitages réalisés sur tranches d'éclats peuvent présenter de fortes convergences techniques. Le mode de ravivage des burins des Vachons s'effectue en effet selon une modalité documentée pour le Magdalénien ancien de Thèmes (Le Brun-Ricalens et Brou 2003). De même, l'entretien latéral de la table à la jonction de la face supérieure, par l'extraction d'un sous-produit très spécifique, trouve de forts points de comparaison avec les productions sur burins carénés fins de l'Aurignacien récent du Levant (Tixier 1974; Bergman 1987; Soriano 1997), mais également du Gravettien ancien de la Vigne Brun (Pesesse 2002, 2003). La reconnaissance depuis ces dix dernières années de nombreux schémas opératoires basés sur l'exploitation de la tranche d'un éclat tant pour le Paléolithique supérieur (Le Brun-Ricalens et Brou à paraître; Le Brun-Ricalens et Brou 2003; Le Brun-Ricalens 2005; Brou et Le Brun-Ricalens 2005) que pour certaines industries du Paléolithique moyen récent (Slimak 1999, Slimak et Lucas 2005) révèle la multiplicité des objectifs et des réponses adoptées par les artisans paléolithiques pour faire face aux contraintes volumétriques et morphologiques inhérentes à l'exploitation d'une tranche d'éclat. Si des convergences techniques apparaissent entre elles, des logiques d'exploitations différentes permettent, selon l'agencement des supports et des éléments de cadrage, d'exprimer des objectifs distincts. Au-delà de convergences techniques, des formes de passage peuvent apparaître entre différents procédés. La série des Vachons offre des exemples de pièces partageant des caractères de gestion mixte, depuis le burin busqué à cadrage latéral, jusqu'au burin des Vachons à coche d'arrêt (fig. 6). Ces éléments tendent à nuancer sinon réduire l'impression de rupture créée par les exemplaires les plus typiques de chacun des procédés lamellaires. Très tôt des comparaisons furent établies entre le niveau 2 des Vachons et des ensembles aurignaciens à fort indice de burins (Bouyssonie 1948). En 1950, J. Bouyssonie remarque que « la similitude de l'industrie du burin au niveau 2 de ces 3 gisements : Chanlat, Bouïtou, Vachons est frappante » (Bouyssonie et Delsol 1950, p 188). Ce niveau d'Aurignacien évolué fut ensuite rapproché du niveau D2S de Caminade-Est (Bouyssonie et Sonneville-Bordes 1956, p. 284), bien que D. de Sonneville-Bordes ne décrive pas de burin caréné proche des Vachons dans ces niveaux riches en burins busqués (Sonneville-Bordes 1970). D. de Sonneville-Bordes compara cette industrie à l'Aurignacien II de la Ferrassie et de la Faurélie (Sonneville-Bordes 1960, p. 131). En 1962, H. Delporte mentionne la présence « du « burin caréné » de l'Aurignacien évolué des Vachons » dans la couche 17 de l'Abri du Facteur (Delporte 1962), présent dans les couches 17 à 15 (Delporte 1968). La dénomination « burin des Vachons » et la définition proposées par M. Perpère (Perpère 1972 a et b) confèrent enfin une certaine lisibilité à cette catégorie d'outils. En Charente, M. Perpère retrouve ces burins particuliers dans la couche B de l'Abri du Chasseur (Perpère 1975, p. 245) bien que l'homogénéité des niveaux présentant de tels témoignages de « survivance » (Balout 1956) de l'Aurignacien au Gravettien aie pu être remise en question(Perpère 1975, Sonneville-Bordes 1985). A. Morala rencontre ces burins dans l'Abri Peyrony, niveau 9a-10 (Morala 1982, 1984). Par la suite, P. -Y. Demars reconnaît ces outils dans la couche supérieure de Chanlat (Demars 1982), puis à Roc de Combe, couches 5 et 6 et à Gorse (Demars et Laurent 1989; Demars 1994). Le Grand Abri de la Ferrassie a livré à H. Delporte des burins « du type des Vachons » dans la partie sommitale de la séquence, à partir de la couche K3b (Delporte 1984). Dans les sériations successives de l'Aurignacien, H. Delporte ne prit pourtant jamais en compte la présence de burins des Vachons, comme un élément de subdivision des phases récentes de l'Aurignacien (Delporte 1962, 1968, 1984, 1991). Les burins des Vachons sont aussi présents dans la couche VIII du Flageolet I et dans la couche 5 (peut-être dans les couches 4 et 6) de la grotte Maldidier (Rigaud 1982). L'importante séquence de l'Abri Pataud abonde en ce sens, les burins des Vachons apparaissent dans la partie supérieure, à partir de la couche 7 (Chiotti 2003). En résumé, les burins des Vachons furent toujours rencontrés en sommet de séquence aurignacienne, dans des niveaux sus-jacents à des assemblages à grattoirs à museaux, et associés à des burins busqués (fig. 7). Ces éléments de stratigraphie confirment leur valeur chrono-culturelle reconnue par P. -Y. Demars (Demars 1994; Demars et Laurent 1989) comme marqueur de la fin de l'Aurignacien dans les gisements du Nord de l'Aquitaine et des Charentes. Dans certains niveaux archéologiques comprenant des burins des Vachons, plusieurs populations de lamelles retouchées peuvent être distinguées. Il s'agit notamment de lamelles Dufour torses dextrogyres, à retouche dextre inverse ou alterne, correspondant au sous-type Roc-de-Combe (Demars et Laurent 1989). Ces supports sont produits à partir de grattoirs à museaux et de burins busqués (Lucas 1997, 2000; Chiotti 1999, 2000, 2003; Bordes 2005). La seconde population, représentée par les lamelles Caminade, est réalisée sur des lamelles rectilignes, de très petites dimensions, portant une retouche directe sur un bord, ou, plus rarement, sur les deux (Bordes et Lenoble 2002). Ces lamelles sont issues, comme les lamelles Roc-de-Combe, de burins busqués. À côté de ces deux populations, certains supports se différencient par un module plus important, un profil rectiligne ou légèrement courbe, et par la présence d'une fine retouche dextre directe. Ces lamelles retouchées s'observent notamment à l'Abri Peyrony (Morala 1984), à Maldidier, au Flageolet I (Rigaud 1982) et à la Ferrassie (Delporte 1984) (fig. 8). Ces supports présentent des caractéristiques dimensionnelles et morpho-techniques très distinctes des lamelles Dufour et Caminade de l'Aurignacien récent. En revanche, elles partagent le module et la rectitude des négatifs décrits pour la production de type Vachons (fig. 8, n° 8 à 13). Compte tenu de cette correspondance en termes d'objectifs, il est alors envisageable que ces lamelles à retouche directe marginale correspondent aux lamelles produites à partir des burins des Vachons. La réalisation de remontages et la discrimination d'autres schémas lamellaires concordants dans ces niveaux seront nécessaires pour vérifier pleinement cette hypothèse. L'association du burin des Vachons avec d'autres modes de productions lamellaires, grattoirs à museaux et burins busqués, pose certains questionnements concernant la stricte co-existence de ces modalités que seules de nouvelles fouilles, notamment de sites de plein-air, permettront de vérifier. La présence du burin des Vachons a pu être confirmée lors de l'examen du matériel de certains gisements nord-aquitains. Dans la collection Peyrony de l'Abri de la Ferrassie, conservée au Musée National de Préhistoire, ces burins se rencontrent de manière épisodique dès la couche H (fig. 9), attribuée à l'Aurignacien II (Peyrony 1933), leur fréquence augmente de manière significative dans les couches sus-jacentes, H ', attribuée à l'Aurignacien III, et H ' ' à l'Aurignacien IV (Peyrony 1933). Pour l'heure, la position stratigraphique des burins des Vachons de la couche H reste discutable. Les couches 6 et 5 du Roc-de-Combe, respectivement attribuées à un Aurignacien II et évolué par D. de Sonneville-Bordes (Sonneville-Bordes 2002) et la couche VIII du Flageolet I, décrite comme un Aurignacien récent (Lucas 2000, Rigaud 1982) recèlent effectivement ces burins spécifiques (fig. 10). Dans ces gisements, les burins des Vachons révèlent une logique opératoire identique à celle observée dans la série éponyme. Le choix des supports de nucléus s'avère aussi varié. Toutefois, bien que certaines pièces aient été fortement investies, la mise en forme demeure généralement sommaire. Un examen de la fraction fine des séries du Roc-de-Combe et du Flageolet I a permis de retrouver les éclats de mise en forme (notamment des éclats kombéwa) et des éléments d'entretien des nucléus (fig. 11). Leurs caractéristiques techniques viennent confirmer les tendances décrites précédemment. Certains éclats kombéwa ont pu être remontés sur des burins des Vachons, dans la couche VIII du Flageolet I, mais malheureusement aucune lamelle retouchée. La variation des types de produits, pressentie lors de l'étude des burins-nucléus, se retrouve dans la fraction lamellaire de la couche VIII du Flageolet I, et dans une moindre mesure dans celles des couches 6 et 5 du Roc-de-Combe. Les produits recherchés étant soit tors en partie proximale, soit totalement rectilignes. Malgré cette différence, ils présentent une retouche directe sur un bord, voire les deux, affectant surtout la partie distale, renforçant ainsi l'aspect appointé de ces lamelles. La série éponyme permet de reconsidérer la nature du burin des Vachons et de poser, en complément aux observations antérieures, des bases nouvelles pour sa définition et sa compréhension. Cette pièce peut dorénavant être considérée comme un nucléus à lamelles et non plus comme un simple outil, aspect déjà évoqué par L. Chiotti (2003). Le burin des Vachons ne correspond pas seulement à un schéma de débitage original réalisé à partir d'un burin caréné mais à un concept de production lamellaire décliné sous des formules très diverses, du burin caréné fin à la préforme complète. Ainsi, l'envahissement de la face inférieure ne constitue qu'un des éléments de définition et de reconnaissancedu burin des Vachons et ne peut être retenu isolément comme diagnostique. Mais l'intérêt ne réside pas dans le degré d'élaboration ou de complexité du système technique; des productions lamellaires très normées, très investies existent durant tout l'Aurignacien. En revanche, la manière dont les objectifs de production lamellaire évoluent à partir des traditions techniques de l'Aurignacien récent constitue un élément remarquable. Après l'évolution morphologique et technologique progressive de la lamelle Dufour depuis l'Aurignacien ancien jusqu'au sous-type Roc-de-Combe, une modification importante apparaît enfin dans ce continuum. Les objectifs lamellaires, depuis le processus de production de type burin busqué, dont la rigidité opératoire assure la constance du profil et la faible dispersion dimensionnelle des produits recherchés, les nano-lamelles torses (Lucas 1997, 2000; Chiotti 1999, 2003; Chazan 2001; Bordes 2005; Bordes et Lenoble 2002), évoluent en faveur d'un élargissement dimensionnel de la gamme des produits et une modification notoire des paramètres. Les lamelles provenant du burin des Vachons mesurent en effet de 20 à 60 mm de longueur, possèdent un profil rectiligne à subrectiligne et une extrémité distale aigüe. La généralisation de la retouche directe, apparue avec la lamelle Caminade, constitue un des paramètres de cette évolution. Toutefois, bien que les logiques opératoires des burins busqués et des burins des Vachons diffèrent notablement, une mise en opposition stricte de ces processus ne permettrait pas d'appréhender les mécanismes d'évolution de ces systèmes techniques. Dans ce sens, le burin des Vachons pourrait être abordé comme le prolongement technique de certaines innovations manifestées, dès la phase à burins busqués, avec la lamelle Caminade (Bordes et Lenoble 2002). En effet, cet outil cristallise déjà certaines intentions, dont la rectitude, qui seront les éléments constitutifs de la production de type Vachons. La reconnaissance d'un tel objectif dans les phases récentes de l'Aurignacien nord-aquitain modifie profondément notre compréhension des dernières expressions de cette culture. Au-delà des variations techniques, le burin des Vachons révèle une modification profonde dans la manière même de concevoir la production dans l'histoire lithique aurignacienne. Ce changement conceptuel permet de mieux envisager les innovations et les restructurations ultérieures que ne laissait entrevoir la rigidité du processus de production de type burin busqué. Un important travail reste à accomplir dans la compréhension de l'Aurignacien récent, notamment dans la caractérisation des objectifs de production des burins des Vachons, dans la documentation de la diversité de ce système technique, dans la définition de son ancrage dans la tradition technique et économique aurignacienne. La manière dont les productions lamellaires évoluent à partir de l'Aurignacien récent, dans les objectifs et leur intégration à la sphère laminaire (Bordes et Lenoble 2002; Michel 2005) constitue une voie d'investigation privilégiée à la compréhension des sociétés de la fin de l'Aurignacien. Cette contribution ne constitue qu'un jalon de cette enquête .
La couche 2 des Vachons a livré un type de burin particulier reconnu par J. Coiffard (Coiffard 1914, 1922), puis J. Bouyssonie (Bouyssonie 1948) et défini par M. Perpère comme le " burin des Vachons " (Perpère 1972 a et b). Le façonnage de ces burins correspond à une intention de production lamellaire orientée vers la recherche de lamelles à tendance rectiligne, mesurant de 20 à 60 mm de long. Un schéma opératoire complexe peut alors être restitué. Cette redéfinition confirme la forte charge culturelle de ce procédé, dont témoigne sa position chronologique dans les gisements du nord de l'Aquitaine. En effet, les ensembles comprenant des burins des Vachons clôturent certaines séquences aurignaciennes classiques dont la Ferrassie, le Roc-de-Combe, l'Abri Pataud, le Facteur et le Flageolet I. La nature du procédé opératoire et de l'objectif sous-jacent révèlent un changement fort dans les conceptions lamellaires de la fin de l'Aurignacien, en décalage avec les productions antérieures issues des burins busqués. Ce travail propose de documenter cette évolution technique qui permet d'envisager sur des bases nouvelles les dernières phases de l'Aurignacien.
archeologie_08-0040096_tei_255.xml
termith-7-archeologie
Cette chronique, comme les précédentes (dernièrement : Guichard, 2004), a pour objet de présenter succinctement les résultats des travaux de terrain effectués dans le cadre du programme de recherches sur le Mont Beuvray lors du dernier cycle triennal (2003-2005). Le cahier des charges de ce cycle prévoyait qu'une attention plus grande serait portée à l'environnement de la ville gauloise de Bibracte. Il s'articulait en effet en deux objectifs : Reconnaissance de la ville gauloise (Objectif 1, décliné en sept actions correspondant à autant de recherches de terrain) et Contexte naturel et humain du Mont Beuvray (Objectif 2, décliné en quatre actions). De fait, malgré des avancées inégales selon les sujets, les recherches regroupées sous cette thématique ont fait un bond en avant important au cours de la période, dont les pages qui suivent se font le reflet. Précisons encore que les données exposées s'appuient sur les présentations préliminaires des résultats, effectuées par leurs auteurs dans les Rapports annuels d'activité du Centre archéologique européen. Enfin, il est agréable au signataire de cette chronique de remercier les nombreux collègues européens – listés en annexe – qui contribuent avec dévouement aux recherches sur le Mont Beuvray et, tout autant, aux membres du Conseil scientifique de Bibracte, qui suit avec attention et oriente le développement de ces travaux. Le démarrage du programme triennal 2003-2005 a coïncidé avec un renouvellement important des recherches de terrain menées sur l'oppidum lui -même (fig. 1) : démarrage d'une nouvelle action sur les remparts (qui fait suite à l'étude de la fortification « extérieure ») par l'équipe de l'université de Vienne, investissement du secteur méconnu du Theureau de la Wivre par l'université de Lausanne et de la « plate-forme » PC14 du Parc aux Chevaux par l'université de Bologne, lancement de la fouille d'une tranchée minière à la Pâture des Grangerands par le CNRS / UMR 5608. Parallèlement ont été poursuivis les chantiers de la Pâture du Couvent (universités de Budapest et de Leipzig), de la Côme-Chaudron (CNRS / UMR 5594) et de la domus PC1 (école de fouille des adolescents). Le volet environnemental s'est traduit par des approches d'échelles diverses : caractérisation du peuplement antique de la vallée de l'Arroux (poursuite de l'action des universités de Durham et de Reading) et étude des zones humides à l'échelle du Morvan (université de Bourgogne, CNRS / UMR 5594 et 6565). Les années précédentes, la connaissance des systèmes de fortification de l'oppidum avait grandement progressé grâce aux relevés microtopographiques entrepris par F. Schubert. Ces relevés n'ont pas évolué depuis 2002 (cf. Guichard, 2004, fig. 2 pour un état à jour), l'accent étant provisoirement mis sur la restitution cartographique et la publication des mesures collectées depuis 1996. C'est du moins cette nouvelle cartographie qui a déterminé le contour du nouveau programme de recherche mené par O. H. Urban depuis 2003. Celui -ci s'est en effet attaché à caractériser une ligne de défense peu marquée dans le relief – relativement aux deux lignes principales que sont les remparts « extérieur » et « intérieur » – qui avait été repérée en avant de la Porte du Rebout (fig. 2). Cette ligne de fortification délimite un réduit fortifié d'environ 3 ha, que la voie principale d'accès à l'entrée de l'oppidum franchit par un tracé en baïonnette. Des sondages en tranchées ouverts en deux emplacements ont révélé un talus fortement arasé et dépourvu de structure (ni parement, ni trace de poutrage), précédé d'un fossé en V large de 4 m à l'ouverture et profond de 1,2 m. Les modestes données stratigraphiques collectées suggèrent que l'installation de l'ensemble est postérieure au début du I er siècle avant J.-C. et que l'abandon se produit à l'époque augustéenne. On aurait donc affaire à un renforcement des défenses d'une entrée principale de la ville, de construction sommaire mais idéalement installée à la rupture de pente et dans une position dominante vis à vis des voies d'accès. Dans la partie la plus avancée de la fortification, le talus se dédouble, pour délimiter une terrasse intermédiaire, longue de 40 m et large de 15. La fouille a montré que cette terrasse avait une destination funéraire, puisqu'un enclos carré fossoyé pourvu d'une tombe à incinération a pu y être étudié, associé à au moins un autre, dont seul un angle avait été repéré en 2005 (fig. 3). L'enclos, de 7 m de côté, est délimité par un fossé profond de 0,8 m. La structure funéraire est complétée par un calage de poteau dans chaque angle intérieur. La tombe consistait en un vase-ossuaire déposé dans une petite fosse, accompagné d'un gobelet à boire. Les restes d'un individu adulte (de sexe féminin ?) voisinaient avec les tessons de plusieurs balsamaires et d'une amphore, des plaquettes d'os travaillé de très bonne qualité (vestiges d'un fulcrum ?), du charbon de bois et quelques restes carbonisés de fruits locaux (noisettes) et surtout exotiques (noix, figues, dattes). Cette tombe se distingue de celles étudiées précédemment quelques centaines de mètres en contrebas, au col du Rebout, par différents caractères : sa situation bien en vue près d'une porte de la ville, son association avec une architecture funéraire élaborée et son mobilier insolite. Pour toutes ces raisons, on peut conclure que l'on a affaire à une sépulture privilégiée, dont la datation reste imprécise en raison du caractère ubiquiste des objets qu'elle contenait. Ce chantier a été ouvert en 2000 afin d'actualiser notre connaissance d'un des secteurs de l'oppidum où les recherches du XIX e siècle avaient été les plus importantes, avec notamment deux orientations : - d'un point de vue urbanistique, comprendre l'organisation du quartier et l'articulation des bâtiments avec les axes de circulation; - d'un point de vue architectural, préciser l'implantation des ateliers d'artisans localisés au XIX e siècle à cet emplacement (étendue des ateliers, rapport avec les espaces résidentiels…). Pour cela, deux vastes sondages ont été ouverts de part et d'autre du tracé de la large « avenue » issue de la Porte du Rebout, qui traverse l'oppidum de part en part (fig. 4). Au terme du programme triennal 2003-2005, aucun des deux sondages n'avait été complètement exploité. Les résultats, qui restent donc provisoires, dépassent néanmoins les espérances (Dhennequin et alii, 2006). La fouille a révélé une importante séquence stratigraphique, avec plusieurs états de construction et de nombreuses phases de réfection qui s'échelonnent jusqu' à la fin du I er siècle avant J.-C. (fig. 5). L'implantation du quartier remonte très probablement aux premières années de l'occupation urbaine - quoique les couches d'occupation antérieures au milieu du I er siècle avant J.-C. demeurent très difficiles à appréhender en raison, sans doute, des multiples recreusements de terrasses. Les bâtiments sont très nombreux. Ils se succèdent rapidement, au rythme des incendies qui ont émaillé à plusieurs reprises la vie de ce quartier (fig. 6). Ceux à ossature de bois, les mieux conservés qu'on ait jamais eu l'occasion d'observer sur le Mont Beuvray, permettent de définir des types architecturaux propres au site, avec une puissante ossature formée de poteaux verticaux équarris en rang serré sur trois côtés et une paroi plus légère du côté aval. Certains ont livré les vestiges in situ d'ateliers de bronziers et de forgerons. La répartition du bâti, enfin, témoigne de l'existence d'un véritable tissu urbain au sein duquel les constructions sont disposées en alignements nettement plus serrés que le suggéraient les plans de fouille de J.-G. Bulliot. L'exploration du vaste chantier de l' îlot des Grandes Forges s'est poursuivie avec les interventions conjointes des équipes de l'université de Budapest et de l'université de Leipzig (fig. 7). Les recherches se sont concentrées dans la partie centrale de l' îlot et dans son angle nord-ouest. Dans les années antérieures, la fouille de la parcelle centrale avait révélé un ensemble homogène de constructions, identifié de façon provisoire à une domus datée de la fin du I er siècle avant J.-C. (Timár et alii, 2006). Les premiers vestiges d'un état maçonné plus ancien avaient également été repérés. Dans l'angle nord-ouest, quelques cellules alignées de même module en arrière d'un mur de façade sans refend avaient fait envisager l'existence d'une galerie, dont l'articulation avec la domus restait inconnue (Guichard, 2004, p. 65, fig. 14). L'équipe de l'université de Leipzig a concentré ses recherches sur la façade occidentale de l' îlot (fig. 8). Elle a rencontré une situation stratigraphique très complexe, qui s'explique en grande partie par l'intensité des occupations médiévales et modernes dans ce secteur. L'histoire du réseau hydraulique du couvent franciscain a pu être précisée et l'on a révélé un bâtiment sur poteaux porteurs associé à la plus ancienne phase de construction conventuelle - qui reste mal datée. Les couches antiques ont livré une stratigraphie identique à celle rencontrée dans l'angle nord-ouest de l' îlot les années précédentes. Plusieurs cellules supplémentaires ont pu être dégagées en arrière de la galerie supposée (cinq sont désormais certaines), ce qui renforce l'hypothèse d'une rangée de boutiques courant tout le long de la façade. On n'a cependant pas encore pu caractériser le plan des constructions augustéennes (très perturbées par des récupérations de maçonneries post-antiques) dans l'axe de la domus qui occupe la parcelle centrale de l' îlot. La validation de l'existence de la galerie et l'articulation de celle -ci avec la domus (entrée supposée) reste donc au programme des recherches des années prochaines. Les constructions maçonnées ont subi des remaniements, parmi lesquels le plus visible – et le plus récent, bien qu'imprécisément daté - correspond au mur de refend nord-est/sud-ouest [9507/9542 ], qui réorganise profondément les circulations dans l' îlot. Il est chaîné avec un mur perpendiculaire [9509] qui semble ceinturer les constructions de la parcelle centrale sur ses faces septentrionale et orientale (cf. supra, fig. 8). Lui sont enfin associées deux installations regroupant (pour l'une au moins) un four et un vase de stockage, dont la destination est inconnue. Au terme de la campagne 2005, l'existence de maçonneries contemporaines de l'état pré-augustéen repéré dans la parcelle centrale (cf. infra) demeurait problématique. La fouille a enfin livré de riches couches d'occupation antérieures aux constructions en pierre. Les plus anciennes - datées de La Tène D1b et La Tène D2a - se manifestent sous forme d'épandages d'amphores et de traces de constructions en bois dont le plan n'est pas restituable en raison du caractère morcelé des observations. On observe du moins des alignements parallèles à l'axe de la grande rue adjacente (fig. 9). Une étape un peu plus récente se signale surtout par une vaste cave dépourvue de murs en pierre, très partiellement sondée sous la pièce T. L'équipe de l'université de Budapest, quant à elle, a continué à explorer les couches anciennes à l'emplacement de la partie centrale de la domus augustéenne. Ces recherches ont été complétées par une tranchée d'exploration vers l'est, ouverte en 2005. Les résultats les plus importants concernent l'ensemble de constructions maçonnées qui a précédé la domus (fig. 10). Cet ensemble s'organise autour d'une cour de 22 m de côté (fig. 11). Celle -ci est flanquée d'une basilique à trois nefs du côté ouest, avec une transition assurée par deux gradins en pierre de taille, et de deux étroits corps de bâtiments au nord et au sud. L'architecture, d'excellente qualité, comporte des colonnes de calcaire avec bases attiques et chapiteaux corinthiens et doriques. Plusieurs étapes de construction sont bien discernables. Le plus ancien aménagement correspond à l'installation d'un grand collecteur d'eau qui traverse en diagonale le sous-sol de la cour. Lui succède l'installation des deux corps de bâtiment du nord et du sud, la basilique venant finalement s'insérer entre eux et fermer la cour vers l'ouest. La période de fonctionnement de l'ensemble, très brève, est située provisoirement entre 50/40 et 35/25 avant J.-C. Le terme est marqué par un incendie, qui fut rapidement suivi par l'arasement complet du complexe pour laisser place à la domus, installée rigoureusement dans le même axe, mais dont les fondations ne s'appuient jamais sur les murs de l'état antérieur. Le plan des vestiges de cet ensemble, comprenant une cour et une basilique accolée, accessible par un escalier, incite fortement à l'identifier à un forum. Un sondage profond dans la pièce centrale de la domus a également permis d'atteindre, sur une superficie limitée à moins de 50 m 2, des couches de construction antérieures aux états maçonnés, contemporaines de l'état le plus ancien repéré dans l'angle nord-ouest de l' îlot. Rappelons que la fouille du secteur PC 1 a été conduite par l'université de Lausanne jusqu'en 1998. Cette fouille stratigraphique, désormais intégralement publiée (Paunier, Luginbühl, 2004), n'avait concerné que le quart nord-ouest de l'emprise de la domus qui constitue l'état de construction le plus récent de ce secteur et dont le plan d'ensemble avait été (approximativement) levé par J.-G. Bulliot. Depuis lors, l'exploration de ce secteur se poursuit dans le cadre de l'école de fouille ouverte chaque été aux adolescents et dirigée par des archéologues salariés par Bibracte, dans une perspective de dégagement extensif pour préparer la mise en valeur de l'édifice. Les années 2003-2005 ont été consacrées aux ailes méridionale et occidentale, qui ont été en grande partie dégagées, ainsi qu' à plusieurs structures situées au-delà du mur périmétral de la domus vers le sud (pièces en appentis, cave en pierre) (fig. 12). Malgré les restrictions apportées à la fouille (qui est limitée aux sols et couches en relation avec l'occupation la plus tardive du secteur – l'état 5 de la publication de D. Paunier et Th. Luginbühl), les résultats sont conséquents. Ils permettent en effet de compléter et de corriger bien des points de détail de la publication du fouilleur du XIX e siècle : situation des ouvertures, présence de seuils en pierre de taille et de poêles de chauffage, fonctionnement et remaniements du réseau hydraulique, décoration (mosaïques de sol)… Il s'avère notamment que la décoration de la principale pièce de réception (œcus), constituée de peintures de troisième style et de très modestes vestiges d'une mosaïque polychrome (emblema ?), est contemporaine d'une réfection majeure de l'état 5, destinée à en améliorer l'assainissement. Le comblement d'abandon de la cave a livré un important lot de mobilier daté des alentours du changement d'ère ou peu après (Simon, 2005), mais il n'a malheureusement pas été possible de comprendre l'articulation entre cette cave et les constructions de l'état 5. La plate-forme PC14 est une vaste terrasse artificielle qui occupe l'ensellement qui sépare les vallons des ruisseaux de la Goutte Dampierre et de l' Écluse. Les recherches du XIX e siècle avaient montré que cette terrasse était limitée vers le nord par un mur continu long de 95 m, avec des retours suivis sur une vingtaine de mètres (fig. 13). Aucun vestige architectural n'avait été repéré dans cet espace, parfaitement plan, ni dans l'enceinte de la plate-forme contiguë PC15, plus petite mais délimitée sur ses quatre faces. Une observation attentive de la topographie suggère que les trois murs de PC14 appartiennent en fait à un vaste enclos qui occupe toute la largeur de l'ensellement, soit 200 m du nord au sud. Le chantier de PC14 a été ouvert en 2002 par l'équipe de l'université de Bologne, avec les deux objectifs suivants : - caractériser la fonction de la plate-forme (espace public ?); - étudier la nature et la densité des occupations antérieures dans ce secteur central de l'oppidum, encore très peu affecté par des fouilles intensives. La fouille s'est poursuivie entre 2003 et 2005 avec des moyens volontairement limités, son responsable ayant privilégié l'achèvement de la publication de sa fouille antérieure sur le Mont Beuvray. Les nouvelles données concernant la plate-forme se limitent principalement à sa datation, tardive (dernier tiers du I er s. avant J.-C.), et à son possible caractère monumental – deux tambours en granite appartenant à des colonnes engagées ont en effet été retrouvés dans l'éboulis du mur de clôture septentrional. Des traces de constructions légères ont également été observées sur la pente située en contrebas de ce mur. Aucune trace d'aménagement n'a en revanche été détectée dans l'enceinte, dont le sol s'est avéré superficiellement démantelé. Les résultats les plus substantiels, bien que partiels, se rapportent à une occupation antérieure, dont témoignent des restes bien conservés de bâtiments incendiés à ossature de bois, associés à des caves et à un profond puits (14,5 m). Ces découvertes témoignent donc d'une occupation dense de cette zone avant l'époque augustéenne. Le secteur du Theureau de la Wivre, situé dans la partie nord-ouest des remparts, avait très peu attiré les fouilleurs du XIX e siècle. L'équipe de l'université de Lausanne s'y est livrée entre 2003 et 2005 à une exploration extensive, qui a concerné deux secteurs, en s'appuyant sur les levers microtopographiques de F. Schubert (fig. 14). On s'est tout d'abord intéressé aux abords de la Roche de la Wivre où l'on a mis en évidence d'importants terrassements du I er siècle avant J.-C., qui sont à l'origine de l'existence de la Roche dans sa forme actuelle et d'une plate-forme rectiligne longue de 250 m, sans destination caractérisée. On s'est ensuite porté sur le sommet et le versant occidental du Theureau. On y a aussi identifié d'importants travaux de terrassements d'époque augustéenne, destinés à créer une autre plate-forme, encore plus imposante mais toujours dépourvue d'indices quant à sa destination (fig. 15). On a montré que cette plate-forme s'était substituée à un quartier d'habitat et d'ateliers qui était totalement insoupçonné jusqu'alors. Les vestiges de ces constructions enfouies sous les épais remblais de la plate-forme s'avèrent néanmoins nettement plus fugaces que ceux des quartiers étudiés jusqu' à présent. Au cours des années 2003-2005, l'équipe de paléoenvironnementalistes (université de Bourgogne, CNRS/UMR 5594 et 6565) a pu poursuivre l'étude des zones tourbeuses du Morvan, en les soumettant à une démarche pluridisciplinaire (palynologie, géochimie, datation par le radiocarbone). Ces nouveaux résultats (fig. 16) étoffent considérablement les données collectées, auparavant disponibles pour la seule tourbière du Port des Lamberts (Monna et alii, 2004; Jouffroy - Bapicot et alii, 2007). Ils permettent de dresser un tableau de l'évolution du couvert végétal du massif, corrélé avec des pollutions par métaux lourds (résultats de défrichements et d'activités industrielles) dont le caractère local est démontré. L'impact anthropique sur l'environnement s'accentue partout à l' Âge du Fer et persiste à l'époque romaine, avec des indices d'activités industrielles (métallurgiques) dès le Bronze final. Le même type de recherche a également été lancé sur le remplissage d'excavations artificielles, notamment le « canal du Touron » – une probable minière protohistorique longue de plus de 500 m – sur la commune d'Arleuf, qui livre une date d'environ 2000 BP à la base des dépôts organiques ainsi qu'une très bonne séquence palynologique pour les périodes médiévale et moderne. L'occupation antique des campagnes proches de Bibracte reste encore très médiocrement connue, ce sujet n'ayant pas encore fait l'objet d'action spécifique depuis la reprise des fouilles. Il faut dire que les conditions environnementales (forêt et pâturages) ne sont guère propices aux prospections sous leur forme traditionnelle. Un mémoire universitaire soutenu à l'université de Lausanne a permis de commencer à bâtir un support cartographique et de compiler les données archéologiques archivées au Service régional de l'Archéologie et principalement issues des recensions, dépouillements de cadastres et prospections menés dans les années 1980 et 2004 par l'association Histoire et Nature de l'Autunois (Amoroso, Dellea, 2005). Parallèlement, l'équipe britannique a complété ses prospections systématiques dans la vallée de l'Arroux (fig. 17), parvenant à caractériser plusieurs établissements ruraux d'époque romaine d'importance variable et à collecter sur ces sites différents indices en faveur d'occupations plus anciennes. Enfin, on s'est préoccupé de lancer de nouvelles recherches sur deux sites antiques particulièrement importants identifiés à proximité immédiate de Bibracte : - le site du Quart du Bois (commune de Poil, Nièvre), où des sondages effectués dans les années 1980 avaient livré des vestiges maçonnés d'époque romaine et un important mobilier de La Tène D et d'époque romaine, tandis que trois vastes enclos carrés (funéraires ?) avaient été identifiés à proximité par photographie aérienne; - le site des Sources de l'Yonne (commune de Glux-en-Glenne, Nièvre), où avaient été très partiellement dégagés trois fana dans les années 1980, la fouille livrant par ailleurs un grand nombre de fragments d'amphores. De nouvelles prospections ont été lancées aux Sources de l'Yonne, ponctuellement en 2004, de façon plus systématique en 2005, par une équipe issue de l'université de Mayence et du Römisch-Germanisches Zentralmuseum. Elles ont d'ores et déjà révélé une occupation du I er siècle avant J.-C., caractérisée par des tessons d'amphores Dr. 1 et de longues terrasses artificielles sur le versant qui domine le sanctuaire. Cette occupation s'étend sur plusieurs dizaines d'hectares (fig. 18). L'archéologie minière du Morvan s'est développée dans deux directions, sous l'impulsion de Jean-Paul Guillaumet (CNRS/UMR 5594) et Béatrice Cauuet (CNRS/UMR 5608). Dans un premier temps, on s'est livré à l'inventaire des travaux miniers anciens sur plusieurs zones test du Haut-Morvan et de l'Autunois. Cette recherche a bénéficié du séjour post-doc que l'UMR 5594 a pu offrir à Calin Támas, géologue à l'université de Cluj (Támas, 2004; Cauuet et alii, 2006a). Cette enquête a montré que le Morvan disposait dans ce domaine d'un potentiel aussi important que le Limousin (fig. 19). Dans l'Autunois, le versant septentrional du plateau de Planoise a livré de nombreux indices d'une vaste exploitation de type alluvionnaire sur des arènes granitiques, en association avec des indices d'étain (Cauuet et alii, 2006b). Dans un second temps, on s'est intéressé aux indices miniers identifiés sur le mont Beuvray lui -même (fig. 20). L'équipe toulousaine (UMR 5608) a en effet ouvert en 2005 un sondage dans une minière supposée de la Côme Chaudron (site CC 18 de J.-G. Bulliot). Les premières observations montrent qu'il s'agit d'une excavation artificielle comblée au I er siècle avant J.-C. Elles ne donnent pas d'indication définitive sur sa destination car, a plus de 4 m de profondeur, le fond de l'excavation n'a pas été atteint. Un bilan peut être rapidement esquissé des apports des années 2002-2005, au vu des questionnements qui étaient les nôtres au début de cette période (Guichard, 2004, p. 79-87). Sur la question des modalités de fondation de l'oppidum, force est de reconnaître que les trois années écoulées n'apportent guère de nouveauté, puisque le chantier particulièrement consacré à cette question – celui d'O. H. Urban sur les fortifications – n'a en fait rencontré que des aménagements du I er siècle avant J.-C. Sur l'abandon du site, on retiendra que les différents chantiers, notamment celui de la Pâture du Couvent (Beck et alii, 2006), livrent toujours aussi peu d'objets sûrement postérieurs aux années 10 avant J.-C., avec toutefois une exception notable : la cave associée à la domus PC1, où a été reconnu un assemblage de mobilier céramique particulièrement évolué. La question de l'urbanisme et de l'architecture a en revanche connu des avancées certaines. On n'hésite plus désormais à envisager que la basilique tardo-républicaine de la Pâture du Couvent ait été un édifice public qui aurait fait partie d'un forum – alors que cette hypothèse paraissait encore très improbable il y a peu. Sa datation nous interroge sur l'ampleur, insoupçonnée jusqu' à ce jour, de la romanisation de la Gaule centrale dans les années qui ont suivi la guerre des Gaules. Par ailleurs, les recherches engagées depuis 2002 sur d'autres espaces à vocation publique présumée, bien qu'encore peu avancées, permettent de discerner des aménagements édilitaires majeurs, sous forme de vastes terrassements effectués au détriment de quartiers d'habitation, qui incitent à penser qu'une vaste entreprise d'urbanisation a été engagée à une date tardive (fin du I er siècle avant J.-C.). Le caractère fugace des traces d'occupation relevées au sommet des terrasses artificielles ainsi observées au Theureau de la Wivre et à PC14 suggère que cette entreprise n'a pas été menée à son terme. Toujours pour la période postérieure à la conquête, le mémoire universitaire de F. Meylan (2005) fournit un cadre de réflexion stimulant, en proposant une nouvelle lecture des plans archéologiques, avec une organisation et une densité du bâti bien plus fortes que celles perçues par Bulliot. Il estime entre 1000 et 3000 le nombre de feux dans la ville au moment de son floruit, ce qui invite à réviser à la hausse l'estimation de sa population. La fouille de la Côme-Chaudron livre quant à elle de nouveaux témoignages, spectaculaires, d'une architecture à ossature de bois particulièrement soignée et massive, véritablement urbaine, dont les plus anciens témoignages semblent datables des premiers temps de l'oppidum. Cette fouille conforte aussi la proposition de F. Meylan, en montrant que les bâtiments sont accolés en ordre serré le long de l'avenue centrale qui traverse la ville de part en part depuis la Porte du Rebout. Les fouilles nouvelles du Theureau de la Wivre et de PC14 ont mis en évidence des quartiers d'habitat antérieurs à l'époque augustéenne à une certaine distance de cette avenue, ce qui démontre que le secteur densément peuplé à cette époque – si ce n'est dès le début du I er siècle avant J.-C. – s'étend bien au-delà du voisinage de cet axe. Le dernier bilan d'étape publié sur le Mont Beuvray faisait encore état de résultats prometteurs sur le sujet des études consacrées à l'environnement du site. De fait, plusieurs actions poursuivies depuis lors ont confirmé ces premiers résultats, notamment en matière d'étude des tourbières et de recensement des travaux miniers anciens dans le Morvan. Les résultats restent plus modestes sur le plan de l'occupation humaine aux abords de l'oppidum dans l'Antiquité, pour la simple raison que des moyens humains encore trop limités ont pu être investis dans cette direction. Ce volet doit néanmoins se développer dans les années à venir, après la constitution en 2005 d'une équipe de recherche franco-allemande et le renforcement de l'équipe britannique qui œuvre déjà dans ce domaine. Les encourageantes observations préliminaires sur le site des sources de l'Yonne, dont l'importance a manifestement été sous-estimée jusqu' à aujourd'hui, nous invitent à insister dans cette voie. Alors que la progression des recherches sur les oppida – qui connaît un renouveau certain, au moins en France – conduit à nuancer des modèles parfois centenaires et à mettre en évidence la multiplicité des cas de figure à l'échelle européenne (Haselgrove, 2006, passim), tandis que l'examen approfondi des modalités de la romanisation n'en finit pas de nous livrer des surprises, par leur diversité et leur précocité (Paunier, 2006, passim), les recherches dont fait l'objet le site de Bibracte nous semblent plus que jamais à même d'enrichir notre réflexion sur ces sujets. C'est pourquoi les travaux de terrain qui se poursuivent mettent l'accent sur les questions particulières de l'urbanisme et les espaces publics, de la première romanisation de l'architecture et les relations entre la ville et son terroir. 1. fortifications : Otto H. Urban, Université de Vienne 2. Côme-Chaudron : Jean-Paul Guillaumet, CNRS/UMR 5594 ARTeHIS, Dijon 3. Pâture du Couvent : Sabine Rieckhoff, Université de Leipzig 4. Pâture du Couvent : Miklós Szabó, Université LórándEötvös, Budapest 5. Parc aux Chevaux (PC1) : Vincent Guichard, Bibracte 6. Parc aux Chevaux (PC14) : Daniele Vitali, Université de Bologne 7. Theureau de la Wivre : Thierry Luginbühl, Université de Lausanne 8. Pâture des Grangerands : Béatrice Cauuet, CNRS/UMR 5608,Toulouse Prospection sites antiques : C. Haselgrove, Université de Durham (actuellement : Leicester); J. Creighton, Université de Reading; T. Moore, Université de Durham; P. Lowther, Université de Leicester. Caractérisation des sites majeurs : P. Haupt, Université de Mayence; M. Schönfelder, RGZM, Mayence. Évolution de l'environnement, zones humides : C. Petit, Univ. de Bourgogne/UMR 5594 ARTeHIS; F. Monna, Univ. de Bourgogne/UMR 5594 ARTeHIS; I. Jouffroy-Bapicot, CNRS/UMR 6565, Besançon. Prospection des sites miniers : Béatrice Cauuet, CNRS/UMR 5608, Toulouse; Jean-Paul Guillaumet, CNRS/UMR 5594 ARTeHIS, Dijon; Calin Támas, CNRS/UMR 5594 ARTeHIS, Dijon et Univ. de Cluj-Napoca. Amphores : F. Olmer, CNRS/UMR 5140, Lattes Carpologie : J. Wiethold, INRAP Pétrographie, meules : F. Boyer, Paris; J.-P. Garcia, Univ. de Bourgogne/UMR 5594 ARTeHIS Mat. de construction en terre cuite : F. Charlier, Univ. M. Bloch, Strasbourg Mobiliers céramiques : Philippe Barral, Université de Franche-Comté/UMR 6565; Th. Luginbühl, Université de Lausanne Mobiliers métalliques : Jean-Paul Guillaumet, CNRS/UMR 5594 ARTeHIS, Dijon; Sabine Rieckhoff, Université de Leipzig Numismatique gauloise : Katherine Gruel, CNRS/UMR 8546, Paris Numismatique romaine : Laurent Popovitch, Univ. de Bourgogne/UMR 5594 ARTeHIS Microtopographie et cartographie : F. Schubert, Ingolstadt
Cet article propose une chronique des principales découvertes effectuées entre 2003-2005 dans le cadre du programme international de recherches consacré à l'oppidum de Bibracte sur le Mont Beuvray, situé en Morvan. Au rang des observations, signalons notamment une ligne de fortification avancée de l'oppidum et une zone funéraire associée, des bâtiments à ossature bois remarquablement conservés, un complexe monumental (forum?) préaugustéen et des acquis importants sur l'environnement du mont Beuvray (étude de tourbières, prospection de sites miniers et de sites d'habitat).
archeologie_08-0202240_tei_339.xml
termith-8-archeologie
Site marquant s'il en est du paysage archéologique du sud-ouest de la France, Laugerie-Haute a participé à l'avènement de la Préhistoire. Les fouilles ont vraiment débuté sous l'impulsion de E.Lartet en 1862. Sans revenir sur la longue liste des fouilleurs 1, retenons l'intervention de ceux qui ont le plus contribué à la constitution des collections paléontologiques : D. Peyrony de 1921 à 1935 (Peyrony et Peyrony 1938), puis F. Bordes dès la fin des années 1950 (Bordes 1958, 1978). Une intervention ultérieure, plus limitée, celle de G. Guichard dans les années 1970 (Guichard et al. 1984), reste à exploiter. Les données fauniques ont été exploitées par plusieurs chercheurs. Certaines recherches concernent des éléments limités comme les dents dans le cadre d'analyses cémento-chronologiques (Gordon 1988; Burke 1995); d'autres portent sur une large part des collections : J. Bouchud (1966) a travaillé sur les vestiges de renne provenant des fouilles Peyrony puis F. Delpech (1975, 1983) a étudié la faune issue des fouilles Bordes. Enfin, à son arrivée au Musée national de Préhistoire des Eyzies et à l'occasion du changement de direction, S. Madelaine procède à un inventaire complet des collections Peyrony dont il publie la partie la plus significative (Madelaine 1989). Nous ajoutons ici le décompte des restes de mammifères pour le Solutréen de Laugerie-Haute Est, fouilles D. Peyrony (tab.1). Parmi les vestiges fauniques des collections Peyrony, des centaines d'os sinon plus ne sont plus rapportés aux secteurs ouest et est du gisement et d'autres sont sans distinction de niveau. A signaler que 1 011 vestiges de Laugerie-Haute Est sont désormais notés “Solutréen probable” faute de renseignements fiables. Le matériel attribué au Magdalénien et au Solutréen (fouilles Peyrony et fouilles Bordes) est revu en 2002 par J.-C. Castel dans le cadre de la réalisation de la nouvelle muséographie. Concernant la collection Peyrony, les différences entre les observations de 1989 et celles de 2002/2006 sont infimes (quelques dents séparées de leurs séries ou fragmentées). Pour le matériel de Laugerie-Haute Ouest provenant des fouilles Bordes, la situation est tout à fait semblable et les boîtes créées par F. Delpech dans les années 1970 ont réussi à nous parvenir sans modifications (tab. 1). Il importe de noter que la plupart du matériel récolté par D. Peyrony est désormais enregistré comme Solutréen moyen, ce qui n'était pas le cas lors des examens de Bouchud. La répartition actuelle n'est donc absolument plus conforme à celle observée à l'époque et perd donc sa fiabilité. Dans ce contexte, il n'est pas raisonnable de tenter de caractériser les différentes phases du Solutréen de Laugerie-Haute Est. Toute tentative doit être précédée d'une reconstitution de l'historique de cette collection. Malgré ces problèmes de changements d'attribution, nous avons considéré que le matériel qui a manifestement changé d'attribution de phase du Solutréen, n'avait toutefois pas circulé entre les différentes grandes phases culturelles. Pour les analyses qui suivent, nous avons toujours considéré les études issues des décomptes des chercheurs de la deuxième moitié du XXème siècle (Bouchud et Delpech) comme plus fiables que celles que nous pourrions réaliser à partir des décomptes actuels. Au problème de mélanges de niveaux, s'ajoute celui de la conservation des vestiges après la fouille. Jusqu' à présent les vestiges sont conservés dans des sacs ou dans des boites qui ne dépassent pas 1 kilogramme mais qui peuvent contenir une cinquantaine de vestiges. La moindre manipulation provoque ainsi une usure du matériel. Le matériel dégagé par F. Bordes dans les années 1960 ne semble pas avoir beaucoup souffert. Celui issu des fouilles D. Peyrony est, en revanche, beaucoup moins bien préservé. Les vestiges osseux sont affectés d'une usure de leurs angles et des parties proéminentes de leurs surfaces tout à fait caractéristique de l'érosion d'un matériel sec dans un tiroir qui affecte tant de collections anciennes. La dessiccation provoque de nombreuses cassures. Les dents les plus fragiles finissent par éclater complètement. S'y ajoute l'imprégnation d'une poussière noirâtre parfois assez épaisse qu'il faut ôter avant toute observation approfondie. Mentionnons enfin que, pour les deux collections, la sélection des vestiges lors de la fouille était centrée sur les parties anatomiques identifiables. Les diaphyses n'ont été récoltées que si elles portaient des traces de découpe ou d'utilisation manifestes ou si elles appartenaient à des espèces peu communes. Les os brûlés conservés sont de gros fragments qui ne sont pas forcément représentatifs de ce qui avait été conservé. La plupart des vestiges osseux se rapportent au renne. Les os de cheval sont peu fréquents mais les dents de cette espèce sont relativement abondantes. Bien que le renne soit représenté par sensiblement plus de vestiges (Delpech 1983, tableaux 16 et 17), on peut penser que le cheval jouait vraisemblablement un rôle important dans l'alimentation des solutréens de Laugerie-Haute. Bouquetin, saïga, bovinés et cerf ne sont pratiquement représentés que par des dents. Elles se rapportent à un ou deux individus. La récolte et la conservation de ces vestiges remarquables pour les paléontologues du début du XXème siècle ont pu être plus soignées que celles des innombrables vestiges de renne. Leur rôle dans l'alimentation ne peut donc être déduit du simple rapport de fréquence des différentes espèces. La question de leur chasse dans les alentours de Laugerie peut être posée. En dehors des altérations postérieures à la fouille, le matériel est bien préservé avec des surfaces osseuses bien lisibles, peu affectées de fissurations ou de traces de racines. Cette faible altération peut s'observer de façon homogène sur l'ensemble des petits os sélectionnés pour leurs particularités anatomiques 2. Cela permet d'avancer qu'il ne s'agit sans doute pas d'un choix de pièces bien conservées par les anciens fouilleurs. La bonne conservation des quelques os brûlés préservés est elle aussi à souligner. Nous n'avons pas examiné les ramures. Des travaux récents ont montré qu'une part importante des bois débités sont des bois de chute qui relèvent par conséquent d'une acquisition distincte de l'introduction de carcasses de rennes (Agoudjil 2005). Les dents fournissent de précieuses indications sur les âges et les saisons d'abattage. Les différentes collections ont sans doute trop souffert (destruction des dents les plus fragiles) pour permettre de rediscuter des observations de J. Bouchud sur les âges d'abattage et le sexe des individus (1966). Une analyse des classes d' âge et de la saisonnalité d'abattage demeure possible mais, pour le renne, il y aura une surreprésentation artificielle des individus adultes, les dents des jeunes ayant certainement plus souffert des manipulations de la collection que ces dernières. Nous avons pu observer de nombreuses stries de désarticulation sur les os; compte tenu de l'absence de diaphyses, les stries de décarnisation sont beaucoup plus rares. Ces observations ne peuvent avoir de portée générale sur les modalités et les objectifs de la découpe. On retiendra que les os du basipode sont assez fréquemment striés. Cette information est cependant triviale dans la mesure où il y a eu une forte sélection des os. Dans certains niveaux solutréens, les phalanges fracturées intentionnellement sont nombreuses alors qu'elles sont absentes dans d'autres. Malheureusement, cette différence apparente de récupération de la moelle peut être le résultat de conditions de récolte différentes. D'après l'examen des extrémités des os longs, la fracturation des diaphyses semble standardisée, mais ne faut-il pas, là aussi, rechercher une cause liée à la fouille ? Quelques retouchoirs sur diaphyses ont également été isolés lors des fouilles. Le site de Laugerie-Haute est bien connu pour avoir livré de nombreux vestiges de mammouth. Il s'agit de larges fragments de défenses mais aussi d'une cinquantaine de fragments plus ou moins importants de dents jugales. Un inventaire précis nécessiterait une révision exhaustive de tous les vestiges conservés dans les différents niveaux et dans les vitrines, ce que nous n'avons pas entrepris. D. Peyrony et E. Peyrony (1938) mentionnent la présence d'une lame d'ivoire dans le Solutréen à pointes à face plane, d'une dizaine de molaires dans le Solutréen à grandes feuilles de laurier et d'une lame de molaire dans le Solutréen à pointes à cran. Dans le cadre de cette étude, nous avons examiné plusieurs fragments de diaphyses de la couche H ' ' des fouilles Peyrony (Solutréen à feuilles de laurier). Deux fragments (longueur-largeur-épaisseur : 125-70-25/33 et 120-98-18/30 mm) présentent une épaisseur corticale supérieure à celle d'un rhinocéros. Le plus grand de ces fragments correspond probablement à une ulna ou à un tibia de mammouth. Deux autres fragments (110-43-8/25 mm et 132-65-23 mm) peuvent correspondre à du mammouth ou du rhinocéros (compte tenu de l'absence de collection de référence adaptée aux Eyzies, l'examen a été réalisé par J.-C. Castel au Muséum d'histoire naturelle de Genève). Ces fragments présentent une majorité de fractures lisses en spirale caractéristiques d'une percussion lancée sur os frais. Les critères descriptifs de la fracturation intentionnelle sur os frais (cf. Villa et Mahieu 1991) sont valables pour les mammifères de taille inférieure ou égale au bison. La présence de fractures en spirale sur des os de mammouth, ne veut pas forcément dire percussion par l'homme car elles peuvent être confondues avec celles produites lors du piétinement d'un os par d'autres mammouths (ex. Haynes 1988). Aucune épiphyse n'a été retrouvée. S'ils avaient été présents, il est fort probable que de tels vestiges se seraient conservés dans le sol de Laugerie et qu'ils auraient été isolés lors des fouilles anciennes. Il est donc peu vraisemblable qu'il s'agisse de fragments provenant d'os entiers introduits dans le gisement. Ces morceaux de diaphyses ont alors sans doute été introduits dans le gisement sous cette forme. Tous sont relativement abîmés et leurs surfaces corticales parfois difficiles à interpréter. L'un des fragments attribués à un très grand mammifère sans précision porte une plage relativement bien délimitée de stigmates très altérés (recoupés par des traces de racines) et de directions désordonnées. Ce n'est pas un retouchoir au sens strict et nous ne sommes pas certains que l'origine de cette plage soit due à une action anthropique. La publication de D. et E. Peyrony de 1938 fait état de la présence d'une molaire d ' Ovibos dans le “Solutréen à pointes à cran” (couche H ' ' '). Comme la majorité des autres vestiges récoltés, il est probable qu'elle provienne de Laugerie-Haute Ouest, puisque “ce niveau est particulièrement puissant du côté Ouest ”, “du côté Est, il a fourni peu de pièces” (Peyrony et Peyrony 1938, p 42). Cette dent (une première ou deuxième molaire supérieure gauche) (fig. 1a) correspond vraisemblablement à celle trouvée lors de l'inventaire de 1989 (Madelaine 1989); elle est donc attribuable au Solutréen supérieur et confirme le phénomène regrettable de taphonomie de laboratoire qui se serait produit entre 1966 (observations J. Bouchud) et 1989 puisque à l'instar des autres ossements, elle se trouvait dans le Solutréen moyen. Une autre dent, qui n'avait pas été vue lors de l'inventaire des réserves car faisant partie de la présentation muséographique de l'époque J.Guichard, fut déterminée comme Ovibos après 1989; elle est publiée ici pour la première fois. Il s'agit d'une troisième molaire supérieure gauche (fig. 1), marquée “L.H.O sol.f.l” (marquage Peyrony); elle a donc réellement été récoltée dans le Solutréen moyen. Elle n'a pas été publiée en tant que telle par D. et E. Peyrony (ayant pu être attribuée à tort à du cerf ou à du boviné). En plus de quelques caractères particuliers déjà décrits (Guérin et Patou-Mathis 1996), la détermination a pu être facilitée et complétée par la comparaison avec un crâne actuel d'Ovibos appartenant au Musée national de Préhistoire. Les caractéristiques principales de ces dents sont les suivantes : couronne haute (hypsodonte), mais inférieure à celle des bovinés (pour une usure équivalente); présence d'un îlot d'émail central très net sur la face occlusale; médifossettes importantes; lobe mésial anguleux sur la face linguale; lobe distal non anguleux, peu arrondi, avec une crête marquée le long de la couronne entre la face linguale et la face distale pour la 1ère ou 2ème molaire; cette même dent possède une colonnette interlobaire aiguë, développée sur toute la hauteur de la couronne, alors que la 3ème molaire en est dépourvue. Contrairement à ce qui a parfois été écrit (Guérin et Patou-Mathis 1996), cette colonnette n'est pas forcément absente : la preuve en est donnée par le crâne de référence sur lequel les M1 et M3 n'en possèdent pas alors que la M2 en a une. Ce constat nous laisse penser que notre exemplaire fossile pourrait être une M2; le style distal (métastyle) de la M3 est dilaté transversalement, ébauchant un semblant de troisième lobe (à la manière de l'hypoconulide des troisièmes molaires inférieures). Il est utile de préciser que ces deux dents, au vu de leur usure différentielle, appartiennent à deux individus différents, ce qui est logique étant donné les présomptions vraisemblables de leur appartenance à deux couches différentes. Il est à noter également que la M 1 ou 2 présente quelques traces d'ocre sur la couronne et surtout sur la face occlusale ainsi qu' à l'intérieur de la fossette distale. La présence de ces deux dents revêt un intérêt particulier : ce sont les seuls vestiges de cette espèce dans le Solutréen d'Aquitaine (voire probablement de France) et, à notre connaissance, ce taxon n'a été décrit, par ailleurs, qu'extrêmement rarement : un fragment de crâne et deux fragments de métapodes découverts par Galou à Gorge d'Enfer (Harlé 1901) provenant sans doute, d'après la description des lieux, de l'abri du Poisson et donc attribuables soit à l'Aurignacien ancien, soit au Gravettien; des os de pattes découverts par Lartet, également à Gorge d'Enfer, dans une petite grotte (Harlé 1901); les découvertes d'os de bœuf musqué sont beaucoup plus communes en Europe centrale et du nord (ex. Soergel 1942). Les restes d'antilope saïga sont absents des décomptes de F. Delpech (1983) pour le Solutréen de Laugerie-Haute Est et Ouest des fouilles de F. Bordes. En revanche, dans le matériel provenant des fouilles de D. Peyrony de Laugerie-Haute Ouest, six vestiges attribuables à cette espèce ont été isolés (Madelaine, 1989) 3, dont une M 3 inférieure et une M 1 ou M 2 supérieure tout à fait caractéristiques ayant fait l'objet précédemment d'une erreur de détermination (elles sont effectivement marquées “LH. Sol., C. ibex”). La présence de l'antilope saïga dans le Solutréen supérieur du sud-ouest de la France est désormais un fait reconnu (cf. Dujardin et Timula 2005). Dans les sites de la moitié nord de l'Aquitaine (Le Placard, Fourneau-du-Diable et Combe-Saunière), elle est représentée par des nombres de restes relativement importants. Dans les sites du sud du Périgord et dans le Quercy elle est très rare (un unique reste aux Jamblancs comme au Pech-de-la-Boissière). Ces vestiges isolés ne constituent pas des preuves suffisantes pour attester d'une chasse locale (Castel et al. 2005). Les retouchoirs sur dents jugales de cheval sont connus depuis l'identification faite par H. Rutot en 1908 dans la caverne d'Hastière en Belgique. Pourtant il faut attendre leur redécouverte par D. Armand et A. Delagnes en 1998 pour qu'ils suscitent à nouveau l'intérêt. Depuis, d'autres exemplaires ont été trouvés à la Ferrassie (Savignac-de-Miremont) et au Pigeonnier (Gensac) (Castel et al. 2003). Toutes ces pièces sont attribuées à l'Aurignacien et au Moustérien. Lors de l'examen archéozoologique des collections solutréennes de Laugerie-Haute, deux exemplaires caractéristiques ont été identifiés. D'autres exemplaires ont pu nous échapper, masqués par la poussière qui couvre les stigmates. Pour s'assurer du nombre exact de ces pièces à Laugerie-Haute, il sera nécessaire de nettoyer l'intégralité des dents. Cette dent est relativement bien conservée mais quelques fragments d'émail ont disparu depuis sa découverte. Sa face mésiale (antérieure) (L = 64 mm) a fait l'objet d'un intense raclage préparatoire dans le sens vertical, ou axe longitudinal, qui a entraîné une suppression de matière de 1 à 2 mm d'épaisseur dans la partie moyenne. Ces stries de raclage sub-parallèles sont présentes pratiquement jusqu' à la bordure occlusale le long du parastylide. En revanche, il n'est pas certain que ce raclage descende jusqu' à la base de la racine. Il déborde du parastylide pour affecter marginalement l'extension mésiale du métaconide. Cela a provoqué la disparition du cément et de l'émail sur une partie de la hauteur. La dentine, ou ivoire, apparaît dans la partie centrale. Les angles entre la face antérieure et les faces vestibulaire et linguale sont rendus plus vifs par cet enlèvement de matière. Les stigmates d'impacts sont répartis en deux zones proches des extrémités comme cela s'observe fréquemment pour les retouchoirs sur diaphyses (ex. : Auguste 2002; Castel 1999; Malherba et Giacobini 2002; Vincent 1993). Dans la zone supérieure, le nombre d'impacts dépasse la cinquantaine; dans la zone inférieure il est situé entre 30 et 50. Les entailles de formes allongées, parfois cunéiformes, dominent; par endroits, elles sont plus irrégulières et à peu près circulaires (près de l'extrémité occlusale). Les arrachements cunéiformes les plus caractéristiques sont conservés sur l'ivoire. Les marques sur l'émail sont moins profondes et moins longues parce que cette matière est plus résistante. La direction des entailles forme un angle de 65 à 75° par rapport à l'axe de la pièce (allongement de la dent) comme cela s'observe sur de nombreux retouchoirs. L'orientation des stigmates est identique pour les deux zones. Cette dent a souffert de son mode de stockage depuis sa découverte. Elle montre toutefois une série de stigmates sub-parallèles sur sa face distale de même direction que ceux observés pour la dent précédente. Le nombre d'impacts peut être estimé entre 30 et 50. On observe quelques stries verticales isolées qui ne ressemblent pas aux stries de raclages telles qu'elles peuvent s'observer sur la dent précédente ou sur les diaphyses. Signalons que la face linguale porte quelques stries de direction mésio-distale qui ne sont pas forcément en relation avec l'utilisation technique de la dent (fig. 2-2d). Le mode d'utilisation de ces deux pièces est tout à fait semblable (impacts provoquant des stigmates cunéiformes) mais on peut observer une préparation et une utilisation beaucoup plus importante pour la M 3. Bien que la surface de contact et la prise en main soient beaucoup plus réduites que ce qu'offrent les diaphyses d'herbivores (bovinés, cheval et renne), le mode d'utilisation de ces dents semble similaire. Il est possible qu'un nombre significatif de retouchoirs sur dents jugales d'équidés ait pu échapper à la sagacité des archéozoologues et plus encore à celle des paléontologues. Après l'identification de ce type de vestiges dans le Paléolithique moyen et l'Aurignacien, cette identification dans le Solutréen de Laugerie-Haute permet de s'interroger sur leur existence dans d'autres sites solutréens et dans d'autres cultures du Paléolithique supérieur. A noter que toutes les dents de chevaux utilisées identifiées à ce jour sont des dents jugales inférieures, mais il s'agit peut-être d'un effet d'échantillonnage. Pour l'instant nous ne connaissons pas de dents de bovinés utilisées, mais la présence de nombreux stigmates sur l'émail des dents de cheval de Laugerie-Haute permet de suspecter une possible utilisation de ces dents dépourvues de cément dans la partie haute de leurs couronnes. La diversité des matières premières et des supports utilisés pour la réalisation des retouchoirs a déjà été constatée (ex. Patou-Mathis 2002). Elle est susceptible de correspondre à une gamme d'utilisations correspondant à des activités distinctes. Cette découverte réalisée dans le matériel de Laugerie-Haute souligne que si ces vestiges sont encore insuffisamment connus, c'est dans une large mesure parce qu'ils n'ont pas été recherchés. Laugerie-Haute est l'un des sites majeurs qui s'inscrivent dans le débat sur la présence et la caractérisation de sites d'agrégation (Conkey 1980, 1992). Les données paléontologiques du matériel du Solutréen révèlent deux éléments qui sont à verser au dossier : la présence du bœuf musqué qui n'est signalé qu'exceptionnellement en Aquitaine et l'importante récolte de vestiges de mammouth que ce soit l'ivoire des incisives, les dents jugales mais aussi quelques os longs. Ces deux éléments de caractère exceptionnel ne peuvent pas seulement être attribués à un effet de probabilité lié à la grande extension des fouilles. En effet, dans tous les autres sites réunis on ne trouve pas autant d'éléments si remarquables. Peut-on alors considérer ces particularités du Solutréen de Laugerie-Haute comme la manifestation d'un statut particulier de ce site au cours de cette période ? Le nouvel examen des collections de Laugerie-Haute n'a apporté que peu précisions sur les choix et les modes d'exploitation du milieu par les solutréens. Nos observations ne vont guère au-delà de ce qu'avaient apporté celles de J. Bouchud (1966) et de F. Delpech (1983). Les collections ont été constituées selon des objectifs qui ne le permettent guère; de plus, elles ont subi des manipulations et une érosion dans les tiroirs qui rend vaine toute étude approfondie. Seules les analyses cémento-chronologiques nous semblent prometteuses. Même d'extension limitée, les fouilles futures apporteront une information immensément plus riche sur l'exploitation du renne et des autres espèces chassées. Ce n'est qu'ainsi que le statut du bœuf musqué peut espérer être mieux compris; c'est aussi le cas de toutes les espèces représentées par un tout petit nombre de restes (voir Delpech 1983) .
Laugerie-Haute est l'un des sites majeurs qui s'inscrivent dans le débat sur la présence et la caractérisation de sites d'agrégation (Conkey 1980, 1992). L'examen des collections de Laugerie-Haute dans le cadre de la préparation de la nouvelle muséographie du Musée national de Préhistoire des Eyzies, nous a permis de remettre au jour quelques éléments remarquables de la faune attribuée au Solutréen. Il s'agit de la présence exceptionnelle du boeuf musqué (Ovibos moschatus) signalée dans un nombre très limité de gisements en France et de l'importante récolte de vestiges de mammouth, qu'il s'agisse des vestiges dentaires déjà décrits par Peyrony mais aussi de quelques fragments de diaphyses d'os longs. En outre, nous mentionnons la présence d'antilope saïga (Saïga tatarica) qui est reconnue dans plusieurs sites solutréens du sud-ouest de la France. Enfin, deux retouchoirs réalisés sur des dents jugales inférieures de cheval ont été découverts. Ces vestiges, jusqu'ici identifiés seulement dans l'Aurignacien et le Moustérien doivent désormais être recherchés dans l'ensemble du Paléolithique supérieur. Ces éléments de caractère exceptionnel ne peuvent pas seulement être attribués à un effet de probabilité lié à la grande extension des fouilles. En effet, dans tous les autres sites solutréens réunis, on ne trouve pas autant d'éléments aussi remarquables.
archeologie_08-0040101_tei_250.xml
termith-9-archeologie
Cet article s'inscrit dans un travail de recherche plus vaste qui explore l'évolution des industries osseuses élaborées au Levant Sud (fig. 1) de la fin de l' Épipaléolithique (Natoufien : 12500-10200 BP) à la fin du Néolithique Précéramique (PPNC : 8500-7500 BP) (fig. 2). Nous cherchons à savoir comment les hommes impliqués dans l'exploitation des matières osseuses ont réagi face aux lourds changements socio-économiques survenus au cours de la Néolithisation : domestication des plantes et des animaux, complexification sociale et nouvelle organisation des activités à l'échelle du site comme de la région, mouvements d'idées et/ou d'hommes du nord vers le sud au début du PPNB… Les activités sollicitant la matière osseuse restent-elles inertes, connaissent-elles des infléchissements ou de véritables « révolutions » face aux nouvelles ressources, aux nouvelles conceptions du monde animal et aux nouvelles conditions de son exploitation, ou bien encore face aux nouveaux contacts établis entre sites et entre régions ? Nous avons choisi de fonder l'enquête sur les reconstitutions de schémas techno-économiques de transformation de la matière osseuse. Nous espérons que la mise en lumière des modes de gestion du squelette animal, des choix et traditions techniques des populations étudiées fourniront quelques éléments de réponse aux vastes questions posées et permettront de préciser le processus de Néolithisation au Levant. D'après Aurenche & Kozlowski 1999. Au cours de l'étude des collections, notre attention a été attirée par un stigmate technique pourtant banal : les stries de raclage. Nous avons constaté qu'il était possible de restituer, sur certaines pièces, l'orientation du mouvement imposé à l'outil lorsque celui -ci était suffisamment appuyé. Cette précision nous a permis de mettre en évidence un procédé de sectionnement, bien connu en Europe depuis le Paléolithique supérieur, et identifié sous une forme légèrement différente de la nôtre par C. Maréchal au Levant Sud (1991). Il aurait été mis en œuvre par diverses sociétés, sur une période s'étendant au moins du Natoufien au PPNB. En amont, il était peut-être déjà pratiqué par des groupes du Paléolithique Supérieur et de l'Epipaléolithique ancien et moyen. Par ailleurs, la restitution du sens du geste « raclant » nous a permis d'avancer ou d'affiner des hypothèses concernant le mode de production de petits objets pointus très fins typiques du Natoufien : les gorget ou pin. Dans un premier temps, nous proposons une brève présentation des stigmates de raclage et plus particulièrement des indices qui permettent de restituer le sens du geste imposé à l'outil. Nous exposerons par la suite les observations faites sur le matériel archéologique et les reconstitutions qui en découlent. Enfin en conclusion, nous verrons en quoi ces résultats permettent de répondre, dans une modeste mesure, aux questions concernant les filiations culturelles au Levant sud au cours de la Néolithisation ainsi que les relations entretenues avec le nord au PPNB. Le raclage est une technique d'usure en surface qui consiste à éliminer de la matière sous forme de copeaux à l'aide d'un « outil dont la partie active possède une arête volontiers aiguë à partir de laquelle s'étend une plage inférieure plus ou moins plane » (Averbouh & Provenzano 1998). L'instrument est actionné en percussion posée, dans un mouvement unidirectionnel suivant le sens des fibres (fig. 3). D'après Choi 1999, fig. 24c; Semenov 1964. Le geste peut être ample et modérément appuyé (fig. 4). L'amorce du raclage se manifeste par une très discrète entaille. Le parcours de l'outil est ensuite marqué de fines stries longitudinales groupées en « rubans » : elles sont l'impression négative de l'arête active de l'outil raclant (Fritz et al., 1993). Des microcopeaux à demi soulevés peuvent se former sur ce trajet. Ils indiquent le sens du geste : la partie redressée est dirigée vers l'amorce. La fin de parcours se manifeste par une butée où s'accumulent les fibres arrachées. Le geste peut aussi se concentrer sur une surface restreinte et entamer plus profondément la matière (fig. 5). L'amorce est plus nette et les copeaux détachés sont plus épais. En fait, A. Averbouh et N. Provenzano proposent de parler dans ce cas de taillage plutôt que de raclage (Averbouh & Provenzano 1998). Cette technique est attestée dès le Paléolithique supérieur en Europe. Elle s'intègre dans un procédé de sectionnement que A. Rigaud a baptisé « affaiblissement par raclage en diabolo » (1972 et à paraître). Il consiste à amenuiser progressivement l'épaisseur de l'élément à tronçonner par raclage localisé, périphérique, unidirectionnel et appuyé. L'opération entraîne la formation d'une gorge ou « diabolo ». Lorsque l'affaiblissement est suffisant, une simple flexion à la jonction des cônes achève le détachement (fig. 6). Décrivons de manière plus détaillée les phénomènes observés par A. Rigaud. Nous y ajoutons ce que nos propres expérimentations nous ont révélé (fig. 7). L'outil « raclant », après l'amorce, pénètre obliquement dans la matière. Le geste est alors descendant : soit il s'interrompt en bas de pente soit, bien souvent, l'instrument remonte en oblique sur un trajet ascendant. L'amorce, comme précédemment, se manifeste par un abrupt régulièrement strié. Le trajet descendant de l'outil est relativement lisse tandis que la montée éventuelle est semée d'écailles à demi soulevées vers le bas de pente ainsi que de traces de broutage. Ces reliefs sont dus au fait que l'outil, sur le parcours ascendant, circule à contre fil : il accroche alors les fibres osseuses tandis qu'il les lisse sur le trajet descendant. Une fin de course en bas de pente ou après une « montée » est révélée par une petite butée chargée des fibres rebroussées par l'outil ou par un arrachement si le copeau est détaché. Après plusieurs passages de l'outil, un « diabolo » constitué de deux cônes opposés se forme (fig. 8). Le premier correspond aux enfoncements successifs de l'outil dans la matière tandis que le second, plus irrégulier, résulte de l'étagement des butées de fins de course formées au fil des copeaux détachés et/ou aux trajets ascendants accidentés de l'outil raclant. La gorge est plus ou moins approfondie et les cônes du diabolo, symétriques ou non, sont plus ou moins obliques. L'aménagement d'une gorge ouverte, profonde et symétrique peut générer deux produits appointés (fig. 9). Nous avons relevé la présence, dans divers contextes chrono-culturels du Levant, de petits objets trapus irrégulièrement appointés par raclage (fig. 12, 16 et 17). Dans un premier temps, comme de nombreux auteurs, nous avons classé certains d'entre eux sous la rubrique « Outils pointus de fortune, irréguliers ». Pourtant, cette attribution ne nous satisfaisait pas. Les prétendus instruments semblaient trop courts pour être fonctionnels. On pouvait alors objecter qu'il s'agissait d'outils usés arrivés à exhaustion mais certains ne portaient pas de traces d'usure. Cliché Le Dosseur. Avec l'expérience, nous avons appris à reconnaître l'orientation du geste appliqué à l'outil raclant. Nous nous sommes alors aperçue que ces objets appointés présentaient tous la particularité d'avoir été raclés dans le sens opposé à la pointe (« contre » la pointe). Il nous semblait inconcevable que des hommes, désireux d'obtenir un outil pointu, aient initié le raclage, depuis l'extrémité du support, dans un sens opposé à la pointe recherchée (le geste est difficile à contrôler). Par ailleurs, sur certains produits, les stigmates s'accordaient parfaitement avec ceux observés sur le pan ascendant d'encoches obtenues expérimentalement en raclage appuyé par A. Rigaud puis par nous -mêmes (cf. supra). Nous avons alors pensé que ces petits objets, raclés « contre » la pointe, représentaient en fait des produits (exploitables ou non) de sectionnement par raclage en diabolo. Mais une question est souvent demeurée en suspend. Le procédé s'inscrivait-il : dans une simple opération de débitage par tronçonnage ? (fig. 10.1) (c'est ce qu'observe A. Rigaud sur le matériel badegoulien de la Garenne Saint Marcel; 1972). De même, le procédé de sectionnement identifié par C. Maréchal (1991) dans le cadre de la production de perles sur phalange de gazelle au Natoufien, relève sans ambiguïté d'une opération de débitage : la division transversale par sciage précédé d'un affaiblissement par raclage (et abrasion) s'applique à une matrice primaire complète (une phalange) et vise à produire un tronçon. Dans notre cas, si le fractionnement avait pour but le prélèvement d'un support, il s'agirait de tronçonnage sur matrice secondaire car le raclage intervient toujours sur pièces issues d'une première division longitudinale de l'os d'origine. dans une opération de façonnage ou de ravivage (fig. 10.2) ? Le produit recherché en priorité pourrait être le complément (théorique) qui porte les pans descendants plus réguliers de la gorge. Le sectionnement visait à aménager, tout en ajustant parfaitement la longueur du support, une extrémité obtuse (fig. 10.2a) ou elle aussi appointée (fig. 10.2b) (selon l'inclinaison des pans descendants du diabolo). Cette seconde hypothèse nous est venue lors d'expérimentations (fig. 11). Nous avons en effet constaté que lorsque nous entreprenions d'appointer un support par raclage appuyé unidirectionnel, le geste ne se poursuivait jamais jusqu' à son extrémité. Soit il s'interrompait en bas de pente creusée dans le support pour l'effiler, à quelques millimètres ou centimètres du bout, soit la pression imposée à l'outil raclant, forte à l'amorce, se relâchait rapidement et celui -ci remontait avant d'atteindre l'extrémité. Après plusieurs passages, une gorge ouverte et profonde, constituée de deux cônes opposés, plus ou moins symétriques s'était formée : les pans descendants correspondaient à la zone volontairement amincie, c'est à dire à la pointe recherchée, tandis que les pans « ascendants » résultaient de l'étagement de butées de fins de course formées au fil des copeaux détachés et/ou aux « remontées » de l'outil raclant (fig. 8). Une simple flexion à la jonction générait l'outil pointu désiré ainsi qu'un déchet trapu, irrégulièrement appointé. Incidemment, l'appointage se faisait donc par raclage appuyé en diabolo. Par ailleurs, nous avons remarqué lors d'un stage d'expérimentation à Etiolles (printemps 2003), que les nouveaux venus qui cherchaient à appointer des supports suivaient cette tendance. Dans notre cas comme dans le leur, c'est peut-être le manque d'expérience et une certaine faiblesse physique qui nous ont conduits à opérer intuitivement de cette manière. Mais ce procédé aurait pu être délibérément appliqué : par confort, pour ajuster parfaitement, tout en l'appointant, un support trop long à une longueur requise, le calibrage se faisant alors au moment du façonnage plutôt qu'au débitage (Rigaud, comm. pers.). Mais avant d'aller plus loin il convient de présenter quelques pièces archéologiques. Kebara est un site de grotte du Natoufien ancien qui a livré plus de 500 produits en matières dures animales. Parmi eux, nous avons remarqué la pièce suivante : K 032 est un court produit sur demi métapode distal de petit ruminant, irrégulièrement appointé. Il s'agit incontestablement d'une chute de sectionnement par raclage en diabolo. Le procédé s'insère -t-il dans une opération de façonnage après bipartition de l'os ou de tronçonnage sur matrice secondaire ? Cet abri a livré une riche collection d'objets en os. Nous avons isolé une petite série de pièces trapues, irrégulièrement appointées, qui portent les traces d'un raclage appuyé dirigé contre la « pointe » (fig. 12). Il ne fait aucun doute que l'extrémité effilée correspond en fait aux pans ascendants d'une gorge aménagée par cette technique. Attardons -nous sur l'un de ces témoins : H 286 (Natoufien ancien) porte de plus quelques faisceaux de raclage orientés dans le sens de l'apex (nous ne savons pas quel geste de raclage précède l'autre). Nous formulons quelques hypothèses (non exhaustives) : Il s'agit d'un outil pointu. Le support résulte d'un débitage transversal par raclage en diabolo unidirectionnel, opéré sur matrice préalablement divisée selon l'axe longitudinal. Il emporte les pans ascendants de la gorge. Ce tronçon, déjà plus ou moins appointé, est régularisé par raclage mené logiquement dans le sens de l'apex (fig. 13.1). Il s'agit d'un produit, déchet ou support, issu d'une opération de tronçonnage par raclage en diabolo bidirectionnel (fig. 13.2). Il s'agit d'un outil pointu. Le produit résulte d'une opération de façonnage par raclage en diabolo unidirectionnel. Il emporte les pans ascendants de la gorge. Le produit prioritaire est son complément plus régulier, à extrémité sectionnée plus ou moins droite ou effilée. La chute appointée est récupérée en deuxième intention et régularisée par raclage logiquement mené dans le sens de l'apex (fig. 13.3). Il s'agit d'un produit, déchet ou ébauche effilée, issu d'une opération de façonnage par raclage en diabolo bidirectionnel. Le cône emporté par le produit complémentaire est obtus ou aigu (fig. 13.4). Dans le second cas, on a pu chercher à produire ainsi deux outils pointus tête-bêche. Signalons que le support de nombreux outils pointus incontestables, façonnés par raclage, présentent les mêmes dimensions que H 286. Par ailleurs, trois courts objets pointus très fins (initialement attribués à la catégorie « pin ») présentent des bases raclées mâchonnées (H 504 I, H 457 II, H 429 IV) (fig. 14). Elles témoignent d'un sectionnement par affaiblissement en diabolo (antérieur ou postérieur à l'appointage). Les bases présentes ont emporté les pans ascendants de la gorge. Nous proposons deux interprétations (fig. 15) : Ces produits sont des chutes de recyclage d'outils pointus fins (fig. 15.1) Ils sont des objets finis, fonctionnels, dont le court support est obtenu par tronçonnage en diabolo sur matrice secondaire (fig. 15.2a, b). Sur ce site de plein air du Natoufien récent, une série de pièces portent les pans ascendants d'une gorge creusée par raclage appuyé unidirectionnel (fig. 16). Elles témoignent du procédé de sectionnement par raclage en diabolo. Sur certaines d'entre elles, le cône ascendant est effilé. La question soulevée à Hayonim Grotte se pose ici aussi : sont-elles des chutes de tronçonnage ou de façonnage ? Les derniers occupants natoufiens de ce gisement de plein air ont aussi appliqué le procédé de sectionnement par raclage en diabolo. Quelques témoins méritent une attention particulière : Une pièce comparable à celle de Kébara est sur demi métapode distal de petit ruminant (EM98 6520.1). L' « apex » est vierge de toute trace de reprise ou d'usure. Il s'agit sans doute d'un déchet (fig. 17.1). EM 98 6956b est un fragment d'os long de très petit mammifère (renard ou lièvre), irrégulièrement appointé (fig. 17.2). Le raclage est mené contre et dans le sens de la pointe. Les stigmates les plus évidents sont ceux relevant d'un raclage mené en opposition à l'apex. Les hypothèses formulées à propos d'une pièce d'Hayonim Grotte raclée dans les deux sens sont aussi valables pour celle -ci (fig. 13) : Il s'agit d'une chute de tronçonnage par raclage en diabolo bidirectionnel (fig. 13.2). Il s'agit d'un outil pointu. La matrice a été tronçonnée par raclage en diabolo unidirectionnel. La pointe « fortuite » à l'extrémité du produit emportant le cône ascendant est légèrement régularisée par raclage, cette fois -ci mené logiquement dans le sens de l'apex (fig. 13.1). La pièce est un produit (déchet ou ébauche) de façonnage par raclage en diabolo bidirectionnel (fig. 13.4). Il s'agit d'une chute de façonnage par raclage en diabolo unidirectionnel. Le produit prioritaire est l'opposé qui emporte le cône descendant régulier, obtus ou aigu. Le sous-produit, qui porte les pans ascendants « accidentés » de la gorge, est finalement récupéré comme outil pointu et succinctement régularisé par raclage mené dans le sens de l'apex (fig. 13.3). Dessin D. Ladiray; clichés Le Dosseur. Sur ce site plus tardif du Néolithique Précéramique B, trois courts objets raclés « contre » la pointe témoignent du même procédé de sectionnement par raclage en diabolo. Pas plus que les témoins natoufiens, ces pièces ne nous renseignent sur l'intention de l'opération. Une pièce en cours de sectionnement est un peu plus bavarde (fig. 18) : il s'agit d'un produit sur os long débité longitudinalement. Une extrémité conserve une portion d'épiphyse tandis que l'autre est en cours de sectionnement par raclage en diabolo. Le raclage unidirectionnel est mené dans le sens opposé à l'articulation. Il intervient sur une pièce parfaitement régularisée et polie. Le sectionnement s'inscrit sans doute dans une opération de ravivage ou de recyclage. La gorge est ouverte et profonde : les cônes du diabolo forment deux pseudo-pointes en miroir. Il semble que l'on ait cherché à obtenir une extrémité plus ou moins appointée opposée à une base articulaire. Mais l'objet envisagé se distingue des instruments pointus avérés. Il serait atypique. Sur ces sites, les produits raclés « contre » la pointe ainsi que les petits objets à base mâchonnée témoignent tous du procédé de sectionnement par raclage en diabolo. Ils portent les pans ascendants obliques de la gorge. L'intention précise n'est malheureusement pas élucidée. Le procédé pouvait s'insérer (fig. 10) : Dans une opération de débitage : on a simplement cherché à tronçonner une matrice secondaire. Dans une opération de façonnage (ou de ravivage). Dans ce cas, nous supposons, peut-être à tort, que le produit prioritaire (lorsque le raclage est unidirectionnel) est le complément de nos pièces raclées « contre » la pointe. Il porte les pans descendants plus réguliers de la gorge. Le sectionnement visait alors, tout en ajustant le futur instrument (ou l'objet usé) à une longueur précise, à façonner (ou raviver) l'une de ses extrémités : celle -ci est plus ou moins droite si les pans de la gorge opposés à ceux que portent nos témoins forment un cône obtus, appointée si celui -ci est aigu (la gorge étant alors symétrique). Finalement, cette seule opération mêle le débitage d'un support de longueur adéquate à la mise en forme de son extrémité : on pourrait par conséquent la qualifier de débitage prédéterminant plutôt que de simple façonnage. Nous avons vu que les chutes isolées ne permettent pas de trancher entre ces hypothèses. Cependant, l'une d'elles séduit particulièrement : les produits raclés « contre » pointe sont les compléments, exploitables ou non, d'outils appointés par raclage en diabolo. Pour justifier cette préférence, rappelons le cas unique et univoque de la pièce de Motza en cours de sectionnement. Par ailleurs, signalons qu' à Hayonim Grotte, Hayonim Terrasse et Mallaha, aucun objet à extrémité tronquée et raclée en abrupt, un des compléments possibles de nos chutes (de débitage comme de façonnage), n'a été repéré. A Hayonim Terrasse et Mallaha, quelques outils dont les dimensions du support sont compatibles avec les mesures maximum des chutes de diabolo analysées, présentent une base droite. Mais lorsque les stigmates de sectionnement sont encore visibles, ils révèlent toujours un simple recours à l'éclatement et/ou au sciage. En revanche, les outils à extrémité appointée et raclée en oblique vers l'apex, autres compléments possibles de nos chutes, sont évidemment nombreux sur ces trois sites (à Mallaha, les pointes acérées raclées sur os fin de très petit mammifère ou d'oiseau sont anatomiquement compatibles avec un des produits sur os fin raclé « contre » la pointe; fig. 19) ! Mais, il est vrai, aucun raccord univoque n'est réalisable et ces pointes ont tout aussi bien pu être obtenues par amenuisement progressif de l'extrémité de supports, sans occasionner de chute. Enfin, les résultats de nos appointages expérimentaux (cf. supra), qui ont systématiquement généré des déchets en tous points semblables aux pièces archéologiques raclées « contre » pointe, ont amplement guidé notre inclination. Nous avons relevé dans les publications quelques pièces appointées dont la morphologie évoque celle des produits issus d'un raclage appuyé en diabolo précédemment décrits. Nous ne les mentionnons qu' à titre indicatif. Un examen direct sur pièce est indispensable. À Fazaël X (fin du Paléolithique supérieur), il s'agit d'un court produit, irrégulièrement appointé sur demi extrémité distale de métapode (Goring Morris 1995-1998) (fig. 20.1). À Mallaha (Natoufien indéterminé et ancien), un objet similaire est interprété comme poinçon court par l'auteur (Perrot 1966) (fig. 20.2). Un produit semblable provenant d'Hayonim Terrasse (Natoufien récent) est publié par D. Henry et A. Leroi - Gourhan en tant que poinçon (1976). Ils signalent la présence de sillons circulaires autour de la pointe qu'ils interprètent comme stigmates d'usage (le court poinçon pourrait être un perçoir utilisé en rotation). Il faut cependant vérifier qu'il n'y a pas eu confusion avec les butées de fin de course d'un raclage mené « contre la pointe » (l'expérience nous a montré que l'on pouvait parfois confondre les deux stigmates) (fig. 20.3). Marks et Larson publient (1977) un objet court irrégulièrement appointé (interprété comme poinçon) mis au jour à Rosh Horesha (Natoufien) (fig. 20.4). A Salibiya IX (Khiamien) les produits suspects sont deux courtes demi extrémités distales de métapodes irrégulièrement appointées (Bar Yosef & Gopher 1997) (fig. 20.5). D. Stordeur présente (1994), en tant que micro-poinçon, une pièce trapue sur extrémité proximale de métatarse provenant de Hatoula (Sultanien) (fig. 20.6). S. Olsen publie (2000) une demi extrémité distale de métapode, courte et appointée, découverte à Abu Hureyra (Natoufien ou PPNB ?) (fig. 20.7). Notre attention s'est donc posée sur une série de courtes pièces, irrégulièrement appointées. Certaines d'entre elles ont parfois été interprétées comme micro-poinçons. Sans remettre en question cette hypothèse fonctionnelle, nous avons simplement cherché à mieux comprendre le schéma de transformation dont elles pouvaient témoigner. L'analyse directe de certaines d'entre elles a révélé que l'extrémité irrégulière portaient les stigmates d'un raclage appuyé mené à « contre pointe ». Il nous paraissait peu probable que des hommes, désireux d'obtenir une pointe fonctionnelle, dirigent le raclage depuis l'extrémité du support, vouée à devenir l'apex, vers la partie destinée à la préhension. La lecture des travaux d'A. Rigaud puis nos propres expérimentations, nous ont conduite à expliquer l'intrigante direction de raclage observée sur ces pièces appointées de la manière suivante : elles seraient les produits d'un sectionnement opéré par raclage unidirectionnel en diabolo dont elles porteraient le cône « ascendant » accidenté. Ce procédé, dont l'application est attestée dès le Gravettien en Europe (N. Goutas, comm. pers.), n'a jusqu'alors jamais été évoqué sous cette forme (cf. Maréchal 1991) à propos des industries du Levant. Mais l'objectif, dans notre contexte, n'est pas élucidé : le sectionnement s'inscrit-il dans une opération de tronçonnage sur matrice secondaire (l'os d'origine a préalablement été divisé longitudinalement) ou de façonnage/débitage prédéterminant, éventuellement en pointe ? Cette seconde hypothèse a été formulée à l'issue de reproductions expérimentales d'outils pointus. Quel que soit l'objectif, l'essentiel, dans un premier temps, est d'avoir mis en évidence dans divers contextes chrono-culturels ce procédé jusqu' à présent inédit au Levant. Peut-être pratiqué dès la fin du Paléolithique supérieur au Levant sud, il semble traverser dans cette même région, plusieurs étapes de la Néolithisation (au moins le Natoufien et le « PPNB ancien » du sud). Quelle valeur attribuer à cette pratique ? Doit-on considérer sa persistance au Levant sud comme un indice de filiation entre les Natoufiens et les hommes du « PPNB ancien » local ? Une telle parenté permettrait d'illustrer et de préciser les conditions d'élaboration du PPNB sud levantin : on pense en effet que si de nombreux traits PPNB originaires du nord ont effectivement été introduits au Levant sud, ils se sont mêlés au substrat local pour former un complexe original. Cependant, selon le scénario traditionnel, le mouvement du nord vers le sud ne remonte qu' à une phase moyenne. Or Motza, site sur lequel se mêlent caractères anciens locaux (dont le procédé de sectionnement par raclage en diabolo) et nouveautés censées avoir été élaborées au nord est placé sur le même horizon chronologique que les premières phases PPNB nordiques (PPNB ancien). Doit-on alors, sans modifier la « recette » du PPNB méridional, en vieillir la réalisation ? Toutefois, dans cette hypothèse, avant d'envisager le procédé de sectionnement par raclage en diabolo comme un des arguments de filiation entre le Natoufien et le « PPNB ancien » du sud, il faudrait en préciser l'extension chronologique par l'analyse directe d'industries PPNA du Levant sud : en effet, rappelons que ce mode de sectionnement n'est pas signalé dans les publications concernant le matériel osseux de cette période. Tant que ce hiatus persistera au Levant sud, l'occurrence du procédé dans cette région au Natoufien et au PPNB ne pourra être envisagée en terme de transmission. Par ailleurs, il faudrait vérifier par l'examen direct de collections du nord s'il n'était pas aussi connu des Natoufiens et des Néolithiques PPNA puis PPNB de cette région, censés contribuer à l'élaboration du PPNB au sud. Si c'était le cas, l'application du procédé au sud à cette époque pourrait tout autant résulter d'une réintroduction par les levantins du nord .
Nous menons, dans le cadre d'une thèse de doctorat, une recherche sur l'évolution des modes d'exploitation de la matière osseuse au cours de la Néolithisation au Levant. Nous cherchons à définir comment les acteurs de ce domaine technique ont réagi face aux multiples changements socio-économiques survenus lors de ce tournant de la préhistoire levantine : domestication végétale et animale, complexification sociale, changements dans les relations intra et interrégionales. Comment l'exploitation de la matière osseuse s'insère-t-elle dans les rouages d'un système changeant ? Comment réagit-elle face aux nouvelles ressources, aux nouvelles conditions d'exploitation, aux éventuels mouvements d'idées ou de populations, aux nouveaux contacts noués entre les différents groupes levantins ? Demeure-t-elle insensible ? Connaît-elle des infléchissements ? Des « révolutions »? C'est par la reconstitution des schémas techno-économiques de transformation de la matière osseuse mis en oeuvre tout au long de la période considérée que nous comptons trouver quelques éléments de réponse. Nous en livrons une « bribe » dans cet article. L'examen attentif des stigmates occasionnés par une technique, le raclage, et plus précisément la recherche du sens de circulation de l'outil sur la matière, nous ont permis de mettre en évidence un procédé jamais évoqué jusqu'à présent dans les publications concernant les industries levantines. Il s'agit de l'« affaiblissement par raclage en diabolo ». Le procédé, utilisé dans certains cas pour débiter l'os en tronçon, pourrait aussi l'avoir été pour façonner en pointe quelques supports. Au Levant sud, « le raclage en diabolo » traverse les âges du Natoufien (12200-10200 BP) au Néolithique Précéramique B (PPNB: 9200-7500 BP). Cette persistance soutient-elle l'idée d'une filiation dans cette région entre les Natoufiens et les Néolithiques (le PPNB du Levant sud, souvent considéré comme intrusif venu du nord, comporterait aussi des éléments locaux) ou ne manifeste-t-elle qu'un phénomène de convergence? Quel poids culturel accorder à ce procédé?
archeologie_08-0169341_tei_30.xml
termith-10-archeologie
Le site du ‘ Champ de la Justice ' se trouve au nord d'Autun, sur le territoire de la commune associée de Saint-Pantaléon (fig. 1). Il a été mis en évidence en 1872 par V. Arnon et V. Berthier grâce à la découverte, dans des couches d'alluvions sablonneuses recouvrant l'étage permien travaillées par les labours, de très nombreux silex taillés qui relèvent en grande partie du Néolithique moyen régional. Une dizaine d'années plus tard, c'est au tour de J. Rigollot de découvrir fortuitement dans ce même secteur plusieurs blocs granitiques étrangers à la géologie locale (Rigollot, 1882). Ceux -ci s'avéreront appartenir à un vaste ensemble mégalithique composé d'une trentaine de monolithes regroupés le long d'un axe commun approximativement orienté du nord-est au sud-ouest. Ce « petit Carnac » connut une résurrection éphémère : les menhirs furent redressés, le plus souvent à l'endroit où ils gisaient. Ni les fosses d'implantation, ni les pierres de calage n'ont été observées, à une exception près : les descriptions succinctes de la fouille du monolithe n° 2 révèlent qu'il reposait dans une fosse d'un mètre de profondeur dont les parois et le fond avaient été chauffés (Lagrost, 1992). Ce gisement a fait l'objet d'une première publication en 1908, au sein des actes du Congrès Préhistorique de France qui s'est tenu à Autun en 1907 (Arnon, Berthier, 1908). À cette occasion les auteurs présentent l'industrie lithique, tout particulièrement abondante dans la partie déclive du ‘ Champ de la Justice ', ainsi que l'ensemble de menhirs dressés au même lieu-dit sur une terrasse alluviale hors d'atteinte des crues de l'Arroux. Ils proposent de limiter le site au nord par le bois ‘ Chapuis ', au sud par les dépendances de la ferme dite ‘ des Étangs ', à l'ouest par le passage de l'Arroux et enfin à l'est par un curieux ensemble d'une dizaine de levées de terre de forme oblongue parfaitement alignées (fig. 2). Depuis cette époque, ces dernières structures ne cessent d'intriguer les archéologues. Elles n'ont à ce jour trouvé aucune interprétation satisfaisante. Elles sont généralement datées du Néolithique, sans réel argument sinon la proximité du ‘ Champ de la Justice ' (fig. 3), l'hypothèse la plus souvent retenue considérant qu'il s'agit d'un alignement de tertres funéraires (en dernier lieu Goudineau, Rebourg, 2002, p. 29). Des recherches effectuées en 2006 dans le cadre d'un stage réalisé au service archéologique d'Autun pour l'obtention d'un diplôme de Master Pro « Archéosciences » (Francisco, 2006) ont permis de rouvrir le dossier, en reprenant tout d'abord l'analyse de l'industrie lithique actuellement conservée au Muséum d'Histoire Naturelle d'Autun, mais également en effectuant un relevé micro-topographique de quatre levées afin de mieux comprendre leur morphologie (fig. 3). Aujourd'hui, bien que nous ne proposions pas une interprétation ferme et définitive, nous sommes en mesure de rejeter les hypothèses de nos prédécesseurs et d'esquisser une nouvelle piste d'interprétation. Les levées se présentent sous la forme d'un alignement de huit tertres de forme allongée et de deux tertres subcirculaires qui suivent un axe approximativement orienté du nord-est au sud-ouest et sont parfaitement visibles dans le paysage. Cet alignement se développe en pied de coteau, parallèlement à celui -ci, sur une longueur de presque un kilomètre. Les levées mesurent 50 à 60 m de long, 30 à 40 m de large et sont hautes de deux à cinq mètres. Un intervalle irrégulier d'une dizaine à une cinquantaine de mètres sépare chaque levée de sa voisine. Intrigué par ces structures, J. Déchelette a entrepris dès 1907 de réaliser une tranchée au travers de deux d'entre elles. Cette fouille a été confiée à Ch. Boëll et les résultats ont été publiés dans les actes du Congrès Préhistorique de France (Arnon, Berthier, 1908, p. 302). Aucun sondage complémentaire n'ayant été réalisé depuis, nous devons nous contenter des descriptions relatées par les auteurs. Chacune des deux tranchées réalisées par Ch. Boëll mesure un mètre de largeur et a permis de mettre en évidence une stratigraphie identique; pour chacune des deux levées, le « sol primitif » (paléosol ?) est recouvert d'une juxtaposition de plusieurs « dépôts de cendres » en forme de calotte sphérique d'un diamètre de deux mètres, d'une dizaine de centimètres de hauteur au maximum. À l'intérieur de ce sédiment d'aspect cendreux, l'archéologue a récolté de « nombreuses parcelles de charbon de bois », mais également « des fragments de poteries grossières, des silex identiques à ceux trouvés en pleine station ». À proximité (« à quelques mètres de là »), des « ossements indéterminables, en raison de leur décomposition », ont été mis au jour. D'après les descriptions, les dépôts en forme de calotte sont à leur tour scellés par un apport apparemment stérile de plusieurs mètres d'épaisseur composé de terre et de blocs de « schiste » à coprolithes très altérés. Sur la foi de ces seules observations, l'interprétation de ces structures comme les vestiges de tertres funéraires néolithiques émise dès 1908 a persisté chez certains auteurs jusqu' à aujourd'hui. Les importantes couches de cendres qui ont été vues lors de la fouille de 1907 peuvent à la rigueur plaider en faveur de cette interprétation : elles pourraient résulter de pratiques funéraires du Néolithique moyen dont la récurrence est peut-être encore sous-estimée actuellement. Dans le département voisin de l'Yonne, les cimetières monumentaux Cerny attestent parfois de phénomènes potentiellement comparables. Il s'agit soit de dépôts de crémation, comme dans les sépultures 15.3 et 17.0 de Passy ‘ Richebourg ' (Duhamel, Prestreau, 1991), soit de « rituels du feu » qui ont été mis en évidence sur les sites de Chichery ‘ sur les Pâtureaux ' (Tainturier, 1981), Escolives-Sainte-Camille ‘ la Pièce de l' Étang ' (Duhamel et alii, 1998), Gron ‘ les Sablons ' (Müller, 1994; Müller et alii, 1997), Passy ‘ Richebourg ' (Duhamel et alii, 1997) et Vinneuf 6 ‘ Port-Renard ' (Carré, 1967). Ce dernier phénomène est caractérisé par la présence de petites cuvettes où d'abondantes couches cendreuses successives (parfois séparées par un saupoudrage d'ocre), des graviers et, plus rarement, des ossements brûlés ont été découverts. Parfois, comme dans la sépulture 4.1 de Passy, ce sont des foyers qui ont été mis au jour au fond de la fosse sépulcrale, aux pieds de l'inhumé, et il semblerait qu'ils aient été allumés avant d'y placer le défunt (Duhamel et alii, 1997). Ainsi ce sont 31 individus du Néolithique moyen sur 187 dénombrés en 2005 dans le département de l'Yonne, qui ont été concernés par ces pratiques liées au feu, soit près de 17 % (Francisco, 2005). Bien qu'aucun phénomène comparable n'ait encore été décelé en Saône-et-Loire, la faiblesse de la documentation relative à ce département, comparée à celle disponible sur le territoire icaunais, nous pousse à rester prudents. Mais deux solides arguments paraissent s'opposer à une interprétation funéraire. En premier lieu, la nature exacte des ossements découverts en 1907 n'a pas pu être déterminée : il peut s'agir tout aussi bien de restes fauniques que d'ossements humains. D'autre part la morphologie générale de cet ensemble est peu compatible avec les vestiges d'une nécropole tumulaire : même s'il est compréhensible que certains archéologues aient été tentés de voir des similitudes entre le site de Saint-Pantaléon et les monuments à chambre et à couloirs connus sur la façade atlantique de la France ou en Grande-Bretagne (et en faisant abstraction des implications géo-culturelles qu'induisent de tels rapprochements), il n'existe pas à notre connaissance en France de levées de terres allongées aussi nombreuses, présentant de telles dimensions, qui soient alignées et dont la vocation funéraire soit assurée. Rappelons que l'analyse typologique des artefacts lithiques ramassés lors de prospections sur le ‘ Champ de la Justice ' (collection Creusaton pour l'essentiel, conservée au Muséum d'Histoire Naturelle d'Autun) a permis de mettre en évidence la présence sur le site de trois groupes néolithiques distincts : parmi les 1300 objets comptabilisés, une douzaine de pièces sont indubitablement issues de la culture chasséenne (grattoir en bout de lame, perçoir sur lamelle à bords abattus, lame débitée par pression, armatures triangulaires ou trapézoïdales tranchantes…), cinq proviennent du Néolithique final sans qu'il soit possible de désigner une culture précise (racloir à encoche, poignard en silex de Moustier, armatures à pédoncule et à ailerons…), tandis que la très grande majorité semble être attribuable au Néolithique Moyen Bourguignon. On peut facilement exclure que les représentants du Chasséen aient été à l'origine des tertres de Saint-Pantaléon car la Bourgogne n'a à ce jour livré que peu de sépultures chasséennes construites - Saint-Denis-lès-Sens ‘ la Belle Oreille ' (Griseaud, 1995) et Monéteau ‘ sur Machurin ' (Augereau et alii, 2001) -, et aucune sous tumulus. Inversement, aucune inhumation en fosse n'est connue pour le Néolithique Moyen Bourguignon : les défunts actuellement répertoriés gisaient tous dans des sépultures sous tumulus (Thevenot, 2005). L'un des exemples les mieux documentés fut découvert à Marcilly-Ogny ‘ les Champs d'Aniers ', où le tumulus n° 1, de forme ovalaire et de onze mètres par sept, constitué d'une épaisseur d'un mètre de pierres, a livré deux défunts disposés au pied d'un mur parementé. Reposant parallèlement à ce mur pour le premier et perpendiculairement pour le second, tous deux étaient recouverts d'un agencement de pierres plates (Nicolardot, 1993). Concernant le Néolithique final, les pratiques funéraires relatives au groupe de la Saône restent méconnues, tandis que le Campaniforme n'a vraisemblablement livré que deux sépultures en coffre sous tumulus à Détain-Bruant ‘ le Poiset'et à La Rochepot ‘ les Epenottes ' (Thevenot, 2005). Les deux tertres, de huit à dix mètres de diamètre, était constitués de pierres et de terre et abritaient chacun un coffre de deux à trois mètres de longueur pour environ deux mètres de largeur contenant un seul défunt. Même si les exemples disponibles sont encore numériquement trop faibles, il est clair que ce qui a été observé en coupe par Ch. Boëll à Saint-Pantaléon n'est guère comparable aux « standards » régionaux tels que nous pouvons les définir actuellement : aucune structure funéraire n'est attestée avec certitude et aucune architecture interne n'a été décelée (bloc de pierre pouvant s'apparenter à un orthostate, appareillage renvoyant à un coffre, muret ou simple empilement de pierres sèches. ..). Enfin, il convient de remarquer que la présence d'artefacts néolithiques provenant des fouilles anciennes n'est pas un critère de datation fiable : ces derniers peuvent parfaitement être en position secondaire, issus de structures plus anciennes bouleversées par les mouvements de terre à l'origine des levées. En effet, l'extension du site du ‘ Champ de la Justice ' reste difficile à préciser et dépasse l'emprise stricte de ce lieu-dit (fig. 3). Certains artefacts ont ainsi été trouvés à moins de dix mètres des tertres. Rien ne s'oppose désormais à une datation plus récente. Les travaux réalisés en 2006 ont permis de cartographier précisément les quatre dernières levées situées dans la partie orientale de l'alignement, au lieu-dit ‘ Bois Saint-Martin '. Les relevés montrent que chaque levée est bordée au sud d'une dépression oblongue; il s'agit en quelque sorte du symétrique en creux de la structure en volume aux dimensions tout à fait comparables, profonde d'un à quatre mètres (fig. 3). Il apparaît donc clairement que le volume de chaque tertre est issu du prélèvement sur place à un endroit aujourd'hui marqué par une dépression adjacente qui n'avait jamais attiré l'attention des archéologues jusqu' à présent. Ces différentes dépressions, piégeant les eaux de ruissellement et formant des sortes de mares, comme nous avons pu le constater au cours de nos prospections, sont très certainement à l'origine du toponyme ‘ les Étangs ' qui est attesté dès 1823 sur le cadastre napoléonien. D'autre part, il a été possible d'observer une coupe stratigraphique d'une des levées à l'endroit où celle -ci est recoupée par un chemin forestier, ce qui vient compléter les descriptions du début du XX e siècle. Le toit des formations schisteuses en place, affleurant, a été reconnu à la base de cette coupe. Il est scellé par un remblai d'au moins un mètre d'épaisseur composé exclusivement de blocs de grès, dont la granulométrie est très variable; les grès grossiers sont majoritaires, mais on note également la présence de grès très fins. La cartographie réalisée en 2006, associant dépressions et levées, donne ainsi l'image de vestiges d'une exploitation minière superficielle. La lecture de la carte géologique à 1 : 50 000 du bassin d'Autun (Rémond et alii, 1999; D elfour et alii, 1995) et des coupes géologiques effectuées dans le voisinage de nos levées est à même de nous renseigner sur la nature du gisement qui aurait fait l'objet de cette exploitation (fig. 4). Plusieurs indices nous mènent sur la piste des couches permiennes traditionnellement appelées « schistes bitumineux » et du boghead, une variété de schiste bitumineux à très haute teneur en matériaux organiques, principalement des algues. En premier lieu, il s'avère que la ligne d'affleurement du boghead se situe au nord de notre alignement de levées, à faible distance de ces dernières; elle adopte dans notre fenêtre d'étude un tracé quasiment linéaire d'orientation approximativement est/ouest. Si on pousse plus loin l'observation, les cinq levées orientales (qui ont fait l'objet de la cartographie) sont quasiment parallèles à l'affleurement de boghead; en outre une distance inférieure à 50 m sépare ces cinq premières dépressions de la ligne d'affleurement. Puis, après un léger point d'inflexion, l'alignement de levées tend à s'éloigner progressivement de la ligne d'affleurement du boghead. Ainsi, l'extrémité occidentale de l'alignement de levées est distante d'environ 250 m de la ligne d'affleurement de boghead. D'autre part, une coupe géologique réalisée à l'ouest de nos levées, depuis le lieu dit ‘ Les Longs Bois ' jusqu' à l'emplacement de l'usine des Télots, indique que les couches de schiste bitumineux adoptent un pendage d'orientation nord-ouest (point haut)/sud-est (point bas) et donc que le toit de la veine de boghead passe à l'aplomb de nos levées. En outre, un carottage réalisé 150 m à l'ouest de l'extrémité occidentale de l'alignement de levées, au puits de Lorme, a permis de reconnaître la couche de boghead à une trentaine de mètres de profondeur (Feys, 1945, annexe L). Ainsi, ce faisceau d'indices permet d'estimer qu' à l'est de notre alignement de levées le filon de boghead se situe à une profondeur comprise entre 2 et 4 m et qu' à l'ouest de cet alignement il est bien plus profondément enfoui, à une trentaine de mètres sous le niveau actuel. Les analogies d'orientation précédemment constatées entre l'alignement de dépressions et l'affleurement du boghead suggèrent le suivi de niveaux géologiques homogènes : il est donc parfaitement envisageable de considérer ces levées comme des tas de déblais résultant de la recherche ou de l'exploitation de surface des schistes bitumineux. En outre, il n'est pas improbable que les excavations les plus orientales aient visé à dégager plus spécifiquement la veine de boghead située comme nous l'avons vu précédemment à une profondeur assez faible que l'on estime comprise entre deux et quatre mètres. Le volume de matériaux déplacés au cours de ces travaux miniers - pour une levée de grande taille - peut atteindre 3000 m 3 à 3700 m 3 d'après les estimations issues de la cartographie réalisée en 2006. Les formations « schisteuses » du bassin d'Autun ont été exploitées dès 1838 jusqu'aux premières décennies du XX e siècle afin de produire du pétrole lampant. Une carte, datée de 1846, de la concession de Surmoulin - obtenue en 1843 - mentionne l'existence d'une dizaine de sondages disséminés à proximité de nos levées (Chabard, Passaqui, 2006, p. 1); ils sont toutefois implantésde manière aléatoire et ne respectent pas un quelconque alignement. Cela rappelle de manière opportune l'hypothèse timidement proposée dès 1908 et immédiatement invalidée, d'attribuer aux levées une origine industrielle (Arnon, Berthier, 1908, p. 299). Selon D. Chabard, les vestiges observés seraient bel et bien compatibles avec l'exploitation de surface de la couche de boghead telle qu'on la pratiquait au xix e siècle. La présence, observée en 1907, de couches de sédiments d'aspect cendreux piégées par les déblais n'est d'ailleurs pas incompatible avec une telle interprétation (une pyrogénation sur place produit par exemple des cendres). Mais, bien que séduisante, cette hypothèse prête le flanc à plusieurs objections. En premier lieu, il paraît curieux de penser qu'en 1872, au moment de la découverte du site néolithique du ‘ Champ de la Justice ', on ait déjà perdu le souvenir de travaux miniers effectués une trentaine d'années plus tôt. D'autre part, si les dépressions fréquemment remplies d'eau longeant nos levées sont bel et bien à l'origine du toponyme ‘ les Étangs ', on notera que cette attribution est antérieure à 1823 : si tel est le cas, ces vestiges seraient donc antérieurs à l'exploitation industrielle des gisements « schisteux ». Malgré ces éléments, la possibilité d'avoir affaire à des vestiges d'extraction de schistes ne doit pas être rejetée, bien au contraire. Nous proposons seulement de faire remonter la datation à une période plus ancienne, qui ne pourrait être qu'antérieure à la période médiévale car, dans l'état actuel de la recherche, l'exploitation du schiste n'est pas attestée dans la fourchette comprise entre la fin de l'Antiquité et le XVIII e siècle. L'analyse toponymique fournit en parallèle de précieux indices en faveur de l'ancienneté probable de nos structures. Le terme « étang », utilisé pour désigner un lieu, est largement banalisé en France : les plus anciennes mentions de ce toponyme remonteraient au ix e siècle (commune d' Étain, du latin stagnum, dans le département de la Meuse) tandis que l'utilisation d'articles définis (comme ' le Moulin ', ‘ les Chaumes'…) indiquerait une formation postérieure au xi e siècle (Gendron, 2008). Nous pensons donc en premier lieu à une exploitation de l'époque antique : en effet, l'emploi du « schiste » d'Autun, matériau notamment caractérisé par la présence d'écailles de poisson fossiles, est attesté dès les premières décennies de notre ère et se poursuit jusqu'au III e siècle, les études récentes montrant qu'il s'agit d'un artisanat spécifique de cette capitale de cité (en dernier lieu, Chardron - Picault et alii, 2007). Il est employé dans la décoration des murs (placages) et des sols (tesselles de mosaïque, opus sectile) de certains bâtiments publics ou privés; il sert également à fabriquer un répertoire varié d'objets manufacturés, liés par exemple à des activités artisanales (polissoirs, fusaïoles) ou bien encore à la sphère privée (jeux, dés, parure, toilette). Minoritairement, quelques artefacts semblent également confectionnés en boghead, peut-être pour son aspect de surface particulier. Ce serait le cas par exemple d'un bracelet récemment publié (Chardron - Picault et alii, 2007, n° 321). À ce jour, aucune trace d'exploitation du « schiste » durant l'Antiquité n'ayant été découverte, on envisage sans preuve véritable qu'il s'agissait d'une extraction à ciel ouvert réalisée le long de l'Arroux, voire au fond de la rivière durant les périodes sèches (Rebourg, 1996, p. 13). Cette dernière hypothèse ne semble par ailleurs pas très satisfaisante car les blocs de schiste qu'il est possible de dégager en ce lieu ne sont pas d'excellente qualité : ayant subi une alternance de phases sèches et humides, entraînant une succession de dilatation/rétraction fragilisant la structure interne caractéristique des argilites, ils auraient eu tendance à se déliter lors de la mise en forme de certains objets, en particulier les gobelets qui sont attestés à Autun (Chardron - Picault et alii, 2007, n° 317). D'autre part, en ce qui concerne l'éventuelle exploitation du boghead au cours de l'Antiquité, l'un des seuls endroits accessibles grâce aux moyens de l'époque dans tout le bassin d'Autun se situe à Surmoulin, à proximité de nos levées, plus particulièrement à l'extrémité orientale de notre alignement où rappelons -le, on pourrait le découvrir à une profondeur comprise entre 2 et 4 m. Cette hypothèse paraît avoir été soulevée dès la fin du XIX e siècle par J.-G. Bulliot qui mentionne « près du Champ de la Justice à Saint-Martin-lès-Autun » - ce dernier toponyme étant localisé à l'est de nos levées - « une carrière spéciale » ayant fourni un « schiste bitumineux très compact » (Bulliot, Thiollier, 1892, p. 202). Il convient enfin de ne pas écarter l'hypothèse d'une exploitation protohistorique, destinée par exemple à la confection de bracelets, bien que pour l'instant, l'emploi des schistes du Bassin d'Autun à ces fins ne soit pas attesté. En conclusion, un faisceau d'indices concordants permet aujourd'hui d'interpréter les levées de Saint-Pantaléon, non plus comme les vestiges d'une nécropole tumulaire du Néolithique, mais plutôt comme les stigmates d'une exploitation à ciel ouvert d'un banc de schistes bitumineux, voire peut-être de boghead, en limite d'un site néolithique. Si la possibilité d'avoir affaire à une extraction industrielle au cours du XIX e siècle ne peut être écartée avec certitude, nous proposons à ce stade de la réflexion de pencher en faveur d'une exploitation antique ou protohistorique, à l'instar des vestiges marquant profondément le paysage au sud d'Autun qui ont récemment été interprétés comme les stigmates d'une mine d'étain fonctionnant à l'époque protohistorique et dans la seconde moitié du I er siècle av. J.-C. (Cauuet, Tămaş, 2007, p. 14-16). Désormais, seuls des sondages archéologiques seront à même de valider cette hypothèse d'extraction de matériaux et d'en préciser la datation .
Un curieux alignement de près d'un kilomètre composé d'une dizaine de levées oblongues d'une cinquantaine de mètres de long, mesurant jusqu'à quatre mètres de hauteur, marque profondément le paysage au lieu-dit le 'Champ de la Justice' à Autun /Saint-Pantaléon (Saône-et-Loire). Ces levées se développant en limite d'un site connu pour l'abondance de son industrie lithique et la présence d'un complexe mégalithique composé d'une trentaine de monolithes, elles ont jusqu'à présent été datées, sans preuves véritables, de la période néolithique et interprétées comme des tertres funéraires. L'analyse précise de la morphologie de ces vestiges spectaculaires, grâce notamment à un relevé micro-topographique, permet d'esquisser une nouvelle piste d'interprétation. Il s'agirait plus certainement des stigmates d'une exploitation à ciel ouvert de schistes bitumineux, qu'un ensemble d'indices pourrait permettre d'attribuer à l'époque antique.
archeologie_10-0505474_tei_342.xml
termith-11-archeologie
La thèse de J. Zilhão (Zilhão 1997) et ses différentes synthèses sur le sujet (Zilhão 1991a, 1991b, 1996, 2000, 2001; Zilhão et Almeida 2002) constituent le socle de toutes les recherches à venir sur le Paléolithique supérieur. Dans ces travaux, ont été définis le schéma chronostratigraphique et les différents “stades d'évolution” du Gravettien, définis sur des critères typo-technologiques, que nous réutiliserons ici. Les résultats obtenus ces dix dernières années ont permis de répondre à certaines des questions qui avaient été soulevées à l'occasion de ces travaux mais laissent cependant de vastes zones d'ombre, en particulier pour la phase initiale du techno-complexe gravettien. Si l'on reporte, sur la carte du Portugal, les occupations attribuées au Gravettien (fig. 1) on constate que leur distribution ne se confine plus aux seuls terrains sédimentaires, localisés entre le Tage et le Mondego. Néanmoins, les prospections systématiques effectuées dans le cadre de travaux de sauvetage ou programmés n'ont pas apporté la moisson de nouveaux sites que l'on pouvait légitiment espérer, dans les secteurs géographiques intermédiaires entre les concentrations qui se dessinaient (Zilhão 2001). En particulier, il n'existe toujours pas d'indice d'occupation gravettienne à proximité immédiate de quelques-uns des fleuves portugais (Mondego, Tejo, Guadiana), les sites de plein air connus dans leurs bassins se situant toujours sur des affluents de premier ou de second ordre et aucun indice d'occupation gravettienne n'a encore été détecté dans les domaines de moyenne et haute montagne. La rive droite de la basse vallée du Mondego dont les silex du Jurassique ancien et moyen ont été déplacés vers les sites de la vallée du Côa (Aubry et al. 2001; Aubry et Mangado 2003), n'a livré qu'un seul indice possible d'une occupation gravettienne. La série lithique récoltée sur le site nº 46 (inventaire des prospections de surface effectuées à proximité des sources de silex de la région de Cantanhede (Almeida et al. s.p.), présente des indices technologiques d'une production de supports lamellaires à profil rectiligne sur des nucléus à deux plans opposés de frappe lisses et inclinés, sur le silex local. Le choix préférentiel de cette modalité d'exploitation des nucléus semble être une des caractéristiques commune à plusieurs phases du Gravettien (Zilhão 1997). La constatation d'un déficit en sites, dans plusieurs régions dont la fréquentation est attestée au moins pour la collecte de silex, pose clairement le problème de la représentativité du registre archéologique disponible. En effet, on manque encore de données technologiques fiables pour pouvoir caractériser chronologiquement des ensembles lithiques récoltés en surface sur des sites de plein air localisés à proximité des sources de matériaux siliceux. Par ailleurs, les données obtenues sur la séquence d'occupation du site de Fariseu dans la vallée du Côa (Aubry et al. 2002) montrent la difficulté de repérage des occupations humaines conservées en limite des plaines alluviales et des versants de ces cours d'eau, où les phénomènes érosifs ont été particulièrement marqués à la fin du Pléistocène et où le taux de sédimentation alluviale a fortement augmenté depuis le Moyen-Âge (Zilhão 1997b; Aubry 2002). La carte de distribution des sites (fig. 1) indique que la majorité reste encore localisée à proximité des affleurements de silex du Cénomanien de la région de Rio Maior, suivie par plusieurs groupements de moindre densité. La découverte récente de niveaux d'occupation gravettiens au sein de la séquence de l'abri de Vale Boi (Bicho 2004) fournit un indice d'occupation en limite occidentale de l'Algarve et comble un vide entre les occupations du centre du Portugal et celles de la côte méditerranéenne espagnole. Les espaces géographiques concernés sont situés surtout dans l'auréole sédimentaire de l'ouest de la Péninsule ibérique mais comprennent aussi les terrains du socle paléozoïque en bordure occidentale de la Meseta. Dans les grottes et abris des massifs calcaires périphériques, ils s'étalent entre 160 (Casa da Moura) et 540 mètres, si l'on accepte l'attribution gravettienne proposée pour les couches I et J de la grotte de Lapa do Picareiro malgré les résultats obtenus pour des datations sur charbons (Bicho et al. 2003); dans les vallées et plateaux du Côa et de la haute vallée du Douro portugais, ils s'étalent entre 160 (Cardina I) et 550 mètres d'altitude (Olga Grande 4 et 14). De nombreuses dates ont été obtenues à partir d'os et de charbons, par le procédé ASM, sur les séquences de l'abri de Lagar Velho (Pettit et al. 2003; Zilhão et Almeida 2003; Almeida 2003), de la grotte de Buraca Escura (Aubry et al. 2001), de la grotte de Caldeirão (Zilhão 1997), de la grotte de Anecrial (Zilhão 1997; Almeida et al. 2004) et de Vale Boi (Bicho et al. 2004) et par le procédé conventionnel, sur les séquences de Cabeço de Porto Marinho (Zilhão et al. 1995; Zilhão 1997). Les sites de plein air de Cardina I et Olga Grande 4 ont fait l'objet de datations par le procédé TL (Mercier et al. 2001; Valladas et al. 2001), ce qui est aussi le cas du site de plein air de Vale Comprido (Cruzamento) (Zilhão 1997). La phase finale continue à être la mieux datée et les lacunes concernent les moments antérieurs de la séquence du Gravettien. L'analyse des données fait apparaître que celles qui concernent les phases antérieures de la séquence gravettienne sont probablement directement liées à des érosions. Ces dernières n'auraient pas permis la conservation des macro restes organiques qui ne se seraient pas conservés par manque de recouvrement (Zilhão et Almeida 2002). La concentration des dates radiocarbones en trois groupes serait alors en relation avec les phases à plus fort taux de sédimentation de faible énergie, mises en évidence à Lagar Velho (Angelucci 2002, 2003). Ils sont situées respectivement autours de 27 000/29 000, 24 500/25 000 et 21 500/23 000 BP (Zilhão et Almeida 2002, p. 55), et le premier et le dernier de ces trois moments de sédimentation pourraient correspondre à des évènements de Heinrich (HE2 et HE3). Pour d'autres auteurs, les lacunes observées seraient la conséquence directe des fluctuations de la fréquentation humaine et des variations de densité de population (Marks 2000). Pour la période comprise entre 27 000 et 25 000 BP on ne dispose que de deux dates radiocarbones. Dans la séquence de la grotte de Caldeirão, un résultat de 26 020 ± 320 BP (OxA-5542) a été obtenu par le procédé ASM sur une esquille d'os de la couche Jb, laquelle n'a pas fourni de matériel diagnostique dans la surface fouillée. Un résultat de 26 560 ± 450 BP (GifA-97258) a été obtenu par le même procédé sur un fragment de vertèbre de bouquetin provenant de la base de l'unité stratigraphique 2f de la grotte de Buraca Escura (Aubry et al. 2001), en association stratigraphique avec une extrémité de pointe à retouche bilatérale directe (fig. 2). Cependant, il faut prendre en compte qu'un évènement érosif en relation avec une régression marine antérieure à 27 100 ± 900 BP (OxA-10849) tronqua les ensembles Bs et Al de la séquence de Lagar Velho (Angelucci 2002, 2003) et le fait que cet épisode soit suivi d'une phase de stabilisation qui pourrait atteindre plusieurs millénaires demande à ce que la contemporanéité entre l'élément daté et la pièce archéologique de la couche 2f de Buraca Escura soit confirmée (Zilhão et Almeida 2002). Excepté les fragments de sagaies encore inédites des couches gravettiennes du site de Vale Boi (Bicho et al. 2003) aucun élément d'industrie osseuse n'a été jusqu' à présent récolté dans des conditions stratigraphiques permettant une association sûre avec un élément daté. Néanmoins deux pointes en os de la grotte de Casa da Moura (Zilhão 1997, p. 189, Roche 1951) et un os pénien de la grotte de Salemas (Zilhão 1997, p. 483; Roche et al. 1962) se rapprochent des pointes en os dites d'Isturitz qui sont traditionnellement associées à la phase moyenne du Gravettien, à burin de Noailles (Bricker 1995; Goutas 2004). Les industries lithiques constituent donc la seule base dont nous disposons pour établir la séquence chronostratigraphique. Les séries gravettiennes du Portugal se caractérisent toutes par l'utilisation de galets de quartz et de quartzite pour la production d'éclats qui sont utilisés bruts ou pour la confection d'outils sur éclat. On rencontre ces productions, aussi bien là où des silex sont disponibles à proximité du site d'abandon, que dans des contextes où aucune ressource siliceuse n'existe à proximité (Zilhão 1997; Almeida et al. 2002; Almeida 2003; Thacker 1996; Bicho et al. 2003; Aubry et Sampaio 2003a, 2003b, Aubry et Mangado 2003). Dans les sites de la vallée du Côa, la disponibilité locale en ressources lithiques permettant l'obtention d'éclats massifs semble avoir dicté l'utilisation du quartz pour la confection de grattoirs larges sur éclats, pendant plusieurs phases du Gravettien. De même, si dans ces sites l'utilisation du silex, de variétés de silices hydrothermales et du cristal de roche est dominante pour la confection de lamelles à dos et de pointes à dos, le quartz a parfois été utilisé comme support pour ces types d'armatures. La quantification des différents types de matériaux lithiques utilisés au long du Gravettien met en évidence un choix manifeste du quartz pendant la phase finale, même pour des sites localisés à proximité de sources de silex d'excellente qualité (Marks et Almeida 1996; Zilhão 1997; Almeida 2000; Aubry et al. 2001) L'étude des techniques de retouche et de production des supports de l'outillage retouché sur support lamellaire n'a pas encore été abordée de manière systématique et selon les mêmes critères d'analyse pour les séries lithiques de cette période; toutefois, les études disponibles permettent de définir plusieurs procédés de production lamellaire (fig. 3) : une production de lamelles, selon une progression frontale, tournante ou semi-tournante, à carène et cintre peu marqué sur des nucléus prismatiques à un ou deux plans de frappe opposés, à partir de nodules de silex, des cristaux de quartz hyalin, des fragments de roches filoniennes ou des galets de roches siliceuses à grain fin (fig. 3, nº 3-8). Par ailleurs, un procédé original consistant à préparer une crête à l'intersection d'enlèvements effectués depuis le dos des nucléus est attesté pour le quartz et le cristal de roche (fig. 3, nº 1 et 2); une production de lamelles sur des éclats, utilisant une fracture ou une troncature comme plan de frappe (type burin sur troncature) parfois à deux plans de frappe opposés (fig. 3, nº 13-15); une production de lamelles sur des blocs ou des éclats aboutissant à des nucléus carénés (fig. 3, nº 9); une production d'esquilles et de lamelles par percussion posée sur enclume. Les supports utilisés sont alors des éclats, petits nodules, cristaux de quartz, ou des nucléus préalablement exploités selon les procédés précédents (fig. 3, nº 10-12). Le choix entre ces différents procédés, leur relation avec la distance des sources lithiques exploitées et la fonction des sites au long de la séquence gravettienne dépassent le cadre de cette synthèse. Néanmoins, l'étude des armatures sur lamelles retouchées permet de définir plusieurs groupes possédant des caractères communs et de rares séquences stratigraphiques fournissent des arguments pour en définir la chronologie et la position relative. Plusieurs catégories typologiques de pointes à dos et de procédés de production des supports lamellaires (fig. 3 et 4) sont associées dans l'unité stratigraphique 3 du site de Olga Grande 4. L'analyse spatiale (cf. chapitre 1-3) indique une constitution “rapide” lors d'un court passage (Aubry 1998, 2001, 2002) et confirme ainsi la diversité qui apparaissait sur les assemblages déjà connus, récoltés dans des conditions et milieux ne permettant pas d'évaluer la durée de formation, comme à la grotte de Salemas (Zilhão 1997). Néanmoins, les cinq datations obtenues sur des fragments de quartzite provenant d'un foyer à remplissage pierreux de la base de l'unité 3 de Olga Grande 4, sont comprises entre 26 800 et 31 000 BP, avec une large marge d'erreur (Mercier et al. 2001, Valladas et al. 2001) et ne permettent pas de lui associer une chronologie précise (la comparaison avec les résultats radiocarbones doit aussi prendre en compte le fait que cette dernière méthode sous-estime de façon significative l' âge réel, calendaire, des échantillons, tel qu'il est exprimé par les résultats TL). La sur-représentation des nucléus obtenus par percussion posée sur enclume, en silex et cristal de roche, comparativement aux esquilles et lamelles produites par ce procédé ne peut pas être seulement expliquée par un tri géologique. Une étude en cours (travail en collaboration avec L. Klaric, basée sur un référentiel expérimental) pourrait confirmer qu'une partie de ces esquilles auraient été destinées à être montées brutes (ou légèrement transformées ?), comme l'a proposé Zilhão (1997), à partir de la fréquence de représentation des “pièces esquillées” au long du Paléolithique supérieur. Cette phase d'occupation caractérisée à Olga Grande 4, serait antérieure à celle caractérisée par une forte proportion de microgravettes (lamelles étroites à dos abrupt obtenu par retouche croisée, ou plus rarement directe, appointée, dont la base est fréquemment aménagée par une retouche inverse) et de lamelles à dos, où les éléments géométriques et gravettes à base tronquée sont absents. En effet, la séquence qui a été établie récemment lors des fouilles dans l'abri 1 de Vale dos Covões (fig. 1 et 5), montre une composition distincte des catégories typologiques de pointes à dos au long d'une séquence que nous interprétons comme gravettienne (Aubry et al. en préparation) malgré les résultats d' âge tardiglaciaire obtenus (par le procédé ASM sur un charbon du sommet de la couche 5, et conventionnel sur des charbons de la base de la couche 8b), que nous pensons être plutôt en relation avec les occupations magdaléniennes sus-jacentes (fig. 5, U.E. 7 à 5). La phase représentée dans l'unité 5 montre des micro-gravettes typiques un schéma de production de supports lamellaires sur des nucléus/burins sur troncature voisin de celui observé en France (fig. 3), pour le Gravettien récent de la base de la séquence de l'abri du Blot (Klaric 2000 et 2003) et du Périgordien VI de la séquence du Sud-Ouest aquitain (Bricker et al. 1995). Une fonction de nucléus pour la production de supports lamellaires pour armatures microlithiques (des microgravettes, des pointes à dos courbe et lamelles à dos), avait déjà été proposée pour les burins sur troncature de Vale Comprido (Barraca). Ce gisement de plein air situé à côté de celui de Vale Comprido (Cruzamento), fouillé avec des méthodes modernes, n'en est en toute probabilité qu'une zone marginale épargnée par les fouilles anciennes (Zilhão 1997). Vu le résultat TL obtenu pour Vale Comprido (Cruzamento) (27 900 ± 2 200 BP), et compte tenu de la sous-estimation (trois à quatre millénaires, pour l'époque en question) de l' âge radiocarbone, ce Gravettien portugais à burins sur troncature correspondrait à une phase récente du Gravettien. Les phases postérieures du Gravettien final se placent entre 22 500 et 21 500 BP (Zilhão (1997) et Almeida (2000) ce que semble bien confirmer les résultats obtenus à partir de l'analyse technologique de l'ensemble TP06 de la séquence de l'abri de Lagar Velho (Almeida et al. 2003), et de l'étude typo-technologique des riches ensembles lithiques provenant des unités 4b et 4 base du site de plein air de Cardina I (Aubry et al. 2003c, fig. 6). Sur ce site de plein air, l'analyse des supports lamellaires et des procédés de retouche des lamelles à dos et à dos tronqué, de l'unité artificielle 10 de la couche 4, permet d'observer que l'ampleur de la réduction de largeur liée à la confection du dos par retouche est moindre que pour les exemplaires de la même catégorie typologique provenant du sommet de la couche 2e de la séquence de Buraca Escura (fig. 2). La faible représentation des armatures de ce type dans la couche sous-jacente 4b (fig. 6, niveau 4b) ne permet pas de donner une signification chronologique à ce détail, qui demanderait à être confirmé sur d'autres séquences. Les procédés de productions des supports lamellaires sont semblables à ceux représentés à Olga Grande, où s'ajoute la production de lamelles sur des fronts de grattoirs carénés (fig. 3). A Cardina I, le déficit en esquilles et lamelles produites pas percussion posée est attesté sur des silex allochtones provenant de plus de 150 km. Le taux maximum de fragmentation, aboutissant à des nucléus de moins d'un centimètre, n'est possible que par cette méthode et ne peut s'expliquer par un souci d'économie puisque ce type de production est attesté sur le silex et le quartz pour des sites où ces matériaux sont d'origine locale (Aubry et al. 2001; Almeida 2003, et s.p.). La présence de quelques burins sur des supports de petit gabarit qui évoquent le type “Noailles” dans les unités 4b et 4/10 du site de Cardina I, associés à des lamelles à dos tronquées est à noter (fig. 7). Nous ne possédons pas assez de données pour trancher entre une convergence de forme ou un rapprochement peu probable avec les assemblages de nombreux burins de Noailles, plus anciens, en France et dans le nord de l'Espagne. La période chronologique entre 25 000 et 21 500 BP commence donc lentement à être balisée de points d'ancrages et plusieurs études typo-technologiques sont en cours. Cependant, aucune nouvelle donnée ne permet de savoir si l'on doit continuer à y placer, sur la seule base de la présence de pointes à retouche abrupte, la phase du Fontesantense, définie à partir des séries de Fonte Santa (trois dates obtenues par le procédé TL sur des silex chauffés, comprises entre 35 300 ± 3 600 BP et 40 400 ± 4 600 BP) et de Casal de Felipe. De même, il reste à établir la chronologie de l'assemblage lithique comprenant des lamelles à retouches marginales, reconnues sous des niveaux contenant des vestiges solutréens, à la base de la séquence du site du versant de Vale das Buracas (Almeida et Neves 2003; Almeida et al. 2004). L'approche synchronique est probablement celle où les études menées à partir des séries découvertes sur des sites fouillés selon des méthodes modernes ont permis d'obtenir des résultats des plus novateurs concernant l'organisation spatiale de niveaux d'occupation et la restitution des comportements des gravettiens. En effet, les résultats obtenus à partir de l'analyse spatiale de la distribution et des relations spatiales fondées sur les remontages lithiques mettent en évidence des moments où la conservation post-dépositionnelle des vestiges abandonnés sur des sols d'occupation du Gravettien final est bonne, relativement à d'autres régions d'Europe où les processus liés aux alternances du gel-dégel ont eu un impact important. L'absence de phénomènes de déplacements post-dépositionnels de grande ampleur, tant en milieu karstique, pour des occupations du Gravettien final et terminal (Almeida 2003; Zilhão 1997; Almeida et al. 2004), que pour des phases plus anciennes dans des arènes granitiques conservées localement en plein air (Aubry et al. 2002; Aubry et Sampaio 2003a, 2003b), permettent ainsi une approche spatiale. Sur le site sous-abri do Lagar Velho, qui occupe la rive orientée vers le nord d'une étroite vallée encaissée dans des calcaires crétacés, plusieurs phases d'occupation gravettiennes ont été définies, dont celles de la sépulture de l'enfant (cf. chapitre 1-5, Zihão et Trinkaus 2002). L'analyse spatiale des vestiges constituant le niveau d'occupation EE15 a permis de mettre en évidence la quasi absence de production laminaire et lamellaire sur l'assemblage d'un effectif de plus de 700 pièces, en association spatiale avec deux structures de combustion, dont l'une datée sur un fragment de charbon de Pinus sylvestris de 22 493 ± 107 (Wk-9256). Les restes de faune chassée sont constitués par les os fragmentés des extrémités et des mandibules, dominés par le Cerf et le Bouquetin et, dans une moindre mesure, par le Cheval, le Sanglier, le Chamois et le Chevreuil. Plusieurs concentrations de vestiges lithiques correspondant à des séquences de débitage sur des galets de quartzite et blocs du silex local peuvent être mises en relation avec une des deux structures de combustion, de construction et fonctions distinctes et avec la préparation et la sélection de parties anatomiques charnues sur des carcasses obtenues lors de courts séjours de chasse (fig. 8, Zilhão et Almeida 2002; Almeida 2003). L'étude en cours des restes fauniques indiquerait la prédominance d'activités associées au traitement des peaux. Dans un tout autre contexte géographique, l'analyse de l'organisation spatiale des vestiges lithiques seuls conservés dans l'unité stratigraphique 3 du site de plein air de Olga Grande 4 (fig. nº 1), a permis de mettre en évidence des séquences de réutilisation de blocs de quartz et de quartzite qui rentraient dans la constitution de structures de combustion de différentes morphologies et probablement de fonctions distinctes (fig. 9, Aubry et Sampaio 2003a, 2003b; Aubry et al. 2003c). L'industrie lithique taillée, en relation avec ces structures, est (comme il a été noté pour l'occupation EE15 de l'abri de Lagar Velho) constituée d'éclats épais et larges obtenus sur des galets de quartzite et des blocs de quartz locaux et de supports lamellaires en silex et cristal, d'origine allochtone. L'analyse de la répartition spatiale des différentes catégories de vestiges indique des déplacements et lieux de rejets distincts pour les éléments taillés et thermo-fracturés, contraires au pendage des terrains, et une organisation spatiale qui indique une constitution pendant un même séjour, probablement de courte durée. L'ensemble lithique découvert dans la couche 2b, du site de Lapa de Anecrial, cavité localisée à 340 mètres d'altitude, est associé à deux dates de 21 560 ± 680 BP (ICEN-964) sur charbon, par la méthode conventionnelle et de 21 560 ± 220 BP (OxA-5526) par la méthode ASM sur un charbon d ' Erica. Cette série a fait l'objet d'une analyse spatiale détaillée et d'une interprétation qui ont été exposées dans plusieurs articles (Zilhão 1997; Almeida 1998, 2000; Almeida et al. s.p, fig. 10a). Le remontage systématique des 586 vestiges lithiques de la couche 2 concerne 51 %, en effectif, et 92 % du poids total (Almeida s.p.). Il a permis de démontrer l'association sur une même plaquette, provenant d'une source de silex oxfordien distante de plus de 15 km, de deux procédés de gestion et d'orientation des volumes de débitage; prismatique sur une arête naturelle et de type grattoir caréné, sur des éclats retirés du même volume (fig. 10b). Ces derniers mettent en évidence un déficit en produits lamellaires, débités sur place, pour être probablement apportés ailleurs ou être montés (bruts ?) sur le fût d'une arme de chasse. L'analyse de l'organisation spatiale des vestiges lithiques et osseux (essentiellement des restes de lagomorphes) indique la constitution de cet assemblage archéologique à l'occasion du court séjour d'un groupe de quelques personnes. La répartition des vestiges correspond à l'utilisation d'un foyer en cuvette, probablement dans le cadre d'une halte intégrée dans une exploitation logistique des ressources de ce massif calcaire. L'analyse des relations spatiales à une échelle géographique plus large, basée sur l'étude de la provenance des matières premières siliceuses, a vu un développement récent. Les travaux ont fourni les premières données permettant de mettre en évidence des déplacements pouvant dépasser deux cents kilomètres vers la vallée du Côa, une région sans ressource en silex (Aubry et Mangado 2003a, 2003b; Aubry et al. 2001, 2004) ou bien vers l'extrémité occidentale du littoral de l'Algarve, aux ressources en silex de qualité médiocre (Bicho et al. 2004). Les modèles interprétatifs de déplacement de ces réserves de silex homogènes à grain fin (Cénomaniens de la région de Rio Maior, Leiria, Oxfordien de la vallée du Nabão, Bajocien/Bathonien de la région de Cantanhede), demandent encore à être testés. Ces premiers résultats demanderaient à être approfondis et fondés sur une meilleure connaissance et caractérisation pétrographique non seulement des sources de silex du Portugal, mais aussi de celles des formations miocènes du territoire espagnol limitrophe (vallée du Douro et ses affluents, vallée du Tage) car leur utilisation est attestée sur les sites de la vallée du Côa (Aubry et Mangado 2003a, 2003b; Aubry et al. 2001, 2004; Bicho et al. 2004). Ces résultats fournissent aussi des indications sur les secteurs qui ont été fréquentés pendant le Gravettien (et en général pendant tout le Paléolithique supérieur) où les indices archéologiques manquent encore (région de Salamanca, Ávila et Valladolid, en Espagne, régions d'Anadia et de Cantanhede, au Portugal). La reconstitution précise des paléo-environnements est encore trop peu avancée. Les travaux ponctuels effectués sur des assemblages fauniques associés à des industries gravettiennes (Aubry et al. 2001; Davis 2002; Moreno-García et Pimenta 2003; Bicho et al. 2003) ou des restes anthracologiques (Figueiral 1993; Figueiral et Terral 2002, Queiroz et al. 2002), permettent seulement de préciser le cadre paléoenvironnemental, établi sur la base des données océaniques ou des environnements morphosédimentaires et pédologiques de sites archéologiques (Angelucci 2002, 2003). Les rares assemblages fauniques associés à des assemblages lithiques gravettiens étudiées (Cardoso 1992; Davis 2002; Aubry et al. 2001; Moreno-García et Pimenta 2003; Bicho et al. 2004) indiquent une rupture nette de la nature et des modalités d'accumulation des assemblages osseux avec les niveaux du Paléolithique moyen, sous-jacent, où l'accumulation semble surtout liée à la fréquentation par de grands carnivores, en particulier la hyène (Crocuta sp.). Dans les assemblages associés à des niveaux d'occupation gravettiens, les traces de carnivores existent toujours, surtout dans les assemblages à faible densité de vestiges du début de la séquence. Au sein des restes de faunes portant des traces anthropiques, les espèces détectées sont le Cerf, le Bouquetin, le Chamois, le Sanglier, le Cheval, l'Auroch et les Lagomorphes, ces derniers pouvant constituer une grande proportion de restes. Les niveaux gravettiens d'occupations du site de Vale Boi, localisé à l'extrémité sud-ouest du Portugal (Algarve), distant de deux kilomètres de la côte atlantique actuelle, contiennent des restes de mollusques dont le milieu naturel actuel correspond à la zone intertidale (Bicho et al. 2004). Les rares études anthracologiques effectuées sur les charbons récoltés dans des niveaux du Gravettien final, ont permis d'établir l'absence d'espèces méditerranéennes et de rapprocher les espèces présentes (Pynus sylvestris, Erica, Betula, Cytisus Scoparius, Ulex, Buxus sempervirens …) avec les assemblages actuels des reliefs calcicoles du versant sud des Pyrénées, à des altitudes comprises entre 1 100 et 1 800 mètres, où prédominent des paysages de végétation ouverte de type steppe (Queiroz et al. 2002; Figueiral in : Aubry et al. 2001). Une seule sépulture gravettienne est connue en Péninsule ibérique. Elle a été découverte en 1998, au centre du Portugal, dans l'Abri du Lagar Velho (fig. 1 et 11). Il s'agit d'un enfant mort dans sa cinquième année dont les restes ont été datés par le radiocarbone entre 24 500 et 25 000 BP (Zilhão et Trinkaus 2002). Le corps avait été déposé sur le dos, la tête légèrement inclinée sur le côté gauche, orientée vers l'est et les pieds vers l'ouest. Les bras étaient étendus le long du corps et la main droite reposait sur la hanche du même côté. Les jambes étaient légèrement fléchies et le bassin était un peu plus bas, témoignant, de même que la position légèrement plus élevée du crâne, d'une adaptation du corps à la morphologie en cuvette d'une fosse sépulcrale dont la profondeur peut être estimée entre 20 et 30 cm. Sous les jambes, une nappe de charbons créée par la combustion d'une seule branche de pin sylvestre indique qu'un feu avait été allumé au fond de la fosse, préalablement à la déposition du corps. Les ossements et les sédiments qui remplissaient l'espace vide avaient une intense couleur rouge. Le tout formait une tache aux limites nettes, concordant avec le contour du corps avant la décomposition des tissus mous. Cela indiquait que le cadavre avait du être enveloppé dans un “suaire” semi-rigide, probablement une peau d'animal. Près du cou, a été retrouvé un coquillage percé (Littorina obtusata), coloré lui aussi par l'ocre rouge; un autre, cassé, fut récupéré dans le mince niveau de sédiments remaniés qui recouvrait le contexte funéraire en place et en faisait probablement aussi partie. A ces pendentifs qui faisaient peut-être partie d'un collier, il faut ajouter quatre canines de cerf percées, appartenant à quatre animaux différents, deux mâles adultes jeunes et deux femelles adultes âgées. L'analyse de leur procédé de perçage et leur étroite association spatiale avec les restes crâniens de l'enfant indiquent que ces objets devaient former une parure portée sur le front, arrangée de façon symétrique, les deux plus petits (des femelles) dans les extrémités et les deux plus grands (des mâles) au centre. Une portion de colonne vertébrale et les côtes correspondantes d'un jeune lapin ont été découvertes sur les jambes. Cet ensemble appartenait sûrement à un squelette complet dont beaucoup d'autres éléments ont été retrouvés, eux aussi teints en rouge, dispersés à l'intérieur de la sépulture. Il s'agit donc probablement d'une offrande funéraire correspondant à la déposition, sur le suaire enveloppant le corps d'un humain juvénile, du corps d'un lapin juvénile. Il est également fort probable que les deux bassins de cerf trouvés auprès des pieds et de l'épaule droite correspondent à des pièces de viande déposées près du corps de l'enfant, comme faisant partie du rituel funéraire, étant donné l'état de conservation de leur surface qui contraste avec l'altération marquée, causée par les carnivores, des autres ossements trouvés dans les sédiments environnants. Cette sépulture correspond à l'un des rares enterrements d'enfant de cette phase chronologique. Il s'agit sans doute du plus complet et du mieux documenté que nous connaissions actuellement. Les détails du rituel funéraire et les caractéristiques des objets de parure pourraient indiquer une communauté de culture avec le sud-ouest de la France, l'Italie et l'Europe centrale. Les “débuts” du Paléolithique supérieur au Portugal restent encore la zone la plus floue de la séquence chronostratigraphique puisque moins d'une dizaine de sites sont attribués à la période comprise entre 29 000 et 25 000 BP (Zilhão 1997; Bicho 2000; Thacker 2001; Aubry et al. 2006). Deux hypothèses ont été proposées pour expliquer cette faible densité, elle pourrait correspondre à une fréquentation éphémère par des populations modernes dans des territoires encore occupés par une population néandertalienne résiduelle (Marks 2000; Straus et al. 2000) ou serait la conséquence de la reprise, pendant plusieurs phases érosives, des sédiments qui seraient susceptibles de contenir les vestiges d'occupation contemporains de cette phase chronologique (Zilhão 2001). L'étude géologique et les dates ASM obtenues pour la séquence de l'abri de Lagar Velho (Zilhão et Almeida 2003; Angelucci 2002, 2003) indiquent que la période antérieure à 27 000 BP est caractérisée par plusieurs discontinuités érosives majeures qui sont aussi observables sur plusieurs séquences karstiques, dans le Massif de Sicó contenant des vestiges d'occupation gravettienne (Aubry et al. 2006; Almeida et al. 2004). La comparaison avec la séquence observée dans la grotte de Buraca Escura (fig. 1 et 2) et la position stratigraphique des vestiges lithiques de ce gisement, indiquent une discontinuité érosive au sommet de l'ensemble 3, sous-jacente à l'unité 2f, qui contenait l'os de bouquetin en association avec un fragment distal de pointe à dos et daté par le procédé ASM de 26 560 ± 450 BP. A cette pièce, est peut être associé un fragment mésial de lamelle à retouche alterne, que nous avions regroupé dans un article précédent (Aubry et al. 2001) avec les lamelles à dos tronqué du sommet de la couche 2e, mais qui se trouve en fait à la base de l'unité 2d, dans le remplissage d'une discontinuité érosive antérieure au dépôt de l'unité 2e, peut être contemporaine du dépôt de 2f (fig. 2). Cette phase, ou ces phases érosives, peuvent être corrélées avec celles qui ont affecté les ensembles Bs et Al de l'abri de Lagar Velho (Angelucci 2002, 2003). Si les hypothèses d'attribution culturelle proposées ci-dessus sont correctes (fig. 5), de telles phases érosives furent aussi particulièrement marquées à l'Abri 1 de Vale dos Covões par des canaux érosifs affectant le sommet de l'ensemble 8o, interprétés par L. Dumiccio (Departamento de Ciências da Terra da Universidade de Coimbra) comme le résultat d'une concentration de l'écoulement d'une résurgence karstique située au fond de l'abri (fig. 5). Dans cette séquence, une telle phase peut donc être située, chronologiquement, entre l'occupation caractérisée par des lamelles appointées à retouche alterne et des lamelles à dos à la base du niveau 8b, et l'occupation gravettienne à pointes à dos des unités 6 et 7, elle -même surmontée par des occupations caractérisées par des microgravettes (Aubry et al. 2006). Dans la proposition de Zilhão (1997), les lamelles Dufour confectionnées par retouche alterne sur des supports lamellaires à profil rectiligne seraient contemporaines du site de plein air de Vale de Porcos, où des lamelles de morphologie semblable ont été produites sur des nucléus carénés et de type burin des Vachons, en association avec une production laminaire de grand module (par contraste avec les assemblages lithiques de tout le Paléolithique supérieur du Portugal). À la grotte de Pego do Diabo, des lamelles Dufour sont associées à plusieurs dates dont une de 28 120 + 820-760 BP (ICEN-732) obtenue sur des esquilles d'os. La comparaison de ces éléments avec les armatures classées dans les deux catégories typologiques des fléchettes et des gravettes provenant de la base de la couche 5 de l'Abri Pataud (Bricker 1995, p. 54 et 55) révèle l'association de types très distincts. Des lamelles étroites appointées par retouche alterne, dont certaines sont semblables aux exemplaires du site de Pego do Diabo (Zilhão 1997) sont associées à des pointes à dos, obtenues par une retouche croisée. Si l'attribution que nous proposons est confirmée par le résultat de dates sur d'autres matériaux que les charbons (fig. 5), la série provenant de la base de la couche 8b de Vale dos Covões présente une association semblable. Néanmoins, la rareté et la disparité des informations technologiques et typologiques disponibles pour les phases récentes de l'Aurignacien et en particulier pour les assemblages dominés par les burins carénés et les burins des Vachons, aussi bien que l'absence d'analyse taphonomique pour la couche 5 de l'Abri Pataud permettant de définir la relation entre les différentes unités (avant/arrière, supérieur/moyen/inférieur), la variabilité, des différentes catégories typologiques d'armatures sur lamelle des phases récentes de l'Aurignacien et des phases “moyen-ancien” du Gravettien, reste à établir. Quoi qu'il en soit, la nature des séquences litho-stratigraphiques et archéologiques et l'existence d'une phase érosive majeure font, par conséquent, que les données disponibles au Portugal, ne nous semblent pas encore suffisantes pour reconstituer de façon sûre les modalités de fréquentation de ces régions et la signification des changements des outillages lithiques pendant la fourchette chronologique qui s'étend entre 30 000 et 25 000 BP. Si les stades évolutifs qui mènent du Gravettien final au Protosolutréen semblent maintenant bien établis et calés chronologiquement (Zilhão 1997; Almeida 2000; Aubry et al. 2001; Zilhão et Almeida 2003), les données disponibles pour les phases antérieures montrent bien le double impact des dynamiques sédimentaires dans la destruction des matériaux organiques permettant l'obtention de datations absolues et pouvant occasionner des remaniements post-dépositionnels des vestiges lithiques. Les sites qui ont fait l'objet d'une analyse technologique et spatiale par le biais de remontages lithiques montrent, aussi bien pour les vestiges d'occupation en milieu karstique (Aubry et al. 2001; Almeida 2003) que pour ceux provenant des plateaux granitiques de l'intérieur (Aubry et Sampaio 2003a, 2003b), que les vestiges ont été abandonnés lors d'occupations courtes. Les activités documentées sont majoritairement axées sur le traitement des carcasses et la réparation des parties lithiques des armes de chasse, ou bien liées directement à la présence de silex et à la production de réserves de supports laminaires, d'outils ou de nucléus, en vue d'une utilisation différée. L'étude technique en cours par L. Klaric (bourse post-doctorale Fyssen), des méthodes de production des supports lamellaires et des techniques de retouche des pointes à dos et lamelles à dos des différentes phases individualisées jusqu' à présent, aussi bien que le développement d'études tracéologiques (M. Araújo), pourraient permettre de tester l'interprétation fonctionnelle des productions d'éclats en quartz et en quartzite basée sur l'analyse de l'organisation spatiale de ces productions. La relation entre la production d'esquilles et de lamelles par percussion posée sur enclume et la confection d'armes de chasse reste encore à établir pour permettre une approche technique globale de la production lithique et l'interprétation fonctionnelle des sites. On peut espérer que la mise en évidence de stigmates d'impact, sur des supports lamellaires ou des esquilles non retouchées, parallèlement à la constitution d'un référentiel expérimental de montage de ces produits et de fractures lors de l'utilisation sur des projectiles en matériaux organiques, apportera de nouveaux arguments pour expliquer la faible proportion des armatures à dos, ou même leur absence, pendant certaines phases et dans certains sites gravettiens du Portugal. Les niveaux du Gravettien final de Cabeço de Porto Marinho et de Terra do Manuel, dans le bassin de Rio Maior, correspondent probablement à des occupations plus longues, à caractère résidentiel, comme c'est le cas aussi pour les sites de l'énigmatique Fontesantense. À Cabeço de Porto Marinho, cependant, les fouilles n'ont pu affecter qu'une portion périphérique des occupations, coupées par une sablière et à Terra do Manuel les fouilles modernes n'ont pu exploiter qu'une petite zone marginale épargnée par les fouilles anciennes. Seuls les niveaux d'occupation du Gravettien final du site de Cardina I (Vila Nova de Foz Côa) sont donc suffisamment intacts et denses pour que les assemblages lithiques et les structures conservées puissent être interprétés comme correspondant à des occupations résidentielles (Aubry et al. 2003). Ce déficit en sites résidentiels peut être interprété comme la conséquence d'un biais dans la conservation ou la détection des indices constituant notre registre archéologique. Afin de pallier ces manques, plusieurs orientations peuvent être proposées : la prospection systématique des plateaux occupant les points les plus hauts des massifs calcaires de l'Estremadura où, selon le modèle établi pour la vallée du Côa (Aubry et al. 2002), la préservation d'un couvert neigeux pendant le Pléniglaciaire supérieur aurait pu être à l'origine d'accumulations saisonnières d'eau qui pourraient avoir attiré les grands herbivores; la prospection systématique et la réalisation de sondages dans les dépôts alluviaux des bassins versants où les précipitations sont collectées sur de faibles superficies pourraient permettre de mettre en évidence des vestiges d'occupations humaines antérieures au Dryas III, conservés au contact entre les versants et la plaine alluviale; la prospection systématique et suivie de la bande littorale actuelle des secteurs où des dépôts antérieurs au Pléniglaciaire supérieur se sont conservés et sont observables malgré la couverture éolienne accumulée pendant l'Holocène, tel que ceux qui contiennent des troncs de Pinus sylvestris détectés et datés entre 20 700 ± 300 BP et 29 100 ± 510 BP, au sud de Espinho, entre les plages de Esmoriz, Cortegaça et Maceda (Granja et al. 1996) .
Nous proposons un bilan critique des données qui permettent d'organiser chronologiquement les faciès industriels connus, de caractériser les changements de choix techniques et de reconstituer l'environnement et les modalités de l'occupation gravettienne du Portugal. Cette analyse fondée sur des données géographiques, radiométriques, paléoenvironnementales, typo-technologiques, spatiales et anthropologiques cherche à évaluer les biais relatifs aux moyens mis en oeuvre pour en établir les bases et le rôle des processus géologiques et pédologiques dans la préservation différentielle des sites et des vestiges archéologiques. En fonction de ce bilan, nous proposons des orientations de recherche susceptibles de pallier ces manques.
archeologie_09-0052796_tei_237.xml
termith-12-archeologie
La basse vallée de la Loire bénéficie depuis la fin des années 1970 de nombreuses prospections pédestres alimentant le corpus des sites attribuables aux premiers groupes mésolithiques (seconde moitié du X e millénaire et IX e millénaire avant notre ère). Quelques fouilles programmées ont par la suite été menées pour essayer de pallier la fréquente hétérogénéité de ces ensembles archéologiques de surface et tenter de mieux appréhender la nature de l'habitat, mais aussi l'organisation techno-économique de ces chasseurs-collecteurs et leur géographie chrono-culturelle. Malgré les efforts déployés, plusieurs opérations n'ont pas pu répondre à ces problématiques : une combinaison de processus bio-chimiques et mécaniques n'a souvent pas permis la conservation des sites sondés, sites mêlant alors dans une seule et même couche toute une succession d'occupations préhistoriques (Gouraud, 1990; Marchand et al., 1999). Dans l'actuelle Loire-Atlantique, seules deux campagnes de fouilles ont été couronnées de succès, en mettant au jour des ensembles homogènes. La première concerne l'Organais à Sainte-Reine-de-Bretagne, site exploré sur 17 m² (Gallais et al., 1985; Le Goff, 2003). En avril 2010, le matériel lithique a fait l'objet d'une nouvelle étude partielle, quatre cinquièmes du matériel demeurant alors introuvables (Michel, 2011 p. 228-240). Le complément d'étude devrait pouvoir être mené sous peu puisque l'ensemble du matériel a tout récemment été redécouvert. Dans cet article, nous allons donc nous concentrer sur le second cas, soit les Vingt-Deux Boisselées-1, site sondé en 2009 dans le Pays-de-Retz. Entre 1997 et 2000, des ramassages de surface sur moins d' 1 km² ont permis à M. Tessier de mettre au jour six concentrations de vestiges mésolithiques sur la commune de Saint-Père-en-Retz (Loire-Atlantique, fig. 1). La distance qui sépare ces découvertes (de l'ordre de 200 à 800 m) ne justifie pas l'emploi du terme locus proposé à l'origine par le prospecteur. Cet article va se concentrer sur l'habitat pour lequel le matériel s'est avéré le plus homogène et le plus abondant : le site des Vingt-Deux Boisselées1, anciennement nommé locus 1. Plus de 3 000 pièces lithiques attribuables au début du Mésolithique ont été récoltées sur une même parcelle dans un périmètre restreint à une soixantaine de mètres (fig. 2). Cet ensemble de surface a fait l'objet d'une étude amorcée par M. Tessier et complétée par G. Le Goff dans le cadre d'un travail universitaire (Tessier, 1998; Le Goff, 2002). Grâce à la cohérence chrono-culturelle du mobilier découvert en prospection, les Vingt-Deux Boisselées-1 ont immédiatement servi de site référent pour le Mésolithique régional et ont ainsi été sollicités par de nombreux travaux de synthèse à l'échelle de l'ouest de la France. Pour documenter au mieux cette occupation et évaluer son degré de conservation, une série de trois sondages a été entreprise à l'été 2009 (Michel, 2009). Seul le sondage de 4 m² réalisé dans la partie méridionale de la parcelle, où les prospections avaient été fructueuses, a fourni du matériel archéologique conséquent (fig. 2, sondage 1). Dans les deux autres – respectivement implantés dans un espace tourbeux n'ayant pas été labouré et dans une zone basse où les dépôts de pente accumulés auraient pu préserver les couches archéologiques – les indices archéologiques se sont en effet montrés des plus discrets. Dans le sondage 1, sous le labour, on ne distingue qu'une couche de sables et graviers pliocènes, sans aucune unité stratigraphique distincte. Des passes arbitraires de 5 cm d'épaisseur ont donc été réalisées. La fouille et l'enregistrement des données ont pris pour échelle le quart de mètre carré et les sédiments ont systématiquement été tamisés à l'eau. La couche pliocène est moins épaisse en ce lieu qu'aux alentours (Ters et al., 1978) puisque le socle rocheux est apparu vers 60 cm de profondeur. La pente du terrain est axée Sud-Ouest/Nord-Est, avec un dénivelé de 2,8 % au niveau des Vingt-Deux Boisselées-1, soit 5,8 m entre le haut et le bas de la parcelle. Le site prend place sur le flanc nord du relief créé par une faille tertiaire axée Ouest-Est conditionnant la topographie globale du Pays de Retz. Elle sépare, au Sud, un plateau allant jusqu' à 60 m d'altitude, et au Nord, une vaste zone déprimée (ibid.). Celle -ci accueille la vallée du Boivre, fleuve qui naît à 400 m seulement du site étudié. D'après le sondage 1, la dégradation du site semble importante : plus des deux tiers des vestiges ont été découverts dans les terres récemment labourées (tabl. 1). Sous le labour, les vestiges ont été découverts sur 30 cm de haut mais, au-delà des 15 cm supérieurs, leur occurrence est des plus discrètes (tabl. 1, N4-N6). Compte tenu de la nature sablo-graveleuse du sédiment, il est possible que plus une seule pièce archéologique ne soit dans sa position d'origine. On notera néanmoins que la probable migration verticale des vestiges est de faible ampleur par rapport à d'autres sites mésolithiques découverts en contexte sableux (Barton, 1987; Crombé, 1993; Vermeersch, 1976, 1995). Certes cette opération n'a livré aucun sol d'habitat ou structure, pas plus que des renseignements quant à l'organisation spatiale de ce site, mais les informations qu'apportent les vestiges mobiliers sont néanmoins conséquentes. Comme l'avaient fortement suggéré les prospections, et si l'on s'en réfère aux armatures qui en l'absence de vestiges organiques datables sont les seuls éléments permettant d'évaluer le degré de cohérence de l'ensemble, l'industrie lithique est clairement homogène. En plus du mobilier mésolithique, le sondage a livré quelques petits tessons, assez hétérogènes et tous localisés dans le labour. En conséquence, le site des Vingt-Deux Boisselées-1 offre la possibilité d'analyser une série archéologique mono-culturelle (occupation ou retours successifs d'individus appartenant à la même tradition culturelle). L'assez faible taux de pièces patinées ou détériorées par le feu permet de déterminer les matières premières dans près de neuf cas sur dix. Un peu plus de 89 % des vestiges pour lesquels la matière première a pu être caractérisée sont constitués d'un silex blond-jaune, plus ou moins translucide et de trame assez uniforme. Cette matière, d'aspect lisse, est le plus souvent homogène; cependant, certains volumes abandonnés avant d'avoir fait l'objet d'une réelle exploitation montrent que les fissures et les inclusions mal silicifiées ne sont pas rares, ce qui entraîne parfois l'explosion des nodules. Ces derniers se présentent sous la forme de galets dont le transport, ponctué de nombreux chocs, explique les fissurations précitées; en effet, les vestiges comportant encore la gangue corticale témoignent de l'aspect roulé du cortex, également caractérisé par sa faible épaisseur. On soulignera la petitesse des galets à peine ébauchés – jusqu' à une quarantaine de millimètres de diamètre minimum – caractéristique qui se retrouve dans les galets de silex blond-jaune encore accessibles au sud de l'embouchure de la Loire, et plus exactement à une vingtaine de kilomètres, à Préfailles au niveau de la Pointe Saint-Gildas. Des ramassages systématiques de galets en ce lieu ont permis à M. Tessier de montrer que leur nombre décroît en fonction de leur allongement, qui peut atteindre 90 mm; au-delà des 60 mm, les quantités s'amenuisent tout de même nettement, ce qui est peut-être à mettre en lien avec une collecte sélective et répétée au cours de la Préhistoire en faveur des modules les plus importants (Tessier cité par Marchand, 1997, p. 54-55). Dans le cas présent on insistera sur le fait que les plus grands enlèvements décomptés ne mesurent qu'une quarantaine de millimètres de long. Les autres matières siliceuses ne jouent qu'un rôle secondaire dans le débitage. Ceci n'est pas un trait propre à cette série et il s'observe de manière récurrente dans les collections mésolithiques régionales, dont celle de la Fillauderie pour ne citer que l'exemple le plus proche (Saint-Père-en-Retz, Loire-Atlantique; Marchand et al., 1999). Dans le sondage 1 des Vingt-Deux Boisselées-1, on trouve d'anecdotiques esquilles et fragments de lamelles en jaspe et calcédoine, alors que le silex des Moutiers et les grès-quartzites représentent respectivement 6,5 % et 4 % du matériel. La provenance du silex des Moutiers est clairement identifiée, son gîte se situant dans la baie de Bourgneuf à un peu moins d'une vingtaine de kilomètres. L'approvisionnement en grès-quartzite pose plus de questions. L'affleurement de Montbert, à un peu moins d'une cinquantaine de kilomètres de Saint-Père-en-Retz, est bien connu par les préhistoriens depuis le xix e siècle (Gouraud et al., 1990), mais il ne faut pas oublier que de nombreuses dalles de grès-quarztites à grains fins sont dispersées en Sud-Loire/Nord-Vendée (Arrivé et al., en préparation). Des prospections à visée pétrographique seraient nécessaires pour vérifier l'éventuelle corrélation entre les pièces archéologiques et les spécimens issus des différents gisements régionaux. Soulignons tout de même pour le site étudié la forte probabilité d'un approvisionnement plus local qu'une récolte sur le gîte montbertain, et par exemple à une quinzaine de kilomètres de Saint-Père-en-Retz aux Moulins des Penauds ou à la Bitaudière, au sommet de sables blancs yprésiens identiques à ceux de Montbert (Ters et al., 1979, p. 11-12). Ces deux dernières matières sont attestées par des enlèvements bruts ou parfois retouchés. Notons au passage que les quelques armatures et pièces du fonds commun fabriquées dans ces roches ne correspondent pas à des types spécifiques et différents de ceux réalisés en silex blond. Les nucléus sont quant à eux rares dans le cas du silex des Moutiers et même absents du sondage 1 en ce qui concerne le grès-quartzite. On ne peut cependant conclure à l'introduction de cette dernière matière sur le site uniquement sous forme de supports bruts ou retouchés puisque la prospection a livré plusieurs nucléus constitués de grès-quartzite. Cela nous amène à évoquer les modalités de transport du silex blond. Les proportions de pièces semi-corticales et corticales (représentant respectivement 9,5 % et 5,3 % des produits bruts de cette matière) ainsi que le nombre important de galets abandonnés aux premiers coups portés (tabl. 2) plaideraient plutôt en faveur d'un import de galets bruts ou juste décalottés, mais pas décortiqués ni testés sur leur lieu d'acquisition. En témoigne la relative fréquence d'accidents prématurés dus à des défauts de matière première; cela est peut-être lié au caractère facilement renouvelable de l'approvisionnement. Compte tenu de la composition pétrographique de la collection, la description globale des séquences de débitage va être restreinte aux vestiges taillés dans le silex blond ligérien. L'ouverture des galets n'appelle visiblement pas aux Vingt-Deux Boisselées-1 la percussion bipolaire sur enclume, les vestiges témoignant de cette méthode-technique y étant quasiment inexistants. Cette observation s'accorde avec une synthèse régionale soulignant le caractère très ponctuel de ce type de percussion sur l'ensemble des sites mésolithiques de l'ouest de la France (Guyodo et Marchand, 2005). Les stigmates observables en partie proximale des enlèvements détachés au cours des premières séquences opératoires sont marqués – talon épais avec trace d'impact, fissurations, ridules et étoilures – et typiques de l'utilisation d'un percuteur de pierre dure. Certains de ces éclats (éclats stricto sensu ou laminaires) permettent de dégager simplement des nervures guides tout en respectant le caractère nécessairement économe en matière de la mise en forme. Celle -ci s'avère en effet rudimentaire, du fait des caractéristiques morphologiques et morphométriques précédemment décrites à propos des galets, et elle correspond certainement en grande partie à un décorticage sommaire. En l'absence de remontages, il faut souligner que les phases de débitage comprises entre l'ouverture des galets et leur exploitation lamellaire ne sont pas encore précisément documentées. Se cache peut-être ici une séquence d'extraction de quelques éclats assez peu épais destinés à la fabrication d'outils du fonds commun, production qui s'insèrerait alors dans un processus global visant au final à l'obtention de lamelles. Il convient à ce stade de la réflexion de signaler qu'un seul nucléus, à table large semitournante exploitée par deux plans de frappe, témoigne en fin de débitage de la production intentionnelle d'éclats. Les séquences de production laminaire ne sont quant à elles pas représentées par les nucléus; les enlèvements lamino-lamellaires larges de plus de 9 mm sont également rares parmi les produits bruts (tabl. 2) et retouchés. La production lamellaire joue un rôle important sur le site des Vingt-Deux Boisselées-1 comme en témoignent à la fois le taux de lamelles de moins de 10 mm de large (52,6 % des enlèvements bruts et un peu plus des trois quarts des supports retouchés) et les nucléus qui, à une exception près, portent les stigmates d'une exploitation lamellaire. La transformation d'éclats en supports de production lamellaire est ponctuelle dans la collection. Ce cas de figure se résume à trois spécimens en silex blond et un autre en silex des Moutiers (fig. 3, n° 3). D'épais éclats encore partiellement corticaux, provenant de la mise en forme des galets ou dans un cas certainement de leur simple fracturation, ont été exploités à ces fins. Les débitages sont alors variés, avec pour premier exemple un fragment répondant au schéma du « nucléus de type rabot ». Sur une autre pièce, le débitage lamellaire s'effectue en partie proximale de l'éclat, aux dépens de la face inférieure, suivant une exploitation semi-tournante, unipolaire et orthogonale à l'axe de l'éclat support. On observe également un cas d'exploitation sur la face inférieure, parallèlement au sens de débitage du support; ce n'est pas la longueur potentielle des lamelles qui est ainsi recherchée puisque l'artisan ne s'enquiert pas de supprimer le bulbe marqué de l'éclat-support. Aucun aménagement ne vient d'ailleurs faciliter le débitage de ces trois pièces, ce qui explique en partie l'apparition rapide d'accidents. Il est clair que ces différents nucléus résultent clairement d'un débitage d'appoint peu productif. Dans le cas où le volume débité correspond à l'origine à un galet et non à un éclat (fig. 4 et 5), les tailleurs n'ont pas cherché à implanter la table dans une partie étroite du nodule ou à en conserver l'axe longitudinal. Le débitage n'occupe très souvent qu'une table, avec une exploitation semi-tournante qui ne s'effectue pas strictement de gauche à droite ou vice versa mais de manière plus discontinue comme en témoignent les schémas diacritiques et les codes opératoires enregistrés. Deux plans de frappe – essentiellement opposés – interviennent souvent dans le débitage (54,5 %), mais néanmoins les séquences de production lamellaire peuvent être qualifiées d'unipolaires (fig. 4). En effet, bien souvent la surface opposée au plan de frappe principal est percutée dans le but de réaménager la carène. Dans quelques autres cas, le second plan de frappe est également à l'origine du détachement de lamelles. Le débitage se décompose alors en deux séquences indépendantes et successives, respectivement obtenues grâce à l'un puis à l'autre des plans de percussion. Un des nucléus en silex des Moutiers s'inscrit dans ce cas de figure (fig. 5, n° 1) : la production gagne toute la périphérie du volume exploitée depuis deux pôles de percussion désaxés l'un par rapport à l'autre, ce qui confère un aspect spiralé à cette pièce. Sur l'ensemble de la série, les plans de frappe, lisses, ne sont que sommairement préparés. La seule préparation de la zone à percuter, en l'occurrence l'abrasion des corniches, n'apparaît que ponctuellement sur les nucléus abandonnés. En revanche, au sein du débitage brut, une lamelle sur deux en porte les stigmates. Les talons associés peuvent ponctuellement être filiformes mais, plus généralement, ils sont lisses et larges d' 1 ou 2 mm. L'angle talon/axe de débitage approche l'orthogonale ou 80°. En suivant les critères avancés par J. Pelegrin (Pelegrin, 2000), ces différentes observations orientent le raisonnement vers l'utilisation d'un percuteur de pierre en percussion directe; la dureté de l'outil employé reste à définir avec plus de précision, ce qui nécessiterait une série d'expérimentation sur des galets récoltés à l'embouchure de la Loire. Pour caractériser les lamelles produites par ces débitages, on peut tout d'abord retenir qu'en termes de largeur la production suit une courbe unimodale, avec pour modules préférentiels les valeurs comprises entre 6 et 9 mm. Les tailleurs visent l'obtention de produits fins, globalement de 2 mm même si les pièces d' 1 mm d'épaisseur ne sont pas en reste. La forte fragmentation des lamelles diminue nos chances d'appréhender la longueur de ces produits, mais il est clair que l'exploitation n'est pas réduite à des lamelle stricto sensu et que des éclats lamellaires se mêlent à la production. Les lamelles largo sensu, souvent torses, possèdent majoritairement deux pans mais la présence d'un pan supplémentaire n'est pas rare. Elles présentent globalement des nervures et/ou des bords subparallèles légèrement sinueux, sans que les tailleurs n'aient pour autant recherché des produits réguliers. Les enlèvements participant au réaménagement du plan de frappe sont assez peu nombreux (tabl. 2). De minces éclats, tirés depuis la table lamellaire ou un de ses flancs, sont alors privilégiés. On note que, plus globalement, les réaménagements du volume faisant appel à des modalités spécifiques s'avèrent plutôt rares, comme en témoigne également le nombre réduit de néo-crêtes. La correction des convexités survient alors à la suite d'un aménagement partiel d'un pan. Ces deux types d'opérations semblent circonscrits aux séquences initiales et/ou intermédiaires de production lamellaire, les nucléus n'en faisant plus état. La série n'atteste pas non plus de réagencements importants du volume ou d'exploitations par fréquents retournements du bloc, ce qu'indiquent les stigmates des nucléus mais aussi la large prédominance des enlèvements évoquant un débitage unipolaire. En définitive, l'entretien ne nécessite souvent que l'intervention de simples enlèvements, permettant à eux seuls de supprimer les réfléchissements ou de retrouver des carène et cintre satisfaisants. Le débitage semi-tournant permet pour sa part le maintien de ce dernier. Les dos, quant à eux, entrent très peu en jeu dans la logique d'aménagement et sont majoritairement corticaux. L'abandon du nucléus est généralement causé par la présence concomitante de réfléchissements et d'un aplatissement marqué des convexités. Certes dans certains cas de figure, l'arrêt du débitage est dû à l'exhaustion du volume exploitable (fig. 3, n° 2), mais il convient de souligner que la petitesse initiale qui caractérise les galets taillés n'a pas induit des stratégies de débitage visant à leur exploitation maximale, pas plus qu'un développement important du débitage sur éclat qui s'avère une solution adéquate en cas de gestion plus exhaustive de la matière. Cette apostrophe introduisant l'étude de l'outillage ne vise qu' à rappeler la difficile évaluation de la nature des activités menées par les premiers groupes mésolithiques sur les sites armoricains ou plus généralement de l'ouest de la France. En effet, pour amorcer ce type de réflexion, il faut se contenter de la seule industrie lithique (les ossements n'étant pas conservés), sans omettre de préciser de surcroît l'insuccès très fréquent des analyses tracéologiques avortées par des altérations post-dépositionnelles. Or, force est de constater que la proportion armatures/outils du fonds commun ne peut à elle seule permettre de proposer une caractérisation fonctionnelle du site. En effet, la proportion d'outils se résumant à des enlèvements utilisés bruts est difficilement quantifiable. Aux Vingt-Deux Boisselées-1, le taux de vestiges à fil ébréché est non négligeable (tabl. 2), mais certains de ces esquillements sont peut-être dus à des processus taphonomiques relatifs à la nature du sédiment encaissant (sables, graviers et galets). En parallèle, il faut également considérer l'éventuelle utilisation de supports bruts dans des actions brèves et ne laissant que des traces visibles au microscope à fort grossissement. Les analyses fonctionnelles réalisées sur certains sites du début du Mésolithique dans le nord de la France et la Belgique mettent en effet en évidence l'importance de ce dernier type d'outils (Guéret, 2010). À la liste de ces arguments, d'autres paramètres mériteraient d' être ajoutés, dont le nombre inconnu d'armatures emmanchées sur chaque fût. Cette série illustre une fois de plus le fait que l'aspect sommaire de l'outillage du fonds commun constitue une caractéristique majeure des industries du début du Mésolithique, que l'on se focalise sur l'ouest de la France ou que l'on élargisse la fenêtre d'étude à l'Ouest européen. Dans le sud de la France, plusieurs publications insistent d'ailleurs sur l'importance du caractère expédient de l'outil chez les groupes mésolithiques (Philibert, 2002, p. 163; Guilbert et al., 2006). Pour en revenir au site qui nous intéresse dans le cas présent, la catégorie d'outils qui prédomine est celle des « enlèvements à retouches diverses », pour ne pas dire celle des outils inclassables en l'absence d'analyses tracéologiques. Plus précisément, ces pièces correspondent à 54,8 % des outils retouchés du fonds commun (tabl. 3, fig. 6). Dans près de la moitié des cas, un éclat a été choisi comme support. On trouve parmi eux des enlèvements plus ou moins épais, et parfois à plages corticales, qui sont symptomatiques des phases de (ré)aménagement, depuis l'entame jusqu'au nettoyage de réfléchissements survenus lors de séquences de production lamellaire. D'autres supports, assez fins et de petite dimension, ne correspondent pas à des pièces techniques et ont certainement été extraits en amont des séquences lamellaires (cf. supra). La retouche des différents éclats se situe en partie distale des supports ou sur leurs bords. En ce qui concerne les produits lamino-lamellaires qui ont été sommairement retouchés, les retouches se développent surtout sur un des bords, sans latéralisation préférentielle. Ces supports sont d'une régularité moyenne : si elle semble inférieure à celle affichée par les armatures et les microburins, elle surpasse globalement celle des produits lamino-lamellaires bruts (tabl. 4). L'épaisseur de ces outils [3,5-5,5 mm] et leur largeur, plus variable [7,5-17,5 mm ], dépassent également le plus souvent les dimensions des supports réservés à la fabrication des microlithes. Le reste du fonds commun est diversifié, avec des types d'outil constitués d'une ou de quelques pièces. Les deux grattoirs du corpus ont été réalisés par retouches directes semi-abruptes sur de grands éclats épais, l'un des supports résultant du réaménagement du nucléus en partie opposé au plan de frappe (fig. 6, n° 6). Le recyclage de cette pièce technique s'inscrit dans une logique de sélection des supports similaire à celle évoquée pour les outils précédemment décrits. Une lame épaisse semi-corticale sert de support à l'unique burin. Les quatre outils tronqués, latéralisés à droite, ont en revanche été fabriqués sur des lamelles et un éclat fin (fig. 6, n° 10). La délinéation de la troncature, l'angle qu'elle forme avec l'axe du support et l'inclinaison des retouches sont alors très variables. Les outils encochés sont également confectionnés sur des enlèvements fins. Parmi les quatre pièces à coche unique (fig. 6, n° 9 et 11), une se démarque par son support, lamellaire, et le type de retouche, inverse. Les deux denticulés quant à eux ne possèdent respectivement que deux et trois coches successives (fig. 6, n° 4). Si l'on étudie l'ensemble des armatures provenant du sondage 1, outre la prédominance du silex (96,8 % des armatures), on retient parmi les caractéristiques majeures du fonds microlithique le fort taux de triangles isocèles (51,4 % des armatures ayant obtenu une attribution typologique (tabl. 5; fig. 7, n° 1-16). Si l'on commence par leurs attributs morphométriques, on peut apprécier une certaine constance de leur largeur : ses valeurs minimales et maximales, respectivement de 4 et 7 mm, sont groupées autour de la moyenne, soit 5,6 mm. Cette observation, récurrente dans l'ouest de la France et même parfois plus tranchée sur certains sites de ce secteur (Valdeyron, 1991; Michel, 2011, p. 367), doit être prise en considération pour s'interroger sur le mode d'emmanchement des armatures isocèles. L'exigence en termes de longueur est nettement moindre, ce qui explique la variation de l'allongement de ces armatures. L'indice allongement appartient à l'intervalle [1,6-2,9[, mais en complément d'information il faut signaler que ce ratio se situe au dessus de 2,5 pour la majorité des triangles isocèles entiers; en d'autres termes, la préférence va aux modèles allongés plus qu'aux gabarits trapus. Quelques triangles isocèles se distinguent par leur caractère hypermicrolithique (fig. 7, n° 15-16) qui rappelle des armatures découvertes à seulement quelques kilomètres, à l'autre extrémité du Boivre, à la Fillauderie (Saint-Père-en-Retz, Marchand et al., 1999). Pour être exhaustif d'un point de vue morphométrique, il convient également de préciser la faible épaisseur des supports choisis pour être transformés en triangles isocèles, cette dimension n'excédant pas sur ces microlithes 1 à 2 mm selon les cas. On peut enfin ajouter que les troncatures sont globalement rectilignes, que le troisième côté fait rarement l'objet d'un bordage et que, sur un peu plus d'un cinquième des triangles isocèles, on observe encore un piquant-trièdre partiellement brut. Dans toutes les collections du Centre-Ouest, le piquant-trièdre a souvent été conservé (partiellement ou totalement) brut sur tous types d'armature. Pour les triangles, ce caractère constitue une spécificité régionale, le piquant-trièdre n'apparaissant qu'exceptionnellement sur les microlithes du Sauveterrien ancien (Valdeyron et al., 2008). La catégorie des triangles est complétée par quatre armatures scalènes (fig. 7, n° 17-19). L'un d'entre eux tend fortement vers la symétrie et présente des caractéristiques semblables à celles exposées dans le paragraphe ci-dessus. Un autre, latéralisé à droite comme ses semblables, est plus allongé avec un indice d'allongement de 2,8. Le troisième côté est finement retouché sur ses trois quarts depuis la grande pointe, tandis que quelques millimètres avant la pointe la grande troncature s'interrompt au profit d'une micro-retouche. L'assimilation au sous-type « triangle de Montclus » ne se justifie pas pour autant, les caractères effilé et hypermicrolithique étant absents. Un quart du fonds microlithique correspond à des pointes (fig. 7, n° 23-32), les modèles à base retouchée étant les plus fréquents. Cette dernière est toujours orthogonale à l'axe de l'armature et de délinéation majoritairement concave, avec alors parfois un léger décentrage de l'arc vers le bord retouché. La mise en œuvre de retouches inverses, et non directes, est exceptionnelle. Le troisième bord est ponctuellement travaillé sur toute sa longueur ou seulement dans le tiers proche de la base. La largeur des pointes à base retouchée est constante, avec des valeurs comprises entre 6 et 8 mm. En revanche, la variabilité est de mise aussi bien pour la latéralisation (gauche-droite) que pour l'implantation de la pointe (parties distale ou proximale). Ces deux remarques peuvent être réitérées pour les pointes à base naturelle, dont le nombre réduit ne permet certes pas de conclure sur ce point. Deux de ces microlithes, fracturés, ressemblent morphologiquement parlant à de réels triangles, si ce n'est qu'ils ne sont tronqués qu'une fois (fig. 7, n° 24 et 26). Ce type de pièces revient fréquemment, au travers de quelques exemples, dans les séries sub-contemporaines de l'ouest de la France. Faut-il les classer en type à part entière ou a -t-on affaire à des armatures en cours de fabrication ? Aux Vingt-Deux Boisselées-1, les cassures, malheureusement non diagnostiques, ne permettent pas de nourrir le débat. Mais la dimension très réduite d'une des pointes irait à l'encontre de la seconde hypothèse. La dernière pointe à base naturelle possède également une particularité : c'est l'unique microlithe de cette série dont l'axe est orthogonal à celui du support (fig. 7, n° 25). Le tailleur a profité de la cassure nette d'un fragment distal, en la perfectionnant sur une moitié avec des retouches directes abruptes, pour réaliser une pointe dont la base correspond au bord gauche de la lamelle-support. Les armatures segmentiformes (fig. 7, n° 20-22), dont l'étroitesse rappelle celle des triangles isocèles, paraissent un peu moins régulières que les autres types de microlithes; c'est d'ailleurs dans cette classe qu'on trouve le seul projectile à plage corticale. Globalement, un axe de symétrie horizontal se dessine au milieu de la pièce (segments de cercle) mais une pièce se distingue par son asymétrie et peut être qualifiée de pointe segmentiforme. Pour information, aucun piquant-trièdre n'est alors apparent. Cette dernière remarque nous amène à décrire brièvement quelques traits relatifs au procédé du microburin, renseigné par 61 pièces (microburins à proprement parler, lamelles à cassure dans ou au-dessus de la coche et lamelles encochées en partie mésiale). Le tailleur implante préférentiellement la coche à droite et de manière à supprimer le segment proximal (tabl. 6). Cette ablation facilite la confection des armatures débarrassées de la section la plus irrégulière et la plus épaisse du fait des bulbe et talon. En termes de choix techniques et d'objectifs de débitage, on note sur ce site que l'investissement ne porte pas tant sur la production des supports que sur leur retouche, ce qui semble globalement être le cas dans l'ouest de la France. La caractérisation technologique de la série des Vingt-Deux Boisselées-1 est également intéressante si l'on confronte les résultats de ce site localisé dans le sud du Massif armoricain à ceux des séries réalisées aux environs dans les bassins sédimentaires à partir de silex locaux. Les conclusions de cette comparaison ont déjà été présentées en détails à plusieurs reprises (Michel, 2011, p. 420-425; Michel, sous presse) et l'on peut juste retenir dans le cadre de cet article consacré à un site sud-ligérien que la spécificité géologique du sous-sol armoricain n'influe globalement ni sur les méthodes d'exploitation des matières siliceuses ni sur les objectifs de débitage. Le second apport principal de cette opération concerne les armatures, qui pour le Mésolithique sont au cœur des caractérisations chrono-culturelles. La description générale du fonds microlithique tel qu'il apparaît au niveau du sondage diffère en effet nettement de celle qui peut être dépeinte si l'on se concentre sur la série récoltée en prospections aux Vingt-Deux Boisselées-1. Jusqu'alors, et d'après ces ramassages de surface, les pointes constituaient la principale composante du carquois de ce site (60,5 % hors pièces fragmentées ou en cours de façonnage). Dans le sondage 1, cette proportion s'applique au contraire aux triangles. Comment appréhender cette distinction majeure en termes de détermination culturelle ? Tout d'abord, cette constatation nous amène à réitérer les conseils de prudence quant à l'emploi des statistiques pour les séries issues de prospection. Si l'on se recentre sur le site des Vingt-Deux Boisselées-1, on peut tout d'abord supposer, par extension, qu'une nette prédominance des triangles serait apparue si l'emprise de la fouille avait été de proportions égales à la zone ayant livré du matériel mésolithique en surface (fig. 8). Cependant, différents facteurs doivent être pris en compte. Nous ne sommes pas à l'abri par exemple, et pour ne citer que cet aspect, d'une répartition différentielle des indices archéologiques. Un second point doit être soulevé : la totalité des pointes du sondage proviennent des labours. Les triangles isocèles sont quant à eux répartis de manière équilibrée entre ces labours et le niveau sous-jacent. Faut-il y voir le spectre d'une stratigraphie ? En d'autres termes, il serait tentant d'évoquer un niveau, escamoté par les travaux aratoires, renfermant pointes et triangles isocèles et un niveau antérieur au sein duquel seule la seconde catégorie d'armatures serait représentée (fig. 9). Le contexte sédimentaire ne permet pas de valider l'hypothèse de deux occupations successives caractérisées par des habitudes stylistiques différentes (une phase à triangles suivie d'une période où le carquois se diversifie). En revanche, il faut garder en mémoire cette possible stratigraphie résiduelle pour voir si elle se confirme sur des sites moins altérés. En effet, ce constat, qui mettrait en évidence une stabilité des modalités d'approvisionnement et de débitage alors que les microlithes évolueraient, ne serait pas sans conséquence sur les modèles chrono-culturels actuels. Il convient à ce stade de la réflexion de souligner trois points. Tout d'abord, rappelons que dès 1984 O. Kayser proposait un classement successif des sites morbihannais de Kerjouanno (Arzon) et de Monterblanc (Guernéhué), en arguant de la hausse progressive des pointes parallèlement à la baisse des triangles. Deuxièmement, il n'y a pas d'emploi d'une matière première donnée et différente pour chacun de ces types d'armatures, le silex blond étant largement prédominant dans l'ensemble du fonds microlithique. Nous sommes donc dans un cas de figure différent de la Majoire D (Gouraud, 1987), site régional associant des pointes à base retouchée majoritairement fabriquées en silex blond et d'autres types de microlithes généralement réalisés en grès-quartzites. On peut y suspecter 1) un usage différentiel des matières premières en fonction des classes d'armatures (cas de figure d'un seul et même ensemble), 2) une évolution des systèmes d'approvisionnement en matériaux siliceux en parallèle d'une modification des normes typologiques (cas de figure d'une diachronie), ou 3) le passage sur le site de deux groupes culturels différents comme cela a pu être proposé dans l'est de la France à partir de classements typologiques (Thévenin, 1998); mais le contexte de découverte, c'est-à-dire des ramassages de surface, ne permet pas de privilégier une de ces hypothèses. Enfin, aux Vingt-Deux Boisselées-1 les pointes à base naturelle peuvent être mieux caractérisées grâce aux prospections qui en ont livré 17 exemplaires. L'impression d'opportunisme née de l'étude du matériel issu du sondage disparaît au profit d'un modèle de pointes plus récurrent. Il se résume à la combinaison d'une latéralisation préférentiellement senestre, d'un apex implanté en partie distale, d'une délinéation rectiligne ou concave de la troncature et d'un bord opposé non aménagé. En revanche, seules deux de ces armatures correspondent à la définition des pointes de Chaville, le piquant trièdre n'étant absolument pas retouché. En guise de conclusion, on soulignera qu'avec l'exemple des Vingt-Deux Boisselées-1 on voit à quel point des sondages d'emprise réduite, réalisés dans des contextes géomorphologiques assez peu favorables à l'enregistrement des données, peuvent tout de même livrer d'importants résultats permettant de compléter notre vision des premiers chasseurs-collecteurs mésolithiques de l'actuelle façade atlantique française .
De récents sondages permettent de compléter la caractérisation de l'occupation mésolithique des Vingt-Deux Boisselées-1 (Saint-Père-en-Retz, Loire-Atlantique), site auparavant prospecté et servant de référence régionale depuis une douzaine d'années. La série, homogène d'un point de vue chrono-culturel, est principalement réalisée en silex blond-jaune. Les supports sont obtenus suivant des modalités simples, nécessitant un faible investissement techno-économique. Ils sont pour certains peu transformés et constituent alors des outils du fonds commun, et pour d'autres finement retouchés comme en témoignent les armatures. L'analyse typologique des microlithes issus du sondage 1 dévoile des résultats différents de ceux obtenus suite aux prospections (plus de triangles que de pointes à base naturelle et non l'inverse), ce qui ouvre peut-être de nouvelles pistes d'étude en termes de classification chrono-culturelle et incite à interpréter avec prudence les scénarios construits à partir de simples ramassages.
archeologie_12-0337830_tei_140.xml
termith-13-archeologie
Les produits de silex sont l'une des composantes les plus répandues du mobilier funéraire dans différentes cultures de la préhistoire et des débuts de la métallurgie. En général, les chercheurs prêtent attention à ces produits, en soulignant leur caractère unique, mais, malheureusement, ils en donnent rarement les caractéristiques techniques et posent encore moins souvent la question de leur statut fonctionnel, alors que l'étude approfondie de ces objets peut renseigner sur leurs modes de fabrication et leurs fonctions, révéler des détails sur les rituels funéraires, préciser la chronologie et montrer le jeu des influences culturelles. Tout cela s'applique largement au matériel des ensembles funéraires des premières communautés de pasteurs qui vécurent dans les régions steppiques comprises entre le Dniepr et le Don, à la fin du V e et au début du IV e millénaire. Dès le moment de la découverte de ces assemblages, les archéologues ont vivement discuté la question de leur synchronisation avec les différentes phases des cultures agricoles précoces de la région balkano-danubienne (Tripolje-Kukuteni en Ukraine, Moldavie et Roumanie; Kodjadermen-Gumelnita-Karanovo VI en Roumanie et Bulgarie, et Varna en Bulgarie) et le rôle que prirent les migrations des nomades dans leur disparition soudaine et l'extension des Indo-européens en Europe (Dobrovolsky 1929; Danilenko 1959; Telegin 1991, Telegin 1973, Telegin et al. 2001; Rassamakin 1999; Dergachev 2000, 2007; Manzura 2000; Todorova 1986, Todorova dir. 2002; Gimbutas 1991, Gimbutas 2006, etc.; fig. 1). Les assemblages en question sont principalement connus par des sépultures et beaucoup moins par des sites d'habitat. Ils apparaissent dans la littérature archéologique dès le début du XX e siècle sous le nom de la culture Srednij Stog II (Dobrovolsky 1929, Danilenko 1959, Telegin 1973), ou culture des Kourgans (Gimbutas 1956, Gimbutas 2006). Récemment, à la lumière de nouvelles données, certaines sépultures furent regroupées en une culture distincte dénommée Novodanilovka (fig. 2, Telegin et al. 2001). Celle -ci, dont les sites sont dispersés dans toute l'aire steppique depuis le Don jusqu'au bas Danube, n'est connue que par ces sépultures. Elles sont caractérisées par des inhumations en fosse, avec les corps étendus sur le dos, jambes fléchies, la tête orientée soit à l'est soit au nord-est. Les os sont recouverts par une grande quantité d'ocre. Leur mobilier funéraire diffère de celui de la culture Srednij Stog par l'utilisation de dalles de pierre pour la construction de la tombe, l'abondance des objets en cuivre, dont de la parure, et par la présence de nombreuses pièces de silex remarquables par la perfection de leur facture. (d'après Gimbutas 2006) Les sépultures découvertes dans la ville de Lugansk, à l'est de l'Ukraine, sous un kourgan arasé, comptent parmi les sites les plus intéressants de la culture de Novodanilovka, Le diamètre du kourgan est de 25 mètres tandis que sa hauteur actuelle ne fait plus que 55 centimètres. En addition de la sépulture de type Novodanilovka, il y avait aussi une inhumation postérieure propre à la culture des Tombes en fosse, mais il est difficile de dire à laquelle des deux était associé le monticule (Pislariy et al. 1976). La fosse de la tombe, de 2,7 m par 2,35 m, avait été creusée dans un sol vierge, à une profondeur de 0,92 m du sol actuel. Ses trois murs étaient recouverts de pièces de marne; malheureusement, la partie nord-ouest de la fosse et l'un des squelettes furent partiellement détruits par la sépulture postérieure attribuée à la culture des Tombes en fosse (fig. 3), Trois squelettes d'hommes reposaient sur le dos, en position fléchie, la tête vers l'est, les bras le long du corps et les mains croisées sur le pelvis. Les os et le fond de la fosse étaient couverts d'ocre. Le matériel funéraire est composé d'objets en os, d'astragales, et de pièces lithiques, parmi lesquelles une meule, deux haches en ardoise et deux en silex, un grattoir sur éclat et 17 lames et fragments de lames. Ces lames, de grandes dimensions, dominent dans l'assemblage. Elles étaient disposées près des crânes et dans la partie supérieure du squelette post crânien, tandis qu'un spécimen était dans la main de l'un des inhumés. Jusqu'ici ce matériel n'a été décrit que de manière très globale, sans analyse des matières premières, des modes de débitage ni des traces d'usage. Pour combler cette lacune, nous avons entrepris une étude morphologique, technologique et tracéologique de 14 grandes lames en silex jaune miel, gris zoné et noir translucide. (d'après Pislariy et al. 1976) La plupart des spécialistes inclinent à penser que ces objets sont dans un silex local de haute qualité connu par les gisements et les mines énéolithiques du bassin du Don (Zweibel 1970). Il semble cependant prématuré de statuer sur les sources de silex en l'absence de données pétrographiques. En outre, le silex jaune est très semblable à celui de Dobrudja qui fut largement utilisé dans l ' é néolithique de Bulgarie (Nachev et al. 1981), tandis que les variétés grises zonées et noires ressemblent au silex de Volyn ' au nord-ouest de l'Ukraine, qui était commun sur les sites de la culture de Trypolie. Il convient de souligner qu'au cours de l ' é néolithique ces deux types de silex furent intensivement utilisés et des produits finis furent exportés à de longues distances, dans des régions très éloignées des centres de production. En outre, des contacts intensifs entre les populations d'agriculteurs et d'éleveurs sont attestés par la présence d'objets importés en matières autres que le silex, telles que la céramique et le cuivre (Skakun 2004, 2006; Telegin et al. 2001). Pour des raisons pratiques, les lames étudiées de la sépulture de Lugansk sont divisées en trois groupes, selon leur couleur. Le premier groupe consiste en 7 lames de silex jaune, 6 étant intactes et 1 figurant sous la forme d'un fragment proximal (fig. 4 et fig. 6 : 1, 2, 5, 7-10). Leur longueur est comprise entre 15 et 23 cm, leur largeur entre 2 et 3,8 cm et leur épaisseur entre 0,4 et 0,6 cm. Elles ont un contour régulier, des pans latéraux parallèles avec des bords tranchants, une section triangulaire ou trapézoïdale basse, un profil droit ou courbe, une extrémité proximale épaissie par le bulbe de percussion, lequel, dans trois cas, porte une esquille bulbaire. Les talons sont minuscules, soit ellipsoïdaux ou en forme de trapèze irrégulier. Dans la plupart des cas la surface dorsale adjacente est légèrement abrasée et tous les surplombs ont été supprimés. Une des lames est restée brute de retouche (fig. 4 : 6; fig. 6 : 9), tandis que les 5 autres, désignées sous le terme de poignard, ont été façonnées par une retouche dorsale partielle. Sur 3 des lames intactes, les bords adjacents au talon portent une retouche abrupte, tandis que leur extrémité distale appointée a été renforcée par des enlèvements rasants (fig. 4 : 4, 5, 7; fig. 6 : 2, 8, 10). Sur la quatrième lame la retouche n'est pas seulement appliquée aux extrémités basales et apicales mais aussi sur l'un des bords (fig. 4 : 2; fig. 6 : 5); quant à la cinquième, seule l'apex est retouché (fig. 4 : 3; fig. 6 : 7). Le fragment n'est retouché qu'en bordure du talon (fig. 4 : 1; fig. 6 : 1). À en juger par la structure et la couleur du silex, toutes les lames entières pourraient avoir été débitées dans un même bloc. Pour trois d'entre elles une telle hypothèse est plus que vraisemblable, car leurs extrémités distales montrent une veine rouge-brun identique (fig. 4 : 3, 6, 7; fig. 6 : 6, 9, 10). Le second groupe est celui des pièces en silex gris avec un motif en bandes qui suggère qu'elles ont aussi été tirées du même nucléus (fig. 5 : 1-3; fig. 6 : 3, 4, 6). Deux lames sont intactes; elles mesurent 19,2 et 19 cm de long, 2,3 cm de large et 0,4 cm d'épaisseur. La troisième lame est représentée par un fragment distal (16 x 3,5 cm x 0,6 cm). Comme les lames en silex jaune, elles ont un contour régulier, des bords tranchants parallèles, une section triangulaire ou trapézoïdale aplatie, un profil courbe et un proximal épais. Leurs talons, petits, lisses et légèrement biseautés, ne montrent pas de trace d'abrasion mais les bords adjacents en sont retouchés. L'extrémité proximale de l'une d'elles est abattue par une retouche appliquée aux deux bords (fig. 5 : 3; fig. 6 : 4). Les autres lames ne sont pas du tout retouchées (fig. 5 : 2; fig. 6 : 6), tandis que le fragment porte une petite retouche sur ses deux bords (fig. 5 : 1; fig. 6 : 3). Les lames et fragments décrits trouvent une forte similitude dans le matériel d'autres ensembles funéraires de la culture Novodanilovska examinés par l'auteur, tels que Petro-Svistunovo (fig. 9 : 1-6; fig. 10) et Chapli (fig. 11) en Ukraine, et Kainary et Djurdjuleshty en Moldavie. Les ressemblances sont autant dans la couleur (jaune) et la structure du silex, que dans les caractéristiques des lames qui signent leur mode de débitage. D'après la littérature, des objets semblables sont présents aussi dans les sépultures de Mureshului en Roumanie, Reka Devnya en Bulgarie, Chongrad en Hongrie orientale. En outre, des lames de même type proviennent de quelques dépôts connus dans la zone des cultures nomades des steppes, par exemple à Staryi Orlik, Goncharovka, Kreidyanka, etc. (Telegin et al. 2001). Cependant, la qualité des publications ne permet pas de dire avec certitude si la technologie laminaire est dans tous les cas identiques. Les nucléus trouvés dans certaines des sépultures et des caches mentionnées sont de silhouette conique, à débitage unipolaire et table de débitage unique, avec un dos plat, pour une longueur comprise entre 11 et 18 cm. Ils ne sont pas complètement épuisés, mais leur exploitation semble avoir cessé lorsqu'ils n'avaient plus une longueur suffisante pour obtenir des lames de la dimension voulue. Le même phénomène peut être observé avec le matériel des ateliers de taille du silex des communautés agricoles de la région balkano-danubienne (Skakun 1996, 2004). La comparaison des lames étudiées ici avec celles des cultures agricoles du sud-est de l'Europe, où la technologie du silex avait atteint un sommet de perfection (Skakun 1984, 1992, 1993, 1996, 2006), montre que d'un point de vue technique, le matériel de type Novodanilovka a davantage en commun avec les assemblages Kodjadermen-Gumelnita-Karanovo VI et Varna qu'avec le matériel de type Tripolje-Cucuteni. Les lames des sépultures de type Novodanilovka partagent avec celles des sites du complexe Kodjadermen-Gumelnita-Karanovo VI et Varna nombre de caractères qui signent la technologie du débitage : petit talon non facetté, abrasion de la corniche avant l'extraction, une notable courbure de l'extrémité proximale due à la présence d'un bulbe marqué, une face dorsale plate aux arêtes basses, une section régulière triangulaire ou trapézoïdale, des bords réguliers parallèles. Des séries d'expériences conduites par différents chercheurs ont montré que la production de telles lames requérait des moyens de débitage particuliers, dont le mécanisme du levier (Pelegrin 2006). Cependant, il y a une différence notable dans le façonnage des supports. Aucune lame des ensembles Kodjadermen-Gumelnita-Karanovo VI et Varna n'est retouchée aux deux extrémités. Je n'en ai pas observé dans le matériel des nécropoles de Varna et Durandulak, que j'avais pour partie étudié, et il n'en est pas mentionné non plus dans les nouvelles publications (Kynchev 1978; Sirakov 2002; Manolakakis 2002). Il convient aussi de noter que la composition des assortiments d'outils dans les sépultures de type Novodanilovka diffère de celles de Varna et Durankulak. En plus des longues lames et de leurs fragments non retouchés, les « trousses à outils » dans les deux sites Bulgare comprennent des grattoirs, des perçoirs, des burins, des microlithes géométriques et des pointes de javelines. Dans les assemblages constituant le faciès Novodanilovka, les lames retouchées et non retouchées sont complétées par des armatures de flèches et de javelines, des haches et des grattoirs simples sur lame ou éclat. Les lames de la culture Tripolje-Cucuteni sont plus massives et moins régulières. Souvent elles ont un profil courbe, une forme moins symétrique, un talon large et une extrémité proximale plus épaisse. D'après les expérimentateurs, ces différences sont dues au fait que les lames en contexte Kodjadermen-Gumelnita-Karanovo VI et Varna, et probablement celles de type Novodanilovka, furent débitées par la pression au levier, ce qui ne fut pas le cas de celles de type Tripolje-Cucuteni. Les différences portent aussi sur le traitement secondaire. Tandis que les lames de l'entité Novodanilovka sont transformées en poignards par une retouche uniquement à leurs extrémités basales et apicales, les poignards de type Tripolje-Cucuteni ont une retouche dorsale continue ou intermittente qui couvre les bords et l'apex, créant une forme distincte dont les éléments de comparaison les plus proches sont à rechercher parmi les outils de la culture Srednij Stog (Skakun 2004; Telegin et al. 2001). L'analyse tracéologique des deux premiers groupes a montré que la majorité des pièces étudiées, fragments de lames inclus, portait deux types de traces d'usage : l'un confiné aux bords et à l'apex, l'autre à l'extrémité proximale. Dans le premier cas, les traces d'usure sont présentes sous forme de petites ébréchures et de bandes étroites de poli sur les deux faces des bords formant la pointe. Parfois, elles sont accompagnées par des micro-traces linéaires sous forme de stries faiblement marquées plus ou moins parallèles au bord. Cette forme d'usure est similaire à celle caractéristique des couteaux utilisés pour couper la viande. Quelques lames ont des traces de frottement dans les zones adjacentes à leur talon qui pourraient être indicatives d'un emmanchement. En outre, toutes les lames ont une quantité variable d'ocre à leur surface, et dans plusieurs cas il ne s'agit pas de grains isolés provenant du remplissage de la tombe mais de larges bandes intentionnellement marquées, l'ocre ayant été par endroit frottée dans les facettes de retouche. Les pièces du troisième groupe que nous avons distingué dans la sépulture de Lugansk sont en silex noir. Elles comprennent trois lames intactes retouchées en poignard (18 x 3,5 x 1,3 cm; 14 x 2, 2 x 0,8 cm; 12,5 x 2 x 0,8 cm, fig. 5 : 5-7; fig. 7 : 2-4) et un fragment de lame (10,5 x 3 x 0,5 cm, fig. 5 : 4; fig. 7 : 1). Ils diffèrent des lames en silex jaune et gris décrites ci-dessus. Les lames en silex noir sont plus courtes et plus massives, leur profil est courbe et l'épaisseur de la zone bulbaire moindre. Le talon, conservé sur deux spécimens, est large, sub-triangulaire, biseauté, lisse, avec abrasion de la corniche. La section est soit triangulaire, soit en trapèze irrégulier et les bords sont parallèles. Ces traits montrent que la technologie mise en œuvre, bien que parfaite, différait de celle utilisée pour produire les lames en silex jaune et gris. La technique de retouche aussi était distincte. La forme particulière des poignards était obtenue au moyen de longs enlèvements plats et étroits, probablement réalisés au moyen d'un retouchoir compresseur en cuivre (fig. 5 : 5-7; fig. 7 : 2-4). La surface dorsale de l'une de ces lames noires est complètement recouverte par cette retouche en ruban convergeant depuis les bords vers l'axe central de la pièce fig. 5 : 6; fig. 7 : 3). Une autre lame est travaillée de la même façon, à l'exception d'une petite zone non retouchée à l'extrémité basale (fig. 5 : 5; fig. 7 : 2). La troisième et plus grande lame a été transformée par une retouche directe marginale et un piquetage puis un polissage dorsal. La face ventrale de l'extrémité proximale est complètement couverte de larges enlèvements plats et le reste de la surface montre des traces de polissage (fig. 5 : 7; fig. 7 h 4; fig. 8 : 1-4). La forme de ces poignards est une lointaine réminiscence de celle de deux exemplaires du cimetière de Petro-Svistunovo (fig. 8 : 7, 8), qui appartient à la culture de Novodanilovka. Il n'y a rien d'équivalent dans le matériel de la culture Srednij Stog, ni dans celui de type Kodjadermen-Gumelnitsa-Koranovo VI et Varna. Quant aux sites du stade moyen du Tripolie, des fragments isolés de lames avec la face supérieure complètement couverte par une longue retouche sont connus dans le site de Bodaki qui était un centre spécialisé de taille du silex (Skakun 2004). Le quatrième objet est un fragment proximal de grande lame, avec un talon sub-triangulaire, biseauté, lisse, un profil droit, une section trapézoïdale et des bords parallèles (fig. 5 : 4; fig. 7 : 1) : des caractéristiques similaires à celles des autres lames du groupe. L'analyse tracéologique des poignards a montré que deux d'entre eux (fig. 5 : 5, 6; fig. 7 : 2, 3) ont sur leur face ventrale des traces faiblement marquées de découpe de matière tendre, peut être de la viande. Les faces du troisième poignard (fig. 5 : 7; fig. 7 : 4), particulièrement la ventrale, ont des traces de piquetage, concassant la couche superficielle du silex et clairement visibles à l' œil nu, ainsi que des traces d'abrasion. Dans la partie médiane de la pièce l'abrasion est orientée selon son grand axe mais à son extrémité distale elle est transversale. Malheureusement, nous n'avons pas réussi à établir si ces traces résultaient d'une mise en forme de l'outil ou de son utilisation (fig. 8 : 1-4). Un des bords du fragment de lame (fig. 5 : 4; fig. 7 : 1) porte des ébréchures et un micro-poli caractéristiques des couteaux à viande. Tous les objets ont des traces d'ocre à leur surface. Ainsi, les grandes lames de la culture de Novodanilovka démontrent le plus haut degré d'accomplissement de la technologie du silex à l'énéolithique : nouvelles techniques de détachement des lames, incluant celles fondées sur l'application du levier, et l'usage du cuivre pour les compresseurs. L'absence de tout habitat de la culture de Novodanilovka et l'insuffisance des données relatives aux ateliers de taille du silex dans la zone steppique comprise entre le Dniepr, le Don et la Volga, ne permettent pas de déterminer s'il s'agit de découvertes techniques indépendantes ou d'emprunts. Il n'est pas non plus possible de dire quand apparurent les plus anciens centres de production de grandes lames. Cependant, l'opinion de M. Gimbutas, selon laquelle l'apparition du phénomène des grandes lames est liée à l'invasion des cultures des steppes, ne nous paraît pas suffisamment argumentée. Les cultures agricoles locales étaient le cadre de grands centres de production lithique qui exportaient de longues lames de silex sur d'importantes distances et les racines de ces technologies se trouvent déjà localement au début de l'énéolithique. Bien que les instruments pour la vie quotidienne et ceux destinés aux dépôts funéraires relevaient des mêmes technologies (Skakun 1996, 2004, 2006), il est intéressant de noter que les plus grands supports, probablement des objets de prestige, proviennent toujours des sépultures. Citons à titre d'exemple une lame unique de 44 cm trouvée dans la nécropole de Varna (Skakun 1996, Sirakov 2002, Manolakakis 2002). Le fait qu' à la fin du Néolithique des longues lames de silex étaient produites ailleurs en Europe (par exemple en Espagne, en France, en Belgique, en Pologne) doit nous mettre en garde sur toute conclusion prématurée à propos de la genèse et de la diffusion de cet important phénomène. L'étude tracéologique de lames de type Novodanilovka montre que leur utilisation comme couteau à viande est mineure. Leur homogénéité fonctionnelle et la présence d'ocre rouge à leur surface laissent supposer qu'elles jouaient un rôle important dans les cérémonies rituelles funéraires. Le même type d'usure fut identifié par K. Kynchev, M. Gurova et le présent auteur sur de grandes lames provenant des nécropoles énéolithiques de Varna et Durankulak en Bulgarie, qui livrèrent aussi des fragments de lames destinés à d'autres usages, tels que des armatures de faucilles (Kynchev 1978, Gurova 2002, Skakun 2006). Plusieurs faits rendent crédible l'hypothèse selon laquelle les sépultures de la culture de Novodanilovka appartenaient à des tailleurs de silex itinérants (Telegin 1985). Cette idée est en accord avec l'absence de tout site d'habitat connu pour cette culture, représentée exclusivement par des ensembles funéraires dispersés sur un large territoire du Danube au Don inférieur. La présence dans ces assemblages d'outils de silex divers de facture élaborée (poignards sur grandes lames, minuscules haches bifaciales, pointes de flèches et de javelines, nucléus), ainsi que les caches de longues lames trouvées par ailleurs, abondent dans le même sens. Cependant, une telle hypothèse ne nous aide pas à comprendre comment et par quelles voies les nouvelles façons de travailler le silex se diffusèrent durant l ' é néolithique. La résolution de cette importante question est l'un des objectifs de notre projet de recherche fondé sur les études typologiques, technologiques, pétrographiques et tracéologiques d'outils de silex de Russie, d'Ukraine, de Moldavie, ainsi que de Roumanie, de Bulgarie et de Pologne au début de l' âge des métaux, sur les sites ou apparurent les nouvelles méthodes de travail du silex menant à la production de grandes lames très régulières aux caractéristiques optimales .
Depuis la découverte des sites funéraires attribués aux éleveurs de la steppe de l'Ukraine sur la berge gauche du Dniepr; le problème de leur synchronisation avec les différentes communautés énéolithiques distinguées dans la région balkano-danubienne est vivement débattu, de même que la question de leur rôle dans la disparition soudaine de ces cultures. Les sépultures mises au jour dans la région de Lugansk en Ukraine sont parmi les découvertes les plus intéressantes. L'outillage de silex y constitue une part importante du mobilier funéraire, au sein duquel se distinguent de très grandes lames. Les expérimentations conduites par différents chercheurs montrent que la production de telles lames requérait des techniques de débitage particulières, telles que la pression au levier:Toutes ces lames sont ocrées et leur analyse tracéologique révèle des usures semblables à celles observées expérimentalement sur les couteaux à viande. Le manque de données sur des ateliers énéolithiques de taille du silex dans la steppe de l'Ukraine ne nous permet pas de dire si les lames qui composent le mobilier des sites funéraires par lesquels sont identifiés les éleveurs de la région ont été produites localement ou importées.
archeologie_10-0215367_tei_309.xml
termith-14-archeologie
Les matériaux lithiques allochtones des sites préhistoriques constituent des indicateurs du mouvement des hommes et des matières premières qu'ils ont utilisées. L'obsidienne, que l'on rencontre parfois à des centaines, voire des milliers de kilomètres (Bird, 1991; Cauvin et Chataigner, 1998; Galipaud, 1998) de ses « sources » géologiques, compte parmi ces roches. Les recherches de « provenance » de ces obsidiennes ont débuté dans les années 1960 avec les articles fondateurs de Renfrew et collaborateurs sur les cultures néolithiques du bassin méditerranéen et des Proche et Moyen Orient (Cann et Renfrew, 1964; Renfrew et al., 1965, 1966, 1968). Pendant longtemps, ces travaux ont été menés en grande partie par des méthodes (partiellement) destructrices sur des déchets de taille, indépendamment des études de chaînes opératoires. Le plus souvent, le nombre de pièces analysées était relativement faible au regard du nombre de pièces collectées (voir par exemple Cauvin et al., 1998). On tend actuellement à intégrer les études de provenance dans la problématique plus générale des chaînes opératoires et de l'économie des matières premières. Il faut pour cela procéder à des études exhaustives de séries lithiques et donc, pour les recherches de provenance, pouvoir traiter de grands nombres d'objets, dont certains de manière non destructive (Pereira et al., 2001; Joyce et al., 2004; Carter et al., 2005, 2006; Lugliè et al., 2006). D'où une recherche de nouvelles méthodes de caractérisation, rapides, peu coûteuses, très peu ou strictement non destructives. Le but de cette contribution est d'en présenter brièvement l'état actuel (voir aussi Liritzis, 2003; Poupeau et al., 2006). L'obsidienne compte parmi les roches volcaniques les plus « acides », c'est-à-dire les plus riches en silice (SiO 2 > 65 % en masse). Elle est aussi, avec moins de 5 % de cristaux en volume, l'une des plus « vitreuses ». Sous forme effusive, elle se présente en ségrégations litées ou en masse plus ou moins compactes dans des laves rhyolitiques. On la rencontre aussi parmi des produits d'origine pyroclastique, où elle apparaît essentiellement sous forme de nodules inclus au sein de nappes ignimbritiques (Hughes et Smith, 1993). Jusqu' à présent, les recherches de provenance des obsidiennes préhistoriques ont presque exclusivement reposé sur la spécificité de la composition chimique de chaque obsidienne-source (Cauvin et al., 1998; Shackley, 1998a). Bien que des variations intra-sources puissent parfois être importantes (Bellot-Gurlet et al., 2007), les différences entre sources sont en général suffisantes pour ne pas obérer les recherches de provenance. De plus, l'obsidienne étant une roche essentiellement vitreuse, ses caractéristiques physico-chimiques sont en principe semblables jusqu' à une échelle permettant des analyses « ponctuelles ». On connaît cependant de rares cas de convergences de composition élémentaire entre obsidiennes de sources relativement distantes au sein d'une même province volcanique (Bellot-Gurlet et al., 1999a), qui impliquent alors l'intervention d'autres moyens de discrimination, par l' âge de formation ou les propriétés physiques. Après les premiers travaux réalisés notamment par spectrométrie d'émission optique (Cann et Renfrew, 1964; Renfrew et al., 1966, 1968), deux méthodes donnant accès à des éléments traces discriminants ont rapidement dominé les recherches de provenance. Il s'est agit, dès la fin des années 1960, des analyses élémentaires partiellement destructives par activation neutronique instrumentale (INAA) (Gordus et al., 1967; 1968, Aspinall et al., 1972; Glascock et al., 1998), puis par fluorescence de rayons-X (XRF) (Francaviglia, 1984), voire non destructives par XRF (Shackley, 1998b) (Tableau 1). Une troisième méthode, l'analyse par faisceau d'ions (PIXE), largement utilisée depuis près d'une trentaine d'années pour suivre la progression de l'obsidienne de la Nouvelle Zélande vers le Pacifique central (Ambrose et al., 1981; Summerhayes et al., 1998), n'a vu son champ d'action s'accroître que vers la fin des années 1990 en Amérique andine (Poupeau et al., 1996; Bellot-Gurlet et al., 1999b) et plus récemment en Méditerranée (Poupeau et al., 2000; Le Bourdonnec et al., 2005a; Lugliè et al., 2007) et au Proche Orient (Abbès et al., 2003; Carter et al., 2007). Dans certains cas toutefois, la seule détermination des teneurs en éléments majeurs peut se révéler déterminante. C'est ainsi que l'usage s'est répandu des analyses destructives par fluorescence-X en dispersion de longueur d'ondes avec une microsonde électronique (EMP-WDS) (Tykot, 1997, 2002; Le Bourdonnec et al., 2005b; Delerue, 2007). Il a aussi été montré que les analyses en dispersion d'énergie avec un microscope électronique à balayage (SEM-EDS), d'usage plus courant (Acquafredda et al., 1999), pouvaient représenter une alternative viable pour la Méditerranée occidentale (Acquafredda et al., 2006; Le Bourdonnec et al., 2006) et permettre un premier tri parmi les sources possibles dans les recherches de provenance au Proche Orient (Keller et Seifried, 1990; Delerue et al., 2007a). Dans les années 1990, l'arsenal des méthodes de détermination des compositions élémentaires a vu apparaître deux innovations. D'une part, il s'agit des méthodes utilisant un plasma inductif, sous différentes formes, qui en permettant un dosage rapide de nombreux éléments, tendent à remplacer l'activation neutronique. Sous forme partiellement destructive, il s'agit d'analyses par spectroscopie d'émission atomique (ICP-AES) (Kilikoglou et al., 1997; Abbès et al., 2001; Bressy et al., 2005; Carter et al., 2006) ou spectrométrie de masse (ICP-MS) (Tykot, 1997; Abbès et al., 2001; Bressy et al., 2005; Carter et al., 2006; Delerue et al., 2007b). Dans ces configurations, l'analyse est souvent pratiquée sur une centaine de milligrammes, bien que techniquement un prélèvement de l'ordre du mg soit suffisant. Il est possible aussi de pratiquer des mesures quasiment non destructives si le prélèvement sur l'échantillon est réalisé par ablation laser (LA-ICP-MS) (Gratuze, 1999; Gratuze et al., 2001; Tykot, 2002; Carter et al., 2006). Dans ce cas, la « cicatrice » sur la pièce analysée se réduit à un cratère d'un diamètre inférieur à une centaine de microns. L' âge de formation d'une obsidienne dans un édifice volcanique est atteignable par deux méthodes, les datations par traces de fission (fission track dating, FTD) ou par potassium-argon, dans sa déclinaison 39 Ar/ 40 Ar. La première s'applique à toutes les obsidiennes formées il y a au moins environ 1000 ans, pourvu qu'elles soient transparentes en faible épaisseur (<0,5-1 mm), et dénuées d'artefacts observationnels (spurious tracks). Souvent discriminante, cette approche est d'application limitée parce qu'exigeante en matière (deux plaquettes de quelques mm 2 chaque) et en temps d'acquisition de données (Poupeau et al., 1998). Elle a été très utilisée pour l'Amérique andine (Dorighel et al., 1998), la Méditerranée occidentale (Bigazzi et Radi, 1998) et les Proche et Moyen Orient (Bigazzi et al., 1998; Badalian et al., 2001). La datation par 39 Ar/ 40 Ar, elle aussi destructive, ne nécessite qu'un prélèvement de l'ordre de 50 mg, mais c'est une méthode coûteuse et nécessitant une instrumentation très spécifique, qui n'a d'ailleurs été utilisée qu'exceptionnellement, là où d'autres approches s'étaient avérées insuffisantes (Vogel et al., 2006). La caractérisation par l' âge de formation, pour efficace qu'elle puisse parfois être, doit ainsi être réservée aux seuls cas d'indétermination par d'autres moyens (Bellot-Gurlet et al., 1999a; Dorighel, 2000; Dorighel et al., en préparation). Depuis les années 1990, plusieurs approches proposées une vingtaine d'années auparavant ont été revisitées. C'est ainsi qu'il a d'abord été montré que, pour les obsidiennes de Méditerranée centrale et occidentale, la spectroscopie Mössbauer du 57 Fe pouvait prendre le relais des méthodes géochimiques (Scorzelli et al., 2001). Cependant, la faible teneur en Fe des obsidiennes, de l'ordre du pour cent pour les variétés calco-alcalines et jusqu' à près de 10 % pour les peralcalines exige des durées de mesures (jusqu' à 70 heures) et une quantité de matière (de l'ordre de 250 mg) qui rendent cette méthode peu attractive pour des mesures de routine. Par contre, la résonance de spin électronique (ESR) et la magnétométrie SQUID, qui permettent aussi la distinction des sources d'obsidienne de Méditerranée, se révèlent nettement moins exigeantes en matière (Tableau 2) et permettent des mesures plus rapides (respectivement quelques minutes et quelques heures) (Duttine et al., 2003; Stewart et al., 2003; Cernicchiaro et al., 2005; Duttine, 2005) et d'Equateur (Duttine et al., 2007). Il pourrait en être de même avec la spectroscopie InfraRouge en Méditerranée occidentale, comme le suggèrent quelques données préliminaires (Le Bourdonnec, 2003; Le Bourdonnec et al., 2003). Alors que les méthodes précédentes nécessitaient un prélèvement, bien que parfois minime, sur les échantillons à traiter, la microspectroscopie Raman permet une caractérisation strictement non-destructive, à la fois de la minéralogie des obsidiennes et de la structure de la trame silicatée de sa phase vitreuse (Milleville et al., 2003). Un premier travail sur des obsidiennes méditerranéennes a montré de réelles potentialités pour cette méthode (Bellot-Gurlet et al., 2004), dont les applications pourraient cependant n' être limitées qu' à des cas particuliers en raison de durées de mesure encore très longues, de l'ordre de quelques heures. C'est donc de près d'une vingtaine de méthodes dont on dispose actuellement pour les études de provenance d'obsidiennes, de performance, de coûts analytiques et d'accessibilité divers. Selon les circonstances, région et fenêtre temporelle étudiées, possibilité ou non de procéder à des analyses partiellement destructives, telle méthode, ou telle combinaison de méthodes discriminantes pourrai(ent)t préférentiellement être adoptée(s), en fonction des problématiques archéologiques, des coûts induits, des temps d'appareils disponibles, etc., en particulier en ce qui concerne les signatures géochimiques. Ainsi, pour le Mésolithique et le Néolithique de Méditerranée centrale et occidentale, bien qu'il ait été montré que des études de provenance peu destructives soient réalisables par ICP-MS (Tykot, 1997) voire LA-ICP-MS (Barca et al., 2007), il est beaucoup plus économique de les mener par une combinaison entre détermination visuelle et EMP-WDS (Tykot, 1997; Le Bourdonnec et al., 2005b) ou mieux, détermination visuelle et SEM-EDS (Le Bourdonnec et al., 2006). Si par contre l'intégrité des échantillons doit être intégralement respectée, c'est un couplage détermination visuelle/PIXE (Lugliè et al., 2006, 2007) ou détermination visuelle/XRF (Tykot et Ammerman, 1997) qui prendra l'avantage, voire éventuellement une association détermination visuelle/SEM-EDS, cette dernière combinaison demandant toutefois encore à être testée. De même, en Méditerranée orientale, alors que la distinction entre les deux sources d'obsidienne de Melos était basée sur de faibles mais significatives différences de teneur en scandium obtenues par INAA (Kilikoglou et al., 1997; Carter et Kilikoglou, 2007), les analyses par XRF non-destructives les séparent maintenant aisément par les teneurs en Ti et Sr (Liritzis, 2007). Il en est de même avec la résonance de spin électronique (Duttine et al., 2003; Duttine, 2005; Duttine, Villeneuve et Poupeau, en préparation), ces deux alternatives étant à la fois plus rapides et plus économiques que l'activation neutronique. Dans les Proche et Moyen Orient de l'Epipaléolithique et du Néolithique acéramique, si le SEM-EDS peut incontestablement apporter des données sur des régions-sources de provenance, voire sur quelques déterminations de sources, il doit impérativement être complété par des approches plus performantes, comme le PIXE ou l'ICP-MS (Delerue, 2007, Delerue et al., en préparation). C'est encore plus vrai à partir du VII e millénaire avant notre ère, où les échanges s'intensifient et se diversifient. Les mesures par INAA, plus longues, plus lourdes, tendent à tomber en déshérence. Si l'avenir des caractérisations par l' âge de formation des obsidiennes parait bien réservé aux cas insolubles par d'autres moyens (Bellot-Gurlet et al., 1999a; Vogel et al., 2006), celui des identifications de sources par les propriétés physiques est encore indéterminé. Bien que les mesures de résonance de spin électronique, de magnétisme, ou en spectroscopie InfraRouge soient rapides et ne nécessitent que très peu de matière, on manque encore de recul pour évaluer leur utilité réelle, malgré des premiers tests positifs, en particulier dans la mesure où l'état physique d'une obsidienne est susceptible de varier au sein d'une coulée, en fonction de l'histoire thermodynamique locale du magma qui lui a donné naissance. Spectroscopie Mössbauer et microspectroscopie Raman verraient de toute façon leurs champs d'action très réduits, par l'exigence en matière (Mössbauer) et/ou en temps de mesure (Mössbauer, Raman). La géochimie isotopique, non mentionnée jusqu'ici, est aussi un moyen puissant de discrimination entre obsidiennes de différentes sources. Cependant, malgré un essai positif réalisé par Gale (1981) avec le rapport 87 Sr/ 86 Sr, ce type de caractérisation avait été par la suite délaissé pour les études de provenance, au profit de méthodes plus accessibles. Le développement des techniques ICP-MS et LA-ICP-MS pourrait cependant permettre bientôt un retour de cette approche. Jusqu'ici, il n'a été question que d'objets analysés en laboratoire. Mais pour des raisons diverses (taille, fragilité, préciosité, etc.), il ne peut toujours en être ainsi, et c'est alors à l'expérimentateur à se déplacer jusqu'au musée, au site archéologique, etc., avec son appareillage. Dans un futur proche, ce sont donc les mesures effectuées in situ qui pourraient être privilégiées, comme en témoignent, pour les mesures par EDXRF, de premiers tests effectués avec des systèmes portables (cf. Carter et Shackley, 2007; Craig et al., 2007; Liritzis, 2007; Lopes et al., 2007) .
Les recherches de provenance des obsidiennes de sites paléolithiques et néolithiques connaissent actuellement une grande expansion, notamment par leur intégration dans les études de chaînes opératoires, qui nécessitent de déterminer l'origine de la matière première de séries importantes de pièces archéologiques. Il existe par ailleurs une forte demande de mesures peu à non destructives et éventuellement à effectuer in situ. D'où un certain nombre de développements méthodologiques récents. Le but de cette contribution est d'en présenter le statut actuel.
archeologie_08-0463626_tei_386.xml
termith-15-archeologie
En tant que geste d'une grande simplicité, accessible des premiers hominidés à nos propres contemporains, la percussion directe à la pierre dure cumule elle -même l'ensemble des qualificatifs dépréciatifs des spécialistes et la vision péjorative du quotidien préhistorique du grand public. La Préhistoire récente, et plus particulièrement le Campaniforme, ne déroge pas à ce constat : la présence de l'élément céramique et son perfectionnement technique et esthétique n'ont fait qu'accentuer le contraste entre deux productions pourtant complémentaires et culturellement riches de sens. Toutefois, envisager l'approche technologique de la percussion directe dure n'est pas uniquement un moyen pour remettre cet aspect technique au cœur des débats, il contribue avant tout au développement d'un outil d'analyse peu utilisé jusqu' à présent pour appréhender l'évolution des comportements socio-économiques des groupes humains de la fin du troisième millénaire avant notre ère et la diffusion des traditions techniques et culturelles campaniformes. L'exemple du Sud-Est de la France est apparu potentiellement apte à répondre aux besoins d'une étude technologique de l'industrie lithique de cette période. À la croisée d'importants chemins culturels (Espagne, Europe centrale et Italie) et physiques (mondes alpins, marins et fluviaux), le Sud-Est de la France constitue une région présentant une expression régionale du Campaniforme (le Rhodano-provençal) et aussi un recensement récent de plus de 300 sites (Lemercier 2004) qui témoignent de sa grande variabilité archéologique (sites perchés, de plaine, de grotte… d'habitat ou sépulcraux) et chronoculturelle (campaniforme ancien, régional et épicampaniforme). L'ensemble de ces facteurs a permis de réaliser une étude représentative des caractéristiques lithiques de cette région, de proposer une évolution de cette dernière, et d'en faire un élément de comparaison avec le reste de l'Europe campaniforme (Furestier 2005 et 2007). Cet exercice a été mené d'un point de vue technologique global, et non plus selon une approche exclusivement typologique. Il a donc été possible de développer l'axe de recherche consacré aux techniques de taille mises en œuvre par les Campaniformes, négligées jusqu'alors. En effet, d'un point de vue historiographique, le Néolithique — et particulièrement sa fin — n'a pas constitué la période la plus investie par les études portant sur la percussion directe à la pierre dure. Les productions spécialisées et les pièces d'exception diffusées sur de grandes distances pendant le troisième millénaire (grandes lames et poignards en silex oligocène ou turonien essentiellement) ont occulté pendant longtemps les productions plus simples souvent réunies sous le terme très discuté d ' « expédientes » (Astruc 2005; Astruc et al. 2006). L'aspect polymorphe de la percussion directe à la pierre dure constitue une limite à la mise en évidence de récurrences et de spécificités fortes. Cela explique en partie le désintérêt pour cette technique à cette période de la Préhistoire. Reconnaître la technique de la percussion directe à la pierre dure par la présence de quelques percuteurs, d'éclats et de nucléus informes est longtemps resté la règle dans les études concernant les séries du Néolithique final. Or, la présente table ronde a montré que les modalités d'application de cette technique de taille sont diverses et peuvent constituer des caractéristiques culturelles spécifiques. Malgré sa généralisation à l'ensemble des périodes de la Préhistoire, les critères de reconnaissance de la percussion directe dure ne sont précisément définis que depuis peu (Pelegrin 2000). La nature ubiquiste de cette technique semble interdire toute attribution chronoculturelle. Si des tendances peuvent être proposées entre le Paléolithique et le Néolithique, notamment en ce qui concerne le module des éclats produits, il est difficile de différencier les variabilités de mise en œuvre de la percussion directe dure au sein du Néolithique, et particulièrement au Néolithique final. C'est ici encore une limite expliquant le peu d'intérêt que suscite cette technique au sein des recherches sur la fin du troisième millénaire. Toutefois, l'étude de l'industrie lithique campaniforme a permis de mettre en évidence au moins deux percussions directes dures différentes et des modes d'application spécifiques pour la deuxième. La première percussion est bien connue et sa mise en œuvre est responsable de la majorité des supports produits observés dans les séries lithiques du Sud-Est de la France. Il s'agit d'une percussion directe dure lancée, dirigée majoritairement vers la production de petits éclats d'un module compris entre 15 et 35 mm (fig. 1), et - dans une moindre mesure - vers la mise en forme de préformes d'armatures, le façonnage de quelques pièces à retouches marginales, voire de quelques autres outils. Mais la principale mise en œuvre de la percussion directe dure reste la production de petits éclats (fig. 2) à partir de supports de base pouvant être des fragments de blocs, des galets ou des éclats débités sur les gîtes de matières premières. Cet approvisionnement “au plus près” privilégie le silex mais n'interdit pas la diversité d'acquisition de roches taillables situées dans le même territoire exploité. Cette variabilité dans l'approvisionnement en matières premières lithiques peut également être envisagée comme une logique d'optimisation des déplacements ayant pour but l'acquisition de matières premières de natures variées. Les principales ressources acquises (silex, argiles, vestiges fauniques) proviennent en effet de la sphère locale (Convertini 1996; Convertini et al. 2004), ce qui peut encourager l'hypothèse de l'exploitation du territoire sous forme de collectes cumulées (Perlès 1991). La logique dominante d'exploitation des ressources siliceuses locales a souvent des répercussions sur la qualité des matières premières mises en œuvre. La taillabilité plus que l'excellence de la matière semble recherchée. Les choix des supports de nucléus ne constituent donc pas un critère discriminant. Seul un module du support de base semble recherché (généralement inférieur à 10 cm). Ainsi, des galets dépassant le module recherché ont pu être fragmentés afin d'utiliser les éclats produits comme supports de nucléus. L'approvisionnement en matières premières représente donc un réel choix, confirmé par le fait que des silex de bonne qualité et de gros module étaient disponibles mais n'ont pas été prélevés. En ce qui concerne les dimensions des nucléus, établir une moyenne globale et commune ne constitue pas une information archéologiquement significative mais une tendance indicative peut être proposée. Ainsi, une classe moyenne comprise entre 35 et 60 mm peut regrouper la majorité des nucléus de chaque série (fig. 3). Néanmoins, les nucléus présentant des dimensions inférieures à cette moyenne apparaissent également comme une caractéristique commune des industries lithiques campaniformes. Cette réduction des dimensions peut atteindre des extrêmes avec des nucléus très petits (fig. 3 n° 2) présentant des négatifs d'enlèvements quelquefois inférieurs au centimètre, ce qui génère des problèmes d'interprétation quant à la nature même des pièces concernées. Typologiquement, ces pièces ne peuvent être classées dans une catégorie d'outil même si le risque de confusion reste possible notamment entre grattoirs et nucléus (Gassin et al. 2004). Les enlèvements, même peu nombreux, ne peuvent être interprétés comme des retouches. Ils témoignent d'une percussion directe dure portée à l'intérieur d'un plan de frappe distinct. En considérant son adaptation à ce type de percussion, la découverte d'un petit percuteur en silex (fig. 3 n° 7), plus adapté à ces modules, peut également confirmer l'intentionnalité de ce type de débitage. Si l'intention semble réelle, le but de production reste néanmoins problématique. L'observation des négatifs d'enlèvements des « produits » issus de ces nucléus révèle des caractéristiques difficilement assimilables à la définition de support. Aucun outil typologique ne peut d'ailleurs attester l'utilisation de ces éclats. De plus, hormis cette difficulté interprétative, les dimensions de ces pièces posent des problèmes d'ordre technique : la percussion et surtout le maintien de ces pièces sont effectivement complexes. La majorité des nucléus sont débités par percussion lancée « classique » (fig. 3). Sous cette appellation générique, on regroupe les percussions directes lancées sur nucléus tenus dans la main ou calés sur la cuisse. Le débitage est organisé à partir d'un plan de frappe unique ou préférentiel qui est généralement lisse et constitué d'une face naturelle, d'une face inférieure, ou aménagé par l'enlèvement d'un éclat. Plusieurs séries témoignent d'ailleurs de la présence de nucléus dont le plan de frappe est dégagé par un enlèvement rebroussant. À partir de ces plans, le débitage se développe sur un ou plusieurs fronts, sans organisation visible entre eux. L'exploitation des nucléus par percussion directe dure génère des morphologies multiples mais les tendances pyramidales, pseudo-pyramidales, voire polyédriques, sont les plus fréquemment observées. Au regard de ces cas, il est possible de proposer une évolution de ces morphologies en terme de schéma opératoire : après l'exploitation du nucléus à partir d'un plan de frappe unique, un autre plan offrant un angle favorable au détachement d'éclats est utilisé, puis suivant la même logique, tous les angles favorables au détachement d'un éclat sont exploités. La morphologie polyédrique qui en résulte caractériserait alors l'exploitation optimale des nucléus (Detrey 2002) et serait liée à un état d'exhaustion. Des nuances doivent toutefois être apportées à cette proposition. Ce schéma n'est pas systématique et des productions développées exclusivement à partir d'un plan de frappe unique sont fréquentes et confirmées par l'étude des faces supérieures des éclats. On remarque également l'exploitation modérée - voire faible - du potentiel de nombreux nucléus qui montrent des séquences courtes même dans des cas où la qualité de la matière première permet la poursuite du débitage. Le caractère principal du schéma opératoire campaniforme semble donc résider dans un réel opportunisme de production, sans toutefois que toutes les étapes de ce schéma puissent encore être expliquées. Enfin, on ne peut pas exclure la possibilité d'une recherche de la morphologie polyédrique qui traduirait alors un changement de statut de ces nucléus. La fin de leur exploitation pourrait être corrélée avec un objectif typologique : la réalisation de polyèdres (fig. 4 n° 2) même si cette finalité est observée seulement en contexte néolithique ancien jusqu' à présent (Binder 1987; Allard 2005). Quel que soit son objectif final, la percussion directe dure représente la technique dominante des tailleurs campaniformes. En revanche, une certaine diversité des modalités d'application de cette technique est observée et caractérisée par la percussion sur enclume. Outre ses mises en œuvre durant le Paléolithique (voir les nombreux articles de ce volume), le débitage sur enclume est effectivement présent sur l'ensemble du Néolithique (Guyodo et Marchand 2005) et jusqu' à l' âge du Bronze (Binder 1987; Lech 1982/1983). Reconnaître en marge de la percussion directe dure lancée « classique », une percussion sur enclume dans des séries lithiques de contexte campaniforme ne constitue donc pas, en soi, une nouveauté. Elle est notamment définie pour la zone atlantique comme un « débitage côtier » (Joussaume 1981) et assez souvent observée (Guyodo et Marchand 2005). L'aspect ubiquiste de ce type de débitage est alors interprété par Joussaume comme une technique adaptée à la nature de la matière première, comme un moyen de tester les galets de mauvaise qualité ou encore, comme un moyen mis en œuvre par le tailleur pour ne pas se taper sur les doigts (Joussaume 1981). Ces explications uniquement techniques sont avancées par l'auteur pour marquer l'absence de choix culturel. Néanmoins, le cas du Sud-Est de la France permet d'enrichir la caractérisation de cette technique pour la fin du troisième millénaire et de la faire apparaître comme un élément signifiant des caractéristiques socio-culturelles des Campaniformes (Furestier 2005; Guyodo et Marchand 2005). D'une présence plus ou moins marquée, la mise en œuvre de cette technique est constatée dans presque toutes les séries étudiées. La nouveauté réside alors moins dans son observation que dans la distinction de deux modes d'application de cette technique. Ils sont ici définis simplement par type et résumés schématiquement : Type 1 : la percussion intérieure oblique, Type 2 : la percussion verticale d'éclatement Selon le type 1, la percussion (fig. 6) est appliquée lancée sur un plan de frappe lisse d'un nucléus globuleux, polyédrique ou pyramidal maintenu sur l'enclume. La percussion est rentrante et détache des éclats à talons lisses et larges. Le désaxement plus ou moins prononcé entre le point de percussion et le point d'ancrage sur l'enclume génère un contrecoup peu marqué, voire invisible pour les premiers éclats qui n'emportent pas la totalité du front de débitage. La distinction entre ces premiers produits et le reste des éclats obtenus par percussion directe dure lancée « classique » est alors difficile. Les nucléus présentent, en revanche, des écrasements distaux visibles. Selon le type 2, la percussion (fig. 7) est appliquée lancée sur un plan de frappe de surface plus restreinte, voire sur une arête et dans un axe vertical opposé au point d'appui sur l'enclume. Le contrecoup est alors maximum. Ces deux modes d'application sont attestés par des nucléus de deux types (fig. 4) : pour la percussion intérieure oblique, des nucléus pyramidaux ou polyédriques qui présentent des stigmates au point d'appui sur l'enclume : surface restreinte irrégulière et écrasée à micro-fissurations rapprochées; pour la percussion verticale d'éclatement, des nucléus longitudinaux ou polyédriques présentant deux surfaces opposées et écrasées et un ou plusieurs fronts de débitage également opposés. L'examen de ces deux exemples de nucléus illustre bien l'importante variabilité des modes opératoires de la percussion sur enclume. De plus, on ne peut pas exclure la possibilité de reprise d'un nucléus par percussion de type 2, initialement débité par percussion de type 1. Ces deux techniques peuvent créer divers types de supports, plus ou moins caractérisables. Certains éclats apparaissent alors comme des moyens complémentaires de reconnaissance de la percussion sur enclume. Nombre d'éclats produits par percussion de type 1 sont peu différenciables de ceux produits par percussion directe dure « classique ». La faiblesse du contrecoup ne contrarie pas la diffusion de l'onde de fracture dans la matière et les éclats qui ne se développent pas jusqu' à l'extrémité distale du nucléus ne peuvent être isolés du cortège des éclats débités par percussion directe dure. En revanche, les éclats se développant sur toute la longueur du nucléus ou les éclats issus d'un débitage par percussion de type 2 présentent plus de spécificités. La verticalité du coup, et surtout l'opposition plan de frappe/point d'appui, assurent un effet de contrecoup très marqué. Les éclats produits présentent de nombreux stigmates caractéristiques (fig. 5 et 7), même s'ils n'emportent qu'une partie du front de débitage : leurs parties proximo-distales sont écrasées. Les talons ont donc une morphologie écrasée linéaire irrégulière et peuvent porter des fissurations pénétrantes de quelques millimètres maximum (fig. 6 B et C) témoignant de la violence et de la répétition des coups portés et/ou de l'élargissement de la surface de contact nucléus/percuteur. Ces fissurations sont visibles sur la face inférieure et quelquefois sur la face supérieure. L'aspect écrasé est souvent plus discret sur la partie distale qui peut présenter quelques écaillements opposés à l'axe de débitage de l'éclat. Selon la morphologie du nucléus, certains éclats courts peuvent présenter une partie distale exempte de tout écrasement. leurs faces inférieures sont parcourues d'ondes très prononcées dites « vibrées » (Binder 1987) dues au contrecoup et sont souvent d'une convexité peu marquée, sans bulbe apparent, quelquefois plates voire concaves (fig. 5 n° 5 par exemple). enfin, les faces supérieures offrent également quelques informations. Elles peuvent porter des négatifs de directions opposées (proximo-distaux/disto-proximaux) témoignant d'enlèvements d'éclats axiaux de première intention et du détachement d'éclats d'axe opposé dus au contrecoup (fig. 5 n° 3). Toutefois, cette caractéristique doit être relativisée par la possibilité d'interprétation de retournement du nucléus sur l'enclume générant un réel débitage bipolaire. En marge de ces caractéristiques générales, on peut ajouter une remarque sur le nombre d'éclats rebroussés issus du débitage par percussion sur enclume. Les difficultés liées au maintien du nucléus et les contraintes intrinsèques de cette technique peuvent expliquer la verticalité de la percussion et donc, la fréquence des éclats rebroussés dont l'angle de chasse approche souvent les 90°. Selon les critères de reconnaissance définis ici, la percussion sur enclume n'est que partiellement visible au sein d'un ensemble lithique. Une partie de la production d'éclats ne se distingue pas de la production mettant en œuvre une percussion directe dure lancée dite « classique ». De plus, la similitude entre les caractéristiques décrites pour la percussion sur enclume et celles liées à la production et l'utilisation des pièces esquillées génère des doutes quant à l'interprétation de cette percussion comme technique de débitage stricto sensu. Selon la définition proposée pour le Néolithique ancien, la pièce esquillée apparaît comme une pièce « … présentant des enlèvements bifaciaux distaux et proximaux, plus rarement senestres et dextres, de morphologie en général écailleuse, et dont la face d'éclatement présente le plus souvent les ondes de fracture « vibrées » » (Binder 1987). En ce sens, le problème de la différenciation entre les interprétations d'outil et de nucléus persiste. Ce problème n'est pas nouveau et les risques de confusion « nucléus/outil » étaient déjà rapportés dès les premiers articles concernant la pièce esquillée (Bardon et al. 1906; Octobon 1938). Aujourd'hui, si elle n'est pas encore clairement démontrée d'un point de vue tracéologique (Astruc 1997; Gassin 1991; Beugnier 1997a et b), l'utilisation en tant que pièce intermédiaire de la pièce esquillée est globalement admise (Binder 1987; Gassin 1996). Selon cette hypothèse fonctionnelle, cet outil subit donc des chocs proximo-distaux propres à générer des stigmates proches de ceux résultant du débitage sur enclume (esquillements des parties proximales et distales, surface de fracture à ondes « vibrées », …). La caractérisation pratique des deux hypothèses demeure donc un exercice délicat. Cependant, l'étude de plusieurs séries lithiques campaniformes, et notamment celle du site du Mas de Vignoles IV à Nimes, Gard (Convertini et al. 2004; Furestier 2005) a permis de distinguer, directement ou indirectement, des pièces caractéristiques des deux cas : des éclats ne portant que très peu d'esquillements et/ou d'écrasements (et souvent majoritairement en partie proximale), à talons linéaires ou écrasés, et présentant quelquefois une finesse inapte à supporter un contrecoup violent sans risque de rupture ont été observés. Ils portent souvent des négatifs d'éclats réguliers sur leurs faces supérieures. Ces éclats sont le résultat d'une percussion sur enclume exercée sur des pièces interprétées comme des nucléus. inversement, des pièces robustes dont les parties proximales et distales (et aussi dextres et senestres) présentaient des retouches écailleuses « vibrées » en nombre (allant jusqu' à une morphologie très « écrasée ») et des étoilements témoignant de coups répétés ont été également observés. L'hypothèse de l'outil « pièce esquillée » a, dans ce cas, été privilégiée. Ces deux observations attestent la présence de deux éléments distincts, pourtant typologiquement et technologiquement proches. Des pièces esquillées peuvent donc être des nucléus et/ou des outils. Toutefois, seules les pièces hautement caractéristiques peuvent être différenciées : les pièces esquillées ne présentant aucun négatif (laminaire ou d'éclat) pourront difficilement supporter le qualificatif de nucléus. À l'inverse, la présence de ces mêmes négatifs ne place pas de facto les pièces observées dans la classe des nucléus. Les risques de recouvrement entre les critères de reconnaissance demeurent effectivement importants. Ces risques sont soulignés par des facteurs intrinsèques, et accentués par des limites interprétatives supplémentaires : l'intensité d'utilisation des pièces esquillées et la nature des matériaux travaillés peuvent générer des retouches différentes, plus ou moins étendues, et rendent la définition même de pièce esquillée incertaine; de par sa nature et sa fonction supposée, la pièce esquillée est un outil dont la retouche, due à l'utilisation, masque la morphologie première du support de départ. Si un nucléus sur enclume est réutilisé comme pièce esquillée, la différenciation sera plus périlleuse. Plusieurs pièces à retouches envahissantes ne donnent donc pas d'information sur leur nature première; inversement, selon la matière travaillée avec une pièce esquillée, son utilisation peut « produire » des éclats présentant les critères de reconnaissance des éclats débités sur enclume alors qu'ils ne sont pas des produits de première intention mais des déchets d'utilisation. Plusieurs éclats (ou fragments d'éclat) portant seulement une onde de fracture vibrée ne peuvent donc pas être départagés; Ces remarques soulignent les difficultés de caractérisation par la nature même de la pièce esquillée interprétée comme un outil ou un nucléus. De plus, d'autres possibilités d'interprétation des pièces esquillées et de la percussion sur enclume peuvent mettre en évidence de nouvelles limites, liées notamment à la réalisation d'un même geste technique. Ainsi, la majorité des stigmates observés peut être générée tant par l'utilisation des pièces esquillées que par la production d'éclats débités sur enclume. Outre la distinction outil/nucléus, il faut prendre également en compte celle entre outil et produit… Plusieurs pièces restent alors malaisées à définir (fig. 8 n° 6 et 7). L'hypothèse d'une percussion sur enclume mise en œuvre comme technique de façonnage exclue l'interprétation de nucléus et limite celle d'outil. Cependant, l'obtention d'un type de tranchant spécifique par façonnage sur enclume n'est pas confirmée par l'étude tracéologique (Gassin 1996). L'hypothèse du façonnage est alors uniquement proposée dans le cas d'un outil dont l'utilisation ne laisserai pas de traces ou bien dans le cas d'une phase de préforme d'un outillage encore indéterminé. Mais ici encore la rareté des études tracéologiques sur des pièces esquillées du Néolithique final ne permet pas de conclure… L'ensemble des limites interprétatives des pièces esquillées et de la percussion sur enclume appelle nécessairement la multiplication des études traitant de ces deux sujets jusqu'alors délaissés par les recherches sur la fin du Néolithique. L'examen de nouvelles séries, mais aussi d'anciennes collections, doit permettre de confirmer ou d'infirmer les hypothèses exposées ici et de conforter ainsi le rôle de ces deux éléments dans la compréhension des cultures de la fin du troisième millénaire avant notre ère. Dans l'acception couramment entendue, la percussion directe dure ne peut être considérée comme un marqueur chronoculturel. Sa grande variabilité d'application au sein d'un même groupe culturel et son ubiquité sur l'ensemble du troisième millénaire, semblent interdire l'utilisation archéologique de cette technique comme élément datant. Cependant, l'étude approfondie de l'industrie lithique d'un contexte culturel précis dans une région donnée permet de nuancer ce constat a priori. Pour le Campaniforme du Sud-Est de la France, la percussion directe dure apparaît comme une technique expédiente. Mais cette définition doit ici s'entendre comme une optimisation des contraintes prises en compte dans la mise en œuvre de la production de l'outillage lithique et non dans le sens péjoratif souvent accolé au terme d'expédient. Focalisé sur la production d'un outillage plus restreint qu'auparavant, la percussion directe dure est la mieux adaptée aux changements de contraintes techniques et socio-économiques. La multiplication des groupes humains à la fin du Néolithique engendre un changement de statut social de l'industrie lithique qui voit le développement et la diffusion des productions spécialisées à haute valeur de signe (Renault 1998; Briois 2005; Mallet et al. à paraître), ainsi qu'un changement dans l'approvisionnement en matières premières lié à une nouvelle gestion des territoires et des ressources. En tant que nouveau groupe culturel dans ce contexte, le Campaniforme illustre bien l'adaptation à ces nouvelles contraintes. Combinant l'exploitation d'un territoire local restreint et la variabilité qualitative des matières premières qu'ils y prélèvent, les Campaniformes ont mis en oeuvre la percussion directe dure comme moyen principal d'adaptation à ces contraintes et de réponse à leurs besoins. Ce qui peut apparaître comme un pis-aller technique doit au contraire être vu comme un réel choix culturel. L'ensemble de l'industrie lithique campaniforme montre en effet que ce choix technique ne saurait être considéré comme une carence de savoir faire des tailleurs : certaines pièces témoignent d'un important investissement technique et l'analyse des ressources disponibles montre que la production d'un module d'éclat préétabli à partir de matières premières de qualité très variable ne doit rien aux contraintes précitées puisque certains territoires exploités présentent des gîtes de matières de bonne qualité qui n'ont pas été choisis. La percussion directe dure et les diverses modalités d'application exposées ici confirment cette hypothèse de choix culturel caractérisé par les notions d'adaptation et d'optimisation. Au même titre que les productions expédientes des périodes précédentes (Léa 2005), celles des Campaniformes s'imposent comme des révélateurs du statut social des industries lithiques et des sites .
Au-delà des qualificatifs dépréciatifs concernant l'ubiquité et la simplicité de la percussion directe à la pierre dure, son étude technologique en contexte chronoculturel campaniforme a permis de mettre en évidence la variabilité de ses applications à la fin du troisième millénaire. Ainsi, en plus d'une caractérisation de la percussion directe classique, une percussion sur enclume a été observée. Malgré les risques de recouvrements entre les critères de reconnaissance de ces deux techniques, quelques spécificités telles que la morphologie des nucléus et les caractères principaux des éclats produits ont été définis. L'analyse des nucléus et des produits permet également la distinction de deux modalités d'application de la percussion sur enclume. L'aspect général de simplicité lié à l'approvisionnement local en matière première, l'inorganisation apparente du débitage et l'exploitation opportuniste des nucléus s'opposent au constat de diversité de mise en œuvre de la technique la plus répandue de la Préhistoire. En tant qu'adaptation à l'ensemble des contraintes socio-économiques, la percussion directe dure et sa variante sur enclume sont alors interprétées selon l'idée d'optimisation et de réel choix culturel, et non plus selon celle de dégénérescence technique. Cependant, du point de vue de l'étude technologique des industries lithiques campaniformes, la caractérisation de ces techniques et de leur variabilité rappelle les difficultés de distinction de plusieurs types de pièces entre elles. Le cas de la pièce esquillée et des problèmes d'interprétation qu'elle entraîne illustre bien ces difficultés. Toutefois, la multiplication des études des industries lithiques du troisième millénaire avant notre ère fait progressivement reculer les limites interprétatives. La percussion sur enclume, et plus largement l'ensemble des productions dites expédientes, apparaissent alors comme des éléments importants de définition des statuts sociaux et culturels des sociétés de la fin de la Préhistoire.
archeologie_12-0217493_tei_181.xml
termith-16-archeologie
Cette étude se propose de dresser le bilan des connais - sances actuelles sur l' âge du Bronze final et l' âge du Fer dans la commune de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume, située au centre-ouest du département du Var (fig. 1). L'approche du schéma de l'aménagement de ce territoire durant la Protohistoire était conçue jusqu' à présent à partir de l'analyse de quelques découvertes de surface, de quelques tumulus et d'habitats groupés et fortifiés de hauteur de l' âge du Fer. Elle conduisait à une surinterprétation du type « culture des oppidums », qui se révèle actuellement trop restrictive et obsolète. De nouveaux sites, qui étaient profondément enfouis sans aucun vestige visible en surface, ont en effet été découverts en plaine ou en piedmont à l'occasion du creusement de tranchées pour l'adduction d'eau par la Société du Canal de Provence. Ils remplissent les lacunes de notre cartographie, qui étaient liées aux seules prospections de surface. Ils nous amènent à une appréhension plus riche de la vie des communautés locales. En particulier, la représentation de la structuration territoriale et sa chronologie doivent être revues dans le sens d'une plus grande diversité. Sur le plan méthodologique, devant la densité des découvertes et afin de ne pas « démultiplier » le nombre des sites, nous avons regroupé les vestiges qui étaient proches et qui semblaient être en continuité, en un certain nombre d'ensembles. Les aperçus chronologiques sont fondés en grande partie sur la céramique modelée, qui est la plus fréquemment retrouvée, mais dont les critères de datation sont encore approximatifs, ce qui nous oblige à déterminer de larges fourchettes de datation. Après un inventaire de cette riche documentation, nous replaçons, dans le cadre d'une synthèse, cet ensemble géographique dans le contexte varois contemporain. La commune de Saint-Maximin a une superficie de 6 413 ha. Elle est constituée en son centre d'une large plaine de colluvionnements wurmiens, formés de cailloutis et de limons, qui s'étend sur 7 km d'est en ouest et sur 4 km du nord au sud. Elle est entourée de collines calcaires, plus élevées au sud (700/800 m) qu'au nord (400 m), mais qui laissent des passages vers l'est et l'ouest. C'est à ce niveau que naissent les cours d'eau de l'Arc et de l'Argens et par là que passe la grande voie de circulation, qui de Fréjus rejoint Aix-en-Provence. L'inventaire concerne vingt-trois sites. Nous n'avons pas retenu une cinquantaine de sites très ponctuels caractérisés par des structures dérasées de type fosse ou foyer, où le matériel n'était représenté que par de la céramique modelée très altérée et non identifiable. Nous étudions en premier les quatre habitats de hauteur et fortifiés (sites 20 à 23), puis l'habitat groupé de sommet entouré d'un fossé (site 1) et les dix-huit autres gisements ouverts (sites 2 à 19), en partant du nord vers le sud (fig. 2). L'habitat perché et fortifié est du type appui sur à-pic. Il est construit sur un éperon rocheux à 500 m d'altitude. L'enceinte est précédée d'un avant-mur et d'un fossé sec, et renforcée à son point culminant par une tour quadrangulaire pleine de 5,80 x 5,35 m (Gallia 1986, 479). Le matériel a été mis au jour à l'occasion du tracé d'une piste pour lutter contre les incendies. L'étude est faite selon les trois emplacements de leur découverte, afin de mieux cerner la continuité de l'occupation. • Entre les deux murailles au sud, matériel du V e - I er s. av. J.-C. - céramique modelée : urne Bérato F141b avec décor incisé de chevron simple sous une ligne horizontale (fig. 3, n° 1), urne Bérato F143 avec chevron simple imprimé au peigne (fig. 3, n° 2), urne Bérato F172, coupe Bérato F312a (fig. 3, n° 3), jatte Bérato F511a avec versoir imprimé au doigt sur le bord (fig. 3, n° 4); dolium avec décor à type de petit cordon lissé au bas de l'épaule. • À l'intérieur du rempart, matériel du II e - I er s. av. J.-C. - céramique à pâte claire massaliète; céramique campanienne A; céramique modelée et dolium avec bord triangulaire à face supérieure horizontale (Bérato et al. 1996). • Sous le rempart à l'est, matériel du III e - I er s. av. J.-C. : céramique à pâte claire massaliète à engobe noire, dont un petit mortier Bats F624; céramique modelée : urne Bérato F141a, urne Bérato F141b (trois individus dont un avec décor incisé de chevron simple sous une ligne horizontale (fig. 3, n° 5 et 6), urne Bérato F145 (fig. 3, n° 7), coupe Bérato F312a (fig. 3, n° 8), couvercle Bérato F812 M3b avec six trous d'évents (fig. 3, n° 9), fond avec pied annulaire (fig. 3, n° 10); amphore italique Dressel 1A; dolium à bord allongé (Bérato et al. 1996). Aperçu chronologique général : compte tenu de la présence des formes Bérato F140 en céramique modelée, on peut penser que le site a été occupé du V e s. au I er s. av. J.-C., mais il n'y a pas de céramique d'importation du V e et IV e s. av. J.-C. L'enceinte de l'habitat perché et fortifié est du type appui sur à-pic. Il enserre une surface de 4 000 m 2, à 611 m d'altitude, et rejoint à l'est un abrupt rocheux. Le plateau, en contrebas à l'ouest, est barré par des avants murs s'appuyant sur les falaises (Guébhard 1905, 389; Laflotte 1923, 264-266). Matériel : céramique modelée, amphore étrusque et dolium. Aperçu chronologique : VI e - V e s. av. J.-C. Sur le Castrum de Cura du matériel a été recueilli parmi les ruines médiévales (sondage F. Carrazé; Gallia Informations, 1987-1988, 286). Matériel : céramique modelée. Aperçu chronologique : âge du Fer. L'habitat perché et fortifié est situé à 590 m d'altitude. Du type éperon barré, il est naturellement défendu au nord, à l'est et au sud par des abrupts rocheux. Il est protégé à l'ouest par un rempart de 1,80 m de large et conservé sur 120 m environ de longueur. Vers son extrémité sud, au niveau d'une porte, il est renforcé par une tour pleine (Gallia 1986, 479; Reymondon 1979, 256). Il domine le Castrum de Cura. Matériel : céramique modelée et dolium. Aperçu chronologique : âge du Fer. Il s'agit d'un habitat groupé, situé sur une éminence à 315 m d'altitude, qui domine un petit bassin intérieur à 270 m d'altitude. Des cases, en pierres sèches, ont été découvertes lors de la fouille du castrum du XI e s. Le réseau orthogonal des murs était ici ou là conservé. Selon le fouilleur cet habitat de l' âge du Fer était peut-être défendu, vers le nord, par des fossés (Fixot 1985, 292). Du matériel a été aussi retrouvé épandu sur les pentes. Matériel - céramique modelée : urne Bérato F141a (trois individus), urne Bérato F153, urne Bérato F172 (fig. 4, n° 11), coupe Bérato F311 avec lèvre épaissie en dedans, coupe Bérato F321, décor à type de chevron simple incisé; dolium à bord allongé (trois individus, Bérato et al. 1996); meule en basalte (deux individus); fragment de lame en silex. Aperçu chronologique : V e - I er s. av. J.-C. Site de fond de plaine, sans structures visibles, le matériel était dispersé dans les déblais. Matériel - céramique modelée : urne à bord rectiligne à méplat interne (deux individus), urne Bérato F130, gobelet, coupe tronconique à méplat (quatre individus), coupe Bérato F311 à méplat interne, coupe Bérato F 311 (quatre individus), décor à type de courts traits incisés verticalement ou obliquement, décor à type de courts traits incisés obliques associé à des impressions arrondies à la baguette, décor à type d'impressions ovalaires; silex : pointe foliacée en silex blond et éclats de débitage. Aperçu chronologique : âge du Bronze final IIIb/premier âge du Fer. Site de plaine, auquel succèdera la villa antique des Jarres (Carrazé 1989a, n° 5 et 6). Matériel - céramique campanienne A et C; céramique modelée : urne Bérato F151a, jatte Bérato F512 à bord décoré (fig. 4, n° 12). Aperçu chronologique : I er s. av. J.-C. Site de plaine sous l'habitat rural et antique de la Roquette (Carrazé 1989-1990, n° 2 à 4, 11). Le matériel est étudié selon les trois proches endroits de son ramassage : - dans un segment de la tranchée, où aucune structure n'était visible, de la céramique de l' âge du Bronze final IIIb/âge du Fer était éparpillée dans les déblais : céramique modelée des ateliers de la région de Marseille : marmite Arcelin F5a var.1; céramique modelée : urne à bord court rectiligne sortant avec méplat interne (deux individus dont un avec chevron simple incisé à la face interne; fig. 4, n° 13 et 14), urne Bérato F141a (cinq individus), urne Bérato F143 (quatre individus; fig. 4, n° 15), urne Bérato F172 (six individus; fig. 4, n° 16 à 18), coupe Bérato F311 (fig. 4, n° 19), coupe Bérato F312a (cinq individus), coupe Bérato F312 avec lèvre épaissie en dedans (fig. 4, n° 20), coupe Bérato F331a, coupe Bérato F321 avec décor sur la lèvre (deux individus; fig. 4, n° 21 et 22), couvercle Bérato F821, décor incisé de chevrons simples sous une ligne horizontale (fig. 4, n° 23), chevron double incisé; chevron double imprimé au peigne, dont un sur une surface peignée, cercles imprimés sous une ligne incisée (fig. 4, n° 24), impressions lancéolées sous une ligne incisée (fig. 4, 25); décor à type de peignage et dolium : cordon plein lissé sur l'épaule (fig. 4, n° 26); - à proximité dans un lit de graviers à 1,80 m de profondeur, matériel du II e - I er s. av. J.-C. : céramique modelée, amphore italique de Campanie, dolium et élément mobile en basalte de meule va-et-vient type Py A (1992); - un peu plus loin dans les déblais, céramique modelée du premier âge du Fer : urne Bérato F130 (fig. 4, n° 27). Aperçu chronologique général du site : âge du Bronze final IIIb/premier âge du Fer et II e - I er s. av. J.-C. Site de plaine. Le matériel a été retrouvé dans les déblais de la tranchée et dans une fosse ovale, de 4,40 x 1,10 m, située sous la surface du sol et qui contenait des cendres, des charbons de bois, des pierres et du matériel, dont de la céramique de l'Antiquité (Carrazé 1989-1990, n° 10, 9) : céramique à pâte claire massaliète Bats F263, à engobe rouge/noir; céramique campanienne A; céramique modelée des ateliers de la région de Marseille; céramique modelée : urne Bérato F141a avec décor imprimé de doubles chevrons, urne Bérato F141b (trois individus; fig. 4, n° 28 à 30), urne Bérato F144 (fig. 4, n° 31), urne Bérato F151a, urne Bérato F151b, coupe Bérato F311, coupe Bérato F313 (trois individus), coupe Bérato F331b (fig. 4, n° 32), coupe Bérato F342 (fig. 4, n° 33), jatte Bérato F512 à bord décoré (fig. 4, n° 34), décor à type de chevron simple imprimé. Aperçu chronologique : milieu III e - I er s. av. J.-C. Site de plaine. Deux ensembles ont été mis en évidence : - à 0,80 m de profondeur, quelques pierres et de nombreux tessons de céramique modelée – dont une urne Bérato F141a – formaient la surface d'un sol tassé au-dessus d'une terre jaune et sablonneuse (Carrazé 1989a, n° 4, 13); - à 1,05/1,10 m de profondeur, creusés dans une couche de limon noir, une fosse et un foyer contenaient des cendres, des charbons et des restes osseux animaux (Carrazé 1989a, n° 1 à 3, 13). Le matériel comportait : céramique campanienne A; céramique modelée : urne Bérato F141a (fig. 4, n° 35) et décor à type de cordon imprimé (fig. 4, n° 36); amphore étrusque; éclats de silex. Aperçu chronologique : fin VI e /V e - I er s. av. J.-C. Site sur les premiers contreforts de la colline. Le matériel a été retrouvé en surface et dans les anfractuosités du rocher, avec des pierres rubéfiées (Carrazé 1989a, n° 1, 20; 1989-1990, n° 5 et 6, 8) : céramique à pâte claire massaliète se rapprochant des formes Bats F413 et F432, datable de la fin du V e av. J.-C. (fig. 4, n° 37); céramique campanienne A; céramique modelée : urne Bérato F141a (deux individus; fig. 4, n° 38 et 39), urne Bérato F142 (deux individus; fig. 4, n° 40 et 41) et F142a, urne Bérato F143, urne Bérato F172, coupe Bérato F311 (fig. 4, n° 42), coupe Bérato F312a (quatre individus; fig. 4, n° 43 et 44), coupe Bérato F312c (fig. 4, n° 45), coupe Bérato F313 (fig. 4, n° 46), coupe Bérato F323, jatte Bérato F511 (trois individus; fig. 4, n° 47 et 48, dont un avec impressions sur la lèvre), jatte Bérato F512 (deux individus; fig. 4, n° 49), couvercle Bérato F811, F812 (fig. 4, n° 50; proche d'une forme d'Entremont : Congès 1987, 148, fig. 184) et F821, faisselle (fig. 4, n° 51), décor à type de rond imprimé à l'intérieur d'un cercle incisé (fig. 4, n° 52), de chevron simple imprimé au peigne, d'onde incisée (fig. 4, n° 53), de courtes incisions verticales et de peignage; amphore italique; dolium à bord allongé et à bord triangulaire (fig. 4, n° 54) (Bérato et al. 1996); éclats de silex. Aperçu chronologique : V e - I er s. av. J.-C. Site de piedmont. Une fosse, creusée dans une terre jaune, de 1,70 m de profondeur et 2 m de diamètre et qui contenait des charbons de bois, des cendres, de l'argile rubéfiée et des restes osseux animaux, était associée à un foyer avec des blocs de grés rubéfiés (Carrazé 1989a, n° 1, 19). Matériel - céramique modelée : urne Bérato F130 à lèvre arrondie/aplatie ou à méplat interne (trente-huit individus; fig. 5, n° 55 à 58; fig. 6, n° 59 à 62; fig. 7, n° 63 à 68), urne Bérato F171 (Dedet 1985, fig. 11, 3) (quatre individus dont deux avec décor sur le bord; fig. 7, n° 69 et 70), urne Bérato F172 (fig. 7, n° 71), plat genre Bérato 200 à bord évasé (Bérato, Borréani, Laurier 1994, fig. 10, 14) (fig. 7, n° 72), coupe Bérato F311 (quatre individus dont un avec fond concave; fig. 7, n° 73 à 75), coupe Bérato F312a à lèvre aplatie ou à méplat interne (douze individus; fig. 7, n° 76 à 79; fig. 8, n° 80 à 82), coupe Bérato F312b (fig. 8, n° 83), coupe Bérato F312 avec méplat, coupe Bérato F321 (fig. 8, n° 84 et 85), coupe Bérato F341 avec fond concave (Dedet 1985, fig. 9, 4b; Lagrand 1968, I, 2 et LV, 5) (fig. 8, n° 86); coupe tronconique à méplat interne (fig. 8, n° 87 à 90), jatte Bérato F511 (fig. 8, n° 91 et 92), fond avec pied annulaire (fig. 8, n° 93), décor à type de cannelures jointives (fig. 8, n° 94), d'impressions lancéolées verticales (quatre individus; fig. 8, n° 95 et 96), d'impressions lancéolées sur deux rangées (fig. 8, n° 97 et 98), d'impressions ovalaires (deux individus), de courtes incisions verticales lancéolées (neuf individus; fig. 9, n° 99 et 100) et de courtes incisions obliques; épingle en bronze à petite tête sphérique (Tendille 1980, 97) (trois individus; fig. 9, n° 101). Aperçu chronologique : âge du Bronze final IIIb/premier âge du Fer. À l'emplacement d'une villa antique. Matériel : céramique campanienne A et céramique modelée. Aperçu chronologique : II e - I e s. av. J.-C. Site de plaine présentant à 1,50 m de la surface un mur en pierres sèches dans une couche de limon gris, contenant des boulettes d'argile cuite, du charbon de bois, et à proximité une fosse de 1,30 m de profondeur et 3,20 m de diamètre qui contenait des cailloux (Carrazé 1989a, n° 2 et 3, 24). Matériel - céramique monochrome grise avec décor ondé (la pâte, de couleur grise avec des inclusions blanches et ocres, sans enduit, qui est tendre et pulvérulente en surface, laissant des traces sur les doigts, pourrait appartenir au groupe 5); céramique modelée : urne Bérato F141a; amphore massaliète Py 1/2. Aperçu chronologique : V e s. av. J.-C. Site de plaine. Le matériel est bien stratifié : - à 1,40 m de profondeur une couche de limon noir recouvre un lit de pierres, qui repose sur des charbons de bois mêlés à du matériel de l' âge du Bronze final III (Carrazé 1989a, n° 12, 25) - céramique modelée : urne à col court (fig. 9, n° 102), urne à col curviligne (Bérato, Magnin et al. 1989, fig. 13, 23) (fig. 9, n° 103), urne Bérato F171 avec impressions sur la lèvre (Dedet 1985, fig. 7, 5; Lagrand 1968, XXIII) (fig. 9, n° 104), plat Bérato genre 200 (fig. 9, n° 105), coupe tronconique à méplat (fig. 9, n° 106), flanc de récipient avec carène (fig. 9, n° 107) et décor à type de cordons avec impressions de courts traits incisés verticalement; - au-dessus, sans structure associée, ensemble de céramique de la fin VI e - V e s. av. J.-C. - céramique monochrome grise Arcelin-Pradelle F3, groupe 5 (?), avec décor ondé; céramique à pâte claire massaliète; céramique modelée : urne Bérato F130, coupe Bérato F331a (fig. 9, n° 108) et F331b (fig. 9, n° 109), jatte Bérato F512 (fig. 9, n° 110); amphore massaliète type Py 1. Aperçu chronologique général : âge du Bronze final III et fin VI e - V e s. av. J.-C. Site de plaine comprenant trois ensembles : - deux fosses sont creusées à 1 m de profondeur dans une terre jaune sablonneuse. L'une mesure 1,80 m de diamètre, son fond est tapissé de pierres; l'autre est remplie de limon noir. Elles voisinent avec une couche de charbons, contenant des restes osseux animaux et recouverte de grosses pierres à 1,10 m de profondeur, ainsi qu'avec une fosse pleine de limon noir (Carrazé 1989a, n° 21, 22 et 27). Le matériel est daté de l' âge du Bronze final IIIb/premier âge du Fer - céramique modelée : urne Bérato F171 (Dedet 1985, fig. 11, 3) (fig. 9, n° 111), coupe Bérato F311 (fig. 9, n° 112), coupe Bérato F312a (fig. 9, n° 113), décor à type de coin imprimé à la baguette (fig. 9, n° 114); silex blanc : éclats de débitage; - deux foyers riches en charbons de bois et en restes osseux animaux sont posés sur une couche de limon noir et recouverts de grosses pierres (Carrazé 1989a, n° 23, 27). Le matériel est du premier âge du Fer - céramique modelée : urne Bérato F130 (huit individus dont trois à méplat interne et un en amande; fig. 9, n° 115 à 120), coupe Bérato F311, coupe Bérato F312a (fig. 9, n° 121), coupe Bérato F312b (fig. 9, n° 122), fond concave avec pied annulaire (fig. 9, n° 123), décor à type de trois cercles concentriques incisés et centrés sur un point (fig. 9, n° 124), d'impressions en coin horizontales (fig. 9, n° 125) et verticales, d'impressions ovalaires horizontales (fig. 9, n° 126); - une fosse de 2 m de diamètre est creusée dans la terre jaune sableuse et remplie de limon noir. Elle contient des blocs d'argile peu cuite (brique ?), des galets, des cendres et des charbons de bois (Carrazé 1989a, n° 24 et 27). Le matériel est de l' âge du Bronze final IIIb/premier âge du Fer - céramique à pâte claire massaliète; céramique modelée : urne Bérato F130 (quatorze individus, dont un avec deux méplats internes; fig. 9, n° 127 à 130), urne Bérato F 171 avec décor d'impressions horizontales en coin (fig. 10, n° 131), coupe Bérato F311 (neuf individus), coupe Bérato F312a (cinq individus; fig. 10, n° 132 et 133), coupe Bérato F312b (trois individus; fig. 10, n° 134 à 136), coupe Bérato F313 (deux individus, dont un avec trou de suspension; fig. 10, n° 137 et 138), coupe Bérato F321 (deux individus; fig. 10, n° 139 et 140), coupe Bérato F331a (fig. 10, n° 141), coupe à décor géométrique (Lagrand 1968, I, 5) (fig. 10, n° 142), jatte Bérato F511 (deux individus), décor à type de chevrons simples incisés, de chevrons doubles incisés, de courts traits incisés verticaux, de deux tiers de cercle imprimé, de ronds imprimés (fig. 10, n° 143 et 144), d'impressions horizontales en coin (deux individus; fig. 11, n° 145), de peignage et fond avec surface d'appui plane (fig. 11, n° 146) ou pied annulaire (fig. 11, n° 147); amphore étrusque; fusaïole (fig. 11, n° 148). Aperçu chronologique général : âge du Bronze final IIIb/premier âge du Fer. Site de plaine. Le matériel a été découvert à 1,30 m de profondeur, dans une couche de limon noir déposée dans une dépression du terrain (Carrazé 1989a, n° 4, 24) - céramique modelée : urne à bord court rectiligne et sortant, urne à bord rentrant avec cordon sur le bord décoré d'impressions à la baguette, associé sur un individu à un décor en rond imprimé (fig. 11, n° 149 et 150) (Dedet 1985, fig. 7, 5a) et cordon décoré d'impressions digitées. Aperçu chronologique : âge du Bronze final II. Site de plaine présentant plusieurs structures plus ou moins dérasées : - deux foyers sont creusés dans une terre jaune et contiennent des charbons de bois et des blocs de terre rubéfiée. Un fond est à 0,70 m de profondeur et mesure 1,20 m de diamètre; - une fosse de 1,80 m de diamètre, à 0,50 m de la surface, est profonde de 1,20 m. Elle présente deux couches de dépôts avec des restes osseux animaux, des cendres, des charbons et des pierres rubéfiées, qui sont séparées par un lit de terre jaune; - une fosse, à 0,80 m de la surface et encore profonde de 0,30 m, est remplie de limon noir contenant des charbons de bois et des boulettes d'argile rubéfiée - en surface du matériel est épars dans une occupation de l'époque romaine (Gallia 1986; Carrazé 1990a, n° 6 à 10 et 16 à 18). Matériel - céramique campanienne A; céramique modelée : urne Bérato F141a, urne Bérato F151a (deux individus), coupe Bérato F311 et jatte Bérato F511; amphore massaliète type Py 4; meule en basalte; éclats de silex. Aperçu chronologique : V e et I er s. av. J.-C. Site de plaine. Matériel - céramique modelée : urne Bérato F141a (trois individus), urne Bérato F171 avec décor imprimé digitiforme sur la lèvre, coupe Bérato F311 et couvercle Bérato F811 avec décor imprimé sur le bord (Lagrand 1968, LXXIX, 2) (fig. 11, n° 151); dolium. Aperçu chronologique : âge du Bronze final II/III - deuxième âge du Fer. Site de plaine. Matériel - céramique campanienne A; céramique modelée : urne à col court, rectiligne et sortant, urne Bérato F130 (fig. 11, n° 152), urne Bérato F141a, coupe tronconique à méplat, décor à type d'impression ovalaire, de cordons avec impressions digitées ou à la baguette (trois individus); amphore italique Dressel 1A et 1C. Aperçu chronologique : âge du Bronze final IIIb/âge du Fer. Site de plaine. Matériel - céramique modelée : urne Bérato F130 (fig. 11, n° 153), coupe Bérato F311, coupe Bérato F321 (deux individus; fig. 11, n° 154), couvercle Bérato F811 (fig. 11, n° 155); grand récipient de réserve à bord évasé type Touar 9.01 (Bérato, Magnin et al. 1989) (deux individus). Aperçu chronologique : premier âge du Fer. Site à la jonction piedmont / plaine. En piedmont en surface et à 2 m de profondeur en plaine (Carrazé 1989-1990, n° 9 à 11 et 16), le matériel est de l' âge du Bronze final III; céramique modelée : urne à bord court rectiligne (trois individus; fig. 11, n° 156 et 157), urne à col curviligne, coupe Bérato F311 à méplat interne (fig. 11, n° 158), coupe Bérato F312a (fig. 11, n° 159), coupe tronconique à méplat (deux individus), décor incisé à type de chevrons simples sous une ligne horizontale et de courts traits verticaux, d'impressions ovalaires et de cannelures horizontales jointives. En plaine, à 1 m de profondeur dans une couche noire, proche de la villa antique de Verdagne (Carrazé 1985; Carrazé 1989-1990, n° 12 à 14, 16), le matériel est daté du II e - I er s. av. J.-C. - céramique campanienne A Lamboglia 28ab; céramique modelée : urne Bérato F141a avec décor de chevrons imprimés au peigne sous une incision linéaire. Aperçu chronologique général : âge du Bronze final III et II e - I er s. av. J.-C. Site à flanc de coteau (Carrazé 1989-1990, n° 15 à 18), pour lequel nous dissocions trois ensembles : - boulettes d'argile rubéfiée, à 1,30 m de profondeur, associées à du matériel de l' âge du Bronze final III - II e et I er s. av. J.-C. - céramique campanienne A; céramique italique de Campanie (couvercle); céramique modelée : urne Bérato F141a (trois individus) et F141b, urne Bérato F143 (deux individus), urne Bérato F151a, coupe Bérato F311 (onze individus, dont sept avec une lèvre arrondie et un avec un graffite formé de traits rectilignes se recoupant), couvercle Bérato F812, couvercle Bérato F820 (deux individus), décor de cannelures isolées, décor incisé de chevron simple tête-bêche sous une ligne horizontale (fig. 11, n° 160), d'incisions courtes obliques sous une cannelure, d'incisions courtes obliques (fig. 11, n° 161), décor à type de pointillés imprimés, d'incisions obliques et courtes sous une ligne horizontale, décor incisé de chevrons simples et doubles; amphore italique étrusco-latiale; dolium (deux individus dont un à petit bord à surface supérieure horizontale, Bérato et al. 1996) (fig. 11, n° 162) - un foyer contenait des charbons de bois et du mobilier de l' âge du Bronze final III - céramique modelée : urne à bord court convexe, urne à bord court rectiligne sortant (quatre individus), gobelet, coupe Bérato F311 (trois individus), coupe tronconique à méplat, couvercle Bérato F821 M3 (deux individus), décor à type de cannelures jointives (deux individus), d'impressions lancéolées horizontales (fig. 11, n° 163), de courts traits incisés horizontalement, de courts traits incisés verticalement (quatre individus), de cordons avec impressions digitées; fusaïole bitronconique aplatie (fig. 11, n° 164); anneau en bronze coulé (diam. 45 mm, ép. 1,5 mm); - Autour d'un mur en pierres sèches et de direction nord-est/sud-ouest, on a retrouvé du matériel daté du V e - I er s. av. J.-C. - céramique grise monochrome, groupe 5 (?) (deux individus); céramique campanienne A Lamboglia 31; céramique modelée : urne Bérato F141a (deux individus), coupe Bérato F311; amphore massaliète; meule en rhyolite; hache polie en éclogite (deux individus). Aperçu chronologique général : âge du Bronze final III-âge du Fer. Les travaux menés en profondeur dans le sous-sol permettent donc d'avoir une meilleure connaissance de la période protohistorique dans la commune de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume. La façon dont ont été conduits ces travaux d'aménagement est toutefois assez frustrante pour l'archéologue. Aucune fouille n'a été possible et aucun complément d'information, en particulier du type étude pédologique, n'a pu être pratiqué. Les observations ont dû être rapidement faites lors de la phase de creusement des tranchées afin de ne pas gêner la pose des canalisations. Il n'en demeure pas moins que les résultats permettent de revoir la structuration territoriale dans le sens d'une plus grande diversité. Nous constatons ainsi que les sites de plaine sont plus nombreux que les sites fortifiés de hauteur, et que l'éventail chronologique est bien plus large que celui que nous connaissions. L'étude de la chronologie des sites soulève bien entendu des réserves. Les documents ont été ponctuellement recueillis sur le seul tracé de la tranchée et regroupés selon quelques ensembles dont on peut discuter du caractère artificiel. Le nombre réduit d'individus pour chaque échantillon de matériel céramique, le petit nombre de céramiques importées et l'imprécision dans la datation de la céramique modelée, font que l'on n'est pas certain de la durée exacte de l'occupation, ainsi que de la contemporanéité de certains sites. Un des intérêts de cette surveillance de tranchée a été de mettre au jour des sites qui, lorsqu'ils sont peu enfouis, pourraient éventuellement être observés, mais qui en fait nous échappent le plus souvent, car le matériel qu'ils livrent, en particulier la céramique modelée, est difficilement observable en prospection. Les différents sites ne sont pas régulièrement occupés durant toute la Protohistoire, mais les hiatus chronologiques ne sont peut-être liés qu'au hasard des découvertes. Les périodes d'occupation des sites ouverts sont diverses : âge du Bronze final II : site 13 âge du Bronze final II/IIIa et deuxième âge du Fer : site 15 âge du Bronze final III et VI e - V e s. av. J.-C. : site 11 âge du Bronze final IIIb/ premier âge du Fer : sites 2 et 8 âge du Bronze final III et II e - I er s. av. J.-C. : site 18 âge du Bronze final IIIb/ I er âge du Fer et II e - I er s. av. J.-C. : site 4 âge du Bronze final III-âge du Fer : site 19 âge du Bronze final IIIb-âge du Fer : site 16 premier âge du Fer : sites 1, 17 VI e - V e s. av. J.-C. et I er s. av. J.-C. : site 6 V e - I er s. av. J.-C. : site 7 V e et I er s. av. J.-C. : site 14 milieu III e - I er s. av. J.-C. : site 5 II e - I er s. av. J.-C. : site 9 I er s. av. J.-C. : site 3 Sur les neuf sites du Bronze final, un seul n'est occupé que durant cette période et huit le seront encore périodiquement durant l' âge du Fer. L'assèchement relatif des marges de la plaine durant cette période peut expliquer l'implantation d'un habitat permanent sur une occupation temporaire de saison sèche déjà connue, comme cela avait été déjà constaté lors de la fouille du Touar aux Arcs (Bérato, Magnin et al. 1989). Seuls huit sites de l' âge du Fer, sur les seize découverts, sont des créations nouvelles. Pour l'habitat groupé et fortifié de hauteur, le site 21 est occupé au VI e - V e s. av. J.-C., le site 20 sûrement du III e au I er s. av. J.-C. et peut-être dès le V e s. av. J.-C.; quant aux sites 22 et 23, l'imprécision de la céramique modelée ne nous autorise qu' à une large datation durant l' âge du Fer. On peut donc constater globalement une occupation continue dans la zone étudiée de l' âge du Bronze II/III au I er s. av. J.-C. Sur les onze sites encore occupés au I er s. av. J.-C., cinq seront ultérieurement désertés et pour les six autres, une villa (sites 3, 4, 9 et 18) ou un habitat rural (sites 5 et 14), leur succéderont lors de l'Antiquité. Nous constatons toutefois toujours un déficit documentaire pour les périodes du IV e - III e s. av. J.-C. pour les sites ouverts de plaine et de piedmont. La présence de céramique importée confirme que le site 7 est occupé du V e au I er s. av. J.-C., et le site 5 au plus haut dès le milieu du III e s. av. J.-C. Par contre la datation des sites 15, 16 et 19 durant l' âge du Fer et du site 1 du V e au I er s. av. J.-C., repose uniquement pour les IV e et III e s. av. J.-C. sur la présence de céramique modelée de forme 149, rencontrée du V e au début du I er s. av. J.-C. Il est vrai qu'aucune fouille n'a pu être pratiquée, ce qui nous prive d'un matériel plus abondant et vraisemblablement plus diversifié. On ne peut invoquer le fait que les sites de cette période soient encore enfouis sous un important alluvionnement, compte tenu que d'autres sites plus anciens ont été découverts et que notre échantillonnage repose quand même sur une large série. Le Mont-Garou à Sanary (Arcelin, Arcelin-Pradelle, Gasco 1992, 125-126) paraît subitement déserté au début du IV e s. av. J.-C., au même moment où l'établissement grec du Mourret à Six-Fours est occupé (Brien-Poitevin, Borréani, Laurier 2000) et cela jusqu'au milieu du II e s. av. J.-C. Nous avons aussi constaté sur l'oppidum de La Courtine, à Ollioules, coïncidant avec la création du proche comptoir massaliète de Tauroeïs à Six-Fours-les-Plages, l'absence de structures et la raréfaction des céramiques importées entre la fin de la première moitié du III e s. et le début du II e s. av. J.-C. (Bérato et al. 1996). Dans la dépression permienne et ses marges, les sites du IV e - III e s. av. J.-C. sont rares (Bérato, Magnin et al. 1989), alors que l'implantation massaliète à Olbia se fait au IV e s. av. J.-C. S'agit-il d'un simple hasard, ou peut-on envisager que les indigènes, privés par ces créations marseillaises de leur rôle de distributeur principal, vont réagir en limitant leurs importations, pour une période brève toutefois. D'autres explications de la rareté de la céramique importée durant cet espace de temps pourraient être liées à une régression démographique et/ou à une récession de l'économie indigène, ce qui ne permettrait plus alors de produire une plus-value de denrées échangeables et de ce fait une limitation temporaire des importations. Aucune explication n'est en fait satisfaisante pour éclairer cette diminution de la céramique d'importation pour cette période. L'habitat est localisé en plaine ou en coteau. Il n'y a pas d'occupation de sommet ou de grotte. La présence de limon noir noyant les vestiges de plaine de cette période évoque des zones inondables, et vraisemblablement un habitat temporaire de saison sèche. Aucune sépulture n'est connue. L'habitat se fixe sur les sommets (quatre oppida et un habitat groupé entouré d'un fossé) mais aussi, et d'ailleurs en plus grand nombre (dix sites), en plaine et sur les coteaux. Le site de coteau Chemin d'Aix/les Fontaines (site 19) est ainsi contemporain et très proche spatialement de l'oppidum de Cinq-Ponts (site 20). Toutefois nous ne pouvons pas établir une hiérarchisation de l'habitat. L'oppidum n'est pas statistiquement le lieu principal de vie, mais nous ignorons ses liens avec les proches habitats ouverts et dispersés de plaine et de piedmont, qui semblent toutefois de moindre importance en ce qui concerne leur implantation au sol dans les tranchées. Quatre habitats groupés et fortifiés sont connus, dont deux de type sur à-pic (sites 20 et 21) et un de type sur éperon barré (site 23). Du fait d'une réoccupation au Moyen Âge, le type du quatrième ne peut être précisé (site 22). Seule une date de création d'enceinte peut être fixée, celle du site 21 qui s'appuie sur un à-pic, et qui apparaît au VI e - V e s. av. J.-C. Comme partout ailleurs dans le Var, l'absence de céramique d'importation postérieure à la céramique campanienne, et en particulier de céramique arétine, confirme que les oppida sont abandonnés au plus bas avant le dernier quart du I er s. av. J.-C. Cadry (site 1) était vraisemblablement entouré par un fossé. Aux Escaravatiers à Puget-sur-Argens, une zone à forte concentration de tessons de l' âge du Fer, découverte en prospection, est entourée sur une photographie aérienne, par l'image évocatrice d'un fossé (Fiches 1996, fig. 5). À titre d'hypothèse, il pourrait s'agir là des deux seuls habitats connus dans le Var, défendus par un fossé périmètral. Toutes les structures retrouvées sur les sites de plaine ou de piedmont étaient partiellement détruites, qu'il s'agisse de fosses, de foyers, de sols en pierres ou de murs. Aucune stratigraphie, à l'exception du site 11, n'a pu être mise en évidence. Aucune reconstitution, même partielle de l'habitat, n'a de même été possible. La technique de construction de murs porteurs à base en pierres sèches est attestée dès le V e s. av. J.-C. dans les cases groupées du site 1 et dans les murs isolés des sites 10 et 19. Dans les sites de plaine, certaines structures – murs, fosses ou foyers – sont installées dans une couche de limon noir et recouvertes par de la terre arable. Par exemple pour le site 11, La Plaine/Peyrecède, le gisement du Bronze final III est scellé par une couche de limon noir, sur laquelle s'installera l'occupation du VI e - V e s. av. J.-C. Il semble que la plaine soit alors moins inondable et que certains sites deviennent permanents. Cependant certains gisements, recouverts par une couche de limon noir, semblent encore temporaires. Aucune sépulture contemporaine des habitats fortifiés ou ouverts n'est connue. La céramique modelée de l' âge du Bronze final II/III présente le même faciès que celui des sites du Touar aux Arcs-sur-Argens (Bérato, Magnin et al. 1989) et du Bastidon à Sillans-la-Cascade (Bérato, Degaugue et al. 1999). La céramique modelée de l' âge du Fer possède les mêmes caractéristiques que celles qui se rencontrent dans le reste du Var du premier âge du Fer au début du I er s. av. J.-C. Le faciès de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume rappelle en particulier celui du proche site de pente du Mont-Aurélien, Pourrières, pour les périodes contemporaines (Bérato, Borréani, Laurier 1994). Sur onze habitats encore occupés au I er s. av. J.-C., seuls quelques exemplaires des formes de céramique modelée Bérato F151a et F151b, qui sont très fréquentes dans le Var au cours des trois derniers quarts du I er s. av. J.-C. (Bérato 1993, 332-333), sont retrouvés sur les sites 3, 5, 14 et 19. La rareté de ces formes s'explique peut-être par une plus longue utilisation des formes antérieures Bérato F140, mais plus sûrement par une moindre pénétration de l'influence du faciès varois. Signalons pour conforter cette dernière interprétation, que la céramique modelée spécifique au Var pour les I er /IV e s. ap. J.-C. (Bérato 1993, 333-334) est ici pratiquement absente et que ce sont alors les productions céramiques tournées allant au feu de la région d'Aix-en-Provence qui sont présentes. L'urne Bérato F172, qui avait été individualisée à La Courtine vers 300 av. J.-C. (Bérato et al. 1996), est ici déjà présente dès le V e s. av. J.-C. Elle se différencie de la forme 153, du I er s. av. J.-C., par des parois plus épaisses et un flanc plus oblong. La présence de fusaïoles (sites 12 et 19) atteste l'élevage des ovins et la pratique du filage dans les habitats. La céramique importée est retrouvée sur quinze sites, mais elle est toujours faiblement représentée, le plus souvent par de simples tessons et rarement par des formes identifiables : céramique grise monochrome (sites 10, 11 et 19); céramique à pâte claire massaliète (sites 5, 7, 11 et 20); céramique campanienne A (sites 3, 5, 6, 7, 9, 14, 16, 18, 19 et 20); céramique campanienne C (site 3); céramique italique (site 19); céramique modelée des ateliers de la région de Marseille (sites 4 et 5); amphore étrusque (sites 1, 12 et 21); amphore massaliète (sites 10, 11, 14 et 19); amphore italique (sites 4, 7, 16, 19 et 20). Cette constatation rejoint celle que nous avions déjà faite pour la dépression permienne et ses marges (Bérato et al. 1995), pour l'habitat de pente du Mont-Aurélien à Pourrières (Bérato, Borréani, Laurier 1994) et pour l'habitat groupé du Petit Camdumy à Flassans (Bérato, Borréani et al. 2000). Nous sommes pourtant ici, comme pour ces derniers sites, proches d'une grande voie de circulation qui, depuis l'embouchure de l'Argens, traverse la zone étudiée en direction d'Aix et de Marseille. Cette céramique d'importation, vaisselle et amphores, concerne le plus souvent des récipients en relation avec la consommation du vin. La rareté de la céramique importée pourrait s'expliquer par le manque de produits indigènes à échanger, en particulier de céréales, dont la présence est certes attestée par les meules, mais dont les rendements ne devaient pas être très élevés. Les doliums, lourds vaisseaux de réserve, sont absents sur les sites de l' âge du Bronze final, ce qui peut s'expliquer du fait de leur occupation saisonnière. Les bords des doliums retrouvés durant tout l' âge du Fer sont toujours montés en continuité du col. Aucun bord collé n'est attesté. Leur typologie est celle rencontrée sur les sites varois de la même période : grands récipients de réserve type Touar 9.01 au premier âge du Fer (Bérato, Magnin et al. 1989) (site 17), dolium à bord allongé qui est présent dès le début du IV e s. av. J.-C. à la Courtine, Ollioules (Bérato et al. 1996, fig. 7, 9) (sites 1, 7 et 20) et petit bord à surface supérieure horizontale qui apparaît dès le milieu du IV e s. av. J.-C. (Bérato et al. 1996, fig. 7, 10 et fig. 8, 2) (sites 7 et 19). Les seuls décors sont des cordons pleins lissés collés à la base des encolures (sites 4 et 20 du V e - I er s. av. J.-C.). Aucun fragment de meule n'est signalé sur les gisements de l' âge du Bronze final. Ce constat pourrait traduire le caractère saisonnier de l'habitat, où l'on récupère en partant ce type de matériel, mais il peut être aussi lié au seul hasard des découvertes. Quatre sites datés entre le V e et I er s. av. J.-C. ont livré des fragments de meule. L'origine du matériau utilisé pour leur confection indique qu'il s'agit d'importations à partir du littoral varois : basalte de la Courtine à Ollioules (sites 1, 4 et 14) et rhyolite de l'Estérel (site 18). Une seule forme a pu être identifiée : meule va-et-vient type Py A en basalte du site 4. Comme partout ailleurs dans le Var, ce matériel est faiblement représenté dans l'inventaire du matériel : trois épingles en bronze à petite tête sphérique (site 8) et un anneau en bronze coulé (site 19). Sa rareté pourrait s'expliquer par une récupération des objets périmés, en raison de la quasi-absence des ressources minières, mais aussi par la pauvreté des populations indigènes. Le potentiel archéologique de la plaine de Saint-Maxi - min-la-Sainte-Baume n'a pu être évalué que grâce aux tranchées pratiquées pour l'installation de canalisations d'eau. Le schéma de la structuration spatiale de l'occupation des sols dans les plaines et de son évolution diachronique, doit donc tenir compte désormais de l'occultation des gisements par les dépôts alluvionnaires. Le territoire, objet de notre étude, apparaît très occupé durant toute la Protohistoire. Ce territoire, si on se réfère à la circulation des céramiques importées du VI e au I er s. av. J.-C., ne semble pas, sur le plan des échanges commerciaux, avoir été plus soumis à l'influence de Marseille que l'intérieur des terres du centre-est varois. Cette constatation est surprenante, dans la mesure où la vallée de l'Arc est l'un des accès vers Marseille, et qu'elle représente un important couloir de circulation naturel. Par contre dès le I er s. av. J.-C. il sera soumis à l'influence d'Aix-en-Provence. Crédit graphique : Philippe Aycard, Jacques Bérato, Marc Borréani, Michel Cruciani, Vincent Krol et Françoise Laurier
Le potentiel archéologique de la commune de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume, qui se résumait pratiquement à quelques habitats groupés et fortifiés de hauteur de l'âge du Fer, n'a pu être évalué que grâce aux tranchées pratiquées pour l'installation de canalisations d'eau. Le schéma de la structuration spatiale de l'occupation des sols dans les plaines et de son évolution, doit donc tenir compte désormais de l'occultation des gisements par les dépôts alluvionnaires. Le territoire, objet de notre étude, apparaît très occupé depuis l'âge du Bronze final II/III jusqu'au I s. av. J.-C. L'habitat ouvert de plaine et de piedmont y occupe une large place.
archeologie_525-02-11109_tei_130.xml
termith-17-archeologie
Que ce soient les escargotières pyrénéennes ou les niveaux coquilliers armoricains, les dépôts préhistoriques de coquilles pèsent encore lourdement dans les images mentales générées par les archéologues pour qualifier la période mésolithique. Et la pondération de ces données est un objectif liminaire incontournable de toute recherche sur la période, si l'on entend dépasser les confortables images d' Épinal léguées par nos prédécesseurs. Ces sites véhiculent une image de populations sédentaires, avec une représentation sous-jacente misérabiliste liée à la consommation intense de produits de la mer ou des estuaires, soit un substrat de peuples autochtones prêts à sauter sur la moindre opportunité de développer l'agriculture ou l'élevage. Cette image de peuples mésolithiques passifs face à la néolithisation est le reflet de modèles éculés élaborés dès le début des recherches sur cette période-clef, pour satisfaire une lecture historique faite de phases de décadence ou de sauvagerie. Le mauvais usage des méthodes de datation n'a fait que conforter ces conceptions puisqu'il entraîne un étalement des phénomènes historiques. En effet, le mauvais contrôle stratigraphique des prélèvements, la désaffection de la typo-chronologie et les intervalles de confiance des datations par le radiocarbone conjuguent leurs effets pour dessiner des évolutions lentes et des transformations graduelles. Il n'est évidemment pas possible d'arriver à des conclusions contraires avec ces méthodes; les événements brutaux ou rapides sont insaisissables. De manière inéluctable, l'image de paisibles chasseurs en dehors de l'Histoire imprègne les esprits. En Bretagne, inlassablement, les archéologues sont conduits à interroger ces sites à dépôts coquilliers (Tableau 1), qui seuls disposent d'une vaste gamme de vestiges organiques préservés, dissous sur les autres habitats du Massif armoricain. Les travaux en cours sur cette documentation partiellement publiée répondent à plusieurs problématiques, aujourd'hui convergentes, concernant la hiérarchisation sociale comprise à partir des nécropoles de Téviec et Hoëdic (Schulting 1996), les changements alimentaires lors de la néolithisation (Schulting & Richards 2001), le sous-système technique lithique (Marchand 1999, 2000), l'exploitation de la faune terrestre (Tresset 2000, 2003) et marine (Dupont 2003). Les résultats obtenus nous permettent dès lors de rendre plus complexes les modèles de fonctionnement de ces sociétés contemporaines du basculement vers les économies de production. En effet, si l'on connaît des dépôts coquilliers datés du VII e millénaire et associés à une industrie lithique Mésolithique récent à l'embouchure de la Loire (Saint-Gildas IB à Préfailles, Loire-Atlantique), c'est lors de la seconde moitié du VI e millénaire avant J.-C., et seulement dans le sud de la Bretagne (fig. 1), que l'on rencontre les dépôts anthropiques de coquilles associés à des habitats (Schulting 1999). Au même moment, les populations du Centre-Ouest de la France sont déjà en possession de techniques issues du Néolithique ancien méditerranéen (Joussaume 1986). Par ailleurs, une datation récente obtenue sur coquille à Beg-er-Vil laisse la possibilité d'une perduration des communautés mésolithiques jusqu'au début du cinquième millénaire avant J.-C., même si le mauvais contrôle de l'effet de réservoir océanique impose des réserves sur la valeur de ces comptages isotopiques. Les faits archéologiques disponibles nous autorisent donc, dans cette région, à travailler sur les zones de contacts entre communautés prédatrices et productrices (Marchand 2003), et plus particulièrement sur ce qui a assuré la pérennité d'un système technique, dont on perçoit aujourd'hui la forte implantation sur toute la péninsule, à partir par exemple des 62 sites du Mésolithique récent-final détectés. Se pose alors la question de l'importance réelle des quelques sites à niveaux coquilliers dans la vie économique et sociale des groupes mésolithiques. Pour y répondre, il faut en premier lieu examiner le fonctionnement de ces habitats et notamment l'étrange superposition d'activités que l'on découvre en considérant les structures préservées et leurs relations stratigraphiques, jamais envisagées par les chercheurs. En second lieu, nous chercherons à insérer ces niveaux coquilliers dans un réseau économique plus large. Peut-être seul véritable amas coquillier mésolithique du sud de la Bretagne, le « tumulus » de Beg-an-Tour (Clohars-Carnoët, Finistère) a été éventré en 1870 par S. Peyron pour laisser la place à une carrière de pierres. D'un diamètre de 10 m pour une élévation maximale de 1,80 m, cette accumulation présentait une couche basale épaisse de 0,70 m au centre, constituée aux deux tiers de coquilles et contenant des ossements d'hommes et d'animaux, ainsi que des silex taillés et des foyers. Cette couche était surmontée d'un niveau de galets marins sur une épaisseur de 0,30 m, puis d'un niveau de sable et de terre végétale (France 1875; Du Châtellier 1889). Aujourd'hui, dans les déblais de la carrière abandonnée, les vestiges du Mésolithique moyen abondent et on peut penser qu'ils proviennent de ce dépôt coquillier, dont tout le matériel a disparu. Ce faux démarrage de la recherche sur la période mésolithique en Bretagne allait être rattrapé par P. Du Châtellier dix sept années plus tard, avec ses travaux à Beg-an-Dorchenn (connu également sous le nom de La Torche - Plomeur, Finistère), très sommairement publiés (Du Châtellier 1881), puis sur le même site par C. Bénard le Pontois (Bénard et al. 1919; Bénard 1929). Au cours des années 1930, et de meilleure manière, M. et S.-J. Péquart allaient enfin lancer sur des bases scientifiques l'exploration du Mésolithique de l'ouest de la France, à partir de leurs fouilles dans le Morbihan, d'abord à Téviec (Saint-Pierre-de-Quiberon; Péquart et al. 1937), puis à Hoëdic (Péquart & Péquart 1954). La renommée de ces sites tient avant tout à la présence de nécropoles, au sein même des habitats, qui documentaient pour la première fois le monde spirituel de ces populations. A Téviec, l'inhumation de vingt-trois individus dans dix fosses sépulcrales au sein même des déchets alimentaires s'est accompagnée de la construction de petits cairns. A Hoëdic, ce sont huit sépultures creusées pour quatorze individus que M. et S.-J. Péquart ont fouillées. En déterminant avec précision les espèces de coquillages récoltées pour la parure, Y. Taborin a pu travailler sur la différenciation sexuelle et le symbolisme (Taborin 1974a, b). Lorsque, au début des années 1970, J.-G. Rozoy entreprend la classification du Mésolithique français (Rozoy 1978), il s'appuiera en priorité sur les niveaux coquilliers de Téviec et Hoëdic pour définir le Téviecien, terme encore en vogue pour désigner cette entité technique homogène à l'échelle de la région Bretagne. Au milieu des années 1980, c'est tout naturellement vers des niveaux coquilliers que O. Kayser s'est tourné pour lancer ses recherches, avec des fouilles sur Beg-an-Dorchenn fortement dégradé par le tourisme de masse et l'action de l'océan (Kayser 1985; Rault 1992) et sur Beg-er-Vil à Quiberon (Morbihan), découvert en 1970 par G. Bernier (Bernier 1970; Kayser & Bernier 1988; Poissonnier & Kayser 1988; Marchand 1999). A l'heure actuelle, ce dernier site est le seul niveau coquillier partiellement préservé, les autres ne subsistant qu' à l'état de minces lambeaux. Pour provoquer un effet de contraste et contrebalancer cette image de Mésolithique exclusivement côtier, P. Gouletquer a lancé en 1988 de vastes campagnes de prospections à l'intérieur du Finistère. Le succès de cette entreprise, qui a vu la découverte de centaines de sites et indices de sites, permet aujourd'hui d'intégrer les habitats littoraux dans un espace qui leur donne réellement sens (Gouletquer 1990; Gouletquer et al. 1996; Marchand 2001). Notons, pour ne plus y revenir, qu'il s'agit, en Bretagne, de niveaux coquilliers de moins d'un mètre d'épaisseur, qui ne constituaient pas des dômes dans le paysage, à la manière des amas coquilliers de la rivière de Muge au Portugal. La position des habitats à déchets coquilliers dans le paysage du Mésolithique est assez difficile à apprécier en raison de la remontée du niveau de la mer d'une dizaine de mètres, qui a détruit ou dissimulé les anciennes formes littorales. Comme l'indiquent leurs noms en breton, Beg-an-Dorchenn, Beg-er-Vil et Beg-an-Tour sont des pointes, quoiqu'en en réalité, les habitats occupassent un côté du promontoire et non son extrémité, soit une position un peu en retrait et moins exposée aux vents. A Hoëdic, c'est la totalité de la petite pointe de Port-Néhué qui est investie, mais sur le littoral qui fait face au continent et donc à un endroit moins exposé. Il reste le cas de Téviec, à l'époque rattaché au continent mais déjà exposé, à l'ouest, à toutes les intempéries. On soulignera par contraste la position de sites non-coquilliers en sommet de falaise, sans aucune protection naturelle, qui sont des types d'habitats contemporains nettement plus nombreux et très mal connus. Si Paul du Châtellier soulignait à la fin du XIX e siècle la très forte induration du « kjökkenmödding » de Beg-an-Dorchenn (ou La Torche), dont témoigne d'ailleurs un prélèvement visible au Musée de Penmarc'h, les niveaux coquilliers sont d'ordinaire fort meubles, ce qui favorise l'érosion naturelle en sommet de falaise. Ils sont épais de 0,20 à 1,0 m (fig. 2) et constitués de coquilles marines fragmentées, mais aussi de cendres, de charbons, de sables et de limons qui forment un sédiment noir, peu argileux et très organique, dont personne n'a encore étudié en détail la composition. Les galets marins apportés par les hommes sont très nombreux, portant en général la trace de l'action du feu. La mise en place de ces niveaux de coquilles semble se faire par accrétion, dans une dynamique à la fois verticale et horizontale si l'on en croit les petites accumulations « mono-spécifiques » de coquilles. Aucun fouilleur en Bretagne n'a cependant adapté sa fouille à ces milliers d'unités stratigraphiques, en théorie seule méthode valable, mais en pratique difficile à réaliser sur le terrain. Tous les types de structures sont réunis et superposés sur ces espaces, à l'exception de traces probantes d'habitation, peut-être installées en périphérie, peut-être trop légères pour avoir laissé des traces. Lors de la fouille de Téviec, M. et S.-J. Péquart ont mentionné trois types de foyers (fig. 3, 4) : les « foyers domestiques » dont l'aménagement est hâtif, voire inexistant, les « foyers culinaires » ou « grands foyers » (au nombre de sept), parfois accolés aux massifs funéraires et soigneusement construits en fosse, avec un parement circulaire régulier, les « foyers rituels », sortes de petits coffres installés dans les monuments funéraires, entre la dalle de couverture de la tombe et le tas de pierres (nommé parfois cairn). Les foyers de Beg-er-Vil et de Beg-an-Dorchenn sont principalement non appareillés. Il existe également des fosses simples, non appareillées et peu profondes, détectées lors des fouilles récentes à la base des niveaux coquilliers, à Beg-an-Dorchenn et à Beg-er-Vil. Soulignons que, pour l'archéologue du XX e siècle, ces fosses n'ont été perceptibles que lorsqu'elles étaient encaissées dans le sédiment naturel, aussi semblent-elles parfois apparaître à la base; il faut évidemment se méfier d'une telle observation. A Beg-er-Vil, elles ont pu être interprétées comme des fosses-dépotoirs, des fosses de stockage ou des fosses sépulcrales (Poissonnier & Kayser 1988). Dans ce dernier cas, le diagnostic du fouilleur repose sur la découverte de mobilier particulier, ainsi de la fosse de Beg-er-Vil (galet allongé, bois de cerf ou couteau à dos), déjà signalée, ou encore d'une fosse ovalaire à Beg-an-Dorchenn découverte lors des fouilles d'O. Kayser, « contenant des galets allongés et deux éléments tronqués » et « recouverte d'un pavage sommaire surmonté d'un énorme bloc » (Le Roux & Thollard 1990, p. 31). Les fosses sépulcrales sont, elles, toujours creusées dans le niveau coquillier, puis dans le sol, que ce soit à Téviec, à Beg-er-Vil ou à Hoëdic. Ni les parois, ni le fond ne sont véritablement aménagés, si l'on excepte quelques dalles sur les bords de la fosse à Téviec ou éparses sur le mort à Hoëdic. La réunion des sépultures en un même lieu permet de parler de nécropoles. Les tombes les plus complexes sont à la fois des sépultures collectives (inhumations successives) et multiples (inhumations simultanées). Une aire dallée d'un diamètre de 5 à 6 m a été découverte à Hoëdic, mais elle est fort peu documentée (Péquart 1954). A Beg-an-Dorchenn, C. Bénard le Pontois en signale deux autres, d'un diamètre de 2,5 m, avec des murets et un foyer central, mais il n'y a que deux mauvaises photographies pour en juger (Bénard 1929). A l'exception des murets, O. Kayser devait également en trouver une semblable, réalisée à l'aide de grands galets de granite atteignant parfois un demi-mètre de longueur (Kayser 1986). Il pourrait s'agir d'habitations (Marchand 1999), mais il faut bien admettre que cette interprétation n'est guère plus argumentée que celle d'aire de palabres formulée par M. et S.-J. Péquart (Péquart & Péquart 1954). Les niveaux coquilliers du sud de la Bretagne sont donc des aires d'activité, des aires de rejet et des aires sépulcrales. On ne peut que regretter que les fouilleurs aient borné leurs interventions aux aires à coquilles, sans étendre les investigations autour. Selon notre regard, l'implantation de sépultures aux rituels complexes et standardisés dans un véritable fumier humain, fait de coquillages et de détritus divers, reste une énigme, parce qu'il mêle des fonctions sociales radicalement séparées dans l'espace de notre société : la vie quotidienne, la vie cultuelle, les cadavres, les ordures. Après avoir laissé derrière nous la vertueuse réflexion sur la relativité de notre regard, il nous faut nous interroger sur la mise en place de ce que l'on observe, avant même d'aborder le fonctionnement de cet habitat préhistorique. Car cet état final est peut-être un trompe-l'œil qui agglomère plusieurs phases distinctes de fonctionnement. C'est, hélas, à une archéologie de l'archéologie qu'il nous faut procéder puisque les informations reposent désormais dans les rapports et les publications. Se pose inévitablement la question de la contempora-néité entre les éléments archéologiques décrits plus haut. Les foyers domestiques sont épars dans la couche archéologique, séparés par des lits de coquilles et de déchets divers (ossements, silex taillés, percuteurs, galets brûlés). Ils apparaissent dès la base de la stratigraphie, avec à Beg-er-Vil une surface rubéfiée, ou à Téviec des foyers dans des creux du rocher. La question des tombes est plus complexe. A la suite des observations des époux Péquart, il est admis qu'elles sont implantées dans l'habitat, ainsi à Téviec « toutes les sépultures sont inclues mi-partie dans le sol naturel et mi-partie dans le kjökkenmödding qui les recouvre complètement » (Péquart et al. 1937, p. 25). A Hoëdic, il y a des fosses inscrites dans des failles du rocher et totalement recouvertes par des coquilles (fig. 2, 5), mais également des fosses s'ouvrant dans le kjökkenmödding. Les espaces funéraires sont emplis de coquilles (on trouve les termes d' « oreillers » et de « matelas de coquilles », par exemple pour la sépulture K de Téviec), ce qui ne serait pas le cas si la nécropole était antérieure à l'habitat. A Téviec, une dalle recouvre le mort et l'enchevêtrement de bois de cerf qui surmonte souvent le corps; un petit foyer était installé sur cette pierre, avec un coffre de pierre, rempli lui -même de sédiment coquillier (fig. 3). Dans certains cas, une dalle recouvrait ce foyer. Un cairn de gros blocs était ensuite assemblé; le plus grand de ces monuments mesurait 1,80 m de diamètre pour 1,30 m de haut (depuis le fond de la fosse). Puisque dans certaines tombes les corps étaient ensevelis successivement, on peut supposer un démontage et un remontage régulier de l'ensemble : au moins quatre fois pour la sépulture K de Téviec. Il est admis que les constructions de pierres étaient un dispositif de visualisation autant que de protection des corps et qu'elles étaient à l'air libre, puisqu'elles dépassaient parfois de la couche coquillière pour affleurer le sol. Mais on peut émettre l'hypothèse d'un dispositif en fosse, implanté dans un habitat déserté : cette « sanctuarisation » est parfois un paramètre pris en compte lors de la mise en place des monuments funéraires par les peuples néolithiques. Des pierres auraient été utilisées pour combler le trou et l'érosion des niveaux meubles supérieurs en aurait dégagé le sommet. Cependant, les Péquart affirment que les niveaux d'ouverture des fosses sont au milieu du niveau coquillier. Par ailleurs, les foyers dits culinaires accolés aux sépultures et creusés dans le sol naturel ont probablement été construits en même temps; il est en effet difficile d'imaginer un second creusement à côté de la tombe, qui aurait été ensuite rebouché. Les multiples ouvertures des « caveaux » sont un autre argument en faveur des dispositifs de visualisation, puisque aucun recoupement ne fut observé entre les sépultures, ce qui aurait été le cas avec des fossoyeurs procédant à tâtons. Si l'on cartographie les structures à Téviec et Hoëdic on distingue un espace funéraire restreint, d'environ 50 m 2 à Téviec (fig. 4) et 30 m 2 à Hoëdic (fig. 5), qui n'est pas exclusif des autres activités, si tant est que les foyers simples aient une valeur domestique et non pas uniquement cultuelle à cet endroit. Une estimation de la vitesse de dépôt peut théoriquement se faire en croisant les données radiométriques, la typo-chronologie et les remontages. Ce travail est en cours de réalisation à Beg-er-Vil, mais on peut d'ores et déjà noter qu'il n'y a pas d'évolution typologique des types d'armatures de bas en haut de la stratigraphie, alors que l'on sait toute leur diversité à cette période : à l'inverse des autres sites littoraux bretons, il n'y a à Beg-er-Vil que des bitroncatures symétriques (Kayser 1992). Il s'agit donc probablement de l'endroit où l'évolution rapide est la plus assurée, alors même que la stratigraphie montre une succession de structures (Tableau 2). Cette enquête laisse évidemment un goût d'inachevé et des regrets immenses devant les observations qui n'ont pu être réalisées, notamment sur une répartition spatiale différentielle des déchets de boucherie. Il est cependant évident que les tombes, les activités domestiques et les détritus ont cohabité; l'absence de recoupement entre sépultures laisse penser que cette coexistence était codifiée. Les données récentes obtenues par les analyses isotopiques faites sur les ossements humains soulignent le fort apport des protéines d'origine marine à Téviec (en moyenne 50 %) et surtout à Hoëdic (en moyenne 80 %), déjà insulaire à l'époque (Schulting & Richards 2001). Les travaux sur la saisonnalité des occupations à partir des coquilles et des oiseaux laisse aussi penser à des occupations longues (Dupont, dans ce volume), même si la confrontation avec d'autres données paléo-environnementales reste à terminer. Enfin, les caractères de l'industrie lithique montrent une amplification du rôle de l'outillage commun au détriment des armes de chasse sur ces habitats, si on les compare aux sites littoraux non-coquilliers (Marchand 2000). Le croisement des données plaide donc pour une semi-sédentarité (et pourquoi pas plus), et pour un rôle majeur de ces habitats dans la structuration du territoire. Y a -t-il des liens de complémentarité avec l'intérieur des terres ? Oui, répondent sans hésiter la plupart des préhistoriens de cette zone, sans pour autant en apporter des preuves. Il est vrai qu'aucune des analyses convoquées précédemment n'est possible dans les sites de l'intérieur, faute de préservation des matériaux organiques. Il reste cependant à interroger les économies d'acquisition des matériaux taillables et les territoires typologiques, qui sont autant d'indices à valeur géographique. Les prospections réalisées par P. Gouletquer et son équipe ont garni notablement l'intérieur du Finistère, transformant l'image que l'on avait des peuples mésolithiques en Bretagne (Gouletquer et al. 1996). A la suite, des sondages ont été effectués dans divers contextes topographiques par P. Gouletquer (Kergalan, Kervouyen, Ty-Nancien), P. Léopold (Quillien), E. Yven (Kervilien), Y. Pailler (Lanhuel) et par l'auteur de ces lignes (Kerliézoc, La Villeneuve, La Presqu'île, La Trinité Goarem Land, Kerdunvel); il n'est jamais possible de restituer convenablement l'organisation des habitats tant les labours sur des stratigraphies peu épaisses ont été destructeurs. Il n'en reste pas moins qu'un certain nombre de constats techniques et typologiques peuvent être effectués sur le matériel de surface, tandis que l'implantation des habitats nous guide vers des manières d'appréhender l'espace. Pour le Mésolithique contemporain des niveaux coquilliers à l'extrémité de la péninsule, P. Gouletquer avait pu montrer l'existence de vastes sites à une vingtaine de kilomètres du littoral et plus loin vers l'intérieur, le long de la vallée de l'Aulne. De petites stations les entourent, qui formeraient un système équivalent à celui du littoral, exposé plus haut. On peut ajouter qu' à cette période, le rapport à l'eau (océan ou fleuve navigable) et l'absence de situation dominante (dite défensive pour d'autres périodes) sont des caractères très communs, qui diffèrent notablement de ceux de la période précédente. Supposer que les grands habitats des basses terrasses ont pu accompagner une économie de pêche aux saumons reste, quoi qu'il en soit, parfaitement conjectural, à cause de la destruction des ossements par l'acidité des sols. Une typologie fine de certains caractères des bitroncatures symétriques laisse deviner trois styles peu prononcés et distincts dans l'espace (fig. 6), même si le Téviecien garde une unité certaine à l'échelle de la Bretagne. Ce premier degré de lecture des assemblages lithiques introduit à une partition de l'espace, accentuée encore lorsque l'on prend en compte l'économie des matières premières. Car jamais, depuis le Paléolithique moyen, les roches métamorphiques et sédimentaires du Massif armoricain n'ont été autant sollicitées qu'au Mésolithique final pour la réalisation des outillages, alors que leur aptitude à la taille n'est pas particulièrement‘évidente. L'éventuelle raréfaction du silex peut être invoquée, mais cette hypothèse ne vaudrait que si on ajoute que les hommes du Téviecien ont préféré sacrifier la qualité de leurs outillages plutôt que de recourir à des importations de silex à longues distances – comme au Néolithique. On constate que la dispersion des meilleures roches autochtones ne dépasse guère les 25 à 30 km, avec une déformation nette des aires de dispersion en direction de l'intérieur de la péninsule. Les matières autochtones atteignent rarement le littoral et il n'y en a pas dans les quatre niveaux coquilliers considérés ici. Les contacts entre le nord et le sud de la péninsule semblent apparemment nuls; en tous les cas, rien ne laisse penser à un territoire de migration à cette échelle. Jusqu' à présent, ni le microquartzite de La Forest-Landerneau, ni l'ultramylonite de Mikaël ne sont connus dans le sud du Finistère. Autre caractère important à noter : rares sont les sites du Mésolithique final où domine une roche autochtone, hormis les sites-carrières pour reprendre un terme proposé par E. Yven (Yven 2002). Le silex reste en effet la roche privilégiée qui parcourt, elle, jusqu' à 60 km, ce qui implique des relations permanentes entre l'intérieur et la côte, qu'elles soient directes ou indirectes. Il y a donc une relation de complémentarité évidente mais l'hypothèse d'aires de nomadisme appuyées à la fois sur les ressources terrestres et marines n'est pas la plus appropriée, puisque les roches de l'intérieur n'arrivent jamais sur la côte. L'hypothèse d'échanges semble aujourd'hui davantage rendre compte de ces observations. Les analyses isotopiques sur les ossements humains qui montraient une forte part de nourriture d'origine marine dans l'alimentation (Schulting & Richards 2001) vont aussi dans le sens d'une relative stabilité des groupes humains. Les niveaux coquilliers ne peuvent être appréhendés sans un regard appuyé sur les sites contemporains non coquilliers, nettement plus nombreux. La spécificité des premiers n'en est que plus manifeste. La raison d'une telle accumulation de coquillages peut être liée à une disponibilité du milieu : l'économie à large spectre bien documentée sur ces habitats va dans le sens d'un tel opportunisme. Cette possibilité de vivre longtemps au même endroit à partir d'une économie de pêche et de collecte ne détermine pas toute la structure sociale et la stabilité relative des hommes semble également être de mise loin des rivages. Elle n'explique certainement pas non plus de manière univoque l'enchevêtrement des vivants, des morts et des ordures. Il s'agit d'un trait majeur de la conception de l'espace social, qui définit un espace « ultra-anthropisé » par rapport à d'autres types d'habitats, dits « logistiques ». L'existence possible de sépultures lignagères au sein de la nécropole confère en outre une profondeur temporelle à ces habitats, véritables pivots du territoire sur le littoral, conçus comme des lieux « d'où l'on est » et « où l'on revient ». Plus que d'une sédentarité véritable - que nous ne parviendrons probablement jamais à réellement démontrer - ce caractère témoigne d'une conception du territoire comme d'une entité stable, peut-être guère différente de celle qui prévaut chez les bâtisseurs de monuments mégalithiques. Le degré de nomadisme dans toutes ces cultures apparaît comme subsidiaire pour notre propos. Une telle vision du monde trouverait des parallèles au Portugal, dans les grands amas de la rivière de Muge (Roche 1972a) ou dans les niveaux coquilliers du Sado (Arnaud 1989), mais avec des modalités différentes. Des centaines de squelettes y furent inhumés, mais apparemment sans réouverture des tombes ni manipulation des corps. Par ailleurs, à Muge, les tombes sont à la base des amas coquilliers (Roche 1972b, 1974), ce qui implique peut-être un rapport moins étroit avec la mort qu'en Bretagne, puisque rien ne semble signaler la tombe aux occupants des habitats. Il n'est pas interdit de penser que les grands habitats de l'intérieur, si dégradés, ont pu avoir un rôle équivalent. En évoquant maintenant le meurtre de l'individu 6 de la tombe K de Téviec, on prend le risque de la sur-interprétation ou du déterminisme social exagéré, mais il est intéressant de noter que la seule armature identifiable est mésolithique (un triangle scalène) et il est toujours possible de corréler cette trace de violence avec des affirmations territoriales exacerbées. Le basculement du mode de vie mésolithique semble rapide et drastique en Bretagne. La signature isotopique des ossements montre que les nourritures d'origine terrestre prennent durablement le pas sur celles d'origine aquatique sur toute la façade atlantique (Lubell & Jackes 1988; Richards et al. 2003). Et pourtant, les dépôts de coquillages accompagnent toujours les habitats littoraux du Néolithique, au moins à la période récente (Le Rouzic 1930; Laporte et al. 1998), puis plus tard au Moyen-âge, avec différentes espèces récoltées suivant les systèmes économiques impliqués. De même, les systèmes techniques mésolithiques, héritiers de traditions mises en place dès l'Azilien récent (vers 11500 avant J.-C.), vont disparaître sans laisser de traces (Marchand 1999). Y a -t-il eu tout simplement remplacement de populations ou encore génocide ? Ce mode de vie, richement illustré par les sites coquilliers de Bretagne, était-il moins attrayant ou trop misérable ? On retrouverait alors les modèles tacites exposés en introduction de cet article. Il y a pourtant d'autres paramètres à prendre en compte dans l'adoption du mode de vie néolithique, comme la déstabilisation des sociétés mésolithiques par l'arrivée de nouvelles techniques contrôlées par un petit nombre d'individus ou encore l'irruption de nouveaux cadres spirituels si l'on poursuit jusqu' à l'extrême ouest la dynamique de néolithisation proposée par J. Cauvin (Cauvin 1994). Si la conclusion nous est connue, il est évident que les étapes de cette mutation restent à documenter. Nul doute que les niveaux coquilliers seront encore largement sollicités dans les démonstrations. Mais la réflexion sur la néolithisation devra tenir compte de ces aspects territoriaux, que nous sommes allés chercher dans la typologie des armatures, dans l'économie des matériaux ou dans les isotopes stables des ossements humains. Ces territoires forment autant de cas particuliers, dans lesquels les réactions aux nouveaux modes de vie ont pu varier .
Riche d'une longue tradition de recherche, la Bretagne offre l'opportunité de travailler sur quatre habitats littoraux à dépôts coquilliers de la fin du Mésolithique (seconde moitié du VIe millénaire avant J.-C.). Une analyse stratigraphique précise est menée à partir des données des fouilles anciennes ; elle permet de décrire des habitats òu se mêlent activités du quotidien, zones de déchets et zones funéraires, abandonnés après des occupations de longue durée. Leur insertion dans un réseau économique plus large est réalisée par un croisement des données paléo-environnementales, économiques et technologiques. L'analyse des marqueurs territoriaux ne plaide pas en faveur des hypothèses de complémentarité entre l'intérieur et le littoral, mais plutôt pour une relative stabilité des groupes humains, avec un morcellement des territoires. Le rôle central du site coquillier apparaît alors clairement dans la conception mésolithique du territoire. L'estimation du degré de richesse de ces économies est un exercice qui reste difficile ; de ce fait, la dynamique locale de la néolithisation est encore fort conjecturale.
archeologie_08-0169328_tei_317.xml
termith-18-archeologie
Le traitement thermique des roches, et en particulier des roches siliceuses, est un domaine qui intéresse tout particulièrement les préhistoriens. De nombreuses expérimentations ont déjà été tentées pour reproduire et expliquer les changements structuraux du silex. Ainsi la reconnaissance physique du traitement thermique intentionnel, liée à la taille du silex, est établie depuis maintenant plus de trente ans (Crabtree et Butler, 1964, Bordes 1969, Inizan, Roche, Tixier, 1976-1977). Le diagnostic est principalement fondé sur la présence de plages restées mates en contact avec l'air chaud et de plages luisantes sur les produits débités ou façonnés après chauffe. En revanche, l'étonnement des blocs qui consiste à chauffer puis refroidir rapidement une roche pour développer des fissures existantes ou en créer de nouvelles et en faciliter l'éclatement, n'a fait l'objet d'aucun protocole expérimental et reste encore aujourd'hui uniquement documenté par les témoignages ethnographiques (Mandeville 1973). L'éclatement par choc thermique ou le traitement thermique progressif des roches sont assez souvent mentionnés à des degrés de précisions différents dans la littérature ethnographique. M. D. Mandeville a notamment élaboré un travail de recherche sur les témoignages des différents usages de l'action du feu sur les matières minérales au sein des populations de tradition “primitive” (Mandeville 1973). Nous avons sélectionné certains d'entre eux concernant tout particulièrement l'étonnement. C'est ainsi que H. Lehmann capturé en1870 par les Apaches, décrit la pratique de l'étonnement d'énormes blocs de silex sélectionnés ensuite pour le minimum de mise en forme qu'ils requièrent (Lehmann 1927). On apprend avec E. H.Man (Man 1883, p. 380) que les aborigènes de l' île d'Andama (Australie) procèdent de manière identique mais cette fois pour le grès, et que les Viards du nord de la Californie utilisaient également l'étonnement pour obtenir une série d ' “éclats” (Power 1877). Les Yuroks, dans la même région des Etats-Unis, éclateraient des blocs diaclasés que faciliterait l'étonnement après refroidissement (Schumacher 1874, p. 356). Enfin, A. P. Elkin relate l'utilisation du choc thermique pour la fracture de petits galets de silex dans le Northern Kimberley, en Australie (Elkin, 1948). En fait, si la pratique de l'étonnement semble assez couramment utilisée et cela pour différentes roches, l'ensemble de ces récits ne donne que peu ou pas d'indications sur les différentes chaînes opératoires. Le type de roche n'est pas toujours mentionné, ni même leurs dimensions. Plus récemment P. Pétrequin, à propos de l'étude des haches de pierre en Irian Jaya (Indonésie), décrit l'éclatement des gros blocs de basalte par choc thermique avant sélection des éclats à arêtes vives et dégrossissage au percuteur de quartzite par percussion directe (Pétrequin 1993). Si le référentiel ethnographique est étoffé, il faut bien admettre en revanche que l'étonnement reste encore mal identifié dans le matériel archéologique. Mais rappelons par comparaison qu'au début des années 60, la présence du traitement thermique concernant cette fois -ci la chauffe progressive du silex, ne s'est pas d'emblée imposée aux préhistoriens malgré des stigmates plus lisibles que ceux induits par l'étonnement des blocs. Crabtree puis J. Tixier et F. Bordes ont été, dans le milieu des années 60 parmi les premiers à observer des traces de traitement thermique sur des outils préhistoriques (Crabtree cité dans A. Jelinek 1965), sur des fragments de feuille de laurier provenant de Laugerie-Haute en silex Bergeracois (Inizan et al. 1976, Bordes 1969), ou encore sur plusieurs pointes de flèches provenant d'Algérie (mentionné par J. Tixier dans Inizan et al. 1976-1977 et Dedieu 1965). Dix ans plus tard, François Bordes (Bordes 1976) évoque le scepticisme de ses collègues préhistoriens concernant le traitement à la chaleur de certaines pointes de Kimberley provenant de collections australiennes. En fait, si la caractérisation des stigmates de chauffe n'est pas fondamentalement remise en question par les préhistoriens, en revanche, le caractère intentionnel de la chauffe en contexte préhistorique semble poser un problème. Il faut donc attendre la fin des années 1970 avec la parution du premier article de synthèse (Inizan, Roche, Tixier 1976-1977) qui intègre les principales analyses expérimentales liées au traitement thermique mais aussi les divers exemples ethnographiques rencontrés notamment en Amérique du Nord et dans le nord de l'Afrique pour que soit admis par les préhistoriens le postulat d'un pré-traitement du silex par la chaleur avant les opérations de façonnage ou de débitage en contexte archéologique. Pourtant, de nombreuses expérimentations ont permis de reproduire le phénomène mais aussi de l'expliquer. Dix ans après l'article de D.E. Crabtree et B.R. Butler en 1964 (Crabtree et Butler 1964), B.A. Purdy (Purdy 1974) entreprend une recherche approfondie sur les phénomènes alors inexpliqués de transformations structurelles provoquées par la chauffe qui donnent au silex une meilleure aptitude à la taille et un aspect mat/luisant caractéristique. Aujourd'hui, le traitement thermique des roches n'est plus à démontrer " cette technique est mise en relation avec le débitage par pression qui doit avoir une origine Sibéro-mongole à la fin du Pléistocène " (Inizan et Tixier 2000, p. 23). La détermination d'un silex chauffé reste assujettie à une évaluation visuelle qui répond à des critères très variés. La qualité du silex, sa porosité, son taux de silice mais aussi l'environnement dans lequel il est chauffé (sable, cendre, sciure), son taux d'humidité sont autant de paramètres qui modifient les stigmates de chauffe. A ce jour, c'est la présence d'un aspect mat en surface et d'un état de surface " gras " des cassures après chauffe qui reste le meilleur indicateur de l'action thermique. Ce lustré apparaît en tre 200° C et 400° C selon les types de silex mais 160° suffisent pour le silex de Bergerac (Inizan, Roche, Tixier 1976-1977). Les expérimentations de S. Binder sur le silex du Vaucluse (Bédoulien) ont permis de constater l'apparition d'un lustré à 200° (Binder com. personnelle). La rubéfaction est un autre critère de détermination qui varie également et dépend du taux de fer contenu dans le silex. Cette oxydation du fer qui se produit à la chauffe est un phénomène connu et largement décrit dans plusieurs articles (Mandeville 1973, Purdy 1974, Masson 1984, Binder et Pelegrin 1983). “Les changements de coloration sont toujours aisément perceptibles : les silex riches en fer se rubéfient plus ou moins si la chauffe se réalise en atmosphère oxydante (four, air libre). “L'intensité de cette rubéfaction révèle pour différents silex leur richesse respective en fer” (Masson 1984, p.32). En dehors des critères visuels, différentes techniques ont été mises en place pour établir avec certitude le traitement thermique : diffractométrie des rayons X, analyse des traces de fission, mesure de la thermoluminescence, résonance électronique de Spin, analyse thermique différentielle (Olausson et Larsson 1982, Olausson 1983, Robins et al. 1978). Elles restent toutes discutables en particulier quand la chauffe est de faible intensité. En Vaucluse, l'étude du matériel provenant de deux sites sauveterriens a permis de mettre en évidence une série d'indices laissant supposer la pratique d'une fragmentation du silex par choc thermique. Cette pratique qui reste à ce jour singulière au moins pour le Sauveterrien, mérite donc d' être décrite. Il conviendra d'en démontrer le caractère intentionnel ou tout au moins d'en donner un début de démonstration en préliminaire à une série d'expérimentations. Le site du Sansonnet (Crillon le Brave, Vaucluse) (fig n°1), fouillé par J. Buisson Catil (Buisson Catil et al.1999) se trouve à proximité d'un affleurement de silex crétacé. Ce dernier est donc abondant et se présente sous forme de gros rognons pluri-décimétriques. L'étude de l'industrie lithique a mis en évidence la présence de plusieurs chaînes opératoires orientées vers la production de supports différenciés (1) - d'une chaîne opératoire de petits éclats aux modules assez proches de ceux recherchés pour les microlithes et obtenus à partir de nucléus à plans de frappe multiples, (2) - une chaîne opératoire de petites lamelles débités à partir de nucléus unidirectionnels, et enfin (3) - une production d'éclats plus épais détachés à partir d'un débitage orthogonal (Guilbert 2001). Au sein de cette industrie, de nombreux éclats et lamelles se distinguent par leur brillance. Mais, parallèlement, cet aspect est graduel et les pièces considérées comme douteuses n'ont donc pas été retenues. En revanche, vingt-six nucléus sur trente-sept au total ont incontestablement subi l'action du feu. Une dizaine de blocs non exploités ont été également séparés lors d'un choc thermique (fig n°2). L'un de ces blocs présente d'une part une rubéfaction intense qui homogénéise en rouge orangé la couleur de ses deux parties, d'autre part une série de négatifs d'éclats parasites luisants qui viennent contraster avec l'aspect globalement mat de la surface (fig. n°2). De plus, la partie sous corticale présente une zonation intense. Ici les oxydes ont migré en périphérie, formant un liseré très rouge sous cortical. La montée en température ou le refroidissement trop rapide a déstructuré la matrice de deux autres blocs. Leur surface non débitée est lisse. Une fois testés, les négatifs d'éclats laissent apparaître une surface accidentée, liée vraisemblablement au mauvais contrôle de la chauffe (fig. n°2). Ces derniers exemples sont précieux car ils attestent clairement l'antériorité de la chauffe par rapport au débitage. Ils viennent s'ajouter à l'imposante majorité des nucléus présentant des plages mates et des négatifs luisants, et parfois de grandes zones sur lesquelles on peut observer des séries d'ondes concentriques autour d'un noyau plus mat. En revanche, l'effectif des éclats pour lesquels l'action du feu ne fait aucun doute, reste faible (une dizaine de pièces au total). Pourtant les trois-quarts des nucléus attestent de son utilisation fréquente. Il s'agit d'éclats extrêmement luisants ou présentant une face inférieure irrégulière caractérisée par de multiples décrochements, qui attestent un mauvais contrôle de la chauffe. Le deuxième site sauveterrien étudié : les Agnels (Bonnieux, Vaucluse) (fig n°1), fouillé par M. Livache (Livache 1984), témoigne également de cette pratique sur les blocs de silex. Ce gisement compte plusieurs types de matières premières, mais l'action du feu n'est clairement repérée que sur l'une d'entre elles. Il s'agit d'un silex éocène bréchique à texture très hétérogène. Une partie de ce silex est de mauvaise qualité l'autre est au contraire très siliceux et présente un grain très fin. Notons au passage qu'un nucléus atteste de la concomitance de ces deux aspects. Encore une fois, la détermination des stigmates s'effectue plus aisément sur les pièces de plus gros module qui gardent des plages mates résiduelles. Ainsi, de toute évidence la difficulté du diagnostic réside dans l'intensité des stigmates. Or en ce qui concerne les blocs du Sansonnet, les contrastes entre plages mates et surfaces luisantes après débitage, sont peu marqués. Les stigmates sont beaucoup moins développés que ceux liés à une chauffe progressive. Par ailleurs, il se peut que l'éclatement au feu soit assez rapide. Le passage bref au feu diminue la netteté des stigmates de chauffe, et en l'occurrence le contraste entre plages mates et plages luisantes. Ajoutons à ce constat qu'un certain nombre de silex ne répond pas de la même manière aux actions du feu. Les quelques expériences personnelles effectuées sur du silex tertiaire permettent de constater un faible développement des plages luisantes (Guilbert en préparation). Constater la présence de l'étonnement des blocs de silex comme préambule au débitage induit une réflexion sur le niveau de prédétermination de ces populations de chasseurs-cueilleurs, qu'il reste à démontrer. On peut penser qu'au Sansonnet ces blocs ont été déposés malencontreusement au bord du foyer, et qu'ils ont été ensuite débités de manière complètement opportuniste. Toutefois, si cela était le cas, tout porterait à croire que l'effectif des pièces brûlées serait beaucoup plus important qu'il ne l'est dans le cas présent (une dizaine au total sur plus de deux mille pièces). Par ailleurs, rappelons que le diagnostic est établi à partir de plus des trois-quarts des nucléus, il ne s'agit donc pas de cas isolés. Bien sûr si ces éléments ne prouvent pas l'intentionnalité, ils réduisent la part d'opportunité. D'un point de vue culturel, on peut concevoir cette pratique de fragmentation et d'obtention de petits blocs comme le prolongement d'un procédé couramment rencontré dans les séries de l'Epigravettien terminal. Cet horizon culturel se caractérise par l'obtention de produits à partir de nucléus sur éclat (Binder 1980). Dans ce cas précis, l'étonnement du bloc comme celle de l'obtention de l'éclat support permet de réduire, voire d'éviter les premières phases de mise en forme, les séries de dièdres sur les fragments étonnés ou le dièdre de l'éclat détaché, permettant d'emblée l'exploitation du nucléus. Quoi qu'il en soit, si une production de fragments est obtenue par éclatement des blocs, cette technique reste néanmoins relativement aléatoire et impose une importante sélection. C'est probablement la raison pour laquelle de nombreux fragments de silex sont restés bruts de débitage. De surcroît ce tri suppose un dernier facteur qui est celui de l'abondance des disponibilités en matériaux siliceux. Le diagnostic a été possible au Sansonnet car nous possédions à la fois la totalité du matériel, des remontages et des blocs de silex ramassés en prospection. C'est donc l'analyse des chaînes opératoire et des différents aspects de la matière première qui nous a permis de valider l'hypothèse d'une facturation thermique par étonnement de l'industrie au Sansonnet. Si le caractère intentionnel de l'étonnement au cours du Sauveterrien nous semble l'hypothèse la plus probable, il est bien évident que la récurrence de ce phénomène sur plusieurs sites est le moyen le plus sûr pour entériner cette affirmation. Mais parallèlement, il semble nécessaire d'entamer une série d'expérimentations sur l'étonnement. En effet, les diaclases internes du silex du Sansonnet engendrent l'éclatement des blocs assez rapidement. Le silex chauffé des Agnels est, quant à lui, très hétérogène. Ce cas de figure à déjà été rencontré, notamment chez les Yuroks (Schumacher op. cit.). Dans ce cas l'étonnement est facilité par la structure du silex, mais qu'en est-il des autres types de silex plus homogènes ?. Actuellement, nous ne maîtrisons aucun paramètre concernant les conditions nécessaires et suffisantes à l'éclatement des blocs, que ce soit sur la position des blocs au sein du foyer sur les temps de chauffe ou encore sur les températures de chauffe. Une série d'expérimentations programmées, intégrera l'ensemble de ces paramètres. Elle prendra en considération des silex provenant d'étages géologiques différents, afin de tester non seulement leur aptitude à l'étonnement mais aussi le niveau de lisibilité des stigmates caractéristiques d'une fracturation thermique .
L'observation des stigmates de chauffe du silex parallèlement aux remontages partiels de plusieurs blocs, à permis de démontrer la pratique de l'étonnement des blocs (fracturation par choc thermique) pour l'obtention de nucléus sur fragments dans deux ensembles lithiques sauveterriens du Vaucluse. La mise en évidence de cette pratique, marginale, pour cette période, apporte un éclairage nouveau sur les pratiques liées aux modalités de débitage des chasseurs sauveterriens.
archeologie_525-02-11799_tei_297.xml
termith-19-archeologie
En dépit du rôle joué par Agedincum, capitale du territoire sénon, au cours de la Guerre des Gaules, l'occupation de la région de Sens au I er s. av. J.-C. demeure singulièrement mal documentée (fig. 1). Le problème de la localisation de l ' Agedincum dont parle César doit encore être considéré comme largement ouvert. Il faut reconnaître que le dossier de l'occupation de l'agglomération de Sens antérieurement à la période augustéenne reste, en l'état actuel des données, des plus minces. En effet, en dehors du dépôt monétaire de la place de la gare trouvé en 1862, apparemment enfoui au I er s. ap. J.-C. (Delor, 2002, p. 648), et d'un lot important de monnaies gauloises et romaines découvertes peu de temps après avenue Vauban (ibid., p. 648), trouvailles qui peuvent laisser envisager la présence d'un sanctuaire gaulois à proximité du franchissement de l'Yonne en rive gauche aux abords du faubourg des « Sablons », on ne connaît pratiquement rien. Les seules traces d'occupation de La Tène finale connues à Sens sont localisées au quartier « Saint-Paul » à la confluence de l'Yonne et de la Vanne (ibid., p. 643); elles sont encore très mal documentées à défaut de publication. En dépit de leur caractère (habitat, activités artisanales, production de potins LT 7417 et, peut-être, de bronze frappés…), elles ne suffisent pas, à ce jour, à localiser à cet endroit la capitale d'un peuple aussi puissant que les Sénons, même s'il est vrai que l'on ne peut évaluer ni l'extension ni l'organisation de ce secteur. En revanche, l'oppidum du « Camp du Château » à Villeneuve-sur-Yonne (ibid., p. 777-778), avec ses 120 ha ceints d'un rempart, pourrait tout aussi bien revendiquer cette identification. Néanmoins, cette hypothèse reste fragile devant la méconnaissance que l'on a de ce site majeur dont, à l'heure actuelle, on sait peu de choses sinon qu'un sondage a livré des amphores Dr. 1 et des potins qui semblent indiquer une occupation dans un horizon La Tène D1b-D2a. L'occupation des campagnes de la vallée de l'Yonne est quant à elle des plus mal connues. Le seul site complètement fouillé, l'établissement du « Champ Notre-Dame » à Saint-Denis-lès-Sens, occupé à La Tène D1b-D2 (Barral, 1994), est célèbre pour son trésor de statères globulaires à la croix (Barrandon et alii, 1993), mais son organisation et son évolution demeurent très mal connues en raison d'une documentation déficiente. À peu de distance, le site de « La Belle Oreille » a livré des structures liées à un établissement probablement ouvert installé près des berges de l'Yonne (Delor, 2002, p. 571). Si l'on fait abstraction des enclos connus uniquement par photographie aérienne, notamment sur les coteaux crayeux du Sénonais, en raison de l'absence de toute donnée chronologique objective, d'autres établissements délimités par des fossés ont été reconnus et partiellement fouillés. C'est le cas aux « Boulins » à Saint-Julien-du-Sault (Poyeton, 1999), à « La Plaine de Nange » à Rosoy (Delor, 2002, p. 558), au « Fond de Blanchard » à Gron (ibid., p. 392), aux « Terres aux Bœufs » à Cuy (ibid., p. 335), au « Champ de l'Eau » à Villemanoche (ibid., p. 771) et à « Prépoux » à Villeneuve-la-Guyard (ibid., p. 774). La documentation concernant ces sites est des plus succinctes. D'autres sites, probablement importants, mais au statut encore incertain, sont également signalés. C'est le cas de l'établissement des « Croûtes » à Saint-Martin-du-Tertre (Delor, 2002, p. 587-588), d'où provient une fibule en argent à arc cambré et nodosités, sans ailettes, dont la tête plate est ornée d'incisions (ibid., fig. 845). La présence d'un tel objet, d'origine probablement nord-italique, comme les fibules à ailettes naissantes de type Almgren 65 (Poux et alii, 2007), renvoie, ipso facto, à une population de rang social élevé, sans que l'on sache, en l'état actuel du dossier, si le site correspond à un établissement rural ou à un habitat groupé de hauteur dominant le cours de l'Yonne. Enfin, on ne sait à quoi correspond le site de « Thèmes » à Cézy (Delor, 2002, p. 266). Dans ces conditions, l'établissement du « Brassot » à Étigny, découvert et fouillé en 2000 au cours des opérations d'archéologie préventive entreprises dans les gravières de la vallée de l'Yonne (Augereau et alii, 2006), doit être considéré comme l'une des rares installations de la fin de l' Âge du Fer récemment fouillées, à même de documenter l'occupation de la proche campagne de la capitale du territoire sénon. La fouille du site du Brassot (partie orientale du lieu-dit) a livré des éléments de diverses occupations datées du Néolithique ancien, du début du Bronze final et de La Tène finale. Le site a subi une érosion mécanique probablement assez importante, comme cela est fréquent dans les plaines agricoles, sans que l'on puisse en évaluer l'impact réel; on notera l'absence de tout niveau d'occupation. Les structures liées à l'occupation gauloise sont peu nombreuses et localisées de part et d'autre d'un paléochenal de l'Yonne dessinant une boucle (fig. 2). On dénombre quatre groupes de structures localisés selon un axe nord-sud sur 130 m de long et disposés à intervalles réguliers. Au sud, la fosse 79 est isolée près de la limite de l'emprise archéologique; un peu plus au nord se trouve le bâtiment 1, puis, encore plus au nord figure le bâtiment 2 encadré par les deux fosses 37 et 38, alors que la limite septentrionale du site est matérialisée par les fosses 32 et 33. En l'absence de tout élément de délimitation, le site doit être considéré comme un établissement ouvert dont les structures sont alignées selon une bande longue de 130 m et large de 30 m environ. Le bâtiment 1 est une construction à structure porteuse constituée de neuf poteaux. L'emprise au sol est un rectangle de 6,50 x 4 m à trois files de trois poteaux. Les trous de poteau sont de forme quadrangulaire, de 0,50 m à 1 m de large, les fantômes des poteaux, circulaires et de 30 cm de diamètre, étant visibles dans le remplissage de sept des neuf fosses. Ce type de construction, largement répandu durant toute la Protohistoire, est habituellement considéré comme correspondant à un grenier surélevé à plateforme. La surface (et donc le volume) de stockage est importante puisque la superficie utile est de l'ordre de 26 m². Le bâtiment 2 est une construction carrée à quatre poteaux de 3,30 m de côté, les trous de poteau carrés mesurant 0,60 m de côté. Il est possible que l'on soit, là encore, en présence d'un grenier surélevé à plateforme, d'une surface utile de l'ordre de 10 m², mais cette interprétation n'est pas assurée, une ossature à quatre poteaux pouvant tout aussi bien correspondre à un petit hangar. On remarquera que les fosses 37 et 38 sont disposées de part et d'autre de façon rigoureusement symétrique, leur fonction étant probablement en relation avec celle du bâtiment 2. La fosse 79, en apparence isolée au sud du site, est un creusement vaguement circulaire à parois verticales. Il est possible qu'il s'agisse d'un petit silo cylindrique de 1,70 m de diamètre et 1,40 m de profondeur conservée. Les fosses situées symétriquement par rapport au bâtiment 2 (fosses 37 et 38) correspondent à des creusements ovales de 3 m de long et 1,80 m de large, à fond aplati et parois obliques de 0,70 m et 1,20 m de profondeur. Il n'est pas impossible que ces structures correspondent à de petits ateliers enterrés, même si aucun aménagement ni niveau de sol n'est apparu au fond lors de la fouille, le mobilier qui en est issu n'apportant pas d'élément déterminant dans ce sens. Enfin, la paire de fosses situées au nord associe une fosse quadrangulaire (fosse 33) de 2 m pour 1,50 m et 0,90 m de profondeur à parois obliques et fond irrégulier, à une fosse ovale de 1,90 m par 1,70 m pour une profondeur de 0,90 m. Ces deux fosses, riches en mobilier, sont atypiques. Les remplissages de toutes ces structures se sont révélés riches en apports cendreux ou charbonneux et en mobilier. La céramique, dont l'étude satisfait au protocole proposé lors de la table-ronde du Mont-Beuvray (Arcelin, Tuffreau - Libre, 1998), est représentée par 1141 fragments permettant d'évaluer un NMI de 69 vases (fig. 5). Huit catégories de production sont représentées : non tournée locale, non tournée de type Besançon, tournée fine ou semi-fine cuite en mode B, tournée fine cuite en mode B à pâte très micacée, paroi fine régionale, dérivée de campanienne A, commune à pâte claire et amphore italique. Les remontages (ou appariements) entre tessons provenant de différentes structures assurent la stricte contemporanéité des rejets pratiqués dans les fosses et, partant, de l'ensemble de l'occupation. Ces remontages concernent cinq récipients répartis dans les structures 32 et 33 d'une part, dans les structures 32 et 79 d'autre part, alors que les fragments d'une amphore étaient dispersés dans les fosses 37 et 38. Ces remontages revêtent un intérêt d'autant plus important qu'ils concernent des structures aussi éloignées que les fosses 32 et 33 d'un côté et 79 de l'autre, distantes de 130 m. Ils permettent d'envisager avec une très haute probabilité l'hypothèse selon laquelle les déchets générés par l'occupation ont été distribués dans les fosses depuis un seul et même point d'origine (habitation ou tout autre lieu d'activité) au cours d'un laps de temps sans doute relativement court et qu'ils ont été rassemblés dans des dépotoirs secondaires. Ils autorisent en outre à considérer ce mobilier comme constituant un seul et même ensemble. La céramique dérivée de campanienne A : un vase à pâte jaunâtre tendre, à enduit brun peu irisé et mal conservé, est représenté par quatre fragments répartis dans les fosses 33 et 79 qui semblent appartenir au même récipient (fig. 9, n° 1). Forme et production renvoient à la catégorie dénommée, en Languedoc et en Provence occidentale, « dérivée de campanienne A ». La forme est identifiable au type DER-A 2865 (Py et alii, 2001), anciennement dénommée Lamb.A 28c. La céramique à paroi fine : un gobelet à paroi fine, trouvé dans la fosse 32 (fig. 7, n° 1), présente une pâte beige semi-fine et un enduit rouge (usé dans la partie médiane de la panse). Du point de vue de la production, ce vase présente un lien de parenté avec la céramique à enduit lie-de-vin, fréquente en région parisienne (Séguier, 1999), mais la pâte se distingue ici par sa finesse. La forme est une imitation du gobelet à col concave Mayet II caractéristique des productions italiques et ibériques d'époque républicaine et tardo-républicaine. Le gobelet d' Étigny est vraisemblablement une production locale ou régionale ou, tout au moins, un vase issu d'un atelier de Gaule septentrionale. Il faut insister sur le caractère exceptionnel de ce récipient dans le contexte local, même si l'on connaît une imitation cuite en mode B à Saint-Denis-lès-Sens (Barral, 1994). La céramique commune claire : deux tessons à pâte orangée issus des fosses 32 et 33 sont de possibles fragments de cruches à pâte calcaire originaires de la vallée du Rhône ou du domaine italique, production assez bien illustrée dans l'agglomération de Varennes-sur-Seine (Séguier, 1999). La céramique tournée de mode B : avec trente-trois individus, elle représente 58 % du NMI de la vaisselle (c'est-à-dire compte non tenu des amphores) et domine donc largement cette dernière. Les pâtes sont toutes comparables à celles que l'on observe dans la vallée de l'Yonne jusqu' à sa confluence avec la Seine : pâtes fines ou semi-fines à inclusions de sables alluvionnaires fins (quartz, calcaire) et de mica. Le répertoire, qui se partage à égalité entre formes ouvertes et formes fermées, se compose de types tout à fait communs dans l'espace culturel des Sénons. Le corpus des formes basses est le suivant : jatte à épaulement lisse (fig. 6, n° 4; fig. 11, n° 3) ou à décor ondé (fig. 6, n° 3), jatte ou bol à profil en S (fig. 8, n° 6), jatte à bord oblique strié (fig. 8, n° 8; fig. 11, n° 4), jatte à bord rentrant (fig. 8, n° 7), bol arrondi à lèvre déversée (fig. 6, n° 5), bol arrondi à fond ombiliqué (fig. 6, n° 7), jatte tronconique, couvercle en Y à décor hachuré (fig. 8, n° 12). Le corpus des formes hautes se compose de pots en tonnelet à bord individualisé (fig. 6, n° 8) ou sans col, pot ovoïde à décor ondé (fig. 6, n° 9), pot ovoïde (fig. 6, n° 10; fig. 8, n° 9), pot ovoïde caréné (fig. 8, n° 10), pot ovoïde à base balustre (fig. 6, n° 11), pot indéterminé à décor ondé et hachuré (fig. 8, n° 11). Cet assemblage se singularise des séries de références régionales (Saint-Denis-lès-Sens : Barral, 1994; Varennes-sur-Seine : Séguier, 1999) par la rareté des jattes à bord rentrant, concurrencées ici, de façon inhabituelle, par les jattes à épaulement. On note également la présence, en nombre significatif, des jattes à bord oblique strié imitées des jattes de type Besançon, ce qui semble constituer une spécificité locale. Les bols arrondis, notamment celui qui est muni d'un fond ombiliqué, sont tout à fait classiques dans le contexte régional. Il en va de même du couvercle à lèvre en Y, dont le décor hachuré est, lui, en revanche tout à fait original. Quant aux pots, ils ne se démarquent en aucune façon de ceux des contextes de référence. La principale originalité tient à la présence de décors ondés au peigne combinés, dans un cas au moins, à un décor de hachures obliques déjà mentionnées sur le couvercle : il faut peut-être voir là une manière de faire propre à un atelier (ou à une tradition artisanale) local(e). Une variété de céramique tournée de mode B est constituée par de rares vases à pâte très micacée. Le corpus se compose au moins d'un bol arrondi à baguettes à décor ondé (fig. 11, n° 5). Ce récipient a toutes les chances de correspondre à une importation, mais en préciser l'origine demeure un exercice difficile. La typologie semble orienter aussi bien vers le domaine occidental (confluent Seine-Yonne, Val de Loire ?) que vers la Bourgogne. Un vase très proche par sa pâte, sa forme et son décor provient de l'habitat groupé de Varennes-sur-Seine (Séguier, 1996). On note de même que des bols à décor ondé sont connus à Avallon à la même époque (Barral, 1994, pl. 103, n os 15-16) et, à la période augustéenne, à Nevers. La céramique non tournée : avec neuf individus, elle représente à peine 15 % du NMI de la vaisselle. Les pâtes sont semi-fines ou fines, aucun récipient grossier n'étant identifié. La forme dominante est la jatte arrondie à bord rentrant (fig. 8, n os 1-2); l'un des vases a servi de récipient culinaire (caramel de cuisson interne), alors que la lèvre d'une autre a reçu un enduit noir végétal (poix, brai de bouleau ?). Les pots ovoïdes sont peu typés et de forme assez trapue (fig. 8, n° 3). Le pot en tonnelet élancé à col souligné par une baguette (fig. 6, n° 1) est une forme originale, inusitée dans le domaine des céramiques non tournées du territoire sénon. Il se pourrait que la forme soit inspirée du répertoire de la céramique tournée de mode B, dans lequel elle est attestée. Deux éléments, pourtant fréquents, sont absents de ce corpus (limité, il est vrai) : la jatte à profil en S et la jarre de stockage. La céramique de type Besançon : avec douze individus, elle représente 20 % du NMI de la vaisselle, ce qui, dans le contexte régional, constitue un score élevé, compte tenu du fait qu'il s'agit d'une céramique importée issue des ateliers morvandiaux. Le répertoire se partage à égalité entre les pots et les jattes. Les premiers présentent une lèvre déversée simple à cannelures internes (fig. 8, n° 4; fig. 11, n° 2; fig. 12, n° 2), les seconds une lèvre aplatie et rainurée, à section triangulaire (fig. 12, n° 1). Les jattes (fig. 6, n° 2; fig. 8, n° 5) montrent une lèvre comparable à ce second type; l'exemplaire dont les restes se partagent entre les fosses 32 et 33 présente la particularité de porter un décor ondé sur la lèvre et d'avoir une surface interne intégralement dorée au mica (fig. 6, n° 2). Cette dernière variante, qui semble rare chez les Sénons, est connue à Saint-Denis-lès-Sens (Barral, 1994, pl. 108, n° 36). Les amphores : tous les tessons, dont près de la moitié sont brûlés probablement suite à une réutilisation dans la construction des radiers des structures de combustion, renvoient aux productions de l'Italie tyrrhénienne. On compte onze individus dans les fosses, un autre étant identifié à partir d'un bord trouvé hors structure. La moitié des fragments et des individus présentent une pâte sableuse à nombreuses inclusions de minéraux volcaniques, caractéristiques des productions de la région pompéienne. Les autres correspondent à des pâtes calcaires ou sableuses d'origine étrusque. Du point de vue typologique et métrologique, les amphores d' Étigny se classent dans deux groupes bien distincts. Le premier est constitué par de grandes amphores aux parois épaisses, à lèvre haute en bandeau (fosse 33 : hauteur = 55,5 mm : fig. 9, n° 2) et à pied très massif (fosses 32, 37 et 79 : fig. 10, n° 1) : il s'agit du type Dressel 1B, dont on peut comptabiliser au moins trois individus d'après les fonds. Le second est représenté par des individus plus légers, à lèvre courte en bandeau (hauteur inférieure à 55 mm selon la définition de Tchernia, 1986) et anses plus minces; on peut en compter neuf exemplaires d'après les lèvres (fig. 6, n° 2; fig. 10, n° 2). Les mensurations de ces dernières montrent que cinq d'entre elles ont une lèvre dont la hauteur est supérieure à 50 mm, ce qui indique bien que celles de ces amphores qui n'entrent pas dans le domaine de variation des Dressel 1B se situent tout de même dans la partie haute du domaine de variation des dimensions des amphores italiques à lèvre courte (cf. Dressel 1A). Avec une centaine d'objets, le mobilier métallique est relativement abondant eu égard au volume globalement restreint des remblais fouillés. Les accessoires vestimentaires sont représentés par les restes de quatre fibules (trois en fer, une en bronze). Les deux seules à pouvoir être déterminées sont une fibule en fer à arc rubané de type Feugère 4a1b (Feugère, 1985) issue de la fosse 79 (fig. 12, n° 7) et une fibule filiforme en fer à arc coudé de type Feugère 4a1a ou 4c1 (idem) provenant de la fosse 38 (fig. 11, n° 6). La fosse 33 a livré une applique de forme rectangulaire allongée (fig. 9, n° 3) dont la face inférieure, légèrement concave, porte des traces noirâtres (restes de cuir ?) et se trouve dotée de deux rivets venus de coulée. Cette pièce est sans doute une garniture liée au domaine vestimentaire, à la buffleterie ou au harnachement, en raison de la présence probable de restes de cuir. Deux outils figurent dans le corpus. Le premier est un couteau long d'au moins 25 cm à soie plate (8 cm de long) et dos droit (fig. 7, n° 4) provenant de la fosse 32. Le second est constitué d'une tige courte bipointe sur laquelle est enroulé en hélice un étroit ruban formant virole (fig. 12, n° 5) (fosse 79) : peut-être s'agit-il d'un outil (poinçon, burin ?) dont l'emmanchement à soie, court, se trouve protégé par la virole pour des raisons mécaniques (protection du manche par exemple). Le premier instrument peut faire partie de l'équipement individuel et le second peut être lié au petit artisanat (poinçon ?) plutôt qu' à l'équipement agricole (aiguillon ?). La fosse 79 a livré un long ruban ployé et brisé en plusieurs fragments, probable fragment de lingot (fig. 12, n° 4). Cet élément est à comparer aux lingots à extrémités tordues de l'enclos des Aulnes du Canada à Beauvais qui présentent des dimensions et des torsions comparables (Woimant, 1990). Ce type de lingot, dont la reconnaissance n'est pas toujours aisée, est destiné à prélever de petites quantités de matière pour fabriquer ou réparer de petits objets. Les éléments les plus nombreux sont les clous, au nombre de 80 (auxquels il faut ajouter huit tiges sans tête). Presque tous sont à tête rectangulaire allongée et étroite. Seuls, deux d'entre eux sont dotés d'une tête plate circulaire, peu commune à cette époque : il est possible qu'ils aient eu, en plus de leur rôle de fixation, une fonction décorative. Comme le montre le graphique de dimensions (fig. 13), ces clous sont de petite taille, leur tige étant généralement grêle (à deux exceptions près). La distribution des longueurs adopte une courbe bimodale qui fait bien ressortir deux standards : l'un autour de 5 à 6 cm, l'autre autour de 10 cm. Cette dernière série de classes est néanmoins beaucoup moins représentée que la précédente et on observe qu'aucun clou n'atteint 14 cm de longueur. Deux conclusions semblent s'imposer. La première est que l'on a affaire à une production très standardisée (ce que l'observation de la morphologie des têtes rectangulaires allongées confirme largement). La seconde est que la presque totalité des clous a certainement pour fonction l'assemblage de pièces de bois liées à l'ameublement et au petit mobilier. Rares sont ceux qui, dépassant les 9 à 10 cm de long, ont pu jouer un rôle dans l'assemblage des pièces d'architecture ou d'huisserie par exemple. Il ne semble pas y avoir de véritable clou de charpente hormis, peut-être, deux gros clous non mesurables. De ce fait, on peut poser l'hypothèse selon laquelle l'architecture fait de préférence appel à l'assemblage à mi-bois, donnée qui est d'ailleurs largement généralisable à l'ensemble de La Tène D en territoire sénon, à quelques notables exceptions près dont le bâtiment principal de l'établissement de la Voie Neuve à Bazoches-lès-Bray, daté de La Tène D1 (Gouge, Séguier, 1994). En dehors des clous, les pièces liées à l'assemblage et à l'huisserie sont rares. Tel est peut-être la fonction d'un anneau fermé de 4 cm de diamètre, à section carrée (fig. 7, n° 3), de la fosse 32, qui pourrait appartenir à cette catégorie, mais qui a également pu jouer un rôle dans l'attache d'une anse de seau. Le soulève-loquet de la fosse 33 (fig. 9, n° 4), d'un type banal à La Tène finale, fait partie, quant à lui, de l'équipement domestique. Quelques objets divers proviennent des fosses. Deux jetons découpés dans des tessons de céramique de mode B et perforés pourraient être, en dépit de leur légèreté, des fusaïoles (fosses 32 et 33), alors qu'un disque de 5 cm de diamètre est découpé dans une panse d'amphore italique. Des fosses 32 et 37 proviennent des fragments de terre chauffée qui paraissent provenir d'au moins deux pesons de métier à tisser. La fosse 37 a livré également un fragment de meule en grès. Parmi les déchets artisanaux figurent quatre scories légères liées sans doute à la forge (fosse 32). D'autres éléments paraissent devoir être mis en relation avec les aménagements domestiques : fragment de torchis façonné (bord de foyer ?) dans la fosse 32, fragments de torchis sur clayonnage (fosse 38), petits blocs de calcaire (fosse 79) et 20 kg de grès dans la fosse 37, liés à une structure de combustion. La diversité des catégories céramiques constitue en elle -même, eu égard au contexte régional, un indice de datation basse, à savoir La Tène D2. En effet, chez les Sénons, comme chez les autres peuples de Gaule continentale, seuls les ensembles les plus tardifs, datés autour de la Guerre des Gaules, offrent un approvisionnement aussi diversifié qui témoigne de l'accélération de l'ouverture au commerce dont la Gaule interne a bénéficié après la Conquête (Séguier, 1999), même si les importations méditerranéennes affluent dès la deuxième moitié du II e s. av. J.-C. dans la Gaule du Centre-Est (Barral, 1999). L'attribution à La Tène D2 se trouve confortée et précisée à La Tène D2b par trois éléments essentiels. Le premier est la coupe de type DER-A 2865 en céramique dérivée de la campanienne A. Cette forme, produite dans la basse vallée du Rhône, est bien représentée en Languedoc oriental comme en Provence occidentale. Elle est datée, aussi bien dans les stratigraphies de Lattes que dans les contextes domestiques et funéraires des Alpilles (Py et alii, 2001, p. 1050-1051), de la seconde moitié du I er s. av. J.-C. et elle semble inconnue avant 50 av. J.-C., même si elle figure dans quelques contextes datés globalement des années 75-25 (ibid.). On la retrouvera dans cette région à l'époque augustéenne jusqu'au changement d'ère. De fait, la définition technologique de cette production et sa typologie engendrent une certaine confusion avec les bols à bord oblique classés au sein de la catégorie des imitations de sigillée produites dès les années 40-30 av. J.-C. dans la région lyonnaise, notamment dans l'atelier de Loyasse (Genin et alii, 1996) ou à Saint-Romain-en-Gal (Desbat, Savay - Guerraz, 1986). Néanmoins, la pâte jaunâtre tendre, ainsi que l'engobe brun de l'exemplaire d' Étigny plaident plus nettement en faveur d'une origine bas-rhodanienne. Auquel cas, le vase d' Étigny serait à ce jour, et de loin, le plus septentrional connu à l'heure actuelle, cette production n'étant habituellement pas représentée au-delà de la région lyonnaise et du Forez (Py et alii, 2001). L'imitation du gobelet Mayet II en céramique à paroi fine et enduit rouge va tout à fait dans le même sens, ce type de forme, qu'elle soit importée ou imitée, n'apparaissant pas en Gaule interne avant la période tardo-républicaine. Le troisième élément est la typologie des fibules. L'exemplaire à arc coudé de la structure 38, de type Feugère 4a1a (si le porte-ardillon est plein) ou 4c1 (si le porte-ardillon est ajouré) (Feugère, 1985), est un type largement divulgué en Gaule continentale comme en Gaule méridionale à La Tène D2; la fibule à arc rubané de type Feugère 4a1b est également bien diffusée à La Tène D2. En tout état de cause, ces accessoires vestimentaires sont inconnus de l'horizon Nauheim et disparaissent très rapidement dès le début de la période augustéenne. Ces données confirment la datation indiquée par le reste du mobilier. Ces indications se trouvent confortées par le rôle tout à fait mineur qui est dévolu à la céramique non tournée locale, assurant à peine 15 % de la vaisselle. Ainsi, aucun des ensembles antérieurs à La Tène D2 connus en territoire Sénon ne présente une telle configuration, en particulier dans un milieu rural où le poids des traditions culturelles offre une inertie à la généralisation de l'usage des céramiques tournées (Séguier, 1999). Si les formes représentées sont d'une totale banalité, l'absence de toute jatte à profil en S ou de jarre de stockage et celle tout aussi remarquée des décors imprimés constituent autant d'indices de datation basse au sein de la séquence de La Tène finale dans le contexte régional (ibid.). Le répertoire de la céramique de type Besançon conforte cette tendance : il est consacré pour moitié aux jattes à bord oblique strié, ce qui, si l'on ajoute l'absence de décor sur les pots, constitue un autre indice d'attribution à La Tène D2. Sur le plan régional, la ferme de Saint-Denis-lès-Sens (Barral, 1994) et l'habitat groupé de Varennes-sur-Seine (Séguier, 1999) illustrent très bien ce phénomène. Parmi les formes de céramique tournée cuites en mode B, la présence de plusieurs bols arrondis à panse agrémentée de baguettes et à fond ombiliqué va dans le même sens, tout au moins si l'on se fie aux données du secteur de confluence Seine-Yonne (Séguier, 1999). Le relatif développement des décors tracés au peigne (hachures, ondes), lié à la rareté des décors lissés, dans cette même catégorie, confirme la datation basse de la série. En effet, le décor peigné et ondé est bien représenté dans les contextes de La Tène D2 de Varennes-sur-Seine (Séguier, 1999); plus généralement, il l'est également en Bourgogne dans des contextes datés de La Tène D2, à Avallon (Barral, 1994, pl. 103) ou à Alésia (ibid., pl. 95) par exemple. En revanche, le décor lissé, très fréquent dans les séries régionales de La Tène D1b, semble se raréfier notablement autour de la Conquête. La typologie des amphores s'accorde sans difficulté à la datation proposée. Comme cela est désormais acquis, la coexistence des variantes Dressel 1B et Dressel 1 à lèvre courte est une constante au I er s. av. J.-C., même dans les ensembles postérieurs à la Conquête (Metzler et alii, 1991). On notera d'ailleurs qu' à côté des Dressel 1B véritables, les Dressel 1 à lèvre courte d' Étigny présentent toutes une lèvre en bandeau court, les lèvres triangulaires étant totalement absentes. Toutefois, le nombre d'amphores décomptées à Étigny est relativement élevé (douze individus soit 17 % du NMI total) et s'oppose, une fois encore, au modèle théorique qui veut que le commerce des vins italiques commercialisés dans les Dressel 1 s'effondre après la Conquête au profit de celui des vins ibériques, orientaux, de Narbonnaise et des vins italiques diffusés dans les nouveaux conteneurs que sont les Dressel 2/4 (Desbat, 1998). Ce modèle idéal, probablement en grande partie vrai puisque constaté à Lyon, s'observe dans certaines agglomérations importantes; il ne se vérifie pourtant ni à Varennes-sur-Seine (Séguier, 1996), ni à Bibracte (Olmer, 2003). D'ailleurs, force est de constater que, dans les campagnes de la Gaule du Centre et du Centre-Est, comme en Languedoc du reste, les vins italiques sont encore généralement bien représentés après la Conquête et même jusqu' à l'époque augustéenne, traduisant ainsi peut-être, au travers de l'attrait pour un produit spécifique, un certain conservatisme culturel (Séguier, Mallet, 2005; Séguier, à paraître). Cette donnée, qui ne se vérifie ni dans la région lyonnaise ni dans l'ouest de la Gaule, à l'inverse du Languedoc et de l'Auvergne, souligne l'importance des analyses régionales et micro-régionales qui, à terme, contribueront à nuancer un tableau certes valable d'un point de vue global, mais brossé à trop grands traits et perçu au travers du prisme déformant de sites singuliers comme Lyon. Dans un tel contexte chronologique, on peut s'interroger sur l'absence de certaines productions comme la céramique à enduit lie-de-vin (tonnelets et assiettes à bord oblique), ou la céramique fumigée au répertoire inspiré de la céramique campanienne qui annonce les productions de terra nigra, ou encore la céramique dorée au mica. Bien que repérées à Saint-Denis-lès-Sens, ces productions sont bien représentées dans la partie occidentale du territoire sénon (vallée du Loing et région de confluence Seine-Yonne) où elles sont si communes qu'on peut les considérer comme un des traits spécifiques de cette entité culturelle (Séguier, 1999). Sans anticiper sur les conclusions à tirer, on peut se demander si l'absence de ces productions, nombreuses dans la partie nord-occidentale du territoire Sénon et présentant d'évidentes affinités avec celles du val de Loire, n'est pas à mettre en relation avec la dynamique commerciale et culturelle qui a pu unir cette région avec le secteur de confluence Seine-Yonne (par l'intermédiaire de la vallée du Loing). Dans ce cas, la région de Sens se situerait en retrait par rapport à cet axe et développerait ses propres caractères. Cette observation traduirait une certaine diversité de faciès au sein du territoire sénon à La Tène D2b, sinon l'existence de pagi aux traditions céramiques distinctes. Ce problème reste néanmoins à analyser dans le détail, à la lumière de séries plus étoffées que celle d' Étigny. Enfin, on retiendra comme probable que l'occupation du site ait été de courte durée, correspondant à La Tène D2b : le faible nombre des structures et le caractère modeste des rejets en sont certainement le reflet. Le site, fondé au plus tôt autour de 50 av. J.-C., est abandonné avant la période augustéenne, vers 30 av. J.-C. En effet, l'absence de certains marqueurs largement divulgués dans la région à partir des années 20 à 15 av. J.-C., comme les gobelets de type Beuvray, la terra nigra, la sigillée de type italique et les amphores diversifiées caractéristiques de cette période, peut être jugée comme probante dans une série, certes modeste, mais tout de même forte de plus de 1000 tessons et de 69 individus au moins. Si dans nombre de cas l'analyse des ossements d'animaux nous renseigne sur les différentes stratégies d'élevage et de consommation des animaux domestiques et sauvages, l'apport de l'étude archéozoologique à Étigny reste très limité. En effet, les restes fauniques ne sont pas pléthore, qui plus est très fragmentaires et parfois brûlés (fig. 14). Une part importante des restes provient de la consommation de porcs, soit environ 40 %. On notera l'absence du cheval dans un contexte qui lui réserve généralement une place non négligeable mais variable. Parmi les oiseaux, le coq est l'espèce principale. On portera un intérêt tout particulier au cerf, dont la plupart des rejets proviennent de bois travaillés. Il s'agit de merrains fendus longitudinalement par sciage. Les supports et l'ébauche peuvent être décrits de la manière suivante (fig. 15) : - Structure 33 : un bois de chute gauche dont le merrain a été scié à la base (diamètre maximum 49,9 mm); l'andouiller basilaire, entier, présente une surface très altérée, délitée (dimensions du cercle de pierrure : 77,2 mm sur 63,3 mm). Il s'agit d'une chute de débitage permettant de récupérer un tronçon de merrain (fig. 15, A). - Structure 37 : un bois de massacre portant de profondes entailles sur le pédoncule osseux (diamètre du cercle de pierrure : 63,6 sur 55,6 mm) dont le merrain est divisé en deux longitudinalement sur 24 cm de long, correspondant à une chute de prélèvement d'un demi tronçon de merrain par sciage et fracturation; les andouillers basilaire et de glace ont été sciés à leur base. À la base de l'andouiller central, en face extérieure, on distingue nettement une perforation circulaire de 4 mm de diamètre dont la présence est inexpliquée (à moins qu'il ne s'agisse d'un point d'ancrage pour maintenir la pièce au moment du sciage ?) (fig. 15, B). - Structure 38 : un merrain B entier d'un diamètre de 34 mm divisé par sciage en deux longitudinalement sur 26,5 cm de long; le merrain est scié à la base de l'empaumure, ainsi que l'andouiller central à sa base. La section du merrain sous la base de l'andouiller central présente aussi de profondes incisions qui ont « haché » la surface. L'andouiller central porte de profondes incisions (section en « U ») perpendiculaires à son axe et réparties sur toute sa longueur (longueur des incisions entre 0,8 et 20 mm) (fig. 15, C). Cette structure a livré une empaumure sans trace technique patente. - Structure 32 : une baguette de 4,3 cm de longueur (cassée à la fouille), de section carrée de plus ou moins 5,5 mm, brûlée (fig. 15, D). On peut ainsi décrire la chaîne opératoire : - acquisition de la matière première : bois de chute et bois de massacre; - préparation du merrain par élimination des parties susceptibles d'entraver le travail de débitage des baguettes : ablation par sciage des différents andouillers et de l'empaumure; on notera que le cercle de pierrure n'est pas éliminé dans deux cas sur trois; - prélèvement d'un bloc secondaire par sciage sur un demi tronçon de merrain en vue de l'obtention de baguettes corticales. Ces éléments correspondent tous à des produits du débitage de baguettes en bois de cerf. Cette matière première est utilisée depuis des temps ancestraux et les baguettes sont extraites par rainurage ou entaillage. Avec l'accès aux outils en fer et aux scies en particulier, le procédé d'extraction des baguettes s'est trouvé modifié, permettant la production de baguettes en séries. La mise en évidence d'un artisanat sur bois de cerf à la Protohistoire récente est rare et confère à cette découverte un caractère exceptionnel. On peut noter la découverte ancienne d'un lot de baguettes en bois de cerf sur l'oppidum de Villeneuve-Saint-Germain (Debord, 1993; Auxiette, 1994) sans qu'aucun élément de préparation ne vienne étayer la série (fig. 15, E). Les données archéologiques montrent que l'occupation du Brassot à Étigny correspond à un établissement rural : la présence de structures de conservation aériennes (bâtiment 1 au moins) et enterrées (fosse 79), classiques pour la période, constitue un argument suffisant. La nature des déchets mis au rebut dans les cinq fosses, la présence de rejets de faune consommée (dont une bonne partie a subi l'action du feu), la présence d'éléments architecturaux (torchis sur clayonnage) ou d'autres liés aux aménagements domestiques (éléments de radiers de foyers en pierre et en fragments d'amphore, bord de sole) et celle de déchets et instruments liés à des activités domestiques (meule, couteau) et artisanales ne laissent guère de doute sur ce point. Le caractère rural de l'établissement apparaît avec moins d'évidence si l'on considère l'absence d'instrument agricole, mais le contexte général de l'implantation milite néanmoins en faveur de cette hypothèse et le site d' Étigny n'est pas le seul de La Tène D à n'avoir livré aucun instrument agricole. Cet habitat voit se développer de petites activités artisanales et domestiques connexes à la production agraire : tissage (peson), filage (fusaïoles), travail du bois de cerf, petite métallurgie d'appoint dont témoignent scories et fragments de lingot… Cette installation rurale semble avoir joui d'une certaine prospérité. C'est du moins ce que suggèrent les capacités de stockage, relativement importantes (grand grenier à neuf poteaux), et, à leur façon, les importations de vins italiques, assez nombreuses et comportant des crus d'origine étrusque, donc de qualité. Ces dernières sont d'autant plus notables qu'elles interviennent dans un contexte de décrue du commerce des vins tyrrhéniens (Tchernia, 1986) et dans une région, l'espace sénon, où, habituellement, ce sont les établissements de rang aristocratique qui concentrent ce type de bien de consommation (Horard - Herbin et alii, 1999; Séguier, à paraître). Or rien dans l'organisation du site ou dans le mobilier ne paraît renvoyer l'image d'un site de rang particulièrement élevé dans la hiérarchie des installations rurales du territoire sénon, hormis précisément la concentration de restes d'amphores Dressel 1. Par ailleurs, une bonne partie des fragments d'amphore (près de 50 %) sont brûlés, ce qui peut s'expliquer par leur incorporation dans des soles de foyers ou de fours (ce qui constitue un cas fréquent). Il y a là un paradoxe inexpliqué. L'hypothèse cultuelle (bris volontaire suivi d'une exposition au feu, dans le cadre d'une consommation collective ritualisée), par ailleurs sérieusement envisageable sur d'autres sites de Gaule interne (Poux, 2004) et notamment chez les Sénons (Poyeton, Séguier, 1999), ne semble pas pouvoir être retenue ici en l'absence de tout élément probant (trace de concassage ou de coup de lame, etc.). L'organisation du site semble être centrée sur le secteur sud avec ses deux constructions, dont le grenier (bâtiment 1). Paradoxalement, la fonction du bâtiment 2 est mal assurée en raison de la dimension de la construction qui a aussi bien pu être un hangar qu'un atelier ou l'ossature d'une construction plus complexe à fonction d'habitation. Néanmoins, le fait qu'une grande partie des déchets domestiques soit concentrée dans les fosses 32 et 33 incite à rechercher dans ce secteur une habitation, même si aucune trace de construction n'y subsiste. Doit-on invoquer l'existence d'une architecture de terre massive ne faisant pas intervenir des poteaux porteurs ? Ne peut-on exclure une gestion des déchets domestiques qui verraient ceux -ci rejetés loin de l'habitation pour des questions de salubrité (mais ce serait un cas tout à fait particulier dans le contexte général de la fin de l' Âge du Fer) ? On observera aussi, et cela ne peut être le fait du hasard, que la paire de fosses 32-33 paraît constituer un symétrique à la paire 37-38 située de part et d'autre du bâtiment 2. Ainsi, le site lui -même peut paraître assez déroutant tant son organisation est atypique en l'absence de tout élément structurant l'espace de façon claire (fossés d'enclos), ce qui témoigne d'un moindre investissement, en terme d'énergie, que dans le cas du creusement des fossés d'un enclos. En réalité, ce type d'habitat ouvert, bien que peu fréquent en Gaule tempérée à La Tène D, est connu en territoire sénon à La Tène D, le meilleur exemple de comparaison étant celui des Méchantes Terres à Grisy-sur-Seine (Gouge, Séguier, 1994), daté de La Tène D2. Sur ce site, les structures sont distribuées en deux bandes parallèles implantées en bordure de paléo-chenaux. On y observe plusieurs silos et fosses profondes ainsi qu'une série de bâtiments à quatre, six et neuf poteaux dispersés sur plus de 150 m de long, sans organisation vraiment intelligible. Ces établissements ouverts répondent-ils à une fonction spécifique ou sont-ils simplement inscrits dans la tradition des établissements ouverts de La Tène ancienne et moyenne largement répandus dans le Bassin parisien ? Rien, dans l'état actuel de la documentation disponible, ne permet de répondre à cette interrogation. On observera qu' à l'image de celui d' Étigny, le mobilier de Grisy-sur-Seine ne présente guère de caractère singulier renvoyant à la sphère aristocratique si ce n'est la présence d'une importation italique (bol Lamb. B1 en campanienne B) et d'une fourchette en fer, instrument intimement lié au banquet. Doit-on en conclure que les habitats ouverts traduisent une hiérarchie dans l'organisation des campagnes gauloises, les situant à un rang inférieur à celui des enclos ? L'importance des importations de vins italiques, on l'a vu, semble s'opposer à une telle lecture. Dans l'état actuel des données, on doit seulement considérer que deux types d'installation rurale coexistent chez les Sénons à La Tène D, qui semblent seulement traduire divers degrés d'investissement et de formes de délimitation de la propriété foncière, mais pas des niveaux d'intégration économique significativement différents. À Étigny, mais également à Grisy-sur-Seine, l'étirement des structures sur une bande étroite suscite néanmoins une interrogation. N'est-il pas possible d'imaginer que les structures sont alignées le long d'un chemin dont ne subsisterait aucune trace archéologique ? Dans ce cas, ces sites traduiraient une forme originale d'occupation du sol étroitement liée à la fréquentation de certains axes de circulation secondaires. En dépit de la modestie de ses vestiges, le site du Brassot à Étigny revêt un intérêt indéniable, d'abord peut-être en raison de la rareté des installations contemporaines observées dans des conditions d'intervention correctes dans la région de Sens. Dans l'état actuel des recherches sur cette région, le site d' Étigny peut même être considéré comme un élément de référence pour la période tardo-républicaine dans le Sénonais, seul contrepoint local aux importantes séries mises au jour dans la plaine d'interfluve Seine-Yonne. L'ensemble est précisément daté par un assemblage homogène et cohérent de céramiques régionales, mais aussi grâce à la découverte d'une coupe importée appartenant à la série des imitations de campanienne A de la basse vallée du Rhône. L'étude de la céramique permet de mettre en évidence un faciès conforme à celui qui a été défini dans le secteur Seine-Yonne, avec quelques spécificités locales qui paraissent définir un faciès de la vallée de l'Yonne. Du strict point de vue céramologique (et donc économique), ce site apporte de précieuses informations sur les relations commerciales à longue distance en Bourgogne occidentale. L'imitation de campanienne et le gobelet en paroi fine inspiré de la forme Mayet II, sans équivalent au plan régional, doivent être tenus pour caractéristiques de l'horizon La Tène D2b. En outre, l'ensemble d' Étigny permet de souligner la vigueur des importations de vins italiques à une période où celles -ci sont réputées péricliter. Le statut et l'organisation du site sont sujets à discussion, même s'il est évident que l'on est en présence d'un établissement rural ouvert dont l'organisation selon un schéma linéaire, pour originale qu'elle soit, ne constitue pas un unicum dans le contexte régional. En dépit d'évidents signes de prospérité (vins italiques), l'habitat du Brassot ne connaît qu'une durée d'occupation éphémère, de l'ordre d'une génération, puisque fondé peu après la Guerre des Gaules, il est abandonné avant la période augustéenne ou au plus tard au tout début de celle -ci. Au-delà des explications conjoncturelles toujours possibles (suite de mauvaises récoltes, extinction d'un lignage…), on peut se demander si ce n'est pas la réorganisation des campagnes dès le début du principat d'Auguste (redistribution foncière) qui est la cause de cet abandon brutal. Cette hypothèse est d'autant plus envisageable que l'abandon généralisé des établissements de La Tène finale semble toucher l'ensemble du territoire sénon. L'abandon à la fin de la période tardo-républicaine de l'établissement du Champ Notre-Dame à Saint-Denis-lès-Sens illustre bien ce phénomène, dont on retrouve des traces évidentes dans le secteur de confluence Seine-Yonne (Séguier, 2005). En outre, on ne saurait manquer de rappeler que cette possible réorganisation des campagnes après la Conquête intervient à une période qui coïncide, sans que l'on puisse préciser dans quelles conditions, avec le possible transfert de la capitale de Cité, Agedincum, de l'oppidum de Villeneuve-sur-Yonne à Sens .
L'habitat du Brassot à Étigny, situé à peu de distance de Sens dans la vallée de l'Yonne, est installé en fond de vallée, en bordure d'un paléochenal. Établissement ouvert, le site occupe une bande linéaire de 130 m de long pour 30 m de large. Les structures (bâtiment à quatre poteaux, grenier à plateforme, silo, atelier, fosses) et le mobilier permettent d'interpréter l'établissement comme une installation rurale. Des activités de production d'appoint (petite métallurgie, tissage, filage, confection de baguettes en bois de cerf) sont attestées. L'analyse du mobilier céramique, qui comporte des importations méditerranéennes (coupe en Dérivée de campanienne A, amphores Dr. 1) et celtiques (céramique de type Besançon), montre que l'occupation, de courte durée (de l'ordre d'une génération), est centrée sur La Tène D2b. Cet établissement, dont des parallèles sont connus en territoire sénon à La Tène D, permet d'illustrer un type d'installation rurale peu documenté. Les données conduisent à s'interroger sur la place d'un tel site dans le réseau d'occupation de la vallée après la Conquête, sur son statut (le nombre d'amphores vinaires contraste avec la modestie des aménagements), mais aussi sur les conditions de son abandon, peut-être en relation avec la réorganisation des campagnes à la période augustéenne.
archeologie_10-0136514_tei_350.xml
termith-20-archeologie
Entre Alicante et Guardamar del Segura, la côte du Levant espagnol borde la vaste plaine littorale d'Elche, qui s'étend sur un millier de km 2, jusqu'aux premiers reliefs de la chaîne bétique. Cette dépression a connu une forte densité d'occupation humaine depuis la protohistoire (Gutiérrez et al., 1999). Plus d'une douzaine de sites majeurs de l'époque ibérique (v e à iii e siècle av. J.-C.) y ont été reconnus, sur le littoral et à l'intérieur des terres. Celui de La Alcudia, près d'Elche (Fig. 1), l'Illici des Anciens, est le plus remarquable. Repéré dès le xvi e siècle, au moins, le site a été fouillé à de nombreuses reprises depuis le xviii e siècle. Son importance tient surtout à l'abondance et à la qualité exceptionnelle du matériel archéologique (céramique et statuaire) qui y a été découvert, dont la fameuse « Dame d'Elche ». La présente étude replace le site de La Alcudia dans son contexte géographique et géologique (aspects du paysage ibérique et ligne de rivage proche). On attache un intérêt particulier à l'identification des matériaux lithiques utilisés pour la statuaire et pour la construction. Les carrières antiques ouvertes pour leur production ont été identifiées. Les procédures d'extraction sont analysées et comparées à celles mises en œuvre dans les carrières plus récentes, romaines par exemple. À l'occasion de cette étude, des ébauches de statues rapportées, au moins pour l'une d'entre elles, au iv e av. J.-C. ont été découvertes mêlées aux déblais d'exploitation des carrières. La roche utilisée est celle -là même qui a été employée pour la sculpture de la Dame d'Elche. Les caractères spécifiques de son microfaciès permettent d'en localiser les affleurements (secteur d'El Ferriol au nord d'Elche) et de suivre la diffusion des œuvres sculptées à La Alcudia dans les régions avoisinantes. Elle est située à l'extrémité orientale des Cordillères bétiques et recouvre deux ensembles géologiques différents (Fig. 1 et 2A) : au Nord, les unités bétiques externes : les chaînes prébétiques (Nord d'Elche et d'Alicante) et subbétiques (Crevillente); elles sont entièrement constituées de terrains sédimentaires, marnes et calcaires principalement, échelonnés du Trias au Tertiaire; au Sud, les unités bétiques internes (Orihuela, Murcia, substratum du bas-Segura, île de Tabarca) comportant une part notable de terrains métamorphiques. Un couloir de fractures majeur orienté NE-SO (Murcia-Orihuela-Alicante) sépare les unités bétiques externes et internes. La plaine d'Elche est limitée au sud par le cours du bas-Segura. Au nord, le rio Vinalopo qui traverse Elche, se perd dans les marais d'El Hondo avant d'atteindre la mer. Quelques reliefs émergent de la dépression : à l'ouest, les rochers abrupts d'Orihuela et de Callosa; à l'est le dôme surbaissé d'El Molar (La Marina); au nord-est la « mesa » inclinée de la sierra de Santa-Pola (Fig. 1). La plaine d'Elche est une dépression tectonique complexe résultant de mouvements ininterrompus du Miocène supérieur à l'Holocène. Les bordures nord (Sierra del Colmenar), nord-ouest (Crevillente) et sud (rive droite du bas-Segura) montrent une flexuration centripète des terrains plio-quaternaires, particulièrement accentuée sur le bord sud (Montenat, 1977; Alfaro Garcia, 1995). La déformation actuelle est attestée par une forte sismicité (Delgado et al., 1998), notamment dans le secteur du bas-Segura qui se surimpose à une importante faille inverse sub Est-Ouest. Les séismes de 1741 et de 1829 ont été particulièrement destructeurs. Les fouilles effectuées à la Rabita de Guardamar (à proximité immédiate du couloir sismo-tectonique du bas-Segura) font apparaître des traces probables d'ébranlement sismique dans la muraille entourant le site protohistorique (Barrier et Montenat, 2007). Ces terrains montrent des faciès variés dans les différents secteurs, à la périphérie de la dépression (Montenat, 1977; Montenat et al., 1990) (Fig. 2A). Ce sont les plus diversifiés et les plus importants du point de vue qui nous occupe (Fig. 2B). Les dépôts du Miocène inférieur et moyen, fortement déformés (plis et failles) et démantelés avant le dépôt du Miocène supérieur (Tortonien), ne sont conservés que de manière ponctuelle, au nord et au sud du Tabayal. À la base, des marnes grises reposant en discordance sur des terrains d' âge varié (Crétacé, Paléocène, etc.) passent latéralement à des calcaires bioclastiques sableux ou à des marnes diatomitiques blanches à lits de silexite. Ces niveaux renferment une microfaune planctonique abondante à Globigerina bisphaericus et Praeorbulina (Burdigalien supérieur-Langhien inférieur; épaisseur entre 50 et 100 m). Le Miocène moyen repose en discordance angulaire (observable au sud du Tabayal) sur les niveaux précédents. Il s'agit de calcaires biodétritiques à stratification peu marquée, de teinte jaune verdâtre, constitués par une accumulation de foraminifères planctoniques et de bioclastes (échinides, bryozoaires, mollusques) auxquels s'ajoutent quelques granules de glauconie, quelques passées à lithoclastes grossiers (dolomie grise et argiles triasiques, calcaires nummulitiques, etc.) et de nombreuses traces de bioturbation (terriers) : ce sont les « Calcaires du Vinalopo » (Montenat, 1977), bien développés dans le secteur d'El Ferriol. La microfaune planctonique abondante à Orbulina sp., Globorotalia mayeri, Globigerina woodi, etc., indique un âge serravallien. Des affleurements ponctuels du calcaire d' âge miocène moyen sont disséminés plus à l'est : dans la sierra Gorda et au nord d'Alicante dans la sierra Grossa et la colline adjacente de Santa Barbara. Le microfaciès y est généralement plus grossier que dans le secteur d'El Ferriol. Les dépôts du Miocène supérieur et du Plio-Quaternaire. Ils comportent plusieurs ensembles bien distincts. Le Tortonien I ou « Calcaire du Tabayal » (Montenat, 1977) est une calcarénite grossière, voire une calcirudite à stratifications obliques, riches en pectinidés (Chlamys scabrella), échinides (Echinolampas), débris d'algues calcaires et bryozoaires (Cellépores). De rares passées marneuses à Globorotalia acostaensis permettent de la dater du Tortonien. Ces calcaires, reposant en discordance accusée sur des terrains d' âges variés (Trias à Miocène moyen) ≥ 50 m de puissance), forment le synclinal perché du Tabayal (Fig. 2A) où ils sont surmontés de dépôts régressifs puis continentaux qui clôturent le cycle sédimentaire du Tortonien I (Montenat et al., 1990). Les calcarénites du Tortonien I forment aussi la colline du Castellar, à hauteur du Pantano (barrage sur le Vinalopo), qui montre les traces de plusieurs petites exploitations antiques en carrières. Le Tortonien II (ou Tortonien « supérieur »; Montenat, 1977) et le Messinien affleurent de manière plus continue, dessinant des cuestas régulièrement pentées vers le sud qui se suivent sur de grandes distances tant à l'est (Alicante) qu' à l'ouest (Crevillente). Le Tortonien II repose en discordance angulaire sur tous les niveaux précédents. Ses faciès sont assez changeant. À l'est du Vinalopo, il s'agit d'une succession à prédominance détritique (grès et conglomérats; ≤ 200 m d'épaisseur). La partie inférieure est constituée sur environ 50 m d'épaisseur, de calcaires gréseux gris-jaunâtres assez fins, homogènes, à petits ostréidés, pectinidés (Amussium cristatum) et tubes d'annélides (ditrupes, localement très abondants) (Pl. I, 3). Ces dépôts se divisent en gros bancs massifs alternant avec des lits plus marneux. La présence de Globorotalia pseudomiocenica indique un niveau assez élevé du Tortonien (« Tortonien II »). À la différence des précédents, ces dépôts contiennent une part notable de petits grains de quartz. Plusieurs carrières antiques ont été ouvertes dans ces calcaires quartzeux, près du contact discordant avec les calcaires à foraminifères sous-jacents du Miocène moyen dans le secteur d'Altabix (Fig. 2A). Aux niveaux détritiques du Tortonien II succèdent, en concordance, des marnes, des calcaires organogènes (Pl. I, 4) et finalement des niveaux régressifs d' âge messinien. Le Pliocène et le Plio-Quaternaire comportent quelques mètres de grès calcaires tendres, jaunes, correspondant à une brève incursion marine d' âge pliocène « supérieur » (ou Pliocène II; Montenat, 1977). La régression qui suit s'achève avec le dépôt de limons rouges couronnés d'une puissante croûte calcaire (ou « caliche »; Quaternaire ancien probable) (pl. I, 6), elle -même déformée et pentée vers l'intérieur de la dépression. Les dépôts d' âge miocène inférieur et moyen analogues à ceux du Vinalopo n'y sont pas représentés. Le Tortonien I est un calcaire dur, à algues, toujours peu épais, discontinu et fortement déformé. Le Tortonien II, le Messinien et le Plio-Quaternaire sont largement envahis par les faciès conglomératiques. Ces terrains ne se prêtent pas à l'exploitation de pierres de qualité destinées à la statuaire ou à la construction. Dans son cours inférieur, le rio Segura suit un trajet sub-E-O, correspondant à un accident profond (« l'accident du Segura ») qui se traduit en surface par une forte flexure des terrains néogènes en rive droite du rio. Ces terrains sont constitués par (Fig. 2C) : Les couches messiniennes : calcaires, marnes et gypses, affleurent au cœur de structures plissées, les anticlinaux d'Hurchillo et de Benejuzar. Les dépôts pliocènes, plus largement répandus, comportent des marnes grises à foraminifères planctoniques (Pliocène I ou Pliocène « inférieur »), suivies de grès marneux tendres, jaunes, à caractère littoral (quelques dizaines de mètres d'épaisseur) du Pliocène II. Ces derniers sont bien visibles à l'affleurement aux environs de Rojales et de Guardamar del Segura où ils ont été utilisés pour la statuaire ibérique (Pl. II, 5). Planche II : Microfaciès des matériaux lithiques utilisés dans la statuaire de La Alcudia et de sites proches. Plate 2 : Microfacies of limestones used for the Iberian statuary; La Alcudia and other sites. Entre le Sud d'Alicante et l'embouchure du Segura (Guardamar), la zone littorale est occupée, de manière discontinue par des dépôts calcaires disposés en cordons assez étroits qui ne s'élèvent que de quelques mètres au-dessus du niveau de la mer actuelle. Il s'agit de calcarénites parfois riches en mollusques (Glycymeris, Strombus bubonius, etc.; par exemple La Marina) (Pl. I, 5) ou de calcaires blanchâtres à très fines oolithes, généralement bien classées (grand diamètre de un à quelques dixièmes de mm en moyenne), donnant une roche homogène (par ex. secteur de La Rabita près de Guardamar ou El Saladar, au Nord de la sierra de Santa Pola). Ces dépôts sont rapportés au Tyrrhénien (Pléistocène récent) et correspondent à des sédiments littoraux et de plage, éventuellement remobilisés en dunes éoliennes (calcaires oolithiques) (Montenat, 1977). Ces matériaux ont été abondamment employés dans les constructions ibériques de La Rabita (Montenat et Barrier, 2007). Le paysage de cette dépression a beaucoup varié au cours des derniers millénaires (Fig. 3). Il y a 6 000 ans BP un milieu marin infralittoral (10 à 20 m de profondeur) à mollusques variés et petits buissons de coraux (Cladocora caespitosa) occupait l'embouchure du Segura sur plusieurs kilomètres à l'intérieur des terres actuelles (Barrier et al., 2005). Vers 4 700 ans BP une lagune littorale à Cardium formait encore un golfe du bas-Segura qui s'avançait vers l'ouest, sur une vingtaine de kilomètres, jusqu'aux abords d'Orihuela (fig. 3A) (Echallier et al., 1980). Le golfe s'est ensuite progressivement comblé. À 3 900 ans BP sa partie la plus occidentale avait déjà cédé la place à des étendues lacustres (ibid.). Une barre de sable fin coquillier, d'allure barkanoïde, à Cladocora (barre de dessous de plage) jalonne le retrait du golfe marin vers l'Est (environ 3 km dans les terres, au Sud de la sierra del Molar) vers 3 165 à 3 440 ans BP (Barrier et al., 2005) (fig. 3B). Un trait de côte situé à l'altitude + 2 m, en contre bas de la barre sableuse précitée (et donc plus récent), se raccorde exactement au littoral ibérique situé en contrebas de la muraille de La Rabita (surface perforée recouverte de dépôts de plage à tessons de céramique ibérique roulés) (fig. 3C et 4) (Barrier et al., 2005; Barrier et Montenat, 2007). La baie ainsi formée sur l'embouchure du Segura a favorisé l'implantation d'aménagements portuaires à La Rabita de Guardamar. L'abondance des délestages de gros galets de pierres étrangères à la région (Montenat, 2007) et le fort pourcentage des amphores d'origine allochtone (Montenat et al., 2007) attestent aussi l'existence d'un centre d'activité maritime à La Rabita. La nature des pierres de lest et l'étude pétrographique des céramiques indiquent des liaisons avec l'Andalousie occidentale (Malaga notamment) (Montenat, 2007). La baie portuaire s'est rapidement envasée, ce qui peut expliquer l'abandon du site de La Rabita, auquel succède, à partir du v e siècle av. JC., celui d'El Rebollo situé au nord de la baie (fig. 3C). Bien que la plaine d'Elche soit soumise globalement à une subsidence notable (notamment dans le secteur du bas-Segura), les processus de comblement l'emportent, du fait de l'abondance des apports terrigènes (argiles et silts principalement; Delgado et al., 1998). Ces derniers résultent de l'érosion des marnes néogènes (Messinien et Pliocène) largement affleurantes à la périphérie de la dépression. Il est probable que l'activation de l'érosion soit à mettre principalement au compte des causes anthropiques : réduction du couvert végétal du fait des mises en culture, pâturages, déboisements, etc. Au nord de la sierra del Molar, s'étendent les vastes lagunes de Santa Pola, partiellement aménagées en marais salants. Elles ont pu être considérées comme le stade résiduel d'un autre golfe marin qui se serait avancé vers l'ouest ou le nord-ouest en direction d'Elche (Seva Roman et Vidal Bernabeu, 2004) ouvrant ainsi une voie navigable en direction du site de La Alcudia. En fait, les données géologiques démontrant l'existence d'un tel golfe (données de forages et étude des microfaunes; Blasquez et Usera, 2004), indiquent un stationnement marin d' âge quaternaire, de beaucoup antérieur à l'époque ibérique. Le port antique de Santa Pola (La Picola), en activité dès la période ibérique, est aujourd'hui situé à l'intérieur des terres, mais tout proche du littoral actuel. Le fait que le site de La Alcudia et quelques autres soient situés vers le bord occidental de la dépression n'implique pas l'existence d'une vaste baie (« bahia » de Santa Pola) très étendue vers l'Ouest. Il est plus vraisemblable que ces implantations se soient tenues à l'écart des marais et lagunes occupant (comme aujourd'hui) tout le secteur oriental de la dépression. La ville d'Elche s'est développée de part et d'autre du río Vinalopo. La Alcudia est située à proximité de ce même cours d'eau qui n'a aujourd'hui qu'un rôle insignifiant en dehors des épisodes de forte précipitation (Fig. 1). Il en fut sans doute autrement par le passé (voir une discussion récente sur le sujet dans Tent-Manclus et al., 2004). Pour les uns, le Vinalopo antique se partageait en deux bras dont les flots enserraient la cité; une variante envisage un bras du Vinalopo se détachant du cours principal pour atteindre le site. Selon une autre interprétation ancienne, le río antique aurait eu alors un cours amont différent de l'actuel, plus oriental, ce dont témoignerait aujourd'hui un segment de vallée sèche au nord-est d'Elche (source tarie de Fuente Amimeta). Aucune observation de terrain ou en photographie aérienne ne vient appuyer ces hypothèses. Il est bien plus vraisemblable que le tracé du Vinalopo soit demeuré inchangé de longue date, au moins dans la région de d'Elche. Par contre, le régime du cours d'eau a varié sensiblement au cours des derniers millénaires. En effet, un peu à l'ouest de La Alcudia, le cours ancien du Vinalopo est marqué par des épandages de gros galets arrondis (impliquant une forte dynamique des eaux), ces alluvions sont aujourd'hui enterrées sous les limons terreux. Néanmoins, les bâtisseurs ibères de La Alcudia ont utilisé en abondance ces gros galets pour édifier les murs de constructions ordinaires. On peut donc penser que ces matériaux étaient alors accessibles dans le lit du río plus souvent actif qu'aujourd'hui et susceptible de répondre, au moins pour partie, aux besoins en eau de la cité. La « Llanura » d'Elche, où est installée La Alcudia, offre de vastes étendues de plaine limoneuse, favorables à l'extension de la cité et propices au développement des cultures. Par contre, les affleurements de roches utilisables pour la construction ou la statuaire font défaut. Les plus proches sont situés à une dizaine de kilomètres plus au nord, formant les cuestas calcaires miocènes qui se succèdent entre le « pantano » [barrage] du Vinalopo et le massif du Tabayal (Fig. 1). Ces terrains, décrits plus haut, ont fait l'objet d'études détaillées; leur lithologie est connue de manière précise (Montenat, 1977; Montenat et al., 1990) (Fig. 2A et B). Par ailleurs, une analyse pétrographique des matériaux lithiques (sculptures et éléments de construction d'époques ibérique et romaine) permet de relier ces pierres ouvrées aux calcaires miocènes précités. Ces derniers affleurent largement en rive gauche du rio Vinalopo, à l'est et au nord-est du Pantano (accès à partir d'Elche par le « camino del pantano »). On a déjà noté qu'il existe là trois types de calcaires ayant fait l'objet d'exploitations au cours les périodes antiques (ibérique et romaine). Les critères macroscopiques ne sont pas toujours suffisants pour déterminer ces matériaux avec certitudes. L'examen microscopique en vue de la description des microfaciès apporte les indications les plus fiables. On figure donc ici les différents microfaciès, désignés A, B, C en soulignant leurs caractéristiques essentielles. C'est celui des calcaires du Miocène moyen dits « Calcaires du Vinalopo » (voir plus haut; Fig. 2A et B et Pl. I, 1 et Pl. II, 1 à 4 et 7-8) du secteur d'El Ferriol. Ce microfaciès est un packstone à globigérines. L'abondance des foraminifères planctoniques à loges globuleuses (Globorotalia mayeri, Globigerina woodi et Orbulina sp.), la fréquence des débris d'échinodermes à croissance epitaxique et la présence constante de quelques grains de glauconie sont les caractères les plus marquants. Il n'y a pas de matrice mais un ciment microsparitique. Les autres bioclastes représentés sont : des échinides, des ophiures, des bryozoaires cyclostomes et des bivalves indéterminables. Les grains de quartz sont très rares ou plus souvent absents. Les composants du microfaciès sont très constants; leur granulométrie est plus variable. Le faciès A est fréquemment utilisé dans la statuaire ibérique. La grande abondance de foraminifères planctoniques est un critère fiable d'identification. Le microfaciès A ne peut guère prêter à confusion. Les affleurements proches et très circonscrits de la sierra Grossa d'Alicante, de même âge, s'en distinguent facilement par leur faciès plus grossier (voir plus haut). C'est un calcaire sableux gris jaunâtre du Tortonien II se présentant en bancs massifs, homogènes, montrant souvent des figures d'érosion arrondies ou en tafoni (voir plus haut; Fig. 2A et B) dans le secteur d'Altabix. Outre la présence d'une fraction quartzeuse notable (grains de quartz anguleux), ce microfaciès à bioclastes de type packstone est caractérisé par la présence des petits tubes arqués de serpulidés du groupe des Ditrupa sp. (longueur 1 à 2 cm) donnant au microscope des sections circulaires tout à fait typiques (Pl. I, 3 et Pl. II). On observe aussi fréquemment des débris d'ostréidés et de grands foraminifères plats du genre Hétérostégine. Les faciès sableux à Ditrupa abondants sont assez courants dans le « Tortonien II » détritique des régions bétiques orientales (Murcia, par exemple). La finesse et l'homogénéité des dépôts; la relative pauvreté en faune, d'ailleurs peu variée, sont des caractéristiques des couches d'Altabix qui les distinguent aisément de celles de la région murciane. Ces calcarénites grossières du Tortonien I, dites « Calcaires du Tabayal », sont bien exposées dans la colline du Castellar (Fig. 2A). La sédimentation en milieu agité (stratifications obliques) correspond à un dépôt de type grainstone-packstone à bioclastes émoussés, constitués surtout de débris de bivalves (pectinidés et ostréidés) et de nombreux bryozoaires cyclostomes (Pl. I). Le ciment est peu développé et les grains ne sont que partiellement cimentés. Les autres bioclastes sont des brachiopodes ponctués, Balanus sp. et une forme de Myogypsine. Les intraclastes sont représentés par de petits galets de micrite, des péllètes et des péllétoïdes. Les nombreux petits cristaux de quartz automorphes proviennent du remaniement des argiles versicolores triasiques (quartz hyacinthes dits de Compostel) qui affleurent largement dans les secteurs du Vinalopo. La calcarénite du microfaciès C se rencontre en d'autres secteurs des chaînes bétiques (par exemple au Castillo de Montesa, ou dans la région d'Alcoy; prov. d'Alicante). Ces matériaux étant d'une importance secondaire (non employé dans la statuaire), ne justifient pas, pour l'instant, une enquête plus approfondie. En toute hypothèse, d'après les matériaux conservés au musée de la Alcudia, il s'agit plus d'une pierre à bâtir que d'un matériau statuaire. Les autres matériaux utilisés pour la statuaire sont les calcaires sableux ou grès calcaires jaunes du Pliocène II du Cabezo Lucero (Pl. II, 5) et, plus ponctuellement encore, le calcaire oolithique tyrrhénien (Pl. II, 6). Des extractions ibériques de calcarénite tyrrhénienne utilisée pour le bâti ont été repérées sur le site de La Rabita de Guardamar (La Fonteta) (Montenat et Barrier, 2007) (Pl. I, 5). Il n'a pas été observé de sculptures faites dans ce matériau. Enfin, il est signalé, à titre indicatif, des calcaires à péllétes d' âge messinien inférieur (Pl. I, 4). Cette roche a été extraite dans des carrières anciennes mais non datées situées à l'est d'El Ferriol (sierra Gorda) et se retrouve en pierres de grand appareil sur le site de La Alcudia (base de murs romains [?]). Deux ensembles de carrières, dont l' âge ibérique est avéré par la présence de nombreux tessons de céramiques (amphores, etc.) ont été étudiés : Un premier ensemble de six carrières est situé au niveau du hameau de Ferriol (30S 0701427; UTM 4243826) (faciès A). Un second ensemble de deux carrières se trouve au niveau de l'extrémité nord du quartier d'Altabix (30S 0700625; UTM 4242402) (faciès B). Un troisième ensemble de petites extractions ouvertes à El Castellar dans les calcirudites du faciès C est seulement mentionné pour comparaison. Jusqu' à présent, il n'a montré que des témoins d'exploitations romaines (fragments de colonnes). Les carrières ibères d'El Ferriol se situent toutes sur le sommet des crêtes. Elles sont petites (de l'ordre de la dizaine de mètres de côté). Leur forme générale est rectangulaire ou en fer à cheval, allongée suivant un axe quasi Nord-Sud. La superficie générale varie entre 70 et 90 m² et la hauteur des fronts de taille, entre 2 et 7 mètres (Fig. 5 et 6). Les nombreux indices géoarchéologiques visibles dans ces carrières permettent de comprendre les méthodes d'extraction des carriers ibères sur le site d'El Ferriol (Fig. 7). Les nombreuses traces laissées sur les fronts de taille des carrières ibériques montrent l'utilisation d'une série d'outils en fer : adzes, pics, marteaux, coins, ciseaux et larges taillants (Bessac, 1981). Deux outils en fer de carriers retrouvés dans l'habitat d'époque ibérique de La Serreta (Alcoy, Alicante) sont conservés dans la collection archéologique du musée d'Alcoy, : un marteau taillant et une adze à tranchant plat (Fig. 8). Les traces d'El Ferriol et les deux outils d'Alcoy montrent que les carriers ibères possédaient un large éventail d'outils bien que les instruments de précision (bretté, scie, sciotte…) ne soient pas connus. Les déblais ont livré des ébauches de pierres d'appareil assez bien régularisées, témoignage de l'ampleur des tâches effectuées sur place. Le découpage des blocs a été fait de manière hétérogène, c'est à dire que les fronts de taille ne sont pas plans mais en marches d'escalier, très irréguliers et sans organisation (Fig. 6). De plus, la dimension des blocs est hétérométrique : leur longueur varie entre 0,45 et 1,5 mètre. Pour extraire un bloc, le carrier creusait des saignées verticales à l'aide d'un large taillant (ou une adze) tout autour du bloc, mais pas à la partie inférieure. Il le détachait de la base, sans entaille préalable, en enfonçant plusieurs coins en fer perpendiculairement à la longueur du bloc. Cette opération se révélait assez souvent infructeuse, et nombre de blocs étaient ainsi imparfaitement détachés : ils étaient alors laissés au rebut ou retaillés en modules de plus petite dimension (Fig. 6). Cette procédure se répétait plusieurs dizaines de fois au sein d'une même carrière, jusqu'au moment où les fronts de tailles ne permettaient plus d'extraction aisée des blocs. Une nouvelle carrière était alors ouverte à quelques mètres de la précédente (Fig. 5). De tels sites d'extraction montrent un aspect désordonné, plus ou moins en marches d'escalier. Il n'y a pas de « front de taille » plan et régulier, témoin d'une exploitation ordonnée, comme on l'observe à partir de l'époque romaine. Pour éviter l'accumulation des déchets de taille dans la carrière en exploitation, ceux -ci étaient mis en comblement dans les carrières abandonnées. Certains sites d'extraction antiques, donnant généralement des pierres de grand appareil, ne peuvent être datés avec précision (Fig. 9). Les blocs extraits sont rectangulaires allongés ou trapézoïdes. Le volume des blocs varie entre 0,5 m 3 et 2,5 m 3. Les ébauches de statues trouvées dans les déblais des carrières montrent clairement qu'elles ont été taillées à partir de tels blocs rectangulaires. Les restes de constructions en pierres de taille d'époque ibériques sont très rares, voire absents, sur le site de La Alcudia. Seule une corniche à gorge égyptienne est conservée au musée. Par ailleurs, les rares témoins de constructions ibériques en pierres présentés sur le site sont des reconstitutions modernes. On ne peut donc pas juger des modules les plus employés pour la construction ibérique. Il est facile d'imaginer que les pierres des habitats ibères de La Alcudia ont été largement réemployées dans les constructions romaines plus récentes (muraille d'enceinte, par exemple). Deux types principaux de modules ont été observés au niveau des enlèvements des fronts de tailles et des déblais de carrières : les blocs de grand et de moyen appareil. Les blocs de grand appareil ont été extraits des carrières ibériques d'El Ferriol. Leur volume varie de 0,7 à 2,2 m 3. Ces blocs de très bonne facture présentent une forme rectangulaire trapue. Leurs surfaces sont planes et bien régularisées à l'aide du marteau taillant. Ces blocs étaient apprêtés sur place, pouvant, dès lors être employés dans les constructions de La Alcudia. Ils ont été utilisés, notamment, pour la corniche présentée au musée de La Alcudia. Les blocs de moyen appareil sont de deux types, rectangulaires et trapézoïdaux. Une dizaine de blocs rectangulaires a été retrouvée au sein des déchets de taille des carrières. Les dimensions sont variables : longueur : 0,50-0,80 m; largeur : 0,25-0,70 m et épaisseur : 0,20-0,50 m. Ces blocs ont une forme homogène, allongée et très souvent légèrement bombés sur la partie supérieure. Les finitions sont moindres que pour le grand appareil. Elles consistent en de simples enlèvements de petites imperfections (tels que des petites bosses ou des petites fractures) à l'aide d'un ciseau plat (dont le tranchant varie entre 2 et 4 cm de largeur). Les blocs trapézoïdes sont plus trapus. Leurs dimensions varient peu : longueur : 0,50-0,65; largeur : 0,30-0,20 m et épaisseur : 0,20-0,25 m. Leurs surfaces extérieures sont imparfaites et montrent encore de nombreuses traces de pics (et/ou d'adze). Ils ont pu être employés pour l'appareillage d'arceaux architecturaux. L'usage de ces différents types de blocs ne peut être précisé davantage, en l'absence de restes de constructions in situ permettant des comparaisons. Le site ibérique du parc municipal d'Elche a conservé un certain nombre de pierres d'appareil provenant d'un possible sanctuaire du v e siècle av. J.-C. (Ramos Molina, 2000, p. 115). Les modules se placent assez bien dans la moyenne des mesures effectuées à El Ferriol (Fig. 10). Les découvertes relatées ci-dessous montrent que ces mêmes blocs de moyen appareil servaient aussi à la statuaire. Des ébauches de sculptures ont été découvertes récemment au milieu de déblais d'extraction de l'une des carrières ibériques d'El Ferriol, datés par ailleurs par des tessons de céramiques (Fig. 11). Il s'agit de fragments : une partie de piétement en forme de corps marin et un débris d'interprétation plus délicate (un drapé ?). Une statue plus complète représente un buste de personnage masculin casqué (dit « le guerrier d'El Ferriol »). Cette dernière pièce permet de préciser les étapes de la chaîne opératoire complexe suivie pour dégrossir et façonner une sculpture ibère (Gagnaison et al., 2006; Rouillard et al., 2006). L'étude détaillée du « guerrier d'El Ferriol », effectuée par E. Truszkowski, permet d'attribuer la sculpture au iv e siècle av. J.-C. Le microfaciès de ces ébauches est identique à celui de la « Dame ». Ces trois ébauches cassées, dont l'une assez avancée, abandonnées dans les déblais montrent clairement que le travail du sculpteur s'effectuait, pour une bonne part au moins, sur les lieux mêmes de l'extraction. Les déblais de taille envahissent les carrières antiques jusqu' à les combler. La comparaison entre les modules mesurés dans les parois des carrières et les blocs « finis » mis en œuvre, montrent que ces derniers étaient peu retravaillés après la sortie des carrières. Ainsi, l'essentiel du travail du tailleur de pierre devait se faire en carrière; la perte de matière ultérieure était assez limitée. De plus, l'extraction des blocs eux -mêmes souffrait assez souvent de ratages liés au mode de détachement. À ceci s'ajoute la taille de régularisation de ces « ratages » avant de nouvelles extractions. De ceci résulte un volume considérable de déblais. S'agissant de sculpture, entre le bloc de base et l'ébauche assez avancée, telle « le guerrier casqué » évoqué plus haut, la perte de matière est importante, de l'ordre de 40 à 60 % environ. Ce travail se faisait assez grossièrement dans un premier temps, pour devenir de plus en plus précis lorsque la forme générale de la statue commençait à se dessiner. Les finitions devaient s'effectuer dans les ateliers des sculpteurs de La Alcudia. L'étude pétrographique de la statuaire ibérique de La Alcudia tout juste abordée il y a une trentaine d'années (Echallier et Montenat, 1977) a été reprise par l'examen systématique des sculptures conservées dans différents musées : Musée archéologique national de Madrid, Musée archéologique municipal d'Elche, MARQ de Alicante, Musée de La Alcudia d'Elche, Musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye. Une trentaine d'éléments sculptés ont été examinés, figurant dans l'inventaire établi par Ramos Molina (2000) et León (1998, p. 56-61). La moitié de ces pièces provient des fouilles de La Alcudia. Elles sont, pour la plupart, conservées au musée installé sur le site archéologique même. Par ailleurs, de nombreux fragments sculptés provenant du site de Cabezo Lucero, près de Guardamar ont aussi été analysés pour comparaison, ainsi que quelques pièces du site d'Elche (Pl. II). Les sculptures de La Alcudia appartiennent à la période ibérique classique ou « Iberico Pleno » située entre la fin du v e et le iii e siècles avant J.-C. Elles ont été retrouvées souvent détruites et brisées en de nombreux fragments, suite à un acte volontaire (Rouillard, 1988; Chapa, 1993) (Fig. 12). Toutes les pièces ouvrées qui ont été examinées : figurations humaines, animaux fabuleux, représentations zoomorphes et éléments d'architecture (fragments de corniche, frises) ont été exécutées dans des calcaires présentant soit le microfaciès A à foraminifères planctoniques, soit le microfaciès B à Ditrupa (Pl. I). Même si l'échantillonnage est trop limité pour être significatif, on peut néanmoins noter que les deux tiers des sculptures appartiennent au microfaciès B. Cette proportion peut surprendre dans la mesure où les carrières antiques ouvertes dans les calcaires sableux tortoniens (faciès B d'Altabix) sont (en l'état actuel des connaissances) nettement moins nombreuses et moins développées que celles exploitant les calcaires du faciès A d'El Ferriol. La « Tête féminine » (León, 1998, p. 56), le « Guerrier à la falcata » (l'épée courbe des Ibères) (García y Bellido, 1943, p. 65; León, 1998, p. 61), la « Lionne » (Ramos Molina, 2000, p. 97) et aussi la célèbre « Dame d'Elche » (voir plus loin) sont parmi les œuvres les plus marquantes façonnées dans le calcaire de faciès A. Les très belles sculptures que sont le « Torse d'homme portant une fibule circulaire » (Ramos Molina, 2000, p. 16) et la grande « Tête de griffon » (Ramos Molina, 2000, p. 61) (Fig. 12), ainsi que des fragments de la « Dame assise » (« Dama sedente ») (Ramos Molina, 2000, p. 35) et les fragments composant la « scène des guerriers en haut relief », etc. ont été réalisées dans le calcaire de faciès B. Il n'a pas été observé de sculpture utilisant la calcarénite de faciès C. Les pierres de faciès A et B ont donné des œuvres de même qualité. La contradiction apparente : le plus grand nombre de carrières dans le faciès A; le plus grand nombre de sculptures mises au jour dans le faciès B, n'est peut-être due qu'au hasard des découvertes. Il est aussi possible qu'un atelier de sculpture utilisant le calcaire de faciès B ait fonctionné pendant une période assez courte et que sa production soit restée assez groupée. Le manque de données précises sur le contexte des fouilles ne permet pas d'argumenter davantage. La « Dama de Elche » (fin v e siècle av. J.-C.), œuvre la plus célèbre de l'art ibérique, mérite évidemment une mention particulière (Fig. 12, 13 et 14). Découverte en août 1897 à La Alcudia, elle fut immédiatement acquise par Pierre Paris, un des précurseurs de l'archéologie ibérique, pour le musée du Louvre (Paris, 1897, García y Bellido, 1943; León, 1998, p. 58-60) (Fig. 14). La statue y fut exposée en bonne place pendant une quarantaine d'années, présentée comme une production remarquable de l'art « gréco-phénicien » ou phénicien (Fig. 13). Dans les années 1940, le gouvernement de Vichy remit la « Dame » à son homologue franquiste. Elle occupe désormais une place d'honneur au Musée Archéologique National de Madrid. Cette histoire assez mouvementée accrut encore la notoriété de la « Dame » au plan national et laissa en suspens un certain nombre d'interrogations. D'où venait la Dame d'Elche : la statue était-elle d'origine locale ou plus éloignée ? Etait -ce un produit de la civilisation ibérique ou l' œuvre d'artistes de Méditerranée orientale ? Fut-elle conçue comme un buste, tel qu'on peut l'admirer aujourd'hui ou s'agissait-il à l'origine d'un personnage en position debout ou assise ? L'examen de la statue, très délicat à réaliser du fait de son caractère prestigieux, apparaissait donc d'un intérêt tout particulier. En fait, lorsque la « Dame » retourna en Espagne, de petits fragments calcaires détachés de la statue lors de sa découverte et expédiés par Pierre Paris restèrent dans les réserves du Louvre. Ils y ont été conservés, identifiés par un document manuscrit de P. Paris. L'examen microscopique d'un de ces fragments qui nous a été confié par le Laboratoire de recherche et de restauration des Musées nationaux montre toutes les caractéristiques du calcaire de faciès A (pl. II, 1). C'est un calcaire constitué presque exclusivement d'organismes calcaires de petite taille, bien classés, à nombreux foraminifères planctoniques, débris d'échinodermes, petits foraminifères benthiques, avec quelques grains de glauconie, et ciment calcitique (sparite) peu abondant. La Dame d'Elche a donc certainement été façonnée dans le même calcaire (faciès A) que d'autres sculptures ibériques de La Alcudia. Ces résultats ont conduit à solliciter du Musée Archéologique National de Madrid, l'autorisation d'effectuer un examen direct de la statue. Les observations (macroscopiques et sous la loupe) réalisées en février 2005 apportent les renseignements suivants : La statue est d'une constitution homogène, entièrement faite dans le calcaire de faciès A dont les éléments caractéristiques sont bien visibles à la faveur d'éraflures, fines ou plus grossières, produites lors de l ' exhumation de la pièce. La patine est très fine et ne montre pas le développement d'une croûte superficielle de type calcin (sauf un peu sur le côté gauche du visage). Les autres sculptures, de même que les affleurements naturels ou en carrières du même calcaire en sont tout autant dépourvus. Par contre, quelques petites structures calcaires tubulaires creuses, plus ou moins tortueuses (diamètre : quelques dixièmes de millimètre), plaquées sur la sculpture, sont d'origine pédologique. Elles se forment autour de petites racines et radicelles, par précipitation du calcaire dissout dans l'eau du sol, en période de forte évaporation (évapotranspiration des végétaux en période de sécheresse accentuée). Un séjour prolongé de la statue dans le sol est ainsi avéré. L'examen révèle aussi la présence de traces laissées par l'outil utilisé pour régulariser la base du socle. Ces traces régulières, planes, à bords parallèles (ciseau ?), larges de 25 à 30 mm, sont analogues à celles rencontrées en abondance sur des débris de roche dans les déblais antiques (Fig. 12B). De nombreuses petites concrétions calcitiques de teinte brune (quelques millimètres d'épaisseur), non jointives, se sont développées sur les traces d'outils précitées et confirment l'ancienneté de ces dernières. La formation de telles concrétions suppose l'existence d'espaces libres ou de petites cavités autour de la statue. Celle -ci était probablement en position fortement inclinée, sinon couchée, pendant la période d'enfouissement. Il existe plusieurs générations d'entailles et d'éraflures récentes probablement dues à des coups de pioches (verticaux, du haut vers le bas ou sub-horizontaux, d'avant en arrière) faisant apparaître la roche fraîche dont le microfaciès est ainsi bien observable. Par contre, la statue ne semble pas porter de traces de dégradations ou de fractures anciennes. Des incisions linéaires participant à la figuration du drapé sur le devant s'amortissent vers le bas de la statue, ce qui peut suggérer que celle -ci a été conçue comme une sculpture assise plutôt que debout. Ces observations attestent clairement l'origine locale de la célèbre statue, sculptée dans un bloc extrait des carrières d'El Ferriol. Le site est situé au milieu du grand jardin public, dans les palmeraies de la ville, sous un niveau d'occupation romaine. Il comporte des restes de constructions (fig. 10) et des éléments de sculptures brisées anciennement et réemployées à l'état de fragments dans un niveau ibérique plus récent. Deux témoins principaux de ces sculptures : le « Sphinge du parc l'Elche » (León, 1998, p. 57) et la « Jambe de guerrier avec jambière décorée (cnémide) » (Ramos Molina, 2000, p. 43-44) sont attribués à la période ibérique « archaïque » (milieu du vi e - fin du v e siècle avant J.-C.). Ces productions sont donc antérieures à celles mises au jour à La Alcudia. Les deux pièces sont faites en calcaire de faciès A (pl. 2, 7). Le site est implanté sur la colline de Moncayo (Guardamar del Segura) au sud du rio Segura (fig. 1). Il s'agit d'une nécropole renfermant un important matériel céramique et des éléments de sculptures très fragmentés, datant du v e siècle avant J.-C. et fragmentés anciennement (Llobregat, dans Aranegui et al., 1992, p. 77-85; Llobregat et Jodin, 1990). Les vestiges conservés au MARQ, Alicante, sont intéressants du point de vue de leur nature lithologique. Une dizaine d'éléments sculpturaux ont été examinés. Les débris de représentations de taureaux sont nettement dominants. Les matériaux ouvrés se répartissent en deux catégories (pl. 2, 2 à 6) : Les calcaires d'El Ferriol de faciès A sont fréquents (tête et corne de taureau, bras humain avec figuration de bracelet, partie de tête de lion) (pl. 2, 3 & 4). Il n'existe aucune roche de ce type près de Guardamar; les plus proches sont celles du Vinalopo. Ces éléments sculptés sont donc ici clairement importés : La Alcudia est situé à une quinzaine de kilomètres et les carrières d'El Ferriol à environ 25 kilomètres au nord, en ligne droite (fig. 1). Des matériaux d'origine locale constituent la seconde catégorie : Le calcaire sableux ou le grès calcaire tendre du Pliocène II (voir plus haut), fin ou plus grossie, de teinte jaune ocrée, a été souvent utilisé, notamment dans le secteur de Moncayo. Cette roche se taille très facilement et a pu donner des œuvres de bellefacture : voir le mufle (hocico) de Taureau (Llobregat, dans Aranegui et al., 1993, 76, fig. 38-39) ou le bas relief fragmentaire portant une colombe entre les deux pattes d'un bovidé (ibid., 80, fig. 54) (pl. 2, 5). Cependant, elle est d'une médiocre tenue, beaucoup moins résistante que le calcaire d'El Ferriol. Ceci n'a pu qu'aggraver la fragmentation des statues lors de leur destruction. Le calcaire oolithique quaternaire blanchâtre, assez tendre, est constitué de minuscules oolithes d'aragonite (de un à quelques dixièmes de mm de diamètre) (pl. 2, 6). Il appartient au cortège des sédiments calcaires littoraux quaternaires (Tyrrhénien) affleurant près de Guardamar del Segura et notamment au voisinage immédiat du site de la Rabita où de petites exploitations ont été ouvertes dés l'époque ibérique. Un corps fragmentaire de taureau (MARQ Alicante) (ibid., 85) est taillé dans ce calcaire. Ce faciès très particulier est de bien meilleure tenue que le précédent et susceptible de durcir à l'air après la taille. Ainsi, le site de Cabezo Lucero apporte deux informations notables : La capacité des sculpteurs ibères à diversifier leurs ressources en pierres tendres susceptibles d' être ouvrées : calcaire sableux du Pliocène II; calcaire oolithique tyrrhénien. La diffusion au sud du rio Segura, en proportions notables, de sculptures faites en calcaire du faciès A d'El Ferriol. Selon les informations établies précédemment, ce sont, non pas des pierres brutes, mais des œuvres élaborées dans les carrières (voir plus haut) et dans les ateliers de La Alcudia qui ont fait l'objet de cette diffusion. Un élément architectural (pilier-stèle) de Montforte del Cid (Nord d'Elche, en rive droite du rio Vinalopo) (Musée municipal de Elche; vi e - v e siècle av. J.-C.) (Almagro Gorbea et Ramos Fernández, 1986) et le sphinge d'Agost (au Nord d'Elche) (MAN de Saint-Germain-en-Laye; fin vi e siècle av. J.-C.) (Rouillard et al., 1997, p. 92-93) sont constitués d'un calcaire à foraminifères planctoniques qui peut être rapporté au faciès A. La tête de griffon de Redovan (bas-Segura; MAN de Madrid; vi e - v e siècle av. J.-C.) (García y Belllido, 1943, p. 145-146) qui est une œuvre remarquable, est sculptée dans le calcaire sableux fin, jaune, du Pliocène II local. L'association des recherches géologiques et archéologiques trouve dans l'étude du site ibérique de La Alcudia (l'antique Illici) et des secteurs adjacents (plaine du bas-Vinalopo et du bas-Segura) un point d'application particulièrement fructueux. Un certain nombre de données intéressantes concerne l'environnement géomorphologique et « le paysage » du site Illicitan. La reconstitution du tracé du trait de côte aux alentours du v e siècle av. J.-C. montre l'existence d'une baie ouverte sur l'emplacement de l'embouchure du Segura (Barrier et al., 2005). Ce petit golfe abrité a favorisé l'implantation des sites de La Rabita et d'El Rebollo, le premier ayant été un point d'accostage pour le trafic maritime. En revanche, les reconstitutions figurant un large golfe ouvert entre les sierras de Santa Pola et de Guardamar, d'où n'émergerait qu'une île correspond à la sierra del Molar (Seva-Roman et Vidal Bernabeu, 2004) ne sont pas fondées. De fait, le site portuaire de la Picola de Santa Pola, implanté dès l'époque ibérique, est situé à proximité du littoral actuel. Ces relais portuaires assez nombreux (La Rabita, El Rebollo [? ], La Picola, Tossal de Manises [Alicante]), conditionnés par le contexte géologique et géomorphologique, ont évidemment influencé l'évolution économique et culturelle de l'arrière-pays, et en premier lieu de la cité de La Alcudia. Les modifications du paysage en fonction de facteurs climatiques et /ou anthropiques (activation de l'érosion en relation avec la réduction du couvert végétal) sont encore incomplètement appréciées. On suspecte néanmoins un colmatage récent des dépressions (baie du bas-Segura et lagunes littorales) par des apports considérables de matériel terrigène fin. Des évènements exceptionnels actuels comme les crues catastrophiques de l'automne 1973, qui ont répandu sur la plaine du bas-Segura (huertas et orangeraies) une couche de vase atteignant par endroit le mètre de puissance, donnent une illustration de tels phénomènes. Le tracé du rio Vinalopo n'a pas dû varier depuis l'époque ibérique mais son régime était sans doute différent, avec une mise en eau plus fréquente. L'approvisionnement de la cité illicitane en pierre à bâtir et matériaux statuaires s'opérait une dizaine de kilomètres plus au nord. Cette distance ne constituait pas une grande difficulté, le relief n'opposant pas d'obstacle particulier. Des traces de chemins antiques (situés à l'écart des voies de communication actuelles) existent ponctuellement, montrant de profonds sillons creusés dans les roches par les roues des chariots (fig.5). Trois types de roches ont fait l'objet d'exploitations antiques (faciès A, B et C), selon des modalités et à des périodes différentes. Les calcaires d'El Ferriol (faciès A) montrent les exploitations les plus nombreuses, permettant des observations détaillées sur les modalités d'extraction. L'usage statuaire de ce calcaire est attesté dès l'époque archaïque (vi e - v e siècle av. J.-C.; site du Parque de Elche); il fournit encore la matière d'éléments architecturaux de la période ibéro-romaine (i er siècle av. - i er siècle après J.-C.). Son exploitation n'a pas cessé jusqu' à l'époque contemporaine, et l'église Santa Maria de Elche (xviii e siècle) en constitue un exemple éclatant. La découverte des ébauches de statues d'El Ferriol montre que le travail du sculpteur était largement avancé sur les lieux mêmes d'extraction. L'emploi du calcaire A comme matériaux du bâti ancien est assez peu documenté du fait de la carence de vestiges de murs en pierres d'appareil assurément ibériques. Le calcaire de faciès B très présent dans la statuaire de La Alcudia datant de l'époque classique (v e - iii e siècle av. JC) se rencontre aussi dans quelques éléments architecturaux. L'extension et le volume limités des exploitations, laisserait supposer que les œuvres importantes tirées de cette roche ont été produites pendant une période assez courte, peut être par un même atelier de sculpteurs. Le calcaire de faciès C semble n'avoir été mis en œuvre qu' à partir de l'époque romaine. On sait que la sculpture ibérique dans son ensemble, a fait un usage quasi exclusif de roches tendres, très souvent des calcaires néogènes. Les matériaux employés à La Alcudia ne dérogent pas à cette règle, bien que des roches dures soient disponibles dans les environs. Il faut attendre l'époque romaine pour voir apparaître des éléments sculptés tous réalisés en pierre dure et notamment des statues de marbre (sans doute importées, bien que des marbres analogues soient exploitables dans les régions plus occidentales des unités bétiques internes). Les calcaires sableux jaunes pliocènes ouvrés au Cabezo Lucero et à Redovan sont sans doute un cas extrême, du fait de leur faible cohésion. Il est peu probable qu'ils aient donné lieu à une production abondante, quand bien même on compte des œuvres de bonne facture. À l'inverse, le calcaire d'El Ferriol (faciès A) et d'Altabix (faciès B) appartiennent aux meilleures qualités de pierres statuaires ibériques, assez comparables de ce point de vue au calcaire du Cerrillo Blanco de Porcuna (NO de Jaén). La qualité des matériaux, alliée au rayonnement de la cité Illicitane et au talent de ses sculpteurs, laissent supposer que les œuvres de La Alcudia ont pu diffuser assez largement dans les régions du Levant. Distant seulement d'une quinzaine de kilomètres, le site de Cabezo Lucero montre un intéressant mélange de productions locales et venant de La Alcudia. L'élargissement de tels inventaires à des régions plus éloignées reste à faire .
Le site ibérique célèbre de La Alcudia (l'Illici antique) est situé dans la dépression tectonique d'Elche (secteurs du bas-Vinalopo et du bas-Segura) à l'extrémité orientale des chaînes bétiques. L'environnement du site est envisagé sous ses aspects géologiques et géographiques : reconstitution du paysage ibérique, et des rivages marins proches; ressources minérales de l'arrière pays. L'essentiel de l'étude concerne l'extraction et l'utilisation des matériaux lithiques employés notamment pour la statuaire à l'époque ibérique. L'ensemble des carrières d'où fut extraite la pierre de la fameuse Dame d'Elche est localisé. Un début d'inventaire pétrographique permet de repérer la diffusion, dans les régions avoisinantes, des oeuvres sculptées produites à La Alcudia.
archeologie_08-0463630_tei_384.xml
termith-21-archeologie
Le site de plein air de La Vigne Brun (Loire, France) est un gisement gravettien unique et sans équivalent dans le contexte des habitats du début du Paléolithique Supérieur en Europe occidentale en raison des structures d'habitat et de la distribution spatiale des vestiges matériels. Ce site fait l'objet d'études interdisciplinaires incluant l'approche fonctionnelle. Celle -ci, intégrée à l'analyse de la répartition spatiale et technologique des vestiges vise la reconstitution et la localisation des activités pratiquées dans le gisement ainsi que la compréhension des modes de gestion des supports lithiques afin d'obtenir une vision dynamique de l'occupation du site. En Europe Occidentale l'identification du travail des matières dures animales, à travers l'analyse des vestiges d'utilisation, est essentiellement bien documentée pour la période du Magdalénien. Les analyses tracéologiques des artefacts lithiques provenant de différents sites attestent de l'importance du travail de ces matériaux, majoritairement effectué avec des burins : Cassegros (Vaughan 1981); Verberie (Keeley 1981, 1988; Symens 1983); Pincevent (Moss & Newcomer 1982; Plisson 1985); Pont-d'Ambon (Moss 1983a); Paglici (Donahue 1988); Laminak II (Gonzalez & Ibanez 1994); Berniollo et Santa Catalina (Ibanez & Gonzalez 1996); Rekem (De Bie & Caspar 1997); Champréveyres (Plisson in Cattin 2003). Pour le Gravettien, les études tracéologiques sont encore peu abondantes, en particulier en Europe Occidentale. Les seules informations disponibles proviennent essentiellement des sites en Europe Centrale et Orientale, tels que Willendorf II en Autriche (Gurova 1998) et Temnata Dupka Cave et Orpheus I, en Bulgarie (Gurova 1995), ou le travail des matières osseuses est attesté. L'étude tracéologique du matériel lithique de La vigne Brun, fournit à ce titre, l'opportunité de mieux connaître le rôle technique et fonctionnel de ces matériaux afin de mieux préciser les activités pratiquées et l'organisation économique des groupes gravettiens en Europe Occidentale. À La Vigne Brun, les conditions sédimentaires n'ont pas favorisé la conservation du matériel faunique, et par conséquence de l'industrie osseuse, à l'exception de quelques rangées dentaires de cheval et de quelques éléments post-crâniens de renne. La tracéologie constitue donc la seule approche permettant de déterminer la présence d'un travail de matières dures animales dans le site. La Vigne Brun se situe sur le cours supérieur de la Loire, sur la commune de Villerest, en amont de Roanne (fig. 1). Le site appartient à l'ensemble des gisements du Saut-du-Perron, regroupant le Champ Grand (Paléolithique Moyen), le Rocher de la Caille, la Goutte Roffat et le gisement Moreau. À une trentaine de mètres au-dessus du cours de la Loire, un ancien méandre a formé un replat rocheux, abandonné par un déplacement du cours du fleuve (Kervazo 1984). À cet endroit, six occupations moustériennes ont précédé l'arrivée des Gravettiens (Combier 1976). Le comblement de ce méandre provient de l'apport latéral d'arènes granitiques depuis le versant et le sommet du plateau. La sédimentation s'est effectuée de manière suffisamment régulière n'altérant donc pas les dépôts archéologiques. La présence de fléchettes et de pointes de Font-Robert permet d'attribuer La Vigne Brun à une phase ancienne du Gravettien. Les datations effectuées sur os brûlés situent l'occupation vers 23 000 ± 1000 BP (Evin 1982). Une datation obtenue sur charbon donne quant à elle 24 900 ± 900 BP (Combier 1980). L'originalité du site réside notamment en la présence d'importantes structures construites. Au nombre de six, elles sont de formes circulaires, mesurant 5 à 6 mètres de diamètre. Chacune possède en son centre un foyer en cuvette, entouré de blocs. Ces structures ne connaissent pas d'équivalent en Europe occidentale mais rappellent les grands campements gravettiens des plaines russes et ukrainiennes (fig. 2a). Le site fait l'objet d'une étude interdisciplinaire intégrant l'analyse technologique (D. Pesesse), l'étude de la répartition spatiale des vestiges, (E. Nonet) et l'étude archéozoologique (L. Fontana). D'autres études sont également en cours, tels que la sédimentologie (B. Kervazo) et l'anthracologie (I. Théry). L'ensemble de la série lithique comprend plusieurs dizaines de milliers de pièces. L'importante production lamino-lamellaire a majoritairement été réalisée sur des silex provenant du Cher, de l'Orléanais, du Macônnais ainsi que sur des silex locaux (Masson 1981). Cette diversité des sources d'approvisionnement rend compte de l'étendue du territoire parcouru par les Gravettiens (environ 230 km à vol d'oiseau). L'essentiel des activités de débitage est orienté vers la production de pointes à dos : gravettes, microgravettes et pointes à dos alternes (Pesesse 2003). Les outils de fonds commun tels que les burins, grattoirs et les pièces esquillées constituent une part importante de l'outillage. L'unité OP10 désigne une structure d'une surface de 25m 2, délimitée par un bourrelet de terre issu du creusement surmonté de dalles et de blocs de granit de grandes dimensions. Au centre de l'unité les fouilles ont mis au jour un foyer en cuvette. Sur un remplissage de 80 cm, une alternance de niveaux ocrés et cendreux a été observée (B. Gély, communication orale), suggérant une certaine complexité dans la mise en place des dépôts archéologiques (fig. 2b). La série lithique comprend au total 871 outils : pointes de la gravette (N = 448), pointes à dos alternes (N = 78), fléchettes (N = 12), pointes de Font – Robert (N=4) et des outils associés à des activités domestiques tels que les burins (N = 240), grattoirs (N = 51), pièces esquillées (N = 106), perçoirs (N = 5) et lames tronquées (N = 3). L'étude des traces d'utilisation conservées sur les outillages lithiques de l'unité OP10 rend compte d'un spectre de matières travaillées et d'activités très variées, relatifs au traitement de matières animales (os, bois de cervidé et peau), minérale et végétales ligneuses (Tableau 1). Globalement, les matières dures animales figurent parmi les matériaux les plus travaillées (28 %, N = 52z.u.), avec les autres matières dures (34 %, N = 62) et la peau (31 %, N = 57). Le travail du bois végétal (4 %, N = 7) et du minéral (3 %, N = 6) sont peu représentés (fig. 3). Cette prédominance du travail des matériaux osseux est par ailleurs observée sur d'autres gisements du Paléolithique Supérieur. Deux types d'outils portent des vestiges du travail de matériaux osseux : les burins et les grattoirs. L'état de conservation de ces pièces, jugé bon pour 43 %, a permis la lecture des traces d'utilisation à forts grossissements (200x). En dehors des matières dures animales (60 %, N = 48 z.u) les burins portent des traces relatives au travail de matières dures (17 %, N = 14z.u.), de bois végétal (7 %, N = 6z.u.), de matière minéral (5 %, N = 4z.u.) et de la peau (5 %, N = 4z.u). Pour 5 pièces (5 %, N = 5z.u.) la matière travaillée reste indéterminée. Seulement certaines catégories de burins ont été utilisées comme outil : les burins dièdres et les burins d'angle. Ces pièces témoignent d'une exigence importante dans la sélection des supports (recherche de lames fines et régulières en silex allochtone) ainsi que dans la mise en place de dièdres latéraux et terminaux, dont la délinéation et l'angulation sont recherchés (Pesesse 2002). Les burins présentent deux types de zones actives : l'extrémité burinante formée par le dièdre terminal et les bords tranchants des pièces - support. Les extrémités burinantes témoignent essentiellement d'actions de rainurage de matières animales dures (os et bois de cervidés). Les bords tranchants des supports ont été utilisés pour effectuer des actions transversales et longitudinales sur ces matériaux : dix-neuf zones usées produites par le rainurage sont observées sur les extrémités burinantes des burins dièdres et des burins d'angle. Parmi celles -ci, 4 z.u. sont caractéristiques de l'os (fig. 4b) et 6 z.u. concernent le rainurage de bois de cervidé (fig. 4a; fig. 5a,b,c). Les polis d'usage localisés sur ces zones actives sont généralement de faible intensité (De Araujo Igreja 2002). Ces pièces portent également sur les bords adjacents au biseau et sur les bords tranchants des pièces-support, des polis produits par un travail longitudinal (sciage, 5z.u.) et transversal (grattage, 24z.u.) sur des matières dures animales; une détermination plus précise de la nature des matières travaillés étant difficile. Les matériaux ont été travaillés essentiellement dans un état sec, à l'exception de deux burins qui présentent sur les bords latéraux des vestiges de grattage d'os et de bois de cervidé humide. Parmi 51 grattoirs, ayant en grande partie servie à gratter la peau (80 %), 4 pièces portent sur leur front des traces produites par le grattage de bois de cervidé. Deux de ces pièces, ont été utilisés sur du bois de cervidés humidifié (fig. 6). Deux stades sont distingués dans la transformation des matériaux osseux : la fabrication d'objets et leur entretien. Le premier est caractérisé par une succession d'opérations techniques par rainurage, sciage et raclage visant l'obtention d'un support d'outil, son façonnage et la finition de l'objet. Le second, l'entretien (affûtage, réparation et réaména-gement), caractérisé essentiellement par des actions de raclage et d'abrasion, est une phase opératoire qui consiste à restaurer la capacité fonctionnelle des outils (Ibanez & Gonzalez 1996). À partir de l'étude tracéologique, des hypothèses concernant la mise en relation des cinétiques de travail identifiées avec les différentes phases de production d'un objet, peuvent être proposés. Les actions de rainurage, perforation et de sciage sont caractéristiques de l'étape de fabrication alors que le raclage est une opération commune à la fabrication (obtention du support et façonnage) et à l'entretien. Ainsi, les usures relatives au rainurage observées sur les burins dièdres et burins d'angle semblent correspondre à l'utilisation de ces outils lors de la fabrication d'objets en os et en bois de cervidés, plus précisément dans l'extraction du support. En effet, au gravettien, le procédé d'obtention de supports en bois de cervidé par double rainurage semble se généraliser (Goutas 2002). Enfin, les traces de raclage observées sur les bords des supports des burins ainsi que sur les fronts des grattoirs peuvent avoir été produits soit lors du façonnage, soit lors de l'entretien. La présence d'un travail de bois de cervidé, matériau privilégié pour la fabrication d'armes de chasse (sagaies, harpons) s'articule bien avec l'équipement lithique qui est majoritairement composé d'armatures (gravettes). En outre, sur la face supérieure de certaines de ces gravettes, des arêtes portent des traces de frottement avec de l'os. Ces usures, très localisées, semblent être le résultat d'emmanchement, suggérant une utilisation comme couteau, comme le démontre la présence, sur le bord tranchant, les polis de découpe de matières carnées. Dans l'ensemble, les résultats tracéologiques confirment l'importance de la chasse parmi le spectre d'activités pratiquées dans le gisement. Dans l'état actuel de l'étude tracéologique, la reconstitution des processus techniques régissant la transformation des matières dures animales à la Vigne Brun s'avère limité en raison de la mauvaise conservation des matériaux organiques. Pour cette période, les études technologique et fonctionnelle des industries osseuses sont en cours de développement et d'application. Ainsi, l'état des connaissances sur les modalités d'exploitation des matériaux osseux reste insuffisant pour permettre avec précision la reconstitution des chaînes opératoires à partir des vestiges d'utilisation sur les outils lithiques. La poursuite de l'étude cherchera à mieux corréler les usures observées sur les outils lithiques avec les différentes opérations techniques comprises dans la manufacture d'objets osseux. À La Vigne Brun, l'étude tracéologique témoigne d'un travail des matières dures animales (os et bois de cervidés), auquel ont largement participé les burins et quelques grattoirs. Les burins, en particulier dièdres et d'angle, constituent des outils fonctionnellement spécialisés dans le travail de l'os et du bois de cervidé; sur ces pièces, des relations sont visibles entre la gestion du support, la morphologie et la finalité fonctionnelle (De Araujo Igreja & Pesesse, à paraître). Les usures observées sur ces outils témoignent de différentes modalités de fonctionnement. L'utilisation des dièdres terminaux et des bords tranchants des pièces-support, utilisés d'une part pour le rainurage, d'autre part pour du raclage et du sciage, révèlent le caractère polyvalent des burins. Le caractère multifonctionnel de ces pièces est par ailleurs attesté sur d'autres sites du Paléolithique Supérieur : Verberie, Rascano et El Juyo (Keeley 1988); Laminak II (Gonzalez & Ibanez 1994); Berniollo et Santa Catalina (Ibanez & Gonzalez 1996). L'absence d'une industrie osseuse à La Vigne Brun, ne permettant pas une étude combinée avec l'industrie lithique, limite la compréhension des processus techniques au sein desquels les outils lithiques sont intervenus. Toutefois, à partir des informations obtenues sur la nature des matières travaillées et les mouvements effectués, des hypothèses préliminaires peuvent être proposées : les usures observées sur les burins peuvent correspondre à des étapes de débitage (sciage et rainurage) et de façonnage (raclage) d'objets en os et bois de cervidés; celles observées sur les grattoirs s'inscriraient soit dans les étapes de fabrication (façonnage) soit dans l'entretien. Enfin, notons que le traitement des matières dures animales s'intègre dans une gamme d'activités variées pratiquées dans l'unité OP10 : des activités relatives à la chasse et au traitement de matières telles que la peau, le minéral et le bois végétal, suggérant une durée d'occupation(s) du site assez longue(s) .
Découvert dans les années 80, le site de plein air de La Vigne Brun (Loire, France) est un gisement gravettien sans équivalent dans le contexte des sites du début du Paléolithique Supérieur en Europe Occidentale. L'excellent état de conservation de l'industrie lithique localisée dans des structures d'habitat bien définiess, autorise la réalisation d'une étude interdisciplinaire incluant l'analyse tracéologique. Celle-ci, intégrée à l'analyse technologique et à la répartition spatiale des vestiges, contribue à la détermination des activités pratiquées dans le gisement. L'étude des traces d'utilisation du matériel lithique provenant de l'unité OP10 a ainsi permis d'identifier les taches et les matières travaillées au moyen des outils de silex dans cette structure. Nous ne présenterons ici que les résultats relatifs au travail de matières dures animales. L'emploi des burins et des grattoirs domine dans les processus techniques de transformation de l'os et du bois de cervidé. Les burins ont servi essentiellement au travail des matériaux osseux. Cet outil semble concentrer différentes opérations techniques telles que le rainurage, le sciage et le raclage. Pour le rainurage, des liens ont pu être établis avec la morphologie de la zone active formée par l'extrémité burinante. Les grattoirs, essentiellement utilisés dans le traitement de la peau, sont intervenus plus ponctuellement sur le bois de cervidé. L'état actuel de l'analyse tracéologique montre que l'exploitation des matières dures animales fait partie du spectre d'activités pratiquées au sein de l'unité OP10. A partir des résultats obtenus, la reconstitution des processus techniques des artefacts osseux est abordée : les traces d'usure identifiées semblent correspondre à des phases de fabrication et/ou d'entretien.
archeologie_08-0168755_tei_324.xml
termith-22-archeologie
En 1967, Gilles Gaucher et Yves Robert (Gaucher, Robert, 1967) publient une synthèse sur deux dépôts mis au jour fortuitement dans la sablière de Cannes-Écluse (Seine-et-Marne) en 1964. Cette découverte renouvelle alors la documentation sur ces dépôts caractéristiques de la fin du deuxième millénaire, encore relativement peu nombreux. En effet, même si les découvertes s'égrènent depuis le XIX e siècle, le développement de grands travaux à partir des années 1970 accélère les trouvailles archéologiques, conjointement à des épisodes de découvertes dues au hasard. En ce sens, la mise au jour de Cannes-Écluse inaugure une nouvelle période pour le nord de la Bourgogne et le Bassin parisien (Mordant, 1998) avec les mises au jour de Villethierry en 1969-1970, Génelard en 1975, Blanot en 1982, mais aussi de Marmesse (Haute-Marne) en plusieurs phases au cours des années 1980 (Lehoërff, 2008). Cette forme de découverte fortuite conduit le plus souvent à une collecte (parfois incomplète) de données et de mobiliers métalliques, sans que le contexte fasse l'objet d'une véritable attention dans la mesure où les archéologues ne sont pas toujours les premiers sur le site. Dans certains cas, comme à Marmesse, plusieurs mois s'écoulent même entre les premières trouvailles et une recherche plus systématique par les archéologues. En 1967, Gilles Gaucher et Yves Robert soulignent la gravité du fait lorsqu'il s'agit de travaux d'ampleur : « Les grandes entreprises contemporaines saccagent plus de vestiges, en un jour, que n'en détruisaient, en un siècle, les travaux traditionnels » (Gaucher, Robert, 1967, p. 214). Cette époque pionnière ne connaît pas encore la législation spécifique à l'archéologie préventive dans laquelle entrerait aujourd'hui la majorité de ces découvertes. À la fin des années 1960, les dépôts sont alors interprétés selon une classification en vigueur depuis des décennies dans toute l'Europe : les dépôts de fondeur comportant des pièces cassées destinées, pense -t-on, à être refondues, les trésors et les dépôts votifs caractérisés par l'abandon de pièces entières. Le renouveau des études sur les dépôts de cette période ne date que des années 1990, postérieur à la majorité des découvertes de ces ensembles (Bradley, 1990), mais connaît actuellement un réel succès avec des colloques consacrés à ce thème (Hamon, Quilliec, 2008). En France, une véritable dynamique existe désormais sur le sujet, parfois soumise à des débats très passionnés (Gabillot, Lagarde, 2008; Milcent, Leroy, 2003; Lehoërff, 2008; Veber, 2008; Verger, 1992, etc.). La réflexion, si intense en France, ne trouve qu'un écho très inégal en Europe, en particulier méditerranéenne( Lehoërff, 2005). Une partie des chercheurs estime pourtant que les trois classifications traditionnelles élaborées à partir du XIX e siècle ne suffisent pas à rendre compte de la complexité de ce phénomène des dépôts commun à toute l'Europe centre-occidentale, méditerranéenne comme transalpine, et dont la plus forte intensité correspond à la deuxième moitié du deuxième millénaire avant notre ère. À Cannes-Écluse, durant l'été 1964, deux dépôts furent mis au jour par un bulldozer, le premier sans qu'un contenant ou un contexte précis d'enfouissement puisse être identifié, le second contenu dans un vase qui fut pulvérisé au moment de la découverte et dont il ne subsiste qu'un fragment de tesson. Un troisième ensemble aurait également été trouvé sans qu'il puisse être récupéré par les archéologues (Gaucher, Robert, 1967, p. 173). Les conditions de découverte sont donc loin d' être idéales pour restituer les modalités précises de dépôt, ni même pour s'assurer d'une exhaustivité du nombre des pièces aujourd'hui inventoriées. Cette situation est classique pour de nombreux dépôts européens, souvent découverts anciennement et par des personnes qui ont pu jeter des objets de petite taille ou bien conserver des objets qu'ils jugeaient à leur goût, dignes de figurer dans leur collection personnelle, malgré la législation en vigueur. Les dépôts de Cannes-Écluse n'échappent pas à ce problème. Cependant, ici comme pour d'autres ensembles, cette documentation est d'une telle importance qualitative dans les corpus, et plus spécifiquement sur l'artisanat métallurgique de ces périodes, que les chercheurs ne sauraient se priver de l'étude de ces mobiliers. L'historien, pour ces dépôts, comme finalement pour toute documentation, tiendra compte d'un contexte et de ses lacunes potentielles, sans écouter les voix (de sirènes ?) qui s'élèvent parfois aujourd'hui pour préconiser la mise au rebus (les nouveaux dépôts ?) de ces vieilles découvertes. Les deux dépôts connus contiennent des objets de type varié dont la typologie autorise une datation au Bronze final I, soit vers le XIII e siècle avant notre ère. Les mobiliers sont fragmentés quelle que soit leur catégorie fonctionnelle d'origine, ce qui conduit d'ailleurs les auteurs de l'article de 1967 à utiliser le terme de « cachette » qui est toujours associé à celui de fondeur. Il faut donc comprendre que les dépôts de Cannes-Écluse (sauf le troisième qui aurait été constitué de pièces entières) sont alors interprétés comme des stocks de métal, cachés mais provisoirement et destinés à être récupérés par un artisan afin d' être refondus, ce qui concorderait avec l'existence éventuelle d'un village à proximité comportant des zones de foyers peut-être liées à des activités métallurgiques (Gaucher, Robert 1967, p. 172). Cette interprétation s'inscrit par ailleurs dans une logique économique supposée de ces populations face à la gestion des stocks de métal recyclable : puisque le métal est rare et puisque les objets sont cassés, ils ne sont pas fonctionnels en l'état mais sont utilisables en petits morceaux qui entreraient ainsi plus aisément dans les creusets. Les « cachettes de fondeurs » ont du mal à trouver une place dans les travaux récents sur les dépôts. En effet, tant que ces ensembles furent considérés comme des stocks aléatoires de fragments, l'hypothèse fut plausible. Dès lors que l'on étudia la composition des dépôts et que l'on parvint à dégager des logiques d'associations, y compris dans des ensembles ne comportant que des fragments, la thèse de la cachette devint plus fragile. En effet, si ces ensembles sont des « bric-à-brac » destinés à la refonte, comment expliquer la présence récurrente de certaines parties d'objets pour une période et un lieu donné ? Par ailleurs, le phénomène de dépôt est de grande ampleur à travers toute l'Europe dans un contexte artisanal de très grande qualité qui cadre mal avec un « oubli » si fréquent - même provisoire - de pièces associées souvent de la même manière, avec des parties des objets représentés qui sont souvent identiques. Aujourd'hui, sans que ce phénomène ait été compris dans son intégralité, le dépôt doit être envisagé comme un acte délibéré d'exclusion du métal du circuit de production artisanale. Cette action prend différentes formes, correspondant à des pratiques culturelles bien spécifiques aux sociétés de l' Âge du Bronze, et encore pour une part de l' Âge du Fer, que l'Europe occidentale contemporaine a du mal à concevoir, tant ces gestes sont éloignés de ses propres schémas de fonctionnement. Ce type d'ensemble qualifié aujourd'hui de « dépôt complexe » est compris comme un rassemblement cohérent de pièces, et non un regroupement aléatoire, dont la fragmentation est également régie par des règles et non par le hasard, et qui n'a jamais été destiné à être récupéré et recyclé. Dans une logique rationnelle, la fragmentation permet conjointement le dépôt définitif de mobiliers dont la forme originelle est encore identifiable et une économie de matériau puisque l'abandon ne concerne qu'un pourcentage du poids total de l'objet (au maximum 50 % pour certaines haches, plus souvent de l'ordre de 10 %). Symboliquement, ce bris d'objet marque la fin de vie d'un objet sous une certaine forme - et pour une certaine personne ? - et la continuité partielle de ce même objet par la partie qui est elle recyclée et qui n'est pas dans le dépôt. A priori, les deux dépôts connus de Cannes-Écluse entrent dans cette catégorie. Pour l'étude de l'artisanat métallurgique des alliages cuivreux, les dépôts représentent une source documentaire fondamentale. Le matériau qui les compose est, en dehors d'un éventuel contenant, entièrement recyclable et peut donc être réutilisé comme matière première. Dans une Europe où les minerais de cuivre et d'étain sont très inégalement répartis et parfois absents, il s'agit là d'un atout d'importance. Les objets métalliques sont fabriqués pour tous les domaines des activités humaines (outillage, armement offensif et défensif, parure, vaisselle, etc.). Plus encore, leur possession et le contrôle des circuits d'échanges participent à l'organisation des hiérarchies sociales. Le fait d'écarter volontairement une matière première essentielle dépasse donc l'action technique pour relever d'une action culturelle bien particulière. Cette action est envisageable à tous les stades de la chaîne opératoire, qu'il s'agisse d'objet à peine sorti d'atelier et jamais utilisé ou au contraire d'un objet qui a longuement servi (fig. 1 et 2). En effet, la refonte est possible à tout moment dans ce cycle et, d'un point de vue technique et économique, il est aussi aberrant de ne pas recycler entièrement un objet « ancien » qu'un objet « neuf ». Aussi incompréhensible d'en abandonner définitivement, même un fragment. C'est d'ailleurs en se fondant sur cette logique de recyclage « évident » que s'est construite l'hypothèse des « cachettes de fondeur ». Alors que le métal est rare, n'est pas disponible partout, comment imaginer que des petits morceaux de métal puissent être destinés à un autre usage que la refonte ? En revanche, les objets entiers se sont imposés en tant que tels, avec leur identité et leur intégrité, plus compatibles avec une action de dépôt votif. En France septentrionale, alors que justement l'approvisionnement en cuivre et en étain semble reposer uniquement sur des importations, le phénomène d'abandon d'objets entiers comme fragmentés est particulièrement marqué. Le paradoxe est d'importance. Par ailleurs, le phénomène des dépôts est si important qu'il représente pratiquement l'intégralité de nos connaissances sur les productions métallurgiques pour le deuxième millénaire avant notre ère. À partir du premier millénaire, s'y ajoute une autre forme de métal déposé dans les tombes, ensembles funéraires, que l'on peut qualifier de « classiques ». Dans le même temps, les vestiges d'ateliers avec les ratés de fabrication, les déchets divers, les outils, etc., sont particulièrement rares. L'artisanat s'appréhende donc, par nécessité, via le produit fini ou plutôt les produits finis qui ont été volontairement abandonnés et donc exclus d'une chaîne opératoire incluant un éventuel recyclage (Lehoërff, 2007). Et cette remarque s'applique là encore à toute l'Europe, de la Méditerranée centre occidentale (Lehoërff dir., 2004) jusqu' à des confins plus septentrionaux. Les différences essentielles entre les ensembles eux -mêmes - et donc leur classification - tiennent à la nature des objets (catégories), leur état (entiers ou fragmentés) et le milieu dans lequel ils sont déposés (en particulier avec une distinction notable entre milieu terrestre et milieu humide) plus que dans les régions de découverte. Quels enseignements peut-on donc retirer de ces objets entiers ou cassés disséminés dans divers contextes ? S'il ne s'agit pas a priori de la documentation idéale pour le métallurgiste qui voudrait avoir toutes les pièces du puzzle pour suivre pas à pas les étapes de la chaîne opératoire de fabrication (fig. 3), il n'en reste pas moins clair que ces mobiliers sont riches d'informations techniques. Le premier dépôt de Cannes-Écluse contient quinze fragments de jambières, certains susceptibles de remonter les uns avec les autres, d'autres non (fig. 4). Les jambières appartiennent toutes au même type, celui dit « à spirales et fils récurrents » (Thevenot, 1991, p. 25) Par ailleurs, certaines pièces parmi les trente-cinq fragments de spirales, pourraient également appartenir à des jambières mais sans que les remontages ne soient probants. Le total des jambières pourrait être de six, soit égal à Blanot. Les jambières de type « à spirales et fils récurrents » sont connues en France du Centre-Est depuis le début du Bronze final avec une évolution typologique de détail de cette parure de jambe, en particulier une augmentation de la largeur du jambart (ou bandeau). Ces objets conjuguent diverses difficultés techniques de réalisation. Un matériau de bonne qualité est donc attendu pour que la fabrication soit envisageable sans trop de risques de rupture, en particulier au niveau de la spirale. Une exécution bien maîtrisée de toutes les étapes de fabrication semble également logique. Les exemplaires de Cannes-Écluse ne sont pas uniques. Des jambières de ce type, plus récentes (Ha A2-B1), ont en particulier été découvertes entières dans le dépôt de Blanot (Côte-d'Or) mis au jour en 1982. Une étude métallurgique a été conduite sur ces pièces par Michel Pernot qui avait alors pu établir un certain nombre de faits concernant ce type de parure (Pernot, 1991). Une reprise de l'étude du dépôt de Cannes-Écluse semblait donc être l'occasion de compléter des données sur l'artisanat métallurgique du Bronze final de la France du Centre-Est grâce à l'examen de jambières plus anciennes. Six prélèvements d'environ 2 x 2 mm ont été réalisés sur des jambières identifiées ou probables, auxquels s'ajoute celui d'un fragment de tôle (fig. 4). La taille de ces échantillons résulte d'un compromis entre des impératifs d'étude et de présentation muséographique éventuelle. En effet, s'il est nécessaire de préserver au mieux la pièce dans son intégrité archéologique originelle, l'étude technique impose d'avoir du métal et non pas seulement de la corrosion et de pouvoir orienter l'échantillon avant sa préparation pour choisir le plan d'observation en fonction de la morphologie de l'objet (coupe longitudinale, perpendiculaire à tel axe, etc.) et des interrogations posées. Dans le cas présent, les objets sont tellement fragmentés qu'une telle opération ne porte aucun préjudice à une éventuelle présentation en vitrine du dépôt. L'objectif d'une étude technique, qui inclut une phase d'observations métallographiques et des analyses de composition, est de retracer l'histoire thermomécanique des pièces grâce à des indices qui subsistent dans la microstructure du métal et de mettre en regard des choix de matériaux avec des procédés de fabrication décidés par l'artisan qui a fabriqué la pièce ou l'objet. Ces résultats sont ensuite comparés à d'autres, obtenus avec des protocoles similaires sur des ensembles choisis de manière pertinente pour une histoire de l'artisanat métallurgique. Les sept prélèvements ont fait l'objet d'une préparation « classique » dans le cadre d'une étude métallurgique de la microstructure : repérage des prélèvements pour la détermination du plan d'observation, enrobages, polissages à l'aide d'abrasifs de plus en plus fins (Lehoërff, 2007, p. 167-178; Scott, 1991). Les premières observations ont été effectuées au cours du polissage et un premier bilan a été dressé. Le métal est monophasé, de qualité moyenne, comportant en particulier des sulfures bien visibles mais aussi une présence non négligeable de plomb (fig. 5). Le métal est par ailleurs bien homogénéisé dans l'ensemble des échantillons. Les traces du travail de mise en forme sont logiquement variables d'un échantillon à l'autre selon la partie de la jambière dans laquelle le prélèvement a été effectué. La qualité du métal est sans doute l'un des résultats les plus étonnants au regard des techniques de fabrication. En effet, l'exécution du travail, même si on suppose une ébauche initiale comportant des extensions destinées à être transformées en spirales, conduit à un allongement important du matériau. Ce travail ne peut être réalisé qu'avec une alternance de passes de martelage et de recuits jusqu' à l'obtention du produit fini qui mesure entre 1,20 et 1,40 m. Ainsi, la spirale 11 du dépôt I, qui est conservée aux 3/4 environ, mesure déjà en l'état 1,05 m. Disposer d'un matériau de qualité est ici a priori un gage de réussite plus assurée, ou tout au moins une assurance de conditions plus favorables pour limiter les fissures en cours de martelage. Les jambières ont été largement mises en forme par martelage à l'issue de la fonderie. Les microstructures sont monophasées, ce qui est conforme à ce type d'opération. Ce travail a été réalisé sur le bandeau comme sur les spirales de chaque jambière mais de manière inégale selon les parties, ainsi que, semble -t-il, d'une jambière à l'autre. Les échantillons 1 et 2 (P1 et P2) ont été précisément effectués dans deux secteurs d'un même objet. Les observations en microscopie optique montrent des sulfures bien allongés (de 30 à 60 m dans la tôle centrale de la jambière; P1– fig. 5) tandis que l'amorce de la spirale du même objet présente des sulfures beaucoup plus globulaires (P2), synonymes d'une moindre déformation (fig. 6). Les échantillons 3 et 4, prélevés aux deux extrémités de la même spirale, complètent la situation : la partie la plus centrale de la spirale (P4) est également la plus déformée, là encore avec des sulfures pouvant atteindre les 60 m, tandis que la spirale dans sa partie circulaire (P3) a été moins déformée, comme le montrent des sulfures moins écrasés. L'échantillon 5 provient d'une tôle centrale de jambière. Les observations montrent des sulfures assez allongés mais sans que le taux de déformation ne puisse être calculé avec certitude, la corrosion ayant « soulevé » la surface initiale de l'objet. Des estimations sur l'allongement subi par le métal sont envisageables dans la mesure où ces sulfures cumulent les déformations subies par le matériau sans changer de forme au moment des recuits, contrairement aux inclusions de plomb par exemple (fig. 6). Elles se font en deux étapes : d'abord la recherche de l'épaisseur initiale de la tôle à l'endroit de la mesure puis un calcul de pourcentage de déformation, soit dans une déformation multiaxiale (la plus fréquente), soit plane (dans une seule direction; Lehoërff, 2007, p. 160; Pernot, 2000). Pour les objets de Cannes-Écluse les deux types de déformations ont été utilisés selon la partie de la pièce concernée, biaxiale sur le jambart et plane sur la spirale. La quantité de déformation est également variable, d'environ 50 % à 90 % au minimum dans les parties des plus fines des jambarts (fig. 7). L'ébauche n'avait pas la même morphologie partout. Le secteur destiné à devenir le jambart était une plaque, tandis que les secteurs des spirales en portaient déjà les prémices dans la forme. L'échantillon qui présente le moins de déformation plastique est l'échantillon 2. Le plan d'observation très légèrement en biais explique que les sulfures soient moins allongés dans cette partie. Même avec cette réserve, c'est la partie la moins martelée de la jambière. En tenant compte des différentes mesures et des calculs, on peut considérer que l'ébauche initiale correspondant à l'une des spirales est de l'ordre de 20 à 30 cm, de section circulaire. Le prélèvement 6 comporte une zone décorée bien visible dans la coupe de l'échantillon (fig. 8). Les sulfures, peu allongés, indiquent que la déformation post-fonderie est limitée, ce que confirme le chiffre de pourcentage de réduction (de l'ordre de 70 %) inférieur aux valeurs maximales (fig. 7). Le métal a été laissé dans un état différent selon les objets, ou même les parties concernées. Les prelèvements 1 et 2 (P1 et P2) proviennent de la même jambière. Le premier, localisé sur le bandeau, est dans un état recristallisé, à peine perturbé par quelques macles mécaniques. En revanche, le second, provenant de l'amorce de la spirale, a été laissé dans un état déformé parfaitement logique avec le type de pièce et la rupture de la pièce avant son dépôt. L'état du métal ne correspond pas ici à un choix de fabrication en vue d'une utilisation, mais du résultat du bris avant abandon. Cela étant, au moment de sa réalisation, l'artisan n'a pas laissé cet objet dans un état recuit sans le retravailler. Dans le cas inverse, il aurait certes été plus résistant aux coups mais également susceptible de se déformer plus - trop - facilement. L'état métallurgique des différentes spirales est identique, déformé avec de nombreuses macles mécaniques. Les bandeaux portent en revanche des macles thermiques encore bien visibles (échantillons 5 - fig. 9 - et 6 - fig. 8). L'ensemble des échantillons a fait l'objet d'analyses au moyen d'un dispositif d'analyse couplé au Microscope Électronique à Balayage (MEB). Ce procédé d'analyse sur un fragment (et non de la poudre) présente l'avantage de fournir une autre série d'images sur la microstructure, complémentaires à celles qui ont été obtenues en microscopie optique. Surtout, il permet de visualiser la plage analysée et donc de s'assurer de la nature du matériau analysé, le métal et non la corrosion qui augmente le pourcentage d'étain et fausse ainsi les résultats. Le faisceau d'électrons envoyé sur l'échantillon peut être réglé au cas par cas. Le réglage se fait par un grossissement plus ou moins important. Il est globalement optimal est entre x 500 et x 700 car il prend en compte une plage suffisamment importante pour contrebalancer une éventuelle hétérogénéité du métal. Il ne peut être effectué que lorsque l'échantillon ne présente pas de problème majeur de corrosion. Dès que cette dernière est présente, il faut augmenter le grossissement, cibler plus et prendre une plage métallique moins importante mais plus sûre pour l'analyse. Lorsque l'échantillon le permet, il est également intéressant de changer le grossissement entre une analyse et une autre pour vérifier la constance des résultats. Les échantillons de Cannes-Écluse se répartissent en deux groupes principaux : d'une part un ensemble comprenant les échantillons de 1 à 6 pour lesquels le pourcentage d'étain est de l'ordre de 10-11 %; d'autre part l'échantillon 7 qui se distingue par un taux d'étain supérieur à 13 %. Le premier ensemble de 1 à 6 concerne les échantillons de jambières qui ont été clairement identifiées et qui se rapportent à quatre objets au minimum. Le pourcentage d'étain est plutôt conséquent (moins d'étain facilite le travail) pour un martelage important, mais il est encore compatible avec ce type de mise en forme, surtout en présence non négligeable de sulfures. Les calculs effectués montrent que le taux total de déformation du matériau depuis l'ébauche est de l'ordre de 75 % en moyenne. Le résultat correspond à une couleur jaune moyen et un matériau pouvant présenter une certaine résistance mécanique sans être trop cassant. L'échantillon 7 correspond à une tôle qui ne se rattache pas à une jambière, ce que vient confirmer le résultat d'analyse. Le pourcentage d'étain est élevé par rapport au travail de mise en forme car des problèmes de solubilité peuvent survenir au delà de 13,5 % d'étain et conduire donc à un matériau hétérogène qui se martèle mal. Pourtant, la tôle est ici très fine et a subi une déformation importante, comme les observations en microscopie optique le montrent, même s'il est impossible de calculer le taux de déformation totale depuis l'ébauche en l'absence d'une surface métallique de l'objet clairement identifiable. Ce résultat met en lumière le fait que l'artisan a contrôlé avec attention l'étape de fonderie et en particulier le refroidissement après la coulée ainsi que les recuits, autant que les gestes du martelage eux -mêmes. Le bronzier qui a fabriqué les jambières de Cannes-Écluse a d'abord réalisé en fonderie une ébauche dont la forme est similaire à celle que l'artisan de Blanot a adoptée à son tour en suivant la même voie que son lointain ancêtre (fig. 11). C'est donc une pièce symétrique dont la partie centrale destinée à faire le jambart est longue de 25 à 30 cm, de forme losangique et prolongée de part et d'autre par un fil métallique d'une trentaine de centimètres. Au total, cette ébauche a donc une longueur d'environ 90 cm. La proposition d'une épaisseur de l'ordre de 3 mm faite pour Blanot (Pernot, 1991, p. 126-127) est compatible avec ce qui a été observé à Cannes-Écluse sur un échantillon de taille plus réduite. La section n'est en revanche pas nécessairement de forme plano-convexe et dépend de la technique de fonderie qui peut être de deux sortes. Elle est envisageable en fonte en coquille puisqu'il n'y a aucun problème de contre-dépouille dans la forme de la pièce, et la pierre peut être le matériau choisi. Une fonte en moule non permanent est également techniquement possible dans un contexte où la cire perdue est connue et se développe. La mise en forme par déformation plastique a été conséquente, biaxiale sur le jambart avec des taux maximum de 90 %, plane sur les parties en spirale avec des taux globalement moins élevés (fig. 7). Le décor du jambart a été réalisé par martelage sur les bords, après recuit et sur un support souple, par incision au centre, plutôt par ciselure que par gravure. Le matériau qui a servi à la fabrication des jambières est de qualité moyenne, comportant des inclusions assez abondantes, et n'est a priori pas parfaitement adapté à un martelage important. On pourrait en conclure qu'il s'agit d'un travail de qualité médiocre. Ce serait une erreur. Il faut inverser le raisonnement et, au contraire, considérer ici plusieurs aspects : la matière travaillée et le mode de travail. La difficulté initiale (sulfures) n'est pas « compensée » puisque le pourcentage d'étain est au minimum de 10 % pour les analyses effectuées. La tôle (sans doute de vaisselle) qui affiche un taux supérieur à 13 % est un alliage plus difficile encore à marteler. Le matériau présente donc des risques de rupture en cours de travail, sauf à adapter le travail en conséquence, et apporter un soin plus grand encore que s'il ne s'agissait d'un métal « propre » contemporain. Les jambières de Cannes-Écluse s'inscrivent donc dans un artisanat de grande qualité. Certes, tout n'y est pas réglé de manière mathématique, scientifique, comme dans atelier industriel actuel. En revanche, le ou (les) bronzier(s) qui ont effectué le travail montre(nt) une accumulation de savoirs empiriques qui devaient alors dominer dans l'artisanat des alliages cuivreux. Le (ou les) artisan(s) a (ont) disposé d'un matériau avec des inclusions préjudiciables au martelage (sulfures assez nombreux, nodules de plomb) pour des raisons qui restent inconnues, probablement en rapport avec l'étape de réduction du minerai (fig. 3). Après avoir choisi volontairement l'alliage dans ses proportions générales (un 10-11 % pour les jambières, un 13-13,5 % pour la tôle du P7), l'artisan a su ici mener son travail avec prudence, clairvoyance et efficacité. Il a martelé le métal, parfois beaucoup, à partir d'une ébauche portant déjà l'amorce des développements des jambières. Une telle déformation plastique démontre les compétences de cet (ou ces) artisan(s), capable(s) de s'adapter à la situation pour mener à son terme la fabrication de la pièce malgré les difficultés de départ liées au matériau. Cet artisan était en mesure de contrôler empiriquement chaque étape de la chaîne opératoire (meilleure fonderie d'ébauche, passes de martelage, recuits) afin de réussir son travail. D'une manière plus générale, les caractéristiques techniques de ces jambières sont proches de celles de Blanot (Thevenot, 1991; Pernot, 1991). Elles ont été réalisées dans un contexte artisanal similaire. Leur datation vieillit cependant ces pratiques et ces savoir-faire. Une forme de tradition serait donc en place dès le début du Bronze final en France du Centre-Est. Les mobiliers métalliques des dépôts livrent des informations de différentes natures. Dans le domaine de l'artisanat, ils reflètent un instantané des savoirs pour tel ou tel aspect de la chaîne opératoire de fabrication. Dans le domaine du martelage, les jambières de Cannes-Écluse et le fragment de vaisselle montrent l'incontestable adresse du ou des artisan(s). La vie de ces objets ne peut cependant se concevoir sans leur destination finale, le dépôt. Contrairement à Blanot, les jambières du dépôt 1 ont été enfouies volontairement fragmentées avec des pièces de quelques grammes ou dizaines de grammes. Il reste difficile en l'état de déterminer qui a accompli ce geste. Est -ce un artisan ou une autre personne de la société ? La seule étude technique ne permet pas de répondre à cette question. Casser semble a priori plus facile que fabriquer. Choisir avec soin un bris d'un poids bien précis est en revanche plus compliqué et requiert une connaissance des caractéristiques du métal. Prendre en considération les dépôts dans leur signification culturelle, voire symbolique, est impératif dans les études sur l' Âge du Bronze européen. Cette recherche ne saurait toutefois se passer des études techniques sur un matériau omniprésent mais complexe qui, visiblement, est au cœur du système .
Les études renouvelées sur les dépôts métalliques de l'Âge du Bronze européens invitent à envisager ceux de Cannes-Écluse comme des dépôts complexes, offrant une certaine cohérence interne. L'étude technique des jambières du dépôt 1 montre un important travail de déformation plastique, malgré un matériau de qualité moyenne où subsistent des inclusions assez nombreuses, parfois absentes des alliages cuivreux anciens. Le travail artisanal a su s'adapter à cet impératif de départ et montre une réalisation de grande qualité. Il est très similaire à celui qui a été pratiqué pour les jambières de Blanot, plus récentes, et qui montre une logique artisanale en France du Centre-Est, sans doute à rapprocher plus globalement d'un contexte continental.
archeologie_10-0505473_tei_343.xml
termith-23-archeologie
Qu'elle soit portée de son vivant ou fabriquée pour être déposée dans la tombe, la parure associée à une sépulture primaire offre une image presque instantanée des matières et techniques utilisées à une certaine époque dans la production d'objets de décor personnel. Quand les différents éléments de parure (dents, coquillages, pendeloques…) conservent leur arrangement original sur le squelette, il devient possible de les identifier en tant qu'objets de parure composites et de comprendre leur fonction dans l'ornementation corporelle (résilles, bonnets, colliers, pendentifs, brassards, bracelets de poignet ou de cheville, ceintures, décorations de vêtements, etc.). Il est certain que le potentiel d'informations que ces ensembles peuvent offrir n'a pas encore été suffisamment exploité par les préhistoriens. Mais comment remonter de ces objets aux traits caractéristiques des sociétés paléolithiques, à l'identification de groupes ethniques ou linguistiques, aux pratiques d'échange, au poids de l' âge et du sexe dans l'identification des rôles sociaux ? Force est d'admettre qu'il n'existe pas actuellement un modèle ethnoarchéologique permettant d'interpréter, dans ces termes, le mobilier funéraire des sociétés de chasseurs-cueilleurs. Les tentatives menées dans les années 70 par les partisans de la New Archaeology (Saxe 1970; Binford 1971; Brown 1971; Goldstein 1976, 1981; Carr 1995) ont certes permis de repérer quelques régularités dans les pratiques funéraires des groupes humains partageant le même mode de subsistance. Elles n'ont cependant pas fourni de modèle interprétatif univoque pour les objets de parure associés à des sépultures primaires (cf. discussion dans Pearson 1999). Face à l'absence d'analogies ethnoarchéologiques fiables, nous préconisons une approche fondée, d'une part, sur l'analyse taphonomique, archéozoologique, technique, morphométrique et microscopique d'objets de parure utilisés ensemble (d'Errico et Vanhaeren sous presse) et, d'autre part, sur la création de référentiels actualistes et expérimentaux permettant de guider l'interprétation des résultats offerts par chacune de ces méthodes. Nous enrichissons ces éléments de comparaison “classiques” avec des “référentiels archéologiques” tels que des dents probablement perforées et décorées par le même individu car provenant du même animal (d'Errico et Vanhaeren 1999) ou des parures associées à des individus appartenant au même groupe humain car inhumés dans la même nécropole (d'Errico et Vanhaeren 2000). Les dents nous renseignent sur la variabilité technique et gestuelle de l'artisan paléolithique et les nécropoles sur les objets à utiliser comme marqueurs du groupe, du sexe ou des classes d' âge. Une fois organisé dans un réseau cohérent d'inférences, l'ensemble des informations issues de chaque type d'analyse nous informe sur le contexte de production, d'utilisation et d'échange des éléments constituant les parures. L'objectif de ce travail est de montrer que des relations jusqu' à présent insoupçonnées entre systèmes techniques et sociétés paléolithiques peuvent être révélées par ces données. La parure associée aux sépultures de jeunes enfants, comme l'enfant de la Madeleine dont il sera question ici, présente des atouts supplémentaires. Elle permet de s'interroger sur le statut de l'enfance et sur l'existence de hiérarchies sociales à base héréditaire au sein des sociétés paléolithiques. Fouillée par D. Peyrony en 1926 (Peyrony 1926, 1927; Capitan et Peyrony 1928) dans le site éponyme du Magdalénien, la sépulture de l'enfant de La Madeleine a été découverte dans une dépression fortement ocrée, située dans la zone Est de l'abri à 2,6 mètres de la paroi (fig. 1a). D'après Capitan et Peyrony 1928. After Capitan and Peyrony 1928. Attribués par le découvreur à un enfant de 5-7 ans, ces restes correspondent plutôt à un individu d' âge compris entre 2 et 4 ans (Gambier et al. 2000). L'enfant avait été déposé allongé sur le dos. La tête, orientée vers le Sud, était entourée de trois pierres et ornée, ainsi que le cou, les coudes, les poignets, les genoux et les chevilles de “nombreux petits coquillages et de dents percées” (Capitan et Peyrony 1928 : 123). Malheureusement, Peyrony ne donne pas d'informations plus précises sur la nature et la localisation de ces objets. Leur représentation sur le dessin de la sépulture qui illustre la monographie du site (1928 : 122) est trop schématique pour les identifier et ne révèle pas de différences morphologiques suffisantes pour identifier chaque catégorie d'objets et repérer leur emplacement sur le squelette (fig. 1c). Dans son inventaire des parures en coquillage associées à cette sépulture, Taborin (1993) mentionne 900 dentales, 160 Neritina, 20 Cyclope et 36 Turritella. L'attribution de cette sépulture au Magdalénien IV, proposée par Capitan et Peyrony et admise ensuite par la plupart des auteurs (Bouvier 1979, 1987; May 1989; Binant 1991; Taborin 1993) a été récemment contredite par la datation directe par 14 C AMS d'un fragment du crâne de l'enfant qui a donné un âge de 10 190 ± 100 BP (GifA 95457) soit 9990-10390 cal BP, ce qui selon Gambier et al. (2000), attribuerait plutôt l'enfant à l'Azilien. Notre analyse a porté sur l'ensemble des objets de parure et des aiguilles découverts dans les fouilles Peyrony (1910-1913, 1926) et conservés au Musée National de Préhistoire des Eyzies (tabl. 1). Les objets de parure qui étaient associés avec certitude à la sépulture de l'enfant comprennent 1275 dentales, 99 néritines, 25 turritelles, 13 cyclopes, deux croches de cerf et deux canines de renard (fig. 2, pl. 1). A ce lot il faut sans doute ajouter 77 néritines, 17 turritelles, 11 cyclopes, un Glycymeris et une phalange perforée de lagomorphe conservés dans une boîte étiquetée “Magdalénien IV” (fig. 3, pl. 1). Les néritines et les turritelles de cette boîte ont les mêmes dimensions et présentent les mêmes traces d'ocre que celles attribuées à la sépulture. De plus, nous avons trouvé dans cette boîte, mêlée aux turritelles, la couronne d'une petite prémolaire humaine, également ocrée, qui pourrait appartenir à l'enfant (fig. 3f). Parmi les objets de parure de l'enfant, nous avons repéré un humérus de lagomorphe et une vertèbre de poisson portant des perforations naturelles (fig. 2g-h). Les traces d'ocre sur ces pièces et l'utilisation d'un autre os de lagomorphe comme objet de parure indiquent que ces deux éléments pourraient également faire partie de la parure de l'enfant. Des couches inférieures du site d'habitat, attribuées par Capitan et Peyrony au Magdalénien IV, proviennent deux rondelles en os, une perle en ivoire, deux pendeloques respectivement en schiste et en os, au moins trois petits galets calcaires percés, “diverses sortes” de dents percées et “des” coquillages marins (Capitan et Peyrony 1928 : 38). L'iconographie qui accompagne cette liste (1928 : 39) semble montrer une Trivia et, parmi les dents percées, deux canines de loup, une canine de renard, une probable incisive de bovidé et une dent indéterminée (fig. 4). Nous avons retrouvé dans les réserves du musée les deux rondelles, les deux canines de loup, un galet perforé et la pendeloque en schiste. Une pendeloque en os, non mentionnée par Capitan et Peyrony semble également issue de cette couche (fig. 4j). Dans la couche moyenne (Magdalénien V) Capitan et Peyrony signalent la présence de “pierres, dents, coquillages” et d'une pendeloque en os gravée d'un motif schématique. Nous avons repéré deux fragments de Pecten, un fragment de Cardium, un dentale, une turritelle, un galet calcaire percé, une canine d'ours, trois canines de renard, trois croches de cerf, une incisive de cheval et une pointe à cran solutréenne aménagée en pendentif (fig. 5). La pendeloque en os n'a pas été retrouvée (fig. 5e). La parure du Magdalénien VI (fig. 6) était composée selon Capitan et Peyrony de “dents percées, coquillages divers, une tête d'humérus et une pierre ”. Six croches de cerf, six canines de renard, trois incisives de cheval, une canine de loup, une pendeloque en os, un tube en os, une probable tête de fémur de renne perforée, un probable fragment de métapode de carnivore perforé, deux galets calcaires percés, un fossile gravé, six dentales, cinq Glycymeris, une Cyprée, une Nucella et un gastéropode indéterminé, attribués à cette couche, sont conservés au musée. Une petite turritelle figurée par Capitan et Peyrony (1928 : 89) parmi les pièces de cette couche semble perdue. Trois tubes en os portant des encoches, un dentale, une turritelle, deux littorines, une croche de cerf gravée ainsi qu'un collier de 39 dentales exposé au musée, restent de provenance stratigraphique incertaine (fig. 7). La présence d'ocre sur les dentales du collier indique qu'ils pourraient appartenir à la sépulture, mais aucun document d'archive ou marquage ne permet de trancher. Deux fragments d'huîtres fossiles, deux coquillages fossiles indéterminés, une dent de requin et un grand fragment de palme de bois de renne perforé ont été exclus de l'analyse en raison de leur identification comme objet de parure douteux. (f : photos MNP). (f : photographs MNP). Dans un but de comparaison avec les objets de parure de la sépulture, nous avons utilisé huit collections de référence. La première (fig. 8a), composée de 339 exemplaires de Dentalium, identifiés pour la plupart comme Dentalium vulgare (Poppe et Goto 1993), a été récoltée sur les plages du bassin d'Arcachon (Gironde). La deuxième (fig. 8b), qui regroupe 244 Dentalium sp., provient du falun miocène fossile de Saucats (Gironde) et plus précisement d'un niveau d' âge burdigalien localisé à Pont-Pourquey (Cahuzac et Cluzaud 1999; Cahuzac et Turpin 1999). Les dentales de la plage ont été récoltés en deux heures par cinq personnes. Le même nombre de dentales a pu être ramassé dans un falun miocène type situé à Léognan près de Saucats, par une seule personne en approximativement deux heures et demi. Nous avons également comparé les dentales de la Madeleine avec une collection de 860 dentales associés à la nécropole de l'Aven des Iboussières, dans la Drôme (Gély et Morand 1998; d'Errico et Vanhaeren 2000; Dupont en prép.), datée de 10 210 ± 80 BP (OxA 5682). La quatrième collection de référence (fig. 9) est composée de 142 Turritella eryna et 366 Turritella terebralis constituant la totalité des coquillages de ce genre recueillis dans un volume de 500 cm 3 du falun miocène de Saucats et en particulier d'un niveau d' âge burdigalien à La Bourasse (Duprat 1999). La cinquième (fig. 10) comprend les 207 Neritina miocènes conservées à la Réserve Naturelle Géologique de Saucats et provenant d'un niveau d' âge aquitanien situé à L'Ariey. La sixième est représentée par 203 cyclopes provenant de la côte méditerranéenne française (fig. 11a), la septième par 49 cyclopes provenant du bassin d'Arcachon (fig. 11b) et la dernière est constituée des 1072 cyclopes associés à la sépulture double de la Grotte des Enfants (Vanhaeren en prép.), datée de 11 130 ± 100 BP (GifA 94197) (Gambier et al. sous presse). Les dimensions des perforations des croches de cerf de La Madeleine ont été comparées à celles des dents appariées, c'est-à-dire provenant d'un même animal, de l'Aven des Iboussières (d'Errico et Vanhaeren 2000). Dans ce site, les deux croches provenant d'un même cerf semblent avoir été perforées, à chaque fois, par une seule personne, ce qui permet de saisir la variabilité personnelle dans la perforation des objets de parure. Soixante-dix dentales actuels et fossiles ont été cassés par flexion et par sciage avec une lame non retouchée en silex. La morphologie des fractures et les traces laissées par ces techniques ont été répertoriées à l'aide d'une loupe binoculaire. Deux aiguilles à chas ont été fabriquées en utilisant une diaphyse d'os long de lièvre et utilisées pour enfiler 50 tronçons de dentales semblables à ceux de la sépulture. Les stigmates laissés sur le dentale ont également fait l'objet d'une analyse microscopique. La longueur, le diamètre maximal et minimal des dentales appartenant à la sépulture, au collier et aux collections de référence ont été mesurés. En raison de la petite taille et de la fragilité des dentales de La Madeleine, leurs mesures ont été prises sur des images numérisées à haute résolution. L'état de surface et la morphologie des extrémités des dentales actuels et fossiles ont été étudiés au microscope dans le but d'identifier des critères diagnostics propres aux deux thanatocénoses. L'analyse microscopique des dentales archéologiques a eu comme objectif d'évaluer leur état de conservation et de repérer d'éventuelles modifications naturelles ou anthropiques. La longueur, la largeur et le nombre de spires des turritelles, ainsi que le diamètre maximal des néritines et des cyclopes ont également été enregistrés. Pour identifier le sexe et l' âge des cerfs dont proviennent les croches perforées de La Madeleine, nous avons utilisé les critères décrits par d'Errico et Vanhaeren (sous presse). Les diamètres maximal et minimal des perforations sur les objets de parure ont été enregistrés et les techniques de perforation étudiées au microscope. La largeur et l'épaisseur maximale des 186 aiguilles en os découvertes par Peyrony dans le site d'habitat ont également été mesurées à l'aide d'un pied à coulisse digital. Dentales. Aucun dentale entier ne se retrouve dans la parure de l'enfant. En effet, les dentales entiers collectés sur la plage et dans le gîte fossile (fig. 8, pl. 2) ont une forme conique légèrement courbe et leur longueur est comprise, en fonction de l'espèce, entre 7 et 12 fois leur diamètre maximal (Poppe et Goto 1993). Ceux de La Madeleine ont une forme cylindrique et leur rapport longueur/diamètre maximal varie entre 1 et 4. La morphométrie des dentales associés à la sépulture révèle au contraire, par comparaison avec le référentiel naturel, que ces dentales résultent d'une fracture volontaire effectuée dans le but d'obtenir des tubes de 6-7 mm de longueur et d'un diamètre maximal supérieur à 1,8 mm. De tels tronçons n'ont pas pu être ramassés sous cette forme sur la plage car 80 % d'entre eux présentent une longueur que l'on ne rencontre pas dans cette thanatocénose (fig. 12). Ils ne peuvent pas non plus correspondre à un ramassage de tronçons dans un gîte fossile. Bien que la longueur des tronçons archéologiques soit compatible avec un ramassage sélectif dans cette dernière thanatocénose, il n'en est pas de même pour leur diamètre (fig. 13). La majorité des dentales de la sépulture présente un rapport longueur/diamètre ignoré chez les dentales fossiles : quand les dentales issus du gîte fossile ont des longueurs compatibles avec celles de la sépulture, elles ont des diamètres plus petits, absents dans cette dernière (fig. 13g-h). La raison de cette différence réside sans doute dans le fait que les tronçons archéologiques sont de courts fragments provenant de la partie centrale et, dans une moindre mesure, de la partie postérieure (la partie la plus large), de dentales massifs. La portion du dentale qui semble absente est l'extrémité la plus fine, située près de l'ouverture antérieure. Les ouvertures antérieures non fracturées décrites dans la littérature sont, comme celles de notre échantillon de comparaison, toujours plus étroites que 1 mm. Les diamètres minimaux des dentales archéologiques sont au contraire toujours plus larges que 1,7 mm et se regroupent, pour la plupart, entre 2 et 3 mm. La comparaison entre les longueurs des dentales de la sépulture et ceux associés à la nécropole contemporaine de l'Aven des Iboussières (fig. 12d) révèle par ailleurs que les premières sont significativement plus petites (P<0.0001). Cela indique que la taille des dentales découverts sur l'enfant résulte de la production volontaire de tronçons de petite taille et ne doit pas être attribuée à des contraintes liées à la matière première. Cette interprétation est confirmée par l'analyse des extrémités des dentales. L'étude microscopique des dentales collectés dans les sites de référence ou fracturés expérimentalement a permis d'établir des critères diagnostiques pour distinguer des extrémités naturelles intactes de celles fracturées par des causes naturelles ou anthropiques. Les ouvertures des dentales intacts présentent des bords fins et aigus, perpendiculaires à l'axe du coquillage (fig. 14a-d). Les extrémités des dentales fracturés naturellement ont souvent des bords irréguliers, affectés par des micro-enlèvements (fig. 14e-f; g-i), et une morphologie en bec de flûte (fig. 14e-f). Deux types de fracture ont été observés exclusivement sur des fragments collectés dans le gîte fossile, les fractures nettes, qui interceptent perpendiculairement le cylindre du coquillage (fig. 14h) et les fractures en chanfrein, qui mettent en évidence les deux couches composant le test (fig. 14j). Les fractures produites expérimentalement par flexion, nettes et perpendiculaires, ressemblent (fig. 14k) à certaines de celles rencontrées chez les dentales fossiles. Le sciage produit généralement deux facettes, l'une oblique par rapport à l'axe du dentale, couverte des stries laissées par le va-et-vient du tranchant et l'autre, nette et perpendiculaire, résultant de la fracture engendrée par l'entaille (fig. 14l). Des stries fines, produites par le dérapage du tranchant au cours du sciage, se rencontrent parfois à proximité de la zone sciée (fig. 14m). Le passage forcé d'une aiguille en os dans un dentale produit l'arrachement d'une extrémité et laisse une fracture marquée par une large encoche à profil irrégulier (fig. 15b-c). Plusieurs types d'extrémités décrits ci-dessus se rencontrent sur les dentales de la sépulture : une faible proportion d'ouvertures postérieures intactes (5 %), souvent émoussées (Fig. 16a); une proportion semblable de fractures en bec de flûte, présentant le même émoussé (fig. 16b-d); un grand nombre (40 %) de fractures nettes, localisées généralement sur l'extrémité antérieure du fragment, semblables à celles produites expérimentalement par flexion ou observées occasionnellement dans le Miocène (fig. 16e-f); quelques exemples (5 %) d'extrémités semblables à celles produites expérimentalement par sciage (fig.16i), associées parfois avec des stries de découpe (fig.16j-k); quelques rares exemples de fractures avec des grandes encoches qui rappellent celles produites par le passage d'une aiguille (fig. 15e). (a-h : photos MNP). (a-h : photographs MNP). Deux types d'extrémités observés à La Madeleine n'ont pas d'équivalent dans notre référentiel : un nombre important de bords arrondis avec des profils sinueux et une petite encoche arrondie (fig. 16l). Ces profils et encoches sont probablement dus à l'usure produite par le port des pièces, comme l'indique par la présence d'une facette longitudinale plane, reconnaissable à l'échelle microscopique, associée à l'encoche (fig. 16l); des extrémités arrondies (25 %) avec des traces d'abrasion récente et/ou de micro-enlèvements postdépositionnels (fig. 16g-h). En somme, les dentales de La Madeleine présentent deux types d'extrémités qui peuvent résulter d'une action technique, effectuée pour réduire la taille des coquillages. Le sciage est la seule de ces actions qui a laissé des traces indiscutablement anthropiques. L'intervention humaine sur des fractures nettes est plus difficile à prouver, mais semble la plus probable car de telles fractures se rencontrent rarement dans le gîte fossile et sont, au contraire, très répandues sur les dentales de la parure de l'enfant. Les fractures produites par le passage d'une aiguille semblent indiquer que ces dentales étaient brodés individuellement sur le vêtement de l'enfant plutôt qu'utilisés au sein d'un collier. La présence d'un polissoir d'aiguilles, de nombreuses ébauches, d'aiguilles cassées au cours de l'utilisation ou réaffûtées atteste d'une intense production et utilisation de ces outils (186 pièces au total) dans le site. Les plus fines de ces aiguilles, souvent cassées, ont un diamètre maximal qui leur permettrait d'enfiler 85 % des dentales de la sépulture (fig. 17). Ces derniers témoignent du besoin d'utiliser des tronçons avec des diamètres supérieurs à 1,8 mm (fig. 13b). La production d'aiguilles fines et de tronçons larges ne s'explique que par la broderie des dentales et cela pour plusieurs raisons : l'expérimentation démontre que des aiguilles aussi fines présentent le double inconvénient d' être difficiles à fabriquer et très faciles à casser; la morphométrie des dentales naturels démontre qu'un grand nombre de tronçons de même longueur que ceux de la sépulture, mais d'un plus petit diamètre, auraient pu sans doute être fabriqués à partir de dentales fossiles ou collectés sur la plage. Le sacrifice systématique des segments fins indique que leur largeur était incompatible avec le mode d'attache; 3) le choix pour des tronçons larges n'a pas été dicté par le simple diamètre du fil car presque la moitié des gastéropodes associés à la sépulture (fig. 12) ont des perforations d'un diamètre inférieur à 1,8 mm pouvant aller jusqu' à 1,3 mm, ce qui révèle la disponibilité d'un fil d'un diamètre bien inférieur au diamètre minimal des dentales. Par ailleurs, l'hypothèse de la broderie est corroborée par les traces du port des dentales. La facette d'usure et l'encoche que l'on observe sur bon nombre de pièces (fig. 16l) résultent probablement de la friction prolongée entre dentale, fil d'attache et vêtement. L'encoche a été sans doute produite par le poids sur le fil d'attache d'un dentale cousu verticalement. La forte homogénéité dimensionnelle recherchée dans la production des tronçons de dentale suggère que ces éléments de parure étaient brodés en rang d'oignon, probablement sur plusieurs rangées. Cette hypothèse est confirmée par la découverte d'une petite motte de sédiment ocrée, associé au squelette, d'où émergent cinq extrémités de dentales encore alignés de cette façon (fig. 18). Turritelles .Les turritelles de la sépulture se différencient de celles de la thanatocénose miocène par leur forte homogénéité dimensionnelle et morphologique (fig. 19, pl. 2). Seuls des coquillages de petite taille, avec une longueur comprise entre 5 et 14 mm et une largeur allant de 4 à 7 mm, ont été choisis pour faire des objets de parure (fig. 19a-b). Ce choix, très ciblé, ne peut être dû au hasard. La comparaison des variances montre en effet que les dimensions des pièces archéologiques sont significativement différentes (P<0,0001) de celles que l'on observe dans le Miocène. Le deuxième critère qui a guidé le choix des préhistoriques a été morphologique. Les pièces archéologiques ne possèdent jamais plus de sept tours tandis que presque la moitié des turritelles miocènes de même longueur en ont entre sept et onze (Fig. 19c). La raison de ce choix est probablement liée à des contraintes techniques. Les turritelles miocènes de même longueur mais avec un plus grand nombre de tours sont significativement plus fines que les archéologiques (fig. 19d). Leur dernière spire est trop étroite pour y pratiquer une perforation semblable à celle que l'on observe sur les pièces archéologiques. Les préhistoriques semblent avoir orienté leur choix vers les plus petits fragments de spires sur lesquels il était possible de produire une telle perforation. Dans ce choix, l'espèce ne semble avoir joué aucun rôle.Au moins deux espèces de turritelles sont présentes à La Madeleine; l'une étant représentée par huit exemplaires soit de Turritella eryna soit de Turritella turbona, l'autre par trente-quatre spécimens soit de Turritella terebralis, soit de Turritella communis (fig. 2 et 3). Le fait qu'aucune différence dimensionnelle ne s'observe entre les coquillages des deux espèces associés à la sépulture, malgré la forte différence de taille qui les caractérise dans l'assemblage fossile (fig. 19e), confirme que les deux espèces étaient équivalentes aux yeux des Magdaléniens et que seule comptait leur dimension. Néritines. Les 176 néritines utilisées comme objets de parure ont des diamètres maximaux plus grands que ceux des coquillages de notre collection de référence (fig. 20, pl. 3). Certaines pièces archéologiques présentent même des valeurs absentes dans notre référentiel. Le test F d'égalité des variances révèle que la différence dans les deux distributions ne peut être due au hasard (P<0,0001). Cyclopes. Nous ne pouvons pas établir avec certitude à quelle espèce appartiennent les 24 cyclopes de La Madeleine, (pl. 3). Traditionnellement, les cyclopes de plus grande taille (10-17 mm) sont attribués par les malacologues à l'espèce Cyclope neritea tandis que les plus petits (5-8 mm) sont inventoriés comme Cyclope donovania ou pellucida (Parenzan 1970). On peut cependant discuter le fait que la différence de taille soit un critère fiable pour l'identification de l'espèce à l'intérieur du groupe des cyclopes (Poppe et Goto 1991) car des changements de taille peuvent également être dûs à des contraintes écologiques et à la compétition intraspécifique (Le Roux 1994, Kendall 1987). A cela s'ajoute la différence de taille due à l' âge de l'animal. Les jeunes individus peuvent, en principe, être distingués des adultes par leur labre fin et coupant, mais cette zone n'est pas toujours preservée sur les pièces archéologiques. Quoi qu'il en soit, la distribution nettement unimodale des diamètres des cyclopes de La Madeleine semble indiquer la présence d'une seule espèce (fig. 21). Ces coquillages sont significativement plus petits que ceux que nous avons collectés sur les plages méditerranéennes et atlantiques et légèrement plus grands que ceux découverts sur les corps des deux enfants de la Grotte des Enfants (Ligurie, Italie). Ces différences peuvent s'expliquer par un changement de taille au sein de la même espèce, déterminé par l'environnement, par le fait qu'il s'agit de deux espèces différentes, ou par une préférence des Magdaléniens et des Epigravettiens pour des cyclopes juvéniles ou adultes de petite taille. Il est difficile actuellement de choisir entre ces possibilités par manque de référentiels adéquats. Canines de cerf et de renard. Il s'agit d'une croche gauche de cerf, d'une croche gauche de biche (fig. 2f) et de deux canines gauches de renard (fig. 2e), l'une inférieure et l'autre supérieure. D'après l'usure de la couronne et la fermeture de la racine, on peut estimer l' âge du cerf à environ six ans et celle de la biche à neuf ans. Les canines de renard semblent appartenir à des animaux adultes. Phalange et humérus de lagomorphe. Cette phalange présente à proximité de chaque épiphyse une petite perforation (fig. 3e). Exceptées d'intenses traces d'ocre, aucune trace anthropique ne s'observe sur l'humérus dont le trou supratrochléaire a pu néanmoins être utilisé pour la suspension (fig. 2g). Vertèbre de poisson. Aucune trace anthropique ne s'observe sur cette vertèbre (fig. 2h). Son inclusion parmi les objets de parure est peut-être justifiée par la présence d'encroûtements d'ocre et par son association avec les dentales. Il s'agit d'une vertèbre thoracique de Cyprinidé, probablement de vandoise (Leuciscus leuciscus), mort à l' âge de 17 ans à la fin de la mauvaise ou au début de la bonne saison (Le Gall comm. pers.). Techniques d'aménagement, morphométrie des perforations et traces d'utilisation. La technique de perforation des turritelles, néritines et cyclopes n'a pas pu être établie dans tous les cas à cause du mauvais état de conservation de la surface du coquillage ou par manque de traces diagnostics. Deux techniques au moins semblent avoir été utilisées pour les néritines, celle de produire avec un tranchant un sillon parallèle au labre et celle d'abraser cette même zone. Les perforations sur les turritelles semblent également avoir été effectuées à partir d'un sillon réalisé avec une pointe en silex et successivement élargi par rotation. Les deux croches de cerf ont été perforées par rotation, les canines de renard et la phalange de lagomorphe, à en juger par ce qui reste des perforations, par raclage/rotation. A l'échelle microscopique, tous les bords des perforations portent des émoussés indiquant que ces objets de parure ont été portés du vivant de l'enfant et ne représentent pas le décor d'un habit exclusivement funéraire. Aucune différence ne s'observe entre les dimensions des perforations sur les turritelles, néritines et cyclopes, qui oscillent entre 1,3 et 4 mm (fig. 22). Bon nombre de ces perforations, par contre, ont des dimensions nettement inférieures au diamètre des tronçons de dentales de la sépulture et à celui des aiguilles découvertes dans les couches d'habitat. Turritelles, néritines et cyclopes n'ont donc pas pu être cousus sur les vêtements de l'enfant à l'aide d'aiguilles comme cela a été probablement le cas pour les dentales. Ils ont dû plutôt être enfilés dans des colliers ou des bracelets. La petite taille de la perforation complète sur la phalange de lagomorphe semble indiquer qu'elle devait également être enfilée plutôt que cousue. Il en est de même pour les canines de renard. Les grandes perforations sur les croches de cerf, au contraire, indiquent que ces pièces ont pu être cousues sur le vêtement de l'enfant. Dentales. Plusieurs indices suggèrent que les dentales proviennent des côtes atlantiques : 98 % des dentales de La Madeleine ont un test lisse comme les Dentalium vulgare, seuls quelques spécimens présentent entre huit et douze côtes et peuvent être identifiés comme des Dentalium novemcostatum. Ces proportions se rencontrent actuellement sur les plages de l'Atlantique. Dans les faluns miocènes et dans la Méditerranée, par contre, les Dentalium novemcostatum sont respectivement absents et très abondants. Ils sont par exemple majoritaires à l'Aven des Iboussières, dans la Drôme; la moitié environ des dentales de la Madeleine possède un diamètre maximal que l'on ne rencontre pas dans le falun, ce qui exclut leur provenance d'un gîte miocène; trois caractères rencontrés sur certains dentales du falun sont absents à La Madeleine : les trous faits par des gastéropodes carnivores (fig. 23a), les fractures en chanfrein (fig. 14j) et la présence d'un petit anneau provenant de la cassure d'un dentale emboîté (fig. 23b). Certes, les hommes préhistoriques ont pu sélectionner dans les faluns des dentales qui ne présentaient aucune de ces anomalies. De même, ils auraient pu collecter des Dentalium entalis sur une plage méditerranéenne. Tous les indices à notre disposition concordent néanmoins pour exclure le falun comme gîte unique d'approvisionnement et proposer la plage atlantique comme le plus probable lieu d'origine des dentales de La Madeleine. Turritelles. Turritella terebralis et Turritella communis, que nous n'avons pas pu différencier, sont respectivement une espèce disparue depuis le Miocène inférieur (Cossmann et Peyrot 1909-1934) et une espèce actuelle qui se rencontre à la fois en Méditerranée et en Atlantique (Poppe et Goto 1991). Turritella eryna et Turritella turbona qui se caractérisent par la présence de deux spirales proéminentes sont, pour la première, une espèce également éteinte depuis le Miocène (Cossmann et Peyrot 1909-1934) et, pour la deuxième, une espèce qui se retrouve actuellement uniquement en Méditerranée (Poppe et Goto 1991). Toute provenance (Méditerranée, Atlantique, gîte fossile) est donc envisageable pour les turritelles de La Madeleine. Il est cependant intéressant de remarquer que si la première espèce est Turritella terebralis et la seconde Turritella eryna, ces deux espèces apparaissent à La Madeleine dans les mêmes proportions que dans notre assemblage de référence, soit deux tiers de Turritella terebralis et un tiers de Turritella eryna. C'est le seul indice qui pourrait nous faire pencher pour une origine fossile des turritelles. Néritines. Il s'agit d'espèces qui ne vivent qu'en eau douce ou saumâtre. Les Neritina fluviatilis sont bien représentées dans les rivières et peuvent parfois être entraînées mortes sur les plages à proximité des estuaires. Dans les faluns, on retrouve les Neritina picta. Quelques néritines de l'enfant de La Madeleine appartiennent à cette dernière espèce et proviennent sans doute d'un site fossile. L'état de conservation des autres néritines ne permet pas d'identifier l'espèce. Il n'est donc pas impossible qu'une partie d'entre elles aient été collectées dans la Vézère ou la Dordogne relativement proches du site. Cyclopes. Les cyclopes sont absents des faluns miocènes et, selon Taborin (1993), ils n'auraient pas pu vivre sur les côtes atlantiques pendant le Pléistocène. Selon Poppe et Goto (1991), ils ne se trouveraient actuellement qu'en Méditerranée. Leur présence, attestée depuis 1976 dans le bassin d'Arcachon (Bachelet et al. 1980, 1990) et dans d'autres sites côtiers plus au Nord (Tardy et al.1985; Sauriau 1989, 1991; Le Roux 1994), soulève cependant la question d'une migration naturelle de ce genre vers des latitudes septentrionales. Bien que cette hypothèse ne peut être exclue, celle d'une propagation anthropique liée à l'ostréiculture est actuellement favorisée par les malacologues (Tardy et al. 1985; Pigeot 1988; Sauriau 1989). L'origine méditerranéenne des cyclopes de La Madeleine paraît dès lors la plus probable. Les objets de parure découverts par Peyrony dans les couches d'habitat (pl. 4 et 5) sont probablement le résultat d'abandons ou de pertes occasionnelles par des personnes différentes et au cours d'une longue période. Cela est indiqué par le fait qu'ils ont été découverts dispersés dans les couches d'habitat et par leur faible nombre comparé d'une part à la richesse du reste du mobilier archéologique et d'autre part à l'abondance d'objets de parure utilisés à cette époque dans des colliers ou des sépultures. Trois pièces sont en cours de fabrication et un tiers de l'ensemble porte des perforations fracturées anciennement, ce qui explique leur abandon. De plus, une forte variation de taille s'observe entre ces pièces. Cette variabilité contraste avec l'homogénéité dimensionnelle que l'on constate en examinant des ensembles d'objets associés aux sépultures ou découverts en association dans des sites d'habitat. Une origine multiple est également suggérée par des différences dans la technique, l'emplacement et les dimensions des perforations. En ce qui concerne les dents perforées probablement par un seul individu, car provenant du même animal (d'Errico et Vanhaeren 1999, sous presse), les perforations sont obtenues généralement avec une technique et une gestuelle identiques et présentent des emplacements, morphologies et tailles semblables. Des objets de parure utilisés par la même personne, car provenant de la même sépulture ou dépôt, présentent également la même technique de perforation et des trous de dimensions semblables (Vanhaeren en prép.). Les perforations sur les dents de La Madeleine sont incompatibles avec une production par un seul individu ou par un groupe restreint. Cela est particulièrement évident en comparant la taille des perforations sur les canines de loup du Magdalénien IV, les croches du Magdalénien V et VI, les canines de renard ou encore les incisives de cheval du Magdalénien VI. Bien qu'il soit peu probable que toutes les catégories d'objets de parure utilisées par les Magdaléniens soient présentes dans le site, il est possible que leurs variations dans les couches soient, dans une certaine mesure, représentatives de changements dans le choix des objets portés au cours de la période d'occupation du site. Une comparaison entre les couches révèle que des 23 catégories d'objets de parure découverts par Peyrony (tabl. 1), trois sont communes à toutes les couches (canine de renard, pendeloque en os, galet perforé), quatre autres sont communes au Magdalénien V et VI (dentale, turritelle, croche de cerf, incisive de cheval) et aucune ne se rencontre uniquement dans le Magdalénien IV et V ou IV et VI. On remarque également que six catégories sont propres au Magdalénien IV (Trivia, incisive latérale d'ours/hyène, incisive de bovidé, perle en ivoire, rondelle, pendeloque en schiste), trois au Magdalénien V (Pecten, canine d'ours, pendentif en silex) et six au Magdalénien VI (Cypraea, Glycymeris, Nucella, gastéropode indéterminé, humérus perforé, ammonite gravée). Même si on élimine les catégories qui sont représentées par un seul objet, la distribution des éléments de parure dans les couches magdaléniennes laisse apparaître une continuité dans l'utilisation de certains objets ainsi qu'une césure à situer entre Magdalénien IV et Magdalénien V-VI. Cette césure est surtout marquée par l'utilisation de dentales, croches de cerf et incisives de cheval dans ces deux dernières couches. La grande majorité des objets de parure de l'enfant se rencontre dans les couches magdaléniennes du site. Les canines de renard sont les seuls objets que l'enfant partage avec l'ensemble des horizons de ce technocomplexe, les autres objets (dentales, Glycymeris, turritelles, croches) se rencontrent soit dans le Magdalénien V-VI soit exclusivement dans le Magdalénien VI. Il est intéressant de remarquer que les objets de parure que l'on retrouve uniquement sur l'enfant ont une taille (cyclopes, néritines) qui devait rendre difficile leur découverte par Peyrony lors de la fouille des couches d'habitat ou sont difficiles à reconnaître en tant qu'objets de parure (phalange de lagomorphe). Des 39 dentales présentés sous forme de collier dans le Musée, deux ont des dimensions semblables à celles des dentales de la sépulture. Les autres sont significativement plus grandes que ces dernières (fig. 24). Si ces dentales faisaient partie du mobilier funéraire, comme suggéré par la présence d'ocre semblable à celle de la sépulture, ils étaient probablement utilisés dans une parure différente de celle faite avec les petits tronçons. S'ils proviennent au contraire du site d'habitat, leur attribution au Magdalénien V-VI est suggérée par la présence de grands dentales dans les couches attribuées à ces phases. Gambier et al. (2000) suggèrent, sur la base de la datation directe du squelette, que la sépulture de l'enfant doit être attribuée à l'Azilien plutôt qu'au Magdalénien, comme précédemment admis. Ceci serait confirmé par le jeune âge du sujet, sa position allongée, et la richesse de la parure, faits uniques pour le Magdalénien mais fréquents dans l'Epipaléolithique italien. Pour discuter de l'attribution culturelle de l'enfant, nous allons comparer les objets de parure de la sépulture avec ceux utilisés au sein de ces deux technocomplexes et considérer les datations de ces derniers à l'échelle régionale. Dans la sépulture, on retrouve les mêmes types d'objets de parure que dans les couches magdaléniennes du même site, surtout dans celles du Magdalénien final (tabl. 1). L'inventaire des objets de parure en coquillage utilisés au Magdalénien et à l'Azilien de la région confirme l'enracinement de la parure de l'enfant dans le premier tout en révélant une certaine continuité entre ces deux technocomplexes dans l'utilisation de certaines espèces (tabl. 2). Les cinq types de coquillages associés à la sépulture se rencontrent tous dans les couches du Magdalénien VI de la région; dans les sites aziliens, on n'en retrouve que trois variétés (dentales, turritelles et cyclopes). Mis à part ce constat, il est cependant difficile de tirer des conclusions définitives si l'on considère la disproportion dans le nombre de sites par technocomplexe et les différences dans les méthodes de fouille. Aucun inventaire, aucune analyse des techniques de fabrication n'est disponible pour les autres types d'objets de parure de la région (dents perforées, pendeloques…). Seule l'étude récente de Célérier (1996) de la parure de Pont d'Ambon fait exception. Le faible nombre d'objets (six croches de cerf dont une peut être attribuée au Magdalénien final et les autres à l'Azilien) ne permet cependant pas de faire une comparaison poussée. Il est cependant intéressant de remarquer que certaines pièces du Magdalénien VI provenant de la zone d'habitat de La Madeleine ont été perforées de la même manière que celles de la sépulture : grandes perforations réalisées par rotation et localisées au centre de la racine sur les croches; petites perforations obtenues par raclage à l'extrémité des racines des canines de renard. Quant à l'utilisation d'aiguilles pour la broderie des dentales, elle semble plutôt une activité à attribuer au système technique magdalénien : les aiguilles sont rares à l'Azilien tandis qu'elles sont nombreuses et d'une taille adaptée à cette tâche dans le Magdalénien du site éponyme. La date obtenue sur l'enfant (10 190 ± 100 BP) est parfaitement compatible avec une attribution au Magdalénien (Tabl. 3). Trois sites magdaléniens de la région (Morin, Gare-de-Couze et Combe Saunière) ont donné des dates qui recoupent à un sigma celle de la sépulture. Il n'existe donc pas de raison pour changer l'attribution culturelle de cette sépulture qui, sur la base du contexte archéologique et de la datation, semble devoir être attribuée au Magdalénien final. Dans les sociétés traditionnelles, la parure matérialise souvent les relations sociales et contribue, depuis le plus jeune âge, à construire l'image que l'individu a de soi et que les membres de sa société ont de lui (cf. par exemple Twala 1958, Morris et Preston-Whyte 1994, Sciama et Eicher 1998). Inévitablement perdue pour l'archéologue, la logique qui a régi le port de la parure peut pourtant être en partie reconstruite en analysant la production, l'utilisation et l'échange des objets. En effet dans ces sociétés, leur collecte, leur fabrication, leur assemblage et leur port sont soumis à des impératifs multiples liés à l'accessibilité de la matière première, aux contraintes du système technique, aux réseaux d'échange et, plus déterminantes que tout, aux règles imposées par la tradition (cf. par exemple Hocart 1927, Linton 1945, Lowie 1947, Hodder 1979). L'hétérogénéité des matériaux, des techniques et des gestes appliqués à chaque catégorie d'objets impose au chercheur de diversifier son approche et de combiner des méthodes d'analyse et des référentiels de nature différente pour passer du registre archéologique aux liens tissés entre les individus. La parure de l'enfant témoigne d'un soin qui nous interroge. La morphométrie des dentales révèle que plus de la moitié ont des dimensions inconnues dans des ensembles naturels et doivent par conséquent résulter d'une fracturation délibérée de coquillages collectés sur la plage ou dans des sites fossiles. En sachant que la plupart des dentales collectés dans des sites naturels ont pu fournir deux tronçons semblables à ceux de l'enfant, on peut estimer, par comparaison avec notre temps de collecte, qu'il a fallu au moins entre 5 et 20 heures, en fonction de leur origine, pour rassembler assez de dentales pour la fabrication des tronçons de la sépulture. Nous ne savons pas si les coquillages ont été collectés par l'artisan, les membres de son groupe ou s'ils ont été acquis par échange. Nous savons par contre qu'ils n'ont pas pu être collectés dans un seul endroit et peuvent provenir de quatre sources différentes : rivières (néritines), plages atlantiques (dentales, Turritella communis), sites fossiles (néritines, dentales, Turritella terebralis, Turritella eryna), plages méditerranéennes (cyclopes, dentales, Turritella turbona). L'acquisition de certains coquillages, par ramassage ou par échange, semble donc être une préoccupation constante pour ces groupes, qui devaient en permanence colporter des coquillages bruts en vue de leur assemblage dans une parure composite. Rien n'a été laissé au hasard dans la production des tronçons de dentale. Leur diamètre minimal et l'absence d'ouvertures antérieures indiquent que la partie pointue de la coquille était systématiquement enlevée, probablement dans le but de produire des tubes avec des ouvertures assez larges pour permettre le passage de l'aiguille. Leur morphométrie démontre qu'une longueur standardisée de 6-7 mm était recherchée. Dans le cas de coquillages courts, celle -ci était obtenue en fracturant la pointe du dentale aux environs de 6-7 mm de distance de l'extrémité opposée. Les coquillages plus longs étaient probablement fracturés deux fois, plus rarement trois, pour produire le nombre de tronçons de la taille désirée à partir d'un seul coquillage. Le sciage a dû être utilisé pour réduire la longueur des dentales qui étaient trop courts pour être fracturés par flexion. Une telle attention aux dimensions des tronçons ne s'explique que par leur intégration dans un dispositif ornemental mettant en valeur ce caractère. L'arrangement des dentales encore en place dans le petit bloc de sédiment ainsi que la position de la parure enregistrée par les fouilleurs semblent suggérer une bordure en rang d'oignon sur le vêtement de l'enfant puisque les dentales ont été trouvés, entre autres, directement sur les coudes et les genoux où des bracelets auraient été difficiles à porter. L'homogénéité dimensionnelle et la petite taille des tronçons excluent à notre avis qu'ils aient pu être acquis déjà façonnés par échange et semblent plutôt indiquer qu'ils sont le produit d'un seul ou d'un nombre réduit d'individus. En effet, les tronçons de dentale découverts dans le site d'habitat et dans des sépultures contemporaines révèlent une plus forte variabilité dimensionnelle et sont généralement de plus grandes tailles. La production des tronçons n'a constitué que le début du travail. Certaines fractures et les traces d'usure montrent que les dentales ont été brodés à l'aide d'aiguilles sur le vêtement. Ceci a demandé plus de 9 m de fil (longueur totale des tronçons) et la réalisation de 2400 trous en utilisant des aiguilles de moins de 2 mm de diamètre, semblables à celles découvertes dans le site d'habitat. Le vêtement sur lequel les dentales étaient appliqués était sans doute en cuir souple. Le percement expérimental de peaux avec des poinçons (d'Errico et al. 2000) indique en effet que des pointes fines en os cassent très facilement quand elles sont utilisées sur des peaux dures. Bien que difficile à évaluer précisément, car dépendant de l'habileté du couturier ou de la couturière, la broderie de dentales, impliquant certainement l'entretien et le remplacement des aiguilles, a dû prendre un temps considérable. Nous estimons à 30 heures le temps minimal pour la réalisation de ce travail. L'analyse des autres coquillages de la sépulture confirme la préférence pour des pièces de petite taille et semble indiquer que ces objets étaient produits spécialement pour l'enfant. Cela est démontré par le fait que les turritelles de l'enfant sont significativement plus petites que celles issues de notre collection et des couches d'habitat. Même si la taille réduite des cyclopes associés à la sépulture peut être due à des raisons environnementales (répartition des espèces, contraintes écologiques, compétition intraspécifique) le choix de ces petits coquillages reste un fait éminemment culturel. Que ces objets étaient destinés à l'enfant est également indiqué par le fait que, indépendamment de l'espèce prise en compte, les perforations des coquillages de la sépulture ont la même taille et le même emplacement. Les objets découverts dans les couches d'habitat révèlent par contre une grande variabilité dans la dimension des perforations, indice d'une production par des individus différents et d'une utilisation dans plusieurs dispositifs ornementaux. La miniaturisation des objets de parure est -t-elle propre à l'enfant de La Madeleine où s'agit-il d'un trait caractéristique des sépultures d'enfant du paléolithique ? La sépulture double de la Grotte des Enfants, chronologiquement proche (11 130 ± 100 BP, GifA 94197) de celle de La Madeleine (10 190 ± 100 BP, GifA 95457), révèle une attitude semblable envers la parure de cette classe d' âge. Les petits gastéropodes sont difficiles à manipuler lorsqu'il s'agit de les perforer et de les enfiler. La taille de la perforation, variant entre 2 et 4 mm et le nombre de coquillages impliqués, suggèrent que leur utilisation dans la création de la parure des enfants a dû être, comme à La Madeleine, une activité de longue haleine. Une réduction de taille des parures d'enfant est également attestée à Sungir où les deux enfants enterrés tête contre tête portaient 10 000 perles en ivoire d'une taille d'un tiers plus petite que celle des perles trouvées sur le corps de l'adulte (White 1999). Quelle est la raison d'une telle miniaturisation ? La présence de longs tronçons de dentales et grands gastéropodes dans des sépultures d'adultes contemporaines de celle de La Madeleine, comme l'Aven des Iboussières, Houleau (Vanhaeren en prép.) et la Vergne (Dupont 1998), ainsi que dans des sites d'habitats contemporains, démontre que la miniaturisation n'est pas une tendance générale de la parure de cette époque mais bien un trait propre aux enfants. Les traces d'utilisation sur les coquillages témoignent que ces objets ont été longuement portés par l'enfant avant sa mort. La différence entre les adultes et les enfants dans la taille des objets de parure devait donc être clairement décelable dans la vie de tous les jours. Il ne s'agit pas de vêtements funéraires destinés à établir cette différence de manière symbolique, uniquement au moment de l'inhumation, mais bien d'habits permettant de manière permanente un étalage ostentatoire de la parure et, par conséquent, du savoir-faire et du temps nécessaire à sa réalisation. Il est certain que les tronçons de dentales et les petits gastéropodes associés à l'enfant n'auraient pas pu être réutilisés dans des parures d'adultes. Cet investissement en perte, effectué par des adultes pour des enfants, nécessite une explication. Deux hypothèses peuvent être avancées. La parure témoignerait de l'affection du milieu familial ou d'une différenciation sociale. Dans ce dernier cas, elle pourrait caractériser une classe d' âge, un individu ayant acquis par ses actes un statut particulier au sein du groupe ou possédant dès la naissance un tel statut par son appartenance à une lignée. La première hypothèse semble contredite par le fait que les coquillages utilisés témoignent par leurs origines diverses, parfois lointaines, d'une collecte à long terme ou de réseaux d'échanges impliquant plusieurs groupes. L'utilisation de ces objets ne s'inscrit donc pas dans une pratique occasionnelle mais dans une continuité de comportements qui concernent l'ensemble du groupe. En ce qui concerne la deuxième hypothèse, le jeune âge de l'enfant de La Madeleine exclut qu'il ait pu accéder par lui -même à un rang particulier. Si on admet que l'enfant magdalénien/azilien de Rochereil (Jude 1960) est contemporain de celui de La Madeleine, la parure de ce dernier ne semble pas non plus être le fait d'une classe d' âge. En effet, si cela avait été le cas, nous devrions trouver des parures semblables dans toutes les sépultures d'enfants contemporaines de la région. Or, l'enfant de Rochereil était dépourvu de tout mobilier funéraire (Jude 1960). Malheureusement, les seuls autres termes de comparaison sont constitués par les sépultures épigravettiennes de la péninsule italienne et celles du Mésolithique ancien de La Vergne. Les deux enfants de la Grotte des Enfants ont des parures identiques, mais ils pourraient appartenir à la même lignée ou même, comme établi par l'analyse anthropologique (Gambier sous presse), avoir eu la même mère. Dans la nécropole des Arene Candide (Cardini 1980, Bietti 1987) et de la Vergne (Duday et Courtaud 1998, Dupont 1998), on ne reconnaît pas de différences marquées dans la parure entre les sépultures d'enfants et d'adultes. L'hypothèse de statuts sociaux transmis de façon héréditaire implique l'identification, dans des sépultures d'enfants contemporaines et de la même région, de différences significatives dans la quantité et qualité du mobilier funéraire. Par la richesse des objets et le soin apporté à leur production, le mobilier de La Madeleine pourrait bien représenter un aspect, peut-être un extrème, de cette variabilité. Cependant, seule la datation de l'enfant de Rochereil et la découverte d'autres sépultures d'enfants permetteront d'établir si l'appartenance à une lignée déterminait le statut social de l'individu dans les sociétés de la fin du Magdalénien .
L'analyse taphonomique, technique et morphométrique des objets de parure de la sépulture de l'enfant de La Madeleine (Tursac, Dordogne) permet de reconstituer les techniques de fabrication, les modes d'assemblage et le degré d'utilisation de ces objets. Les dentales ont été tronçonnés par flexion et sciage pour produire des tubes de 6-7 mm de longueur et au moins 1,8 mm de diamètre. La morphométrie des aiguilles découvertes dans les couches d'habitat et la présence de fractures et usures caractéristiques sur les dentales indiquent que ces derniers ont été brodés à l'aide d'aiguilles fines sur l'habit de l'enfant et portés de son vivant. La petite taille des tronçons de dentales et des autres objets de parure en coquillage (turritelles, néritines, cyclopes et Glycymeris), significativement différente de celle des mêmes espèces découvertes dans les sites d'habitat et dans les sépultures contemporaines, démontre que cette ornementation a été spécialement conçue pour l'enfant et semble indiquer que cette classe d'âge jouissait d'un statut social propre dans les sociétés de la fin du Paléolithique supérieur. Le grand nombre d'objets impliqués et le grand investissement de temps nécessaire à la réalisation de cette parure évoquent une motivation qui dépasse l'affection parentale et pourraient constituer l'indice d'une stratification sociale à base héréditaire. Malgré la date tardive récemment obtenue pour cette sépulture (10 190 ± 100 BP), son mobilier funéraire s'enracine dans le monde magdalénien, comme ceci est démontré par la comparaison avec le mobilier issu des couches d'habitat.
archeologie_525-02-11797_tei_299.xml
termith-24-archeologie
Cette étude fait suite à celle qui a été publiée sur les ateliers de taille d'Hibarette (Barragué et al. 2001). Le site de Coustaret appartient à ce même ensemble préhistorique mais il est situé sur la commune voisine de Saint-Martin. Comme le site présentait une certaine cohérence topographique et techno-typologique (concentrations significatives d'artefacts typiquement solutréens) et que les sites solutréens dans les Pyrénées sont rares, il nous a semblé qu'il méritait une présentation monographique. L'atelier a été découvert au cours de prospections pédestres successives, effectuées séparément par J. Barragué, Ch. Rousseau et J.-M. Cardeilhac. Les ramassages se sont déroulés sur une dizaine d'années et de manière très irrégulière. En effet, le terrain a été très rarement accessible en raison des plantations de jeunes conifères qui ont gêné les prospections; ces dernières n'ont pu être efficaces que lors de l'arrachage des sapins ou à l'occasion de nouvelles plantations. Les ramassages ont été aussi exhaustifs que possible, en fonction de la « lisibilité » du terrain. Le gisement se situe en position sommitale sur le rebord d'un plateau d' âge miocène/pliocène (fig. 1 et 2). Il est formé par plusieurs concentrations d'artefacts dont la principale n'excède pas une superficie de 30 x 30 m; l'ensemble reconnu ne dépasse pas l'hectare et correspond à une parcelle déboisée, il y a quelques années, pour produire des sapins de Noël; l'ancienne forêt entoure toujours le site et lui confère un aspect isolé. Il est fort envisageable que les ateliers se poursuivent de part et d'autre dans la forêt, mais ils demeurent masqués par la végétation. Comme pour les autres concentrations d'industrie lithique d'Hibarette, celle de Coustaret est vraisemblablement due à la présence de gîtes à silex qui ont fourni une importante quantité de matière première. La matière première siliceuse est issue d'affleurements géologiques désignés sous le terme « Poudingues de Palassou » (fig. 2); ils proviennent du démantèlement de formations plus anciennes, situées en amont de la chaîne des Pyrénées, notamment les calcaires du flysch dans lesquels se sont formés les nodules siliceux (Barragué et al. 2001). Ces derniers ont été libérés au cours de l'orogenèse pyrénéenne, puis transportés et intégrés dans les Poudingues de Palassou; ils se présentent soit sous la forme de blocs arrondis plus ou moins gros (de 0,05 cm à 0,20-0,30 m de long en moyenne), soit sous forme de plaquettes ou de dalles d'épaisseur et de longueur variables (certaines dalles peuvent atteindre 0,60-0,80 m de long). Les cortex, réguliers et fins, sont aussi d'épaisseurs variables, de 1 mm à 20 mm. Les défauts, surtout sur les plaquettes, ont créé, après fragmentations naturelles, des surfaces planes plus ou moins altérées. D'après nos prospections, les carrières préhistoriques devaient se situer sur les versants ou dans les lits des petits rus qui ont entaillé les Poudingues de Palassou. Les paléolithiques ont pu avoir accès facilement à la matière première, profitant de phases érosives qui ont libéré les rognons de silex. La principale carrière devait se situer sur l'emplacement actuel de la décharge, située à 500 m du site de Coustaret, mais de nombreuses carrières secondaires ont pu se développer sur tous les rebords du plateau où affleurent les Poudingues de Palassou; dans le cas de l'atelier de Coustaret, les Solutréens ont ainsi pu extraire leur matière première des versants contigus à la zone d'atelier proprement dite. L'effectif des outils du fonds commun est très faible puisqu'il ne compte que 52 pièces, réparties de la manière suivante : 5 grattoirs (3 sur éclat, 1 caréné, 1 sur lame corticale épaisse) 3 burins (3 dièdres sur gros éclats) 20 lames retouchées (de tout type de taille et de retouches) 1 bec réalisé à partir d'une troncature sur lame 1 pointe atypique sur éclat laminaire de type Levallois 1 fragment proximal de lamelle à dos 23 éclats retouchés (8 gros éclats épais d'arête supérieure à 5 cm et 15 petits éclats d'arête inférieure à 5 cm). Cet ensemble n'est guère significatif. On ne retiendra que la présence d'une lamelle à dos et le caractère « aurignacoïde » des grattoirs. La série solutréenne est constituée par dix pièces. Les plus significatives sont deux pointes de Montaut. La première (fig. 3 : 1), large et trapue, se rapproche des formes des feuilles de laurier, tout en gardant la dissymétrie caractéristique du type, induite par le façonnage d'un pédoncule à sa base. Sa section est aussi dissymétrique : une face est quasiment plate alors que la seconde est légèrement bombée. A l'évidence, cet objet n'a pas été achevé : il manque la finition par retouches à la pression du délinéament des bords. La seconde pointe de Montaut (fig. 3 : 2) est plus allongée; elle présente un pédoncule bien dégagé mais toujours déjeté par rapport à l'axe de la pièce. Des cinq feuilles de laurier ramassées sur le site, toutes sont fragmentaires sauf une (fig. 4 : 1); cette dernière est de petite taille et semble avoir été abandonnée peu après le début de son façonnage, en raison peut-être de la fracture de la base de la pièce (elle a été provoquée par un choc perpendiculaire au plan de la pièce). La feuille de laurier n° 3 (fig. 4) est remarquable par sa grande taille et la retouche transversale de sa base; ce trait typo-technologique se retrouve souvent sur les pièces pyrénéennes et pourrait correspondre à une réponse technique du tailleur confronté à un problème de taille. Cette retouche aurait permis d'éliminer des plans de fracture préexistant sur le support comme on peut le remarquer, par exemple, sur les deux pièces foliacées n° 2 et 3 (fig. 5). Deux autres pièces foliacées ont servi de support à des burins. Le n° 2 (fig. 6) correspondrait à l'extrémité d'une pointe de feuille de laurier, transformée en burin d'angle et dièdre d'angle à partir de la cassure. Le n° 1 (fig. 6) est aussi une ancienne feuille de laurier dont la cassure a été retouchée pour obtenir plusieurs encoches; une d'entre elles a servi de plan de frappe pour un coup de burin : on pourrait placer cet outil dans le type des burins transversaux sur encoche. Enfin, la dernière pièce est un fragment de ce qui pourrait être une feuille de saule ou d'un outil typologiquement proche (fig. 4 : 2). A cette production d'objets finis, se rajoutent 7 pièces bifaciales (entières ou fragmentaires) qui pourraient être considérées comme des ébauches de pièces solutréennes. La majorité d'entre elles a été réalisée à partir de plaquettes et garde, sur une face, une plage corticale (fig. 6 : 3) (cf. Simonnet 1999a pour le débitage sur plaquette). Le n° 4 (fig. 6) a pu être aussi un nucléus laminaire. Toutes ces pièces ont été réalisées dans du silex de Montgaillard-Hibarette, à l'exception de la pointe de Montaut n° 1 (fig. 3) qui semble être faite dans un silex tertiaire. Il faut toutefois évoquer une présence très marginale de silex allochtones provenant de Chalosse et du flysch de Salies-de-Béarn, sous forme d'éclats (5) et d'un petit nucléus (Chalosse). Le cortège des matériaux allochtones est identique à celui qu'on retrouve sur le proche atelier Hibarette-Résistance (Barragué et al. 2001) : matériaux exclusivement pyrénéens et absence de matériaux du Périgord. La prospection, effectuée sur une dizaine d'années, a abouti au ramassage d'une masse de silex débité, évaluée à 29 kg. La répartition selon les grands groupes typo-technologiques est la suivante : Le nombre des nucléus et blocs testés s'élève à 78. Les différents types se répartissent de la manière suivante : Blocs testés et fragments informes (13). Nucléus de type discoïde ou Levallois (13) : ces types classiques de l'industrie moustériennes indiquent l'existence probable de mélanges d'industries de chronologie différentes, non décelées lors de l'analyse des seuls outils. Nucléus à double altération (3) : ils correspondent à une reprise du débitage sur des anciens nucléus anciennement altérés (cf. même type de pièces à la grotte de Labastide, Simonnet 1999 b). Nucléus à éclats, parfois laminaires (fig. 8 : 2 et 3), sur un plan de frappe préparé ou non (21). Nucléus laminaires à partir de plaquettes (7) : certains ne présentent aucune préparation préalable avant le débitage, si ce n'est un plan de frappe; d'autres présentent une crête dorsale (fig. 9 : 1). Le n° 1 (fig. 8) sort de l'ordinaire par son mode de débitage qui se rapproche de celui des « livres de beurre » ou des méthodes Levallois : il a donné lieu à une production de lames et éclats très larges; le n° 3 (fig. 9) possède les mêmes caractéristiques du précédent mais il est d'une taille beaucoup plus réduite; Nucléus laminaires sur bloc ovoïde ou sur gros éclat, avec un façonnage préalable de crêtes antéro-postérieures (14); ils possèdent généralement un seul plan de frappe. Nucléus à lamelles (7); un seul exemplaire présente deux plans de frappe dont le premier a donné une production d'éclats laminaires et le second une production de lamelles; le reste des nucléus lamellaires de la série sont à plan de frappe multiple (2) ou à plan de frappe unique (4). Les objectifs de la production de taille sont très diversifiés puisque, d'après les nucléus, on retrouve des chaînes opératoires axées sur la production spécialisée d'éclats ou d'éclats laminaires, de lames (fig. 7) et de lamelles. L'homogénéité chronologique de la collection n'étant pas totalement assurée, il est malaisé d'affirmer que tous les modes de production décrits soient contemporains et représentatifs du Solutréen pyrénéen, en particulier ceux de type discoïde ou Levallois; par ce dernier terme, que nous prenons dans son acception très générale, nous désignons une méthode de débitage qui relève de l'exploitation d'une surface préparée (Boëda 1990), tout en privilégiant les plus grandes surfaces des blocs à débiter. Néanmoins, il existe des exemples bien établis, comme sur le site solutréen de Saint-Sulpice-de-Favières, où « le débitage est orienté majoritairement vers la production d'éclats à partir de nucléus discoïdes » (Sacchi et al. 1996 : 524). Sur la station de La Celle-Saint-Cyr dans l'Yonne, Renard (2000) a mis en évidence des nucléus d'aspect « Levalloïde » et leur association à une production laminaire pour la réalisation de pointes à face plane. Ces exemples récents démontrent que ces modes de débitage ne sont donc pas exclusifs du Paléolithique moyen. Sur tous les ateliers d'Hibarette, le débitage discoïde est omniprésent, toujours accompagné d'une industrie du Paléolithique moyen; à Coustaret, cette dernière n'étant pas présente, la référence au contexte solutréen reste du domaine du plausible. Dans l'état actuel des recherches sur les assemblages lithiques solutréens des Pyrénées, l'intérêt de la découverte du site de Coustaret est manifeste, bien que les conditions de découverte (prospections pédestres) en limitent la portée d'analyse et d'interprétation. La présence des matériaux bruts, la masse importante de matière débitée et les nombreuses pièces techniques sont autant d'éléments qui suggèrent l'existence d'ateliers de taille. Mais le matériel récolté est loin d' être suffisamment représentatif pour permettre de préciser les chaînes opératoires. Les caractéristiques techno-typologiques du matériel examiné indiquent principalement une attribution solutréenne mais elles n'excluent pas la possibilité de mélanges. Les nucléus de type discoïde et Levallois évoquent le Moustérien; néanmoins, ce type de débitage a été repéré récemment dans des sites solutréens. Par ailleurs, quelques pièces, notamment une ébauche de hache et quelques nucléus devraient se rattacher au Néolithique. L'outillage solutréen est composé de pointes de Montaut et de feuilles de laurier, comme dans la plupart des gisements solutréens pyrénéens. Mais en l'absence d'une séquence chrono-stratigraphique régionale bien définie, il est impossible de dire à quelle phase du Solutréen se rapporte cette série. La parenté avec les sites de plein air de Montaut et de Tercis est évidente, tant par le statut du site (atelier de taille, gîte de matière première à proximité) que par la production lithique standardisée (pointes de Montaut et feuilles de laurier). La description du gisement de Montaut par son inventeur F. Mascaraux (1890; 1912) est plutôt confuse mais on peut supposer qu'il ait été composé d'un site d'atelier plein air sur le rebord d'un plateau et d'un abri sous roche, actuellement détruits l'un et l'autre par des carrières modernes. Il existe à proximité du site d'importants gîtes à silex (communication orale de Ch. Normand); la présence de matière première semble avoir également déterminé l'installation des Solutréens de Tercis (Pottier 1872 et communication orale de Ch. Normand). Une matière première abondante et facilement accessible (vallon hydrographique qui entaille des formations superficielles où se trouvent les silex), une production lithique centrée sur les pointes de Montaut et les feuilles de laurier, de nombreuses ébauches et de pièces fragmentaires, sont les caractéristiques communes de ces sites. Les qualifier strictement d'ateliers de taille serait certainement réducteur puisque les informations que nous en avons sont limitées (fouilles anciennes pour Montaut et Tercis, prospections pédestres de surface pour Coustaret), mais les activités développées autour du silex (approvisionnement et taille) semblent occuper une place prépondérante. On peut établir quelques comparaisons avec d'autres sites solutréens de plein air, récemment découverts, comme Grateloup en Dordogne (Morand-Monteil et al. 1997), Le Rail en Charente-Maritime (Airvaux et al. 2000), Les Maitreaux dans l'Indre-et-Loire (Aubry et al. 1998) ou de Saint-Sulpice-de-Favières dans l'Essonne (Sacchi et al. 1996). Le dénominateur commun à ces sites, situés dans des régions géographiques très variées, est la présence de matière première siliceuse abondante et de bonne qualité, qui a déterminé l'arrêt sur les lieux des Solutréens pour y développer leurs activités de taille; mais celles -ci ne semblent pas être exclusives : « les activités de fabrication et de consommation communes à tous les groupes nomades, en particulier le travail des peaux et le travail de l'os » sont perceptibles à Saint-Sulpice-de-Favières (Sacchi et al. 1996 : 526) ainsi que, vraisemblablement, aux Maitreaux (Aubry et al. 1998 : 183). Ces constatations ont pu être précisées grâce aux fouilles extensives qui ont été menées sur ces sites. Pour les autres gisements, découverts par prospections pédestres, la transposition de ces interprétations pourrait éventuellement leur être appliquée, notamment à Coustaret, si l'on considère l'importance des ateliers d'Hibarette et la répartition des sites du Paléolithique supérieur dans les Pyrénées telle qu'on la perçoit actuellement (Barragué et al. 2001; Simonnet 1999). Avec la multiplication des découvertes, les gîtes à silex semblent être des lieux importants de fixation des populations paléolithiques, que l'on trouve dans une région bien dotée en abris naturels (Pyrénées, Périgord, Charente) ou dans une région à paysage plus ouvert (Bassin parisien). Par ailleurs, il semble exister une relation étroite entre les potentialités du gîte (présence de nodules ou de silicifications sous la forme de dalle ou de plaquette) et les productions des feuilles de laurier à Coustaret, Saint-Sulpice-de-Favières et Les Maitreaux (tous niveaux). La chaîne opératoire du façonnage des feuilles de laurier, analysée en détail aux Maitreaux (tous niveaux), indique que ce type de pièces a été réalisé à partir de silex en dalle ou plaquette. On retrouve des pièces foliacées à diverses phases de fabrication à Saint-Sulpice-de-Favières ainsi qu' à Coustaret, qui suggèrent les mêmes procédés d'obtention. Le principal apport du site de Coustaret reste d'ordre paléo-géographique. La répartition des sites solutréens sur l'ensemble des Pyrénées pouvait paraître lacunaire avant sa découverte; deux groupes culturellement identiques se faisaient face à plus 120 km à vol d'oiseau, celui des Landes-Pays Basque (Brassempouy, Tercis, Montaut, Isturitz, Azkonzilo) et celui des Pyrénées centrales (Les Harpons, Gourdan, Roquecourbère), sans aucun site intermédiaire entre les deux. Coustaret vient désormais combler un vide et contribue ainsi à mieux rendre compte de la cohésion territoriale du Solutréen sur l'ensemble des Pyrénées (Foucher, San Juan 2000; 2001a; 2000b; 2000c) .
Un nouveau site solutréen de plein air a été récemment découvert par prospection pédestre, au sud de Tarbes (Hautes-Pyrénées). Il s'individualise au sein du vaste ensemble d'ateliers de taille d'Hibarette par une concentration d'artefacts solutréens qui semble exempte de mélanges d'autres industries du Paléolithique supérieur. Les pièces solutréennes caractéristiques sont représentées par des feuilles de lauriers, certaines de grande taille, et par des pointes de Montaut. La présence d'ébauches de pièces bifaciales, élaborées dans le silex de Montgaillard-Hibarette qui affleure à proximité, est un argument en faveur de l'interprétation fonctionnelle du site comme un atelier. Il s'intègre parfaitement dans le Solutréen typique des Pyrénées et, d'un point de vue géographique, constitue un pôle intermédiaire entre les sites des Landes-Pays Basque (Brassempouy, Tercis, Montaut, lsturitz, Azkonzilo) et ceux du groupe des Pyrénées centrales (Les Harpons, Roquecourbère).
archeologie_525-04-10227_tei_278.xml
termith-25-archeologie
En Europe occidentale, le regroupement des morts dans des caveaux collectifs prend une ampleur sans pareille dès le milieu du IV e millénaire av. J.-C., pour être le genre sépulcral quasi exclusif jusqu' à l'aube du III e millénaire av. J.-C. Cette uniformité funéraire touche aussi bien le mode d'inhumation que l'architecture des monuments (allées sépulcrales du Bassin parisien et de l'ouest de l'Allemagne, mégalithes à entrée latérale de Bretagne et du nord de l'Europe) ou leur agencement intérieur : les tombes se dotent dorénavant d'antichambres ou de couloirs plus ou moins fonctionnels, nettement séparés de la chambre sépulcrale. Les diverses manifestations culturelles de la fin du Néolithique partagent un univers idéologique commun, au sein duquel les pratiques funéraires jouent un rôle de premier plan. Véritable interface entre le monde des vivants et le monde des morts de par sa nature d'espace « non clos », utilisée parfois pendant plus d'un millénaire, la sépulture collective offre un terrain complexe mais privilégié pour l'étude du mobilier et de ses différentes fonctions au sein de l'espace funéraire : fonctions sociales (rangs, statuts, prestige) ou symboliques (culte), qu'il convient ici de décrypter. Ces cinquante dernières années, l'étude des sépultures collectives a bénéficié d'une triple impulsion : tout d'abord celle de nombreuses fouilles, dont certaines demeurent exemplaires (Les Mournouards, Marne; Leroi-Gourhan et al. 1962), puis l'essor de l'anthropologie et de l'archéologie funéraire (travaux de H. Duday, C. Masset et J. Leclerc), enfin le développement des méthodes d'analyse de terrain et des problématiques inhérentes aux sépultures collectives (thèse de P. Chambon, 2003). À la lumière de ces approches renouvelées, le mobilier des sépultures collectives pouvait être abordé sous un jour nouveau. Afin d'apprécier les modalités des dépôts mobiliers dans les sépultures collectives et d'en dégager aussi bien les aspects « universels » que les facettes régionales, nous avons analysé un corpus de 203 tombes distribuées sur une zone géographique comprenant la France, le nord de l'Italie et de l'Espagne, la Suisse, la Belgique, les Pays-Bas et l'Allemagne (fig. 1). Les résultats obtenus à partir de ces tombes, sélectionnées pour la qualité de leur documentation et leur calage chronologique dans la période considérée (de la fin du IV e à la fin du III e millénaire av. J.-C), ont ensuite été corroborés à l'aide de plus de 1000 autres sépultures contenant du mobilier, soit environ 100 000 objets. Notre approche a considéré aussi bien la composition des mobiliers que leur état au moment du dépôt (ébauches, objets neufs ou usés, substituts). Nous avons toutefois accordé une attention particulière à la répartition spatiale des objets dans la tombe (plus de 30 000 objets ont été localisés) et aux facteurs taphonomiques, dans le but de mettre en évidence des comportements récurrents, voire des gestes funéraires codifiés (Sohn 2007). Bien que les questions culturelles et chronologiques représentent une part importante de ce travail (Sohn 2006a), notamment les questions d'évolution des dépôts mobiliers, elles ne seront pas développées ici. Nous nous concentrerons au contraire sur les diverses fonctions du mobilier funéraire, à travers l'exemple des sépultures collectives. Dans les sépultures collectives, l'approche puis l'interprétation des dépôts mobiliers repose avant tout sur la lecture et le décodage que l'on fait des espaces intérieurs et extérieurs de la tombe. Pour ce faire, chaque sépulture collective peut être considérée comme une sorte de « micro nécropole » de sépultures individuelles, possédant des espaces sépulcraux individuels et des espaces collectifs (zones de circulation, de culte ou de cérémonie). Cette lecture est bien entendu beaucoup plus aisée dans des monuments possédant une antichambre ou un vestibule clairement dissocié de la chambre sépulcrale (allées sépulcrales), ou les monuments dans lesquels la chambre sépulcrale est fractionnée en cellules d'inhumations (sépultures mégalithiques du nord de l'Allemagne). De même, l'attribution d'un objet à un individu sera d'autant plus aisée si la tombe contient peu d'inhumés, ou que ces derniers sont nettement individualisés au sein de la couche sépulcrale. Au contraire, les sépultures en cavité naturelle ou les sépultures de dimensions réduites et sans antichambre, vont offrir des possibilités interprétatives bien plus limitées, puisque le fractionnement des espaces est moins évident. Finalement, on peut dire que c'est l'organisation d'un site ou d'un espace qui est le plus porteur d'une signification (Leclerc 1997). Malheureusement, les espaces extérieurs de la tombe sont généralement peu connus car non fouillés, excepté dans de très rares cas (sépultures de Val-de-Reuil dans l'Eure) et encore, les investigations se limitent souvent au tumulus ou à la partie antérieure des tombes. Même s'il est possible d'observer des dépôts mobiliers à l'extérieur des sépultures, une partie des gestes inhérents à la gestion de l'espace funéraire dans son ensemble demeure inconnue. Néanmoins, nous considérons les abords immédiats de la tombe, en particulier la zone d'entrée, comme un espace funéraire au sens large du terme, c'est-à-dire un espace qui a accueilli une partie des cérémonies liées aux funérailles (espace cérémoniel), qui a servi de zone de circulation pour amener les cadavres ou pour rendre hommage aux morts. L'importance de ces espaces est d'ailleurs clairement soulignée par J. Leclerc (Leclerc 1997 et fig. 2), selon lequel l'espace funéraire est celui qui contient à la fois l'espace sépulcral (de traitement : dans lequel les corps se décomposent, de conservation : l'ossuaire), des espaces techniques (accès), des espaces cérémoniels (présentant des dispositifs symboliques collectifs), et des espaces sacrés (espace vide et inaccessible non fonctionnel). L'espace funéraire comprend donc aussi bien la tombe elle -même que ses abords immédiats, ou la nécropole dans son entier si tel est le cas. L'étude de ces espaces et du mobilier qui a été déposé en leur sein peut se révéler très riche en informations : « la manière particulière dont les hommes ont utilisé la structure funéraire peut être entendue comme une sorte de discours qui nous renseigne efficacement sur le fonctionnement de la société vivante. Quant au système de relations entre espaces qui constitue cette structure elle -même, on doit y voir la traduction directe de la forme que prenait l'idéologie des hommes » (Leclerc 1997, p. 404). La sépulture de la Chaussée-Tirancourt (Somme) est une de celles qui présente en cela l'organisation la plus riche : elle comprend un espace cérémoniel (vestibule monumental), un espace technique (rampe d'accès aménagée dans un coin du monument), un espace sacré (« muche »), plusieurs espaces de traitement (cellules d'inhumations) et de conservation des corps (ossuaires). Ainsi entendons -nous par « mobilier funéraire » tous les objets retrouvés dans la tombe et dans ses environs immédiats, si bien sûr la relation stratigraphique avec la période d'utilisation de la tombe est bien mise en évidence. C'est dans un second temps que nous tenterons de distinguer les cas où le mobilier funéraire a été abandonné en un lieu par négligence ou « déposé » intentionnellement en un endroit particulier de la tombe, de son tumulus, de la zone d'entrée etc Le sens accordé aux restes mobiliers dépendra donc de leur fréquence d'apparition dans un lieu donné et de ses rapports spatiaux avec les espaces de la tombe, les structures internes et externes du caveau, et les restes humains. Avant d'aborder la question du sens et des fonctions du mobilier funéraire, nous devons nous interroger sur la composition de celui -ci et sur son état au moment du dépôt. Le caractère funéraire du mobilier des sépultures collectives correspond -il uniquement à sa présence au sein de l'espace funéraire ou dépend -il également de sa représentativité quantitative et qualitative (variétés, taux d'usure) par rapport au mobilier des vivants ? La valeur fonctionnelle de l'objet est-elle conservée dans le monde des morts ? Le premier constat que nous pouvons faire, c'est que le mobilier des sépultures collectives ne relève pas typologiquement d'une production spécifiquement funéraire puisqu'on retrouve généralement les mêmes types d'objets dans des sites d'habitats contemporains : céramique, parure, outils et armes en pierre ou en silex, en os/bois de cerf ou en cuivre. Si pour certaines régions la comparaison est parfois difficile à établir, voire impossible faute d'habitats fouillés, elle peut se faire plus facilement ailleurs, notamment dans le sud de la France. Le mobilier des sépultures collectives est donc un mobilier à première vue banal et typologiquement représentatif de celui que l'on rencontre dans la sphère des vivants. En revanche, le mobilier funéraire ne correspond pas au mobilier d'habitat en termes de quantités et de proportions. Il est aussi moins varié. La principale catégorie de mobilier concernée est, de loin, la parure : celle -ci est extrêmement abondante dans les tombes, puisqu'elle représente la majorité des objets découverts (fig. 3), comparée à sa rareté ou son absence en contexte d'habitat, toutes régions confondues. De même, la céramique apparaît dans des proportions nettement inférieures en contexte funéraire que dans l'habitat, où elle constitue généralement presque l'essentiel du mobilier découvert. Ce constat est surtout vrai pour la plupart des régions françaises et l'ouest de l'Allemagne, où la céramique est faiblement représentée dans les tombes : seulement 5 à 10 % du mobilier. De plus, il semblerait que les grandes formes de vases de stockage, les céramiques robustes ou certains décors répandus dans les sites d'habitat, soient en revanche exclus du monde funéraire : dans l'hypogée des Crottes à Roaix (Vaucluse), la céramique attribuable à la culture de Fontbouisse n'est représentée que par des récipients de petite taille, peu décorés (Sauzade 1983), ce qui ne correspond pas à un échantillonnage de la céramique d'habitat. Les industries lithiques et osseuses marquent également certaines différences avec les contextes d'habitat (fig. 4) : les armatures de flèches en silex sont fort nombreuses dans les sépultures comparé à leur quantité dans l'habitat, et l'industrie osseuse est plutôt sous représentée dans les tombes, les poinçons constituant souvent l'essentiel du mobilier en os (Sauzade 1998). Le mobilier des sépultures collectives est donc un mobilier « choisi » (Langry-François 2004, p. 101), sélectionné dans la panoplie de la vie courante. Certains objets ont été préférés ou valorisés par rapport à d'autres comme la parure et les armatures de flèches. De manière générale et ce, dans toutes les régions de notre étude, le mobilier des sépultures collectives présente une facture semblable à celui des habitats, des traces d'utilisation à différents stades d'usure et même, des traces de réparations. Tous les objets sont concernés : la céramique (caramels alimentaires), l'industrie lithique (haches polies, « briquets » usagés, lames et poignards à lustrés de céréales, grattoirs, éclats), l'industrie osseuse (gaines de haches en bois de cerf réparées, poinçons fortement lustrés par l'usage) et surtout, la parure dont les stigmates d'usures sont fréquents au niveau des perforations (Polloni et al. 2004 et Polloni ce volume). L'aspect « neuf » d'un objet est quant à lui beaucoup plus délicat à déterminer que le fait qu'il soit usagé. En effet, si les études de surfaces micro et macroscopiques permettent de dire qu'un objet paraît ne pas avoir été utilisé, elles ne peuvent en aucun cas affirmer avec certitude que celui -ci n'a pas été utilisé pour des activités qui ne laissent pas de traces, ou une activité exercée seulement à une ou deux reprises avant que l'objet n'entre dans la tombe. Ce genre d'étude étant déjà fort rare, la patine sur la surface des objets gêne souvent les observations. De manière générale, il semblerait toutefois que les objets neufs soient extrêmement rares dans les sépultures collectives. Certains auteurs mentionnent des objets en meilleur état que d'autres, moins usés, comme les perles en calcaire de la sépulture des Mournouards dans la Marne, par rapport au reste de la parure de la tombe (Leroi-Gourhan et al. 1962), mais rarement la présence d'objets neufs. Les informations dont nous disposons à ce sujet concernent surtout les haches polies. L'étude de F. Langry-François sur l'industrie lithique des hypogées de la Marne a révélé que, sur huit haches étudiées, aucune ne présentait d'esquillement. De plus, l'étude tracéologique réalisée sur une hache de l'hypogée du Mont-Aimé 2 à Val-des-Marais (Marne) a conclu qu'elle n'avait pas été utilisée (Langry-François 2004). Il semblerait donc que certaines haches polies aient pu entrer à l'état neuf dans les tombes. La question des ébauches ou des « substituts d'offrandes » a été plusieurs fois développée par G. Sauzade au sujet du mobilier des sépultures collectives de l'est méditerranéen (Sauzade 1983 et 1998). Elle correspond en effet à une réalité, bien que celle -ci soit tenue, au regard des quantités d'objets achevés et même usés que livrent les tombes en général. Nous avons enregistré à ce propos la présence de quelques ébauches de haches dans les tombes du Bassin parisien, par exemple dans la sépulture de la Chaussée-Tirancourt (Somme), à Crécy-en-Brie (Seine-et-Marne), dans celles de La Pierre de Rabelais à Meudon (Hauts-de-Seine), de L'Hôpitat à Rumigny (Ardennes) et Les Ronces XXII à Villevenard (Marne). Bien qu'il s'agisse d'objets censés être inachevés, certains ont vraisemblablement été utilisés. De même, certaines haches perforées retrouvées dans les sépultures du nord de l'Europe ne sont pas achevées au niveau de la perforation ou du bouton. En ce qui concerne la parure, des exemples d'ébauches sont également connus, comme la perle en quartz de la tombe de Coutignargues (Bouches-du-Rhône), dont seule l'amorce du trou a été observée (Sauzade 1976). Signalons également le cas d'une ébauche de poinçon, cassée en cours de fabrication et déposée quand même comme mobilier funéraire dans la sépulture de La Lave à Saint-Saturnin-d'Apt dans le Vaucluse (Gagnière & Germand 1941). D'autres objets, cette fois -ci plus fréquents et nombreux, sont retrouvés dans les tombes à l'état de « matière première » brute : ils évoquent certains objets courants mais ne sont pas du tout travaillés. Il s'agit principalement des dents de faune non percées, que l'on peut retrouver en abondance dans certaines tombes d'Allemagne, fréquemment au sein d'ensembles de dents percées (150 à Moringen « Großenrode 2 », Thuringe; Rinne 2003), du nord de la France (Marly-le-Roi « Mississipi », Yvelines; Crécy-en-Brie, Seine-et-Marne) et du Sud (canines d'ursidés de « Villard » à Lauzet-Ubaye dans les Alpes-de-Haute-Provence; Sauzade 1983). De la même manière, on peut rencontrer des coquillages ou des escargots fossiles non percés, au sein de leurs homologues perforés, dans la même sépulture (Oyes, Marne). On rencontre aussi dans les tombes des objets de « remplacement », souvent au sein d'une parure : ils évoquent la forme des éléments constituant cette parure, mais sont réalisés dans un autre matériau, comme par exemple les deux perles en os qui se substituent aux craches de cerfs de la sépulture Fosse XIV de Portejoie dans l'Eure (Sidéra 2002). Le remplacement d'une dent percée par un pendentif en os au sein d'une parure est d'ailleurs le cas le plus connu. Enfin, on ne peut pas ignorer le nombre important d'objets trouvés à l'état de fragment et dont la partie manquante n'a jamais été retrouvée dans les tombes. Dans certaines sépultures, la proportion de ces mobiliers peut être très importante : dans l'hypogée des Crottes à Roaix (Vaucluse), 30 fragments d'armatures de flèches foliacées ont été trouvés, contre le même nombre d'armatures entières (Sauzade 1983). De même, aux Mournouards (Marne), « la proportion des pièces cassées est extrêmement forte, atteignant les deux tiers des numéros répertoriés » (Leroi-Gourhan et al. 1962, p. 37). À Méréaucourt (Somme), l'étude des haches polies par H. Plisson a révélé que deux d'entre elles avaient été endommagées volontairement avant leur dépôt afin de les rendre inutilisables (Masset et al. à paraître). Qu'entendre alors exactement par « substitut d'offrande » et les exemples évoqués ci-dessus en sont-ils vraiment ? Le mot « offrande » est selon nous mal approprié car il sous-entend de manière explicite l'idée de « don », des vivants aux morts, ou des vivants à des « objets de culte » et par là même, écarte automatiquement les objets qui relèvent des biens personnels des individus de leur vivant. En revanche, le terme de « substitut », c'est-à-dire « d'objet de remplacement » nous paraît bien convenir aux objets qui imitent la forme d'un autre mais sont réalisés dans un autre matériau. Cependant, peut-on vraiment qualifier de « substitut » les ébauches et les objets bruts ou brisés, c'est-à-dire non fonctionnels ? Ont-ils réellement évoqué l'objet auquel ils ressemblent et l'ont-ils remplacé ? Ou bien leur état d'abandon dans un stade inachevé, l'annihilation de leur « fonction d'usage » a -t-elle eu une signification symbolique particulière ? Si le doute persiste pour les ébauches, le cas des objets brisés volontairement plaide plutôt en faveur de la seconde hypothèse. Outre l'état physique des objets au moment de leur dépôt, l'étude de leur répartition spatiale dans la tombe permet d'aborder un aspect essentiel de la fonction du mobilier dans les sépultures collectives. Comme postulat de départ, nous avons choisi de désigner par « mobilier collectif » tous les objets déposés intentionnellement dans les espaces dépourvus d'ossements et par « mobilier individuel » les objets retrouvés au sein de la couche sépulcrale ou attribuables à un individu en particulier. Un des aspects les plus originaux des sépultures collectives, c'est que la structuration de l'espace montre clairement une volonté de réserver des lieux à d'autres activités ou d'autres dépôts que celui des corps. Si les antichambres, les vestibules et certains couloirs intriguent par leur aspect non fonctionnel, par les dalles « hublot » ou les gravures que certains possèdent, c'est aussi parce que des dépôts mobiliers particuliers et récurrents y ont été observés. Depuis la fouille des Mournouards et les travaux de C. Masset et J. Leclerc dans le Bassin parisien, l'intention « collective » de certains dépôts ne fait plus aucun doute. Même s'il existe une variabilité régionale et chronologique certaine, deux objets jouent un rôle essentiel et presque exclusif dans la représentation de l'espace collectif (fig. 5) : la céramique et la hache polie. S'ajoutent à cela plusieurs autres objets, déposés de manière isolée ou en lots, associés aux espaces collectifs, et présentant des combinaisons d'une plus grande variabilité. Alors qu'il existe des catégories de mobiliers exclusivement individuelles, comme la parure par exemple, ou les armes et les outils en cuivre, le mobilier collectif ne semble pas, dans l'état actuel de nos connaissances, être totalement exclu de la sphère individuelle : c'est une sélection d'objets courants et usagés, retirés de la sphère individuelle pour signifier quelque chose de différent. En fonction de la structuration de ces dépôts collectifs et de la prise en compte des différents espaces funéraires, on peut proposer un modèle interprétatif fondé sur la chronologie présumée des gestes qui précèdent, qui accompagnent ou qui suivent les funérailles, et le mettre à l'épreuve à l'aide de quelques exemples précis. Beaucoup d'auteurs s'accordent pour dire que les sépultures collectives, qu'elles soient mégalithiques ou pas, ont probablement mobilisé plus de gens pour leur construction que le nombre de personnes qui y ont été réellement inhumées (Bakker 1992). L'élévation d'un tel monument a eu certainement un sens particulièrement fort pour qu'on puisse imaginer facilement des célébrations destinées à le « consacrer », afin d'assurer sa pérennité. S'ajoute à cela le fait que la construction d'un monument funéraire ou d'une tombe n'est pas une pratique anodine, dans des sociétés où l'on accorde une place certainement bien plus grande qu'aujourd'hui au monde funéraire et au culte des ancêtres (Baudry 1999). En archéologie, en ethnologie mais aussi dans nos sociétés occidentales actuelles, les « rites » de fondation sont extrêmement courants. D'après A. Van Gennep, ils font partie intégrante des rites de passage (Van Gennep 1981) : les sacrifices (objets, nourriture, humains) dits de fondation et de construction permettent d'abord de lever un « tabou » sur l'édifice (dont la protection n'est pas assurée avant cela), généralement par l'action de sacrifice. Lors de notre étude, nous avons rencontré de nombreux cas de dépôts de fondation. L'exemple le plus probant est certainement celui de l'hypogée du Capitaine à Grillon (Vaucluse), fouillé entre 1976 et 1977 par G. Sauzade. Au milieu de la cavité, une fosse de 50 cm de diamètre et 40 cm de profondeur, creusée dans le sol rocheux, a livré 10 pics en galet de calcaire utilisés vraisemblablement pour creuser l'hypogée, car la plupart d'entre eux portent sur le tranchant un polissage dû à l'usure contre la roche (Sauzade 1998). Cette fosse a manifestement été creusée à la fin de la construction de la tombe, avant tout dépôt funéraire. D'autres fosses de ce type ont déjà été remarquées dans la même région, dans les hypogées du Castelet à Fontvieille (Bouches-du-Rhône), du Perpétairi à Mollans (Sauzade 1998) et de Coutignargues à Fontvieille (Sauzade 1976). Ces exemples, concentrés dans le Vaucluse, ont été interprétés par G. Sauzade comme des dépôts collectifs de fondation (Sauzade 1998, p. 299). Le dépôt de ces objets en lot, dans une position stratigraphique intermédiaire entre la construction du monument et les premières inhumations, auquel s'ajoutent leur nature (outils liés à la construction de la tombe) et la fréquence des observations dans une même région, permet en effet de valider cette hypothèse. Les dépôts de consécration ou de fondation ne concernent pas seulement des pics sur galets, mais tous les objets ayant pu servir en général à la construction des monuments : pics ou maillets en bois de cerf et haches polies (Büren, Westphalie; Günther & Viets 1992 ou Haren G2 aux Pays-Bas; Brindley 1986). Les céramiques ont pu également y participer (Brindley & Lanting 1991-1992, p. 127). Dans les sépultures collectives, les dépôts de haches et de céramiques sont extrêmement rigides et codifiés puisqu'ils se retrouvent quasiment à l'identique dans un grand nombre de tombes (Sohn 2006b), de zones géographiques et de cultures parfois très éloignées. Lorsqu'ils ne participent pas à des dépôts de fondation, ils s'attachent néanmoins de manière systématique aux zones d'entrée ou de « passage » du caveau (antichambre, couloir, zones de cloisonnements internes de la chambre sépulcrale). Plusieurs arguments nous amènent à penser que la hache et la céramique sont de véritables « symboles funéraires », dans le sens de la reconnaissance d'une idée abstraite, et peuvent avoir une fonction « sacrée », c'est-à-dire obéissant davantage à un rite (activité liée à un culte) qu' à une simple pratique (Sohn 2006a). Dans le Bassin parisien, et surtout dans la Marne, après les figurations anthropomorphes, les haches emmanchées sculptées en bas-relief sont les représentations les plus fréquentes (Bailloud 1974). En Bretagne, la hache emmanchée est également un symbole qui revient régulièrement dans le répertoire gravé des monuments du V e au III e millénaire av. J.-C. (Joussaume 1985). Une étude « ethnoarchéologique » a été menée sur les représentations de haches dans les sépultures mégalithiques bretonnes par J. L. Le Quellec (Le Quellec 1996). Celle -ci a croisé des données relatives à la topographie des gravures dans les tombes, au mobilier funéraire (haches et haches pendeloques en particulier), et aux traditions populaires bretonnes y étant relatives. L'étude de l'emplacement des gravures dans les tombes bretonnes a montré que celles -ci privilégiaient d'une part le fond de la chambre et d'autre part les lieux de transition extérieur/intérieur ou couloir/chambre, évoquaient des « rituels de passage ou d'aboutissement » (Maisonneuve 1983, p. 82) et connotaient « le passage » (Le Quellec 1996, p. 289), sous-entendu celui de la mort à l'au-delà. Plusieurs observations, dont l'habitude de placer dans les tombes des parures individuelles en forme de hache (dans le Bassin parisien, Polloni, ce volume, et dans le nord de l'Europe), amènent l'auteur à voir dans la hache un symbole funéraire lié au « grand passage » de la mort à l'au-delà (au monde des ancêtres), de l' être au non-être, et à rejeter l'idée réductrice d'un objet qui serait uniquement un signe de pouvoir et de prestige (Le Quellec 1996, p. 295). L'idée d'une hache « symbole funéraire » et garante du « passage » n'est cependant pas incompatible avec l'idée de pouvoir et de prestige, même au sein des dépôts collectifs. Objet du Néolithique à plus forte valeur ajoutée, appartenant au domaine de la taille de la pierre et de l'utilisation des outils tranchants dont les femmes sont généralement exclues (Testart 1986), la hache joue un rôle social essentiel au Néolithique et « constitue le fondement de l'espace symbolique masculin mais aussi sa référence visible » (Guilaine & Zammit 2001, p. 223). L'hypothèse selon laquelle la hache pourrait conserver, au sein des sépultures collectives, une signification liée à la sphère masculine et au pouvoir est corroborée par son pendant féminin : les représentations gravées de figures anthropomorphes féminines dans l'entrée de nombreuses tombes du domaine atlantique et du Bassin parisien, qui font souvent face ou sont associées sur la même composition aux figurations de haches emmanchées (fig. 6). Le caractère sacré de ces gravures a souvent été invoqué, notamment par G. Bailloud : « comme pour les figurations de la divinité funéraire, la représentation de la hache a certainement une signification religieuse ou rituelle, confirmée par les observations faites sur la place et la position occupées par les haches polies dans le mobilier funéraire (…) » (Bailloud 1974, p. 181). Peut-on voir dans ces représentations une association ou une opposition des sphères masculines et féminines ? Si tel est le cas, la céramique a -t-elle alors un rapport de sens avec les figurations féminines, comme la hache semble en avoir avec les représentations gravées de haches emmanchées ? La céramique a souvent été associée à l'idée de fertilité et de naissance (Guilaine & Zammit 2001), y compris dans le domaine funéraire (repas funéraires, inhumations ou incinérations en urnes). Peut-on légitimement y voir, dans les sépultures collectives, le pendant féminin de la hache ? Cette idée nous paraît tout à fait plausible, étant donné que l'univers symbolique des populations préhistoriques, protohistoriques mais aussi ethnologiques est souvent fondé sur l'opposition des genres : le féminin et le masculin. Le domaine de la mort, intimement lié au sacré et au culte, en est un des meilleurs moyens d'expression. Nous désignons par « offrandes de commémoration » les « dons » faits par les vivants aux morts dans les espaces funéraires collectifs. La principale différence avec les dépôts collectifs déjà évoqués, c'est que les offrandes de commémoration semblent s'adresser davantage à la communauté des morts qu' à une quelconque divinité ou concept abstrait. Bien entendu, nous devons rester prudents sur cet aspect, puisque rien ne nous permet de connaître l'intention exacte de ces dépôts : c'est uniquement leur aspect moins « ritualisé » qui nous permet d'avancer l'hypothèse selon laquelle ils ne s'adressent pas à une divinité. Le premier type de dépôt que nous avons observé concerne la présence de lots d'objets à connotation individuelle (armatures de flèches, poinçons) dans des espaces collectifs. Ces dépôts, qui ont pu être réalisés simultanément ou successivement (Vers-sur-Selle, Somme; Piningre & Bréart 1985) sont relativement stéréotypés : ils réunissent le plus souvent des lames, des armatures de flèches, des éclats, parfois des percuteurs et des nucléus, et des poinçons (Germigny-L'Evêque, Seine-et-Marne; Baumann & Tarrête 1979). Le nord et l'ouest de la France sont bien plus concernés que les autres régions par ce genre de dépôt en lot (Sohn 2002). Leur signification demeure cependant extrêmement ambiguë puisque, d'un côté, ils pourraient être une « dégénérescence » des dépôts de haches et de céramiques, surtout lorsqu'ils leurs sont associés ou se trouvent dans le même espace – mais rien ne prouve dans ce cas qu'ils leurs soient postérieurs – tandis que d'un autre côté, leur composition, d'une certaine variabilité, leur moindre fréquence par rapport aux dépôts de haches et de céramiques, et l'absence de renvoi à de quelconques figurations, plaide en faveur de « trousseaux funéraires » collectifs, évoquant l'équipement individuel de survie et les activités essentielles de la vie quotidienne. Hormis ces lots, nous avons fréquemment observé des « offrandes isolées », c'est-à-dire des objets déposés seuls dans un espace collectif ou répondants à des « gestes isolés », c'est-à-dire qu'ils sont trop rares pour que l'on puisse y voir une pratique codifiée. Le cas des poignards en silex est certainement le plus problématique : dans notre corpus, sur un total de 85 poignards, 15 d'entre eux ont été retrouvés en contexte de dépôt collectif. La plupart de ces dépôts montrent une intention délibérée de les placer à l'écart des inhumés. À ce sujet, les sépultures de Val-de-Reuil dans l'Eure sont des cas d'école puisque trois tombes du même site, Butte-Saint-Cyr, Fosse XIV et Sépulture 1, ont livré chacune un poignard en silex dans l'antichambre (Billard & Verron 1998). Ce qui attire particulièrement notre attention ici, c'est que le poignard est loin d' être un objet quelconque ou anodin pour cette fin du Néolithique. J. Guilaine évoque sa place de premier choix dans le « triptyque arc/poignard/hache » (Guilaine & Zammit 2001, p. 223), symboles masculins voire guerriers, que soulignent les nombreuses représentations de poignards sur des stèles et statues-menhirs de la fin du Néolithique, du Bas-Danube à la péninsule Ibérique. Doit-on, en conséquence, accorder à ces dépôts la même valeur que celle que nous avons accordée aux haches ? Excepté dans le sud de la France, le poignard est un objet qui apparaît quelques siècles après la principale vague de construction des tombes : on peut donc légitimement écarter la possibilité de dépôts de fondation pour le nord de la France et de l'Europe. En revanche, les poignards ont très bien pu se substituer aux haches pour consacrer une nouvelle phase d'utilisation ou de réfection d'une tombe, donc signifier la « protection » des lieux, ou bien légitimer de nouvelles inhumations en s'assurant, par un tel dépôt, l'assentiment des ancêtres. Par exemple, dans l'hypogée Les Gouttes d'Or de Loisy-en-Brie (Marne), une série d'inhumations tardives dans l'antichambre (fait rarissime dans les hypogées), s'est accompagnée du dépôt d'un poignard contre la paroi du couloir séparant l'antichambre de la chambre sépulcrale, à distance des corps (Chertier et al. 1994). Nous avons donc quelque peine à considérer ces dépôts comme des dépôts cultuels étant donné que le poignard est utilisé, la plupart du temps, pour des dépôts individuels. Par leur caractère tardif, il pourrait s'agir d'offrandes de commémoration ou de légitimation lors de la réutilisation des lieux. Le troisième cas concerne les phases finales d'utilisation des sépultures collectives. Dans le nord de la France et en Allemagne, on rencontre de nombreux restes de faune dans les couches de condamnation des monuments. Il peut s'agir d'animaux entiers (canidés à La Chaussée-Tirancourt dans la Somme, Leclerc & Masset 1980, suidés à Warburg 1 en Hesse, Günther 1997) ou de restes d'animaux consommés (Tombe MXI du Petit Chasseur à Sion, Gallay & Chaix 1984). Ces restes peuvent être considérés comme des offrandes alimentaires, notamment les restes consommés, ou comme des offrandes destinées à assurer la protection des lieux, par exemple les canidés, si tant est qu'ils n'étaient pas consommés. Une chose est certaine, la condamnation d'une tombe, qui a probablement mobilisé beaucoup de personnes, comme le prouve l'ampleur des interventions de fermeture (incendies, orthostates renversés, empierrements, pose de dalles de couverture; Leclerc 1987) s'est certainement accompagnée de cérémonies et de banquets : la consommation de nourriture a pu être à la fois un acte de cohésion sociale et un dernier partage ou honneur adressé aux ancêtres. Au cours de notre étude, nous nous sommes également intéressés au mobilier retrouvé en position d'abandon, c'est-à-dire au mobilier qui n'a pas fait l'objet d'un « dépôt » au sens strict du terme. Ces objets appartiennent quand même au mobilier funéraire car ils nous renseignent sur les événements qui se sont déroulés au moment des funérailles (cérémonies funéraires, banquets). On les retrouve essentiellement à l'extérieur des tombes, face à l'entrée. Plusieurs exemples de ce genre s'offrent à nous : le premier concerne les très nombreux restes de céramiques trouvés épars à l'extérieur des sépultures collectives d'Europe du Nord, en particulier des Pays-Bas, de Basse-Saxe et du Mecklembourg. La majorité d'entre eux, plus ou moins concentrés dans l'axe de l'entrée de la tombe, en sont toutefois éloignés de plusieurs mètres, et montrent une grande dispersion, ainsi qu'une fragmentation importante, liées vraisemblablement à de fréquents passages et piétinements. Aux Pays-Bas, les restes de céramiques retrouvés sur le « parvis » des monuments se comptent par centaines (tombe D26 à Drouwennerveld, Bakker 1992). Ils ne diffèrent pas stylistiquement de ceux que l'on rencontre dans les chambres et sont interprétés comme les restes de poteries cérémonielles (Bakker & Luijten 1990, p. 182), utilisées pour boire et manger lors de banquets funéraires collectifs (Brindley 2003, p. 49-50). D'après A. Brindley, une partie de la céramique utilisée lors des funérailles serait ensuite déposée auprès des inhumés, et l'autre partie totalement abandonnée sur place pour des raisons de tabou : réutiliser la céramique des funérailles dans un cadre domestique serait alors considéré comme une profanation (Brindley 2003, p. 47 et Sherratt 1991, p. 50). La présence de tambours en céramique dans les sépultures collectives de l'est de l'Allemagne corrobore en effet cette hypothèse. Sur une vingtaine de tambours dont nous avons enregistré la localisation, 15 proviennent d'espaces collectifs. Dans le site d'Odagsen 1 à Einbeck (Basse-Saxe), 7 tambours se trouvaient éparpillés dans la partie antérieure du monument (Rinne 2003). La plupart des auteurs s'accordent pour considérer ces objets en céramique comme de véritables instruments de musique, utilisés fort probablement pour le « culte des morts » (Raetzel-Fabian 2002). La position d' « abandon » de plusieurs tambours dans la partie antérieure des monuments, plaide en effet en faveur de leur utilisation lors des cérémonies funéraires qui ont eu lieu à l'extérieur des tombes, et au sein desquelles la musique a pu jouer un rôle important. Les cérémonies (chants, danses…) et les banquets funéraires qui se déroulent à l'extérieur des tombes, mais toujours au sein de l'espace funéraire, témoignent d'un moment essentiel dans les pratiques funéraires, celui de la séparation définitive avec le défunt. A. Van Gennep rattache ce moment des funérailles aux « rites d'agrégation » qui mettent fin à la période de deuil et consistent à intégrer le mort au monde des ancêtres et des esprits (Van Gennep 1981). Le repas funéraire est, de manière universelle, la pratique la plus courante lors de ces rites. Il a pour but de renouer les liens sociaux, brisés par la disparition d'un « chaînon » du groupe. Quant aux tabous liés à ces cérémonies, il apparaît que les plus forts sont ceux qui sont en relation avec le devenir des effets personnels du défunt, mais aussi des objets ayant participé aux funérailles, surtout ceux qui sont liés aux repas funéraires : on ne doit jamais les ramener parmi les vivants parce qu'ils sont impurs et dangereux (Van Gennep 1981, p. 217). Alors que certaines sépultures collectives de la fin du Néolithique offrent un espace sépulcral fortement individualisé, c'est-à-dire que l'intégrité des corps a été préservée comme dans des sépultures individuelles, d'autres possèdent un « espace sépulcral collectif » (Leclerc 2003, p. 322) dans lesquelles l'enchevêtrement des squelettes est tel qu'il est difficile d'y distinguer des individus. Le premier cas de figure est idéal pour l'étude du mobilier individuel : il a servi de base à notre interprétation. Le second cas de figure, qui est aussi le plus courant et le plus complexe en matière de taphonomie, a permis de renforcer nombre de nos hypothèses. En effet, que l'espace individuel du corps ait été respecté ou non, cela n'a vraisemblablement pas eu de conséquence sur la manière dont le mobilier individuel a été déposé : la gestion des corps dans la tombe et celle du mobilier sont, à notre avis, deux préoccupations indépendantes. Voyons à présent quels sont les objets de prédilection pour accompagner les défunts dans la tombe et leurs fonctions au regard de l'individu inhumé, mais aussi des vivants. Dans les sépultures collectives, le mobilier individuel est constitué principalement de parure, d'outils (lames, briquets, grattoirs, poinçons) et d'armes (flèches, poignards). C'est un mobilier de la vie courante, qui n'a pas été fabriqué spécialement pour les funérailles. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il appartenait au défunt durant sa vie, puisqu'on peut très bien imaginer qu'une partie de son trousseau funéraire ait été constituée post mortem par ses proches. Même si cette question reste impossible à trancher, certaines observations nous permettent d'approcher les fonctions du mobilier individuel à partir de son rapport au corps du défunt. En effet, on peut distinguer deux principaux types de mobiliers individuels : le mobilier porté et le mobilier d'accompagnement (fig. 7). Le mobilier porté correspond aux objets qui prolongent le corps du défunt : il s'agit la plupart du temps de parure ou d'outils et d'armes en position « fonctionnelle » sur le corps, c'est-à-dire en situation d'utilisation. La parure peut désigner aussi bien les bijoux que les vêtements (distinction proposée par S. Bonnardin 2003, p. 112). C'est dans les sépultures allemandes de Thuringe et de Saxe-Anhalt que l'on rencontre les preuves les plus indiscutables de la présence de vêtements sur le corps des inhumés. À Schönstedt (Kr. Langensalza) par exemple, plusieurs inhumés possédaient des lots de dents percées, éparpillées ou disposées en « chaîne » au niveau du bassin et de la tête (Feustel 1972). Le mode de fixation suggéré par l'usure des dents percées et leur position sur les squelettes plaide en faveur d'éléments cousus sur un support rigide, peut-être une bordure de vêtement (capuche, ceinture), hypothèse proposée par les archéologues allemands (Müller 1994). Quant aux bijoux, l'observation la plus courante est celle de lots de perles, parfois même d'enfilements en forme de collier (comme aux Mournouards dans la Marne) ou de pendeloques, dans la région du thorax ou de la mandibule des individus. Outre la parure, des armes et des outils peuvent participer à l'équipement intime du défunt : des carquois composés d'un nombre variable de flèches retrouvés contre l'épaule de certains individus (Schönstedt en Allemagne) ou des paires de couteaux et des briquets accrochés à la ceinture (probablement dans des étuis en matériaux périssables comme c'est probablement le cas pour plusieurs lames des Mournouards, Leroi-Gourhan et al. 1962). Le mobilier d'accompagnement du défunt est déposé quant à lui près du corps, généralement au niveau de la tête ou des pieds. Sa position n'évoque pas la fonction d'usage de l'objet. Il s'agit le plus souvent de céramiques (hypogée des Crottes à Roaix, Vaucluse), de haches (Oldendorf, Kr. Lüneburg, Basse-Saxe), de carquois (Schönstedt en Allemagne), et plus rarement de poignards (Saint-Sauveur, Somme). Ces mobiliers d'accompagnement soulèvent un certain nombre de questions : sur leur chronologie par rapport aux inhumations et aux différents moments des funérailles, et sur leur valeur (la céramique était-elle simple contenant ?). Ils ont probablement eu une signification différente des mobiliers « portés » : leur valeur fonctionnelle semble en effet s'effacer au profit du symbole (le vase et la hache) ou du signe social (celui du rang de l'inhumé ou de sa famille). De cette façon, le mobilier porté nous paraît plus enclin à appartenir aux biens personnels du défunt, en affirmant son identité, tandis que le mobilier d'accompagnement évoque davantage une offrande des vivants au mort ou le discours des vivants autour du mort, dans une optique de « don » (Godelier 1996). Dans les sépultures collectives, la question du statut des défunts peut être abordée de plusieurs manières : par l'anthropologie biologique (état sanitaire des inhumés, démographie, agencement des squelettes), par l'architecture du monument et par le mobilier associé aux cadavres. Quelle que soit sa position par rapport aux corps, le mobilier individuel signe explicitement une diversité et une pluralité du statut des défunts dans les tombes. À ce titre, le premier constat que l'on peut faire c'est que tous les inhumés ne sont pas également parés ou accompagnés dans la tombe : certains défunts ne possèdent aucun viatique, d'autres beaucoup. Cette différence ne s'explique ni par l' âge, ni part le sexe, puisqu'hommes et femmes, vieillards et enfants ont pu être associés à du mobilier. S'il nous est difficile de raisonner sur l'absence d'objets, car les raisons peuvent être multiples, la présence de mobilier auprès des défunts permet quant à elle d'observer des différences de dotations entre groupes d'inhumés d'une même tombe, en fonction de l' âge et du sexe des individus, et au sein d'une même catégorie d'individus. Dans les rares tombes où il a été possible d'observer des groupes de défunts séparés spatialement, il est apparu que le mobilier présentait des différences d'un groupe à l'autre, en termes de quantité d'objets et de nature. À Schönstedt (Allemagne) par exemple, les défunts du côté nord de la chambre sépulcrale sont associés à une plus grande quantité de mobilier que ceux du côté sud. Ils sont également accompagnés de plusieurs carquois, alors que la zone sud n'en livre aucun (Feustel 1972). L'étude des caractères discrets a révélé qu'il s'agissait de deux groupes de parenté distincts, bien qu'issus probablement de la même communauté (Bach & Bach 1972). Ce cas trouve un écho dans l'hypogée des Mournouards (Marne), où les parures dominantes ne sont pas les mêmes entre les inhumés de la chambre 1 et ceux de la chambre 2 (Leroi-Gourhan et al. 1962), mais aussi dans la tombe de Vignely (Seine-et-Marne), qui livre deux groupes d'inhumés au mobilier distinct (Chambon 2003). Ces exemples prouvent que le mobilier est d'abord marqueur de différences entre groupes (de nature peut-être familiale) et qu'il signe l'appartenance de ces derniers à un rang social ou à un « clan ». Au sein du groupe, il existe également de fortes différences entre le mobilier des femmes et celui des hommes (fig. 8), et entre le mobilier des adultes et celui des enfants. L'homme est plus volontiers associé au monde de la chasse ou de la guerre (carquois, parures en matière dure animale) et du défrichement (hache), en somme, à des activités viriles mettant en œuvre la force (poignard en silex ou en cuivre) alors que les attributs féminins évoquent plutôt des activités domestiques liées à la maisonnée (vannerie, poterie, tissage : poinçons, lissoirs, céramique) ou à l'espace anthropisé, c'est-à-dire les champs, les cultures (moisson, traitement des céréales et autres plantes domestiques : couteaux, lames). Les femmes livrent également davantage et une plus grande diversité de parures que les hommes. Face à cette dualité masculin/féminin, on est frappé par le mobilier funéraire associé aux enfants : très abondant, notamment en parure, celui -ci présente quasiment les mêmes caractéristiques que le mobilier associé aux femmes, excepté l'absence de certains types de pendeloques. En revanche, si aucun enfant jeune n'a été retrouvé à ce jour accompagné d'une arme (poignard, carquois), certains enfants plus âgés (à partir d'environ 10, 11 ans) ou adolescents peuvent arborer l'équipement des hommes adultes, comme l'illustrent les exemples de Vignely (Marne) et de Schönstedt (Allemagne). Le mobilier funéraire véhicule donc des signes d'appartenance à un sexe et à une classe d' âge. Le cas des enfants permet même d'envisager l'acquisition d'un statut par initiation au moment du passage à l' âge adulte : le garçon passe ainsi de la sphère féminine à la sphère masculine vers l'adolescence, ce qui lui permet l'acquisition d'attributs d'hommes adultes (certaines armes), fait observé dans de nombreuses sociétés passées ou présentes (Van Gennep 1981). Enfin, le mobilier individuel marque des différences entre individus du même sexe ou de la même classe d' âge, parfois du même groupe d'inhumés. Certains défunts sont en effet accompagnés d'objets « exceptionnels » ou « précieux » leur conférant un statut remarquable, ou tout au moins à part. Quelques cas particuliers attirent notre attention, comme celui de la tombe de Saint-Sauveur (Somme). Dans cette sépulture, qui ne livre pas plus de 6 objets pour 54 inhumés, un poignard en cuivre a été retrouvé contre le crâne du squelette d'un homme. Celui -ci gisait dans un angle de la sépulture, à la base de la stratigraphie (Guillot & Guy 1997). Le caractère exceptionnel de ce dépôt est souligné par contraste avec le peu de mobilier que livre la tombe, par la rareté du matériau dans lequel le poignard est élaboré (les armes en cuivre sont des objets très rares dans les sépultures collectives du nord de la France à la fin du Néolithique), par le caractère exogène de l'objet (poignard de type languedocien) et la position du défunt dans la tombe. Un exemple tout aussi exceptionnel nous est donné par la sépulture de Vignely, La Porte aux Bergers (Seine-et-Marne), qui a livré les restes de 10 individus, dont seuls les enfants, au nombre de 7, possédaient des viatiques (Allard et al. 1998 et Chambon 2003). Deux enfants étaient associés à un mobilier exceptionnel : à côté du premier, âgé entre 8 et 11 ans, gisait un carquois très fourni (9 armatures en silex et 4 en os) et en connexion du cou du second, âgé de 4 à 8 ans, a été retrouvée une parure composée de 9 perles en cuivre. Les perles en tôle de cuivre sont des objets rares dans le Bassin parisien durant cette période (Mille & Bouquet 2004). La quantité dans laquelle les perles ont été retrouvées à Vignely, le fait que l'ensemble ne soit associé qu' à un unique défunt, auquel s'ajoute le jeune âge de l'individu, confèrent à cet ensemble un caractère tout à fait hors du commun. Même si la question du « prestige » est délicate à manier (Salanova 1998, Salanova & Sohn 2007) et que la valeur d'un objet ne peut pas toujours se mesurer en termes de « richesse » (Godelier 1996), on peut légitimement penser que les mobiliers « exceptionnels » signaient le rang élevé de certains individus dans la société. Ainsi certaines familles désiraient-elles peut-être afficher aux yeux de tous la valeur des objets dont elles étaient capables de se démunir au décès d'un enfant et certains hommes affirmaient-ils leur pouvoir par la manipulation d'armes ou le contrôle de réseaux d'échanges à longue distance. Le mobilier des sépultures collectives est un mobilier qui appartient entièrement à l'univers quotidien des populations de cette fin de Néolithique. Il est sélectionné dans la panoplie des objets de la sphère des vivants et, en cela, montre une moins grande variabilité typologique que le mobilier des habitats. Il a déjà été utilisé avant d'entrer dans la tombe : dans l'état actuel de nos connaissances, il n'existe apparemment pas de production spécifiquement funéraire en France et en Europe du Nord à la fin du Néolithique. Parfois, le mobilier a pu rester inachevé et, d'autres fois, a même été brisé. Doit-on dire pour autant qu' « il est possible qu'on ait réservé aux morts des objets de rebut » (Leroi-Gourhan et al., 1962, p. 37) ? À notre avis, c'est porter un jugement moderne et occidental sur la question de la fragmentation ou de l'usure des objets en contexte sépulcral : car la notion de « rebut » signifie qu'on se débarrasse de l'objet car il n'a plus de valeur, car il est inutilisable. Au contraire, le sens d'un objet peut largement dépasser sa valeur d'usage (si tant est que l'usure ou le bris d'un objet signifie toujours la disparition de sa valeur d'usage). Ainsi, le mobilier déposé dans les sépultures collectives acquiert-il de nouvelles fonctions dans le monde des morts : des fonctions symboliques et des fonctions de signe, qui peuvent complètement détourner la valeur qu'il avait dans le monde des vivants. Le mobilier collectif permet d'identifier plusieurs épisodes dans le fonctionnement des tombes : des dépôts de fondation aux dépôts de condamnation, en passant par les restes de cérémonies funéraires. Fortement empreint de symbolique, il touche au culte, au sacré et au religieux : les haches, les gaines de haches et les vases déposés dans l'antichambre des tombes font échos à des représentations gravées de haches et de « divinités funéraires » sur les dalles et parois de l'entrée de plusieurs sépultures. À cette valeur symbolique, peut s'ajouter une fonction de signe social. Si l'on accepte l'idée que les grandes sépultures collectives n'étaient réservées qu' à une partie de la communauté, c'est-à-dire à un ou plusieurs lignages « nobles » ou « prestigieux », le dépôt d'une hache à l'entrée d'une tombe pouvait aussi signifier l'appartenance de la tombe à un lignage ou une famille qui seule aurait eu le privilège de manier les symboles du pouvoir et du culte. En cela, le social et le religieux peuvent être des notions étroitement imbriquées, comme nous le montrent de nombreux exemples ethnologiques. Le mobilier individuel signe quant à lui une diversité et une pluralité du statut des défunts, sans que l'on puisse raccorder avec certitude ces statuts à ceux que l'individu avait de son vivant. Ainsi peut-on mettre en évidence un affichage relativement stéréotypé des différences en fonction des groupes d'inhumés d'une même tombe (clans ou familles distincts mais issus de la même communauté), en fonction de l' âge et du sexe des individus, et en fonction de leur éventuelle association à des objets exceptionnels ou « précieux ». Le mobilier individuel marque en effet un dualisme masculin/féminin fort, puisque les hommes arborent des attributs virils majoritairement liés au monde du sauvage (outils et armes) et les femmes un équipement plus fourni en parure et en outils se référant à des activités domestiques (outils de poterie, de vannerie ou de travail des céréales). De plus, les objets qui accompagnent ou que porte l'individu peuvent témoigner de l'existence de stades d'initiation dans la société des vivants, l'accession à chaque stade donnant le droit ou le devoir de s'exhiber avec tel ou tel objet : il peut s'agir par exemple d'armes pour les garçons qui passent « socialement » à l' âge adulte vers l'adolescence. Enfin, même s'il est délicat de juger de la valeur d'un objet seulement sur des critères tels que la rareté du matériau, le temps de travail investi, le produit d'un échange à longue distance ou son inutilité (seules informations auxquelles l'archéologue a vraiment accès), le mobilier individuel a certainement permis d'affirmer le pouvoir ou le statut « exceptionnel » d'un individu particulier de la tombe, au regard des autres. Ainsi les sépultures collectives nous livrent-elles un terrain d'étude fort riche pour l'approche de la valeur des objets sépulcraux : des fonctions symboliques, des fonctions de « signe » social, aux multiples facettes et déclinaisons .
Les sépultures collectives de la fin du Néolithique sont un terrain privilégié pour l'étude de la valeur des objets sépulcraux et de leur différentes fonctions au sein des pratiques funéraires mais aussi, des pratiques sociales. L'analyse de 203 tombes fouillées récemment et bien documentées, se répartissant géographiquement entre le nord de l'Allemagne et le sud de la France, et la confrontation des résultats avec les données issues de plus de 1000 autres sépultures collectives, ont permis de définir la pluralité des fonctions du mobilier funéraire. Le mobilier des sépultures collectives est un mobilier du quotidien, souvent usagé, que l'on peut diviser en mobilier « collectif» et en mobilier « individuel ». Le mobilier collectif correspond aux objets que l'on retrouve à distance des défunts. Il témoigne de plusieurs moments essentiels dans l'utilisation des tombes: dépôts de fondation, dépôts cultuels, restes de cérémonies funéraires, voire de banquets, et dépôts de commémoration ou de condamnation. La valeur symbolique de deux objets, la hache et la céramique, et leur-attachement au sacré et au religieux (représentations gravées de haches et de « divinités » funéraires dans les mêmes espaces), sont particulièrement fortes. Le mobilier individuel désigne quant à lui les objets qui sont portés par le défunt (parure, armes en position fonctionnelle sur le corps) ou déposés à côté de lui (vases, haches). Véritable « signe social », il affiche les différences entre les individus en fonction de leur groupe d'appartenance (lignage, famille), de leur âge, de leur sexe ou de leur rang dans la pyramide sociale. Létude des sépultures collectives nous amène donc à identifier deux fonctions essentielles du mobilier funéraire, des fonctions symboliques et des fonctions de signe, l'une n'excluant pas forcément l'autre.
archeologie_10-0213427_tei_311.xml
termith-26-archeologie
Cet article est le premier d'une série consacrée au long passé des recherches archéologiques dans la région du Mont Afrique, principalement sur l ' oppidum du « Camp de César » établi à Flavignerot (Côte-d'Or) (infra fig. 2). L'abondance du mobilier archéologique mis au jour sur le site lors de travaux militaires exécutés à la fin du XIX e s. (D rioton, 1905) a donné le signal à de nombreuses fouilles dont les comptes rendus ont fait l'objet de brèves notices publiées dans le Bulletin de la Commission des Antiquités de la Côte-d'Or et le Bulletin Archéologique du Comité des Travaux Historiques. Toutefois, nous avons retrouvé dans les archives du Musée Archéologique de Dijon une importante documentation inédite relative à ces anciennes fouilles. Nous avons l'intention de publier prochainement ces informations (plans, dessins et manuscrits), que les chercheurs concernés n'ont pas mentionnées dans leurs articles. Il s'agit en premier lieu des fouilles réalisées en 1920 et 1921 par Ernest Bertrand, Raoul Bouillerot et Émile Socley (B ertrand et alii, 1925, p. 70-71). Ce dernier a dressé avec une extrême précision quatre plans des structures explorées et une partie du mobilier recueilli lors des fouilles est reproduite sur deux clichés. Cinq ans plus tard, de 1926 à 1932, l'archéologue Raymond Charrier a exécuté environ vingt sondages contigus aux précédentes fouilles. Il a dessiné la totalité du matériel archéologique mis au jour, datable en majorité de La Tène finale. Les travaux de R. Charrier n'ont fait l'objet d'aucune publication. Ensuite, deux autres archéologues ont réalisé en 1933 et 1934 une dizaine de sondages établis également sur la même zone (T alfumière, 1937). L'un d'eux, Jean-Bernard Mercier, a rédigé un manuscrit inédit de trois pages qui fournit l'emplacement et la description des fouilles avec une liste détaillée du mobilier, notamment des monnaies gauloises et romaines, mis au jour par les deux archéologues. Enfin, nos prochains articles présenteront les résultats des fouilles exécutées par trois agriculteurs pendant quatre décennies de 1899 à 1939. Ils ont exploré et repéré de nombreux vestiges archéologiques, la plupart inédits, sur les pentes est et nord du Mont Afrique. Le premier, Charles Aubry (1848-1919), propriétaire et exploitant de terrains sur les communes de Corcelles-les-Monts et Flavignerot (Côte-d'Or), a recueilli de nombreux objets antiques à l'occasion de labours. Après ces découvertes, il a entrepris des fouilles avec son fils Henri (1873-1958). Ce dernier a poursuivi les recherches avec son fils Georges (1919-2001). Pendant plus de quarante ans de fouilles, la famille Aubry a rassemblé une très belle collection archéologique exposée chez elle à Corcelles-les-Monts dans une pièce spécialement aménagée. Ce véritable petit musée (fig. 1), connu dans le milieu archéologique dijonnais, était souvent visité par les archéologues bourguignons. En 1950, 1955 et 1957, une partie de la collection a été remise par H. Aubry à Paul Lebel, conservateur du Musée Archéologique de Dijon. Emmanuel Guyot a acquis plusieurs objets recueillis au cours des fouilles exécutées avec H. et G. Aubry, d'autres ont disparu. De 1936 à 1939, lors de ses congés annuels, Jean Mortier a participé aux fouilles de G. Aubry et acheté les plus belles pièces de sa collection archéologique. Il est décédé en 1983. Le mobilier est aujourd'hui conservé chez son épouse en région parisienne. La raison qui nous a poussé à entreprendre ce travail est de protéger ce patrimoine archéologique menacé à plus ou moins longue échéance par des opérations d'infrastructure et d'urbanisme aujourd'hui très nombreuses dans la banlieue dijonnaise. Toute réalisation de terrassements est par conséquent susceptible, avec un risque plus ou moins fort, de mettre au jour des vestiges archéologiques, particulièrement sur les communes de Corcelles-les-Monts et Flavignerot. Déjà, dans les années 1970, la construction d'un lotissement réalisé sur la commune de Corcelles-les-Monts au lieu dit « Pandaillat » a détruit des vestiges protohistoriques et gallo-romains. Enfin, ces notices ont pour but d'apporter des informations utiles pour construire de plus vastes synthèses régionales. Celle -ci est plus spécifiquement destinée à compléter l'état des connaissances dans le domaine du mobilier funéraire des Âges du Fer dans le Dijonnais. En 1879, neuf ans après la défaite de Sedan, dans le cadre des fortifications du général Séré de Rivière, l'Armée de Terre décida d'installer autour du Mont Afrique, situé sur les communes de Corcelles-les-Monts et Flavignerot (Côte-d'Or), plusieurs batteries de canons afin de protéger la ville de Dijon. Lors de la construction d'une route militaire parcourant le rebord du plateau, de nombreux vestiges archéologiques ont été mis au jour, en particulier sur Flavignerot à la pointe sud du Mont Afrique, au lieu dit « Camp de César » (N icolardot, 2003, cf. inventaires p. 283, 326, 330). Des agriculteurs de Corcelles-les-Monts et Couchey ainsi que deux gardiens des batteries de canons recueillirent le mobilier archéologique issu de ces travaux. Stimulés par leurs découvertes, ils engagèrent plusieurs fouilles sur le site. Passionnés par le goût de la recherche et du passé, ces fouilleurs déplacèrent leurs activités sur d'autres gisements situés au pied du Mont Afrique. La présente notice contient la description de cinq tumulus explorés par les anciens fouilleurs du « Camp de César » avec l'inventaire et l'analyse du mobilier, pour ce qu'il est possible d'en connaître à partir de la documentation parvenue jusqu' à nous. Lors de prospections pédestres, nous avons localisé plusieurs de ces tertres. Les trois premiers ont été fouillés par Paul Renard, agriculteur à Couchey; malheureusement, nous ne disposons que de très peu d'informations sur deux d'entre eux. Le quatrième a été exploré par M. Golotte, l'un des gardiens de batteries de canons du Mont Afrique, et le cinquième fouillé par E. Bertrand, R. Bouillerot et É. Socley. L'archéologue dijonnais E. Bertrand, entretenant d'excellentes relations avec P. Renard, ne manqua pas de le questionner sur ses fouilles. Le 19 mars 1920, E. Bertrand rédigea un manuscrit inédit de neuf pages (B ertrand, 1920). L'auteur y décrit les fouilles de P. Renard, exécutées sur les trois tumulus et signale les découvertes fortuites du fouilleur. Une carte très approximative, sans échelle, marque l'emplacement des vestiges explorés et repérés. Cinq planches illustrées par l'archéologue et dessinateur de talent R. Bouillerot reproduisent le mobilier mis au jour dans chaque fouille. Malheureusement plusieurs objets protohistoriques de la deuxième planche ne sont pas mentionnés dans le texte, ce qui empêche de les localiser avec précision. Ce manuscrit mentionne encore d'autres vestiges inédits (dont une nécropole gallo-romaine) fouillés par P. Renard sur les communes de Couchey et Fixey. Ces notes ont été communiquées par E. Bertrand lors d'une réunion des Sociétés Savantes à Strasbourg le 28 mai 1920, mais n'avaient jusque là jamais été publiées. La collection de P. Renard a été déposée au Musée Archéologique de Dijon où elle a été, semble -t-il, mélangée à d'autres lots. Seulement deux fibules protohistoriques ont été jusque là retrouvées. Les tumulus sont localisés sur un plateau à 10 km au sud-ouest de la ville de Dijon, sur la commune de Couchey (Côte-d'Or). Les tertres, souvent seuls et éloignés les uns des autres, sont situés à environ un ou deux kilomètres au sud-est du plateau du Mont Afrique. Ils sont établis à une altitude moyenne de 450 m et à peu de distance du rebord de faille appelé localement « Côte » qui domine le village de Couchey et la plaine dijonnaise. Sur le plan géologique, on a affaire à des calcaires du Bathonien au niveau des combes et des falaises où prédomine la friche. La partie la plus élevée du plateau, proche de la butte témoin du Mont Afrique, est formée de roches calcaires du Callovien. Ces dernières affleurent rarement, car elles sont recouvertes par la terre arable, sol argilo-rougeâtre dont l'épaisseur atteint quelques dizaines de centimètres. Ces matériaux sont ceux qui ont servi à l'édification des tertres tumulaires étudiés. Commune : Couchey Lieu-dit : En Chanlat Altitude : 518 m Le tumulus est difficilement perceptible, à une trentaine de mètres environ d'un chemin qui relie les villages de Couchey et Flavignerot. Il est situé à proximité de la ferme de la Rente-Neuve et à un kilomètre au sud-est de la pointe sud du Mont Afrique. À la fin du XIX e s., la plupart des terres agricoles de cette zone étaient couvertes de friches et de pâturages ovins (renseignement oral communiqué par G. Aubry). Actuellement, le terrain est cultivé ou boisé. Il y a encore une dizaine d'années, le tumulus portait les traces des anciennes fouilles. Malheureusement, parce qu'il constituait une éminence gênante pour la culture, il a été entièrement nivelé au début des années 1990. Son diamètre était de 30 m et sa hauteur de 1,60 m. Il avoisine deux petits tertres arasés, fouillés en 1938 par E. Guyot, à peine visibles de nos jours. Cette étude présente seulement le mobilier et la description du tumulus exploré une première fois à la fin du XIX e s. par M. Golotte. Il a été exploré avec méthode une seconde fois, vingt cinq ans plus tard par E. Bertrand, R. Bouillerot et É. Socley. Les fouilles ont été réalisées chaque dimanche d'avril 1921 à mai 1928. Disposées sur les vestiges d'une construction (antérieure ?), cinq tombes (l'une cénotaphe) datées de l' Âge du Bronze moyen ont été mises au jour, alignées les unes contre les autres au centre du tertre (R atel, 1961; N icolardot, 2003, cf. inventaires p. 325). Autour d'elles, se trouvaient une vingtaine de sépultures adventices contenant un mobilier datable du premier (Hallstatt final) et du deuxième Âge du Fer (La Tène ancienne). Les limites des fouilles du tumulus, dans sa partie sud, n'ont pas été atteintes, car il fut impossible aux fouilleurs d'évacuer leurs déblais sur les cultures autour du monument. Les matériaux furent rejetés sur les structures déjà explorées. Ces différentes recherches montrent que la butte était construite à l'aide de blocs de pierres calcaires de petit et moyen module. Le compte rendu en a été publié brièvement en 1925 (B ertrand et alii, 1925), mais c'est R. Ratel, qui en 1961, en fit la première publication d'envergure, consacrée en priorité aux dernières recherches (R atel, 1961). Toutefois le mobilier issu des fouilles, dessiné par E. Socley, n'a fait l'objet d'aucune description par Roger Ratel. C'est pour cette raison que nous avons décidé de le publier. Vers 1896, M. Golotte a exécuté deux « fouilles » en entonnoir d'une profondeur de 0,80 m sur le sommet et le bord ouest du tumulus. Les déblais ont été rejetés sur le bord des excavations, comme il était d'usage à cette époque. L'archéologue dijonnais É. Socley, sans doute présent lors des premiers coups de pioche sur le tertre funéraire, a photographié les principales étapes des fouilles. En effet, parmi ses archives photographiques conservées au Musée Archéologique de Dijon, figurent trois clichés inédits que nous reproduisons ici. L'un (fig. 3, n° 1) présente trois fouilleurs debout, avec en arrière-plan un imposant tumulus composé de pierres calcaires, comparable à celui de la Rente-Neuve. Un doute subsiste toutefois : s'agit-il bien du même tumulus, ou nous trouvons -nous en présence d'un autre tertre ? Cependant, son environnement naturel semble identique à celui décrit plus haut (friches, pâturages ovins). Sur la seconde photographie (fig. 3, n° 2) les mêmes fouilleurs (au centre M. Golotte ?) ont « cratérisé » le sommet du tertre. Enfin, sur le dernier cliché (fig. 3, n° 3), on remarque une excavation supplémentaire. II s'agit probablement du second sondage mentionné par R. Ratel à l'ouest du monument funéraire (R atel, 1961, p. 177). À l'évidence, les fouilles, exécutées dans l'esprit du XIX e s., avaient pour principal intérêt, aux yeux du fouilleur, d'exhumer de « beaux » objets. Les recherches terminées, É. Socley a récupéré les restes osseux laissés par M. Golotte sur le bord du tertre. Il estime à quatre le nombre de squelettes exhumés. Aucun des objets signalés ne peut maintenant être rattaché à une sépulture. Deux fibules du Hallstatt final, fragmentées, à double timbale du Type dp4 de Mansfeld (R atel, 1961, p. 188, fig. 67), ont été retrouvées par É. Socley dans les déblais des fouilleurs. Le massif du tertre était composé d'un amas de pierres d'origine locale avec un grand nombre de dalles plates posées à plat sur plusieurs rangées superposées. - Un fragment de bracelet en bronze de section rectangulaire; décor de stries verticales séparées par des incisions en croix (n° 1). Hallstatt moyen-final. - Un bracelet fermé en bronze plein de section rectangulaire usé sur les bords latéraux; décor de cercles pointés sur deux faces (n° 2). Ce bracelet est comparable aux exemplaires du Hallstatt final en Côte-d'Or : Darcey, tumulus de la « Combe Barré » (M aranski, 1992, p. 158, pl. 11, fig. 2); Magny-Lambert, tumulus du « Montceau-Milon » (idem, p. 61, fig. 7); Minot, tumulus du « Guéret aux lièvres » (ibidem, p. 238, pl. 41, fig. 5). - Un bracelet fragmenté en bronze creux; fermeture par emboîtement; décor de fines stries transversales (n° 3). Hallstatt final. - Un bracelet filiforme en bronze plein de section circulaire (n° 4). Hallstatt final. - Un bracelet fermé en bronze plein de section circulaire; jet de coulée laissé en partie brut (n° 5). Le tumulus de « Clair Bois » à Bressey-sur-Tille (R atel, 1977) a livré une parure de même type (C haume, 1999, fig. 9, AI). La Tène ancienne. - Un bracelet fermé en bronze plein de section circulaire; une protubérance marque l'emplacement du jet de coulée (n° 6). La Tène ancienne (C haume, 1999, p. 518, fig. 12, A1-2). - Un bracelet ouvert ovale en bronze plein de section circulaire (n° 7). Hallstatt moyen-final. - Un anneau de jambe fermé très usé et fragmenté en bronze creux; décor de fines stries transversales effacées (n° 8). Hallstatt final. - Un anneau (de jambe ?) fermé en bronze plein de section ronde ployé volontairement en « hélice » (n° 9). Cet objet est trop commun pour pouvoir faire l'objet d'une attribution chronologique, mais sa déformation pose question. - Deux anneaux lisses de jambe en bronze plein de section circulaire (n os 10, 11). Hallstatt final. - Un anneau en fer (n° 12). Cet objet est trop commun pour pouvoir faire l'objet d'une attribution chronologique. - Trois anneaux en bronze (n os 13, 14, 15). Ces objets sont eux aussi trop communs pour pouvoir faire l'objet d'une attribution chronologique. - Un torque lisse fermé en bronze plein de section circulaire (n° 16). Hallstatt final. - Vingt bracelets filiformes en bronze plein (n° 17). Hallstatt final. Lieu de dépôt du mobilier : Musée Archéologique de Dijon.Le matériel attribué à ce tumulus relève donc dans sa majorité du Hallstatt moyen-final et déborde légèrement sur le second Âge du Fer. Commune : Couchey Lieu dit : Bois de la Jeune Ronce Altitude : 500 m Isolé, ce tertre est situé dans un bois près d'une ancienne source aujourd'hui tarie. En 1907, P. Renard et Clément Drioton, à l'époque conservateur du Musée de la Commission des Antiquités de la Côte-d'Or, aujourd'hui appelé Musée Archéologique de Dijon (V ernou, 2005), ont exploré entièrement le tumulus (J ourdin, 1908; H enry, 1933; N icolardot, 1968; N icolardot, 2003, cf. inventaires p. 325) sans donner de renseignements précis sur son architecture. La définition des différentes sépultures n'est possible qu' à partir des seules planches de mobilier. Le tumulus était construit en pierres calcaires. Son diamètre était de 15 m et sa hauteur de 1,50 m. Il n'est plus visible dans le paysage, car ses matériaux ont été récupérés entre 1919 et 1920 pour la réfection des chemins (renseignement oral communiqué par G. Aubry). Aujourd'hui, il reste un bourrelet en terre de forme circulaire conservé sur une hauteur d'environ 0,40 m et d'un diamètre de 16 m. L'intérieur semble avoir été déblayé sur une profondeur d'environ 0,30 m par rapport au terrain naturel. On retrouve le même type de structure dans les forêts du Châtillonnais : bourrelet circulaire composé de terre et pierres, entourant une zone plane non carbonisée. Bruno Chaume affirme que c'est ce qui reste des fouilles anciennes de tumulus dont les matériaux ont été enlevés et utilisés à un autre usage, comme le remblaiement des chemins. Au centre du tertre, à 1,80 m de profondeur, dans une anfractuosité de la roche en place mesurant 1,50 m sur 1 m, reposaient deux squelettes déposés tête-bêche en décubitus latéral, les jambes repliées. L'orientation n'est pas indiquée. Les défunts, inhumés dans une gangue d'argile, étaient recouverts par des dalles de pierres. L'un des crânes, sous-dolichocéphale, présentait une perforation ovale de 27 mm sur 39 mm dans la région temporo-pariétale gauche. Les bords amincis de l'orifice indiquent une cicatrisation parfaite et prouvent que le patient a longuement survécu à l'intervention. Le matériel archéologique recueilli est composé seulement d'un grattoir en silex (N icolardot, 1968, pl. 6, n° 10) et de quelques fragments de céramiques informes qui s'effritaient aussitôt mis au jour. On peut avancer prudemment l'hypothèse d'une sépulture néolithique. Les deux inhumations adventices (sépultures 3 et 4) ont été mises au jour dans la masse tumulaire, au-dessus de la double sépulture centrale, sans que l'on puisse en dire beaucoup plus. Inédite, mentionnée dans le manuscrit d'E. Bertrand par son mobilier. - Un torque massif en bronze lisse, décoré d'une gorge sur le pourtour du jonc (N icolardot, 1968, pl. 35, n° 1). Hallstatt final ? Lieu de dépôt : Musée Archéologique de Dijon. G. Wamser a décrit, dans une étude consacrée à la culture de Hallstatt dans l'est de la France, le mobilier du tumulus du « Bois de la Jeune Ronce ». L'auteur mentionne : « ...torque massif avec deux grosseurs en forme de perles sur le côté externe. .. » (W amser, 1975, p. 122). Sa description ne correspond pas à celle fournie par E. Bertrand et il s'agit probablement d'une confusion. La parure signalée par G. Wamser a sans doute été recueillie dans un second tumulus fouillé par P. Renard (voir ci-dessous, tumulus du Bois de Taviard). - Deux anneaux de jambes fermés en bronze creux décorés de stries verticales en petits groupes de trois (W amser, 1975, pl. 24, n° 8). Hallstatt final. Lieu de dépôt : Musée Archéologique de Dijon (la seconde parure n'a pas été retrouvée au Musée). - Deux bracelets (fig. 5) fermés en bronze plein, de section circulaire, usés sur les bords latéraux; décors de fines stries verticales irrégulières sur les bords extérieurs du corps. Diam. ext. : 68 mm; diam. int. : 55 mm; haut. : 6 mm. Hallstatt moyen-final. Lieu de dépôt : Musée Archéologique de Dijon. - Un annelet en bronze lisse (N icolardot, 1968, pl. 36 n° 6). Hallstatt final ? - Un bracelet fermé en bronze massif, décoré de fines stries horizontales sur le corps extérieur (N icolardot, 1968, pl. 36 n° 1). Hallstatt final ? - Un bracelet ouvert en bronze massif terminé aux extrémités par deux petits tampons (N icolardot, 1968, pl. 36, n° 3). Les fouilles du tumulus de Clair Bois à Bressey-sur-Tille (R atel, 1977) ont livré cinq bracelets de ce type issus de sépultures bien datées du début de La Tène ancienne (C haume, 1999, fig. 9-11). Lieu de dépôt du mobilier : Musée Archéologique de Dijon (ancienne collection Drioton ?). Comme nous l'avons dit, nous possédons peu d'éléments concernant les fouilles. Cela rend très délicate l'exploitation des données aujourd'hui disponibles. Les deux sépultures centrales sans mobilier typique pourraient être néolithiques et les deux sépultures adventices semblent remonter au Hallstatt final ou à La Tène ancienne. S'agit-il de tombes déposées dans l'agrandissement (postérieur ?) d'un tertre primitif ou bien rajoutées dans celui -ci ? Commune : Couchey Lieu dit : La Montagne Altitude : 440 m Il est situé dans un bois, au sommet de la Combe Pénevelle, à environ 300 m au sud-est d'un autre tumulus fouillé en 1926 par E. Bertrand, R. Bouillerot, É. Socley et Gabriel Grémaud (B ertrand et alii, 1927). Aujourd'hui, le tertre a pratiquement disparu. Il ne reste qu'un amas de petites pierres calcaires conservé sur une hauteur d'environ 30 cm. E. Bertrand mentionne dans son manuscrit : « ...son diamètre est de 20 m; il y a une quarantaine d'années (en 1890), il a été écrêté pour l'empierrement d'un chemin et a donné des objets en bronze qui ont été distribués aux enfants pour jouer ou dispersés. M. Renard a sommairement exploré, par une tranchée, la partie subsistante du tumulus, et y a trouvé quelques débris de bronze. .. » (B ertrand, 1920). L'absence de description du mobilier rend impossible la datation de ce tumulus jusque là inédit. Lieu de dépôt du mobilier : inconnu. Commune : Couchey Lieu dit : Bois de Taviard, Creux Saint-Hubert Altitude : 465 m Il est situé dans un bois à environ 1400 m au sud-est du tumulus de la Rente-Neuve et à 1500 m à l'est du tumulus du Bois de la Jeune Ronce (N icolardot, 2003, cf. inventaires p. 325). Nous avons retrouvé ce tertre (fig. 6) construit à l'aide de petits et moyens blocs calcaires. Il est « cratérisé » au centre presque jusqu'au sol naturel, et le bord nord-ouest de la butte porte les traces d'autres fouilles, postérieures à la première intervention centrale. Grâce à E. Bertrand, nous savons qu'il a été exploré au début du XX e s. par P. Renard, avec la participation probable de Cl. Drioton. Dans son manuscrit, il mentionne : « ...Ce monument de 30 m de diamètre et de 4 m de hauteur, était un véritable charnier, mais une seule sépulture a donné un beau torque en bronze (Collection Drioton). .. ». Il s'agit vraisemblablement du torque attribué à tort par G. Wamser au tumulus du Bois de la Jeune Ronce. Les fouilles de ce tertre étaient restées jusque là totalement inédites. Lieu de dépôt du mobilier : inconnu. Le manque d'informations précises concernant les fouilles et le mobilier rend difficile la datation des sépultures (N icolardot, 2003, cf. inventaires p. 325). Cependant, deux fibules protohistoriques inédites mises au jour sur la commune de Couchey sont figurées sur les planches de R. Bouillerot, sans que leur localisation précise ne soit indiquée par E. Bertrand. Elles pourraient provenir de ces fouilles. Cette hypothèse est cependant à considérer avec la plus grande prudence : il peut s'agir d'éléments recueillis dans un autre tumulus ou dans un habitat non précisé par P. Renard. Ces deux fibules inédites présentent un intérêt chronologique réel et il convient de les décrire en détail : - Une fibule fragmentée en fer à timbale sur le pied (type F4 de Mansfeld) (fig. 7, n° 1). Long. : 30 mm. Ce type de pied, que l'on retrouve aussi bien sur des exemplaires du Hallstatt final que de La Tène ancienne, ne permet pas en l'absence de ressort, de dater plus précisément cette fibule. Toutefois la section de l'arc en creux semble représenter un type caractéristique d'un horizon ancien du Hallstatt D3. Du point de vue morphologique, une comparaison existe avec une fibule mis au jour sur l'habitat du Mont Lassois à Vix (Côte-d'Or) (C haume, 2001, pl. 8, n° 94). Lieu de dépôt : Musée Archéologique de Dijon. - Une fibule ornithomorphe incomplète (fig. 7, n° 2). Long. : 37 mm. Le pied terminé par une « tête de canard » au bec ouvert se recourbe en direction de l'arc creusé de trois crans autrefois garnis de corail. Les intervalles entre les cannelures sont décorés de fines stries parallèles. Retrouvée en 1997 au Musée Archéologique de Dijon, cette fibule ressemble à l'exemplaire reproduit sur la planche de R. Bouillerot (fig. 7, n° 3), sauf au niveau du traitement de la tête. Ce dernier détail rendait délicate l'affirmation de sa provenance. Heureusement, l'archéologue dijonnais G. Grémaud a lui aussi dessiné (fig. 7, n° 4) les mêmes objets. Son dessin de la fibule, aux traits plus précis confirme qu'il s'agit bien de l'exemplaire de Couchey. Les fibules ornithomorphes à « tête de canard », probablement produites en Italie du Nord, sont répandues au nord et à l'ouest des Alpes, ainsi que dans l'est de la France (K ruta, 2000, p. 158). Cependant, leur datation est difficile à préciser. Elles se rencontrent depuis le Hallstatt D2/D3 (seconde moitié du VI e s. av. J.-C. jusqu' à La Tène récente (seconde moitié du V e s. av. J.-C.) (F eugère, G uillot, 1986, p. 196, 199-200). La plupart de ces fibules sont attestées dans des contextes datés du Hallstatt D3 / La Tène A ancienne (première moitié du V e s. av. J.-C.), comme par exemple au « Camp du Château » à Salins (Jura) où deux exemplaires ont été mis au jour en association avec des fragments de coupe attique à figures noires (P iningre, G anard, 2004, p. 252). Dans le contexte régional, la fibule de Couchey s'apparente, par le traitement de la tête et les décors de stries sur l'arc, à l'exemplaire de Bragny-sur-Saône (Saône-et-Loire) daté par le fouilleur de la deuxième moitié du V e s. av. J.-C. (C ollet, F louest, 1997, fig. 3). Deux autres modèles du type « bec fermé » présentent les mêmes caractéristiques au niveau des décors sur l'arc : l'un provient de Bragny-sur-Saône (F eugère, G uillot, 1986, fig. 33, n° 14) et le second du camp de Chassey (T hevenot, 1997, fig. 4). Commune : Couchey Lieu-dit : Les Bois de Marsannay Altitude : 259 m Isolé, il est établi dans un bois à 200 m à l'ouest du sommet de la Combe Pévenelle, à 200 m au nord du tumulus de la Montagne et à 1500 m au nord des trois tumulus de la Rente-Neuve. Avant les fouilles, la butte parfaitement hémisphérique mesurait 18 m de diamètre et sa hauteur était de 1,15 m au centre. De nos jours, le monument funéraire, toujours visible, porte encore les traces des anciennes fouilles. En 1926 et 1927, E. Bertrand, R. Bouilletot, E. Socley, G. Grémaud et E. Guyot ont exploré entièrement le tumulus depuis le sommet jusqu'au sol naturel. À chaque séance, ils avançaient sur une longueur de deux à trois mètres à l'intérieur du tertre et rejetaient les déblais derrière eux sur la zone auparavant fouillée. Les fouilleurs déçus lors de leurs recherches ont dénombré environ trente sépultures très fragmentées et pauvres en matériel archéologique. C'est pour ces raisons qu'ils ont publié un compte-rendu très sommaire de leurs travaux, qui rend l'exploitation des données aujourd'hui disponibles bien délicate (B ertrand et alii, 1927; N icolardot, 2003, cf. inventaires p. 325). Le tumulus était édifié sur un socle calcaire légèrement incliné vers l'est. Une tranchée encore visible autour du monument a permis aux fouilleurs de le délimiter précisément. Le noyau central, constitué de dalles plates soigneusement imbriquées avec de l'argile, était recouvert par une chape d'une épaisseur moyenne de 40 à 50 cm composée de cailloutis et de fragments de roches. Ces dernières, qualifiées à tort par les chercheurs de « grès liasiques » (B ertrand et alii, 1927, p. 288-289) et provenant selon eux d'une région voisine, sont en réalité des blocs en calcaire qui affleurent sur cette zone. Nous avons observé plusieurs de ces éléments laissés par les fouilleurs autour du tertre. Il s'agit de rognons natifs d'une couleur rouge dont le module le plus courant mesure de 15 à 20 cm sur 10 à 15 cm pour 5 à 10 cm d'épaisseur. Ils présentent sur une face un profil arrondi et sur l'autre une surface irrégulière qui porte divers fragments de coquilles incrustés dans la roche. Deux échantillons ont fait l'objet d'une étude par Pierre Rat. D'après ses observations, il s'agit à l'origine d'un calcaire oolithique silicifié et ferrugineux. La coloration rouge en surface, d'une épaisseur de 2 à 3 mm, est due à l'oxydation du fer. En outre, nous avons retrouvé les mêmes pierres dans le talus d'un chemin creux probablement très ancien, orienté est-ouest, qui passe à environ cinquante mètres au sud du tumulus. Un premier sondage profond de 45 cm exécuté au sommet de la butte a livré un grand vase brisé en céramique grossière à pâte noire, le col décoré de trois cannelures circulaires tracées à la baguette. Son remplissage comprenait des ossements humains, certains calcinés. Deux autres vases également fragmentés ont été mis au jour. Toutefois, leur contenu et leur position exacte à l'intérieur de la masse tumulaire ne sont pas indiqués. Ces trois récipients interprétés, sans plus de précision, comme des « incinérations » par les chercheurs, ne sont pas susceptibles de nous fournir une datation valable en l'absence d'une description typologique détaillée (B ertrand et alii, 1927, p. 286-287). Lieu de dépôt des vases : inconnu. En ce qui concerne les sépultures, la fragmentation des os et la dispersion du mobilier ne permettent pas de reconnaître avec certitude leur nombre. Nous nous attacherons simplement, ici, à indiquer les découvertes en conservant la description sommaire de six inhumations mentionnées par les fouilleurs (B ertrand et alii, 1927, p. 287). Aujourd'hui, le mobilier conservé au Musée Archéologique de Dijon a subi de nombreuses manipulations et a été mélangé à d'autres lots. Il a pu être identifié grâce a deux photographies inédites, réalisées par É. Socley, qui reproduisent les parures issues des fouilles. Ces documents proviennent des archives de G. Grémaud. A. Sépulture 34 : « …où paraissent avoir été agglomérées ou superposées, sans ordre précis, 4 sépultures (débris de 4 corps différents); 1 torque (non retrouvé au Musée Archéologique de Dijon) en bronze coulé, uni, avec, sur la périphérie, 3 points de bavures conservés comme ornement… » (fig. 8, n° 1), 1 bracelet filiforme (fig. 8, n° 2) et 4 armilles (fig. 8, n° 3). B. Sépulture 41 : « …1 bracelet filiforme… » (fig. 9, n° 2). C. Sépulture 55 : « …1 bracelet filiforme… » (non figuré) et un anneau de cheville ovale (fig. 9, n° 1). D. Cote 60 : « …un grain de collier en terre cuite avec esquisse de figure humaine (?)… ». Cette interprétation est fausse, il s'agit d'une fusaïole retrouvée isolée, apparemment sans être en relation avec une sépulture (fig. 10). Haut. : 2,8 cm; diam. : 3,7 cm. D'après la classification typologique établie par B. Chaume, cette fusaïole de forme arrondie du type 1B2 apparaît à l' Âge du Bronze et perdure jusqu'au premier Âge du Fer. Plusieurs exemplaires similaires proviennent du Mont Lassois et de Bragny-sur-Saône (C haume, 2001, p. 164). Cette fusaïole ainsi que les fragments de cinq armilles et d'un bracelet tubulaire figuré sur l'un des clichés d' É. Socley (fig. 8, n os 4, 5), non signalé par les chercheurs, ont sans doute été mis au jour l'année suivante, lors d'une seconde campagne de fouille (B ertrand et alii, 1927, p. 288). Malgré le peu d'observations concernant les fouilles, on a l'impression que le tumulus a subi des remaniements continuels pour accueillir de nouvelles inhumations. Ces enterrements successifs ont bouleversé les tombes les plus anciennes (incinérations) et dispersé les os et le mobilier. L'absence d'ensembles clos et de fibules associées avec le matériel archéologique composé seulement de torques et bracelets en bronze fermés à joncs lisses, rend difficile leur datation. Toutefois, ces parures annulaires, fréquentes à la fin du Hallstatt final et au début de La Tène ancienne,sont attestées dans des contextes funéraires en Côte-d'Or, comme par exemple dans les tumulusdeClair Bois à Bressey-sur-Tille et de la Meusse à Magny-Lambert (C haume, 2001 p. 316-324). Les armilles, de datation imprécise et en général associées à des sépultures féminines, se rencontrent depuis le Hallstatt D1 et perdurent jusqu'au Hallstatt D3 (B aray, 2002, p. 72). Commune : Couchey Lieu-dit : Bois Boujon Altitude : 545 m Cette butte est située dans un bois à l'extrémité du « chemin aux vaches », soit à 600 m au nord-est du tumulus du Bois de la Jeune Ronce, à 1200 m à l'ouest du tumulus du Bois de Taviard et à 1650 m au sud-est des trois tertres de la Rente-Neuve. Il s'agit d'un tertre imposant (fig. 11, n° 1), repéré par P. Renard au début du XX e s. (J obard, 1906). Il a longtemps suscité la curiosité des archéologues dijonnais : pour les uns, simple butte naturelle ou motte féodale, tumulus pour les autres. Son diamètre est d'environ 80 m et sa hauteur de 9,29 m. Les chercheurs de l'époque, peu motivés pour entreprendre des travaux de terrassement aussi considérables avec seulement des pioches et des pelles, n'ont jamais osé le fouiller. Dans son manuscrit, E. Bertrand suggère : « ...Pour explorer méthodiquement cet énorme entassement de matériaux, il faudrait des sommes élevées; mais nul doute que le résultat en serait des plus intéressants. .. ». Sur le sommet, on remarque par endroit des pierres plates plantées sur chant, alignées les unes contre les autres (fig. 11, n° 2). S'agit-il d'un phénomène anthropique ou bien géologique ? La question reste encore posée de nos jours et c'est la raison pour laquelle nous avons voulu mentionner ce tertre dans le cadre de cet article. Cet article fournit des informations complémentaires sur les anciennes fouilles des tumulus de la Rente-Neuve, du Bois de la Jeune Ronce et de la Combe Pévenelle. Malheureusement, la documentation des tertres inédits de la Montagne et du Bois de Taviard demeure beaucoup plus lacunaire, même s'il nous a paru indispensable de les faire connaître. En revanche, les croquis d'E. Bertrand et G. Grémaud, utilisés à cette occasion, ont permis de localiser sur la commune de Couchey deux fibules protohistoriques déposées au Musée Archéologique de Dijon, dont la provenance était auparavant inconnue. Pour terminer, cette étude montre que les tombes regroupées dans des tumulusisolés, espacés souvent de plusieurs centaines de mètres, semblent correspondre à des groupements de populations, villages ou hameaux. Dans le cas présent, aucun habitat n'est connu aux environs immédiats des tertres, ce qui ne facilite pas une bonne appréhension des aspects socio-économiques de cette micro-région. Toutefois, il est intéressant de signaler ici la présence d'une petite enceinte fortifiée située à environ 900 m au sud-est des tumulusde la Montagne et de la Combe Pévenelle. Il s'agit de l'éperon barré du Champ Teignenot (fig. 2), défendu à l'ouest par un rempart construit en pierres sèches, d'une longueur de 40 m et d'une épaisseur de 7 m. Sa hauteur moyenne varie de 1 m à 1,20 m. La distance de la levée à la pointe de l'éperon est de 75 m. D'après P. Renard, les pierres du rempart ont été récupérées pour empierrer des chemins (B ertrand, 1920, p. 3). Au début du XX e s., une sépulture attribuée au Néolithique a été mise au jour à 50 m au-dessous de la pointe de la fortification (B ertrand et alii, 1925, p. 67). Nous ignorons si cet habitat non daté, en l'absence de fouilles, est directement en relation avec les deux tertres. Les voies d'accès aisé ne manquent pas aux environs du Mont Afrique, que ce soit en direction du nord (vallée de la Seine : Mont Lassois) ou en direction de l'est (vallée de la Saône : Camp de Chassey et vallée du Doubs : Bragny-sur-Saône). RemerciementsNous remercions toutes les personnes qui nous ont aidé dans ce travail de recherche, tout particulièrement Mme Mortier pour son accueil chaleureux en 2003, afin de dresser l'inventaire de sa collection, M. Christian Vernou, Conservateur en chef du Musée Archéologique de Dijon, qui a photographié chaque objet étudié, M. Denis Périchon, chargé d'étude au même Musée, par qui nous avons pu obtenir le cliché des objets du tumulus de la Combe Pévenelle et du dessin original de Gabriel Grémaud aujourd'hui conservé chez sa fille Mme Poula, enfin, M. Régis Labeaune pour la DAO des illustrations, M. Christophe Petit et M. Frédéric Cruz pour la cartographie, M. Pierre Rat, professeur émérite de géologie à l'Université de Dijon, pour l'étude des roches du tumulus de la Combe Pévenelle, et M. Yves Pautrat pour la relecture du manuscrit et ses conseils; toute notre gratitude va également à M. Jean-Robert Bourgeois qui a réalisé les dessins du mobilier, M. Bernard Benoît pour les clichés .
Cette notice présente le mobilier de plusieurs tertres funéraires anciennement repérés. Deux d'entre eux étaient totalement inédits, trois autres tumulus avaient été partiellement publiés, l'un en 1905, le second en 1925 et 1961, et le troisième en 1926. La fin de l'article présente les découvertes également inédites de deux fibules protohistoriques et la description d'une butte imposante qui a longtemps attiré l'attention des archéologues au début du XXe s., encore non fouillée.
archeologie_08-0202254_tei_356.xml
termith-27-archeologie
Situé sur la rive droite de la vallée de la Grande Beune, affluent de la Vézère, l'abri du Cap-Blanc (Marquay, Dordogne) renferme la première frise sculptée pariétale paléolithique mise au jour (décembre 1909), considérée comme l'un des joyaux de l'art pariétal paléolithique d'Europe occidentale par le naturalisme et la maîtrise technique de ses bas-reliefs animaliers. L'abri prend place au sein d'un contexte archéologique et graphique particulièrement riche, en plein cœur de la région des Eyzies avec, dans les proches environs, nombre de grands gisements en abris-sous-roche et de sites ornés (fig.1). Au sein de la vallée de la Grande Beune, il se trouve à proximité immédiate de quatre sites dont trois renferment des œuvres pariétales : les abris de Laussel (Moustérien de tradition acheuléenne, Moustérien typique, Aurignacien, Gravettien, Solutréen) (Roussot 1984a) à moins de un kilomètre en amont, la grotte de la Grèze (Gravettien supérieur) (Aujoulat 1984) à 500 m en aval, et la grotte de Comarque (Magdalénien moyen) (Delluc et Delluc 1981) sur la rive opposée. Trente ans après les travaux de A. Roussot, notre problématique territoriale et identitaire sur les sites sculptés au Magdalénien moyen nous a conduit à reprendre l'étude de la frise en nous intéressant particulièrement à la dynamique d'évolution de l'ensemble pariétal. Dans cette optique, nous avons réalisé, durant l'année 2008, une campagne de relevé de l'extrémité est de la frise. S'ouvrant au pied d'un affleurement calcaire coniacien exposé au sud, le Cap-Blanc, dans ses dimensions actuelles, est un abri de moyenne importance (16,50 m de développement pour une profondeur de 3 m et une hauteur maximale de 4 m). Dominant le fond de vallée d'une quinzaine de mètres, il s'étend vers l'avant par une terrasse. Son extension au Paléolithique supérieur demeure inconnue. Sa voûte est effondrée et l'avancée originelle reste difficile à déterminer en raison de l'ancienneté des fouilles et du manque de données, en particulier stratigraphiques. Sa longueur est aussi incertaine, puisque le gisement n'a jamais été cerné dans ses limites latérales (Roussot 1968). La taille de l'abri et son impact visuel dans le paysage de l'époque seraient pourtant d'utiles paramètres à prendre en compte dans la question de la fréquentation et de la fonction du site, en association avec la frise pariétale. Sans développer l'historique des recherches conduites sur le site, bien documenté par A. Roussot dans son article de 1972 (Roussot 1972) et plus récemment dans son ouvrage consacré au Cap-Blanc (Roussot 1994), rappelons que le gisement a fait l'objet de plusieurs fouilles au cours du XXesiècle. Gaston Lalanne le découvre en 1909 et vide la grande majorité du remplissage archéologique en quelques mois (Lalanne 1910; Lalanne et Breuil 1911). Louis Capitan et Denis Peyrony dégagent en 1911 une sépulture découverte à la base du remplissage lors de travaux d'aménagement (Capitan et Peyrony 1912). Denis Peyrony réalise une petite opération en 1930, à l'extrémité ouest de l'abri (Peyrony 1950). Avec J. Tixier, A. Roussot fouille le talus à gauche de l'abri (Roussot 1972). Enfin, Jean-Christophe Castel et Jean-Pierre Chadelle mènent en 1992 une campagne de tamisage des déblais des fouilles Lalanne, sur la terrasse à l'avant de l'abri consécutivement au projet de réaménagement touristique réalisé par J. Archambeau, alors propriétaire du site (Castel et Chadelle 2000). L'essentiel du gisement, peu documenté, est très mal connu. Aucune stratigraphie ou répartition spatiale des artefacts ne sont disponibles pour les travaux antérieurs à ceux d'A. Roussot qui sont malheureusement restreints en surface. La stratigraphie du site a fait l'objet d'une importante révision critique par A. Roussot qui publie une série inédite de six croquis schématiques contradictoires, retrouvés dans les notes de G. Lalanne, seules illustrations de ces premières fouilles (fig. 2 – Roussot 1972). Gaston Lalanne évoque deux couches séparées par un niveau stérile, la plus profonde s'étendant sur toute la longueur de l'abri et en avant (Lalanne 1910). Lors de ses fouilles, A. Roussot identifie quatre couches principales subdivisées en plusieurs niveaux (fig. 2) et rapproche les couches 2 et 3 des deux couches reconnues par G. Lalanne (Roussot 1972). Le nombre et l'étendue des niveaux archéologiques restent, pour le moment, incertains. L'attribution chrono-culturelle des occupations a soulevé et continue de soulever de nombreuses questions. Le Cap-Blanc présenterait, en effet, de multiples traces d'occupation rapportées au Solutréen (Castel et Chadelle 2000), au Badegoulien (Peyrony 1950), au Magdalénien moyen (Lalanne et Breuil 1911; Sonneville-Bordes 1960), au Magdalénien supérieur (Sonneville-Bordes 1960; Roussot 1972), et à l'Azilien (Peyrony 1950; Sonneville-Bordes 1960). À nouveau, les fouilles Lalanne qui ont touché au cœur même du gisement nous privent de précieuses données. Au regard de leur extension, peu de matériel nous est parvenu, les vestiges les plus petits étant systématiquement délaissés. Les collections ont également subi une importante dispersion dans différentes institutions françaises (Musée d'Aquitaine, Musée de l'Homme, Musée national de Préhistoire) et internationales (Field Museum de Chicago) et dans diverses collections privées probablement, ce qui limite d'autant notre appréciation globale de l'occupation de l'abri. Malgré ces restrictions, les fouilles ont mis en avant une forte occupation de l'abri. Selon J.-C. Castel, l'étude archéozoologique des déblais des fouilles Lalanne révèle que « le nombre élevé de rennes exploités à Cap Blanc […] correspond à une fréquentation assez importante, en nombre de personnes ou en fréquence d'occupation » (Castel et Chadelle 2000 - p. 66). Le gisement a livré un matériel diversifié : une abondante industrie lithique, de très nombreux restes fauniques, une industrie osseuse plus rare mais néanmoins conséquente, des éléments de parure, des pièces d'art mobilier (sur support lithique et surtout sur matière dure d'origine animale) dont certaines sont absolument remarquables, sans oublier une sépulture. Le spectre faunique est largement dominé par le Renne, suivi du Cheval. D'autres espèces apparaissent de manière très anecdotique : Antilope saïga, Cerf, Chamois… (Lalanne et Breuil 1911; Delpech 1983; Castel et Chadelle 2000). Sans préjuger de sa ponctualité ou de sa continuité au cours des différents épisodes de fréquentation, l'intensité de l'occupation du site et l'association d'activités quotidiennes (notamment de subsistance) et d'activités symboliques (art pariétal et sépulture en particulier) posent de nombreuses interrogations quant à la nature de la fréquentation du site et à son évolution. Ces motivations peuvent perdurer mais aussi évoluer dans le temps : habitat prolongé type campement de base ? Lieu de rassemblement social, religieux ou autre ? Le Cap-Blanc doit sa renommée à la frise animalière monumentale sculptée sur le fond de l'abri. Dans son extension actuelle, elle se développe sur plus de 13 m de long pour une hauteur de 2 m. Elle est partiellement effondrée, en particulier dans sa partie basse où le support s'est délité en plaquettes (Roussot 1972). Elle a également subi d'importantes altérations, notamment au cours de son dégagement. Sa mise au jour se fait entre octobre et décembre 1909, à mesure de l'avancée des fouilles de G. Lalanne qui en donne une première description dès 1910 (Lalanne 1910), enrichie et modifiée par l'abbé Breuil dès 1911 (Lalanne et Breuil 1911). Un dernier élément sculpté est dégagé en 1930 lors des recherches de D. Peyrony à l'extrémité gauche de l'abri (Peyrony 1950). À partir de 1963, A. Roussot reprend l'étude du site. Il complète la couverture photographique de la frise, réalise un relevé schématique de l'ensemble des sculptures et reprend l'analyse de chaque figure (Roussot 1972). Son inventaire dénombre 13 unités graphiques : cinq chevaux, trois bisons, deux cervidés et quatre indéterminés (fig. 3). Parmi ces représentations, il évoque deux retailles : sculptures qui auraient été réalisées aux dépens d'une première sculpture détruite et en partie réemployée dans la nouvelle figuration. Ces exemples concernent des chevaux, taillés à partir d'un bison et d'un quadrupède que A. Roussot ne parvient pas à déterminer. Tous les auteurs ne s'accordent pas sur cette lecture. Ainsi, H. Breuil reconnaît cinq chevaux, deux bisons, deux aurochs hypothétiques et deux figures restant indéterminées (Lalanne et Breuil 1911). Annette Laming-Emperaire ne compte que six chevaux et deux bisons (Laming-Emperaire 1962). Aucun d'eux ne signale de retaille. A. Leroi-Gourhan indique six bisons, cinq chevaux, deux cervidés, un félin et un ours (fig. 3). Il voit une troisième retaille de cheval aux dépens d'un bison (Leroi-Gourhan 1965). Cliché J. Vertut (Leroi-Gourhan 1965, fig. 69); relevé A. Roussot (1994, p. 16). Photo J. Vertut (Leroi-Gourhan 1965, fig. 69); tracing by A. Roussot (1994, p. 16). Une tête de cheval qui appartenait à la frise lors de sa mise au jour fut détachée par G. Lalanne car elle menaçait de tomber. Un bloc sculpté d'un bison fut retrouvé au sol, fracturé en deux morceaux, au début des fouilles Lalanne. Des vestiges de peinture rouge, plus ou moins vifs, sont signalés par H. Breuil et A. Roussot, tant sur les sculptures que sur le fond. Deux anneaux ont été répertoriés : un sur la paroi, sur la croupe d'une figure (cheval n° 2, inventaire A. Roussot) et un second sur bloc découvert dans les déblais des fouilles Lalanne (Castel et Chadelle 2000). Si le contexte archéologique des œuvres reste confus, l'attribution chrono-culturelle de la frise l'est tout autant. Le cadre chronologique de l'art pariétal est toujours délicat à établir. Or, les niveaux d'occupations associés aux œuvres pariétales dans les abris ornés offrent généralement des moyens de datation relative (recouvrement des œuvres pariétales par les niveaux archéologiques, fragments de paroi ornée tombés dans les niveaux ou encore présence d'un outillage spécialisé). Au Cap-Blanc, les incertitudes dans la stratigraphie du site et dans l'attribution chrono-culturelle des occupations avec une fréquentation qui s'étalerait sur plusieurs techno-complexes compliquent les tentatives. Il semble que la frise n'était pas couverte par les couches archéologiques (Roussot 1984b). Le bloc sculpté d'un bison - sans présumer de son appartenance ou pas (art sur bloc) à la frise pariétale - et des pics - considérés comme les outils ayant servi à sculpter – ont été mis au jour lors des fouilles Lalanne (Lalanne 1910; Sonneville-Bordes 1960) dans la couche inférieure dont l'attribution chrono-culturelle demeure problématique… Face à ces difficultés, la datation de la frise s'est toujours faite par la méthode stylistique, en comparaison avec les autres sites sculptés, selon des critères plus ou moins précis. Elle est ainsi traditionnellement rattachée au Magdalénien moyen (III-IV), par rapprochement technique et formel avec les œuvres du Roc-aux-Sorciers (Angles-sur-l'Anglin, Vienne) principalement (Laming-Emperaire 1962; Leroi-Gourhan 1965; Roussot 1984b). L'homogénéité de la frise n'est pas garantie, ce qui complique davantage le problème de son attribution chrono-culturelle. Les retailles signalées par A. Roussot et A. Leroi-Gourhan témoignent d'une évolution de l'ensemble pariétal, selon un rythme et des modalités qui nous sont inconnues. L'extrémité est de la frise – que nous avons dénommée « panneau de l'alcôve » - en est l'exemple le plus éloquent puisque deux cas y ont été recensés. Une analyse approfondie de ces phénomènes s'avère ainsi essentielle afin de mieux saisir la dynamique du dispositif pariétal du Cap-Blanc et peut-être aussi mieux cerner le cadre chrono-culturel des œuvres par des critères de comparaison affinés et renouvelés avec les autres sites sculptés du sud-ouest de la France. Dans sa topographie actuelle, l'abri peut être divisé en deux zones de morphologies distinctes : un fond d'abri-sous-roche classique (11 m de long), avec un profil en marches d'escalier, et un petit renfoncement qui creuse la paroi dans sa partie droite (large de 5 m et profond de 4 m). Les deux zones sont séparées par un ressaut de la paroi formant un pilier (Roussot 1984b). Le « panneau de l'alcôve » occupe la portion de paroi s'enroulant autour du pilier et courant au-dessus de l'alcôve, à l'extrémité est de l'abri (fig. 4). L'ensemble graphique qu'il supporte est séparé du reste de la frise par un segment de paroi apparemment vide de toute manifestation graphique et forme ainsi visuellement une unité que nous avons associée par commodité à la notion de panneau. Il se développe sur environ 4,50 m, à une hauteur moyenne de 1,75 m au-dessus du sol actuel. La paroi n'est pas verticale. Elle oblique vers le fond de l'abri, obliquité se renforçant pour le dernier bas-relief qui plonge (fig. 5) : la première partie des figures (entités graphiques 1 et 2) tourne autour du pilier, tandis que la seconde (entités graphiques 3, 4 et 5) retrouve une paroi horizontale, plus ou moins parallèle au fond d'abri. Ces deux pans convergent dans sa partie centrale, entre les entités graphiques 1 et 3, à la manière d'un dièdre. (A. Roussot 1984b, fig. 2). Cliché C. Bourdier et O. Huard 2009, avec l'autorisation du CMN. Photo C. Bourdier and O. Huard 2009, courtesy of CMN. Les différents chercheurs ne s'accordent pas sur le nombre et la nature des entités graphiques. Alain Roussot relève deux bas-reliefs monumentaux de chevaux, suivis d'un troisième bas-relief d'un arrière-train (bison ?) qui, selon lui, fut volontairement conçu et réalisé comme une représentation segmentaire. Deux petits bisons sont associés aux deux chevaux, dans le registre inférieur (Roussot 1972). André Leroi-Gourhan en livre une lecture toute autre. Les deux chevaux marqueraient un second temps dans la composition de la frise, ayant remplacé deux grands bisons dont un arrière-train aurait été conservé. Dans sa perspective structuraliste de complémentarité sexuelle des représentations pariétales paléolithiques, les deux petits bisons seraient venus « rétablir l'équilibre des espèces complémentaires » et seraient donc postérieurs aux chevaux (Leroi-Gourhan 1965 - p. 287). Cet ensemble graphique se révèle particulièrement complexe, avec une paroi très dégradée, des sculptures fragmentaires et plusieurs moments de réalisation. Le degré d'altération du support nous a incité à mener une analyse fine de l'état de surface. Il s'avérait nécessaire de véritablement discriminer l'anthropique du naturel, ce point ne nous semblant pas satisfaisant sur les relevés alors à disposition. Nous avons employé la méthode d'étude mise en place dans l'abri orné du Roc-aux-Sorciers (Angles-sur-l'Anglin, Vienne) et également utilisée sur les sites de la Chaire-à-Calvin (Mouthiers-sur-Boëme, Charente) et de Reverdit (Sergeac, Dordogne). Elle consiste en une approche analytique de la paroi et des œuvres visant à différencier les éléments naturels des manifestations anthropiques d'une part, en distinguant les vestiges paléolithiques des stigmates récents (depuis la mise au jour des œuvres) d'autre part (Iakovleva, Pinçon 1997; Pinçon 2004; Pinçon et al. 2005; Bourdier 2009). L'acquisition des données a associé enregistrement photographique et relevé analytique réalisé par vidéo-projection (Pinçon et al. 2005; Bourdier 2009). Dans un souci de cohérence entre les différents abris sculptés étudiés, nous avons repris les normes de relevé développées au Roc-aux-Sorciers et déjà transposées à la Chaire-à-Calvin et à Reverdit. Ce relevé a été l'occasion d'un premier inventaire exhaustif des traces de couleur, peu considérées jusqu' à présent bien que signalées dès les premiers écrits (Lalanne 1910) et régulièrement mentionnées depuis lors. Ces vestiges ont fait l'objet de traitements colorimétriques infographiques. Ce panneau étant composé de deux volets à l'orientation nettement distincte, nous avons décidé sur le terrain de monter deux stations de relevé différentes afin de respecter au mieux l'orthogonalité du support et des œuvres. Ce choix se justifie dans notre volonté de saisir au plus près les formes et les volumes de chaque figure, essentiels à l'appréhension et à la compréhension des retailles qui sont au centre de notre étude. Un relevé général du panneau aurait mené à d'importantes déformations en raison des deux points de fuite latéraux, ce qui aurait donc eu pour conséquence une réduction des deux extrémités latérales du panneau au profit du centre. Nous présentons dans ce travail les relevés séparés des deux volets, regroupant respectivement les entités graphiques n° 1 et 2 du côté gauche et les entités graphiques n° 3, 4 et 5 du côté droit. L'entité graphique n° 1, un équidé, qui occupe tout le premier volet du panneau, est la mieux préservée de l'ensemble graphique ici considéré (fig. 6 et 7). Cependant, deux grandes écailles en ont emporté le bas et le haut ainsi que l'extrémité gauche. Sur la paroi originelle conservée, trois grandes zones de desquamation marquent la surface : le long de la fracture inférieure; le long de la ligne cervico-dorsale, sur le flanc, sur la croupe et en arrière de la croupe; à l'avant des antérieurs et du poitrail et prenant toute la tête. Une surface conséquente de la figure est demeurée intacte : cou, poitrail, antérieurs, ventre, zone en arrière de la croupe. Un certain nombre de coups récents entaillent la roche, regroupés en deux zones principales. Quelques courts tracés du charbonnage réalisé par H. Breuil et Cl. Lassale (Lalanne et Breuil 1911) se repèrent toujours dans le fond de sculpture (tête, antérieurs, ligne dorsale) et, plus étonnamment, dans le fond de certaines écailles ou fractures (zone inférieure, zone en arrière de la croupe). Cliché O. Huard 2008, avec autorisation du CMN. Photo O.Huard 2008, courtesy of CMN. A. Abgrall, C. Bourdier, O. Huard, É. Le Brun et G. Pinçon 2008. Tracing by A. Abgrall, C. Bourdier, O. Huard, É. Le Brun et G. Pinçon 2008. Cette première entité graphique est un cheval sculpté de profil droit (Lalanne et Breuil 1911; Leroi-Gourhan 1965; Roussot 1972) aux dimensions monumentales (184 cm de longueur maximale et 108 cm de hauteur maximale) qui s'inscrit dans la lignée des autres sculptures de chevaux de la frise. La croupe, la ligne cervico-dorsale et toute l'avant–main se lisent parfaitement. La crinière n'est pas figurée en relief. La tête est très altérée : seuls le front et la partie proximale de la joue se sont conservés. Le reste du contour se devine plus qu'il ne se suit. Tout son relief a quasiment disparu. Bien que desquamées, les deux oreilles étonnent par leur finesse (fig. 8). Les antérieurs ont été représentés par paire, droits, légèrement décalés selon un procédé de rabattement à 45° (« perspective biangulaire oblique de Leroi-Gourhan » - Leroi-Gourhan 1992 - p. 254) qui dégage également le poitrail. L'extrémité des membres a pu être emportée par la fracture inférieure. L'arrière-train de l'animal paraît nettement plus confus : la croupe se perd dans un grand volume triangulaire vertical, qui se rétrécit à son extrémité. Devant ce volume, un relief vertical courbe pourrait s'accorder avec le contour d'une patte postérieure. Cliché O. Huard 2008 avec l'autorisation du CMN. Photo O. Huard 2008, courtesy of CMN Cette sculpture associe plusieurs types de relief. Le volume du poitrail et des antérieurs, traités en demi-relief, se détache très fortement de la paroi (20-30 cm). Le cou est à la limite du haut-relief. Le creusement de l'avant-main est tel que la zone de dégagement, très oblique et à pan concave dans sa moitié supérieure, paraît ramassée et très abrupte. Le piquetage de la paroi dans cette zone est d'ailleurs toujours très marqué. Le front, la ligne cervico-dorsale et l'arrière de l'animal sont traités en bas-relief : 10 à 20 cm de relief tout au plus, ce qui reste néanmoins conséquent. Cet écart de relief avec le poitrail et les antérieurs ne peut être dû à la desquamation qui demeure trop superficielle dans ces zones. Ce cheval témoigne d'un travail technique remarquable et soigné. Le contour de la sculpture a été modelé, et sa surface méticuleusement régularisée. Ce travail de régularisation, vraisemblablement réalisé par raclage est cependant partiellement masqué par les écailles qui entament le support. Le cou et la partie proximale de la tête ont été entièrement polis. Nous pouvons imaginer qu' à la manière du grand cheval central de la frise (cheval n° 5 de A. Roussot) le corps tout entier de l'animal a bénéficié de cette finition. Comme l'avaient déjà signalé H. Breuil (Lalanne et Breuil 1911) et A. Roussot (1972), toute la zone arrière présente un type de dégagement différent de celui de l'avant-train : le creusement, oblique et concave, est plus étalé et plus doux. Ces deux techniques de mise en relief illustrent-elles deux périodes de réalisation ou deux artistes distincts ? Traduisent-elles juste une adaptation à deux surfaces différentes (volume, dureté) ? La technique de mise en relief de la ligne cervico-dorsale nous est inconnue : sa zone de dégagement a presque intégralement été amputée par la fracture supérieure du pan; seuls quelques centimètres ont été épargnés. Dans cette zone de dégagement de la partie postérieure de l'entité graphique n° 1, P. Graziosi (1956) puis A. Verbrugge (1969) avaient reconnu une main dotée de longs doigts, que A. Roussot considère comme un lusus naturae (Roussot 1972) (fig. 9). Une série de lignes profondément piquetées ressort nettement du support : quatre tracés rectilignes verticaux (longueur 25 cm), parallèles, recoupés à leur extrémité inférieure par un court tracé horizontal en zigzag. Cette portion de paroi est creusée de nombreuses écailles et très patinée, comme si elle avait été frottée. Néanmoins, l'alignement et la symétrie très stricte des cupules ne laisse planer aucun doute sur leur origine anthropique. Ce piquetage pourrait s'apparenter à un motif géométrique, type quadrilatère rempli de lignes ponctuées qui se rencontre fréquemment dans l'art pariétal magdalénien (Roc-aux-Sorciers, Marsoulas, Llonin…). La rareté des signes est cependant l'une des caractéristiques principales de l'art sculpté en abri-sous-roche. Il n'est donc pas évident que ce piquetage soit un élément de décor. Il pourrait avoir eu un objectif purement fonctionnel : descendre un relief. Dans le doute, nous choisissons donc de ne pas le garder comme unité graphique. Cliché C. Bourdier 2008 avec l'autorisation du CMN. Photo C. Bourdier 2008, courtesy of CMN. De nombreux vestiges de couleur ont été repérés sur la sculpture, dans sa moitié inférieure uniquement, préférentiellement répartis à l'arrière de la patte postérieure d'une part, sur les antérieurs et au départ de la ligne de poitrail d'autre part. Deux teintes coexistent : un rouge profond sur la zone arrière et la zone centrale et un rouge violacé sur les pattes avant et le poitrail. Elles ne se mélangent pas et apparaissent comme strictement séparées (fig. 7). Des micro-analyses complémentaires seront nécessaires pour préciser la nature de ces éléments (peinture ? infiltrations ? micro-organismes ?) en particulier pour la teinte violacée tout à fait inhabituelle. D'autres éléments sculptés se perçoivent à l'intérieur du cheval (fig. 7). Une profonde concavité verticale scinde son épaule en une courbe régulière. Un second creusement vertical courbe, nettement plus long, se remarque plus à gauche. Il traverse tout le corps depuis le milieu du flanc jusqu'au niveau des genoux vers lesquels il oblique légèrement. En dessous de ce point, une plage d'écaillage empêche de voir s'il se poursuit ou pas. Il est moins vigoureux que le précédent. Sa réalité ne fait cependant aucun doute. Le fond de ces reliefs est entièrement piqueté, ce qui atteste de leur origine anthropique. L'hypothèse de retaille d'une ancienne sculpture de bison, avancée par A. Leroi-Gourhan, est née de ces reliefs. Il voit dans la première concavité, sur l'épaule, le contour de la fesse et dans le deuxième creusement, celui de la patte postérieure d'un grand bison de profil gauche (Leroi-Gourhan 1965). À l'instar de ce chercheur, nous voyons effectivement dans ces reliefs celui d'une fesse et les reliquats du contour antérieur d'une patte postérieure, depuis la cuisse jusqu'au jarret, la légère obliquité précédemment signalée reproduirait fidèlement le modelé de la moitié supérieure de la patte (fig. 10). Nous ne suivons pas H. Breuil (1952) et A. Roussot (1972) qui estiment que la concavité de l'épaule figurerait la séparation entre deux masses musculaires. Ces reliefs en fait ne s'accordent pas avec les volumes internes d'un cheval. Les deux auteurs n'évoquent pas le second creusement, pourtant nettement visible dès que la lumière devient rasante. Relevé C. Bourdier 2008. Tracing by C. Bourdier. Cette hypothèse d'une retaille nous semble d'ailleurs étayée par trois autres éléments : À propos des volumes internes du cheval, il est intéressant de remarquer que cette sculpture est dépourvue de volume. Elle est relativement plate, ce qui tranche avec l'épaisseur des autres chevaux de la frise. La ligne ventrale est absente, ce manque ne pouvant résulter de la desquamation, située plus bas. Au milieu du corps en revanche, une zone très allongée, horizontale a été entièrement piquetée (fig. 6 et 7). Elle correspond à une légère inflexion du support. Elle rejoint à son extrémité droite le creusement qui traverse verticalement le corps du cheval. Ce travail de piquetage n'a manifestement pas servi à représenter la ligne ventrale du cheval, sinon pourquoi serait-elle si superficielle ? Il pourrait, en revanche, avoir permis d'effacer un volume, dont l'emplacement coïnciderait avec celui d'une ancienne ligne ventrale. À.l'arrière de la croupe du cheval, le grand relief triangulaire demeure incompréhensible à moins qu'il ne soit le vestige d'une autre sculpture. Henri Breuil y avait lu la queue du cheval (Lalanne et Breuil 1911), difforme. Alain Roussot avait simplement constaté que « l'on délimite mal les membres postérieurs et la queue » (Roussot 1994 - p. 24), sans avancer d'explications. Cet élément ne répond manifestement pas à la morphologie de l'arrière-main du cheval. Il n'est pas certain que la concavité qui le sépare de ce qui paraît être le contour d'une patte postérieure du cheval ait appartenu à la première sculpture. Peut-être a -t-elle été creusée lors de la réalisation du cheval, justement pour évoquer un membre postérieur. La partie supérieure de cette concavité porte les stigmates d'un piquetage. Enfin, comme nous l'avons évoqué précédemment, il est étrange de constater que la partie arrière de la sculpture et son avant-main n'ont pas été réalisées avec la même technique de mise en relief. Dans cette perspective de retaille, cette différence prendrait tout son sens. Cette hypothèse de retaille semble parfaitement fondée. À quelle représentation succéda le cheval ? Nous pouvons nous appuyer sur le tracé de la fesse, du membre postérieur et du ventre, ainsi que sur le relief triangulaire en arrière du cheval. Nous préférons ne pas prendre directement en considération la ligne cervico-dorsale du cheval, puisque aucun élément ne nous permet de déterminer avec certitude si son contour a été repris ou non. Les lignes de la fesse, de la patte postérieure et du ventre sont trop imprécises pour être diagnostiques d'un animal. L'épaisseur du flanc – au minimum de la ligne ventrale jusqu' à la ligne cervico-dorsale actuelle du cheval - concorde plutôt avec la morphologie des bovidés (bison, aurochs, bouquetin). Le relief triangulaire ne paraît pas appartenir à d'anciens antérieurs, à moins d'un corps exagérément allongé. Sa position en avant des antérieurs évoque plutôt le volume d'une tête baissée (fig. 10). Son aspect désormais rendu grossier – probablement par la conjonction de la retaille et de l'écaillage – nous empêche d'aller plus loin dans l'identification de l'animal. Nous sommes face à un bas-relief de cheval exécuté aux dépens d'une première sculpture, dont le volume a été effacé par piquetage comme en témoignent les creusements vestigiels de la ligne ventrale et d'une patte postérieure mais dont quelques éléments ont néanmoins été conservés (relief de la fesse, relief triangulaire de la croupe). Le cheval n'a manifestement jamais été terminé au niveau de son arrière-main. Dans la majorité des retailles connues, les artistes ont laissé des éléments de la première figure cohabiter avec la seconde, quitte à créer des aberrations anatomiques (Iakovleva, Pinçon 1997). La seconde entité graphique repérée est un petit bison de profil gauche (Lalanne et Breuil 1911; Leroi-Gourhan 1965; Roussot 1972; Paillet 1999), situé sur l'avant-train de la sculpture précédente, en arrière des antérieurs (fig. 6, 11 et 12). Ses dimensions réduites (34 cm de long, 29 cm de haut) tranchent avec la monumentalité du cheval. Ce bison est aisément reconnaissable à sa bosse dorsale. Son corps est épais. L'arrière-train est ramassé, l'unique patte postérieure mince et courte. Sa bosse apparaît ainsi très imposante. Aucun tracé de queue n'a pu être décelé. Sa morphologie – corps épais, bosse haute et arrondie, une patte par paire – et ses dimensions sont très proches du bison sculpté sur bloc, retrouvé dans les niveaux archéologiques de cette zone (Lalanne 1910) (fig.13). Cliché O.Huard 2008 avec l'autorisation du CMN. Photo O. Huard 2008, courtesy of CMN. Relevé : A. Abgrall, C. Bourdier, O. Huard, E. Le Brun, M. Peyroux et G. Pinçon 2008 Tracing by A. Abgrall, C. Bourdier, O. Huard, E. Le Brun, M. Peyroux et G. Pinçon 2008 Musée d'Aquitaine, cliché A. Roussot In Roussot 1994. Musée d'Aquitaine, photo A. Roussot In Roussot 1994. La figure a bien été préservée des altérations naturelles et anthropiques (peu de coups métalliques, charbonnage limité à un segment du contour ventral). Il est ainsi probable, comme l'a avancé P. Paillet (1999), que l'avant-train n'ait jamais existé. Ses lignes s'appuient largement sur des macro-reliefs de la paroi. Son contour ventral et sa patte postérieure sont rendus par les négatifs d'arrachement d'anciennes écailles. Le bombement de la fesse et de la croupe est donné par le relief de la patte antérieure droite de l'entité graphique n° 1. Quelques traits piquetés sont venus souligner et compléter ces formes : un long tracé pour reproduire la bosse dorsale (élément caractéristique de l'animal) et deux courts segments pour la ligne ventrale et le contour postérieur de la patte arrière. L'artiste s'est donc largement appuyé, et probablement inspiré, d'éléments naturels et anthropiques qui pré-existaient. C'est à se demander si l' œuvre n'est pas simplement opportuniste. Cette participation du support fait que la figure semble à la fois sculptée et gravée. Elle n'est en fait que gravée, mais utilise pleinement le volume de la paroi. Cette gravure large (1 à 2 cm) a été réalisée par un piquetage continu, peu profond (1 cm). Elle est irrégulière. Le départ de la bosse est ainsi particulièrement prononcé (3 cm de large et 2 cm de profondeur). Un soin spécial lui a été apporté, avec un modelage du bord interne. Le reste du contour de la bosse est, au contraire, à peine marqué. L'extrémité de la ligne cervico-dorsale et la ligne ventrale ont une gravure intermédiaire. Cet écart de traitement résulte -t-il d'une érosion différentielle ? Traduit-il la volonté d'accrocher la lumière au départ de la bosse dorsale, qui est l'attribut distinctif du bison ? A partir de ce point, la paroi change d'orientation et redevient parallèle au fond de l'abri (fig. 5). L'entité graphique n° 3 est particulièrement dégradée (fig. 14 et 15). Comme pour le volet précédent, de grandes écailles ont emporté les parties supérieure et inférieure de la paroi. La surface a subi de sérieuses altérations : naturelles sous la forme d'écaillages et anthropiques avec d'innombrables coups d'outils métalliques qui marquent le support, avec une densité légèrement moindre dans la zone basse. Tout le volume de l'animal a ainsi presque entièrement disparu. La surface originelle est restreinte à la seule périphérie de la sculpture, à l'exception d'un segment du cou et de la crinière, et d'une portion de la patte antérieure gauche. Cliché C. Bourdier, O. Huard 2009 avec l'autorisation du CMN. Photo C. Bourdier, O. Huard 2009, courtesy of CMN. CMN. Relevé : A. Abgrall, C. Bourdier, O. Huard, E. Le Brun, M. Peyroux et G. Pinçon 2008. Tracing by A. Abgrall, C. Bourdier, O. Huard, E. Le Brun, M. Peyroux and G. Pinçon 2008. Cette troisième entité graphique est un nouveau bas-relief de cheval (Lalanne et Breuil 1911; Leroi-Gourhan 1965; Roussot 1972), de profil droit, de dimensions proches de celles de l'entité graphique n° 1 (117 cm de haut et 128 cm de long). S'il a perdu beaucoup de son relief, son contour se suit encore aisément. La ligne cervico-dorsale inclut une crinière qui n'est pas mise en relief, à l'image du bas-relief précédent. La tête est presque entièrement effacée. Le contour supérieur a mieux résisté. Il subsiste l'ébauche d'une oreille dressée, le front, l'amorce et l'extrémité distale du chanfrein. Le contour inférieur se réduit à l'amorce de la ganache. Cette tête, portée basse, a une forme ogivale originale, avec un museau apparemment pointu. Les antérieurs, rectilignes, représentés par paire, sont dans l'alignement de la ligne du cou et du poitrail rectiligne. Poitrail et antérieurs présentent le même rabattement à 45° que la sculpture précédente. Le volume du genou est marqué par un petit décrochement. Il n'est pas évident que l'extrémité des membres ait été entraînée par la fracture inférieure de la paroi; peut-être n'a -t-elle jamais été reproduite. Les membres apparaissent courts et le corps épais. La ligne ventrale convexe est basse. Ce cheval est dépourvu de l'extrémité de son arrière-train (cuisse, fesse, queue). À sa place, se retrouve la tête du précédent cheval (entité graphique n° 1), comme si elle masquait virtuellement l'arrière-train du second, selon le même effet de composition que les deux premiers chevaux de la frise (fig. 3). L'état très dégradé de cette zone empêche malheureusement d'évaluer la chronologie des oeuvres. L'entité graphique n° 1 a -t-elle été réalisée après l'entité graphique n° 3, sa tête venant creuser et détruire l'arrière-train de la n° 3 ? L'entité graphique n° 2 a -t-elle été exécutée autour de la tête de l'entité graphique n° 1, et fut-elle ainsi privée originellement d'arrière-train ? A la différence du second cheval de la frise (fig. 3), l'entité graphique n° 2 est dotée d'une patte postérieure, partiellement amputée par une fracturation de la paroi, dont le contour postérieur correspond aussi au départ de la zone de dégagement du poitrail et du cou de l'entité graphique n° 1. L'absence de membre postérieur sur le cheval n° 3 avait conduit A. Roussot à considérer les chevaux 2 et 3 de la frise comme synchrones : « les sujets 2 et 3 forment un ensemble et l'artiste a voulu cet effet de perspective en négligeant de placer l'arrière-train du n° 3 assez en avant de la figure n° 2 » (Roussot 1972 – p. 106). Sur ce panneau de l'alcôve, la patte postérieure de l'entité graphique n° 2 indiquerait donc plutôt que cette sculpture a précédé l'entité graphique n° 1 qui l'a partiellement amputé pour le dessin de l'avant-train et de la tête. L'interface très altérée rend difficile toute analyse technique de ce bas-relief. À l'exception de la patte antérieure gauche, les hauts de sculpture ont disparu. Les zones de dégagement n'ont pas plus été épargnées. Quelques centimètres ont été préservés du creusement oblique de la ligne cervico-dorsale. La zone de dégagement plane du cou et des antérieurs est limitée par la sculpture suivante (nous reviendrons sur cet aspect avec l'entité graphique n° 5). Celle du ventre, également plane, est plus étendue mais partiellement sectionnée par la fracture inférieure du panneau. Malgré ces profondes altérations, la figure a gardé un relief conséquent : 17 cm au niveau du dos et du ventre, 10 cm pour le poitrail. Le volume de l'avant-main (tête, poitrail, antérieurs) est moindre comparé au tronc. Cet écart de relief est manifeste pour les antérieurs : le volume est de quelques centimètres pour la patte antérieure gauche (dont le haut de sculpture est conservé), et de plus d'une dizaine de centimètres pour celle de droite (dont nous ne disposons pas du haut de sculpture). Cette œuvre a dû bénéficier d'un traitement technique soigné. Le relief de l'antérieur droit a été modelé et sa surface égalisée ainsi que les zones de dégagement. À côté des quelques tracés charbonnés modernes qui soulignent principalement l'avant-train de l'animal (antérieur droit; ligne du poitrail, du cou et de la ganache), une petite tache en forme de S de couleur rouge profond est visible sur la zone de dégagement de la patte antérieure gauche, à la limite de la fracture inférieure (fig. 15). Un anneau fracturé – précédemment signalé par un membre de l'équipe (Pinçon à paraître) - occupe l'extrémité actuelle de la patte arrière (fig. 16). Seul son contour supérieur caractéristique est conservé : la petite excroissance centrale du bec est encadrée par les bordures arrondies semi-cylindriques des deux perforations latérales. Au regard des membres antérieurs, il devait se situer au milieu de la patte postérieure, au niveau de son jarret. Cliché O. Huard 2008 avec l'autorisation du CMN. Photo O. Huard 2008, courtesy CMN. Les pattes de ce second bas-relief de cheval encadrent un nouveau petit bison (fig.17 et 18), de profil droit, restreint à sa seule ligne cervico-dorsale. Cette quatrième entité graphique longe la fracture inférieure du panneau qui ne vient cependant pas directement sectionner le tracé. Il est impossible de savoir si ce bison fut réduit à la simple représentation de sa ligne cervico-dorsale, ou si ce dessin est l'unique vestige d'une œuvre plus complète, emportée lors d'une fracturation du support. Les lignes cervico-dorsales isolées de bison sont rares dans l'art paléolithique. Les contours dorsaux complets (depuis la croupe jusqu'au museau) sont, au contraire, fréquents. En-dehors de ces fractures, la surface est bien conservée, peu écaillée mais entaillée par quelques coups d'outils métalliques dont certains particulièrement profonds. Cliché O. Huard 2008 avec l'autorisation du CMN. Photo O. Huard 2008, courtesy of CMN. Relevé : A. Abgrall, C. Bourdier, O. Huard, E. Le Brun, M. Peyroux et G. Pinçon 2008. Tracing by A. Abgrall, C. Bourdier, O. Huard, E. Le Brun, M. Peyroux et G. Pinçon 2008. L'identification du bison ne prête pas à confusion avec la bosse dorsale, ici particulièrement développée (Paillet 1999). La montée de la bosse est courbe. Son sommet est plat. Ses dimensions (35 cm de large, 12 cm de haut) sont comparables à celles du premier bison (entité graphique n° 2). Elles ont très probablement été contraintes par l'écartement des pattes du cheval (entité graphique n° 3). En effet, contrairement à l'affirmation de A. Laming-Emperaire (1962), cette figure semble postérieure au grand bas-relief qui la surplombe. Sa surface est celle de la zone de dégagement du cheval que son creusement entame clairement. Malgré un travail de régularisation, elle porte encore les stigmates d'un puissant piquetage, toujours visibles en lumière rasante. Ce bison s'inscrit en très léger relief dans la paroi dont il ressort à peine. Le creusement en V dissymétrique est peu profond (1,5 cm en moyenne) mais abrupt, relativement large (4 à 5 cm) et régulier. Relief mis à part, cette technique rappelle fortement celle de l'avant-main du premier cheval (entité graphique n° 1) mais diffère par contre de celle utilisée pour l'autre bison (entité graphique n° 2). Le haut de relief est modelé. Une ligne gravée légèrement courbe, large et assez superficielle, part horizontalement de la base du garrot, plus ou moins parallèle au sommet de la bosse dorsale. Son tracé paraît sectionné par le relief gravé. Elle serait ainsi antérieure. Cette dernière entité graphique est la plus altérée de l'ensemble (fig. 14 et 15). Si la grande écaille supérieure du panneau ne l'a pas touchée, la grande écaille inférieure a probablement amputé l'extrémité des pattes postérieures. Elle a surtout souffert d'une importante desquamation qui a profondément attaqué la paroi et la sculpture. Le support est très tourmenté, la surface originelle réduite : périphérie de la figure, principalement sous la ligne ventrale et entre la fesse et la queue. Contrairement à l'entité graphique n° 3, les coups d'outils métalliques ne paraissent avoir joué qu'un rôle très mineur dans cette dégradation. Presque tout le contour a été brossé et repassé au charbon. Deux tracés charbonnés sont même venus compléter la silhouette en prolongeant arbitrairement le dessin de la patte postérieure droite. Cet arrière-train de quadrupède de profil gauche s'inscrit dans la continuité des sculptures de chevaux (entités graphiques n° 1 et 3), bien que proportionnellement plus grand : 94 cm de haut et 81 cm de large. Son état, très dégradé et fragmentaire, rend son identification délicate, comme en témoignent les multiples lectures et interprétations dont il a fait l'objet : animal indéterminé (Lalanne et Breuil 1911), bison (Leroi-Gourhan 1965), bison ou cheval (Roussot 1984b). La croupe est angulaire, mais son contour desquamé a été légèrement creusé. La queue, fine et courte, est décollée de la fesse et tombante. Elle semble complète (fig.19). La fesse est plate. Une patte postérieure, longue et mince est posée sous le corps. Le jarret finement modelé est entaillé d'un anneau fracturé, dont seule la perforation droite est encore visible bien que rabaissée par un intense écaillage (fig. 20). Contrairement à A. Roussot (1972), nous pensons que la seconde patte, légèrement en arrière de la première, appartient à cet arrière-train, et non à une autre entité graphique. Leurs proportions et leurs formes sont en tous points similaires. En outre, la fesse de l'animal est scindée verticalement par une concavité étroite et allongée qui vient séparer la masse des deux fesses (fig. 19). La ligne ventrale est haute mais, son haut de relief ayant disparu, il est impossible d'estimer l'épaisseur originelle du corps. L'aspect général est celui d'un arrière-train d'herbivore. Les dimensions et la forme de la queue, la finesse de la fesse évoquent le bison ou l'aurochs. L'attache de la queue est, en revanche, celle du cheval. En dehors de ces éléments, aurochs, bison et cheval possèdent des arrière-trains assez proches (forme de la croupe, épaisseur du corps, forme et proportions des pattes postérieures). La longueur de la queue semble disproportionnée pour les caprinés et les cervidés. Une majorité des attributs de cet arrière-train relève donc plutôt d'un boviné (bison, aurochs). Cliché O. Huard 2008 avec l'autorisation du CMN. Photo O. Huard 2008, courtesy of CMN. Cliché O. Huard 2008 avec l'autorisation du CMN. Photo O. Huard 2008, courtesy of CMN. Plusieurs types de relief se rencontrent. Les hauts de sculpture n'ont pas été conservés, excepté pour la queue, la patte postérieure droite et une portion du canon de la patte postérieure gauche, traités en demi-relief. La fesse a été exécutée en haut-relief. Au regard de la vingtaine de centimètres de volume de la croupe pourtant rabaissée, le relief de cette sculpture devait être très épais, à l'image des autres sculptures de Cap-Blanc. Le ventre possède toujours près d'une dizaine de centimètres de relief au niveau du pli de l'aine. Comme pour les chevaux, le volume des pattes et de la queue est moindre (respectivement 3,5 cm et 1 cm) par rapport à celui du tronc. La technique de mise en relief « en bassin » (Delporte 1990) diffère de celles observées sur les chevaux (entités graphiques n° 1 et 3), mais s'apparente assez à celle de la zone arrière du premier cheval (entité graphique n° 1). Malgré les difficultés posées par le degré d'altération du support, il est clair que cette figure a bénéficié d'un traitement technique fin et soigné. Le jarret de la patte postérieure gauche est représenté par un modelé délicat qui contraste d'ailleurs avec le traitement des antérieurs des deux chevaux (entités graphiques n° 1 et 3). La fesse a été méticuleusement façonnée par de petits enlèvements oblongs jointifs (fig. 19). Des traces rouge profond apparaissent en deux endroits : trois points vifs dans le fond de sculpture du canon de la patte postérieure gauche et une plage très évanescente dans la zone écaillée en avant de la ligne ventrale. Cet animal a -t-il été volontairement limité à son arrière-train (Lalanne et Breuil 1911; Roussot 1972) ? Est-il alors postérieur ou antérieur au second cheval (entité graphique n° 3) ? Ou bien cette restriction anatomique résulte -t-elle d'une destruction, d'une retaille au profit de la représentation du second cheval du panneau (Leroi-Gourhan 1965) ? D'une manière générale, les figures fragmentaires se réduisent presque toujours à des segments anatomiques discriminants (tête, avant-train, ligne cervico-dorsale, ramure), le but étant, selon le principe de la synecdoque, de « caractériser et résumer tout l'animal » (Lorblanchet 1993 - p. 212). Les arrière-trains isolés sont rarissimes. Dans notre cas, la nature de l'animal est loin d' être évidente. Les représentations fragmentaires sont exceptionnelles dans l'art pariétal sculpté et sont alors presque uniquement des têtes. Par contre, des morceaux de sculptures animalières se retrouvent fréquemment le long des parois, témoins de retailles. Il est, en effet, frappant de constater que les Paléolithiques ont laissé les reliquats des anciennes sculptures qui ne pouvaient pas être incorporées aux nouvelles et n'ont manifestement pas cherché à les effacer (Iakovleva, Pinçon 1997; Pinçon 2008). Au regard de ces éléments, il nous semble peu probable que cet arrière-train soit une représentation fragmentaire en tant que telle. Alain Roussot a également soulevé l'hypothèse d'une sculpture inachevée (Roussot 1972). Cette figure devait initialement être retaillée dans le second cheval (entité graphique n° 3), mais pour une raison inconnue, elle a été abandonnée en cours de réalisation. Seul l'arrière-train a été exécuté. Si effectivement ce bas-relief devait être taillé dans la masse de l'entité graphique n° 3, nous avons bien du mal à comprendre pourquoi l'artiste a donné un tel volume à la croupe. Il est évident qu'en intégrant la zone de dégagement du poitrail de l'entité graphique n° 3, le relief du tronc allait être profondément surcreusé en son milieu. Le volume de la croupe aurait ainsi dû être moindre. Pour respecter les masses corporelles de l'animal, le relief de cette croupe aurait obligé l'artiste à un investissement technique considérable, en creusant très profondément le support pour dégager l'avant-train. Face à la grande maîtrise technique des œuvres du Cap-Blanc, une telle maladresse paraît peu plausible. L'hypothèse de la figure fragmentaire s'appuie également ici sur celle de la mise en perspective de cet arrière-train avec le deuxième cheval (entité graphique n° 3). Ce dernier, situé au premier plan, masquerait le corps du second dont seule la partie postérieure ressortirait (Lalanne et Breuil 1911; Roussot 1972). Cette hypothèse est séduisante, mais se heurte à quelques questions. La perspective est évoquée pour des exemples de recouvrement corporel plus réduit, comme pour les deux premiers chevaux de la frise (fig. 3) ou les entités graphiques n° 1 et 3 du panneau de l'alcôve. La forme étrange du tronc à son extrémité ne s'accorde pas avec cette interprétation. Son contour supérieur plonge brutalement de la croupe sous le museau du cheval. Pourquoi donner un tel aspect émacié au flanc ? Pourquoi ne pas avoir arrêté le contour au niveau de la croupe et plus largement empiété sur la figure, comme sur les autres exemples que comporte la frise ? Ou, pourquoi ne pas avoir repris ce contour en arrière du museau ? Ce tracé paraît en définitive plutôt avoir été contraint par le dessin du museau de l'entité graphique n° 3. À nos yeux, cet arrière-train serait ainsi le vestige d'une sculpture plus importante, partiellement détruite au profit de la réalisation du second cheval (entité graphique n° 3). La profonde dégradation de ces deux entités graphiques nous prive malheureusement de toute certitude, notamment quant à l'antériorité supposée de la n° 5. L'écaillage du flanc ne permet plus de percevoir l'éventuel creusement de la tête de l'entité graphique n° 3. Les techniques de mise en relief distinctes des deux sculptures vont cependant dans ce sens, d'autant que le dégagement de l'entité graphique n° 5 est comparable à celui de l'arrière-train de l'entité graphique n° 1 (premier cheval) que nous avons précédemment identifié comme appartenant à une œuvre antérieure (première étape d'élaboration du panneau). Contrairement à l'entité graphique n° 1 (premier cheval), la surface rabaissée du corps de l'entité graphique n° 3 (second cheval) nous empêche de discerner d'éventuels volumes du tronc et de l'avant-train de la sculpture antérieure. Toutefois, la hauteur, la forme et l'inclinaison de la tête de l'entité graphique n° 3 ainsi que son emplacement sur l'entité graphique n° 5, en avant de la croupe, concordent bien avec le dessin de la bosse dorsale d'un bison (fig. 21). Déjà avancée par A. Leroi-Gourhan, cette hypothèse d'une retaille de bison expliquerait d'ailleurs la forme inhabituelle de cette tête, ogivale et appointée et les proportions différentes de l'animal vis-à-vis des autres chevaux de la frise, pointées par A. Roussot : « ce cheval est moins allongé que les précédents, comme si le sculpteur n'avait pas disposé d'assez de place pour tracer la figure à sa juste taille » (Roussot 1972 - p. 110). Le ré-emploi de la bosse dorsale du bison a contraint la réalisation de la tête du second cheval (entité graphique n° 3), notamment ses dimensions et, en conséquence, les dimensions du corps tout entier. Relevé C. Bourdier 2008. Tracing by C. Bourdier 2008. Comme le premier cheval, le deuxième cheval aurait été réalisé aux dépens d'une sculpture antérieure. Dans cette hypothèse, il aurait été taillé dans une représentation de bison dont la bosse dorsale aurait été ré-utilisée pour la figuration de la tête. Le dégagement du cou et du poitrail du cheval aurait largement creusé le ventre du bison, dans toute sa hauteur, séparant l'arrière-train du reste du corps et créant la sculpture partielle que nous connaissons aujourd'hui (entité graphique n° 5). La projection des volumes présumés de ce bison initial (fig. 21) montre que les pattes antérieures du cheval pourraient correspondre à l'emplacement de celles du bison. Peut-être ont-elles été reprises et intégrées à la silhouette du cheval à la manière de la tête qui s'est fondue dans la bosse. Si, comme nous l'avons exprimé supra, nous ne pensons pas que l'entité graphique n° 5 procède d'une composition en perspective avec l'entité graphique n° 3, nous ne récusons pas la recherche d'un effet de profondeur après la sculpture de l'entité graphique n° 3 et l'isolement consécutif de l'arrière-train. Le contour du flanc de l'entité graphique n° 5 est surcreusé sur toute sa hauteur, par rapport à la zone de dégagement du poitrail du cheval. Ce surcreusement aménagé en pente douce participe à l'impression de perspective entre les deux figures. Il nous semble ainsi que, suite à la retaille partielle du bison en cheval, les Paléolithiques auraient conservé l'arrière-train du bison – fait assez fréquent lors de retailles - et auraient cherché à l'intégrer à la nouvelle composition en créant un jeu de profondeur, ce qui est, en revanche, plus singulier. Trois moments dans l'élaboration de l'ensemble graphique du panneau de l'alcôve sont ainsi apparus : un premier ensemble de deux sculptures monumentales de profil gauche (dont l'entité graphique n° 5 est un reliquat), retaillées et partiellement détruites pour laisser place à deux bas-reliefs monumentaux de chevaux de profil droit (entités graphiques n° 1 et 3), auxquels ont finalement été associés les deux petits bisons dans le registre inférieur, l'un piqueté et l'autre en relief gravé (entités graphiques n° 2 et 4). Les deux sculptures monumentales ayant précédé les chevaux (entités graphiques n° 1 et 3) partagent une même technique de mise en relief - par ailleurs distincte de celles mises en œuvre pour les chevaux - mettant en avant leur probable contemporanéité. Si la représentation antérieure au second cheval paraît être un bison (entité graphique n° 5), la nature de la figure précédant le premier cheval n'a pas pu être précisément définie, bien que les volumes vestigiels étudiés suggèrent un boviné représenté tête baissée. La projection sur les reliefs considérés d'une silhouette de bison est assez frappante. Elle n'en demeure pas moins hypothétique (fig. 22). Cliché C. Bourdier, avec l'autorisation du CMN. Photo C. Bourdier, courtesy of CMN. Les bas-reliefs monumentaux de chevaux (entités graphiques n° 1 et 3) constituent la deuxième étape graphique du panneau. Leur analogie – touchant à la fois aux dimensions, aux conventions graphiques et à leur attitude – plaide en faveur d'une réalisation commune. Elle répond à un véritable effet de composition, faisant écho à celle des deux premiers chevaux de la frise (fig. 3). Le premier cheval est inachevé au niveau de son arrière-main, soit que la sculpture ait été abandonnée avant son achèvement, soit que cet état d'inachèvement ait été voulu par les Paléolithiques. Les petits bisons (entités graphiques n° 2 et 4) diffèrent quant à leur technique et à la morphologie de leur ligne cervico-dorsale. Plus étonnamment, bien que beaucoup moins prononcée, la technique de mise en relief du second bison (entité graphique n° 4) est similaire à celle du premier cheval (entité graphique n° 1) : creusement oblique, abrupt, relativement large et régulier. Cette technique pourrait également être celle employée pour la ligne de dos du second cheval (entité graphique n° 3). Le lien avec le premier bison (entité graphique n° 2) est moins évident. Néanmoins, sa thématique, sa taille et son emplacement dans le registre inférieur du panneau le rapprochent immanquablement de l'autre bison. Rappelons qu'il s'appuie largement sur des éléments de la paroi : les macro-reliefs d'un écaillage pour le contour ventral et la patte postérieure, le relief de la patte antérieure droite du premier cheval (entité graphique n° 1) sur lequel il est exécuté pour la fesse et la croupe. Ses divergences vis-à-vis du second bison (entité graphique n° 4) pourraient ainsi être uniquement contextuelles. Pour la technique en particulier, le choix d'un piquetage léger pourrait répondre, comme l'avait déjà proposé A. Laming-Emperaire (1962), à la volonté d'épargner le premier cheval. Cette approche analytique du panneau de l'alcôve livre une vision plus complexe que celle de A. Roussot, en mettant en avant deux phases distinctes dans la construction du dispositif pariétal, avec deux ensembles graphiques bien individualisés. Un changement profond paraît effectivement s'opérer dans la composition entre une première étape avec des représentations monumentales de quadrupèdes (bisons ?) de profil gauche et une seconde étape où ces premières œuvres sont modifiées et partiellement détruites au profit de nouvelles sculptures monumentales de chevaux de profil droit, au repos, pattes jointes, tête basse. Dans cette deuxième phase, deux registres graphiques coexistent, à la technique, à la thématique et aux dimensions différentes : aux grands bas-reliefs de chevaux qui occupent tout le support sont associés dans la partie basse du panneau deux petits bisons, en léger relief. Dans l'hypothèse où les premières sculptures retaillées seraient des bisons, il est curieux de remarquer que les Paléolithiques n'ont pas hésité à les supprimer et à les remplacer par un nouveau thème (cheval), tout en conservant la thématique du bison en la ré-introduisant plus discrètement dans la composition. Ce panneau illustrerait une évolution de la thématique dominante et le changement de statut du bison au sein du discours pariétal. Cette dynamique de l'ensemble graphique pariétal n'est pas un fait exceptionnel. Ces mécanismes de retaille sont connus et de plus en plus documentés sur les frises pariétales sculptées depuis le Solutréen : Roc-de-Sers (Tymula 2002), Roc-aux-Sorciers (Iakovleva, Pinçon 1997; Pinçon 2008), Chaire-à-Calvin (Pinçon, Bourdier 2009), Reverdit (Bourdier 2009). Ce phénomène de transformation se rencontre par ailleurs dans de nombreux ensembles pariétaux peints et/ou gravés, en grottes profondes ou en plein air, où les œuvres, à défaut d' être techniquement détruites (retailles), sont masquées et effacées par un phénomène d'accumulation et de recouvrement (Combarelles, Font-de-Gaume, Foz Cõa, Pair-non-Pair…). Demeure la difficulté - pour ne pas dire notre incapacité en l'état actuel - à évaluer le laps de temps séparant les divers moments de création graphique. Les sites ornés et occupés offrent la possibilité d'appréhender cette chronologie pariétale par l'étude stratigraphique de leur remplissage (recouvrement des œuvres, éléments ornés effondrés dans les niveaux archéologiques) et encore par l'analyse du matériel archéologique au regard de la problématique pariétale (tracéologie du matériel lithique, études physico-chimiques des traitements des pigments, datations directes). Au Cap-Blanc, ces informations ne sont plus accessibles. Nous serions tentés de lier la dynamique graphique du panneau de l'alcôve à l'expression de deux « cultures » (techno-complexes) successives, en raison des retailles, c'est-à-dire d'un phénomène fort et définitif de destruction de sculptures antérieures au profit de nouvelles. Les études en cours sur le site du Roc-aux-Sorciers (Angles-sur-l'Anglin, Vienne) révèlent, au contraire, de profonds remaniements techniques et thématiques du dispositif pariétal (gravures fines remplacées par une frise sculptée avec au moins un épisode de retaille clairement identifié) au sein du même techno-complexe, le Magdalénien moyen (III) à sagaies de Lussac-Angles (Iakovleva, Pinçon 1997; Pinçon 2008). Cette étude du panneau de l'alcôve offre également de nouveaux critères techniques et graphiques d'attribution chrono-culturelle. Les deux ensembles graphiques paraissent s'ancrer pleinement dans la tradition magdalénienne. Ils présentent de multiples parallèles avec les ensembles sculptés du Magdalénien moyen, notamment avec le site poitevin du Roc-aux-Sorciers : monumentalité des représentations, division technique et thématique de l'espace graphique (grands bas-reliefs sur le registre principal, petits reliefs légers sur le registre inférieur), anneaux réalisés sur les jarrets (fig. 23) (Iakovleva, Pinçon 1997). Cliché L. Iakovleva, G. Pinçon - DRAC Poitou-Charentes - (Iakovleva, Pinçon 1997, fig. 1). Photo L. Iakovleva, G. Pinçon - DRAC Poitou-Charentes - (Iakovleva, Pinçon 1997, fig. 1). La technique de mise en relief de la première phase de décor (relief en bassin de la zone en arrière de l'entité graphique n° 1 et de l'entité graphique n° 5) se rencontre également sur la frise de l'abri Reverdit (Sergeac, Dordogne) (fig. 24), rapportée au Magdalénien moyen (III), seule période d'occupation jusqu' à présent identifiée sur le site (Bourdier 2009). Même s'il est difficile de juger des conventions graphiques en raison de l'altération des œuvres, les chevaux montrent un respect des proportions anatomiques et des masses internes de l'animal. Les rapprochements régulièrement évoqués avec le cheval de la grotte voisine de Comarque (Delluc et Delluc 1981), en raison de sa taille grandeur nature (2,35 m) et du traitement détaillé de sa tête (œil, naseau, modelé de la bouche), sont ici inapplicables, les têtes des chevaux n'étant pas conservées. Les deux morphologies de ligne cervico-dorsale de bisons se retrouvent dans l'art pariétal magdalénien, notamment dans les dispositifs pariétaux locaux des Combarelles, de Font-de-Gaume ou de Rouffignac dont l'attribution chrono-culturelle demeure problématique (nombre de phases de décor, quelle place au sein du Magdalénien etc). Cliché A. Maulny 2007 avec l'autorisation de I. Daumas-Castanet. Photo A. Maulny courtesy of I. Daumas-Castanet. Ces œuvres ne s'accordent pas, en revanche, avec les sculptures solutréennes dont elles ne partagent ni les conventions graphiques (« animaux-bassets » à membres courts et ventre pendant de A. Leroi-Gourhan) (Leroi-Gourhan 1965; Tymula 2002), ni les dimensions. Si au Fourneau-du-Diable les limites définies du bloc ont pu influer sur la taille des figures, cette éventuelle contrainte du support sur les dimensions données aux œuvres ne semble pas être intervenue au Roc-de-Sers dont les fragments ornés appartenaient à une frise pariétale, partiellement effondrée suite au recul du front rocheux de la falaise (Tymula 2002). Bien que les différentes techniques de mise en relief employées au Magdalénien soient inventées dès le Solutréen (Tymula 2002), les sculptures magdaléniennes se distinguent par un relief généralement plus prononcé. Dans le même temps, ce panneau dévoile des spécificités propres au Cap-Blanc à travers les dimensions impressionnantes de ses sculptures (de ses deux ensembles graphiques), le dégagement très profond et abrupt des bas-reliefs de chevaux et la composition de ces deux chevaux où la tête de l'un masque l'arrière-train de l'autre par un effet de perspective. Ces singularités empêchent toute précision chronologique entre une phase moyenne du Magdalénien et un stade plus avancé. Cette approche analytique livre une image plus complète et fidèle de cet ensemble graphique si complexe et si dégradé de l'alcôve qui a pourtant su garder toute sa force esthétique. Elle offre une vision renouvelée d'une portion de la frise pariétale du Cap-Blanc. Elle apporte une nouvelle contribution à la question de l'attribution chrono-culturelle que la reprise du matériel archéologique devrait permettre, nous l'espérons, d'éclairer davantage .
La reprise partielle de l'étude de l'art pariétal de l'abri de Cap-Blanc a mis en lumière de profondes modifications de la frise au cours du temps. Le relevé analytique de la partie droite de la frise (panneau de l'alcôve) révèle une stratigraphie graphique complexe illustrant deux phases distinctes dans la construction du panneau. Celles-ci sont liées à la création de deux ensembles graphiques successifs bien individualisés: un premier ensemble de deux sculptures monumentales de profil gauche (bisons ?), retaillées et partiellement détruites pour laisser place à un second ensemble de deux bas-reliefs monumentaux de chevaux de profil droit, auxquels ont été associés deux petits bisons dans le registre inférieur, l'un de profil gauche en relief gravé et l'autre de profil droit en relief modelé. Cette évolution du dispositif pariétal permet de jeter un nouveau regard sur la dynamique d'occupation de l'abri et sur le cadre chrono-culturel des œuvres par des termes de comparaison affinés et renouvelés avec les autres sites sculptés du sud-ouest de la France.
archeologie_12-0023826_tei_198.xml
termith-28-archeologie
Lors des prospections effectuées sur les affleurements de meulières tertiaires situées entre les vallées de la Dordogne et du Lot, de nombreuses traces d'exploitation ont été repérées. L'examen des déchets a permis d'identifier des stigmates de taille comparables à certains observés dans des séries archéologiques issues des gisements préhistoriques de Dordogne, Les Tares commune de Sourzac (Rigaud et Texier 1981; Geneste et Plisson 1996), La Micoque (Peyrony 1938) ou encore certaines couches de Moustérien de type Quina de Combe-Grenal (Bordes 1972). La rencontre fortuite avec les deux derniers meuliers, Monsieur Mazet puis Monsieur Caramel, nous a permis d'analyser les techniques et les gestes de mise en forme des meules en silex. Ce sont ces recherches et leurs résultats ainsi que la comparaison avec des observations faites sur des industries préhistoriques du Périgord que nous présentons ici. En France, l'industrie meulière a été, durant plusieurs siècles, très florissante avec deux principaux centres, la région de La Ferté-sous-Jouarre et d'Epernon dans le Bassin parisien et la rive gauche de la vallée de la Dordogne entre Domme et Bergerac pour le Bassin aquitain (Agapain 2002). En Périgord, les premiers témoignages écrits du début du XVII e siècle (Gibert 1990) concernent le plateau de Bor à Domme (dit aussi « Born » ou Bord »). Au XVIII e siècle, comme par le passé, on utilise toujours des blocs de meulières (pierres, rocs ou « braziers ») affleurants ou éparpillés sur les pentes, dans les bois ou les terres cultivées du pourtour du plateau. Petit à petit, les récoltes de surface font place à des recherches en profondeur. Les propriétaires du terrain prennent progressivement conscience de la valeur des blocs de meulière. Outre l'indemnisation toujours perçue pour les dommages occasionnés à leurs arbres ou cultures, ils demandent d'abord un droit de tirage cédé (10 livres en 1700, jusqu' à 300 livres en 1780) puis à partir de 1740, à être associés aux résultats sous forme du versement d'une indemnité par meule fabriquée. L'extraction, l'ébauchage, l'assemblage et le travail de finition (perçage de l' œil et mise en forme définitive) sont faits sur place par les mêmes ouvriers. Pour le transport, on fait appel aux bateliers (Gibert 1986). Au début du XIX e siècle, le département de la Dordogne exporte environ 400 meules par an. Elles proviennent de la rive gauche de la Dordogne entre Grolejac et Monbazillac et sont transportées par bateau jusqu' à Bordeaux où les négociants les vendent sous l'appellation « pierre blanche de Bordeaux ». Dans le département de la Dordogne, en terme de production, le plateau de Bor se place au second rang derrière les carrières de Conne-de-la-Barde et Saint-Aubin-de-Lanquais (Villepelet 1912). L'ouverture des carrières et l'exploitation de bancs, grâce à une meilleure connaissance de la géologie locale, multiplient la quantité de pierre accessible. La spécialisation entre extracteurs et fabricants s'accélère. Les meules ne sont plus faites dans les carrières. En ces lieux, travaillent les terrassiers qui dégagent le banc de silex et évacuent les déblais et les carriers qui dégrossissent les meules. Dans les ateliers, les ouvriers bâtissent les meules, les finissent. Les charrons les cerclent. Le produit fini est descendu aux ports sur la Dordogne pour être transporté par gabarre. L'arrivée du chemin de fer qui concurrence la voie fluviale entraîne le déplacement des activités, celles de montage et finition. Enfin l'arrivée, à la fin du XIX e siècle, en Périgord de spécialistes du principal centre de production français de la Ferté-sous-Jouarre (la Société Générale Meulière), va donner un essor sans précédent à cette activité (Lacombe 2000). Au début du XX e siècle, l'industrie meulière est l'un des piliers de l'économie de la vallée de la Dordogne. Bon nombre d'habitants de Domme et bien des petits cultivateurs des communes environnantes (Grolejac, Nabirat, Cénac. ..) viennent y chercher le travail complémentaire nécessaire à leur survie. On compte alors une centaine de meuliers qui travaillent par groupes de deux ou de trois. Les racines du déclin sont à rechercher dans l'apparition des broyeurs à cylindres d'acier au cours des années 1870. L'incapacité pour la majeure partie des entreprises de meunerie d'acquérir ces nouvelles machines et donc de se moderniser facilita la coexistence jusqu' à la première guerre mondiale. Les pertes maritimes liées aux sous-marins allemands perturberont considérablement le commerce et feront perdre de nombreux clients lointains qui se retourneront vers les industries métallurgiques proches et aptes à fournir les machines nécessaires à la production de farine. Malgré une diversification des produits, avec notamment la fabrication de pavés destinés au revêtement des tubes-broyeurs, le déclin est amorcé. Dans les années 1920, à Domme et Cénac, la Société Générale Meulière n'emploie plus qu'une cinquantaine d'ouvriers spécialisés. Malgré sa position de quasi monopole, cette société ne résistera pas aux effets conjugués de la seconde guerre mondiale (mobilisation puis occupation) et de la modernisation d'après-guerre. En 1953, la Société Générale Meulière dépose le bilan et les ouvriers sont licenciés. Les ateliers de montage sont détruits et les éléments de meules et produits finis sont enterrés : les derniers meuniers ne pourront plus trouver de meules et seront donc obligés de changer le système de mouture ou de disparaître. Quelques irréductibles, comme Maurice Mazet, profiteront de la demande pour poursuivre le travail du silex, avec principalement la production de pavés (Durrens 1984). En 1963, cette activité s'éteindra définitivement. Ils sont observables sur tous les éclats de mise en forme des meules mais aussi des pavés et sont caractéristiques de la fracturation en split (Crabtree 1972), c'est-à-dire une fracturation dans l'axe d'un coup violent, fracturation non conchoïdale mais plutôt assimilable à un « fendage ». La surface d'éclatement est toujours plate, ce qui rend difficile, voire impossible, de faire la différence entre le négatif et le positif d'un plan de fracturation et de distinguer le fragment détaché du nucléus en raison de l'absence de bulbe de percussion (Turq 2003). La plupart des produits obtenus par cette technique ne présentent pas de point d'impact mais un écrasement linéaire de quelques millimètres de long avec une petite perte de matière. L'angle formé par la surface d'éclatement et la zone de plan de frappe est proche de 90°. Les rides de front de fracture partent en cercles concentriques depuis la zone d'impact décrite ci-dessus. En partie distale, il n'y a pas ou très rarement de trace de contrecoup. Par contre, à partir de la zone de percussion et en position désaxée par rapport à l'axe de débitage, se développe souvent un petit décalage anguleux (assimilable à une macrolancette) qui forme sur le front de fracture une sorte de micro-marche d'escalier. Notre enquête auprès de deux des derniers meuliers, Monsieur Caramel et Monsieur Mazet, nous a permis : de reconstituer l'ensemble de la chaîne opératoire de production (voir tabl. 1), depuis le banc de silex jusqu' à l'objet fini, quartiers, pièces de meules, meules entières ou pavés; d'observer, de faire un apprentissage des gestes donc de les reproduire et d'obtenir les mêmes stigmates. La production de ces déchets n'existe que dans une seule partie de la chaîne opératoire, lors de la mise en forme des pièces. Ils sont obtenus par l'utilisation d'outils en fer emmanchés (fig. 2), sortes de masses (les « têtus ») ou de doubles haches très épaisses au tranchant rectiligne (les « couperets »). Quant aux silex, il ne s'agit pas de blocs de quelques kilos mais de fragments de bancs de plusieurs dizaines voire centaines de kilos. L'obtention des stigmates découle de la position de la pièce à travailler et de la manière d'utiliser l'outil : dans tous les cas, la pièce à débiter ou à fragmenter est posée soit sur une ou plusieurs cales (lors de la fragmentation des blocs), soit à plat sur une surface épousant au mieux sa forme (pour le dégrossissage et la mise en forme), comme une zone herbeuse ou un épandage de déchets de taille. Une partie de l'onde de choc produite par le coup porté avec le couperet ou le têtu est renvoyée par la ou les cales (qui doivent être placées à la verticale du point d'impact) ou de manière plus diffuse par le sol. Le fait que les rides soient toujours unidirectionnelles montre qu'ici, on ne recherche pas un véritable contrecoup comme dans le cas d'une percussion posée sur enclume; l'approche de la fragmentation est différente. Chaque coup de percuteur n'a pas forcément pour but de fracturer la matière ou de détacher des éclats ou des fragments. Des premiers coups marquent la matière en surface et déterminent l'orientation de la ligne de fracture attendue. Ce n'est qu'après au moins trois ou quatre de ces coups qu'un dernier choc porté sur la surface la plus plane détache l'enlèvement. C'est autour de ce dernier point d'impact que se développent les stigmates décrits; le geste consiste à mettre en contact, non pas un point de l'outil, mais une partie voire la totalité de son tranchant qu'il soit axial (dans le cas du couperet) ou latéral (pour le têtu). L'impact du coup se matérialise par une ligne correspondant à la longueur du tranchant mise en contact avec le silex (fig. 3). La marque est un trait plus ou moins blanchâtre le long duquel la matière est écrasée et réduite en poudre. Malgré cette extension du contact, l'initiation de la fracture se développe à partir d'un point très précis; les coups sont portés perpendiculairement à la surface du bloc, le plus verticalement possible, non pas en faisant appel à la force mais à la vitesse. Ainsi, obtient-on un angle de détachement proche de 90° qui est l'angle recherché pour mettre en forme, équarrir le pavé ou la meule, objets qui s'inscrivent dans des plans sécants perpendiculaires. Lors de la révision des collections du Paléolithique ancien et moyen conservées au Musée national de Préhistoire des Eyzies, ces stigmates ont été retrouvés dans les séries des Tares (Geneste In Delpech et al. 1995), à La Micoque dans les couches 4 et 6 (fouilles D. Peyrony) et plus rarement, dans certaines couches de Moustérien de type Quina de Combe-Grenal (notamment la couche 17 des fouilles F. Bordes). Cette technique de débitage est pratiquée exclusivement sur des galets de rivière présentant soit du néo-cortex soit un cortex pelliculaire (le cortex d'un rognon de silex amortit trop le choc et rend cette technique inopérante). La plupart des produits obtenus présentent une zone d'impact très réduite (petite perte de matière inférieure à 5 mm de long au niveau du talon). La surface inférieure est toujours plate ou légèrement convexe et la progression du front de fracture est marquée de rides partant en cercles concentriques depuis la zone de point d'impact décrite ci-dessus. Il n'y a pas de convexité ou de concavité bulbaire et, habituellement, pas d'esquille supplémentaire détachée de la face d'éclatement. En revanche, il existe parfois un petit ressaut allongé se développant sur la face inférieure et désaxé par rapport à l'axe de débitage du support. Rares sont les pièces réunissant les stigmates qui définissent le type de débitage qualifié de bipolaire (Breuil 1954 : 10) ou de débitage sur enclume (Bordes 1947) : bulbes opposés, écrasement des extrémités distales, larges esquilles bulbaires qui parviennent à filer sur toute la face inférieure, surfaces d'éclatement très planes, détachements multiples superposés. En prenant en compte l'ensemble des données archéologiques (stigmates sur les supports, morphologie des percuteurs) et le gestuel observé chez les meuliers (bloc posé ou calé, geste vertical), nous avons mis en place un protocole expérimental. Ont été utilisés des nodules roulés de silex sénoniens issus de gravières identiques à ceux utilisés dans les sites des Tares ou de La Micoque, des percuteurs en quartz (comme ceux retrouvés dans les sites mais présentant des morphologies variées), ronds, oblongs avec un côté assez étroit ou une arête anguleuse longitudinale. C'est avec les galets présentant une arête et le bloc posé que nous obtenons les stigmates identiques à ceux observés sur le matériel archéologique. L'analyse de la chaîne opératoire de production des meules, l'apprentissage des gestes, l'examen de matériel archéologique du Paléolithique inférieur et moyen et des tests expérimentaux ont permis de mettre en évidence une série de points importants. L'obtention systématique et volontaire d'une fracture en « split » à partir d'une surface plane (et pas seulement à partir d'un pôle arrondi comme dans la percussion bipolaire sur enclume) ne peut être obtenue que : sur un bloc posé et/ou calé (sur un sol meuble ou à la rigueur sur la cuisse); par une percussion directe, assez en retrait du bord du plan de frappe; par un contact entre le percuteur et la matière ne s'exerçant pas sur un point mais sur une ligne. La fracture du bloc se fera dans l'axe de la ligne de contact marquée tant sur le nucléus que sur le fragment détaché (éclat) par un écrasement quelque peu étendu (un demi à un centimètre) avec une légère perte de matière. La nature du percuteur dur, en fer dans le cas de l'industrie meulière, en quartz ou métaquartzite dans les industries paléolithiques, ne semble pas jouer un rôle déterminant, dans la mesure où il est assez dur et résistant pour être utilisé plusieurs fois. Dans ces conditions, cette technique de percussion dure verticale à touche rectiligne s'avère assez bien contrôlable et efficace pour procéder au dégrossissage et au fractionnement de blocs de petite à moyenne dimension, ainsi qu' à leur débitage en quartiers ou tranches à valeur d'éclats épais. Bien que son mécanisme physique (le fendage en split) la rapproche de la percussion bipolaire sur enclume, ordinairement mise en jeu pour fendre en deux des galets ou petits nodules ovoïdes, ou encore pour en tirer des esquilles, elle mérite d'en être distinguée pour sa spécificité - la touche rectiligne -, spécificité qui lui donne une gamme d'emploi plus large et une meilleure prédétermination de la fracturation. Déjà identifiée dans plusieurs séries du Paléolithique moyen ancien du sud-ouest de la France, comme nous avons pu le documenter ici, alors qu'elle semble inconnue dans bien d'autres, elle peut prendre la valeur d'un marqueur technique. Il est donc pertinent de penser à la reconnaître lors de l'étude de collections, tout en précisant son spectre d'emploi : fractionnement jusqu'au dégrossissage de nodules roulés ou galets et/ou véritable débitage systématique de supports épais .
La présence de stigmates de taille particuliers (fracture en split) dans des industries préhistoriques du Paléolithique inférieur et moyen du Périgord et dans les déchets de taille de fabrication de meule, nous a conduit à en rechercher les modalités d'obtention. L'analyse de la chaîne opératoire de production avec la collaboration des deux derniers facteurs de meules nous permet d'avancer que ces stigmates sont obtenus par une percussion directe verticale avec recherche systématique d'un contact rectiligne du percuteur sur la matière.
archeologie_12-0217492_tei_182.xml
termith-29-archeologie
Les débats concernant les activités de prédation des Moustériens se sont particulièrement concentrés sur le mode d'acquisition des proies. Les Moustériens pratiquaient-ils la chasse et le charognage (ex. Binford, 1988; Chase 1988; Jaubert et al., 1990; Brugal et Jaubert, 1991; Grayson et Delpech, 1994; Stiner, 1994; Farizy et al., 1994; Fosse et al., 1998; Speth et Tchernov, 1998) ? S'ils étaient chasseurs, quels outils employaient-ils pour abattre les proies (ex. Veil, 1990-1991; Boëda et al., 1999), sélectionnaient-ils leurs prises selon l'espèce, selon l' âge, ont-ils consommé leurs proies sur le lieu de chasse ou bien effectuaient-ils un transport de certaines parties anatomiques en dehors du site d'abattage (ex. Chase, 1987; Farizy et David, 1992; Auguste, 1993; Patou-Mathis, 1993) ? En revanche, la question de l'organisation des activités de prédation en fonction des saisons a été rarement abordée. Les partisans d'une économie de subsistance moustérienne basée principalement sur le charognage n'ont pas discuté ce point, l'acquisition de la nourriture étant dans ce cas opportuniste et non planifiée (Binford, 1989). L'hypothèse d'un choix des proies en fonction de la saison a le plus souvent été testée dans des gisements où un grand mammifère domine largement, reflet vraisemblable d'abattages en masse (Slott-Moller, 1990; Brugal et David, 1993; David et Farizy, 1994; Brugal, 1999). En définitive, il n'existe que peu de données sur la saisonnalité des comportements de prédation pour des sites moustériens à faune variée (voir cependant les travaux de Lieberman, 1993a; Pike-Tay et al., 1999 pour des sites qui ne sont pas des sites d'abattage). Les saisons étant une des causes importantes de variation des ressources disponibles, l'économie de subsistance des chasseurs-cueilleurs est fortement influencée par les variations saisonnières (Kelly, 1995). L. Binford a ainsi modélisé l'ampleur et la fréquence des déplacements saisonniers en fonction de l'environnement (Binford, 1980). Ces comportements pourraient, selon certains auteurs, être différents d'un groupe humain à l'autre : les Néandertaliens auraient souvent exploité intensément, pendant plusieurs saisons successives, l'environnement immédiat de chaque site occupé, tandis que les hommes anatomiquement modernes auraient adopté un comportement plus complexe, spatialement et temporellement plus organisé au sein du territoire (Lieberman, 1993b, 1998; Lieberman et Shea, 1994; Pike-Tay et al., 1999). Notre objectif est de déterminer si l'ensemble faunique du niveau 4 de Pech-de-l'Azé I (Carsac, Dordogne), attribué au Moustérien de tradition acheuléenne, témoigne d'une organisation saisonnière des comportements de prédation. Cet article présente les premiers résultats obtenus dans ce sens à partir des deux taxons prépondérants dans l'ensemble faunique. Dans un prochain travail qui portera sur la totalité des taxons de grands mammifères du gisement, nous discuterons de la fréquence des déplacements saisonniers que l'on pourrait inférer de la saisonnalité des comportements de prédation. Nous développons particulièrement ici les modalités d'échantillonnage que nous avons adoptées dans le cadre d'une analyse basée sur la cémento-chronologie ainsi que les voies d'interprétation possibles des résultats obtenus sur le Cerf et le Bison qui constituent plus de 80 % des restes déterminés spécifiquement (cf. infra). Le gisement de Pech-de-l'Azé I (Carsac-Aillac, Dordogne) est situé dans un paysage ponctué de petites collines, les “pechs” du Sarladais. Il se trouve au pied d‘une falaise, à l'entrée d'une grotte s'ouvrant à 40 mètres au-dessus du vallon. A quelques centaines de mètres du site, une source donne naissance au ruisseau de Farge. Ce gisement a livré plusieurs niveaux de Moustérien de tradition acheuléenne (Vaufrey, 1933; Bordes, 1954-1955, 1972). Les premières analyses des processus de formation du site effectuées par J.-P. Texier (In Soressi et al., sous presse) montrent que l'enfouissement des ensembles archéologiques résulte principalement de l'éboulisation des parois et du toit d'une ancienne cavité; le ruissellement a également participé à la sédimentogenèse mais de façon moins importante. On peut donc inférer que le matériel archéologique constitue un ensemble déposé et abandonné sur le site, n'ayant probablement pas subi d'importants remaniements. L'assemblage faunique du niveau 4 attribué au Moustérien de tradition acheuléenne de type A (Bordes, op. cit.) est constitué d'environ 4000 restes. Cette accumulation de restes fauniques n'est pas due à l'existence d'un piège naturel : les squelettes ne sont pas complets et n'ont pas été retrouvés en connexion; les segments anatomiques ne se sont pas fracturés naturellement. Les principaux arguments qui permettent de montrer qu'il s'agit d'une accumulation d'origine anthropique et non d'une accumulation ayant pour origine les carnivores sont les suivants (Laparra, 2000) : les restes de Carnivores sont peu abondants (tableau 1); les proies sont représentées par une majorité de sujets adultes; les segments représentés ne correspondent pas à ce que l'on trouve dans les repaires de Carnivores : en particulier au niveau des restes crâniens dont la quantité augmente avec la taille des Herbivores; enfin, les traces de Carnivores sont rares (une seule pièce porte des traces de régurgitation) tandis que les traces anthropiques (stries de découpe, stries de raclage, “retouchoirs ”, combustion) sont présentes sur plus de 15 % des pièces. Le cortège faunique est moyennement varié. Au sein des Herbivores, on trouve par ordre d'importance décroissant : le Cerf, le Bison, le Renne, l'Aurochs, le Chevreuil et le Cheval. Pour les Carnivores, seul le Renard a été déterminé (Laparra, 2000). Cette association indiquerait des conditions climatiques peu rigoureuses permettant à des espèces de forêt comme le Chevreuil, de se développer. Quant au Cerf, il est de grande taille (Cervus elaphus), comme celui du Würm ancien supérieur (Guadelli, 1987). Ces deux informations combinées et le fait que l'industrie associée soit moustérienne nous conduisent à penser que la couche 4 de Pech-de-l'Azé I se serait déposée au cours du stade isotopique 3, c'est aussi ce qu'avait proposé C. Laparra (2000). Les datations radiométriques en cours (H. Jones et J. Rink, Mc Master University, Canada) permettront de tester cette proposition d'attribution chronologique. Il existe plusieurs méthodes d'étude des saisonnalités. Elles se fondent principalement sur le cycle de croissance et de chute des bois, sur le degré de maturation des os de jeunes ou de fœtus, sur les stades d'éruption et d'usure des dents ou sur la croissance du cément dentaire. A Pech-de-l'Azé I, les bois, les os de fœtus ou de jeunes individus étant rares ou absents dans l'ensemble faunique, une analyse basée sur les dents s'est imposée. La méthode cémento-chronologique a été privilégiée puisqu'il s'agit de la seule méthode autorisant l'analyse des individus adultes aussi bien que des juvéniles. La cémento-chronologie exige un protocole d'analyse long et coûteux. Or, il n'est pas possible d'évaluer macroscopiquement sur des dents entières l'état de conservation structurelle du cément. Nous avons donc jugé utile, en préalable à l'étude exhaustive du niveau, d'analyser quelques dents en section pour nous assurer de la bonne conservation du cément dans cet ensemble. Dans le cadre de cette analyse préliminaire, nous avons choisi d'étudier un échantillon prélevé au sein des deux taxons les mieux représentés dans le niveau 4 : le Cerf et le Bison. Pour nous assurer de ne pas analyser plusieurs fois le même individu, la première étape de notre échantillonnage a consisté à calculer le NMI c (voir Flannery, 1967) en regroupant les restes dentaires pouvant provenir des mêmes individus. On peut estimer qu'au minimum 16 cerfs et 6 bisons sont représentés dans l'ensemble faunique. Notre méconnaissance de la dimension de la population d'origine implique l'impossibilité d'estimer la représentativité de l'échantillon étudié (Drennan, 1996), comme cela est souvent le cas dans des sites fouillés anciennement. Il est donc essentiel d'analyser le maximum d'individus pour lesquels cela est techniquement possible, chacun d'eux attestant d'un comportement qui confirmera ou apportera de nouveaux éléments aux observations faites sur les autres individus. Par ailleurs, un facteur essentiel pour analyser un échantillon non biaisé en terme de population est celui de l' âge des individus étudiés. Nous avons donc choisi de travailler sur les premières molaires qui se mettent en place dans les premiers mois de vie des bisons et des cerfs. En analysant le cément de ces dents, on s'assure d'intégrer dans l'étude toutes les catégories d' âges y compris les très jeunes individus. Finalement, l'échantillon choisi représente la moitié des individus aussi bien pour le Cerf (8/16) que pour le Bison (3/6). La cémento-chronologie s'appuie sur les marques de croissance présentes dans le cément dentaire, mises en évidence pour la première fois en 1959 sur des dents d'Elan (Sergeant et Pimlott, 1959). Le cément est un tissu calcifié assez proche histologiquement du tissu osseux. Il se dépose à la surface des racines des dents de mammifères, de manière continue, depuis la sortie de la dent (ou peu de temps avant) et jusqu' à la mort de l'animal. Sa fonction principale est d'assurer la liaison entre la dent et l'os par l'intermédiaire du parodonte, lui -même lié au cément par des faisceaux de fibres disposés perpendiculairement à l'axe des racines, les fibres de Sharpey (Haas, 1977). Observé en lame mince sous une lumière polarisée transmise, le cément est composé d'une succession de bandes, parallèles à la surface de la dent et présentant des qualités optiques différentes : des bandes claires alternent avec des bandes sombres relativement plus fines. Ces différences optiques seraient la manifestation de l'effet de biréfringence de la lumière polarisée sur les cristaux contenus dans le cément (Lieberman et al., 1990; Lieberman et Meadow, 1992). Les facteurs à l'origine de la formation des bandes de cément ne sont pas encore précisément connus, ceux qui sont les plus couramment évoqués sont les changements hormonaux (Kolb, 1978), le stress nutritionnel (Low et Cowan, 1963), ou les variations dans la qualité de la nourriture (Lieberman, 1994) et les différences climatiques saisonnières (Klevezal et Kleinenberg, 1967). Quoi qu'il en soit, les nombreux travaux réalisés sur des dents provenant d'individus actuels ont montré que, pour la plupart des mammifères des régions tempérées, les zones sombres du cément dentaire (que nous appellerons “ligne de repos ”) se forment pendant les mois d'hiver, alors que les zones claires (“ bandes de croissance ”) se forment pendant le reste de l'année. La nature et l'épaisseur relative du dernier dépôt de cément permettent d'évaluer la saison de la mort de l'animal. La cémentochronologie a été validée par des référentiels actualistes pour les deux taxons que nous présentons dans ce travail préliminaire. Le Cerf, en particulier, a été étudié abondamment (Mitchell, 1963, 1967; Grue et Jensen, 1979; Haas, 1977; Pike-Tay, 1991; Martin, 1994) sur la base d'échantillons comprenant plusieurs centaines d'individus, près de deux mille pour B. Mitchell (Mitchell, op. cit.). Toutes les données de ces travaux concordent pour définir une période de formation de la ligne de repos (pour les cerfs des régions tempérées de l'hémisphère nord), allant de janvier à avril, c'est-à-dire pendant les mois d'hiver. Pour le Bison, la littérature est moins riche en études cémento-chronologiques actualistes. Le travail de Klevezal et Pucek (Klevezal et Pucek, 1987) n'est pas exploitable puisque les résultats sur les périodes de formation des bandes de cément, regroupent les données concernant à la fois des bisons européens, des hybrides bison/bœuf et des bœufs domestiques. Novakowsky (Novakowsky, 1965) a montré à partir d'un échantillon de 97 bisons actuels, que les périodes de formation des bandes de cément semblent être les mêmes que pour les autres espèces de mammifères. Il compare les résultats ainsi obtenus avec ceux issus d'autres méthodes de détermination de l' âge des mammifères : stades d'usure dentaire, poids du cristallin et poids de la carcasse. Quant à G. Armstrong (Armstrong, 1965), son étude cémento-chronologique réalisée sur quatre bovidés (Bison bison bison, Ovis canadensis canadensis, Oreamnos americanus americanus et Bos taurus) met en évidence que la ligne de repos du cément dentaire chez le Bison se forme pendant les mois d'hiver, alors que la bande de croissance se forme du printemps à l'automne. Nous utiliserons donc ces données et nous considérerons que la ligne de repos du cément dentaire, pour le Cerf comme pour le Bison, se forme durant les mois d'hiver. Avant de réaliser la préparation proprement dite des dents, des moulages en silicone ont été réalisés afin de conserver une copie fidèle de chaque échantillon. Les dents ont ensuite été préparées en lames minces suivant la méthode décrite par Ch. Griggo et E. Pubert (Griggo et Pubert, 1999). Elles ont été incluses dans un bloc de résine polyester et coupées selon un axe longitudinal, puis la surface de coupe de l'une des deux parties que nous avons obtenues a été polie et collée sur une lame de verre. L'épaisseur du bloc a ensuite été réduite sur une rectifieuse et sur un tour de polissage. Il n'y a pas d'épaisseur standard, les lames doivent être observées au fur et à mesure de l'amincissement, jusqu' à obtention d'une vision claire des bandes de cément. L'observation des lames a été faite dans un premier temps sur microscope en lumière transmise naturelle et polarisée. La série fut observée à plusieurs reprises dans un ordre aléatoire, en lumière naturelle afin de repérer les limites internes (jonction dentine cément) et externe du cément, puis en lumière polarisée afin d'identifier la formation en couches du cément. Pour chaque série d'observations, le nombre de bandes de cément ainsi que la nature et l'épaisseur relative de la dernière bande ont été notées. Pour déterminer la saison de mort, nous avons utilisé le protocole suivant : chacune des bandes de cément est subdivisée en trois parties (début, milieu ou fin de bonne ou de mauvaise saison) et l'état d'avancement du dernier dépôt de cément est évalué par rapport au dépôt de qualités optiques identiques qui le précède (cf. tableau 2). Au terme de nos observations, les résultats ont été regroupés dans un tableau afin d'identifier des discordances importantes entre les observations sur un même individu. Si des zones non adjacentes, telles que DBS et MS, ont été enregistrées dans les lectures successives d'une même lame, la lame a été considérée comme illisible. Dans un deuxième temps, les bandes de cément ont été analysées à l'aide d'un appareil photo numérique monté sur microscope et d'un logiciel d'analyse d'image, NIH Image de Wayne Rasband. Ce programme, dont l'utilité en cémento-chronologie a déjà été largement prouvée (Lieberman et al, 1990; Lieberman et Meadow, 1992; Burke, 1995; Griggo et Pubert, 1999), représente graphiquement les bandes de cément en se basant sur l'intensité lumineuse de chaque point de l'image. Cette méthode d'analyse ne peut remplacer la lecture directe sur microscope car celle -ci permet de définir les limites de la zone mesurée par informatique et de s'assurer que cette zone analysée automatiquement ne comporte rien qui pourrait provoquer un erreur de lecture informatique. En revanche, la lecture assistée par ordinateur permet de trancher dans les cas où la lecture directe s'avère délicate, par exemple à la limite de deux zones adjacentes (voir commentaires sur la lame 10 dans le chapitre suivant). Sur les douze échantillons analysés provenant du niveau 4 de Pech-de-l'Azé I, onze présentaient un cément bien conservé. Les résultats obtenus par la lecture directe sur microscope polarisant à lumière transmise et ceux obtenus par l'analyse d'image sont indiqués sur le tableau 3 et la figure 1. En ce qui concerne la lame 10, nous nous sommes trouvés dans le cas où visuellement il n'était pas possible de trancher entre le début de la bonne saison et la bonne saison. L'analyse d'image a permis dans ce cas de mesurer précisément l'épaisseur relative de la dernière bande et d'attribuer la saison de décès à la bonne saison. Pour le Bison, deux individus sont morts en fin de mauvaise saison et un en début de mauvaise saison. En ce qui concerne le Cerf, l'un est mort en fin de mauvaise saison, cinq autres en début de bonne saison et un dernier en bonne saison (figure 2). Ces résultats indiquent une saison d'abattage du Cerf du niveau 4 de Pech-de-l'Azé I en fin de mauvaise saison, au début et au cours de la bonne saison. L'analyse menée par J. Bouchud (in Bordes, 1954-1955) concluait à une saison d'abattage des cerfs juvéniles de mai à octobre, ce qui correspond approximativement à l'ensemble de la bonne saison. Toutefois, la méthode de Baumann (Baumann, 1949) utilisée par J. Bouchud ne permet pas de déterminer les stades d'usure des séries dentaires avec une grande précision : l'intervalle entre 2 stades consécutifs est d'au moins 3 mois. Cette marge d'erreur doit encore être augmentée quand on travaille aussi sur des dents isolées, comme l'a fait J. Bouchud. Enfin, un degré d'imprécision supplémentaire inhérent à la méthode est lié aux décalages de la période des naissances. Nous attribuons donc la différence entre nos résultats et ceux de J. Bouchud (in Bordes, 1954-1955) à la plus grande précision de la méthode que nous avons employée. Il reste que l'ensemble des analyses montre que les cerfs du niveau 4 de Pech-de-l'Azé I ont pu être tués de la fin de la mauvaise saison jusqu'au milieu de la bonne saison. Peut-on trouver une raison à ce comportement dans l'éthologie des cerfs ? Les femelles et les jeunes sont séparés des mâles de la fin de mauvaise saison jusqu' à la fin de bonne saison (Varin, 1979). Le matériel de Pech de l'Azé I n'a pas permis la séparation des cerfs mâles et femelles car nous ne disposions que de très peu de matériel post-crânien mesurable. Mais l'absence de craches de mâles (en revanche, il en existe 2 de femelle; cf d'Errico et Vanhaeren, sous presse) et de bois, nous conduit à penser que la chasse aurait pu se faire aux dépens de groupes sans mâles, c'est-à-dire de groupes familiaux avec femelles et jeunes. Par ailleurs, il faut souligner qu'en cette période de l'année, les femelles sont plus vulnérables et en moins bonne condition physique à cause de la mise bas. Il pourrait donc s'agir ici d'une stratégie privilégiant la facilité de chasse et non la qualité nutritive des animaux. Quant à la capture des bisons à la mauvaise saison, le modèle de Frison (1978) établi à partir des sites nord-américains nous permet de proposer une hypothèse de chasse liée au stockage de matière animale au cours des périodes rigoureuses. Le piégeage en masse, technique de chasse utilisée parmi d'autres dans les sites américains de mauvaise saison, ne peut être envisagé pour le niveau 4 de Pech-de-l'Azé I, le petit nombre d'individus (NMIc = 6) observés poussant plutôt à conclure à de petits prélèvements. Les résultats obtenus par la saisonnalité semblent indiquer plusieurs captures. Il pourrait s'agir de prélèvements individu par individu sur plusieurs troupeaux. Selon Speth (Speth, 1987, 1997) qui a précisé le modèle de Frison en y ajoutant des données concernant la qualité nutritive des animaux, les femelles auraient été préférées en automne et au début de l'hiver tandis que les mâles, comparativement en meilleure condition par la suite, auraient été choisis en fin d'hiver et au printemps. A Pech-de-l'Azé I, la séparation mâle/femelle n'est pas possible, nous avons simplement observé que seuls des individus adultes étaient présents. L'absence de restes de jeunes bisons pourrait indiquer une chasse faite uniquement aux dépens de groupes de mâles. Néanmoins, étant donné le mode de chasse évoqué plus haut permettant une sélection précise proie par proie, on ne peut exclure qu'il s'agisse d'une capture sélective des femelles sur des groupes de nurserie. Ce travail avait pour objectif de tester la faisabilité d'une analyse de la saison de capture des grands mammifères retrouvés dans le niveau 4 de Pech-de-l'Azé I. L'analyse cémento-chronologique ayant été choisie pour la possibilité qu'elle offre d'étudier des sujets de tous âges, nous avons développé une procédure d'échantillonnage raisonnée pour nous permettre de travailler sur un large échantillon représentatif en terme d' âges. Nos résultats montrent que cette méthodologie est applicable pour le niveau 4 de Pech-de-l'Azé I. Ils permettent de proposer qu' à Pech-de-l'Azé I des comportements saisonniers de prédation pourraient avoir existé. Le Cerf et le Bison semblent avoir été chassés à des périodes de l'année précises et différentes. Ces comportements pourraient s'expliquer, pour le Cerf, par une stratégie privilégiant la facilité de chasse et, pour le Bison, par la nécessité du stockage des matières animales en période rigoureuse. Afin de discuter de l'organisation des comportements de prédation d'une saison à l'autre, il importe désormais de compléter ces résultats par l'analyse des autres taxons représentés dans ce niveau 4. Ce travail ayant montré que le cément est bien conservé, nous poursuivrons cette analyse pour l'ensemble des taxons et sur le maximum d'individus possible puisque le nombre d'individus total est faible. Couplé aux données de l'archéozoologie concernant le traitement des carcasses et aux résultats des analyses lithiques, les données sur la saisonnalité permettront de comprendre le fonctionnement du site en ce qui concerne l'exploitation du monde animal selon les saisons. La signification économique et fonctionnelle du faciès Moustérien de tradition acheuléenne étant confuse, il nous apparaît d'autant plus prometteur d'appliquer cette démarche pluridisciplinaire à Pech-de-l'Azé I .
Les saisons sont une des causes principales de variation des ressources annuelles des chasseurs-cueilleurs. Néanmoins, peu de données sur les variations saisonnières des comportements de prédation sont disponibles pour des gisements moustériens, en particulier pour des sites qui ne sont pas des sites d'abattage. Ce travail présente les premiers résultats obtenus pour déterminer si l'ensemble faunique du niveau 4 de Pech-de-l'Azé l (Dordogne, Carsac), qui livre une industrie attribuée au Moustérien de tradition acheuléenne, témoigne d'une organisation saisonnière des comportements de prédation. Nous développons particulièrement ici les modalités d'échantillonnage que nous avons adoptées pour des analyses cémento-chrono-logiques ainsi que les voies d'interprétation possibles des résultats obtenus pour les deux taxons qui dominent l'ensemble faunique, le Cerf et le Bison.
archeologie_525-02-11878_tei_289.xml
termith-30-archeologie
Le centre monumental de la ville gallo-romaine d'Alésia, tel que le visiteur le parcourt aujourd'hui, a été mis au jour à partir de 1905, dès les premières campagnes menées sous la direction de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de Semur-en-Auxois. Grâce à ce dégagement en extension, les ruines des principaux monuments ont été mises au jour progressivement et ont fait l'objet, au fil des ans, de diverses opérations archéologiques qui ont ajouté des éléments chronologiques aux informations spatiales. On pourrait croire en conséquence que ces vestiges n'ont plus rien à nous apprendre et que nous savons tout du centre-ville d'Alésia. Pourtant bien des inconnues demeurent, en ce qui concerne l'architecture des bâtiments et leur chronologie, ainsi que les relations et communications entre les différents espaces. La basilique civile, au cœur de cet ensemble qui comprend le théâtre, le temple et son aire sacrée, le forum et le monument d'Ucuetis, est le parfait exemple d'un monument d'Alésia, très souvent cité mais pourtant encore très mal connu (fig. 1 et 2). Notre propos n'est pas ici de lever toutes les incertitudes sur ce bâtiment, ni de reprendre l'intégralité du dossier. Mais à la faveur d'une opération de nettoyage de la façade orientale de la basilique, menée en 2004 dans le cadre du chantier-école de l'Université de Bourgogne, nous souhaitons proposer une restitution de cette façade et ouvrir de nouvelles pistes de réflexion sur l'architecture du monument. Le site d'Alésia accueille depuis 1994 le chantier-école de l'Université de Bourgogne. Pour sa dixième année, des circonstances particulières nous ont conduits à proposer comme support de la formation des étudiants aux techniques de l'archéologie, non pas une fouille véritable, mais un nettoyage de la façade de la basilique civile, dans la perspective de sa restauration prochaine. Ainsi seize étudiants de deuxième année inscrits en Histoire de l'art/Archéologie ont dégagé la façade de la basilique du 9 au 30 juin 2004 (fig. 3 et 4). Le programme de la formation a inclus une présentation complète du site d'Alésia, le relevé et l'enregistrement des structures, une initiation à la céramologie. Ce monument est encore très lisible grâce aux restaurations réalisées immédiatement après la mise au jour des vestiges. Il se compose d'une grande salle rectangulaire, dont les extrémités nord et sud englobent des absides semi-circulaires. À l'ouest, une grande salle axiale dont le mur du fond est en arc de cercle, était probablement la curie. De part et d'autre de cette salle, des pièces plus petites devaient être affectées aux différents services publics (fig. 2 et 10). Du côté est, la façade donnait sur une cour intermédiaire qui l'isolait du forum proprement dit. Remarquons que les fouilleurs, en dégageant les fondations de la basilique, se sont arrêtés sur les premiers sols rencontrés. De ce fait, ils ont mis au jour des murs et des sols appartenant à des bâtiments antérieurs et même la grande voie est-ouest sous l'abside nord, parce que les sols contemporains de la basilique ont totalement disparu. Dégagé à partir de 1906, le « Monument aux Absides » ou « à trois absides » selon les auteurs (BSSS, 1910-1911, p. 141) a été immédiatement interprété comme la basilique. Espérandieu applique à l'édifice le schéma chronologique selon lequel le site d'Alésia aurait connu « trois époques » (BSSS, 1906-1907, p. 236-237). Ainsi le monument aurait comporté dans son état initial une seule abside à l'ouest. Puis entièrement reconstruit, il aurait été complété par les deux absides nord et sud, elles -mêmes à des époques différentes. Dès 1908, le chanoine Morillot parle d'une basilique profane sans les absides nord et sud et d'une basilique chrétienne avec ces mêmes absides, celle de sainte Reine bien sûr (M orillot, 1908). Jules Toutain, en se fondant sur les connaissances de son époque, fait un parallèle entre la basilique d'Alésia et la basilique Ulpienne sur le forum de Trajan à Rome, une composition unique dans le monde romain. Plus récemment, Jacky Bénard, à la suite de ses travaux sur le forum, a fait une proposition chronologique dans la lignée de celle d'Espérandieu (B énard, M angin, 1994). Notre objectif principal, en abordant le nettoyage de la façade orientale de la basilique, était de mettre en évidence la fondation et d'apprécier l'état de conservation des maçonneries dégagées un siècle plus tôt. Cette démarche s'inscrivait dans le projet de restauration du monument par l'architecte en chef des Monuments Historiques, afin qu'il puisse s'appuyer sur un dossier archéologique le plus étayé possible. La documentation ancienne, soit principalement le plan et la photo parus dans le Bulletin de la Société des Sciences de Semur de 1910-1911 (pl. XV et XVI,1), montrait une succession de huit massifs de maçonnerie avec leur profil en forme de L (fig. 5 et 6). Le plan réalisé par Fornerot en 1938 (réf. A135) n'en montre plus que sept, celui de l'extrémité nord n'étant pas figuré. Presque un siècle après sa découverte, la façade soumise aux intempéries se présentait comme une longue succession de plaquettes de calcaire formant un léger relief à l'emplacement des massifs de maçonnerie (fig. 3). Nous avons donc procédé au nettoyage de ces vestiges en incluant, sur une largeur d'un mètre environ, les sols intérieurs de la basilique. Côté extérieur, nous nous sommes arrêtés à la limite de l'herbe de la cour, soit au total une bande de 4 m sur une longueur de 36 m. Cette longueur correspond à celle de la grande salle rectangulaire sans la zone des absides, dont la fondation en maçonnerie de moellons est bien connue (fig. 7). Ce travail, rapidement mené par les étudiants, a permis de constater certes la dégradation des massifs, mais aussi une bien meilleure conservation des vestiges que prévu. Nous avons retrouvé les huit massifs maçonnés, dont certains très dégradés. Ils reposent sur une assise continue de moellons très grossièrement taillés (M009), d'une largeur irrégulière, comprise entre 1,50 m et 1,70 m, et de 36 m de longueur. Pour installer cette fondation, dont seule la partie supérieure est visible, une tranchée (F043) a été creusée dans le roc. En l'absence de sondage, la structure de la fondation (profondeur, nombre d'assises, présence ou non de rangs de hérisson…) reste inconnue (fig. 7, 8, 9). Le nettoyage de la bande située entre les massifs et l'herbe de la cour nous a permis de mettre en évidence un hérisson (US 036). Ce radier de sol vient s'appuyer contre les massifs, sur l'assise de fondation M009 et sur le roc. Il est fait d'un rang de petites dalles mises de chant. Il a disparu au sud (fig. 9). Cet aménagement est contemporain de la construction de la façade. Il pouvait soutenir un dallage en pierres. La tranchée de fondation a coupé les structures antérieures à la basilique. Déjà dégagées en extension lors des fouilles anciennes, elles étaient protégées par un gravier rose. Un balayage énergique a suffi à remettre au jour cette séquence stratigraphique antérieure à la basilique sur une largeur de 1 m environ. Elle se compose d'une succession de sols et de leurs bordures. Le plus ancien (hérisson 041, cailloutis de circulation 040), reposant sur le roc, est drainé par un caniveau. Dans le quart sud de la grande salle rectangulaire, on note la présence de plusieurs sols superposés avec une bordure très nette (US 019). L'interprétation en est difficile et hors de notre propos. Néanmoins il est probable qu'il s'agisse d'une place. Pour pouvoir proposer une restitution de la façade, il faut commencer par interpréter correctement les vestiges mis au jour. Dans cette perspective, les auteurs des premières descriptions avaient fait une lecture trop rapide de cette longue fondation : de l'alternance des massifs séparés par des zones vides, ils avaient conclu à la présence d'une suite de colonnes fondées sur ces massifs, laissant entre elles des accès à la grande salle basilicale. Cependant ils admettaient bien que le niveau du sol de cette basilique devait être à environ 1 m au-dessus des hérissons de sol conservés. Il fallait en effet tenir compte de la hauteur de la longue canalisation oblique qui conduisait l'eau de pluie de cette façade orientale vers la façade occidentale en traversant tout le monument en sous-sol. Cette canalisation, dont sont conservées les grandes dalles du fond creusées en cuvette et les murs latéraux sur une bonne hauteur, devait être couverte par une voûte en berceau ou un simple dallage intégré au sol de la basilique (fig. 10). Il est donc bien clair que tous les vestiges conservés de ce monument, y compris la façade, sont des fondations; la canalisation oblique, ainsi que les murs des constructions antérieures de l'abside méridionale ou de la salle axiale probablement destinée à la curie, imposent d'avoir des sols à un niveau relativement élevé. Pour justifier notre proposition de restitution, nous ferons quatre remarques : - Au sud, à l'intersection de la façade et du mur « fermant » l'abside méridionale, ont été conservés deux grands blocs superposés et légèrement décalés l'un par rapport à l'autre, le bloc inférieur reposant sur l'assise de fondation (M09); ce bloc inférieur est pourvu sur sa face nord d'un défoncement d'anathyrose, ce qui signifie qu'un autre bloc de même type lui était accolé. C'est vraiment une chance que ces deux blocs n'aient pas été récupérés. - D'après le plan ancien, un bloc analogue se trouvait sur la jonction symétrique de la façade et du mur perpendiculaire « fermant » l'abside septentrionale. À l'heure actuelle, on ne voit plus qu'une jetée de mortier bien lisse à cet endroit. - Le lit d'attente des fondations visibles entre les massifs sur lequel reposent les deux grands blocs est strictement sur le même plan horizontal sur toute sa longueur, à 93 cm (exactement de 90 à 102 cm) sous le lit d'attente du bloc supérieur : compte tenu de la rusticité de cette construction, l'horizontalité de cette assise est tout à fait nette. - La photographie publiée dans le rapport de fouille, reprise ici (fig. 6), montre que les « massifs » considérés par les fouilleurs comme les supports des colonnes présentent tous la particularité, bien mise en évidence par les multiples sections de détail annexées au plan (fig. 5), d' être formés d'une sorte de « table » horizontale devant un « dossier » en maçonnerie. Cette disposition est caractéristique de l'architecture mixte de grand appareil et de maçonnerie de moellons. Le profil en L des massifs de maçonnerie est le résultat de la récupération des blocs. Pour concilier toutes ces données, il faut, pensons -nous, considérer que toute cette façade était en grand appareil avec des blocs de deux types. Sur la grande assise horizontale (M09) reposaient directement des blocs en grand appareil du type des deux conservés à leur place. Les massifs profilés en « L » supportaient des blocs d'escaliers ou des murs plus minces sous des fenêtres ou des niches. Il faut donc inverser la vision que l'on avait auparavant et accepter qu'au-dessus des massifs se trouvaient des « vides » et non des pleins. Il se trouve d'ailleurs qu'au centre de la façade sur l'axe transversal du monument, il y a un massif, donc une ouverture. Nous avons pu dénombrer les restes de huit massifs correspondant donc à huit portes ou fenêtres ou niches. Nous avons restitué, par symétrie, une neuvième ouverture au sud de la façade, à proximité des deux grands blocs. Une fois accepté ce principe de construction, reste à distribuer les ouvertures dans ces neuf espaces. Aussi avons -nous choisi de mettre trois portes dans l'embrasure desquelles sont placés les escaliers, une dans l'axe transversal et les autres séparées par une fenêtre, et au delà, symétriquement, des niches et des fenêtres. Le grand appareil du mur était peut-être orné de pilastres supportant un entablement. Au nord et au sud, ce grand appareil est absent au droit des portiques perpendiculaires qui venaient buter contre la basilique. Enfin au-dessus de l'entablement, nous pouvons restituer une rangée de fenêtres. Bien sûr, si le principe de restitution nous semble assuré, nous avons conscience que le détail des ouvertures est sujet à discussion. Ce travail a été aussi l'occasion de faire le plan des vestiges visibles du monument et de proposer une restitution à partir de quelques réflexions (fig. 10, 11, 12). La basilique civile antique est le plus souvent composée d'un espace rectangulaire limité par une colonnade et flanqué sur ses quatre faces d'un bas-côté; l'éclairage de la nef centrale se faisait par des fenêtres hautes. Il y en a de très nombreux exemples : Ruscino, Feurs, Augst, Martigny, Ostie, Pompei, etc. Des salles ayant des rôles divers lui sont adjointes selon des formules variées. Les basiliques sans bas-côté comme à Alésia sont plus rares mais on pourra citer, entre autres, Velleia, Timgad ou encore Sarmizegetusa (des plans de ces exemples sont donnés par J.-Ch. Balty; B alty, 1991). À Alésia, cette grande nef est flanquée sur son côté occidental d'une série de salles dont la plus importante, dans l'axe transversal, présente un mur extérieur en arc de cercle qui a été compris à juste titre comme le mur de fond d'une salle avec gradins, une curie. L'absence de fouille ne permet pas de réfuter d'une façon absolue la chronologie relative proposée par les premiers analystes, à savoir que les absides situées aux extrémités nord et sud du bâtiment auraient fait l'objet d'un remaniement postérieur à la construction du monument. A priori cette assertion ne tient pas : en effet les auteurs de cette interprétation considéraient que la basilique initiale avait la même longueur qu'actuellement et que les absides seules auraient été construites après coup, ce qui se traduisait en plan, d'après eux, par des absides tangentes aux murs du fond. Or il n'en est rien : le mur du fond des absides est parfaitement intégré aux murs extérieurs de la basilique, murs qui sont dans le prolongement exact des murs nord et sud du péribole du temple. L'impression première est que ces deux ensembles sont, sinon absolument contemporains, du moins organisés dans un même projet. Cependant il apparaît bien qu'il n'y a pas eu de passage possible entre le portique sud du temple, dont le sol est conservé, et la basilique et ses annexes, dont les sols sont nettement plus hauts : le portique nord est plus complexe. Malgré les lacunes de l'information, il est possible d'observer la cohérence du plan dont nous proposons la restitution (fig. 11). Les deux murs situés trois mètres en avant des absides ne peuvent être que les fondations de colonnes : la grande salle se présente donc avec des bas-côtés sur ses deux petites faces, palliant ainsi habilement leur absence sur les longs côtés. Deux colonnes à l'entrée de chaque abside complètent sans doute ce plan qui présente alors un axe de symétrie transversal parfait. Une vue vers l'abside méridionale (fig. 13) donne une idée de ce que pourrait être ce grand monument. Pour la décoration intérieure, les fouilleurs anciens ont signalé la présence de placage de marbre blanc ou gris (BSSS, 1910-1911, p. 144). Espérandieu mentionne aussi la découverte d'un gros chapiteau corinthien à proximité immédiate du monument (BSSS ,1906-1907, p. 216, chapiteau trouvé le 14 août 1906, enlevé le 15 août, n° d'inventaire : 2006.1.37, Musée Alésia. Fonds S.S.S. Département de la Côte-d'Or, n° B24 de l'inventaire des blocs d'architecture d'Albéric Olivier). Ses dimensions sont compatibles avec celles d'un ordre intérieur. Malheureusement nous n'avons aucune certitude sur cette attribution, car il n'y a pas de difficulté à déplacer un bloc d'architecture et, sur des sites comme Alésia, nous n'avons qu'exceptionnellement la possibilité de replacer correctement une colonne, un chapiteau ou une corniche; la seule exception concerne le monument d'Ucuetis (M artin, V arène, 1973) dont les éléments retrouvés proviennent bien de ce monument. Ce chapiteau a été publié par H. Kähler (K ähler, 1939) qui l'attribue à la basilique, ce qui justifie d'en donner ici une description précise (fig. 14 et 15). Il le fait entrer dans la catégorie D3 datée du II e siècle de notre ère d'après l'examen de ses principales caractéristiques. Haut de 56,5 cm, ce chapiteau en calcaire local porte le numéro d'inventaire B 24. Malgré son état moyen de conservation, tous les manques peuvent être restitués avec certitude à l'exception des volutes d'angle, toutes disparues. La partie inférieure des feuilles de la première couronne faisait corps avec le sommet du fût : il faut donc augmenter d'une dizaine de centimètres sa hauteur qui s'établit à 66 cm pour un diamètre à la base de 47 cm. Ce diamètre permet de proposer des colonnes de 4,60 à 4,80 m de hauteur. Les feuilles, dont la nervure centrale est plate et en légère saillie, sont à cinq lobes de trois et cinq digitations; les sinus, ou espaces entre deux lobes, sont formés de deux vides superposés, la digitation inférieure du lobe correspondant à deux digitations du lobe contigu. Les deux couronnes de feuilles couvrent les 2/3 de la hauteur du chapiteau. Les caulicoles émergent entre les feuilles de la deuxième couronne, leur tige est indiquée par une rainure et leur bouton par un pétale flanqué de deux demi-pétales; ceux -ci sont au niveau du sommet des grandes feuilles. Les calices très larges sont formés de deux demi-feuilles qui soutiennent, l'une, vers l'extérieur, les volutes d'angle et l'autre, vers l'intérieur, les hélices; entre les hélices l'espace est complètement occupé par le feuillage du petit calice à la naissance de la tige du fleuron d'abaque. L'abaque, de plan carré, mais aux côtés en arc de cercle et que les crosses d'angle entament, est orné de larges feuilles sous un listel de couronnement (il se trouve que les quatre faces de l'abaque ne sont pas identiques, l'une d'elles étant lisse, simplement épannelée). Des quatre fleurons d'abaque, un seul est bien conservé : une fleur à quatre pétales entourés d'un deuxième rang de pétales. La corbeille est pratiquement entièrement masquée, à l'exception des petits triangles visibles entre les crosses des volutes d'angle et celles des hélices. La datation de ce chapiteau proposée par Kähler ne contredit pas celle du début du II e siècle proposée depuis toujours pour la basilique. De par sa nature l'opération 2004 ne pouvait pas apporter de nouveaux éléments à la chronologie absolue; en revanche la chronologie relative se trouve précisée. Cette opération de nettoyage a, malgré l'absence de sondage, permis de préciser la structure de cette longue façade, et par voie de conséquence, motivé une nouvelle approche de ce monument majeur d'Alésia. Elle nous permet de poser comme postulat que la basilique civile d'Alésia a été conçue d'un seul jet avec ses trois absides. Sa construction s'inscrit dans un projet architectural ambitieux à l'échelle de la ville, en liaison étroite avec les portiques qui entourent le temple. Pour conforter ces hypothèses et avoir une vision de l'articulation avec les portiques du temple et de la cour devant la basilique, il faudrait procéder à quelques sondages .
Un nettoyage de la façade de la basilique civile d'Alésia a été réalisé par le chantier école de l'Université de Bourgogne en 2004, en vue de la restauration. Les résultats obtenus ont permis de présenter une nouvelle hypothèse de restitution de la façade et par voie de conséquence, de la structure et de la chronologie du bâtiment.
archeologie_08-0202260_tei_354.xml
termith-31-archeologie
Le site de Ceyssaguet (Haute Loire) est anciennement connu par des ramassages de surface et les fossiles recueillis font partie des collections du Musée National d'Histoire Naturelle (Paris); le gisement est cité pour la première fois dans des travaux parus à la fin du siècle dernier (M. Boule, 1889) et l'étude ne porte que sur trois demi-mandibules de Canis. Les fouilles entreprises sous la responsabilité de l'un d'entre nous (MF. B.) entre 1982 et 1997, ont permis d'exhumer une masse importante de fossiles (plus de 15000), tous répertoriés avec leurs coordonnées et systématiquement portés sur plan. En fait, le gisement de Ceyssaguet est actuellement un des très rares sites ayant livré des faunes villafranchiennes terminales qui ait été fouillé de façon moderne (MF. Bonifay, 1991). Depuis fin 1997, les faunes sont à l'étude et peu à peu apparaît une image de plus en plus nette de l'environnement contemporain liée à une meilleure connaissance des différents groupes. En Europe, les sites villafranchiens sont groupés principalement sur les régions sud : Italie, Espagne, sud de la Russie, plus exceptionnellement et ponctuellement sud de l'Angleterre et de la Hollande. Les faunes contemporaines du déclin de cet ensemble biostratigraphique sont rares : en Italie, où les paléontologues les ont initialement reconnues, il n'y a jamais eu de fouilles systématiques et en Espagne, seuls un ou deux niveaux correspondent à cette période (MF. Bonifay, 1995). Le gisement de Ceyssaguet (fig. 1) est situé dans le Massif central français sur la pente extérieure d'un volcan dont la dernière explosion a été datée par Potassium/Argon de 1.3 Ma par le Laboratoire de Tephrochronologie de la Faculté des Sciences de Clermont-Ferrand; cet âge absolu le situe à la fin de l'épisode biostratigraphique des faunes villafranchiennes qui sont connues en Velay depuis 2.4 Ma. Pour des raisons stratigraphiques - les faunes n'étant pas déposées directement sur le basalte daté - on peut estimer l' âge des niveaux fossilifères à 1.2 Ma. L'association animale représentée est une association villafranchienne que l'on pouvait croire, jusqu' à cette étude, relativement pauvre en espèces d'Artiodactyles. Le sédiment des niveaux fossilifères est un loess dégradé dont le dépôt s'est effectué dans un sillon peu à peu élargi en gorge par l'eau s'échappant du lac de cratère. Les loess sont des sédiments très particuliers caractéristiques de climats assez froids mais surtout secs et venteux, dont l'origine se trouve dans les grandes plaines sans végétation du nord de l'Europe. Ils se sont déposés sur le flanc du volcan après la rupture de pente formée par le sommet du cratère actuellement érodé. Ceyssaguet est le seul site européen, avec certains niveaux de Saint Vallier (Drôme) d' âge plus ancien, a fournir desfaunes villafranchiennes contemporaines d'un environnement loessique. L'association villafranchienne représentée à Ceyssaguet est riche en espèces mais elle dominée par deux populations, celle des Cervidés et celle des Chevaux. Les Carnivores comme les restes d'éléphants sont rares; les premiers sont qualitativement bien représentés puisque la majorité des espèces villafranchiennes sont présentes : le loup archaïque (Canis etruscus), un Renard, l'Hyène (Crocuta perrieri), le Lynx (Lynx issiodorensis), le Guépard (Acinonyx), un Machairodonte et deux Ours dont l'un est Ursus etruscus : ces restes peu abondants, sont en cours d'étude. La plupart des vestiges d'Eléphants appartiennent à l'éléphant méridional mais il est vraisemblable qu'il y ait aussi des restes de Loxodonta (N. Aouadi et MF. Bonifay, 1998). Les Chevaux sont plus abondants dans la partie supérieure des loess où ils sont accompagnés par des restes de Rhinoceros (Dicerorhinus etruscus); les études récentes ont mis en évidence la présence de deux espèces d'Equidés : Equus stenonis et Equus bressanus (N. Aouadi, 1999). La population de Cervidés que l'on pouvait penser pauvre en espèces se révèle après étude, beaucoup plus diversifiée que cela n'apparaissait à la fouille. L'étude préliminaire présentée ici montre qu'elle est en réalité composée de quatre espèces qui se regroupent en deux catégories : celle des cerfs de grande taille et celle des cerfs de taille moyenne. Globalement, les restes de Cervidés sont plus nombreux dans la partie inférieure des loess où ils se présentent très souvent en connexion anatomique. Enfin, il faut souligner que ces faunes villafranchiennes ont l'intérêt d' être contemporaines des premiers peuplements humains européens. Dans le cas de Ceyssaguet, la fouille met en évidence deux niveaux taphonomiquement très différents : le niveau supérieur des loess livre des ossements fracturés, cassés, pratiquement jamais en connexion anatomique et dont la représentation numérique correspond à un tri (M.F. Bonifay,1986) le niveau inférieur séparé du précédent par un sol très altéré, mince et mal visible, est de toute évidence d'origine naturelle avec une grande partie des ossements en connexion anatomique et une très nette dominance des Cervidés. L'opposition entre l'organisation taphonomique des parties supérieure et inférieure des loess a l'intérêt d'avoir été mise en évidence dans un même sédiment (ici le loess); ceci permet d'annuler les biais dus à une conservation différentielle initiée par une sédimentation différente et donne une certaine unité à l'étude du site. Il est évident que les niveaux supérieurs présentent un grand intérêt taphonomique : on peut remarquer que les os longs présentent des fractures dîtes “sur os frais” en milieu de diaphyse avec conservation des épiphyses (exemple des tibias de Chevaux : F. Baratta, 1998) et que la représentation du squelette est déséquilibrée (manque de vertèbres et de phalanges, abondance de bois de chute de cerfs non rongés), ce qui correspond bien à ce que l'on peut trouver sur un site de prédation. Le travail en cours consiste à identifier le prédateur. Les Cervidés de grande taille des genres Eucladoceros et Praemegaceros appartiennent à des lignées qui se développent en Europe durant le Villafranchien et le Galérien (Azzarolli et Mazza, 1992, 1993). Ce groupe est bien connu car il a fourni de nombreux fossiles correspondant à différentes espèces présentant des formes de transition. Cependant, la systématique des Cerfs de grande taille est plutôt confuse en partie parce que les descriptions anatomiques des genres et des espèces sont incomplètes et d'autre part à cause des nombreuses synonymies tant générique que spécifique. C'est la raison pour laquelle quelques questions de nomenclature et de systématique sont discutées dans ce travail afin d'aider à clarifier la position systématique des cerfs découverts à Ceyssaguet. Une première précision doit être apportée au niveau du nom générique. L'espèce type, Megaceroides algericus Lydekker, 1890 est considérée comme une branche spécialisée du groupe verticornis qui a survécu isolée au Pléistocène tardif en Afrique du Nord. Plus tard, Azzarolli (1979) défend le point de vue d'Ambrosetti (1967) lorsqu'il considère comme correct le nom de genre Megaceroides créé par Lydekker pour le “verticornis group ”. Puis Azzarolli et Mazza (1993) suggèrent que M. algericus est une espèce de taille réduite car ils mettent en évidence la disproportion entre les fortes meules et un merrain plus frêle, ce qui rappelle M. dawkinsi. Le front aplati et même convexe du Cerf africain est considéré ici comme un caractère important qui s'oppose au front concave du genre Megaloceros. Hadjiouis (1990) revoit la position systématique de Megaceroides algericus et met en évidence sa ressemblance morphologique avec Sinomegaceros pachiosteus d'Asie. Un caractère très important est la morphologie de la mandibule et de la dentition : outre la présence d'un cingulum puissant sur les molaires supérieures, une faible longueur des prémolaires inférieures, un museau court et brachyodonte rapprochent le cerf algérien de Megaloceros giganteus l. Ainsi la morphologie dentaire et certaines proportions crâniennes suggèrent que le cerf d'Algérie est phylogénétiquement proche et de Megaloceros giganteus et des Sinomegaceros asiatiques. En 1956, Kahlke qui travaillait sur les cerfs géants quaternaires d'Allemagne proposa le nouveau nom générique d'Orthogonoceros pour l'espèce-type Cervus verticornis Dawkins; il le remplaça par la suite par le nom de genre Praemegaceros créé auparavant en 1920 par Portis (Kahlke, 1965). Enfin, Radulesco et Samson (1967), puis Lister (1993) proposent que le nom de genre Praemegaceros ne corresponde qu'aux cerfs géants du groupe “verticornis ”. C'est cette dernière option que nous suivrons dans ce travail. Le problème principal de la systématique du genre Eucladoceros est qu'il comporte une longue liste d'espèces (plus de 14) qui ne sont pas clairement définies. Ainsi, bien que le nombre de fossiles de ce groupe soit plutôt important, il manque les descriptions morphologiques du crâne et des dentitions, les espèces d'Eucladoceros se distinguent pour la plupart par des caractères apomorphes dans la morphologie des bois. Heintz (1970) reconnaît sept espèces correspondant à ce genre : outre Eucladoceros boulei asiatique, six espèces européennes : E. sedgwicki, E. ctenoides, E. dicranios, E. tegulensis, E. senezensis E. tertraceros. Vislobokova (1990) rapporte à ce genre Cervus ernesti Fritsch 1884 et Psecupsoceros orientalis Radulesco et Samson 1967. Dans de nombreux cas la fragmentation du matériel empêche la vérification des critères spécifiques. De Vos et al. (1995) après révision du genre ne reconnaissent que trois espèces : E. dicranios aux andouillers dichotomiques, E. ctenoides et E. tetraceros aux bois à courbure simple. Pour ces deux derniers taxons qui ne se distinguent que par le degré de courbure des andouillers ou la distance entre les andouillers, les variations peuvent très bien être d'ordre intraspécifique et E. tetraceros peut alors être considéré comme une unité systématique de rang sous spécifique d ' Eucladoceros ctenoides. La nouvelle espèce E. giulii récemment créée par Kahlke (1997) est un autre Cerf problématique allemand : le spécimen décrit par l'auteur présente une courbure simple des bois ce qui permet de penser qu'il pourra peut-être par la suite être considéré comme un synonyme d ' E.ctenoides. La conclusion définitive ne pourra être proposée qu'après révision de tout le matériel d ' Eucladoceros du groupe ctenoides - tetraceros. Dans le travail qui suit nous utiliserons la dénomination Eucladoceros ctenoides Nesti 1841 pour les Cerfs présentant une construction de bois à courbure simple. A Ceyssaguet, le plus grand nombre de restes de cerfs appartient à E. ctenoides. Cette espèce est représentée par tout le squelette : crâne, bois, mandibules et restes postcrâniens. Quelques os des membres ont été trouvés in situ en connexion anatomique. Il est intéressant de constater que les bois trouvés sont des bois de chute ce qui permet de penser qu ' E. ctenoides n'était présent sur le site qu' à la période de perte des bois (printemps); d'autre part, la grande quantité de restes d'Eucladoceros trouvés tend à prouver qu'il s'agissait d'une espèce grégaire. Synonymies : Eucladoceros giuli sp.nov. Kahlke,1997 (p.225, tab. 40, fig. 1 - 6) Matériel étudié dans le cadre de l'étude préliminaire : Autre : fémur gauche (12581), tibia gauche (2/3, 10876) Le crâne 2 - 7217 appartient à un jeune adulte mâle avec une dentition complète et de longs et fins pédicules. En avant des pédicules, les os frontaux sont larges et concaves; la suture frontale forme une ride osseuse nette qui commence au niveau du milieu des arcades. Quelques différences morphologiques peuvent être relevées sur le crâne de Ceyssaguet par rapport à celui de l'espèce-type Eucladoceros dicranios : contrairement au spécimen italien, le crâne étudié est plus long et plus étroit au niveau des arcades zygomatiques, il en est de même du neurocrâne. La divergence entre l'axe longitudinal du neurocrâne et celui de la face est plus courte, ce qui entraîne une boite crânienne sans flexion, caractère considéré comme primitif par Vislobokova (1990). La rangée dentaire est comparativement plus longue; le foramen ovale est grand : son plus grand diamètre est de 19.6 mm, le diamètre transverse mesure 14.8 mm. Le crâne de femelle (2 - 10590) partiellement conservé présente des fosses préorbitaires petites et peu profondes (fig. 2). Les bois : La construction générale des bois est typique du groupe Eucladoceros. Perche et andouillers sont comprimés latéralement. Le nombre d'andouillers est supérieur à six et les andouillers terminaux sont souvent munis de pointes surnuméraires (2 - 1442). Tous les andouillers sont à peu près situés dans le même plan. En comparant la population de Cerfs de Ceyssaguet avec les holotypes d ' Eucladoceros tetraceros et E. ctenoides, on peut observer une différence morphologique mineure sur le premier segment de perche qui est comprimé latéralement sur les bois de Ceyssaguet; chez E. tetraceros cette portion de bois est arrondie et chez E. ctenoides elle est comprimée dorso-ventralement, ce qui rappelle d'ailleurs la morphologie des Praemegaceros primitifs (fig. 3 et 4). Le second andouiller est inséré en position médiane chez E. ctenoides ce qui rapproche cette espèce des grands Cerfs primitifs Praemegaceros obscurus. Les andouillers de la partie distale du bois sont pointés vers l'arrière chez E. tetraceros, alors qu'ils sont courbés plutôt vers l'avant chez le Cerf de Ceyssaguet. Heintz (1970) et de Vos et al. (1995) ont donné une valeur systématique à la distance entre les andouillers, or celle ci apparaît plutôt variable chez l ' Eucladoceros de Ceyssaguet, ce qui suggère que ce caractère n'a pas de réelle valeur. Les dents : Les molaires supérieures n'ont pas de cingulum, quoique l'entostylide soit bien développé. L'extrémité postérieure du protocone de la M2 et de la M3 possèdent un îlot d'émail supplémentaire et l'extrémité postérieure de l'hypocone de toutes les molaires se bifurque en forme d'éperon (fig.2). Les prémolaires supérieures présentent un repli sur la face interne de l'hypocone ce qui fait que les prémolaires usées présentent un îlot d'émail isolé. La mandibule est caractérisée par une branche horizontale basse et frêle si on la compare à celle de P. obscurus d'Italie (Azzarolli et Mazza, 1992); la branche montante forme avec la branche horizontale un angle de 110° et le processus angulaire est bien développé. La morphologie de la P4 est variable ce qui rend la distinction E. ctenoides - P. obscurus difficile. Cependant les prémolaires de l ' Eucladoceros de Ceyssaguet (fig.5) sont relativement plus courtes que celles de P. obscurus. Synonymies : Megaceroides obscurus (Azzaroli) Abbazzi 1995 (p. 224) Matériel étudié dans le cadre de l'étude préliminaire base de bois de chute droit (2 - 9405), dentition supérieure P3 - M3 (2 - 3947/ 5654), molaires supérieures M1 - M2 (2 - 11437, 2 - 10086) mandibules (2 - 13773, 2 - 4622, 2 - 10597) un tibia gauche (2 - 12069), un fémur gauche (2 - 10986) Le bois (2 - 9405) est très robuste; à partir de la meule la perche, légèrement comprimée dorso-ventralement entre le premier et le second andouiller, est tournée vers l'arrière droit. Le premier andouiller (le “spurious tine” selon la nomenclature d'Azzaroli et Mazza, 1993) est inséré très près de la meule, il est pointé vers l'avant mais plus haut il forme un angle droit avec la perche. La base du second andouiller (” outer tine ”, Azzaroli et Mazza, 1993) inséré en position médiane, se dirige aussi en position médiane. Les premier et second andouillers sont reliés par des costulations qui donnent à la perche une section transverse irrégulière qui devient subtriangulaire au dessus du second andouiller (fig.6). Les dents : contrairement à E. ctenoides, les prémolaires supérieures de P. obscurus ne présentent pas de pli d'émail sur l'hypocone et seul un pli protoconal faible est visible sur la M3 (fig.7).Les rebords labiaux du métacone et du paracone des molaires supérieures sont moins accentués que chez les Eucladoceros. L'éperon hypoconal des molaires supérieures est bien développé. Les éléments relatifs à la mandibule sont rares et plutôt fragmentaires. La P4 est caractérisée par un degré de molarisation avancé : le métaconide s'étend vers l'avant et se connecte avec le paraconide fermant ainsi une vallée antérieure (fig. 8). A Ceyssaguet, la série des prémolaires est relativement plus longue que celle d ' E. ctenoides ce qui est un caractère primitif encore présent chez P. obscurus. Les restes postcraniens : P. obscurus et E. ctenoides sont phylogénétiquement proches (Abbazzi, 1995) et la distinction des deux formes est dans certains cas difficile, ce qui fait que très peu d'ossements sont attribués à P. obscurus sur des critères morphologiques. On peut cependant observer qu'en dehors de la grande taille, le fémur de P. obscurus présente une tête courte et sphérique tandis qu'elle est étendue transversalement chez E. ctenoides (fig.9). Le col du fémur est plutôt large chez P. obscurus par rapport à E. ctenoides. Le petit trochanter est aigu et s'étend médialement chez P. obscurus alors que le même, chez E. ctenoides, forme un angle obtus et se présente de façon plus proéminente en vue caudale. L'épiphyse distale du fémur possède une dépression bien développée entre le condyle latéral et la lèvre médiane de la trochlée, ce qui n'existe pas chez E. ctenoides (fig.10). Sur le tibia, l'aire intercondylaire caudale de l'épiphyse proximale d ' E. ctenoides forme une palette postérieure bien développée et séparée par une profonde échancrure du condyle médial. Chez P. obscurus, cette même palette est comparativement plus faible et l'échancure entre palette et condyle médial peu profonde. La ligne extérieure de la crista tibiae est proche d'un triangle chez E. ctenoides, tandis qu'elle est trapézoïdale chez P. obscurus (fig. 11). On peut ainsi rapporter les pattes en connexion de la figure 12 à E. ctenoides. Heintz (1970) a reconnu dans le Plio-Pléistocène inférieur de France, trois espèces qui composent une lignée : Cervus pardinensis Croizet et Jobert 1828, Cervus philis i Schaub 1941 et Cervus perolensis Azzaroli 1952. Par la suite C. philisi a été mis en synonymie avec Cervus rhenanus par certains auteurs comme Azzaroli (1992) ou de Vos et al. (1995). Cervus perolensis est une espèce problématique sans définition originale et récemment de Vos et al. (1995) ont supposé que C. perolensis pouvait être un synonyme de C. rhenanus. Bœuf et al (1992) ont décrit une autre espèce Cervus ichnoceros trouvé dans le site de Chilhac (Villafranchien du Massif Central); le matériel qui comporte des crânes et des bois bien préservés n'a pas fait l'objet d'une description complète et De Vos et al. (1995) ont inclus cette forme dans la liste des synonymes de Cervus rhenanus. La différence entre C. pardinensis et C. rhenanus porte seulement sur la morphologie dentaire : C. pardinensis possède un cingulum bien développé sur les molaires supérieures alors qu'il est réduit chez C. rhenanus. Heintz (1970) a ramené arbitrairement les Cerfs villafranchiens de taille moyenne au groupe Cervus sensu lato. Plus tard, Azzaroli (1992) a introduit cette forme dans le nouveau genre Pseudodama avec Dama nestii, D. nestii eurygonos, Pseudodama lyra et Pseudodama farnetensis. Les travaux ultérieurs sur la systématique des Dama-like deer n'ont pas simplifié la question : Pfeifer (1997) a rapporté le genre créé par Azzaroli a un sous-genre du genre Dama, tandis que Di Stefano et Petronio (1997) ont créé un nouveau genre Euraxis suggérant qu'il existe une relation basée sur la proportion des membres entre les Cerfs européens et l'actuel Axis asiatique. Récemment, la description du genre Euraxis a été critiquée par Van der Made (1999). L'attribution de Pseudodama à un sous-genre du genre Dama suggérée par Pfeifer est douteuse, car elle est basée sur la morphologie des os postcraniens qui paraissent ne pas avoir une attribution spécifique sûre; de plus le squelette appendiculaire est particulièrement influencé par des facteurs paleoenvironnementaux et biomécaniques durant la locomotion ce qui lui enlève une partie de son intérêt systématique. De nombreux auteurs réfèrent les Cerfs de ce groupe à un genre et à un stock phylogénétique unique, la position systématique de ces Cerfs n'est donc pas simple car très probablement il s'est développé dans les faunes villafranchiennes plusieurs lignées évolutives indépendantes incluant le groupe Dama, la lignée Pseudodama avec les espèces Dama nestii nestii Azzaroli 1947 et une lignée éteinte incluant Cervus pardinensis et Cervus rhenanus (Croitor, sous presse). La morphologie crânienne des Cerfs de petite taille de Ceyssaguet suggère que C. rhenanus et son ancêtre C. pardinensis, forment une lignée indépendante et doivent être intégrés à un autre genre. Dietrich (1938) avait érigé en nouveau sous genre Cervus (Metacervoceros), l'espèce type Cervus pardinensis Croizet et Jobert; Samson et al. (1970) ont élevé le sous genre de Dietrich au rang de genre et c'est ce point de vue qui sera suivi dans ce travail. Les restes se rapportant au genre Dama sont abondants dans les régions méditerranéennes au Pléistocène ancien. Cette branche phylétique est caractérisée par une morphologie évoluée du crâne et de la dentition. La boîte crânienne est très courte et arrondie, les pédicule sont courts et en position intérieure, les orbites et les ouvertures ethmoïdales sont larges, la P4 présente un niveau de molarisation élevé. Parmi les plus anciennes espèces d'Europe se trouve Dama eurygono s du Villafranchien moyen terminal d'Italie. De Lumley et al. (1998) ont décrit une nouvelle forme de Cerf de petite taille “Cervus (s.l.) nestii vallonnetensis “n. ssp. provenant du gisement du Vallonnet (Alpes Maritimes) : la base de bois de chute désignée comme holotype est caractérisée par un premier andouiller très robuste inséré près de la meule et formant un angle très obtus avec la perche. La morphologie de ce spécimen est visiblement différente du spécimen type de Pseudodama nestii ce qui permet de référer le Cerf du Vallonnet au genre Dama; de plus “C. nestii vallonnetensis” parait conspécifique avec Dama nestii eurygonos du villafanchien tardif de Capena en Italie (Petronio, 1979) et représenter en fait un stade phylogénétique avancé du Dama eurygonos du Val d'Arno supérieur d'Italie. Les données incomplètes sur la morphologie du Daim du Vallonnet ne permettent pas de conclure définitivement, mais nous pensons qu'il est raisonnable d'utiliser le nom sous spécifique vallonnetensis au niveau spécifique pour désigner le Daim appartenant aux faunes villafranchiennes terminales d'Europe (= Dama vallonnetensis). Les deux fragments d'Untermassfeld attribuées par Lumley et al. à C. nestii vallonnetensis (de Lumley et al. 1998, p. 480, fig. 15) appartiennent à Eucladoceros (fragment de bois de chute) et à Metacervoceros rhenanus (bois de massacre). Actuellement les relations phylogénétiques de cette espèce avec Dama clactoniana et Dama sp. du Pléistocène moyen de Tiraspol ne sont pas claires. Le matériel de Ceyssaguet attribuable au genre de Dama est trop pauvre pour nous permettre de lui donner une attribution spécifique certaine. Synonymies : Cervus rhenanus sp.nov. Dubois 1904 (p. 219, fig.2) Cervus philisi sp.nov. Schaub1941 (p. 264, pl. 17) “Cervus” perolensis sp.nov. Bout et Azzaroli 1952 (p. 51, fig. 8) Pseudodama rhenanus (Dubois) in Azzaroli 1992 (p.4) Pseudodama perolensis Azzaroli 1992 (p.4) Cervus ichnoceros sp.nov. Bœuf et al. 1992 (p. 166) Dama (Pseudodama) rhenanus (Dubois) in Pfeifer 1997 (p. 38) A Ceyssaguet, les restes de Metacervoceros rhenanus correspondent à des individus d' âge différent. Peu d'ossements ont été trouvés en connexion anatomique. Environ neuf bois sur vingt six sont des bois de massacre avec leur pédicule (35 %), dix bois de chute sur dix sept sont rongés (environ 60 %) alors que seulement deux spécimens portant le pédicule (sur neuf) sont rongés. Il est possible que les bois de massacre appartiennent à des individus morts en hiver et qu'ils aient été recouverts par la neige ce qui les a mis hors d'atteinte des Rongeurs. Matériel étudié dans le cadre de l'étude préliminaire : crânes complets avec les bois (2 - 2318, 2 - 11217 et 2 - 15194), bois de chute (2 - 10564), bois de massacre (2 - 12292), maxillaire droit avec rangée dentaire (2 - 8398, 2 - 14603,2 - 2176), maxillaire gauche (2 - 14393), branche mandibulaire gauche avec P3 - M3 (2 - 2385), radio-cubitus droit (2 - 10942). Description : La morphologie crânienne de M. rhenanus est assez particulière et diffère considérablement de celle des Cerfs de taille comparable comme Dama, Cervus, Axis et Pseudodama. Les pédicules sont longs, comprimés dorso-ventralement et tournés vers l'arrière. Les orbites sont de taille normale et leur bord antérieur atteint le niveau de la M2, la région orbito-frontale du crâne est courte en comparaison avec celle des Cerfs du groupe Cervus-Axis, tandis que la boite crânienne est plus longue que chez le genre Dama. Les os nasaux sont longs et atteignent la ligne de connexion du bord antérieur des orbites; les fosses préorbitaires sont très larges et profondes. L'ouverture de l'ethmoide est de taille normale. Les pariétaux et les frontaux sont convexes tandis que la surface des frontaux au dessus des orbites est concave (fig. 13 et 14). Les caractères crâniens de M. rhenanus comme : le neurocrâne long, la brièveté de la région orbito-frontale ainsi que l'allongement des pédicules et leur inclinaison vers l'arrière, sont considérés comme plésiomorphiques et ils peuvent être observés sur Cervavitus du Miocène tardif (Vislobokova, 1990). Les bois à trois pointes sont lyrés avec une section circulaire. Le premier andouiller est situé à une certaine distance de la meule et son angle de bifurcation varie de 60 à 100°. La surface des bois est perlée et costulée. La bifurcation distale formée par le second andouiller, qui est inséré du côté antérieur de la perche, est orientée dans un plan parasagittal (fig. 15 et 16). Contrairement aux genres Cervus et Axis, Metacervoceros possède une zone orbitofrontale courte, des orbites situés au dessus de la rangée des dents supérieures qui s'étendent au delà du bord postérieur des os nasaux, des molaires supérieures avec un cingulum plus ou moins développé. Metacervoceros se distingue du genre Dama par des pédicules longs et dirigés vers l'arrière, un neurocrane long, des ouvertures ethmoidales petites et un premier andouiller situé haut sur la perche et formant un angle aigu avec celle -ci. Les caractères énumérés ci dessus ont une valeur générique (Vislobokova, 1990). Les dents supérieures ont un cingulum effacé, un pli protoconal et un éperon. Les parastyles et mesostyles sont bien accentués et proéminents; les costulations sur la face labiale du paracone et du métacone sont très prononcées. La face interne de l'hypocone des prémolaires supérieures est très plissotée (fig. 17); l'angle formé par les parois linguale et labiale des molaires supérieures mesuré entre le côté labial du paracone et le côté lingual du protocone de M1 est de 27°; ce caractère est constant sur tous les exemplaires de M. rhenanus de Ceyssaguet et présente un intérêt systématique important. Le pli paleaomeryx manque aux molaires inférieures. La molarisation de la P4 est tout à fait primitive, cependant quelquefois le lobe postérieur du métaconide est connecté avec l'entoconide. Matériel étudié dans le cadre de l'étude préliminaire : un maxillaire droit avec P3 - M3 (2 - 11010), un radiocubitus gauche (2 - 10332). Description : La dentition supérieure est comparativement de petite taille (fig.18). La longueur des molaires supérieures est de 44.6 mm, alors que chez Metacervoceros rhenanus de Ceyssaguet cette valeur varie de 49.5 à 51.5 mm. Le cingulum des molaires est réduit et l'ectostylide est très petit. Contrairement à M. rhenanus, l'hypocone n'a pas d'éperon, la morphologie du protocone est simple sans pli d'émail surnuméraire et, sur la face labiale des dent supérieures, le pilier des cônes et le bourrelet basilaire sont plus faibles. L'angle entre les parois labiale et linguale de la première molaire supérieure est de 35°. Cette valeur est très proche de celle de Dama eurygonos du Villafranchien d'Italie chez qui cet angle varie entre 37 et 38°. Le radiocubitus complet provient d'un cerf de petit taille qui présente des différences morphologiques avec les éléments homologues rapportés à M. rhenanus.. La diaphyse du radius et extrémité distale sont plus étroites; la profondeur de la cavité articulaire de l'articulation de la partie latérale de extrémité proximale est plus réduite ce qui suggère une surface articulaire moins développée. Le processus coronoïde de l'articulation proximale est pointu et plus élevé que celui du radius de M. rhenanus. La situation du cubitus est très particulière, diffère de ce que l'on observe chez les Cerfs villafranchiens de petite taille et rapproche les éléments étudiés du Dama dama actuel : la diaphyse du cubitus est en position plus médiane par rapport à celle du radius et forme avec celle -ci un angle droit ce qui donne à l'os une construction symétrique très caractéristique. Chez M. rhenanus, la diaphyse du cubitus est inclinée latéralement et forme un angle aigu avec la face plantaire du radius (fig.19). Le matériel réduit trouvé à Ceyssaguet ne comporte ni restes crâniens ni bois, aussi n'est-il pas possible d'effectuer de comparaisons directes avec Dama eurygonos ou avec le Daim du Vallonnnet, d'ou l'appellation Dama cf. vallonnetensis. L'association d'un Eucladoceros aux bois simples et d'un d'un Cerf de petite taille aux bois à 3 pointes se retrouve sous des noms différents dans d'autres sites du Pléistocène ancien d ' Europe de l'Ouest. Nous pouvons citer : de nombreux restes d ' Euctenoceros tetraceros et d'autres moins nombreux de “Cervus” perolensis ont été décrits dans la faune du Creux de Peyrolles (Bout, Azzaroli, 1952), de même Eucladoceros ctenoides et Cervus rhenanus font partie de la faune de d'Oosterschelde en Hollande (de Vos et al., 1995), Eucladoceros giulii et “Cervus nestii vallonnetensis” se rencontrent à Untermassfeld en Allemagne (Kahlke, 1997). Il parait logique de penser que nous nous trouvons devant les mêmes formes de Cerfs qu' à Ceyssaguet : Eucladoceros ctenoides et Metacervoceros rhenanus. Le schéma général de la distribution géographique de ces Cerfs provenant de sites fossilifères connus et correspondant aux faunes villafranchiennes terminales d'Europe montre que la distribution d ' E. ctenoides et M. rhenanus correspond à la zone tempérée d'Europe de l'Ouest (fig. 20 et 22). Contrairement aux deux espèces ci-dessus, la distribution de Praemegaceros obscurus correspond plutôt, à la même période, aux régions périphériques d'Europe; on le rencontre dans les faunes de Pietrafitta et Cava Liberatori en Italie centrale (Azzaroli et Mazza,1993 - Abbazzi, 1995), la formation du Cromer forest - bed en Angleterre (Azzaroli, 1953 - Lister,1993), la faune d'Odessa terminal de Salcia en Moldavie (Abbazzi et al. 1999) et à Rotbav-Silvestru en Roumanie (Radulescu et Samson, 1967). De nombreux restes de la faune tamanienne de Semibalki, mer d'Azov, appartiennent sûrement à P. obscurus : ils ont été décrits par Baigusheva comme Eucladoceros aff. orientalis et P. verticornis (Baigusheva, 2000). P. obscurus est associé dans les faunes mentionnées ci-dessus à des cervidés de paysages ouverts comme l'Elan primitif de Semibalki et de Salcia et Dama farnetensis (=Dama eurygonos) de Cava liberatori (fig.21). La présence d'un Daim archaïque, Dama cf. vallonnetensis dans la faune de Ceyssaguet n'est pas surprenante. Des formes de daims primitifs de type eurygonos/ vallonnetensis avec des andouillers simples sans palmation sont connues dans le Pleistocène inférieur d'Italie (Azzaroli, 1947 - Petronio, 1979) et dans le sud de la Moldavie (non publié). De Lumley et al. (1998) a décrit Dama vallonnetensis associé à un grand Cerf désigné comme “Praemegaceros “s. l. n.sp. au Vallonnet. On peut donc penser que le Daim villafranchien habitait principalement les régions européennes à climat sec et chaud (fig. 23). Les données bibliographiques relatives à E. ctenoides et M. rhenanus permettent de penser que ces deux espèces de Cervidés peuplaient à la fin de l'histoire des faunes villafranchiennes les régions d'Europe de l'Ouest. P. obscurus est connu seulement à la périphérie dans les régions nord-ouest, sud et sud-est de l'Europe, tandis que le Daim archaïque, Dama de type vallonnetensis, habitait préférentiellement les zones sud de l'Europe; Il ne fait pas de doute que la distribution des Cerfs villafranchiens était conditionnée par des facteurs éco-géographiques ce qui permet de caractériser les zones climatiques villafranchiennes. L'étude des Cerfs de Ceyssaguet permet déjà d'avancer que le site se situe dans une zone de confluence entre les cortèges fauniques ouest-européens adaptés à un climat tempéré et ceux des zones sud-européennes inféodés à des conditions plus sèches et plus chaudes .
Le gisement de Ceyssaguet (Haute-Loire) a livré de nombreux fossiles dont un grand nombre de restes de Cervidés; ceux -ci se répartissent en quatre espèces, deux de grande taille (Eucladoceros ctenoides, Praemegaceros obscurus) et deux de taille moyenne (Metacervoceros rhenanus, Dama cf vallonnetensis). De nombreux problèmes de systématique et de synonymie sont discutés afin de comprendre la position systématique des Cerfs de Ceyssaguet. A l'occasion de cette étude, les auteurs replacent ces quatre espèces de Cervidés dans l'histoire des cervidés villafranchiens d'Europe et analysent leur distribution géographique.
archeologie_525-02-11796_tei_300.xml
termith-32-archeologie
La ville d'Ittenheim est localisée à une dizaine de kilomètres à l'ouest de Strasbourg, sur le plateau du Kochersberg, vaste placage de lœss délimité par les cônes de déjection de la Zorn au nord et de la Bruche au sud (fig. 1). Le site est implanté au nord de l'agglomération, à 300 m au sud du Musaubach, petit ruisseau affluent de la Souffel. Un second ruisseau, aujourd'hui canalisé, s'écoulait au sud de l'emprise des travaux. Il conflue avec le Musaubach à 500 m environ à l'est du site. La couverture géologique se compose de lœss indifférenciés d' âge Riss à Wurm. Les vestiges du Néolithique ancien et moyen présentés ici ont été découverts à l'occasion de deux opérations de diagnostic réalisées en 2006 (Logel, Flotté, 2006; Logel et alii, 2006) et fouillés la même année (fig. 2). Une première opération de sauvetage a porté sur un secteur localisé à l'emplacement du « Complexe sportif » (Lefranc et alii, 2007). La fouille s'est soldée par la découverte d'une centaine de structures rubanées - malheureusement perturbées par une importante occupation gallo-romaine - réparties sur l'ensemble des 8500 m² décapés (fig. 3). La seconde opération (1250 m²), réalisée au lieu-dit « Lotissement du stade », à 250 m à l'ouest du « Complexe sportif », a livré quelques vestiges du Néolithique ancien et moyen que l'on doit mettre en relation avec l'occupation de ce dernier secteur (Cartier, 2007) (fig. 4). La distance séparant le « Complexe sportif » du « Lotissement du stade » semble trop faible pour que nous ayons affaire à deux habitats rubanés distincts. En Alsace, la distance habituelle entre sites contemporains est supérieure (Lefranc, 2007). Toutefois, il faut garder en mémoire le cas des habitats de Langweiler 8 et 9 (Rhénanie du Nord-Westphalie), séparés par une centaine de mètres seulement (Boelicke et alii, 1988; Stehli, 1989). Si les sites du « Complexe sportif » et du « Lotissement du stade » forment un même habitat, ce dernier s'étend sur plus de 500 m d'est en ouest (fig. 2). À titre indicatif, le village de Bischoffsheim (Bas-Rhin) a été suivi sur une longueur de plus de 270 m (Lefranc et alii, 2004), celui de Sierentz (Haut-Rhin) sur plus de 500 m (Wolf, 1997). Les plus grands établissements de la région d'Aldenhoven dépassent également les 500 m de long (Stehli, 1989). Le village rubané d'Ittenheim est donc un établissement de dimensions très importantes. Toutefois, la densité des maisons reste relativement faible : avec cinq bâtiments étudiés sur près d'un hectare, on est loin de la quarantaine de maisons de Bischoffsheim réparties sur plus de 3 ha. Les limites de l'habitat d'Ittenheim n'ont pu être déterminées. Le site s'étend très probablement vers le nord, en direction du Musaubach. Il est possible que l'habitat rubané du « Complexe sportif » ait été localisé dès le début du XX e siècle : en 1912, R. Forrer a publié quelques tessons de l'étape moyenne et du début de l'étape récente du Rubané découverts en un point non précisé de la commune d'Ittenheim (Forrer, 1912). La collection Stieber, en dépôt au Musée Archéologique de Strasbourg, recelait un petit ensemble de tessons, peut-être de même provenance, attribuables à la même fourchette chronologique (Lefranc, 2007). Les trois sépultures découvertes lors de la construction d'une maison individuelle au lieu-dit « Am Alten Weg », à proximité de la route départementale 222 reliant Ittenheim à Hurtigheim (Thévenin, 1971) et à une vingtaine de mètres au nord du « Lotissement du stade », pourraient appartenir à la nécropole du village ou n' être simplement que des sépultures en habitat (fig. 2). Sur ces trois sépultures, deux ont été détruites avant observation : la troisième est celle d'un adulte en position fléchie. L'attribution au Rubané repose sur quelques tessons que nous datons du début de l'étape récente. L'habitat rubané d'Ittenheim a livré les plans partiels de cinq bâtiments, un tronçon de fossé, trois puits, des creusements cylindriques que nous proposons d'identifier à des fosses-silos, une petite série d'inhumations en habitat et des ossements humains manipulés. La présente contribution s'articule essentiellement autour des structures d'habitat, du mobilier et des inhumations. D'autres aspects abordés dans des publications spécifiques (les manipulations des restes humains et la céramique de La Hoguette), seront plus rapidement évoqués. Les restes de faune issus des structures rubanées n'ont pas été étudiés : il s'agit soit de séries bien datées mais beaucoup trop restreintes, soit de séries plus conséquentes provenant de contextes chronologiques hétérogènes. Les prélèvements de sédiments réalisés dans les puits ont été traités en vue d'études carpologiques, malheureusement sans résultat probant. L'occupation Grossgartach, localisée au sud-est de l'implantation rubanée du « Complexe sportif » (fig. 2) et étudiée lors de la phase de diagnostic, sera brièvement présentée. Elle est matérialisée par une demi-douzaine de structures ayant livré un abondant mobilier toujours en cours d'étude. Enfin, une inhumation étudiée au « Complexe sportif » et une fosse fouillée au « Lotissement du stade » témoignent d'une occupation du secteur dans le dernier tiers du 5 ème millénaire. Nous nous référons dans cette contribution à une périodisation du Rubané d'Alsace articulée autour de quatre grandes étapes recouvrant sept stades stylistiques (Lefranc, 2007) (fig. 5). L'habitat d'Ittenheim a été fondé dès l'étape ancienne. Cette dernière est subdivisée en deux stades stylistiques, ancien B et ancien C, le stade B correspondant aux premières implantations rubanées du sud de la plaine du Rhin supérieur. Si certains ensembles d'Ittenheim semblent bien évoquer ce stade initial, nous devons néanmoins souligner qu'il est délicat de le distinguer du stade suivant à partir d'ensembles céramiques statistiquement peu représentatifs, comme c'est le plus souvent le cas ici. La question de la datation de la première implantation rubanée d'Ittenheim n'est pas sans intérêt pour l'histoire du peuplement du Kochersberg, vaste plateau loessique s'étendant à l'ouest de Strasbourg (fig. 6) : en effet, cet habitat, au même titre que les sites voisins de Stutzheim, Oberhausbergen ou Hurtigheim, installés sur les cours du Musau et de la Souffel, appartient à la catégorie des « sites de l'intérieur » (Jeunesse, 1980), catégorie regroupant les établissements implantés en retrait des rebords des plateaux, le long de cours d'eau secondaires. Cette catégorie s'oppose à celle des sites de rebord installés soit au contact des terrasses loessiques et des lits majeurs des grands cours d'eau, soit entre les terrasses loessiques et les zones de piémont. Cette dichotomie entre sites de rebord et sites de l'intérieur a été observée en d'autres régions et interprétée en terme de chronologie, les zones de contact ayant été systématiquement privilégiées par les premiers colons, l'exploitation de l'intérieur des plateaux intervenant dans un second temps. La présence d'ensembles datés du Rubané ancien B sur l'habitat d'Ittenheim, probable mais difficile à démontrer, pourrait signifier qu'en Basse-Alsace les deux modèles d'implantation apparaissent simultanément dès le début de l'étape ancienne. Les structures attribuées à l'étape moyenne sont très peu nombreuses. La sous-représentation de cette étape stylistique sur la quasi-totalité des sites rubanés de Basse-Alsace, ainsi que le petit nombre de sites du Rubané moyen repérés en prospection, tient peut-être à la courte durée de cette étape stylistique à laquelle succéderait rapidement le Rubané récent. Cette dernière étape, subdivisée en trois stades stylistiques, IVa1, IVa2 et IVb, est la mieux représentée sur le site et quatre des cinq maisons identifiées peuvent lui être attribuées. C'est également lors de l'étape récente que le plateau du Kochersberg est le plus densément occupé, avec une extension de la zone de peuplement jusqu'au pied des collines sous-vosgiennes. À l'instar de ce que l'on observe sur tous les établissements rubanés du Kochersberg, l'étape finale n'apparaît pas à Ittenheim. Elle est marquée par une désertion du plateau, une raréfaction des habitats et un reflux de ces derniers vers le secteur du piémont vosgien. À propos de l'abandon du Kochersberg à la fin de l'étape récente, rappelons l'analyse de Ch. Jeunesse qui a proposé une mise en relation de cette désertion avec l'oscillation climatique sèche mise en évidence en Europe centrale par H. Quitta (1969). La fragilité historiquement attestée du bassin de la Souffel - qui irrigue la quasi-totalité des sites localisés au nord de la Bruche - constituerait un des facteurs ayant entraîné ce retrait. Les maisons 1 à 4 ont été mises au jour à l'emplacement du « Complexe sportif » et la maison 5 au lieu-dit « Lotissement du stade » (fig. 2). Les plans des maisons sont très partiels et n'autorisent aucune analyse architecturale détaillée. Tous les bâtiments identifiés sont orientés ONO-ESE, à l'image de la totalité des maisons de Basse-Alsace. Plus précisément, les maisons les mieux conservées (maisons 1 et 2) suivent un axe d'environ 20 degrés ouest (fig. 3). Sur l'habitat rubané de Bischoffsheim (Lefranc et alii, 2004) nous avons observé des différences d'orientation bien marquées entre les bâtiments relevant des trois grandes étapes chronologiques représentées : les maisons de l'étape ancienne sont majoritairement orientées dans un éventail compris entre 41 et 53 degrés ouest, les maisons de l'étape moyenne dans une fourchette resserrée comprise entre 24 et 35 degrés ouest, et les bâtiments de l'étape récente entre 17 et 37 degrés. Une confrontation avec les orientations des autres maisons de Basse-Alsace indique que ce schéma évolutif relativement précis n'est valable que pour le site de Bischoffsheim : à l'échelle de la Basse-Alsace, la tendance qui se dessine montre un passage d'une orientation ONO-ESE à E-O entre le Rubané ancien et récent. Les maisons d'Ittenheim s'inscrivent dans l'éventail des orientations attestées pour l'étape récente. La maison 1 est localisée dans l'angle sud-ouest de la zone 1 (fig. 7). Elle comprend une dizaine de trous de poteau, conservés sur une très faible profondeur, et des vestiges de fosses latérales. Deux tierces seulement sont intégralement conservées : la première, probablement la tierce la plus orientale du bâtiment, atteint 4 m de largeur (3,50 m de centre à centre). La seconde présente un poteau méridional légèrement décalé vers l'ouest. Il est difficile de proposer une restitution du plan originel : l'hypothèse d'un bâtiment tripartite de type Grossbau (typologie Modderman, 1970), pourvu d'un grenier auquel nous pourrions rattacher les vestiges des trois tierces orientales et éventuellement une tierce disparue, paraît assez probable. La tierce à poteau décalé diviserait la partie centrale en deux travées. Les poteaux de la partie arrière n'ont pas été observés. Quelques trous de poteau appartenant aux parois du bâtiment permettent d'estimer la largeur de la maison à environ 6 m pour une longueur observée de 15 m. Le mobilier recueilli dans les structures identifiées aux fosses latérales est rare. Les tessons recueillis appartiennent au Rubané récent (fig. 8, n os 1-6) : l'un d'eux porte un décor de spirale rectilinéaire, critère pertinent pour une attribution au stade IVa1 (fig. 8, n° 1). Les autres individus peuvent être attribués à l'étape récente sans précision. Nous reviendrons plus longuement sur un décor de bord composé de deux rangées d'impressions réalisées à l'aide d'un peigne utilisé en mode pivotant (fig. 8, n° 2). Le second bâtiment dûment identifié est localisé dans l'angle nord-est du secteur 2 (fig. 3). Il regroupe une dizaine de trous de poteaux peu profonds et quatre fosses identifiées comme des fosses latérales. L'édifice a pu être observé sur 18 m de longueur; la largeur des deux tierces conservées est de 4,80 m. Le plan, très lacunaire, ne nous aide guère à identifier le type de bâtiment dont il s'agit; cependant, les deux tierces orientales très rapprochées constituent un dispositif fréquent des maisons tripartites pourvues de greniers (Lefranc et alii, 2004). La datation de l'édifice repose sur un corpus céramique réduit issu des fosses 291, 301 et 304. La céramique offre des caractères archaïques permettant de proposer une datation au stade IVa1 (fig. 8, n os 7-15). Le recoupement de la fosse latérale 291 par une petite structure de type Kesselgrube contenant une poignée de tessons attribuables au stade suivant conforte cette proposition. À 25 m environ au nord-est de la maison 1, devait s'élever un bâtiment n'ayant laissé d'autres traces que quelques lambeaux de fosses latérales orientées ONO-ESE et délimitant un espace d'une dizaine de mètres de largeur - espace équivalent à celui séparant les fosses attribuées aux maisons 1 et 2 - susceptible d'avoir accueilli un édifice (fig. 7). Des collages inter-fosses permettent d'associer la structure 87 de type Kesselgrube, localisée à une dizaine de mètres au sud-ouest, au même ensemble. Le mobilier est peu abondant mais suffisamment caractéristique pour autoriser une datation à l'étape moyenne (fig. 9, n os 1-9). Sur le même emplacement que la maison 3, plusieurs fosses oblongues orientées sur un axe de 20 degrés ouest, signalent un bâtiment totalement érodé (fig. 7). Le mobilier relativement riche des fosses latérales que l'on peut rattacher à ce bâtiment, appartient au stade IVa2 (fig. 8,n os 16-29). Du plan de cette maison localisée à l'emplacement du lotissement du stade et observée sur 11,50 m de longueur, ne subsistent plus que dix trous de poteau dessinant l'ossature interne : ils s'organisent en quatre tierces de 3,80 à 4,20 m de largeur, dont deux complètes. Ces tierces sont perpendiculaires au grand axe de la maison, sauf une, légèrement oblique. Elles ne sont pas disposées régulièrement. Trois d'entre elles sont très rapprochées, ce qui rappelle la partie avant des Grossbau. Selon cette hypothèse, la quatrième tierce appartiendrait à la partie centrale tandis que la partie arrière s'étendrait en dehors de la zone décapée. Il n'est pas impossible toutefois, compte tenu du mauvais état de conservation des trous de poteau, qu'il s'agisse d'une Bau, c'est-à-dire d'une maison composée seulement d'une partie arrière et d'une partie centrale. Le mobilier découvert dans la fosse latérale St. 53 permet d'attribuer cette maison au stade IVa1 (fig. 9, n os 10-12). Trois structures profondes atteignant le niveau de la nappe phréatique ont pu être assimilées à des puits, aménagements jusqu'ici encore inédits en Alsace (fig. 10 et 11). L'érosion de la plupart des structures rubanées et le profond bouleversement du terrain apporté par l'installation gallo-romaine nous enlèvent malheureusement toute possibilité d'étudier l'environnement immédiat de ces structures localisées de surcroît en limite de l'emprise des travaux du « Complexe sportif » (fig. 3). Le puits 349 est localisé dans le quart sud-ouest de la zone 2, à un mètre seulement au nord du puits 485. En surface, il présente un plan circulaire d'environ 2,30 m de diamètre. Sa profondeur conservée est de 3,20 m sous le niveau du décapage (soit, en tenant compte de la couche de lehm sus-jacente, épaisse d'une soixantaine de centimètres, une profondeur minimale estimée à 3,80 m). La fosse d'installation affecte une forme cylindrique jusqu' à une profondeur de 2 m, profondeur à laquelle elle adopte un plan quadrangulaire de 0,80 m de côté, aux angles arrondis grossièrement orientés sur les points cardinaux. À partir de - 2,80 m, le plan quadrangulaire laisse place à un creusement circulaire allant en se rétrécissant jusqu'au fond de la structure. À partir de - 1,10 m, on observe en stratigraphie une couche de lehm présentant des parois dont la régularité et la verticalité permettent sans ambiguïté de conclure à l'existence d'un aménagement interne aujourd'hui disparu. Le comblement de l'espace compris entre les parois de la fosse d'installation et les parois externes de cet aménagement est constitué de lœss, de lehm, mais également d'argile, matériaux divers extraits lors du creusement de la fosse. Les différences de teintes observées en plan à environ 1,20 m de profondeur permettent de restituer un caisson de plan carré d'environ 0,80 m de côté aux angles orientés sur les points cardinaux. La partie supérieure du remplissage présente un profil en entonnoir que l'on doit certainement imputer à un phénomène d'effondrement des parois. Cette configuration caractéristique se rencontre sur de nombreux ouvrages bien documentés dont les puits étudiés à Eythra (Staüble, Campen, 1998), Schletz, Mohelnice (Windl, 1998) ou encore Erkelenz-Kückhoven (Weiner, 1998a et b). Le fond du puit consiste simplement en un creusement « en cuvette ». Le même aménagement s'observe dans le fond du puits 485 (fig. 11) ainsi que sur la plupart des puits de type Kastenbrunnen (voir infra) du Rubané. Le remplissage du fond, très argileux, se différencie nettement de celui du caisson, constitué de lehm brun sombre. Le mobilier recueilli, peu abondant, se limite à un petit morceau de meule en grès, quelques fragments de céramique grossière dont un bord de vase en trois quarts de sphère (fig. 12, n° 9) et un col de bouteille (fig. 12, n° 10), une dizaine de tessons décorés et des ossements animaux : ces objets, y compris les tessons décorés, étaient répartis sur toute la hauteur du comblement. Tous les décors recensés se rapportent à l'étape ancienne sans plus de précision (fig. 12, n os 1-8). L'homogénéité du remplissage suggère un comblement intentionnel réalisé en une seule étape, peut-être immédiatement après l'effondrement de la partie supérieure de l'ouvrage. Les sédiments prélevés dans le fond du puits, traités et étudiés par J. Wiethold (INRAP), n'ont livré aucun macro-reste végétal non carbonisé. Les rares charbons de bois observés ont été identifiés comme Quercus spec., probablementle chêne pédonculé, espèce la plus fréquente dans le nord-est de la France. Le puits 485 présente un plan circulaire d'environ 2 m de diamètre pour une profondeur conservée de 2,80 m sous le niveau du décapage, soit environ 3,40 m sous le niveau du sol actuel. À 0,80 m sous la surface du décapage apparaît un plan quadrangulaire aux angles arrondis d'environ 1,70 m de côté. Au centre de ce creusement correspondant à la fosse d'installation, se détache le plan plus sombre du remplissage d'un caisson disparu, également quadrangulaire, d'environ 1,20 m de côté et aux angles orientés sur les points cardinaux. De l'ouverture à environ - 2,50 m, la nature du remplissage ne varie guère : il s'agit toujours d'un lehm brun sombre ne contenant que de rares tessons. À - 2,50 m, la couche aquifère est atteinte et le creusement affecte alors un plan circulaire. La couche argileuse, qui correspond au niveau de battement de la nappe, contenait plusieurs grands fragments d'une bouteille pourvue d'éléments de préhension perforés (fig. 12, n° 11). L'homogénéité du comblement du coffre, bien visible en coupe, inspire la même remarque que pour le puits 349 : il semble qu'il s'agisse ici aussi d'un comblement intentionnel et rapide. Le parfait maintien des parois, quasiment jusqu'au niveau de l'ouverture, l'absence de couches anthropisées ou de traces d'effondrement, plaident en faveur de cette hypothèse. Parmi la céramique recueillie figurent deux tessons décorés que l'on peut attribuer soit au Rubané moyen, soit au tout début de l'étape récente (fig. 12, n os 12-13). La proximité même des puits 349 et 485 amène à rejeter l'idée d'une mise en fonctionnement simultanée des deux structures : nous sommes enclins, en accord avec les datations fournies par la céramique, à proposer un scénario tenant compte de la courte durée d'utilisation du puits 349, construit et condamné au cours de l'étape ancienne; le puits 485, probablement comblé au Rubané moyen (ou, au plus tard, au début de l'étape récente), aurait été construit immédiatement après l'abandon de son homologue, dans le courant de l'étape ancienne. Selon cette hypothèse, il aurait lui aussi fonctionné pendant un laps de temps relativement court. La dernière structure identifiée comme puits a été découverte lors de la fouille mécanique du Komplexgrube 247, localisé à proximité de la limite orientale du secteur 2. La structure 467, apparue à 0,90 m sous le niveau de décapage, offre un plan ovale de 1,50 x 0,70 m. Tout entière comprise dans le substrat loessique, elle est comblée par une unique couche de sédiment lehmique brun-noir. Le fond de la structure a été atteint à 2,30 m sous le niveau du décapage (soit 2,70 m sous le niveau du sol actuel). Sur ses 80 premiers centimètres, le creusement affecte une forme tronconique; à partir d'un mètre, les parois se redressent brutalement et le plan ovale laisse place à un plan circulaire (diamètre : 0,60 m). La paroi orientale reste parfaitement verticale sur 0,90 m, avant de s'incurver vers le fond de la structure. La paroi occidentale est marquée par un nouveau décrochement : en plan, il s'agit d'un rétrécissement du creusement dont le diamètre passe de 0,60 m à 0,50 m. Le fond de la structure affecte une forme en cuvette. Ce creusement, qui atteint la couche aquifère à 2,70 m sous le niveau du sol actuel, s'éloigne du type décrit pour les structures 349 et 485. Le plan ovale, que nous pouvons restituer sur une profondeur originelle d'au moins 1,60 m, ainsi que l'étroitesse du creusement (de 0,50 à 0,60 m) dans sa moitié inférieure, constituent des caractères originaux rarement rencontrés dans la littérature. L'attribution du puits 467 au Néolithique ancien repose essentiellement sur la nature du remplissage et sur la présence, à une vingtaine de centimètres au-dessus du fond, d'un fragment de vase muni d'un élément de préhension perforé (fig. 12, n° 14). Deux des trois structures d'Ittenheim (St. 349 et 485) peuvent être identifiées à des puits pourvus d'aménagements internes (type Kastenbrunnen de la littérature de langue allemande). Le troisième (St. 467), dépourvu d'aménagement identifiable et de dimensions plus modestes, relève d'un second type moins répandu. La découverte du désormais célèbre puits d'Erkelenz-Kückhoven en Rhénanie-Westphalie a relancé l'intérêt pour ce type de construction (Weiner, 1998a). Les puits datés du Rubané sont relativement peu nombreux mais bien publiés; plusieurs d'entre eux, ayant conservé leurs aménagements intérieurs, permettent de mieux appréhender l'architecture des exemplaires qui en sont dépourvus. Les Kastenbrunnen se présentent en surface sous la forme de taches circulaires dont les diamètres sont compris entre 2 et 4 m. Leurs profondeurs conservées, extrêmement variables, oscillent entre 1 m et 13 m. La fosse d'installation peut être cylindrique ou de forme grossièrement quadrangulaire à angles arrondis. Un caisson quadrangulaire en occupe systématiquement le centre. L'espace externe au caisson est comblé au moyen des matériaux extraits. En ce qui concerne la chronologie, aucune évolution typologique n'est perceptible entre les exemplaires les plus anciens (Mohelnice, Zipfendorf) et ceux, plus nombreux, attribués aux étapes récente et finale du Rubané (Eythra, Rhemsdorf, Schletz). Plusieurs puits, aux bois non conservés, sont strictement comparables aux structures 349 et 485 où les aménagements internes ne sont plus décelables qu' à travers les variations de teinte du remplissage. C'est notamment le cas des puits de Schletz en Autriche, de Mohelnice en Bohême (Windl, 1998) et de l'exemplaire découvert à Mannheim-Strassenheim (Kr. Mannheim-Wallstadt) (Antoni, Koch, 2002). Dans tous les cas où les aménagements internes sont préservés ou simplement observés sous forme de traces, il s'agit de caissons quadrangulaires d'environ un mètre de côté. À Eythra (Windl, 1998), Rehmsdorf (Einicke, 1998) et Erkelenz (Weiner, 1992), les exemplaires conservés ont été édifiés à l'aide de poutres de chêne croisées, encochées et assemblées à mi-bois. Il est probable que les aménagements des puits 349 et 485 d'Ittenheim, de plan et de module identiques à ceux des exemples cités, aient été construits selon les mêmes principes. Enfin, d'autres aménagements comme des poteaux plantés verticalement à chaque coin extérieur du cuvelage (Rhemsdorf) ou à l'intérieur de ce dernier (Schletz, Mohelnice) ont également été notés. Les caractères du puits 467 s'éloignent du type Kastenbrunnen. Les rares monuments offrant quelques points communs avec ce dernier sont le puits de Zadubravlje (Croatie), attribué à la culture de Starcevo (Minichreiter, 1998), et le puits rubané d'Hologne-Douze Bonniers (Jadin, Cahen, 1998). À Zadubravlje, il s'agit d'un creusement cylindrique profond de 4,50 m pour un diamètre réduit de 0,90 m. À Hologne, la cavité, observée sur une profondeur de 6,25 m sous le niveau du sol actuel, présente des parois verticales pour un diamètre d'environ 1,20 m seulement. La verticalité des parois, l'étroitesse du creusement, l'absence d'aménagement intérieur, mais également l'ébrasement des parois dans leurs parties supérieures, sont les quatre points rappelant le puits d'Ittenheim. Ces trois exemples pourraient être rattachés à la catégorie des Schachtbrunnen ohne Zimmerung, catégorie dont l'existence même ne constitue qu'une hypothèse de travail (Weiner, 1998b). On ne peut en effet totalement exclure l'existence d'aménagements internes n'ayant laissé aucune trace décelable. Quatre fosses cylindriques ont été identifiées (St. 466, 480, 481 et 484). Il s'agit de fosses dont la profondeur minimale est comprise entre 1,20 et 1,48 m pour un diamètre oscillant entre 0,80 m et 1,30 m (fig. 13). Les parois sont parfaitement verticales et les fonds légèrement concaves. Ces fosses n'ont livré qu'un maigre mobilier autorisant toutefois une attribution très probable au Rubané. Il s'agit de tessons datés du début du Rubané récent (fig. 13, n° 2) et de la fourchette Rubané ancien/moyen (fig. 13, n° 1). La fosse 484, qui ne contenait qu'un élément de préhension en céramique grossière (fig. 13, n° 3), est quant à elle recoupée par un complexe de fosses ayant livré un mobilier appartenant aux étapes ancienne et récente du Rubané (St. 455). Les caractères morphologiques de ces quatre cavités nous orientent vers deux interprétations possibles : les fosses de stockage de type « silo » et les citernes. La seconde de ces propositions semble pouvoir être écartée, les rares structures ainsi identifiées sur quelques sites de Belgique (Jadin, Cahen, 1998) ou d'Allemagne (Neth, 1999) étant de modules nettement plus importants. Des fosses cylindriques datées du Rubané ont anciennement été signalées sur les sites alsaciens de Quatzenheim et de Lampertheim (Gallia, 1948, t. 6, n° 1, p. 193-194; Gallia Préh., 1960, t. 3, p. 211) mais leur assimilation à des structures de type « silo » ainsi que leur attribution au Néolithique ancien demeurent fortement hypothétiques. Pour le Rubané occidental, les exemples les plus convaincants proviennent des habitats Rubané moyen d'Orcontes, Ecriennes et Larzicourt, dans la Marne, où plusieurs fosses cylindriques ou à profil « en cloche » ont été identifiées à des silos céréaliers (Tappret, Villes, 1996). Leur fonction est déduite de leur morphologie, mais surtout, critère décisif, de la conservation dans un silo d'Ecriennes d'une grande quantité de céréales carbonisées. Les fosses 15 et 19 d'Orcontes et 21 et 24 d'Ecriennes présentant des ouvertures circulaires d'environ 1,20/1,30 m de diamètre, des parois sub-verticales et des fonds plats, sont celles qui se rapprochent le plus des exemplaires d'Ittenheim. Dans la même région, d'autres fosses de stockage sont signalées sur le site Rubané récent d'Ante (Marne) où G. Chenet a anciennement exhumé, outre une dizaine de structures circulaires que Tappret et Villes identifient à des structures de type silo, plusieurs fosses circulaires de grand diamètre dont la partie centrale était surcreusée par une structure cylindrique, configuration qui n'est pas sans rappeler celle de la fosse 481 d'Ittenheim (Chenet, 1926). La couche d'argile tapissant le fond du creusement 480 d'Ittenheim (fig. 13, St. 480, couche 2) pourrait faire écho à la structure 729 d'Orcontes dont l'imperméabilité était assurée par une couche d'argile crue appliquée sur les parois. Si nous ne disposons guère d'arguments décisifs en faveur de l'hypothèse « fosse de stockage » de type « silo » pour les creusements cylindriques d'Ittenheim, l'étroite parenté morphologique entre nos exemplaires et ceux de la Marne nous amène néanmoins à privilégier cette hypothèse en attente de nouvelles découvertes régionales plus explicites. Il aurait été extrêmement intéressant de vérifier si ces structures se rattachaient à des unités d'habitation particulières ou si elles se localisaient à l'intérieur des maisons comme le cas a été signalé en Hesbaye (Jadin, Cahen, 1998). La disparition de la plus grande partie des structures rubanées, érodées ou détruites par l'occupation gallo-romaine, interdit malheureusement toute observation de cette nature. Le long segment de fossé mis au jour dans le secteur 1, de tracé quasiment rectiligne, se développe sur 52 m de longueur sur un axe NE-SO (fig. 3, zone 1, St. 15). Son extrémité nord est marquée par une légère inflexion vers l'ouest et son extrémité sud par une interruption de dimension inconnue. Il s'agit manifestement d'une construction de vaste ampleur dont il est difficile d'estimer la dimension. Sa largeur oscille entre 1,80 m et 2,50 m. Peu profond (0,35 m), il présente un profil en cuvette et un fond relativement régulier (fig. 14). Son remplissage, très homogène, est constitué par un lehm de teinte claire. Sa datation repose sur un nombre d'éléments restreint; outre quelques fragments humains sur lesquels nous reviendrons, le remplissage n'a livré que des débris de faune et de céramique grossière, un éclat de silex et trois tessons décorés attribuables à la première partie du Rubané récent (fig. 14, n os 1-3), éléments nettement insuffisants pour nous permettre d'en appréhender la chronologie. L'attribution au Néolithique ancien peut néanmoins être tenue pour acquise, le fossé étant clairement recoupé par une fosse ayant livré un matériel rubané que nous ne pouvons malheureusement pas dater avec précision (fig. 14, St. 22). Mentionnons également l'inhumation 33 datée du dernier tiers du 5 ème millénaire et partiellement installée sur le tracé du fossé. Nous connaissions jusqu'ici trois fossés du Rubané en Alsace. Deux sont datées de l'étape ancienne; le troisième, fondé lors de l'étape récente, est à l'origine de la définition du « type de Rosheim » désignant des enceintes constituées d'un agrégat de fosses diachrones, de profils et de profondeurs variables. Les courts segments qui constituent ces enceintes présentent de nombreux recoupements créant une impression de continuité du tracé (Jeunesse, 1996; Jeunesse, Lefranc, 1999; Schmidt, 2005). Ces enceintes – probablement des enceintes cérémonielles – sont localisées en périphérie immédiate des habitats identifiés comme des « places centrales » (Lüning, 1998). Les deux fossés rubanés datés de l'étape ancienne, mis au jour dans la région de Colmar et que l'on peut identifier comme des fossés ceignant les habitats, offrent des caractères morphologiques très proches de ceux caractérisant le fossé d'Ittenheim, notamment un tracé régulier, une faible profondeur et un profil constant en cuvette (Jeunesse, 1993a et b; Jeunesse, 1996). Ces attributs les apparentent également à plusieurs fossés d'outre-Rhin datées des étapes ancienne et moyenne (Krause, 1998; Schmidgen-Hager, 1992; Höhn, 1985). Les traits « archaïques » notés à Ittenheim pourraient, en accord avec les rares tessons décorés, conforter l'hypothèse d'une datation au tout début de l'étape récente, mais également, orienter la datation du premier état de la structure vers les étapes ancienne ou moyenne; l'absence d'élément déterminant nous oblige cependant à insister sur le caractère très hypothétique de ces propositions et à considérer comme largement ouverte la question de sa datation précise. Le site a livré quatre inhumations (4, 108, 464, 473) ainsi que des ossements isolés attribués au Rubané. Les sépultures 4, 464 et 473 correspondent à des inhumations primaires en contexte d'habitat venant compléter un petit corpus régional qui compte aujourd'hui une quinzaine d'individus. Ce corpus, si on le compare à celui issu des nécropoles, est marqué par une plus forte proportion des immatures, trait caractérisant également l'ensemble des sépultures en habitat du Bade-Wurtemberg (Orschiedt, 1996) et d'Europe centrale (Veit, 1988). L'échantillon régional disponible est encore trop restreint – et les datations trop souvent incertaines – pour permettre d'aborder plus en détail la question du recrutement des individus. Les orientations observées à Ittenheim relèvent des deux grands groupes d'orientations caractérisant les nécropoles du Rubané récent régional. On notera les orientations « antipodiques » des individus 464 et 108, respectivement inhumés la tête au NO et au SO. L'inhumation 108, très particulière, ainsi que la plupart des ossements isolés mis au jour dans le fossé 15 et dans le Komplexgrube 257 (fig. 4, zone 2), évoquent des gestuelles mortuaires non conventionnelles complexes, jusqu'ici inédites dans le sud de la plaine du Rhin supérieur (Lefranc, Boës, 2009), mais bien documentées sur plusieurs sites allemands. Le débitage d'ossements « frais » encore pourvus de leur trame protéique et les manipulations de corps mis en évidence à Ittenheim trouvent d'intéressants parallèles dans les nombreux restes humains de l'enceinte de Herxheim, dans le Palatinat (Haüsser et alii, 2004), ainsi que dans d'autres ensembles dont les conditions de dépôt diffèrent (fosses d'habitat, karsts), mais qui se caractérisent également par la fragmentation intentionnelle des restes humains (Jeunesse, 1997; Orschiedt, 2004; Pasda et alii, 2004). Individu adulte (masculin ?) orienté sur un axe NNE-SSO, tête au NNE, reposant sur le côté gauche en position fléchie. Le creusement n'est pas visible. Un fragment de petit vase piriforme non décoré et très altéré a été déposé au niveau du crâne (fig. 15, inh. 4, n os 1 et 2). L'attribution au Rubané est assurée par une datation radiométrique (Poz-18997 : 6180 ± 40 BPsoit 5230-5000 av. J.-C. à 1 σ). Le squelette est mal conservé et plusieurs segments anatomiques n'ont pas été retrouvés lors de la fouille. L'individu repose sur le côté gauche, les bras alignés le long du corps, les avant-bras fléchis. L'avant-bras gauche, recouvert par l'humérus droit en vue postérieure, est en supination. La déconnexion entre l'humérus droit et les os de l'avant-bras en pronation est probablement liée à l'affaissement général des volumes corporels. La variation des altitudes relatives est très réduite sur l'ensemble du squelette (1 cm). Il est difficile, au regard de ces observations lacunaires, de préciser l'environnement du corps lors de son dépôt dans le sol (seuls quelques indices évoquent une décomposition en espace vide). Individu adulte, probablement féminin, orienté NO-SE, tête au NO, et reposant sur le fond d'un creusement appartenant au complexe de fosses 257. L'attribution au Rubané repose sur une datation radiométrique (Poz-19105 : 6150 ± 40BP soit5220–4990 av. J.-C. à 1 σ). Sa position allongée suggère une datation au Rubané récent. Le squelette repose sur le dos, en léger appui sur le côté droit. Les bras sont alignés le long du corps, avec les avant-bras en extension. Le crâne, en vue antérieure, est en connexion avec la mandibule. La ceinture scapulaire est affaissée, mais le volume du thorax est en partie préservé. Les avant-bras apparaissent en pronation à droite et en supination à gauche. Les os des mains sont en connexion anatomique, même au niveau de la main gauche, dont les os sont en équilibre instable en avant de l'abdomen. À ce niveau, la main est en flexion palmaire. Le genou gauche est situé en arrière du genou droit, position que l'on peut également remarquer au niveau des pieds. Les déconnexions observées au niveau du métatarse et de la patella gauches peuvent indiquer un léger déplacement de ce membre qui pouvait être en appui partiel sur le membre opposé au moment du dépôt du corps dans la fosse. Le squelette repose sur un sol irrégulier, présentant une pente dans le sens longitudinal. Le côté droit du corps est en appui contre la paroi ouest de la fosse. La position verticale de la scapula gauche et le maintien de la connexion scapulo-humérale gauche signalent également un effet de butée à ce niveau du corps. Le maintien en connexion anatomique de la main gauche et la préservation partielle du volume thoracique évoquent bien ici un colmatage progressif du cadavre. Les déconnexions observées au niveau du membre inférieur gauche ne suffisent pas à prouver ici une décomposition en espace vide. Enfant entre 4 et 6,5 ans, orienté NO-SE, tête au SE, déposé dans une fosse ovale d'environ 0,80 x 0,40 m, localisée immédiatement à l'ouest du complexe de fosses 257. Le squelette repose sur le dos, les bras en légère adduction et les membres inférieurs fléchis vers le côté gauche. Le crâne, en déconnexion avec la mandibule, apparaît en vue latérale gauche. La mandibule est en vue antérieure. Le gril costal est affaissé et le volume de la ceinture scapulaire n'est pas conservé. Le rachis cervical est en partie disloqué et l'hémi-atlas gauche est apparu dans le volume de l'hémi-thorax gauche. Les bras sont en légère adduction, avec les avant-bras fléchis. L'avant-bras gauche est disloqué en avant de l'hémi-thorax gauche. Une diaphyse de métacarpien est également apparue en déconnexion dans le volume de l'abdomen. Le bassin est ouvert et les membres inférieurs sont fortement fléchis. L'affaissement général des volumes corporels ne permet pas ici de préciser l'espace de décomposition du corps. Les déplacements d'os dans le volume initial du corps évoquent un colmatage différé. Ce type de colmatage peut être dû à la présence d'une enveloppe souple autour du corps ou de simples vêtements portés par le défunt. Les arguments sont trop peu nombreux pour attester la présence d'un espace vide. L'inhumation 108 est localisée sur le tracé du fossé 15, au niveau de l'interruption sud (fig. 14). En plan, la fosse sépulcrale se présente sous la forme d'une tache ovale d' 1,30 m de longueur pour une largeur maximale de 0,54 m et une profondeur conservée de 0,62 m sous le fond du fossé. La relation stratigraphique entre les deux structures n'est pas très claire mais semble indiquer un recoupement de l'inhumation 108 par le fossé. La fosse sépulcrale 108 est apparue en plan sur le fond du fossé 15, lors de la fouille mécanique de ce dernier. Son antériorité par rapport au fossé est suggérée par la nature même de son remplissage, de teinte très sombre, qui n'était visible à aucun niveau du comblement du fossé. L'hypothèse selon laquelle le creusement 108 aurait été aménagé sur le fond du fossé avant comblement de ce dernier, quoique peu probable, ne peut être totalement écartée. La fosse présente des parois sub-verticales et un fond plat à légèrement concave. Les vingt premiers centimètres du remplissage ont livré des os en position secondaire. L'individu 108, probablement un homme adulte, orienté SO-NE, la tête au SO, repose sur le fond de la fosse. Cette inhumation n'ayant livré aucun mobilier, nous avons fait dater une diaphyse provenant du paquet d'ossements en position secondaire; la large fourchette chronologique obtenue (Poz-22700 : 6150 BP ± 40 soit 5210-5090/5080-5040 av. J.-C. à 2 σ et 5220-4990 av. J.-C. à 1 σ) permet d'assurer l'attribution au Rubané, mais n'autorise guère de plus amples développements. Le squelette repose sur le dos, le bras droit aligné le long du corps et les fémurs en extension. Le bras droit est en légère abduction, avec l'avant-bras fléchi. Le volume de la ceinture scapulaire est affaissé (scapula droite mise à plat), mais la scapula gauche apparaît en position verticale. Le gril costal n'est pas affaissé vers le bas du corps. Le rachis est en connexion stricte en vue antérieure, également au niveau de l'atlas et de l'axis. Le bassin apparaît en vue antérieure, avec un très léger appui sur le coxal droit et une très légère rotation vers la gauche. Les fémurs, en connexion avec les os coxaux, sont en vue antérieure à droite et en vue antéro-médiale à gauche. Le tiers distal des os de l'avant-bras n'est pas conservé ainsi que les membres inférieurs en-dessous des tiers distaux des fémurs. Aucun os appartenant au membre supérieur gauche n'a été retrouvé lors de la fouille. Le crâne n'est représenté que par quelques fragments dont l'os temporal et l'os zygomatique droits, ainsi qu'un fragment de l'os occipital. La position de ces fragments indique que le crâne devait reposer en vue antérieure. En l'absence des segments anatomiques présentant des articulations labiles (essentiellement mains et pieds), les critères ostéo-articulaires permettant d'établir une chronologie relative de la putréfaction du corps sont peu nombreux. La forme concave du creusement a limité les possibilités d'ouverture des os du bassin et l'affaissement des volumes n'a pas entraîné de déplacement d'os en dehors du volume corporel initial. Il semble que le gril costal ne se soit pas complètement affaissé, toutes les côtes apparaissant en effet en vue antérieure. Le squelette 108 a livré plusieurs indices signalant des fracturations d'os intervenues sur « os frais » au niveau des fragments d'os occipital mis au jour, de la clavicule gauche, de la diaphyse humérale droite et probablement au niveau de l'extrémité distale du radius droit et des fémurs (l'état de conservation des os ne permet pas un examen complet des cassures). Il n'a pas été possible de préciser si les coups portés sur l'individu 108 ont été faits de son vivant, ou après sa mort. En revanche, on peut établir que le prélèvement de son crâne est intervenu dans la fosse, comme en témoignent certains fragments retrouvés à l'emplacement initial de la tête. Cet ensemble regroupe plusieurs os présentant des fracturations sur « os frais ». Il s'agit d'un fragment d'os pariétal présentant une cassure en biseau affectant les deux tables osseuses, d'une branche montante gauche, présentant un impact sur la face latérale de l'os, d'un fragment de scapula droite, d'un arc neural de vertèbre thoracique et d'une diaphyse fémorale gauche présentant un impact sur la face antéro-médiale de l'extrémité distale de l'os. Le lot d'ossements ne contient pas de doublons. Aucun os ne semble compatible avec le squelette 108, à l'exception peut-être d'un tiers proximal d'humérus gauche. Les dimensions et la morphologie de cet os sont compatibles avec l'humérus droit du squelette en place. Les nombreuses cassures récentes sur cet os ne permettent pas de préciser davantage cette hypothèse. Une extrémité proximale d'humérus immature indique un âge compris entre 18 et 25 ans (Ferembach et alii, 1980). Le tiers distal également mis au jour est mature, mais il demeure compatible avec l'extrémité immature dans la mesure ou sa soudure intervient entre 14 et 18 ans. Les fragments de crâne sont compatibles avec le crâne de l'individu 108. Le temporal gauche présente toutefois quelques différences morphologiques, notamment au niveau de la mastoïde. Sur le temporal de l'individu 108, la portion de l'os située en arrière du vestige de la suture squamo-mastoïdienne apparaît plus bombée. D'une manière générale, le processus mastoïde de cet individu est plus robuste que sur le temporal des os en position secondaire. Les os en position secondaire ont donc livré les restes de deux individus minimum, dont un fragment d'humérus compatible avec l'individu 108. En dehors de cet os, les autres vestiges peuvent appartenir à un seul et même individu. Les fracturations observées sur les os en position secondaire indiquent également un traitement avant la dégradation complète des os. Le dépôt volontaire de ces os est probablement intervenu après le colmatage du squelette 108. L'attribution de ces ossements au Néolithique ancien repose sur leur position stratigraphique au sein d'un vaste creusement présentant un remplissage de lehm brun à noir, identique à celui qui caractérise la majorité des fosses rubanées. Le mobilier recueilli dans ce Komplexgrube se limite à une quarantaine de fragments de vases en céramique grossière, deux outils en os (fig. 21, n os 9-10) et quatre petits tessons décorés datés de la seconde partie du Rubané récent. Le crâne 465 : il s'agit d'un calvarium (crâne sans mandibule) apparu en vue latérale gauche. Les os sont en bon état de conservation et seules les fracturations intervenues lors de la mise au jour du crâne affectent les os de la voûte. Prélevé en bloc, le démontage du crâne lors du lavage a permis d'observer la présence, en connexion avec l'os occipital, de l'atlas et l'axis, apparus en vue latérale gauche. Aucune fracturation sur os frais n'a été observée sur le crâne. Les portions gauches de l'os frontal et du pariétal n'ont toutefois pas pu être observées dans le détail, du fait de cassures récentes. Les deux vertèbres sont malheureusement incomplètes. Pour l'atlas, la masse latérale n'a pas été retrouvée lors de la fouille. L'arc neural de l'axis n'est pas conservé. Les processus articulaires inférieurs de cette vertèbre n'ont pas été retrouvés. La face caudale de l'axis est fortement tronquée, notamment au niveau du corps. La fracturation à la base de l'hémi-arc neural gauche et sur le processus transverse droit sont les seuls à signaler des éclats qui évoquent une cassure sur os « frais ». La couleur de l'os à ce niveau est la même que sur le tissu compact du pédicule et du processus transverse. Ces observations ne sont pas suffisantes pour attester de façon certaine une fracturation de l'axis avant la disparition de la trame protéique de l'os. L'absence de la mandibule en connexion avec le calvarium signale peut-être ici une décollation intervenue sur un corps en cours de décomposition. On ne peut toutefois pas exclure l'hypothèse d'une tête coupée, exposée durant un certain temps à l'air libre et dont la décomposition aurait libéré la mandibule. Les fragments de crâne 466 : il s'agit de huit fragments de crâne, appartenant à un seul individu. Le fragment le plus important signale une cassure différentielle des tables osseuses; la table externe forme un biseau par rapport à la table interne. Cette cassure communique avec une suture non synostosée appartenant à la suture des os pariétaux ou à la suture lambdoïde. Ce type de fracturation apparaît dans le cas des fractures crâniennes avec embarrure (choc intervenu sur la face exocrânienne). Le bord lisse de la cassure caractérise une fracturation sur os « frais ». La taille du fragment ne permet pas de préciser les dimensions générales de la fracturation. Ces observations nous permettent donc de caractériser une fracturation probablement intervenue avant la réduction du crâne à l'état de fragments. Les cinq fragments d'os provenant du fossé 15 appartiennent à un minimum de deux individus, dont un enfant âgé entre 2 et 3,5 ans identifié à partir de l'examen d'une couronne de molaire (Moorrees et alii, 1963), et un adulte. La diaphyse humérale droite retrouvée dans le fossé n'est pas compatible avec le tiers distal de l'humérus droit provenant de la fosse 108. Les impacts sur « os frais » mis en évidence sur les quatre fragments de diaphyse issus du fossé indiquent l'utilisation d'un type d'outil présentant un bord tranchant large et épais, probablement une lame d'herminette. La céramique grossière se caractérise par une pâte fortement dégraissée à l'aide de quartz pilé et par des teintes variables indiquant une fin de cuisson en atmosphère oxydante. Les formes représentées se résument à trois grands types : des jattes hémisphériques ou en trois quarts de sphère, parfois ornées d'impressions localisées sous le bord ou joignant les éléments de préhension, des vases piriformes et des bouteilles au col étranglé. La plupart des vases sont munis d'éléments de préhension pleins, à perforation horizontale ou verticale, ou encore de boutons coniques ou à dépression centrale. On note également quelques éléments de préhension « en palette ». Une étude approfondie de la céramique grossière du Rubané reste à réaliser à l'échelle régionale; le matériel d'Ittenheim, rare et très fragmenté, se prête mal à une telle entreprise. À Ittenheim, toutes les étapes stylistiques du Rubané de Basse-Alsace sont représentées à l'exception notable du Rubané final. Les principales caractéristiques des différents stades, telles que l'on peut les percevoir à Ittenheim, sont brossées ici à grand traits. Les motifs décoratifs observés ont été rassemblés sur la figure 17. Les pâtes sont fines à dégraissant le plus souvent invisible à l'examen macroscopique. Les teintes des surfaces, allant du gris clair au noir profond, signalent une fin de cuisson réductrice. Au cours du stade Rubané ancien B, peut-être représenté à Ittenheim par le matériel des fosses 381 et 388, la forme dominante est un vase en trois quarts de sphère dépourvu de col (fig. 18, n os 1-2). Dans le courant du stade ancien C, les vases pourvus de cols peu marqués font leur apparition (fig. 18, n os 3 et 8); ce processus s'accentue au cours du Rubané moyen où la majorité des récipients sont munis de cols bien individualisés. Le mobilier de la structure 87, que l'on peut dater des débuts de cette étape, illustre bien cette tendance (fig. 9, n os 5 et 8). Lors de l'étape récente, les vases piriformes sont de loin les plus fréquents. On note, à la fin de cette étape, l'apparition de vases à panse globuleuse et col très marqué qui préfigurent les formes en « bulbe d'oignon » du Rubané final (fig. 19, n° 5). La distinction entre les stades ancien B et C repose sur un petit nombre de taxons dont la présence ou l'absence est déterminante : il est impossible de trancher entre les deux stades pour les ensembles dépourvus de caractères attribuables au stade C, mais statistiquement non représentatifs. Les très maigres ensembles pouvant évoquer le stade B, mais sans certitude aucune, se définissent uniquement par des formes hémisphériques ou en trois quarts de sphère (St. 381, 388). Les trois ensembles pouvant être attribués au stade ancien C (St. 221, 284, 357) se caractérisent par des décors classiques du style de Flomborn dont des rubans ou des bandes doubles portant des interruptions variées (fig. 18, n° 5, n os 7-9, n os 11-14) et divers motifs secondaires (fig. 18, n os 3, 6 et 12) auxquels s'ajoutent des impressions disposées en triangle (fig. 18, n os 13 et 15), motif propre au stade C. On note également l'apparition de petits cols très légèrement marqués sur plusieurs individus de la fosse 357 (fig. 18, n os 3 et 8). Le matériel recueilli dans les fosses associées à la maison 3 (St. 63, 87, 91, 100), encore fortement marqué par l'empreinte du Rubané ancien, peut être daté du début de l'étape moyenne (fig. 9, n os 1-9). Les éléments les plus caractéristiques sont les bandes interrompues par des segments comptant quatre impressions (fig. 9, n os 4 et 6), le décor principal d'ondes (fig. 9, n os 4 et 9), le décor de bord associant impressions et incisions (fig. 9, n° 5) et la présence d'un élargissement du décor principal composé de deux impressions (fig. 9, n° 7). Nous attribuons au stade IVa1, stade marquant le début du Rubané récent, le mobilier de la maison 2 (fig. 8, n os 7-15), de la maison 5 (fig. 9, n os 10-12), ainsi que le vase de la structure 481 (fig. 13, n° 2) identifiée à une fosse-silo et l'un des tessons de la structure 284 (fig. 18, n° 17). À l'échelle régionale, le stade IVa1 se caractérise par un développement important des élargissements (fig. 13, n° 2; fig. 18, n° 17) et des rubans remplis de fines hachures obliques (fig. 8, n° 1; fig. 9, n° 12)– deux motifs hérités de l'étape moyenne–, ainsi que par une forte proportion de vases ornés aux bords dépourvus de décor (fig. 8, n° 2; fig. 13, n° 2). Le décor de bord le plus fréquent ne compte qu'une seule rangée d'impressions. Des types de décors de bord associant impressions et incisions (fig. 9, n° 10), hérités de l'étape moyenne, se maintiennent pendant tout le stade IVa1 pour disparaître au stade suivant. On note également l'apparition des rubans étroits et des bandes étroites composées de trois incisions parallèles (fig. 8, n° 13). En Basse-Alsace, les décors principaux d'angles (fig. 13, n° 2) se généralisent jusqu' à représenter 85 % des décors identifiés du corpus. Le second type de décor principal représenté - à hauteur de 12 % des décors - peut être considéré comme le principal fossile directeur du stade : il s'agit du décor de spirales anguleuses hérité de l'étape moyenne mais toujours réalisé au stade IVa1 à l'aide d'un ruban rempli de fines hachures (fig. 8, n° 1). Le stade IVa2 correspond à un Rubané récent affranchi de l'héritage de l'étape moyenne. Le matériel de la maison 4 (fig. 8, n os 16-29) appartient à ce stade. Les décors de « grecques » et les bords non ornés disparaissent, tandis que se raréfient les élargissements, les bords ornés d'une seule rangée d'impressions et les bandes hachurées; les types largement dominants sont à présent les décors composés de deux rangées d'impressions, qu'il s'agisse des bords (fig. 8, n os 16-17) ou des motifs secondaires (fig. 8, n° 16). Enfin, dernier stade stylistique représenté à Ittenheim, le stade IVb correspond à un Rubané récent évolué dont le style est marqué par de profonds bouleversements au premier rang desquels figure l'apparition des décors orthogonaux en échelle horizontale (fig. 19, n° 5) ou en T (fig. 19, n° 14). Deux fosses peuvent être datées du stade IVb (St. 259, 384). S'y ajoute un tesson issu d'un ensemble daté du Rubané ancien (St. 221, fig. 19, n° 4), la céramique décorée du Komplexgrube 257, et probablement l'ensemble du mobilier issu du Komplexgrube 53. Lors de ce stade, les rubans hachurés sont en très nette régression devant la progression des rubans vides (fig. 19, n os 6 et 9) et des bandes composées de trois lignes (fig. 19, n° 8). Les décors de bords et les segments secondaires totalisent souvent trois rangées d'impressions (fig. 19, n os 1-3; fig. 19, n° 5), caractère discriminant permettant une datation à coup sûrLe corpus céramique d'Ittenheim est trop restreint pour nous renseigner sur le statut du village ou sur les relations entretenues avec les autres provinces du Rubané. Les importations se limitent à un seul vase, probablement originaire de Haute-Alsace, recueilli dans la fosse latérale nord de la maison 2 (fig. 8, n° 9, n os 14-15). Les récipients ornés à l'aide d'un peigne à deux dents utilisé en mode pivotant méritent une attention particulière (fig. 19, n os 17 et 18; fig. 8, n° 2). Ils évoquent de très près les productions du Rubané récent du Bassin parisien et sont aujourd'hui attestés sur une demi-douzaine de sites de Basse-Alsace (Reichstett, Pfulgriesheim, Vendenheim, Lingolsheim et Rosheim; Lefranc, 2007). Nous avions proposé, dans l'étude citée, de les attribuer à une influence RRBP sur le Rubané récent IVb de Basse-Alsace. Ces nouvelles données n'allaient pas sans soulever de nombreux problèmes, notamment d'ordre chronologique : la phase 1 du RRBP, le Rubané IVb de Basse-Alsace et le stade récent B de Haute-Alsace (également représenté dans la Marne à Juvigny) apparaissant comme strictement contemporains, la question devenue insoluble de la genèse du RRBP devait être reposée. Dans un article récent, Ch. Jeunesse a assigné une origine régionale et indépendante à ce style que nous considérions comme « de type RRBP » (Jeunesse, 2008). Il se serait cristallisé en Basse-Alsace selon un processus que l'auteur compare à celui aboutissant à la formation de la culture de Hinkelstein. L'apparition du RRBP dans le Bassin parisien résulterait de la migration vers la vallée de l'Aisne d'une frange de la population en rupture avec le reste de la communauté basse-alsacienne. Cette nouvelle proposition, aux implications nombreuses, permet, nous semble -t-il, de résoudre avec cohérence et en aplanissant les obstacles auxquels nous nous sommes confronté, la question toujours débattue de l'origine du RRBP. Cinq tessons attribués à la céramique de La Hoguette ont été découverts sur le site d'Ittenheim (fig. 20, n os 1-5). Trois d'entre eux sont issus de contextes rubanés et deux d'une fosse du premier Âge du Fer. Tous les individus d'Ittenheim présentent des surfaces externes et internes de teinte rougeâtre et un cœur noir, caractères propres à tous les vases attribués à cette culture (Jeunesse, 1987). Les dégraissants sont majoritairement constitués de quartz pilé. Les décors observés consistent en rangées d'impressions réalisées à l'aide de peignes et margées d'impressions au poinçon. Ces décors imprimés s'organisent de part et d'autre de cordons plastiques. La structure du décor est difficile à restituer; les tessons issus des structures 59 et 60 (fig. 20, n° 1 et n os 4-5) les plus évocateurs, portent un décor complexe que l'on peut mettre en parallèle avec les exemplaires bien conservés de Filderstadt-Bernhausen et Rottenburg-Hailfingen (Lüning et alii, 1989) respectivement ornés de guirlandes interrompues par des segments verticaux créant des décors « en grille », et de décors composés de larges bandes horizontales et/ou ondées. L'originalité du petit corpus d'Ittenheim est de compter deux individus ornés à l'aide d'un peigne utilisé selon la technique pivotante. Cette dernière, associée à des peignes à deux et à trois dents, est mise en évidence ici pour la première fois. En s'appuyant sur les découvertes d'Ittenheim, l'un de nous a, dans une contribution récente, proposé quelques pistes pour une périodisation interne de la céramique de La Hoguette (Lefranc, 2008). Le tesson orné à l'aide d'un peigne à trois dents utilisé en mode pivotant issu de la fosse latérale sud de la maison 4 (fig. 20, n° 1), ensemble bien daté du Rubané récent IVa2, se détache très nettement du reste du corpus. Nous avons proposé de l'attribuer à un « style récent » de La Hoguette, style circonscrit à la rive gauche du Rhin et que nous identifions également sur le site de Bischoffsheim « Le Village » (Jeunesse, Sainty, 1991) dans un ensemble daté du stade IVa1. Il n'est encore défini que par un petit nombre de critères, dont l'emploi de peignes à trois dents utilisés selon la technique de l'impression pivotante ou pointillée-sillonnée. La plupart des autres découvertes régionales relèvent d'un autre style s'étendant de la confluence Rhin-Main au nord du Jura et caractérisant des contextes attribuables aux étapes I et II du Rubané. Les trente-quatre objets en roche siliceuse, dont de nombreux éclats non retouchés, proviennent de quinze structures, toutes datées du Rubané récent. Les outils identifiés sont rares : on note deux petites armatures de flèche dont une du type asymétrique à base concave (fig. 21, n os 1 et 3), un perçoir (fig. 21, n° 4), un grattoir court, une série de lames à deux ou trois pans non retouchées, quelques lamelles, et deux belles armatures de faucille sur lames à trois pans, avec lustré céréalier et traces de colle conservées (fig. 21, n os 2 et 5). Le corpus d'Ittenheim n'est guère représentatif de l'éventail des types rencontrés sur les habitats rubanés les mieux documentés de Basse-Alsace; la rareté des grattoirs et l'absence des pièces esquillées notamment, types fréquents dans les grandes séries de Rosheim « Sainte-Odile » (Mauvilly, 2001) et Bischoffsheim (Lefranc et alii, 2004), est très probablement imputable à la petite taille de notre série. Les différentes catégories de matériaux siliceux utilisés à Ittenheim n'ont pas encore été précisément déterminées. Nous soulignerons cependant la présence du silex du Crétacé supérieur, matière première importée du Bassin parisien, qui sert notamment de support aux deux grandes armatures de faucille et à l'armature de flèche à base concave. L'outillage en roche tenace est totalement absent à Ittenheim. L'habitat de Bischoffsheim – bien conservé et étudié sur près de trois hectares – n'a livré qu'une dizaine d'herminettes fragmentaires. Le corpus se compose de onze outils, répartis entre six structures attribuées au Rubané récent. Il s'agit majoritairement de poinçons de facture classique pour le Néolithique ancien, pour la plupart épiphysés et obtenus sur hémi-métapodes de petits ruminants (fig. 21, n os 6-7, n° 9, n os 11-13). S'y ajoutent un radius de chèvre en cours de polissage (fig. 21, n° 8) et un fragment de « biseau » (fig. 21, n° 10). Les poinçons constituent la catégorie d'outils en os la plus répandue sur les habitats rubanés (42 % de l'outillage à Bischoffsheim, Lefranc et alii, 2004). Les « biseaux » sont moins fréquents (aux alentours de 7 % de l'outillage sur le même site). On soulignera l'absence à Ittenheim d'autres types bien représentés au Rubané, comme les pointes plates sur côte, les lissoirs et les spatules. L'occupation Grossgartach est localisée immédiatement à l'est du village rubané, dans un secteur n'ayant pas bénéficié de fouille extensive (fig. 2). Elle n'est donc que partiellement reconnue au travers des tranchées de sondages réalisées lors de la phase de diagnostic (Logel, Flotté, 2006). Avec une demi-douzaine de structures étudiées, elle reste néanmoins l'habitat Grossgartach le mieux documenté mis au jour en Alsace ces dix dernières années. Le mobilier étant en cours d'étude, seules quelques observations sont exposées ici. Les structures Grossgartach se répartissent en quatre zones espacées d'une cinquantaine à une centaine de mètres. Il est plus que probable que des structures voisines non datées soient également Grossgartach et que plusieurs autres fosses contemporaines n'aient pas été touchées par le diagnostic. Deux fosses subcirculaires de 1,80 m de diamètre pour un mètre de profondeur, aux parois subverticales et au fond plat ou convexe, peuvent être interprétées, par analogie de forme, comme des fosses de stockage de type silo. Outre leur creusement, la légère rubéfaction des parois de l'une d'entre elles peut être portée au crédit de cette hypothèse : elle correspondrait aux traces laissées par un feu d'assainissement, pratique évoquée pour le Néolithique récent (Jeunesse, Sainty, 1986). Cette interprétation comme silo reste tout de même peu étayée. Toutefois, à l'instar de la structure 60 de l'habitat de Rosheim « Mittelweg » (Jeunesse, Mauvilly, 1996), certaines fosses Grossgartach et Roessen, de forme et de taille proches, sont souvent interprétées comme des structures de stockage. Le mobilier de la fosse 19 d'Ittenheim semble détritique, tout comme une partie de celui livré par la fosse 6. Dans cette dernière, il n'est cependant pas impossible que deux grands vases, quasi-complets après remontage, aient joué le rôle de pots de stockage. Malheureusement, la mécanisation de la fouille de cette structure n'a pas permis de le vérifier. Compte tenu du nombre de structures fouillées, le mobilier découvert est abondant. L'étude des décors céramiques a permis de préciser la datation de cet habitat. Le cadre chronologique de référence est celui récemment défini pour le sud de la plaine du Rhin supérieur (Denaire, 2009). L'établissement Grossgartach d'Ittenheim est fondé à l'étape 2 et se prolonge jusqu' à l'extrême fin de cette culture (étape 5 et/ou Planig-Friedberg). Il existe donc deux hiatus importants dans l'occupation de ce site, le premier entre la fin du Rubané récent et les débuts de l'établissement Grossgartach, le second entre l'abandon de ce dernier et les éléments épiroesséniens mis au jour. L'absence des étapes finale du Rubané et initiale du Grossgartach est conforme à ce qui a été observé sur les autres sites du Kochersberg : ce secteur semble déserté à la fin du Rubané et n'est de nouveau colonisé qu'au cours du Grossgartach 2. En revanche, l'absence de tout indice de fréquentation du site au Roessen et au Bischheim demande à être confirmée : compte tenu de ce que l'on connaît des sites de cette période, en particulier la faible densité des structures, il n'est pas impossible que des fosses appartenant à ces cultures n'aient pas été détectées lors du diagnostic. Les secteurs d'étude du « Lotissement du stade » et du « Complexe sportif » ont livré de rares témoins d'une occupation du dernier tiers du 5 ème millénaire. Il s'agit d'une petite fosse circulaire mise au jour à une centaine de mètres au nord de la maison 5 (fig. 4) et contenant quelques tessons attribuables au Bruebach-Oberbergen ancien (fig. 22, n os 1-2), groupe épiroessénien daté des alentours de 4300 av. J.-C, ainsi que d'une sépulture étudiée dans la zone 1 du complexe sportif (fig. 3, inh. 33 et fig. 22).Cette sépulture, très mal conservée, est partiellement aménagée sur le tracé de l'enceinte rubanée. L'inhumation étant tout entière comprise dans la couche de lehm, aucun creusement n'a pu être observé. Il s'agit d'un enfant dont l' âge est estimé entre 4 et 6 ans, orienté SSE-NNO, la tête au sud-est. Le squelette, mal représenté, est en mauvais état de conservation. Sa position haute, sous la couche de terre arable, a provoqué des remaniements directement dus aux labours; ils sont probablement responsables de la disparition du crâne et de l'avant-bras gauche. La fragmentation de plusieurs diaphyses, comme le fémur et l'humérus droits, confirme les effets d'une destruction mécanique intervenue sur l'ensemble du squelette. Le squelette repose sur le dos, les bras alignés le long du corps et les membres inférieurs en extension. La mandibule apparaît en vue antéro-supérieure. Seul l'axis est demeuré en position en dessous du corps mandibulaire en vue antérieure. Le gril costal affaissé n'est que partiellement conservé du côté droit. Si le membre inférieur droit est en extension, le fémur gauche est en légère flexion, position également accompagnée d'une flexion de la jambe. Quelques os brûlés humains ont également été mis en évidence à l'extrémité nord de l'inhumation, au même niveau que les ossements. Ils se composent de quatre fragments de crâne et deux fragments de diaphyse, pour un poids de moins de cinq grammes. Les os sont blancs, avec des fissurations en surface qui témoignent de l'exposition au feu d'os pourvus de leur trame protéique. Deux objets en bois de cerf ont été découverts au contact des ossements. Il s'agit de l'extrémité distale d'une hache perforée et d'un fragment d'andouiller également perforé (fig. 22, n os 3-4). Ce mobilier permettant au mieux d'attribuer cette inhumation au Néolithique, une datation radiocarbone a été réalisée (Poz-19068 : 5420 BP ± 40 ans soit 4335-4255 av. J.-C. à 1 σ et 4360-4220/4200-4160 av. J.-C. à 2 σ). Elle place la sépulture dans une fourchette chronologique resserrée correspondant à l'extrême fin du Bischheim rhénan et au groupe de Bruebach-Oberbergen (Jeunesse et alii, 2004), avec un centre de gravité permettant de privilégier une attribution à l'horizon épiroessénien dont les premières manifestations commencent au plus tard vers 4300 av. J.-C. Les inhumations datées de cet horizon chronologique sont extrêmement rares en Alsace. À vrai dire, nous ne disposons comme élément de comparaison que de la tombe Bruebach-Oberbergen de Sasbach dans le Kaiserstuhl (Dehn, Dieckmann, 1985) qui contenait un adulte allongé sur le dos et orienté tête au NO dans la tradition Grossgartach/Roessen. Citons également, pour l'horizon Bischheim rhénan, la tombe de Strasbourg-Koenigshoffen (Forrer, 1912) qui a livré les restes de deux individus allongés orientés SO-NE, têtes au sud-ouest. Le principal apport des opérations préventives réalisées sur le site d'Ittenheim « Complexe sportif » et « Lotissement du stade » réside dans la reconnaissance d'un vaste habitat du Néolithique ancien – malheureusement assez érodé comme en témoignent les plans très lacunaires des maisons identifiées – que les quelques fenêtres ouvertes ne permettent d'appréhender que de façon très partielle. Ces réserves étant posées, il nous faut insister sur l'aspect inédit pour le sud de la plaine du Rhin supérieur de certaines structures d'habitat au premier rang desquelles figurent les puits et les fosses cylindriques identifiées comme fosses silos. Les caractères mis en évidence sur deux des trois puits permettent de les assimiler à des structures de type Kastenbrunnen, type bien documenté outre-Rhin, mais encore inconnu en Alsace. L'absence de matière organique conservée limite malheureusement les possibilités d'analyses environnementales. L'assimilation des fosses cylindriques à des fosses-silos repose uniquement sur des analogies morphologiques et doit être validée par d'autres découvertes. La mise en évidence d'un nouveau fossé rubané – le quatrième en Alsace – mérite également d' être soulignée; son mauvais état de conservation et la rareté du mobilier recueilli ne nous autorisent guère à proposer plus qu'une large attribution au Néolithique ancien. La présence de fragments humains dans son remplissage constitue un autre aspect inédit pour les enceintes de la région. Les restes humains se répartissent entre trois inhumations primaires, les fragments mis au jour dans le fossé, les fosses d'habitat et dans la partie supérieure du remplissage de l'inhumation 108. Cette dernière, très particulière, datée du Rubané par radiocarbone, ne trouve à ce jour d'éléments de comparaisons satisfaisants que dans les très nombreux restes humains du fossé de Herxheim dans le Palatinat. Les mobiliers recueillis permettent de dater l'occupation rubanée de l'étape ancienne à la fin de l'étape récente, soit toute la durée de la présence rubanée sur le plateau du Kochersberg. Parmi les éléments originaux, insistons sur les tessons de la céramique de La Hoguette découverts en contexte Rubané récent, et sur les vases rubanés ornés à l'aide de peignes utilisés en mode pivotant. Après un hiatus couvrant la fin du Rubané et le début du Grossgartach, le site d'Ittenheim est de nouveau occupé au Grossgartach. Le nouvel établissement n'est pas implanté sur le site néolithique ancien, mais à quelques dizaines de mètres de ce dernier. D'après les données – très lacunaires – du diagnostic, aucun élément ne permet de combler le hiatus d'un demi-millénaire qui sépare la fin du Grossgartach et le début de l'horizon épiroessénien. Enfin, la sépulture que nous proposons d'attribuer, sur la foi des datations radiocarbone, au groupe épiroessénien de Bruebach-Oberbergen, constitue à ce jour le seul exemple régional et l'une des très rares inhumations de la plaine du Rhin supérieur datées de la fourchette Bischheim-épiroessen .
Deux opérations de fouilles préventives réalisées en 2006 au nord de la ville d'Ittenheim ontpermis d'étudier un vaste habitat du Néolithique ancien Rubané se distinguant notamment par la présence d'un fossé, de trois puits dont deux appartiennent au type « Kastenbrunnen », et de fosses de stockage. Parmi les découvertes les plus intéressantes figurent un petit ensemble de céramique de La Hoguette ainsi que quelques tessons rubanés ornés à l'aide d'un peigne utilisé en mode pivotant. Le mobilier permet de restituer une occupation s'échelonnant entre l'étape ancienne et la fin de l'étape récente du Rubané. Outre les structures d'habitat, le site a également livré des inhumations primaires isolées ainsi que des ossements humains manipulés. Après un court hiatus, un habitat Grossgartach matérialisé par quelques fosses-silos ayant livré un mobilier autorisant une datation aux étapes 2 à 5 de cette culture, s'implante immédiatement à l'est du site Rubané. Enfin, quelques rares vestiges, dont une inhumation, témoignent d'une occupation du secteur lors de l'horizon épiroessénien.
archeologie_11-0341889_tei_338.xml
termith-33-archeologie
Au printemps 2002, l'Inrap est intervenu dans le cadre d'un projet de lotissement de 5,6 ha, sur la commune de Lavau, au lieu-dit Les Corvées (R iquier, 2005). L'opération de fouille préventive menée sur une surface de 1,4 ha a permis de mettre au jour une implantation domestique de la fin de l' Âge du Bronze-début du premier Âge du Fer et quelques sépultures du second Âge du Fer. Localisées sur une pente douce dirigée vers la vaste plaine alluviale de la Seine, les deux occupations sont installées sur la zone de contact entre le milieu humide et inondable proprement dit et la plaine crayeuse (fig. 1). Cette opération qui, par de nombreux aspects, ne diffère pas d'autres fouilles concernant les âges des métaux en Champagne crayeuse, mérite d' être publiée pour au moins deux raisons. Tout d'abord, il s'agit, parmi les nombreuses opérations de sauvetage menées dans ce secteur, de vestiges fouillés récemment. Ensuite, l'ensemble funéraire laténien témoigne de pratiques encore inconnues dans la région. Depuis une dizaine d'années maintenant se poursuit l'aménagement de la périphérie nord de l'agglomération de Troyes. Les dernières terres agricoles situées entre la rocade et le cœur des communes de Lavau et de Pont-Sainte-Marie laissent la place aux ZAC et nouveaux lotissements. Sur la carte (fig. 1), on peut observer l'importance du phénomène. Cette situation, suivie par le SRA, a donné lieu systématiquement à des opérations de diagnostics et, dans certains cas, à des fouilles. Même si notre propos n'est pas ici de faire une synthèse spatiale poussée, on peut d'ores et déjà brosser à grands traits la chronologie locale et ses particularités. Aucune donnée n'est disponible pour le Paléolithique ou pour le Néolithique. Pour la Protohistoire plus récente, la documentation se répartit entre nécropoles à enclos et témoins d'habitat. La nécropole la plus proche (moins d' 1 km), celle de Lavau Les Petites Corvées, a été reconnue par plusieurs opérations (diagnostics et fouilles; D utoo, 1993), même si nous ne disposons malheureusement pas d'une vision spatiale complète et chronologiquement précise de cet ensemble. Plus loin, on observe une répartition assez régulière d'autres ensembles funéraires similaires, à Sainte-Maure Les Clouis, Les Carrés et Le Haut de Vannes, à Creney-près-Troyes Le Paradis (V illard, 1987), Les Poiriers et route de Brienne (A chard - C orompt, 2003), à Pont-Sainte-Marie Le Moulinet. Exceptionnellement, certaines de ces tombes se remarquent encore aujourd'hui par leur masse tumulaire : tumulus de Lavau Les Dames Blanches et de Pont-Sainte-Marie Le Moulinet, daté de la fin de La Tène ancienne-début La Tène moyenne. Pour ce qui est des secteurs d'habitat, leurs vestiges se composent de bâtiments sur poteaux, de séries de fosses de toutes tailles, et de fossés d'enclos, indices typiques mais qui n'auraient pu être détectés sans des campagnes de diagnostics systématiques. La fin du second Âge du Fer et la période romaine sont représentées en proportion moindre : à 150 m au nord-est de ce site passe une voie romaine d'axe nord-sud reconnue sur plusieurs kilomètres, et qui porte le nom de La Voye de Rege sur les cartes de Cassini (XVII e) et d' État Major (fin XIX e). Actuellement sectionnée en de nombreux points, elle sert encore par endroits de chemin d'exploitation rural. En bordure de celle -ci a été fouillée une nécropole datée des II e - III e ap. J.-C (D utoo, 1993). Enfin, une prospection dans le bois qui sépare La Vallotte et le village de Lavau a livré un lot de monnaies. Mentionnons pour la période médiévale, la découverte d'inhumations (M assin, 1987) dont une en sarcophage au bord de la RD 78d limitant Lavau et Pont-Sainte-Marie, à moins de 400 m du site. En préalable, il faut signaler l'extrême indigence du mobilier en général et de la céramique en particulier; contrainte majeure qui ne permet en aucun cas de préciser une quelconque évolution interne au site. Grâce à une courte série de datations radiocarbone, nous avons pu distinguer les deux occupations présentes puis affiner celle de l'habitat. Les structures découvertes se répartissent sur la même courbe de niveau, sur le versant orienté nord d'un ancien vallon sec (fig. 2). Localement, la craie gélifractée jaune turonienne située sur le milieu de la pente se transforme, au niveau de la courbe précitée, en limon calcaire blanchâtre posé en couche peu épaisse sur le socle de graveluche jaune compacte. En bas du décapage, on trouve le socle de graveluche jaune compacte à nu, lequel présente de fréquentes surfaces de cimentation grisâtre. La craie gélifractée constitue le substrat altéré dominant sur les 3/4 du terrain; elle laisse la place à des dépôts de sédiments fins - graveluche - dès que l'on approche de la cote 104, c'est-à-dire le bas de pente et le début des zones basses. Globalement concentrées dans la partie sud-ouest du décapage, sur 5000 m 2, les structures reconnues se rassemblent à mesure que l'on approche de la limite d'emprise. Il ne fait aucun doute que le cœur du site d'habitat se trouve sous le lotissement construit dans les années 60-70, au sud-ouest. Les vestiges découverts correspondent aux différents éléments typiques d'une ferme protohistorique, dotée de greniers à quatre et six poteaux, silo, puits et carrières d'extraction. La délimitation spatiale du site, rendue très lisible grâce au décapage extensif, indique que nous possédons le plan d'une partie d'un établissement agricole bien plus étendu. Nous présentons les résultats par grandes fonctionnalités : Les capacités de stockage de cet établissement se résument à une galerie de greniers sur poteaux et un silo. Le tableau ci-dessus (fig. 3) résume les caractéristiques principales des bâtiments fouillés. Deux groupes homogènes de greniers, à quatre poteaux puis à six poteaux (fig. 4 à 6), composent le lot : tous les éléments de morphologie (morphologie des trous de poteaux, superficie, rapport longueur/largeur) indiquent une nette parenté. Par ailleurs, les deux groupes se distribuent de manière cohérente dans l'espace; d'un côté les quatre petits greniers, de l'autre, au cœur de la zone de carrière, les « grands » greniers à six poteaux. Au total, ces plateformes de séchage et de stockage des denrées agricoles représentent une surface utile de 60,5 m 2. Circulaire en plan, il possède un profil en U, soigneusement creusé dans le niveau de craie blanche granuleuse située immédiatement sous un mince niveau de graveluche (fig. 7). Ses dimensions modestes (0,4 m 3) le classent dans la catégorie des « petits » silos (silo « moyen » = 4 m 3 d'après G ransar, 2000). L'analyse du remplissage permet d'affirmer que son utilisation fut unique, et le colmatage rapide. À distance des petits greniers, il jouxte le puits. En dépit d'une fouille intégrale, aucun mobilier n'a pu être récolté. La masse volumique des vestiges excavés est dominée par trois grands chapelets de fosses, appelées « polylobées » dans la tradition archéologique, en raison de leur plan « en marguerite », qui témoigne de creusements multiples et successifs. Un second décapage s'avère nécessaire lorsque l'on souhaite identifier précisément le nombre d'alvéoles qui les composent (fig. 8, 9, 10). Relativement peu profondes (0,50 m en moyenne), ces carrières d'extraction s'étalent sur des superficies considérables allant de 110 m 2 à plus de 650 m 2. Elles s'insèrent spatialement dans la zone de stockage, à l'exception notable de la structure 60 qui s'isole à plus de 100 m des autres fosses d'extraction (fig. 2). La typologie des creusements a pu être appréhendée en de nombreux endroits, en plan comme en coupe (fig. 9 et 11), en particulier dans les coupes 3 et 4 de la fosse 60 : le front de taille créé par le piocheur prend une forme en arc de cercle dans un rayon variable, supérieur à 180° en moyenne, visible au deuxième décapage sous la forme d'une sorte de « croissant » formant une limite nette avec l'encaissant du côté du front, une limite plus floue de l'autre. Derrière le piocheur, le terrain se trouve moins creusé, en pente, afin de dégager les déblais, ce qui produit une zone « vide » lors du second décapage. En coupe, ces remarques sont toujours pertinentes, puisque le front de taille se signale par son aspect tranché, parfois même partant en légère sape sous le niveau de décapage. Ces multiples creusements n'ont eu d'autre utilité que l'extraction en masse de matériau de construction, destiné aux bâtiments en général. Le matériau extrait ici - limon argilo-calcaire - possède effectivement des qualités non négligeables : facile à creuser, disponible en quantité. Il est probable que le matériau extrait a plutôt servi à la réalisation de carreaux de terre qu' à du torchis, principalement en raison d'une texture trop peu argileuse. Cette hypothèse s'appuie aussi sur l'observation des traditions architecturales locales où le carreau de terre domine dans la Champagne crayeuse et le pan de bois et torchis dans la Champagne humide. Malgré les décapages successifs, nous ne disposons pas de beaucoup de mobilier; par rapport au volume brassé, on peut affirmer que ces fosses sont extrêmement pauvres, ce qui plaide encore en faveur d'un relatif éloignement de la zone domestique, qui produit souvent la plupart des rejets détritiques. De plus, mentionnons qu'aux côtés des petits tessons de céramique protohistorique qui attestent d'un « bruit de fond » ancien, on a parfois retrouvé en surface des fragments de tuiles modernes, témoins d'un nivellement définitif, vieux de quelques siècles seulement. Ces remarques morphologiques et fonctionnelles ont été largement confirmées et précisées depuis, sur une série croissante de sites d'habitat protohistorique, dans l'Aube principalement mais aussi dans la Marne. Bien qu'aucune étude n'ait encore publié ce résultat, on observe que la plupart de ces carrières d'extraction datent d'une fourchette chronologique qui débute à la fin de l' Âge du Bronze (dès le Bronze D) et s'achève vers La Tène moyenne, avec un pic d'activité au cours du Hallstatt B-C. C'est au cours du Hallstatt que l'on recense le plus grand nombre de fosses et les modules les plus volumineux. Pour l'heure, il n'est pas possible de relier directement et précisément ce constat avec une évolution architecturale. Enfin, on remarque une très forte variabilité de la quantité de mobilier présente. Il existe des fosses « pauvres » comme à Lavau, et des fosses qui donnent l'impression d'avoir servi de dépotoir à l'intégralité du site d'habitat, comme à Bréviandes Les Forgeottes (G eorges, 2003) ou à Buchères/Saint-Léger-près-Troyes Parc Logistique (G risard, R iquier et alii, à paraître). Outre le facteur spatial (distance avec le cœur de la maisonnée) souvent invoqué pour expliquer la répartition et la quantité du mobilier, il importe aussi de prendre en compte d'autres facteurs comme les choix culturels et traditions locales, variables d'une période à une autre. À proximité du petit silo, le puits (st. 58) constitue le seul point d'eau découvert sur le site. Il s'agit d'une fosse sub-circulaire de taille moyenne (diamètre 2,50 m), profonde de 1,90 m. À 1,10 m sous le niveau de décapage apparaissait la nappe phréatique. Le creusement très large au sommet (avant-trou) se rétrécit rapidement « en marches d'escalier » pour mener au conduit du puits proprement dit, d' 1 m de diamètre. L'essentiel du mobilier de la fouille provient de cette structure : un bord d'écuelle basse à carène douce (fig. 12), quelques os de faune, en très bon état de conservation, ainsi que des charbons. Étant donné la faiblesse de l'échantillon céramique, nous accordons plus de crédit à la datation radiocarbone (fig. 13) d'un charbon récolté en fond de puits. Les premières phases de comblement du puits datent entre 1010 et 820 B.C. (Ha B1-3), avec une probabilité plus forte (Gra-25566, 2760 ± 40 B.P.) pour la fourchette 940-840 B.C., soit Hallstatt B2-3. Les tessons de céramiques situés dans les niveaux supérieurs du comblement suggèrent un abandon avant le 1 er Âge du Fer (Ha C). L'activité du puits a donc duré au maximum un bon siècle, du Ha B2 au Ha B3, le puits étant déjà trop obstrué au Ha C. Comme on aura pu le constater, la pauvreté en mobilier céramique limite les hypothèses chronologiques. Sauf à imaginer que toutes les structures soient contemporaines de la phase active du puits - Ha B2-3 -, la présence de mobilier hallstattien au sommet du comblement plaide en faveur d'une poursuite de l'occupation domestique au cours du Hallstatt C au moins. Mais dans l'état actuel des données, il n'est pas permis de proposer un schéma spatial d'évolution. C'est lors du second décapage effectué à l'intérieur de la fosse d'extraction n° 60 que sont apparues huit sépultures (fig. 8). Elles se répartissent dans deux lobes distincts : six au sud-ouest (st. 62-63 et 66-69) et deux à l'ouest (st. 64-65). Les tombes sont plutôt creusées sur le pourtour de la fosse d'extraction et leur remplissage reprend le sédiment qui comble la carrière. Mais cela n'explique pas pourquoi les populations ont privilégié une localisation particulière des sépultures au sud et à l'ouest de celle -ci. D'autre part, leur localisation exclusive dans la structure polylobée indique un choix conscient de leur implantation, et suppose que la carrière d'extraction, rebouchée jusqu' à son profil d'équilibre, était encore visible. Toutefois, reste encore inexpliqué le fait que ces populations aient opté pour une fosse d'extraction, et plus particulièrement celle -ci, au détriment des deux autres, au sud-ouest. Ce cas de fosse polylobée comme réceptacle de tombes est, à l'heure actuelle, unique en Champagne-Ardenne pour cette époque. En revanche, à d'autres époques, des fosses comparables ont aussi été réutilisées pour y déposer des morts (ex. : Sézanne l'Ormelot - Hallstatt B2/3-C; G risard et alii, à paraître). Cette pratique de réutilisation de structure domestique à des fins funéraires est par ailleurs bien documentée pour les silos, dont un pourcentage, variable selon les régions, accueille des défunts de la fin de l' Âge du Bronze à la fin de La Tène moyenne. Elle est particulièrement connue et étudiée dans plusieurs régions du Bassin parisien (B aray, 2003; B onnabel et alii, 2005a et b; D elattre, 2000; D elattre et alii, 2000). Cependant, ces deux phénomènes ne possèdent pas la même valeur pour au moins deux raisons. D'une part, la fréquence et la géographie des détournements de silos signale une pratique culturelle généralisée d'une ampleur radicalement différente de « l'anomalie » repérée à Lavau. D'autre part, l'inhumation (ou le dépôt de cadavre) en silo a lieu relativement peu de temps après l'abandon de sa fonction de stockage, alors que les tombes de la nécropole de Lavau ont été creusées sur le modèle d'une nécropole laténienne, plusieurs siècles après l'utilisation de la carrière d'extraction, sans aucun lien culturel avec celle -ci. L'absence de recoupement dans les fosses sépulcrales, la probable simultanéité de deux sépultures (st. 68-69) (contact os à os) et l'existence d'une seule superposition (st. 63-67) indiquent le marquage au sol des tombes ainsi qu'une utilisation funéraire de courte durée. Sur les huit tombes, seules deux - st. 67 et 69 - contenaient du mobilier métallique (nécessaire de toilette et accessoire vestimentaire). Par ailleurs aucun vase ni même de fragment de céramique ou de faune n'accompagnait ces défunts. Dans la main droite du défunt de la tombe 67 se trouvait une pince à épiler, en position verticale, la partie active vers le sol (fig. 14). Ce type d'objet fait partie des nécessaires de toilette que l'on retrouve dans les tombes laténiennes des deux sexes (R ozoy, 1987; S tead et alii, 2006). Pour exemple, on peut citer les nécropoles de Manre Le Mont Troté - MT133, Quilly Le Fichot - Q8, Ménil-Annelles Le Montant de l'Obit - M4, Ville-sur-Retourne Budant à la route de Pauvres - V9. D'une manière générale, la plupart des pinces à épiler connues en Champagne sont issues de contextes datés de La Tène ancienne, le corpus des sépultures de La Tène moyenne étant encore trop peu représentatif (P iéchaud, 1985; S tead et alii, 2006). L'homme de la tombe 69 portait une fibule en fer en avant des côtes gauches (fig. 14). D'un état moyen de conservation, elle ne comporte que l'arc, le ressort et l'ardillon. Il s'agit d'une grande fibule à ressort bilatéral à deux fois trois spires et corde externe. Le pied est rattaché sur le sommet de l'arc par une petite bague. L'originalité de cet objet tient à l'emploi de deux matériaux : arc en alliage cuivreux et le restant en fer. Cette fibule s'apparente aux exemplaires les plus anciens retrouvés sur le site d'Acy-Romance (Ardennes) : elle se rapproche de celle du silo 3000 ARW9, datée de la fin de La Tène C1 (F riboulet, 1997). Ces deux objets ont été datés du III e siècle avant J.-C. (LT C). Pour contrôler et compléter ces données, deux autres tombes - st. 63 et 65 - ont fait l'objet d'une datation par radiocarbone (fig. 15). La tombe 63 est antérieure d'un point de vue stratigraphique à la tombe 67, dépositaire de la pince à épiler; quant à la tombe 65, elle fait partie du second groupe de tombes, distant de quelques lobes d'extraction. Les deux résultats montrent une réelle homogénéité de la fourchette chronologique. La sépulture 63 couvre la période 390-100 B.C. (GrN-27730, 2180 ± 45 B.P.), soit La Tène B1 -La Tène D1a, et la sépulture 65 occupe la fourchette 370 B.C.-10 A.D. (GrN-27731, 2130 ± 65 B.P.) avec une préférence entre 210-50 B.C., soit la fin de La Tène C1 -La Tène D2a. Les résultats montrent donc une convergence pour la période située entre la fin de La Tène C1 et La Tène D1a. Corrélées aux deux objets métalliques, ces indications corroborent l'hypothèse d'une nécropole de La Tène moyenne, voire du début de La Tène finale (LT C-D1). Sa durée d'utilisation serait assez resserrée, une centaine d'années tout au plus, mais sans précision sur sa chronologie interne. Les positions témoignent de la diversité des gestes liés à l'inhumation. Six individus sont en decubitus dorsal, deux en procubitus (partiel pour un)(st. 67 et 68, fig. 16 et 18). La variété se retrouve également dans la position des membres supérieurs (en extension, en hyperflexion ou légèrement fléchis) et inférieurs (en extension ou en flexion). Deux défunts (st. 62 et 64, fig. 17) étaient probablement inhumés avec un ou les deux genoux surélevés, qui ont glissé jusqu' à reposer contre le bord de fosse. Cette diversité se reflète également dans les orientations des fosses, qui ne suggèrent aucun axe préférentiel. Parmi la variété de gestes existant à Lavau, tant dans les orientations que dans les positions des défunts, une sépulture se distingue : st. 67 (fig. 16 et 18). Les membres inférieurs de cet homme sont légèrement fléchis vers la droite, alors que son bassin et ses vertèbres lombaires sont à plat sur le fond de fosse (en procubitus), légèrement tournés vers la gauche. En revanche, le haut du corps est complètement relevé vers l'arrière, à 90° par rapport aux lombaires (fig. 19). Tout le tronc est ramassé sur lui -même. Il existe une forte rupture au niveau de la première lombaire, avec une torsion inverse entre le haut et le bas du corps. Le glissement du crâne et des premières cervicales vers l'arrière est probablement dû à une pression venant du dessus alors que le reste de la colonne cervicale et les premières vertèbres thoraciques sont restés en connexion stricte. Les bras sont croisés, les coudes contre le fond de fosse et les mains se retrouvent de part et d'autre du cou. Cette position est d'autant plus étrange que les dimensions de la fosse sont prévues pour accueillir un individu allongé. On observe un effet de paroi très net sur la gauche du squelette, qui se trouve d'ailleurs légèrement décalé vers la droite de la fosse. Au moins trois hypothèses peuvent expliquer cette position : - il est possible que le défunt ait reposé sur un élément périssable pentu ayant occupé la moitié nord et est de la fosse. Cet élément aurait empêché les ossements de migrer vers la gauche et permis au tronc d' être redressé tout en étant maintenu. Cependant, lors de la décomposition de cet élément périssable, les os en équilibre instable auraient dû tomber sur le fond de la fosse, sauf si cet espace vide a été comblé entre-temps. Il est possible également que cet homme ait été déposé sur du sédiment, dans une fosse déjà partiellement comblée. - une autre hypothèse, pour expliquer le redressement du haut du corps, suggère l'arrachage d'un torque lors d'un pillage, ancien ou récent. Mais il s'agit d'un homme, et les torques sont majoritairement des parures féminines, bien qu'on ne puisse exclure l'existence de torque pour homme. Cependant, ce cas de figure n'apparaît sur les gravures de stèles funéraires qu' à La Tène finale. Enfin et surtout, les cervicales et le crâne indiquent une bascule vers l'arrière associée à une pression venant du dessus. L'hypothèse de l'arrachage du torque semble donc peu probable puisque trop d'éléments la contredisent. - une dernière hypothèse insolite mais que l'on ne peut exclure, serait que l'inhumé ait été enterré vivant (dans un état inconscient), qu'il se soit redressé pour sortir de la fosse encore vide, et que le sédiment déposé au-dessus (probablement sur un couvercle) se soit engouffré brutalement dans la fosse, lui fermant toute issue. Mais aucune crispation des phalanges n'est visible sur les mains ou sur les pieds. Le seul élément tangible est que le haut du corps s'est décomposé dans un espace restreint, probablement colmaté progressivement par le sédiment, avec une pression venant du haut, et que cette position curieuse n'était pas une volonté de la part du groupe des vivants (les inhumants), la fosse étant prévue pour accueillir un individu allongé. Cette hypothèse reste plausible en raison de l'incertitude des signes de la mort qui a duré jusqu' à une date récente. En Occident, durant le Moyen Âge et à la période moderne, l'abus des enterrements précipités a engendré une crainte durable et légitime d' être enterré vivant. Il aura fallu l'avancée de la médecine scientifique avec le statut de mort cérébrale pour lever cette crainte (A riès, 1 977). On observe une relative homogénéité quant à l'utilisation de certains types de contenants. L'analyse détaillée de la position des ossements et l'interprétation des phénomènes taphonomiques (D uday, 1990; B onnabel, 1997) ont permis de mettre en évidence pour tous les défunts la présence d'un contenant souple (type vêtement ou couverture), associé à un coussin céphalique (pour cinq défunts : st. 62, 63, 64, 65 et 69) à l'exception de la sépulture 64. La présence d'un couvercle est supposée pour six tombes (excepté les sépultures 68 et 69). Les inhumés de Lavau sont presque exclusivement des hommes (B ruzek, 1991) (une seule femme inhumée, st. 66). À l'exception d'un jeune adulte (st. 68) et d'un adulte âgé (st. 62), les défunts sont des adultes matures (M asset, 1982). Cet ensemble ne peut être le reflet d'une population naturelle. En effet, l'absence d'enfants et d'adolescents, tout comme la rareté des femmes, sont des arguments en faveur d'un tri selon l' âge et le sexe, opéré par le groupe inhumant. L'état sanitaire de ces défunts est plutôt bon. En effet, les stress décelables sur les dents (hypoplasies linéaires) sont discrets. Pour un seul homme (st. 68), ces stigmates sont marqués et se prolongent sur toute la durée de la minéralisation (jusqu' à 12 ans). Son état sanitaire s'est dégradé de manière précoce au point d'entraîner la mort, si l'on en croit son décès au début de l' âge adulte, survenu entre 20 et 25 ans. Pour tous les autres défunts, les stress ayant entraîné ces hypoplasies se sont produits entre 2 et 4 ans. Ils peuvent être l'expression d'un changement dans les habitudes alimentaires des enfants (par exemple, l'arrêt de l'allaitement et le passage à une alimentation variée). Les maladies dégénératives (enthésopathies et arthroses), qui augmentent avec l' âge, particulièrement chez les personnes sollicitant beaucoup leur squelette, sont peu présentes dans cette population, hormis sur la colonne vertébrale (particulièrement pour les sépultures 62 et 65, qui sont également parmi les défunts les plus âgés). Les pathologies sont absentes sur cette population à l'exception d'une manifestation d'infection rachidienne sur le défunt st. 65, associée à la présence de kyste et de caries importantes. Ces atteintes dentaires sont également présentes chez la femme (st. 66). L'état général et sanitaire de cette population est conforme à ce qu'on trouve dans les nécropoles de la même période ou légèrement antérieures (La Tène ancienne). Les maladies dégénératives et les indicateurs de stress sont peu présents et faiblement marqués (B onnabel, P aresys, 2005a). C'est une population relativement favorisée, à l'abri des gros problèmes sanitaires. Les individus les plus atteints par les maladies dégénératives sont classiquement les plus âgés. L'analyse morphologique (étude des caractères discrets [H auser, D e S tefano, 1989] et analyse métrique) a mis en évidence la proximité biologique de la population inhumée à Lavau. En effet, tous les individus semblent avoir une proximité génétique assez forte (trois ou quatre caractères discrets partagés : métopisme, foramen susorbitaire, perforation du canal post condylaire, dédoublement du canal hypoglosse). Cela mettrait en valeur le caractère endogame du groupe dont ils sont issus. L'analyse métrique fait ressortir le fort dimorphisme sexuel de cette population. Le cas du jeune et gracile adulte 68, un des deux défunts déposés en procubitus (avec st. 67), ne diffère pas du reste de la population, hormis par la présence d'hypoplasies nombreuses et marquées. La première occupation humaine durable au lieu-dit Les Corvées remonte à la fin de l' Âge du Bronze. La fouille de 2002 n'aura permis de comprendre qu'une partie de cet établissement rural qui se développe en direction de l'ouest, vers la vallée de la Seine. Ses caractéristiques ne diffèrent pas du « standard » proposé pour une ferme de cette période depuis plusieurs années maintenant (B louet, 1992; B run, 1992; M arion, 2000). Fosses d'extraction de matériau de construction, puits, structures de stockage des denrées agricoles (greniers, silo) constituent l'armature en creux de cet établissement. Les carrières de matériau occupent une surface très importante, bien que cela ne soit pas une exception. Par ailleurs, la très faible quantité de mobilier, qui entrave les possibilités de chronologie fine, ne surprend guère puisque cette situation se répète assez souvent sur les sites ruraux. À la suite de l'abandon ou du déplacement du centre agricole humain exploitant ce secteur, la seconde et dernière occupation humaine sur ce lieu-dit est représentée par une petite nécropole laténienne. L'originalité de ce petit groupe de défunts réside essentiellement dans le choix du lieu d'inhumation et dans les siècles qui le sépare de la carrière originelle. Le choix fait par le groupe humain d'inhumer ses morts dans une ancienne carrière est délibéré. L'emplacement des tombes sur les bords de la fosse d'extraction et l'absence de toute tombe en dehors constituent les éléments décisifs qui attestent de la visibilité de la carrière (partiellement comblée) lors de leur installation et du caractère volontaire de l'acte. À la même époque, de nombreuses batteries de silos servent aussi de lieu funéraire pour un ou plusieurs individus. S'agit-il de la même démarche consciente de réutilisation d'une structure ayant une autre fonction initiale ? En vertu de quel rite, de quelle idéologie, une partie de la population se trouve enterrée en dehors du cadre « classique » des cimetières ? Nous renvoyons pour ces questions aux articles parus récemment sur les inhumations en silos (B onnabel, P aresys, 2005a; D elattre et alii, 2000; V illes, 1987). La datation de cet ensemble, bien qu'homogène, repose sur très peu d'éléments. Cette « pauvreté » en mobilier, et en particulier l'absence de parure pour la femme 66, est une autre caractéristique de ce petit groupe. Dans les nécropoles contemporaines fouillées dans la région (Perthes Pièce des Essarts, La Grande Pièce [L allemand, 2001] et Bussy Lettrée La Basse Cour [R iquier, 2004]), les femmes sont inhumées avec leur parure (torque, bracelet, fibule…). Ces ensembles, qui totalisent moins d'une dizaine de sépultures, sont essentiellement composés de femmes et d'immatures, les défunts masculins étant absents ou très rares. On retrouve les mêmes caractéristiques dans certaines nécropoles du sud du Bassin parisien (B aray, 2003). Les inhumations de Lavau sont l'expression de pratiques funéraires diversifiées. La population, par l'absence totale d'individus immatures et la présence de 90 % d'hommes inhumés (dont un adulte âgé et un adulte jeune) ne peut en aucun cas correspondre à une population naturelle. La population inhumée à Lavau ne diffère pas dans son état sanitaire de celles déposées dans les nécropoles de la même période, les individus âgés présentant le plus d'atteintes par les maladies dégénératives. Cette sélection des inhumés correspond à un tri des vivants (que l'on retrouve dans les autres nécropoles contemporaines de la région), sur des critères qui nous échappent, probablement familiaux dans le cas de Lavau. La proximité biologique des défunts ainsi que leur appartenance à un même groupe familial sont également des caractéristiques fréquentes des petits ensembles de cette époque déjà fouillés dans la région. Ces quelques éléments de synthèse poussent à s'interroger : ces pratiques funéraires sont-elles liées à une modification d'ordre chronologique ou sont-elles une particularité locale, relevant de l'anecdote ? On constate en effet que les batteries de silo fouillées dans l'Aube présentent une plus forte proportion d'inhumés que celles de la Marne ou des régions limitrophes. Y a -t-il un lien entre tous ces types de réutilisation ? Ou plus simplement, sont-elles l'expression d'une sélection et d'une répartition spatiale selon le sexe et l' âge en fonction du lieu d'inhumation (cimetière d'hommes, cimetière de femmes et d'enfants) ? Quelle est la signification de ces pratiques ? Et dans ce cas, où se trouvent les autres cimetières de femmes et d'enfants de Lavau ? Plus largement, c'est par leur « banalité » et leur « pauvreté » que les vestiges de ces deux occupations trouvent toute leur importance. Sans les méthodes modernes de détection des sites archéologiques, l'existence de ces vestiges protohistoriques n'aurait jamais été envisagée. Or, le lieu-dit ne semble avoir été occupé durablement par des populations humaines qu' à ces deux périodes anciennes. En l'absence de la systématisation de ce type d'opération, rien ne permettrait de retracer l'évolution locale d'un terroir pour les périodes anciennes. Il s'agit d'un homme âgé (stade 2,44 de synostose des sutures crâniennes). Il est déposé en decubitus dorsal dans une fosse ovale, à parois et fonds irréguliers, orientée à 90°. Son crâne apparaît en vue antéro-latérale droite mais déconnecté du rachis cervical, qui présente une courbure inversée par rapport à l'anatomie (convexe en vue supérieure). La mandibule est absente. Les membres supérieurs sont fléchis, le droit hyper fléchi et le gauche à 90°, la main droite se trouve en avant de la ceinture scapulaire droite et la gauche en avant des dernières côtes droites, à plat. Le membre inférieur droit est en extension et le gauche est légèrement fléchi vers la gauche, avec le genou surélevé. Les pieds sont absents. Le crâne a basculé vers l'arrière. Les deux humérus sont déconnectés des scapula, la main gauche est disloquée. Le fémur gauche est déconnecté du tibia. Les connexions sont préservées sur le reste du squelette. Quelques contraintes sont visibles sur la scapula gauche (verticalisée), la ceinture pelvienne (maintenue en position fermée) et sur les côtes (léger volume maintenu). Un effet de paroi est visible sur le côté droit. Cet homme a été inhumé dans une enveloppe souple (contraintes sur les os et dislocations), qui pourrait être un vêtement, avec un coussin sous la tête (bascule du crâne). Il est possible qu'un couvercle ait fermé la fosse. La présence d'une paroi rigide sur la droite du mort est possible. Sa stature (calculée d'après la longueur du fémur) est de 1,68 m. Son canal hypoglosse est dédoublé à droite et il existe aussi un dédoublement de la surface articulaire supérieure de l'atlas. Cet homme présente une légère cribra orbitalia et une légère hyperostose poreuse. Il n'est pas métopique. Il présente des hypoplasies linéaires de l'émail dentaire légères et moyennes sur les incisives et les canines inférieures, dans les deuxième et dernier tiers de la minéralisation. Les maladies dégénératives (arthrose et enthésopathies) sont peu développées sur son squelette, sauf sur le rachis où l'arthrose est moyenne à marquée. On note la présence de petites hernies discales sur les thoraciques du bas. L'attrition dentaire et la maladie parodontale sont marquées et il n'y a pas de carie. Aucune pathologie n'est visible sur ce squelette. C'est un homme mature, déposé en decubitus dorsal dans une fosse ovale et arasée, orientée à 190°. Ses pieds sont au-dessus de ceux de l'homme 67, séparés par 20 cm de sédiment et 63 lui est postérieur. Le crâne apparaît en vue antérolatérale droite, décalé vers la droite par rapport à l'axe du corps, le rachis cervical et la mandibule sont absents. Le membre supérieur droit est en extension alors que le gauche est légèrement fléchi. La main droite est à plat à droite du fémur droit, les doigts sont fléchis, la gauche est dans l'aine, les doigts verticalisés dans le bassin. Les membres inférieurs sont en extension, les pieds en extension (le droit) ou en hyper extension (le gauche). Quelques dislocations ont eu lieu au niveau du coude gauche et des deux avant-bras. On observe aussi le maintien de la ceinture pelvienne en position fermée, l'humérus et la scapula droite en équilibre instable et des contraintes visibles sur les côtes et le pied droit ainsi qu'une légère bascule du crâne. Un effet de paroi est visible sur le côté droit. Cet homme a été inhumé dans une enveloppe souple avec des manches (vêtement, surtout pour le haut du corps), avec un coussin sous la tête (bascule du crâne). Il est possible qu'un couvercle ait fermé la fosse (au niveau du bas du corps). Sa stature (calculée d'après la longueur du fémur) est de 1,66 m. Cet homme présente une légère hyperostose poreuse. Il présente des hypoplasies linéaires de l'émail dentaire moyennes sur les incisives supérieures, dans la deuxième partie de la minéralisation. Les maladies dégénératives (arthrose et enthésopathies) sont absentes sur son squelette. L'attrition dentaire est moyenne à marquée et il n'y a pas de caries. Aucune pathologie n'est visible sur ce squelette. Cet homme adulte (stade 1 de synostose des sutures crâniennes) a été inhumé en decubitus dorsal dans une fosse ovale avec un fond en cuvette, orientée à 330°. Son crâne est en vue antérieure, légèrement latérale droite, la mandibule est tombée en avant des premières vertèbres thoraciques. Le rachis cervical présente une courbure inversée par rapport à l'anatomie, mais les vertèbres sont en connexion entre elles en vue supérieure. Les connexions ne sont pas maintenues entre le crâne et les cervicales. Le membre supérieur droit est hyper fléchi, la main en avant de la ceinture scapulaire droite, à plat en vue dorsale avec les doigts fléchis. Le membre supérieur gauche est fléchi à 90°, la main en avant des côtes droites, à plat en vue dorsale, les phalanges proximales sont verticalisées contre les côtes, le poignet à une altitude supérieure à l'avant-bras. Les membres inférieurs sont fléchis vers la droite. Les chevilles sont à 90°, les métatarsiens gauches en vue latéro-dorsale. Plusieurs dislocations se sont produites lors de la décomposition du cadavre : au niveau de la cheville droite, du poignet gauche (sans doute due à son altitude supérieure à l'avant-bras lors de l'inhumation), de la bascule du crâne en bas et en arrière. Des contraintes sont visibles sur l'épaule gauche (humérus et scapula en équilibre instable), et la ceinture pelvienne (maintenue en position fermée). La patella gauche est également en équilibre instable. Il existe un effet de paroi sur la gauche du squelette, qui pourrait être l'effet du bord de fosse (en cuvette). Cet homme a été inhumé avec un coussin sous la tête (bascule du crâne). L'existence d'un couvercle est possible, tout en n'empêchant pas une arrivée rapide du sédiment sur le bassin et le genou gauche. Sa stature (calculée d'après la longueur du fémur) est de 1,64 m. Cet homme présente des foramen sus-orbitaires accessoires, une perforation du canal post-condylaire et un dédoublement du canal hypoglosse, tous ces caractères étant bilatéraux. Il présente également une agénésie de sa troisième molaire inférieure gauche et sa vertèbre transitionnelle thoraco-lombaire se trouve en T11. Cet homme présente une légère hyperostose poreuse. Il n'est pas métopique. Il présente des hypoplasies linéaires de l'émail dentaire moyennes à marquées sur les incisives, les canines et les prémolaires inférieures et supérieures, dans les deuxième et dernier tiers de la minéralisation. Les maladies dégénératives (arthrose et enthésopathies) sont peu développées sur son squelette. On note la présence de petites hernies discales sur les thoraciques du bas et une malposition vertébrale au niveau thoracique. L'attrition dentaire est moyenne à marquée et la maladie parodontale est importante. Quelques petites caries sont visibles. De nombreuses pertes ante mortem ont eu lieu sur la mandibule et le maxillaire (la moitié des molaires). Aucune pathologie n'est visible sur ce squelette. Il s'agit d'un homme adulte (stade 0,7 de synostose des sutures crâniennes) déposé en decubitus dorsal dans une fosse ovale, arasée vers la moitié inférieure du corps, orientée à 160°. Son crâne est en vue latérale gauche légèrement antérieure. La mandibule est ouverte et déconnectée en avant des premières vertèbres thoraciques. Les vertèbres cervicales présentent une courbure inversée et non conforme à l'anatomie, elles sont en vue supérieure puis de plus en plus antérieure vers les thoraciques. Le crâne n'est plus en connexion avec les cervicales et a légèrement basculé vers la droite. Les membres supérieurs sont en extension, les mains à côté des fémurs homolatéraux, à plat en vue dorsale (la gauche a les doigts fléchis). Les membres inférieurs sont en extension, les chevilles à 90°. Les chevilles et les pieds sont déconnectés des tibias, l'avant-bras gauche et l'épaule gauche sont disloqués. La scapula gauche est en équilibre instable (verticalisée) et on note la préservation d'un léger volume thoracique. Ce défunt a été inhumé dans une enveloppe souple surtout visible sur le haut du corps (vêtement ?), avec un coussin céphalique et la présence d'un élément de rétention des sédiments (couvercle ?). Sa stature (calculée d'après la longueur du fémur) est de 1,70 m. Il présente des foramen sus-orbitaires et un pont clino-carotidien des deux côtés. La perforation du canal post-condylaire et le dédoublement du canal hypoglosse sont visibles à droite. Il présente des perforations olécraniennes et des encoches acétabulaires bilatérales. Les agénésies des troisièmes molaires sont visibles à droite pour la molaire supérieure et des deux côtés pour les molaires inférieures. Des ponts sont visibles (spino-spinal et ptérigo-basal) uniquement à droite et le foramen spinal est ouvert à droite, ainsi que le foramen de Vésale. La surface articulaire supérieure de l'atlas est dédoublée des deux côtés, et un pont articulo-postérieur est visible à droite. Cet homme présente une légère hyperostose poreuse et un métopisme vestigial. Il présente des hypoplasies linéaires de l'émail dentaire légères et moyennes sur les incisives, les canines et les prémolaires inférieures et supérieures, dans le deuxième tiers de la minéralisation. Les maladies dégénératives (arthrose et enthésopathies) sont peu développées sur son squelette, sauf sur le rachis où l'arthrose est moyenne voire importante pour les dernières thoraciques. On note la présence de petites hernies discales sur les thoraciques du bas et les lombaires. L'attrition dentaire est moyenne, la maladie parodontale importante, et deux grosses caries sont visibles sur une prémolaire et une molaire. Les pertes ante mortem touchent toutes les molaires inférieures et supérieures. Il est possible qu'un kyste se soit développé dans l'alvéole de la première prémolaire supérieure gauche. Une infection du rachis est possible, qui pourrait être la cause de la forte arthrose des articulations postérieures des dernières thoraciques. C'est la seule femme adulte de cet ensemble (stade 0 de synostose des sutures crâniennes). Elle est inhumée en décubitusdorsal, dans une fosse ovale dont le fond est en cuvette, orientée à 310°. Son crâne est en vue supérieure, la mandibule déconnectée en vue antérieure. En revanche, le crâne est en connexion avec les premières cervicales, qui sont en vue supérieure puis de plus en plus antérieure vers les thoraciques. Les membres supérieurs sont en extension, les mains à côté des fémurs homolatéraux, à plat en vue dorsale (la droite a les doigts fléchis). L es membres inférieurs sont en extension, le gauche très légèrement fléchi. Le pied droit est à 90°, le gauche s'est mis à plat dans le prolongement du tibia, en vue latérale. Le crâne a basculé vers l'avant, le pied et la cheville droits sont disloqués. La ceinture pelvienne est maintenue fermée. Il existe une contrainte et un effet de paroi sur le pied gauche. Cette femme a été déposée dans une enveloppe souple qui maintenait le haut de son corps (vêtement ?). La présence d'un élément de rétention des sédiments est possible pour le bas du corps (couvercle ?). Sa stature (calculée d'après la longueur du fémur) est de 1,56 m. Cette femme présente un petit os au lambda. Le foramen sus-orbitaire est visible à gauche, tout comme la perforation du canal post-condylaire. Un pont spino-spinal existe à droite, le pont ptérigo-basal est bilatéral. La surface articulaire calcanéenne est dédoublée à gauche, et sa vertèbre transitionnelle thoraco-lombaire se trouve en T11. Cette femme présente une légère hyperostose poreuse. Elle n'est pas métopique. Elle présente des hypoplasies linéaires de l'émail dentaire légères et moyennes sur les incisives, les canines et les prémolaires inférieures et supérieures, dans les deuxième et dernier tiers de la minéralisation. Les maladies dégénératives (arthrose et enthésopathies) sont absentes sur son squelette. L'attrition dentaire est légère, la maladie parodontale moyenne, et deux grosses caries sont visibles sur deux molaires. Une seule molaire a été perdue ante mortem. Des kystes sont visibles au niveau des premières molaires droites inférieure et supérieure et de la deuxième molaire supérieure gauche. Aucune pathologie n'est visible sur ce squelette. Cet homme (stade 0,8 de synostose des sutures crâniennes) a été déposé dans une fosse subrectangulaire à parois verticales mais à fond irrégulier, orientée à 0°, prévue pour accueillir un individu allongé. Cette inhumation est antérieure à la sépulture 63, dont les deux fosses se superposent, séparées par 20 cm de sédiment. Sa tête a basculé en arrière (en vue antéro latérale droite), mais la colonne cervicale et les premières thoraciques sont restées en connexion stricte entre elles, sauf atlas et axis qui ont été éjectées vers l'arrière. La mandibule est ouverte. Le haut du tronc est complètement relevé vers l'arrière, presque à 90° par rapport aux lombaires (quasiment vertical), alors que le bas du tronc (lombaires et bassin) est en procubitus. Les bras sont croisés, les coudes contre le fond de fosse, et les mains se retrouvent de part et d'autre du cou (la main gauche a disparu lors du décapage). Les membres inférieurs sont fléchis vers la droite. Le pied droit est à 90° en vue latérale, alors que le gauche est en extension en vue plantaire, les phalanges intermédiaires remontant contre le bord de fosse. De fortes dislocations sont visibles : rupture entre T12 et L1, torsion inverse entre les vertèbres lombaires (vers la gauche) et les membres inférieurs (vers la droite), dislocation du coude droit et de l'épaule droite. Le crâne a basculé sur le côté et l'arrière, il est déconnecté des cervicales. Le rachis est très segmenté, mais en connexion. La patella droite, ainsi que les deux humérus, la colonne cervicale, la main droite et les deux avant-bras sont en équilibre instable. Un effet de paroi très net est visible sur la gauche du squelette, qui se trouve légèrement décalé vers la droite, par rapport au centre de la fosse, le genou droit étant contre la paroi est. On note aussi des contraintes sur le dessus du crâne (pression venant du dessus : poids de la terre). Ce défunt a été inhumé dans une enveloppe souple (vêtement pour le haut du corps ?), associée à un couvercle. Il possédait une pince à épiler à gauche de sa main gauche, la partie active vers le sol (probablement tenue lors de l'inhumation ?). Sa stature (calculée d'après la longueur du fémur) est de 1,69 m. Il présente un foramen sus-orbitaire accessoire et une perforation du canal post-condylaire, tous deux bilatéraux. Le dédoublement du canal hypoglosse est présent à droite, un pont clino-clinoïdien est visible à gauche. On observe un pont spino-spinal à gauche et un pont ptérigo-basal à droite. Le pont mylo-hyoïdien est bilatéral et l'agénésie de la troisième molaire supérieure est présente à gauche. Sa surface calcanéenne est dédoublée à gauche. Il présente une patella droite emarginata, une perforation olécranienne à droite et une encoche acétabulaire à gauche. Un ponticulus posticus est présent à droite. Cet homme présente une légère hyperostose poreuse et un métopisme vestigial. Il présente des hypoplasies linéaires de l'émail dentaire légères et moyennes sur les incisives, les canines et les prémolaires inférieures et supérieures, dans les deuxième et dernier tiers de la minéralisation. Les maladies dégénératives (arthrose et enthésopathies) sont peu développées sur son squelette, sauf sur le rachis où l'arthrose est moyenne. On note la présence de petites hernies discales sur les thoraciques du bas et les lombaires et une malposition vertébrale. L'attrition dentaire est légère à moyenne, la maladie parodontale moyenne à importante, et quelques petites caries sont visibles ainsi qu'une moyenne sur l'incisive latérale inférieure gauche. Aucune perte ante mortem n'est visible. Une protubérance osseuse de 2 mm est visible sur le pariétal droit, vers le lambda. Est -ce la manifestation d'une infection ? C'est un homme jeune (entre 20 et 30 ans, crête iliaque et extrémité sternale de la clavicule en cours de synostose) inhumé en procubitus dans une fosse ovale arasée, orientée à 190°. Sa fosse est tangente à celle de la sépulture 69. Ces inhumations ont-elles simultanées ? Son crâne est en vue postéro latérale droite, la mandibule est fermée en connexion avec le crâne. Les premières cervicales ont glissé vers l'avant et sont déconnectées du crâne. Le membre supérieur droit est en extension, le gauche est fléchi à 90°. La main droite est à droite du fémur droit, en vue palmaire, la gauche en avant des côtes droites, le poignet fléchi vers le bas, en vue latéro palmaire. Les membres inférieurs et les pieds sont en extension, ces derniers en vue plantaire. De nombreuses dislocations sont visibles : avant-bras droit, genou droit, épaule droite. La cheville gauche est en équilibre instable. Malgré l'arrivée rapide du sédiment, il est possible qu'une enveloppe souple et un couvercle aient existé. Sa stature (calculée d'après la longueur du fémur) est de 1,70 m. Cet homme présente un foramen sus-orbitaire et une perforation du canal post-condylaire bilatérale. Son foramen ovale est ouvert à gauche. Un pont mylo-hyoïdien est présent à droite. Cet homme présente une légère hyperostose poreuse et il est métopique. Il présente des hypoplasies linéaires de l'émail dentaire moyennes et marquées sur les incisives, les canines et les prémolaires inférieures et supérieures, dans les deuxième et dernier tiers de la minéralisation. Les maladies dégénératives (arthrose et enthésopathies) sont absentes sur son squelette. L'attrition dentaire et la maladie parodontale sont légères, et il n'y a pas de carie. Aucune perte ante mortem n'est visible. Aucune pathologie n'est visible sur ce squelette. Il s'agit d'un homme jeune (stade 0,1 de synostose des sutures crâniennes), déposé en decubitus dorsal dans une fosse ovale arasée orientée à 310°. Son inhumation est-elle simultanée à la sépulture 68 (les deux fosses sont tangentes) ? Le crâne est en vue antérieure. Les vertèbres cervicales présentent une courbure inversée et non conforme à l'anatomie, elles sont en vue supérieure puis de plus en plus antérieure jusqu' à la sixième cervicale. Elles ne sont plus en connexion avec le crâne. La mandibule est ouverte, déconnectée du crâne. Les membres supérieurs sont en extension, les mains à côté des fémurs homo latéraux, à plat en vue dorsale (légèrement latérale pour la gauche), les doigts fléchis vers l'intérieur. Elles étaient probablement en vue latérale à l'inhumation. Les membres inférieurs et les pieds sont absents (sépulture coupée au niveau des fémurs). On observe une dislocation des deux avant-bras. Le crâne, la main gauche et les côtes gauches sont en équilibre instable. Le bord de fosse a entraîné un effet de paroi sur les ossements, visible à droite. Il est possible que ce défunt ait été inhumé dans une enveloppe souple avec un coussin céphalique, n'empêchant pas une arrivée rapide du sédiment. Cet homme possède une fibule en fer en avant des côtes gauches. Une pierre grise (marcassite ?) est visible en arrière de la mandibule. Sa stature (calculée d'après la longueur du fémur) est de 1,68 m. Cet homme présente une perforation du canal post-condylaire et un dédoublement du canal hypoglosse, des deux côtés. Il a également une encoche acétabulaire et un dédoublement de la surface articulaire supérieure de l'atlas, caractères également bilatéraux. Cet homme présente une légère hyperostose poreuse. Il n'est pas métopique. Il présente des hypoplasies linéaires de l'émail dentaire légères et moyennes sur les incisives, les canines et les prémolaires inférieures et supérieures, dans les deuxième et dernier tiers de la minéralisation. Les maladies dégénératives (arthrose et enthésopathies) sont peu développées sur son squelette. On note la présence de petites hernies discales sur les thoraciques du bas et les lombaires. L'attrition dentaire est moyenne et quelques petites caries ainsi qu'une moyenne sur une prémolaire sont visibles. Aucune pathologie n'est visible sur ce squelette .
Cet article présente les résultats d'une fouille préventive (Inrap) effectuée sur la commune de Lavau dans l'Aube. Deux occupations distinctes ont été clairement identifiées: une portion de ferme de la fin de l'Âge du Bronze/début du Hallstatt ainsi qu'une petite nécropole de La Tène moyenne. Si la ferme est emblématique d'une exploitation rurale de cette époque, la nécropole se démarque de ce que l'on en attendrait Son emplacement, son organisation ainsi que certaines pratiques funéraires la rendent insolite.
archeologie_08-0202253_tei_357.xml
termith-34-archeologie
L'implantation d'un lotissement à Soumont-Saint-Quentin, au lieu-dit « Les Menhirs » ou « les Longrais », a nécessité la réalisation d'un diagnostic archéologique (sur 8500 m²) en février 2008 (fig. 1), à proximité immédiate de la fouille conduite par B. Edeine dans les années 1960 sur des minières de silex et des sépultures du Hallstatt (Edeine, 1961, 1963, 1965 a et b, 1972). 1. Les minières de silex de la Delle des Longrais : retour sur un site emblématique Avant de préciser les résultats de ce diagnostic, il n'est pas superflu de faire un point sur son contexte géologique, archéologique et historique. Il est en effet impossible d'évoquer le site des Longrais sans le rattacher à son environnement immédiat; celui -ci est sans équivalent et mérite le qualificatif de « haut lieu » au sens ou l'entendait Pierre Nora (1997). L'éperon du Mont Joly est une de ces fantaisies de la nature qui ont de tout temps captivé les hommes. En termes géologiques, c'est un chaos de roches anciennes qui émerge brusquement au beau milieu de la plaine jurassique (fig. 2). Un modeste cours d'eau, le Laizon, s'est frayé un chemin aux dépens des grès, formant une cluse profonde de trente mètres : la Brèche au Diable. Sur sa rive est, le Laizon a découpé un véritable promontoire bordé d'abrupts sur trois côtés. Le sommet est constitué par une plateforme rabotée d'une superficie d'environ quatre hectares. L'archéologue y reconnaît un retranchement d'éperon et n'a aucune peine à identifier une barre talutée de 150 m de long à l'opposé de la cluse, c'est-à-dire là où le bombement de grès disparaît sous les calcaires (fig. 3). C'est ici que les épigones d'Arcisse de Caumont, Frédéric Galeron et les premiers préhistoriens normands comme MM. Costard et Foucher ou Raoul Doranlo, écrivirent quelques pages fameuses de l'archéologie bas-Normande. Leurs trouvailles firent les beaux jours du musée de Falaise, malheureusement détruit en 1944. Pour l'anecdote, le potentiel archéologique des lieux fut révélé fortuitement en 1798 lors de la construction au bord de l'abrupt du tombeau de Marie Joly, célèbre pensionnaire de la Comédie française et l'une des égéries du Romantisme. La Roche-Saint-Quentin devint alors pour tous le Mont Joly (Doranlo, 1926). C'est à partir des années 1910 que des blocs polissoirs sont identifiés au pied de l'éperon, confirmant une fréquentation néolithique que l'industrie en silex montrait déjà en abondance. Une nouvelle étape de la recherche archéologique s'ouvre à partir de 1955 : la richesse des vestiges mis à découvert par des travaux de génie civil suscite quelques velléités et Bernard Edeine, formé à l'ethnologie, se propose de mettre en œuvre les méthodes archéologiques initiées par André Leroi-Gourhan avec la notion de « Palethnologie ». Avec l'aide d'amateurs de haut niveau parmi lesquels Robert Caillaud et Edouard Lagnel, il entreprend une campagne de sondages en différents points. L'intérêt, qui se portait au gré des découvertes sur l'occupation protohistorique et le cimetière mérovingien, se déplace brusquement vers le Néolithique. La publication de la thèse de Gérard Bailloud dans les années soixante en est la cause évidente (Bailloud, 1964, p. 399-429) : les fouilles du Mont Joly arrivent à point nommé pour conforter sa périodisation, mais les arguments scientifiques sont bien maigres et aucune publication sérieuse ne vient les étayer. Finalement les autorisations de fouilles ne seront pas renouvelées. Aujourd'hui, il reste peu de données concrètes sur les fouilles alors pratiquées au Mont Joly. La documentation scientifique subsistante est disparate et peu utilisable. Pour résumer, le site ressemble à un condensé de l'archéologie métropolitaine, depuis les industries du Paléolithique inférieur jusqu'aux sépultures du haut Moyen Âge. La période néolithique, qui nous intéresse ici, est représentée par des éléments domestiques où on peut reconnaître les styles céramiques propres au Néolithique moyen, Cerny et Chasséen. Le retranchement est en revanche daté de l' âge du Bronze mais tout porte à penser que cet ouvrage reprend une levée plus ancienne. Le site des Longrais se trouve en quelque sorte accolé à l'éperon du Mont Joly; plus précisément, il occupe le plateau calcaire qui enserre l'extrémité orientale du renflement de grès. Cette terre de labour attira très tôt l'attention des collectionneurs qui pouvaient y recueillir en surface une profusion de silex. La découverte survient en plein mouvement « Campignien » (Salmon et al., 1898), et en a tous les caractères. Le site est vite rattaché à un ensemble plus vaste, celui d'Olendon (Eudes-Deslongchamps, 1876). L'arrière-plaine du Mont Joly est alors couverte de ces silex à tel point que la Société préhistorique française crée « l'Olendonien » dans la chronologie du « Néolithique inférieur ». La reconnaissance du phénomène, pour éphémère qu'elle ait été, eut le mérite de révéler pour la première fois l'un des caractères originaux du Néolithique bas-normand. Si l'on en croit la chronique, le site des Longrais était réputé pour livrer des quantités d'éclats, d'où le qualificatif d'atelier, mais son originalité venait du fait que les tranchets étaient les seuls outils que l'on y trouvait. À 3 km de là, Olendon, au contraire, n'offrait que des pics et des « haches grossières ». En 1955, un événement va permettre indirectement de confirmer la nature du site : le propriétaire des Longrais vient de recueillir un curieux objet en bronze. Bernard Edeine décide d'abandonner momentanément le Mont Joly et lance une opération de fouille aux Longrais (fig. 1) et trois riches sépultures du Hallstatt sont découvertes (Edeine, 1961). Ce n'est que dix années plus tard que l'équipe de Bernard Edeine investit à nouveau les Longrais. Au lieu des sépultures attendues, c'est un étrange semis de fosses et des amas de silex qui se présentent sur le substrat décapé au bulldozer. D'abord qualifiées de foyers, puis d'ateliers, ces structures se révèlent finalement être des puits d'extraction de silex dont la profondeur ne dépasse pas 1,50 m (fig. 4, 5, 6). L'analogie avec les structures d'extraction fouillées jadis par G. Fouju dans l'Oise ne laissait pas de doute sur la nature du site. Bernard Edeine fit relever les profils des comblements de plusieurs cavités, mais les fouilles ne furent pas poussées plus avant. Quant aux « amas » de silex, plusieurs ont fait l'objet d'un relevé graphique mais les pièces non sélectionnées furent jetées dans une décharge sauvage. Les fouilleurs de l'époque se souviennent que la quantité de silex taillé était relativement faible et ne concernait visiblement que la fabrication de tranchets. Cependant, quelques nucléus à lames ont été également recueillis dans les mêmes conditions. Bernard Edeine consacre d'ailleurs plusieurs notes au matériel des Longrais qu'il qualifie de « danubo-campignien » (Edeine, 1963, 1970 et 1972). Par la suite, il cherchera à faire l'impasse sur la présence de puits d'extraction tant le rapprochement avec le Néolithique ancien lui semble saugrenue. Des datations radiocarbone sont toutefois là pour confirmer l'ancienneté du site (en particulier la date Gif 2315 : 6490+/-160 BP – foyer F3 niv. 50 – obtenue sur un charbon de bois découvert avec la céramique n° 1 de la fig. 7). Et surtout, les fouilles permettent de recueillir quelques tessons décorés dans le « style danubien », décors attribués depuis au Blicquy – Villeneuve-Saint-Germain et au Cerny (fig. 7). Figure 6 : En 1967, un des puits en cours de fouille (archives B. Edeine déposées au SRA de Basse-Normandie). Dans le courant des années 60, d'autres puits à silex sont identifiés fortuitement dans cette même zone, à Soignolles et Potigny, mais ce n'est qu'en 1980 qu'un programme de fouilles spécialement consacré aux minières de silex est mis sur pied. On choisit un site « neuf », celui de Bretteville-le-Rabet, identifié par J. Desloges en 1982 à une dizaine de kilomètre au nord des Longrais. Cette opération pionnière s'échelonne jusqu'en 1987 (Desloges, 1990, 1999). En renouvelant les problématiques, elle ouvre en quelque sorte la voie aux grands chantiers de l'archéologie préventive des années 90 (Jablines, Serbonnes, Villemaur etc.). À son tour, la Basse-Normandie a pu tout récemment bénéficier des moyens de l'archéologie préventive en ce domaine. La création de l'autoroute Falaise-Sées a été l'occasion en 2007 de reprendre la problématique minière régionale, l'emprise routière devant traverser un site inédit considéré comme un lieu d'extraction et de taille de haches. Cette fouille, à Ri-et-Ronai, près d'Argentan, a permis d'étudier une superficie de deux hectares offrant pour la première fois l'étude intégrale de plus de 600 puits d'extraction (Marcigny et al., 2007). La zone concernée par le diagnostic de 2008 est implantée sur le plateau, dans l'axe de l'éperon du Mont Joly, le long d'une barre de grès/quartzite (fig. 8), au contact entre le Bassin parisien et les premiers renforts du Massif armoricain. Le site se trouve ainsi dans une situation géologique complexe, entre les roches du massif ancien au sud formant une élévation de quelques mètres, des nappes d'argile (emballant grès, quartzite et silex) dans le tiers sud de la zone explorée et un substrat calcaire quasi-affleurant mais lardé de poches d'argile à silex (poche de décalcification) sur le reste du terrain. Une approche précise de la stratigraphie « naturelle » de ce secteur a donc été menée en parallèle à la fouille de manière à bien caractériser les conditions d'implantation des structures (fig. 8). Cette approche a de plus été complétée par des tests réalisés sur les matières siliceuses (prélèvement de blocs naturels, taille expérimentale), de manière à caractériser la qualité des silex présents dans le sous-sol des Longrais. Au terme de cette étude, il est possible de présenter dans ses grandes lignes la stratigraphie générale du site. La barre de grès et quartzite n'a pas été sondée mais elle est caractérisée par un chaos rocheux où pointent un grand nombre de blocs de grand module. Les dalles de quartzite sont très fréquentes et c'est probablement deux d'entre elles que B. Edeine à redressées dans les années 60, pensant qu'il s'agissait de menhirs renversés. Le long de la barre, une nappe d'argile, emballant de nombreux cailloux de grès, quartzite et silex, se développe sur des surfaces variables. L'absence de sondage profond dans ce secteur ne nous permet pas de connaître la puissance de cet horizon qui dépasse 0,80 m de profondeur sous la terre végétale, épaisse d'une vingtaine de centimètre sur l'ensemble de la zone explorée. Dans cette couche, le silex, très gélifracté et généralement concassé, est bien entendu inexploitable. Plus vers le nord-est, le substrat calcaire (bathonien) est directement accessible sous une couche de limon gris de 0,15 à 0,50 m d'épaisseur, elle -même sous-jacente à la terre végétale. Le calcaire est pulvérulent et contient par passées des rognons de silex de qualité très inégale. Dans un cas (coupe 44, fig. 8), le silex se présente sous la forme d'un véritable banc très compact d'une vingtaine de centimètres d'épaisseur; ce silex, de couleur grise, est gélifracté et d'une qualité trop médiocre pour la taille. Sur cette même coupe, à près de deux mètres de profondeur, un nouveau niveau à silex de même couleur est observé, mais cette fois -ci apte à la taille (silex gris foncé sursilicifié à cortex fin et lisse d'aspect légèrement satiné, comparable au silex dit « du Cinglais »). Le substrat présente ponctuellement des cuvettes de dissolution qui se repèrent en plan par un niveau d'argile rouge formant des taches plus ou moins circulaires de 4 à 6 m de diamètre (fig. 8). Ces cuvettes peuvent atteindre 3 m de profondeur. Elles présentent dans leurs remplissages des niveaux de silex gris surcilicifié de très bonne qualité, comme sur la coupe 10 de la figure 8. Cette stratigraphie générale est bien entendu sujette à des variations sur l'ensemble de la surface diagnostiquée. En conformité avec les observations faites par B. Edeine dans les années 1960, le site s'est révélé riche en structures; parmi celles -ci les puits de minière à silex dominent très largement. 38 puits ont ainsi été plus ou moins partiellement dégagés en surface lors de la réalisation des tranchées de diagnostic, dont 9 ont été fouillées à 50 % (fig. 9). Devant l'importance des vestiges découverts, le Service régional de l'Archéologie a prescrit une fouille à l'emplacement des constructions projetées. Cette fouille n'aura malheureusement pas lieu suite à la modification substantielle du projet d'aménagement. Les résultats présentés ici sont donc les seuls disponibles, sans doute pour longtemps puisque les terrains concernés ont désormais réputés non constructibles. Les informations acquises durant les quelques jours du diagnostic paraissent toutefois suffisamment importantes pour faire l'objet d'un article présentant les données brutes puits par puits. Le puits 1 est creusé à l'emplacement d'une cuvette de dissolution du calcaire bathonien (fig. 10). Il s'agit en fait d'une très large fosse de presque 4 m de diamètre qui descend à un peu plus de 3 m de profondeur pour atteindre le niveau à silex. Après extraction, la cuvette a été comblée avec les terres issues de son creusement. On y retrouve ainsi une alternance de couches de limon plus ou moins argileux, ponctuées de bloc de silex rejetés car de qualité trop médiocre. Le sommet de la fosse a livré de nombreux déchets de taille, ultimes témoins des activités qui se sont déroulées autour du puits. Cette structure est celle qui a livré le plus de vestiges parmi toutes celles sondées à la fouille. Dans le cadre de la description des autres lots mobiliers, c'est elle qui nous servira de référence. Le mobilier lithique issu du remplissage de ce puits 1 se compose de 280 artefacts de plus de 2 cm de long et de 276 esquilles, pour un poids de 54 420 g, dont 7 blocs de matière première plus ou moins mis en forme, pour un poids de 47 260 g (tabl. 1). Le mobilier est issu des couches intermédiaires du remplissage, dans les niveaux limoneux. Il apparaît à quelques centimètres sous le labour, vers 0,40 m de profondeur sous le sol actuel; il est plus dense entre 0,50 et 0,60 m puis de moins en moins abondant jusqu' à 1,20 m. Le mobilier a été ramassé manuellement lors de la fouille des concentrations de silex entre chaque passe de pelle mécanique. Cela explique en particulier le nombre important d'esquilles mises au jour. Le matériau concerné est exclusivement le silex bathonien gris local. Il est présent soit sous sa forme sursilicifiée de très bonne qualité (grande majorité des artefacts), soit sous sa forme désilicifiée et très grenue (quelques éclats d'initialisation, quelques gros blocs). La série se partage entre 15 % d'éclats très corticaux (qui participent de l'initialisation des blocs), 28 % d'éclats divers, 25 % d'éclats larges et fins (probablement tirés dans le cadre du façonnage des flancs des blocs et nucléus pour l'établissement des crêtes latérales, ou encore pour le façonnage d'outils tels que des tranchets), 9 % de produits allongés (lames et lamelles, entières ou fragmentées), 10 % de produits d'entretien des nucléus (crête, avivage, flanc); on note enfin 1,4 % de nucléus à éclats et 0,7 % de nucléus laminaires. Les supports laminaires – lames et lamelles – présentent les caractéristiques de plusieurs types de production. Les plus évidentes concernent des produits réguliers, à 3 pans et d'épaisseur constante. Le talon est large, avec une concavité résultant de l'enlèvement d'une esquille d'avivage. Le bulbe est bombé et court. Ces stigmates indiquent sans conteste l'usage de la percussion indirecte, ce qui est corroboré par deux nucléus à lames, fragmentaires mais présentant des négatifs d'enlèvements laminaires très réguliers et un esquillement rasant du plan de frappe. Quelques autres supports laminaires portent des traces moins évidentes; ces supports sont également moins réguliers. La percussion directe tendre est proposée mais, devant la majorité de produits témoignant de la percussion indirecte, il convient de rester prudent. Les produits d'entretien des nucléus – lames à crête, tablettes ou éclats d'avivage, flancs de nucléus à enlèvements lamellaires – sont présents à hauteur de 9 % dans la série. Tous se rattachent à un débitage de produits très réguliers. Les lames à crête portent les stigmates déjà décrits d'un débitage par percussion indirecte. Les tablettes d'avivage portent sur leur face supérieure les négatifs d'esquilles caractéristiques. L'épaisseur de ces tablettes varie de quelques millimètres à 1,5 cm. Un gros bloc de silex initialisé a été découvert dans la structure 1. Il mesure 28 cm de haut et 12 de large. De forme ogivale, son façonnage s'est arrêté à un stade encore grossier. Il présente toutefois l'amorce de deux crêtes latérales. Il se réduit à 11 pièces, soit 3 % du corpus. Un grattoir sur éclat assez large présente une retouche semi-abrupte débordante du front. Un tranchet présente une morphologie trapézoïdale et une taille réduite (fig. 11, n° 2; L. = 6,5 cm). Les bords présentent une retouche abrupte; l'extrémité n'a pas fait l'objet d'un enlèvement « coup de tranchet ». Dans un premier temps considérée comme une ébauche, cette pièce a cependant montré sur ses bords de probables traces d'emmanchement (étude tracéologique en cours par F. Charraud). Cinq éclats de grandes dimensions présentent des enlèvements profonds créant une retouche écailleuse régulière. Il ne s'agit vraisemblablement pas d'une retouche intentionnelle, mais d'enlèvements consécutifs à une utilisation. Deux pièces esquillées ont également été reconnues dans cette structure (fig. 11, n° 4 et 5). Elles évoquent un travail en percussion directe ou indirecte sur une matière animale dure (os ou bois de cervidé). Deux petits éclats minces portant une retouche régulière complètent l'assemblage. La matière utilisée est un silex bathonien sursilicifié tel qu'on le trouve dans les placages d'argile à silex de la Plaine de Caen. Il est surnommé « silex du Cinglais », en référence au gisement du plateau des Moutiers-en-Cinglais (Calvados), exploré par J. Desloges en 1988 (Desloges et Ghesquière, 2007). Ce matériau se rencontre sur la plus vaste plaque d'argile à silex de la Plaine de Caen, selon les travaux universitaires de S. Coutard (1998, repris dans Ghesquière et Marcigny, 1998). Cette commune est aussi le lieu du plus grand atelier de production de lames découvert dans la Plaine (Desloges et Ghesquière, 2007). L'usage de ce silex d'argile a pour l'instant été identifié depuis le Rubané final du Bassin Parisien/Bliquy – Villeneuve-Saint-Germain ancien (Colombelles : Ghesquière et Marcigny, 2000; Billard et al., 2004), jusqu'au BVSG (Mondeville « Haut-Saint-Martin » : Chancerel et Ghesquière, 2006) et même au Néolithique moyen I (Ernes et Condé-sur-Ifs : Dron et San Juan, 1992). Le débitage est orienté au moins en majorité vers la production de lames régulières par percussion indirecte (même si une utilisation des gros éclats d'épannelage pour la réalisation de tranchets n'est certainement pas négligeable). Dans la région, ce type de production est caractéristique du début du Néolithique. Elle y correspond plus précisément à une utilisation de ces supports réguliers pour la réalisation de burins, armatures de faucilles et armatures de flèches. Ce type de débitage a été mis en évidence dans la région au RFBP/BVSG ancien sur le site de Colombelles « Lazzaro », sur les sites BVSG de Fontenay-le-Marmion « La Grande pièce » (Giraud et Juhel, 2004) et Mondeville « HSM »; au Cerny, on le retrouve à Condé-sur-Ifs (Ghesquière et Marcigny, 1998; inédit, fouille J.-L. Dron). Sous la forme de produits finis (lames régulières transformées en outils), on retrouve ces outils dispersés en Basse-Normandie et en Bretagne, dans les mêmes contextes chronologiques. Aucun outil caractéristique n'a été mis en évidence dans le puits 1. Les gros éclats retouchés pourraient trouver des équivalents dans la série des Moutiers-en-Cinglais (Desloges, rapport inédit; Ghesquière, étude inédite), comme dans la série de la minière de Ri, plus récente puisque du Néolithique moyen II (Marcigny et al., 2007). Leur hypothèse d'usage dans un cadre minier est avancée ici comme pour les deux autres sites (affûtage des outils de creusement ?). De tels outils semblent en effet avoir peu de place dans un contexte domestique si on les compare à ceux des habitats déjà cités. Le tranchet trouve sa place dans un contexte chronoculturel beaucoup plus large en Basse-Normandie. Son apparition est attribuée dans la région au BVSG moyen (Tilly-la-Campagne : Giraud, étude en cours) et au BVSG « à cordon et tranchet » (Mondeville « HSM »), même si de telles pièces restent rares dans la région. La Haute-Normandie est beaucoup plus riche en ce type de pièce pour la même période (Saint-Vigor-d'Ymonville : Marcigny et al., 2002; Guichainville « Long Buisson » : Carpentier et al., 2005). En Basse-Normandie, les tranchets se rencontrent beaucoup plus nombreux dans le Néolithique moyen. On ne peut que rapprocher l'exemplaire du puits 1 de l'abondant effectif issus de ramassages de surface sur le site des Longrais. Au regard des différentes informations rassemblées (matière première, production laminaire indirecte, présence de tranchet), il semble que l'on puisse resserrer la chronologie de ce remplissage sur le BVSG et le Cerny, dans une fourchette probable de 5 000 à 4 500 av. J.-C. Les puits 2, 3 et 4 ont été fouillés ensemble lors d'un même sondage réalisé au godet de 3 m. Ce sondage avait pour principal objet, au-delà du relevé de coupes stratigraphiques, d'identifier d'éventuels recoupements entre puits témoignant d'une exploitation du site sur la longue durée. La fouille a montré que les puits, même s'ils n'étaient pas obligatoirement synchrones, ne se recoupaient pas (fig. 12). Les trois puits se présentent sous la forme de cuvettes peu profondes (de l'ordre d'un mètre sous le décapage). Ils montrent, au niveau de la couche à silex, des diverticules permettant d'exploiter celle -ci au maximum en évitant la manipulation trop importante de stériles. Leurs comblements sont, comme pour le puits 1, constitués des déblais (ici une argile orange à rouge avec des passées de limon gris). La structure 2 a livré 18 artefacts de longueur supérieure à 2 cm et quatre esquilles, inclus dans les couches de remplissage limoneux. La matière utilisée est le silex bathonien gris local. Malgré le faible nombre de vestiges, on note deux lames présentant les stigmates du débitage par percussion indirecte. Il semble que l'on puisse considérer ce mobilier comme globalement comparable (matière première, débitage) à celui mis en évidence dans la structure St. 1. Ces deux puits sont profonds de 1,20 à 1,50 m sous le décapage (2 m sous le sol naturel moderne) et sont reliés ensemble par une très courte galerie (fig. 13). Leurs profils sont en tronc de cône avec une ouverture à la surface très légèrement évasée. Au niveau de la couche à silex (ici encore de très bonne qualité), les puits s'évasent, formant des diverticules voire de petites galeries (dont l'une n'était même pas remplie de sédiment). Leur comblement comporte à la base un épais remblai de calcaire pulvérulent, surmonté de blocs de silex abandonnés, puis viennent des couches de limon brun à brun gris parfois ponctué de calcaire. Ces types de profil et de comblement sont en tout point semblables à ce que l'on connaît sur d'autres minières régionales, en particulier à Ri où le calcaire se présente sous la même forme pulvérulente (Marcigny et al., 2007). Ces deux puits n'ont pas livré de mobilier. Ce puits a des parois presque droites (mais évasées au niveau de l'ouverture) et un fond plat à près de deux mètres de profondeur sous le décapage : (fig. 14). Au fond de l'excavation, le puits présente un très court diverticule dans le calcaire, peut être à la recherche d'une couche de silex qui ici n'existe pas. Dans l'argile, le creusement a atteint le niveau à silex mais ne l'a visiblement pas exploité alors qu'il semble de très bonne qualité. Nous avons peut-être à faire dans ce cas à un « puits test » qui n'avait pour vocation que d'identifier le potentiel de la couche à silex. La présence de plusieurs autres puits (St. 11, 12, 14, 15 et 16) dans le même secteur est peut-être le témoin de l'intensité de l'exploitation de la cuvette de dissolution après détection de la profondeur des silex. Ou alors, dans un autre scénario chronologique, St. 10 pourrait correspondre à une volonté d'extension de la minière vers un secteur plus calcaire, extension abandonnée après ce test qui aurait été jugé décevant. Le mobilier lithique est issu du remplissage supérieur limoneux. Il se compose de 25 artefacts d'une longueur supérieure à 2 cm (parmi lesquels 4 outils), et de 19 esquilles. Le matériau employé est exclusivement le silex bathonien gris local, soit sous sa forme sursilicifiée de très bonne qualité (grande majorité des artefacts), soit sous sa forme désilicifiée et très grenue (quelques éclats). Débitage et outillage. L'ensemble des vestiges retrouvés se rapporte à un débitage laminaire par percussion indirecte. Deux nucléus à enlèvements réguliers sont présents, de même que deux flancs de nucléus à négatifs d'enlèvements laminaires et huit éclats très minces de mise en forme (crêtes ou façonnage d'outils épais). Aucune lame entière ou fragmentée n'est toutefois à rapporter dans la série. La présence d'un nucléus à éclat suppose toutefois une production, même marginale de supports courts. L'outillage se compose d'un éclat mince retouché, d'un éclat épais denticulé et de deux ébauches de tranchet sur gros éclats non corticaux, présentant des enlèvements discontinus directs et inverses. Comparaisons et attribution chrono-culturelle. La matière utilisée dans le cadre du débitage est un silex bathonien sursilicifié, comme celui exploité sur le site. Le débitage est orienté vers la production de lames régulières par percussion indirecte; un débitage d'éclat (marginal ?) est toutefois à signaler à travers la présence d'un nucléus. L'outillage (éclat épais denticulé, ébauches de tranchet) est comparable à celui des autres lots du site. Il semble que l'on puisse attribuer le mobilier à la même fourchette chronologique que celui de la structure 1, soit entre le BVSG et le Cerny. La structure 11 n'a pas été fouillée. Son décapage de surface a toutefois livré cinq artefacts supérieurs à 2 cm et deux esquilles. La matière première est le silex bathonien gris exploité sur le site. Plusieurs vestiges caractéristiques du débitage par percussion indirecte ont été reconnus : deux fragments de nucléus à enlèvements laminaires réguliers, trois fragments de lames qui portent des stigmates significatifs (talon facetté, bulbe court et bombé…) et un fragment de lame à crête. On note encore une fois la surreprésentation des nucléus laminaires par rapport aux autres déchets de taille. L'outillage se compose d'un éclat tronqué très massif, de deux lamelles à retouche partielle continue et de deux ébauches de tranchet rapidement abandonnées. Un coup de tranchet est également présent et suggère une finition in situ de ce type d'outil. Il semble que l'on puisse considérer ce mobilier comme globalement homogène, avec une majorité de vestiges relevant d'une production laminaire régulière par percussion indirecte. L'ensemble renvoie globalement à la fourchette chronologique déjà évoquée pour la structure 1. Ce puits n'a pas non plus été fouillé. Lors du décapage, un peu de mobilier lithique a cependant été collecté; il s'agit de 18 artefacts d'une longueur supérieure à 2 cm (parmi lesquels 2 outils) et de 276 esquilles, pour un poids de 1 260 g. Le silex employé est exclusivement le bathonien gris local. Débitage et outillage. Le nombre réduit de pièces retrouvées ne permet pas de traiter la série selon des critères statistiques. Il faut donc se contenter des critères de présence/absence pour essayer de caractériser la production. Le nucléus laminaire (fig. 15) présente toutes les caractéristiques de la production laminaire par percussion indirecte (enlèvements réguliers, facettage du plan de frappe), de même que la lame et les deux fragments (talon facetté, bulbe court et bombé, trois pans, régularité des bords et de l'épaisseur). L'éclat de mise en forme mince et la lame à crête représentent les phases de préparation ou d'entretien des nucléus. Parallèlement à ces vestiges, quatre éclats et un nucléus semblent appartenir à une production plus discrète d'éclats de plein débitage. L'outillage se réduit à deux pièces. Un grattoir sur lame brisée présente une retouche semi-abrupte de l'extrémité distale qui détermine un front semi-circulaire assez régulier. Un éclat cortical de grande dimension présente une retouche écailleuse profonde sur un de ses bords. Comparaisons et attribution chrono-culturelle. La matière utilisée dans le cadre du débitage est le même silex bathonien sursilicifié que celui extrait des puits fouillés sur le site. Le débitage est orienté en majorité vers la production de lames régulières par percussion indirecte. Un débitage d'éclat a également été reconnu. Le grattoir sur lame est connu dans plusieurs séries bas-normandes, tout particulièrement dans le RFBP/BVSG ancien de Colombelles (Ghesquière et Marcigny, 2000). Au BVSG, ce type d'outil est rare dans les séries (très peu étoffées il est vrai) de Basse-Normandie. En revanche, on le retrouve au Cerny ancien (Condé-sur-Ifs : Ghesquière et Marcigny 1998). Au regard des différents éléments rassemblés (matière première, nucléus laminaires, tranchet), il semble que l'on puisse attribuer le mobilier de ce puits 14 à la même fourchette chronologique que l'assemblage de la structure 1. La présence d'un grattoir sur lame (mais est-elle représentative ?) est toutefois peu fréquente en contexte BVSG, du moins par rapport aux connaissances encore limitées que nous avons de cette période dans la région. La structure, non fouillée, a livré lors de son nettoyage de surface trois artefacts de plus de 2 cm et une esquille. La matière première est toujours le silex bathonien gris local. Malgré le faible nombre des vestiges, on y note un fragment de nucléus laminaire qui présente les caractéristiques générales d'une production régulière par percussion indirecte, une ébauche de tranchet sur gros éclat cortical et un microburin sur lame à trois pans très régulière (fig. 15). Cette pièce, de très grand module (23 mm de large) est peut-être le déchet de fabrication d'une armature de faucille ou de flèche. Il semble que l'on puisse là encore considérer ce mobilier comme globalement comparable (matière première, débitage) à celui mis en évidence dans la structure 1 et le placer dans la même fourchette chronologique. On note que la présence de microburin est très rare en contexte domestique dans la région (une pièce de même module à Mondeville « HSM »), même si des armatures de flèches réalisés par cette méthode de fracturation ont été découvertes à Fontenay-le-Marmion « La Grande Pièce » (Giraud et Juhel, 2004). La structure 17, également non fouillée, a livré lors de son décapage cinq artefacts d'une longueur supérieure à 2 cm. La matière première en est toujours le silex bathonien gris local. Malgré le faible nombre de vestiges, deux éclats de flancs de nucléus présentant des négatifs d'enlèvements laminaires réguliers suggèrent un débitage par percussion indirecte. Leur présence renvoie globalement à la même fourchette chronologique que celle proposée pour la structure 1. La structure 18 n'a pas non plus été fouillée; elle a livré, lors de son nettoyage de surface, cinq artefacts supérieurs à 2 cm et deux esquilles. La matière première est toujours le silex bathonien gris local. Malgré le faible nombre de vestiges, on note que les deux éclats de mise en forme minces sont tout à fait comparables à leurs homologues de la structure 1. Il semble que l'on puisse là encore considérer ce mobilier comme lui étant globalement comparable (matière première et débitage). Le puits 44 est la seule structure d'extraction fouillée dans la tranchée 2. La minière nous paraissait en effet suffisamment documentée au niveau de la phase diagnostic et il a été décidé de limiter les excavations profondes dans ce secteur, le laissant en réserve pour une éventuelle fouille à venir. Toutefois, la structure 44 apparaissait en surface comme une fosse de deux mètres de diamètre, comblée de limon gris et inscrite dans un plaquage d'argile rouge, proche en texture de la nappe de grès et de quartzite que l'on rencontre quelques mètres plus au sud. Le contexte géologique étant différent de ce que l'on connaissait dans la tranchée 1, entre le calcaire bathonien presque affleurant et ses cuvettes de dissolution, il nous a semblé opportun d'échantillonner ce nouveau puits. En coupe (fig. 16), le puits adopte le profil d'un tronc de cône très évasé. En effet, après avoir traversé un véritable banc de silex très compact mais impropre à la taille, le fond de l'excavation utilise ce banc comme plafond et file en diverticules sur au moins deux mètres de long de manière à exploiter à sa base la couche de silex de bonne qualité. Ces diverticules se développent ainsi tout autour du puits formant une extraction en « pétales de fleur ». Le remplissage du puits est presque exclusivement constitué de calcaire pulvérulent à l'exception de son accès comblé de limon gris. Les diverticules quant à eux présentent un comblement de même nature mais extrêmement lacunaire. Le mobilier lithique issu du remplissage se compose de 15 artefacts longs de plus de 2 cm (parmi lesquels 6 outils) et de 6 esquilles, pour un poids de 4 340 g. Ce mobilier est issu de la couche supérieure du remplissage limoneux du puits. Il est exclusivement en silex bathonien gris local. Débitage. La série, très limitée, ne permet une approche que sous forme de présence/absence des pièces. Les deux éléments les plus pertinents sont deux nucléus laminaires arrivés en fin de comblement, qui portent des stigmates caractérisant le débitage laminaire indirect : régularité des négatifs d'enlèvement laminaires, esquillement du plan de frappe… La présence de deux fragments de lame à crête, produits très probablement par percussion indirecte (régularité de l'épaisseur), semble confirmer ce diagnostic. Un nucléus à éclats présente quelques enlèvements à la surface d'un bloc de silex encore largement cortical. Malgré une fouille manuelle partielle, très peu d'esquilles sont issues du niveau de « concentration » des silex. On note par ailleurs la disproportion entre la présence des deux nucléus réguliers et la poignée d'autres déchets de taille. Outillage. Il concerne 3 pièces seulement. Un éclat épais retouché et un autre, denticulé, portent une retouche écailleuse profonde. Ces deux pièces massives rappellent les cinq éclats comparables de la structure 1. Une ébauche de tranchet bifaciale est très probable. La retouche directe et inverse est très partielle sur ce gros éclat de sous-entame mais la morphologie générale de la pièce suggère bien une ébauche de tranchet. Comparaisons et attribution chrono-culturelle. La matière utilisée est le même silex bathonien sursilicifié gris que dans les autres puits fouillés. Le débitage est orienté, au moins en majorité, vers la production de lames régulières par percussion indirecte. Une production ponctuelle d'éclats de plein débitage (faible nombre d'éclats par nucléus) et une utilisation de gros éclats d'épannelage pour la réalisation d'outils bifaciaux sont également présentes. Le débitage coïncide avec celui observé dans la structure 1. Il renvoie à la même fourchette chronologique. Aucun outil caractéristique n'a été mis en évidence. La probable ébauche de tranchet renvoie aussi aux conclusions proposées pour la Structure 1. La structure 70 a été fouillée car, lors de son décapage de surface, la présence d'un petit niveau charbonneux placé en son centre détonait par rapport aux structures environnantes. Dans l'idée de fouiller une structure d'un nouveau type (peut-être à vocation domestique), il a été décidé d'y effectuer une coupe. Après fouille, la structure peut, une fois de plus, être considérée comme un puits, éventuellement avorté si on la compare à St. 10 de la tranchée 1. Descendant à un peu plus de deux mètres sous le niveau de décapage, l'excavation présente des parois droites et un fond plat, Elle s'arrête au contact de la couche de silex, ici de très mauvaise qualité, ce qui a mis un terme à son creusement. Le comblement, constituée de limon gris, a livré cinq artefacts longs de plus de 2 cm et trois esquilles dans sa couche supérieure. La matière première est toujours le silex bathonien gris local. Malgré le faible nombre de vestiges, on note que les deux éclats de mise en forme minces sont tout à fait comparables à leurs homologues de la structure 1 (crête, façonnage d'outils…). Il semble que l'on puisse considérer ce mobilier comme globalement comparable. Les données acquises à l'issue de cette évaluation archéologique sont nombreuses et présentent un indéniable intérêt scientifique. La confirmation d'une zone d'extraction, déjà pressentie par B. Edeine dans les années soixante, et qui s'est avérée particulièrement dense, est un des apports majeurs. Dans le cadre du diagnostic, près d'une quarantaine de puits ont pu être examinés en surface et neuf ont été fouillés à 50 %. Cette minière avait pour fonction l'exploitation du silex bathonien, inclus soit dans les argiles de recouvrement du site (dans des cuvettes de dissolution ou en nappe), soit dans le calcaire sous-jacent (entre 1 m et 1,50 m de profondeur sous le sol actuel). Le débitage était réalisé in situ, comme le suggère la présence de l'intégralité de la chaîne de production dans le comblement des puits (extraction, blocs bruts, blocs mis en forme, éclats d'initialisation, éclats de mise en forme, éclats d'entretien, lames, nucléus, esquilles). Il vise à la production par percussion indirecte de lames régulières, ainsi qu' à celle d'éclats courts (production marginale) et au façonnage de tranchets bitronqués ou bifaciaux. L'outillage est très discret et ne semble pas correspondre à un assemblage domestique. Il consiste principalement en gros éclats retouchés ou denticulés, pour lesquels un rôle dans le système d'exploitation n'est pas exclu (affûtage des outils en bois ?). Le reste de l'outillage, à quelques exceptions près, consiste en ébauches de tranchet. La présence de trois grattoirs et d'un microburin reste anecdotique. L'ensemble évoque indiscutablement le Néolithique ancien ou le Néolithique moyen I, ce qui ferait des Longrais une des minières attestées parmi les plus anciennes d'Europe, rejoignant celles de Pologne (Lech, 1982), d'Italie (Galiberti et al., 1998) et d'Espagne (Capote et al., 2008) et l'une des seules sondées pour cette époque en France Depuis vingt ans, les fouilles de minières, réalisées au hasard des grands travaux d'aménagement, ont apporté leur lot d'informations pratiques, sur les techniques d'extraction par exemple, mais les modèles d'exploitation communément admis demeurent limités. L'étude des minières de silex et de leur raison d' être sur la durée ne peut se concevoir que dans le cadre d'un investissement régional de longue haleine, combinant la fouille de sites d'extraction et d'ateliers mais aussi l'identification des produits et de leur diffusion. C'est pourquoi le diagnostic des Longrais revêt une importance toute particulière dans le contexte régional. Il n'est plus temps de valider les informations qui nous sont parvenues des fouilles de 1966, mais il s'agit désormais de répondre à un questionnement précis, émergé entre-temps. S'il est confirmé que la production des Longrais concerne essentiellement des tranchets et des lames dans une ambiance culturelle marquée par des éléments domestiques BVSG ou Cerny, il s'agirait, comme souligné plus haut, des extractions de profondeur les plus anciennes connues à ce jour en France; elles seraient contemporaines de la vague pionnière de néolithisation et par conséquent bien antérieures au phénomène minier « normatif ». Cette exploitation, dont il faudrait déterminer les signatures, serait peu ou prou contemporaine de l'exploitation des rognons de l'argile à silex dit « du Cinglais ». Rappelons que celui -ci constitue l'une des ressources principales du Néolithique ancien pour la production de lames en Normandie et en Bretagne. Ainsi deux stratégies d'acquisition que l'on oppose d'ordinaire pourraient avoir coexisté au Néolithique ancien : le système minier d'une part et le traditionnel ramassage des rognons dans les biefs à silex d'autre part .
L'implantation d'un lotissement à Soumont-Saint-Quentin (Calvados) a suscité un diagnostic archéologique sur une minière de silex en partie fouillée par B. Edeine dans les années 1960. 38 puits ont ainsi pu être dégagés en surface et 9 ont fait l'objet d'une fouille archéologique. Cette minière visait à l'exploitation du silex bathonien inclus dans les argiles de recouvrement du site (dans des cuvettes de dissolution ou en nappe), ou en dessous dans le calcaire. Le débitage était réalisé in situ, comme le suggère la présence de l'intégralité de la chaîne de production piégé surtout dans le remplissage des puits. Ce débitage vise à la production par percussion indirecte de lames régulières, ainsi plus marginalement qu'à celle d'éclats courts et au façonnage de tranchets bitronqués ou bifaciaux. L'ensemble peut être daté du Néolithique ancien ou du Néolithique moyen I, ce qui fait du site des Longrais une des minières parmi les plus anciennes d'Europe du nord.
archeologie_11-0421548_tei_147.xml
termith-35-archeologie
Dans la moyenne vallée de l'Orb, les recherches effectuées avant 1997 sont toujours restées ponctuelles et assujetties aux travaux agricoles. On recensait déjà les nécropoles de Roquecourbe et de Pradines, la Grotte du Montpeyroux et le dépôt du Rieu-sec, découvertes réalisées entre les années 1940 et 1970. Les prospections, les sondages et les enquêtes auprès des érudits locaux ont permis d'enregistrer six nouvelles occupations soit, au total, un corpus de 11 sites (fig. 1). Ce sont surtout les prospections qui ont permis le renouvellement de la base documentaire. Pourtant, des lacunes subsistent tant au niveau des cartes de répartition que sur la fonction et la nature exacte des sites. Les fouilles engagées sur l'habitat de la Roumanine et sur la nécropole de Pradines permettent d'éclaircir ces zones d'ombre. Ce nouveau catalogue de sites, qui se caractérise par une grande diversité des modes d'occupation, nous a permis en 1998 de mettre en évidence de nouveaux modes et rythmes de peuplement dans cette partie du Languedoc occidental (fig. 2 et 3) (Mazière 1998). Les sondages d'évaluation menés à l'occasion de la pose d'un gazoduc entre 1996 et 1997 ont permis de découvrir pour la première fois dans la moyenne vallée de l'Orb un habitat de l' âge du Bronze finissant (Detrain, Mazière 1997). Les vestiges protohistoriques ont été endommagés par les labours de sorte que seules les structures en creux sont conservées. Une tranchée de 103 m de long ainsi qu'un décapage mécanique sur une surface de 575 m 2 n'ont pas permis de circonscrire le site dans sa totalité, si bien que l'étendue exacte du gisement reste difficile à apprécier (fig. 5). Malgré une vision très partielle, ce site fournit des données nouvelles sur les modes d'occupation des sols et sur le faciès céramique de la transition entre l' âge du Bronze et l' âge du Fer. La Roumanine se trouve dans la moyenne vallée de l'Orb, actuellement à 5 km du village de Cazouls-lès-Béziers. Le terroir dans lequel est implanté le gisement est marqué par un paysage de transition entre la plaine du biterrois et la Montagne Noire. Le site (cote NGF 91 m) s'étend sur un replat bordé à l'ouest par des coteaux (cote NGF 121 m) et à l'est par le ruisseau de la Bouscade qu'il domine de quelques mètres. Le sol naturel est ici composé d'un substrat argileux hydromorphe du Miocène de couleur vert-jaune, sur lequel se sont déposées des colluvions limono-sableuses d'origine fluviatile. La terre arable a été enlevée à l'aide de moyens mécaniques sur une épaisseur de 50 à 60 cm. Hormis un puits d'époque romaine (entre 20 et 40 de notre ère), les autres structures sont homogènes et contemporaines du début de la protohistoire (fig. 6). Le mauvais état de conservation du site, dont les sols ont été détruits par les travaux agricoles n'a pas permis d'observer de relation stratigraphique entre les différents aménagements. Les structures en creux, à l'exception de la fosse 1, ne sont d'ailleurs conservées que sur une quinzaine de cm, de sorte qu'il est impossible de connaître l'amplitude réelle de ces creusements. La fosse 1 a été explorée par trois sondages. Elle n'a pu être dégagée sur toute sa superficie sachant qu'elle se développe sous un chemin communal. De forme oblongue en surface, cette fosse est constituée de deux dépressions (creusement 1 et creusement 2, fig. 6). Le premier a une forme allongée (4,20 x 1,60 m) et légèrement incurvée. Les parois sont abruptes sur le côté nord, mais beaucoup plus évasées au sud, où l'on observe une sorte de « palier » pour accéder à la partie basse plus étroite. Les coupes réalisées (fig. 7) rappellent vaguement un profil en « V ». La seconde dépression est grossièrement ovalaire et offre une stratigraphie de 70 à 75 cm d'épaisseur. Les parois sont concaves et se referment légèrement pour laisser place au fond presque plat. Ces deux creusements qui constituent la fosse 1 ont un remplissage identique mais complexe. Les niveaux tapissant le fond de la fosse 1 (us 1006, 1010, 1014, 1015) sont composés d'un mélange de sédiment argileux de teinte jaune et de lentilles plus sableuses mêlées à des blocs calcaires. Ces strates, quasiment sans vestiges archéologiques, sont certainement liées à l'érosion des bords de la fosse. Sur cette couche, on observe un sédiment argileux épais d'une dizaine de cm, à peine plus sombre que le sol naturel. Ce niveau comprend des macro-restes végétaux et des fragments de céramiques en faible quantité. Ces remblais qui ont peut-être pour origine le terrassement des paléosols environnants ont été ponctuellement surcreusés par de petites fosses (us 1011 et 1007) comblées par des blocs de calcaire chauffés et des charbons de bois issus probablement du démantèlement de foyers ou de fours. Enfin, au contact de la terre arable, on rencontre une couche d'une dizaine de centimètres d'épaisseur (us 1001), dont le sédiment limoneux, de couleur brun foncé, est surtout riche en restes de faune et de céramiques. Cette couche-dépotoir révèle, à proximité des fosses, la présence d'un lieu de vie. Pour résumer, cette fosse est composée de deux creusements dont le comblement s'est déroulé en trois phases : le sédiment qui repose sur le sol naturel est dû à un phénomène érosif (ruissellement, érosion des parois). Puis, le colmatage de la fosse est assuré par un épais remblai argileux prélevé dans le sol naturel ambiant surmonté par un dernier niveau, riche en vestige, constitué de rejets en provenance de l'habitat. Le mobilier découvert dans cette fosse est exclusivement composé de céramique non tournée clairement attribuable à l'extrême fin de l' âge du Bronze. La fosse 2 se situe dans le prolongement de la fosse 1, à quelques mètres de cette dernière. Très arasée par les labours, elle n'est conservée que ponctuellement en plan et sur une épaisseur de 10 à 15 cm. Les niveaux posés sur le fond de la fosse offrent des similitudes avec ceux de la fosse 1 (texture, coloration, granulométrie), c'est pourquoi nous supposons que les fosses 1 et 2 ont été creusées et surtout comblées en même temps. Dans cette fosse ont aussi été découverts des fragments de céramiques modelées. Ce creusement, légèrement éloigné des fosses 1 et 2, de forme vaguement quadrangulaire est difficilement interprétable. En effet, ni sa morphologie, ni son comblement (petits blocs calcaires mêlés à un sédiment sablo-argileux) ne permettent de définir la fonction exacte de cette petite cuvette (fig. 8). On notera la présence de céramiques modelées atypiques et d'une lamelle en silex. Ce mobilier n'exclut pas la contemporanéité avec les autres fosses. Parallèle à la fosse 2, la structure 1 est apparue très érodée (fig. 6). D'aspect linéaire, cet aménagement se caractérise par un remplissage sableux (15 cm d'épaisseur). Il a livré quelques rares fragments de céramiques non tournées. Cette structure reste indéterminée. Seules les fosses 1 et 2 ont livré une documentation suffisamment bien conservée pour que l'on puisse proposer une interprétation. L'analyse du comblement et de la morphologie de ces fosses permet d'éliminer d'emblée certaines hypothèses (structure agraire). La fonction de la fosse 1 est difficile à préciser car d'une part, l'érosion et les travaux agricoles rendent difficile l'évaluation des dimensions initiales et, d'autre part, l'emprise du décapage n'a pas permis d'en dégager les limites est et ouest. La longueur des deux fosses mises bout à bout peut être estimée à 24,5 m et 3,50 m de large, pour une profondeur maximale conservée comprise entre 0,70 et 0,75 m. La réalisation des deux fosses (soit environ un volume de terre de 8 m 3) semble donc être le fruit d'un travail d'une certaine ampleur excluant une simple aire de rebut. Ce type de structure en creux a parfois été identifié comme des fonds de cabane (Grimal 1979; Gasco 1980; Pons 1984) mais au vu de notre documentation, cette hypothèse ne pourra jamais être validée. Depuis les travaux de J. Guilaine, on admet volontiers que ce genre de fosses puisse correspondre à des aires d'extraction d'argile (Guilaine 1986, 33 ss. et 177 ss.; Guilaine 1989, 207 ss.). À la Roumanine, les fosses ont été creusées dans une argile hydromorphe de texture souple. On pourrait donc supposer que ce lieu a été choisi pour la bonne qualité de l'argile qui n'affleure d'ailleurs qu' à cet endroit. La présence de nombreux restes d'huîtres fossiles concassées dans le comblement de la fosse, identiques à ceux utilisés comme dégraissant dans la céramique, confirmerait l'exploitation de l'argile dans ces lieux et par des potiers. Cependant, les fosses d'extraction d'argile du Bronze final déjà publiées n'offrent que peu de comparaisons avec les fosses de la Roumanine. Elles sont en général circulaires, constituées de plusieurs creusements, et sont généralement de taille importante, entre 2 à 4 m de long, 2 à 3 m de large pour 1 m de profondeur en moyenne. C'est le cas des fosses de la Jasse d'Eyrolles (Sainte-Anastasie, Gard; Gasco 1980), des Jonquiés (Portiragnes, Hérault), de la structure 64 de Carsac (Carcassonne, Aude) et des deux fosses à Médor (Ornaisons, Aude). L'aspect linéaire des fosses 1 et 2 et le profil vaguement en « V » rapprocherait ces creusements de fossés. Malheureusement, on manque de grandes surfaces décapées pour pouvoir étayer cette hypothèse. Le comblement des fosses de la Roumanine est riche en restes anthropiques (nombreux restes de céramiques, de torchis et de gouttelettes de bronze) et la probable utilisation de l'argile dans un cadre domestique (confection de vases, de torchis…) induit la présence d'un habitat dans un très proche environnement. Certes, aucun des vestiges observés ne peut être clairement identifié comme émanant d'une construction, mais comme cela a été dit par ailleurs, on peut raisonnablement imaginer que l'action des labours ait détruit les traces pouvant matérialiser cet habitat. On retiendra deux hypothèses possibles : soit une aire d'extraction d'argile, soit un fossé. Mais la densité des vestiges atteste à proximité l'existence d'un habitat. La fouille de la Roumanine a livré quatre structures, mais seulement deux (fosses 1 et 2) ont livré du matériel assez abondant pour être étudié. Les fosses 1 et 2, quoiqu'incomplètement explorées, ont livré 1054 fragments de céramiques modelées et un fragment de céramique tournée, soit 49 vases. Ce lot, assez abondant, daté par C14, est d'un grand intérêt puisqu'il illustre pour la première fois, en contexte d'habitat, l'extrême fin du Bronze final IIIb, voire le tout début de la transition Bronze-Fer. D'une façon générale, le mobilier est en mauvais état de conservation : la surface des céramiques est plus ou moins altérée et le matériel est très fragmenté, d'où la difficulté de déterminer la forme des vases. Les récipients ouverts représentent les trois quarts du lot étudié. Parmi ceux -ci, les coupes et coupelles hémisphériques ou sub-hémisphériques (soit 41 % des vases au total) sont les plus nombreuses. Les lèvres sont souvent arrondies et plus rarement aplanies. Seul un vase a pu être reconstitué. Il présente un profil hémisphérique certain (se rapprochant de la forme W de Nickels 1989) et est muni d'une petite anse à section quadrangulaire (fig. 9, n° 8). Les coupes tronconiques (formes Xa et Ya de Nickels 1989) représentent 33 % du lot étudié. Seul un profil a pu être restitué : il s'agit d'une coupe à bord arrondi, à flanc droit et à fond plat à base élargie (fig. 9, n° 7). Les coupes à marli occupent une place importante dans la vaisselle protohistorique car cette forme s'adapte facilement à de multiples utilisations. Celles qui portent des décorations (doubles traits incisés), ou des traces de lissage au caillou sont certainement réservées au service des aliments. Les autres, parfois munies d'une vasque profonde, sont plutôt liées à la préparation et à la présentation des condiments. Enfin, il faut signaler la présence de petits fragments de carènes qui pourraient appartenir à des coupes carénées du type R, Q ou L (Taffanel, Janin 1998). Les urnes et les gobelets sont très peu attestés à la Roumanine (moins de 10 % des individus). Seul un gobelet a pu être identifié. C'est un petit vase dont le col resserré se termine par une lèvre à méplat unique. Le départ de la panse laisse supposer un profil globuleux. Les parois internes et externes sont lisses et la paroi peu épaisse. Les urnes sont mieux représentées, mais trop fragmentées pour réaliser une étude détaillée. Les bords hauts, droits ou légèrement inclinés à lèvre arrondie ou biseautée se rapportent très certainement à des urnes (fig. 9, n° 10). Ces derniers sont peu nombreux, soit 8,16 % des récipients. Un col (mi-haut) divergent (fig. 9, n° 4) et quatre fragments de panses, dont un est décoré de méplat et d'une ligne de petites impressions, sont caractéristiques de la forme G (Taffanel, Janin 1998). Il faut ajouter à cet inventaire, 68 fragments de panses qui pourraient se rapporter à une ou deux grosses jarres. Les 39 fonds sont soit plats, soit munis d'un petit bandeau rapprochant ce type des fonds annulaires (fig. 11). On compte aussi 21 fragments de panses et de bords décorés, répartis en deux groupes (fig. 10). Dans le premier, on inclut toutes les décorations plastiques : impressions, cannelures… Ces dernières ornent la partie supérieure des urnes (formes K ou G, Taffanel, Janin 1998) et dans ce cas, elles peuvent être associées à un registre de petits pastillages alignés, certainement obtenus au doigt. Le second groupe comprend le décor au double trait incisé, typique du faciès Mailhac 1, qui n'est représenté que par huit fragments de panses et cinq bords, soit 33 % des décors. Les thèmes décoratifs sont surtout constitués de lignes parallèles groupées, de triangles hachurés, de chevrons et de méandres symétriques. Lors de la fouille de la fosse 1, nous avons également découvert un fragment de bord de céramique tournée. Il s'agit d'un bord de coupe malheureusement trop petit pour que l'on puisse envisager une étude concernant son origine. La pâte est fine, de coloration beige rosée. L'épiderme, bien qu'en partie érodé, est recouvert d'un engobe rougeâtre. Il apparaît clairement que la fabrication de ce vase fait appel à une technologie très différente. La découverte d'un tesson tourné dans un tel contexte est étonnante. En effet, la provenance de cette céramique soulève de nombreux problèmes et notamment celle de sa diffusion. Sans parler de réelles importations, avec ce que cela sous entend, on peut penser que ce type d'objet a pu arriver dans notre région par des échanges entre communautés de proche en proche. En Languedoc, il est rare de mettre au jour du mobilier exogène et souvent un doute subsiste quant aux conditions de découverte. À la Roumanine, Il est important de préciser que lors de la fouille aucun remaniement n'a été observé. La présence de ce tesson demeure inexpliquée dans le cadre d'une chronologie aussi ancienne, surtout parce que c'est un cas unique dans le midi de la Gaule. La fouille a aussi livré de menus objets en bronze (une alêne, un fragment d'épingle et deux fragments de tiges) (fig. 12) ainsi que des déchets de fusion (scories) attestant la présence modeste d'une activité liée au travail du métal. Ces objets n'apportent aucune indication d'ordre chronologique. On notera également la présence d'un fragment de meule à va-et-vient, deux percuteurs en quartz, une fusaïole et un tesson retaillé percé en son centre. La phase terminale de l' âge du Bronze est une période bien connue dans le sud de la France notamment grâce à l'exploration des grandes nécropoles à incinération du Languedoc occidental (Louis 1958; Guilaine 1972). Si l'on constate ces dernières années un regain d'intérêt concernant les questions typologiques et chronologiques (Janin 1992), on regrettera que toutes ces études ne tiennent compte que du mobilier funéraire. Les nécropoles ont l'avantage de d'offrir des séries de vases entiers mais qui sont difficilement utilisables lorsqu'on étudie du mobilier fragmenté. De plus, un doute subsiste toujours quant à la représentativité du mobilier funéraire car, les vases déposés dans les fosses sépulcrales résultent forcément d'un choix lié aux pratiques funéraires. À titre d'exemple, à la nécropole du Moulin, les vases ouverts (coupe et coupelle) représentent entre 16,5 % (selon Janin 1996, 17) et 31 % des effectifs (selon Taffanel, Janin 1998) contre 75 % à la Roumanine et 43 % à Médor (Ornaisons, Aude). Les éléments présents à la Roumanine sont dans leur grande majorité typiques du Bronze final IIIb. Parmi les plus remarquables, les décors exécutés au double traits incisés sont les plus caractéristiques du Bronze final III (Guilaine 1972) et surtout de sa phase terminale (Janin 1992; Gasco 1996). Les urnes à col mi-haut divergeant sont très bien attestées sur de nombreux sites du Bronze final IIIa et IIIb et disparaissent durant la phase de transition Bronze-Fer (Janin 1992). Les coupes tronconiques à bord biseauté, arrondi, en forme d'amande et quelquefois facetté, sont bien représentées à la Roumanine et ont été, d'une façon générale, beaucoup utilisées à la fin de l' âge du Bronze final. En contrepartie, des éléments typiques du Bronze final IIIb sont apparemment absents ou sous-représentés. C'est le cas, notamment, des cordons digités qui sont pourtant bien présents sur des sites comme Le Cayla I (Mailhac, Aude) où Carsac (Carcassonne, Aude; Guilaine 1986; Carozza 1995), mais totalement absents à la Roumanine. La coupe bi-tronconique, pourtant considérée par J. Guilaine comme « un bon traceur du Bronze final III » (Guilaine 1989, 212), n'est représentée ici que par un seul individu. Il est intéressant de noter aussi la présence d'une coupelle hémisphérique, vase qui apparaît durant la phase de transition Bronze-Fer et que l'on rencontre fréquemment durant le premier âge du Fer. Cette coupelle n'a pas exactement le même profil que celles des nécropoles du Grand Bassin I et surtout munie d'une petite anse. L'absence de certains éléments typiques du Bronze final IIIb pourrait s'expliquer par la faiblesse de l'échantillonnage si la datation C14 ne nous confirmait que ce lot n'est pas exactement contemporain des autres ensembles languedociens du Bronze final IIIb datés en chronologie absolue dans le courant du IX e s. av. J.-C. Ce faciès original caractérisé par l'absence de certains éléments typiques du Bronze final IIIb et par une datation en chronologie absolue légèrement plus récente que celle des sites voisins pourrait donc témoigner de l'ultime stade du Bronze final IIIb, voire même du début de la transition Bronze-Fer. Or, la fin de l' âge du Bronze final IIIb est placée par Th. Janin vers 775 av. J.-C. (Janin 1992), soit un quart de siècle après notre datation. Selon cet auteur, la phase de transition Bronze-Fer se définit à la fois par l'absence de mobilier en fer et de décors au double trait. La présence de ce décor à la Roumanine, dans les mêmes proportions que sur les autres gisements, mérite d' être soulignée et montre, dans ce cas, que la périodisation de la transition Bronze-Fer peut commencer dès le début du VIII e s. av. J.-C. Le prélèvement réalisé dans l'us 1001 n'a pas permis d'avoir un échantillon fiable, puisque seulement 3 taxons sont représentés. Il s'agit du Chêne vert et de la Bruyère qui atteste l'exploitation dense du terroir à proximité du site (Chabal 1998, 189). Cet échantillon n'a livré que 4 graines (une d'orge, deux de blé amidonnier et une légumineuse) et n'est pas représentatif de ce qui a été consommé (Bouchette 1998, 195). Malgré une vision partielle et fragmentaire du site, la fouille de sauvetage de la Roumanine nous a permis de recueillir, pour la première fois dans la moyenne vallée de l'Orb, des données sur un habitat de l'extrême fin de l' âge du Bronze. Il est difficile d'interpréter ces creusements (fosses d'extraction d'argile, fossé ?) mais il atteste la présence d'un lieu de vie à proximité. Le mobilier et la datation au C14 révèlent pour la première fois en contexte d'habitat la transition Bronze-Fer. Les données concernant les modes de vie domestiques (travail de l'argile, petit atelier de fondeur ?, emprise de l'homme sur le milieu naturel) sont restées malheureusement trop ponctuelles. Ce site inédit a été découvert en 1997 lors de prospections aléatoires sur la commune de Cazouls-lès-Béziers. Situé à un kilomètre de la Roumanine, le gisement est implanté sur les bas de pente du Puech Auriol au contact avec les terres de bonne qualité du fond du vallon (fig. 13). Le site se matérialise par un sédiment plus sombre que le terrain naturel environnant et par une concentration de céramiques sur à peu près 600 m 2. Hormis un épandage d'époque romaine, la plupart des vestiges sont typiques du Bronze final III (fonds plats, bords à marli en amande, décors au double traits incisés) (fig. 14). Les fragments de meules à va-et-vient et de torchis récoltés sur le site confirment la présence d'un habitat. Le sommet du Puech Auriol a surtout livré des vestiges se rapportant à la phase la plus ancienne de l' âge du Bronze (décor barbelé). Le Puech Auriol est un plateau calcaire de forme allongée dominant d'une trentaine de mètres les terres situées en contrebas et offre, de plus, un point de vue panoramique jusqu' à Béziers. L'occupation de la fin de l' âge du Bronze est difficile à caractériser, d'une part à cause de la densité de la végétation et d'autre part la présence de vestiges du Bronze ancien masque les ceux de la Protohistoire. Il est difficile dans ce cas d'interpréter les rares indices comme émanant d'une occupation stable et durable; il est probable que le sommet de la colline ait été simplement fréquenté de façon irrégulière au cours du Bronze final III. Peut-être a -t-on profité de ce site comme poste d'observation ? La nécropole de Roquecourbe se situe sur la commune de Puisserguier. Elle est implantée sur la rive droite de la Bouscade à mi-pente sur une petite colline qui domine le fond du vallon et se trouve relativement proche des sites présentés ci-dessus (fig. 4). Découverte en 1972, après des travaux agricoles, la nécropole de Roquecourbe fut explorée par Joseph Giry (Giry 1978) au cours de plusieurs campagnes de sauvetage et ce, jusqu'en 1974. L'exploration du site s'est limitée essentiellement à des collectes de surface de fragments de céramiques issus de la destruction des tombes. Cette prospection a été complétée par une série de petits sondages qui ont abouti à la découverte de deux tombes intactes du Bronze final IIIb. Les différents points de découverte ont été relevés de telle sorte qu'aujourd'hui, contrairement à d'autres nécropoles fouillées anciennement, nous disposons d'un plan de répartition suffisamment précis pour donner une image fidèle de cet ensemble funéraire. La superficie de la nécropole a été estimée à 10 800 m 2 mais Joseph Giry signale qu'elle peut s'étendre encore en direction du sud. À partir de l'inventaire de Joseph Giry, il est possible de clarifier le contexte chronologique. En effet, le matériel de la nécropole de Roquecourbe n'est pas homogène : une partie des vestiges décrits se rapporte au Bronze final IIIb, tandis que d'autres tombes ou points de découverte, peuvent être associés facilement au faciès Grand Bassin I. Ce sont les vases décorés au double trait, éléments typiques de la fin de l' âge du Bronze, qui attestent la présence d'une phase ancienne (faciès de Mailhac I) (fig. 15). Sept exemplaires sont signalés : Point 2 : vase orné de méandres Point 8 : tesson décoré au double trait et rehaussé de pâte blanche Point 13 : décor zoomorphe sur une coupe à marli Point 14 : vase caréné décoré d'une frise de triangles hachurés Point 20 : fragment de panse décoré au double trait Point 175 : coupe décorée de motifs géométriques organisés en grecque Point 176 : coupe à marli dont la lèvre est décorée d'une ligne disposée en chevron. Le corps du récipient est orné d'un décor zoomorphe (chevaux stylisés) Le mobilier métallique confirme aussi l'existence d'une nécropole du Bronze final IIIb : Point 1 : épingle à tête sphérique en bronze Point 74 : épingle à tête annulaire en bronze qui marque plutôt les faciès de transition Bronze/Fer L'examen du mobilier métallique et céramique permet d'identifier au moins 9 tombes (ou points de découverte) appartenant sans doute au Bronze final IIIb (points 2, 8, Tombe 1 – points 13 et 175 – point 14, points 20, 74, 83, 115 et 176). Mais il est fort probable qu'un inventaire plus détaillé permettrait de mettre en évidence avec plus de clarté la phase de transition Bronze/Fer juste suggérée par la présence d'une épingle à tête annulaire. À l'aide de cet inventaire et du plan fourni par Joseph Giry, il est possible d'établir une évolution topo-chronologique de cette nécropole (fig. 16). La phase ancienne (Bronze final IIIb) se subdivise en deux secteurs et se concentre surtout au sud de la parcelle. Le premier âge du Fer se développe plutôt en direction du nord-est et c'est ici que les points de découverte sont les plus denses. Enfin, il est important de souligner que l'épingle à tête annulaire a été découverte entre ces deux grands secteurs et c'est donc dans cette zone, au centre de la parcelle, que se trouve sans doute la phase de transition Bronze/Fer. Ces résultats s'intègrent tout à fait à ce qui a été mis en évidence sur d'autres cimetières languedociens (Janin 1992). La grotte du Montpeyroux s'ouvre au sud et se caractérise par une salle de grande dimension (200 m 2) (fig. 17 et 18). La grotte a été explorée dès la fin du XIX e s., mais c'est en 1947 que Lucien Montagner a réalisé trois sondages qui apportent quelques éléments de chronologie (Montagner 1996). La première phase d'occupation remonte au Chalcolithique comme l'atteste un mobilier lithique de grande qualité. Une partie des céramiques, dont des tessons décorés de lignes de petits pastillages, semble pouvoir être liée au Bronze ancien-moyen. La grotte a aussi livré des vestiges typiques du Bronze final IIIb : quatre fragments de céramiques décorés au double traits, dont deux représentent des motifs anthropomorphes et zoomorphes (fig. 19). À cette phase correspond aussi un foyer. La grotte a certainement été occupée durant la fin de l' âge du Bronze, peut-être comme abri de berger. La nécropole de Pradines est connue depuis 1948 sous le nom de « Nécropole de Causses-et-Veyran » (Montagner 1949). Jusqu'ici les informations sont restées limitées puisque les seuls vestiges reconnus sont issus de ramassages de surface (fig. 21). Malgré la pauvreté de ces renseignements, André Nickels a pu distinguer au moins deux phases : une du Bronze final – à laquelle appartient notamment un lot de quatre épingles – et une du premier âge du Fer caractérisée par des couteaux et un rasoir en fer (Nickels 1989, 426). D'importants travaux agricoles n'ont pas complètement détruit le site qui s'est avéré être en excellent état de conservation, surtout pour la phase du premier âge du Fer. Depuis 1998, nous avons entamé l'exploration totale de la nécropole (Mazière 1999). Installée en bordure d'un petit ruisseau, la nécropole occupe le fond d'une petite cuvette limitée par des coteaux relativement escarpés (au sud, à l'est et à l'ouest) et par le massif calcaire du Montpeyroux au nord. Ce terroir d'environ 40 hectares s'inscrit dans un paysage typique des premiers contreforts de la Montagne Noire, tout en conservant de nombreuses possibilités agricoles, dans les zones basses et cynégétiques sur les côteaux avoisinants (fig. 20). Les terrains dans lesquels sont creusées les tombes corres­pondent à des formations géologiques d' âge Bartonien. Elles sont représentées par des faciès d'argile rouge et de marnes gypseuses avec parfois des conglomérats à éléments du socle. C'est au cœur de la nécropole du premier âge du Fer que l'on trouve les tombes du Bronze final IIIb. Jusqu' à ce jour, on en compte trois, dont deux partiellement détruites par les labours. Ainsi, tout porte à croire que, dans l'Antiquité, le sol naturel argileux remontait légèrement, de sorte que les tombes creusées sur ce « petit relief » ont été davantage exposées à l'action de la charrue. C'est d'ailleurs ici que l'on rencontre les tombes du premier âge du Fer qui ont été arasées par les travaux agricoles. Malheureusement, les données concernant cette première phase d'utilisation sont trop ténues et de nombreuses zones d'ombre demeurent : nous ne connaissons ni les modes de construction des tombes (fig. 22 et 23), ni l'étendue de cette première nécropole. De plus, aucune tombe ne se rapporte à la phase de transition Bronze-Fer contrairement à ce qui a été observé pour d'autres nécropoles languedociennes (Janin 1992). Pour l'instant, à Pradines, la phase de transition entre l' âge du Bronze et l' âge du Fer est absente. Le site des Thérouns 1 est inédit et a été découvert lors de prospections systématiques sur la commune de Murviel-lès-Béziers en 1997. Implanté sur les premières terrasses qui bordent la rive gauche de l'Orb, le site est limité au sud par un fort dénivelé (fig. 3). Sa superficie a été estimée au maximum à 12 000 m 2 et grâce à une prospection en ligne au réel nous avons pu individualiser deux zones ou les vestiges étaient plus denses (fig. 24). Le site a été réoccupé à la fin du premier âge du Fer (présence d'amphores étrusques et de Marseille). Il se peut donc qu'une partie de la céramique modelée récoltée en surface appartienne à cette phase. Néanmoins les rares vestiges de l' âge du Fer se localisaient bien entre les deux concentrations de céramiques non tournées où les traceurs chronologiques du Bronze final III sont nombreux : fond plat, coupe à marli et surtout décors au double traits (fig. 25). Des fragments de meules, du torchis et des fusaïoles indiquent très clairement la présence d'un habitat. Les deux concentrations relevées en prospections correspondent peut-être à deux unités domestiques. Parmi toutes les découvertes métalliques attribuables au Bronze final III dans le Midi de la France (fig. 26), le dépôt de Cazouls-lès-Béziers revêt un caractère exceptionnel de par le nombre élevé d'objets qu'il contient. Le dépôt de Rieu-Sec est d'ailleurs le plus riche de tous les dépôts de Bronzes en Languedoc occidental (Guilaine 1976). Les autres découvertes de ce type ne contiennent que quelques individus et sont très rares. À titre de comparaison, le dépôt d'Ornaisons (Aude) est seulement constitué de 12 haches (Guilaine 1989). Lors d'une enquête orale, j'ai recueilli le témoignage de l'actuel propriétaire de la parcelle qui a réalisé un « sondage » à l'emplacement exact du dépôt. Il a ainsi pu mettre en évidence la présence d'un grand récipient à fond plat en céramique modelée contenant encore quelques menus fragments d'objets en bronze. La description faite par cet informateur et les photos prises au moment de cette « recherche » laissent supposer que les objets (ou une partie des objets) ont été rassemblés dans ce vase, puis enfouis dans une fosse. L'inventaire du mobilier a été publié dans la thèse de J. Guilaine en 1972. Le dépôt contient au moins 127 objets ainsi que plusieurs fragments. Une partie des lingots a été vendue 18 au moment de la découverte. On dénombre 20 haches auxquelles il faut ajouter quelques fragments de tranchants de lames. Elles se répartissent de la façon suivante : deux haches à ailerons terminaux (type 641, Briard 1976), six haches à ailerons terminaux et anneau latéral. Ce dernier type de haches est courant dans tous les dépôts du Bronze final III (dépôt de Llavorsi, Catalogne), dépôt d'Ornaisons (Aude) et dépôt de la Sainte-Croix (Tarn). On compte encore sept haches à douille ronde avec méplat sur les deux faces (type 741, Briard 1976), une hache à douille ronde avec méplat et anneau latéral, une hache à douille ronde et anneau latéral avec la partie inférieure en coin, un fragment de douille de hache, un talon de hache à aileron médian, une petite hache plate à tranchant évasé et quelques fragments de tranchants de haches. À noter que toutes les haches à douille sont munies d'un bourrelet. Avec 30 spécimens, les armes représentent un peu moins du quart du matériel de ce dépôt : quinze pointes de lances à douille ronde et ailerons allongés dont trois fragments, huit couteaux à douille ronde et dos ondulé, six fragments d'épées, dont la lame est parfois gravée et dont la poignée est à soie plate et légers rebords (dont une de type hemigkofen, selon Gasco 1988, fig. 6) et enfin, une pointe de dague. On dénombre 10 outils : un marteau à douille, huit couteaux à douille ronde et dos ondulé et une faucille à bouton (type Man 737, Nicolardot 1975). Ces dernières sont rares en Languedoc : on ne connaît pour l'instant que celle du Laouret (Gasco 1996). Ces faucilles couvrent une large chronologie du Bronze final II (dépôt de Cabanelle : Dedet 1982) au premier âge du Fer (dépôt de Launac). • Les bracelets Les bracelets, au demeurant très nombreux (presque une cinquantaine au total) se répartissent de la façon suivante : six bracelets massifs (et fragments) ouverts ou creux (section arciforme) munis de larges tampons ou oreilles, ornés de côtes longitudinales ou transversales, portant de fines incisions de rectangles, de quadrillages, de triangles rayés, de chevrons rayés. ... (type 224, Eluère 1990), une quarantaine de bracelets entiers ou fragmentés, de section ronde, biconvexes, plano-convexe, ronde, terminés par des oreilles ou tampons, décorés d'incisions (type 221, Eluère 1990) et enfin deux bracelets en tôle. Hormis les bracelets à section arciforme et large tampon (influence continentale), ces objets sont typiques du Bronze final III sans que l'on puisse vraiment préciser leur datation. Ils se distinguent nettement des bracelets du Bronze final II (dépôt de la Gravette, Peyriac-de-mer) dont les tampons sont peu développés. • Les épingles Elles sont plutôt rares : quatre têtes d'épingle plates ou coniques. • Les anneaux et pendeloque J. Guilaine a inventorié deux anneaux (ou boucles d'oreilles ?) et une pendeloque-rouelle à anneau. • Les perles et les boutons On compte deux perles tubulaires, une perle ronde et un bouton conique à bélière. • Les rasoirs Le dépôt ne contient qu'un fragment de rasoir discoïde à perforation centrale. Cet objet se retrouve fréquemment dans les nécropoles à incinération du Bronze final IIIb. Le dépôt est aussi composé d'objets et de fragments d'objets indéterminés, notamment divers types de tiges (bouterolles ?), dix énigmatiques « sphéroïdes » entiers ou fragmentés décorés d'incisions et enfin divers fragments de plaques, d'objets quadrangulaires dont des lingots. Le dépôt du Rieu-Sec a été daté par J. Guilaine du Bronze final IIIa (Guilaine 1972, 295). Il a proposé une périodisation en quatre phases des dépôts de bronzes du midi de la France, celui de Cazouls-lès-Béziers correspondant à la troisième (Guilaine 1976), c'est-à-dire à celle du Bronze final III, au sens large du terme. Implanté sur la pente abrupte d'un petit plateau calcaire, l'abri surmonte un étroit vallon où s'écoule le ruisseau des Roucans. Exposé au nord, il domine de 50 m la plaine bitterroise. L'abri occupe une superficie inférieure à 100 m 2. Il a été en partie fouillé dans les années 1970 (Gatorze 1977, 32). Un inventaire rapide mais exhaustif de cette collection a permis de retracer les grandes phases chronologiques du site. L'essentiel du mobilier atteste une occupation centrée sur le Néolithique final-Chalcolithique, mais la présence de quelques tessons décorés au double trait assure la présence d'une phase du Bronze final III. L'abri est définitivement abandonné après le second âge du Fer. Ce site inédit a été découvert en 1997 lors de prospections aléatoires sur les terroirs bordant le Rhonel. Le site du Roc occupe le sommet d'un vaste plateau calcaire limité au nord-est et à l'ouest par des falaises de plusieurs mètres de haut (fig. 27 et 28). L'accès au site est facile mais uniquement par le sud-ouest. À noter que tout autour du plateau il existe de nombreux points d'eau. Le Roc offre un point de vue panoramique non seulement sur les terroirs environnants mais aussi jusqu' à la basse vallée de l'Orb. La superficie du plateau est d'environ 3 hectares et le site occupe la quasi-totalité de cet espace. Il a livré de nombreux fragments de céramiques non tournées et quelques-uns de meules à va-et-vient. Sur le sommet, nous avons relevé cinq concentrations, éloignées les unes des autres de plus de 300 m. La végétation très dense par endroit ne permet pas de réaliser une prospection fine mais il semble que les vestiges soient présents sur tout le sommet. Il faut également souligner la présence de nombreux indices protohistoriques sur les terrasses naturelles bordant le côté nord du site. On peut estimer la superficie du site à environ 2,5 hectares tout en sachant que l'on a très certainement affaire à un site à habitat lâche. Le site du Roc 1 ne semble donc avoir connu qu'une occupation centrée sur le Bronze final III (fond plat, décor au double trait, vase à profil ouvert) (fig. 29). À l'est du plateau, il a été découvert une petite installation d'époque républicaine (amphore italique, campanienne A, meule en basalte). L'habitat du Roc 1 est un site remarquable à l'échelle de toute la vallée de l'Orb de par sa position (au confluent du Rhonel et de l'Orb, avant le passage de Réals), sa topographie et sa superficie (entre 2 et 2,5 hectares). Le site de hauteur de Fourquos Esquinos est implanté sur une barre rocheuse calcaire allongée et orientée dont l'accès est rendu difficile par des falaises et des abrupts (fig. 30). Il domine de 140 m la plaine alluviale de l'Orb. L'escarpement lui procure des défenses naturelles imposantes et le site peut être comparé à un véritable « nid d'aigle ». Les collectes réalisées au sommet et sur les pentes ont permis de cerner la superficie (700 m 2) et la chronologie de l'occupation (du Bronze final IIIb jusqu' à l'époque républicaine). La première occupation du site remonte au Bronze final III. Cette séquence est caractérisée par 21 fragments de céramiques typiques (décors au double traits, urne à bord déversé, coupe à marli, gobelet) (fig. 31). La réoccupation du sommet au second âge du Fer et au début de l'époque romaine a en partie masqué cette phase ancienne. L'analyse spatiale d'une région donnée apporte beaucoup de renseignements sur le mode de fonctionnement des sociétés, mais il faut d'emblée préciser qu'ils sont très difficiles à mettre en évidence. Il nous semble opportun, dans le cadre de cette étude de distinguer deux niveaux d'analyse. En effet, l'implantation d'un site peut dépendre de deux types de facteurs. D'abord, des facteurs internes comme les contraintes et les ressources du milieu naturel, puis des facteurs que l'on pourrait qualifier d'externes, c'est-à-dire les relations entretenues avec les plus proches voisins (contacts, liens de sociabilité). Cette distinction nous conduit à analyser l'espace à deux échelles différentes mais complémentaires. On va donc appréhender le problème de l'occupation des sols dans la moyenne vallée de l'Orb à travers l'étude d'un terroir, celui du vallon de la Bouscade, puis au niveau de toute la moyenne vallée. Le choix d'étudier ce vallon s'est imposé car, d'une part, c'est ici que la documentation est la plus fournie (voir le catalogue dans le chapitre précédent) et d'autre part, ce vallon se limite bien topographiquement. Ce vallon fournit un cas d'étude intéressant car d'une part, les différents modes d'occupation (habitat, nécropole, abri) sont bien représentatifs et, d'autre part, les recherches poussées que nous avons menées dans ce secteur garantissent une certaine exhaustivité des données archéologiques. Ce terroir s'organise le long du ruisseau de la Bouscade, un affluent de l'Orb qui s'écoule à 5 km. • Dans le vallon et ses proches alentours on recense deux habitats (Roumanine et Bouscade 1), une nécropole (Roquecourbe), un abri sous roche (Figuerole) auquel il faut ajouter la fréquentation du sommet du Puech Auriol (fig. 4). Les deux habitats (la Roumanine et Bouscade 1) sont éloignés d' à peine 1 km. Le mobilier céramique ne permet pas d'apprécier si ces deux occupations sont effectivement contemporaines ou si elles se succèdent. On peut supposer que le site de la Roumanine daté par C14 du début de la transition Bronze-Fer est un peu plus récent que Bouscade 1. Il est donc possible d'envisager au cours du IX e s. av. J.-C. un léger glissement de l'habitat, mais ce dernier reste toujours localisé au fond du vallon. L'appauvrissement des terres est peut-être à l'origine de ce phénomène. L'habitat se déplacerait en direction des terres encore vierges (ou laissées en repos), lentement défrichées par le feu (Guilaine 1991, 49; Garcia 2000, 26). Lorsque la distance entre le lieu de vie et les champs devient trop importante, il est alors plus rentable de rapprocher l'habitat des nouvelles terres mises en culture. On peut estimer que le rythme de ce déplacement est de l'ordre d'une à deux générations. L'hypothèse de cette rotation de l'habitat a été également reconnue en Angleterre, en Allemagne, aux Pays Bas et dans l'est et le nord de la France (Fokkens 1991; Roymans 1991; Gouge, Mordant 1992; Blouet 1992). Cependant, en Languedoc occidental, deux habitats fouillés récemment (Le Traversant à Mailhac et Portal Vielh à Vendres) témoignent d'une occupation plus longue et plus constante. Il faut donc en conclure que ce phénomène ne peut être généralisé. • La nécropole de Roquebourbe, qui est la seule actuellement de cette zone géographique, est utilisée de façon continue pendant toute la fin de l' âge du Bronze, ce qui implique que les membres de cette communauté continuent à y enterrer les morts alors qu'ils déplacent légèrement leur habitat. La nécropole est donc un élément fixe au sein du terroir (Mazière 1998). En d'autres termes, les hommes peuvent éventuellement changer l'emplacement de leur habitat dans le cadre d'un espace limité, mais ils gardent apparemment la même nécropole. La sédentarisation est donc davantage symbolisée par l'attachement de cette communauté à son cimetière que par la fixité des structures d'habitation. De plus, il est difficile d'envisager que de tels déplacements – mineurs et dans le même cadre géographique – puissent être assimilés à une sédentarisation inachevée. Selon le même principe, la durée de fonctionnement de la nécropole (ici du Bronze final IIIb à la fin du VII e s. av. J.-C.) nous permet d'estimer que le terroir a été occupé de façon continue pendant 200 à 250 ans. D'autres chercheurs envisagent aussi la possibilité de la sédentarisation des populations de la fin de l' âge du Bronze (Carozza 1998; Garcia 2000). • La répartition des sites nous permet aussi d'aborder le délicat problème de la délimitation du terroir. On peut mettre en évidence trois espaces. Le premier (le fond du vallon), où sont localisés les habitats, est certainement la zone principale de vie (champs, habitat…). Situé directement à la périphérie de ce premier espace, sur les premiers coteaux calcaires et les collines, on rencontre la nécropole et le Puech Auriol. Cet exemple suggérerait que la nécropole occupe une place particulière quelque peu à l'écart des lieux de vie. L'emplacement d'une nécropole est toujours difficile à expliquer car sa localisation résulte de préoccupations religieuses et symboliques propres au monde des morts. Dans notre terroir, il semble que l'on ait implanté la nécropole volontairement en limite du premier espace alors qu'ailleurs, comme à Pradines, la nécropole occupe une position centrale, bien souvent dans les zones les plus basses et les plus humides (Mazière 1998). Enfin à trois kilomètres du vallon, on trouve l'abri de Figuerole. Il est probable que les collines calcaires qui se développent à l'est du terroir aient été « réservées » aux activités pastorales et cynégétiques. Reste le problème de la forme et de la superficie de ce terroir. Nous ne disposons que de peu d'éléments pour aborder ce problème mais il est fort probable que le centre du terroir vivrier soit dans le fond du vallon, le long du ruisseau. La variation de taille des finages peut dépendre de plusieurs facteurs : la densité de la couverture végétale, la topographie, ou encore la proximité d'un autre foyer de peuplement. La superficie de ce terroir est d'autant plus difficile à estimer que ce pôle de peuplement est relativement isolé. Une analyse inter-sites permettrait d'appréhender la question de la taille de ce finage mais, dans ce cas aussi, les méthodes d'analyse théorique ne peuvent être validées que si la carte de répartition des sites est exhaustive. En ce qui concerne notre région, les zones prospectées ne sont pas assez étendues et, par conséquent, ces méthodes ne peuvent être appliquées sans risque de graves erreurs. L'analyse inter-sites nous permet d'aborder le problème des relations entre les gisements à une échelle plus vaste, celle qui couvre notre micro-région. • Les habitats sont pour la plupart situés plutôt en plaine et en plein air, en bordure de ruisseaux et de rivières (les Thérouns 1, la Bouscade 1, la Roumanine). Plus rarement, on les trouve sur les hauteurs et ils sont alors plus étendus (Roc 1). L'habitat troglodyte est marginal. D'une façon générale, on considère qu'au Bronze final III, la fréquentation des grottes décline (Guilaine 1972; Py 1990; Garcia 1993) même si en Catalogne nord ce type d'occupation reste dominant (Pons 1996). La plupart des occupations troglodytiques sont liées à des fréquentations épisodiques (recherche de l'eau, lieu de culte, abri temporaire) et non comme un lieu de vie fixe (Garcia 1993, 110). La majorité des occupations troglodytiques semblent liées à des activités pastorales (refuge de bergers, aire de stabulation). Nos travaux semblent montrer la nette prépondérance de l'habitat de plaine, surtout si l'on compare avec le Languedoc oriental ou la moyenne vallée de l'Hérault où les habitats de hauteur sont nettement majoritaires. La situation connue pour le bassin audois (Guilaine 1995) ou le Roussillon est sensiblement la même que chez nous. Enfin, dans le nord et l'est de la France, les habitats sont essentiellement des hameaux et des fermes isolées (Petrequin 1969, 468; Mohen 1996, 202). Il est difficile de savoir à quoi ressemble l'habitat de plaine détecté en prospection : seuls quatre sites ont fait l'objet de véritables fouilles : le site du Ravaner (Argelès-sur-Mer, P.-O.; Vignaud 1992), Carsac (Carcassonne, Aude; Guilaine 1986), et plus récemment le Traversant (Mailhac, Aude) et Portal-Vielh (Vendres, Hérault). Les vestiges observés à la Roumanine sont malheureusement insuffisants pour une appréciation globale du site. Si les habitats de plaine correspondent sans doute à de petites exploitations agricoles (ferme, hameau), les sites perchés témoigneraient de l'émergence de petites agglomérations (Gasco 1996). La documentation concernant les sites de hauteur en Languedoc est bien souvent ancienne (Gasco 1996, 408) et les comparaisons sont difficiles. • On dénombre deux nécropoles à incinération dans notre zone d'étude. La gestion de l'espace dans ces cimetières et leur longue durée de fonctionnement prouvent qu'ils ont été entretenus et utilisés de manière assidue. Les nécropoles constituent, nous l'avons déjà vu, un élément majeur en faveur de la sédentarisation. Si l'association habitat-nécropole est connue depuis de nombreuses années en France septentrionale, elle est encore peu attestée en Languedoc occidental (Mailhac, les abords de l'étang de Saint-Preignan et celui de Vendres). • Les études sur le peuplement du Languedoc au cours du Bronze final III ont amené l'hypothèse que ces communautés s'organisaient selon un mode de vie « semi-sédentaire » (Py 1990; Dedet 1990; Garcia 1993). Selon cette optique, on suppose que les populations sont plus ou moins itinérantes et que seuls les habitats de hauteur seraient occupés de façon stable. On verrait ainsi se dessiner un circuit saisonnier basé sur la transhumance entre l'arrière-pays et la plaine, voire les étangs littoraux. Les découvertes récentes réalisées dans la moyenne vallée de l'Orb, mais aussi dans d'autres régions du Midi (Carroza 1998; Gasco 2000) tendent à nuancer cette approche. En effet, la diversité des modes d'occupation ainsi qu'une sédentarisation achevée semblent montrer un autre type d'organisation. Si l'on considère que les nécropoles, autant que l'habitat, attestent la présence stable et durable de l'implantation humaine, on peut dénombrer dans la moyenne vallée de l'Orb au moins quatre foyers de peuplement : le vallon de la Bouscade, la dépression de Pradines, les rîves de l'Orb au niveau de Cessenon et au niveau de Murviel-lès-Béziers. Ces pôles de peuplement se caractérisent d'abord par une occupation stable sur la longue durée puisque tous seront occupés jusqu' à la fin du VII e s. av. J.-C. et parfois même au-delà. Il faut rappeler que la vallée de l'Orb est riche en terres fertiles et en eau, ce qui a favorisé une implantation durable de l'homme. Chaque unité de peuplement se compose de sites de nature très différente : nécropole, habitat de plaine, habitat de hauteur… et toute la difficulté est de savoir si l'un de ces secteurs (ou l'un de ces sites) occupe une place particulière au sein de la moyenne vallée. En d'autres termes, peut-on établir un classement, une hiérarchisation de ces pôles de peuplement et quels pourraient en être les critères de distinction ? La superficie et la topographie permettent de mettre en évidence trois catégories d'habitats : les occupations ponctuelles liées à une fréquentation irrégulière (abris, grotte), les sites de plaine, dont les superficies varient entre 700 et 12 000 m 2, et les sites de hauteur moins nombreux mais nettement plus grands (environ 2,5 hectares pour le Roc 1). Il est difficile de connaître par les seules prospections la véritable nature de ces sites et donc de les comparer sur le seul critère de la topographie. Les fouilles menées au Laouret ont d'ailleurs montré l'existence d'un hameau implanté sur une hauteur (Gasco 1996). Tous les sites perchés n'ont donc pas forcément un rôle fédérateur. La superficie me semble être un meilleur moyen de comparaison. Par ce biais, le Roc 1 ressort tout particulièrement puisqu'il atteint une superficie de 2,5 hectares, un record à l'échelle de la moyenne vallée. Comme nous l'avons déjà dit, il s'agit certainement d'un habitat lâche et on ne doit pas considérer que tout le plateau est occupé densément. La distribution des sites dans notre micro-région fait apparaître aussi le rôle central de l'Orb dans l'organisation spatiale de la vallée (fig. 3). La présence du dépôt de bronzes du Rieu-Sec, le plus important du Midi méditerranéen, enfoui sur la rive droite de l'Orb, révèle d'abord le dynamisme économique de cette région mais surtout le rôle du fleuve comme axe important de communication. On remarque d'ailleurs que les habitats implantés en bordure du fleuve sont les plus grands en termes de superficie (Fourquos Esquinos, le Roc 1, Les Thérouns 1). En fait, cette distribution montre que l'implantation des grands sites ne dépend pas forcément du relief mais plutôt de la proximité de l'axe fluvial. Selon cette hypothèse, l'organisation spatiale de la moyenne vallée de l'Orb correspond à un nœud de réseaux basé sur une forme d'intégration économique et sociale encore difficile à définir (échanges, liens sociaux). Cette hypothèse ne conduit pas forcément à l'application de la « théorie des places centrales » car, objectivement rien ne permet d'identifier parmi les trois habitats situés sur les berges de l'Orb celui qui jouerait un rôle central de redistribution. Enfin, se pose le problème de « l'isolement » des foyers de peuplement situés plus loin de l'Orb, comme celui de Pradines ou dans une autre mesure celui du bassin versant de la Bouscade. Ces pôles de peuplement ne sont pas vraiment tenus à l'écart du fleuve grâce à un réseau secondaire de ruisseaux qui aboutissent à l'Orb. La question de la hiérarchisation des sites est légitime car l'étude récente de la nécropole du Moulin révèle l'existence de deux groupes qualifiés par les auteurs de « riches » et de « pauvres » finalement très proches (Taffanel, Janin 1998). Bien que ces hypothèses doivent être maniées avec prudence – d'autant plus que rien ne dit que d'autres nécropoles ne vont pas livrer une organisation différente –, il semble bien que les communautés de la fin de l' âge du Bronze s'organisent de façon relativement homogène et peu stratifiée. Nos résultats corroborent l'image donnée par le monde funéraire, puisqu'aucun site ne semble jouer un rôle dominant. On pourrait aussi classer les foyers de peuplement en deux catégories. Le premier est implanté en bordure du fleuve et se caractérise par des habitats de grande taille qui peuvent être soit de hauteur soit de plaine. Le second groupe occupe des terroirs situés plus à l'intérieur des terres et il semblerait qu'ici les habitats soient plus modestes. Cette distinction en deux catégories ne révèle pas une véritable structuration de l'espace, mais plutôt une certaine forme d'adaptation au milieu en fonction des enjeux économiques, au demeurant encore modestes. La moyenne vallée de l'Orb est une région favorable à l'implantation humaine : elle constitue un domaine particulier au centre du Languedoc, un passage obligé entre une riche et fertile plaine et un arrière pays ouvert sur le Massif central et l'Aquitaine. L'Orb, on l'a vu, semble d'ailleurs jouer un rôle très important dans l'organisation spatiale de cette moyenne vallée. La fin de l' âge du Bronze constitue une période charnière où se mettent en place la plupart des foyers de peuplement protohistoriques. L'apparition soudaine de nouveaux habitats associés à des nécropoles semble correspondre à une nouvelle création d'habitats qui traduit une augmentation certaine de la population. Les nombreux sites de cette époque ne doivent pas masquer la faiblesse démographique qui caractérise aussi ce peuplement. Les travaux réalisés dans d'autres parties du Languedoc, du Roussillon et de l'Ampourdan confirment cet élan que l'on pourrait qualifier de général. Nos travaux dans la moyenne vallée de l'Orb permettent une approche encore plus nuancée. Plus que la diversité des modes d'occupation, ils montrent comment les hommes de la fin de l' âge du Bronze investissent leur terroir. Même si nos données ne tiennent compte que de prospections et de sondages, elles mettent clairement en évidence la sédentarisation de ces communautés. Le mode de fonctionnement est en apparence très simple : ces communautés investissent un nouveau terroir en fondant un habitat et la nécropole correspondante. Cette dernière de par sa longue chronologie d'occupation témoigne d'un attachement fort au terroir et représente de façon symbolique la sédentarisation de la communauté. L'habitat se déplace mais toujours au sein du terroir en fonction des contraintes agricoles (rendement de la terre, type de mise en culture). Le rythme de ces rotations reste encore à définir faute de fouilles de grande envergure. On peut cependant estimer que ces déplacements ont lieu environ toutes les deux générations. La sédentarisation à la fin de l' âge du Bronze est acquise et ce, depuis la préhistoire récente. Il est possible d'élargir ce schéma d'occupation, proposé pour la moyenne vallée de l'Orb, au reste du Languedoc occidental et au Roussillon puisque la nature et la répartition des sites sont identiques. En Languedoc oriental, M. Py a proposé un modèle différent, qui repose sur l'itinérance des hommes. Doit-on pour autant conclure à la cohabitation de deux dynamiques d'occupation ? Pour l'instant, il est vrai, de nombreuses différences subsistent entre ces deux régions et notamment, en ce qui concerne les pratiques funéraires. Mais les spécificités du Languedoc oriental dans le traitement des morts n'empêchent pas ces communautés d' être sédentaires. Si à la fin de l' âge du Bronze, les populations du Midi de la Gaule sont sédentaires et c'est là leur grand point commun, il existe de nombreuses différences comme par exemple, les pratiques funéraires. En Languedoc occidental, les cartes de répartition montrent des zones où l'occupation est plus intense comme les contreforts de la Montagne Noire (du Minervois à la moyenne vallée de la Thongue) alors que le littoral et la vallée de l'Hérault se caractérisent par un peuplement moins dense. Ces différences micro-régionales sont importantes car elles prouvent que dès la fin de l' âge du Bronze les concentrations de populations formant le substrat culturel du Languedoc ne sont pas homogènes. Je tiens à remercier MM. J. Kotarba (Ingénieur d'étude à l'AFAN et coordinateur des opérations sur l'artère sud du gazoduc), A. Chartrain (Conservateur du patrimoine, SRA du Languedoc-Roussillon) et L. Detrain (Ingénieur d'étude à l'AFAN) pour m'avoir autorisé à étudier le site de la Roumanine. Je tiens également à exprimer toute ma gratitude à M. C. Olive (Ingénieur, SRA du Languedoc-Roussillon) pour m'avoir donné les moyens d'effectuer cette recherche dans les meilleures conditions possibles. Enfin, je remercie M. le Professeur J.-P. Morel qui a dirigé et soutenu ces recherches ainsi que Mme D. Ugolini (Chercheur au CNRS, CCJ, UMR 6573, Aix-en-Provence) pour m'avoir guidé dans mes travaux .
La découverte de sites, explorés soit par le biais de prospections, soit lors de fouilles, situés dans la moyenne vallée de l'Orb permet de proposer une nouvelle analyse des modes et des rythmes d'occupation de la fin de l'âge du Bronze en Languedoc occidental. La présence de nécropoles à incinération occupées sur la longue durée atteste la sédentarisation des communautés du Bronze final IIIb Si la nécropole est un élément fixe, l'habitat, le plus souvent situé en plaine, peut se déplacer légèrement au sein du terroir en fonction des contraintes agricoles. La classification des lieux de vie ne permet pas vraiment de mettre en évidence une hiérarchie même si l'on remarque que les habitats les plus grands sont implantés prés de l'Orb.
archeologie_525-02-11144_tei_125.xml
termith-36-archeologie
Les deux gisements moustériens d'Hermies “le Champ Bruquettte” et Hermies “le Tio Marché” se situent dans une petite vallée sèche du nord de la France (département du Pas-de-Calais), à 900 mètres l'un de l'autre, sur le même versant vers 85 m d'altitude. Ils ont été découverts au début du XXème siècle, à l'occasion du creusement du Canal du Nord qui les a amputés d'une partie de leur superficie (Salomon 1913). Des fouilles y ont été conduites entre 1993 et 2003, dans le cadre d'une recherche programmée. Deux traits essentiels caractérisent ces gisements dont les niveaux s'étendent au moins du début du Weichsélien ancien (stade isotopique 5d ?) au Pléniglaciaire moyen (stade 3) inclus. La première particularité réside dans l'excellent état de préservation des niveaux principaux, tant du point de vue de l'état physique des artefacts en silex, particulièrement propice à une étude tracéologique, que de la conservation des sols archéologiques, propice à une analyse spatiale fine (Masson et Vallin 1993, 1996; Vallin et Masson 2000, 2004; Vallin et al. 2001). La seconde caractéristique est la rigidité du cadre technologique des productions lithiques, marquée par la permanence d'un débitage Levallois linéal prédominant, voire quasi-exclusif (Vallin et Masson 1996). Ces conditions offrent l'opportunité parfaite d'une réflexion sur le schéma mental sous-tendu par le débitage Levallois et sur sa contrainte, à savoir si ce cadre est ouvert ou fermé (Van Peer 1992; Dibble et Bar-Yosef 1995); en d'autres termes, quel est le degré de liberté offert au tailleur, quel potentiel d'évolution est révélé par la confrontation de niveaux diachrones ? La définition du schéma Levallois renvoie au concept de prédétermination (Tixier 1959; Bordes 1961; Heinzelin de Braucourt 1962; Boëda 1994) : on peut rechercher quel est le degré d'abstraction qu'il représente, en mesurant jusqu'où va l'adaptation des méthodes aux objectifs (Sandgathe 2005). Parallèlement à la lecture technologique des schémas opératoires (fournie par les nombreux remontages), nous avons utilisé une base de données intégrant les éclats Levallois préférentiels provenant des deux sites, à l'exclusion des fragments non raccordés et des éclats dont la détermination pouvait prêter à discussion. Cela représentait, à la date de rédaction de l'article 4, 28 individus pour le Champ Bruquette (5 provenant du niveau b, sous-jacent au complexe de sols humifères du Début Glaciaire weichsélien, 22 provenant du niveau a, attribué au stade isotopique 4, et 1 provenant d'un loess pléniglaciaire du Weichsélien) et 99 individus pour le Tio Marché (8 provenant du cailloutis de base et 91 provenant des horizons attribués au stade isotopique 3, qui représentent ainsi la plus grosse partie de la population soumise à l'étude). Un certain nombre d'éclats préférentiels entiers, provenant surtout des cailloutis des deux sites, n'ont pas été pris en compte parce que leur bord était trop ébréché, rendant leur délinéation et leur angulation inidentifiables. La structure de la base de données est exposée en annexe. Nous nous proposons de mesurer, à chaque stade de la chaîne opératoire, le degré de standardisation sous-tendant les choix des préhistoriques d'Hermies, dont on peut supposer l'appartenance au groupe des derniers Néandertaliens. Le premier choix du tailleur intervient lors de la phase d'acquisition de la matière première. Plusieurs ressources étaient offertes aux tailleurs d'Hermies dans le voisinage immédiat des deux sites : en position primaire, le silex du Turonien supérieur et le silex coniacien (Sénonien) affleurent actuellement, sous forme de lits de rognons subhorizontaux, dans le versant de la vallée d'Hermies exposé au sud; en position secondaire, le silex est abondant dans le cailloutis, épais de plusieurs décimètres, qui tapisse le versant opposé, en pente douce, sur lequel se sont établis les préhistoriques; ce cailloutis devait affleurer au débouché des vallons affluents, ce qui a probablement guidé le choix des installations (Commont 1916). Il est essentiellement constitué d'éléments provenant de l'altération sur place du Sénonien. Il présente des caractères identiques sur les deux sites. Le silex en provenance directe de la craie a été très peu ou pas exploité, en dehors d'un très petit nombre de produits qui n'ont probablement pas été débités sur place. Les Moustériens d'Hermies, quels que soient le site et le niveau considérés, ont porté leur choix sur le silex du cailloutis local. L'abondance et la disponibilité compensaient certainement la qualité souvent médiocre de la matière première, affectée de fissures dues au gel et renfermant fréquemment des géodes, des cristallisations et des zones mal silicifiées, plurimillimétriques, centimétriques ou pluricentimétriques. En dehors de ces accidents, le grain du silex est plutôt fin. La taille des éléments du cailloutis est assez variable, ainsi que leur forme (tabl. 1). Les graviers sont majoritaires, les cailloux supérieurs à 15 cm sont rares, leur densité varie selon les secteurs mais ils représentent toujours moins de 7 % des éléments supérieurs à 20 mm en surface du cailloutis de base (tant au Tio Marché qu'au Champ Bruquette). L'examen des blocs remontés, qui présentent une certaine homogénéité morphologique et dimensionnelle, montre une sélection des tailleurs et permet de définir un premier niveau d'exigence. La norme est celle d'un bloc subcylindrique, fusiforme ou globuleux, légèrement allongé, mesurant entre 15 et 30 cm dans sa plus grande dimension (tabl. 1, fig. 1) et d'un poids oscillant autour de 2,3 kg. Les rognons de morphologie discoïde ont été plus rarement sélectionnés, sans doute en raison de leur épaisseur moindre, les rendant inaptes à un débitage Levallois linéal pluriséquentiel. Les blocs informes ou biscornus, une fois débarrassés de leurs protubérances, prenaient une forme globuleuse. Il existe aussi, au sein du cailloutis qui est localement stratifié, des variations qualitatives qui étaient connues des tailleurs puisqu'une certaine sélection a été opérée, sur le site du Tio Marché, en faveur de gros rognons globuleux (> 3 kg) de silex noir non fissuré à structure vitreuse et cortex épais, dont le gîte se situe dans le fond du vallon bordant le site : ils ont été réservés aux débitages les plus soignés; ces blocs se distinguent par des dimensions nettement plus élevées, de l'ordre de 30 cm (fig. 1). Les activités de débitage du silex conduites sur les deux sites se sont déroulées au sein de postes de débitage de dimension et de densité variables totalisant, chacun, de une à près de 20 séquences de réduction. Les amas en résultant présentent, pour la plupart, une conservation excellente. La plus grande partie des produits issus du débitage est demeurée concentrée sur le lieu de taille et les remontages sont suffisamment complets pour autoriser une perception fine des objectifs et des méthodes des tailleurs, complétant ou corrigeant la lecture diacritique des nucléus (Geneste 1985); dans certains secteurs des deux sites, toutefois, les postes de débitage ont été dispersés à divers degrés (cf. infra). Le débitage Levallois linéal prédomine largement dans les niveaux principaux, ce qui permet de ne pas tenir compte d'un éventuel diachronisme entre les amas d'un même niveau (tabl. 2). La principale objection au bien-fondé de l'analyse technologique que nous proposons pourrait provenir d'une éventuelle structuration de l'espace en fonction des méthodes de débitage; il serait toutefois peu vraisemblable que d'autres chaînes opératoires soient entièrement restreintes aux seules zones non fouillées sur les deux sites, particulièrement au Tio Marché où la surface fouillée atteint 503 m 2 et la surface explorée près de 700 m 2. Tous les intermédiaires existent entre le bloc brut et le nucléus débité, ce qui permet d'aborder certaines questions techniques, comme le rapport entre la forme des blocs et les méthodes de débitage ou bien les raisons de l'abandon d'un bloc, aux différents stades de la chaîne opératoire. La proportion de nucléus ébauchés est relativement faible, on peut l'estimer, au Tio Marché (niveaux supérieurs), à un peu plus de 10 % des rognons débités; il s'agit le plus souvent, pour autant qu'on puisse en juger, de préparation en vue d'un débitage Levallois. Les tailleurs ont procédé par enlèvements alternants centripètes sur une partie plus ou moins étendue du pourtour, lorsqu'il s'agissait d'un bloc de forme plus ou moins lenticulaire, ou par enlèvements uni - ou bipolaires dans le grand axe du rognon, essentiellement aux dépens de la future surface Levallois, lorsqu'il s'agissait de rognons plus ou moins allongés : dans ce cas, le dégrossissage profitait souvent des aspérités qui fournissaient un plan de frappe adéquat. Lorsque le bloc présentait une forme suffisamment cylindrique, le plan de frappe utilisé pour la mise en forme de la surface de débitage était ouvert par un enlèvement orthogonal à l'allongement, tronquant une extrémité du rognon (il pouvait s'agir d'une surface de fracture naturelle). Dans le cas de blocs globuleux ou biscornus, la mise en forme présente un aspect intermédiaire, avec des enlèvements alternants périphériques exploitant de façon opportuniste les aspérités du rognon. Dans tous les cas, les enlèvements sur la future surface de plan de frappe restent marginaux : celle -ci demeure très largement corticale et peut conserver une protubérance marquée. Sur 39 nucléus retrouvés dans le niveau a du Champ Bruquette (Pléniglaciaire inférieur weichsélien), 32 sont des nucléus Levallois à éclat préférentiel, 1 est de mode récurrent bipolaire, les autres présentent un débitage unipolaire. Les nucléus Levallois montrent l'enlèvement d'un éclat envahissant ovalaire ou subcirculaire sur une surface de débitage préparée par des enlèvements essentiellement centripètes (Masson et Vallin 1993); la surface de préparation du plan de frappe ne porte que quelques enlèvements périphériques, souvent limités aux extrémités proximale et distale du nucléus. Le plan de frappe est souvent facetté, mais assez sommairement. Dans le détail, la préparation de la surface Levallois montre un certain nombre de traits bien spécifiques, constants d'une séquence de réduction à l'autre et même d'un amas à l'autre (comme par exemple la fréquente dissymétrie dans la préparation des convexités latérales, un bord latéral - plutôt le gauche - présentant souvent des enlèvements allongés débordants, de direction parallèle à l'axe Levallois, alors que le bord latéral opposé présente plus fréquemment des enlèvements centripètes) (fig. 2); cette dissymétrie provoque souvent un outrepassage latéral de l'éclat préférentiel, dont on pourrait se demander s'il n'était pas recherché (fig. 3). Les remontages ont montré que le(s) tailleur(s) avai(en)t re-préparé la surface Levallois, chaque fois que c'était possible, pour obtenir un autre éclat préférentiel (fig. 4); cette séquence a été répétée jusqu' à quatre fois. Seuls deux ou trois nucléus relèvent d'un autre schéma opératoire : ils sont également préférentiels mais la surface Levallois est préparée par débitage bipolaire opposé dans l'axe longitudinal de blocs plutôt allongés (fig. 5). Sur 30 nucléus Levallois entiers, la moyenne des dimensions donne 127 x 111 x 57 mm, pour un poids moyen de 742 g (ces chiffres différent peu des médianes); le nucléus le plus volumineux mesure 178 x 113 x 99 mm et pèse 1.560 g; le plus petit mesure 93 x 84 x 54 mm pour un poids de 335 g. Dans les niveaux appartenant à la phase principale d'occupation du Tio Marché (Pléniglaciaire moyen weichsélien), le nombre total de nucléus (blocs testés exclus) s'élève à près de 120. La quasi-totalité des nucléus sont Levallois; ceux -ci relèvent le plus souvent d'un débitage linéal de préparation centripète et sont alors semblables à ceux du Champ Bruquette, d'autres présentent une préparation bipolaire opposée ou unipolaire convergente; le reste des nucléus Levallois est représenté par des nucléus récurrents, unipolaires convergents, bipolaires ou centripètes (dont une bonne partie provient du recyclage de nucléus Levallois de mode linéal). Beaucoup de nucléus de mode linéal présentent une forte ressemblance qui permettrait de les regrouper par catégories morphologiques (fig. 6, 7 et 8); cela peut tenir à l'envahissement du négatif de l'éclat préférentiel, à la dissymétrie des profils longitudinaux et transversaux, aux modalités de préparation de la surface Levallois (nombre et disposition des enlèvements), à l'utilisation d'éclats débordants pour l'élaboration des convexités latérales, au débordement de l'éclat préférentiel lui -même (comme au Champ Bruquette), etc. Sur 68 nucléus Levallois entiers, la moyenne des dimensions donne 114 x 102 x 50 mm, pour un poids moyen de 597 g (ces chiffres différent peu des médianes), soit une légère diminution par rapport au niveau a du Champ Bruquette. Malgré l'homogénéité technique globale, la différence est importante entre le plus gros nucléus Levallois, qui mesure 175 x 117 x 75 mm et pèse 1492 g (à peu près les mêmes dimensions que le plus gros nucléus du Champ Bruquette - niveau a) et le plus petit, dont les dimensions sont de 50 x 47 x 30 mm pour un poids de 52 g. La grande cohérence d'ensemble des schémas opératoires s'accompagne donc d'une certaine variabilité, au moins du point de vue morphométrique; il conviendra de rechercher, dans la gamme des produits finis, la trace de ces différences. Plusieurs remarques importantes doivent cependant être prises en compte : la répétition, sur le même nucléus, de plusieurs séquences de production d'éclat préférentiel (tant sur le site du Champ Bruquette que sur celui du Tio Marché); théoriquement, la re-préparation des surfaces devrait amener à une réduction graduelle et proportionnelle du nucléus et des éclats Levallois produits; en fait les remontages ont suscité des constatations inverses pour les produits finis, l'éclat de deuxième ordre étant souvent plus envahissant que l'éclat de premier ordre (fig. 9, 10, 11, 12); la ramification de la chaîne opératoire, par recyclage des fragments de bloc ou de fragments de nucléus, générés (accidentellement ou non) à un moment ou à un autre de la séquence de réduction; ce processus, contrairement à ce qu'on a pu constater au Champ Bruquette, paraît assez fréquent au Tio Marché. Dans certains cas, il semble qu'il y ait eu un traitement différencié, hiérarchisé, entre les fragments issus du même rognon : le fragment principal était réservé à un schéma opératoire Levallois, alors que le(s) fragment(s) secondaire(s) participai(en)t à un débitage de type opportuniste, tel que le débitage centripète d'éclats larges et réfléchis ou le débitage semi-tournant d'éclats allongés aux dépens d'un bord; la manifestation de niveaux de savoir-faire très différents, qui conduisent à évoquer l'hypothèse de l'activité de jeunes, en phase d'acquisition des gestes techniques, explication soutenue par l'existence de débitages sommaires, qui présentent une répartition spatiale périphérique par rapport aux postes de débitage (Vallin et Masson 2004). Ces débitages opportunistes ou sommaires sont importants à pressentir car ils peuvent brouiller l'image et l'appréciation de l'objectif principal de la production. Peut-on mettre en évidence une intention formelle des tailleurs d'Hermies, qui se traduirait par une homogénéité morphologique ou dimensionnelle des éclats préférentiels ou par un classement en gabarits différenciés ou bien, au contraire, y a t-il une production plutôt aléatoire, la standardisation (éventuelle) n'intervenant qu'au niveau du choix des pièces utilisées ? En corollaire, les éclats Levallois résultent-ils entièrement d'une production sur place, ou bien y a t-il coexistence de produits de type “domestique” et de produits “importés” comme cela a pu être évoqué sur certains sites moustériens à propos de l'outillage retouché ? Nous nous sommes attachés à la recherche d'éventuelles constantes de production par l'examen de la répartition des populations du Champ Bruquette et du Tio Marché pour chaque variable. Un certain nombre de corrélations peuvent être mises en évidence entre les caractères morphotechniques et fonctionnels des bords. Certaines relèvent plutôt de contraintes liées à la mécanique du détachement au percuteur dur : par exemple, on constate que l'angulation du bord diminue presque toujours de la partie proximale à la partie distale, ce qui découle en l'occurence de l'amincissement des éclats depuis le bulbe jusqu'au bout (tabl. 3), particulièrement sensible dans le cas d'une percussion au percuteur de pierre dure dont le point d'impact se situe bien en retrait du bord du plan de frappe. La moyenne de l'épaisseur maximale du talon se situe, par exemple, à 14,1 mm pour les éclats préférentiels du Champ Bruquette (avec un écart-type de 4,5 mm). Les bords proximaux présentent donc une angulation moyenne oblique, assez comparable entre le bord gauche et le bord droit (respectivement 43° et 44°); cet angle moyen est supérieur à celui des bords distaux (38° pour le bord gauche distal, 36°30 pour le bord distal et 37° pour le bord droit distal). Il existe une corrélation entre la délinéation du bord et son angulation, dans la mesure où les bords concaves présentent les angles les plus ouverts (médiane : 46°), suivis par les bords sinueux et festonnés, puis rectilignes (médianes respectives : 42°30, 42° et 41°), tandis que les bords convexes possèdent les angles les plus fermés (médiane : 39°). La délinéation des bords est évidemment sous la dépendance de la préparation de la surface Levallois (Boëda 1994) : des enlèvements prédéterminants centripètes auront tendance à préfigurer un bord globalement convexe, si leur inclinaison est rasante, ou un bord festonné (c'est-à-dire présentant des concavités contigües), si la surface de fracture de l'éclat préférentiel recoupe les contre-bulbes prononcés de ces enlèvements (fig. 13); par contre, un bord rectiligne continu, parallèle à l'axe longitudinal et d'angle semi-abrupt, sera généré par un enlèvement prédéterminant débordant latéralement, détaché parallèlement à l'axe Levallois. On retrouve sur les éclats, à cet égard, les mêmes types de préparation des surfaces Levallois que sur les nucléus, dans les mêmes proportions (fig. 14). Le découpage du pourtour des éclats en segments de bord pour les nécessités de l'analyse informatique (en termes de présence/absence) présente le double inconvénient de biaiser la perception de la symétrie des éclats et d'interdire d'appréhender leurs côtés dans leur globalité : ainsi la continuité ou la discontinuité d'un bord, de la partie proximale à la partie distale, ne pourra pas être reconnue. Cela explique peut-être l'image de relative symétrie qui se dégage de la répartition typologique moyenne des bords, malgré les observations effectuées sur le débordement fréquent des éclats. Le type de bord le plus fréquent (tabl. 4) est le bord convexe (191 cas), surtout présent en bout (en raison d'une préparation centripète de la convexité distale) et représenté de façon à peu près identique sur les autres segments du pourtour. Le bord rectiligne est presque aussi fréquent (174 cas), plus souvent sur le bord droit que sur le bord gauche, mais il concerne rarement le bout. Viennent ensuite le bord concave (103 cas), un peu plus présent sur le bord gauche mais quasiment absent en bout, puis le bord sinueux (84 cas) et le bord festonné (82 cas), plus fréquents sur les bords distaux que proximaux. L'arc brisé concerne presqu'uniquement le bord distal. C'est surtout le bord distal qui peut être affecté par un défaut (57 cas), en raison des outrepassages et rebroussements fréquents (qui concernent respectivement 24 et 50 objets), alors que c'est le bord proximal gauche qui est le plus souvent cortical. Ces observations portent sur l'ensemble des éclats préférentiels, toutefois il n'y a guère de différences entre les populations du Champ Bruquette et du Tio Marché, hormis le nombre relativement plus élevé de bords sinueux sur les éclats Levallois du Champ Bruquette (cf. infra). La classification dimensionnelle des produits coïncide avec celle des nucléus. L'examen de l'ensemble des éclats préférentiels montre en effet un large éventail de dimensions, allant d'éclats assez petits (58 x 46 x 10 mm pour l'éclat P6/83, fig. 15) à très grands (166 x 126 x 39 mm pour l'éclat R23/1, fig. 16) soit un rapport de 1 à 3, avec des poids respectifs de 23 et 750 g. Les mini-éclats Levallois, qui auraient pu provenir des plus petits nucléus du Tio Marché (mesurant moins de 6 cm de longueur), sont cependant absents (d'une manière plus générale, aucun remontage n'a été effectué sur ces mini-nucléus). On remarque que, sur les 14 éclats inférieurs à 70 mm de longueur, 10 sont rebroussés et ne traduisent probablement pas l'intention du tailleur. A l'autre extrémité de la gamme, sur 13 éclats dont la longueur excède ou égale 130 mm, on constate que cinq sont outrepassés. Le périmètre des éclats (talon exclu) est un moyen de mesure plus proche des propriétés ergonomiques du support considéré que la longueur maximum. Sur 103 individus mesurables, la moyenne est de 242 mm (médiane : 234 mm, écart-type : 60,6), avec des extrêmes de 135 et 420 mm; la distinction selon les niveaux montre peu de variations (tabl. 5). La répartition par classes montre que plusieurs pics se dégagent : si la catégorie 205 à 279 mm regroupe 56 % de l'effectif, une catégorie d'éclats plus petits (14 % de l'effectif entre 145 et 174 mm, presque tous réfléchis) et une catégorie d'éclats plus grands (7 % de l'effectif entre 310 et 339 mm) se distinguent, tandis que quelques éclats très grands (> 400 mm de périmètre, presque tous outrepassés) se détachent nettement du reste (fig. 17). Afin de mesurer le degré d'efficacité de la méthode de débitage, en termes de production de tranchant utile, nous avons rapporté, pour chaque objet, le total de la longueur des bords tranchants au périmètre total de l'éclat (talon toujours exclu) (fig. 18). Les bords abrupts, corticaux, ou présentant un défaut sont évidemment exclus de la somme du tranchant utile. Sur 100 individus, la moyenne de tranchant utile est de 78 % du pourtour (écart-type : 22, médiane : 85 %), ce qui est assez médiocre; plus de la moitié des éclats présentent plus de 80 % de tranchant utile, mais un cinquième de l'effectif est en-deçà de 60 %. La classification des angles et des types de bord n'a pas permis de mettre en évidence une quelconque dissymétrie latérale (tabl. 3 et 4); par contre, la confrontation de la longueur de tranchant utile par côté, pour chaque éclat, montre un certain nombre de pièces à dos total ou partiel; cette dissymétrie latérale n'apparaît pas dans les moyennes en raison de l'absence de latérisation préférentielle des pièces à dos cortical ou de préparation : le nombre d'éclats présentant un bord droit entièrement abrupt (n = 4) est à peu près égal au nombre d'éclats présentant un bord gauche totalement abrupt (n = 6), le nombre d'éclats présentant un bord gauche partiellement abrupt (n = 36) n'est que légèrement supérieur au nombre d'éclats présentant un bord droit partiellement abrupt (n = 30), ce qui coïncide avec les constatations faites plus haut sur les nucléus. De même, les éclats présentant un tranchant plus développé à droite sont sensiblement aussi nombreux que les éclats dont le tranchant gauche est dominant. La confrontation graphique des contours des éclats Levallois (fig. 19) souligne une certaine homogénéité morphologique d'ensemble, que masquait l'analyse trop fragmentée des bords : si l'on élimine les éclats présentant un accident et qui ne reflètent pas l'intention du tailleur, la quasi-totalité des éclats préférentiels, indépendamment de leur dimension, affectent une forme ovalaire, ce que traduit l'indice d'allongement (tabl. 5); dans un certain nombre de cas, les bords convergent vers la partie proximale et non vers la partie distale, offrant parfois une forme spatulée : dans ce dernier cas, les éclats présentent un profil longitudinal légèrement arqué. Les éclats triangulaires ou présentant une pointe dans leur partie distale représentent une catégorie très minoritaire, de même que les éclats allongés. Les formes présentant une dissymétrie latérale sont peu nombreuses. Par ailleurs, la superposition des contours des éclats Levallois montre une assez large gamme dimensionnelle mais confirme la polarisation autour d'un certain gabarit, surtout si l'on élimine les éclats rebroussés et les éclats outrepassés qui représentent les extrêmes aberrants. Ces constatations concernent surtout le niveau pléniglaciaire moyen d'Hermies-Tio Marché, qui représente la plus grosse partie de l'effectif étudié. Elles semblent s'appliquer également aux autres niveaux, avec des réserves (pour des raisons taphonomiques) pour les séries provenant des cailloutis. Rechercher une éventuelle normalisation des outils conduit au final à l'identification de critères de choix des objets propres à un (ou plusieurs) usage(s) et, a contrario, de rejet des autres. En d'autres termes, il faut dans un premier temps identifier les pièces utilisées puis dans un deuxième temps rechercher, par l'analyse statistique, si ces objets se distinguent par des caractères particuliers, et secondairement vérifier s'il existe des distinctions selon le type d'utilisation. Comme sur la plupart des gisements moustériens de plein air du nord de la France, le pourcentage d'éclats retouchés est très faible; si l'on exclut les pseudo-outils générés par des processus taphonomiques (Caspar et al. 2005), le nombre d'éclats retouchés se restreint à moins d'une dizaine d'individus sur le site du Champ Bruquette et à une trentaine au Tio Marché (racloirs, sur éclat Levallois le plus souvent, et grattoirs). L'écrasante majorité des éclats préférentiels ne présente pas de retouches, au sens typologique du terme, ce qui est un trait commun des sites paléolithiques moyens de plein air du nord de la France. Grâce à l'exceptionnel état de conservation des niveaux d'occupation d'Hermies, on a pu identifier un usage des produits bruts. L'approche tracéologique effectuée par l'un de nous (J.-P. C.) a permis de caractériser deux types de stigmates issus d'utilisations différentes. L'un, visible seulement à l'échelle microscopique sur 10 pièces, se présente sous la forme d'un micropoli réfléchissant modérément la lumière incidente, contrastant peu avec les surfaces non altérées des silex. Le fil des tranchants est faiblement marqué. Les polis sont bifaciaux, peu envahissants. Les surfaces altérées par l'usage sont modérément régularisées et présentent un aspect gras luisant. Les stries, peu fréquentes, sont très courtes (inférieures à 20 µ), étroites (inférieures à 2 µ) et profondes, seulement visibles à un grossissement de 500 fois, localisées sur les deux faces, parallèles ou obliques au tranchant. Ces polis présentent, sur quatre pièces (fig. 20), des analogies avec ceux qui apparaissent expérimentalement lors de l'éviscération, de la découpe de la viande ou, encore, de l'écharnage, du dépiautage et du découpage de la peau fraîche, en cas d'utilisations brèves. Dans plusieurs cas (n = 6) cependant, de petits îlots de poli d'os et des stries résultant de l'abrasion due à l'effritement des tranchants actifs accompagnent l'usure. Elle est très semblable, dans cette configuration, aux usures expérimentales obtenues par le dépeçage lors d'activités de boucherie. Deux pièces supplémentaires présentent sur un bord des traces comparables à un poli de bois expérimental. L'état d'avancement de nos travaux sur l'industrie des sites d'Hermies et un retour aux pièces par un examen microscopique plaident pour une interprétation taphonomique de ces traces. En effet, l'aplatissement des dômes du poli en opposition avec la convexité prononcée de ces derniers, caractéristique du poli de bois, pourrait résulter d'une friction sur de la glace plus ou moins chargée en matières abrasives comme nos expérimentations l'ont montré (Caspar et al. 2003). D'ailleurs, l'une de ces deux pièces a été singularisée par l'analyse multivariée et retirée du test de prédiction (cf. infra). L'autre type de trace, macroscopique, en l'absence de tout stigmate microscopique, se présente, dans neuf cas, sous la forme d'enlèvements plus ou moins envahissants (millimétriques à centimétriques), sur une portion courte (1 cm) ou étendue (une dizaine de centimètres) de bords simples ou doubles, opposés et/ou adjacents (fig. 21). L'absence d'écrasement sur les fils suggère un travail sur une matière minérale tendre ou encore sur des matériaux organiques durs (os, bois de cervidé, bois durs. ..). En effet, l'expérimentation montre que des durées d'utilisation même extrêmement courtes (quelques dizaines de secondes) en percussion lancée ou posée avec percuteur sur des matières minérales dures à moyennement dures, auraient entraîné un martelage (ou écrasement) rapide du fil, en plus de l'esquillement (Caspar 1988). L'une des interprétations plausibles, que l'on pourrait conférer à ces objets, serait un usage violent de durée variable sur une matière organique relativement dure, comme le fendage longitudinal des os longs pour récolter la moëlle, par exemple. Pour les pièces présentant des enlèvements sur deux bords opposés (n=3) et proches des pièces esquillées au sens typologique du terme (Tixier 1963), l'on peut imaginer que ces stigmates se sont formés simultanément lors de la même opération technique en percussion posée avec percuteur, avec un bord pénétrant le matériau d' œuvre et l'autre subissant l'action du percuteur (Semenov 1970 p. 149-150; Mazière 1984). En ce qui concerne la nature du matériau de ce dernier, elle reste indéterminée. L'une des pièces esquillées présente en outre un esquillement alternant du bord distal; elle pourrait être rattachée à deux autres éclats présentant un esquillement unifacial de l'extrémité distale : celle -ci pourrait coïncider avec la partie active de l'outil, les talons larges et épais opposés recevant la percussion. Un autre éclat est marqué par un esquillement envahissant inverse et partiel de l'extrémité distale et du bord mésial droit. Les trois dernières pièces portent un esquillement partiel dans la partie mésiale ou distale d'un bord latéral; le bord opposé, dans tous les cas de faible angulation, ne montre pas de trace d'utilisation ni de percussion. L'action responsable de ces stigmates est indéterminée. La confrontation, par les remontages, des nucléus (et des déchets de fabrication) d'une part et des produits finis d'autre part permet de mettre en évidence les déplacements d'objets à l'intérieur du site ou les lacunes, qui peuvent révéler des prélèvements à fin d'usage par les hommes préhistoriques; un problème de contemporanéité se pose toutefois pour les pièces non remontées. Il faut également garder présent à l'esprit que seule une partie de chaque site a pu être fouillée et que le degré de conservation des niveaux archéologiques, s'il est globalement excellent pour les deux occupations principales, est souvent très médiocre pour les autres séries. En partant du principe (conforté par les remontages et l'étude taphonomique) que les amas reconnus à la fouille correspondent à des amas de taille en place, on a distingué trois types possibles de situation, qui se divisent en cinq sous-types, en fonction de la position des éclats préférentiels par rapport à leur amas de taille d'origine (fig. 22) : Catégorie A : l'éclat préférentiel a été retrouvé dans le poste de débitage où il a été produit; c'est la catégorie la plus aisée à reconnaître; Catégorie B : l'éclat préférentiel a été retrouvé hors du poste de débitage où il a été produit, et dont la position est connue : on peut alors mesurer sa distance de transport; deux sous-catégories peuvent être distinguées : B1 : l'éclat préférentiel a été retrouvé dans un autre poste de débitage du même niveau (ce qui n'implique pas une stricte contemporanéité, ni un déplacement important), B2 : l'éclat préférentiel a été retrouvé à l'écart de tout poste de débitage. La difficulté consiste dans la définition d'un seuil de distance : nous l'avons mis assez bas (1 mètre) dans la mesure où les concentrations sont souvent proches les unes des autres (au Tio Marché, aucun des éclats préférentiels étudiés n'est éloigné de plus de 4 m d'un poste de débitage); Catégorie C : l'éclat préférentiel a été retrouvé hors du poste de débitage où il a été produit, et dont la position est inconnue : on ne peut alors mesurer sa distance de transport, qui pourrait d'ailleurs être faible lorsque l'éclat préférentiel se situe près des limites de fouille (au Tio Marché, aucun des éclats préférentiels étudiés ne se trouve à plus de 1,80 m d'une limite de fouille); deux sous-catégories peuvent être distinguées : C1 : l'éclat préférentiel a été retrouvé dans un autre poste de débitage du même niveau, C2 : l'éclat préférentiel a été retrouvé à l'écart de tout poste de débitage. Pour être tout-à-fait complet, il faudrait créer une catégorie D pour regrouper les éclats “fantômes ”, attestés sur certains nucléus préférentiels par le négatif du dernier enlèvement mais qui n'ont pas été retrouvés dans les limites de la zone fouillée; nous n'en avons toutefois pas tenu compte, pour des raisons méthodologiques. Les catégories A et B représentent la production certainement “domestique ”, c'est-à-dire réalisée sur place, la catégorie C pourrait englober les éclats “importés ”, avec les produits “domestiques” qui n'ont pu être remontés par défaut d'observation (soit parce que le lieu de production se situait dans une partie non explorée du site, soit parce que les essais de remontage n'ont pas été assez poussés, en particulier dans les zones où les produits des séquences de débitage ont été disséminés); en symétrique la catégorie D, avec les mêmes réserves, représenterait la production “domestique” exportée du site. On postule que les éclats de la catégorie A n'ont pas été utilisés, puisqu'une utilisation au sein même d'un amas est peu probable, pas plus qu'on puisse imaginer que le produit ait été replacé, après usage, dans l'amas. En revanche, la probabilité d'usage (ou d'intention d'usage) des éclats des catégories B2 et C2 (et D) est, en théorie, d'autant plus élevée que la distance du lieu de production connu (B2) ou possible (C2, D) augmente. L'interprétation des catégories B1 et C1 est plus problématique; il existe, sur les deux sites, de rares cas d' “échanges” entre postes de débitage, mais ils concernent plutôt des nucléus. La distribution spatiale de ces derniers semble d'ailleurs obéir aussi à des règles spécifiques qu'il faudrait peut-être croiser avec les mouvements des éclats préférentiels. Ce schéma d'interprétation dynamique est toutefois faussé par des processus post-dépositionnels d'origine géologique (cryoturbation, solifluxion, ruissellement, etc.), animale ou humaine (piétinement entre autres) : dans certains secteurs du Tio Marché, c'est en effet l'ensemble des produits d'une séquence de réduction qui peut être disséminé sur plusieurs mètres carrés. En ce sens, l'approche spatiale ne peut fournir qu'une tendance globale et ne peut permettre une diagnose d'utilisation individuelle, à la différence de la tracéologie. Il convient de préciser que l'approche spatiale a été menée indépendamment, l'analyse fonctionnelle étant faite en aveugle. Seuls les résultats de cette dernière ont été pris en compte dans la base de données soumise à l'étude statistique, la confrontation avec l'analyse spatiale n'intervenant qu'ensuite (tabl. 6). Dans l'état actuel des remontages, deux constatations peuvent être faites : un seul éclat de la catégorie A présente des stigmates d'utilisation (au Tio Marché), toutefois il se trouve également très proche d'une concentration d'éclats préférentiels “importés” qui portent tous des stigmates d'utilisation; la catégorie C2 comprend la majorité des éclats préférentiels visiblement utilisés, voire la quasi-totalité si l'on ajoute les éclats sur lesquels la prudence nous a retenus. En revanche, un fort pourcentage des éclats “déplacés” ne présentent pas de stigmates visibles d'utilisation, ce qui n'exclut pas une utilisation brève ou de faible intensité. D'après leur position dans la chaîne opératoire et en tenant compte de paramètres méthodologiques et taphonomiques, le nombre d'éclats préférentiels extraits de leur lieu de débitage se monterait à 67, parmi lesquels on trouve 19 pièces effectivement utilisées, d'après l'analyse tracéologique. L'identification d'un échantillon ––à défaut de la totalité–– de produits utilisés permet de rechercher les exigences des utilisateurs, au moyen de l'analyse statistique; celle -ci a été effectuée par l'un de nous (E. D.). L'analyse de la variance à un critère de classification (ANOVA I) a été utilisée pour comparer les moyennes des 3 groupes : NU (non utilisés, n = 106), MiU (microtraces d'utilisation, n = 12) et MaU (macrotraces d'utilisation, n = 9) sur l'ensemble des variables mesurées. Cette technique d'analyse permet de comparer les moyennes de plus de deux échantillons (le test de t de Student, largement pratiqué, peut être considéré comme un cas particulier de l'ANOVA à un critère de classification lorsqu'il n'y a que deux groupes expérimentaux en présence). L'ANOVA I a été suivie de comparaisons pairées par la méthode de Scheffé. Le seuil de signification de référence est le seuil 5 %. Il apparaît qu'un très grand nombre de variables dont nous ne reprendrons pas la liste ici, mais qui sont essentiellement liées à la taille de la pièce, sont de moyenne significativement plus élevées pour les éclats présentant des stigmates macroscopiques d'utilisation, ce qui corrobore l'idée que les individus de ce groupe sont généralement de grande taille, bien que la représentation des variables liées à la taille dans des histogramme univariés montre un recouvrement des groupes : cette plus grande taille n'est pas systématique, mais juste une tendance moyenne. Les variables présentant une différence significative et permettant une interprétation plus fine sont reprises dans le tableau 7. La variable PROFIL LONGITUDINAL RECTILIGNE montre que l'absence de cambrure de la pièce est un élément très discriminant de son utilisation, la quasi-totalité des éclats préférentiels utilisés ayant un tel profil. La modification du bord distal apparaît liée à l'utilisation, quel qu'en soit le type, tandis que la modification du bord droit distal apparaît liée à la présence de stigmates macroscopiques d'utilisation. Les bords utilisés à droite (BORD UTILISE DROIT DISTAL et BORD UTILISE DROIT PROXIMAL) apparaissent plus fréquents que leurs symétriques gauches (BORD UTILISE GAUCHE PROXIMAL et BORD UTILISE GAUCHE DISTAL), laissant supposer une latéralité plus marquée à droite. La variable BORD UTILISE DISTAL est caractéristique du groupe MaU (macrotraces d'utilisation). Une légère sur-utilisation du bord gauche proximal apparaît dans le groupe MiU (microtraces d'utilisation). Quant aux esquilles aux points encadrant le talon (ESQUILLES EN PROXIMAL GAUCHE et ESQUILLES EN PROXIMAL DROIT), qui peuvent être un rognage facilitant la préhension, elles sont quasi-absentes des pièces du groupe NU (non utilisées) et significativement plus élevées dans le groupe MaU (macrotraces d'utilisation). Nous avons ensuite tenté de mettre en évidence une éventuelle différence de standard de fabrication entre les sites du Champ Bruquette et du Tio Marché. Le site du Champ Bruquette ne présentant pas de pièces cataloguées MaU, il serait trivial de mettre en évidence que les variables permettant d'identifier le groupe MaU identifient également le Tio Marché. Nous avons donc réalisé une comparaison des moyennes entre le Champ Bruquette et le Tio Marché pour les variables ne présentant pas de différences entre MaU et le reste (reprises dans le tableau 8). La première constatation est que la qualité de la matière première (traduite, entre autres, par la variable FISSURATION) est moindre au Champ Bruquette, caractéristique qui pourrait être en partie corrélable à des défauts de fabrication plus élevés sur ce site (PROFIL ARQUE, REBROUSSEMENT DISTAL), à des bords plus sinueux (BORD SINUEUX GAUCHE PROXIMAL, BORD SINUEUX GAUCHE DISTAL) et à moins de bords convexes propices à l'utilisation (BORD CONVEXE GAUCHE DISTAL). L'altération y est plus importante. Aucune variable permettant de conclure à une différence de technicité ou de standard de fabrication n'a été mise en évidence par cette analyse. L'analyse en composantes principales (ACP) est l'une des techniques exploratoires les plus utilisées en analyse multivariée. Purement descriptive, elle n'implique aucun modèle de normalité et ne propose pas de seuil statistique. Elle consiste en une décomposition d'une matrice de corrélation entre les variables originales en vecteurs propres, qui représentent des directions orthogonales dans l'espace (et donc statistiquement indépendantes) et en valeurs propres, qui expriment une variance (mélange d'information et de bruit de fond). Le but est de représenter dans un petit nombre de dimensions (idéalement un plan) un maximum de la variance liée à l'information et un minimum de la variance liée au bruit de fond. Son interprétation, intuitive, repose sur trois informations complémentaires : La proportion de variance exprimée dans le plan, qui reflète la qualité de la projection des points sur le plan. Plus la proportion de variance est élevée, plus la proximité des points observée sera proche de celle de leur représentation de l'hyperespace original (qui a autant de dimensions qu'il y a de variables dans les données expérimentales). la répartition des objets (ici les pièces) dans le plan. Des groupes de points proches représentent des groupes d'objets aux caractéristiques plus ou moins homogènes. la corrélation entre les variables originales et les axes du plan. Les variables fortement corrélées à un axe permettent de lui donner une “étiquette” permettant d'interpréter cette construction mathématique abstraite dans les termes du contexte expérimental. Toutes les mesures radiaires prises de 10° en 10° ont été soumises à une analyse en composantes principales (ACP) destinée à différencier la taille et la forme des 127 pièces (Jolicoeur et Mosimann 1960). Lorsqu'un ensemble d'objets de taille variable se répartit en plusieurs groupes de forme distincte, le premier axe de l'ACP exprime la variation liée à la taille et le second celle liée aux différences de forme. Cette analyse a, au contraire, mis en évidence un continuum entre les différentes pièces, montrant qu'il s'agit de variants d'une même forme de base, sans différence marquée entre différents gabarits, qui auraient pu correspondre au type d'utilisation (ou à la non utilisation) des pièces. Cette observation recoupe celle qui peut être obtenue en superposant graphiquement les profils des différentes pièces (fig. 19 et 23). Après avoir caractérisé les pièces, nous avons tenté de détecter celles qui auraient toutes les caractéristiques des pièces utilisables mais qui n'auraient pas été utilisées (tout au moins de façon perceptible). Nous avons eu recours à l'analyse discriminante pas-à-pas. Cette technique est un autre type d'analyse multivariée, que nous avons utilisé ici dans sa version descriptive, les conditions d'inférence n'étant pas réunies. Son but est de rechercher la combinaison de variables qui permet la meilleure discrimination entre des groupes d'objets préalablement définis, qui correspondent ici aux groupes NU (n = 106), MiU (n = 12) et MaU (n = 9), afin de définir la pertinence des groupes, leur degré de recouvrement et les variables essentielles pour les classer. L'analyse a été réalisée sur toutes les variables présentant une variance non nulle dans chacun des 3 groupes considérés. Une première analyse fait ressortir deux pièces relativement mal placées dans leur groupe. La pièce P6/37, identifiée MiU en raison de la présence d'un micro-poli sur le bord distal, est plus proche des MaU suivant les variables BORD UTILISE DISTAL, BORD MODIFIE DROIT DISTAL, ANGLE BORD GAUCHE PROXIMAL, LARGEUR, POIDS, NOMBRE ENLEVEMENTS; en réalité, le poli, réparti en ilôts épars, peu développé, proche de celui qui résulte du travail du bois, pourrait être d'origine taphonomique et les enlèvements envahissants sur les deux bords latéraux (inverses à gauche et alternants à droite), d'abord considérés comme le résultat d'un façonnage, pourraient effectivement résulter d'une utilisation comme fendoir d'os longs (cf. supra). La pièce P22/24, identifiée MaU mais plus petite (longueur : 96 mm) que la moyenne des MaU, est plus proche de MiU suivant les variables ANGLE BORD GAUCHE PROXIMAL, BORD MODIFIE DISTAL, BORD UTILISE DISTAL, BORD MODIFIE DROIT DISTAL, LONGUEUR TRANCHANT BORD DROIT DISTAL et PERIMETRE SANS TALON : les traces d'utilisation macroscopiques, localisées sur le bord distal gauche, sont d'ailleurs beaucoup plus discrètes que sur les autres représentants du groupe. Etant donné que les groupes MiU et MaU sont petits, un éventuel “intrus” aura beaucoup d'influence subséquente; plutôt que de modifier a posteriori leur affectation, ils ont été supprimés de la seconde analyse, qui a proposé des groupes relativement homogènes, enrichis de 25 candidats MaU et trois candidats MiU sélectionnés parmi les NU (tabl. 9). Parmi les 28 pièces proposées, seules 13 présentent un profil rectiligne : 1 pièce candidate à un usage correspondant au groupe MiU et 12 au groupe MaU. Nous n'avons ré-examiné que ces 13 objets. La pièce candidate à un usage correspondant au groupe MiU est P21/116 (fig. 13), mais elle présente un bord gauche proximal cortical et, sur le reste du pourtour, des festons défavorables à l'utilisation en boucherie ou sur une matière animale tendre; ses dimensions, cependant, la rapprochent du groupe MaU (longueur : 122 mm). Quelques retouches écailleuses, dans une zone partiellement saccharoïde, affectent d'ailleurs l'angle distal du bord gauche, correspondant soit à des retouches spontanées, soit à une action taphonomique ou encore à une brève utilisation en percussion lancée ou posée avec percuteur; des esquillements sont présents sur les portions de bord gauche et droit adjacentes au talon. Les pièces candidates à un usage correspondant au groupe MaU sont plus nombreuses; pour le Tio Marché, il s'agit des objets suivants : P23/29 est une pièce régulière mais cassée au niveau du talon lors du débitage et elle présente un bord droit débordant en proximal; sa taille est en deçà de celle du groupe MaU (longueur : 72 mm); P6/83 (fig. 15) est vraisemblablement trop petit (longueur : 58 mm) pour une utilisation correspondant au groupe MaU, l'identification comme éclat préférentiel est d'ailleurs incertaine; Q2/51 présente une taille limite par rapport au groupe MaU (longueur : 98 mm); on observe cependant quelques enlèvements inverses sur le bord distal qui ont été jugés non diagnostiques d'un usage par la présence d'une cassure clairement post-dépositionnelle sur la moitié distale du bord gauche; en outre, cette pièce reposait sur un cailloutis; Q6/43 présente un bord gauche irrégulier; sa taille est légèrement en deçà de celle du groupe correspondant (longueur : 86 mm); R11/52 présente une dimension adéquate (longueur : 105 mm), mais c'est une pièce de topographie irrégulière, torse, ce qui pouvait présenter un obstacle à son utilisation en cinématique longitudinale posée; R7/36 est une pièce régulière, mais apparemment trop petite pour ce type d'utilisation (longueur 67 mm); on notera la présence de retouches adjacentes au talon sur le bord gauche; R8/26 possède un bord cortical opposé à un bord qui présente des retouches directes irrégulières, de délinéation denticulée et des cassures en croissant d'origine taphonomique : on ne peut pas exclure une utilisation brève. Ses dimensions coïncident avec celles de ce groupe (longueur : 132 mm); R9/195 est vraisemblablement trop petit (longueur : 63 mm), il présente un défaut du bord distal, des cassures en croissant post-dépositionnelles sur presque toute la périphérie et des retouches en encoche, d'origine indéterminée, sur le bord gauche proximal; T17/11 (fig. 10, C) est trop petit (longueur : 90 mm) et surtout trop mince (épaisseur : 13 mm); O5/quart 1 présente une taille limite (longueur : 99 mm) et un défaut du bord distal; en outre, le bord gauche est cortical et opposé à un bord droit très irrégulier à cause d'un défaut dans le silex; il est à noter que cet éclat n'appartient probablement pas au même niveau chronologique que les précédents. Les deux éclats préférentiels du Champ Bruquette candidats à un usage correspondant au groupe MaU ont été examinés, même si ce type d'usage est inconnu dans la partie explorée du gisement : AA98/b19 présente des dimensions vraisemblablement trop faibles (longueur : 75 mm); AF70 serait utilisable, ses dimensions le rapprochent de ce groupe (longueur : 104 mm); on notera la présence de retouches ponctuelles sur le bord droit adjacent au talon. Cet examen limite à trois ou quatre les pièces apparemment “récupérables” dans le groupe NU; elles se placent dans les catégories C1 et C2. Cependant, une des pièces (R7/36) prédites par l'analyse multivariée comme appartenant au groupe MaU présente des caractéristiques compatibles avec le groupe MiU; toutes les autres pièces présentent des bords incompatibles avec un usage en percussion posée longitudinale. Toutes les analyses ont été réalisées à partir de feuilles de calcul Excel par le logiciel Statistica de StatSoft. Sur les deux sites étudiés, qui appartiennent au même micro-territoire, le premier et le plus fort critère de choix d'un outil est d'ordre technologique : c'est la sélection de l'éclat préférentiel puisque, si de rares éclats de préparation ont été retouchés, l'examen microscopique d'un échantillonnage de sous-produits, incluant ces éclats retouchés, montre qu'aucun n'a été utilisé de façon manifeste (nous faisons abstraction des pierres ou des débris de débitage présentant des stigmates de percussion, fréquents au Tio Marché). Même les grands éclats à dos cortical ou brut de débitage ne semblent pas utilisés, malgré leur bonne adéquation à une utilisation en percussion posée avec percuteur, ou comme couteau. La variabilité des produits finis, représentés par les éclats préférentiels, est relative : elle affecte plus les dimensions que la forme générale de l'objet dont le gabarit est assez calibré (éclat ovalaire exclusivement, quel que soit le niveau archéologique); elle traduit plus les niveaux de compétence des tailleurs (ou la qualité de la matière première) que la diversité réelle des intentions. En faisant abstraction des aléas, on peut considérer que les tailleurs d'Hermies –au moins ceux du Tio Marché - voulaient produire, selon une méthode standardisée, une gamme dimensionnelle assez large d'un seul et même modèle. Les pièces utilisées présentent une variabilité encore moindre, qui peut d'ailleurs tenir artificiellement du nombre de variables prises en compte, dont certaines n'ont pas d'implication fonctionnelle. Un critère de rejet absolu ressort de l'analyse statistique, l'existence d'un profil non rectiligne (une seule pièce légèrement rebroussée en partie distale a été utilisée : P22/8 et il n'y a pas de pièce arquée ni de pièce outrepassée qui ait été utilisée). La présence d'un défaut du bord distal est un critère de rejet plus ou moins redondant avec le précédent : seuls quatre éclats utilisés présentent ce défaut, encore celui -ci est-il minime (léger rebroussement ou ondulation : Q22/26, P22/8, G20/3 ou léger outrepassage : R22/25); c'est probablement une question d'ergonomie, une discontinuité du bord s'opposant à une utilisation correcte. On peut faire un parallèle avec le site de Bettencourt-Saint-Ouen (Somme) où l'analyse fonctionnelle a mis en évidence la recherche de pointes Levallois non arquées pour une utilisation (boucherie) équivalente à celles des éclats d'Hermies (Locht 2002); la différence tient à la dimension des outils utilisés, nettement moindre sur ce dernier site. Par ailleurs, les éclats préférentiels utlisés d'Hermies possèdent en commun une certaine symétrie d'ensemble et une continuité du fil qui échappent à la quantification, d'autant plus que l'esquillement des bords par utilisation, pour les pièces utilisées en percussion posée avec percuteur, gêne la lecture de la délinéation originelle des bords. La présence d'une retouche sur les portions de bords adjacentes au talon est un critère diagnostique et non un critère de choix, puisque ce ne sont pas des caractéristiques intrinsèques, produites au débitage (fig. 24); il existe cependant une forte corrélation entre leur présence et l'utilisation de l'éclat; les rares éclats préférentiels non utilisés qui portent ces retouches particulières présentent une symétrie et une régularité qui les signalent à l'attention. On peut les interpréter soit comme des marques de tailleur (Ploux 1989) soit, plus vraisemblablement, comme des aménagements liés à l'emmanchement, ou au confort d'utilisation à main nue : leur position est symétriquement opposée au tranchant utilisé pour ne pas entailler la paume. En ce qui concerne l'emmanchement, l'épaisseur du bulbe des éclats préférentiels, débités au percuteur de pierre dure (cf. supra), pourrait être un obstacle; certaines pièces utilisées ou “utilisables” présentent des traces morphologiquement comparables à un poli de bois sur les arêtes de la partie proximale (R22/25 et G20/3, D102/3, F103/71, AF70, O21/déb1) mais la convergence possible avec des stigmates d'origine taphonomique (Caspar et al. 2003) incite à la prudence. Pour résumer, les tailleurs d'Hermies effectuaient un premier choix au niveau de l'acquisition de la matière première en sélectionnant, dans une source de matière première unique, des blocs de dimension et de morphologie adaptées au seul schéma opératoire mis en oeuvre dans leurs ateliers; ils s'attachaient à produire, selon une méthode prédéterminée contraignante et avec plus ou moins de succès, un seul modèle de produit fini dont la variabilité se situe essentiellement dans les dimensions. Dans cette gamme de production, à laquelle il faudrait peut-être ajouter une production “exogène ”, mais conduite selon le même schéma, étaient sélectionnés pour usage les seuls éclats présentant un profil rectiligneet régulier; les éclats les plus gros étaient utilisés de préférence pour une percussion posée avec percuteur, les éclats les plus petits pour une percussion posée longitudinale, ces deux actions étant probablement liées dans le cadre d'une activité de boucherie (au sens large). Le recouvrement entre les deux types d'outil et la difficulté à discriminer statistiquement les deux groupes montrent en effet que ces deux gabarits n'étaient probablement pas bien définis lors du débitage (fig. 23). Se pose alors la question du rapport numérique entre production et utilisation : le pourcentage de pièces utilisées (et utilisables) est très faible, peut-être à nuancer en raison du phénomène d'échantillonnage lié à l'étendue de la fouille. La question se pose aussi de la destination des éclats préférentiels à dos, produits manifestement de façon volontaire et en nombre notable, selon un procédé d'ailleurs assez standardisé, mais qui ne semblent pas trouver leur place dans une catégorie fonctionnelle quelconque. La production domestique représente au moins un quart à la moitié des éclats préférentiels abandonnés sur chaque site (cf. supra et tabl. 6) (proportion probablement sous-évaluée, d'autant que les éclats fragmentaires cassés au débitage n'ont pas été pris en compte); or – apparemment – seule une très petite partie de ces éclats a été utilisée. A l'inverse, au moins un tiers des éclats préférentiels importés ont été manifestement utilisés et c'est dans cette catégorie que se trouvent les éclats préférentiels les plus symétriques et (globalement) les plus grands, tant dans le niveau a du Champ Bruquette que dans le niveau pléniglaciaire moyen du Tio Marché. Ainsi, le périmètre moyen des éclats préférentiels de la catégorie A (éclats abandonnés sur leur lieu même de production) est de 254 mm, alors qu'il se monte à 275 mm pour les éclats de la catégorie C2 (éclats déplacés d'un lieu de production peut-être exogène). On peut dès lors rechercher les raisons d'un tel taux d'échec et les modalités de sa gestion; on peut aussi tenter de dégager les principes d'un éventuel réseau de circulation entre sites, dans le cadre d'un nomadisme qui nous est largement inconnu. La réponse à ces questions, qui touchent à l'organisation des groupes moustériens et sous-entendent des notions économiques probablement très étrangères à ces populations, ne peut provenir que de recherches menées sur l'intégralité de sites bien conservés et sur une échelle d'analyse inter-site. Enfin, à une autre échelle, on peut se demander pourquoi certains groupes moustériens se sont tournés vers la production quasi-exclusive d'éclats Levallois préférentiels (comme à Hermies, Ault-Onival, Fitz-James, Roisel, Sains -en Amiénois, Auteuil, etc.) alors que d'autres groupes du même territoire ont fait d'autres choix tout aussi radicaux comme celui du débitage discoïde à Beauvais (Locht et Swinnen 1994). Il nous semble prématuré, dans l'état actuel de la documentation, de conférer à ces choix une signification chronologique, d'autant que les gisements suffisamment bien conservés pour ne pas être qu'un bilan d'occupations diverses ne sont pas légion. A cet égard, la vallée d'Hermies montre une répétition des choix techniques, du stade 5d au stade 3, qui va à l'encontre d'un modèle chronologique trop simpliste .
Des fouilles récentes sur deux gisements moustériens de plein air du nord de la France ont mis au jour plusieurs niveaux d'occupation bien conservés où des activités de taille ont été conduites au sein de postes de débitage clairement délimités. Le débitage du silex, d'origine locale, était totalement orienté vers la production d'éclats préférentiels selon un schéma Levallois linéal. En confrontant les données fournies par différentes approches (analyse technologique, remontages, analyse spatiale, tracéologie) nous avons tenté d'identifier les produits finis répondant aux exigences des utilisateurs. Une analyse statistique portant sur la quasi-totalité des produits finis, soit 127 éclats préférentiels, a montré que les critères de sélection des pièces produites à des fins d'usage de boucherie se limitaient essentiellement au choix des éclats préférentiels présentant un profil longitudinal strictement rectiligne. La production, bien que fortement normalisée, admettait une certaine variabilité dimensionnelle; au sein de cette gamme, les utilisateurs ont, dans un des niveaux, sélectionné deux formats assez lâches correspondant à deux types d'utilisation distincts. On pose également le problème de l'économie du débitage et des rapports entre la production effectuée sur place et les produits importés.
archeologie_08-0040100_tei_251.xml
termith-37-archeologie
On peut considérer que l'habitat gaulois des Pichelots est un village de plaine, tellement le plateau dont il occupe la légère pente vers le sud est peu élevé au-dessus des thalwegs environnants. Il est situé sur la commune des Alleuds, à 20 km au sud-est d'Angers et à 4 km au sud de la petite ville de Brissac. Il est établi sur une épaisse couche de graviers estuariens d' âge Cénomanien. La pierre est inexistante sur place et n'a pas été utilisée pour les constructions, pas même pour les fondations. Les traces de bâtiments y sont pourtant nombreuses et le bois a été largement utilisé. Le champ de fouille se trouve, encore actuellement, à moins de 100 m de l'orée de l'antique forêt de Brissac et, bien qu'il soit en bordure d'une voie protohistorique, l'habitat occupait très probablement une clairière de la forêt. Les graviers quartzeux acides et secs où nous fouillons des structures en creux rebouchées, silos, dépotoirs, puits, sont absolument impropres à la conservation des débris ligneux, à deux exceptions près : les bois carbonisés et les bois situés en dessous de la nappe phréatique au fond des puits. Néanmoins, même dans les portions sèches superficielles, l'existence de bois peut être reconnue par les images virtuelles qu'en donnent les moulages des pièces ligneuses disparues lorsqu'une matrice en garde l'empreinte : c'est tantôt de l'argile plus ou moins cuite, tantôt des sables et graviers agglomérés par des oxydes naturels, parfois de la rouille au contact des objets de fer. Une palissade de bois devait cerner le village (fig. 1, n° 1). Son implantation apparemment circulaire et légèrement sinueuse se faisait dans un étroit fossé que nous avons suivi sur une longueur de 230 m. C'est contre ce fossé, du côté interne de sa courbure, que se massaient les trous de poteaux des constructions. La section du fossé montre une forme en Y avec une saignée centrale plus profonde pour recevoir la base de la palissade (coupe n° 4). L'existence de celle -ci nous est prouvée parce que, par endroits, nous avons constaté que deux remplissages nettement différents par leur granulométrie, l'un d'origine externe, l'autre interne, se heurtaient sur la ligne médiane, en une verticale, sans se mélanger, traduisant l'existence d'un écran séparateur. Autre constatation : deux fouilles minutieuses portant chacune sur une longueur de fossé de 5,5 m en deux points distants de 180 m (n° 1, zones A et B), nous ont montré des enfoncements cylindriques de 15 à 30 cm de diamètre, disposés en quinconce irrégulier, dans le fond du fossé, sur ses pentes et sur ses bords. Les plans détaillés (n° 2 et 3), qui rendent compte de cette disposition (en courbes de niveaux) suggèrent l'étaiement de la palissade par des poteaux; consolidation peut-être secondaire (n° 4). Le contenu de ce fossé est archéologiquement stérile, ce qui montre son implantation initiale avant l'habitat prolongé (lequel n'eut pas manqué de lui livrer quelques tessons). Un puits avec du matériel de La Tène III, qui recoupe cette palissade, en indique le terminus chronologique. Dans le gravier très serré qui constitue le sous-sol du gisement, il était impossible d'enfoncer un pieu par simple percussion; les habitants ont dû, ici comme ailleurs, creuser des fosses notablement plus grandes que le tronc auquel elles étaient destinées. De ces fosses, au plan généralement circulaire, nous n'avons que la partie inférieure puisqu'elles sont recouvertes de 30 à 50 cm de terre remaniée par les cultures actuelles (fig. 1, n° 5). Leur diamètre à l'ouverture varie de 35 à 120 cm avec une valeur médiane de 65 cm. Dans le cas particulier et plus rare de fosses accueillant deux poteaux, elles peuvent être plus grandes et de forme allongée ou rectangulaire (n° 7). Les trous de poteaux les plus indiscutables sont ceux qui nous montrent le fantôme noir du poteau lui -même. Seule la carbonisation, donc pratiquement l'incendie, a pu réaliser cette ombre formée d'un semis de braises ne dépassant pas le centimètre cube chacune, noyées dans une poudre de charbon de bois. Sur 263 trous 32 présentent ces fantômes. Ces taches ont régulièrement des sections circulaires mesurant 15 à 25 cm de diamètre. Sur une coupe verticale le cylindre sombre semble s'effiler vers le bas (n° 5). En l'absence de ces traces colorées, l'existence d'un poteau nous est souvent prouvée par la présence au fond du trou d'une cupule ou cuvette de faible diamètre légèrement surcreusée (n° 6). Étant donné la dureté du sol, il est peu probable qu'elle soit due au martèlement sur la tête du pieu. On peut croire qu'elle a été forée volontairement pour préciser plus exactement la position du pied du poteau. Il est fréquent, en effet, que ce surcreusement ne centre pas la grande cavité mais soit désaxé, rectifiant ainsi un alignement initial imprécis (n° 6). Sur 263 trous de poteau, 41 montrent cette espèce d'ombilic, quelques-uns mêmes présentent à la fois fantôme et surcreusement (n° 8). Malgré quelques alignements évidents, nos relevés ne permettent pas d'établir le plan des constructions dans l'enclos. La surabondance des trous est une gêne et le jeu des reconstitutions reste trop problématique. Il manque aussi tous les emplacements de pieux peu profondément enfoncés, maintenant dilués dans la terre arable remaniée. Outre le groupement déjà signalé contre la palissade d'enceinte, on note plus à l'intérieur, dans la zone des puits et des silos, des trous plus lâchement dispersés qui pouvaient soutenir une couverture légère au-dessus de ces structures (cf. plan général n° 1). Moins banal qu'une palissade ou des trous de poteaux dispersés, nous est apparu le cuvelage des puits des Pichelots. Dès le premier puits fouillé (locus 6) nous nous sommes rendu compte que, même lorsque la cavité que nous vidions était de forme cylindrique ou tronconique, la lumière du puits ancien devait avoir eu une section carrée. En effet, en avant des parois concaves de graviers en place plus ou moins excavées ou éboulées, de larges décollements par plans verticaux orthogonaux, parfois marqués par un feutrage de racines, séparaient des remplissages différents. Le comblement central, plus noir et souvent bourbeux, est plus riche en débris archéologiques alors que le comblement périphérique, plus clair et gravillonneux, reste presque ou tout à fait stérile. Par la suite tous les puits nous ont montré soit une coupe carrée sur toute leur hauteur (n° 9), ce qui est assez rare, soit au moins un segment présentant une telle section, segment généralement situé à moyenne profondeur et aussi tout au fond. Vers la surface, une fréquente forme en entonnoir semble due au ruissellement et, en profondeur, un peu au-dessus de la nappe phréatique, des affouillements réalisent des éboulements en cloche (n° 10). C'est aussi de la fouille du premier puits que nous avons déduit la présence d'un cuvelage de planches, en examinant les sections verticales. En effet, celles -ci montraient, régulièrement échelonnées en hauteur, des langues de graviers propres qui s'insinuaient dans la zone centrale plus sombre à partir de la zone périphérique (n° 11). On pouvait en conclure à des échappées, vers la lumière centrale du puits, de graviers provenant du remplissage périphérique et s'infiltrant entre des planches. Finalement, le cinquième puits fouillé, en nous livrant un cuvelage de bois conservé en dessous de la nappe phréatique, nous a montré la justesse des précédentes déductions (cf. fig. 2). Nous avons d'abord extrait, à 6 m de profondeur et dans le plus grand désordre, 26 morceaux de bois fendus en long. Huit d'entre eux seulement dépassaient 75 cm de longueur; leurs extrémités étaient soit arrondies et comme polies (n° 16), soit au contraire déchiquetées et comme échevelées (n° 17). Plus bas, le cuvelage quadrangulaire était intact sur plus d'un mètre de haut. Il est formé de bastaings disposés en carré et réunis dans les angles par des assemblages de type mi-bois (n° 12). J'ai employé l'expression à mi-bois parce qu'elle est bien connue, mais en réalité ici les ajustages sont plus proches du tiers et c'est beaucoup mieux ainsi. En effet, dans un ajustage à mi-bois, ou bien on fait un montage inversé (n° 13) et les cadres superposés peuvent alors glisser les uns sur les autres sous une poussée latérale, ce qui est néfaste dans un puits, ou bien on fait un montage de même sens (n° 14) qui évite l'inconvénient précédent. Mais alors les tenons deviennent porteurs et si les mesures en hauteur des bastaings ne sont pas impeccablement égales on risque qu'ils ne soient plus jointifs. Dans l'assemblage que nous avons ici, proche du tiers avec un montage inversé, chaque bastaing repose directement sur celui qui lui est sous-jacent. Les tenons ne sont donc plus porteurs et on a presque un tiers du jeu pour résorber les éventuelles inégalités dans la hauteur des bastaings. Cette technique est donc très intelligemment conçue (n° 15). Par contre, faute d'outillage perfectionné, la réalisation est assez peu soignée. Les bastaings ont été obtenus par fente, selon le fil du bois, dans des troncs de chêne. Ce travail a pu être fait au coin ou à la hache frappée. Dans ces conditions le parallélisme des faces n'est qu'approximatif (n° 18 à 24); il n'y a eu ni sciage, ni rabotage. Toutefois, lorsque la distorsion des faces était trop grande, un travail à l'herminette a nivelé les bombements par des enlèvements parallèles, pour la plupart très plats (fig. 2, n° 20; fig. 3, n° 29). Un coup d'herminette unique, pratiqué transversalement, je ne sais pourquoi, sur le bastaing B2 a permis d'évaluer la largeur du fer à 7,5 cm; c'est exactement la mesure d'une herminette retrouvée dans le puits 150 de notre site (cf. infra, n° 32). Le travail avec ce type d'outil a parfois été effectué sur la tranche des bastaings par petits coups rapprochés espacés de 4 à 5 cm (n° 18). La section de nos pièces de bois étant le plus souvent en forme de trapèze allongé, c'est la plus petite base qui a été régulièrement placée vers le haut (n° 24). Le tronçonnement des extrémités et le dégagement du tenon d'assemblage, avec sectionnement par le travers du fil du bois, a été pratiqué à la hache; il est de ce fait assez grossier et ignore l'angle droit. Dans un premier cas l'extrémité présente an angle rentrant assez obtus (n° 21 et 23 à gauche). La hache s'abattant pourtant bien perpendiculairement au bois ne peut, du fait de sa section triangulaire et du frottement du flanc de la lame contre la tranche ligneuse, suivre qu'une ligne oblique, et ce dès le second coup. Nous avons observé ce fait 16 fois. Dans un second cas, voulant réagir contre la tendance précitée, l'ouvrier a incliné son instrument pour donner les coups terminaux. La tranche présente alors un bombement central bien observé dans huit cas (n° 22 et 23 à droite). Si l'on considère qu'en fin de course le fer de la hache, qui a perdu alors presque toute sa force vive, ne tranche plus mais écrase seulement une ligne de fibres de bois, on peut, en comptant les zones ainsi meurtries, estimer que cinq à huit coups de hache ont été donnés pour trancher la partie la plus haute de l'extrémité des bastaings. Les zones écrasées se marquent aussi souvent par de légers reliefs échelonnés (n° 19). S'il frappe de façon répétée dans la même entaille, le fer est rapidement stoppé; aussi l'artisan, en bon bûcheron, a su alterner les coups verticaux et des coups très obliques proches de l'horizontale, pour détacher des copeaux du fond de l'encoche. Les derniers coups portés, tant verticaux qu'obliques, se lisent aisément sous forme d'incisions nettes. Sur un exemplaire j'en ai relevé 13 verticales dont deux doubles et cinq obliques. D'après les traces relevées, quatre à cinq coups ont suffi pour trancher l'extrémité des tenons. Une hache assez lourde a dû être employée; la hachette à douille trouvée dans le puits 369 (cf. infra, pl. III, n° 35) aurait été incapable de travailler ainsi le chêne. La longueur des bastaings, tenons non compris, est la seule mesure à respecter impérativement pour avoir un cuvelage à intérieur carré. En pratique, elle varie en effet assez peu allant de 87 à 93 cm et donnant une mesure moyenne de 90,88 ± 2,4 cm. L. Goulpeau, du laboratoire d'archéométrie de Rennes a bien voulu m'indiquer que cette valeur est très proche de 3 pieds romains de 29,54 cm (88,62 cm). Par ailleurs, si l'on mesure les tenons depuis leur base jusqu' à la première incision verticale et non jusqu' à l'extrémité qui est souvent bombée, on obtient des chiffres très proches de 7,5 cm qui est la palme romaine (n° 23). On a vu plus haut que c'était aussi la largeur de l'herminette retrouvée sur le site. Les 31 puits des Pichelots ont des sections carrées avec des largeurs pouvant exactement convenir à des cuvelages de la taille de celui que nous avons retrouvé. Ces cuvelages étaient montés de haut en bas en suivant la progression du creusement. Nous en avons pour preuve deux puits amorcés et non terminés, qui présentent l'un et l'autre les rainures verticales ou les trous échelonnés destinés à recevoir les extrémités des bastaings qui dépassent. L'un a été arrêté pour une raison inconnue à 1,4 m de profondeur (n° 26) et l'autre à 1,6 m parce qu'il a rencontré fortuitement une grande fosse comblée dont le souvenir avait été perdu (n° 27). Il n'est pas certain que cette technique de boisage avec de lourds bastaings de 5 cm d'épaisseur ait été utilisée pour tous les puits. Un fond de puits (locus 47) nous a livré, très pourri, le reste d'un encadrement fait de quatre planches de 2 cm d'épaisseur environ, dont une seule est bien conservée. Elles se croisent d'assez peu dans les angles du carré, mais trois poteaux, dont un seul véritablement trouvé en place, devaient être plantés dans les angles. Deux de ces poteaux appointés sont les deux moitiés d'un même tronc de 12 cm de diamètre, fendu par son milieu (n° 25). Un autre fond de puits (locus 16) est bordé, sur trois côtés seulement, de planches s'appuyant bout à bout et à angle droit dans les angles sans autre soutien (n° 28). Elles tiennent bien ce pendant, car elles ont été à moitié enfoncées dans une couche d'argile en place qui n'occupe qu'une partie du fond, se terminant en biseau pour laisser place à la couche de graviers sous jacents d'où sourd l'eau de la nappe. Le carré a, lui aussi, 90 cm de côté. Trois morceaux de planche non en place pouvaient provenir du troisième côté ou des assises d'au-dessus. Trouver des empreintes de bois dans le creux des douilles d'instruments de fer est quasi constant sur notre site et ne nous apprend rien, car on se serait évidemment douté que serpettes, faucilles, hachettes, herminettes ou même douilles indéterminées, isolées par cassure, avaient initialement des manches ou poignées de bois (n° 31 à 35). – Une sorte de coutelas de boucher incurvé, garde traces d'un manche de bois riveté encadrant sa soie plate (n° 37). – C'est probablement à une gaine de bois qu'appartiennent les fibres collées par les oxydes contre la lame d'un couteau à poignée bouletée (n° 36). – Un demi-jonc de fer incurvé, d'une hauteur de 14 mm pour une épaisseur de 5 mm (puits 39) montre, du côté interne, une série de fibres imprimées dans la rouille qui lui sont perpendiculaires. C'est de toute évidence le cerclage d'un seau de bois, de hauteur inconnue mais d'un diamètre externe (non compris le demi-jonc) de 23 cm (n° 38). – Appartenant aussi au cerclage d'un seau probablement, puisque sa concavité est couverte de fibres transverses, un unique élément courbe qui a 3 cm de haut pour 2 cm d'épaisseur est notablement plus volumineux que le précédent, alors que sa courbure indique un récipient à peine plus grand avec 26 cm de diamètre (silo 213; n° 39). La réputation des tonneliers gaulois étant bien assise, ces deux trouvailles ne surprennent pas. Sont énigmatiques, par contre, les trouvailles du locus 27. Elles sont contenues dans la plus vaste fosse du gisement, fosse qui a peut-être été creusée à leur dimension dans le sommet d'un puits abandonné. Il s'agit de bandes d'un feuillard un peu épais, 2 mm, comparables en aspect à nos cerclages de tonneaux modernes (n° 40). Ces bandes, au nombre de 5, larges de 4 cm, étaient disposées obliquement par rapport à la verticale, parallèlement entre elles, mais à des distances variables (du sud au nord : 35, 47, 12, 43 cm). Elles portent irrégulièrement des trous dont certains sont encore munis de gros rivets. L'ensemble de ces bandes est replié par-dessous selon une droite oblique sans que leur parallélisme en soit affecté. On peut en conclure que quelque chose les reliait et comme elles portent toutes, sur une face, transversalement, dans la rouille, les stries de fibres ligneuses, on est conduit à penser que ce lien était des planches. On a donc affaire à une surface de plus de 2 m 2, formée de planches parallèles unies par des transverses de fer rivetées. À quoi pouvait servir ce grand panneau que l'on a plié en deux pour l'introduire de force dans une fosse ? Il faut noter que, 3 cm sous le point le plus bas de ces bandes métalliques et dans un plan horizontal, on a trouvé trois épaisses plaques de fer irrégulières ayant de 20 à 40 cm de plus grande longueur. L'une portait un crochet à sa face inférieure, une autre présentait un bord arqué percé de 5 trous de rivetage distants de 4 cm. Quelques centimètres plus bas, se trouvaient d'autres ferrailles : gros anneau, crochet, maillons, tiges de section carrée. Mais tout cela faisait-il partie d'un même engin, d'usage indéterminé ? À plusieurs reprises, nous avons trouvé, comme effondrée sur de petites soles de foyers circulaires englobant des tessons, des morceaux d'argile cuite armés de baguettes de bois carbonisé, ou simplement leur moulage. On peut penser qu'il s'agit des débris de voûte de petits fours ménagers comme on en utilise encore au Moyen-Orient (n° 41). Toutefois nous n'avons pas trouvé de baguettes incurvées, mais des éléments droits d'une dizaine de centimètres de long pour un diamètre de presque un centimètre (n° 46). L'image de la hutte enfumée faite de torchis grossier, chère aux manuels périmés, doit être abandonnée, on le sait. Nous n'avons pas ici de véritable torchis fait de terre et d'herbes, mais plutôt des clayonnages revêtus d'argile. Nous retrouvons dans les morceaux durcis par la cuisson, involontaire ou préméditée, les baguettes de 1 cm de diamètre et perpendiculairement à elles des branchettes souvent garnies de leurs feuilles. J'ai cru reconnaître l'orme et le chêne (avec un gland) dans ces empreintes sur la glaise (n° 42 et 43). Le revêtement argileux de ces claies est épais et parfois soigneusement lissé. De plus il est souvent revêtu de peinture. Celle -ci, maintes fois faite et refaite, est un lait d'argile blanche ou rose, plus rarement bleutée. Nous avons même retrouvé, jetés au dépotoir, les pots contenant encore les restes de ces badigeons. Non seulement la couleur, mais aussi le relief contribuaient au décor des parois. Nous avons en effet des demi-colonnes engagées faites de la superposition de demi-cylindres d'argile fortement mêlée de graviers. Latéralement, ils semblent se lier aux parois et sont, comme elles, lissés et peints. Ils présentent deux diamètres, l'un de 8, l'autre de 5 cm environ (n° 47 et 49). Régulièrement associés à ces demi-colonnes, dans les mêmes tas de débris retrouvés dans les fosses, des reliefs argileux allongés, de section globalement triangulaire, sont armés par des baguettes dans le sens de la longueur. La face extérieure de ces reliefs est facettée en escalier par des applications de longues éclisses de bois (peut-être du châtaignier). Celles -ci sont carbonisées ou disparues, mais leur empreinte est celle de baguettes plates de 1 cm d'épaisseur pour une largeur de 2 cm (n° 48). N'ayant pas retrouvé d'angle droit affectant ces sortes de moulures, nous ne savons pas si elles constituaient des panneaux fermés. Nous les supposons verticales et parallèles aux demi-colonnes, mais sans savoir à quelle distance de celles -ci elles se trouvaient. Le textile ne nous est connu qu'indirectement par la présence de quelques fusaïoles et de nombreux poids de métier à tisser. Une batterie de 12 très gros poids (jusqu' à 4 kg) a même été trouvée rangée dans une fosse n° 122 (n° 51). Comme travail de l'os, bien que les ossements de cuisine soient souvent bien conservés, nous ne pouvons citer qu'un os façonné; c'est une simple pendeloque perforée, bien polie (n° 52). Pour être complet il nous faut citer, mais comme élément importé, le bouchon de liège d'une amphore républicaine Dressel 1 A, et la résine blonde à forte odeur vineuse qui l'englobait encore. Ce bouchon était resté dans le col, à 16 cm du bord de la lèvre. Il n'était plus recouvert de pouzzolane. Épais de 20 mm, il est de forme tronconique aplatie avec 86 mm de diamètre supérieur et 81 mm d'inférieur. Un petit trou en son centre avait permis à la résine de trouver un chemin vers l'extérieur (n° 53). Les enduits intérieurs noirs de nos amphores sont, semble -t-il des goudrons minéraux. En résumant les utilisations du bois aux Pichelots, on peut constater que certaines sont banales et bien connues ailleurs, ce sont les trous de poteaux, la palissade, les clayonnages, la tonnellerie, les manches d'outils. Au contraire, d'autres apparaissent plus originales, tels les cuvelages quadrangulaires des puits, les surfaces de planches unies par des feuillards rivés, les applications décoratives sur les parois .
Présentation - Résumé : Découvert fortuitement à l'occasion de l'exploitation d'une gravière, probablement entre 1957 et 1963, le site des Pichelots (coordonnées Lambert : x = 389,9 - 390,1 ; y = 2261,4 - 2261,7 ; réf. Carte archéologique de la France « Patriarche »: 49 001 0008) fit, sous la direction de M. Gruet, l'objet de fouilles ponctuelles à partir de 1973 - les premières relations commencent en 1971 - puis, à partir de 1980, d'études approfondies à la suite des décapages préliminaires systématiques des terres superficielles par l'exploitant de la carrière, Bernard Loriou (fait chevalier des Arts et Lettres en 1983). La surface actuellement étudiée approche les cinq hectares au total - l'extension estimée du village gaulois est de sept hectares environ - pour une exploitation actuelle la de carrière de neuf hectares environ. Le site fut fouillé par M. Gruet de 1973 à 1993, aidé de B. Passini et J. Siraudeau. Deux autres interventions ponctuelles en 1997 (D. Prigent et J.-Y. Hunot; Service départemental d'Archéologie du Conseil général de Maine-et-Loire) et en 2002 (J.-Ph. Bouvet et Rolande Simon-Millot; Direction régionale des Affaires culturelles des Pays de la Loire) compléteront les observations de M. Gruet. Du vivant de l'auteur (décédé en 1998; cf. L'Helgouac'h, 1998; Siraudeau, 1998), le site, pour ce qui concerne la période du second âge du Fer, n'a fait l'objet que de quelques publications préliminaires (notamment Gruet et Passini 1985; 1986) et d'un article consacré aux monnaies gauloises (Aubin et al., 1982). Le site en général, ainsi que le puits 30 et des mobiliers (amphores, monnaies, fibules et céramiques, pesons de métier à tisser notamment) ont été presentés sous forme de notices (13 au total) dans le catalogue consacré à l'exposition Nos ancêtres les gaulois aux marges de l'Armorique (Santrot et Meuret [dir.], 1999). Une publication globale du site, structure par structure, assemblage de mobilier par assemblage, est en préparation (sous la direction de G. Aubin, J.-Ph. Bouvet, A. Levillayer et J. Siraudeau). Le village des Pichelots a fait aussi l'objet (par les mêmes auteurs) d'une notice en 2005 dans le cadre du Projet collectif de Recherche sur les agglomérations secondaires gallo-romaines de Bretagne et des Pays de la Loire. J. Siraudeau en a déjà étudié la totalité des amphores et le mobilier céramique des Pichelots, totalement réétudié, est intégré dans la thèse en cours de A. Levillayer. Le site, de par le mobilier seulement publié à ce jour - nombreux fragments d'amphores républicaines, céramiques largement tournées, fibules, monnayage gaulois - a été placé à La Tène finale. Mais la reconstitution en cours des assemblages de mobilier expose une problématique complexe quant à la datation du village et à son évolution chronologique, à savoir de La Tène C à la fin de La Tène D, voire au delà. Néanmoins, il nous a semblé important de publier, en hommage à M. Gruet, ce manuscrit daté de 1988 ', proposé par son fils Yves et consacré aux observations très précises que le fouilleur avait pu effectuer, malgré des conditions a priori défavorables, sur les structures en bois et autres matières organiques développées par les habitants des Pichelots. Ces structures en bois consistent en restes de poteaux correspondant à une palissade établie dans un fossé qui devait entourer l'habitat et à des constructions plus ou moins adossées à celle-ci (mais dont les plans n'ont pu être restitués). Cependant, ce sont surtout les traces de cuvelages repérées dans bon nombre de puits (plus de 31 furent étudiés en 1988) qui ont révélé tout un savoir-faire technique à partir de l'étude des pièces de bois préservées. Il ne faut pas négliger non plus les indices liés au tissage, à la tonnellerie ou à la décoration du bâti, ni les outils en fer et les ferrures associés au travail du boïs ainsi qu'à sa mise en oeuvre. Toutes ces observations et études de M. Gruet, issues de ce manuscrit, seront intégrées à la publication générale du site en les réactualisant et en les replaçant dans les problématiques récentes de la recherche sur les âges du Fer.
archeologie_08-0202216_tei_170.xml
termith-38-archeologie
Les travaux de P. Gouletquer et son équipe à la fin du xx e siècle ont permis de recueillir un corpus exceptionnel de sites de surface attribués au Mésolithique sur le département du Finistère (Gouletquer et al., 1996). Le fil conducteur de ces travaux était l'organisation de l'espace préhistorique, perçue de manière préférentielle par la circulation des matériaux taillés. L'origine géologique des principales roches débitées a pu être établie à l'occasion. Par ailleurs, les nombreux sondages et fouilles réalisés depuis les années 1970 ont permis de dresser un premier cadre chrono-typologique pour la région (Gouletquer, 1973; Rozoy, 1978; Kayser, 1991). Depuis 2000, nous tentons de mêler les deux gammes d'information pour expliquer les variations de la dispersion des roches au cours du Mésolithique (Yven, 2003; Marchand, 2005a). Les réflexions s'engagent désormais sur la variabilité technique et stylistique en fonction de la nature des roches taillées (Costa et Marchand, 2006; Tsobgou, 2006). À partir d'analyses pétrographiques et mécaniques, nous pouvons nous interroger sur ce que les tailleurs mésolithiques de Bretagne ont dû sacrifier de leurs normes techniques pour réaliser des outils minces, allongés et réguliers, sur des roches inadaptées. La nature de ce que les hommes ont accepté de modifier ou au contraire de ne pas négocier est des plus éclairantes pour la compréhension de ces sociétés de la Préhistoire, tant en ce qui concerne les liens intercommunautaires que les représentations mentales de l'outillage. Si les stratigraphies sont globalement absentes pour ordonner les entités techniques entre elles, les fouilles et sondages permettent de disposer de 43 dates par le radiocarbone de la Basse-Normandie aux Pays de la Loire, l'essentiel d'entre elles ayant été obtenues sur les amas coquilliers du sud de la Bretagne si prodigues en matériaux organiques. Pour le premier Mésolithique (X e au VIII e millénaire avant J.-C.), les informations sur la subsistance sont sporadiques, la transgression marine ayant ennoyé les habitats côtiers et l'acidité des sols ne laissant aucune trace des vestiges fauniques. Par ailleurs, les datations obtenues permettent de placer certaines entités techniques sur l'axe du temps, ainsi du groupe de Bertheaume dans le Finistère entre 8 300 et 7 500 avant J.-C. Dans ce cas, un effet de plateau majeur dans la courbe de calibration étale malencontreusement les intervalles de temps (Blanchet et al., 2006). En Bretagne intérieure, on perçoit à cette époque une acquisition des matériaux qui laisse une faible part aux roches autochtones, au profit des galets de silex glanés sur le littoral (Yven, 2003). Ce n'est qu'avec la stabilisation de la remontée de l'océan que les habitats liés à l'exploitation des ressources marines sont parvenus jusqu' à nous. Le fort taux de carbonates lié aux coquilles a également eu raison de l'acidité des sols; les ossements d'animaux ont été préservés. Le second Mésolithique (VII e au V e millénaire avant J.-C.) est dès lors plus facile à comprendre. Les trois petits sites de la Pointe Saint-Gildas (Préfailles, Loire-Atlantique) témoignent du début des industries à trapèzes. Il s'agirait de stations logistiques destinées à l'exploitation de certaines espèces de coquillage et peut-être d'autres proies de l'estuaire de la Loire. Les habitats du 6 e millénaire dans le sud de la Bretagne offrent davantage d'informations : Beg-an-Dorchenn (Plomeur, Finistère) daté de l'intervalle 5 800-5 400 avant J.-C., Téviec (Saint-Pierre-Quiberon, Morbihan) daté de 5 500-5 200, Port-Nehue (Hoëdic, Morbihan) daté de 6 100 à 4 350 avant J.-C. et Beg-er-Vil (Quiberon, Morbihan) daté de 5 000 à 4 500. Sur ces espaces côtiers, on peut décrire une économie de prédation à large spectre (Tresset, 2005; Dupont et al., 2007), avec de vastes sites à déchets coquilliers et nécropole occupés à l'année, entourés de stations logistiques. Par ailleurs, les prospections au sol menées par P. Gouletquer et son équipe (1996) ont permis de recenser sur le seul département du Finistère 1213 parcelles livrant des pièces lithiques. En apposant une grille d'identification, nous avons d'abord pu proposer une attribution chrono-culturelle pour 155 sites, soit 12,8 % de ce catalogue. Par la suite, grâce aux informations fournies par des collègues et à nos prospections, nous avons augmenté ce corpus pour atteindre en avril 2004 le nombre de 1 318 sites. Dans ce corpus, 687 collections ont pu être observées, voire étudiées, avec un total de 96 391 pièces lithiques décomptées (travail inédit réalisé pour l'essentiel par P. Gouletquer entre 1989 et 2001). Parmi celui -ci, 200 ont pu être attribués à différentes périodes de la Préhistoire par la typologie des outillages, soit 15,2 % de l'ensemble. Enfin, 130 sites contenaient des armatures mésolithiques, seule condition pour être déclaré mésolithique (4 % de Mésolithique ancien, 35 % de Mésolithique moyen, 38 % de Mésolithique final et 23 % de Mésolithique indéterminé); si l'on ne prend en compte que les ensembles de plus de trente pièces, il reste 92 sites que l'on peut aujourd'hui qualifier de mésolithiques dans le Finistère. Une série de sondages a été effectué entre 2001 et 2003 pour mieux définir la nature de ces sites de surface. Il semble évident que l'érosion d'origine agricole, qui justement a permis la révélation de ces vestiges lithiques, a souvent détruit une grande part des niveaux archéologiques. Par ailleurs, des facteurs érosifs naturels ont souvent altéré ces sites, la plupart des limites des épandages de vestiges étant corrélé à la disparition des unités stratigraphiques originelles (Marchand, 2005b). De ce fait, il devient difficile d'utiliser leurs dimensions pour décrire leur place dans un réseau d'exploitation du territoire. Un vaste épandage de silex témoigne -t-il du camp de base d'une communauté humaine ou bien d'une multitude de sites logistiques, témoins d'occupations successives ? À ce stade d'information, et par effet de contraste avec des concentrations plus limitées (par exemple les sommets de falaise ou les abris-sous-roche), il est seulement possible d'assurer qu'il s'agit d'un lieu important dans les cycles de déplacement des hommes. Par l'analyse des territoires d'acquisition des matériaux, puis la typologie des outillages, nous avons pu identifier certaines structures territoriales à la fin du Mésolithique en Bretagne : Le silex ramassé sous forme de galets roulés sur les estrans est la matière privilégiée dans la production lithique (en moyenne 77 % du nombre total des pièces au second Mésolithique contre 86 % au premier Mésolithique, quantités mesurées seulement sur les sites éloignés des affleurements des « roches de substitution »), avec une diffusion centripète vers l'intérieur de la péninsule. La limite de diffusion des roches issues du Massif armoricain est comprise entre 30 et 50 km. Les roches locales sont très rarement découvertes sur le littoral (ce dernier est généralement situé à une vingtaine de kilomètres des zones d'affleurements des roches autochtones, par les hasards de la géologie – Fig. 1), ce qui contredit l'idée de complémentarité entre les territoires littoraux et continentaux d'un hypothétique groupe nomade. Il ne semble pas y avoir d'échanges de roches métamorphiques locales entre le sud et le nord de la péninsule (Fig. 2) Le classement des bitroncatures symétriques (armatures) suivant leurs proportions ou leurs aménagements montre trois types sensiblement différents en Sud-Finistère, Nord-Finistère et Morbihan, sur des aires d'environ 60 km de diamètre. Styles techniques et aires de diffusion semblent donc s'accorder pour nous laisser décrire des espaces fragmentés. Cette organisation originale des territoires est le fruit d'une situation géopolitique, c'est-à-dire de la nature des relations que les différents groupes arpentant la Bretagne entretenaient. Mais cette économie des matériaux est dépendante de deux autres paramètres : la nature des roches taillables, c'est-à-dire l'éventail des possibles; le bagage technique, concept dans lequel nous intégrons la représentation mentale de l'outil fini. À chaque étape du processus d'acquisition des matériaux, l'importance des relations sociales et politiques établies par les hommes du Mésolithique apparaît clairement. On saisira aisément que, dans le cas d'approvisionnement indirect, l'accès à un matériau est lié aux relations entretenues avec la communauté humaine qui contrôle l'affleurement. Mais la nature de ce qui est fabriqué est également conditionné par les normes et styles en vigueur dans les communautés alentours, puisque les processus d'affirmation identitaire ou de rapprochement existent d'abord par effet de contraste. La configuration terminale de l'industrie sera le résultat de ces négociations, dont nous souhaitons aujourd'hui comprendre la nature. Qu'est ce qui a été sacrifié ? Qu'est ce qui a été conservé ? Sur ce massif ancien, la rareté des formations carbonatées, et donc des silex qu'elles contiennent, est la contrainte majeure pour le tailleur qui souhaite obtenir des outils longs, minces et à bords coupants. Pour y faire face, les groupes humains ont procédé soit à l'importation à longues distances depuis le Bassin parisien, le seuil du Poitou ou le Bassin aquitain (jusqu' à 300 km pour les sites du Finistère), soit au travail des roches locales avec des distances d'acquisition bien moindres. Au Mésolithique, cette tension a principalement été résolue par un usage d'abord des galets de silex présents sur le littoral, mais aussi de roches siliceuses d'origine métamorphiques (Fig. 1). Dès le Néolithique ancien, le basculement des réseaux économiques et de la notion d'outil est particulièrement manifeste, ce qui contraste aisément avec les pratiques et représentations mésolithiques. Le Massif armoricain est subdivisé en trois grands ensembles, délimités par les deux grands systèmes de failles qui le structurent : le domaine nord armoricain limité au sud par le Cisaillement Nord Armoricain (CNA), le domaine centre armoricain situé entre le CNA et la Branche Nord du Cisaillement Sud Armoricain (BNCSA) et le domaine sud armoricain qui va de la BNCSA jusqu' à la limite sud-est de la nappe de Champtoceaux. Ces trois grands ensembles sont marqués par leur évolution différente pendant de longues périodes géologiques. Les matériaux métamorphiques sont représentés par les ultramylonites et des cataclasites des cisaillements nord et sud armoricain, ainsi que par les quartzites nord armoricains comme le microquartzite de la Forest-Landerneau (microquartzite FL). Ces matériaux métamorphiques se développent le long des grands cisaillements qui structurent le Massif armoricain. Ils ont été mis en place à la suite des grands mouvements hercyniens. La nature minéralogique des roches sédimentaires est plus constante que celle des roches métamorphiques. Les roches sédimentaires sont le silex, principalement issus des cordons littoraux, les phtanites nord armoricains (Bretagne et Normandie) et sud armoricains (Vendée), les grès éocènes centre armoricains (connus sous le nom de grès lustrés) et les quartzites sud armoricains (encore appelés quartzarénites de Montbert). L'identification des matériaux les plus aptes au débitage mis en place par les populations du Mésolithique breton obéit à des règles basées sur les structures. Les cordons de silex littoraux ont une structure plus homogène (bien triée) à cause du brassage marin qui altère les structures les plus hétérogènes. Les blocs résiduels possèdent par conséquent une plus grande constance dans la structure (mudstones, à l'exception des blocs qui montrent de nombreuses anfractuosités liées à l'altération mécanique). Les grès d' âge Eocène présentent une plus grande diversité des structures. Au nord de la Vilaine, on rencontre essentiellement les faciès peu homogènes et submatures (grains anguleux à subarrondis). Ces grès sont constitués en grande partie de mégaquartz et leur forte hétérométrie témoignent d'un faible transport des sédiments. Il existe cependant des faciès d'argilite issus de remaniements au cours du Pléistocène (Monnier, 1975). Au sud de la Loire, on note à la fois la présence de faciès d'arénite et d'argilite. Le matériau a une structure bien triée et mature (grains arrondis), dont la finesse en fait un matériau concurrent des silex littoraux des Moutiers-en-Retz. Les matériaux sédimentaires comportent également des formations issues de l'altération pédologique d'autres formations. Ce sont pour l'essentiel des silcrètes qui jonchent par endroits le Massif armoricain. Ces altérites sont présentes en faibles quantités au sein des ensembles lithiques du Mésolithique. Elles sont constituées essentiellement de microquartz équigranulaire, accompagné de calcédoine, de goethite, d'hématite et de rutile. La densité des oxydes de fer et la cohésion structurale de la roche leurs confèrent une forte résistance à la fracturation. La structure des phtanites armoricains est fortement altérée par les nombreuses phases de déformation subies au cours de l'orogenèse cadomienne (Dabard, 1996). Les faciès de Callac, se présentent en deux grands types, suivant la densité de la phase quartzitique et de la phase carbonée (organique) : un type « commun » selon E. Yven (2003) est essentiellement composé de la phase quartzitique et un type dit de « bonne qualité », comprenant une grande quantité de matière carbonée (graphite). Ces deux grands faciès sont présents au sein de toutes les formations à phtanites armoricains. Les faciès quartzitiques se forment à la suite de l'expulsion de la phase graphiteuse qui inhibe sa croissance. Ainsi, lorsque la phase quarzitique est importante au sein d'un gisement, elle témoigne d'une forte déformation et par conséquent d'une forte homogénéisation des structures. Au sein des phtanites de Coutances (nord-est du Massif armoricain, département de la Manche), l'homogénéité de la distribution de la phase pigmentée (phase graphiteuse) engendre une grande homogénéité des faciès. Les recristallisations de veines de quartz sont les obstacles à l'observation des structures sédimentaires (lamination plane ou oblique). Ainsi, au sein des phtanites vendéennes, les formations massives ou de blocs qui parsèment les champs sont fortement cataclasés. L'accès aux matériaux métamorphiques est aussi contrainte par la répartition des faciès homogènes et leur densité. Les cataclasites de Mikaël affleurent sur un territoire très restreint en raison du matériau originel (orthogneiss migmatisé). Ils sont composés de quartz microcristallins xénomorphes de taille micrométrique, de microcline, de muscovite, de biotite, de chlorite et de minéraux opaques. La structure de ces cataclasites est homogène et les rend très tenaces. Les ultramylonites et cataclasites de Tréméven sont issues d'une roche à composition proche de celle du granite à tendance monozonitique de Saint-Yvy, granite constituant des enclaves au sein du granite de Pluguffan. Cette possible origine a entraîné une dispersion de micro-affleurements parfois peu accessibles. Les faciès engendrés par la déformation cataclastique s'étendent depuis les cataclasites et les ultracataclasites (lorsque la déformation se produit en surface) jusqu'aux ultramylonites s.s. et ultramylonites cataclasées (lorsque la déformation se produit en profondeur) (Tsobgou, 2006). Cette diversité de structures permet d'observer une surimposition des structures catacaclastiques dans la partie est du cisaillement sud armoricain (exemple de Keriou-Saint-Maur). La structure d'ultramylonite quant à elle s'observe essentiellement dans la partie ouest du CSA. La disposition des faciès contraint fortement les qualités mécaniques et les exploitations mésolithiques comme nous le verrons plus bas. Au nord du Massif armoricain, les microquartzites FL montrent une multitude de faciès selon la densité des formes cristallines de la silice : les quartzo-phylliteux jusqu'aux calcédonieux. Le faciès quartzo-phylliteux est le plus observé et se présente sous la forme de feuillets quartzitiques orientés. Ils sont constitués en majeure partie de microquartz, de fragments de roches (mégaquartz), de calcédoine, de rutile et de séricite. Cette composition minéralogique donne à la roche un aspect conglomératique. Chacune de ces roches a des propriétés mécaniques particulières, qui ont impliqué l'adoption de méthodes de débitage adaptées. La mesure des propriétés mécaniques des matériaux vise à comprendre leur mode de déformation et les paramètres physiques exploités par les hommes préhistoriques dans leur production d'outils lithiques. Plusieurs paramètres sont examinés à partir d'études mécaniques en laboratoire : la ténacité (K Ic) correspond à la résistance à la fracture (propagation des fissures). Elle permet d'évaluer la capacité qu'offre un matériau à la fabrication de produits de forme définie. La méthode utilisée pour la mesure de la ténacité est celle de l'entaille droite (SENB : Wakai et al., 1991); La dureté est mesurée par la pression moyenne au contact des matériaux, lors de la pénétration d'un indenteur (conique, sphérique ou pyramidal) sur une surface plane. Le facteur principal de variabilité de la dureté est la force de liaison interatomique ou intergranulaire. L'importance de la force à appliquer dépend de cette résistance à la pénétration. Seule la dureté Vickers a été mesurée (indenteur pyramidal en diamant). Elle est notée H v et s'exprime en GPa; Mesurée par ultrasons, les paramètres élastiques (E, n, G, B, K) dérivent de la vitesse de propagations des ondes longitudinales et transversales à travers le matériau. L'élasticité d'un matériau est fortement liée à la cohésion des éléments constituant le matériau, comme la dureté. La combinaison de ces paramètres primaires permet de définir d'autres variables de mesure de la compétence des matériaux : l'indice de performance ou ténacité des arêtes (M 1 : Ashby, 1992), l'énergie de fracturation (G Ic : Lawn et Marshall, 1978) et la force d'éclatement (P c : Mc Cormick, 1992). La ténacité des arêtes définit la charge maximale pouvant être appliquée sur la bordure d'un volume élémentaire de roche, sans que ne se produise une déformation plastique. Ces travaux permettent d'organiser les roches suivant leurs qualités mécaniques (Tableaux 1 et 2). Les roches les plus difficiles à travailler sont les roches métamorphiques qui présentent un feuilletage ou « mylonitisation » (Tsobgou, 2006). Pourtant, certains faciès d'ultramylonite de Tréméven ou de cataclasite de Mikaël présentent des propriétés remarquables, même si elles sont plus dures et plus tenaces que les autres. Pour les cataclasites de Mikaël, les liaisons entre minéraux sont très faibles, ce qui engendre une capacité à se déformer de manière réversible plus forte. La facilité au débitage n'est pas le gage de l'aisance à fabriquer des produits allongés ou de dimensions standard. Les superpositions de microstructures, les cadences de passage entre ces microfaciès, la présence et la taille de microfilons organisés ou non, la nature mono-minérale ou pluri-minérale des roches, sont autant de facteurs qui contraignent le débitage. Au sein des roches métamorphiques, la minéralogie variable joue en la défaveur des ultramylonites et des cataclasites. De fait, l'obtention de produits en microquarzites FL nécessite une dépense en énergie moins forte que des produits identiques en ultramylonite de Tréméven et en cataclasite de Mikaël. Malgré leur hétérogénéité plus élevée, les microquarzites FL se taillent théoriquement plus facilement que les autres roches déformées analysées ici. L'exploitation des matériaux obéit à des règles propres à chaque système technique. Si l'on compare l'entité technique que l'on trouve en Bretagne à la fin du VI e millénaire avant J.-C., le Téviecien, et celle qui occupe à la même époque les Pays de la Loire, le Retzien, il apparaît que les tailleurs exploitent tous en majorité des matériaux qui nécessitent une énergie de fracturation moyenne de 30 à 40 J.m - 2. Au sein du Retzien, les matériaux les plus exploités possèdent une résistance des arêtes élevée et une énergie d'éclatement peu élevée. Ce sont les silex littoraux (MSI), le quartzarénite de Montbert (MQ) et les grès éocènes matures (GGE). Ces matériaux s'opposent aux autres matériaux présents dans la même région (silcrètes et phtanites). Le Téviécien est marqué par la présence de matériaux aux qualités plus diverses. On observe aussi une réponse mécanique différente entre les matériaux provenant de la partie ouest du Finistère de ceux de la partie est : à l'ouest, silex et microquartzite FL autorisent la production de lame, tandis que les cataclasites, plus tenaces, et les phtanites, anisotropes, ne permettent qu'une production d'éclats, à l'est. La place occupée par les ultramylonites et les grès éocènes peu matures au sein du Téviécien est assez marginale; leur exploitation ne dessine pas de réseaux étendus. Les prospections actuelles dans les terres cultivées ne sont guère révélatrices des conditions environnementales au Mésolithique. Nous trouvons ainsi parfois en prospection pédestre des gisements naturels d'ultramylonite ou de grès éocène qui n'ont jamais été exploitées par l'homme, parce qu'ils n'ont jamais été exposés à l'air libre. L'accès à ces roches est moins évident dans l'environnement très boisé des époques boréales et atlantiques et il faut se demander comment les hommes ont réussi à détecter les blocs sous l'humus, en quantité suffisante pour nourrir leur système technique. Nous ne traitons évidemment ici que des roches qui ont été exploitées en masse. Ces blocs se présentent soit en falaise (par exemple la cataclasite de Tréméven, à Keriou-Saint-Maur à Languidic, Morbihan), soit sous forme de galets de rivière, soit en blocs résiduels par exemple accessible dans des arbres renversés lors des tempêtes. Cette dernière possibilité reste anecdotique et l'identification la plus évidente se fait encore aujourd'hui dans le lit des ruisseaux et rivières. Une seule carrière mésolithique a été suspectée au Crann, au pied d'une falaise de microquartzite FL sur la commune éponyme, mais dans des travaux récents E. Yven a pu montrer que les fouilles étaient trop partielles pour étayer la démonstration (Yven, 2003). Lors du premier Mésolithique, le recours aux roches locales reste trop limité pour que l'on puisse analyser en finesse les territoires d'acquisition. En revanche au second Mésolithique, nous disposons de suffisamment de données pour juger de la compétence des réseaux, c'est-à-dire de leur capacité à transporter des matériaux. Le recours à un SIG a permis d'interroger les 1318 sites connus en Finistère et donc de quantifier la compétence de ces réseaux. Lorsqu'un site est installé à proximité immédiate d'un gisement, la roche locale sera préférée au silex : ainsi à Cobalan (La Forest-Landerneau) où le microquartzite FL atteint 72 % et à l'Ormeau (Plabennec) où cette matière compose 60 % des pièces taillées. Mais de manière générale le silex concurrence très vite ces roches et dépasse en général les ¾ des produits de débitage. Dans le nord du Finistère, nous avons mesuré le taux de matériaux dans les sites datés du VI e millénaire avant J.-C. en fonction de la distance au gisement, uniquement sur des collections dont nous contrôlions l'échantillonnage (Fig. 3). On observe que la dispersion des cataclasites de Mikaël est moindre que celle du microquartzite FL. Dans la tendance générale donnée par ces courbes, le microquartzite atteint des taux inférieurs à 50 % des roches débitées après 17 km, tandis que la cataclasite s'effondre littéralement à peine éloignée de ses sources. Cela peut s'expliquer par le fait que les gisements de microquartzites FL sont plus nombreux, mais aussi par de meilleures qualités mécaniques de cette roche. Dans les deux cas, le site de la Presqu'île à Brennilis, au cœur des monts de la péninsule bretonne, est marqué par des irrégularités dans la diffusion : les microquartzites FL ne sont pas aussi abondants que prévus, tandis que le taux de cataclasites augmente (Fig. 3). Pour trouver une explication, il faut interroger à la fois le statut du site dans un réseau économique, mais aussi comprendre pourquoi les roches locales ont été utilisées. Toutes les roches semblent confluer dans cet habitat éloigné des ressources de matière, avec un choix qui nous donne une hiérarchie au sein de ce système technique (Fig. 4). Le silex issu des galets côtiers reste, comme d'habitude, la roche la plus représentée, sans que l'on sache encore s'il provient du littoral nord ou sud-ouest (baie d'Audierne, sud-Finistère). Cette convergence de roches diverses est-elle liée à l'accrétion périodique de populations différentes pour des activités particulières ? On aurait alors effectivement des modifications dans la courbe de diminution progressive du taux de roche. Mais ce type d'hypothèse reste difficile à valider et quoi qu'il en soit, il reste à comprendre, par les analyses mécaniques et pétrographiques, les principes qui régissent l'usage de ces roches. Dans le sud du Finistère, on a pu observer que ce sont les meilleurs faciès d'ultramylonite de Tréméven qui sont exportés vers le littoral, que ce soit au premier Mésolithique à Kervoën (Clohars-Carnoët) ou au second Mésolithique à Pors-Bali (Moëlan-sur-Mer). Cette direction de diffusion reste rare, car d'ordinaire le silex côtier suffit à alimenter le débitage. Mais à cet endroit, de même qu'entre le Blavet et l'Odet, les actuels estrans sont chiches en silex, faute probablement d'affleurements sous-marins à proximité. Puisque ce sont les faciès les plus fins qui sont transportés par les hommes, on peut supposer qu'il existe autour des filons du Cisaillement sud armoricain toute une économie du débitage visant à s'assurer des meilleurs faciès (peu abondants et disséminés le long du CSA). Par ces deux exemples, on constate que les effets d'accélération ou de blocage dans la diffusion dépendent de la position du site dans un réseau économique et de la distance à l'affleurement. Ces deux paramètres sont à leur tour dépendant de la nature des roches et de ce que les hommes ont su en faire. Comment les tailleurs se sont-ils adaptés aux particularités des roches ? Les analyses technologiques sur le débitage nous montrent une gestion différenciée des matières, suivant leurs propriétés mécaniques. La structure des cataclasites de Mikaël et le fort volume de ces blocs autorisent un débitage de lames épaisses, à condition que l'on y applique une grande force, car la roche est parmi les plus tenaces. De fait, on observe une production de lames larges au profil rectiligne sur les sites du Mésolithique final, mais dans un périmètre restreint à la région de Morlaix et toujours en petites quantités. Ce débitage est réalisé au percuteur de pierre appliqué sur des angles d'éclatement proches de l'orthogonal, avec une forte abrasion de la corniche. Les méthodes sont encore mal connues sinon qu'elles ne font intervenir qu'un plan de frappe (Tableau 3). Les analyses ont montré que cette roche est moyennement dure, ce qui engendre des tranchants plus fragiles. On voit aussi dans le tableau 4 que les ultramylonites et cataclasites de Tréméven, roches métamorphiques du sud de la Bretagne, connaissent tous types de production, mais ses réactions imprévisibles à la taille ne permettent pas de développer des productions laminaires. On trouve sporadiquement sur les sites des lamelles très régulières réalisées sur ces roches, mais jamais en grande quantité. Sur le site de Creac'h-Miné-Vihan (Saint-Thurien, Finistère), les analyses minéralogiques associées aux analyses technologiques montrent que cette différence des méthodes est strictement corrélée à la nature des roches. Les ultramylonites stricto sensu, peu cataclastiques, ont des réactions identiques à celles du silex et ont été utilisées avec les mêmes méthodes, pour les mêmes résultats (Tableau 4 – Tsobgou, 2006). Dans tous les cas, l'exploitation de cette roche entraîne un fort taux de déchets et des fractures innombrables. Cette qualité médiocre du débitage est fortement liée à la nécessité d'une énergie de fracturation élevée, due à la superposition de couches de nature différente. La structure multicouche engendre une superposition de multiples phases d'entame de fissure-propagation de fissure, qui favorisent une dissipation de l'énergie fournie au système. L'indice de performance de ces ultramylonites est également très faible. On constate cependant que les faciès cataclastiques des roches métamorphiques du cisaillement sud armoricain (CK) se rapprochent fortement de leurs homologues nord armoricains (CM) (Fig. 5). Leur intégration dans le système économique régional est alors anecdotique. Ces roches métamorphiques feuilletées ont surtout fait l'objet d'un débitage discoïde bifacial, et plus rarement unifacial (Fig. 6). Le débitage se fait entre les plans de clivage de la roche. Ainsi sur la calcédoine du Clos, la production doit se loger dans des espaces d'environ 20 mm d'épaisseur. Le débitage orthogonal à ces plans entraînerait un risque élevé de fracture, puisque l'onde de choc serait freinée très vite par la succession de lits de composition différente. Les éclats courts et minces, à bords convergents, sont donc un objectif de débitage majeur du Mésolithique final à l'intérieur de la Bretagne, au détriment des lames. Ces éclats seront même les supports des armatures de flèche. La production laminaire apparaît donc comme la production sinistrée du Mésolithique breton. Dans les tombes des grandes nécropoles du littoral sud, les couteaux sur lame de silex sont pourtant les outils privilégiés des hommes et des femmes. Pour simplifier, on peut même dire que l'outillage aménagé téviecien se résume à la trilogie : bitroncature sur lamelle – troncature sur lame – denticulé sur éclat épais. Dans l'hinterland, la pénurie aurait pu être compensée par le débitage laminaire sur cataclasite de Mikaël. Cela a été fait partiellement; ainsi s'explique le succès de cette roche à la Presqu'île à Brennilis. Mais cette production est loin d'avoir satisfait la demande et plusieurs hypothèses peuvent être émises : les gisements de cataclasite de Mikaël sont restreints et peut-être seulement accessibles dans un fond de ruisseau; les tranchants sont trop fragiles; la force à appliquer pour débiter les lames est trop importante en regard des pratiques courantes du Mésolithique; le groupe humain local est peu ouvert vers l'extérieur. Il existe également un macro-outillage dans le Mésolithique de l'Ouest, mais il est assez peu diversifié Sur les côtes, il bénéficie des galets, pour la réalisation de choppers ou de percuteurs. À l'intérieur de la péninsule, il y a également des percuteurs, mais les objets façonnés sont exceptionnels. On notera par exemple un outil à retouches bifaciales en grès armoricain à La Presqu'île (Brennilis – Fig. 6). Les changements techniques observés pendant tout le Mésolithique sont la diminution des dimensions de tous les produits débités, une part laminaire et lamellaire moindre et une faible régularité des produits. Il existe une relation de dépendance positive entre la dimension des outils et celles des rognons de silex disponibles. Cela peut sembler être une évidence, mais il est toujours théoriquement possible d'obtenir un grand trapèze ou un grand grattoir dans un petit galet de silex. Cela fut rarement le cas : du Paléolithique au Néolithique, toutes les industries de Bretagne présentent des réductions de dimensions plus ou moins importantes. Cette règle vaut à l'échelle régionale, lorsque l'on compare des séries de Bretagne et du Bassin parisien, mais aussi à échelle locale. Ainsi, les industries du Mésolithique entre les rivières Odet et Blavet sont encore plus petites qu'ailleurs, avec une part lamellaire congrue, ce qui est lié à l'extrême rareté des galets de silex sur ces côtes. La productivité a donc toujours semblé plus importante que les dimensions. Par ailleurs, la présence de roches locales de grands volumes n'a pas compensé cette diminution des dimensions. Tout se passe comme si le silex était la référence sur laquelle les tailleurs alignaient leurs productions : on peut dès lors parler de roches de substitution pour les roches du Massif armoricain. En suivant ce principe, le débitage laminaire a souvent été le premier sacrifié lorsque l'on s'éloigne des plages et de ses galets de silex, alors même que ces produits sont importants dans les systèmes techniques. Alors que les hommes du VI e millénaire auraient pu contourner cette règle en utilisant des cataclasites de Mikaël, ils ne l'ont fait qu' à échelle réduite. En d'autres termes, maintenir le style du débitage ne fut pas une contrainte suffisante pour développer les réseaux et peut-être créer des relations de dépendance avec des groupes voisins. Le style heurté et irrégulier du Mésolithique final de Bretagne est donc lié à l'acceptation dans le système technique de roches métamorphiques rarement utilisées auparavant ou après. Il fallait obtenir des bords coupants et solides, même au détriment du style et des traditions de débitage. S'il est clair que l'on peut parler d'un changement des réseaux d'acquisition, il est néanmoins important de noter que les modes de vie et les activités des chasseurs-cueilleurs peuvent être maintenus par cette gestion différentielle des matériaux. Doit-on voir en ce recours aux matières autochtones une régression de groupes enclavés ou le résultat de conflits intercommunautaires ? Le silex est la matière privilégiée au Mésolithique final, tant dans les productions que dans la diffusion; mesuré à l'aune de son succès, le recours aux roches autochtone n'est jamais qu'un pis-aller. Il pourrait donc être la signature de groupes incapables de mettre en œuvre des réseaux susceptibles d'approvisionner leur système, soit en se déplaçant, soit en entretenant des relations régulières avec leurs voisins. Un tel recours aux roches locales disparaîtra ensuite des pratiques pendant presque tout le Néolithique, puisque la dimension des réseaux d'acquisition devient incomparablement plus ample. Elle réapparaîtra à la fin du Néolithique, sur certains sites, comme le témoin encore une fois d'un certain délitement des réseaux d'acquisition, mais aussi à cette période d'un accès restreint aux connaissances techniques pour une partie de la population (Guyodo et Marchand, 2005) .
Variabilité technique et styles des industries lithiques sont fonction de la nature des roches utilisées ; notre approche mêle donc la technologie des débitages, la mécanique et l'analyse géologique, afin de comprendre les normes de débitage très particulières de la Bretagne. Le vaste corpus de sites mésolithiques disponibles (1318 indices et 92 sites mésolithiques dans le seul Finistère) permet de définir des territoires usuels restreints à une soixantaine de kilomètres, avec des principes de diffusion liés à chaque fois aux qualités des roches. Les mesures de la ténacité, de la dureté et de l'élasticité permettent de distinguer les aptitudes des roches métamorphiques, qui s'opposent à celles des roches sédimentaires. Cependant, les caractères de certains faciès d'ultramylonites issues du cisaillement sud armoricain sont proches du silex, avec un débitage alors fort similaire, n'était le fort taux de cassons. Les roches métamorphiques feuilletées ont surtout fait l'objet d'un débitage discoïde bifacial. Le débitage laminaire est le principal sacrifié, alors que les cataclasites en autorisaient pourtant la réalisation. Le recours important à des roches locales pourrait donc être la signature de groupes incapables de mettre en oeuvre des réseaux susceptibles d'approvisionner leur système, soit en se déplaçant, soit en entretenant des relations régulières avec leurs voisins.
archeologie_08-0470761_tei_380.xml
termith-39-archeologie
La taille sur enclume, ou « bipolaire » ou « à trois éléments » (Breuil et Lantier 1951) est bien connue depuis longtemps et se déroule chronologiquement à partir du Paléolithique inférieur (p. ex. Zhoukoudian en Chine ou Clacton-on-Sea en Angleterre) jusqu‘à l'Holocène. Depuis les définitions de cette technique de débitage proposées par plusieurs chercheurs, comme F. Bordes (1961) ou D. Crabtree (1972) une, plus récente, est due à V. Mourre qui a défini l'enclume comme « percuteur immobile utilisé comme support et jouant un rôle direct ou indirect, mais jamais exclusif, dans un processus de taille (débitage, façonnage ou retouche) » (Mourre 1996 - p. 3). En Italie, c'est à Isernia La Pineta (Peretto 1994), que l'on trouve le débitage sur enclume le plus ancien, attesté à la limite entre le Pléistocène inférieur et le Pléistocène moyen (730 ka environ). Pour le Pléistocène moyen, ce débitage a été reconnu, par exemple, dans le niveau m du gisement de Torre in Pietra (Grimaldi 1998) daté par stratigraphie et surtout par les données paléontologiques des stades isotopiques 9-7 environ. L'industrie lithique est constituée par plusieurs bifaces plus ou moins « classiques » et par des outils sur éclats de silex provenant de petits galets (Piperno et Biddittu 1978). Cette industrie sur galets indique clairement la technique de taille « bipolaire » (Grimaldi 1998), très probablement présente également dans d'autres sites de la même époque, comme par exemple ceux de la vallée de l'Aniene près de Rome : Sedia del Diavolo, Monte delle Gioie, Rebibbia - Casal de ' Pazzi, bien qu'aucune analyse technologique du débitage de ces industries n'ait été effectuée jusqu' à présent (fig. 1). Le but du présent article est l'étude de la percussion sur enclume dans le Latium centre-méridional, à partir des gisements moustériens du Monte Circeo et de la côte près de Gaeta, jusqu'au Paléolithique supérieur (Grotta del Fossellone, niveau 21, Riparo Salvini). Il va sans dire que les industries de ces sites sont sur galets de silex, les mêmes qu' à Torre in Pietra ou dans les autres gisements près de Rome, bien que de plus petite dimension : 5 – 7 cm au maximum. Il est intéressant, à ce propos, de noter que le lien percussion sur enclume – petits galets de silex, était une des propositions fondamentales de « La taille à trois éléments » de H. Breuil et R. Lantier : « Cette taille est dénommée bipolaire, parce que les éclatements se produisent de haut en bas et de bas en haut et il arrive que, si le deux plans d'éclatement venus de deux pôles coïncident, on obtient des éclats dotés d'un bulbe de percussion à chaque extrémité. Cette technique a été employée, entre autres milieux, à Chou-kou-tien (Chine), par le Sinanthropus pour débiter le quartz; dans les stations côtières moustériennes et aurignaciennes de Monte Circeo et Nettuno (Italie), pour les quartzites fins et les silex en petits galets; …. » (Breuil et Lantier 1951 : 71). La connaissance des industries lithiques du Latium centre-méridional par ces auteurs semble assez surprenante, mais on doit tenir compte des liens très stricts entre H. Breuil et A. C. Blanc qui avait déjà publié ses travaux fondamentaux sur le Moustérien (« Pontinien ») des grottes côtières du Monte Circeo (Blanc 1938-39; Blanc et Segre 1953), et l'Aurignacien de Grotta du Fossellone (Blanc 1939; Blanc et Segre 1953). Notre analyse de ces industries, plus de 60 ans après, est basée sur les plus récentes études technologiques, surtout à l'aide de l'expérimentation. Au chapitre suivant, nous décrivons les gisements moustériens de la région avec les données archéologiques. Dans le troisième chapitre, nous présenterons les définitions du protocole expérimental employé, les résultats des expériences et des comparaisons avec les données archéologiques, avec une attention particulière pour le gisement de Grotta Breuil. Le quatrième chapitre est dédié au Paléolithique supérieur, principalement à l'Aurignacien du niveau 21 de la Grotta du Fossellone, et aux comparaisons avec le débitage expérimental. Bien que cet article soit essentiellement consacré à la percussion sur enclume comme technique de débitage, nous aborderons aussi dans cette section la vexata questio des pièces esquillées (ou « écaillées ») et leur signification fonctionnelle. En tout cas, dans cet article, nous n'examinerons jamais la taille à trois éléments comme technique de retouche, comme par exemple la percussion écrasée pour les outils à dos (cf. Mourre 1996 et ce volume, pour une terminologie exhaustive). Le cinquième chapitre est réservé à la discussion des résultats et aux conclusions générales. Les gisements pris en considération dans cette étude sont indiqués sur la figure 1 : il s'agit, premièrement, de gisements situés sur la côte entre Sperlonga et Gaeta (Grotta dei Moscerini et Grotta di Sant'Agostino), puis de gisements sur le promontoire du Mont Circé (Grotta Guattari, Grotta del Fossellone et enfin Grotta Breuil). Parmi les gisements « mineurs » de la région, il existe un grand nombre de sites de plein air, dépourvus de stratigraphie, où l'industrie moustérienne est mélangée avec des industries postérieures. Ces sites ne seront pas considérés dans ce travail. Les industries lithiques analysées ont été réalisées, en grande majorité, sur la même matière première locale. Il s'agit de galets de silex de petites dimensions – environ 4-5 cm de longueur en moyenne – et avec une morphologie arrondie régulière ou semi-régulière. L'origine des galets est liée principalement aux importants systèmes fluviatiles de la région, en particulier le système du Tibre-Aniene qui joue le rôle de source en apportant des silex sous forme de galets, même si une origine marine n'est toutefois pas à exclure. En effet, les reliefs locaux, tels que les Monts Lepini et les Monts Ausoni, n'ont pas de formations siliceuses dans leurs calcaires. Le Mont Circé, qui est une formation du Jurassique inférieur-moyen (Lias), présente des formations de silex de très mauvaise qualité, qui ont été exploitées de façon anecdotique par les occupants des grottes (Segre 1990-1991). Les groupes de Néandertaliens utilisaient, au contraire, les galets déjà mentionnés des dépôts marins ou fluviatiles du Pléistocène, actuellement recouverts par les dépôts de l'Holocène. Ces dépôts ont été exposés par l'érosion pendant les stades glaciaires et on les retrouve aujourd'hui dans la Plaine pontine (Bietti et al. 1990-1991). La Grotta Guattari se trouve à l'extrémité sud orientale du Mont Circé, à une distance de la côte d'environ 70 m et à cinq mètres d'altitude au-dessus du niveau marin actuel. Après la découverte du célèbre crâne Guattari 1 en 1939, A.C. Blanc commença immédiatement les recherches, poursuivies et amplifiées par L. Cardini. En 1950, A.G. Segre reprenait la fouille avec une augmentation de la surface : deux tranchées ont été creusées à l'extérieur de la grotte et d'autres, de largeur réduite, à l'intérieur (Blanc 1938-39; Blanc et Segre 1953; Segre 1990-91). Le paléosol sur lequel on a découvert le crâne néandertalien et la mandibule Guattari 2 repose sur le niveau 1 et comporte plus de 649 restes osseux mais aucun reste d'industrie (Piperno 1976-77). Deux séries de dates ont été obtenues pour la paléosurface (Schwarcz et al. 1990-91), la première avec la méthode de la série de l'uranium sur stalagmite et la deuxième avec la méthode ESR sur émail, qui donnent une moyenne de 57 000  6 ka (LU). L'analyse taphonomique a définitivement démenti l'hypothèse du cannibalisme sur le crâne Guattari 1, en démontrant une forte présence de Hyène sur le paléosol où celui -ci a été trouvé et en reconnaissant les stigmates de son acquisition par ces carnivores (Piperno et Giacobini 1990-1991; Toth et White 1990-1991; Stiner 1994). Les matériels archéologiques moustériens se trouvent principalement dans les niveaux proches de l'entrée et diminuent progressivement vers l'intérieur. L'industrie lithique, taillée sur petits galets en silex, provient principalement des niveaux 1, 2, 4 et 5, et dérive d'un remplissage extérieur à la grotte (4-5) ou proche de l'entrée (1-2) (Taschini 1979). Le niveau 5 a livré une datation de 77,5 ± 9,5 ka B.P. (Schwarcz et al. 1990-1991). L'étude typologique et statistique de l'industrie (Taschini 1979) appartenant au faciès moustérien du Latium connu sous le nom de « Pontinien », n'a pas mis en évidence de variations significatives dans la structure de l'ensemble lithique des différents niveaux. Selon la méthode Bordes, elle appartient au groupe Charentien de type Quina, et le débitage Levallois augmente progressivement du bas vers le haut de la séquence. Dans un travail plus récent (Bietti et Grimaldi 1996), un échantillon d'industrie lithique provenant du niveau 5 a été analysé; il est constitué d'environ 120 supports dont 73 retouchés et 43 non retouchés, et de plus de 100 nucléus et galets. D'un point de vue technologique, une prédominance des nucléus unidirectionnels et centripètes est attestée. L'industrie est réalisée sur des galets identiques à ceux de la Grotta del Fossellone ou de Grotta Breuil, mais présentant, en moyenne, des dimensions plus grandes. La taille bipolaire a été observée sur 30 supports, dont 25 retouchés (34 % des outils), sur 12 nucléus (44 %) et 34 galets (tabl. 1). Ici cette technique correspond soit à un procédé d'initialisation des nucléus qui seront ensuite taillés par percussion directe, soit à une chaîne opératoire séparée et indépendante pour la production de supports à retoucher. Nous verrons par la suite que ce schéma se répète dans tous les sites moustériens que nous analyserons. La Grotta del Fossellone s'ouvre sur une falaise calcaire du promontoire du Mont Circé, et donne, de nos jours, directement sur la mer. Il s'agit de l'une des très rares cavités qui couvrent la transition du Paléolithique moyen au Paléolithique supérieur. Malheureusement, il n'y a pas de datation absolue et l'attribution chronologique n'a été effectuée que d'après les attributions typologiques de l'industrie et la biostratigraphie. Le gisement a été découvert par A.C. Blanc en 1937 et fouillé par l'Abbé Breuil et H. Obermaier en 1938-1940. Les travaux de Blanc et V. Chiappella n'ont atteint le niveau de la plage tyrrhénienne que dans les années 1952-1953 (Blanc et Segre 1953). La séquence est divisée en 51 niveaux artificiels (fig. 2). Les niveaux 41 à 38, qui contiennent l'industrie moustérienne, ont été attribués au premier stade du Würm; les niveaux suivants, jusqu'au niveau 25, ont été attribués au Würm II. Les niveaux supérieurs sont particulièrement riches en industrie moustérienne; le niveau 21, après une couche apparemment stérile (22), contient une industrie aurignacienne. L'étude de l'industrie lithique du Paléolithique moyen est concentrée principalement sur les niveaux 26 et 27 qui présentent un Moustérien de petites dimensions et avec outils de type Paléolithique supérieur, défini typologiquement comme « micro Moustérien à denticulés » (Vitagliano et Piperno 1990-1991). D'un point de vue techno-typologique, l'analyse de l'ensemble de la couche 27 (Vitagliano et Piperno 1990-1991) a montré que l'ensemble est caractérisé par un débitage encore moustérien dans lequel on trouve fréquemment la méthode Levallois, par un équilibre important entre racloirs et encoches – denticulés, par une importance des outils de type Paléolithique supérieur et des outils composites qui forment un aspect caractéristique de cette industrie, par la fréquence de la retouche abrupte et des ravivages. Le niveau 27β a été re-examiné selon une approche technologique (Kuhn 1995a; Bietti et Grimaldi 1996). Les nucléus pseudo-prismatiques et unidirectionnels sont abondants, et les nucléus centripètes également bien représentés. Dans le travail de Bietti et Grimaldi (1996), un échantillon de 200 nucléus et plus de 600 supports, dont la moitié retouchés, a été analysé. La percussion sur enclume est peu représentée sur les nucléus (4 %), mais caractérise 18 % des vestiges retouchés et seulement 2 % des non retouchés (tabl. 2). Les supports obtenus semblent être utilisés en particulier pour produire des racloirs déjetés et transversaux; par contre, les autres formes typologiques sont produites à partir de supports débités par percussion directe (tabl. 3). La Grotta di Sant'Agostino est située à environ 50 m au-dessus du niveau de la mer, sur la pente nord d'une grande baie, entre Gaeta et Sperlonga, au pied du Mont Moneta. Les fouilles ont été réalisées en 1947 et en 1948 par l ' Istituto Italiano di Paleontologia Umana sous la direction de E. Tongiorgi (Tozzi 1970). Au-dessous du niveau de surface remanié, le dépôt intérieur est formé de terrain sableux plus ou moins concrétionné que Tongiorgi a divisé en quatre niveaux (A1-A4). De récentes datations par la méthode U/Th ont fourni, pour le plancher de base, un âge de 120 000 – 112 000 ans correspondant au stade isotopique 5d-e. Deux séries de dates ont été obtenues pour les niveaux 1, 2 et 3 (Schwarcz et al. 1990 - 1991) avec la méthode de la série de l'uranium et avec la méthode ESR LU sur émail de dents d'ongulés. Les niveaux 1, 2, 3 donnent un âge moyen compris entre 43 ± 9 LU et 54 ± 11 ka LU et une datation moyenne de 32 ka pour le niveau supérieur qui est, par contre, remanié. La faune comprend surtout des cervidés, suivis du Sanglier et de Bos primigenius. Sur la base de la courbe de mortalité du Cerf, M. Stiner émet l'hypothèse d'un système de chasse non sélectif, surtout à l'affût (Stiner 1990-1991, 1994). D'un point de vue technique et typologique, l'abondante industrie lithique sur petits galets en silex est caractérisée par l'absence de méthode Levallois, par l'indice bas des talons facettés, par la fréquence élevée de la retouche de type scalariforme (Quina et demi-Quina) et par l'indice élevé des racloirs (environ 70 %) parmi lesquels dominent les racloirs simples convexes et transversaux; les denticulés et les pointes moustériennes sont rares. L'industrie fait donc partie du « Charentien » de type Quina (Tozzi 1970; Kuhn 1995 b). Une étude très approfondie de la taille bipolaire dans ce site avait été réalisée en 1950 par F. Laj Pannocchia (1950) avec l'aide de F. Bordes (Bordes 1947, 1961, p. 16). L'auteur ne fait pas de véritable différence entre les deux modalités d'ouverture des galets, par percussion directe et sur enclume. Toute la chaîne opératoire est destinée à la production de racloirs qui constituent 95 % de l'ensemble lithique. Les produits du premier coup d'ouverture du galet sont classifiés en demi galets (20 %), dièdres (4 %), calottes (8 %), éclats (68 %) (tabl.4). Le deuxième coup est, dans 37 % des cas, donné dans la même direction que le premier, dans 25 % des cas avec une rotation de 90° et dans 6 % des cas avec une rotation de 180°. Les éclats ont des bulbes positifs (59 %), négatifs (34 %) et « en épis » (7 %). L'ouverture du galet peut conduire à la formation d'un plan de frappe, lisse ou facetté, qui est utilisé pour continuer le débitage. La Grotta dei Moscerini s'ouvre dans le calcaire du Jurassique inférieur du Monte Agmenone, 5 km au nord de la Grotta di Sant'Agostino et a été découverte pendant les célèbres prospections de 1936-1938, mais fouillée seulement en 1949 par l ' Istituto Italiano di Paleontologia Umana. Grotta dei Moscerini présente une stratigraphie d'une épaisseur de 8,50 m et la base du niveau archéologique se trouve à environ trois mètres au-dessus du niveau de la mer actuel. D'après les datations absolues (Schwarcz et al. 1990-1991) obtenues sur émail avec la méthode ESR (LU), le niveau 33 a un âge de 106 ± 17 ka et le niveau 26, 74 ± 7 ka. Il s'agit donc de l'un des sites les plus anciens de ceux considérés ici. L'une des particularités de l'ensemble archéologique de cette cavité est la présence d'une industrie sur Callista chione, réalisée par percussion directe et d'une morphologie proche de l'industrie lithique du site (Kuhn 1995a). Les matériaux lithiques n'ont été publiés qu'en 1984 (Vitagliano 1984) et attribués au Moustérien pontinien. Par la suite, l'industrie a été étudiée d'un point de vue technologique par Kuhn (1995a) qui a reconnu différentes modalités de réduction du nucléus et de production des supports. La percussion sur enclume a été identifiée parmi ces modalités et en particulier, comme technique pour l'ouverture du galet : Kuhn en avait décrit les caractères assez particuliers en identifiant des stigmates tels que la présence d'un bulbe double, d'ondes de percussion sur la face ventrale et d'écaillures (fig. 3, tabl. 5). Grotta Breuil est une des nombreuses grottes qui s'ouvrent sur le versant littoral du Mont Circé. A. C. Blanc, L. Cardini, H. Obermaier et H. Breuil (dont le nom a été donné à la grotte) l'ont examinée les premiers en 1936 dans le cadre de recherches systématiques organisées dans la région (Blanc 1938). Ce n'est qu'en 1986, pourtant, que l ' Istituto Italiano di Paleontologia Umana organise la première campagne de fouille, sous la direction de A. Bietti (Bietti et al. 1990-1991). La cavité s'ouvre à huit mètres au-dessus du niveau marin actuel et le dépôt intérieur, à forte pente, représente le résidu du remplissage d'origine érodé par la régression holocène. L'ensemble faunique de Grotta Breuil est composé surtout de Cervus elaphus, Bos primigenius et Capra ibex. L'accumulation des restes fauniques doit être attribuée aux humains. Les proies ont été apportées entières sur le site, après la chasse, et ont été traitées sur place (Stiner 1994; Alahique et al. 1998). En ce qui concerne la saison, l'étude des stades d'éruption et d'usure des dents suggère une occupation de l'automne au début du printemps. L'avifaune indique un climat similaire au climat actuel de l'Europe centrale, avec une tendance à la hausse des températures moyennes (interstade Würm II-III). Deux portions postéro-inférieures de pariétal, une couronne de première molaire inférieure d'un individu adulte, une troisième molaire inférieure avec racine en formation attribuée à un individu d'environ 13 ans, représentent les vestiges humains découverts dans la grotte. Ils ont été retrouvés dans des positions stratigraphiques variées (Manzi et Passarello 1995). Tous les restes ont été attribués à l'Homme de Néandertal. Les analyses technologiques et typologiques de l'industrie lithique de Grotta Breuil ont mis en évidence des différences entre les couches supérieures (3, 4, 5 et 6) et les couches inférieures (7, 8 et XX). Cette comparaison est basée essentiellement sur les processus de réduction et sur l'observation quantitative des matériaux, mais aussi sur l'aspect métrique des artéfacts. L'étude technologique des niveaux 3 et 4 (les seules couches supérieures testées à l'époque) et du niveau XX (plus vieux que la couche 8 et fouillé seulement sur un mètre carré, Rossetti et Zanzi 1990-1991; Bietti et Grimaldi 1990-1991) avait conduit à proposer deux chaînes opératoires sur la base de l'étude soit des nucléus soit du débitage, avec le nucléus centripète comme stade final. La première est caractérisée par une série de processus « indépendants », dans lesquels chaque nucléus a sa séquence de débitage (traits continus sur les figures 4 et 5) et la deuxième représente un processus de débitage unique (traits discontinus sur la même figure) où le produit fini est représenté par les nucléus centripètes. La deuxième chaîne est considérée comme la plus probable à cause de la forte présence de nucléus proto-centripètes dans la série. La différence entre les processus de réduction suggérée pour le niveau XX (fig. 4) et celle des couches 3 et 4 (fig. 5) est essentiellement perceptible entre les nucléus centripètes (couche XX) et pseudoprismatiques (couches 3 et 4). Le processus de réduction illustré en figure 5 est considéré comme le plus probable pour les couches 3 et 4, non seulement en raison de la forte présence de nucléus pseudoprismatiques dans la série (Rossetti et Zanzi 1990-1991), mais aussi à cause de la présence d'éclats souvent de plus grande dimension que les nucléus eux -mêmes. Les outils, notamment dans la couche XX, étaient donc réalisés par étapes successives, entièrement sur le site, à travers une exploitation de type centripète en passant par trois types de nucléus protocentripètes : chopping-tool étendu, où les enlèvements des éclats et la préparation du plan de frappe envahissent le galet; type à plans croisés, avec un plan de frappe orthogonal ouvert sur un nucléus unidirectionnel; nucléus avec un plan orthogonal ouvert sur un nucléus bidirectionnel. Dans le cas des couches 3 et 4, la dominance des formes pseudoprismatiques nous indique, au contraire, que dans plusieurs cas, le débitage s'arrêtait à ce stade. Les niveaux inférieurs 7 et 8 sont caractérisés par un grand pourcentage d'outils retouchés, une faible présence du débitage Levallois et par la prédominance des nucléus centripètes. Les couches 7 et 8 sont les derniers niveaux stratigraphiques fouillés à Grotta Breuil et constituent un ensemble assez homogène sur le plan typologique et technologique. Les pourcentages des fréquences des différents types de nucléus sont très semblables dans les deux couches, avec une prédominance des nucléus protocentripètes ou à pans croisés, donc avec des caractères de transition vers d'autres types de nucléus plus ou moins centripètes, selon le schéma proposé en figure 4. En ce qui concerne l'exploitation, elle est généralement intense, la plupart des nucléus présentant deux ou trois enlèvements. Les outils représentent environ 30 % de l'ensemble et les racloirs 55 % de l'outillage. Les encoches et les denticulés sont également bien représentés (14 % et 12 %) mais tous les autres types présentent des pourcentages très faibles. Il est en outre intéressant de noter la présence d'un biface en calcaire et d'une pointe pseudo-Levallois. La plupart des outils sont réalisés sur éclats non prédéterminés et souvent sur nucléus. Le degré de prédétermination des éclats est assez faible, avec un pourcentage de 15-16 % et ces éclats correspondent le plus souvent à des nucléus protocentripètes. Une différence entre les deux niveaux mérite d' être soulignée ici : dans la couche 7 on a 27 % d'attributions à des nucléus pseudo-prismatiques, et dans la couche 8, 41 % des éclats proviennent de nucléus unidirectionnels. Parmi les éclats prédéterminés, les corticaux sont les plus abondants. Les niveaux 7 et 8 ont fait l'objet d'une activité de remontage de l'industrie lithique : 4 % de l'industrie a été remonté (fig. 6). Les remontages, ont non seulement donné des indications sur la disposition spatiale des objets à l'intérieur de la grotte et sur l'intégrité du dépôt, mais ont également contribué à la compréhension des chaînes opératoires et notamment la présence de la percussion sur enclume. En effet, plusieurs d'entre eux illustrent l'utilisation de supports obtenus par la taille bipolaire dont on parlera plus en détail dans la section 3, par la comparaison avec les données expérimentales (fig. 6, n° 4 et 6). La situation change avec les niveaux supérieurs (fig. 5) qui présentent, comme cela a déjà été partiellement indiqué, des caractéristiques très différentes (Bietti et Grimaldi 1996; Grimaldi 1996). Les méthodes de taille et d'exploitation de la matière première (toujours la même) deviennent plus complexes, le débitage est beaucoup plus efficace que la séquence centripète, à tel point qu'il est possible de parler de débitage laminaire. Les nucléus deviennent majoritairement unidirectionnels, avec une production de supports Levallois allongés et pseudoprismatiques, avec plan de frappe lisse. Les nucléus à enlèvements centripètes sont ici minoritaires. La production de supports laminaires des niveaux supérieurs est associée à une diminution des outils retouchés et une augmentation des supports prédéterminés. Le débitage sur enclume devient beaucoup plus rare, voire absent. L'industrie lithique de la couche 6 correspond assez bien à la description que nous venons de donner pour les couches supérieures. Les nucléus unidirectionnels et pseudoprismatiques sont prédominants (20-30 %) et les supports obtenus sont allongés, souvent avec talon lisse. Dans l'ensemble, le degré de prédétermination est plutôt élevé. En ce qui concerne l'outillage, il faut d'abord noter que les supports retouchés ne représentent que 8-9 % de l'assemblage. Les racloirs sont prédominants (60 %), simples pour la plupart; les encoches et denticulés représentent environ 5-6 %. Dans ce travail, l'industrie des niveaux 6, 7 et 8 de Grotta Breuil est analysée pour mettre en évidence l'importance relative de la percussion sur enclume dans ces séries. Une activité expérimentale a été mise en place afin de mettre en évidence les caractéristiques techno-morphologiques des supports et des galets produits au cours de la percussion sur enclume. L'activité expérimentale s'est déroulée en plusieurs phases décrites ci-dessous. Acquisition de la matière première Les galets de silex ont été récupérés dans une carrière de sable où les travaux d'extraction ont mis au jour des niveaux à galets, à environ 5-10 m de la surface. L'enclume et les percuteurs ont été recueillis au-dessous du niveau de la mer dans une grotte non loin de Grotta Breuil : ils sont en calcaire local. Les percuteurs ont tous une forme ovale mais présentent des dimensions et des masses variées. Définition du protocole expérimental La fracture symétrique du galet a été définie a priori comme le but de chaque opération de taille; cette cassure devait se faire avec un maximum de cinq percussions. Le tailleur (E. Cancellieri), une seule personne pour avoir une complète comparabilité des données, avait le choix du percuteur qui pouvait changer au cours de la percussion de chaque galet et aussi de l'orientation du galet. Le nombre de galets à ouvrir a été fixé à 100. Il a été décidé, en outre, d'enregistrer l'usure de l'enclume et des percuteurs, en prenant des photos tous les 20 coups. Définition de la modalité d'enregistrement de données Une fois établi le protocole expérimental dans ses grandes lignes, une fiche descriptive a été élaborée pour l'enregistrement des données. Une autre fiche a été conçue pour l'enregistrement des données relatives aux percuteurs. Phase expérimentale Vient ensuite l'expérimentation proprement dite. Enregistrement des données et photos étaient effectués en même temps que la taille et les produits du débitage étaient classés par galets, numérotés donc de 1 à 100. Le point d'impact était noté sur le galet lui -même. La possibilité de tenir les galets les plus petits avec une baguette en bois a été testée, mais aucune différence significative liée à son utilisation n'a été notée en ce qui concerne l'activité de taille (fig. 7). La fiche d'enregistrement des données expérimentales est présentée dans le tableau 6. Une fois l'expérimentation terminée, on note que les galets sont ouverts au premier coup dans 40 % des cas; dans seulement 5 % des cas les cinq coups ne sont pas suffisants pour l'ouverture du galet. La texture ne constitue pas un élément discriminant pour une meilleure production de supports. Une deuxième fiche a été élaborée pour l'enregistrement des produits de taille. Chaque produit a donc été considéré individuellement et non plus comme un élément de galet. Les produits ont été classifiés conformément au tableau 7. Nous avons décidé de baser notre classification en grande partie sur la morphologie des bulbes et sur leurs positions relatives; tous les produits ont été classés par rapport aux bulbes. Une place a aussi été réservée aux autres stigmates, tels que les écaillures et l'axe préférentiel de percussion. Les bulbes ont été définis comme indiqué au tableau 8. Les bulbes ont donc été décomptés et leurs positions relatives ont été enregistrées. Nous avons classifié comme « primaire » le bulbe obtenu directement par la percussion (tabl. 9). Les éventuelles écaillures ont été classifiées en enregistrant leur position par rapport au premier bulbe (tabl. 10). En outre, l'axe de percussion du galet a été signalé (tabl. 11). L'identification de la percussion sur enclume dans le matériel expérimental a aussi été testée, avec un taux qui dépasse de peu 60 %. Cela signifie que même si on avait la certitude de la présence de cette technique, aucune trace diagnostique n'était visible sur 40 % des produits. Les éclats dominent la production et les corticaux, plus ou moins proches des demi-galets, sont les plus fréquents tandis que les non corticaux sont moins nombreux. Parmi les nucléus, le plus nombreux sont ceux comportant deux négatifs (tabl. 12). Les bulbes lisses sont les plus fréquents, suivis par les négatifs. Les bulbes simples sont largement dominants mais les doubles et les multiples sont également bien représentés. En cas de bulbes doubles, leurs positions respectives sont le plus souvent opposées sur la même surface (tabl. 13). Tout en laissant au tailleur la faculté d'orienter les galets selon son choix personnel, une préférence éventuelle par rapport à l'axe de percussion a été testée; d'après les données, ce serait l'axe le plus long du galet. Il faut quand même remarquer que ce critère n'a pu être relevé sur un grand nombre de produits. Un autre des stigmates testés, la présence d'écaillures, s'est révélé très faible et ne constitue pas, par conséquent, un critère vraiment fiable pour la reconnaissance de la taille bipolaire (tabl. 14). Le dépôt archéologique de Grotta Breuil comprend un bon nombre de percuteurs mais, pour l'instant, aucune enclume n'a été reconnue. Cependant, les données relatives à l'usure des percuteurs et de l'enclume utilisés pendant l'expérimentation ont été enregistrées. Le tailleur avait le choix entre 10 percuteurs, dont quatre n'ont pas été utilisés (n° 1, 3, 8 et 9) à cause de leur morphologie non performante ou de leurs dimensions (tabl. 15). La relation entre masse/dimensions du percuteur et fréquence d'utilisation ne présente guère de surprises, car sur 10 percuteurs considérés, le choix du tailleur se portait souvent sur les mêmes, peut-être en raison de leur morphologie; ils correspondent à trois catégories de masses, qu'on pourrait définir comme petite, moyenne et grande (fig. 23). En ce qui concerne l'usure, sur les percuteurs, elle apparaît dès les 20 premiers coups; il en va de même pour l'enclume. Dans cette section, la percussion sur enclume de Grotta Breuil est décrite en détail et reconsidérée à la lumière des données expérimentales. L'abondance relative de la percussion sur enclume à l'intérieur des couches est directement liée aux différentes chaînes opératoires mises en place (fig. 24). Le niveau 6, en effet, fait partie des couches supérieures et est caractérisé par un débitage à tendance laminaire. Il est évident que dans cette couche, la percussion sur enclume ne représente qu'une partie minime des processus de taille mis en œuvre (fig. 25). Dans les couches 7 et 8 par contre, la maîtrise du débitage laminaire n'est pas encore acquise et la percussion sur enclume est un moyen très efficace pour ouvrir les galets. Le matériel archéologique des couches 7 et 8 de Grotta Breuil présente un important pourcentage de produits issus de la percussion sur enclume, dont 23 % dans la couche 8 et 10,8 % dans la couche 7 (fig. 26 et 27). On trouve les pourcentages les plus élevés pour les outils (fig. 28). En outre, les calottes obtenues sont souvent utilisées comme supports à retoucher, même si une poursuite du débitage est aussi pratiquée, comme le démontrent les remontages (fig. 6). On a donc une production de supports destinés à l'obtention de différents objectifs techniques et la percussion sur enclume pourrait être un moyen pour la production d'artefacts de type « expedient » (sensu Binford 1973). La percussion sur enclume est donc un autre élément de différentiation entre les deux ensembles archéologiques du dépôt et un choix « culturel » doit probablement être évoqué pour ce changement; celui -ci paraît très graduel, puisque la taille bipolaire n'a pas encore été identifiée dans les couches sus-jacentes à la couche 6 qui semble donc être une sorte de couche de transition. De manière générale, une grande coïncidence entre l'archéologique et l'expérimental a été détectée, tant pour des pourcentages relatifs que pour des critères qualitatifs. Un test du χ² a été appliqué à la comparaison entre les deux échantillons, qui montre une congruence à 50 % entre les deux groupes de matériaux en considérant comme variables les possibilités de percussion simple et de percussions multiples (tabl. 16). Les figures 29 à 31 présentent la comparaison entre les stigmates les plus importants relevés pendant l'expérimentation et la présence des mêmes stigmates dans l'assemblage archéologique; la similitude des pourcentages apparaît clairement. Le faible pourcentage de reconnaissance des stigmates sur le matériel expérimental nous conduit à considérer la fréquence observée pour Grotta Breuil comme très certainement sous-estimée. Voyons donc l'hypothèse des chaînes opératoires proposées (fig. 32). D'après les deux possibilités d'ouverture du galet, selon son axe majeur (AMC 1) ou mineur (AMC 2), on obtient des produits fins (1) et épais (2). Les produits épais peuvent être retouchés (le plus souvent pour obtenir un racloir), devenir des nucléus ou être écartés. Les produits fins sont le plus souvent utilisés « bruts ». La percussion sur enclume constitue à Grotta Breuil un moyen important de débitage, mais sa présence n'est pas constante tout au long de la séquence. On voit clairement qu'une disparition progressive de cette technique survient à partir de la couche 6. Cette disparition n'est pas due aux contraintes de la matière première, mais à d'autres facteurs liés à une maîtrise différente de la taille des galets conduisant à une amélioration de la méthode Levallois. De toutes façons, dans les couches inférieures de Grotta Breuil, la percussion sur enclume constitue un moment important de la chaîne opératoire. Par l'expérimentation, il a été montré qu'il s'agit d'un très bon moyen pour ouvrir des galets et pour en obtenir des supports avec un investissement technique très faible. Les supports sont, dans l'ensemble archéologique, très souvent retouchés, mais une utilisation comme nucléus, après une préparation du plan de frappe, est envisageable et peut être fréquente. Donc, la percussion sur enclume se place au début de la chaîne opératoire et on peut imaginer une coexistence avec la percussion directe, qui intervient dans un deuxième moment. Cette constatation s'inscrit assez bien dans l'idée de ce type de débitage que l'on a présenté dans le premier chapitre. En ce qui concerne les stigmates, à travers notre expérimentation, nous avons essayé de déterminer des critères conçus sur une base de données assez fiable pour sa détermination et en même temps de démonter certaines idées assez répandues mais pas toujours vraies, telles que la présence systématique de deux bulbes opposés ou d'écaillures. Les caractéristiques des bulbes que nous avons mises en évidence semblent, au contraire, être exclusives de la percussion sur enclume et peuvent constituer un bon point de départ pour de futures analyses. Le Paléolithique supérieur dans le Latium est représenté premièrement par de l'Aurignacien, à la Grotte du Fossellone (niveau 21), sporadiquement en surface à l'extérieur de l'abri Salvini (cf. 4.3) et sur la plaine pontine, et ensuite par de l' Épigravettien : il n'y a pas de gisement daté de plus de 18 000 14 C BP. Sur la figure 1 sont indiquées les principales localités : Grotta di Settecannelle (datée entre 17 000 et 11 000 14 C BP environ) (Ucelli Gnesutta et Mallegni 1988), Riparo Biedano (Pennacchioni et Tozzi 1985), Cenciano Diruto (Pennacchioni et Tozzi 1984), Palidoro (daté entre 15 900 et 14 000 14 C BP environ), Grotta Polesini (datée de 10 100 14 C BP environ) (Radmilli 1974) et Riparo Salvini (daté entre 13 300 et 10 800 14 C BP environ). En ce qui concerne la percussion sur enclume, nous n'examinerons dans ce travail que les sites de Grotta del Fossellone 21, Palidoro et Riparo Salvini. La grotte et sa stratigraphie ont déjà été présentées au paragraphe 2.3 (fig. 2). Le niveau 23 est le premier (le plus récent) niveau de la séquence moustérienne, contenant peu de faune et d'industrie et « un grand nombre de pierres (. ..) qui semblent disposées intentionnellement » (Blanc et Segre 1953 : p. 45). Il est surmonté par un niveau (22) d'argile rouge avec des fragments calcaires à angles vifs, pratiquement dépourvu de faune et d'industrie. Le niveau 21, constitué d'un sédiment sans cohérence, brun et de nombreuses grosses pierres, contient beaucoup de faune et d'industrie aurignacienne. Du point de vue de la typologie, il s'agit d'un Aurignacien « classique », avec une industrie osseuse caractéristique, à pointes à base fendue et poinçons à section ovalaire, dénommé en Italie « Aurignacien à pointes osseuses » (Palma di Cesnola 1993), ce qui correspond à la dénomination française « Aurignacien ancien » ou « Aurignacien I ». L'industrie lithique, analysée par G. Laplace selon sa « Typologie Analytique » (Laplace 1966) est constituée en majorité (plus de 60 %) par des grattoirs, dont plusieurs carénés et à museau, issus des galets des silex caractéristiques de la plaine pontine déjà évoqués précédemment pour le Moustérien et employés pour l'expérimentation (chap. 3). Les burins sont beaucoup plus rares (moins de 3 %); des lames retouchées sont également représentées, dont plusieurs sur silex exotique (provenant vraisemblablement de l'Apennin entre Ombrie et Marche et peut-être aussi des Abruzzes), des racloirs et de nombreuses pièces esquillées. D'un point de vue technologique, ces pièces esquillées (fig. 33; n° 2, 6 (sur dièdre) et 7) représentent, à notre avis, en accord avec l'interprétation proposée par A.C. Blanc (cf. Blanc et Segre 1953), les résidus d'un processus de percussion sur enclume, bien que l'on ne puisse exclure que quelques-unes d'entre elles aient été employées comme « ciseaux » pour débiter des matières tendres telles que l'os ou le bois (cf., par ex., Le Brun-Ricalens 1989). Les pièces esquillées du Fossellone joueraient ainsi le rôle de nucléus, peut-être parfois réemployés comme outils, dans une chaîne opératoire de percussion sur enclume. On trouve, en effet, toute une série de produits de débitage qui confirment cette hypothèse : calottes de galet avec bulbe négatif ventral, parfois double (fig. 33 n° 1), dièdres allongés (fig. 33 n° 3-5), éclats avec négatifs dorsaux et ventraux, etc. obtenus par percussion continue sur enclume selon l'axe longitudinal de galets allongés. Au tableau 17, sont présentés les décomptes du débitage d'un échantillon d'industrie lithique conservé à l ' Istituto Italiano di Paleontologia Umana (Bietti 1998). On observe que : le rapport entre les « vrais » nucléus (à un plan de frappe et à plans de frappe orthogonaux) et les nucléus sur enclume et les pièces esquillées est de 0,14, en accord avec la prédominance de la chaîne opératoire sur enclume; les pièces esquillées représentent 39 % du total nucléus + esquillées et 55 % du total nucléus sur enclume + esquillées, le rapport entre les produits de débitage sur enclume (dièdres, éclats avec bulbe négatif, etc.) et les pièces esquillées est de 3,24 : tous ces chiffres sont en accord avec une percussion sur enclume récurrente et continue; le rapport entre les pièces esquillées « croisées » est de 0,15, en accord avec le choix préférentiel de l'axe longitudinal du galet pour la percussion sur enclume. Ce choix de l'axe, ainsi que le processus de réduction récurrente de galets allongés jusqu' à obtenir des pièces esquillées, sont les caractères distinctifs du débitage des galets de l'Aurignacien de la Grotta del Fossellone; ils l'opposent à la situation présentée précédemment pour le Moustérien de la région, duquel les pièces esquillées et les dièdres sont pratiquement absents, et où une préférence nette pour l'axe longitudinal ne peut pas être décelée. La figure 34 présente les résultats d'une expérimentation : le n° 1 est la pièce esquillée finale, les produits du débitage sont numérotés de 2 à 7 et l'on voit aussi le galet remonté (fig. 34, en bas à droite). Les produits où la percussion sur enclume est évidente (n° 2, 4, 5 et 7) sont assez semblables aux pièces archéologiques (fig. 33), en particulier le dièdre (fig. 34, n° 4). Bien que l'expérimentation ne concerne qu'un seul galet, on observera que le rapport entre ces produits de débitage et la pièce esquillée est de 4 et que le rapport entre ces mêmes produits et le dièdre est aussi de 4. Ces valeurs sont assez proches des données archéologiques présentées au tableau 17, à savoir respectivement 3,24 et 4,27. Il existe une autre différence notable entre l'Aurignacien du Fossellone et le Moustérien de la région : l'emploi de matière première exotique dont la présence dans le Moustérien n'est pas démontrée jusqu' à présent. Le tableau 17 montre qu'il y a une petite quantité d'éclats sur silex exotique, tandis que celui -ci est absent pour les nucléus et les esquillées qui sont en majorité sur galets (identifiés grâce à leurs cortex), avec une plus rare présence de pièces indéterminables (sans cortex). La situation change sensiblement pour les outils retouchés (80 environ) du même échantillon : le tableau 18 présente les pourcentages pour les outils les plus communs. Le silex exotique est employé surtout pour les lames retouchées, en faible quantité pour les grattoirs (particulièrement peu pour les carénés et museau) et pas du tout pour les racloirs. Si l'on compare ces résultats à ceux du tableau 17, on peut conclure que dans l'Aurignacien de la Grotta del Fossellone, il y a une chaîne opératoire principale (sur galets par percussion sur enclume) et des outils en silex importé, sans réduction sur place (absence de nucléus en silex exotique : le silex local de mauvaise qualité mentionné dans le tableau 17 ne rentre pas dans cette catégorie !). Le silex exogène a été importé soit sous forme de supports (cf. faible quantité d'éclats indiqués au tableau 17), soit comme outils retouchés (cf. en particulier les lames indiquées au tableau 18). L'abri de Palidoro a été découvert en 1954 par A. C. Blanc, au même moment que le gisement de Torre in Pietra (Blanc 1955). Il s'agit d'un abri effondré dans une falaise de travertin ouvert à sa partie postérieure par l'activité d'une carrière près du village de Palidoro, environ trois kilomètres au nord de Torre in Pietra (30 km au NO de Rome). Des couches holocènes (Néolithique et Âge du Bronze) sont situées au-dessus de la voûte de l'abri. Le dépôt pléistocène de l'abri contient une faune abondante caractérisée par le Cerf, le Cheval hydruntin, le Bœuf ainsi que le Sanglier et le Cheval, moins abondant (Cassoli 1976-1977). Cette faune indique une situation climatique plutôt tempérée, en accord avec une oscillation du stade isotopique 2, postérieure au maximum du dernier Pléniglaciaire et antérieure au Bølling, compte tenu des dates déjà mentionnées, comprises entre 16 000 et 14 000 14 C BP (Alessio et al. 1976-1977) et des analyses sédimentologiques (Palmieri 1976-1977). L'industrie lithique des fouilles 1955, étudiée initialement par G. Laplace selon sa « Typologie Analytique » (Laplace 1966) a été ensuite réétudiée et illustrée en détail (Bietti 1976-1977) et consiste en burins pour la plupart dièdres, grattoirs en grande majorité en bout de lame avec quelques exemplaires « en éventail » allongés (triangulaires), outillage à dos abondant et en majorité microlithique, ainsi que quelques autres types de microlithes (par ex. lamelles tronquées, à encoche, à fine retouche) et lames retouchées. En ce qui concerne la technologie et les matières premières, il s'agit, comme dans la Grotta del Fossellone, d'une industrie en grande majorité sur galets avec présence de silex importé surtout sous forme de supports et de pièces retouchées. Contrairement à l'industrie du Fossellone, la percussion sur enclume est rarement employée : le rapport entre les pièces esquillées (fig. 34 n° 1 - 3) et les « vrais » nucléus (prismatiques à un plan de frappe, deux plans de frappe opposés, deux plans de frappe orthogonaux et globulaires) varie entre 0,0 et 0,14 au sein des huit décapages de la fouille 1955 et est de 0,076 pour l'ensemble des décapages (il était de 7,14 à la Grotta del Fossellone !). En outre, il n'y a aucune trace de produits de débitage (dièdres, éclats avec négatifs ventraux, etc.) très abondants par contre au Fossellone. On doit noter aussi que la majorité des pièces esquillées de Palidoro sont de type nucléiforme (fig. 34, en particulier le n° 3) : elles peuvent ainsi être interprétées comme des résidus de nucléus prismatiques très exploités, dans un processus de réduction des nucléus pour la production de lamelles. En effet, il y a aussi un certain nombre de nucléus à un plan de frappe (13 % du total des nucléus) qui présentent des traces d'appui sur enclume sur l'extrémité opposée au plan de frappe et il est raisonnable de les interpréter comme des formes de passage dans ce processus de réduction. L'abri Salvini est situé dans la ville de Terracina (15 km au sud-est du Mont Circé). Il fait face à la mer et se trouve à environ 35 m au-dessus du niveau actuel, sur une falaise du Crétacé des monts Ausoni. Il a été découvert en 1958 par un groupe de spéléologues local (Chiappella et al. 1958-1961) et un petit sondage a été effectué par L. Cardini en 1963. À l'extérieur de l'abri, avaient été récoltées plusieurs pièces aurignaciennes (grattoirs carénés et à museau, etc.), très semblables à celles de la Grotta del Fossellone. Les fouilles régulières (1979-1990), sous la direction de A. Bietti, ont montré que le dépôt de l'abri avait été remanié quasiment jusqu' à un mètre de profondeur pour des habitations de bergers, de la fin du XIX e siècle jusqu' à il y a une soixantaine d'années : le sondage de 1963 avait été effectué dans ce dépôt. La couche en place est plutôt homogène, y compris du point de vue de la sédimentologie (Alessio et al. 1993 : pp. 113-122), de couleur gris-noir, plus foncé dans la partie extérieure de l'abri, séparée de la partie intérieure par de grands éboulis. Les datations déjà mentionnées varient d'environ 13 300 à 12 400 14 C BP pour la partie extérieure (Alessio et al. 1993 : pp. 110-113) et se situent autour de 11 000 14 C BP pour la partie intérieure (comm. pers. de M. Alessio). Les études sont encore en cours mais, à ce jour, les industries et la faune sont à peu près les mêmes dans les deux parties du dépôt. La faune (Bietti et Stiner 1992; Alessio et al. 1993 : 122-127) est constituée majoritairement par du Cerf, suivi par des équidés (surtout l'Hydruntin), le Sanglier et en faible pourcentage, le Chamois, le Chevreuil et le Bouquetin, en accord avec les dates absolues et une situation climatique correspondant soit à la transition du Bølling - Dryas II soit Allerød - Dryas III. L'industrie, très abondante, est typologiquement similaire à celle de Palidoro : la seule différence évidente est la présence plus ou moins importante (selon les différentes tailles et carrés de fouille) de microlithes géométriques, surtout des triangles isocèles et scalènes et, par conséquent, des microburins. D'un point de vue technologique, la situation est également à peu près la même qu' à Palidoro : les pièces support sont tirées en grande majorité de galets locaux (mais un peu plus petits) avec la présence constante de silex importé, encore une fois surtout sous forme de pièces support et d'outils retouchés. Les pièces esquillées sont en majorité de type nucléiforme (fig. 35 n° 4-7) et le rapport entre celles -ci et les « vrais » nucléus est de l'ordre de 0,2 à 0,6 ce qui est plus important qu' à Palidoro mais toujours inférieur à 1, contrairement à ce qui était observé au Fossellone. Cette différence avec Palidoro pourrait être expliquée par un processus de réduction et d'exploitation plus intensif, étant données les dimensions plus petites des galets. Une nouvelle fois, les produits reconnaissables de la percussion sur enclume sont absents ou extrêmement rares. Nous avons examiné dans ce travail trois exemples de taille bipolaire à travers le temps dans le Latium : le premier, étudié plus en détail et à l'aide de l'expérimentation, concernant le Moustérien, et en particulier l'industrie du Moustérien tardif de Grotta Breuil, le deuxième concernant l'Aurignacien (Grotta del Fossellone) et le troisième le Paléolithique supérieur final (abri de Palidoro et abri Salvini). Le seul caractère commun aux trois ensembles d'industrie est l'utilisation des galets de silex locaux comme matière première, d'une façon exclusive dans le Moustérien et prédominante dans le Paléolithique supérieur, mais les modalités d'utilisation sont cependant très différentes. Dans le cas du Moustérien, la percussion sur enclume constitue surtout un moyen efficace pour ouvrir les galets et, en tout cas, se situe au début de la chaîne opératoire, comme on l'a vu également lors de l'expérimentation. En conséquence, quelques éclats corticaux ou demi galets sont transformés immédiatement en outils retouchés (surtout racloirs), comme au Fossellone ou dans les couches inférieures de Grotta Breuil (cf. par exemple, le galet remonté fig. 6). En accord avec cette hypothèse, les pièces esquillées sont très rares ou absentes dans les ensembles moustériens examinés et la percussion n'y a pas été effectuée selon un axe préférentiel du galet, bien qu'il soit difficile de l'établir d'une façon quantitative sur les produits archéologiques du débitage (pièces cassées, absence de stigmates typiques, etc.) en accord avec les résultats de l'expérimentation. Dans l'Aurignacien du Fossellone, la situation est complètement différente : dans ce cas, la percussion sur enclume constitue une chaîne de débitage à part entière, à partir du galet jusqu' à la production des pièces support des outils. Il s'agit de la plus importante des chaînes qui s'effectuent dans le site (tabl. 17), tandis que les outils sur silex exotique sont les produits de processus de réduction qui s'effectuaient ailleurs. Il y a maintenant un axe préférentiel de percussion, à savoir l'axe longitudinal du galet, comme en témoigne l'abondance de pièces esquillées, en majorité à écaillures opposées, qui jouent le rôle de nucléus et l'abondance des produits « longs » de débitage (les dièdres, par exemple) (tabl. 17), en accord avec les expériences de taille effectuées (fig. 33). L' Épigravettien nous offre un troisième exemple encore différent, de l'utilisation de la percussion sur enclume avec les ensembles de Palidoro et de l'abri Salvini (il en est de même à Grotta Polesini; cf. Radmilli 1974 : p. 38). Dans ce cas, elle est placée à la fin de la chaîne opératoire pour la production de lamelles, comme en témoignent les pièces esquillées, en majorité nucléiformes, qui peuvent alors être considérées comme une étape finale de l'exploitation des nucléus prismatiques, tant à plans de frappe opposés que croisés (fig. 35 n° 7). Il est intéressant d'observer que cet emploi de l'enclume pour exploiter d'avantage les nucléus prismatiques n'est pas seulement une caractéristique du Latium, mais qu'il est encore plus évident dans l' Épigravettien du Salento (Pouilles méridionales) où, outre quelques produits de débitage (par ex. lamelles à deux bulbes opposés) on peut reconnaître toute une série de nucléus de transition vers la pièce esquillée (cf. Gambassini 1970 pour le cas des grottes Cipolliane). On peut ajouter, en conclusion de cet article, quelques réflexions sur le rôle éventuel des pièces esquillées comme outils dérivés du débitage du bois et surtout des matières dures animales. L'absence (ou même l'extrême rareté) de ces pièces permet d'exclure ce type d'action pour le Moustérien. Dans l'Aurignacien, au contraire, le débitage d'os en utilisant des éclats de silex comme ciseaux est bien possible, étant donnée la présence importante de l'outillage en os, surtout de sagaies à base fendue. Toutefois, ce type d'activité aboutirait, selon nous, plus probablement à des pièces majoritairement identifiables comme des produits du débitage sur enclume (en particulier ceux avec écaillures, comme le dièdre esquillé de la figure 33, n° 6), qu' à des pièces esquillées. Ces dernières, comme nous l'avons déjà souligné, seraient en grande majorité des nucléus au stade final. Des analyses tracéologiques seraient très importantes à ce sujet, bien que le matériel à examiner provienne d'anciennes fouilles. Par contre, les pièces esquillées n'ont probablement pas été employées pour travailler l'os à l' Épigravettien, ou alors de manière anecdotique, étant donné qu'elles sont en majorité nucléiformes et qu'il y a de nombreuses formes de transition entre elles et les nucléus prismatiques. giacimento Paleolitico nella Villa Salvini a Terracina. Quaternaria Nova 5:323 .
En Italie, sur la base de la littérature existante, la percussion sur enclume semble être présente dans des industries lithiques qui couvrent une période extrêmement longue, du début du Pléistocène moyen jusqu'à l'Holocène. Dans ce travail, nous allons essayer d'examiner en détail la présence et les caractéristiques de la percussion sur enclume dans quelques sites du Latium, certains moustériens, comme Grotta Guattari, Grotta Breuil et Grotta del Fossellone (niv. 27β), d'autres du Paléolithique supérieur initial (Grotta del Fossellone niv. 21) et final (Riparo Salvini et Riparo Palidoro). Une activité expérimentale nous a permis de définir les paramètres morphologiques utiles à la reconnaissance des artefacts taillés sur enclume au sein du matériel archéologique. L'influence des conditions environnementales et, en particulier, de la matière première sera discutée dans les conclusions.
archeologie_12-0217488_tei_186.xml
termith-40-archeologie
La perforation est une étape délicate dans le façonnage des objets préhistoriques pour tous les types de matériaux : lithique, os, ivoire, bois animal ou même bois végétal généralement disparu. Cette étape est d'autant plus délicate quand il s'agit de perforer des objets de petites dimensions tels que des perles. Ces perforations, dans le cas des perles de l'abri Pataud du Blot et des Peyrugues (fig. 1), ont un but utilitaire pour assurer la suspension de certaines parures, ou pour fixer un objet sur un vêtement. Cependant les perforations pouvaient servir également d'éléments décoratifs tel que celles qui entourent cette rondelle du Mas d'Azil, ou bien ce décor en cupules ornant cette pendeloque de Sungir (fig. 2-3). On peut également observer cette recherche décorative à des périodes plus récentes. Par exemple sur cette palette à fard égyptienne du III e millénaire, la perforation de l' œil de l'oiseau est inscrite dans un triangle et n'est pas circulaire (fig. 4). Travail minutieux réalisé à l'archet avec trois inclinaisons différentes de l'axe du perçoir. Cette méthode de perforation à l'archet permet une rotation multi-tours. Elle est apparue au cours du mésolithique. Cette étude a pour but de rechercher le mode opératoire de la perforation des perles du paléolithique. Nous analyserons les paramètres liés à la perforation, suivis d'une simulation géométrique montrant l'influence de certains de ces paramètres sur la forme de la perforation, ce qui nous emmène à un exemple d'expérimentation de perle. Enfin, nous mentionnerons le matériel d'analyse, spécialement le microrugosimètre, permettant d'observer les caractéristiques des perforations de pièces archéologiques. On peut distinguer deux types de paramètres : ceux liés à l'outil qu'est le perçoir ou micro-perçoir, l'autre dépendant de la manière dont l'artisan l'utilise. Le perçoir utilisé au Paléolithique est un outil en matière dure, souvent en silex, de forme pyramidale. Les 2 arrêtes latérales sont tranchantes et forment entre elles un angle appelé angle d'ouvertur e (fig. 5). Les arrêtes tranchantes de cet outil peuvent présenter des discontinuités angulaires. On appellera angle d'épaulement ce changement d'orientation. Cet angle peut être positif ou négatif. (fig. 5). L'axe du perçoir n'est pas systématiquement perpendiculaire à la surface à perforer, cet angle sera appelé angle d'incidence. Au Paléolithique supérieur la perforation se faisait par un mouvement alternatif de semi-rotation d'une amplitude inférieure ou égale à 180°. Au Mésolithique l'utilisation de l'archet a permis de réaliser des perforations multi-tours. D. Stordeur et G. Pion le mentionnent lors d'une analyse d'une plaquette perforée de La Fru (Stordeur et Pion, 1993). La force d'appui ne sera pas prise en considération; ce paramètre ne joue essentiellement que sur la durée de réalisation du percement. L ' oscillation de l'axe de l'outil peut être considérée comme négligeable. L'expérience montre que ce paramètre, important en début de perforation, est minoré en cours de pénétration, le perçoir étant guidé par les flans du volume perforé. La perforation est généralement biconique. Le paramètre lié au positionnement relatif des axes en angle d'incidence et en écartement linéaire pour chacun des deux perçoirs vient s'ajouter aux paramètres précédents (fig. 5). Les simulations en géométrie descriptive permettent de mettre en évidence l'importance de ces paramètres. Deux exemples vont le montrer (fig. 6-7). – Influence de l'angle d'incidence Dans cet exemple (fig. 6) l'axe du perçoir est décalé tous les 5° entre 0° et 20° par rapport à l'axe perpendiculaire à la surface. La bi-perforation simulée est réalisée avec deux perçoirs identiques de forme simple c'est-à-dire de section triangulaire, d'angle d'ouverture de 60° et animés d'un angle de semi-rotation de +/-180°. La variation de l'angle d'incidence s'effectue uniquement sur le perçoir de la face supérieure. La partie encadrée montre la déformation de la perforation, c'est une vue de dessus de la surface perforée. L'ovalisation de la partie hachurée est uniquement due au perçoir supérieur. On observe également le décentrement de la zone blanche qui est la jonction des deux perçoirs. C'est la perforation elle -même. – Influence de l'angle de rotation La simulation présentée est faite dans le cas de la bi-perforation (fig. 7). Le perçoir de la face supérieure possède un angle d'épaulement. L'axe de rotation du perçoir est perpendiculaire à la surface à perforer. Le paramètre variable est l'angle de semi-rotation pour lequel trois valeurs ont été choisies : +/-360°, +/-180° et +/-120°. Cette dernière valeur est expérimentalement la plus naturelle. On observe dans ce cas un pincement de la figure obtenue. L'expérimentation sur une plaque de talc montre l'identité de forme (fig. 8). De nombreuses pièces archéologiques présentent ce type de déformation. C'est le cas de cette rondelle perforée de Bedeilhac (fig. 9) ou des perles d'origine diverses par exemple la perle 30 de l'abri Pataud (fig. 9). Il est à noter que cette valeur de 120° est un ordre de grandeur que l'on retrouve sur les perforations utilisant la technique de semi-rotation. La perforation est une étape délicate. Elle est réalisée avant la mise aux dimensions finales et le polissage. C'est tout au moins le cas de perles ou de pendeloques de petites dimensions, la minceur de la paroi en est la raison. L'expérimentation suivante va l'illustrer. Elle est faite dans le cadre d'une étude sur le mode opératoire de fabrication de perles magdaléniennes en stéatite des Peyrugues de la couche 3 (fig. 10a). Ses dimensions sont : 6 mm de longueur sur 3 mm dans sa plus grande largeur et ~2 mm d'épaisseur avec une perforation ≤ 1 mm. La stéatite, minéral proche du talc, a une dureté de 1 dans l'échelle de Mohs, elle est donc très tendre. Des tests sur talc ont montré que différents types de perçoirs pouvaient être utilisés avec succès : silex, os, ivoire, et même bois en genévrier. Les comparaisons de tracéologie entre les perles archéologiques et les perles expérimentales ont montré que les perforations avaient été réalisées avec des outils en silex. L'irrégularité de la paroi active de l'outil est due aux éclats de la taille de façonnage du perçoir et se retrouvent sur les flans de la perforation (Rodiere 1996). Cette étude a été élargie à d'autres matériaux lithiques de dureté plus grande : calcaire, bauxite (dureté 3-4), azurite (dureté 4-5) ainsi qu'ivoire et os (fig. 10b). Seul le perçoir en silex est utilisable. Le tableau 1 montre le temps mis pour perforer les perles de ce type en fonction des différents matériaux. La tenue de la perle entre le pouce et l'index permet le façonnage aussi bien de la perforation que des finitions par abrasion et par polissage malgré leurs petites dimensions (6 mm x 3 mm x 1,5 mm). Cette opération de perforation était précédée par un marquage initial de positionnement soit par piquetage pour les matériaux lithiques, soit par grattage comme on peut l'observer sur certaines dents perforées. L'expérimentation sur ce type de perles des Peyrugues s'est poursuivie par un test d'usure sur des perles montées en collier (fig. 11). Les perles en stéatite étaient disposées 2 par 2, chaque groupe étant séparé par des dentales, (coquillages marins provenant de la Méditerranée ou de l'Atlantique [Taborin, 2004 ]) trouvés sur le site à proximité des perles en stéatite. Le collier est placé contre un support en peau non tannée, incliné à 15°, sur une table vibrante avec des fréquences variables donnant ainsi des mouvements aléatoires à l'ensemble du collier. L'impact dentale/perle est net et fait apparaître un évasement au niveau de la perforation, évasement que l'on retrouve sur la perle archéologique (fig. 12). Pour l'étude des perforations nous avons utilisé une binoculaire, le Microscope Electronique à Balayage (MEB) ainsi que le Microrugosimètre. Ce sont des équipements très complémentaires. Le MEB permet de réaliser des images à fort grossissement avec une grande profondeur de champ, de définir la nature des différents éléments constituant la surface observée et même d'en établir une cartographie. Le microrugosimètre permet de quantifier les irrégularités de surface de l'objet : stries, courbure de la surface, rupture de planéité… Nous décrirons uniquement les possibilités de ce dernier équipement, le MEB étant devenu un équipement d'analyse fréquemment employé. Le microrugosimètre est un instrument d'analyse des surfaces par balayage optique sans contact mécanique, donc sans risque de perturbation de l'objet. C'est un équipement de micromesure STIL avec capteur optique haute résolution CHR 150. Il a été utilisé notamment pour l'analyse de plaquettes de La Marche (Mélard, 2008). Son principe est de focaliser une source de lumière blanche sur la surface à observer par l'intermédiaire d'une optique à chromatisme axial. La lumière est diffractée uniquement dans l'axe de l'optique et une seule longueur d'onde lumineuse est focalisée sur l'objet (fig. 13-14). Un retour optique renvoie le signal lumineux sur un spectromètre. L'analyse se fait par balayage de la surface à observer. Plusieurs optiques sont disponibles suivant la profondeur de champ désirée (tableau 2). On obtient donc un réseau de points donnant une image en fausses couleurs chacune correspondant à l'altitude relative de chaque point d'analyse de la surface (fig. 13). Nous avons pris pour exemple l'observation de la perle 30 de l'abri Pataud. De cette acquisition de mesures, un logiciel permet d'extraire des lignes de profil dans toutes les directions, il permet également d'afficher la valeur du rayon de courbure de la zone bombée, de même que l'angle d'ouverture de la perforation (fig. 15). Les perles de l'abri Pataud ont des similitudes de dimensions mais diffèrent légèrement par leur forme (fig. 16) (Brickeer, 1995). Les unes sont bombées sur les deux faces, les autres ont un bombement sur une seule face, l'autre face est plane et légèrement arquée. Cette surface aurait pu être rabotée à partir de la forme précédente et donc amincir son épaisseur. Dans les deux cas la perforation est réalisée par semi-rotation de ~120°. Les angles d'ouverture de la perforation varient de 50° à 75° suivant les perles. Toutes n'ont pu être mesurées à cause de la présence de vernis protecteur qui masque les traces superficielles et agglomère les sédiments où se trouvaient ces perles. Il y a analogie de forme avec des perles de la même époque Gravettienne : celles des Peyrugues (Allard et al., 1967) et celle du Blot (fig. 17). Toutes les trois présentent bulbes, ensellement et perforation biconique par semi-rotation, seules les dimensions diffèrent allant de ~ 7,5 mm pour les perles de l'abri Pataud, 10 mm pour celles des Peyrugues, à 13 mm pour celle du Blot. Pour certaines perles de l'abri Pataud seule une des faces est aplanie c'est le cas de la perle 24 (fig. 17), elles ont alors une plus faible épaisseur. Il y a similitude de forme des perles de ces trois sites avec celles retrouvées au voisinage de sépultures à Sungir en Russie et à Grub/Krawetberg en Autriche (Antl, 2005). Elles sont datées de la même période et réalisées en os ou ivoire de mammouth (White, 1993) comme celles de l'abri Pataud des Peyrugues et du Blot. Avec ces équipements, complétés par l'expérimentation, il est possible de remonter au façonnage des perles préhistoriques et de tout objet perforé : – à l'ouverture de la perforation, – à l'angle d'incidence du perçoir par rapport à la surface, – à l'angle de semi-rotation, donc à la tenue de l'outil pour réaliser ces perforations, – aux rayons de courbure des surfaces bombées, – aux stries et irrégularités de surface. En cela Microscope Electronique à Balayage (MEB) et microrugosimètre sont très complémentaires. Le MEB a une grande profondeur de champ et peut donner la nature des éléments de surface de l'objet observé, le microrugosimètre permet de chiffrer les formes et les irrégularités de surface sans contact donc sans risque de dégradation. Les hypothèses faites sur les paramètres liés à la perforation sont valables et l'expérimentation simule bien les perforations observées sur les perles archéologiques .
Cet article a pour but l'étude des modes de perforation des perles préhistoriques par la détermination de différents paramètres, la vérification de la validité de ces différents paramètres par l'expérimentation, les analyses et comparaisons entre les perles expérimentales et les perles préhistoriques par les examens non destructifs au Microscope Electronique à Balayage (MEB) et au micro-rugosimètre.
archeologie_12-0354107_tei_366.xml
termith-41-archeologie
Depuis les remarques d'Ascher (1968) et les travaux de Schiffer (1972), l'idée que tous les sites archéologiques ont subi à des degrés divers des transformations après leur abandon par l'Homme s'est très largement imposée (Schiffer 1983, 1987; Binford 1981; Butzer 1982; Bertran 1994; Waters 1992). De manière à apprécier ces transformations, plusieurs types d'approches taphonomiques ont été développées. L'état de surface et la fragmentation des différents types de vestiges, leur composition granulométrique, la fabrique (orientation et inclinaison des objets), la distribution des remontages et la répartition spatiale du matériel archéologique font partie des critères les plus communément utilisés dans ce but. L'interprétation des résultats obtenus est fondée sur une comparaison avec des référentiels actuels, naturels ou issus de l'expérimentation. Certains aspects, comme les transformations provoquées par les processus sédimentaires et biologiques sur la répartition des vestiges, n'ont cependant fait l'objet que d'un nombre limité de travaux. Ils concernent essentiellement le domaine fluviatile, documenté par les expériences de Schick (1986), les perturbations provoquées par les labours (Steinberg 1996), la reptation liée à la formation d'aiguilles de glace en surface (Bowers et al., 1983) et l'activité de la faune du sol (Cahen et Moeyersons 1977; Johnson 2002; Araujo et Marcelino 2003). L'une des principales raisons est la lourdeur des expériences à mettre en œuvre pour rendre compte des configurations archéologiques. Une des limitations de la démarche expérimentale réside en effet dans la durée des expériences, qui est souvent trop courte pour aboutir à des résultats directement applicables à l'archéologie. Le caractère opératoire des modèles expérimentaux varie cependant beaucoup en fonction des mécanismes sédimentaires étudiés. Comme le montrent les travaux de Schick (1986), les transformations subies par des ensembles archéologiques en milieu fluviatile sont principalement liées à quelques événements efficaces et peuvent être ainsi appréhendées de manière relativement fiable au cours d'expériences limitées dans le temps. Dans ce type de milieu, seul un enfouissement rapide prévient la destruction complète d'un site. A l'inverse, d'autres mécanismes comme la reptation sont caractérisés par la répétition pendant une longue période de déplacements minimes, de l'ordre de quelques millimètres ou centimètres par an, qui affectent collectivement l'ensemble des objets archéologiques. L'expérimentation seule ne permet donc pas de décrire de manière adéquate la nature des déformations provoquées par ces mécanismes. De ce fait, la mise en évidence de tels phénomènes sur un site est généralement traitée de manière intuitive. Dans les sites paléolithiques du sud-ouest de la France, les témoignages de phénomènes périglaciaires et en particulier de la solifluxion, c'est-à-dire de la reptation du sol due aux alternances de gel et de dégel, ont fréquemment été observés (Bertran, 1994; Texier, 2001; Couchoud, 2002). Cependant, en l'absence de modèle adapté, l'impact de ce processus sur la formation des niveaux archéologiques reste mal compris. Ce constat s'est posé avec acuité lors de l'étude de deux sites du Paléolithique moyen, Petit-Bost et Croix-de-Canard, récemment découverts à l'occasion des travaux d'archéologie préventive sur le tracé de l'autoroute A89 à proximité de Périgueux (Dordogne, France). Pour ces deux sites, l'étude géoarchéologique a montré que la solifluxion avait probablement joué un rôle significatif dans la mise en place des dépôts. La démarche expérimentale ne permettant pas une approche correcte de ce processus, le recours à une simulation informatique basée sur des données expérimentales s'est imposée pour obtenir un modèle qui puisse rendre compte des situations archéologiques rencontrées à Petit-Bost et Croix-de-Canard. Cette démarche, comparable à celle mise en œuvre par Bowers et al., (1983), s'est appuyée sur les résultats du programme TRANSIT (Transfert de Référentiels Actuels de l'étage Nival aux SITes paléolithiques) qui s'est déroulé en milieu périglaciaire alpin (Texier et al., 1998; Todisco et al., 2000). Ce travail se propose donc d'exposer les résultats d'une simulation des déformations occasionnées par la solifluxion, d'en dégager des implications sur la répartition des vestiges, puis de confronter les configurations obtenues à celles observées sur les sites de Petit-Bost et de Croix-de-Canard. Ces deux sites sont d'abord présentés. Le site de Croix-de-Canard (fouilles L. Detrain) est localisé sur une terrasse de la vallée de l'Isle à une trentaine de kilomètres à l'ouest de Périgueux (fig. 1). Plusieurs niveaux du Paléolithique moyen y ont été mis en évidence. Le plus récent (“ secteur 2”), qui est le seul abordé dans cette étude, a été trouvé à environ 0,60 m de profondeur dans des colluvions sablo-argileuses. La pente de la nappe de vestiges atteint 3°. Le faible enfouissement du site laissant suspecter un rôle important des processus naturels dans la constitution du niveau archéologique, une étude taphonomique détaillée a été entreprise. Les principales conclusions de cette étude sont les suivantes (Detrain et al. rapport en cours; Bertran et Lenoble 2002) : Les objets présentent une orientation préférentielle très marquée selon la pente (fig. 2). Une telle orientation préférentielle n'a jamais été observée dans des sites archéologiques non perturbés; elle entre en revanche dans le champ des valeurs connues pour la solifluxion (fig. 3). L'hypothèse de transformations importantes par la dynamique de versant au cours des phases froides du Pléistocène récent apparaît donc très vraisemblable. L'absence de véritable concentration et la faible densité des vestiges plaident également en faveur d'une dispersion sur une grande surface d'unités archéologiques initialement mieux délimitées. Malgré cela, un fort taux de remontage a été trouvé. Il atteint 37 % du total du matériel récolté, valeur comparable à celle connue dans de nombreux sites d'habitats paléolithiques. L'hypothèse d'une altération importante de la physionomie initiale du site par la solifluxion a donc été retenue à l'issue de l'étude taphonomique, bien que l'intégrité du matériel lithique semble avoir été en grande partie préservée. Le site de Petit-Bost (fouilles L. Bourguignon) est localisé dans un contexte identique à environ 3 km à l'Ouest du précédent. Le principal niveau archéologique (« niveau 1 ») présente une pente de 4°. Il a été trouvé à environ 1,3 m de profondeur dans des colluvions sablo-argileuses recouvrant la terrasse alluviale. L'analyse taphonomique met en évidence les points suivants (Bourguignon et al., rapport en cours) : Comme à Croix-de-Canard, les objets présentent une orientation préférentielle très significative, qui suggère un déplacement par solifluxion sur le versant (fig. 3). L'abondance des traces liées à la présence de glace dans le sol (pseudomorphoses de coins de glace, structures lamellaires dues à de la glace de ségrégation en lentilles) appuie cette hypothèse. De façon contradictoire et à l'opposé de ce qui a été observé à Croix-de-Canard, les données archéologiques suggèrent que les transformations subies par le site ont été négligeables. Les arguments consistent en : 1) une forte densité locale du matériel lithique et le caractère relativement bien délimité des concentrations, ce qui suppose que la répartition des vestiges n'ait pas été affectée par un phénomène d'homogénéisation par les processus naturels (fig. 4); 2) la présence de plusieurs remontages représentant 20 % de l'ensemble de pièces et pouvant mettre en jeu un nombre important de pièces (118 pour le plus important). Ces remontages sont essentiellement regroupées au sein d'une unique concentration. Celle -ci est interprétée comme une aire de débitage, sans que l'on puisse à proprement parler d'amas en raison de sa forme allongée et de ses grandes dimensions. Pour le site de Petit-Bost, l'étude taphonomique bute donc à ce stade de l'analyse sur le constat d'une coexistence dans un même niveau archéologique de caractères à la fois d'origine indéniablement anthropique, en particulier en ce qui concerne la répartition spatiale des vestiges, et d'indices de perturbations par des processus naturels, en l'occurrence par la solifluxion. L'expérience TRANSIT a été conçue pour documenter les transformations occasionnées par les processus périglaciaires sur des assemblages lithiques et osseux. Pour cela, différentes expériences ont été implantées sur un versant du massif de la Mortice, dans les Alpes méridionales françaises, à 3075 m d'altitude (fig. 5). Le climat est caractérisé par une température moyenne annuelle d'environ –3°C, ce qui suppose la présence d'un pergélisol et des précipitations comprises entre 1500 et 2000 mm. La dynamique de versant, typique de l'étage périglaciaire, est dominée par la solifluxion et se traduit par la formation de coulées à front pierreux d'épaisseur semi-métrique qui progressent vers l'aval à raison de quelques centimètres par an (fig. 6). Localement et de manière temporaire, d'autres processus sédimentaires peuvent être actifs. Ils correspondent à des transports de sables et de plaquettes de schiste par le vent, ainsi qu' à des incisions par le ruissellement au cours des orages estivaux. Ces processus ne laissent que peu de traces dans l'enregistrement sédimentaire, dans la mesure où les dépôts associés sont rapidement repris par la solifluxion et intégrés aux coulées. En coupe, les dépôts présentent une stratification plus ou moins bien exprimée, qui reflète l'empilement progressif des coulées successives (Bertran et al. 1993, 1995). Parmi les expériences effectuées (Texier et al. 1998), l'une d'entre elles a été consacrée à l'enregistrement des déplacements à la surface des coulées, sur des pentes de 8 à 14°. Les objets marqués étaient répartis dans cinq cellules différentes, dont les mouvements ont été suivis sur une période de cinq ans (1991-1996) (fig. 7 et 8). Ces déplacements sont principalement provoqués par les alternances de gonflement et d'affaissement du sol liés à la cristallisation de glace en lentilles (cryoreptation), par le soulèvement et la reptation des graviers dus à la formation d'aiguilles de glace en surface (pipkrakes), ainsi que par les déformations liées à la sursaturation en eau au dégel (gélifluxion) (Coutard et Ozouf 1996). Une caractérisation statistique des déplacements a été menée par Todisco (1999) et Todisco et al. (2000). Ce travail montre que les déplacements annuels moyens sont de l'ordre de quelques centimètres pour toutes les cellules (moyennes sur 5 ans comprises entre 1,8 et 3,6 cm/an) (fig. 9). Parmi les mouvements enregistrés, rares sont ceux qui dépassent une quinzaine de centimètres. Une variabilité interannuelle significative, essentiellement corrélée avec le nombre de jours de pluie au cours des mois d'été, apparaît également. En raison de la haute altitude, les alternances de gel-dégel se produisent en effet surtout durant les mois de juillet, août et septembre, le sol restant gelé ou couvert de neige le reste de l'année. Pendant la période estivale, l'efficacité des gels nocturnes (c'est-à-dire leur capacité à donner naissance à de la glace de ségrégation dans le sol) est contrôlée par l'humidité du sol, elle -même tributaire de la pluie tombée les jours précédents. Quelques déplacements dépassent cependant d'un ou deux ordres de grandeur les valeurs moyennes et peuvent atteindre 1 m en une année (fig. 10). Ils sont considérés comme « accidentels », en ce sens que la distance parcourue est trop importante pour être expliquée par la seule solifluxion. Ces déplacements, qui concernent préférentiellement les charbons de bois et les ossements, sont attribués à l'action du ruissellement, de la grêle et/ou du vent. Une variabilité spatiale significative a également été constatée. Typiquement, les éléments marqués disposés sur les fronts et les bords pierreux des coulées progressent plus lentement que ceux qui reposent sur la partie centrale à texture plus fine. Le principe de la simulation consiste à programmer des déplacements dont les caractéristiques statistiques (longueur, orientation) sont identiques à celles des déplacements mesurés dans l'expérimentation. Cette démarche prend donc en compte la variabilité importante des mesures, qui joue un grand rôle dans les processus de dispersion des objets. La distribution des mouvements liés à la solifluxion suit une loi log-normale. Elle peut alors être caractérisée par la moyenne géométrique et l'écart-type des valeurs transformées en log base 10 (Caine 1968). Les déplacements accidentels ont été traités de manière séparée. Leur importance relative a d'abord été quantifiée. Pour cela, la proportion d'objets qui ont subi un grand déplacement a été déterminée pour chaque cellule et par année, en considérant comme appartenant à cette classe toute distance parcourue présentant une probabilité inférieure à 1 % d' être due à la solifluxion. Cette proportion atteint 4 % du total des déplacements enregistrés. Un test de Student indique que cette proportion ne diffère pas sensiblement sur la durée de l'expérience selon que les objets soient des silex ou des ossements. Ce n'est pas le cas pour la distance maximale parcourue, qui atteint 3 m dans le cas des ossements (fig. 6B) alors qu'elle ne dépasse pas 1 m pour les silex (fig. 10A). Pour ces derniers, la distribution des déplacements suit une loi log-normale. L'analyse montre également que les grands déplacements sont d'autant plus orientés vers la pente que la distance parcourue est forte. La distribution des directions de déplacement a été ajustée à une loi normale circulaire de type Von Mises (Baschelet 1981) et l'écart-type angulaire a été déterminé. Cet ajustement a été réalisé pour trois sous-populations de manière à prendre en compte la corrélation existante entre orientation du déplacement et distance parcourue. A partir de ces données, une simulation informatique a été réalisée. Dans le programme de simulation, des déplacements sont calculés de façon à obtenir une distribution des distances parcourues et des directions de mouvement qui présentent les mêmes caractéristiques statistiques que celles des données expérimentales. Le programme procède par boucle. A chaque itération, qui représente un an de fonctionnement de l'expérience TRANSIT, des valeurs de déplacement de mêmes caractéristiques que les données expérimentales sont générées. Ainsi, pour chaque année simulée, les coordonnées X, Y des objets deviennent (l'axe des Y étant parallèle à la pente) : X n+1 = X n + d cos a Y n+1 = Y n + d sin a où d : distance de déplacement (en cm) a : valeur de l'angle entre la direction de déplacement et la pente (en radians) La programmation a été réalisée avec le logiciel Data Desk version 6.1, qui offre une interface graphique permettant de suivre l'évolution de la répartition des objets à chaque étape. Plusieurs hypothèses ont été introduites dans cette programmation. La principale concerne la distribution des vestiges avant qu'ils ne soient déplacés. La configuration initiale retenue ici est celle d'un amas de taille; elle est motivée par les raisons suivantes : Sur les sites de Petit-Bost et Croix-de-Canard, les données archéologiques ont mis en évidence des activités de débitage du silex. La présence d'amas ultérieurement rendus illisibles par les perturbations naturelles est donc une hypothèse plausible. Cette configuration a été utilisée pour d'autres expériences (Schick 1986; Barton et Bergman 1982). Les résultats des différentes expériences peuvent donc être comparés. Ce type de structure est bien connu et a été reproduit expérimentalement (Newcomer et Sieveking 1980; Hansen et Madsen 1983; Boëda et Pellegrin 1985). De manière à pouvoir quantifier les modifications de la répartition des objets tout au long de la simulation, nous avons fait appel à “l'Analyse Dimensionnelle de la Variance” proposée par Whallon (1973). Cette méthode est utilisée en archéologie pour analyser la répartition spatiale d'objets dans un site et identifier l'existence et la taille des concentrations. Le plan de répartition des objets est découpé en surfaces élémentaires (ici 1/64e de m2, soit 12,5 cm x 12,5 cm). Les surfaces élémentaires sont ensuite doublées, puis quadruplées, etc… et la variance de la distribution des vestiges est calculée à chaque étape (la méthode de calcul est exposée dans Whallon 1973). Le nombre moyen d'objets par unité de surface est également calculé, ce qui permet d'établir un rapport variance / moyenne. La valeur de ce rapport est élevée si des concentrations d'objets existent; elle est en revanche faible dans le cas d'une répartition uniforme du matériel archéologique, c'est-à-dire si chaque surface élémentaire d'une taille donnée contient le même nombre d'objets (fig. 11). Le rapport est proche de 1 lorsque la répartition est « aléatoire », c'est-à-dire lorsque la distribution du contenu des surfaces élémentaires suit une loi de Poisson (Djindjian 1991). Un graphique rapport variance / moyenne en fonction de la taille de la surface élémentaire (que l'on appellera graphique de Whallon) permet d'identifier les mailles qui font le mieux ressortir les concentrations de vestiges ou les zones vides. Les premières correspondent aux pics sur le graphique. Le caractère significatif d'une concentration est testé à l'aide du Chi-carré. On peut reporter ainsi sur le graphique une zone de valeurs pour lesquelles les concentrations ne sont pas statistiquement significatives. La figure 11 présente le graphique obtenu pour l'amas de débitage utilisé dans la simulation. Deux pics ressortent sur ce graphique : le premier correspond à une maille de 1/16 m 2 (soit 0,25 x 0,25 m) et reflète la présence de sous-concentrations au sein de l'amas, tandis que le second apparaît pour une maille de 1 m2 et correspond à l'amas lui -même. Le rapport variance / moyenne est indépendant de la surface totale de l'aire étudiée. Il dépend en revanche de la position des concentrations par rapport à la grille de décompte utilisée (Djindjian 1991). Ceci explique sur la figure 11 la faible valeur obtenue pour la maille de 1/4 m 2 : la concentration, qui est placée au centre d'un carré de 1 m de côté, se retrouve répartie de façon égale entre les quatre sous-carrés de 50 cm de côté. Les modifications simulées d'un amas composé de 120 éléments font apparaître deux composantes (fig. 12). La première consiste en une translation vers l'aval du centre de l'amas, qui atteint environ 4 m par siècle. Les mouvements « accidentels », bien que peu nombreux (4 %), contribuent pour une large part (25 %) au déplacement général (fig. 13). La seconde composante est une déformation, qui se traduit par un accroissement de la taille de l'amas. La dispersion des objets, plus importante vers l'aval que dans la direction perpendiculaire, donne naissance à une concentration allongée dans la pente en forme d'ellipse ou d'éventail, avec une partie amont plus dense que la partie aval. Cette dispersion provoque un affaiblissement progressif de la concentration, bien visible sur les graphiques de Whallon (fig. 14). Cinquante à cent années simulées suffisent pour que la distribution des objets ne puisse plus être distinguée d'une répartition aléatoire, tandis que les sous-concentrations initiales ne sont plus perceptibles au-delà de vingt années. Ce phénomène de diffusion et d'homogénéisation peut également être illustré par l'évolution du nombre d'objets par unité de surface au cours de la simulation (fig. 15). La comparaison entre la concentration archéologique et la simulation montre de grandes similitudes dans la distribution spatiale des vestiges pour des déplacements correspondant à quelques centaines d'années. Ces similitudes concernent : La forme générale de la concentration. Celle -ci est étirée et son axe d'allongement est conforme à la pente. La distribution des objets au sein de la concentration. La moitié amont est beaucoup plus dense que la moitié aval. Cette dernière présente des limites floues, le nombre d'objets par unité de surface diminuant progressivement vers l'aval. L'hypothèse d'un amas de débitage déformé par la solifluxion rend donc bien compte des caractéristiques générales de la concentration d'objets découverte sur le site de Petit-Bost, autant pour la répartition spatiale que pour la présence d'une orientation préférentielle des vestiges dans la pente. La simulation ne permet cependant pas d'estimer précisément le degré de déformation de l'amas initial. En effet, l'asymétrie de la concentration peut être comparée avec celle obtenue dans la simulation pour 20 à 100 ans tandis que la dispersion maximale des vestiges dans la pente, qui atteint une dizaine de mètres, suggère un déplacement de plus grande ampleur, obtenu après environ 500 ans. Le graphique de Whallon ne met pas en évidence de concentration remarquable (fig. 16). On note cependant que le rapport variance / moyenne augmente légèrement pour les mailles de 1 et 2 m et que, sur cette base, la répartition des objets peut être rapprochée de celle obtenue par simulation pour 200 ans. Afin de préciser les caractéristiques de la répartition des objets, nous avons analysé séparément les remontages constitués d'un nombre significatif de pièces. Trois d'entre eux, composés respectivement de 118, 73 et 31 éclats, ont été pris en compte. La distribution des objets qui composent ces trois ensembles est globalement conforme à celle de la concentration principale : elle montre une dispersion des pièces essentiellement dans la pente, dont l'ampleur est comparable pour les trois remontages. Pour le remontage 1, la plus forte densité de vestiges est localisée à l'amont (fig. 17). Les graphiques de Whallon pour les remontages 2 et 3 sont comparables à ceux obtenus dans la simulation pour 200 ans, comme dans le cas de la concentration principale. En revanche, dans le cas du premier remontage (118 pièces), le graphique se rapproche de celui obtenu pour une vingtaine d'années. A partir de l'évolution du nombre d'objets par unité de surface (fig. 15), sont établies les durées nécessaires pour obtenir une densité de vestiges comparable à celle mesurée au centre de chaque ensemble remonté (fig. 18). Plusieurs informations se dégagent de cette figure : Les valeurs obtenues pour les remontages 2 et 3 se recouvrent et suggèrent un déplacement comparable à celui produit par 100 à 250 ans de solifluxion simulée. La répartition des vestiges du premier remontage n'est en revanche pas compatible avec une déformation par solifluxion telle que nous l'avons simulée. Cela tient au fait qu'une forte concentration résiduelle subsiste dans la partie amont de l'ensemble, en contradiction avec l'ampleur de la dispersion des pièces à l'extérieur de cette concentration. L'opposition entre un « amas résiduel » dense et une dispersion importante des pièces en dehors de cet amas est perceptible pour les trois groupes de pièces remontées. Dans chaque cas, la densité pour la plus petite maille correspond à un nombre d'années plus faible que pour les mailles plus grandes. On retrouve donc, à l'échelle de chaque remontage, une certaine contradiction entre la partie amont, où est préservée une densité élevée de vestiges, et la dispersion importante vers l'aval des objets. Ces observations conduisent à s'interroger sur l'influence de la disposition initiale des objets affectés par la solifluxion. En effet, plusieurs études sur la dynamique de solifluxion ont montré que la vitesse de déplacement était très dépendante de la texture du sol. Sur un même site, les mouvements mesurés dans les zones caillouteuses sont en effet toujours plus lents que ceux trouvés dans les zones à texture fine, où de plus grandes quantités de glace peuvent se former. Dans le massif de la Mortice, Coutard et Ozouf (1996) enregistrent ainsi une vitesse 2 à 10 fois supérieure dans les bandes fines que dans les bandes caillouteuses des sols striés. Un tel phénomène pourrait donc jouer un rôle significatif dans le cas d'un amas de débitage. Il pourrait notamment être à l'origine de déplacements plus importants dans la zone périphérique que dans la partie centrale de l'amas où la densité d'objets s'accroît. L'analyse a porté sur le locus 2 du secteur 2, qui est le plus étendu et a livré le plus grand nombre d'objets. L'Analyse Dimensionnelle de la Variance montre qu'aucune concentration ne peut être détectée (fig. 19). A l'opposé, la répartition des vestiges tend vers une distribution uniforme pour des surfaces élémentaires de plus de 1/4 m2. Le graphique de Whallon est comparable à celui obtenu dans la simulation pour de longues durées de fonctionnement (plus de 500 ans). Contrairement à ce que l'on observe à Petit-Bost, les remontages réalisés sont très dispersés et ne forment pas de concentration claire, bien que le taux de remontage soit important (37 % du total des pièces). Les séries de pièces raccordées sont nombreuses, mais elles ne mettent chacune en jeu qu'un petit nombre d'objets (la plus importante est composée de 17 pièces). L'ensemble de ces observations suggère donc une forte dispersion et une homogénéisation complète du niveau d'occupation, qui, à la lumière de la simulation, peuvent être expliquées par l'action de la solifluxion sur une longue durée. Plusieurs raisons peuvent être invoquées pour expliquer le fait que l'intégrité de l'assemblage lithique ait été en partie préservée, malgré l'importance des transformations : la solifluxion ne s'accompagne pas d'un tri important des objets sur la pente et la composition de l'assemblage lithique n'a donc pas été perturbée; la fouille a concerné une superficie importante (250 m2 pour le locus 2); la plus grande partie de l'assemblage initial a donc été récolté malgré sa dispersion par les processus naturels. A l'issue de la simulation, les principaux résultats obtenus montrent que, pour une concentration d'objets tel qu'un amas de débitage : Les premiers stades de la déformation par solifluxion se traduisent à la fois par une translation vers l'aval du centre de gravité de la concentration et par une diffusion anisotrope des objets. Cette diffusion provoque un étalement et une diminution de la densité d'objets; l'amas prend alors une forme d'éventail allongé dans la pente. Une forte densité relique d'objets subsiste cependant dans la partie amont tandis que la partie aval a des contours très diffus. Dans le cadre des données de l'expérience TRANSIT, ces stades correspondent à 100 à 200 ans de fonctionnement; la translation correspondante vers l'aval atteint respectivement 4 et 8 m. Dans les stades ultérieurs de la déformation, la répartition du matériel tend alors à s'homogénéiser sur une grande surface et s'apparente à une distribution aléatoire des objets. Pour l'expérience TRANSIT, ceci se produit au-delà de 400 ans de fonctionnement. La comparaison des résultats de la simulation avec la répartition des vestiges sur les sites paléolithiques de Petit-Bost et Croix-de-Canard permet de montrer que l'hypothèse d'une redistribution des objets par la solifluxion rend bien compte des observations. Cette hypothèse permet en particulier d'expliquer la coexistence dans le site de Petit-Bost de traits d'origine manifestement anthropique (la présence d'une concentration d'objets avec un fort taux de remontage, identifiée comme une aire de débitage) et de traits manifestement « naturels » (une orientation préférentielle des objets dans la pente), qui apparaissaient au premier abord inconciliables. Selon ce schéma, l'aire de débitage correspondrait à un amas déformé sur la pente. Une configuration identique peut également être envisagée pour le site de Croix-de-Canard. Il faut également noter, en ce qui concerne ce site qui reflèterait un stade « ultime » de dégradation, la persistance de remontages « résiduels » mettant en jeu un nombre de pièces limitées (17 pour le remontage le plus important). Dans tous les cas, le recours à la simulation permet de comparer les différentes déformations observées sur des bases quantitatives. Il ne saurait cependant autoriser une estimation précise des durées pendant lesquelles les sites archéologiques ont été soumis à la solifluxion. Plusieurs points, en effet, limitent la portée du modèle et méritent d' être soulignés. Ils concernent un certain nombre d'hypothèses sur lesquelles repose la simulation : Les mesures de déplacement servant de base à la simulation ont été faites dans un milieu précis, celui de la Mortice (Alpes françaises méridionales). Le rôle relatif et l'efficacité des différents mécanismes impliqués dans la solifluxion (cryoreptation, gélifluxion, pipkrakes) sont largement tributaires des caractéristiques physiques et climatiques du milieu; les mesures effectuées ne sont donc pas nécessairement représentatives de tous les types d'environnements où la solifluxion intervient. Par exemple, les mesures réalisées au cours de l'expérience TRANSIT ont été faites sur une pente de 10 à 14° et sont appliqués à des niveaux archéologiques présentant des pentes sensiblement plus faibles. Il est possible que cet écart influe sur les vitesses de déplacement, bien que cette influence soit difficile à saisir. En effet, les niveaux archéologiques sont inclus dans des sols fins mal drainés. Dans ce type de sol, l'amélioration du drainage qui accompagne l'augmentation de la pente réduit les possibilités de formation de glace dans le sol et, en conséquence, le gonflement cryogénique lié au gel saisonnier profond. La corrélation entre la pente et la vitesse de déplacement est alors faible voire négative (Smith 1992). Le rôle de cet écart de pente ne peut d'ailleurs pas être isolé de celui des autres paramètres (la texture des sols, l'importance des précipitations et leur distribution dans l'année, la profondeur du gel, la position topographique du site, etc.), dont le jeu des interactions détermine la vitesse de déplacement (French 1976). Le modèle déduit de l'expérience TRANSIT ne doit être considéré que comme un cas particulier des déformations occasionnées par la solifluxion et il ne peut notamment servir à une estimation précise de la durée pendant laquelle un site a été soumis à ce processus. Par ailleurs, dans les milieux naturels, d'autres processus de versant comme le ruissellement ou les avalanches sont souvent associés à la solifluxion et contribuent à des degrés divers aux mouvements des objets à la surface du sol. L'influence de ces processus est souvent due à des événements de fréquence faible (des orages ou des chutes de neige exceptionnels, de temps de retour centennal) mais dont l'impact morphogénétique est important. La faible durée de l'expérience TRANSIT (cinq ans) ne permet pas de prendre en compte ce type de phénomènes, dont les traces dans le sédiment peuvent être très fugaces car effacées par les cycles de gel-dégel ultérieurs. La simulation réalisée a nécessité certaines simplifications du fonctionnement observé en milieu naturel. Ainsi, la variabilité latérale des vitesses de déplacement au sein des coulées, caractérisées par une progression plus lente au niveau du front et des bords que dans la partie centrale, a été ignorée. La prise en compte de cette variabilité aurait conduit à mettre en évidence des déformations plus complexes. Ce phénomène est probablement sensible dès que l'on s'adresse à des surfaces de plusieurs mètres-carrés. Par ailleurs, l'enfouissement de la fraction grossière se produit surtout au niveau des fronts et les différents secteurs d'un niveau archéologique implanté sur une coulée risquent de ne pas être affectés de la même manière par la déformation. Les données de l'expérience TRANSIT ne permettent pas d'aborder l'influence de la disposition initiale des objets sur la vitesse de déplacement, en particulier lorsqu'ils sont disposés en amas. Or, la relation entre vitesse et granulométrie du sol est un fait bien connu. Comme cela a été discuté plus haut, nous pensons que cette influence peut expliquer la distorsion entre la simulation et la distribution des vestiges observée à Petit-Bost. La simulation présentée ici apporte de nouveaux éléments sur la nature des transformations provoquées par la solifluxion sur des assemblages archéologiques. Elle permet notamment d'obtenir une idée précise des configurations spatiales du matériel archéologique qui sont susceptibles d'apparaître pour des temps variés d'exposition d'un site à ce processus. Malgré un certain nombre de limitations, l'application aux sites du Paléolithique moyen de Petit-Bost et de Croix-de-Canard (Dordogne, France) montre que la simulation rend globalement bien compte de cas archéologiques et permet d'expliquer de manière simple un ensemble d'observations difficilement compréhensibles de manière purement intuitive. Elle suggère également que certains critères, comme la présence de concentrations évidentes d'objets ou un pourcentage élevé de pièces remontant entre elles, ne sont pas nécessairement pertinents pour déterminer le caractère “non déplacé” d'un assemblage archéologique. Cela est le cas pour le niveau 1 de Petit-Bost, où des concentrations remarquables s'observent alors que l'organisation spatiale des vestiges a été partiellement dégradée au cours de l'enfouissement. Cela est également le cas pour le secteur 2 de Croix-de-Canard, où un taux de remontage important est observé alors que la disposition des vestiges est significativement influencée par la solifluxion. La simulation a également le mérite de mettre en évidence un certain nombre de points qui nécessiteraient de plus amples investigations de manière à mieux appréhender les processus d'enfouissement des sites en contexte de solifluxion, comme le rôle de la disposition initiale des objets ou l'influence des fronts de coulées .
L'étude taphonomique de deux sites du Paléolithique moyen, Petit-Bost et Croix-de-Canard, récemment découverts dans des colluvions près de Périgueux (Dordogne, France) à l'occasion de travaux d'archéologiepréventive, a mis en lumière la difficulté d'apprécier le rôle respectif des facteurs anthropiques et naturels, en l'occurrence la solifluxion, sur la répartition spatiale des vestiges. De manière à mieux appréhender les transformations occasionnées par la solifluxion périglaciaire, c'est-à-dire par la lente reptation du sol provoquée par les alternances de gel-dégel, une simulation informatique a été réalisée à partir de mesures de déplacement enregistrées dans un milieu actif à La Mortice (Alpes françaises méridionales, 3100 m d'altitude) dans le cadre du programme TRANSIT. Les résultats de la simulation montrent que, pour une concentration d'objets de type amas de débitage, les premiers stades de la déformation se traduisent à la fois par une translation vers l'aval du centre de gravité de la concentration et par une diffusion anisotrope des objets. L'amas prend alors une forme d'ellipse allongée dans la pente, avec une forte densité relique d'objets dans la partie amont. Ce type de configuration est obtenu après 100 à 200 ans de fonctionnement dans les conditions du site expérimental de La Mortice. Dans les stades ultérieurs de la déformation, la répartition du matériel tend à s'homogénéiser et s'apparente à une distribution aléatoire sur une grande surface. La comparaison entre la simulation et les configurations archéologiques rencontrées sur les sites de Petit-Bost et Croix-de-Canard montre une bonne adéquation. En ce qui concerne le premier, l'hypothèse d'un déplacement limité par la solifluxion rend notamment bien compte de la coexistence de traits anthropiques (présence de concentrations d'objets) et de traits manifestement naturels (orientation préférentielle des objets dans la pente). Pour le second site, l'hypothèse d'une action prolongée de la solifluxion ayant conduit à une homogénéisation de la répartition des vestiges peut être proposée.
archeologie_525-06-10676_tei_271.xml
termith-42-archeologie
Depuis plusieurs années, l'intégration au sein de programmes de recherche (Projet Collectif de Recherche à Mailhac et fouilles de sauvetage ou programmées) mis en place en bas Languedoc audois et ouest-héraultais m'a permis de redécouvrir une catégorie de céramique non tournée (Séjalon 1996, 132). Individualisée par O. et J. Taffanel (Louis, Taffanel 1955, 124-125) dès le début des fouilles sur le Cayla de Mailhac (Aude), cette céramique est décrite comme une « poterie grise ou noire, mate, où le décor est simplement tracé à la pointe de l'ébauchoir sur l'argile molle. Après cuisson, il [le décor] se détache en traits brillants sur le fond mat » (fig. 1). Elle correspond à leur série A, catégorie c et décors β ou σ (Taffanel 1957). Il est important de souligner que l'identification de la céramique non tournée micacée ne pose aucun problème. L'argile avec laquelle elle a été produite contient naturellement une forte densité de mica qui lui donne un aspect pailleté et brillant après cuisson. Cette céramique, définie par O. et J. Taffanel comme « fossile directeur » de la phase IV (325/75 av. J.-C.) du Cayla de Mailhac, n'avait jamais fait l'objet d'une étude détaillée. À la lumière d'éléments nouveaux issus de contextes récemment acquis, seront proposées d'une part, les bases d'une typologie qui méritera d' être complétée au fur et à mesure des nouvelles découvertes et une analyse des décors caractéristiques de cette céramique, et d'autre part, à l'aide de repères chronologiques relativement fiables, une esquisse des courants d'échange et de leur répartition géographique. Afin de ne pas créer de redondance inutile, nous avons suivi le classement établi dans le dicocer (Py dir. 1993) sur la céramique non tournée du Languedoc occidental (CNT-LOC). La majorité des formes identifiées en céramique non tournée micacée trouvent leur place dans la classification proposée. Celle -ci n'est qu'une première étape. Les commentaires apportés pour chaque forme reflètent plus la série étudiée que la production elle -même. En l'absence de structures de production et de rebuts de cuisson, la série ici prise en compte ne doit pas représenter l'ensemble du corpus produit. Enfin, pour finir les réserves d'usage, il est important de noter que les identifications ont été effectuées sur des parties de vases, notamment des bords, ce qui n'a pas facilité leur classification. De fait, j'ai choisi d'utiliser les descriptions morphologiques qui correspondent à des formes génériques. Il est bien évident que dans certains cas (CNT-LOC U12 et 13), on trouvera d'autres rapprochements, par exemple avec la céramique celtique où les modèles collent mieux à la chronologie et à l'ambiance celtisante dans laquelle la céramique non tournée micacée a été produite. Ce registre celte a été volontairement passé sous silence car il semble prématuré d'attribuer cette production à une quelconque identité culturelle. Une étude reste à mener concernant l'apparition des céramiques non tournées qui imitent des modèles celtiques dès le IV e s. av. J.-C. Le traitement des décors au brunissoir peut également trouver des comparaisons dans le domaine celte, mais les exemples connus sont en règle générale chronologiquement plus récents ou contemporains et, dans tous les cas, ne répondent pas à la question des origines ou de la genèse de ce procédé. Le mobilier étudié provient essentiellement des oppidums du Cayla à Mailhac (Aude) et de Mourrel-Ferrat à Olonzac (Hérault). Seul le bord de jarre (fig. 4, n° 7) provient d'un ramassage de surface effectué au lieu-dit l'Ecluse d'Ognon à Olonzac. Les coupes sont représentées par trois exemplaires différents du type CNT-LOC C2 : coupes ouvertes, à paroi convexe, bord redressé (fig. 2, n° 2 et 3) ou légèrement rentrant (fig. 2, n° 1). Sur l'ensemble du mobilier, leur fréquence est faible. Cette observation doit être imputable à l'utilisation de coupes en céramique tournée d'importation (vernis noir ou pâte claire). D'après les fragments que nous avons étudiés, les urnes sont de loin les mieux représentées. Nous les avons classées en six principales séries : CNT-LOC U4, urnes à panse ovoïde et « profil en S », col concave à bord déversé ou sub-vertical (fig. 2, n° 4 à 11), CNT-LOC U6, urnes sans col, à paroi convexe, fond plat (fig. 3, n° 9 et 14; fig. 5, n° 13), CNT-LOC U7, urnes récentes à col court, concave et bord arrondi déversé, panse ovoïde généralement peignée ou rugosée (fig. 2, n° 12 à 16; fig. 3, n° 1 et 2), CNT-LOC U8, urnes à col bas, concave sans rebord, panse ovoïde brute ou peignée (fig. 3, n° 3), CNT-LOC U12, urnes à col court divergent, rectiligne ou concave, panse ovoïde souvent large (fig. 3, n° 4) et CNT-LOC U13, urnes à col très divergent formant un angle marqué avec le haut de la panse (fig. 3, n° 5 à 8). Ce large éventail de formes montre que l'on a affaire à une production active qui semble répondre aux principaux besoins des cellules familiales. Toutes séries confondues, il semble que l'on puisse dégager deux modules dont les diamètres moyens à l'ouverture tournent autour des valeurs de 0,18 m et 0,26 m. Cela peut correspondre à des formes de vases destinés au stockage à court ou moyen terme, alors que les vases que nous avons classés dans la catégorie jarre seraient utilisés pour du stockage à moyen ou à long terme. Dans cette catégorie, nous avons classé les vases d'un diamètre à l'ouverture supérieur à 0,40 m. Ne connaissant pas leur forme complète, ce critère subjectif donne tout de même une idée de la taille des récipients (fig. 4, n° 5 à 7). Si la majorité du mobilier présenté dans cette étude concerne les parties supérieures des vases et notamment les bords, quelques fonds ont été recensés. En l'état actuel, seuls les fonds plats sont attestés (fig. 3, n° 10 à 13). Leur taille entre 0,18 et 0,22 m de diamètre permet de les attribuer à des urnes de dimensions moyennes, ce qui corrobore les hypothèses envisagées sur les modules de cette série. Les décors ne présentent pas une grande variété. On peut les classer en deux catégories, la première que l'on qualifiera de « traditionnelle » et la seconde d' « originale ». En effet, à côté des décors d'incisions simples (fig. 2, n° 7), des impressions digitées (fig. 2, n° 5 et 14) ou réalisées à l'aide d'outils en bois ou en os (fig. 3, n° 3; fig. 4, n° 7), un décor exécuté au brunissoir sort du répertoire classique habituellement rencontré sur la céramique non tournée; cette technique donne aux lignes dessinées en léger creux un aspect brillant sur fond mat. Les compositions sont multiples et utilisent principalement la ligne droite et la ligne sinueuse. • Le décor de type 1 est représenté par la ligne droite seule. Peu d'exemples sont attestés dans cette catégorie et nous pouvons penser que les fragments observés appartiennent à des décors plus complexes dont nous n'avons qu'une partie. Il souligne la plupart du temps la jonction col/panse. • Le type 2 est caractérisé par la ligne sinueuse seule. Ces décors sont fréquents et affectent la face interne du bord ou son sommet (fig. 2, n° 12 et 15). Aucun exemple de ce type n'est présent sur la panse des vases. • Le type 3 correspond à l'association des types 1 et 2, fait d'une ligne sinueuse insérée entre deux lignes droites. Ce décor est le plus fréquent et on le trouve agencé horizontalement, simple (fig. 5, n° 3 à 6 et 13) ou doublé (fig. 5, n° 7 et 14), ou deux par deux pour former des « V » plus ou moins grands (fig. 5, n° 11 à 14), ou des « X » dans de rares cas (fig. 4, n° 2). Un seul exemple montre un décor de type 3 exécuté en biais sous un autre horizontal (fig. 4, n° 1). • D'autres motifs décoratifs réalisés avec la même technique existent pour l'instant en un seul exemplaire. Il s'agit de décor en « V » imbriqués effectués avec des lignes droites (fig. 5, n° 15) et un décor de lignes brisées superposées (fig. 4, n° 3). • Sur les grands vases notamment et principalement sur la panse, on trouve des compositions associant des combinaisons du type 3 avec des décors en « V » encadrés de motifs horizontaux (fig. 5, n° 9 à 15). Ce dernier type semble être le plus fréquent. Si l'on cherche à retrouver la filiation de ces décors originaux à travers les productions de céramique non tournée, on se heurte à l'absence totale de modèles antérieurs permettant d'appréhender leur genèse et leur développement. De même, les nombreuses catégories de céramiques tournées n'apportent pas de solutions convaincantes. Les lignes sinueuses tracées sur les vases de céramique grise monochrome ou, plus proche sur le plan de la chronologie, les décors sur la céramique à pâte claire héraultaise (Garcia 1993, 191-196), sont des possibilités à envisager. L'influence continentale vue au travers des vases peints celtiques ne fournit pas d'exemples comparables aux décors décrits plus haut. L'aire ibérique comprise au sens large (ibérique et ibéro-languedocien) connaît les types de décor de bandes parallèles ou de lignes sinueuses, mais leurs agencements ne correspondent pas aux compositions du type 3. Ce rapide tour d'horizon évoque une multiplicité de possibilités sans toutefois répondre précisément à nos attentes. Les potiers qui ont fabriqué ces vases ont vu ou ont eu en leur possession ces différentes catégories de céramiques. Partant de là, ils ont élaboré un style propre sans doute né d'un syncrétisme décoratif, faisant preuve d'originalité sans toutefois sortir des canons habituels. Sans prendre parti sur l'origine de ces décors, force est de constater qu'ils se retrouvent par la suite sur la céramique celtique prise dans son acception la plus large, je pense notamment aux productions issues des ateliers localisés en Languedoc occidental comme à La Lagaste (Rancoule 1970) et à Bouriège (Rancoule 1976; Séjalon 1998). Ce rapide examen des origines probables montre toute la difficulté de statuer définitivement sur cette question bien que la sphère celte soit pressentie. Pour ce qui concerne les motivations des échanges ou du commerce, il semble que l'aspect esthétique des vases et de leurs décors, concept tout à fait subjectif, a conditionné leur acquisition. Hypothèse préférée à celle du contenu des vases comme source d'échange qui ne colle pas avec les différentes formes retrouvées sur l'oppidum du Cayla, à l'inverse, par exemple des kalathoi en céramique tournée ibérique peinte pour lesquels on a supposé un commerce lié à leur contenu (miel ?). En l'absence de structures de cuisson clairement identifiées, il est difficile de localiser une production avec certitude. Dans le cas de la céramique non tournée micacée, plusieurs éléments forment un faisceau convergent pour la situer autour de l'oppidum d'Olonzac. L'étude consacrée à la répartition des formes et des décors permet d'observer la quasi absence de décor traditionnel sur le Cayla de Mailhac (un seul exemple : fig. 2, n° 5). De même, la série mailhacoise fait état d'une seule série, les urnes dont les décors s'apparentent aux types 2 et 3 (fig. 2, n° 12, 13, 15 et 16; fig. 5, n° 13). Cette unicité de forme conjuguée à la prépondérance de décors complexes témoigne, semble -t-il, d'un choix délibéré. L'esthétique de ces vases, évoquée plus haut, prend ici, peut-être, toute sa signification. Un autre point en faveur de la localisation de la production autour de l'oppidum de Mourrel-Ferrat tient à la présence d'un banc d'argile situé à quelques centaines de mètres au pied de celui -ci. Cette argile bleutée naturellement enrichie de mica se retrouve à l'état d'affleurement entre l'oppidum et la commune d'Argens au sud. Le pourcentage de céramique non tournée micacée par rapport à la céramique non tournée « traditionnelle » pourrait être un élément supplémentaire pour distinguer le centre producteur. L'étude du mobilier archéologique issu des fouilles du Cayla (Séjalon 1998b) révèle des résultats mitigés où la céramique non tournée micacée ne dépasse pas 10 % du nombre total des fragments (sauf dans un cas, fouille 32) alors que la céramique non tournée du Languedoc occidental (CNT-LOC) compte entre 4 % et près de 40 % selon les ensembles. Sur onze fouilles étudiées, cinq n'ont pas livré de céramique non tournée micacée et deux en recensent moins de 1 %. Concernant les fouilles ancien­nes sur l'oppidum de Mourrel-Ferrat, l'étude en cours permettra de chiffrer la part des deux productions. Des sondages récents (Séjalon 2000) et un sauvetage urgent (Janin et al. 2000) menés sur l'oppidum et sur sa périphérie n'apportent pas de renseignements supplémentaires, nous y reviendrons sur la question des datations. En l'état actuel de la recherche, et compte tenu qu'un grand nombre de sites – situés en bas Languedoc audois et ouest-héraultais – n'ont pas fait l'objet d'une révision exhaustive du mobilier archéologique, la carte que nous proposons n'a rien de définitif et méritera des compléments. À ce jour, sept sites ont livré de la céramique non tournée micacée (fig. 6). Dans l'Aude, il s'agit des oppidums du Cayla à Mailhac, du Carla à Bouriège et de La Cité à Carcassonne, dans l'Hérault de l'oppidum de Cruzy, de Mourrel-Ferrat à Olonzac (habitat et nécropole), d'un site non fouillé localisé au lieu-dit « l'Ecluse d'Ognon » à Olonzac également et de l'oppidum de La Ramasse à Clermont-l'Hérault. La localisation de ces sites montre une répartition dont l'étendue géographique dépasse largement le cadre de la micro-région. Si des distances raisonnables séparent Olonzac de Mailhac (près de 10 km) ou Olonzac de Cruzy (près de 20 km), une centaine de kilomètres est nécessaire pour atteindre Bouriège. On peut alors penser que le site de La Cité à Carcassonne aurait servi de relais. Des exemples de commercialisation de céramique non tournée, à petite et moyenne distance, ont été enregistrés en Languedoc oriental (Py 1990) et en Provence (Arcelin 1979; Arcelin, Picon 1985). Contrairement aux échanges de céramique non tournée micacée probablement suscités par l'aspect esthétique des vases, ceux enregistrés en Languedoc oriental et en Provence témoignent de l'activité plus ou moins spécialisée de fabriques régionales. À partir des recherches menées sur les oppidums du bas Languedoc audois et ouest-héraultais, il est difficile de dater précisément le début et la fin de la production de la céramique non tournée micacée. Toutefois, les découvertes récemment effectuées, permettent de proposer une fourchette chronologique raisonnable. Le sauvetage urgent mené sur la nécropole du second âge du Fer à Olonzac (Janin et al. 2000) a livré quelques tessons. Il représente sur l'ensemble de la céramique 0,6 % dans les sépultures et sur les bûchers contre respectivement 47,6 % et 50,6 % de CNT-LOC. La datation précise (dernier quart du IV e s. av. n. è.) de cet ensemble funéraire pourrait alors marquer le début de la production. L'identification comme critère directeur de la phase IV (- 325/-75) du Cayla de Mailhac par O. et J. Taffanel prendrait tout son sens. De même, la reprise, encore inachevée, des ensembles céramiques du Cayla III (- 450/-325) ne fait état d'aucun fragment de céramique non tournée micacée. Les fouilles ancien­nes menées sur l'oppidum de Mourrel-Ferrat, qui ont livré la série la plus importante, n'apportent pas de compléments. Pour ce qui concerne l'arrêt de la production, les éléments chronologiques sont moins pertinents. L'abandon de l'oppidum de Mourrel-Ferrat dans la première moitié du III e s. av. n. è. n'a peut-être pas eu de répercussion sur la production. La présence d'un bord de dolium sur le site de plaine de l'Ecluse d'Ognon dont la datation semble plutôt se caler dans la deuxième moitié du III e s. av. n. è., va dans ce sens. Le niveau IV du Cayla de Mailhac s'arrêtant vers - 75, on peut retenir à titre d'hypothèse de travail le passage du II e au I er s. av. n. è. comme datation pour l'arrêt de la production. À l'aide de l'analyse détaillée des formes et des décors de la céramique non tournée micacée, nous avons pu individualiser une production originale sans doute localisée à la périphérie de l'oppidum de Mourrel-Ferrat, pour laquelle, la carte de répartition évoque un commerce ou des échanges régionaux dont l'intensité nous échappe totalement. Si le caractère esthétique de ces vases a été suggéré pour expliquer la motivation de tels échanges, il reste encore un long travail d'inventaire sur les sites anciennement fouillés appartenant à cette ère géographique pour valider cette hypothèse et préciser la chronologie de la production .
L'étude présente une variété de céramique non tournée dont la typologie et l'analyse des décors permettent de l'identifier facilement. La nature de l'argile enrichie de mica donne un aspect pailleté à la pâte sur laquelle le décor effectué selon la méthode du brunissoir apparaît en traits brillant sur fond mat. Cette première approche se fonde sur deux séries issues de fouilles anciennes menées sur les oppidums du Cayla à Mailhac (Aude) et de Mourrel-Ferrat à Olonzac (Hérault). La carte de répartition fait état d'échanges ou de commerce à l'échelon macrorégional rarement mis en évidence pour de la céramique non tournée. S'il est difficile de statuer sur l'origine des décors, il semble que la production s'insère dans une ambiance celtisante. La chronologie de cette production se situe dans le deuxième âge du Fer. La fourchette proposée entre la fin du IVe et la fin du IIe s. av. J.-C. reste encore à préciser.
archeologie_525-02-11060_tei_131.xml
termith-43-archeologie
La fin du Néolithique est marquée par la construction de sépultures collectives. Le travail d'inventaire récemment effectué par les membres du Projet Collectif de Recherche « Le III e millénaire dans le Centre-Nord de la France » a permis de recenser 470 sépultures collectives dans le Bassin parisien (Salanova et al. 2003). Étant donné le très petit nombre d'habitats connus dans cette région pour la fin du IV e et le III e millénaire av. J.-C., la majorité de nos connaissances pour cette période repose sur la fouille de ces sépultures. Les nombreux objets de parure découverts dans ces tombes ont depuis longtemps suscité l'intérêt des fouilleurs, mais ils n'ont pour l'instant fait l'objet d'aucune synthèse globale. Nous avons donc tenté, dans le cadre d'un travail de doctorat, de caractériser la parure de ces sépultures, mais également de comprendre la place et le sens de ces éléments, considérés comme l'archétype de l'individualisme, au sein de monuments collectifs. Concernaient-ils toute la population inhumée ou bien étaient-ils réservés à quelques « privilégiés » ? Le cadre géographique de ce travail concerne le Bassin parisien au sens géologique du terme, c'est-à-dire le bassin sédimentaire de Paris, qui occupe une grande partie de la France septentrionale. Il englobe les régions d'Ile-de-France, la Haute-Normandie, la Picardie, la Champagne-Ardenne à l'exception de la Haute-Marne, le département de l'Yonne en Bourgogne et le nord de la région Centre (Loiret, Loir-et-Cher et Eure-et-Loir). Le cadre chrono-culturel s'étend de la fin du IV e au début du II e millénaire (3400/3300 - 1800 av. J.-C. environ). Plusieurs groupes culturels étaient établis dans le Bassin parisien. Au Néolithique récent, le Seine-Oise-Marne (S.O.M.), présent dans tout le Bassin parisien, est surtout connu par des sépultures. Pour le Néolithique final, nous connaissons le groupe de Gord, essentiellement centré dans la moyenne vallée de l'Oise, le groupe de Deûle-Escaut, dont l'occupation s'étend du Nord de la France au Hainaut occidental belge et qui pourrait être un faciès septentrional du groupe de Gord, ainsi que le Campaniforme, qui a été reconnu dans une cinquantaine de sites. L'extrême fin du Néolithique final est quant à elle caractérisée par l' Épicampaniforme et Groupe des Urnes à Décor Plastique (G.U.D.P.). Du point de vue funéraire, au III e millénaire, plusieurs phénomènes peuvent être observés : le fonctionnement de sépultures collectives construites à la fin du IV e millénaire (comme celle de la Chaussée-Tirancourt), la construction de nouvelles sépultures collectives (telles que Pincevent) mais également l'utilisation de sépultures individuelles avec les Campaniformes (comme Les petits-Près à Lery). Rappelons quand même que les Campaniformes ne sont pas connus que par des sépultures individuelles, puisqu'ils ont souvent réutilisé des sépultures collectives. La principale limite à ce travail réside dans le fait que les sépultures collectives ont parfois fonctionné pendant près d'un millénaire, ce qui signifie qu'elles ne sont pas des ensembles clos. Le mobilier que l'on retrouve dans ces tombes doit donc être considéré comme le fruit d'apports successifs en relation avec le dépôt des corps. De plus, la longue utilisation des tombes a parfois rendu nécessaire certaines manipulations (rangements, déplacements de certains ossements, vidanges ou encore réorganisation de l'espace sépulcral) qui ont déconnecté les corps et donc dissocié les inhumés du matériel qui les accompagnait. Il est par conséquent très souvent difficile d'établir une relation directe entre les objets et les défunts. Ce problème est d'autant plus sensible dans les allées sépulcrales où le nombre d'inhumés est généralement très élevé (il avoisine parfois les 300 individus) et les remaniements fréquents. La conservation différentielle des matériaux est une autre limite à cette étude. Les éléments en céramique ou en os, par exemple, ont pu disparaître en se dissolvant dans les sols. Il ne faut pas non plus négliger tous les probables objets en matières périssables (bois, tissu, cheveu, cuir, peau) que nous n'aurons sans doute jamais la chance de connaître. Le nombre d'objets comptabilisés par sépulture est donc peut-être parfois très inférieur au nombre réel d'éléments qui y furent déposés. Parmi les 470 sépultures collectives inventoriées dans le Bassin parisien, 235, soit la moitié, ont livré des objets de parure. Si l'on s'intéresse indépendamment à chaque type sépulcral, on constate que, pour l'ensemble de la zone étudiée, on a découvert des objets de parure dans 57 % des hypogées, 47 % des allées sépulcrales, 45 % des sépultures en fosse et seulement 12 % des sépultures mégalithiques (fig. 1). La parure n'est donc pas l'apanage d'un type sépulcral en particulier, puisque, exception faite des sépultures mégalithiques où elle se fait plus rare, les différents types architecturaux ont livré de la parure dans des proportions équivalentes. Les sépultures ayant livré un important mobilier funéraire, mais aucun élément de parure, sont nombreuses. C'est par exemple le cas de l'allée sépulcrale de Val-de-Reuil, Les Varennes (Eure), pourtant située sur la même commune que plusieurs tombes collectives qui renfermaient une grande variété d'objets de parure (Portejoie / Sépulture 1, Portejoie / Fosse XIV, Beausoleil 3 et La Butte Saint Cyr). Notre corpus se compose du mobilier de 68 allées sépulcrales, 123 hypogées, 15 sépultures mégalithiques, 20 sépultures en fosse, 4 coffres, 2 sépultures en cavité naturelle et 3 sépultures de type non déterminé (fig. 2). Dans l'ensemble, ces 235 tombes nous ont fourni un minimum de 7500 objets de parure, dont 62 % ont pu être étudiés. Les hypogées, qui sont souvent regroupés en nécropole, sont essentiellement connus dans l'est du Bassin parisien et notamment dans le département de la Marne alors que les allées sépulcrales sont pour la plupart établies dans l'ouest du Bassin parisien (et notamment dans l'Oise, le Val-d'Oise et l'Aisne). Quant aux sépultures mégalithiques, elles sont majoritairement implantées dans le sud du Bassin parisien. On compte six catégories d'objets en présence à la fin du Néolithique dans le Bassin parisien : les formes naturelles aménagées, les perles (discoïdes, cylindriques, ovoïdes et biconiques), les pendeloques (arciformes, biforées, en quille, en forme de hache, longues, cannelées et en poignard), les boutons à perforation en V, les bracelets et les épingles (à tête en béquille et à tête latérale). Afin de réaliser ce panel de formes, plus de vingt-trois matières premières ont été employées. Celles -ci sont variées puisque représentées par des matières minérales (ambre ou résines fossiles, calcaire, grès, lignite, pyrite de fer, quartz, schiste, variscite, aragonite, cornaline, fluorine, gypse, silex, stéatite, galet de rivière ainsi que divers roches tenaces), des matières animales (coquillages et fossiles du Mésozoïque, os, dents et bois de cervidé) et des matériaux transformés (céramique, cuivre et or). Les différentes matières exploitées combinées aux nombreux types d'objets en vigueur à la fin du Néolithique ont donné lieu à un grand nombre de possibilités, dont au moins 52 ont été réalisées. Ces 52 modèles d'objets ont été classés selon leur fréquence (fig. 3). Ainsi, 9 d'entre-eux peuvent être considérés comme « très fréquents », 10 comme « fréquents » et les 33 autres comme « peu fréquents ». Les objets « très fréquents » sont des coquillages percés, des perles en coquillage, des pendeloques biforées en coquillage, des perles en os, des dents perforées, des perles en calcaire, des galets et pierres percés, des perles en lignite et des perles en schiste. Les 10 modèles d'objets qualifiés de « fréquents » sont : les os percés, les pendeloques biforées en os, les boutons à perforation en V en os, les pendeloques en quille en bois de cervidé, les perles en ambre, les perles en variscite, les fragments de quartz percés, les haches-pendeloque en roche tenace, les pendeloques arciformes en schiste et les perles en cuivre. Les 33 autres modèles d'objets recensés ne sont représentés que par un très petit nombre d'exemplaires, voire par un unique objet dans près de la moitié des cas, ce qui en fait des éléments plutôt atypiques. Une large majorité des éléments de parure de notre corpus présente des traces d'usure visibles à l' œil nu. L'usure est l'état de ce qui est détérioré par l'usage. Les stigmates de l'usure sont donc l'ensemble des altérations liées à l'usage des objets. Les traces d'usure les plus courantes concernent la perforation, généralement déformée par la tension du lien, mais également le contour initial de l'objet, souvent modifié au fil de l'usage. De nombreux objets très usés combinent plusieurs stigmates d'usure localisés à divers endroits et dont l'étendue et l'intensité varient. Dans l'ensemble, 5 % des objets ne sont pas ou très peu usés, 89 % portent des traces d'usure identifiables et 6 %, très usés à divers endroits, sont cassés (fig. 4). Ces derniers sont le plus souvent cassés au niveau de leur perforation, rendant leur moyen de suspension habituel impossible. Certains objets, très fragiles, tels que les éléments en coquillage ou en schiste, ont pu être endommagés lors du fonctionnement de la sépulture ou, beaucoup plus récemment, lors de la fouille ou de leur manipulation post-fouille. Néanmoins, ce chiffre de 6 % d'éléments cassés nous paraît beaucoup trop important pour qu'il ne s'agisse que d'endommagements postérieurs à l'introduction des parures dans la sépulture. Il nous parait donc tout à fait probable que de nombreux objets étaient déjà abîmés lors de leur entrée dans la tombe. Nous pouvons également envisager que certaines parures aient été volontairement cassées avant leur introduction dans la sépulture, afin, peut-être, qu'elles ne puissent plus être utilisées comme tel. Ce chiffre de 6 % d'objets cassés est donc à prendre avec précaution puisqu'il ne reflète que l'état des choses au moment de notre étude. Aucune trace d'usure visible à l' œil nu ne signifie pas que l'objet soit neuf. Il peut en effet avoir été peu souvent porté ou porté sur une courte période. De plus, sur certains matériaux, tels que la pierre, les traces d'usure sont plus longues à se formaliser que sur des objets en matières tendres, os ou coquillage par exemple. Il est donc difficile de dire qu'un objet en roche ne comportant pas de stigmate évident est un objet neuf. C'est pourquoi, nous avons choisi de regrouper les 5 % d'objets qui ne portent pas de traces d'usure apparentes sous l'appellation « pas ou peu usé ». Le fait que la grande majorité des parures déposées dans les tombes soit usée signifie que nous n'avons pas affaire à des objets fabriqués spécifiquement pour les défunts, mais à des parures ayant été portées du vivant des individus. Les parures ne sont d'ailleurs pas les seuls objets à avoir été déposés usés au côté des défunts, puisqu'une grande part des outils en pierre et en matière dure animale, tout comme les céramiques, portent des traces d'usure (Sohn 2006). La majorité des haches-pendeloque présente des traces d'usure, parfois très prononcées, au niveau de leur perforation, qui se matérialisent par des échancrures et des sillons (fig. 5, n° 1 et 2). Ces déformations de la perforation suggèrent que les haches-pendeloque ont été suspendues sur un lien. Plusieurs possibilités de suspension peuvent être envisagées (fig. 5). L'objet a pu être suspendu de manière simple, c'est-à-dire par le passage d'un lien, mais dans ce cas, étant donné l'emplacement de la perforation, c'est la section de l'objet qui aurait été visible une fois l'élément suspendu. Afin que ce soit la face de la hache, et non sa section, qui soit mise en avant lors du port, plusieurs techniques ont pu être mises en œuvre. La hache a pu être maintenue de manière contrainte par un nœud. Il est également envisageable que deux liens, contraints ou non par des nœuds, aient été passés dans l'orifice. Si l'on s'intéresse aux caractéristiques morpho-typologiques des haches-pendeloque on s'aperçoit que leurs formes sont proches de celles des haches polies utilitaires, c'est-à-dire plus ou moins allongées, de forme trapézoïdale à rectangulaire et aux bords rectilignes à convexes. De plus, les haches polies en roches tenaces trouvées dans les sépultures collectives du Bassin parisien sont caractérisées par une taille modeste (entre 30 et 95 mm de longueur), très inférieure à celle des haches en silex (Burnez-Lanotte 1987). Les haches percées en roches tenaces ont donc des dimensions très proches, bien que légèrement inférieures, de celles des haches non perforées réalisées dans les mêmes matériaux. Parmi les sépultures ayant livré des haches-pendeloque en roche tenace, aucune ne contenait de hache polie en roche tenace, alors que ces objets représentent 11 % du total des haches trouvées dans les sépultures collectives du Bassin parisien (Bailloud 1974). La grande majorité des 28 sites ayant fourni des haches-pendeloque renfermait également quelques haches polies, mais toutes confectionnées en silex. Les haches-pendeloque en roche tenace pourraient donc être en quelque sorte des équivalents, mais en plus petite taille, des haches non percées en roche tenace trouvées dans les autres tombes. Afin de savoir si les haches-pendeloque étaient réservées à l'ornementation ou si elles avaient une fonction utilitaire, il faut s'intéresser à leur partie active, c'est-à-dire leur tranchant. On constate alors que pour tous les objets étudiés, le tranchant est usé, émoussé (fig. 5, n° 1 à 6). L'utilisation de la partie active a même quelquefois fait sauter quelques éclats de roche et déformé considérablement le tranchant, comme sur l'une des haches-pendeloque de La Butte Saint Cyr à Val-de-Reuil (Eure; fig. 5, n° 1). Ces haches ont donc été utilisées comme des outils, de la même manière que les haches non perforées. Ces constatations nous ont amenés à formuler deux hypothèses quant à la fonction des haches-pendeloque. Il peut s'agir : - soit de haches utilitaires recyclées ensuite en pendeloques, ce qui pourrait expliquer que sur une majorité d'objets, l'usure est beaucoup plus prononcée sur la partie active qu'au niveau de la perforation. De plus, l'usure à ses limites. Au delà d'un certain stade d'usure, qui diffère selon l'usage privilégié, l'objet n'est plus fonctionnel. Sur certaines haches-pendeloque, l'usure est tellement prononcée que l'objet, s'il était encore employé comme outil, ne pouvait plus l' être alors que pour des usages limités. Il est également envisageable que les haches-pendeloque soient des petits outils importés dans le Bassin parisien, où ils sont devenus objets de parure. On aurait dans ce cas affaire à deux utilisations successives par deux groupes culturels différents et pour deux emplois bien distincts. Ceci pourrait expliquer le cas de l'une des haches-pendeloque découvertes à Portejoie / Sépulture 1 à Val-de-Reuil (Eure) (fig. 5, n° 6). Cette dernière est en effet en cours de perforation, mais son tranchant est légèrement usé, ce qui laisse supposer qu'elle fut utilisée comme outil avant que l'on décide de la munir d'un trou de suspension. Cependant, son faible degré d'usure permet encore son emploi comme outil, pour quelques usages tout au moins; - soit de haches conçues pour être à la fois utilitaires et ornementales. Dans ce cas, on pourrait en quelque sorte considérer la hache-pendeloque comme un petit outil, peut être réservé à certaines tâches, que l'on porte sur soi. Il ne s'agirait donc pas, au moment de sa conception en tout cas, d'un objet à but uniquement décoratif. D'après H. Plisson (communication orale), les haches-pendeloque, si on les considère comme des outils, auraient pu être utilisées avec ou sans manche. Emmanchée, la hache-pendeloque aurait été bien plus facile à utiliser, ce qui rend cette hypothèse d'emploi plus probable. Au regard de l'usure très prononcée de la majorité des tranchants, le registre d'usage de certaines de ces haches devait être limité. Il est difficilement envisageable que ces objets aient été utilisés pour travailler des matières organiques. Ces haches ont plutôt dû être employées pour travailler des matières tendres, par exemple pour creuser des roches tendres ou graver du calcaire. Néanmoins, aucune des sépultures collectives de notre corpus sur lesquelles figurent des gravures, telles que « déesse funéraire » ou hache emmanchée, n'a livré de hache-pendeloque. Il ne semble donc n'y avoir aucune corrélation entre ces deux événements. Toutefois, et ce quelle que soit l'origine ou la fonction des haches-pendeloque, ces objets devaient être réservés à certains individus. On n'en retrouve en effet qu'un ou deux par tombe, le maximum de haches-pendeloque découvertes dans une même sépulture étant de cinq exemplaires. En plus des nombreux objets usés, les sépultures de la fin du Néolithique en Bassin parisien ont livré des éléments réparés ainsi que des objets recyclés et des imitations. Objet réparé : on entend par réparation la remise en état d'un objet endommagé, généralement au niveau de son mode de suspension. La forme initiale de l'objet est approximativement conservée, seules ses dimensions changent. La réparation permet de prolonger la vie d'une parure. Deux degrés de réparation ont été individualisés. Le premier consiste à aménager une nouvelle perforation pour remplacer l'orifice cassé. Celle -ci est généralement placée à quelques millimètres de l'ancienne. Nous avons observé ce type de réparation sur des pendeloques arciformes, des dents et des pendeloques en quille (fig. 6, n° 1). Pour que le constat d'une réparation soit possible, il faut que l'ancien orifice ait été laissé visible, que l'objet n'ait pas été régularisé à la suite de cette opération. Les objets réparés sur lesquels un travail de régularisation des contours a été effectué ne sont donc pas repérables et en conséquence pas quantifiables. Notre étude ne s'appuie de ce fait ici que sur les objets dont la réparation n'a pas été « intégrale », c'est-à-dire pour lesquels l'artisan n'a pas cherché à rendre à l'objet un aspect neuf, à effacer les traces du temps. Le nombre de pendeloques arciformes réparées est très élevé. En reperçant l'objet, il aurait été facile à l'artisan de régulariser en même temps le côté affecté par la perforation cassée. Ce travail n'ayant pas été fait dans de nombreux cas, nous pouvons y voir un choix délibéré des artisans. Les pendeloques arciformes ont été longuement portées et il était peut-être important pour les hommes que cela se voit, l'ancienneté de l'objet étant ainsi revendiquée. Le second degré de réparation consiste, en plus de l'aménagement d'une nouvelle perforation, à retoucher le contour de l'objet en modifiant ses dimensions et parfois aussi son aspect général, mais en conservant tout de même sa forme initiale. À l'exception d'une pendeloque de type indéterminé en roche tenace, qui était certainement une hache-pendeloque à l'origine, nous n'avons observé ce type de réparation que sur des pendeloques biforées en coquillage (fig. 6, n° 2). Dans tous les cas, que l'objet ait simplement été repercé où que la forme de son contour ait été modifié, la casse puis la réparation d'un objet induisent forcément une diminution plus ou moins importante de sa taille initiale (fig. 6, n° 3 et 4). Le nouvel objet peut être vu comme la copie en plus petit de l'élément défectueux, un objet réduit en quelque sorte. On peut imaginer que certains objets aient subi plusieurs réparations effectuées à différents moments de leur vie. Objet recyclé : le recyclage est le fait de transformer un élément en lui donnant une nouvelle forme, un nouvel aspect extérieur. Cela permet de donner une seconde vie aux objets. Les pièces recyclées étaient peut-être fréquentes à la fin du Néolithique, mais pour que l'on puisse les repérer, il eut fallu que leurs auteurs n'aient pas entièrement effacé les traces de leurs transformations. Ce traitement des objets est donc difficile à identifier. La constatation de l'abondance des pendeloques arciformes couplée à celle de l'absence totale de bracelet en schiste entier ou de fragment de bracelet non perforé dans les sites du Bassin parisien datés de la fin du IV e et du III e millénaire, qu'il s'agisse de sépultures ou d'habitats, nous ont amené à supposer que nous avions peut-être affaire ici à une récupération de bracelets ou de fragments de bracelets plus anciens. Afin de conforter cette hypothèse, nous avons comparé les formes, les dimensions et les sections des pendeloques arciformes à celles de bracelets néolithiques (Courtin & Gutherz 1976, Barge 1982, Auxiette 1989 et Bonnardin 2004). Ces comparaisons nous ont amené à penser que les pendeloques arciformes trouvées dans les sépultures collectives du Bassin parisien ont été réalisées à partir de fragments de bracelets confectionnés au Villeneuve-Saint-Germain. Ces derniers ont été récupérés, puis recyclés en un nouvel objet, par un aménagement sommaire consistant en l'ajout de deux perforations. Les extrémités n'ont en effet que rarement été régularisées. Ce phénomène de recyclage des fragments de bracelets ne se limite pas aux bracelets en schiste, mais concerne la majorité des bracelets confectionnés au Villeneuve-Saint-Germain (grès, calcaire et roches tenaces). On ne fabrique quasiment plus aucun bracelet à la fin du Néolithique, mais ces parures ne sont pas pour autant totalement délaissées et abandonnées. Le recyclage de bracelets Villeneuve-Saint-Germain, la longue utilisation des objets qui en sont issus, attestée par leurs fréquentes réparations, ainsi que le fait que les pendeloques arciformes soient présentes dans un grand nombre de sépultures collectives, mais représentées par un maximum de trois exemplaires dans chaque tombe, sont autant d'arguments pour plaider de l'importance, sans doute symbolique, de ces objets recyclés « ancestraux » pour les hommes de la fin du Néolithique. Si ces objets ont été à ce point réparés, c'est peut-être parce qu'il n'était pas possible d'en fabriquer à nouveau. Imitations : deux pendeloques de notre corpus nous sont apparues comme inclassables dans un type d'objet en particulier. Il s'agit en effet d'imitations de dents animales, et plus particulièrement de craches de cervidé. Ces deux pendeloques ont été trouvées dans l'allée sépulcrale de Val-de-Reuil, Portejoie / Fosse XIV (Eure; fig. 7). Nous entendons par imitation la copie d'un objet dans un autre matériau. Mais quelle pouvait-être la fonction de ces parures : imitation d'un objet rare ou convoité ou véritable substitut visant à remplacer un objet manquant à l'intérieur d'une parure ? Les deux imitations de la tombe de Portejoie / Fosse XIV, étaient accompagnées d'une vingtaine de véritables craches de cerf, dont la majorité présentait d'importantes traces d'usure, plus ou moins prononcées selon les objets (fig. 7, n ° 1). Pour aboutir à de tels degrés d'usure, ces parures ont dû être longuement utilisées. Tous ces objets, imitations et véritables craches de cerfs, ont été découverts dans le même secteur de la tombe. Ils constituaient sans doute une seule et même parure. Des objets très abimés, parfois en fin de vie, côtoient d'autres moins usés ainsi que des imitations, quant à elles quasi neuves. Ces imitations peuvent être dans ce cas considérées comme des substituts visant à remplacer de véritables craches de cerfs manquantes ou abîmées à l'intérieur d'une parure. On pourrait alors penser que pour prolonger l'usage d'une parure endommagée, déjà assidûment portée, les objets cassés étaient remplacés au fur et à mesure par de nouveaux. On peut également envisager que l'assemblage d'une parure se faisait sur un long laps de temps, les éléments étant ajoutés petit à petit jusqu' à constituer des parures de plus en plus fournies (Sidéra 2002; Polloni et al. 2004). Parmi les 235 sépultures du Bassin parisien ayant livré de la parure, la douzaine bien documentée nous a permis d'étudier la répartition spatiale des objets à l'intérieur du monument (fig. 8). Les parures sont dans quasiment tous les cas retrouvées dans la chambre sépulcrale, à l'intérieur des couches d'inhumation. Cette récurrence se confirme dans les autres tombes pour lesquelles nous possédons des informations sur la position des objets. Les parures découvertes dans les antichambres ou dans les couloirs d'accès sont très rares, presque anecdotiques. L'un des seuls exemples est celui de la sépulture mégalithique de Mailleton à Malesherbes (Loiret) où la majorité des perles, tout comme un coquillage percé et trois dents perforées, proviennent de l'antichambre, alors que la hache-pendeloque en roche tenace fut pour sa part trouvée dans le couloir d'accès. Cependant, les vestiges osseux ayant subi de nombreuses manipulations lors du fonctionnement de la tombe, il est difficile de savoir si tous les objets de parure trouvés hors de la chambre sépulcrale ont été initialement déposés à l'écart des défunts où si certains y ont été placés postérieurement, par des « fossoyeurs » par exemple. De part leur situation dans l'espace sépulcral, les parures peuvent être considérées comme un mobilier individuel, en opposition avec la céramique où encore les haches, qui constituent le plus souvent le mobilier collectif de ces tombes (Sohn 2002). Les parures font donc partie de l'équipement individuel des défunts. Elles accompagnaient les morts dans la tombe, mais tous les défunts en possédaient-ils ? Afin de se faire une idée de l'importance du nombre d'individus parés dans les tombes, nous avons mis en relation, pour les quarante et une sépultures pour lesquelles nous bénéficions de renseignements sur les défunts, le nombre d'éléments de parure découverts et le nombre d'inhumés estimés (fig. 9). On constate ainsi que dans plus de la moitié des tombes, le nombre d'individus inhumés est supérieur au nombre d'éléments de parure, et ce indépendamment de l'architecture de la tombe ou du nombre d'individus déposés. Ayant pris en compte, dans ce graphique, le nombre d'éléments et non le nombre réel de parures, c'est-à-dire de parures constituées, nous pouvons supposer que, dans la plupart des tombes, seule une minorité d'individus était parée. En effet, dans les quelques cas pour lesquels nous connaissons la localisation précise de tous les objets dans la sépulture, nous avons tenté, en nous appuyant sur les concentrations d'objets, d'estimer le nombre réel d'individus parés. À Méréaucourt, Le Bois d'Archemont (Oise), seuls 3 individus sur les 143 défunts semblent avoir été inhumés avec des parures, à Argenteuil, L'Usine Vivez (Val-d'Oise), ils étaient environ 30 sur 300, à Marolles-sur-Seine, Les Gours aux Lions 2 (Seine-et-Marne), 3 individus sur les 54 étaient parés et à Vignely, La Porte aux Bergers (Seine-et-Marne) seuls 2 défunts sur 10 portaient des ornements. À la fin du Néolithique, malgré la variabilité importante des parures confectionnées, seule la moitié des tombes du Bassin parisien contenait de la parure et, parmi elles, on compte très peu d'individus parés. À l'ère du collectivisme funéraire, les corps ornés sont donc relativement rares, voir presque exceptionnels dans ces sépultures collectives. Ils ne concernent que quelques défunts, ce qui marque une rupture avec les millénaires précédents, où une grande part des inhumés en sépulture individuelle était parée (Bonnardin 2004). Le très faible taux d'inhumés parés dans les sépultures de notre corpus contraste de plus avec les sépultures collectives du sud de la France, qui livrent une moyenne de 500 éléments de parure par inhumé (Sohn 2006). Dans la majorité des tombes de notre corpus, quelques individus étaient parés de nombreux éléments, parfois confectionnés dans des matériaux exogènes, d'autres de quelques objets ubiquistes, alors que la grande majorité des autres inhumés ne possédait aucun équipement personnel, qu'il s'agisse d'ailleurs d'ornements, d'outils ou de céramique. Être inhumé avec des parures semble avoir été le « privilège » d'un nombre réduit d'individus. Cela induit-il une notion d'inégalité des individus dans la mort où est -ce simplement le reflet de la société ? La parure était-elle réservée à certaines catégories d'individus, en fonction de leur âge, leur sexe ou encore leur statut ? L'étude approfondie de quelques tombes a permis quelques constats sur les individus inhumés avec des parures : - tous les individus, hommes ou femmes, du plus jeune au plus âgé, ont parfois porté des parures. L' âge et le sexe ne sont donc pas des facteurs discriminants. Les enfants parés, même en très bas âge, sont fréquents dans les tombes. Dans la tombe de La Porte aux Bergers à Vignely (Seine-et-Marne), qui renfermait dix individus (trois adultes et sept enfants), les deux seuls inhumés parés étaient des enfants, tous deux âgés d'entre 3 et 5 ans (Allard et al. 1998, Chambon 2003); - la parure des enfants diffère peu de celle des adultes, même si dans quelques tombes, certains objets étaient préférentiellement associés à des adultes et d'autres à des enfants. Cela semble être le cas dans l'hypogée des Mournouards 3 au Mesnil-sur-Oger (Marne), où les dentales et les perles en calcaire ont systématiquement été retrouvées auprès d'enfants, alors que les pendeloques biforées, en coquille comme en os, semblent pour leur part avoir été réservées à des adultes (Leroi-Gourhan et al. 1962). De plus, dans cette tombe, la parure des enfants, comme celle des adultes, n'est pas la même dans chacune des deux chambres sépulcrales. Dans l'ensemble, la parure des enfants se compose aussi bien d'assemblages de petits éléments, que de parures rares et exogènes (comme le collier de neuf perles en cuivre associé à un enfant âgé d'entre 3 et 5 ans dans la tombe de Vignely) ou encore d'objets volumineux, parfois presque trop lourds pour eux. Dans ce cas on peut se demander s'ils les portaient en permanence ou s'il s'agit d'ornements réservés à certains moments de la vie ou encore reçus lors de leur inhumation; - on constate également que quelques jeunes enfants étaient accompagnés de parures très usées, trop usées pour qu'ils aient pu les acquérir neuves. L'état d'usure de ces objets comme les importantes réparations mises en œuvre sur quelques pièces, laissent envisager que certaines parures, chargées d'histoire, étaient transmises entre individus, à l'intérieur d'une lignée ou d'un groupe, ce qu'il leur conférerait un caractère héréditaire, ou encore à l'occasion d'un acte particulier. L'attention et le soin apportés à la fabrication de nombreux objets de parure laissent supposer que les hommes accordaient une certaine importance au paraître et à l'esthétisme. Certains ornements corporels ont nécessité un travail fastidieux et minutieux. On peut alors se demander pour quelles raisons ces hommes ont consacré autant de temps et d'énergie à la réalisation de parures et quelles en étaient les significations ? Si l'on se penche sur la parure des peuples actuels et disparus, on constate que les motivations qui poussent les hommes à confectionner des objets et à s'en parer sont nombreuses. La parure, à elle seule, peut en dire long sur un individu et ses fonctions peuvent être multiples : - la parure peut être un objet purement esthétique, ayant pour but de rehausser la beauté du corps et de le mettre en valeur. Elle satisfaisait peut-être à un idéal de beauté. Elle est, par ses diverses formes, un moyen de séduction privilégié; - la parure peut également traduire un statut social individuel. Dans de nombreux peuples, les chefs, les chamans et autres personnalités importantes se parent de manière identifiable et reconnaissable par chacun. La parure peut servir à mettre en valeur le statut social particulier d'un individu, qu'il ait été acquis ou hérité. Porter une parure particulière pouvait être un moyen de se singulariser, de se détacher du groupe ou de laisser transparaître un statut ou un rang spécifique. La parure peut signaler son appartenance à une catégorie sociale ou un à groupe particulier. Elle peut faire ressortir le pouvoir, la richesse ou le prestige d'un individu ou d'un groupe. Un type de parure peut être l'apanage d'une lignée, d'une famille, et se transmettre d'une génération à l'autre, selon des codes spécifiques. La parure est aussi un moyen de distinction entre les sexes ou entre différentes classes d' âge. Elle peut être l'indicateur d'une situation de vie (femme mariée, veuve…), d'une activité au sein du groupe, du franchissement de certaines étapes (enfance, puberté, premier animal tué…), etc. Certaines parures peuvent être le reflet du courage, de la force, de la puissance. On pense naturellement aux parures de dents percées, parmi lesquelles on trouve des canines d'ours ou de loups par exemple. Les craches de cervidé de la sépulture Fosse XIV de Portejoie, en majorité très usées, parfois réparées et accompagnées de substituts, avaient peut-être une valeur symbolique différente d'autres bijoux; - la parure peut signifier une appartenance ethnique en permettant aux individus d'un même groupe d' être reconnus grâce à leurs parures. Les bijoux, tout comme la coiffure, le vêtement ou le marquage corporel, jouent un rôle important dans l'affirmation des groupes ethniques. Le fait que les hommes d'un même groupe se parent de façon à peu près semblable favorise une certaine unité, une cohésion, une reconnaissance des membres entre eux. La parure peut être un moyen pour un groupe de se distinguer des autres communautés; - la parure peut être un moyen de communication. L'échange de matières premières comme d'objets tisse des liens entre les individus ou entre les groupes (Testart 2007). Échanger ne peut se faire sans communiquer. Pour se procurer certains matériaux, les individus du Néolithique devaient parfois se déplacer sur de longues distances ou intégrer des réseaux de circulation. De nombreuses sépultures de notre corpus ont livré des objets de parures d'origine exogène (coquilles marines, ambre, variscite…). Les éléments exotiques avaient sans doute une signification particulière pour les hommes qui les détenaient, dû à leur passé, à leur histoire. L'échange de parures a parfois pour fonction de maintenir les relations intertribales. Ce système d'échanges, instauré en Mélanésie sous le nom de « Kula » et dénué de tout caractère commercial, avait pour but de stabiliser les relations entre un nombre déterminé de groupes culturels et de favoriser entre les hommes une certaine solidarité (Malinowski 1922); - la parure est aussi un mode d'expression. Elle est le langage du corps. C'est un art visuel qui peut être le fruit d'une création individuelle ou collective. La parure permet parfois d'exprimer un sentiment, une émotion, un état, une façon de penser, etc.; - certains objets de parure peuvent servir à accompagner un événement, être l'élément d'un rituel. Dans de nombreuses sociétés, il existe en effet d'étroites relations entre la parure et les danses, les chants, les rituels, les costumes, etc. Certains ornements peuvent être réservés à une cérémonie ou à une étape, à un moment de la vie (naissances, mariages, rites de passage, décès, etc.); - la parure peut également avoir une fonction de protection, qu'elle soit ou non en relation avec une croyance. Elle peut être talisman, avec pour fonction d'assurer la prospérité de l'individu qui la porte, ou amulette, pour protéger du mauvais sort ou de certains malheurs. Dans ces deux cas, la parure est un moyen pour les individus qui la possède de se sécuriser. Les parures sont donc des objets chargés de significations, propres à chaque individu. Leur étude permet d'approfondir nos connaissances sur une civilisation, puisqu'elles se révèlent être d'importants marqueurs culturels, et d'approcher le domaine de l'apparence et du symbolique. Dans le monde des vivants, les parures sont donc des objets chargés de significations. Mais, dans un système funéraire où le collectif semble primer sur l'individuel, quelles peuvent être les fonctions des parures, attributs personnels par excellence ? Plusieurs hypothèses peuvent être proposées. La parure pourrait donc : - tout simplement accompagner l'individu dans la mort. Il peut s'agir, dans ce cas : soit d'objets personnels ayant appartenu à l'individu de son vivant (le défunt est inhumé avec ses propres bijoux, qui sont peut-être parfois ses biens les plus précieux), soit d'une offrande, faite par un proche ou par la communauté. Dans ce cas, la parure peut être déposée dans la tombe près du corps ou utilisée pour parer l'individu décédé; - accompagner une cérémonie, faire partie d'un rituel funéraire; - protéger l'individu dans son nouvel état, sa « seconde vie », ce qui impliquerait une forte spiritualité, voire une certaine croyance en l'au-delà. La parure des morts pourrait dans ce cas être considérée comme un viatique; - signifier le statut de l'individu jusque dans la mort, en indiquant son identité individuelle et sociale ou encore son identité culturelle. Les tombes collectives pourraient être perçues comme un mode funéraire égalitaire, du fait de la nécessité de l'investissement de la communauté pour l'édification du monument, mais aussi du caractère collectif de l'inhumation, chaque défunt semblant se fondre dans la masse des corps. Cependant, l'étude du mobilier et de sa répartition dans ces sépultures montre qu'il n'en est rien. On peut en effet observer une différenciation des individus au travers des objets qui les accompagnent dans la mort, et tout particulièrement de la parure (Salanova & Sohn 2007). Dans les tombes collectives, la parure revêt un fort caractère identitaire, puisqu'elle apparaît comme liée à un individu en particulier et non au groupe, et certains objets traduisaient certainement la place de quelques-uns, adultes comme enfants, au sein de la société. Malgré sa diversité, tant sur le plan des formes que sur celui des matières, la parure concerne finalement peu d'inhumés dans les sépultures collectives du Bassin parisien. Les parures font partie de l'équipement individuel des défunts, mais elles n'accompagnaient qu'une minorité de morts dans la tombe. Les individus inhumés avec des parures sont tout autant des hommes, des femmes, que des enfants, ces derniers étant parfois parés d'éléments rares et exogènes, comme d'objets volumineux, presque trop lourds pour eux. Les éléments de parure retrouvés dans les sépultures sont très souvent usés. Ils ont donc été utilisés par les vivants avant leur dépôt dans la tombe. Les nombreuses réparations effectuées sur les objets, tout comme l'entretien apporté à certaines parures, témoignent de l'intérêt qui leur était porté. Quelques parures reflétaient certainement la place de quelques individus au sein de leur communauté. Les parures étaient donc assurément beaucoup plus que de simples ornements pour les hommes de la fin du Néolithique. Leurs fonctions pouvaient être nombreuses, mais leur valeur nous semble avant tout symbolique .
Les nombreuses sépultures collectives implantées dans le Bassin parisien offrent un important panel de parures, constituées de formes et de matières premières variées. Plus de 7500 objets ont été inventoriés, provenant de 235 tombes. Les aspects typologiques, fonctionnels et spatiaux ont été examinés afin de comprendre la place de ces mobiliers individuels au sein de monuments collectifs. Les parures déposées sont usées, parfois réparées. Elles n'ont pas été fabriquées spécialement pour les morts. Cependant, malgré la variabilité de ces éléments et le soin apporté à leur confection, seule une minorité des inhumés en possédait, l'âge et le sexe n'étant pas des facteurs discriminants, puisque tous les individus, hommes ou femmes, du plus jeune au plus âgé, ont parfois été inhumés avec des parures.
archeologie_10-0215377_tei_304.xml
termith-44-archeologie
A partir des premiers résultats obtenus par le croisement des données technologiques, fonctionnelles et spatiales réalisées sur le secteur III de l'occupation aurignacienne du site de Barbas, nous tenterons de définir les activités pratiquées. Après une rapide présentation du gisement, les intentions des différents types de production opérés (laminaires, lamellaires et à éclats) et l'outillage retouché seront abordés. L'analyse tracéologique illustrera les spécificités fonctionnelles de certaines d'entre elles, qui permettent de dégager quelques résultats sur leurs spatialisations au sein de l'espace occupé. Enfin, un essai d'interprétation de l'organisation économique de cette occupation et de son statut sera proposé en perspectives. Le site est localisé sur la commune de Creysse, sur un replat structural dominant de plus de 50 m la vallée de la Dordogne sur sa rive gauche (fig. 1). Depuis sa découverte en 1965 par J. Guichard la séquence stratigraphique de Barbas a fait l'objet de nombreuses recherches de 1965 à 1968 par J. Guichard, de 1987 à 1997 par E. Boëda et I. Ortega depuis 1998. Trois secteurs principaux (Barbas I, II et III), présentant des séquences archéologiques différentes et complémentaires d'un point de vue diachronique, ont été explorés (Boëda et Ortega 1995; Boëda et Kervazo 1991; Boëda et al. 1996; Ortega et al. 1999). Sur le secteur de Barbas III (fig. 2), sujet de notre article, la stratigraphie comprend un niveau Moustérien de Tradition Acheuléenne daté de 38 300 ± 500 B.P. et 43 500 ± 2 200 B.P. (Boëda et al. 1996), un niveau Châtelperronien et un niveau Aurignacien ancien. C'est spécifiquement sur cette dernière occupation que nous avons axé notre étude. La stratigraphie de Barbas III présente, comme celle de Barbas I et Barbas II (Boëda 1994; Boëda et Kervazo 1991), deux complexes nettement individualisés, l'un alluvial et l'autre colluvial, séparés par une couche à galets, l'ensemble C4 marquant une surface ondulée (fig. 3). Le complexe colluvial, épais de 2 à 4,5 m, forme la partie la plus difficultueuse de la stratigraphie. L'épaisseur de celui -ci est variable d'un endroit à l'autre et son contact avec le complexe alluvial sous-jacent est fortement ondulé. La séquence, homogène sur le terrain, montre une très faible stratification des couches, associée à de faibles variations de couleur. L'ensemble de ces caractères rend difficile la distinction entre les couches purement sédimentaires et les horizons pédologiques. Toutefois, les trois niveaux archéologiques sont bien matérialisés. La confrontation des critères sédimentologiques, pédologiques et archéologiques a permis de distinguer, du haut vers le bas, quatre ensembles pédo-sédimentaires : ensemble 1 :sablo-limoneux compact, peu argileux; ensemble 2 :sablo-limoneux brun, à caractère fragique, contenant un niveau aurignacien au sommet et du Châtelperronien à la base (C3 et C3 base d'après Boëda et Kervazo 1991); ensemble 3 :sablo-limoneux brun foncé, emballant le niveau moustérien (C.4 d'après Boëda et Kervazo 1991); ensemble 4 :sablo-argileux à caractère hydromorphe. Le complexe alluvial, de 0,50 à 1,20 m d'épaisseur, est représenté exclusivement par des matériaux sableux bien triés. Le grano-classement de ces derniers est marqué par des lits de texture variée. Ces matériaux sont relativement bien consolidés par d'importants revêtements argileux fortement ferruginéisés, ce qui donne un aspect rubéfié. Les ferruginisations sont également abondantes formant quelques zones cuirassées. Malgré l'homogénéité des matériaux sableux qui forment globalement un ensemble cohérent, deux couches principales ont pu être distinguées :une couche à galets, de 15 à 20 cm d'épaisseur et une couche sableuse, de 40 à 120 cm d'épaisseur, L'ensemble archéologique aurignacien repose sur le faciès sableux éluvié marquant la troncature du fragipan (Sellami 1999). La pente du niveau archéologique (2,3° selon l'axe nord/sud), plus développée vers le sud, apparaît à l'origine de la dispersion des assemblages de silex dans cette zone entraînant une évolution latérale différente d'une zone à l'autre. Les concentrations de petits fragments de silex (inférieurs à 1 cm), dans la zone sud de Barbas III, témoignent de déplacements latéraux trop faibles pour remobiliser les objets de plus grosse taille (Dunnell et Stein 1989; Sherwood et al. 1995; Sellami et al. 2002). Dans la zone où la pente est moins prononcée, dans la partie nord, l'épaisseur du niveau archéologique (± 20 cm) montre le caractère initial de leur assemblage. Les fissures ainsi que la présence d'éclats thermiques observés sur le silex témoignent de l'action du gel. L'emboîtement des différents fragments montre que le sol n'a subi aucune dynamique sédimentaire au sein du niveau C2. Les organisations blanchâtres, caractérisant la matrice sédimentaire, sont d'origine purement pédologique liée à une saturation du sol en eau. L'absence de sédiments anthropisés dans ce niveau peut être expliquée ainsi : - soit le sol a un faible degré d'anthropisation ou peut-être la nature des activités anthropiques ne l'a pas permis; - soit la surface fouillée est la partie la moins anthropisée de l'occupation. Le silex présente des revêtements argileux à la base et des revêtements limoneux au sommet, liés à des processus d'éli-illuviation en place. Toutes ces informations montrent que nous sommes en présence d'un sol archéologique qui a évolué sur place. Les faibles remaniements locaux occasionnés par les ruissellements de surface avant l'enfouissement des assemblages ont été déterminés par les pentes de la surface dans les différents secteurs. Les matières premières utilisées dans le gisement sont de trois types : roches sédimentaires (silex, silex calcédonieux, calcaire), roches cristallines (quartz) et roches métamorphiques (dolérite, grès, basalte et stéatite). Bien qu'elles ne soient pas toutes destinées à la taille, leur présence sur le site témoigne incontestablement d'un apport anthropique, ne serait -ce que sur une faible distance. Parmi les roches sédimentaires, trois types de roches siliceuses, le silex du Bergeracois, le silex dit “du Sénonien” et le silex calcédonieux ont été déterminés; seul un pourcentage très faible (inférieur à 0,2 %) demeure sans détermination (origine incertaine). Le silex du Bergeracois constitue la matière quasi exclusivement exploitée (Ž 98 %) pour la production de différents schémas opératoires de débitages laminaires, lamellaires et à éclats. Sur les pourtours de l'occupation, les argiles maestrichtiennes contenant les blocs de silex, d'ailleurs présentes dans la couche C8 du secteur BBI et BBII, devaient très certainement affleurer et constituer un lieu d'approvisionnement privilégié. Les silex sénoniens et calcédonieux, par contre, ne sont représentés que sous forme de produits finis ou attestent d'un fort séquençage dans la chaîne opératoire de production (nucléus isolés et produits retouchés) (Ortega 2001). L'ensemble des roches non siliceuses (inférieur à 1 %), est constitué exclusivement de galets, provenant soit des berges de la Dordogne en contrebas, soit d'incisions de terrasses anciennes également proches de l'occupation. De morphologies et de tailles très diversifiées, elles n'ont pas toutes fait l'objet d'un débitage mais attestent d'un transport et d'activités anthropiques à leurs dépens. Seuls les galets en quartz, présents en grand nombre (nb = 67, de 4 à 10 cm de long), présentent des traces d'utilisation claires : des stigmates de percussion caractéristiques, qui attestent leur utilisation pour le débitage (fig. 4). D'autres génèrent une production d'éclats. Les galets en basalte et en dolérite ont malheureusement un degré d'altération important interdisant une lecture des possibles stigmates présents et a fortiori, une attribution à une activité technique précise, même si certaines pourraient nous faire penser à des actions de broyage. Enfin, la stéatite et le calcaire sont représentés chacun par un unique exemplaire sous forme de produit fini :perle en stéatite et fragment de pendeloque en calcaire (Boëda et Ortega 1995). Les blocs de silex introduits (bruts et/ou testés) ont fait l'objet d'une sélection raisonnée lors de l'approvisionnement sur les affleurements. A chaque gabarit de blocs de silex introduits dans l'occupation, correspond une chaîne opératoire laminaire dissociée. Chacune d'elles est orientée vers l'obtention de produits spécifiques, que ce soit pour la production des très grandes lames rectilignes (27 x 6 x 2,2 cm en moyenne, fig. 5, fig. 6 et fig. 7) que celles de modules inférieurs plus graciles et de profil plus courbe (de 8 à 16 cm de longueur, fig. 8 et fig. 9) (Ortega 2001, 2005). Les variables dimensionnelles des objectifs et une réduction prononcée et volontaire des étapes de mise en forme des volumes laminaires guident incontestablement le choix lors de l'approvisionnement. Ce double comportement, sélection raisonnée compensant les séquences réduites de mise en forme et dissociation des chaînes opératoires semble, pour l'heure, spécifique à ce gisement aurignacien bergeracois (Bourguignon et al. 2004; Chadelle 1990, 2000; Bordes et Tixier 2002; Ortega 2001, 2005; Rios et al. 2002; Tixier 1991a et b) et le détache quelque peu des sites aurignaciens de Sud-Ouest. De même, la production des très grandes lames reste une spécificité de l'occupation de Barbas III et soulève quelques questions à la fois sur les modes d'obtention 1 mais aussi sur son statut (utilitaire ? social ?). Ce n'est pas, tant par leur longueur que ces lames sortent de la norme, mais dans leur association à une largeur et une épaisseur considérable (27 x 6 x 2,2 cm en moyenne, fig. 4). Ainsi, une longueur équivalente des lames est perceptible dans les productions du niveau aurignacien de Cantalouette 2, ou celles de Corbiac vignoble 2 et de Champ-Parel par exemple. Cependant, elles sont moins robustes (moins larges et moins épaisses). Cette particularité est d'autant plus prononcée que, même au sein de l'occupation aurignacienne de Barbas III, cette chaîne opératoire, bien que normalisée, est peu développée et que la production majoritaire est orientée vers des modules moyens. Nous pourrions être ici confrontés à une production réalisée par des tailleurs spécialisés. Cette spécificité semble, comme nous allons le voir, se refléter dans les comportements d'utilisation de ces produits robustes (cf.. infra). Deux chaînes opératoires lamellaires, également autonomes, complètent cette production. La première, orientée vers l'obtention de lamelles droites est obtenue à partir de nucléus sur éclat ou sur fragment de bloc et de burin dièdre (fig. 10, fig. 11 et fig. 17). La seconde permet d'obtenir des petites lamelles courbes à partir de nucléus type grattoirs carénés (fig. 12 et fig. 13). Enfin, une production d'appoint d'éclats (Cazals et al. 2005) de “type discoïde” (Boëda 1993) est présente. Cette diversité des produits laminaires et lamellaires normalisés, régis par des règles techniques différentes et contraignantes (depuis l'acquisition des blocs jusqu' à leur abandon) suggèrent des traditions techno-économiques et/ou sociales fortes. Ces dernières peuvent en partie être perçues au travers des modes de fonctionnement et des activités réalisées. L'absence de restes organiques (fauniques par exemple) masque de notre lecture techno-économique une partie de la panoplie des activités réalisées durant l'occupation (pointes de projectiles en os ou bois animal, typiques de cette “culture” par exemple) et nous prive ainsi d'informations primordiales sur les activités de subsistance en limitant nos investigations sur l'économie des groupes au sein de ce territoire. Cette sous-évaluation des champs utilitaires est d'autant plus marquée que l'outillage retouché occupe une place discrète au sein de l'assemblage lithique comme dans tous les gisements de plein air de cette période en Bergeracois (inférieur à 5 %). Ces outils sont néanmoins typiques du faciès ancien de l'Aurignacien (lames à retouche aurignacienne, lames étranglées, grattoirs carénés). Ils sont complétés par quelques rares burins, des grattoirs simples mais surtout par une gamme d'outils dits “du fond commun moustérien” plus fréquemment réalisés sur éclats (encoches, denticulés, racloirs ainsi qu'une pièce façonnée). Cependant, ce taux de supports retouchés ne traduit nullement la productivité utilitaire qui ne se réduit pas à ces uniques outils. En effet, les produits qui n'ont fait l'objet d'aucune transformation font partie intégrante de l'outillage employé par les aurignaciens au cours de certaines activités (cf. infra). Leur utilisation, ne serait ce que discrète, est perceptible soit au travers de leurs déplacements dans l'espace (cf.. infra) soit encore, dans certains cas, par une place au sein de la production qui leur confère un statut privilégié (grandes lames de première intention). L'analyse fonctionnelle réalisée sur une partie de ces objets confirme leur implication au sein de chaînes opératoires de transformation de matières d' œuvre variées (cf. infra). Cette étude fonctionnelle, réalisée sur un échantillon de 44 pièces lithiques, est représentative de l'ensemble des schémas opératoires laminaires et lamellaires et comprend des produits bruts et aménagés par la retouche. Cette étude est menée selon un protocole d'analyse fonctionnelle à la loupe binoculaire et au microscope métallographique déjà bien connu (González et Ibáñez 1994). Le degré de conservation des restes lithiques est moyen et la présence d'altérations conditionne la lecture fonctionnelle. Les altérations d'origine mécanique sont peu importantes, propres d'un site où la mobilisation d'objets a été peu intense (Sellami 1999). Les altérations mécaniques adoptent la forme d'abrasions, d'écaillements et de “brigth spots” massifs (plages brillantes), probablement dues au contact entre pièces lithiques au sein des concentrations d'objets en silex. Les altérations dues à des processus chimiques liés à l'exposition d'agents atmosphériques et au sol sont plus prononcées. Elles adoptent la forme d'une légère patine blanchâtre (voile) et, avec une moyenne intensité, provoquent la modification des surfaces (glossy aspect, aspect luisant). La faible altération mécanique des outils permet une bonne lecture des macro-traces d'utilisation (ébréchures et émoussés). Par rapport au poli d'utilisation, les altérations chimiques ont provoqué une mauvaise conservation des traces les moins résistantes (matériaux tendres tels que la viande ou la peau fraîche). Les polis générés par le travail des matières de dureté moyenne (bois végétal) ou haute (os, bois animal, minéraux) sont mieux préservés, bien que la texture de la surface du poli reste partiellement altérée. Les polis abrasifs (peau sèche parfois avec de l'ocre) sont bien préservés. Ce degré d'altération a pour conséquence une identification difficile des traces de travail de matière animale. L'identification d'actions de boucherie s'opère seulement quand la découpe a impliqué un contact avec l'os et/ou les cartilages. Les autres matières d' œuvre peuvent plus aisément être identifiées bien qu'il y ait toujours une forte proportion d'outils où seule la cinématique et la dureté relative de la matière d' œuvre ont été discernées. Premiers résultats Au sein des grandes lames, l'échantillonnage a porté tant sur les pièces entières (cinq lames analysées sur un total de 8)que sur les fragments (n = 6). Une différenciation fonctionnelle entre ces deux groupes semble ressortir. Les cinq lames entières échantillonnées portent des traces d'utilisation. Toutes semblent avoir travaillé des matières de dureté forte à moyenne sans pouvoir préciser, dans certains cas, la nature de celle -ci (bois de cervidé ou bois végétal). Des actions de coupe et de raclage sont perceptibles sur les zones actives. Une de ces grandes lames a été utilisée par percussion lancée sur une matière d' œuvre dure. Dans les cas où la détermination des matériaux a été possible, seuls le bois et les matières osseuses (os et bois organique) ont été déterminés. Trois des lames entières ont été retouchées très localement, ces zones de 2 à 4 cm de longueur ayant été employées pour racler. Cette retouche est très certainement le résultat d'un ravivage du tranchant puisque les zones actives adjacentes ont été utilisées brutes pour le même type de fonctionnement. La grande taille de ces lames, associée à une longueur étendue des zones actives, indique que la matière d' œuvre était d'une largeur considérable (fig. 5 et fig. 6). Cela suggèrerait l'intervention des ces outils lors de phases initiales de préparation de ces matériaux durs où leur efficacité est accrue par leur taille et leur poids, qui arrive parfois jusqu'au demi-kilo. A l'inverse de cette homogénéité dans la matière d' œuvre travaillée par ces lames entières, les éléments fragmentés de ce type de production présentent une plus grande variabilité. En général, la localisation des traces d'usage montre que ce sont les bords latéraux qui ont été utilisés, bien que dans certains cas les fractures aient pu servir comme zones actives. Les tâches réalisées avec ces fragments de grandes lames sont multiples :raclage de peau, coupe ou écorchage de peau fraîche, dépeçage de carcasses, raclage de matières osseuses et autres séries de travaux de coupes et de raclage sur des matériaux de moyenne à haute dureté. L'utilisation de ces pièces est assez complexe, on observe parfois la combinaison de plusieurs types d'activité sur le même fragment. C'est le cas par exemple d'une pièce (fig. 14 - 2) ayant raclé de l'ocre avec l'un de ces fils de tranchant brut alors que la zone active opposée a été retouchée pour gratter la peau avec adjonction de poudre de ce même minéral. La réalisation d'une encoche sur une des extrémités a servi pour racler sommairement une matière osseuse, tandis qu'une des fractures a servi pour inciser longitudinalement la matière osseuse. On observe donc un fragment de lame utilisé pour travailler la peau repris dans un second temps pour un travail de finition ou de réparation d'un outil osseux. Au sein des productions lamellaires, un total de huit lamelles, dont quatre retouchées, a été analysé. Les indices d'utilisation sont assez faibles. Seule une lamelle avec une fracture retouchée porte des traces de raclage de peau sèche. Par ailleurs, deux autres pièces (fig. 15 - 1 et 2) portent des macro - traces (fractures et ébréchures obliques) pouvant être liés à une utilisation comme armatures de projectile. Ce mode d'utilisation des lamelles a récemment été mis en évidence dans l'Aurignacien archaïque à Isturitz (Rios 2005; Normand e.p.), comme dans l'Aurignacien ancien de Castanet (Pelegrin et O'Farrell 2005), de Brassempouy (O'Farrell 2005b), d'Isturitz (O'Farrell 2005a), du Flageolet I (Lucas 1997, 2000) et dans les gisements en plein air du Bergeracois de Garris II (Rios, in :Grigoletto et al. en préparation) et des Vieux Coutet (Rios, in Ortega et al. en préparation). Nonobstant, le rôle des lamelles dans l'occupation de Barbas III reste pour l'instant mal connu quel que soit le type de production, en raison du faible échantillon analysé d'une part et du faible taux de lamelles présents sur le site d'autre part. Parmi les outils retouchés, cinq burins réalisés sur des lames de moyennes dimensions et sur des sous produits des chaînes opératoires laminaires ont été analysés. Quatre d'entre eux montrent des traces d'action de raclage et de rainurage sur matière osseuse. Le travail de raclage (fig. 16 - 1) est effectué avec des zones actives assez étendues (entre 17 et 30 mm) et robustes (angle >75º). Ces burins montrent des évidences de ravivage de la zone active, suggérant un travail assez intense qui pourrait intervenir lors des phases initiales de transformation de l'os et du bois de cervidé. Un d'entre eux, réalisé sur un fragment de grande lame (fracturé intentionnellement comme l'indique les stigmates de percussion), présente des traces de rainurage de précision sur une matière osseuse (fig. 16 - 4). Pour cela, les Aurignaciens ont mis à profit le dièdre très régulier créé par le pan de burin et un pan de fracture postérieur. Des actions de coupe d'une matière dure, probablement de l'os, sont également identifiables sur un des deux tranchants. Enfin, le dernier burin (d'un point de vue typologique), fabriqué sur un gros éclat cortical, ne montre pas de traces d'utilisation et peut être interprété comme un nucléus pour la production des lamelles (fig. 17). Un total de 24 grattoirs a été analysé. Nous avons identifié principalement deux types d'utilisation qui semblent liés à des différences dans la morphologie des supports et des zones actives : Les grattoirs utilisés pour le travail de la peau sont fabriqués sur des lames moyennes de plein débitage de morphologie assez régulière (fig. 18 et fig. 19 - 2). L'aménagement du front de grattoir est réalisé sur la partie distale, sa configuration convexe est précise, son axe de symétrie correspond à celui de la lame et les zones actives sont bien délimitées (26 mm de moyenne). L'étendue de la zone active et l'évidence de plusieurs ravivages des fronts indiquent que l'activité de raclage de la peau avec ces pièces est assez intense. Cette intensité d'usage est confirmée, voire accrue, par une utilisation antérieure ou postérieure, sur le même matériau, de leurs tranchants latéraux pour racler et couper. La présence de résidu minéral (de couleur rouge) dans les zones actives (fig. 19 - 2), associée à des traces microscopiques nettes, permettent de confirmer l'intégration de l'ocre dans le processus de traitement de la peau. Les grattoirs utilisés pour le grattage de l'os sont, quant à eux, fabriqués sur des sous produits de débitage des chaînes opératoires de production de lames (fig. 19 - 3). Ils sont souvent corticaux et plus robustes que les grattoirs ayant travaillé la peau. Les zones actives sont également plus irrégulières et ont une délinéation plus rectiligne. Dans certaines occasions, des pans de fracture sont utilisés bruts pour gratter de l'os. L'extension des zones actives est très limitée (8 mm de moyenne) indiquant une matière travaillée de petites dimensions. Certains de ces grattoirs montrent également des traces dues à des travaux de coupe et de rainurage à l'aide de leur tranchant sur ce même matériau. Ces deux types d'activité réalisés par des objets de la classe des grattoirs sont de loin les plus importants. Néanmoins, parmi eux, certains ont été utilisés, avant ou après leur usage comme grattoirs, pour d'autres actions comme la boucherie, le travail de matériaux tendres ou la manipulation de matières indéterminées. Enfin, trois grattoirs carénés (typo-grattoirs) viennent compléter notre analyse; deux sont à museau et un est circulaire. Aucun d'eux ne présente des traces d'utilisation. Cette absence argue donc en faveur d'une interprétation comme matrice de production 2 de lamelles courbes (cf. supra), du moins dans leur dernière étape d'exploitation, comme il est généralement admis pour cette période ancienne de l'Aurignacien (Le Brun Ricalens 2005) Parmi les lames retouchées (lames aurignaciennes, lames à retoucheabrupte, semi abrupte, partielle ou totale,) deux d'entre elles ont été analysées et portent des stigmates d'usage variés et complexes tel le raclage d'une matière de dureté moyenne sur une pièce, coupe et raclage de l'os sur l'autre (fig. 20 - 2). Cette première étude tracéologique nous permet donc de dégager des comportements techno-fonctionnels forts au sein de cette industrie. Certains outils semblent spécifiquement liés à un type d'activité (bruts ou retouchés tels les grandes lames entières, les grattoirs ou les burins), d'autres, semblent plus polyvalents (tels les fragments de grandes lames et les lames retouchées). Bien que l'interprétation de la fonction du site puisse être biaisée par les problèmes de conservation de certaines traces de travail, telles la boucherie ou la découpe de peau fraîche, la particularité de cette occupation réside dans la présence d'activités liées au travail de la peau d'une part et des matières osseuses (os et bois animal) d'autre part. Ces travaux qui montrent l'importance des activités artisanales autres que la fabrication des supports lithiques au sein de cette occupation. Parmi le travail de la peau, celui de la peau sèche, pour des raisons de conservation des traces, apparaît plus abondant que celui de la peau fraîche (seulement identifié sur une grande lame fracturée). Pour certaines phases de traitement de ce matériau (assouplissement et conservation, Audouin et Plisson 1982; Couraud 1988; Rios et al. 2002), l'utilisation de poudre d'ocre obtenue sur place est attestée. Enfin, des travaux de finition sur peau déjà sèche comprenant l'adoucissement, la confection et l'exécution des produits en cuir ont également été décelés. L'ensemble de la chaîne opératoire de traitement de ce matériau semble donc représenté sur le gisement. La fabrication et l'entretien d'objets réalisés en matières organiques dures et demi-dures, tels que le bois végétal ou les matières osseuses (bois animal et os) sont aussi bien représentés. Sur ces dernières matières d' œuvres le travail est, par ailleurs, assez complexe (coupe, rainurage et raclage) illustrant des intensités de travail différentes selon l'extension de la zone active. Ceci suggère, là aussi, une chaîne opératoire plus ou moins complète depuis des tâches initiales d'obtention des supports jusqu'aux activités de finition en passant par la maintenance de cet outillage osseux. La boucherie, sous-représentée pour des raisons de conservation comme nous l'avons dit, est cependant observable sur quelques pièces entrées en contact avec l'os (notamment sur les grandes lames). De même, il est aussi possible d'envisager une certaine activité de maintenance d'outillage de chasse. La fouille sur 250 m 2 du niveau aurignacien de Barbas II (Clément 2002; Teyssandier 1998 a et b) et III, nous permet d'émettre certaines hypothèses sur l'organisation de l'occupation. Seules celles relatives au secteur de Barbas III seront ici prises en considération. Cette surface, bien qu'importante, constitue une première limite à nos interprétations puisque le site est estimé sur une étendue minimale de 4 000 m 2. Nous pensons qu'elle peut cependant déjà être représentative des modes d'organisation des groupes aurignaciens sur le plateau de Pécharmant. La détermination des aires d'activité est réalisée sur la base de concentrations évidentes au sol, de l'analyse technologique, des remontages et enfin de leur croisement avec les résultats issus de l'analyse tracéologique. Sans qu'ils soient exhaustifs, ils nous permettent une première approche systémique de cet espace habité. Aucun aménagement identifiable ni structure de combustion n'a été observé. De plus, les objets ayant des traces de rubéfaction sont très rares (10 vestiges sur plus de 16 000), suggérant que leur mise en relation avec une zone de combustion peut s' être effectuée hors de la zone fouillée et/ou que leur rareté est liée à des problèmes de préservation (Sellami 1999). Neuf concentrations disjointes dans l'espace et différentes dans leur structure et leurs composantes supposent une structuration de l'espace non aléatoire. La distribution des vestiges dans chacune d'entre elles est différente, témoignant parfois d'un découpage dans le temps et dans l'espace des activités liées à la taille (présence/absence de certaines séquences opératoires de production) mais aussi celles liées à l'utilisation des outils. Trois concentrations (C3, C5, C6 fig. 21) illustrent à la fois une spécialisation et une organisation dans l'espace des activités de taille. Elles sont de morphologie (sub-circulaire) et de structure similaires (zone de plus grande concentration des vestiges centrée, entourée par une zone de raréfaction d'étendue plus ou moins grande, fig. 22). Dans les trois cas, un seul schéma de production laminaire est présent, celui des lames de moyennes dimensions, parfois associé à un débitage d'éclat. Des lacunes dans la représentation des différentes séquences de la chaîne opératoire laminaire y apparaissent systématiquement :une extrême rareté de lames de plein débitage et d'outils retouchés (inférieur à 1 %). Ces trois concentrations peuvent être attribuées à des amas de taille où seuls les déchets (nucléus, sous-produits et fragments de lames cassées au débitage) sont présents. D'autres concentrations (C4 et C7, fig. 21) apparaissent plus complexes dans leur diversité et organisation : - La totalité de la production spécialisée des grandes lames est rassemblée dans la concentration C4 qui couvre environ 10 m 2. Au sein de celle -ci, cette production illustre un découpage spatial de la chaîne opératoire. Les nucléus sont regroupés vers le Nord-ouest alors que les lames entières le sont dans la partie centrale (à environ un mètre des nucléus). Ces grandes lames semblent avoir été abandonnées là, regroupées après leurs utilisations selon un répertoire fonctionnel relativement précis (cf. supra), suggérant ainsi une sorte de “stockage ”. Cette mise en réserve des lames entières serait d'autant plus soutenue que même après leur utilisation, elles reviennent sur leur lieu de fabrication et semblent garder le statut particulier de production spécialisée. Ce statut est différent de celui rempli par les fragments de cette même production qui connaissent par contre une répartition plus étendue et/ou concentrée dans une autre zone du gisement (concentration C9 à 4 m plus au nord). Les fragments y sont employés à des tâches plus diversifiées et abandonnées sur leur lieu d'utilisation. Ainsi, ce ne serait qu'après leur fragmentation (intentionnelle ou non) que les grandes lames changeraient de statut pour faire l'objet d'une gestion avec une logique tout à fait différente. L'ensemble de ces données suggère un fort contrôle social de la production mais aussi de la gestion des supports qu'il est difficile pour l'heure de définir plus avant. L'individualisation de cette concentration s'accroît par la présence d'objets à vocation non utilitaire tel un élément de parure (perle en stéatite) et des fragments quadrangulaires de cortex de silex gravés (rainures sub-parallèles profondes) (Boëda et al. 1995). - Dans une moindre mesure, la concentration C7 présente également quelques particularités tant dans sa morphologie (cercle avec vide central) que dans ses composantes techniques (pourcentage le plus élevé d'outils de toutes les concentrations entre 6 et 7 %) et symbolique (bloc de silex gravé, Boëda 1995; Boëda et Ortega 1996; Binant 1997). Ces concentrations, bien limitées dans l'espace, s'opposent à des aires plus lâches (15 m 2 environ) au sud et au nord du site. La première, (Zone 2), très investie, où apparaît une forte densité de matériel lithique, forme une nappe de vestiges d'une épaisseur d'environ 10 cm. La distribution des objets à l'intérieur ne laisse pas apparaître une organisation spécifique. Ces composantes traduisent à la fois des activités de débitage importantes (forte population de nucléus :15 à lames, cinq à lamelles, quatre à éclats) et des activités fonctionnelles prononcées (une des plus fortes proportions d'outils de l'ensemble de l'occupation). Une pendeloque, travaillée sur un élément calcaire, y a également été découverte (Boëda et Ortega 1996). La seconde, en limite nord de la zone fouillée, se distingue par une moindre densité. Elle est essentiellement composée d'éléments fracturés (lames et lamelles) et d'un nombre important d'outils (170 supports retouchés ont été mis au jour sur trois mètres carrés). Dans cet ensemble d'outils retouchés, se trouve également l'essentiel des fragments de la production spécialisée des grandes lames retouchées et utilisées. De plus, le faible taux de production, associé à la forte proportion d'outils ayant travaillé la peau et la présence d'un gros galet en grès (plus de 40 cm de long, fig. 23) ayant servi d'enclume (trace de piquetage) ou de table de travail (stries d'utilisation) laisse suggérer pour ce secteur du site une aire d'activité spécialisée dans la transformation des matériaux périssables (peau, bois de cervidé et os). Enfin, la production lamellaire à partir de grattoirs carénés, totalement absente des concentrations C3, C6, C5 et C7 (fig. 21), apparaît de façon plus notoire dans ces deux secteurs et dans une moindre mesure, au sein de la concentration 4, concentration des “spécialistes ”. Même si la sub-contemporanéité de ces différentes concentrations n'a pas été systématiquement confirmée par des remontages, celle -ci peut être étayée par la présence, hors des amas de taille, des lames de plein débitage (entières ou fragmentées, brutes et/ou retouchées) portant très souvent des stigmates d'utilisation. Cet agencement spatial, mettant en parallèle des zones de production et des zones d'utilisation parfois clairement dissociées, laisse entrevoir une organisation sociale structurée des Aurignaciens de Barbas III. L'évaluation des activités réalisées sur ce gisement traduit une panoplie très diversifiée des tâches (production, travail de la peau, de l'os, du bois animal et végétal, évidences de boucherie et présence d'armes de chasse). Même si cette occupation correspond à plusieurs séjours, elle se présente comme une implantation d'assez longue durée sans que l'on puisse faire émerger un domaine d'activité en particulier. Ces données s'opposent à l'idée d'une attribution, trop souvent hâtive, des occupations aurignaciennes du Bergeracois à des ateliers de fabrication de supports lithiques voués essentiellement à l'exportation (Bon et al. 2005; Bordes et al. 2005). En effet, dans le cas de Barbas III, de nombreux éléments permettent de réfuter cette interprétation : des chaînes opératoires lithiques et de transformation des matériaux périssables souvent complètes depuis l'acquisition jusqu' à la finition; des manques observés dans la production lithique indiquant à la fois un séquençage et une organisation au sein de l'espace occupé et un emport de certains produits lors de départ des aurignaciens; une organisation de l'occupation largement structurée avec des aires de spécialisation dans certaines tâches (travail de la peau sèche dans le secteur nord du site, amas de débitage, production de grandes lames par exemple) et des zones vierges pouvant être interprétées comme des zones de circulation; une gestion avérée de l'outillage (stockages des grandes lames après leur utilisation par exemple); la présence de quelques éléments faisant appel au monde symbolique (gravures) et du paraître (perle et pendeloque). La combinaison de ces différents éléments définirait dans son emploi le plus fréquent un “habitat” de plein air. Dans ce contexte, malgré la faiblesse des données paléo-ethnographiques, telles celles qui existent pour les sites magdaléniens du Bassin parisien (Bodu 1994; Julien et al. 1988; Leroi-Gourhan et Brézillon 1972; Pigeot 1987, 2004; Olive 1988 entre autres), le niveau aurignacien ancien de Barbas III est une occupation complexe intégrant un grand nombre d'activités d'ordre domestique nécessaires au maintien d'un groupe. Cet habitat de par son ampleur (estimé à plus de 4 000 m 2) et son organisation socio-économique devait occuper un statut important et particulier au sein du territoire bergeracois riche en implantations de l'Aurignacien ancien. Bien que leur synchronie ne puisse être totalement attestée, un ensemble de traits techniques et économiques semblables montrent l'appartenance de sept gisements à une même sphère “culturelle” de l'Aurignacien Ancien (Champ-Parel - Chadelle 1989, 1990, 2000, 2005; Corbiac Vignoble II – Tixier 1991a, 1991b; Bordes et Tixier 2002; La Graulet VI – Bourguignon et al. 2002; Garris II, Vieux Coutets et Cantalouette II – Bourguignon et al. 2002a et b, 2004a et b; Ortega et al. 2004; Grigoletto et al. 2004). Même si parfois certains points diffèrent d'un gisement à un autre, ces divergences peuvent être liées au type d'occupation (fonction du site), à sa durée, à sa fréquentation voire à leur complémentarité. Les analyses en cours des niveaux aurignaciens anciens des sites de La Graulet VI, Vieux Coutets, Cantalouette II et des Garris II (gisements fouillés lors des travaux d'aménagement du contournement nord de Bergerac 3 permettront de les définir et de mieux caractériser le rôle économique de chacun de ces sites au sein d'un territoire bien délimité, celui du Bergeracois dans son appellation la plus stricte .
Le présent article a comme objectif de définir, à partir des premiers résultats obtenus par le croisement des données technologiques, fonctionnelles et spatiales, le statut techno-économique de l'occupation de plein air aurignacien ancien de Barbas III. Le site de Barbas III est localisé sur la commune de Creysse, sur la rive gauche de la Dordogne. La stratigraphie comprend un niveau Moustérien de Tradition Acheuléenne daté de 38 300 ± 500 B.P. et 43 500 ± 2 200 B.P. (Boëda et al. 1996), un niveau Châtelperronien et un niveau Aurignacien ancien. C'est sur cette dernière occupation que nous avons axé notre étude. Les matières premières utilisées durant l'occupation aurignacienne sont de trois types: roches sédimentaires (silex, silex calcédonieux, calcaire), roches cristallines (quartz) et roches métamorphiques (dolérite, grès, basalte et stéatite). Parmi les roches sédimentaires, trois types de roches siliceuses, le silex du Bergeracois, le silex dit " du Sénonien " et le silex calcédonieux, ont été déterminés; seul un pourcentage très faible (inférieur à 0,2 %) demeure sans détermination (origine incertaine). Le silex du Bergeracois constitue la matière quasi exclusivement exploitée (≥ 98 %). Aux alentours de l'occupation, les argiles maestrich-tiennes contenant les blocs de silex, devaient très certainement affleurer et constituer un lieu d'approvisionnement privilégié. Sur ces affleurements les blocs de silex introduits (bruts et/ou testés) ont fait l'objet d'une sélection raisonnée. A chaque gabarit de blocs de silex introduits dans l'occupation, correspond une chaîne opératoire laminaire dissociée. Chacune d'elles est orientée vers l'obtention de produits spécifiques, que ce soit pour la production des très grandes lames rectilignes (27 x 6 x 2,2 cm en moyenne) que celles de modules inférieurs plus graciles et de profil plus courbe (de 8 à 16 cm de longueur). Les variables dimensionnelles des objectifs et une réduction prononcée et volontaire des étapes de mise en forme des volumes laminaires guident incontestablement le choix lors de l'approvisionnement. Deux chaînes opératoires lamellaires complètent les productions laminaires. La première, orientée vers l'obtention de lamelles droites, est obtenue à partir de nucléus sur éclat ou sur fragment de bloc. La seconde permet d'obtenir de petites lamelles courbes à partir des nucleus type " grattoirs carénés ". Enfin, une production d'éclats est présente. L'outillage retouché est peu représenté (inférieur à 5 %). Les outils sont néanmoins typiques du faciès ancien de l'Aurignacien: lames à retouche aurignacienne, lames étranglées, grattoirs carénés, complétés par quelques rares burins, des grattoirs simples mais surtout par une gamme d'outils dits " du fond commun moustérien " (encoches, denticulés, racloirs ainsi qu'une pièce façonnée). L'analyse fonctionnelle réalisée sur une partie de ces objets confirme l'implication de ces outils retouchés tout comme certains supports bruts au sein de chaînes opératoires de transformation de matières d'oeuvre variées. Cette étude fonctionnelle, réalisée sur un échantillon de 44 pièces lithiques, est représentative de l'ensemble des schémas opératoires laminaires et lamellaires. Elle illustre la particularité de cette occupation par la pratique d'activités liées au travail de la peau et des matières osseuses (os et bois animal). Ces travaux qui montrent l'importance des activités artisanales autres que la fabrication des supports lithiques au sein de cette occupation. Parmi le travail de la peau, celui de la peau sèche apparaît le plus abondant, bien que l'ensemble de la chaîne opératoire de traitement de ce matériau semble représentée sur le gisement jusqu'à l'adoucissement, la confection et l'exécution des produits en cuir. Pour certaines phases de traitement, assouplissement et conservation, l'utilisation de poudre d'ocre obtenue sur place est attestée.
archeologie_08-0040095_tei_256.xml
termith-45-archeologie
Au mois d'octobre 2006, un diagnostic réalisé par Martin Pithon (Inrap) (Pithon, 2006) sur la commune de Saint-Hilaire-Saint-Florent (Maine-et-Loire, fig. 1), au lieu-dit le Petit Souper révèle la présence, en bordure d'un plateau surplombant la vallée de la Loire, de plusieurs fosses contenant des fragments de céramiques attribuables à l'étape moyenne du Bronze final. La fouille, engagée en janvier 2008, sous la responsabilité scientifique de Yann Viau (Inrap Pays de la Loire) s'est traduite par un décapage ciblé de 1 000 m² qui a révélé la présence de plusieurs fosses et trous de poteaux (Viau et al., 2008). Le mobilier recueilli dans ces structures représente, quantitativement, la série du Bronze final II/III la plus conséquente trouvée à ce jour, en contexte archéologique, dans le quart nord-ouest de la France. Cet ensemble céramique permet surtout la redécouverte de ce faciès occidental de l'étape moyenne du Bronze final à Saint-Hilaire-Saint-Florent, déjà connu pour le site de - l'Alleu mis en évidence par le Docteur Michel Gruet. Il faut ici évoquer cet épisode : au mois d'août 1977, le Docteur M. Gruet et son équipe, effectuaient une fouille de sauvetage au lieu-dit l'Alleu à Saint-Hilaire-Saint-Florent près de Saumur, sur les rives de la Loire. La construction d'un lotissement y avait révélé la présence d'un habitat attribué au Bronze final II. L'intervention archéologique a « consisté en l'étude des coupes de tranchée (liées aux travaux de voirie), de diverses traces d'habitation et à la fouille d'un fossé dépotoir » (L'Helgouach, 1979, p. 569). Le caractère d'urgence de cette opération et les mauvaises conditions d'intervention n'ont, malheureusement, pas permis à l'équipe de fouille d'étudier sereinement le site. Le geste archéologique s'est surtout traduit par un ramassage de mobilier. Par la suite, A. Braguier a dessiné les formes et décors des poteries récoltées. La somme de dessins réunit près de 130 planches présentant de très nombreux profils et décors attribuables au style Rhin-Suisse-France-Orientale. Le considérable lot céramique du site de l'Alleu se réduit donc à un recueil typologique déconnecté de son contexte d'origine. Un aperçu de cette collection a été présenté par T. Nicolas en 2007 (Nicolas, 2007). La fouille du site du Petit Souper offre donc l'occasion de décrire le Bronze final II/III de Saint-Hilaire-Saint-Florent et son contexte archéologique. La série céramique se compose de 1698 fragments de céramique, pour un nombre minimum d'individus de 245 vases. Deux datations C14 ont pu être effectuées sur des prélèvements de charbons issus des fosses 37 et 62 (fig. 3), elles inscrivent leur horizon chronologique vers la fin du Bronze final II a et au début du Bronze final II b. Le mobilier issu des fosses 37, 43 et 62 est attribuable à cette période. Ce travail de comparaison a également mis en évidence une seconde phase d'occupation un peu plus tardive datée du Bronze final II b/III a (ensemble 41, fosses 67/68 et 38). Le site du Petit Souper est installé sur le bord d'un plateau surplombant la vallée de la Loire. Situé, en moyenne, à 80 m d'altitude, ce relief domine, d'une cinquantaine de mètres, la rive gauche du fleuve. Au pied de ce promontoire, soit à 200 m du site, se développe le lotissement de l'Alleu (fig. 2), à l'emplacement des découvertes du Dr Gruet en 1977. Le substrat géologique est composé de sables et grès à spongiaires de texture argileuse. Les structures archéologiques ont été détectées sous 40 à 60 cm de terre végétale. Une trentaine de creusements, dont un fossé et ce qui pourrait être un chemin, témoignent de l'occupation protohistorique de ce bord de plateau. Hormis les vestiges liés à l'occupation du Bronze final, quatorze pièces de silex sont attribuables au Paléolithique moyen. Une hachette-pendeloque en éclogite découverte en surface de la fosse 37 (structure du Bronze final) relève typologiquement de la culture matérielle du Néolithique. Enfin, le profil d'un vase non décoré découvert dans le fossé 25 évoque le style campaniforme. 33 creusements ont été mis en évidence (fig. 3) : 9 fosses complexes, 6 fosses simples et 18 trous de poteaux. Il faut ajouter un fossé protohistorique (F 74) et ce qui a été interprété comme un axe de cheminement (F 25/48/49). Cet axe de cheminement ne semble pas lié à l'occupation du Bronze final puisqu'il recoupe la fosse 67 attribuée à cette période. Par ailleurs, il s'avère postérieur au fossé 74 qui a, quant à lui, livré quelques tessons de facture protohistorique (Bronze final ?) ainsi qu'une dizaine de grammes de scories de nature indéterminée (cuivre, fer ?). La nature des rejets découverts (céramique, silex, ossements de faune brûlés, fragments de pesons, parois de four, morceaux de meules) permet de considérer ce gisement comme un site d'habitat en bord de plateau. Cependant, l'étude des restes osseux réalisée par E. Cabot (Inrap) livre une information étonnante (cf. annexe 1). Des restes brûlés d'origine humaine, présents en faible quantité (24 grammes) ont été découverts dans les fosses 41, 44, 84, 90. De la même façon, 6 fosses (14, 27, 37, 62, 88, 91) contenaient des os brûlés de faune. Onze fosses ont donc livré des os brûlés soit d'origine animale, soit d'origine humaine, mais aucune structure ne contenait les deux types d'ossements en association. Sur la question des os humains, la conclusion de l'analyse anthropologique suggère que « malgré la faiblesse de l'échantillon pour ces dépôts, il semble bien y avoir là un geste spécifique et une volonté d'isoler ces restes humains ». Selon cette étude, les restes proviendraient d'individus adultes pour les trois premières fosses (F 41, F 44, F 84); par contre, les fragments d'os recueillis dans la fosse 90 (ensemble 41) sont attribués à un individu immature. Par ailleurs, l'étude établit une distinction entre la puissance de crémation des os humains (plusieurs heures à une température de 600° à 900°) et le moindre niveau d'exposition à la chaleur des fragments de faune, « juste chauffés », ce qui tendrait à considérer ces derniers comme restes culinaires. Il faut, dès à présent, remarquer que la distinction très nette établie par E. Cabot entre les structures contenant des os de faune et celles ayant restituées des restes humains correspond, en fait, aux activités respectives liées aux deux phases d'occupation. Cette présentation du contexte archéologique doit également évoquer les conclusions de l'analyse des pièces lithiques (étude réalisée par P. Forré, Inrap, intégrée au rapport final d'opération : Viau, 2008). 217 pièces lithiques ont été extraites des structures. Quatorze d'entre elles sont attribuées au paléolithique moyen; cette attribution chronologique est fondée sur l'identification d'un nucléus et de 2 éclats de tradition Levallois. Pour l'ensemble du Bronze final, l'essentiel de la série lithique est constitué d'éclats de toutes tailles, pour certains retouchés. La part de l'outillage est très faible et se résume en tout et pour tout à un grattoir et un burin. L'analyse de P. Forré met l'accent sur le caractère opportuniste de cette industrie qui utilise des matériaux récoltés dans un rayon d'une quinzaine de kilomètres, les supports de débitage étant de qualité aléatoire. Les ressources locales de grès siliceux de plus ou moins bonne qualité sont mises à contribution dans le cadre d'une production non standardisée d'éclats. Les six structures retenues dans cette sélection rassemblent près de 89 % des tessons attribuables à l'étape moyenne du Bronze final (1509 tessons sur un total de 1698). Le creusement principal de la fosse 37 est de forme ovoïde, une petite extension linéaire se développe sur la partie nord (Unités d'Enregistrement 101/102). Les dimensions moyennes de la structure atteignent 3, 20 m de long et 2, 30 m de large. La fouille s'est articulée autour de deux axes de coupes nord/sud et est/ouest. En surface, un sédiment de texture limoneuse et argileuse saturé en particules de charbons de bois (us 1 et 2) laissait apparaître le sommet de quelques pierres. L'évacuation de ce limon mit progressivement en évidence un amas de gros blocs de pierres occupant la partie centrale de la fosse (UE 100 et 103). Au nord-est de cette concentration de pierres, la fouille a rencontré un niveau de limon charbonneux fortement chargé en nodules de terre cuite (us 3 et 4, fig. 4, coupe E-F); à cet endroit, les parois de la fosse ne présentaient pas de trace de rubéfaction. Plusieurs formes céramiques ont été extraites de l'unité stratigraphique n° 3. Le dégagement des blocs a permis de détecter un creusement sous-jacent de forme quadrangulaire (us 6) de 80 cm² de surface (1 m de long, 80 cm de large et environ 10 cm de profondeur). Cette légère excavation recelait, comme pour le reste de la fosse 37, os de faune et fragments de céramique. À cet endroit, la profondeur de la fosse atteint sa cote la plus basse, soit 40 cm sous son niveau d'apparition. La fouille de la fosse 37 (fig. 4) s'est traduite par la collecte de 671 tessons (près de 40 % de l'effectif total). La céramique a été principalement extraite de l'amas de blocs (UE 100 et 103, us 1 et 2), mais plusieurs fragments ont aussi été prélevés au sein de l'us 3 (coupe E-F). Quelques rares tessons proviennent des secteurs UE 101 et 102. Le nombre minimum d'individus (établi par le dénombrement des bords, fonds, profils développés, tessons décorés) est de 105 pièces. Cette fosse a également livré 77,8 g d'os de faune brûlés auxquels s'ajoutent 20 g de fragments de dents d'origine animale. Les limites de cet ensemble se sont avérées difficiles à cerner, les différences entre le substrat et le comblement étaient assez peu marquées; de plus, des contraintes techniques ont réduit la portée de la fouille. Cette fosse a été observé sur 5 m de long et 4,50 m de large; sa profondeur atteint, tout au plus, 15 cm. Le fond est relativement plat. Le comblement principal (us 2) est un sable argileux de teinte grise orangée, montrant peu de différence avec le substrat; quelques tessons et charbons de bois ont été récoltés dans cette couche. Plusieurs creusements annexes entament ce niveau de sable argileux. Le plus vaste d'entre eux (us 1) prend une forme quadrangulaire; il est comblé par un sable gris contenant de nombreuses particules de charbons de bois associées à des restes osseux humains brûlés, lithiques et céramiques. D'autres creusements secondaires, de taille plus réduite, ont été repérés. Parmi eux, les creusements 84, 88 et 90 qui ont livré des fragments d'os humains fortement brûlés associés à des pièces lithiques et des tessons de céramiques. La présence ponctuelle de petits blocs de grès dans cet ensemble peut être relevée; l'interprétation de ces concentrations de blocs comme éléments de calage semble fonder l'hypothèse d'un fond de cabane. Toutefois, les conclusions de l'étude anthropologique font état de la présence dans F 41 (us 1 et us 2), F 84, 88 et 90 de restes humains très brûlés présents en faibles quantités (24 grammes); de fait, la question d'un aménagement à creusements multiples dédié, au moins en partie, à des dépôts volontaires de restes humains, est posée. La fosse F 41 et les creusements associés (F 84, 88 et 90 notamment) ont présenté, au terme de leur fouille, un lot de 339 tessons (258 pour F 41, 80 pour F 90, 1 bord pour F 88). Le NMI s'élève à 32 pour F 41 (us 1 et us 2), et 8 pour F 90. Le plan de la fosse semble adopter une forme ovalaire. Le creusement atteint une profondeur de 40 cm sous le niveau d'apparition. Le comblement est constitué par un sédiment de texture sableuse et argileuse contenant de nombreux blocs de grès. La céramique provient de ce niveau; le NMI s'élève à 34 vases. La fouille a mis en évidence la présence d'os longs de faune parmi les blocs de pierres, soit 389 g d'os et 31 g de dents. Réduits à l'état spongieux, ces ossements n'ont pu être précisément identifiés; par ailleurs, leur texture indique qu'ils n'ont pas été exposés à de fortes températures ni même soumis à la flamme d'un foyer. Des pièces de silex et quelques charbons de bois complètent l'inventaire du mobilier recueilli dans cette fosse. La fonction de fosse-dépotoir a été proposée pour cette structure. 207 tessons ont été retirés de cette fosse située au nord de F 41; mais, cela ne constitue qu'une partie de son corpus. En effet, lors de la phase de décapage réalisée dans des conditions météorologiques particulièrement défavorables, une des chenilles de la pelle mécanique a détruit une partie de cette structure qui était alors recouverte de plusieurs centimètres de boue liquide. Les fosses 67 et 68 ont été découvertes un peu à l'extérieur du périmètre d'étude défini par la prescription de fouille. La fosse 67 présente un plan circulaire de 1 m 60 de diamètre et 60 cm de profondeur. Un sédiment sablo-argileux de teinte grisâtre à brune comble la fosse. De nombreux blocs de grès, disposés sans organisation particulière, y ont été découverts. Cette fosse a livré 170 fragments de poteries pour un NMI de 22 vases. La présence de fragments de pesons atteste d'une activité artisanale liée au tissage; ces éléments de terre cuite étaient associés à des morceaux de parois de four. À proximité immédiate de la fosse 67, la structure 68 n'a pas été vue dans sa totalité. Sa profondeur ne dépasse pas 20 cm, elle a livré 31 tessons. Le NMI de vases est modeste (5 individus). La description du comblement de F 67 s'applique également à F 68, cette similitude semble induire une proximité fonctionnelle et chronologique entre ces deux fosses. On peut remarquer qu'aucun reste osseux n'a été récolté. Au centre du décapage, la fosse 62 s'inscrit dans un ensemble qui associe les structures 114 à 116. Sa stratigraphie, se développant sur une vingtaine de centimètres, est plus complexe que celles des structures précédemment décrites; en effet, onze couches de comblement ont été identifiées. Dans l'ensemble, le sédiment de F 62 se distingue par une forte teneur en charbons de bois. 91 tessons ont été recueillis dans cette fosse, essentiellement dans l'us 9; le NMI s'élève à 12 vases. Une faible quantité de tessons (13 fragments) a, par ailleurs, été recueillie dans les faits 114 à 116. La description des fosses principales doit être complétée par un bref exposé concernant les autres structures. Concernant les axes fossoyés, le fossé 74 a livré quelques tessons de facture protohistorique ainsi qu'une dizaine de grammes de scories; toutefois, la relation de ce fossé avec l'occupation du Bronze final n'a pas été établie. Quant à l'axe de cheminement (F 25/48/49), aucun élément matériel ne permet d'avancer une chronologie; la fouille a néanmoins établi que cet axe recoupe le fossé 74. Il recoupe également la fosse 67 qui est attribuée au Bronze final II b/III a. Enfin, l'ensemble F 38 et ses multiples creusements présentent des dimensions importantes (4,60 m de long pour 3,40 m de large) mais, paradoxalement, il s'est avéré très pauvre en mobilier (24 tessons; NMI : 3). L'hypothèse d'un fond de cabane arasé a été formulée pour l'identification de cette structure. L'ensemble des fragments de céramique se rapportant à l'occupation de l'étape moyenne du Bronze final regroupe 1698 tessons; le NMI global s'élève à 245 vases. Le calcul du NMI a été réalisé par comptage des fragments de bords, de fonds, de tessons décorés et des profils suffisamment développés pour être individualisés. Le détail de ce travail de quantification est présenté dans le tableau de synthèse n° 1. Trois groupes de pâtes ont été définis (pâtes fine, semi-fine, grossière façonnée). Le groupe des pâtes fines (groupe 1) prend en compte les vases pour lesquels le dégraissant n'est pas ou peu visible. Les traces de montages sont très discrètes, les surfaces particulièrement soignées. On trouve essentiellement dans ce groupe les écuelles et assiettes tronconiques. Le groupe des pâtes semi-fines (groupe 2) prend en compte des productions de qualité pour lesquelles le dégraissant est visible, parfois abondant mais finement calibré. Cela concerne les mêmes types de vases que ceux du premier groupe. Enfin, le troisième groupe propose une définition correspondant à l'expression générique « pâte grossière ». Le critère discriminant réside ici dans le traitement des surfaces : des traces digitées linéaires, liées au façonnage de la pâte, marquent les faces externes et/ou internes. Ces traces peuvent être continues, obliques ou verticales, voire ponctuelles (extrémité des doigts). Ce traitement peut, dans certains cas (applications couvrantes) être assimilé à un décor. La proportion par groupes s'établit ainsi : pâte grossière 60, 5 % de l'effectif total; pâte semi - fine 21 %; pâte fine 18, 4 %. Les assiettes à profil tronconique dominent l'effectif de la production en pâte fine ou semi-fine (15 exemplaires). À l'exception d'un vase (fig. 9 : n° 1), elles présentent toutes un profil simple, dépourvu de segmentation. L'absence de décor interne, fréquent sur ce type de récipient, peut être relevée. Cinq types de pâte ont été utilisés dans la conception de ces vases. Pour le récipient (fig. 9) n° 1, la pâte est de teinte jaune/beige, les parois présentent ponctuellement des traces noirâtres, probablement liées à des coups de chauffe lors de la cuisson. Un second type (majoritaire) présente une teinte gris foncé au cœur; les surfaces sont recouvertes d'un revêtement noir, lissé et légèrement micacé. Pour les vases concernés, la cuisson est de bonne qualité (fig. 9 : n° 4, 6, 7, 8, 9, 10). Une variante de teinte gris claire concerne notamment les assiettes de petits formats (fig. 9 : n° 15, 16 et 17), les surfaces de ces récipients sont altérées. Enfin, les assiettes (fig. 9) n° 11 et 12 sont réalisées à partir d'une argile de texture sableuse. Cet inventaire des groupes techniques traduit la variété des productions rencontrées, sans qu'il soit possible de distinguer les productions locales des apports exogènes. Sept vases présentent un diamètre inférieur ou égal à 21 cm. La lèvre peut être facettée (fig. 9 : n° 4, 7, 8, 9, 10), oblique (fig. 9 : n° 1), amincie avec un décrochement interne bien marqué (fig. 9 : n° 3, 5) ou sans décrochement (fig. 9 : n° 6), en méplat horizontal (fig. 9 : n° 11, 12), à gorge interne et ressaut externe (fig. 9 : n° 2). On remarque pour les petits formats (fig. 9 : n° 15, 16, 17) la rupture du profil bord/paroi : le bord est largement étiré vers l'extérieur. Les fonds ne sont pas conservés, à l'exception de l'exemplaire ombiliqué de l'assiette (fig. 9) n° 3. Les décors sont absents de cette série; toutefois, deux exemples, très partiels, de décors en guirlande réalisés au peigne ont été décelés sur les faces internes altérées de deux fragments d'assiettes (fig. 9 : n° 13 et 14). Les écuelles à bord oblique sont moins nombreuses (une dizaine d'exemplaires en prenant en compte les bords attribuables à cette catégorie). Ces vases se distinguent par une paroi à carène souple, arrondie précédant un épaulement marqué. L'absence de fond n'a pas permis de détecter la présence de coupe à pied creux dans cet assemblage. L'écuelle (fig. 11) n° 1 présente un décor en panneaux alternés de cannelures horizontales et verticales, légèrement obliques. Ce décor se développe sur l'épaulement. Une cannelure horizontale limite son développement dans la partie haute. Le bord de ce vase est marqué par un petit décrochement externe. Le décor au peigne à trois dents est attesté sur une écuelle (fig. 11 : n° 10). On peut remarquer une écuelle de petit format issue de la fosse 37 (fig. 11 : n° 4), une cannelure souligne la jonction bord/épaulement. Le vase (fig. 11) n° 12 caractérisé par un profil surbaissé, un épaulement très développé et un resserrement des parois à la base du col, est l'unique représentant de ce type de profil dans l'assemblage de F 37. Le registre décoratif, appliqué sur la partie basse de son épaulement, associe un décor en ruban de fines cannelures verticales très resserrées à trois fines cannelures horizontales. La typologie décorative est également illustrée par un bord (fig. 11 : n° 3) décoré de fines incisions sur l'extrémité de sa lèvre; une autre série d'incisions ou d'impressions (décor incomplet) orne la jonction col/panse. Un seul gobelet à épaulement de type large (fig. 11 : n° 9) a été découvert dans la fosse 37. Cela permet de souligner l'extrême rareté, voire l'absence, dans le corpus du Petit Souper, du gobelet à épaulement de style RSFO dans son expression classique : carène marquée et haut col cylindrique. Le gobelet du Petit Souper est marqué par un col cylindrique assez court légèrement ouvert. Une fine cannelure souligne la jonction épaule/encolure. Le fond est plat. La série de la fosse 37 présente un vase de forme relativement atypique (fig. 11 : n° 6). Ce petit récipient (à peine 9 cm de haut) adopte un profil segmenté habituellement réservé aux vases de plus grandes dimensions. Les fragments de bords droits des formes tronconiques (fig. 11) n° 5 et 8 présentent une nette rupture du profil dans leur partie haute. Les bords sont bien individualisés et ne s'inscrivent pas dans la continuité de la paroi. Cela constitue une différence avec les vases de même modèle présentés plus haut (fig. 9 : n° 11 et 12). La restitution graphique n'a pu être effectuée pour le bord n° 5, mais l'orientation de son profil permet d'y voir un vase assez profond. Dans ce cas précis, le bord n° 5 correspond à la définition que l'on confère aux jattes tronconiques à bord vertical. Apparenté aux vases précédents, le bord à parois convexes (fig. 11) n° 7 semble de facture plus archaïque; cela tient à la texture très sableuse de la pâte, à la simplicité de son discret décor cannelé et à sa lèvre amincie. Deux fragments de jarres à panse biconique représentent cette catégorie de vase (fig. 12 : n° 2 et 3). Pour ces deux récipients, un décor de cannelures au peigne à trois dents est appliqué sur la partie haute de l'épaule, à proximité de la jonction épaule/bord. Sur la ligne de carène de la jarre n° 3 figure un timbre estampé de petite taille (10 mm par 6 mm), de forme quadrangulaire et constitué par quatre lignes verticales de petites impressions de la taille d'une tête d'épingle. L'usage d'une matrice est vraisemblable. La fonction ornementale de ce motif est peu probable au regard de sa discrétion et de son isolement et ce, d'autant moins que les dimensions du fragment sont suffisamment importantes pour voir que cette empreinte n'est pas reproduite sur une autre partie de la paroi. Enfin, il faut mentionner un fragment de couvercle (fig. 12 : n° 1) de 10 cm de diamètre. La tendance au profil biconique s'affirme nettement dans cette série. La segmentation de la paroi est généralement prononcée, l'épaulement peut être particulièrement développé (fig. 14 : n° 1 et 3). Les formes dotées d'un bord complexe (fig. 14 : n° 1, 2, 3, 5) côtoient ceux pour lesquels le col est atrophié (fig. 14 : n° 4, 6). La thématique ornementale est dominée par le décor d'impressions sur la ligne de carène, treize vases en sont pourvus (fig. 14 : n° 1, 2, 3, 4, 5, 6; fig. 15 : n° 4, 5, 6, 7, 8, 10, 12). Dans la plupart des cas, il s'agit d'une simple ligne de digitations; ce décor peut aussi être décliné en double rangée de digitations (fig. 14 : n° 3; fig. 15 : n° 5). Le vase (fig. 14) n° 5 propose, avec son décor d'ocelles, une variante à ce principe décoratif. L'usage du cordon appliqué digité est ici médiocrement exprimé, les exemples relevés (fig. 14 : n° 6; fig. 15 : n° 6, 7, 8) sont mal façonnés et écrasés contre la paroi; deux tessons présentent des segments de cordon lisse appliqué (fig. 15 : n° 9 et 11). Quelques bords sont ornés de digitations (fig. 14 : n° 4; fig. 15 : n° 1, 2, 3) systématiquement implantées sur l'extérieur de la lèvre. Par ailleurs, certains vases présentent sur leur face externe des traces digitées couvrantes situées sous la carène; elles peuvent être continues ou ponctuelles et resserrées (fig. 14 : n° 1 et 2; fig. 15 : n° 10, 11, 12 et 13). Liées au modelage de la pâte, ces empreintes revêtent également un caractère ornemental (fig. 15 : n° 10 et 13). Le registre des éléments de préhension est illustré par une petite languette recourbée (fig. 15 : n° 14). L'assemblage céramique de la fosse 37 réunit des formes et décors caractéristiques de la phase moyenne du Bronze final. Plus précisément, certains éléments trouvent référence dans des contextes de la fin de la phase ancienne ou du début de la phase moyenne du Bronze final. C'est notamment le cas de l'écuelle à bord oblique (fig. 11) n° 1 ornée d'un décor cannelé en panneaux. Ce type de décor, alternance de cannelures verticales et horizontales, est répertorié dans le corpus de Rancogne en Charente sur des écuelles datées de la fin du Bronze final II a ou du début du Bronze final II b (Gruet, Roussot-Larroque, Burnez, 1997, p. 62) (Gomez de Soto et al., 1988, p. 518, fig. 1, n° 9). On le rencontre également dans la Drôme à la Baume des Anges dans un contexte du Bronze final II a (Vital, 1990, fig. 24, n° 8; fig. 26, n° 3). En Ile-de-France, il est recensé à Marolles-sur-Seine dans la nécropole 1 des Gours-aux-Lions, datée du Bronze final II a (Mordant, 1970, fig. 36, décor B5, p. 81). L'écuelle (fig. 11) n° 1 du Petit Souper est donc un témoignage des productions à décor cannelé de la fin de la phase ancienne ou du début de l'étape moyenne du Bronze final (fin Bronze II a/début Bronze II b). Parmi ces éléments anciens figurent également des cordons lisses (fig. 15) n° 9 et 11 et surtout la petite languette de préhension recourbée (fig. 15) n° 14. Pour la période considérée, cette association cordons lisses/languette de préhension est observée dans la série du Bronze final II a de la Baume des Anges dans la Drôme (Vital, 1990, fig. 33 et 35); par contre, pour ce même site, la période suivante (Bronze final II b) voit une raréfaction du cordon et une disparition des éléments de préhension. D'une façon plus générale, la languette de préhension semble étrangère aux corpus Bronze final II b. Le vase surbaissé biconique (fig. 11) n° 12 caractérisé par un épaulement très développé trouve de proches comparaisons dans les contextes de nécropoles. La sépulture d'Azay-sur-Cher en Indre-et-Loire a livré un petit vase aux semblables proportions (Cordier, 2009, p. 487, fig. 381). En Touraine, la typologie des vases du champ d'urnes de Chissay (Bronze final II a) présente également ce type de forme (Cordier, 2009, fig. 391, n° 11), le profil est cependant moins écrasé. En Charente, cette forme figure dans l'importante série de Rancogne (Gruet, Roussot-Larroque, Burnez, 1997, pl. 5, n° 1) sous l'appellation de vase à col resserré en illustration de la phase ancienne du Bronze final. Son décor, composé de cannelures légères très resserrées soulignées sur leur partie haute par trois fines cannelures horizontales, est répertorié dans le contexte du Hallstatt A1 du site de Maizières-les-Metz en Lorraine (Blouet et al., 1988, p. 198 et pl. 5, n° 5 et 8). Le décor de fines incisions ou d'impressions de la jonction épaule/bord (fig. 11) n° 3 est signalé à Rancogne avec une expression similaire sur deux écuelles à bord oblique illustrant la phase ancienne du Bronze final (Gruet, Roussot-Larroque, Burnez, 1997, pl. 4, n° 1 et 4; p. 53 et 54). Ce faciès ancien côtoie au sein de la fosse 37 des formes et décors typiques de la tradition RSFO. Le type générique « écuelle à épaulement et à col cylindrique » aussi désigné sous l'expression « gobelet à épaulement de type large » est représentée ici par un seul vase (fig. 11 : n° 9). Ces vases apparaissent antérieurement aux gobelets à épaulement et à haut col; les versions tardives (jusqu'au Bronze final III a) voient leur col se resserrer et leur profil se rehausser (Gruet, Roussot-Larroque, Burnez, 1997, p. 60). Dans le Loiret, cette forme est signalée à Villemandeur dans un contexte Bronze final II b/III a (Villes, 1988, p. 389, fig. 3, n° 15), à Nancray-sur-Rimarde dans un contexte de cimetière en champs d'urnes (Cordier, 2009, p. 459, fig. 359, n° 6), à Tigy, également dans un contexte de champs d'urnes daté du Bronze final II/III. Toujours dans le Loiret, la fouille du site d'habitat de la Petite Guillerie à Guilly, daté du début du Bronze final II b, a livré une intéressante série d'écuelles carénées à col cylindrique (Jan, 2006, p. 36, pl. 2, n° 4, 5, 6, 9). Les vases présentés montrent de nettes analogies morphologiques avec l'écuelle du Petit Souper (fig. 11) n° 9. Dans le sud-ouest, l'assemblage de la grotte de Rancogne offre quelques exemplaires décorés et aux carènes moins vives, datés de la fin de l'étape ancienne ou du début de l'étape moyenne du Bronze final (Gruet, Roussot-Larroque, Burnez, 1997, p. 174, pl. 8, n° 12, 15, 17, 19). Plus loin, dans la Drôme, la série Bronze final II b de la Baume des Anges présente des formes plus conformes au vase du Petit Souper; les carènes sont marquées et les surfaces ne sont pas décorées (Vital, 1990, fig. 39, n° 15). Les jarres biconiques, représentées ici par les vases (fig. 12) n° 2 et 3, figurent dans les corpus de l'étape moyenne du Bronze final (Les Gours-aux-Lions, Rancogne, La Baume des Anges, grotte des Planches-près-Arbois, etc.). Le style décoratif RSFO est, par ailleurs, illustré par les motifs incomplets de décor en guirlande (fig. 9 : n° 13 et 14). On peut noter que ce sont les seuls témoins de cette technique ornementale. Leur état fragmentaire compromet tout travail de comparaison. Dans le registre des formes ouvertes, les assiettes figurent, en général, en bonne place dans les assemblages du Bronze final II et III. Pour les exemplaires du Petit Souper, les rapprochements typologiques avec le corpus de Rancogne s'avèrent incontournables. L'assiette (fig. 9) n° 1 reprend les caractéristiques morphologiques de profils analogues de la fin de la phase ancienne ou du début de l'étape moyenne de Rancogne (Gruet, Roussot-Larroque, Burnez, 1997, pl. 9, n° 1 et 3). Une autre assiette (fig. 9 : n° 3) adopte, presque point pour point, les traits d'un vase richement décoré de motifs au peigne provenant de la série Bronze final II b de Rancogne (Gruet, Roussot-Larroque, Burnez, 1997, pl. 14, n° 1). On remarquera pour cette série d'assiettes, l'absence de profil brisé ou de rebord décroché caractéristiques du Bronze final II b (Gruet, Roussot-Larroque, Burnez, 1997, p. 75). Quant aux écuelles de petits diamètres (fig. 9 : n° 15, 16, 17), elles trouvent généralement références dans des contextes funéraires. À titre d'exemple, on peut évoquer les formes non décorées de type RSFO de la tombe n° 13 de la nécropole du Pralat à Broussy-le-Grand dans la Marne (Chertier, 1988, p. 245, fig. 3). La fouille de la fosse 37 a livré deux autres types de vases de formes ouvertes : un bol à parois convexes décoré de cannelures resserrées (fig. 11 : n° 7) et deux fragments d'écuelles tronconiques à bord droit (fig. 11 : n° 5 et 8). Ces formes se généralisent à partir du Bronze final III, mais sont toutefois connues dans des ensembles plus précoces, dès le Bronze moyen. Pour la France de l'Est, la typologie des céramiques du groupe RSFO dans la région dijonnaise recense la présence de ce type de vases dans le corpus de la phase II du site du Pré-au-Plancher à Varois-et-Chaignot (Côte-d'Or) où cette phase II marquerait la transition entre le Bronze final II b et III a (Ducreux, 2007, fig. 24, p. 47). Dans le Sud, le Bronze II b de la Baume des Anges connaît également ces récipients tronconiques ou à paroi convexes (Vital, 1990, fig. 37). Le décor de doubles lignes de digitations sur la carène (fig. 14 : n° 3; fig. 15 : n° 5) fait partie du répertoire décoratif des formes grossières de cette période (Bronze final II b) à Rancogne et la Baume des Anges. Un petit fragment de couvercle extrait de la fosse 37 (fig. 12 : n° 1) possède un profil et un diamètre analogue à celui d'un exemplaire découvert dans l'inhumation 18 de la nécropole 1 des Gours-aux-Lions à Marolles-sur-Seine; ce contexte est attribué au début du Bronze final II (Mordant, 1970, p. 36, fig. 10, n° 4). Pour cette période, les représentations ou mentions de couvercles sont rares et semblent réservées aux contextes funéraires. En ce qui concerne la céramique grossière de la fosse 37, les longues traces digitées verticales ou légèrement obliques couvrant la partie basse des vases, du fond jusqu' à la base de l'épaule, constituent un trait caractéristique de cette production; l'application couvrante d'empreintes ponctuelles (fig. 15 : n° 10 et 13) est une variante décorative à cette technique. Cette méthode associant façonnage et recherche d'une esthétique est récurrente dans les séries de céramiques grossières de la première moitié de l'étape moyenne du bronze final. En Lorraine, le gisement du Bronze final de Maizières-les-Metz a livré des vases biconiques développant des décors identiques à celui du tesson (fig. 15) n° 10, le contexte lorrain est daté du Hallstatt A1 (Bronze final 2 a) (Blouet et al., 1988, p. 202, pl. 2, n° 1 et 3). En Charente, le corpus de Rancogne présente également ce type de décor sur des formes biconiques de la série Bronze final II (Gruet, Roussot-Larroque, Burnez, 1997, p. 184, pl. 18, n° 1 et 3). Il est aussi signalé dans le Loiret sur le site des Larris 1 à Échilleuse pour lequel l'occupation s'étend du Bronze final I au Bronze final III (Simonin, 1982, p. 32, fig. 7). Pour les contextes Bronze final de Basse-Normandie, ce type de traitement de surface est considéré comme « un élément datant et est comparable tout à fait aux céramiques du gisement Bronze final de Runnymede Bridge en Angleterre » (Marcigny et al., 2005, p. 321). La morphologie des bords se prête également à quelques comparaisons; ainsi, des bords complexes (fig. 14 : n° 2 et 5), caractérisés par leur rupture verticale interne, trouvent une comparaison presque exacte dans le corpus du début du Bronze final II b du site de la Petite Guillerie à Guilly dans le Loiret (Jan, 2006, pl. 14, n° 1). Le vase (fig. 14) n° 2 du Petit Souper reprend toutes les caractéristiques morphologiques et ornementales de cet exemplaire. Dans le même esprit, le bord d'un autre vase du Petit Souper (fig. 14 : n° 1) présente une rupture verticale interne ainsi qu'un méplat sur son extrémité; cette description s'applique aussi aux bords (fig. 16) n° 1, 2 et 3; cela permet d'établir, là encore, un parallèle très proche avec un exemplaire de la Petite Guillerie (vase n° 3, p. 49, pl. 15). Dans cette optique, cela pourrait illustrer prudemment l'idée d'une aire d'identité culturelle qui serait structurée par l'axe ligérien et ses affluents (le site la Petite Guillerie se trouve à environ 2 kilomètres du fleuve). Chronologie La fosse 37 a bénéficié d'une datation C 14 réalisée sur un échantillon de charbon prélevé dans l'us 2 (code LY-14472) : âge 14C BP : - 2920 ± 35; âge calibré : 1257 à 1009 av. J.-C.; date la plus probable : 1122 av. J.-C. Selon la chronologie proposée par W. Kimmig, cette date correspondrait à la charnière Bronze final II a/Bronze final II b (Kimmig, 1988, p. 15). L'analyse typologique des formes et décors a mis en évidence la coexistence d'éléments trouvant référence dans les corpus Bronze final II a et Bronze final II b. À ce titre, il convient de reprendre les conclusions de l'étude sur le site de transition Hallstatt A1/A2 de Maizières-Les-Metz en Lorraine et les considérations plus larges sur les innovations ou perdurations de formes et décors dans le bassin de la Moselle (Blouet et al., 1988, p. 198). Le Hallstatt A1 de Lorraine connaît les écuelles à décor interne en association avec des motifs cannelés semblables à celui ornant l'un des vases de la fosse 37 (fig. 11 : n° 12). Par ailleurs, ce contexte présente « tous les intermédiaires entre le gobelet biconique de type Ha A1 et le gobelet à épaulement Ha A2 » (p. 198). Ces réflexions s'appliquent à l'assemblage de la fosse 37 du Petit Souper. Par ailleurs, la présence d'éléments indéniablement anciens (décor cannelé en panneaux verticaux et horizontaux, languette de préhension, cordons lisses), en association avec des formes qui ont perduré durant l'étape moyenne du Bronze final, permet de proposer une datation précoce pour ce corpus de la fosse 37 soit : fin du Bronze final II a, début du Bronze final II b. Cette conclusion étayée par l'analyse typologique et les comparaisons avec les corpus de référence correspond au résultat de la datation C14. L'assemblage est caractérisé, en valeur absolue, par une forte prédominance des tessons en pâte grossière (93 %). Les pâtes semi-fines représentent donc un peu plus de 7 % du corpus, les pâtes fines sont absentes de cette série. La distinction fine et semi-fine s'appuie sur la présence ou l'absence de dégraissant et le soin apporté au traitement des surfaces. Une pâte semi-fine peut contenir une proportion notable de dégraissant fin et calibré, les surfaces sont soignées. Au-delà de la typologie des formes et décors, l'examen visuel des pâtes de cet ensemble montre, d'emblée et de façon particulièrement évidente, la présence d'un type de pâte grossière (groupe 1) qui est totalement absent de la série de la fosse 37. Le terme de pâte grossière s'applique parfaitement à ces tessons. Les surfaces sont très irrégulières et la finition reste très sommaire. Le dégraissant est constitué de nombreux graviers émoussés, certains d'entre eux atteignent 10 mm de long. Ces tessons présentent un cœur gris et une surface externe beige. Cette description concerne les vases et décors suivants : pour F41 : fig. 18 : n° 1, 4, 5, 6 et pour F 90 : fig. 20 : n° 2. Un autre type de pâte grossière (groupe 2) est rencontré dans cette série. La pâte est grise, les surfaces sont rugueuses; le dégraissant, constitué de petits graviers, est abondant et calibré. Les parois sont peu épaisses. Le cœur de la pâte est gris, les surfaces ont une teinte brune. Ce type concerne les formes suivantes : fig. 18 : n° 2; fig. 19 : n° 1 et 3. Le bord (fig. 19) n° 4 est réalisé avec une argile de texture très sableuse, grise au cœur et brune à ocre en surface (groupe 3). Aucune des caractéristiques des pâtes grossières de F 37 ne se retrouve dans cet assemblage. Les pâtes semi-fines sont de teinte grisâtre; le bord d'assiette (fig. 19) n° 5 présente une pâte légèrement micacée. Les profils sont fluides, peu segmentés sur leur partie haute. Les bords sont droits, leur architecture est dénuée de recherche stylistique. Les diamètres des vases peuvent être conséquents (fig. 18 : n° 1 et 4; fig. 20 : n° 2). Le pot à profil sinueux apparaît dans cette série (fig. 19 : n° 3). Les différences morphologiques et techniques entre les productions de l'ensemble F 41 et celles de la fosse 37 sont donc flagrantes. L'élaboration biconique des productions de F 37 laisse ici la place à des formes simples, peu décorées. L'ornementation par digitations, voire double lignes de digitations (fig. 18 : n° 7) subsiste cependant pour quelques vases, mais elle ne revêt pas le caractère presque systématique de la typologie ornementale des formes grossières de F 37. Le bord de forme ouverte (fig. 19) n° 6 adopte un profil tronconique. Son bord droit est bien individualisé du corps du vase, il a été façonné par un pliage de la pâte vers l'intérieur du vase. Le diamètre n'a pu être calculé; cependant, le dessin du profil permet d'assimiler cette forme à la catégorie des jattes à bord vertical. Le vase (fig. 19) n° 7 présente une carène affirmée et un épaulement assez court, presque vertical. Le bord est manquant, mais son amorce subsiste; l'orientation des parois permet d'écarter l'hypothèse de la naissance d'un col. Une cannelure, large de 2 mm et assez profonde, souligne la naissance de ce bord. Au niveau de la ligne de carène, le diamètre du vase d'origine est de 23 cm. La nature très fragmentaire de ce vase compromet une identification avérée; mais, la restitution graphique du vase d'origine laisse entrevoir une forme de type jatte carénée. L'assiette (fig. 19) n° 5, dont seul le bord avec l'amorce de la paroi a été conservé, se distingue par une orientation abrupte du profil. La forme tronconique est marquée par sa profondeur. D'autre part, on peut remarquer la forme très allongée de sa lèvre. Le bord oblique cannelé (fig. 20) n° 3 est attribuable à une petite écuelle à bord oblique de 16 à 17 cm de diamètre. La surface de ce vase a été lissée. En ce qui concerne le fragment d'écuelle tronconique à bord droit (fig. 19) n° 6, la littérature archéologique reconnait l'apparition précoce, dès le Bronze moyen, des récipients tronconiques avec ou sans segmentation haute. Les auteurs notent une généralisation de ce profil au Bronze final III a (Vital, 1990, p. 88); (Piningre, 2005, p. 153). Le bord d'assiette (fig. 19) n° 5 se singularise par la forme et la longueur de sa lèvre amincie. Cette morphologie trouve une exacte comparaison dans le corpus Bronze final III b du site de La Croix-Saint-Ouen « Parc Scientifique » dans la vallée de l'Oise (Blanchet, Talon, 2005, p. 249, fig. 18, st. 10). Mais, une similitude tout aussi exacte peut être établie avec un bord d'assiette du site de Choisey « Aux Champions », dans le Jura pour un contexte Bronze final II b (Bourson, 2006, pl. 3, n° 1). Sur le site de La Croix-Saint-Ouen, l'association de ce type d'assiette avec un vase à profil sinueux semblable au vase (fig. 19) n° 3 peut être relevée (Blanchet, Talon, 2005, p. 251, fig. 5). Cependant, le corpus du Bronze final II b du Fort-Harrouard dans l'Eure-et-Loir présente aussi un profil analogue (Mohen, Bailloud, 1987, pl. 59, B 296, n° 17). Dans la région de Dijon, pour la série du site du Pré-du-Plancher à Varois-et-Chaignot, l'apparition du vase à profil sinueux est placée dans la phase II de l'occupation du site; cette période « présente la particularité d'associer des caractéristiques du Bronze final II b à des éléments d'un profil plus tardif » (Ducreux, 2007, p. 69). Le vase à profil sinueux (fig. 19) n° 3 figure, d'une façon plus générale, dans la typologie du Bronze final II b, perdure au Bronze final III b et au-delà. Au sujet du fragment de vase carénée (fig. 19) n° 7, la chrono-typologie très documentée du site du Pré-du-Plancher en Bourgogne situe les jattes carénées (type 2 B) dans la phase III de l'occupation (première moitié du Bronze final III a) (Ducreux, 2007, p. 35). Le profil caréné est également signalé dans des contextes plus tardifs : la salle du Gisement de la grotte du Quéroy à Chazelles en Charente (Gomez de Soto et al., 1991, p. 365, fig. 31, n° 37) présente ce type de forme. Mais, il est également présenté dans les contextes plus précoces du Bronze final II de la Baume des Anges dans la Drôme (Vital, 1988, fig. 36). La nature incomplète du fragment (fig. 19) n° 7 et l'absence de décor limitent la portée des comparaisons. La chronologie peut s'inscrire dans une période allant du Bronze final II b au Bronze final III b. Le bord cannelé (fig. 20) n° 3, issu de la fosse F 90, peut provenir d'un vase à paroi globuleuse ou légèrement segmentée sur sa partie haute, voire carénée. L'identification de ce fragment incomplet revêt donc un caractère ambigu. La comparaison peut néanmoins porter sur le « vase globuleux à petit bord déjeté » de l'abri du Chevreau à La Roque-Saint-Christophe sur la commune de Peyzac-le-Moustier (Périgord) (Roussot-Larroque, 1988, p. 496, fig. 8, n° 11), ce contexte est daté du Bronze final III a. Pour la phase ancienne ou le début de la phase moyenne du Bronze final, le corpus du site Les Terres du Terrier à Maillot dans l'Yonne offre un exemple de jatte dont la partie haute reprend les caractères du fragment (fig. 20) n° 3 (Muller et al., 2008, fig. 4, n° 20). De la même façon, le contexte Bronze final II de la grotte des Cloches à Saint-Martin-d'Ardèche recense une jatte à bord cannelé autorisant une comparaison pertinente (Vital, 1986, fig. 8, n° 12). Comme pour les formes précédentes, la chronologie de ce bord reste donc floue; elle peut s'inscrire dans l'ensemble de la phase moyenne du Bronze final. L'expression ornementale de la céramique grossière de l'ensemble 41 est relativement atone. Cependant, on relève la présence d'un décor de doubles lignes digitées (fig. 18 : n° 7), thème récurrent dans les séries Bronze final II b et présent dans la série de la fosse 37 mais absent des répertoires décoratifs Bronze final III. D'autre part, pour le bronze final III b, la morphologie de la partie haute des vases s'oriente vers une forte segmentation de la jonction épaule/bord; cette particularité n'est pas observée pour les vases de l'ensemble 41. Ces remarques permettent d'éloigner cet ensemble de l'horizon typologique du Bronze final III b. Dans le même esprit, l'orientation biconique des formes de la fin du Bronze final II a et du début du Bronze final II b de la fosse 37 n'est pas reprise par les formes grossières de l'ensemble 41. Enfin, on peut relever l'analogie du profil segmenté de la forme ouverte (fig. 18) n° 5 avec l'exemplaire multi segmenté de type 1B2 du site du Pré-au-Plancher dans la région dijonnaise; ce type 1B2 appartient à la première phase d'occupation du site datée du Bronze final II b (Ducreux, 2007, p. 34, fig. 24). Un ancrage chronologique dans le Bronze final II b semble également probable pour le vase en pâte grossière (fig. 20) n° 2 qui trouve un parallèle assez proche dans le corpus d'une fosse Bronze final II b découverte sur la commune des Martres-d'Artières (Puy-de-Dôme) (Daugas, Vital, 1988, fig. 4, n° 1 et 2). Toutefois, les caractéristiques typologiques de ces récipients en pâte grossières peuvent aussi être rapprochées des vases de production commune du site de Malay-le-Grand « Les Bas Musats » dans l'Yonne (Muller et al., 2008, fig. 9, p. 9). La céramique issue de ce site est attribué au Bronze final III a, période bien caractérisée dans l'Est de la France. Chronologie Ces derniers arguments conduisent à proposer une datation Bronze final II b-III a pour cet assemblage. Pour cette série, les pâtes grossières rassemblent 53, 8 % de l'effectif. Les faciès principaux de pâtes grossières des fosses 37 (groupe 3) et 41 (groupe 1) n'apparaissent pas dans cet ensemble. Les pâtes fines et semi-fines regroupent 46, 2 % des tessons; l'altération des surfaces, observée sur les pâtes fines et semi-fines de la fosse 37, n'a pas affecté les vases de la fosse 43, les décors ont donc été préservés. Le corpus de vases en pâte fine est singularisé par trois petits vases biconiques de diamètres sensiblement équivalents (fig. 21 : n° 3, 4, 5). L'un d'entre eux (vase n° 4) montre, sur sa ligne de carène, deux arrachements de pâte, de forme ovoïde très régulière; au centre de l'un d'eux, transparaît l'empreinte d'un petit relief circulaire. L'hypothèse d'un éclat de pâte dû à un choc paraît douteuse; en effet, la finesse de la paroi de ce vase (4,5 mm) induit une faible résistance à ce type d'événement. Ces arrachements pourraient marquer, en négatif, l'emplacement de mamelons décoratifs de forme ovoïde. Toutefois, il convient de rester très prudent sur l'interprétation qu'il convient de leur accorder, le décor originel n'étant pas strictement observé. Mais, on doit remarquer que le répertoire décoratif du Bronze final II b recense ce type de bouton ovoïde. Ce vase présente, en outre, un fond en cupule. Le vase (fig. 21) n° 3 trouve un homologue dans la fosse n° 37 (fig. 11, n° 12); ici, le décor est réalisé au peigne à trois dents sans fines cannelures verticales. Quatre fragments de bords d'assiettes possèdent cette catégorie de décor. L'amorce d'un décor au peigne est visible sur les bords (fig. 21) n° 6 et 8. Le décor cannelé est observé sur le bord de l'écuelle surbaissée (fig. 21) n° 1 et à la base de l'épaulement du fragment de vase biconique (fig. 21) n° 11. Le tesson (fig. 21) n° 13 présente sur sa face externe un décor d'incisions horizontales; deux séquences de doubles lignes entament nettement la pâte. De part et d'autre de ces deux lignes, apparaissent, plus discrètement d'autres traces similaires. Au sein de cet assemblage, le vase (fig. 22) n° 4 est remarquable pour le cordon digité ornant la partie haute de sa panse, au relief, en effet, particulièrement prononcé. La forme sinueuse de ce récipient est reproduite avec le vase (fig. 22) n° 1. Deux vases fermés à bord droit (fig. 22 : n° 2 et 3) ainsi qu'un vase tronconique dépourvu de segmentation, complètent cet inventaire (fig. 22 : n° 5). Le décor de digitations sur le côté externe de la lèvre est une caractéristique qui a été relevée sur les exemplaires de la fosse 37. Les formes et décors recensés dans cette fosse renvoient aux référentiels du Bronze final II. Les écuelles surbaissées à bord oblique, représentées ici par l'exemplaire à bord cannelé (fig. 21) n° 1 apparaissent dans les séries du Bronze final II a, voire du Bronze final I et figurent dans les contextes du Bronze final II b. Par contre, ces écuelles sont absentes des corpus du Bronze final III a. Les sites pour lesquels l'occupation a été continue sur toute la période du Bronze final (Rancogne, la Baume des Anges) témoignent de cette évolution. Le profil du vase (fig. 21) n° 3 est présent dans la fosse 37 (vase n° 12, fig. 11); ici, le décor est constitué de cannelures horizontales au peigne. Les comparaisons établies pour l'exemplaire de la fosse 37 s'appliquent pour le vase (fig. 21) n° 3; la chronologie retenue s'inscrit à la fin du Bronze II a ou au début du Bronze II b. L'interprétation des arrachements ovoïdes du vase (fig. 21) n° 4 peut s'appuyer sur le répertoire décoratif du site de la petite Guillerie à Guilly dans le Loiret daté du début du Bronze final II b; plusieurs écuelles à épaulement sont décorées de mamelons ovoïdes en association avec des cannelures verticales (Jan, 2006, p. 37 et 38). Le motif ovoïde, disposé par paire et sans association de décor intercalaire, figure sur la ligne de carène d'un petit vase ovoïde de la série Bronze final II a de la Baume des Anges (Vital, 1990, p. 61, fig. 25, n° 7). Certains vases provenant de la nécropole n° 1 des Gours-aux-Lions, datée du début du Bronze final II, sont ornés de mamelons ovoïdes (Mordant, 1970, pl. 36 et 37). En conclusion, ce motif décoratif est très courant au Bronze final I b et surtout au Bronze final II a. Le décor de très fines lignes incisées du tesson (fig. 21) n° 13 est fragmentaire; d'emblée, il fait référence à un thème décoratif mis en œuvre au Bronze final III a et III b, principalement sur des jattes : le décor de méandre, grecques ou lignes brisées. Cependant, la présence de segments de lignes horizontales parallèles aux deux motifs principaux semble contrarier cette interprétation; ces traces connexes restent cependant plus discrètes. Le vase au profil sinueux (fig. 22) n° 4 est orné d'un cordon digité particulièrement proéminent. Ce thème décoratif répandu au Bronze ancien et surtout au Bronze moyen, se maintient au début du Bronze final jusqu'au Bronze II a. Par contre, lors de l'étape moyenne du Bronze final, son usage tend à s'atténuer au profit de motifs digités appliqués directement sur la paroi, le plus souvent au niveau de la ligne de carène ou à la base de l'épaulement. Le corpus de la grotte des Cloches à Saint-Martin-d'Ardèche présente un vase de grand diamètre adoptant le profil sinueux et décoré de digitations sans cordon appliqué (Vital, 1986, p. 522, fig. 11, n° 1). La grotte de la Baume des Anges dans la Drôme offre, pour l'horizon II a, plusieurs exemples de vases décorés de cordons digités (Vital, 1990, fig. 32, n° 2; fig. 35, n° 35, n° 2, 3). Enfin et à titre indicatif, les caractéristiques techniques de la pâte de ce vase sont tout à fait similaires à celles du profil tronconique (fig. 22) n° 5. Chronologie Compte tenu de ces éléments de comparaison, le mobilier céramique de la fosse 43 est attribuable à la fin de l'étape ancienne du Bronze final ou au début de l'étape moyenne (fin Bronze final II a/début Bronze final II b). Les pâtes fines représentent, en valeur absolue, un peu plus de 31 % de l'effectif. Cette catégorie est essentiellement représentée par l'écuelle large à épaulement (fig. 23) n° 4. Ce type de vase est généralement décoré; mais, cet exemplaire a subi une exposition prolongée à une source de chaleur de forte intensité et, la texture de la pâte ainsi que l'état des surfaces ont été profondément altérés. Plusieurs fragments de vases en pâte grossières présentent également les stigmates liés à de hautes températures (teinte gris souris, perte conséquente de densité, très nombreuses vacuoles). Les pâtes grossières rassemblent 69 % des restes. La fosse 67 a livré plusieurs fragments de céramique grossière présentant des caractéristiques techniques identiques à celles des pâtes du groupe 1 de l'ensemble 41 (fig. 23 : n° 1 et 2). De même, la pâte sableuse du bord (fig. 23) n° 3 et du tesson décoré (fig. 23) n° 5 est, en tout point (texture, aspect visuel, dégraissant, teinte), semblable à la pâte grossière du groupe 3 de l'ensemble 41. L'examen visuel des pâtes a permis d'observer une indéniable identité technique dans la conception de deux groupes de pâtes grossières communs à l'ensemble 41 et à la structure 67 : ces deux fosses participent donc de la même phase d'aménagement puisqu'elles présentent les mêmes productions en pâtes grossières. Ce vase appartient à la typologie de tradition RSFO, il s'agit d'une déclinaison large du gobelet à épaulement. Cette forme est connue dans le contexte Bronze final III a de la grotte des Planches-près-Arbois dans le Jura sous la désignation de gobelet à épaulement, du type large (Barbier et al., 1981, p. 174, fig. 20). Sur le flanc sud du massif du Jura, le contexte d'habitat lacustre du site de Hauterive-Champréveyres (Suisse) a livré de semblables gobelets larges à épaulement; la datation proposée pour l'assemblage céramique de ce site s'insère dans « un Ha A2 évolué, commençant sa transition vers le style Ha B1 » (Rychner, 1988, p. 126; fig. 4, n° 13 et 15). Le gobelet large à épaulement est aussi un élément constitutif des corpus du Bronze final II b, il figure dans la série du Bronze final II b du site de la Maniriat à Pommiers-en-Forez dans le Massif Central (Daugas, Vital, 1988, fig. 3, n° 11). Chronologie L'identité de deux groupes techniques de pâte grossière appartenant aux fosses 41 et 67, a été soulignée plus haut. Les conclusions portant sur le mobilier de la fosse 41 s'appliquent donc ici. Le mobilier de la fosse 67 est attribuable au Bronze final II b/III a. La seule forme restituée est celle d'un vase biconique présentant sur l'épaulement une série de trois cannelures horizontales assez larges, au tracé irrégulier (fig. 24 : n° 1). L'amorce du fond est conservée et l'orientation de la paroi à l'approche du bord laisse envisager un bord oblique. La pâte de ce vase est grise, la surface bien régularisée. Chronologie Le vase biconique (fig. 24) n° 1 s'inscrit dans la typologie du Bronze final II b et du Bronze final III a. À titre d'exemple, un vase biconique présentant un décor de cannelures sur l'épaule est présenté dans la série Bronze final II b des Martres-d'Artières dans le Puy-de-Dôme (Daugas, Vital, 1988, fig. 5, n° 14 et 15). Le corpus Bronze final III a de la grotte des Planches-près-Arbois dans le Jura recense plusieurs vases biconiques, certains décorés de cannelures sur l'épaulement (Barbier et al., 1981, fig. 29, n° 1). L'attribution chronologique de ce vase s'insère dans la période Bronze final II b/Bronze final III a. La fosse 62 a livré une forme archéologiquement complète, ainsi que deux bords d'assiettes. Un fond de micro vase et un fragment de récipient de grand diamètre, décoré de digitations, complètent ce petit lot de céramique très atypique. Un prélèvement de charbon effectué dans cette fosse a fait l'objet d'une datation C 14. Le résultat (code LY-14473) présente les données suivantes : âge 14 C BP : 2940 ± 35 av. J.-C.; âge calibré : 1263 à 1042 av. J.-C.; dates les plus probables : 1145, 1128 av. J.-C. Cette datation est très proche de celle réalisée sur l'échantillon de charbon de la fosse 37. Le mobilier de la fosse 62 est donc attribuable à la fin de l'étape ancienne ou au début de l'étape moyenne de Bronze final. Pour la fosse 14, on peut remarquer l'analogie entre le bord de l'assiette (fig. 26) n° 1 et les bords (fig. 9) n° 15 et 16 extraits de la fosse 37. Parmi le mobilier issu de la fosse 39, la présence d'un bord d'assiette tronconique (fig. 26 : n° 11) autorise une attribution chronologique dans la phase moyenne du Bronze final. On peut cependant remarquer que les corpus du premier Âge du Fer connaissent, notamment pour les récipients tronconiques mais aussi pour d'autres formes, des vases typologiquement très proches de ceux du Bronze final. Pour la structure 80, un seul fragment est identifiable (fig. 26 : n° 8). Il s'agit d'une écuelle à bord oblique décorée de cannelures. Il convient d'inscrire la fosse 80 dans la première phase d'occupation du Bronze final. Le bord de forme grossière (fig. 26) n° 5 issu de la structure F 38 a été réalisée à partir d'une pâte présentant toutes les caractéristiques techniques du groupe 3 de la fosse 41, datée de l'étape moyenne du Bronze final (Bronze final II b/III a). Enfin, le vase (fig. 26) n° 3 issu du fossé 25 présente un profil tout à fait atypique pour ce contexte Bronze final. En fait, il évoque la typologie campaniforme. Il pourrait correspond au type « GA 2 » du Centre-Ouest défini par L. Salanova (Salanova, 2000, p. 137, fig. 78); toutefois, en l'absence de décor, la datation de ce vase reste floue. Les fragments de poterie issus des fosses 27, 40, 42, 115 manque de typicité et, de ce fait, contrarie l'attribution typo chronologique. Des fragments de pesons de forme tronconique ou pyramidale ont été retrouvés dans les fosses 37, 39, 67 et 68. On peut relever qu'en Normandie et Outre-manche, pour la période du Bronze moyen/Bronze final I, la forme des pesons est circulaire; ces objets sont présentés comme « une des composantes des sites du Bronze moyen/Bronze final I du domaine atlantique » (Chancerel, Marcigny, Ghesquière, 2006, p. 160). La forme circulaire a été également observée dans la Somme sur le site de Wiencourt-l'Equipée dans un contexte daté de la fin du Bronze moyen et du début du Bronze final; cela illustrerait « l'influence de la culture Deverel-Rimbury sur le continent » (Blanchet, Talon, 2005, p. 161). Par ailleurs, la fosse 67 a livré deux fragments de parois de fours. L'interprétation générale du site a souffert de l'exigüité de la zone d'étude. La fouille a démontré que les vestiges se développaient, à l'évidence, hors du périmètre de décapage. Il convient de préciser que la détection du site a été contrariée, lors de la phase de diagnostic, par la présence d'une zone boisée destinée à être, en partie, conservée dans le cadre du projet d'aménagement du plateau. Le Petit Souper peut être considéré comme un site d'habitat dont l'organisation globale n'a pu être perçue pour les raisons qui viennent d' être évoquées; cependant, la présence, en faible quantité, d'ossements humains très brûlés est, pour le moins, intrigante. L'étude typologique des formes et décors des vases a permis d'établir que l'occupation attribuable au Bronze final s'installe sur le site du Petit Souper à la fin de la phase ancienne de cette période, c'est-à-dire à la fin du Bronze final II a ou au début du Bronze final II b. Le contexte le plus ancien (fosse 37) présente des caractéristiques typologiques relevant à la fois de la phase ancienne et de la phase moyenne du Bronze final. Le décor cannelé côtoie le décor au peigne. Cette constatation tend à accréditer la thèse d'une transition douce, sans rupture stylistique tranchée entre ces deux phases. La seconde phase d'occupation (Bronze final II b/Bronze final III a) est illustrée par une série céramique en pâte grossière présentant de nettes différences typologiques et techniques avec les productions communes de la phase 1. Le profil biconique cède la place à des formes plus hautes, plus ouvertes et de plus grand diamètre. Le registre ornemental de cette seconde phase est relativement inexpressif alors que le répertoire décoratif de la première phase (fosse 37) met en œuvre, de façon récurrente, plusieurs techniques; ainsi, le décor digité sur les lignes de segmentations hautes des profils mais aussi les traces de façonnage des vases marquent ostensiblement les surfaces externes, elles participent de l'esthétique de la production. Cette apparente rupture typologique et stylistique entre les deux phases résulte vraisemblablement d'un défaut de données intermédiaires .
La fouille du site du Petit Souper à Saint-Hilaire-Saint-Florent (Maine-et-Loire), réalisée au mois de janvier 2008 par une équipe de l'Inrap sous la responsabilité scientifique de Y. Viau (Viau et al., 2008), a mis au jour une série de structures fossoyées contenant de nombreux fragments de céramiques attribuables à la fin de la phase ancienne et à la phase moyenne du Bronze final. Ce site d'habitat est établi au bord d'un plateau dominant la Loire, en surplomb du site du Bronze final de l'Alleu, fouillé par le Docteur Gruet à la fin des années 1970. Le corpus céramique Bronze final II/III du Petit Souper constitue à ce jour le référentiel le plus documenté pour la région des Pays-de-la-Loire. En outre, la fouille a fourni une importante série lithique associée à ce contexte. Ce site est le point le plus occidental de la diffusion de la céramique de tradition RSFO le long de l'axe ligérien, vecteur majeur de diffusion des cultures, voire aire d'identité culturelle.
archeologie_12-0337826_tei_144.xml
termith-46-archeologie
Les récentes études menées par Anne-Françoise Cherel et Bernard Gratuze sur les perles protohistoriques en verre de Bretagne ont soulevé la nécessité de faire le point sur nos connaissances sur les bracelets protohistoriques en verre pour la Péninsule armoricaine. En effet, ces bracelets ont rarement fait l'objet d'analyses poussées, aussi bien typochronologiques que chimiques. Aussi, cette double approche nous permet de dresser un premier bilan sur ce sujet en apportant des réponses aux multiples questions en suspens, telles que : les bracelets en verre sont-ils associables à un type de contexte ? Quelle est leur datation ? Existe t-il des liens entre typologie, datation et composition chimique ? Où et comment ont-ils été produis ? D'où proviennent les verres utilisés ? Y a t-il eu des spécificités dans l'approvisionnement du verre en fonction des couleurs et/ou du temps ? Dans un premier temps, les bracelets inventoriés seront datés par des méthodes de comparaison et de typologie. Puis, dans un second temps, des analyses chimiques permettront de connaître la composition de la pâte et les éléments chromogènes propres à chaque bracelet. Ces mêmes analyses nous aiguilleront vers l'origine géographique probable de la matière première et apporteront d'autres données concernant l'approvisionnement en verre et les échanges liés à ce matériau. Les bracelets en verre apparaissant vers le milieu du iii e siècle avant notre ère sur le territoire armoricain, nous avons pris en considération la fin du second âge du Fer pour constituer le corpus. En datation absolue, la période s'étend de 300 à 30 ans avant notre ère. Les recherches bibliographiques et les entrevues avec des archéologues professionnels et amateurs (majoritairement menées par Anne-Françoise Cherel) ont permis le recensement de 43 bracelets (ou fragments) en verre pour 24 sites archéologiques répartis sur l'ensemble du territoire breton (fig. 1 et tabl. 1). Leur répartition est très inégale : on note une concentration de ce type de mobilier en Morbihan (19 objets) et en Côtes-d'Armor (15). Les découvertes se répartissent entre trois principaux types de contextes : les habitats, les sépultures et les lieux de culte. En plus des fouilles, les prospections pédestres (ramassages hors d'une structure archéologique reconnue) ont également apporté du mobilier en verre. Les bracelets inventoriés sont en verre bleu, vert, incolore avec une couche jaune, violet ou brunâtre (marron, brun et brun-rouge). Certains bracelets sont simples (avec ou sans moulures et bourgeons), d'autres sont ornés de filets ou zigzags de couleur bleue, blanche et/ou jaune. Tous ces paramètres associés rendent le nombre de possibilités et d'aspect très important; aussi, convient-il d'employer une typologie adéquate pour faciliter l'étude de ces mobiliers de parure. Une approche typologique a été mise en place par Thea Elisabeth Haevernick (Haevernick, 1960), dont les travaux servent encore aujourd'hui de référence. Toutefois, cette méthode ne prenant en compte que les formes, Rupert Gebhard décida de la compléter en intégrant les critères d'ornementation, de couleurs et de proportions pouvant présenter une valeur chronologique (Gebhard, 1989a). Nous avons tout d'abord tenté d'associer ces deux typologies afin de classer l'ensemble des bracelets bretons. Quelques bracelets ne possédant pas d'iconographie et/ou n'étant pas disponibles à la consultation (lieux de conservation incertains ou inaccessibles), ils n'ont pas pu être intégré à cette typologie; à savoir celui de « Kerfloux » (bracelet 2) dans le Finistère et ceux de « Kerné » et de « Kergroix » (Sanquer, 1975, p. 346-347) dans le Morbihan. Les autres ont pu être regroupés au sein d'un tableau (tabl. 2). Celui -ci a révélé des individus n'entrant dans aucune des deux typologies précitées; il s'agit de ceux provenant des sites de « Kerhilio » (bracelets 1, 2 et 3), de « La Boissière » et de « Kerfloux » (bracelet 1), regroupés en fin de tableau. Une première approche comparative n'a pas permis l'établissement d'analogies entre ces bracelets et d'autres existant en Europe. Ces cinq objets posent donc des difficultés puisqu'aucune association typologique n'a pu être faite les concernant. Afin d'étudier tous les bracelets armoricains, il convenait donc de mettre en place une nouvelle typologie. La typologie d'Haevernick ne prend en compte que la section ou coupe, ce qui n'est pas suffisant. Quant à celle de Gebhard, si elle tient compte d'un ensemble élargi de paramètres élémentaires (section, couleur et décor), il reste difficile de la compléter; en effet l'auteur suggérait, à chaque découverte d'un bracelet non présent dans sa typologie (établie à partir des bracelets de Manching en Bavière), d'ajouter de nouveaux numéros à la suite des 95 formes répertoriées (Gebhard, 1989a, p. 77). En pratique, cela demeure plus compliqué qu'il n'y parait puisque, par manque de communication entre chercheurs, un même type de bracelet peut recevoir deux numéros distincts et, inversement, on peut attribuer le même numéro à deux bracelets différents. De plus, on peut rapidement se tromper en confondant « type Gebhard » (défini sur l'une des 95 formes décrites) et « série Gebhard » (issue du regroupement par l'auteur de quelques « types » au sein d'une série). La solution proposée ici serait de mettre en place une sorte de code traduisant chaque bracelet en une formule qui tiendrait compte de la section, de la couleur et du décor. Ainsi, l'idée de Gebhard serait respectée, puisqu'on pourrait associer une chronologie à cette formule typologique. L'idéal est donc d'établir un code qui puisse s'appliquer pour tous les bracelets de tous les sites, en Bretagne et ailleurs. Les bracelets ont été décrits depuis les cordons latéraux vers le cordon central. Les « codes » s'organisent en trois temps : d'abord la coupe ou section, puis la couleur principale et enfin les décors (forme et couleur). On aura ainsi une idée du bracelet, d'abord générale (la coupe), puis de plus en plus précise (couleur et décors). Certains groupes d'Haevernick ou de Gebhard mentionnés ici ne sont pas représentés pas dans le corpus étudié. Cela montre que chaque bracelet, breton ou non, peut être codifié dans le système proposé (tabl. 3) et permet, à partir des anciennes typologies, de préciser les correspondances avec la nouvelle codification. La section est définie par une ou plusieurs lettres majuscules, choisies selon l'aspect visuel du cordon ou bracelet : – D pour les bracelets à profil simple en « D » (ex : groupes Haevernick 1 à 3). – C pour les cordons simples et longitudinaux (tels que les groupes 6 et 7 d'Haevernick). – T pour les cordons torsadés (tel que le cordon central du groupe 8 d'Haevernick). – I pour les cordons divisés verticalement (tel que le groupe 9 d'Haevernick ou les types 49 et 67 de Gebhard). – V pour les cordons figurant des chevrons (tels que les bracelets 31 et 48 de Gebhard). – S pour les cordons serpentiformes (généralement des moulures, tels que les types 80, 86 et 92 de Gebhard). – W pour les bracelets figurants des vagues (tel que le groupe 4 d'Haevernick). – B pour les cordons possédant des bourgeonnements, des boules (tels que les groupes 12 et 14 d'Haevernick). – L pour les cordons marqués par des losanges (tel que le type 79 de Gebhard). – E pour les cordons à l'aspect d'entrelacs ou de forme libre (tels que les types 83 et 88 de Gebhard). Les couleurs sont traduites par des lettres minuscules : – b bleu (blue) – w blanc (white) – bo brun, marron, ambre (brown) – p pourpre, violet (purple) – r rouge (red) – g vert (green) – y jaune (yellow) – o orange – in incolore – iny bracelet incolore dont la face intérieure est revêtue d'une fine couche de verre jaune opaque. Les décors sont illustrés par d'autres lettres minuscules : – f pour les décors en forme de filet ou de filament (par exemple, les filets bleus rajoutés du groupe 5 d'Haevernick). – z pour les décors en forme de zigzag (filets beaucoup plus resserrés et anguleux que les filaments « f »); ils sont généralement, là aussi, rajoutés. – oc pour les décors en forme d'ocelle. – l pour les décors de forme libre. Aux lettres, on ajoutera des chiffres (placés devant ces lettres) pour déterminer le nombre de cordons. Ainsi que deux signes : / (le slache), signifiant « à la fois » et * (l'étoile), pour traduire l'alternance. L'emploi du point sert à séparer ces trois groupes de paramètres. Pour favoriser la compréhension de ce système, voici deux exemples : – Tout d'abord, le bracelet bleu du « Petit Mont » à Arzon, qui possède quatre cordons dits simples et des décors de zigzag jaune et blanc. En mode codé, cela nous donne 4C. b. zy*zw, soit 4C pour 4 cordons, b pour la couleur bleue et zy*zw signifiant qu'il y a à la fois des zigzags jaunes et des zigzags blancs (généralement, ceux -ci s'alternent). – Pour le bracelet bleu bourgeonnant de Trégueux, on aurait le code 2C3B. b, c'est à dire 2C pour les 2 cordons latéraux et 3B pour la séquence (répétitive) de 3 bourgeons implantés sur le corps du bracelet, puis b pour la couleur. L'ensemble des bracelets de notre corpus qui ont pu être examinés (cf. supra) a été retranscrit de cette façon (tabl. 4). Plusieurs bracelets sont regroupés ici. Leur section est simple et leur taille varie. Les bracelets bleus de ce groupe (tabl. 4, I) sont ceux des « Haches » (n° 4) à Saint-Jacut-de-la-Mer (Côtes-d'Armor), de « L'Homme Mort » à Saint-Pierre-de-Plesguen (Ille-et-Vilaine) et de « La Lande du Rameau » (n° 8) à Brec'h (Morbihan). Le bracelet de L'Homme Mort (Leroux et al., 1991) a été mis au jour à l'emplacement des vestiges d'un bâtiment gaulois. Celui des Haches était porté par une femme inhumée au sein d'une petite nécropole située sur une petite butte de terre et celui de La Lande du Rameau appartient à un dépôt découvert fortuitement. Les auteurs ont daté les bracelets des Haches et de L'Homme Mort par comparaisons; le dépôt de Brec'h a été daté d'après du mobilier monétaire marquant la transition La Tène D2/période gallo-romaine (Clément et Galliou, 1985). Des bracelets bleus de même section sont datés de La Tène D sur le site de Nage dans le Gard (Feugère et Py, 1989). Les bracelets verts du type D (tabl. 4, II) sont ceux de la « Zac de la Tourelle » à Lamballe (Côtes-d'Armor), des « Haches » (n° 3) et de « La Lande du Rameau » (n° 7). Celui de la Tourelle est issu d'un contexte cultuel de La Tène C (communication Anne-Françoise Cherel). Le n° 3 des Haches provient d'un comblement remanié sur le lieu de culte, ce qui ne permet pas de lui attribuer une datation plus précise que la fin du second âge du Fer (Bizien-Jaglin, 1992; 2004). Comme indiqué plus haut, le dépôt de la Lande du Rameau est attribué à la transition La TèneD2/Gallo-romain. Un bracelet marron-ambré à section en D provient de « Saint-Symphorien » à Paule dans les Côtes-d'Armor (tabl. 4, III). Il a été mis au jour dans les décombres de l'incendie d'une forteresse et est associé à la phase 4 du site (Menez, 2008), datée de La Tène C2. Cependant, à Epiais-Rhus (Val-d'Oise), les bracelets de cette couleur sont attribués à La Tène D (Vanpeene, 1989). Notons enfin que de tels bracelets, bleus, pourpres et marron-ambré, sont connus à La Tène D1 à Bibracte (Saône-et-Loire) (Bride, 2005) et, à La Tène D, à « Mandeure » (Doubs) (Guillard, 1989). Le bracelet pourpre de notre série est le n° 9 de La Lande du Rameau (tabl. 4, IV). Des bracelets à section en D de couleur pourpre sont connus sur les sites de Nage (Feugère et Py, 1989) et du « Village des Arènes » à Levroux (Indre) où ils sont associés à La Tène D (Tilliard, 1989). Ces bracelets à section en D, bleus et pourpres, trouvent aussi des références à La Tène D à Manching en Allemagne (Gebhard, 1989b). Cette datation est renforcée par l'apparition de la couleur pourpre dans le verre, qui se fait à cette période (Venclovà, 1989). Les bracelets correspondant à ces types (tabl. 4, V et VI) sont ceux de « Mez-Notariou » à Ouessant (Finistère) et des « Ebihens » (n° 2) à Saint-Jacut-de-la-Mer (Côtes-d'Armor). Le premier – D.bo.zy – a été mis au jour dans l'Us 311 de l'habitat du Bronze moyen (Le Bihan, 2007). Cette unité stratigraphique contenait également des tessons des premier et second âges du Fer, deux fragments de verre romain et deux tessons modernes. L'auteur l'a daté de La Tène D1 par comparaison avec des bracelets d'autres sites et en fonction du mobilier associé. Le second bracelet – D.b.zw – provient de l'habitat, matérialisé par des murets et situé sur un petit éperon rocheux, des Ebihens (Langouet et al., 1989). Sur le site de Nage (Gard), les bracelets à section en D décorés de zigzags sont associés à La Tène D1b (Feugère et Py, 1989).Des bracelets comparables (bleus, pourpres et brun-ambrés) présentant le même décor sont attribués à La Tène D sur le site de Mandeure (Doubs) (Guillard, 1989). De couleur pourpre, ils sont connus à La Tène D1 à Bibracte (Saône-et-Loire) (Bride, 2005). L'exemplaire orné de trois filets a été trouvé sur l'occupation gauloise du temple gallo-romain de Sermon à Mordelles (Ille-et-Vilaine) (Batt, 1987). L'auteur semble avoir daté ce bracelet par l'emploi de comparaisons. Celui qui est orné de deux filets est le n° 1 du dépôt de La Lande du Rameau à Brec'h (Clément et Galliou, 1985) (tabl. 4, VII). Les bracelets illustrant ce type trouvent des comparaisons avec des parures exhumées dans le canton de Fribourg en Suisse (Ramseyer, 1995), à Manching (Gebhard, 1989b) et sur le site de « La Vache à l'Aise » à Bobigny en Seine-Saint-Denis (Le Béchennec et al., 2007); ils sont datés de La Tène C1. Il est établi que ce type figure parmi les plus anciens, avec une attribution à La Tène C1 (Kaenel et Müller, 1989); il semble pourtant perdurer jusqu' à la fin de La Tène D (Batt, 1987). De couleur ambre, notre représentant de ce type (tabl. 4, VIII) a été mis au jour dans un fossé du « Boisanne » à Plouër-sur-Rance (Côtes-d'Armor) (Menez, 1996; Bizien et al., 2003). Il se trouvait dans une structure datée de la transition La Tène C2/La Tène D1. Sans indication de couleur, le bracelet à double cordon trouve des références de La Tène C2 à la fin de La Tène D2 sur le site de Mandeure (Doubs) (Guillard, 1989). De couleur verte, le fragment à double cordon provenant du sanctuaire de « Mars Mullo » à Allonnes (Sarthe) est attribué à La Tène C (Brouquier-Reddé et Gruel, 2004). De couleur brune, ce type existe à La Tène D à Manching en Allemagne (Gebhard, 1989b). Pourpre, il est connu à La Tène C2 à Nage dans le Gard (Feugère et Py, 1989). Les trois bracelets bretons de ce groupe répondent aux formules 3C.b et 3C.g. (tabl. 4, IX et X). Dans sa version bleue, ce type a été mis au jour sur une occupation gauloise à proximité du sanctuaire gallo-romain du « Bilaire » à Vannes (Morbihan) (Simon, 2001). Sur le site de Nage, ce type est associé à un contexte de La Tène C2 jusqu' à la fin de La Tène D1 (Feugère et Py, 1989). De couleur verte, deux d'entre eux ont été trouvés sur les sites de « l' île Guennoc » à Landeda (Finistère) (Galliou, 1982) et du « Plateau du Collédic » à Saint-Nicolas-du-Pélem (Côtes-d'Armor). Dans les deux cas, nous manquons d'informations au sujet du contexte de découverte. Les fragments de bracelets bleus à cordons simples (4C.b) sont ceux des « Haches » (n° 2) à Saint-Jacut-de-la-Mer (Côtes-d'Armor), de « La Lande du Rameau » (n° 5) à Brec'h et de « Mané-Roullarde » en La Trinité-sur-Mer, deux sites du Morbihan (tabl. 4, XI). Le bracelet des Haches provient d'un contexte remanié sur un lieu de culte (Bizien-Jaglin, 1992 et 2004). Les bracelets morbihannais ont été trouvés lors de prospections, celui de Mané-Roullarde ayant été découvert près d'un tertre (Miln, 1882). Pour une datation du début La Tène C2 à la fin de La Tène D1, des parallèles sont possibles avec les bracelets du « Pâtural » à côté de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) (Robinson, 2003). Les bracelets bleu cobalt avec quatre cordons (les cordons centraux étant généralement plus épais que ceux les encadrant) et zigzags (blancs et/ou jaunes) incrustés sur certains de ces cordons (type 4C.b.zy*zw) sont illustrés par deux bracelets morbihannais (tabl. 4, XII). Il s'agit de ceux de « La Lande du Rameau » (n° 6) à Brec'h et du « Petit Mont » à Arzon; ce dernier a été recueilli au sein d'un milieu perturbé en avant du portique d'entrée du dolmen IIIA (Lecornec, 1994, p. 68-69 & pl. h.-t.). Ces bracelets trouvent des comparaisons à La Tène C2, sur les sites de La Vache à l'Aise à Bobigny (Seine-Saint-Denis) (Le Béchennec et al., 2005), de La Villeneuve-au-Châtelot (Aube) (Bataille, 2008), du Village des Arènes à Levroux (Indre) (Tilliard, 1989) et de Nage (Gard) (Feugère et Py, 1989). A Epiais-Rhus (Val-d'Oise), un bracelet de ce type est associé à La Tène D (Vanpeene, 1989). Les exemplaires bretons sont constitués de trois cordons centraux encadrés par deux fins cordons latéraux; leur face intérieure est revêtue d'une fine couche de verre jaune opaque. Ce type est le plus représenté dans la Péninsule armoricaine (tabl. 4, XIII). Ce sont le bracelet morbihannais de « La Lande du Rameau » (n° 2) à Brec'h (dépôt), l'exemplaire finistérien de « l' Île aux Moutons » à Fouesnant et les parures costarmoricaines de « La Rue des Bosses » à Ploufragan (habitat), des « Ebihens » (n° 4) et des « Haches » (n° 1) à Saint-Jacut-de-la-Mer. Ce dernier provient d'un contexte remanié sur un lieu de culte (Bizien-Jaglin, 1992; 2004). Le bracelet de l' Île aux Moutons se trouve associé à un contexte de La Tène D, mêlant habitat et espace funéraire. Les quatre autres ont été datés par comparaison avec ceux d'autres sites. Sur le site de « Mars Mullo » à Allonnes (Sarthe), le type 5C.iny est connu à La Tène C (Brouquier-Reddé et Gruel, 2004). Il est attribué à La Tène C2 sur les sites de Nage (Gard) (Feugère et Py, 1989) et de Mandeure (Doubs) (Guillard, 1989). Un bracelet présentant les mêmes couleurs est daté entre La Tène C2 et à La Tène D1 sur le site du Pâtural près de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) (Robinson, 2003). – Type I.g (tabl. 4, XIV). Le bracelet vert de Kerhilio (n° 1) est un cordon sur lequel on a imprimé des coups transversaux peu profonds. Il est daté de La Tène D sur ce site d'habitation d'Erdeven (Morbihan), mais sans précision sur le contexte de découverte dans l'ouvrage de M. Jacq (1941, p. 167). – Type T.g (tabl. 4, XV). Ces bracelets verts, à unique cordon torsadé, sont ceux de « Kerhilio » (n° 2) à Erdeven (Morbihan), de « Kerfloux » (n° 1) à Quéménéven et de « La Boissière » à Lanvéoc (deux sites finistériens). Le bracelet de Kerfloux (Pré et Galliou, 2000, p. 40; Le Goffic et Peuziat, 1997, p. 59) a été trouvé lors de prospections, ainsi que celui de La Boissière (Galliou, 1982 et 1989). Ce type a été attribué à La Tène III, ce qui équivaut à La Tène D sur le site Kerhilio (Jacq, 1941). – Type 3B.b.ly (tabl. 4, XVI). L'unique exemplaire de ce type est orné de séquences à trois bourgeons, dont l'un semble orné d'un décor libre de teinte jaune. Il s'agit de l'objet recueilli lors de prospections aux environs immédiats du grand menhir de Kergadiou à Plourin-Ploudalmezau (Finistère) (Bousquet, 1961, p. 351; Giot et al., 1995, p. 303; Galliou, 1989). Un autre bracelet bleu, dont la séquence est constituée de trois bourgeons, est daté de La Tène C1 à la fin de La Tène D1 sur le site de Nage (Gard) (Feugère et Py, 1989). – Type 2C2T.b (tabl. 4, XVII). Ce bracelet bleu est constitué de deux cordons torsadés encadrés par deux cordons simples. Il a été découvert lors de prospections aux alentours de la villa gallo-romaine du Quiou dans les Côtes-d'Armor (Labaune et Petit-Aupert, 2005). Sur les sites de Pra Perrey à Gumefens (Fribourg, Suisse) et de Manching en Bavière, ce type est daté de La Tène C1 (Schwab, 1995; Gebhard, 1989b). Les bracelets bleus de type 2C2T de l'oppidum de Nages (Gard) sont reliés à la période couvrant le début de La Tène C2 jusqu' à la fin de La Tène D1a (Feugère et Py, 1989). Pour une attribution allant du début de La Tène C2 jusqu' à 50 de notre ère, des comparaisons sont également possibles avec les exemplaires du « Gué-de-Sciaux » à Antigny (Vienne) (Bertrand, 2007). – Type 2C2I.b. (tabl. 4, XVIII). Ce bracelet bleu, à double cordon incisé transversalement et encadré par de simples cordons, a été mis au jour au nord du cairn, au cours de la fouille de la tombe mégalithique de « Beaumont » à Saint-Laurent-sur-Oust (Morbihan) (Tinevez et al., 1990, p. 46). L'auteur a daté du i er siècle avant notre ère ce bracelet (scindé en deux fragments), d'après le mobilier (des fragments d'amphore de type Dressel 1) trouvé à cet endroit et d'après les travaux d'Haevernick et Gebhard. Des bracelets analogues sont connus à La Tène C1 dans le canton de Fribourg (Suisse) et à Manching en Allemagne (Ramseyer, 1995; Gebhard, 1989b). D'autres bracelets bleus de ce type sont associés à un contexte du début La Tène C1 jusqu' à la fin de La Tène D1 sur le site de Nage (Gard) (Feugère et Py, 1989). – Type 2C3B.b (tabl. 4, XIX). Ces bracelets bleus présentent des séquences de trois bourgeons sur un corps central encadré par deux fins cordons. Ils proviennent du dépôt de la Lande du Rameau (n° 4) à Brec'h (Morbihan) et de l'habitat des Ebihens (n° 1) à Saint-Jacut-de-la-Mer dans les Côtes-d'Armor. Avec une couleur différente (incolore avec une couche interne jaune) ce type bourgeonnant est daté de La Tène C2 à la fin de La Tène D2 sur le site de Nage (Feugère et Py, 1989). – Type 2C4B.b (tabl. 4, XX). Ce bracelet bleu cobalt montre une séquence de quatre bourgeons (le quatrième étant un peu aplati), sur un corps central encadré par deux fins cordons. Sur le site de « La Ville Pollo » à Trégueux (Côtes-d'Armor), il est associé à un ensemble du début de La Tène D (Dinard, 2008), de même que son homologue mis au jour à Epiais-Rhus dans le Val-d'Oise (Vanpeene, 1989). – Type 4CT.b (tabl. 4, XXI). De couleur bleu cobalt, notre seul représentant de ce type est constitué de cordons obliques (séparés par des sillons ponctués réalisés au peigne), imitant une torsade et bordés par des cordons simples; il provient des Ebihens à Saint-Jacut-de-la-Mer dans les Côtes-d'Armor (bracelet 3). Ce type est attribué du début de La Tène C1 jusqu' à la fin de La Tène D2 à Nage dans le Gard (Feugère et Py, 1989). Sur le site de Mars Mullo à Allonnes (Sarthe), il est connu à La Tène C (Brouquier-Reddé et Gruel, 2004), alors qu' à Mandeure (Doubs), il est daté du début de La Tène C2 jusqu' à La Tène D2 (Guillard, 1989). Ce bracelet bleu trouve également des références à La Tène C2 au Village des Arènes à Levroux dans l'Indre (Tilliard, 1989). – Type 4CT.b.zy*zw (tabl. 4, XXII). Ce bracelet bleu cobalt se compose de cordons obliques imitant une torsade, encadrés de part et d'autre par deux fins cordons. Des zigzags, dont un jaune, décorent le cordon torsadé. Notre unique exemplaire est issu du site d'habitat de Kerhilio (n° 4) à Erdeven (Morbihan), où il est associé à La Tène D (Jacq, 1941. Il en est de même pour celui d'Epiais-Rhus dans le Val-d'Oise (Vanpeene, 1989). Mais, sur le site de La Vache à l'Aise à Bobigny (Seine-Saint-Denis), ce type de bracelet est daté de La Tène C (Le Béchennec et al., 2005; phase II), tout comme dans le canton de Fribourg en Suisse (Ramseyer, 1995). Enfin, un bracelet bleu de même coupe et ornementation est attribué à un milieu daté de La Tène C et La Tène D à Nage dans le Gard (Feugère et Py, 1989). – Type 4CV (tabl. 4, XXIII). Notre seul bracelet de ce type est bleu et montre deux cordons simples et fins encadrant de chaque côté un large cordon central marqué par des chevrons réalisés au peigne. Il a également été mis au jour à « Kerhilio » (n° 3) et, comme le précédent, a été daté de La Tène D (Jacq, 1941). Un bracelet de Besançon ayant des chevrons apposés sur cinq cordons (5C/V.b dans notre code) est daté de La Tène D (Bride, 1999). Cette datation coïncide avec celle de Kerhilio même si les bracelets diffèrent légèrement. – Type 4CV/T.b.zy*zw (tabl. 4, XXIV). De couleur bleue, ce bracelet se compose de deux cordons simples et fins, de part et d'autre d'un cordon épais. Ce cordon central présente des chevrons tout en étant torsadé, les chevrons étant décorés de zigzags blancs et jaunes. Il s'agit du n° 3 du dépôt de la Lande du Rameau à Brec'h (Morbihan). On lui trouve des références à la transition La Tène C2/La Tène D1 en Tchécoslovaquie (Venclovà, 1989). Sur le site de Nage, ce type de bracelet (mais incolore à fond jaune) est associé à La Tène D1b (Feugère et Py, 1989). La typologie ainsi mise en place a permis d'élargir les comparaisons et d'apporter des éléments de datation pour tous les bracelets étudiés (tabl. 4). On a pu constater des variantes chronologiques au sein d'un même groupe typologique; ceci est peut-être en corrélation avec le mode de production et la nature des composants du verre employé. Ces variantes peuvent aussi s'expliquer par le fait que des objets de comparaison proviennent de sites parfois très éloignés de la Bretagne. Il convient donc, pour ces derniers, de prendre en compte leur apport typochronologique avec pondération. Le bracelet de « l'Homme Mort » a été analysé par microsonde électronique, sous la direction de Nathalie Brun, au laboratoire de Recherche des Musées de France (Palais du Louvre). Seize autres ont été analysés par spectrométrie de masse à plasma avec prélèvement par ablation laser (LA-ICP-MS) au laboratoire du centre Ernest-Babelon (IRAMAT, UMR 5060 du CNRS/Université d'Orléans), par Bernard Gratuze (fig. 2). Cette dernière méthode est particulièrement bien adaptée aux objets composites ou de petite taille comme les perles et les fragments de bracelets. Lors de l'analyse, les objets sont placés à l'intérieur d'une cellule en quartz (fig. 3). Un micro-prélèvement, invisible à l' œil nu, est effectué par un rayon laser (diamètre 80 micromètres, profondeur 200 micromètres). La matière prélevée (quelques microgrammes) est transportée vers une torche à plasma par un flux gazeux d'argon. La haute température du plasma (8 000 °C) dissocie et ionise la matière, dont les différents constituants sont identifiés selon leur masse. Un détecteur électronique permet leur quantification. L'étude des objets est réalisée sans aucune préparation de l'échantillon. Pour chaque analyse, de quatre à six prélèvements (deux ou trois pour les éléments majeurs et deux ou trois pour les éléments mineurs et les traces) sont effectués à un endroit sain de la surface de l'objet. Le calcul est effectué sur la moyenne des prélèvements. L'étalonnage est effectué à l'aide des verres étalons développés par le NIST (SRM610) et la Corning (verres A, B, C et D) ainsi que par des verres archéologiques de composition connue. Le verre est un matériau composite (Gratuze, 1994). Le mélange de base est constitué d'un vitrifiant (la silice, provenant du sable, de galets de quartz, ou encore de verre de récupération), d'un fondant (soude ou potasse par exemple) pour abaisser la température de fusion de l'élément vitrifiant, et d'un stabilisant (chaux ou alumine) pour éviter que le mélange ne soit soluble. A ce mélange, le verrier peut ajouter des agents opacifiants (l'antimoniate de calcium pour le blanc, l'antimoniate de plomb pour le jaune) et des agents colorants, sels ou oxydes de métaux tels que le manganèse pour le violet et l'incolore, le cobalt pour le bleu, le fer pour le vert et le brun ambré, le cuivre pour le bleu et le vert. Tous ces ingrédients sont généralement accompagnés d'un cortège d'impuretés qui peuvent servir de traceurs pour suivre la fabrication du verre; ce sont donc des éléments non négligeables. Tous les bracelets n'ont pas pu être analysés. Mais ceux qui l'ont été (17 sur 43), ont apporté des éléments intéressants. En effet, en plus de pouvoir déterminer les familles chimiques auxquelles appartiennent les verres, on a pu émettre des hypothèses sur les régions de production de la matière première utilisée. D'après les analyses, on distingue deux groupes de verres dans notre série de bracelets. – Le premier groupe est constitué des verres bleus de Trégueux, Mordelles et Saint-Laurent-sur-Oust, ainsi que des verres verts de Landeda, Quéménéven, Erdeven (bracelets 1 et 2) et Saint-Nicolas-du-Pelem, du verre incolore de Mordelles et des verres jaunes utilisés pour les décors des bracelets de Plourin-Ploudalmezeau, d'Erdeven (n° 4) et d'Arzon. – Le second groupe est représenté par les verres bleus du Quiou, de Saint-Pierre-de-Plesguen, de Plourin-Ploudalmezeau, d'Erdeven (bracelets 3 et 4) et d'Arzon, le verre vert de Lamballe, le verre brun de Paule, le verre incolore et le verre jaune servant à la couche interne du bracelet de Ploufragan, ainsi que par le verre blanc du décor d'Arzon. Selon B. Gratuze (communication orale), ces deux groupes de verres seraient originaires d'ateliers primaires distincts, mais situés tous deux au Proche-Orient. Notons que les verres bleus des bracelets d'Erdeven n° 4, d'Arzon et de Plourin-Ploudalmezeau paraissent avoir été produits dans des ateliers primaires différents de celui qui a produit le verre jaune des décors de zigzags qu'ils arborent. Le codage typologique et les analyses chimiques appliqués sur les bracelets protohistoriques en verre de la Péninsule armoricaine nous ont permis d'effectuer de multiples observations. Tout d'abord, des corrélations entre typologie et matière première ne sont pas encore véritablement possibles, puisqu'il y a trop peu de bracelets analysés au sein de chaque type. Mais le codage a facilité la datation des bracelets bretons ainsi que les comparaisons avec d'autres bracelets (de France et d'ailleurs). Ainsi, pouvons -nous constater que les verres verts datés de La Tène D, qui sont colorés par le Fer (et correspondent à des pièces de types I et T), proviennent d'un même centre de production; c'est le cas des bracelets 1 et 2 d'Erdeven et de celui de Quéménéven. En revanche, les verres verts et bleus de la même époque, mais colorés par le cobalt et le cuivre (Saint-Nicolas-du-Pelem et Lamballe) peuvent provenir de centres de production différents. Les verres des bracelets de type 3C qui ont été étudiés et analysés s'avèrent être propres à un atelier primaire de production du verre; c'est le cas des parures de Landeda et Saint-Nicolas-du-Pelem. Mais il faudrait pouvoir analyser d'autres bracelets de même typologie pour pouvoir confirmer ou infirmer l'importance de cette donnée. En ce qui concerne les verres jaunes des bracelets bretons, les analyses ont révélé que les décors jaunes semblaient provenir d'un atelier primaire différent de celui ayant produit le verre jaune destiné à la couche interne. Là encore, il faudrait pouvoir analyser de nombreux autres verres jaunes pour généraliser ce propos; en attendant, des analyses sur des perles armoricaines tendent à renforcer cette hypothèse (communication de B. Gratuze). Ensuite, l'absence apparente de relation entre la typo-chronologie des bracelets et la provenance de la matière première montre qu'il ne paraît pas y avoir de variations ni de préférences d'approvisionnement en verre au cours du second âge du Fer. Par exemple, les colorations des bracelets au cobalt et à l'antimoniate de plomb ne sont pas spécifiques à un centre de production. Il ne semble pas non plus y avoir de distribution préférentielle de ces parures par rapport à la fonction du site. En effet, on a mis au jour quasiment autant de bracelets en verre sur des habitats (10 sites) que sur des sites à fonction funéraire et/ou cultuelle (7 sites). Mais de nombreux bracelets ont été découverts lors de prospections et sont de ce fait hors contexte. Les diverses méthodes employées ont apporté de précieux résultats mais ne sont pas exemptes de limites. Tout d'abord, notre proposition de code typologique n'est qu'une ébauche et nécessiterait d' être approfondie pour être plus opérationnelle. Quant aux analyses chimiques, elles ne renseignent que sur la matière première. Nous pouvons certes proposer des zones différentes de productions des verres, mais les objets ont pu être élaborés ailleurs, dans des ateliers secondaires. Ni la typologie ni les analyses ne permettent à ce jour de faire la distinction entre ateliers primaires et secondaires, ni même de distinguer un premier emploi de produits semi-finis de refontes d'objets déjà élaborés. En plus, il est possible qu'au sein des ateliers secondaires, il y ait eu un mélange de verres d'origines géographiques différentes. Par exemple, si certains bracelets ont été fabriqués en Gaule à partir de verre brut importé, les artisans gaulois ont pu utiliser des verres produits à différents endroits pour la production d'un même objet. Comme l'a soulevé Bernard Gratuze (Gratuze et Marchetti, 2007), ce possible mélange de verres implique une multiplication des types chimiques et rend la détermination des ateliers primaires plus difficile. Une autre limite de ces méthodes (typologie et analyse par spectrométrie de masse) est qu'elles ne permettent pas de comprendre ni de définir la façon dont les bracelets ont été mis en forme : ont-il été moulés ? Ont-ils été formés à partir des mouvements simultanés de deux (ou plusieurs) baguettes ? Ont-ils été coupés à partir d'une masse de verre enroulée sur un rondin de bois ? Etc. Par la double origine des verres des bracelets d'Erdeven n° 4, d'Arzon et de Plourin-Ploudalmezeau, nous avons mis en relief l'existence d'un réseau de distribution complexe du verre (sous forme de produits finis et/ou semi-finis). Les bracelets bretons confirment ainsi l'existence de relations entre le nord-ouest de la France et les pays méditerranéens telle qu'elle a pu être pressentie à propos des perles en verre par B. Gratuze (communication orale). Nous pouvons aussi remarquer une inégalité de distribution des bracelets découverts sur le territoire breton : il y en a beaucoup plus sur le littoral qu' à l'intérieur des terres. Cette inégalité est-elle due aux stratégies de fouille et de prospection ou est-elle liée aux modes de transport et d'échanges (rôle des voies maritimes par exemple) ? L'application du codage typologique et de l'analyse chimique à d'autres bracelets en verre est indispensable pour répondre aux problématiques soulevées par cette étude (notamment en ce qui concerne l'établissement de liens entre la typologie, la datation et la composition des bracelets). Il serait de même intéressant d'établir des parallèles morphologiques et iconographiques avec d'autres objets (perles en verre, bracelets en métal, etc.) et de trouver un moyen d'étude nous permettant de répondre aux questions de détermination géographique des ateliers secondaires et de détermination du mode de fabrication des bracelets. Je tiens à remercier l'équipe du laboratoire Centre Ernest-Babelon – IRAMAT; Gilles Leroux, Serge Mentele et Laurent Beuchet (responsables d'opération à l'INRAP); Laure Simon et Françoise Labaune (céramologues à l'INRAP); Vincent Pommier (topographe à l'INRAP); Yves Menez, Anne Villard-Le-Tiec, Emile Bernard et Jean-Yves Tinevez (SRA de Bretagne); Alain Triste, du CERAM; Michel Le Goffic et le SDA du Finistère; Catherine Bizien-Jaglin et le CERAA; Jean-Laurent Monnier et le Musée de Préhistoire finistérienne à Penmarc'h; Françoise Berretrot et le Musée de Bretagne à Rennes; Emmanuelle Vigier et le Musée de la Préhistoire à Carnac; Christophe Lepennec et le Musée de Vannes; Catherine Petit-Aupert, Maître de Conférence à l'université Rennes 2 et Marie-Yvane Daire, Chargée de Recherche au CNRS (UMR 6566). Remerciements Toutes ces personnes m'ont aidée à la constitution de l'inventaire des bracelets bretons et certaines ont même facilité leur prêt en vue des analyses. Je suis également redevable de nombreuses illustrations : Mme Labaune pour le bracelet du Quiou au code 2C2T (tabl. 4, XVII); M. Menez (le Boisanne au code 2C : tabl. 4, VIII); M. Langouet (le n° 1 des Ebihens au code 4CT.b : tabl. 4, XXI); Mme Simon (Bilaire au code 3C.b et Ploufragan au code 5C.iny : tabl. 4, IX et XIII); M. Galliou (la Boissière au code T.g : tabl. 4, XV); M. Leroux (l'Homme Mort au code D.b : tabl. 4, I); M. Batt (Sermon au code D.b.3fb : tabl. 4, VII) .
D'après les sources bibliographiques et des échanges directs avec des archéologues, les bracelets protohistoriques en verre de Bretagne ont pu être recensés. Dans le corpus des 43 objets ainsi répertoriés, certains ont pu être associés aux typologies existantes (Haevernick et Gebhard). Les autres n'y trouvant pas de correspondances, il nous a fallu mettre en place un nouveau codage typologique. Présenté ici, il prend en compte à la fois la forme de la section, la couleur et le décor. 17 de ces bracelets ont également bénéficié d'analyses chimiques, ce qui a permis de déterminer l'origine probable de leurs matières premières. De plus, ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives de recherche.
archeologie_12-0337828_tei_142.xml
termith-47-archeologie
Originaire d'Eurasie, l'Antilope saïga a connu deux phases de migration au cours du Pléistocène. La première phase d'immigration vers l'ouest et le sud de l'Europe s'amorce au cours d'un épisode climatique continental et sec du stade isotopique 6 (Simms 1987). En France, on trouve, durant cette période, des restes d'Antilope saïga à Combe-Grenal (Delpech et Heintz, 1976; Delpech et Prat, 1995) et à l'Abri Suard (David, 1952; David et Prat, 1965). C'est au cours du stade isotopique 2 avec la mise en place de conditions climatiques extrêmement arigoureuses que la seconde phase d'immigration débute. L'Antilope saïga se dirige alors vers le sud-ouest de la France où elle va trouver refuge jusqu' à l'amorce des premières phases de réchauffement (Delpech, 1989). Bien que des restes d'Antilope saïga aient été signalés dans des niveaux solutréens (Castel 1999 ;Crégut-Bonnoure, 1991), c'est au Magdalénien que l'Antilope saïga abonde. On la retrouve, en effet, dans de nombreuses régions : Massif central (Delpech, 1989), Provence (Crégut-Bonnoure et Gagnière, 1981), Nord de l'Espagne (Altuna et Mariezkurrena, 1996) ou bien encore Aquitaine (Delpech, 1983). Parmi ces régions, cette dernière est tout à fait originale puisque c'est la seule zone où l'Antilope saïga a joué un rôle non négligeable dans l'alimentation des Magdaléniens. Comment cette espèce a -t-elle influé sur les stratégies de chasse et plus largement sur les modes d'exploitation des territoires des hommes ayant vécu dans cette région ? C'est la question à laquelle nous essaierons de répondre en abordant plusieurs points. En premier lieu, le succès d'une chasse dépend largement de l'habileté du groupe à prédire les réactions des espèces chassées dans un environnement donné. La connaissance de l'écologie et de l'éthologie de l'Antilope saïga est donc primordiale pour cerner les stratégies de chasse mises en œuvre par ces Magdaléniens. L'étude du mode de recrutement des individus chassés permet de mettre en évidence un choix préférentiel ou non, des hommes, en faveur d'animaux de sexe ou d' âge particulier et par là -même de documenter une chasse sélective ou opportuniste du gibier. Dans la seconde partie, une méthode permettant d'estimer l' âge des antilopes saïga d'après les dents est donc présentée ainsi qu'une étude sur le dimorphisme sexuel de cet animal. La troisième partie est consacrée plus particulièrement aux données archéologiques. Bien que tenant compte des différents gisements aquitains ayant livré des restes d'Antilope saïga, la discussion est axée principalement sur deux sites : Moulin-Neuf et Saint-Germain-la-Rivière qui sont les deux seuls à avoir fait l'objet d'études archéozoologiques et taphonomiques détaillées (Costamagno 1999, 2000). L'influence de la chasse à l'Antilope saïga sur les modes d'exploitation des territoires par les hommes est ensuite discutée. L'habitat de la Saïga est extrêmement limité. Elle peuple les plaines et évite les régions montagneuses et les terrains plus ou moins accidentés. En revanche, elle n'accorde aucune importance à l'altitude absolue. Son aire de répartition actuelle est cantonnée aux zones steppiques arides et semi-désertiques. Son allure particulière, l'amble, lui permet d'atteindre de grandes vitesses, mais lui rend difficiles les sauts, l'obligeant à contourner tout obstacle rencontré. Les antilopes saïga ont une espérance de vie qui varie selon les régions occupées. D'après A.G. Bannikov (1967), la forte espérance de vie (9-10 ans) observée sur la rive droite de la Volga serait liée à l'absence de loups. En revanche, dans le Kazakhstan, les mâles ne vivent généralement pas plus de cinq ans, alors que les femelles peuvent atteindre l' âge de onze ans. Cette forte disproportion entre mâles et femelles serait due aux loups attaquant plus facilement les mâles épuisés en hiver. Jusqu' à l' âge de sept mois, les mâles voient leur poids augmenter rapidement. Durant les quatre mois suivants qui correspondent aux mois d'hiver, la croissance est ralentie. Ils atteignent leur taille adulte vers 19 mois. Durant les 11 premiers mois, la croissance des femelles est identique à celle des mâles. Contrairement à ces derniers, durant leur second printemps, elles ne grandissent pas car elles donnent naissance à leur première progéniture. Ce n'est qu'en juillet que leur croissance se poursuit. Tout comme les mâles, elles atteignent leur poids adulte vers le dix-neuvième mois. Les indications données dans ce paragraphe proviennent principalement de l'étude faite par A.G. Bannikov et ses collaborateurs (1963; 1967) sur des populations actuelles d'antilopes saïga. Actuellement, la période d'accouplement varie d'ouest en est. Sur la rive droite de la Volga, elle s'échelonne de début novembre à mi-décembre, au Kazakhstan, elle est décalée de 10 jours et en Mongolie de 20. La gestation dure cinq mois et la femelle donne généralement naissance à un ou deux petits qu'elle allaite jusqu' à la fin du mois d'août. Les femelles se regroupent pour la mise bas qui se situe de fin avril à début mai sur la rive droite de la Volga, mi-mai dans le Kazakhstan et fin mai en Mongolie. Des mâles sont alors présents mais en très faibles proportions (environ 2 à 3 %). Dans leur localisation, ce sont les regroupements les plus stables. Le régime alimentaire de l'Antilope saïga varie au cours de l'année et selon la région de peuplement (lichens et graminées). Du printemps à l'automne, les animaux paissent toute la journée et parcourent quotidiennement plusieurs dizaines de km2 en fonction de la qualité des pâturages et de la dimension des troupeaux. En revanche, en été, c'est la recherche de l'eau qui influe sur la répartition de ces animaux, les saïgas préférant consommer des plantes succulentes que boire de l'eau (Bannikov 1967). Le poids moyen de l'Antilope saïga est fort variable d'une région à l'autre. Actuellement, les mâles vivant sur les rives de la Volga pèsent en moyenne 43 kg et les femelles 31 kg tandis que le poids des populations de Mongolie varie de 26 à 32 kg. La masse corporelle se modifie fortement au cours de l'année. Comme on peut le voir sur la figure 1, la condition physique de la Saïga (mâle ou femelle) est constante durant les mois de juillet et d'août. En automne, quand la température devient plus fraîche et que la végétation croît, le poids des antilopes augmente rapidement. Au début de la saison du rut (fin novembre), les mâles sont dans leur meilleure condition physique (accumulation de graisse dans la partie postérieure). Ensuite, au cours de la période d'accouplement, ils se nourrissent peu et se dépensent beaucoup. La perte de poids engendrée par le rut est donc beaucoup plus rapide que l'augmentation enregistrée durant l'automne. Durant tout l'hiver, les mâles restent maigres et ce n'est qu' à partir de la fin du mois de mars qu'ils commencent à reconstituer leur réserve de graisse. Le profil de la courbe de l'indice de condition physique pour les femelles est, en terme général, comparable à celui des mâles. Cependant, les femelles continuent à gagner du poids pendant la saison du rut, la perte de poids ne commençant qu'au mois de janvier (premier mois de la gestation). Durant le mois d'avril, les femelles sont dans leur plus mauvaise condition; elles commencent à reprendre du poids dès la mi-mai et atteignent leur condition moyenne à la fin du mois de juin (un mois après les mâles). Ce type de courbe prend en compte le poids de l'animal qui est parfois lié à la quantité de graisse. En effet, comme on le remarque sur la figure 1, les femelles qui, en décembre, sont dans leur meilleure condition physique possèdent un indice comparable à celui des mâles durant la saison du rut (mauvaise condition). Cet indice indique que les mâles sont plus lourds que les femelles. En revanche, en ce qui concerne la graisse emmagasinée, les conclusions sont tout autres puisque les femelles, bien que plus légères que les mâles, sont probablement plus grasses que ces derniers et donc plus recherchées par les chasseurs (Speth, 1983). Comme dans le paragraphe précédent, nous nous référons pour l'essentiel aux travaux de A.G. Bannikov et ses collaborateurs (1963; 1967). L'Antilope saïga est un animal en constant déplacement. Ses migrations saisonnières varient selon son aire de répartition et selon les années. Ainsi dans les steppes européennes, elles sont plus on moins sédentaires et ne se dirigent vers le sud que lors d'hivers vigoureux avec forte chute de neige. En revanche, dans le Kazakhstan, elles effectuent, en automne, une migration vers le sud passant de zones semi-désertiques à des zones désertiques (Pfeffer 1964). Les hivers peu enneigés, elles migrent vers le nord à la recherche de meilleurs pâturages. Ce phénomène n'est pas commun à toutes les populations d'Antilope saïga, il est entièrement régulé par le régime des pluies et l'état des pâturages (Bannikov 1958). Ainsi, sur les rives droites de la Volga, la migration débute habituellement en décembre, mais, en fonction des conditions météorologiques, elle peut se dérouler en novembre ou en janvier. Lors d'hivers peu enneigés, les Saïgas restent sédentaires. Les migrations d'été sont liées à la sécheresse. Les périodes de migration d'été varient donc fortement selon les années. Lors des migrations, il semble que ce soient d'abord de grands troupeaux constitués essentiellement de femelles et de leurs petits qui migrent, suivis par des groupes plus restreints d'animaux mâles. Ainsi, on peut affirmer que “les migrations régulières suivant des itinéraires fixes ne sont pas propres à la Saïga. Cependant, les migrations liées à la recherche des pâturages et des points d'eau font partie intégrante de la biologie de l'espèce.” (Bannikov 1958, p 221). En relation avec les déplacements, la composition et la taille des troupeaux varient fortement au cours de l'année (tabl. 1). Hiver (décembre et janvier) : le mois de décembre est caractérisé par la formation de petits troupeaux (1 à 20 têtes) à mettre en relation avec la période de rut. Chaque mâle adulte constitue des “harems” de 10 à 15 femelles tandis que les mâles nés l'année précédente peuvent se regrouper en hardes plus ou moins importantes. Durant le mois de janvier, la taille des troupeaux augmente progressivement. Certains auteurs signalent la présence de hardes mixtes au cours de l'hiver (Vasenko 1950 cité dans Bannikov 1967), alors que d'autres observent des troupeaux constitués uniquement de mâles (Sokolov, 1951 cité dans Bannikov 1967). Après les chutes de neige, des concentrations intenses sont généralement observées. Début du printemps (fin mars/début avril) : c'est au cours de cette période que les migrations ont lieu. La taille des troupeaux est variable. Ceux de taille moyenne sont les plus souvent rencontrés (50 à 100 têtes). Toutes les hardes sont mixtes; toutes les classes d' âge sont présentes. La seconde moitié du mois d'avril est caractérisée par une migration à grande échelle vers la zone de mise bas. Les trois tailles de hardes sont rencontrées dans des proportions équivalentes. Des concentrations de plus de 10 000 animaux peuvent être observées. Période de mise bas : les femelles se regroupent. Ces hardes ne comportent que 2 à 4 % de mâles. Elles continuent à se déplacer jusqu'au dernier jour, ce qui crée mécaniquement des concentrations énormes. Cependant, la taille des agrégats varie selon le degré de sécheresse; lors d'années sèches, la dispersion est plus grande. Après la mise bas, les femelles avec leurs petits restent groupées. Au moindre danger, elles vont se disperser dans des directions différentes, alors que durant les autres périodes de l'année, elles ont tendance à s'enfuir toutes dans la même direction. Fin du printemps : dès la mi-mai, les femelles accompagnées de leurs nouveau-nés quittent la zone de mise bas et forment de grandes concentrations. Durant la seconde moitié du mois de mai, la taille des groupes diminue (1 à 19 têtes). Les mâles sont généralement avec les femelles les plus fortes mais parfois, des groupes constitués uniquement de mâles peuvent se créer. La mobilité des femelles ralentie par la présence des jeunes recommence à augmenter durant le mois de juin qui est également caractérisé par des hardes mixtes. Été (juillet et août) : les petites hardes prévalent suivies par des hardes de taille moyenne. La dispersion est fonction de la qualité des pâturages qui diminue progressivement au cours de l'été et qui peut varier selon les années mais également selon les régions occupées. La plupart des hardes sont mixtes. Dès le mois d'août, les jeunes se séparent de leur mère et constituent de petits groupes. Cette désagrégation correspond à la fin de la période de lactation. Automne (septembre à novembre) : les hardes sont plus grandes (taille moyenne principalement et grande) qu'en été. Les concentrations sont en relation avec l'abondance de la végétation succulente qui est elle -même fonction du degré de pluviométrie enregistrée durant ces mois -là. En résumé, l'Antilope saïga est un Ongulé grégaire. La taille des hardes est, cependant, fortement variable selon les périodes de l'année. En décembre (période de rut) et durant les mois d'été, les petits groupes dominent (1 à 19 individus). Les grands et très grands troupeaux (201 à plus de 1 000 individus) sont caractéristiques des mois d'hiver et des migrations de printemps et d'automne. La fréquence des hardes de taille moyenne (20 à 200 individus) ne varie pas saisonnièrement : c'est le mode typique de vie de cette espèce. Les profils de mortalité sont particulièrement utiles pour la compréhension des stratégies d'approvisionnement des ressources carnées des Hommes préhistoriques (e.g. Alvard et Kaplan 1991; Blumenschine 1991; Fischer 1987; Frison 1991; Koike et Ohtaishi 1985, 1987; Lyman 1991; Speth 1991; Stiner 1991b). En archéologie, les méthodes d'estimation d' âge s'appuient essentiellement sur les dents, seul élément squelettique à évoluer assez régulièrement tout au long de la vie de l'animal. La méthode d'estimation d' âge de l'Antilope saïga présentée ici est basée sur les séquences d'éruption et l'usure des dents inférieures. Cette méthode a été élaborée en comparant les observations effectuées par A. G. Bannikov (1967) sur des antilopes actuelles à des séries dentaires et dents isolées archéologiques provenant du site de Saint-Germain-la-Rivière. Dès leur naissance, les nouveau-nés portent les dents déciduales. À la fin du second mois, elles s'arrêtent de croître; la M 1 est au deux tiers de sa hauteur adulte. Durant le troisième mois, cette dernière atteint sa hauteur définitive et la M 2 commence à sortir. Sa croissance stoppe durant le septième mois, alors que la M 3 commence à apparaître. Au neuvième mois, la formule dentaire est identique, l'usure étant plus intense. Vers le treizième/quatorzième mois, les dents déciduales paraissent extrêmement usées : elles tombent au cours du quinzième mois sur un laps de temps très court (une semaine environ). La D 4 est la première remplacée, suivie par les deux autres. Au dix-septième mois, la croissance des prémolaires est déjà presque complète. Elle s'achève comme celle de la M 3 durant le dix-neuvième mois. Entre dix-huit mois et deux ans, les individus sont très difficiles à différencier : on observe, parfois, à la fin de la seconde année, la disparition de la fossette de l'hypoconulide de la M 3, le lobe mésial de la M 1 étant totalement abrasé (disparition de la fossette). Durant la troisième année, la surface occlusale de la M 1 est complètement usée (disparition de la fossette postérieure); la M 2 est caractérisée par l'absence de fossette au niveau du lobe antérieur. Jusqu' à six ans, l'usure des surfaces occlusales reste inchangée. Entre sept et huit ans, la M 2 ne présente plus ni crête, ni fossette et la M 3 ne possède plus que celle du lobe médian. À partir de neuf ans, l'ensemble des dents est extrêmement usé. Sur la base de ces observations, nous avons attribué un âge aux séries dentaires de Saint-Germain-la-Rivière. Pour chaque série, l'usure des molaires mais également celle de la D 4 et de la P 4 ont été examinées et notées selon la codification définie par S. Payne (1973) sur des dents d'Ovicaprinés et appliquée depuis à d'autres espèces comme le Cerf (Lowe 1967) ou la Chèvre Angora (Deniz et Payne 1982). En combinant ces deux observations, il est possible, à partir des stades d'usure, d'estimer l' âge d'une dent isolée. L'application de cette méthode à plusieurs types de dents permet de vérifier la cohérence des résultats et, par conséquent, de tester la fiabilité de la méthode utilisée (Costamagno 1999). Sur la base de critères précis d'usure, il est possible de distinguer sept classes d' âge : Classe I (0-2 mois) : M 1 en cours d'éruption Classe II (3-6 mois) : M 1 atteint la hauteur de la quatrième déciduale, M 2 en cours d'éruption Classe III (7-16 mois) : croissance complète de la M 2, M 3 en cours d'éruption, chute des déciduales. Au niveau des dents jugales isolées, il est impossible de différencier les individus entre 7 et 14 mois des individus entre 15 et 16. Seul l'examen de la D 4 /P 4 permet une telle différenciation : IIIA et IIIB. Classe IV (17 mois-2 ans) : fossette du lobe antérieur de la M 1 absente, parfois fossette du troisième lobe de la M 3 Classe V (3-6 ans) : les deux fossettes de la M 1 absentes, disparition de la fossette du lobe antérieur de la M 2 Classe VI (7-8 ans) : M 1 et M 2 totalement usées, seule la fossette médiane de la M 3 subsiste Classe VII (9-10 ans) : molaires entièrement abrasées Les schémas d'usure occlusale retenus pour l'attribution d'une dent isolée à un stade précis sont donnés dans la figure 2. Les fossettes persistant sur les deux lobes, la différenciation des stades II et III de la M 1 et des stades III et IV de la M 2 se fait biométriquement : un diagramme de dispersion du diamètre mésio-distal occlusal en fonction du diamètre vestibulo-lingual permettant d'isoler les deux stades. L'observation du degré d'usure de la surface occlusale de la P 4 et de la M 1, sans prise en compte de la hauteur de la couronne, ne permet pas une attribution au-delà du stade V; pour la M 2, la limite se situe au niveau du stade VI. Seule la M 3 permet la différenciation des individus les plus âgés. Comme on peut le voir dans la figure 2, certains degrés d'usures ne peuvent être rattachés à un stade précis. C'est le cas notamment des M 1 présentant un lobe antérieur totalement usé et une fossette postérieure d'étendue limitée. D'après les séries dentaires, elles peuvent être rattachées soit au stade IV, soit au stade V. Afin d'attribuer ces dents à un stade précis, la procédure développée par S. Payne (1973) a été utilisée sur l'ensemble des séries dentaires. Ainsi, en prenant l'exemple de la M 1, six séries sont caractérisées par le stade d'usure décrit ci-dessus : cinq d'entre elles, d'après les dents adjacentes, peuvent être rattachées au stade IV et une au stade V. Ainsi, pour un nombre x de M 1 présentant cette usure, le nombre de M 1 attribuable au stade IV est de : x*(5/6) et pour le stade V : x*(1/6). La détermination du sexe des animaux abattus est également importante pour la caractérisation des stratégies d'approvisionnement. La possibilité de distinguer le sexe des animaux présents dans les assemblages archéologiques passe soit par la reconnaissance d'attributs sexuels soit, pour des animaux présentant un dimorphisme sexuel, par la biométrie des éléments squelettiques (e. g. Altuna, 1978; Black, 1978; Delpech et Le Gall, 1983; Grigson, 1987; Larson et Taber, 1980; Mariezkurrena et Altuna, 1983; Noble et Crerar, 1993; Purdue, 1983; Steel, 1962; Todd, 1986). L'Antilope saïga est souvent considérée comme une espèce présentant un faible dimorphisme sexuel. Seuls les attributs sexuels comme les cornes qui ne sont présentes que chez les mâles pourraient permettre une différenciation sexuelle. Cette méthode est peu utilisable en archéologie puisque de nombreuses chevilles osseuses ont pu être abandonnées sur les sites d'abattage en raison de leur intérêt nutritif très limité. Afin d'estimer le nombre minimum de mâles et de femelles chassés dans les différents gisements magdaléniens, nous avons recherché si le dimorphisme sexuel était perceptible sur les os post-crâniens. À notre connaissance, ce type d'étude n'a jamais été mené sur l'Antilope saïga. Par conséquent, nous avons été contraintes d'utiliser les restes d'Antilope saïga provenant du site de Saint-Germain-la-Rivière. L'ensemble des extrémités d'os longs, les carpiens et les tarsiens ont été mesurés selon les critères décrits par J.-L. Guadelli (1987). Si un dimorphisme sexuel conséquent existe entre les mâles et les femelles, il devrait être possible de visualiser, sur les diagrammes de dispersion, deux populations distinctes. L'absence de référentiel actuel est préjudiciable à cette étude puisqu'il n'y a aucun moyen de tester si les groupes mis en évidence sur les diagrammes de dispersion font réellement référence aux mâles et aux femelles. Dans le but d'établir une sorte de référentiel, le matériel provenant du Quéroy a donc été intégré à l'étude. Ce gisement, situé en Charente, est un aven-piège ayant livré une faune extrêmement bien conservée comprenant, en dehors de l'Antilope saïga, des ossements de Renne, de Bovinés, d ' Equus caballus arcelini et d ' Equus hydruntinus (Tournepiche 1982, 1996). Les antilopes saïga sont regroupées dans le niveau de base sur une surface de deux m 2. Six squelettes ont été trouvés entremêlés : deux individus immatures et quatre adultes dont deux mâles et deux femelles. Comme on peut le voir sur les figures 3 et 4, les individus provenant du Quéroy sont systématiquement plus petits que ceux de Saint-Germain-la-Rivière. Ils sont donc difficilement exploitables en tant que référentiel. Que ce soit pour l'astragale ou pour le calcanéum (qui sont les exemples les plus parlants), il est impossible de distinguer sur les diagrammes de dispersion les mâles des femelles : le nuage de points est continu. Cette impression est confirmée par les histogrammes qui ne présentent pas de distribution bimodale. L'absence de référentiel ne permet pas de savoir si les nuages de points sont de cette forme en raison de l'abattage systématique d'individus d'un sexe particulier ou en raison de l'absence de dimorphisme sexuel sur les os post-crâniens d'Antilope saïga, impliquant un chevauchement des nuages de points relatifs aux femelles et aux mâles. Les premières phalanges sont les seuls éléments squelettiques pour lesquels la distinction mâle/femelle semble possible. Pour le Quéroy, si l'on examine le diamètre transversal du milieu de la “diaphyse” en fonction du degré de robustesse (Diamètre transversal du milieu de la “diaphyse” par rapport à la longueur de la phalange) ou la longueur de la phalange en fonction de son diamètre transversal proximal, il est possible de distinguer les phalanges antérieures (croix), des phalanges postérieures (cercles) : les premières étant plus longues et moins robustes que les secondes (fig. 5a). Au sein de ces deux nuages de points, il semble possible de différencier deux sous-groupes qui pourraient correspondre aux mâles et aux femelles (pour un indice de robustesse similaire, les phalanges de femelles auraient un diamètre transversal en milieu de “diaphyse” systématiquement plus faible que celui des phalanges de mâles). Les diagrammes de dispersion obtenus à partir du matériel Saint-Germain-la-Rivière sont similaires à ceux du Quéroy (fig. 5b). Pour confirmer ces résultats, il faudrait poursuivre l'étude en mesurant des squelettes d'Antilope saïga de sexe connu et vérifier si, effectivement, la taille des premières phalanges est réellement un facteur discriminant les mâles des femelles. L'examen d'un tel référentiel permettrait également de conclure si d'autres éléments ou portions squelettiques sont susceptibles d' être utilisés pour l'étude du dimorphisme sexuel. Le tableau 2 répertorie l'ensemble des niveaux magdaléniens d'Aquitaine dont la faune a fait l'objet d'étude. Pour la discussion, la chronologie du Pléniglaciaire et du Tardiglaciaire présentée par M. Magny (1995, p. 48) a été utilisée. Le Magdalénien s'étend sur trois grandes périodes climatiques : le Pléniglaciaire (18 500 – 15 000 BP), le Dryas ancien (15 000 – 13 000 BP) et le Bölling/Alleröd (13 000 – 11 000 BP). Les ensembles magdaléniens ayant fait l'objet de datations radiométriques ont été répartis dans ces trois ensembles chronologiques en fonction des dates obtenues. En l'absence de ces données, les cultures magdaléniennes ont été prises en compte. Ainsi, le Badegoulien et le Magdalénien ancien ont été attribués au Pléniglaciaire, le Magdalénien moyen au Dryas ancien et le Magdalénien supérieur et final au Bölling/Alleröd. L'examen du tableau 2 montre que l'Antilope saïga est présente dans toute l'Aquitaine (à l'exception des Landes) durant le dernier Pléniglaciaire et le Dryas ancien. A partir du Bölling, on ne la trouve plus qu'en Dordogne et dans le Lot-et-Garonne. En effet, comme le signale F. Delpech (1989), dès cette période, elle commence à quitter les plaines d'Aquitaine. Durant le dernier Pléniglaciaire et le Dryas ancien, bien que présente dans toute l'Aquitaine, l'Antilope saïga n'est exploitée intensivement qu'en Gironde. D'une part, tous les gisements girondins appartenant à ces deux périodes contiennent des ossements d'Antilope saïga. D'autre part, la Gironde est la seule zone d'Aquitaine ayant livré des ensembles osseux magdaléniens dominés par cette espèce. Comme nous allons le voir, l'exploitation intense de l'Antilope saïga en Gironde au cours du dernier Pléniglaciaire et du Dryas ancien est le reflet de son abondance dans l'environnement plutôt que d'un choix délibéré des magdaléniens en faveur de cette espèce. Ces deux gisements sont tous deux situés en Gironde. Le site de Saint-Germain-la-Rivière découvert en 1929 a fait l'objet de plusieurs campagnes de fouilles. Le matériel étudié provient des fouilles réalisées par G. Trécolle dans les années 60 dans le talus prolongeant le grand abri. Ce talus fouillé sur une surface de 8 m2 a livré une séquence stratigraphique au sein de laquelle cinq niveaux ont été différenciés : un ensemble inférieur comportant les couches 4 (GIF 5479 : 16 200 ± 600 BP; OXA/LYON-617 : 16 890 ± 130 BP) et 3 et un ensemble supérieur comprenant les couches 1 (OXA/LYON-615 : 15 330 ±150 BP) et C (GIF : 14 100 ± 160 BP), la couche 2 se situant à l'interface de ces deux ensembles. Pour M. Lenoir (1983), l'industrie lithique de l'ensemble inférieur caractérisé par un outillage assez grossier, riche en éclats pourrait être attribué à du Magdalénien ancien tandis que l'ensemble supérieur aux industries beaucoup plus laminaires serait du Magdalénien moyen. Le site de Moulin-Neuf (Saint Quentin de Baron) découvert en 1939 a également fait l'objet de fouilles multiples. Les collections étudiées proviennent des fouilles réalisées par M. Lenoir dans l'abri principal. Les ossements appartiennent à un seul niveau : la couche 2 attribuée au Magdalénien moyen (Ly 2352 : 13 570 ± 260 BP; Ly 2275 : 14 280 ± 440 BP) (cf. Lenoir 1983 pour un historique plus précis de ces deux gisements). Les spectres fauniques de ces deux gisements sont relativement diversifiés. A Saint-Germain-la-Rivière, la richesse taxonomique dans les couches 3 et 1 est respectivement de neuf et huit tandis qu' à Moulin-Neuf, elle est de onze (tabl. 3). Seuls les taxons présentant des traces anthropiques ont une origine humaine attestée (Costamagno 1999). Ainsi, à Saint-Germain-la-Rivière, cinq taxons ont incontestablement été chassés par l'Homme : l'Antilope saïga, le Renne, le Cheval, les grands Bovidés et Equus hydruntinus. A l'exception de cette dernière espèce, les mêmes taxons ont été exploités à Moulin-Neuf (Costamagno 2000). Comme on peut le voir dans le tableau 3, dans ces deux gisements quelle que soit la couche considérée, l'Antilope saïga est l'espèce majoritairement chassée. Cependant, si à Saint-Germain-la-rivière, l'Antilope saïga fournit la majeure partie des ressources carnées en particulier dans la couche 1 (78,3 % et inverse de l'indice de Simpson : 1,606), à Moulin-Neuf, la part du Cheval dans l'alimentation n'est pas négligeable (25,6 % contre 46,4 % pour l'Antilope saïga, indice de Simpson : 2,892). Etant donné, le faible poids d'une carcasse d'Antilope saïga (maximum 40 kg) par rapport à une carcasse de Cheval (300-350 kg), il est probable qu' à Moulin-Neuf, l'Antilope saïga ne constituait qu'une source carnée secondaire, le Cheval étant l'espèce principale. A Saint-Germain-la-Rivière, les saisons de chasse à l'Antilope saïga ont été documentées grâce à des études cémentochronologiques menées par E. Pubert (Costamagno 1999). A Moulin-Neuf, de telles études n'ont pu être menées en raison de la fragmentation des molaires d'Antilope saïga. Les données reposent donc sur les stades d'éruption dentaire (Costamagno 2000). Comme on peut le voir sur la figure 6, dans la couche 3 de Saint-Germain-la-Rivière les antilopes saïga ont été chassées essentiellement durant la fin de la mauvaise et le début de la bonne saison. Dans la couche 1, la chasse à l'Antilope semble se prolonger puisque des animaux ont été abattus de la fin de la mauvaise saison à la fin de la bonne saison, le pic se situant au début de la bonne saison. Dans les deux niveaux, l'absence d'antilope tuée durant la mauvaise saison peut indiquer l'abandon de cette zone par l'Homme préhistorique au cours de cette période de l'année, l'exploitation d'autres ressources, au cours de la mauvaise saison, étant une autre hypothèse à envisager. En tout état de cause, que ce soit en termes de mobilité ou en termes de diversification des sources d'approvisionnement, les choix humains étaient une réponse à la disparition de l'Antilope saïga de l'environnement local de Saint-Germain-la-Rivière, durant la mauvaise saison. Cette hypothèse est soutenue par l'éthologie des antilopes saïga actuelles. Même s'il est vrai que, durant les années peu rigoureuses, l'Antilope saïga peut rester sédentaire, les migrations d'hiver vers des zones moins enneigées sont un comportement retrouvé fréquemment chez cette espèce. Par analogie, l'absence de restes d'Antilope saïga durant la mauvaise saison montre que la zone environnant Saint-Germain-la-Rivière peut être assimilée à l'aire de répartition d'été de l'espèce, dans cette aire géographique. Durant l'hiver, les troupeaux migraient probablement vers le Sud ou l'Ouest. Dans la couche 3, les animaux n'ont été abattus qu' à la fin de la mauvaise et au début de la bonne saison. Les datations radiométriques montrent que les niveaux de base se sont déposés juste après le dernier maximum glaciaire. L'accroissement de la sécheresse, durant cette période, pourrait expliquer l'absence d'Antilope tuée durant l'été : ce territoire ne correspondant plus à l'aire de répartition d'été mais à une zone de passage vers des pâturages d'été situés probablement plus au Nord. De telles migrations d'été sont actuellement connues (cf. supra). Face à la diminution des troupeaux d'antilopes saïga, les hommes semblent avoir opté pour une diversification des ressources exploitées plutôt que pour l'abandon de la région. Les études de saisonnalité effectuées sur les dents de chevaux (Burke 1995) et de rennes (Gordon 1988), bien qu' à prendre avec précautions en raison des effectifs étudiés limités, apportent des renseignements utiles sur les stratégies d'approvisionnement de ces hommes. Dans la couche 3, ces résultats indiquent une exploitation intense de l'Antilope saïga au début de la bonne saison puis une diversification progressive des ressources, liée à l'absence de cette dernière de la région, en faveur notamment du Cheval durant l'été (Burke 1995) et du Renne durant l'hiver (Gordon 1988). Dans la couche 1, les données sont moins concluantes que dans la couche 3 en raison du nombre extrêmement limité d'observations : la seule dent de cheval lisible indique un animal tué en hiver (Burke 1995). Ceci pourrait indiquer une réaction identique des hommes face à la migration des antilopes : la nécessité de pallier l'absence de ces troupeaux se faisant ressentir plus tardivement en raison de l'exploitation, par l'Antilope saïga, des pâturages environnant Saint-Germain-la-Rivière durant la totalité de la bonne saison. A Moulin-Neuf, définir la saison d'abattage des antilopes saïga est plus problématique. D'après les premières incisives déciduales, trois individus ont moins d'un an (remplacement de ces dents par des définitives entre le treizième et le quatorzième mois (Bannikov 1967)). En outre, les quatrièmes déciduales supérieures provenant d'un minimum de trois individus sont très usées et indiquent donc un âge proche de quinze mois. Si on part du principe que les premières incisives déciduales et les quatrièmes déciduales supérieures proviennent des mêmes individus, on peut en déduire que ces animaux ont été tués entre leur dixième et treizième mois. Les antilopes saïga naissant de fin avril à la mi-mai, ces individus ont pu être abattus entre février et juin. L'absence de dents déciduales peu usées peut indiquer : une exploitation saisonnière des antilopes saïga de février à juin, le refus d'abattre des individus très jeunes (de moins de neuf mois), un problème taphonomique : destruction différentielle des dents provenant de jeunes individus (Guadelli et Ozouf 1994; Texier et al. 1998). Moulin-Neuf étant contemporain de la couche 1 de Saint-Germain-la-Rivière, on peut tout à fait imaginer une exploitation saisonnière de l'Antilope saïga de la fin de la mauvaise saison à la fin de la bonne saison, l'hypothèse 2 ou 3 étant alors à privilégier. A Saint-Germain-la-Rivière comme à Moulin-Neuf, nous avons utilisé la méthode présentée ci-dessus pour estimer l' âge des antilopes saïga (Costamagno 1999). Pour chaque ensemble osseux, la forme des profils de mortalité est ensuite documentée à l'aide des diagrammes ternaires définis par M.C. Stiner (1990, 1991a), modifiés par S. Costamagno (1999). Pour évaluer le sexe des animaux abattus, la taille des premières phalanges a été étudiée. Au Magdalénien moyen que ce soit à Saint-Germain-la-Rivière (couche 1) ou à Moulin-Neuf, les profils de mortalité sont similaires et correspondent à des profils de mortalité catastrophique (fig. 7). Cependant, la présence d'individus d' âges différents au sein de la première année, ainsi que l'échelonnement, sur une grande partie de l'année, de la chasse à l'Antilope saïga permettent de rejeter l'hypothèse d'une mort en masse des individus. Les courbes de mortalité montrent donc une exploitation opportuniste des ressources, les animaux étant prélevés au hasard au sein d'une population vivante stable. A Saint-Germain-la-Rivière, les profils de mortalité mettent en évidence un changement au niveau du recrutement des individus, au cours du temps. En effet, dans la couche 3, les animaux les plus faibles sont préférentiellement chassés : les jeunes mais surtout les vieux adultes dominent largement l'ensemble osseux (fig. 7). Ces différences sont difficiles à expliquer. Plusieurs hypothèses peuvent être évoquées : l'évolution des techniques permettant aux Hommes du Magdalénien supérieur de tuer plus facilement les individus adultes, la chasse de groupes constitués majoritairement de vieux adultes dans l'ensemble inférieur, l'abattage des individus les plus faibles dans l'ensemble inférieur afin d'éviter une surexploitation des ressources et, ainsi, pallier une diminution conséquente des effectifs des troupeaux chassés, l'abattage des vieux individus dans l'ensemble inférieur pour des besoins particuliers, la recherche, dans l'ensemble inférieur, d'un gain de temps se traduisant par la traque d'animaux plus faciles à chasser. Des cinq hypothèses formulées, la cinquième paraît la plus plausible (cf. discussion dans Costamagno 1999 : 233-234). En ce qui concerne le sexe des individus abattus, comme nous l'avons vu, seule la taille des phalanges permet de mettre en évidence le dimorphisme sexuel des antilopes saïga. Par conséquent, il est impossible d'estimer les nombres minimums de mâles et de femelles dans chaque couche, chaque individu possédant huit phalanges. Dans les deux gisements, des mâles et des femelles semblent avoir été chassés par les hommes parmi les hardes mixtes, tous deux étant durant cette période dans la même condition physique. A Moulin-Neuf ainsi qu' à Saint-Germain-la-Rivière, l' âge des antilopes saïga abattues montre une stratégie de chasse non sélective. L'abondance de l'Antilope saïga semble reflèter une vision saisonnière de l'environnement local plutôt qu'un recrutement préférentiel de cette espèce par les hommes. Cette hypothèse est étayée par la petite taille de cet animal. Il existe une relation entre le poids de l'animal et le nombre de calories qu'il peut fournir (Simms 1987). De ce fait, l'abondance de l'Antilope saïga est liée à sa profusion dans le milieu environnant et/ou à sa traque aisée : les chasseurs étant plus préoccupés par la taille du gibier chassé que par des affinités taxonomiques (Broughton 1994). Le transport des carcasses peut être appréhendé par l'étude de la représentation différentielle des éléments squelettiques (e.g. Binford 1978, 1981; Farizy et al. 1994; O'Connell et al. 1990; Perkins et Daly 1968; Stiner 1994; Thomas et Mayer 1983). Cependant, la forme des profils squelettiques est dépendante de nombreux processus taphonomiques. En effet, l'absence d'un élément squelettique sur un site peut être liée aux stratégies de transport adoptées par les hommes (Bartram 1993b; Binford 1978; Speth 1983), à un problème de conservation différentielle (Brain 1981; Lyman 1984; Marean et al. 1992), à des méthodes d'analyse particulièrs (Bartram 1993a; Bartram et Marean 1999; Marean 1998; Marean et Frey 1997) ou bien encore à des pertes de matériel intervenues durant le stockage (Costamagno soumis-a). A Moulin-Neuf comme à Saint-Germain-la-Rivière, l'impact de ces différents processus taphonomiques sur les profils squelettiques d'Antilope saïga a été évalué (Costamagno 1999, 2000). En ce qui concerne plus particulièrement le transport, il apparaît que les carcasses d'Antilope saïga étaient majoritairement transportées entières sur les deux sites (fig. 8). La sous-représentation du squelette axial semble liée à un problème de conservation différentielle. L'absence de corrélation entre les indices d'utilité et la représentation des éléments squelettiques est bien compatible avec l'économie opportuniste mise en évidence à partir du recrutement des individus. Le traitement des carcasses d'Antilope saïga apparaît relativement similaire à Moulin-Neuf et à Saint-Germain-la-Rivière. Les carcasses d'antilopes ont été intensément désarticulées mais également décharnées comme l'indique l'abondance des stries de boucherie sur les fragments diaphysaires d'os longs. En raison de la saison d'abattage, le décharnement des os longs semble lié à l'exploitation de la moelle et non pas au stockage des filets de viande (Costamagno, 1999). L'intense fragmentation des os longs mais également des mandibules et des phalanges indique, en outre, une exploitation maximale des ressources. Il apparaît donc que les hommes qui ont occupé Saint-Germain-la-Rivière et Moulin-Neuf pratiquaient une chasse non sélective saisonnière sur des hardes mixtes d'Antilope saïga. Les carcasses ainsi obtenues étaient ensuite transportées entières au camp puis intensivement traitées. D'après les résultats obtenus à Saint-Germain-la-Rivière et Moulin-Neuf, en Gironde, durant le dernier Pléniglaciaire et le Dryas ancien, l'Antilope saïga ne fournissait des ressources alimentaires que de façon saisonnière (entre la fin de la mauvaise saison et la bonne saison). Cette exploitation limitée dans l'année était liée à son absence de la région; cette zone correspondait alors à son territoire d'été. Un faisceau de preuves indique que, à Moulin-Neuf ou à Saint-Germain-la-Rivière, les hommes chassaient l'Antilope saïga à petite échelle. En effet, des chasses collectives à grande échelle impliquent la mort en masse d'individus. L'abattage simultané d'un grand nombre d'animaux au cours d'un épisode de chasse se traduit alors par une sélection et une exploitation des carcasses et des portions squelettiques les plus riches (Binford 1978; Speth 1983; Wheat 1972). Or, à Saint-Germain-la-Rivière comme à Moulin-Neuf, il n'y a aucune relation entre l'abondance des éléments squelettiques et leur utilité nutritive, les carcasses ayant été transportées entières depuis le site d'abattage au camp. L'exploitation maximale des ressources alimentaires provenant des carcasses d'Antilope saïga est un autre argument en faveur de chasses à petite échelle. La saison d'abattage des antilopes vient d'ailleurs conforter cette hypothèse. En effet, la finalité des grandes chasses collectives est de constituer des réserves de nourriture pour l'hiver. Au printemps comme en été qui sont les saisons d'abattage représentées à Saint-Germain-la-Rivière et à Moulin-Neuf, plusieurs facteurs vont à l'encontre de telles pratiques. En effet, au printemps, les troupeaux d'Antilope saïga ont une taille importante, mais les individus sont en mauvaise condition physique et l'été arrivant, avec ses fortes températures et la prolifération des mouches, empêche la conservation des denrées jusqu' à l'hiver. Durant l'été, les animaux commencent déjà à constituer leur réserve de graisse pour l'hiver, mais la petite taille des troupeaux (moins de 20 individus) empêche la mise en œuvre de grandes chasses collectives. En outre, la pratique de chasses à petite échelle n'implique pas l'attention de tous les membres du groupe qui peuvent alors s'appliquer à rechercher des ressources autres que carnées (Driver 1990). De telles stratégies sont beaucoup plus rentables que les grandes chasses collectives, notamment au printemps et en été, lorsque les sources exploitables sont très diversifiées. Pour l'Antilope saïga comme pour le Renne (Albrecht 1984; Binford 1978), les migrations d'automne semblent la période la plus favorable à la mise en pratique de ces types de chasse : les troupeaux étant importants, les animaux présentant leur condition physique optimale et l'approche de l'hiver permettant une conservation aisée, par congélation, des denrées périssables (Driver 1990). On peut imaginer, à cette période de l'année, la mise en œuvre de chasses collectives planifiées visant à tuer un grand nombre d'individus pour créer des réserves pour l'hiver, ces chasses prenant place à d'autres emplacements que Saint-Germain-la-Rivière ou Moulin-Neuf. Cependant, dans l'état actuel des données, aucun site de Gironde ne permet d'illustrer la pratique de telles chasses sur l'Antilope saïga. Seul l'ensemble osseux de Fongaban dominé à plus de 98 % par du Bison (Delpech 1972) pourrait indiquer que les chasseurs-cueilleurs ayant vécu en Gironde pratiquaient, à certaines périodes de l'année, des chasses à grande échelle (Costamagno soumis-b). Malheureusement, l'absence d'étude archéozoologique (saison d'abattage, recrutement des individus, traitement des carcasses) ne permet pas de vérifier la validité de cette hypothèse. En dehors de son influence sur les stratégies de chasse adoptées par les hommes, l'exploitation saisonnière de l'Antilope saïga a eu forcément des répercussions importantes sur le mode de vie des chasseurs-cueilleurs qui occupaient cette région. Face à la disparition des troupeaux d'Antilope saïga de la région, deux hypothèses sont envisageables : les hommes suivent les troupeaux d'Antilope saïga et abandonnent la région, ils exploitent de nouvelles ressources. D'après les études menées à Saint-Germain-la-Rivière, à Moulin-Neuf mais également au Roc-de-Marcamps, les hommes ayant occupé la Gironde durant le dernier Pléniglaciaire et le Dryas ancien semblent avoir opté pour une diversification des ressources exploitées plutôt que pour l'abandon de la région. En effet, sur ces gisements, des animaux ont été abattus à toutes les périodes de l'année (Burke 1995; Costamagno 1999, 2000; Gordon 1988; Slott-Moller 1988). Durant cette période, la région semble donc avoir été occupée annuellement par des groupes de chasseurs-cueilleurs. L'utilisation quasi-exclusive du silex sénonien provenant des alluvions de la basse vallée de la Dordogne proche (Lenoir 1996) indique l'exploitation de territoires relativement restreints. Bien que des matières premières allochtones provenant du Périgord mais également du Piémont pyrénéen (chalosse) aient été signalées dans des ensembles magdaléniens (Lenoir et al. 1997), il apparaît que l'ensemble des ressources présentes dans cette zone géographique devait être suffisante pour subvenir aux besoins annuels des groupes de chasseurs-cueilleurs y vivant. Dans quelle mesure l'abondance de l'Antilope saïga dans la région, au printemps et en été, influait-elle sur les modalités d'exploitation des territoires de ces groupes ? Dans l'état actuel des données, il est extrêmement délicat de répondre à cette question. Cette zone géographique par rapport à d'autres [Aude (Fontana 1998b, 1999), Haute-vallée de la Loire (Costamagno 1999; Fontana 1998a)] apparaît tout à fait originale en raison d'une fréquentation annuelle et continue. Cependant, la Gironde n'est pas la seule région à avoir été occupée annuellement par des groupes magdaléniens : en Dordogne (Burke 1995; Deplano 1994) ou bien encore dans les Pyrénées (Pailhaugue 1998), des animaux ont été abattus à toutes les périodes de l'année. Or, dans ces zones géographiques, l'Antilope saïga n'est que sporadique voire absente. En Gironde, ce sont donc les caractéristiques générales de la région qui semblent être à l'origine de cette occupation annuelle et continue. Seule l'étude archéozoologique des ensembles osseux plus récents de l'abri Faustin et de l'abri Morin dépourvus d'Antilope saïga (Delpech 1971, 1983) pourrait permettre d'évaluer réellement l'influence de cette espèce sur les modalités d'exploitation des territoires. Dans cet article, nous avons essayé de montrer comment l'abondance de l'Antilope saïga en Gironde avait influé sur les stratégies de chasse des Magdaléniens. Outre les données archéozoologiques obtenues à Saint-Germain-la-Rivière et Moulin-Neuf, la connaissance de l'écologie et de l'éthologie de l'Antilope saïga s'est avérée essentielle pour comprendre les choix des Magdaléniens. En effet, s'il est vrai que l'introduction de carcasses entières d'Antilope saïga au camp ainsi que leur traitement intensif plaident en faveur de chasse à petite échelle, la prise en compte de l'écologie de cet animal permet d'apprécier les facteurs qui ont guidé les choix stratégiques des Magdaléniens. C'est également la connaissance des périodes de migration des antilopes saïga actuelles qui permet de conclure que la Gironde, durant le Dryas ancien, correspondait probablement aux territoires d'été de l'Antilope saïga. L'exploitation saisonnière de cette espèce mise en évidence à Saint-Germain-la-Rivière et à Moulin-Neuf est donc liée à l'absence de l'Antilope saïga de la région durant la mauvaise saison et non pas à un choix délibéré des chasseurs-cueilleurs. Au lieu de suivre les troupeaux d'antilopes saïga, il apparaît clairement que les Magdaléniens de Gironde ont choisi d'occuper annuellement cette région en diversifiant leurs ressources (Cheval, Renne). Dans quelle mesure, l'écologie de l'Antilope saïga a influé sur ce choix ? L'interrogation demeure…
L'Antilope saïga a connu deux phases de migration: l'une durant le stade isotopique 6, l'autre durant le stade isotopique 2. Cette seconde vague de migration beaucoup mieux documentée que la première a eu un fort impact en Aquitaine. En effet, c'est la seule zone où l'Antilope saïga a joué un rôle non négligeable dans l'alimentation des Magdaléniens. Afin d'évaluer l'influence de cette espèce sur les stratégies de chasse et les modalités d'exploitation des territoires, un chapitre est consacré à l'écologie et à l'éthologie de cet animal. Une méthode d'estimation d'âge des antilopes saïga à partir des restes dentaires est ensuite présentée ainsi qu'une étude sur les os post-crâniens permettant une discrimination des mâles et des femelles. L'étude montre que l'exploitation de l'Antilope saïga en Aquitaine est restreinte dans le temps (dernier Pléniglaciaire et Dryas ancien) et dans l'espace (Gironde). En Gironde, l'analyse archéozoologique détaillée de Saint-Germain-la-Rivière et de Moulin-Neuf montre que les antilopes saïga étaient présentes dans cette zone saisonnièrement. Les hommes pratiquaient alors une chasse opportuniste à petite échelle sur les hardes mixtes présentes dans l'environnement. Le reste de l'année, ils continuaient à occuper la région en exploitant d'autres espèces (Cheval, Renne, Bovinés).
archeologie_525-02-11816_tei_292.xml
termith-48-archeologie
La recherche présentée ici porte sur le matériau de construction le plus communément utilisé par les sociétés égéennes pendant la période néolithique (du vii e au v e millénaire av. J-C) : la terre crue, appelée aussi « terre à bâtir ». Elle s'appuie sur l'étude des vestiges des structures de combustion domestiques particulièrement bien conservés in situ du tell de Dikili Tash situé en Macédoine orientale (Grèce) (fig. 1). Ce site préhistorique, localisé dans la partie sud-est de la plaine de Drama, se trouve à la charnière de trois unités morpho-pédologiques différentes : les monts de Lékani (constitués principalement de marbres) qui appartiennent au socle métamorphique du Rhodope, les cônes de déjection de piémont qui ourlent leurs bases et la dépression marécageuse de Philippes qui dessine une apophyse sous la forme d'un petit vallon humide arrivant jusqu'au pied du tell (Lespez, et al., 2001; Lespez, 2008; fig. 2). Le site de Dikili Tash se présente sous la forme d'un tell haut de 16 mètres, constitué d'une superposition de couches d'occupation humaine détruites par des incendies. Il est l'un des plus grands des Balkans et l'un des rares où l'on peut suivre l'évolution des civilisations du VI e à la fin du II e millénaire avant J.-C. Identifié au début du xx e siècle, il fait l'objet de fouilles systématiques depuis 1961 dans le cadre d'une collaboration entre l' École française d'Athènes et la Société archéologique d'Athènes avec le concours du ministère français des Affaires étrangères. Lors du deuxième programme de fouille, les recherches de l'équipe française ont porté essentiellement sur le secteur V, situé à mi-pente du tell, sur une surface d'environ 150 m 2 ainsi que dans le secteur I déjà fouillé en 1972 (Treuil, 1992) (fig. 3). Elles ont mis au jour des vestiges d'habitations relativement bien conservés, permettant de reconstituer en partie les plans de pièces d'habitat avec leurs structures de combustion (Treuil, 1997). Le matériel utilisé pour l'étude présentée ici est issu de ces couches et appartient à la phase Dikili Tash I datée du début du Néolithique Récent, soit entre 5500 ans et 4500 ans av. J.-C par C 14 et par luminescence (TL et OSL in Roque C. et al., 2002). L'objectif de cette recherche était de mettre en lumière les stratégies d'exploitation des ressources naturelles et les techniques de mise en oeuvre de la terre à bâtir employées par les Néolithiques dans la construction de leurs structures de combustion. Plus précisément, il s'agissait d'approfondir les connaissances déjà obtenues sur la nature des matières premières et les techniques de préparation à partir d'observations macroscopiques, d'enquêtes ethnographiques et d'expérimentations (Prévost-Dermarkar, 2003) en développant des investigations micromorphologiques nouvelles. La méthode de recherche a donc consisté à combiner les observations macroscopiques et une étude micromorphologique de fragments archéologiques, expérimentaux et de formations naturelles situées dans l'environnement immédiat du site, afin d'en déduire la chaîne opératoire complète depuis le choix de la terre jusqu' à l'aménagement des structures. Dans la recherche actuelle, l'analyse micromorphologique des matériaux en terre à bâtir est de plus en plus utilisée pour identifier les sources d'approvisionnement en terres et les ajouts volontaires de constituants minéraux et/ou organiques (Cammas et Wattez, 1999, Hourani, 2003). Elle s'attache alors à reconnaître les composants minéraux et à discriminer les caractères micromorphologiques anthropiques de ceux hérités des matériaux sédimentaires parentaux. Cette analyse est confrontée à l'étude des pédosédiments situés à l'extérieur du site archéologique qui a pour objectif de détecter les évolutions morpho-pédologiques postérieures à la période étudiée (troncature, recouvrement, lessivage, décarbonatation, recarbonatation…) et de retrouver les sols contemporains de l'habitat. La méthode analytique choisie permet d'évaluer qualitativement le degré d'homogénéisation des constituants et de structuration des sédiments, informant sur le soin apporté au malaxage, sur l'état d'humidité de la terre à bâtir ou encore sur les contraintes mécaniques subies (Courty et al., 1989; Cammas, 2003; Wattez, 2003; Hourani, 2003; Duvernay, 2003). Les résultats des analyses micromorphologiques sont ensuite confrontés aux techniques de construction en terre crue, encore pratiquées aujourd'hui (Houben et Guillaud, 1989; Lebas et al., 2007). Cette confrontation se révèle indispensable pour interpréter les modes d'aménagement des structures archéologiques. En effet, elle permet de discuter du comportement de la terre en fonction de sa composition, de comprendre le rôle des ajouts de dégraissant ou encore d'avancer certaines hypothèses quant aux techniques de préparation de la terre par les Néolithiques. Elle s'avère ainsi complémentaire de la comparaison effectuée entre les résultats de l'analyse du matériel archéologique et ceux du matériel expérimental. La démarche de recherche a été articulée en trois étapes. (1) Dans un premier temps, les structures archéologiques et expérimentales retenues pour l'étude ont été échantillonnées par prélèvements de fragments importants décrits macroscopiquement, ainsi que les différents types de sols environnants l'habitat soit lors d'ouverture de fosses pédologiques, soit par technique de carottage. (2) Dans un second temps, pour réaliser les observations micromorphologiques, les échantillons ont été montés en lames minces de grand format (7 x 13 cm) selon une méthode adaptée de P. Guilloré (1980). La description sous microscope polarisant s'est ensuite basée sur la terminologie proposée par P. Bullock et al. (1985), adaptée aux sédiments archéologiques par M.-A. Courty et N. Fedoroff (1992). Les chartes d'abondance de ces deux ouvrages, ont été utilisées pour estimer les proportions des différents constituants. (3) Enfin, dans un troisième temps, l'identification de la pétrographie et des traits pédologiques des lames minces de terre à bâtir et de sédiments naturels ainsi obtenues ont été comparées entre elles afin de déterminer la provenance des matières premières. La caractérisation précise de l'organisation interne des constituants de la terre à bâtir archéologique confrontée aux connaissances des architectes bâtisseurs en terre crue et aux échantillons issus de l'expérimentation, ont enfin permis de discuter des choix techniques effectués par les Néolithiques pour la construction de leurs structures de combustion. Les structures analysées dans le cadre de cette étude ont été choisies du fait de leur bon état de conservation donnant une fonction générale bien assurée du type structure de combustion (fig. 4). P. Darcque Les fours appartiennent tous à la catégorie des fours domestiques simples, c'est-à-dire qu'un même espace clos sert à la fois de chambre de combustion et de cuisson (Prévost-Dermarkar, 2002; Papadopoulou et Prévost-Dermarkar, 2007). Cet espace s'appuie sur un soubassement recouvert d'une sole, elle -même surmontée par une voûte en berceau avec une ouverture sur le petit côté. La sole se prolonge parfois à l'avant par une plage aménagée. Seule la présence de fragments de voûte tombés en grande quantité sur la sole ou bien encore en place en élévation a permis de distinguer les fours des foyers. En effet, ces derniers sont tous de type à plat, donc construits avec les mêmes soubassements en pierres et les mêmes soles en terre à bâtir que les fours (Prévost-Dermarkar, 2002; Molist, 1986) (tableau 1). Pour chaque structure de combustion identifiée, un fragment de sole a été prélevé. Pour le four 400, deux couches de hourdage ont aussi été prélevées. Quant aux fragments de voûte, ils ont été échantillonnés en coupant sur toute la hauteur et dans toute l'épaisseur de la paroi la mieux conservée, soit au fond du four et à l'angle de l'ouverture. Compte tenu de la nature friable du matériau semi-cuit, en particulier celui des voûtes, les échantillons ont été prélevés avec précaution et aussitôt emballés dans du scotch très serré afin de les maintenir dans leur forme d'origine. Les blocs ainsi obtenus ont été ensuite orientés : la face supérieure des fragments de sole a été marquée ainsi que la face extérieure des fragments de voûte, puis le haut et la base de chaque échantillon. Au total, ce sont 11 fragments de soles de four ou de foyer, 2 fragments de hourdage de sole et 3 fragments de voûte de four issus de structures archéologiques qui ont ainsi fait l'objet d'une analyse en lame mince. À partir des données analytiques nées des observations archéologiques effectuées pendant et après la fouille, une série d'expérimentations a été réalisée. Elle avait pour objectif de valider ou de faire évoluer certaines hypothèses concernant les différents paramètres de mise en œuvre de la terre à bâtir (De Beaune, 2000) : le type de matériau utilisé et sa provenance, les modes de façonnage et de mise en place, la forme, le fonctionnement et l'utilisation de la structure. Les expérimentations ont été réalisées avant l'étude micromorphologique des fragments archéologiques. C'est pourquoi le choix des matériaux utilisés et les techniques de construction suivies pour la réalisation des expérimentations n'ont été fondés que sur les observations macroscopiques réalisées sur une grande quantité de fragments archéologiques. À cette échelle d'analyse, les observations ont montré que la nature des dégraissants qui entre dans la composition de la terre à bâtir était spécifique à chaque partie de la structure. Ainsi dans la pâte des soles, il s'agit uniquement de dégraissant minéraux (sables de quartz et de micas fins à grossiers et graviers); dans celles des voûtes, il s'agit d'une grande quantité de dégraissants végétaux, identifiés par leurs empreintes laissées dans la pâte et correspondant à l'enveloppe des céréales, c'est-à-dire la balle (Prévost-Dermarkar, 2003). Par ailleurs, l'aspect très compact des fragments et les empreintes fines et longues de quelques centimètres visibles sur certaines soles archéologiques dessinant à la surface un tracé circulaire (fig. 5), évoquent un étalement et un lissage de la pâte à l'aide d'un outil ou avec les doigts. S. Prévost-Dermarkar Concernant le montage des voûtes, une technique de superposition de colombins de terre à bâtir, donc sans usage d'armature en bois comme support, a été mise en évidence par l'observation de sillons horizontaux montrant un empilement de couches de section triangulaire, comparable à la technique de collage par emboîtage bien connue pour la production de la céramique néolithique (H. Balfet et al., 1989). En revanche, pour les angles à l'ouverture du four, une simple agglomération successive de couches de terre à bâtir sans façonnage préalable de colombins a été utilisée. Bien que tous ces résultats s'appuient sur l'ensemble du corpus archéologique analysé, la structure archéologique 600 (tableau 1), particulièrement bien conservée, a été privilégiée pour servir de modèle à la construction d'un four expérimental. Sa construction a débuté par l'aménagement du soubassement dans une fosse comblée de cailloux, entouré sur sa bordure de plusieurs rangées de colombins superposés, dessinant le plan ovale du four. Puis, une sole de terre à bâtir a été installée sur une épaisseur de 3 cm environ, tout en la faisant remonter contre la paroi, comme cela a été observé sur la structure archéologique. Son lissage et sa compression ont été effectués à l'aide d'un gros galet régulièrement humidifié, suivant des mouvements circulaires. Pour former la voûte, les colombins empilés successivement en partant toujours du fond du four ont été inclinés progressivement vers l'intérieur. Enfin, l'ensemble a été lissé en passant les mains humides simultanément sur les faces internes et externes de la paroi renforçant ainsi la cohésion de la voûte et façonnant son profil (Prévost-Dermarkar, 2003) (fig. 6). S. Prévost-Dermarkar L'échelle macroscopique ne permettant d'identifier l'origine des sédiments fins utilisés dans la construction des soles ou des voûte archéologiques, il a été décidé d'utiliser la terre du tell pour réaliser ces expérimentations en y incorporant les dégraissants reconnus. Pour confectionner la sole expérimentale, le mélange utilisé a donc été composé de terre du tell tamisée et de sable ajouté. Après avoir été tout d'abord travaillé à sec à la main, puis aux pieds, l'eau a été progressivement ajoutée jusqu' à l'obtention d'une préparation suffisamment souple pour être étalée. Le mélange préalable à sec a permis de donner une plus grande homogénéité à la pâte et faciliter le malaxage. Pour façonner les colombins de terre à bâtir destinés à la voûte expérimentale (de 20 cm de long sur 10 cm d'épaisseur chacun), le mélange a été réalisé à partir de la même terre du tell tamisée, de balle d'amidonnier de fraction grossière (car produite par des procédés modernes) et d'eau. La proportion de dégraissant végétal incorporé dans les fragments archéologiques a pu être évaluée à environ 56 % du mélange par l'utilisation d'un référentiel mis au point par méthode expérimentale. Cependant pour le modelage des colombins expérimentaux, cette proportion a rarement été atteinte car elle gênait le travail d'homogénéisation de la pâte, d'adhérence lors de la mise en place des niveaux de colombins et de lissage des surfaces. Ces constatations ont d'emblée posé la question du choix des matériaux utilisés et de leur préparation (en particulier du dégraissant végétal) pour la construction des structures expérimentales. Afin de comparer de manière microscopique les échantillons archéologiques et expérimentaux, quatre échantillons de cette structure expérimentale ont fait l'objet d'analyses micromorphologiques : deux fragments de soles et deux fragments de la voûte, correspondant aux deux unités principales constitutives d'un four domestique. L'acquisition des données sur les sols et les formations superficielles disponibles pour la construction en terre crue repose sur une connaissance approfondie de l'environnement du site (Lespez et al., 2001; Lespez, 2008a; Lespez, sous-presse) et du postulat de départ que les hommes du Néolithique ont exploité les ressources en terre proches de leur habitat. La caractérisation des sols et des formations superficielles disponibles au cours du Néolithique pose néanmoins le problème de la représentativité des sols et des formations superficielles contemporains de ceux qui ont pu exister plus de 7 000 ans auparavant. L'étude géomorphologique est donc un préalable indispensable afin de déterminer le potentiel d'évolution morpho-pédologique de l'espace étudié. Dans le cas présent, elle révèle la stabilité d'ensemble des principales unités morpho-pédologiques. Malgré une érosion des profils pédologiques attestées par des dépôts corrélatifs à partir de l' âge du Bronze (Lespez et al., 2001), les sols très minces et carbonatés développés sur les marbres (rendosols et lithosols) qui caractérisent aujourd'hui les premières pentes raides des Monts de Lékani n'ont jamais dû être beaucoup plus épais. L'approfondissement des profils de ces sols très pierreux est contraint par la valeur de la pente et leur teneur en carbonate. En revanche, les sols bruns limono-sableux plus ou moins pierreux développés sur les micaschistes et les gneiss ont pu avoir des profils plus épais (>50 cm) parfois marqués par un début de lessivage. La grande stabilité des cônes de déjection de piémont, sur lesquels s'est établi le site, est avérée depuis la dernière période froide au moins (Lespez et Dalongeville, 1998). Ils sont caractérisés par une catena de sols qui, d'amont en aval, possèdent une texture de plus en plus fine. On passe ainsi des sols caillouteux développés sur les parties apicales des cônes détritiques du Pléistocène à des sols bruns plus épais, lessivés et rubéfiés marqués par des horizons d'accumulation de carbonates favorables à l'apparition de nodules diffus ou plus indurés. Il est possible que sous le climat plus humide qui caractérisait le Néolithique à l'échelle régionale (Lespez, 2008b), les processus de lessivage des carbonates aient été plus actifs qu'aujourd'hui favorisant la décarbonatation des horizons supérieurs des sols en particulier vers l'aval où la pierrosité du sol est faible. Enfin, l'extension des milieux humides était proche de l'actuel. Le fond marécageux du petit vallon, alimenté par une grosse exsurgence localisée juste au nord du site, fut alors caractérisé par des sols hydromorphes, carbonatés, peu évolués et plus ou moins organiques. Les terrains humides du marais de Philippes situés à quelques centaines de mètres au sud de l'habitat néolithique ont eux toujours porté des sols tourbeux. Dans ce contexte, l'échantillonnage a été concentré sur les sols et formations superficielles de cônes de déjection environnant l'habitat et sur les milieux humides avoisinant qui semblaient les plus susceptibles de fournir des ressources de qualité variée à une distance raisonnable de l'habitat. Les échantillons ont été prélevés en coupe dans les profils contemporains mais également sur du matériel issu de quatre carottages et de sondages afin d'atteindre des paléosols et des formations superficielles qui pouvaient avoir été exploitées par les populations néolithiques (fig. 1 et tab. 2a et b). C. Germain-Vallée Les onze échantillons de soles de foyer ou de four analysés possèdent tous deux à trois unités microstratigraphiques : l'unité supérieure, qui n'est pas toujours présente, est une unité carbonatée constituée de micrite correspondant probablement à un reste de cendres (fig. 7d). Aux échelles macroscopiques, cette unité se présentait comme une très fine couche superficielle blanchâtre. Les deux unités inférieures correspondent, quant à elles, au matériel sédimentaire proprement dit et se différencient par leur couleur, allant du brun foncé au rouge, sans doute due à l'impact de la cuisson. Le sédiment utilisé pour fabriquer ces soles est toujours le même, de texture grossière avec une fraction sableuse hétérométrique souvent supérieure à 60 % de l'ensemble du matériel allant souvent jusqu' à contenir des graviers (fig. 7a, b et c). La masse fine est la plupart du temps carbonatée. Seuls deux échantillons apparaissent clairement décarbonatés, mais proviennent de la même sole (four 400). Le sédiment comporte des particules opaques, mais jamais de fibres végétales. Tous les fragments de soles possèdent une microstructure très massive avec de rares vides (fig. 7a et 7b). On note cependant, de nombreuses fissures subhorizontales fines dans les échantillons de sole des structures 600 et 642 (fig. 7c), tandis que les échantillons issus de l'hourdage du four 400 présentent de nombreux vides composés de grandes cavités de forme polyconcaves. C. Germain-Vallée) Les trois fragments analysés, dont deux appartenant au four 600, présentent chacun, deux unités de couleur différente, allant du brun clair au brun rouge, probablement liées à l'exposition à la chaleur. Leur texture argilo-limoneuse à limono-argileuse est particulièrement fine au regard des fragments de soles analysés (fig. 8a). On note seulement la présence de quelques sables grossiers composés de quartz polycristallin et pour l'échantillon du four 614 quelques fragments sableux de marbre très altérés (fig 8c). Quelques paillettes micacées et de rares papules d'argiles hyalines entrent aussi dans la composition de ces fragments. Dans les trois lames analysées, la masse basale est décarbonatée; les rares traits carbonatés observés dans l'échantillon issu du four 614 correspondent à des carbonatations secondaires formés par des processus pédologiques post-enfouissement des vestiges archéologiques. Il s'agit d'hyporevêtements carbonatés et de cristaux de calcite de forme aciculaire observés dans certains vides d'origine biologique. Les premiers sont liés à des processus physico-chimiques de redistribution des carbonates contenus dans les eaux de circulation, tandis que les seconds proviennent de l'activité fongique qui se développe aux dépens des racines végétales mortes (Verrecchia, 2002). Ces échantillons et surtout le fragment de la voûte 614 présentent tous de nombreux agrégats résiduels subarrondis qui n'ont pas été mélangés au reste du matériel (fig. 8b). Comme cela a été observé macroscopiquement (Martinez, 1996), la caractéristique majeure de ces fragments est l'importance des ajouts en fibres végétales. Le fragment issu du four 614 est celui qui en contient le plus, puisque les fibres végétales constituent approximativement 50 % du matériau (fig. 8a). Dans les fragments du four 600, elles sont disposées aléatoirement et sont inégalement réparties dans la masse basale, contrairement à l'échantillon du four 614 où elles sont orientées sub-parallèlement et dessinent dans leur globalité un arc de cercle. Dans cet échantillon, elles semblent former quatre couches successives séparées par de larges fissures courbées. Les fibres végétales s'observent dans les nombreux vides fins et allongés qui forment l'essentielle de la porosité de ces échantillons sous la forme de phytolithes en assez bon état de conservation dont la longueur varie de 2 à 4 mm et la largeur de 50 à 100 µm (fig. 8d). Dans le fragment du four 614, elles ont été identifiées comme étant des éléments caractéristiques de glume de céréales domestiquées tels que le blé (Triticum) ou l'orge (Hordeum) (Ball et al., 1999; Piperno, 2006; Delhon, 2007). Dans les échantillons du four 600, la porosité est aussi constituée d'assez nombreuses petites fissures d'orientation sub-verticales d'un centimètre maximum de longueur, de cavités fermées parfois de grandes tailles (jusqu' à 1,5 cm de section) et de chenaux d'origine biologique (animale et végétale). C. Germain-Vallée) Deux échantillons de soles du four expérimental ont été analysés. Le premier, (l'échantillon n° 89) provient du centre de la sole, le second (le n° 90) du fond du four. Dans chacun d'eux, la sole proprement dite se subdivise en deux unités microstratigraphiques se différenciant par leur couleur due à l'action de la chaleur : une unité supérieure peu épaisse, brun sombre à brun noir et une unité inférieure, brune à brun clair. Dans l'échantillon issu du centre de la sole, une troisième unité cendreuse micritique s'individualise au sommet du sédiment. La texture de la terre à bâtir de cette sole expérimentale est sablo-limoneuse à sablo-argileuse (fig. 9a). Les éléments grossiers sont majoritairement des sables grossiers quartzeux ajoutés à la terre du tell. On note également la présence de nodules ferrugineux, de quelques charbons et de micro fragments osseux. Enfin, de nombreux agrégats résiduels mal mélangés au reste du sédiment ont été observés. Dans ces deux échantillons, la porosité est très développée. Il s'agit de nombreux vides en petites vésicules et en cavités de dimensions parfois importantes, de formes souvent polyconcaves. Deux fragments de la voûte du four expérimental ont été étudiés en lame mince (fig. 9B). Le premier se situe au fond du four, le second provient du sommet de la voûte. Ils présentent tous les deux, deux unités microstratigraphiques de couleurs différentes liées à l'action de la chaleur. La texture sablo-limoneuse du sédiment est hétérogène; les éléments sont en effet inégalement répartis dans la masse fine carbonatée. Des agrégats très organiques, des microfragments osseux et quelques gros charbons ont été par ailleurs identifiés. Les fibres végétales ajoutées au sédiment sont de tailles hétérométriques. Certaines sont associées à des vides fins et allongés comparables aux fragments archéologiques, d'autres sont de taille nettement plus grossière. Elles sont inégalement réparties dans le matériau, toutefois la constitution en boudin est perceptible dans le fragment issu du sommet de la voûte. En dehors des vides liés aux fibres végétales, la porosité relativement importante de ces fragments de voûte comprend également de grandes cavités, des fissures subhorizontales et de nombreuses vésicules. Que ce soit dans la terre à bâtir des soles ou dans celle des voûtes néolithiques, aucun élément d'origine anthropique n'a été révélé par l'observation micromorphologique. En revanche dans les échantillons expérimentaux fabriqués à partir de la terre du tell, des microfragments osseux, des agrégats organiques ou encore des particules charbonneuses ont été identifiés. Ces observations témoignent de l'utilisation par les Hommes du Néolithique, de sédiments issus de formations naturelles situées hors de la zone d'habitat. Étant donné la grande quantité nécessaire (environ 256 litres pour le four expérimental), cette terre, une fois extraite, était probablement transportée à proximité du lieu de construction de la structure pour y être préparée. Ceci confirme l'utilisation par les Néolithiques, des ressources naturelles proches de l'habitat. L'analyse micromorphologique a démontré que deux types de terre ont été employés pour bâtir les structures de combustion selon qu'il s'agisse des soles ou des voûtes. Les soles sont composées d'un sédiment sablo-limoneux carbonaté, alors que les voûtes de four sont élaborées à partir d'un sédiment de texture fine décarbonaté. Pour les soles, les sédiments sablo-limoneux des cônes de déjection peuvent, sans problème, convenir. Tout au plus peut-on se demander s'il n'y a pas eu parfois un ajout de dégraissant minéral, mais, dans ce cas, ce dernier possède la même origine. Dans certaines soles, on relève l'absence de nodules micritiques, pourtant très présents dans les horizons de sol développés aujourd'hui dans les sédiments des cônes de déjection. Ces sols sont issus d'une longue évolution marquée par des périodes d'érosion et de troncature ainsi que par des apports colluviaux répétés depuis l' âge du Bronze. En revanche, l'ambiance forestière qui prédominait sur les piémonts de la plaine de Drama jusqu'au Néolithique (Lespez et al., 2001, 2008a) a du favoriser la genèse de sols plus profonds et mieux décarbonatés. L'absence occasionnelle de nodule micritique pourrait ainsi s'expliquer par un prélèvement dans les horizons supérieurs de ces sols aujourd'hui tronqués. Le matériel des voûtes de four est, quant à lui, fin et décarbonaté avec de rares fragments d'argiles hyalines. Aucun sédiment naturel échantillonné ne correspond intégralement à cette description. Les sédiments limoneux décarbonatés rubéfiés qui semblaient les plus proches ne peuvent convenir du fait de la faible quantité d'argile hyaline dans le matériel archéologique. Ainsi, le sédiment qui paraît le plus proche de celui des voûtes de fours néolithiques correspond aux sédiments limono-argileux décarbonatés que l'on peut trouver sur certains sols des parties médianes ou distales des cônes de déjection (par exemple l'échantillon DKT 33). Il faut cependant en enlever la fraction la plus grossière (par tamisage ou décantation) sachant que le dégraissant est principalement constitué par des fibres de graminées. Trois caractéristiques micromorphologiques majeures définissent la terre des soles de four ou foyer néolithiques de Dikili Tash. Il s'agit d'une part, d'un matériel de texture hétérogène où toutes les classes granulométriques sont représentées. D'autre part, ce matériel apparaît très bien malaxé comme le suggère la répartition très homogène de ces grains et l'absence ou la rareté des agrégats résiduels (Cammas, 2003; Wattez, 2003; Hourani, 2003). Enfin, il est très massif avec une porosité quasi-nulle (rares petites cavités fermées). Ces caractéristiques s'opposent assez fortement à celles de la sole expérimentale qui, même si elle présente également une texture hétérogène, contient des sables essentiellement grossiers. En outre, cette sole expérimentale présente des agrégats résiduels et une porosité importante malgré un malaxage qui avait été volontairement poussé. Les caractéristiques micromorphologiques des soles néolithiques de Dikili Tash témoignent d'une mise en œuvre élaborée visant, selon les termes des architectes bâtisseurs en terre crue d'aujourd'hui, à stabiliser la terre. La stabilisation est définie par un certain nombre de procédés permettant d'améliorer les caractéristiques de la terre afin qu'elle soit plus résistante aux sollicitations mécaniques, aux écarts importants de température ou encore, à l'action de l'eau (Houben et Guillaud, 1989). Cette terre apparaît en effet, très soigneusement malaxée (premier moyen de la stabiliser en redistribuant les grains; Houben et Guillaud, 1989). Ce réarrangement des grains entre eux n'est possible qu'avec une teneur en eau idéale assurant une bonne lubrification des grains. Cette étape a probablement été réalisée avec une terre dans un état plastique, dit de pâte ferme à mi-molle, c'est-à-dire avec une teneur en eau de 15 à 30 % (Houben et Guillaud, 1989). Par ailleurs, la microstructure très massive de ces matériaux et la petite taille des vides suggèrent que cette terre ait été comprimée au moment, ou après son application. En effet, une terre même très bien malaxée à l'état humide contient des vides en vésicules correspondant à l'emprisonnement de bulles d'air (Cammas, 2003; Wattez, 2003). Par ailleurs, les expérimentations ont montré, qu'un séchage lent de la sole était nécessaire pour éviter les fissures. Toutefois, l'analyse micromorphologique de la sole expérimentale révèle une porosité importante composée de vésicules, de grandes cavités et de fissures alors que, dans les soles néolithiques, aucune vésicule ni grande cavité n'ont été détectées. Nous supposons donc qu'après son application en couche, les Néolithiques ont fortement compacté la sole de leur four ou foyer. Cette action a pour effet de densifier la terre ainsi que d'évacuer un maximum d'air en réduisant les vides tout en les répartissant dans l'ensemble du matériau (Houben et Guillaud, 1989). Ce compactage est d'autant plus efficace que la texture de la terre utilisée par les Néolithiques, est qualifiée de parfaite par les architectes, spécialistes de la terre crue. Cette texture permet en effet, au moment du pétrissage, que les vides laissés entre chaque groupe de grains soient comblés par un autre groupe de grains quitte à rajouter au sédiment naturel la fraction granulométrique manquante au moment du pétrissage. Comme la comparaison avec les échantillons naturels il est possible qu'une fraction de sables très grossiers et de graviers ait été parfois ajoutée au sédiment de certaines de ces soles. Enfin pour que ce compactage soit efficace, il faut qu'il soit réalisé avec une terre dans un état peu humide à humide, soit à un taux d'humidité de 4 à 18 % (Houben et Guillaud, 1989) donc probablement au fur et à mesure du séchage de la sole à l'aide d'un outil. Cela peut-être rapproché par exemple, de l'élaboration de la bauge, technique de fabrication de mur en terre crue dans le nord-ouest de la France, pour laquelle le compactage réalisé au bâton au cours du séchage, permet de réduire les fissures (Lebas et al., 2007). Parmi les échantillons archéologiques observés, seuls les fragments des soles 600 et 642, présentent de nombreuses fissures subhorizontales qui parcourent toute la largeur des fragments analysés. Leur formation liée à des contraintes mécaniques (Cammas, 2003; Wattez, 2003) témoignent peut-être de la pose dans un état plus humide de la terre utilisée pour fabriquer ces deux soles. Les fragments de hourdage du four 400 témoignent, quant à eux, du soin modéré apporté à leur construction. Ils apparaissent moins homogènes donc moins bien malaxés et présentent de nombreux vides de grande dimension. Cette mise en œuvre moins élaborée tient probablement au fait que les hourdages sont soumis à des contraintes moins importantes. Les caractères micromorphologiques dominants de la terre à bâtir des voûtes sont sa texture très fine et une quantité très importante de fibres végétales ajoutées. Comme pour les soles, la technique de mise en œuvre utilisée pour les voûtes témoigne d'une grande maîtrise du travail de la terre à bâtir par les Néolithiques de Dikili Tash. Une terre de texture très fine a été volontairement utilisée pour pouvoir y incorporer une quantité importante de fibres. La sélection d'horizons pédologiques argileux indique une connaissance approfondie des matières premières disponibles dans l'environnement proche. Compte tenu des observations menées sur les sols d'aujourd'hui, l'hypothèse d'une intervention additionnelle des hommes sur la texture du matériau naturel, par une étape préalable « d'épuration » des fragments grossiers, est aussi envisageable. Cette première étape a pu être effectuée par décantation des sédiments afin d'enlever la fraction grossière remplacée par un apport massif de fibres végétales. Dans la terre à bâtir de la voûte expérimentale, il n'a pas été possible d'ajouter une aussi grande quantité de fibres, en raison de la texture trop grossière du sédiment et surtout du dégraissant végétal utilisé. L'ajout de fibres dans la terre, comme celui de dégraissant minéral, est un moyen de stabiliser le matériau en constituant une armature interne omnidirectionnelle (Houben et Guillaud, 1989). En formant une sorte d'ossature, les fibres végétales empêchent la fissuration au séchage, tout en l'accélérant. L'ajout important de fibres a été d'autant plus nécessaire que cette terre des voûtes était de texture très fine et donc sujette à un fort retrait au séchage (Prévost-Dermarkar, 2003). La mauvaise répartition des fibres végétales repérées dans les deux fragments de parois du four 600, explique peut-être les nombreuses petites fissures observées dans ces fragments. L'incorporation d'une telle quantité de fibres végétales semble exprimer le souhait de la part des Néolithiques d'obtenir une terre aux propriétés particulières permettant d'une part, de faciliter la construction de ce type voûte et d'autre part, d'optimiser le fonctionnement des fours domestiques. Un ajout important de fibres dans une terre à bâtir permet, en effet, d'améliorer ses propriétés isolantes tout en l'allégeant (Lebas et al., 2007; Houben et Guillaud, 1989; Martinez, 1996). Ainsi les voûtes devaient favoriser le maintien d'une chaleur importante et constante à l'intérieur du four, tandis que le gain de légèreté était avantageux pour assurer la tenue du sommet des voûtes sans armature interne (Prévost-Dermarkar, 2003). Enfin, les fibres ont aussi l'avantage d'assurer une certaine cohésion de la matière facilitant son emploi pour le façonnage en colombins (Lebas et al., 2007). Une fois le mélange du sédiment et des fibres réalisé, l'étape suivante consiste au façonnage des colombins pour le montage des parois et de la voûte du four. D'après les bâtisseurs en terre crue d'aujourd'hui et nos expérimentations, pour obtenir une terre façonnable en colombins, le mélange de fibres, d'eau et de terre doit être réalisé jusqu' à l'obtention d'une composition homogène, plastique, à l'état dit de pâte ferme c'est-à-dire avec une teneur en eau de 15 à 25 % (Houben et Guillaud, 1989). Le fragment du four 614 apparaît être le matériel le mieux travaillé avec une répartition uniforme des fibres végétales dans l'ensemble de sa masse. On remarque l'organisation subparallèle des fibres en arc de cercle, sans doute due au fait que cet échantillon provient de l'angle du four. Trois fissures, relativement larges, courbes et subparallèles à l'organisation des vides de morphologie végétale, ont également été observées suggérant la pose d'un matériel en couches successives, de quelques centimètres d'épaisseur. Ces observations corroborent les observations macroscopiques faites, quant aux montages des angles des parois de four. Grâce aux expérimentations et aux analyses micromorphologiques des sédiments naturels, archéologiques et expérimentaux, nous avons pu retracer les différentes étapes de construction des fours domestiques néolithiques, tels que ceux mis au jour sur le tell de Dikili Tash. L'étape préalable consiste à rechercher et collecter les différentes matières premières (en particulier, la terre), étape apparue comme la plus longue de l'expérimentation. A. Cocollos Les étapes suivantes, schématisées dans la figure 10, se succèdent ainsi : – étapes 1 et 2 : creusement d'une fosse puis mise en place d'un soubassement en pierres. – étape 3 : préparation de la terre à bâtir. Pour la sole : un malaxage aux pieds a été réalisé tout d'abord de la terre à sec pour l'émietter (ajout possible de dégraissant sableux dans certains cas), puis avec l'incorporation progressive de l'eau jusqu' à obtenir un matériau plastique. Dans le cas des expérimentations, ce malaxage a duré une vingtaine de minutes, mais nous pouvons supposer que les Néolithiques ont effectué cette opération sur un temps plus long, compte tenu de la qualité de la terre à bâtir utilisée. Pour la voûte : une fois, le sédiment épuré à la main, puis par décantation (?), il a probablement été séché et émietté à sec d'où la présence de nombreux agrégats arrondis, ressemblant à des grumeaux. Il y a eu, ensuite, un mélange avec des fibres végétales (de la balle de céréales vêtues, engrain ou amidonnier, préalablement décortiquées à sec dans un mortier), puis incorporation progressive d'eau tout en mélangeant aux pieds. Ce foulage a été effectué jusqu' à l'obtention d'une pâte plastique suffisamment humide pour pouvoir modeler les colombins et les faire adhérer les uns aux autres. – étapes 4 à 9 : construction du four en respectant des temps de séchage nécessaires pour obtenir une sole parfaitement compactée et lissée ainsi que pour réaliser le montage des colombins des parois et de la voûte du four. D'après les expérimentations, la construction d'un tel four s'est probablement étalée sur plusieurs jours. Les observations faites sur les échantillons de Dikili Tash témoignent d'abord du grand soin apporté par les Hommes du Néolithique à la fabrication et à la mise en œuvre des soles et voûtes de four domestique. Ce soin s'exprime par une sélection rigoureuse et une préparation très poussée de la terre utilisée pour chacune des parties du four. Les Néolithiques de Dikili Tash avaient donc développé une connaissance fine des matériaux dont ils disposaient. Si la terre choisie pour bâtir les soles présentait une granulométrie hétérogène sablo-limoneuse qui permettait de la compacter et d'obtenir ainsi un matériau très résistant aux écarts importants de température, la terre des voûtes, de texture très fine, a probablement été corrigée par purification, favorisant ainsi une incorporation très importante de fibres végétales. Cet ajout, en augmentant la cohésion de la terre et en l'allégeant, a certainement facilité la confection de colombins et ainsi le montage sans armature interne de la voûte. Cet apport a également eu pour effet d'améliorer les propriétés isolantes du matériau. Ainsi, est confirmée l'hypothèse selon laquelle, les choix des constructeurs se portaient non seulement sur la quantité, mais aussi sur la qualité du dégraissant végétal de la terre à bâtir. Un approfondissement de l'étude de ces dégraissants végétaux est donc nécessaire, pour compléter notre compréhension des techniques de construction néolithiques. Par ailleurs, l'étude du matériel expérimental a permis une évaluation des expérimentations menées jusqu' à ce jour. Si nous avions considéré a priori, que l'on pouvait obtenir un résultat « assez satisfaisant » en recourant à des matières premières non sélectionnées soigneusement, les résultats montrent en fait que l'on ne peut fabriquer une structure de combustion avec n'importe quel matériau. Dans la perspective de nouvelles expérimentations, il faudra désormais sélectionner rigoureusement la provenance de la terre, tenir compte des modes de préparation et de mise en place du matériau terre à bâtir révélés dans le matériel archéologique par les analyses micromorphologiques. Plus généralement, chaque opération de traitement de la terre à bâtir, révélée par les analyses et les expérimentations, n'est pas compliquée en elle -même, mais, la somme de toutes ces opérations montre un degré de complexité assez élevé. À ces choix techniques correspond un investissement en temps de travail important, comme le laissent entrevoir les expérimentations. Enfin, cette chaîne opératoire complexe a été respectée pour les 12 fragments de soles de foyers ou de fours analysés, témoignant d'un savoir-faire technique partagé et ce, peut-être sur une durée non négligeable. Cette recherche met ainsi en évidence la complexité, mais également une certaine standardisation des processus de production des structures de combustion du site de Dikili Tash et cela dès le Néolithique. Cette standardisation pourrait paraître assez contradictoire avec le mode de vie domestique du début du Néolithique récent. Mais, cette contradiction n'est en fait qu'apparente, car certains domaines, dont la signification sociale et symbolique sont très fortes, peuvent être l'objet d'un très grand investissement de la part du groupe (Malamidou et al., 2006). Cela pourrait être le cas des fours domestiques, qui occupent une place centrale pour la maisonnée; à la fois source de lumière et de chaleur, ils jouent un rôle essentiel dans la préparation des aliments et structurent de façon décisive l'espace domestique (Roodenberg, 1999). Ainsi, la construction de fours domestiques, dans le contexte d'un habitat permanent, revêtirait une importance socio-culturelle primordiale pour le groupe .
La terre crue ou « terre à bâtir » constitue le matériau de construction le plus utilisé par les sociétés égéennes pendant le Néolithique (du VIIe au Ve millénaire av. J.-C.). Lobjectif de cet article est de mettre en lumière les stratégies d'exploitation des ressources naturelles et les techniques mises en oeuvre par ces sociétés protohistoriques dans la construction des structures de combustion, vestiges particulièrement bien conservés (grâce à l'action du feu) sur le site de Dikili Tash (Macédoine orientale grecque). Les méthodes de recherche ont consisté à combiner des observations macroscopiques à une étude micromorphologique de fragments archéologiques et expérimentaux. Dans un premier temps, cette étude a permis de caractériser la pétrographie des sédiments employés et de déterminer leur provenance en les comparant aux résultats de l'étude géomorphologique des formations superficielles environnant le site. Dans un second temps, ces méthodes analytiques ont permis la caractérisation précise des matériaux élaborés qui sont révélateurs des choix techniques réalisés pour la fabrication et la mise en oeuvre des structures de combustion. Cette recherche met ainsi en évidence la complexité mais également une certaine standardisation des processus de production des structures de combustion en contexte domestique dès le Néolithique.
archeologie_12-0313893_tei_370.xml
termith-49-archeologie
Deux dépôts importants d'Italie du sud, la grotte della Cala et la grotte Paglicci, connus depuis des décennies pour l'ampleur des séries stratigraphiques et l'abondance de matériel lithique et osseux (Palma di Cesnola 1993) offrent l'opportunité d'analyser et de confronter, à travers l'étude des restes fauniques, les milieux qui ont hébergé les populations gravettiennes au cours du Pléniglaciaire supérieur. L'intérêt de cette confrontation naît des fortes différences entre les associations fauniques découvertes, liées à la morphologie des territoires et aux différents régimes thermo-pluviométriques entre les versants tyrrhénien et adriatique. La grotte della Cala s'ouvre sur la côte du Cilento, à Marina di Camerota (province de Salerno), dans une zone caractérisée par un complexe de montagnes et de collines qui se développe en hauts plateaux sillonnés par une des vallées principales du réseau. L'aire (aujourd'hui recouverte par la mer) qui s'étendait face à la grotte, devait être d'extension limitée. La grotte Paglicci, sur le versant adriatique, est située sur les premiers contreforts du complexe montagneux du Gargano, sur la commune de Rignano. Le territoire concerné par l'activité de la chasse pendant le Gravettien était constitué par la vaste plaine de Foggia qui s'étend au sud du promontoire et par l'aire montagneuse qui se développe depuis la grotte en pentes escarpées séparées par de brefs hauts plateaux jusqu' à une altitude d'environ 500 m au-dessus du niveau de la mer (fig. 1). L'élément fondamental du paysage qui distingue ces deux dépôts est constitué justement par la vaste plaine qui s'étend au pied de cette grotte. Une majeure aridité caractérise actuellement le versant adriatique italien et constitue, probablement, le deuxième élément qui a eu un rôle déterminant dans la diffusion d'associations fauniques aussi diverses. Les recherches dans la grotte della Cala ont concerné deux secteurs. Le premier, à l'intérieur de la cavité a fourni, pour ce qui concerne la séquence du Paléolithique supérieur, des couches du Gravettien évolué et de l'Epigravettien évolué et final (Palma di Cesnola 1971, 1996; Martini 1978, 1981). Dans le second secteur de fouille, situé dans l'entrée de la grotte, outre des évidences du Gravettien évolué, de l'Epigravettien évolué et du Mésolithique, des couches concernant le Gravettien ancien, l'Aurignacien et l'Uluzzien (Benini et al. 1997; Boscato et al. 1997; Andrian 2003; Terziani 2003). Les associations fauniques de la phase gravettienne sont caractérisées par la haute fréquence de Cervus elaphus, espèce qui reste continuellement la plus nombreuse dans toutes les couches (tab.1). Cet ongulé, qui a le plus grand nombre de présences dans les couches du Gravettien le plus récent, jusqu' à 90 % du total des restes découverts, est accompagné par Sus scrofa et par Capreolus capreolus qui, même si dans des valeurs proportionnellement très inférieures, portent l'ensemble des espèces de l'environnement forestier à la domination absolue. Les espèces de milieux ouverts ou mixtes comme Bos primigenius, Capra ibex, Equus hydruntinus et Rupicapra étaient chassés en quantité minime. Il est intéressant de noter comment, du Gravettien antique au Gravettien évolué, les variations les plus significatives concernent essentiellement les deux cervidés : Cerf et Chevreuil compensent réciproquement leurs augmentations et diminutions, probablement en relation avec les mutations de la structure de la forêt. Les datations à disposition pour le Gravettien ancien, 26 880 ± 320 BP (str. 3d) et 26 380 ± 260 BP (str. 1m), situent ces couches parmi les interstades de Kesselt et Tursac. Pour le Gravettien évolué, la série de l'entrée a fourni la date de 24 620 ± 220 BP dans la couche 10. Dans l'aire de Marina di Camerota, deux autres grottes à dépôts gravettiens ont été étudiées. La grotte della Serratura, située à un kilomètre environ de la grotte della Cala, a fourni dans la zone de l'entrée des matériels du Gravettien évolué et final que l'on pourrait situer au sommet de la série gravettienne intérieure de la grotte della Cala (Martini 1993; Di Giuseppe 2002). Les associations fauniques découvertes reproduisent le cadre déjà observé, avec le Cerf en nette prédominance, suivi par le Sanglier et le Chevreuil. La grotte della Calanca, un peu plus au nord, a toujours restitué des associations avec une nette domination du Cerf, suivie par le Chevreuil et le Sanglier. Le fait nouveau pour cette grotte est l'apparition du Cheval qui, accompagné même de façon sporadique par une plus grande quantité d'Aurochs que celle retrouvée dans les deux dépôts précédents, témoigne peut-être d'une aire en plaine plus étendue (Sala 1983). La série interne du Paléolithique supérieur de la grotte Paglicci, de l'Aurignacien à l'Epigravettien final, couvre de manière continue un arc temporel d'environ 23 000 ans (Palma di Cesnola 1993). A l'intérieur de celle -ci, la séquence gravettienne, de la couche 23c à la couche 18b, a fourni une série d'associations fauniques qui documentent les variations de l'environnement lors des phases anciennes, évoluée et finale, de cette culture (tabl. 2). L'ensemble de ces associations est caractérisé par l'abondance de taxons de milieu ouvert. Le Cheval, dans quelques niveaux du Gravettien évolué et final, atteint plus de 50 % des ongulés chassés. Le Bouquetin, presque toujours abondant, est l'ongulé le plus chassé dans les couches 20d÷21b du Gravettien évolué. L'Aurochs, bovidé de milieu mixte est, par contre, l'espèce dominante dans la couche 22 du Gravettien ancien. Dans toute la séquence gravettienne, les présences d'espèces d'environnement forestier sont négligeables. Le Chevreuil est presque absent, le Sanglier rare et le Cerf varie entre 1 et 8 %. Le détail stratigraphique de Paglicci permet de reconnaître les variations climatiques à travers les changements des différents taxons d'ongulés, dans un contexte environnemental à prédominance aridité et faible couverture arborée. Avec les datations à disposition (tabl. 3), il est possible de relier les associations à des phases chronologiques. Les niveaux les plus hauts de la couche 23 sont à rapporter à l'interstade de Kesselt alors que les niveaux supérieurs de la couche 22 sont probablement liés à la transition froide Kesselt-Tursac (Boscato 1994). L'ensemble des couches 21b÷20c témoignent, avec de hautes valeurs pour le bouquetin et la présence de marmottes, d'une phase très froide qui se rapporte à la fin du Pléniglaciaire supérieur (S.I.2). Par contre, les couches 18 et 19 sont liées à une phase plus tempérée : l'interstade de Laugerie (Sala 1983) (fig. 2). Les associations fauniques des couches gravettiennes de ces deux dépôts, éloignés l'un de l'autre de 190 km en ligne droite, présentent des diversités qui, probablement, ont eu un poids dans l'évolution des modèles culturels des populations des deux sites. Les restes osseux retrouvés appartiennent probablement à des espèces chassées en rapport étroit avec la possibilité de les rencontrer. Ainsi, les fréquences des différents taxons représentent l'étendue de leurs habitats et les changements climatiques qui ont eu une influence sur ces derniers. Dans l'ensemble faunique de la grotte della Cala, le caractère le plus évident est constitué par l'abondance du Cerf. Cet Ongulé, outre qu'il représente un milieu boisé diffus, a constitué pendant des millénaires l'élément primordial de l'économie de chasse dans cette aire. Au cours du Gravettien et de l'Epigravettien évolué, les fluctuations climatiques dans cette portion de côte tyrrhénienne, protégée des vents froids du nord-est, n'a pas influé de manière évidente sur la composition des associations d'ongulés. Pendant cette longue période, les vastes forêts de l'arrière-pays du Cilento ont probablement contribué à la consolidation d'une économie de chasse et cueillette basée essentiellement sur l'exploitation de cet environnement spécifique et, en particulier, sur la chasse au cerf. Par contre, un cadre différent émerge de la grotte Paglicci sur le versant adriatique de la Péninsule. Dans la séquence gravettienne, le caractère évident dans les associations fauniques est la variabilité de leur composition. Les mutations climatiques, dans ce cas, ont probablement eu un poids plus important que sur la côte du Cilento dans l'évolution du milieu et dans la diffusion des différents taxons. Dans des environnements principalement ouverts en prairies ou prairies arborées, les chasseurs gravettiens de Paglicci ont dirigé leur activité simultanément sur les ongulés de tailles, de milieux et de comportements différents. La présence d'une espèce chassée avec l'intensité et la continuité du Cerf de la grotte della Cala n'est pas attestée dans ce dépôt. La réalisation de stratégies de chasse spécifiques pour les différents taxons et leurs différentes modalités d'exploitation des carcasses ont probablement caractérisé les cultures de ce site : de la chasse en groupe à des troupeaux d'ongulés de grandes tailles comme l'Aurochs ou le Cheval, à l'abattage d'espèces comme le Bouquetin ou le Chamois (ce dernier difficile à capturer) sur les versants des collines et à la chasse sporadique, en milieu forestier, de Cerfs et de Sangliers. Au cours de l'occupation de la grotte Paglicci, le contenu des différentes couches montre de façon évidente un changement continu dans la composition des associations à ongulés. Les populations gravettiennes de cette grotte, à la différence de celles de la côte du Cilento, ont dû diriger leur activité de chasse, à travers de nombreuses générations, vers différentes espèces d'ongulés, en rapport avec la fréquence des rencontres et l'extension des divers types d'habitat. Dans l'évaluation des caractéristiques culturelles et technologiques du Gravettien de ces dépôts, il faudra être attentif aux diverses réalités environnementales et aux différents substrats fauniques qui ont permis le développement des économies de chasse respectives .
Les couches gravettiennes de la grotte della Cala, sur la côte tyrrhénienne de l'Italie du sud, et de la grotte Paglicci, sur le versant adriatique, ont fourni des restes fauniques qui témoignent de deux réalités différentes. Dans la grotte délia Cala, la chasse a été orientée essentiellement vers le Cerf, dont les restes atteignent 90 % du total. Les autres ongulés, avec une prédominance du Sanglier et du Chevreuil, ont été récupérés en quantités nettement inférieures. Par contre, dans la grotte Paglicci, les ongulés de milieux ouverts ou mixtes comme le Cheval, le Bouquetin ou l'Aurochs sont abondants et, au cours des différentes phases culturelles, leur variabilité quantitative est élevée. Les restes de ces deux sites appartiennent à des espèces d'ongulés probablement chassées en rapport étroit avec la possibilité de les rencontrer. La fréquence des différents taxons exprime donc l'étendue de leur habitat et les changements climatiques qui ont influé sur eux. Dans ces deux dépôts, au cours des mêmes phases chronologiques, des environnements et des conditions climatiques très différents ont constitué une diversité de substrats fauniques qui a probablement influencé les aspects culturels et technologiques des populations gravettiennes respectives.
archeologie_09-0052798_tei_236.xml
termith-50-archeologie
L' île Guennoc (ou Geignog, ou Gaignoc… selon les sources) fait partie de la cinquantaine d' îles et îlots qui foisonnent le long de la côte léonarde, entre les pointes de Corsen (Plouarzel) et de Porz Grae (Plouguerneau), dont l'abondance s'explique à la fois par la présence des abers, d'un estran assez développé et d'une côte rocheuse (Brigand, 2002, p. 72) (fig. 1). Guennoc occupe une place privilégiée parmi ceux qui se concentrent plus particulièrement entre les chenaux prolongeant l'Aber Wrac'h et l'Aber Benoît (Landéda) en formant une sorte de couronne qui déborde jusqu' à 1,5 mille au large, car c'est aujourd'hui une véritable île inaccessible à pied sec. Comme les autres îles de cette couronne, Guennoc émerge d'une plate-forme littorale à demi immergée qui se prolonge sous la mer sur quelques kilomètres (ibid., p. 72). Avant la fin de la remontée des eaux au Postglaciaire, cet ensemble formait un bas pays devant une falaise morte délimitant le plateau léonard. Ce dernier fut très fréquenté pendant la Préhistoire et, au cours du Néolithique, des monuments mégalithiques furent installés sur les sommets devenus ensuite les îles d'Yoc'h, Carn et Guennoc, (fig. 1, n° 1, 3 et 9)… Guennoc n'est aujourd'hui qu'un grand « rocher » de 5,6 ha, mesurant un peu moins de 400 m de long, du nord-nord-ouest au sud-sud-est, et 160 m au plus large, avec une côte rocheuse, d'accès difficile, ceinturant un grand dôme surbaissé couvert de pelouse littorale luxuriante. Une crête axiale, soulignée par un talus ancien, se déploie sur 300 m de long du nord au sud et atteint 15 à 16 m d'altitude NGF. Le paysage actuel de l' île, sauvage, austère et déserté, contraste avec la richesse et la diversité d'un complexe archéologique témoignant d'occupations humaines successives, apparemment discontinues mais parfois intenses, auxquelles quelques chercheurs se sont intéressés par le passé. Malgré la découverte, en 1890, d'un dépôt de l' Âge du Bronze, précédée par celle de « bracelets d'or », P. Du Chatellier (1881) ne visita jamais l' île. Plus tard, le Commandant A. Devoir (1913) y signale un « tumulus » qu'il ne va pourtant reconnaître qu'en 1919, ainsi qu'un « vaste retranchement elliptique, avec entrée parée de deux mégalithes et trois autres à l'intérieur. Les murets ont de trois à cinq mètres de large et plus d'un mètre en saillie… »; il signale en outre une « pierre percée » ou « pierre trouée », sans doute le socle rudimentaire d'une croix disparue (notes transcrites par E. morel). En 1953, un incendie avait lentement ravagé la végétation de pelouse rase, dégageant une partie des structures archéologiques jusque -là peu connues et mal documentées, mais aussitôt signalées à P.-R. giot qui visita le site en novembre 1955, puis en 1958. Les premières observations révélèrent l'existence de trois cairns principaux, les restes d'un ou de deux autres, d'un enclos au centre de l' île et des vestiges de « fortifications » sur l'une des faces exposées au continent. Ce n'est qu' à partir de 1960 que P.-R. giot s'engagea dans un long programme de fouilles, dont les douze campagnes s'étalèrent jusqu'en 1972 (Giot, 1987). À cette époque, les vestiges visibles (fig. 2) étaient quatre cairns mégalithiques répartis sur la crête centrale de l' île selon un axe globalement orienté nord-sud, et distribués deux par deux de part et d'autre d'un enclos délimité par un talus, un talus-rempart bordant la falaise sud-est de l' île et, en divers points, des talus-murets associés à des traces de pratiques culturales anciennes (billons/sillons). L'objectif du programme de fouille était l'étude des quatre cairns mégalithiques dont les chambres et couloirs furent systématiquement explorés, de même que les abords immédiats des cairns dont les parements firent l'objet de quelques restaurations de fortune. Quelques sondages et vérifications ponctuelles furent menés parallèlement, au cœur de l'enclos central et sur des traces de substructions et des vestiges de bâtiments, qui seront analysés par la suite. La plus ancienne trace d'occupation humaine de l' île remonte à l'Azilien et au Mésolithique, avec en particulier un gisement reconnu lors de l'exploration de l'enclos central au sommet de l' île. Par la suite, sur 180 m de la crête axiale, une douzaine de dolmens à couloir, groupés au sein de cairns mégalithiques complexes, furent implantés au Néolithique moyen, époque à laquelle l' île était encore rattachée au Continent. La Protohistoire est tout d'abord représentée par un dépôt de l' Âge du Bronze final III, du faciès atlantique à épée en langue de carpe. Il fut découvert en février 1890 en un lieu du littoral non précisé à l'époque (Du Chatellier, 1891), mais qui peut être situé dans le secteur sud-ouest de l' île (Briard et Onnée, 1996), des tessons de céramiques rouges grossières à décors digités et un bracelet en bronze ayant été collectés dans ce secteur à l'époque des fouilles. D'autres éléments de cette même période ont été recueillis vers le centre de l' île, dans le secteur des cairns (expertise Muriel Fily, com. pers.). D'autre part, des dates radiocarbone de l' Âge du Bronze ont été obtenues pour des foyers localisés dans la sépulture A du cairn I, les sépultures B des cairns II et III et le dolmen C du cairn III, ce qui confirme largement la fréquentation de l' île durant cette période. Pendant l' Âge du Fer, tout comme pendant l' Âge du Bronze, ces chambres dolméniques furent visitées, occupées voire démantelées, ce qui a souvent dépité les membres de l'équipe de P.-R. giot qui se seraient satisfaits de stratigraphies et dépôts moins perturbés. Les traces des occupations humaines à l' Âge du Fer apparaissent aujourd'hui comme nombreuses et variées sur ce territoire actuellement insulaire et elles seront détaillées infra. Par rapport aux premières réflexions et publications (Giot, 1987), nous proposons ici une relecture de certaines structures – en particulier l'enclos localisé au centre de l' île et les bâtiments qu'il recèle – à la lumière de l'abondante série céramique mise au jour sur le site et datée de La Tène. Une datation au sein du Moyen Âge avait été un temps proposée par P.-R. giot pour cette enceinte et ces bâtiments, probablement parce que certaines zones de l'intérieur de l'enclos (mais aussi de l'extérieur) avaient livré de la céramique médiévale, sans doute un peu antérieure aux x e - xi e siècles (Giot, 1982). Un foyer a été allumé dans le couloir du dolmen A° du cairn III pendant le Moyen Âge. Le dolmen B du cairn I livra également un niveau de foyers avec de gros fragments de céramiques médiévales tardives (voire postmédiévales), indiquant une seconde réutilisation du monument (après celle de l' Âge du Fer), comme abri ou bivouac. « C'est, parmi le matériel récent découvert sur l' île Guennoc, celui qui fait le plus penser aux contrebandiers du xviii e siècle » (Giot, 1987, p. 141). En effet, pendant longtemps, l' île ne fut plus guère fréquentée que par des pêcheurs et des goémoniers, mais aussi peut-être par des contrebandiers qui furent nombreux sur cette côte sous l'Ancien régime. Des baux du xix e siècle mentionneraient encore l'existence d'une fermette ou habitation. Les fours à brûler le goémon du sud-est de l' île et quelques fers à cheval témoignent probablement de ces fréquentations. Vers le début du xx e siècle, un boucher de Lannilis installa ses moutons sur l' île; on lui doit le creusement, de part et d'autre de la crête, de deux trous d'eau remplis en hiver, le plus oriental étant alimenté par deux rigoles à fond cimenté. En outre, des abris à moutons en pierres sèches furent installés au contact de l'enclos central et du cairn III ainsi qu'au sud du cairn IV. Dans l'ensemble, les recherches menées par P.-R. giot sur l' île Guennoc livrèrent un abondant mobilier de l' Âge du Fer qui, dans l'esprit de la fouille, fut largement considéré comme intrusif et, de ce fait, assez mal publié dans une foule de notes et notices; l'objectif de P.-R. giot n'était pas l'étude de l'occupation protohistorique de l' île, et c'est sans doute aussi pourquoi il n'a que très peu exploité ce potentiel dans sa publication finale : « Barnenez, Carn, Guennoc » (Giot, 1987). Regrettant l'absence d'une publication collective scientifique qui aurait relaté les diverses étapes du peuplement de l' île Guennoc, J. Briard synthétisa, voici quelques années, les données concernant l' Âge du Bronze et publia notamment le dépôt à épée en langue de carpe, tout en livrant un certain nombre de détails sur la fouille et son « témoignage » en tant que membre de l'équipe de terrain (Briard et Onnée, 1996). Conscient malgré tout de l'intérêt de la collection de céramiques de l' Âge du Fer collectée à Guennoc, P.-R. giot m'avait confié en 1983 l'étude de ces quelques milliers de tessons de poteries gauloises, ce qui déboucha sur un mémoire de DEA (Daire, 1983), lequel demeura confidentiel et ne donna lieu qu' à une publication limitée (Daire, 1985). C'est donc vingt-cinq ans plus tard que, relisant le « BCG » de P.-R. giot, je fus frappée par la richesse de cette occupation à l' Âge du Fer, richesse trop discrètement égrenée au fil des paragraphes d'un texte très analytique décrivant davantage les dolmens et cairns. D'où la décision de publier le contenu de l'étude céramologique initiale (Daire, 1983) qui ne prendrait son sens que dans une synthèse sur les formes et traces de l'occupation humaine de l' île Guennoc à l' Âge du Fer. De là, il fallut aller « à la pêche » aux documents et aux sources, avec un handicap : la « disparition » de la quasi-totalité de la documentation de fouille (rapports, carnets et plans originaux), seule une partie de la documentation photographique et la majeure partie du mobilier étant encore accessibles dans des collections publiques (archives du labo. Archéosciences, UMR 6566, à Rennes et collections du Musée de Préhistoire finistérienne à Saint-Guénolé Penmarc'h). Relisant tout ce qui a été publié sur Guennoc, de la simple notice dans une « Chronique » à l'article plus développé, des éléments sont apparus, parfois solides, souvent confus et même contradictoires et mentionnés là où on ne les attendait pas : ainsi, des plans de bâtiments de l' Âge du Fer furent publiés par P.-R. giot dans un article consacré aux occupations médiévales de l' île, un autre dans les pages de l ' Anthropologie sur l'épisode « mésolithique » de son peuplement, etc. Il s'agissait donc, à la base, d'engager une démarche documentaire, afin de rassembler toutes les pièces du puzzle et de les inscrire dans l'évolution de la pensée de P.-R. giot qui fut souvent amené à réviser ses interprétations et conclusions antérieures sur ce site. Dans les « chroniques » annuelles parues à l'époque des fouilles (dans les Annales de Bretagne et dans le Bulletin de la Société archéologique du Finistère) entre 1960 et 1974, ainsi que dans les « informations » de Gallia-Préhistoire (1962-1971), P.-R. giot attribue à plusieurs reprises les murets de maisons et l'enclos à l'époque gauloise, en liaison avec l'abondant mobilier de La Tène qu'il recueille un peu partout sur l' île. Puis, dans son article de 1982 (dans les Mélanges d'Archéologie et d'Histoire médiévales en l'honneur du doyen Michel de Boüard), probablement influencé par la fouille qu'il mène alors (depuis 1977) sur les installations monacales de l' île Lavret, P.-R. giot revient sur la plupart de ses attributions en rajeunissant les bâtiments empierrés et l'enclos central : « C'est pourquoi, n'ayant trouvé dans son sol que quelques tessons de poteries de l' Âge du Fer, et aucun attribuable plus clairement à une époque plus récente, nous nous y sommes laissés prendre et l'avons -nous attribuée à l'époque de La Tène finale… Depuis, nous nous sommes persuadés que les fonds de cabane armoricaines de l' Âge du Fer sont beaucoup plus frustes et que ce type de constructions avec des petites murettes basses ne commence réellement qu'au très haut Moyen Âge » (Giot, 1982, p. 182). Enfin, dans son ouvrage de synthèse de 1987, il reviendra à ses premières conclusions, ayant entre-temps visité la fouille alors en cours du hameau gaulois de l' île d'Yoc'h (Daire, 2001), dont les bâtiments de La Tène finale ressemblent énormément aux constructions de Guennoc. C'est donc à la fois à une enquête « policière » et à une analyse de texte éclairée par la chronologie relative des publications qu'il a fallu se livrer, pour démêler un imbroglio de données. P.-R. giot ne nous en tiendrait pas rigueur puisqu'il insistait lui -même sur la liberté d'autocritique dont doit jouir le véritable chercheur, liberté de revenir sur une interprétation, une conclusion, de se contredire, liberté qu'il a mise en pratique à plusieurs reprises dans une véritable démarche scientifique. L'exercice présenté ici ne lui aurait donc sans doute pas déplu et il aurait probablement adhéré à l'idée de faire le point sur l'épisode gaulois du peuplement de Guennoc. À partir de ces données contradictoires, et à la lueur de l'avancée des recherches plus récentes, nous proposons donc aujourd'hui un assemblage des éléments de ce puzzle, afin de présenter une synthèse inédite des occupations de l' île Guennoc à l' Âge du Fer, dont les conclusions et hypothèses seront raisonnablement limitée. Au cours de l' Âge du Fer, et particulièrement à la fin de la période, la réutilisation de plusieurs chambres dolméniques, comme « habitats » ou comme dépotoirs, voire également comme sépulture (tombe du couloir IIA : Giot, 1987, p. 146) atteste une occupation assez intense. Ce sont notamment des débris de céramiques qui abondent dans ces dolmens ainsi qu'au pied des murs de parements des cairns, en grande partie écroulés depuis. Mais ces sépultures mégalithiques ont également servi de carrière pour la construction de bâtiments et de structures propres, que nous analyserons infra. Les éléments bibliographiques et iconographiques disponibles montrent en fait une occupation de l' Âge du Fer touchant divers secteurs de ce territoire aujourd'hui insulaire et, probablement à l'origine, sa totalité, mais avec des variations sensibles dans la nature de ces traces d'occupation (fig. 3). Notre relecture des descriptions et notes sur les structures de l' île Guennoc se fait aujourd'hui à la lueur des recherches menées sur d'autres sites littoraux et insulaires de Bretagne (Daire, 1990; 2004). L' île Guennoc devait encore être attachée à la terre ferme, au moins à marée basse, pendant l' Âge du Fer car, tout comme la proche île d'Yoc'h, sa face orientale (tournée vers le continent) conserve les traces d'un talus-rempart daté de cette période et constitué de galets d'origine marine, en partie mangé par l'érosion et le recul de la falaise (fig. 4) (Giot, 1962). Une section pratiquée à travers ce talus a montré deux phases d'édification remontant toutes deux à l' Âge du Fer (Giot, 1967a et b); la partie tournante ébréchée d'une meule figurait parmi les pierres entassées dans le corps du rempart, à côté de blocs équarris et de galets marins de tailles variées. Les cairns II et III sont séparés par un enclos subcirculaire, installé en position centrale de l' île; il s'étend sur une quarantaine de mètres de grand axe à la faveur d'un léger ensellement de la crête (fig. 5). Seules des zones limitées en ont été fouillées, au nord et au sud, à l'intérieur et à l'extérieur de l'enclos, tandis qu'un sondage a donné l'occasion d'effectuer une coupe dans le talus (Giot, 1987). L'enclos est délimité par un muret curviligne (de 1 à 1,2 m de large dans sa partie nord-ouest, la mieux conservée), installé sur les restes discontinus d'un talus plus ancien, affaissé; cette construction en deux phases successives, avec une recharge du talus initial sur son pourtour externe est particulièrement nette sur les clichés de l'époque (fig. 6). On ne peut ici parler de retranchement, aucune trace de fossé extérieur n'ayant été décelée. Nous proposons de voir dans la première phase d'édification de l'enclos une structuration de l'espace à La Tène finale, deux des constructions protohistoriques (cf. infra) s'étant simultanément appuyées sur le talus. En tant que « protection » (contre les intempéries notamment), cette structure sera renforcée ultérieurement, probablement au Moyen Âge si l'on en croit la datation d'une partie des céramiques de ce secteur. Dans ces circonstances, il est difficile de savoir si les deux entrées de l'enceinte, au nord-ouest et au sud-est, existaient déjà dans la première phase. Une partition interne de l'enclos (les deux parties étant d'ailleurs de superficies inégales) sous la forme d'un petit talus empierré (prenant d'avantage l'aspect d'un muret dans la partie nord-ouest) s'appuie sur les angles ouest et est de la « maison centrale » (fig. 7); la branche orientale de cette partition montre une « porte » de communication, matérialisée par deux petites dalles verticales. Le compartiment nord, qui a livré d'abondants vestiges gaulois (os, coquilles de patelles et tessons de poteries), révèle l'existence d'autres constructions et d'empierrements, de même que le compartiment sud. C'est sans doute à propos de cet enclos qu'on relève le plus d'attributions chronologiques divergentes de la part de P.-R. giot, qui hésite à plusieurs reprises, au fil des publications, entre la Protohistoire (Bronze final ? Âge du Fer) et le Moyen Âge pour son édification (1962; 1964, p. 135-136; 1982, p. 183). Il est vrai que cet enclos révèle des occupations successives à partir de l' Âge du Fer, au haut Moyen Âge, au bas Moyen Âge et à l'époque postmédiévale, avec cependant une omniprésence de céramiques de l' Âge du Fer un peu partout. Nous sommes tentés de retenir l' Âge du Fer comme période d'édification du talus initial et d'y voir une enceinte périphérique contemporaine de certains bâtiments (qui seront détaillés plus loin). Si les enclos de l' Âge du Fer sont plus généralement fossoyés et délimités par un réseau de talus et fossés, on retiendra au titre des comparaisons l'enceinte empierrée de Kersigneau/Saint-Jean à Plouhinec (Finistère), dont l'organisation est assez proche de celle de Guennoc avec des constructions adossées au talus-muret périphérique (Giot et Morzadec, 1989; Giot et al., 1991). Une nouvelle occupation des lieux au Moyen Âge, avec réfection du talus et aménagement de nouvelles structures internes, semble également probable, tandis que les occupations postérieures n'ont pas forcément entraîné de remaniements architecturaux.. Sur le versant oriental de l' île, relativement protégé des vents dominants par la topographie ainsi que par l'enclos central et les monuments mégalithiques, une zone déclive va du milieu du cairn II à l'extrémité méridionale du cairn III, délimitée par des talus très amortis rejoignant le bord de mer (fig. 2); cette zone porte des traces de cultures en petites parcelles, courtils ou jardinets; des restes de clôtures plus ou moins effacées ont été un moment décelées un peu plus au sud (Giot, 1982; Batt et Giot, 1980); en outre, des traces de cultures en billons ont été décelées en lumière rasante ou grâce à l'examen des photos prises par l'Aéronavale en 1960 (fig. 8). Ces billons correspondent à des rehaussements du sol résultant d'anciennes techniques de labours consistant à appuyer les unes contre les autres une série de bandes de terre retournées. Les traces de cultures en petites parcelles répondent à un système nettement apparenté aux « champs celtiques », mais qui ont pu aussi bien être en usage pendant la Protohistoire qu'au haut Moyen Âge. Ces traces de billons et sillons, dont certaines sont orientées selon la pente et d'autres perpendiculairement à celle -ci, révèlent une exploitation effectuée avec des outils manuels, à la bêche ou à la houe (Giot et al., 1982). La partie la plus abritée conservait en outre les reliques d'une flore rappelant une pâture continentale, plus drue, avec trèfle et plantain. Bien entendu, l'attribution chronologique de ces traces de pratiques agricoles, de toute manière fort anciennes, reste conjecturale. Mais nous les considérons aujourd'hui à la lueur de observations inédites faites sur l' île d'Yoc'h postérieurement aux fouilles et publications de P.-R. giot sur l' île Guennoc. En effet, des photographies aériennes de cette autre île léonarde (là encore prises par l'Aéronavale dans les années 1980) révèlent des traces de billons identiques à celles de Guennoc, réparties par plages (fig. 9). À l' île d'Yoc'h, le parcellaire « moderne » a recoupé ces traces de billons, révélant ainsi une chronologie relative des structures agraires et une antériorité des sillons; or, en dehors de l'importante occupation humaine de l' île à La Tène finale (matérialisée elle aussi par un talus rempart, et un hameau ou village comportant plusieurs bâtiments surimposés à une sépulture mégalithique : Daire, 2001), aucune occupation médiévale n'a été mise en évidence, ce qui nous incite à attribuer ces traces de cultures à l'époque gauloise, de manière quasi-certaine pour Yoc'h et, par voie de conséquence, avec de fortes présomptions pour Guennoc. À l'intérieur de l'enclos central de Guennoc apparaissent les fondations de plusieurs constructions (fig. 7). Dans le compartiment nord de l'enclos, Figure un bâtiment (n° 1), décrit comme possédant des angles extérieurs arrondis et deux portes centrales au milieu des grands côtés; l'emprise totale de cette construction nous est inconnue car aucun plan n'en a apparemment été publié. En outre, ce compartiment de l'enclos montre une zone empierrée adossée au talus, plus probablement une aire isolée de stockage (bois ? fourrage ?) qu'un bâtiment ruiné. En position stratégique puisque servant d'appui au talus de compartimentage de l'enclos, le bâtiment n° 2, dénommé « maison centrale » par P.-R. giot, a un plan rectangulaire assez régulier et une emprise totale d'une cinquantaine de mètres carrés pour une surface intérieure utile d'environ 25 m². Il présente une entrée orientée au nord, marquée à l'origine par des piliers dressés de part et d'autre et un foyer central (fig. 10). Ses murets en pierre sèche à double parement atteignaient encore 1 m de haut dans les années 1960; le parement intérieur était principalement constitué de dalles verticales au-dessus desquelles subsistaient une ou deux rangées de pierres horizontales. Le fond de la construction était garni d'un pavage irrégulier de pierres de petites dimensions, disposées à plat afin de régulariser le fond rocheux. Dans la partie occidentale, deux pierres plantées constituent peut-être les restes d'un calage de poteau (fig. 11), tandis que quelques dalles verticales correspondaient peut-être à un aménagement ruiné le long de la paroi sud. À proximité se trouvait un gros fragment d'une meule rotative. Le compartiment sud présente lui aussi une zone surélevée et empierrée, plus vaste et adossée au talus sud-ouest de l'enclos; à proximité, un épandage de débris de cuisine (amas étalé de coquilles de patelles et de cendres) ainsi qu'une dépression (trou à eau) furent identifiés (Giot, 1982, p. 184). La maison n° 3, dans le sud de l'enclos (fig. 12), en partie dégagée lors de la campagne de 1966, montre les caractéristiques architecturales suivantes (Giot, 1967b) : la surface interne utilisable est voisine de 20 m² mais son emprise totale dépasse 35 m²; la base de la face interne des murs est bordée de petites dalles; sa paroi nord est peu élevée et assez dégradée; une entrée semble avoir existé dans la paroi orientale, dégradée ultérieurement, tandis que la paroi sud possède un beau parement de dalles verticales et de pierres sèches disposées à plat, appuyé sur le talus de l'enclos et comportant une autre demi-meule rotative. Le sol de cette construction, peu épais au-dessus du rocher, ne contenait que des tessons de l'époque de La Tène finale (Giot, 1982, p. 185). Ce bâtiment a été réutilisé et transformé à l'époque médiévale, avec notamment la construction d'un four en encorbellement dans son angle sud-ouest, qui a livré de la céramique médiévale. Un petit amas de clayonnages provient de la partie est de l'enclos et l'on peut envisager que l'architecture de pierre ait été complétée, dans certains de ces bâtiments, par des éléments constitués de terre et de bois. Si la chronologie de ces constructions a parfois donné lieu à discussion, P.-R. giot (1987, p. 151) a lui -même reconnu que « La maison centrale de l'enclos, occupée au Moyen Âge, paraît cependant bien semblable à d'autres maisons de l' Âge du Fer de site littoraux, notamment celle dont la fouille a été entamée à l' île d'Iock au large de Porspoder par M. -Y. Daire en 1987. » Les parallèles sont effectivement nombreux entre les constructions présentes sur les deux sites, l' île d'Yoc'h ayant été intensivement occupée à La Tène finale (Daire, 2001); les maisons de Yoc'h et de Guennoc ont des dimensions comparables; dans tous les cas, les murs épais de 0,80 à 1 m construits en pierres sèches sont à double parement et blocage interne de pierrailles, avec des portes ménagées au milieu des grands côtés; le bâtiment n° 1 de Guennoc présente deux entrées en vis-à-vis, comme l'une des habitations de l' île d'Yoc'h. À l'extérieur de l'enclos, deux zones au moins ont livré des restes de constructions attribuables à l' Âge du Fer. Entre les cairns III et IV, c'est suite au dégagement de leurs parements qu'une petite construction rectangulaire fut explorée en 1961 et 1962 (fig. 7, n° 4; fig. 13); adossée par son extrémité occidentale au muret longitudinal de l' île, elle livra, entre autres mobiliers, quelques tessons de céramiques de l' Âge du Fer. Cette construction a une emprise totale d'une cinquantaine de mètres carrés, pour un espace intérieur utile réduit à un peu moins de 15 m². Le mur de pierre sèche longitudinal de l' île passe par-dessus le mur occidental de la construction qui, de ce fait, paraît irrégulière. Ses murs nord, ouest et sud n'ont pas tout à fait la même largeur mais étaient encore hauts de 0,60 m à l'époque de la fouille (Giot, 1982, p. 182). Si des dalles verticales complètent les parois du petit côté ouest, les parements des murs sont dans l'ensemble bien appareillés, l'intérieur comportant un bourrage de caillasse. L'ouverture orientale est bouchée par un petit massif de pierre ayant dû faire office de seuil à un moment de l'utilisation du bâtiment : en arrière de cette « ouverture », quelques dalles verticales formaient une subdivision dans la construction. Au final, P.-R. giot (1987, p. 175) évoque un possible réemploi ou transformation au Moyen Âge d'une ruine de l' Âge du Fer. Des restes de substructions très arasées furent attribués avec plus de doute au seul Âge du Fer sur le versant ouest de l' île (fig. 3), à 40 m à l'ouest de l'enclos : « Situées beaucoup plus près du trait de côte actuel et couvertes par les embruns, ces trois ou quatre traces rectangulaires, faites de quelques pierrailles, avaient émergé du sol formé par des coussins d'Armeria à la suite de leur incendie. Avec la reprise de la végétation, elles ont disparu à nouveau au bout de quelques années [… ]. L'intérieur de la mieux conservée, presque carrée, aurait fait environ 6 m de côté » (Giot, 1987, p. 175). Ces constructions montraient des parois de pierrailles d'environ 1 m de large et pourraient correspondre à un second groupe de bâtiments de l' Âge du Fer. Discrètement mentionné par P.-R. giot (1968), un « petit souterrain » apparaît également sous la plume de J. Briard qui le localise sur le flanc sud-ouest de l' île (Briard et Onnée, 1996, p. 36), au fond d'une crique où des clichés datant de 1968 montrent l'ouverture d'une chambre à demi effondrée et recoupée par l'érosion de la falaise actuelle. Réoccupé à l'époque moderne, ce souterrain a livré un lot de céramiques de La Tène finale, dont des éléments très caractéristiques (pot à anses à œillet, céramiques à cordons et une fusaïole réalisée dans un tesson de céramique réutilisé). Dans le couloir du dolmen A du cairn II, une inhumation humaine avait été aménagée, une dalle de couverture ayant été basculée volontairement en position subverticale pour y former cloison : il s'agit d'un individu « jeune », de sexe féminin, couché sur le côté droit en chien de fusil, possédant un anneau à chaque cheville, l'un en fer, l'autre en bronze (Giot, 1987, p. 146); à quelques éléments de l' Âge du Fer sont associées des coquilles de patelles mais aucun lot de céramique provenant de ce secteur n'a pu être isolé dans la collection. P.-R. giot n'est guère plus explicite sur cette sépulture qu'il fait remonter à l' Âge du Fer et nous n'avons pas retrouvé le matériel issu de cette tombe. La présence d'un squelette de vache adulte est signalée dans le couloir du dolmen B de ce même cairn, dépôt difficile à caler sur le plan chronologique mais dont certains éléments sont associés à quelques tessons de l' Âge du Fer (Giot, 1982). D'après les descriptions du cairn I, le dolmen A n'a livré que très peu d'éléments d'origine, son remplissage, bouleversé par les lapins, contenant des tessons de poteries de La Tène finale associés à des balles de fusil et des fragments d'obus (Giot, 1987, p. 140). L'absence de mobilier néolithique dans le dolmen B du cairn I est sans doute à mettre en relation avec les occupations ultérieures; en effet, le remplissage de la chambre a livré, sur un bon mètre d'épaisseur, de nombreuses pierres et des tessons de céramiques de l' Âge du Fer, niveau recouvert par des foyers ou zones brûlées associés à des tessons de céramiques médiévales tardives voire post médiévales. Le fond de la chambre C a également livré quelques tessons de l' Âge du Fer ainsi que des objets de fer très corrodés (considérés à l'époque comme « modernes ») et des traces de foyers. Des céramiques de La Tène finale ont également été trouvées au pied du parement occidental du cairn I, mais il n'y en avait pas au pied du parement oriental entre les entrées des couloirs, sauf dans l'axe de ces entrées. Le dolmen A du cairn II fut bouleversé et une partie de la couverture partiellement démantelée à l' Âge du Fer, tandis que sa chambre servit de dépotoir où furent déversés des cendres, des amas de coquilles de patelles, des ossements d'animaux et quelques tessons de poteries gauloises (Giot, 1987, p. 146). Mais le couloir recelait des tessons de céramiques de l' Âge du Fer assez nombreux, associés à des restes organiques et à une sépulture féminine gauloise. La chambre du dolmen B du cairn II, lui aussi réutilisé à l' Âge du Fer, livra quelques tessons gaulois et au moins un clou en fer, tandis que le couloir recelait plusieurs fragments d'un squelette de bovidé (vache adulte). La chambre du dolmen C n'a livré que de rares tessons de l' Âge du Fer et des éclats de silex remaniés. Le cairn III fit l'objet de dégradations et d'occupations successives aux Âges du Bronze et du Fer, au haut Moyen Âge et à l'époque postmédiévale, mais c'est notamment à l' Âge du Fer qu'il servit de carrière pour la construction des bâtiments adjacents (cf. infra). Les tessons de céramique gauloise étaient très abondants dans les chambres et dans les couloirs des dolmens A et A° et se doublaient, dans le cas de la chambre A°, d'un « amoncellement des restes de cuisine » (charbons, cendres, os de mammifères fragmentés, os de poissons et surtout coquilles de patelles). Outre la présence de céramiques gauloises au sein du dolmen B, un foyer localisé au seuil de la chambre a fourni une date radiocarbone correspondant selon toute vraisemblance au Bronze final (GIF 164A) de même pour le foyer de la chambre du dolmen D (GIF 281). Les chambres des dolmens C et D étaient elles aussi très riches en céramiques de La Tène finale tandis que le couloir du dolmen D livrait des fragments d'amphores Dressel I. Des poteries gauloises ont également été retrouvées tout le long des parements et dans les éboulis; l'extrémité nord-ouest du cairn a d'ailleurs probablement servi de carrière à l'époque pré-romaine. Le cairn IV, plus petit et beaucoup plus dégradé que les autres, livra des tessons de céramiques de la fin de l' Âge du Fer, accumulés devant la façade nord-est (Giot, 1987, p. 176). Les autres points de découvertes de mobiliers de l' Âge du Fer sur l' île Guennoc ont été appréhendés à travers l'étude de la collection elle -même, par l'analyse des indications plus ou moins précises sur les étiquettes des sachets complétée par l'examen de quelques clichés de l'époque. La répartition spatiale du mobilier céramique sur l' île (dont l'analyse est limitée par le caractère non exhaustif des explorations de terrain) montre certaines tendances, résumées dans un diagramme (fig. 14). Le secteur ayant livré les plus grandes quantités de céramiques gauloises est en premier lieu le cairn III (43 % de l'ensemble), les poteries provenant principalement du pied des parements (fig. 15) et, pour une moindre part, des dolmens A et A°. Le cairn I a livré 14 % des céramiques, principalement issues des dolmens B et C; l'enclos central a fourni 11 % de l'ensemble céramique. Un lot important provient des falaises de l' île, principalement dans le secteur sud-ouest et notamment à proximité du souterrain. Mais divers ramassages de surface montrent que c'est la totalité du territoire de l' île qui recèle du mobilier de l' Âge du Fer, en plus ou moins grande densité. Les recherches menées par P.-R. giot sur l' île Guennoc, malgré leur caractère limité dans l'espace, ont livré un important ensemble de céramiques de l' Âge du Fer, soit un NR (nombre de restes) d'un peu plus de 4 500 tessons représentant une masse de plus de 50 kg; dans cet ensemble, on évalue le NMI (nombre minimum d'individus) à environ 450, ces tessons significatifs ayant fait l'objet d'une étude de détail dans le cadre d'un mémoire universitaire demeuré inédit (Daire, 1983). La publication de ce corpus nous paraît d'un apport fondamental dans l'appréhension de l'occupation humaine du site à la veille de la Conquête, tant sur le plan chronologique que sur celui des relations et contacts avec les autres communautés continentales et insulaires. Ces céramiques montrent, selon les secteurs de fouille ou de collecte, un état de conservation différent. Alors que le poids moyen d'un tesson est de 11,2 g au sein de cet ensemble, les cairns ont livré des tessons de dimensions statistiquement plus grandes, avec des bases de vases ou des hauts pouvant représenter entre la moitié et le tiers de récipients complets, notamment dans le couloir du dolmen A et dans le dolmen C du cairn III ainsi qu'au pied du parement ouest de ce même cairn III. En revanche, on note une fragmentation très importante des céramiques gauloises dans l'enclos, et en particulier dans les maisons où le poids moyen d'un tesson n'est plus que de 5,6 g. Ces différences peuvent s'expliquer, sur le plan taphonomique, par le fait que le mobilier de l' Âge du Fer s'est trouvé protégé sous des dalles mégalithiques dans les dolmens et sous les éboulis devant les parements des cairns, tandis que dans les maisons et l'enclos, il a été piétiné à l'époque préromaine mais aussi lors des occupations ultérieures (au Moyen Âge notamment). Nous présentons en « catalogue-annexe » (pl. I à VI) les éléments les plus significatifs de cet ensemble céramique inédit, éléments classés par grandes catégories de formes (cf. infra et fig. 16), à savoir : – planches I et II : les pots ou récipients de stockage de moyenne contenance (pots divers de type 1, pots à anses de type 2, et bases de vases appartenant à des formes hautes de type 2bis); – planche III : les récipients de stockage de grandes dimensions (jarres; type 1); – planches IV et V : les jattes moyennes ou bols (type 3); – planche VI : céramiques décorées et formes diverses (types 4 et 5). Sur le plan dimensionnel, les diamètres des vases de Guennoc, s'étalent entre 10 et 30 cm à l'ouverture et entre 7 et 24 cm pour les fonds, ce qui traduit une grande diversité de gabarits, mais aussi de formes et d'usages pour ces céramiques. Ce point est cependant à nuancer par le fait que 90 % des récipients sur lesquels les valeurs étaient mesurables ont un diamètre à l'ouverture inférieur à 20 cm, la moitié d'entre eux n'excédant pas 15 cm et que, dans la moitié des cas, le fond mesure entre 10 et 15 cm de diamètre. C'est dire que, quantitativement, les céramiques petites et moyennes sont nettement majoritaires et que les grands vases de stockage, pour être présents, ne sont que très faiblement représentés. Quelques séries de formes se dégagent de cet ensemble, que nous avons synthétisées dans un tableau typologique simplifié (fig. 16). Au titre des récipients de stockage ou de transport (types 1 et 2) regroupant la plupart des formes hautes, une série de pots ovoïdes ou globuleux est bien documentée par des vases simplement ornés de cordons et cannelures (pl. I). Le site a livré une série de pots à anses du type anses renfoncées à œillet (countersunk handles) (type 2; fig. 16 et pl. II), au sein de laquelle nous reconnaissons une dizaine d'individus présentant des dimensions et des caractéristiques techniques variées dans le détail. Les récipients de stockage sont de dimensions variables et l'on peut distinguer une série limitée de céramiques de taille moyenne (pl. I et II) à grande (entre 30 et 40 cm de diamètre à l'ouverture : pl. III) et une autre série de pots dont le diamètre à l'ouverture est voisin de 20 cm, voire moins. Ces vases sont fréquemment ceinturés d'une ou plusieurs cannelures en creux (n° 9 et 13, pl. I). Une série de pots, auxquels s'ajoutent de plus rares jarres, présente un décor de un ou plusieurs cordons en relief (n° 2 à 4, 6, 12, pl. I; n° 1, pl. II). Leur forme, variable dans le détail, est celle d'un récipient à col plus ou moins court et lèvre éversée, et à panse ovoïde ou convexe. Les bases de ces vases (type 2bis, fig. 16) sont tronconiques à fond plat mais les exemplaires graphités (n° 2 et 9, pl. I) et décorés, pourvus d'un élégant piédestal, appartiennent sans doute à des vases de stockage élancés et de belle facture (n° 11 à 15, pl. II). Les formes basses et ouvertes sont ici représentées par une série bien documentée de jattes moyennes ou bols (type 3, fig. 16) dont le rapport hauteur/diamètre est voisin de 0,50, généralement un peu supérieur. Cette série regroupe des éléments de récipients dont le diamètre à l'ouverture varie de 11 à 20 cm; ils présentent une lèvre éversée, un col court, une panse convexe dans sa partie supérieure, fuyante dans sa partie inférieure, un fond de petite taille, proportionnellement à l'ouverture (n° 1, 2 et 4, pl. IV; n° 9, pl. V). Ces bols possèdent soit un fond plat, soit un fond annulaire surélevé pour former une sorte de piédestal, dont un exemplaire avec ombilic bien marqué (fig. 15; n° 11, pl. V). Cette série est représentée par plusieurs vases archéologiquement complets; compte tenu des variations de dimensions, les usages de ces bols peuvent être divers. Les jattes hautes ou à haut col constituent une série peu représentée sur le pan numérique (type 4), par quelques éléments d'aspect assez « luxueux », à col surélevé se terminant par une lèvre éversée (n° 10 et 11, pl. VI); il en va de même pour les formes très basses et l'on est frappé de la très faible proportion de jattes basses à profil en « S », forme pourtant classique dans les ensembles armoricains (n° 3, pl. V). Le type 5 (fig. 16) regroupe plusieurs formes plutôt basses, mais surtout présentant un profil « simple » (en terme d'analyse géométrique), avec des parois sub-verticales : il s'agit de gobelets tronconiques (représentés par des tessons mais pas par des formes complètes), ou encore des bols hémisphériques très simples que l'on voit généralement apparaître à une phase très tardive dans les ensembles armoricains (n° 12, 13 et 18, pl. VI). Le fragment de récipient n° 17, pl. VI, (provenant du cairn III-C) occupe une place privilégiée dans cet ensemble, tout comme le baquet tripode complet présenté infra. Concernant les caractères morphologiques de ces céramiques, seuls 4 % des bords sont pourvus d'une cannelure labiale interne, de faible largeur, ce qui constitue un autre indice du caractère tardif de cet ensemble (Daire, 1992). Les céramiques ayant subi une enduction au graphite, totale ou partielle, sont relativement nombreuses puisqu'elles représentent 26 % des fragments. Ce fort pourcentage atteste de la bonne conservation qualitative des vestiges céramiques sur le site. Sur le plan de la réalisation de ces poteries, il a été possible de distinguer trois ensembles ou « fabriques » (au sens anglo-saxon du terme). Plusieurs céramiques sont probablement tournées au tour rapide; leurs surfaces sont généralement enduites au graphite ou engobées à l'hématite. Leur pâte contient des inclusions relativement fines, parfois même invisibles à l' œil nu, mais dans tous les cas extrêmement abondantes. Il s'agit essentiellement de quartz, de micas et de feldspath; une ou deux lames ont révélé la présence d'amphiboles (Morzadec, 1995). Ces pâtes, en général homogènes, contiennent dans certains cas de la chamotte. Les cuissons sont pour la plupart réductrices avec une post-cuisson oxydante et les températures atteintes ne furent probablement pas très élevées. Un groupe de céramiques, modelées au colombin, montre un travail de finition de surfaces soigné et parfois des traces d'engobes. Leurs pâtes sont assez peu homogènes et présentent beaucoup de « vides » visibles en section; les inclusions y sont toujours très abondantes mais de calibres très variés. La cuisson est réductrice et a sans doute été effectuée là encore à température assez peu élevée. Les céramiques les plus grossières, utilitaires, montées au colombin, montrent elles aussi une pâte très peu homogène, avec beaucoup de vides, une forte densité d'inclusions (surtout du quartz et des micas) atteignant parfois un fort calibre (4 à 5 mm). Malgré le bon état de conservation général évoqué plus haut, il est parfois difficile de déterminer sur certains tessons si la céramique a subi la pose d'un engobe ou non et de distinguer formellement le type de traitement appliqué à la surface (lissage soigné ou polissage). La couleur des surfaces des tessons, tels qu'ils nous sont parvenus, est assez uniformément brune lorsqu'il n'y a pas d'enduction de graphite ou d'hématite. D'autres paraissent avoir été peints avec un engobe brun, donnant à la surface une belle couleur régulière et un lustre particulier, à moins qu'il ne s'agisse d'un lustrage particulièrement soigné. Seuls quelques rares tessons témoignent de la pose d'un engobe rouge, probablement à l'hématite, tels deux fragments de poterie « peinte » (n° 2 et 3, pl. VI), un tesson de céramique à cordon (n° 10, pl. V), deux hauts de pot (dont le n° 14, pl. I). En relation avec cette observation, il faut noter la découverte, dans le dolmen D du cairn III, près de la paroi nord de la chambre, d'un bloc d'hématite rouge montrant sur une de ses faces un polissage dû à son utilisation vraisemblable pour colorer (des céramiques ?); les dimensions de ce bloc sont 107 x 58 x 19 mm et sa masse est de 210 g(Giot, 1982). Au sein de cet ensemble, les éléments décorés sont très peu nombreux; une dizaine de tessons montrent cependant le recours à des techniques ornementales variées. – Deux tessons portent un décor estampé aux poinçons : le n° 1, pl. VI,porte une série d'une douzaine de petits points imprimés et disposés au sein d'un triangle délimité par des incisions, tandis quele tesson graphitén° 4, pl. VI,montre des ocelles disposés par grappes de trois, organisées elles -mêmes en pendentif/triangle pointe en bas encadrant trois motifs plus complexes en grappe. – Cinq tessons portent des décors réalisés à la pointe mousse ou au lissoir, dont trois sont des décors internes : outre les lignes parallèles du tesson n° 7, pl. VI, le n° 5 Figure un bandeau horizontal portant des groupes de quatre traits parallèles disposés en chevrons sous un décor mouluré. Le n° 6, pl. VIest issu d'une forme basse portant un décor interne rayonnant de sinusoïde encadrée par des lignes subverticales, de même inspiration que les décors des n° 8 et 9 (pl. VI). Un groupe relativement important de céramiques présente une ornementation de cordons horizontaux ou baguettes, en relief plus ou moins marqué. Ces fragments semblent appartenir à des récipients montés au tour plus ou moins rapide et la présence d'enduction graphitique est fréquente sur ce type de céramique. Ces décors moulurés concernent divers types de récipients : des petits pots à panse convexe, d'autres jarres plus grandes et plus massives (pl. I et II), plus rarement des formes basses. Ces cordons peuvent être larges ou minces, simples ou multiples, encadrés par des cannelures en creux qui en soulignent le relief, ou au contraire à profil amorti. Un cas particulier de céramique à décor à cordon est celui des baquets (cf. infra). Un autre ensemble numériquement important est celui des céramiques à décors de stries ou cannelures en creux, puisqu'ils représentent 25 % des tessons de l'ensemble. Les formes concernées par ce type de décor sont des jarres (pl. III), dont certaines de grande taille, des jattes moyennes ou bols (pl. IV et V) et des récipients à parois subverticales représentés par quelques tessons de gobelets. Ces cannelures sont plus ou moins fines et régulières, parfois sommairement ébauchées et traitées sans soin. Dans certains cas, ce sont de fines incisions tandis que dans d'autres elles atteignent plusieurs millimètres de largeur. La majorité des récipients comportant des décors de cannelures horizontales ont été réalisés au tour plus ou moins rapide. Les quelques analyses pétrographiques réalisées sur des échantillons de céramiques de l' île Guennoc, qui ne sont malheureusement pas référencés en terme de typologie (Morzadec, 1995), montrent une utilisation de matériaux d'origine granito-gneissique; cette céramique peut être très fine, avec des inclusions peu nombreuses à peine visibles à l' œil nu, mais aussi grossière, avec des minéraux abondants pouvant atteindre de forts calibres. La composition de ces céramiques est trop ubiquiste pour que l'origine géographique en soit localisable; mais, de manière un peu simpliste, on a tendance à qualifier ces productions de « locales ». Plus justement, on peu considérer qu'il s'agit de productions « régionales », ce qui n'empêche pas qu'elles aient participé d'un circuit de distribution plus ou moins complexe. Un échantillon de « céramique à cordons », probablement le baquet (cf. infra), dont le matériau serait originaire du massif de gabbro de Trégomar-Lamballe (Côtes-d'Armor), montre des échanges à longue distance relative, de l'ordre d'environ 150 km à vol d'oiseau entre la zone de probable production et le site d'utilisation. Nous avons déjà évoqué la présence d'une céramique particulière, à savoir un « baquet à cordons » auquel P.-R. giot avait consacré un article dont nous empruntons ici le titre (Giot et Bourhis, 1964). Cette poterie (n° 1, fig. 17) est en effet remarquable à plus d'un titre : son caractère probablement exogène sur le site, sa rareté dans les ensembles régionaux et la nature des sites où ce type de forme est distribué sont autant d'éléments justifiant que l'on s'arrête sur ce cas. Ce baquet cylindrique à pieds (au nombre de 3 ou 4) et à fond ombiliqué, haut au total de 9 cm et large de 20, représente une contenance d'un peu moins de 1,5l; outre un beau travail de surfaçage sur une pâte fine, ce baquet montre un décor de trois cordons horizontaux en relief très finement travaillés et ceinturant la panse. Un autre fragment (n° 17, pl. VI) appartient probablement à un second exemplaire un peu plus petit. Le décor rappelant ici les cerclages métalliques de baquets en bois (n° 3, fig. 17), un rapprochement avec les éléments ligneux et leurs imitations céramiques de Glastonbury se confirme (Coles et Minnitt, 1995, p. 167-168; Earwood, 1993, p. 60-70). L'intermédiaire de récipients en lignite est également envisageable dans un processus de diffusion de ce type de forme de part et d'autre de la Manche (Le Nagard, 2005). Ces baquets sont suffisamment rares pour que l'on s'arrête sur leur distribution (fig. 18), en prenant en compte des récipients morphologiquement semblables malgré cependant des variantes dans la forme des pieds (annulaires, tripodes, en piédestal…). Dans l'ouest de la France, on évoque de longue date la comparaison avec les exemplaires de la nécropole de Kerné à Quiberon, du Camp d'Artus à Huelgoat (Giot et Bourhis, 1964, p. 65-66), auxquels s'ajoutent maintenant ceux de l'habitat aristocratique de Saint-Symphorien à Paule (Ménez, 1999, p. 264, fig. 7, forme 34), du village de l' île d'Yoc'h à Landunvez (Daire, 2001) dans une variante à pied annulaire, ou encore du village gaulois de Kerhillio à Edeven (Daire, 1992), autant d'ensembles et de contextes datés de La Tène finale. Enfin, un baquet tripode à cordon découvert dans la grotte-sanctuaire des Perrats à Agris (Charente) (Ducongé, 2007) et assez semblable à l'exemplaire de Guennoc étend cette distribution vers le Centre-Ouest, d'autant qu'un exemplaire trouvé à Angers avait déjà fait l'objet de rapprochements stylistiques et chronologiques. On notera également la découverte d'un baquet tripode à cordons au sein de l'une des plus riches tombes de la nécropole de Bois-Guillaume « Les Boquets » (Seine Maritime), tombes ayant livré un service à boire en rapport avec un banquet funéraire, curieusement associé à de probables éléments de briquetages en argile cuite (Merleau, 2002). La qualité de fabrication de ces baquets combinée à leur caractère exogène (démontré à Guennoc par l'analyse de la pâte) et à la particularité de leur forme, conduit à s'interroger sur la fonction de tels récipients dont, intuitivement, on devine le caractère exceptionnel : ne s'agirait-il pas d'un élément participant au service du vin, voire à des libations, comme cela a été montré pour les passoires par exemple et comme cela est suggéré par le dépôt de Bois-Guillaume ? On retrouvera des céramiques apparentées sous la forme de bassins en terra nigra, à partir de l'époque augustéenne (50/40-30 av. J.-C.) et perdurant dans les séries aquitaines de la période 30-10 av. J.-C. (Ducongé, 2007) où ce genre de forme tendra à se banaliser, mais l'analyse de cette filiation demeure relativement complexe. Apparentées au mobilier céramique, signalons la présence de fusaïoles, dont deux éléments trouvés dans le secteur du souterrain pour l'un et en falaise pour l'autre (n° 21 et 22, pl. VI) furent réalisés dans des tessons de céramiques réutilisés, tandis que deux autres, provenant du sud-est de l'enclos et du pied du parement ouest du cairn III (non figurées), sont de véritables fusaïoles initialement façonnés comme telles. Les amphores Dressel I (apparemment non identifiées à l'époque des fouilles) sont représentées par un lot de 178tessons, de taille assez modeste puisqu'ils ne représentent qu'une masse de 1,620 kg; ils proviennent de la plupart des secteurs de fouille, à savoir des falaises (environs du souterrain) pour 9 d'entre eux, de l'enclos central et des maisons n° 2 et 3 ainsi que de la maison n° 4 (67 tessons), du pied des parements du cairn III (26 tessons) et des couloirs des dolmens C du cairn I et D du cairn III (une quarantaine de fragments); quelques fragments d'amphores proviennent également du talus. Un lot de faune (marine et terrestre) est mentionné, généralement en association avec des mobiliers et/ou structures de l' Âge du Fer : – dans le dolmen A du cairn II, 10 m 3 de coquilles de patelles et d'ossements animaux, associés à des tessons de céramiques gauloises; – dans le dolmen A° du cairn III, un gros amoncellement en tas conique de restes de cuisine (charbons de bois et cendres, os de mammifères fragmentés, os de poissons et surtout coquilles de patelles) associés à de nombreux tessons de La Tène III; – dans les deux cours de l'enclos central, à proximité des constructions, amas de coquilles de patelles, de cendres et autres « restes de cuisine ». Les outils lithiques que l'on peut sans conteste attribuer à l'occupation gauloise de l' île Guennoc sont représentés par trois demi-meules rotatives, provenant respectivement des maisons n° 2 et 3 de l'enclos et du talus-rempart au sud est de l' île (fig. 19). Les principaux éléments métalliques identifiés sur le site et attribués à l' Âge du Fer sont les deux (? au moins) anneaux de chevilles (et non « bracelets ») retrouvés aux jambes de la défunte inhumée dans le couloir du dolmen A du cairn II, l'un étant en bronze, l'autre en fer (objets non retrouvés); en outre, le fond de la chambre C du cairn I livra, en même temps que des tessons de l' Âge du Fer, des « débris fort oxydés d'objets en fer » que P.-R. giot (1987, p. 142) hésite à attribuer sur le plan chronologique, entre l'époque préromaine et des phases beaucoup plus récentes, puisqu'il évoque de possibles outils de goémoniers. La collection comporte un certain nombre de pièces en fer très oxydé, entières ou fragmentaires, parmi lesquelles on identifie plusieurs pièces (fig. 20) : l'emmanchement à douille d'un outil brisé (n° 1), des portions de lames plates (n° 2-4 et 8), de probables fragments de clous (n° 6, 7, 9, 10-12, 15 et 16) et des éléments de tiges de fer repliées en anneau (n° 5 et 13). Tout en restant prudent sur cette attribution chronologique, notons que des éléments comparables proviennent d'ensembles régionaux du second Âge du Fer, en particulier du site voisin de l' île d'Yoc'h à Landunvez. Si l'on synthétise les divers éléments exposés supra, l' île Guennoc révèle, à l' Âge du Fer, une occupation à la fois extensive et intensive. « Fortifié » ou clôturé sur l'une de ses faces par un talus-rempart, ce territoire de plus de cinq hectares, qui n'était pas encore une île du temps de l'indépendance gauloise, a accueilli un groupe humain de quelques familles. Celles -ci ont édifié au moins huit bâtiments de dimensions modestes (entre 30 et 40 m²) et d'un type classique sur le littoral de l'ouest de la Gaule à cette époque, dont certains, au sommet de l' île, étaient ceinturés par un petit enclos. Ces constructions en pierre sèche bénéficièrent d'un pillage des pierres et dalles des monuments mégalithiques antérieurs. Une structure de stockage (souterrain) complétait vraisemblablement les installations domestiques. La présence de céramiques gauloises (parfois en grande quantité) dans les dolmens peut aussi bien témoigner d'une réutilisation des structures funéraires comme dépotoirs (ou plus certainement espace de stockage) que comme habitations. Au titre des activités de subsistance, l'élevage (une vache inhumée mal datée dans un des dolmens, mais surtout les abondants restes d'os des divers dépotoirs) était complété par la pêche et la cueillette de coquillages sur le littoral voisin, comme en attestent les quelques dépotoirs culinaires découverts dans l'enclos et certains couloirs de dolmens. Les pratiques culturales restent conjecturales mais sont probables si l'on admet l'identification protohistorique des traces de parcelles et de billons. Quelques fusaïoles témoignent d'une activité de filage, tandis que les trois (demi -) meules rotatives trouvées dans le corps du talus-rempart ainsi que dans les maisons de l'enclos attestent d'une activité de broyage, de céréales ou d'autres matières, végétales ou non. Un argument plaide en faveur de l'intensité de l'occupation des lieux : outre l'abondance relative des céramiques et leur qualité, on note surtout l'importance du dépotoir culinaire du cairn III (patelles et autres coquillages, faune terrestre et marine), qui atteint 10 m 3 et traduit un séjour prolongé d'un groupe humain conséquent. Le dolmen A du cairn II a servi de dernière demeure à une jeune gauloise qui y fut inhumée; la présence de cette « tombe », malheureusement fouillée de manière assez expéditive, semble avoir en partie conditionné l'occupation des lieux et donc la distribution spatiale des vestiges telle qu'elle nous apparaît : la céramique domestique est beaucoup plus rare aux abords de cette tombe, c'est-à-dire dans le cairn II et autour de celui -ci, que dans l'environnement des autres cairns, ce qui s'explique si le monument est devenu un lieu « consacré » par la présence de cette tombe. Si pratiquement tous les sites de l' Âge du Fer montrent une relation entre sépultures et habitats, le lien spatial semble se resserrer au cours de la période pour aboutir à une véritable imbrication (Tanguy et al., 1990). À La Tène finale, la presqu'île de Quiberon livre plusieurs exemples d'une telle association, sur les sites de Goulvars, Port Bara, Toul Braz, Runaron et Kergroix; elle est également révélée au Braden I à Quimper (Finistère) ainsi que sur les sites un peu plus anciens du Boisanne à Plouer-sur-Rance (Côtes-d'Armor), du Talhouët à Pluvigner (Morbihan) ou de Kerangouarec à Arzano (Finistère). La nécropole de Kerné à Quiberon offre des éléments de comparaison assez précis puisque certains des squelettes y reposaient allongés sur le côté comme la défunte de Guennoc, là aussi associés à des amas de coquilles de patelles et ornés de bracelets. Un autre caractère propre aux sépultures gauloises tardives de Bretagne est le caractère souvent sommaire voire « improvisé » de certaines d'entre elles qui ne présentent plus aucune monumentalité, ce point se vérifiant à Guennoc par le caractère opportuniste de l'utilisation du couloir d'un dolmen pour y déposer un corps que l'on a simplement dissimulé au moyen d'une dalle mégalithique. Concernant la chronologie de l'occupation de l' île à l' Âge du Fer, la céramique donne une vision assez « compacte » de cette fréquentation, avec un mobilier relativement homogène si l'on excepte la présence – classique dans de tels lots – de quelques éléments résiduels antérieurs (céramiques à décors au poinçon notamment); le profil typo-chronologique de cette série, allié à la présence d'amphores DresselI, tend à indiquer une datation tardive de l'ensemble mobilier (fin du ii e et i er siècle av. J.-C.), si l'on rappelle la faible représentation des rebords à cannelure interne – qui sont très fines – ainsi que des jattes à profils en « S », ces dernières étant remplacées par des bols hémisphériques; mais on notera tout de même que la présence de meules rotatives en réemploi dans des constructions probablement gauloises redonne une certaine épaisseur à la durée de cette fréquentation. Évoquées à plusieurs reprises, les affinités sont nombreuses entre les deux sites de l' île Guennoc à Landéda et de l' île d'Yoc'h à Landunvez, distants d'un peu plus de 12 km à vol d'oiseau. Territoires aujourd'hui insulaires de dimensions comparables, il s'agissait à l'époque gauloise de simples promontoires ou presqu'îles peu élevées, suffisamment accessibles cependant pour que les occupants éprouvent le besoin d'édifier un talus-rempart sur la face tournée vers le Continent. Il s'agissait là davantage de structurer l'espace, de contrôler les accès (des animaux en particulier) que d'établir une réelle « défense », et l'on peut difficilement appliquer le terme « d'éperon barré » à ces deux sites que notre collègue John Collis a naguère qualifiés, non sans humour, de… « îles fortes ». Dans les deux cas, les hommes ont édifié sur ces plateaux côtiers des séries de petits bâtiments en pierres sèches d'un type maintenant bien identifié sur le littoral breton (Daire, 2004), en utilisant très largement comme carrière les sépultures mégalithiques préexistantes. L'une des différences réside dans la présence, à Guennoc, d'un enclos abritant certains bâtiments; cette structuration de l'espace peut être d'avantage liée à des pratiques agricoles (nécessité de séparer cultures et animaux d'élevage) qu' à une organisation sociale du territoire. Sur le plan quantitatif, d'après le nombre de bâtiments reconnus et l'importance du mobilier recueilli, on peut imaginer que, dans chaque cas, ce sont quelques « familles » (une trentaine de personnes au maximum de manière synchrone) qui ont pu vivre sur ces territoires alors notablement plus étendus qu'aujourd'hui (notamment en direction de l'est), en pratiquant des activités diversifiées : probablement l'élevage de caprinés comme c'est souvent le cas sur les côtes de l'ouest de la Gaule (Baudry, 2005), mais aussi la cueillette des coquillages et la pêche à pied, comme en témoignent les 10 m 3 de coquilles accumulées dans le dolmen A° du cairn III de l' île Guennoc; c'est là une différence taphonomique importante entre les deux sites puisqu'aucun reste organique n'était conservé sur l' île d'Yoc'h. Au titre des pratiques agricoles, nous avons également évoqué les restes de billons « fossiles » tout à fait comparables sur les deux îles et qui, sur l' île d'Yoc'h, ne peuvent que remonter à l' Âge du Fer. Des traces de cultures assez semblables dans leur organisation et dans leurs dimensions ont été mises en relation avec l'occupation pré-romaine du site de Hengisbury Head (Dorset, Grande Bretagne) (Lewis, 2002) et elles montrent que les îles léonardes recèlent sans doute un potentiel encore inexploité pour l'étude des anciennes pratiques culturales. Si une activité saunière a été mise en évidence sur l' île d'Yoc'h, aucun vestige de briquetages n'est en revanche signalé sur Guennoc. Nous avons donc deux groupes humains très proches dans leurs pratiques architecturales et agricoles, dans leur manière de percevoir et de structurer l'espace, bref, dans leurs modes de vie et dans leurs cultures, s'intégrant dans le contexte plus vaste des nombreux établissements, villages et hameaux côtiers ou insulaires, mais aussi des sanctuaires littoraux qui jalonnaient le littoral de l'ouest de la Gaule à l'aube de la Conquête (Bouvet et al., 2003). À Guennoc, comme à l' île d'Yoc'h, on peut envisager un abandon de l' île à la toute fin de l' Âge du Fer (ce qui en date absolue nous met plus probablement autour du changement d'ère, voire dans le courant du i er siècle apr. J.-C.); la cause de cette désertion est peut-être à chercher dans les conséquences de changements climatiques et environnementaux (eh oui, déjà !) : une montée relative du niveau marin, combinée à la possible rupture d'un isthme ou d'un tombolo, auraient progressivement isolé ces territoires du Continent et ainsi compliqué l'accès et la vie quotidienne de leurs occupants .
Au cours des fouilles menées sur l'île Guennoc à Landéda dans les années 1960, P.-R. Giot s'intéressa principalement à une série de cairns mégalithiques, mais reconnut plusieurs autres phases d'occupation humaine. Le réexamen systématique des collections, des publications, ainsi que l'exploitation d'un mémoire universitaire demeuré inédit, montrent aujourd'hui la richesse des données de terrain et du mobilier du second Âge du Fer. La présentation des contextes naturels et historiographiques de l'étude sera suivie par l'exposé de la démarche d'enquête débouchant sur une analyse des vestiges laténiens; la structuration de l'espace, les constructions et l'ensemble mobilier (céramique en particulier) alimenteront une réflexion synthétique sur l'occupation gauloise de l'île qui, projetée dans une perspective plus large, montre des points de comparaison avec d'autres sites insulaires finistériens et contribue à caractériser les populations côtières de l'ouest de la Gaule.
archeologie_10-0138177_tei_165.xml
termith-51-archeologie
La ville d' Évreux est située dans le département de l'Eure, en Haute-Normandie, sur les rives de l'Iton, affluent de l'Eure qui se jette dans la Seine. À l'époque antique, si le monde des vivants est implanté dans la vallée, l'espace réservé aux morts est établi au sud de la ville, à flanc de coteau, au lieu-dit « le Clos au Duc », le long de la voie reliant Évreux à Chartres. L'extension maximum de la nécropole nous échappe et il sera difficile d'apporter une réponse à cette interrogation car il s'agit d'un quartier actuellement très urbanisé. À Évreux, les premières traces d'occupation remontent au troisième quart du i er siècle avant J.-C.; il s'agit de structures d'habitat légères (Cliquet, 1993). La ville, implantée peu après la conquête romaine, prend très vite le nom de Mediolanum Aulercorum et devient le chef-lieu antique de la cité des Aulerques Eburovices, rattachée à la province de la Gaule Lyonnaise. Dès l'époque augustéenne, la ville connaît un développement rapide. L'espace urbain est structuré et se dote d'un théâtre édifié sous le règne de Claude, ainsi que d'un forum, de vastes thermes, etc. (Cliquet, 1993). Au deuxième siècle après j.-C., époque où la ville connaît son extension maximum, le commerce et l'artisanat sont florissants. Cette prospérité est liée à l'implantation stratégique de la ville, au croisement de deux grands axes de communication : les voies Rouen – Chartres et Évreux – Paris. Cette localité est d'ailleurs mentionnée sur la table de Peutinger. Une vaste nécropole se développe au sud de la ville (fig. 1). Elle est localisée dès les années 1830 par de nombreuses découvertes fortuites. D'autres observations sont réalisées à la fin du xix e siècle, puis dans les années 1925-1927 par H .Lamiray et M .Lepesant (Lamiray, 1927). Parmi les différents objets mis au jour, on peut citer un ustrinum, de nombreuses fibules, des tablettes de plomb (tabellae defixionum), des phalères argentées, de très nombreuses céramiques et verreries (Cliquet, 1993), des statuettes en terre cuite, dont une exceptionnelle Vénus à gaine signée REXTUGENOS SULLIAS AVVOT, découverte en 1913 ou 1914 au bord du chemin Saint-Louis, actuellement rue de la Libération – (Lamiray, 1927). La nécropole du « Clos au Duc » a également livré, au début des années 1980, un fragment de stèle en calcaire blanc, daté du ii e ou iii e siècle de notre ère. Il représente un chariot conduit par un homme revêtu du cucullus et tracté par deux équidés (Cliquet, 1993). Si l'on tient compte de l'ensemble de ces découvertes, la nécropole semble perdurer du i er au iv e siècle après J.-C. La fouille, prescrite sur une parcelle de 1 600 m², a été motivée par la mise au jour, lors de deux diagnostics, de nombreuses sépultures à crémation présentant un bon état de conservation (Carré, 2000; Guillet et Pluton-Kliesch, 2002). Cette intervention est d'autant plus importante que, jusqu'alors, la nécropole n'avait jamais fait l'objet d'une fouille archéologique. Les structures archéologiques sont apparues sous 0,15 à 0,35 m de terre végétale. La parcelle présente une légère pente vers le nord-ouest. Initialement, cette pente devait être plus importante si l'on tient compte de l'arasement du site, plus marquée dans la partie orientale (fig. 2). Les sépultures observées, généralement bien conservées, étaient implantées dans une argile à silex. à Évreux, au cours du i er siècle après j.-C., les sépultures à crémation secondaires coexistent avec les sépultures à inhumation, bien que ces dernières soient nettement moins représentées. La fouille a permis de mettre au jour un corpus important de structures funéraires : 78 fosses cendreuses, 70 sépultures à crémation secondaires, 25 sépultures à inhumation, toutes datées du i er siècle après J.-C. La faible proportion de sépultures révélée dans la partie orientale de la zone fouillée ne s'explique pas par une gestion particulière de l'espace, mais par un fort arasement du terrain. Dans l'ensemble, les sépultures à crémation, les fosses cendreuses et les sépultures à inhumation de sujets adultes et immatures se côtoient. Il n'existe pas de secteur réservé à chaque pratique funéraire, ni d'emplacements spécifiques pour les enfants et les nouveau-nés, ni pour les individus davantage dotés en mobilier (fig. 2). L'orientation des sépultures ne correspond non plus à aucun critère précis. La tête des sujets inhumés est placée indifféremment au nord-est, au nord-ouest, à l'est ou au nord-nord-est. Aucun élément de signalisation n'a été retrouvé. Toutefois, les sépultures devaient être marquées au sol puisque les recoupements sont très rares malgré la forte densité des fosses sépulcrales. De plus, chaque emplacement devait être connu afin que les familles puissent venir se recueillir sur les tombes lors des cérémonies commémoratives. Cette hypothèse est corroborée par la découverte d'un fragment de stèle funéraire sur la parcelle avoisinante. Circulaires, de 0,40 à 0,90 m de diamètre, elles sont comblées par un sédiment cendreux contenant de nombreux clous brûlés, des tessons et des fragments de verre chauffés, ainsi que des ossements humains ou provenant d'animaux incinérés. Ces éléments ne présentent aucun agencement particulier, les esquilles sont éparpillées dans l'ensemble du creusement et sont recouvertes d'une fine couche de sédiment gris. La présence de cendre et d'éléments brûlés semble indiquer que ce sédiment provient des résidus des bûchers funéraires. De tels vestiges ont été repérés dans le département de l'Eure, à Pîtres (Roudié, 1996) ou encore dans le nord de la Gaule (Van Doorselaer, 2001). Soixante dix-huit structures de ce type ont été retrouvées à Évreux. La présence systématique d'un seul sujet par fosse indique qu'il ne s'agit pas de la mise en terre des résidus de différents bûchers funéraires, mais que chaque fosse correspond à un bûcher. Une fosse renfermait toutefois les ossements de deux sujets adultes, dont un jeune, l'un étant légèrement plus robuste que l'autre. Il n'y a pas dans ce cas de pollution mais bien une crémation double, en effet plusieurs doublons osseux ont été relevés : deux processus odontoïdes de l'axis, quatre rochers, etc. Soixante fosses cendreuses ont livré des ossements brûlés de sujets adultes ou de taille adulte, quatre des ossements d'immatures et cinq d'individus dont l' âge n'a pas pu être déterminé (les principaux critères utilisés pour déterminer l' âge des défunts sont les suivants : le degré de synostose des épiphyses, le degré de synostose de la suture sagittale, la présence de dents de lait ou définitives [cf. Birkner, 1980]). Aucune diagnose sexuelle n'a pu être réalisée sur ces restes osseux (selon la méthode mise au point par J. Bruzek, 1991). Le poids des ossements recueillis varie, pour les sujets adultes, de 2,9 à 633,7 g, alors que le poids moyen des ossements brûlés d'un adulte est d'environ 1 600 g (Rosen, 2004). Celui des restes d'immatures est légèrement inférieur à celui des adultes puisque les dépôts recueillis varient de 27,6 à 387,1 g. Ce type de fosse renferme donc généralement moins d'un tiers du poids total des ossements d'un individu. Le rapide inventaire des nombreux tessons retrouvés dans ces fosses fait apparaître une part importante de céramiques fines ou importées et de sigillées, déposées sur les bûchers funéraires. L'interprétation de ce type de vestige est actuellement discutée. Certains auteurs, comme I. Le Goff (cf. Roudié, 1996), les considèrent comme des sépultures à incinération. V. Bel parle de crémations secondaires simples sans séparation d'ossements (Bel et al., 2002). M .Polfer (2001), enfin, fait la différence entre les fosses à cendres, aménagées « afin de recueillir les restes du mobilier primaire d'une incinération individuelle, après collecte d'éléments choisis de ce mobilier qui seront transférés dans la tombe », et les fosses dépotoirs « aménagées afin de recueillir les vestiges de crémations lors du nettoyage plus ou moins régulier des aires de crémations ». Il est difficile dans l'état actuel des connaissances d'interpréter ce type de fosses. Il peut s'agir de sépultures à crémation, de fosses dépotoirs ou de fosses funéraires participant à un rituel complexe. Les ossements brûlés placés dans les sépultures à crémation secondaires ont été déposés dans une urne en céramique (52 cas) ou, dans une moindre mesure, dans un ossuaire en matériau périssable (28 cas). Ces derniers sont souvent appelés « amas en pleine terre »; toutefois, une fouille fine a permis de délimiter les contours précis des différents amas. Les effets de parois observés ont alors indiqué la présence d'un ossuaire en matériau périssable souple ou rigide, le plus souvent circulaire ou rectangulaire (fig. 3). Les sépultures individuelles sont les plus représentées. Parmi les 22 amas osseux déposés dans une urne en céramique et retrouvés intégralement, seules deux sépultures doubles ont été mises en évidence. La première renferme les restes osseux d'un individu de taille adulte et d'un immature âgé de moins de 7 ans (st. 208); la seconde contient les restes osseux d'un adulte et d'un sujet de taille adulte (st. 159). Les adultes sont les plus nombreux (50 individus), 7 autres sont de taille adulte et 19 sont immatures : un sujet périnatal, deux enfants âgés de 6 mois (+/-2 mois), 9 ont moins de 10 ans et 7 ont plus de 10 ans (le plus souvent entre 13 et 17 ans). Les ossements des défunts, quelque soit leur âge, ont été indistinctement déposés dans un ossuaire périssable ou dans un contenant en céramique. Le poids des ossements brûlés des individus adultes varie de 180,3 à 829 g dans les urnes en céramique intactes et de 109,3 à 883,7 g dans les ossuaires en matériau périssable. Le poids des ossements des immatures varie de 26,4 à 493,1 g. Ces différences de poids, parfois importantes, peuvent en partie s'expliquer par l' âge et la stature des défunts. De plus, les vivants n'ont pas cherché à regrouper dans la sépulture l'intégralité du squelette, une partie des ossements brûlés suffisant à symboliser le défunt. Il n'existe aucune constante concernant le taux de fragmentation des ossements déposés dans les urnes. Ils ne semblent pas avoir été prélevés un par un, en fonction de leur taille, mais plutôt par « lots » ou par poignées. Dans les urnes funéraires, les ossements ne présentaient généralement aucun agencement, ni par analogie de forme, ni par région anatomique. Néanmoins, deux cas particuliers sont à signaler : dans le premier, des fragments de la calotte crânienne étaient déposés à plat, au-dessus de l'amas et semblaient protéger les autres éléments osseux (st. 200); dans le second, les ossements des membres supérieurs et inférieurs étaient regroupés dans les niveaux supérieurs du vase, alors que les éléments crâniens étaient essentiellement présents dans le fond de l'urne (st. 161). Malgré ces deux exemples, l'organisation interne des dépôts osseux de la nécropole d' Évreux semble relever du hasard. La crémation a été la pratique funéraire la plus usitée à Évreux durant tout le i er siècle après J.-C. Certains objets ont été déposés sur le bûcher funéraire (dépôts primaires), d'autres ont été placés dans la sépulture au moment de la mise en terre des ossements (dépôts secondaires). Ces offrandes sont destinés à accompagner le défunt durant sa vie dans l'au-delà. Toutefois, le mobilier d'accompagnement est relativement rare sur cette partie de la nécropole. Les sépultures secondaires à crémation avec urne en céramique sont ici généralement simples. Cependant, 10 sépultures (sur 52) associent l'urne funéraire à un vase d'accompagnement. Ce dernier est souvent moins bien conservé car il a subi la crémation ou a été volontairement brisé. Enfin, une seule sépulture (st. 48; fig. 4) a livré quatre poteries associées à une figurine en terre cuite représentant un volatile et à une paire de chaussures identifiée par de nombreux petits clous. Au regard des autres dépôts réalisés sur le site, ce dernier est exceptionnel, même si le mobilier n'est en fait constitué d'aucun matériel extraordinaire, les quatre céramiques étant bien connues dans les contextes domestiques classiques. L'ensemble révèle une forte proportion de poteries communes dont une bonne part comporte les traces d'une première utilisation domestique (suie sur les parois externes, dépôts calcaires à l'intérieur, décolorations partielles). Extraites du quotidien, elles possèdent tous les caractères habituels des céramiques de l'époque. Pourtant, le détail des formes fait apparaître une très grande proportion de pots, tous modèles confondus (36 exemplaires) et, dans une bien moindre mesure, de cruches (15 exemplaires), démontrant peut-être une sélection dans le choix des vases. Les pots laissent apparaître la prédominance des formes rehaussées d'un badigeon doré au mica sur l'encolure (28 exemplaires; fig. 5). Ces poteries proviennent de différentes sources, qu'il s'agisse de la première « génération » de ces productions, caractérisées par des pâtes brunes très riches en inclusions granitiques ou métamorphiques appelées « type Besançon », ou de toutes les suivantes, présentes tout au long du i er siècle, dans la région ébroïcienne (Adrian, 2001) comme dans certaines régions voisines. Leur prédominance dans cet ensemble funéraire semble à peine plus importante que dans le vaisselier domestique où ils servent de pots à cuire, voire de « bouilloires », comme en témoignent les dépôts calcaires sur les parois internes de plusieurs exemplaires. é voquant pratiquement un « standard » en raison de leurs silhouettes très similaires (fig. 5), ces pots dorés au mica servent ici presque uniquement d'urnes cinéraires. Plus rarement, ce type représente à la fois l'urne et les restes d'une poterie d'accompagnement, qui peut être issue du bûcher funéraire ou bien avoir été volontairement brisée lors de la mise en terre, et dont des débris sont déposés aux côtés de l'urne. Dans ce cas, il n'y a pas l'intégralité des restes, seuls quelques fragments de grande taille sont déposés dans la sépulture. Nettement moins fréquentes (15 exemplaires), les cruches constituent le deuxième type de poterie déposé dans les sépultures (fig. 6). Ce type rassemble à la fois des céramiques d'origine locale ou, plus largement, « régionale » (les « Noires à Pâtes Rougeâtres ») et des poteries d'importation lointaine, comme plusieurs cruches en pâtes brunes ou orangées micacées avec engobe blanc, vraisemblablement issues des ateliers du centre ou du centre-ouest de la Gaule. Ces cruches peuvent servir de vase d'accompagnement; certaines sont alors volontairement perforées sur la panse ou dans le fond. Elles peuvent également servir d'urne cinéraire, mais moins fréquemment que les pots. Dans un cas, la cruche a été complètement transformée (découpe et ébrasement) pour servir de « coupelle » aux ossements (st. 176; fig. 6). De la même manière que les pots dorés au mica, les différents modèles ou productions observés sur ce type de poterie sont caractéristiques de l'époque, exceptée peut-être la cruche « piriforme » de la sépulture 48 (vase B; fig. 6), dont le modèle ne trouve pour l'instant aucun parallèle direct. De façon beaucoup plus ponctuelle, plusieurs autres modèles de vases ont été utilisés dans les sépultures à crémation découvertes sur le site. Les plus représentées sont les poteries en Terra Nigra (au moins 6 exemplaires), mais, exceptionnellement, on trouve de la Terra Rubra (1 exemplaire; fig. 6). Un phénomène tout à fait similaire a été observé à Pîtres, reflétant en cela les assemblages domestiques. En l'absence de toute céramique sigillée sur le site, ces dernières constituent les seules poteries fines d'importation utilisées à des fins funéraires, le plus souvent comme urnes. Curieusement, il s'agit essentiellement de poteries « ouvertes » de type « bol » ou « coupe », dont les différents modèles sont bien connus dans les répertoires de la Gaule de l'ouest : vases carénés à fonds ombiliqués Ménez 110/111 (2 exemplaires), vase caréné probablement de type Ménez 103 (1 exemplaire; st. 162; fig. 6), bol ovoïde à fond ombiliqué de type Ménez 71 (1 exemplaire, sépulture 213; fig. 6), vase « bobine » Ménez 125 (1 exemplaire; st. 209; fig. 6), ces deux derniers modèles étant particulièrement rares localement, à l'inverse des autres. Pour le vase « bobine », on note que l'un des seuls parallèles disponibles pour les territoires haut-normands concerne un dépôt funéraire retrouvé à Pîtres (Roudié, 1996). À côté de ces formes « ouvertes », deux poteries se distinguent : une probable « bouteille » en Terra Nigra, non représentée et non identifiée précisément car dépourvue de son col, et un vase « tonnelet » en Terra Rubra (st. 221; fig. 6). Ces poteries fines proviennent des ateliers du centre ou du centre-ouest de la Gaule et, plus rarement, des ateliers du nord-est (Champagne, pour la Terra Rubra au moins). Enfin, quelques poteries n'appartiennent à aucune des catégories décrites ci-dessus : ceci concerne un vase miniature déposé en accompagnement (st. 157; fig. 6 et 7), un petit vase fin et décoré servant d'urne funéraire (st. 125; fig. 6), ou encore une poterie de type « pot » de service ou de stockage pourvu d'anses et engobé de blanc, servant de deuxième urne (st. 48, vase D; fig. 6). A l'exception du vase miniature, absent des ensembles domestiques classiques, ces poteries sont elles aussi issues du vaisselier d'usage courant de l'époque, même si leur modèle précis ne trouve pas toujours de comparaison. Ainsi le petit vase décoré de la sépulture 125 est jusqu' à présent « inédit » localement. Si les vases d'accompagnement semblent réservés à une partie de la population, le critère de l' âge des défunts n'est pas déterminant. En effet, deux de ces dix vases sont associés aux ossements d'un sujet immature de moins de 10 ans. Ces dépôts multiples peuvent-ils refléter une catégorie sociale privilégiée ? Une petite figurine moulée en terre blanche, représentant un volatile (pigeon ?), a été retrouvée dans la sépulture la plus « riche » en mobilier (st. 48; fig. 4). Elle appartient à une série de modèles, parfois à glaçure plombifère, souvent rencontrés en contexte funéraire. Elle était déposée dans la sépulture d'un adulte jeune. Si cette figurine n'est pas très courante, elle trouve néanmoins un certain nombre d'éléments de comparaisons dans les contextes funéraires, qu'ils soient locaux, comme à Pîtres « La Remise », dans la vallée de la Seine (Roudié, 1996), ou régionaux (Adrian, 2002). De plus, un petit objet ovoïde et creux, totalement fermé, en céramique grise rehaussée de petits points à la peinture blanche, en partie altéré par la chaleur, contenant deux petites billes en céramique, était déposé dans la sépulture d'un adulte (st. 192; fig. 8). Il semble s'agir d'un hochet. Ce type d'objet est jusqu' à présent inédit dans la région. « Le mort est souvent habillé de ses plus beaux vêtements et paré de bijoux » (Prieur, 1986). Cette coutume romaine semble respectée sur la nécropole d' Évreux durant le i er siècle après J.-C. En effet, les sépultures à crémation ont livré deux fibules à queue de paon à collerette circulaire ajourée de type Feugère 19a (fig. 9), deux fibules de type Feugère 6a, cinq perles en pâte de verre dont une millefiori (st. 176; fig. 10) et de nombreux clous de chaussure isolés. Tous ces éléments vestimentaires, altérés par le feu, étaient portés par le défunt lors de la crémation. Prélevés sur le bûcher, ils ont été déposés dans les sépultures, au-dessus ou parmi l'amas osseux. On constate toutefois que le nombre de fibules retrouvées est relativement faible si l'on considère que, durant tout le i er siècle, il s'agit d'un accessoire vestimentaire fonctionnel courant. La présence des deux fibules à queue de paon dans une sépulture individuelle est à rapprocher de l'hypothèse selon laquelle les fibules étaient portées par paires (Bertrand, 2003). Une paire de chaussure, non brûlée, a également été déposée dans la sépulture d'un sujet adulte, au-dessus de l'urne funéraire (st. 48). Cette paire a pu être caractérisée par 43 petits clous dessinant la forme de semelles, les éléments en cuir étant totalement décomposés. Une fiole en verre, de type Isings 28, a également été mise au jour dans une urne funéraire en céramique, au-dessus des ossements d'un enfant de moins de 5 ans (st. 59). D'autres fragments de verre, altérés par le feu, ont été retrouvés dans quatre fosses. Seuls quelques éléments ont pu être identifiés; ils proviennent d'une verrerie blanche, de type « fiole ». Ces petites verreries, ou balsamaires, placées sur le bûcher ou dans la sépulture, sont fréquemment retrouvées dans les nécropoles romaines et sont interprétées comme des flacons à parfum. Ce dernier est un élément important des funérailles romaines, si l'on en croit Ovide (Fastes, III, 561); qui rapporte que « les cendres molles de la tombe absorbent les parfums mêlés de larmes » (Prieur, 1986). Deux miroirs brûlés ont également été déposés au-dessus des ossements, le premier dans l'urne funéraire en céramique d'un adulte jeune (st. 149), le second dans l'ossuaire en matériau périssable d'un adulte mature (st. 53). Ces miroirs, en alliage cuivreux riche en étain, sont composés d'une simple plaque circulaire dont le dos est brut de coulée et la face polie. La tranche comporte une surépaisseur localisée pour fixer un manche. Cet objet, indispensable pour les soins du corps et le maquillage, est considéré comme un symbole de beauté et de raffinement dans l'Antiquité classique (Bertrand, 2003). En l'absence d'éléments osseux pertinents, il n'est pas possible de déterminer si ces éléments de soins ont été déposés dans les sépultures d'hommes ou de femmes. Une seule monnaie, illisible, a été mise au jour dans une fosse funéraire cendreuse (st. 82); il peut s'agir de l'obole à Charon. Cette coutume, normalement très répandue dans le monde romain, consistait à déposer dans la sépulture une monnaie qui servait au défunt à payer son passage du monde des Vivants au monde des Morts (Prieur, 1986); elle est ici très peu usitée. Les ossements animaux non brûlés sont assez rares dans les sépultures à crémation d' Évreux. On constate toutefois la présence d'une vertèbre d'ovicapridé et de deux dents de porc. Quelques ossements animaux brûlés ont été retrouvés parmi les esquilles humaines, dans la plupart des fosses cendreuses et dans plus du tiers des sépultures à crémation. On note la présence de suidés (radius, côtes, fragments de crâne de porc adultes et immatures), d'un calcanéus d'ovicapridé, ainsi que des fragments de coquilles de moules. Si les ossements animaux sont présents dans la plupart des sépultures, leur quantité est généralement assez faible; elle peut toutefois représenter jusqu' à 21 % du poids total des ossements déposés dans une sépulture (st. 202). Ces ossements, déposés sur le bûcher, peuvent provenir des résidus du banquet funéraire ou d'offrandes alimentaires. La fouille a permis de mettre au jour 25 sépultures à inhumation, présentant un assez bon état de conservation. Si la crémation est la pratique funéraire généralement la plus répandue, elle n'est toutefois pas exclusive. Ces deux pratiques ont coexisté sur la nécropole d' Évreux durant tout le i er siècle après J.-C. Les sépultures à inhumation se caractérisent par des fosses ovales pour les immatures et de forme rectangulaire aux extrémités arrondies pour les adultes. La taille des creusements est sensiblement adaptée à celle des corps. Dans un seul cas, la fosse était trop petite : le défunt mesurait 1,58 m alors que la fosse mesurait 1,54 m (st. 34). Le sujet avait donc dû être déposé membres inférieurs fléchis. La fosse était-elle initialement prévue pour un autre individu ? Parmi les sujets inhumés, on dénombre huit adultes, deux immatures de moins de dix ans et quinze sujets périnataux (morts aux alentours du terme). Ces derniers représentent donc 60 % des inhumations mises au jour sur la parcelle étudiée. Cette surreprésentation apparente est cependant biaisée par l'absence d'une fouille exhaustive et par la crémation des sujets adultes. L'inhumation quasi exclusive des bébés correspond aux pratiques funéraires en vigueur, car, comme le dit Pline (Histoire naturelle, VII, 15; cf. Depierre, 1995), « il n'est pas d'usage de brûler les enfants à qui il n'a point encore percé de dents ». Les sépultures à inhumation des sujets périnataux ne sont pas regroupées dans un secteur précis de la parcelle; elles sont disséminées parmi les sépultures à inhumation d'adultes et les sépultures à crémation (fig. 2). Deux hommes et deux femmes ont pu être identifiés parmi les inhumés d' Évreux; les caractères sexuels du bassin des autres individus ne sont pas suffisamment discriminants (cf. Bruzek, 1991). L'état de santé bucco-dentaire a pu être étudié sur quatre défunts. Trois adultes matures ou âgés présentent des pertes ante mortem, l'os alvéolaire étant refermé. Le nombre de dents tombées varie de 1 à 6. Ces individus présentent également du tartre, et un abcès a été observé à la base de la seconde incisive et de la canine inférieures droites d'un sujet mature. Tous ces éléments témoignent d'un mauvais état de santé bucco-dentaire. Cette population semble plutôt défavorisée. Cette hypothèse est corroborée par la présence de lignes d'hypoplasie de l'émail dentaire visibles au moins sur quatre adultes. Elles sont dues à des arrêts de croissance survenus dans l'enfance et liés à des stress, des carences alimentaires et/ou de mauvaises conditions de vie. De plus des spondylarthroses sont visibles sur les sujets âgés de plus de 30 ans. Des arthroses extraspinales sont présentes chez plusieurs sujets matures ou âgés, au niveau des articulations du poignet et de la hanche. Enfin, des enthésopathies, affectant les insertions tendino-musculaires, apparaissent sur les arcs neuraux des vertèbres, au point d'insertion du ligament jaune, sur le pourtour de la facette auriculaire de la tête costale, mais aussi au niveau de la cavité glénoïde de la scapula, sur les clavicules, les fémurs (à l'insertion des muscles de la hanche et de la cuisse), les patellas, les tibias et les calcanéus. Toutes ces dégénérescences, présentes également sur les sujets jeunes de cette population, impliquent une activité physique importante sollicitant muscles et tendons. Les données taphonomiques impliquent une décomposition des corps dans des espaces vides. En effet, certains ossements ont migré en dehors du volume du corps. De plus, des effets de paroi, visibles sur les squelettes, indiquent que les défunts, quel que soit leur âge, ont été inhumés dans des cercueils chevillés ou des coffrages. D'autres compressions sont également visibles au niveau du thorax, des genoux et des pieds des adultes. Elles ne sont pas liées à la largeur du cercueil et sont associées à des incohérences taphonomiques (certains os sont restés en équilibre instable alors que le corps s'est décomposé dans un espace vide). Elles s'expliquent par la présence d'une enveloppe souple, serrée autour du corps. Cette enveloppe peut être un tissu et/ou un vêtement. Les sujets périnataux ont été déposés en position fœtale, les immatures et les adultes le plus souvent en décubitus dorsal. Toutefois, deux adultes ont été inhumés en procubitus. Il ne semble pas s'agir d'une mesure d'exclusion, puisque ces défunts ont été enterrés au sein de la nécropole. Le mobilier déposé dans les sépultures à inhumation est très rare. Seul un homme âgé est accompagné d'une cruche déposée dans le cercueil, contre le maxillaire gauche (st. 97; fig. 12). Quelques ossements animaux, non brûlés, ont été retrouvés dans deux sépultures : l'une contenait une diaphyse d'oiseau indéterminé (st. 168), l'autre renfermait une fibula de porc et une diaphyse d'oiseau indéterminé (st. 193). La nécropole du « Clos au Duc » semble s'implanter au début du i er siècle après J.-C. Si, d'après les découvertes anciennes, elle perdure jusqu'au iv e siècle, la parcelle qui vient d' être fouillée n'a pas livré de sépultures postérieures à la fin du i er siècle. Comme dans le reste de la Gaule, nous constatons qu' à cette période les crémations sont prédominantes, bien que cette pratique funéraire ne soit pas exclusive. En effet, quelques inhumations ont également été mises au jour. La crémation semble privilégiée pour les sépultures adultes et l'inhumation réservée plus particulièrement aux sujets périnataux. Si une gestion de l'espace funéraire peut être envisagée, les sépultures ne présentent aucune organisation spatiale particulière, que ce soit en fonction de l' âge du défunt ou du mode de mise en terre des ossements. La fouille a permis de constater qu' à Évreux, au i er siècle après j.-C., les sujets périnataux ont été inhumés dans le même secteur de la nécropole que les défunts adultes et que tous ont bénéficié de sépultures individuelles. Les sujets périnataux représentent 16,3 % de la totalité des défunts mis au jour (inhumés ou incinérés). Bien que l'intégralité de la nécropole n'ait pas été fouillée, ce pourcentage est assez proche du taux de mortalité infantile (moins de 1 an) estimé pour les populations « pré-Jenneriennes » (présentant des conditions d'hygiène antérieures à l'introduction de la vaccination). En effet, à l'époque romaine, le taux de mortalité infantile est de l'ordre de 200 à 400 pour 1000 (Durand, 2004). Nous sommes donc en présence d'une population dite « naturelle ». Cette population semble plutôt défavorisée car les squelettes indiquent une mauvaise hygiène bucco-dentaire et montrent de nombreuses dégénérescences osseuses, signes d'une activité physique particulièrement intense. De plus, le mobilier déposé dans les sépultures est assez rare (5,8 % des cas). Quelques éléments de parure ont été retrouvés : fibules, miroirs, hochet, perles, chaussures et un balsamaire. Toutefois, une seule sépulture a livré quatre vases, une paire de chaussure et une petite figurine en terre blanche. Cependant, si l'urne funéraire est le vase le plus fréquent, la faible quantité de mobilier associé et l'emploi de vases préalablement utilisés à des fins domestiques indiquent que la population enterrée dans cette partie de la nécropole est peu aisée. Cette observation est accréditée par une comparaison avec le mobilier funéraire d'accompagnement déposé dans les sépultures de Pîtres (Roudié, 1996) et de Vatteville-la-Rue (Lequoy, 1991), où l'on note la présence de tombes contenant de nombreuses verreries, des vases zoomorphes, des armes, de nombreuses céramiques… Des secteurs regroupant des sépultures plus « riches » semblent exister sur des parcelles avoisinantes, puisque les découvertes fortuites réalisées à Évreux aux xix e et xx e siècles ont livré des sépultures contenant des statuettes de Vénus, une bouteille en forme de singe, des fioles en verre, un œuf en terre blanche, des fibules, des biberons, des monnaies, des bronzes, etc (Lamiray, 1927). L'ensemble des structures donne une vision incomplète du mobilier utilisé pour les cérémonies funèbres de ces individus apparemment plutôt défavorisés. La comparaison entre les objets déposés avec les urnes en céramique, dans les ossuaires en matériau périssable et dans les fosses cendreuses ne fait pas apparaître de différences. L'un des exemples les plus explicites concerne le petit mobilier : sur les perles de pâte de verre découvertes, une seule provient d'une sépulture en urne, une autre d'une crémation en contenant périssable, deux d'une fosse cendreuse. Il est en de même pour les fibules : sur six objets comptabilisés, un seul est associé à une urne en céramique, les autres provenant de sépultures en contenant périssable. Pour le mobilier céramique, le constat est à peine différent : les dépôts sont souvent simples et concernent majoritairement des poteries communes déjà utilisées. Le rapide inventaire réalisé pour les fosses cendreuses fait toutefois apparaître un décalage sensible : les céramiques fines ou importées, notamment les glaçures plombifères, voire les céramiques engobées ou même sigillées, y sont nettement plus fréquentes, bien que réduites à l'état de simples tessons souvent éclatés et décolorés par la chaleur des bûchers. Cette différence sensible entre le matériel déposé dans les sépultures et celui attesté à l'état de débris dans les fosses cendreuses prouve l'utilisation sélective des poteries à la fois plus nombreuses, plus variées et régulièrement plus « prestigieuses » lors du rituel entourant la crémation, les restes du défunt trouvant leur place dans une poterie déjà utilisée, sélectionnée pour des raisons liées à des croyances aussi multiples qu'impalpables, voire peut-être à de simples disponibilités pratiques. À la fin du i er siècle, la fonction du site évolue et la parcelle n'accueille plus de sépultures. En revanche, un large enclos y est creusé au cours du ii e siècle. Une entrée est visible dans la partie orientale de celui -ci, où le fossé s'interrompt sur deux mètres environ. Ce fossé est comblé entre la fin du ii e siècle et le début du iii e par une succession d'apports de sédiment et par des dépôts ponctuels et conséquents comprenant essentiellement des ossements animaux et de la céramique. Ces dépôts, successifs et volontaires, sont restés un laps de temps à l'air libre, certaines céramiques présentant des délitages de surface liés au gel. L'association de ces céramiques avec des ossements de chien, de cheval, de petits objets tels que des statuettes, des jetons en os ou une bague à intaille semble liée à un rituel funéraire. Puis durant le iv e siècle, trois dépôts sont mis en terre dans l'espace précédemment délimité par l'enclos. Ils contiennent des offrandes alimentaires et monétaires (déposées pour les dieux ou pour l' âme des morts ?). Il semble s'agir de dépôts liés au monde funéraire puisque la nécropole est toujours en activité sur les parcelles adjacentes : les découvertes anciennes mentionnent en effet la présence de sépultures, d'urnes en céramiques et de verreries, datées des iii e et iv e siècles après J.-C. (Lamiray, 1927) .
Des sépultures du Ier siècle après J.-C. se succèdent sur cette partie de la nécropole antique d'Évreux. Deux pratiques funéraires coexistent. On constate une prédominance des inhumations pour les sujets périnataux et une prédominance des crémations pour les adultes et immatures. Une partie des résidus des bûchers funéraires a également été prélevée et déposée dans des fosses creusées à cette intention. Le mobilier déposé dans les sépultures est assez rare. Nous sommes en présence d'une population plutôt défavorisée. Les dernières sépultures datent de la fin du 1er siècle après J.-C.
archeologie_10-0139970_tei_162.xml
termith-52-archeologie
En limite orientale du Massif armoricain, la grotte Rochefort est l'une des quelque vingt cavités actuellement recensées dans la vallée de l'Erve, cours d'eau à l'origine de la formation d'un petit karst affectant un massif calcaire du Carbonifère et dont le pseudo-canyon recèle de nombreux témoignages préhistoriques, connus de longue date (fig. 1). Depuis 2001, avec une première évaluation archéologique suivie d'une première campagne triennale de fouilles (2002-2004), la grande salle de la grotte Rochefort fait l'objet de nouvelles études. Participant d'un programme de l'UMR 6566 du CNRS sur les premiers peuplements de l'ouest de la France, les fouilles de la grotte Rochefort, conjointes à l'étude des deux grottes ornées de la même vallée (grotte Mayenne-Sciences et grotte Margot; Pigeaud, 2004), devraient fournir un cadre chronostratigraphique et culturel majeur pour le Pléistocène supérieur de la région. La réputation de cette grotte sur le plan archéologique, ainsi que son ouverture au public depuis des décennies, ne laissaient guère d'espoir quant au potentiel encore en place. C'est pourtant lors des phases préliminaires de cette opération, après un nettoyage complet de la salle principale, dite « des Troglodytes », que des niveaux d'occupations récents ont été identifiés. Sur une épaisseur d'environ 20 cm, des couches historiques et protohistoriques surmontaient un niveau du Mésolithique final recouvrant lui -même les horizons paléolithiques proprement dits. C'est au sein de l'unité 2.3, scellée juste sous la surface de piétinement actuelle, que des restes osseux humains éparpillés sont apparus en grand nombre (834 identifiés). La salle des Troglodytes adopte une forme triangulaire effilée pour une surface totale d'environ 150 m² (fig. 2). Elle se situe à l'extrémité du couloir d'accès de la grotte, long d'une vingtaine de mètres, et elle représente l'une des plus volumineuses cavités actuellement connue dans ce karst, avec un plafond à plus de 5 m de hauteur. Elle s'inscrit dans le réseau moyen de la grotte Rochefort, aujourd'hui inactif, aux parois sèches et pratiquement sans spéléothèmes. Le réseau inférieur, actif et correspondant au niveau de base actuel de l'Erve, aujourd'hui ouvert aux visites touristiques, n'était quant à lui pas connu des premiers occupants de la grotte puisqu'il ne fut découvert qu'en 1882 (Grosse-Dupéron, 1901). Pour des raisons techniques, la fouille entreprise dans la cavité ne concerne que les deux tiers sud de la salle, soit environ 100 m², surface dont ont sait maintenant qu'elle a été affectée par trois excavations d'emprise limitée au xix e siècle (fouilles de mademoiselle Ida de Boxberg à partir de 1870). À partir des coupes de références établies sur le chantier et du mobilier associé, nous avons déterminé une séquence stratigraphique correspondant aux périodes d'occupations historiques et protohistoriques de la grotte, pour un bilan sédimentaire d'une épaisseur moyenne de 20 cm, couvrant la totalité de la salle des Troglodytes. Nous avons nommé « unité 2 » l'ensemble de ces couches superficielles (excepté la couche de piétinement actuelle nommée 1), les subdivisions étant numérotées de manière continue (US 2.1 à 2.8). Les trois tranchées de fouilles du xix e siècle ont quant à elles été numérotées US 1000, 2000 et 3000. Le caractère plus ou moins organique des couches s'illustre par une coloration gris foncé à noire dominante et par la présence, dans certaines d'entres elles, de macro-restes végétaux abondants (fig. 3). Des traces de rubéfaction et des charbons de bois se retrouvent régulièrement au sein de ces unités, sans que de véritables structures de combustion aient cependant été identifiées. La stratigraphie présente des horizons peu épais relativement homogènes dont la tendance argileuse est prédominante. Si la lecture stratigraphique en cours de fouille demeurait imprécise du fait de hiatus, lacunes ou recharges ponctuelles (par exemple la couche 2.4), l'ensemble s'est avéré relativement cohérent à partir du mobilier archéologique (céramique et petit mobilier métallique) et de la coloration des strates. Les restes fauniques, correspondant tous à des animaux domestiques (mouton, porc…) ou sauvages de milieu tempéré (cerf, sanglier, chat sauvage, castor…) sont quant à eux plus difficiles à rattacher à une stratigraphie. Ainsi, si des mélanges sont indéniables entre différents niveaux, notamment du fait de bioturbations, l'essentiel de la chronologie relative a néanmoins été perçu. Les unités stratigraphiques (notées US dans cet article) sont donc les suivantes, de bas en haut : – US 2.8 : couche argilo-graveleuse très organique, noire, indurée par des carbonates et localement scellée par le plancher de calcite Ps 1. Mésolithique final. – Ps 1 : plancher stalagmitique, essentiellement conservé le long de la paroi ouest. Néolithique. – US 2.7 : couche argilo-graveleuse très organique, noire, compactée. Début premier âge du Fer. – US 2.6 : couche argilo-graveleuse organique, gris-noir, à cailloutis damé. Fin premier âge du Fer. – US 2.5 : couche argileuse gris-noir assez homogène avec cailloux en vrac à la base. La Tène finale à i er siècle apr. J.-C. – US 2.4 : remplissage argileux homogène damé, gris foncé, sans cailloux; couche très ponctuelle (recharge). Période moderne. – US 2.3 : identique à 2.1, la matrice étant davantage argileuse; présence plutôt contre la paroi ouest. Période moderne. – US 2.2 : couche très organique (éléments végétaux non décomposés), brune, damée et localisée au centre de la salle. Période moderne. – US 2.1 : cailloutis régulier dans une matrice argilo-graveleuse grise; présence sur la totalité de la surface. Périodes moderne et contemporaine. L'occupation gauloise 2.5, support du dépôt funéraire initial, se voit donc ici recouverte par un ensemble sédimentaire récent (couches 2.4 à 2.1) recouvrant une large partie de la surface de la salle et dans lequel l'essentiel des restes osseux humains va être collecté. L'épaisseur des matériaux varie d'une zone à l'autre selon des nuances micro-topographiques. Celles -ci ont été engendrées en partie par la combinaison des activités humaines et de la redistribution des matériaux sédimentaires acheminés par le réseau karstique. Il en résulte localement des accumulations sédimentaires assez puissantes, notamment à l'embouchure du puits karstique du fond de la salle. Leur abondance diminue cependant progressivement vers le centre de la salle. Cette variation quantitative des apports sédimentaires est associée à une différence de texture, notamment pour les matériaux déposés par voie hydrique : les plus grossiers se concentrent à l'embouchure du puits alors que la composante fine est répartie un peu plus loin dans le reste de la grotte. On assiste alors à la formation d'une légère pente de la surface du sol, qui a probablement entraîné des transferts hydriques et sédimentaires; elle explique également les variations d'épaisseur des couches sédimentaires naturelles et anthropiques. Afin de comprendre les modalités de démantèlement du dépôt, une répartition spatiale des vestiges humains a été réalisée à partir de l'enregistrement 3D des collectes par carrés de fouille (fig. 4). Aucune connexion anatomique stricte n'a été identifiée sur le terrain et il convenait, pour tenter de comprendre cet ensemble, de disposer d'un plan permettant d'en apprécier la cohérence. Une étude des processus taphonomiques, et notamment des phénomènes qui régissent les maintiens ou destructions des connexions anatomiques des os, a alors été envisagée pour comprendre le dépôt. Mais l'analyse a été compliquée par l'extrême fragmentation et la dispersion des restes osseux. La mauvaise conservation de ces vestiges n'a par ailleurs permis d'établir que quelques appariements et recollages. Seuls deux hémi-maxillaires immatures (n° 297 et 306), deux phalanges (n° 474 et 485), deux hémi-arcs d'atlas (n° 212 et 213) et deux vertèbres thoraciques (n° 590 et 591) ont pu être associés. Les appariements dentaires sont les plus nombreux, à l'image de la concentration, repérée en I13, de trois dents du bloc incisivo-canin inférieur et d'une deuxième prémolaire (n° 207 à 210). Ces concentrations sont surtout visibles le long des parois, dans les bandes 12 et 15 du carroyage (fig. 4) (Hinguant et Colleter, 2002; 2003; 2004). L'importante dislocation des dépôts peut s'expliquer par l'absence d'architectures funéraires recouvrant les cadavres et de traces de creusement. En effet, aucune excavation n'apparaît en surface de la couche 3, pourtant située entre 10 et 20 cm en dessous des niveaux 2.3/2.5. L'absence de structures repérées à la fouille n'est cependant pas forcément le miroir de leur carence au moment du dépôt. Même si les terres d'un espace funéraire ont tendance à foisonner et « à monter » en raison du décompactage des sédiments, il semble improbable qu'une épaisse couche archéologique (au minimum 40 cm d'épaisseur pour couvrir entièrement les corps) ait totalement disparu avant l'installation médiévale. Les sépultures ont pu néanmoins faire l'objet de couvertures (coffrages de bois par exemple), mais aucune évidence archéologique ne vient le confirmer. Il paraît donc beaucoup plus vraisemblable que les corps aient été déposés à même le sol. Ce simple abandon expliquerait, par manque de protection, leur dislocation totale au cours de divers processus taphonomiques. D'une part les agents endogènes (bactéries) ont pu travailler librement, mais ce sont surtout les agents exogènes qui expliquent l'éparpillement des débris osseux. Si les cadavres n'ont pas bénéficié de protections (fosses, cercueils…), des animaux ont largement pu contribuer à la dislocation initiale des squelettes, les interventions humaines achevant le processus. L'absence de structures d'inhumations de type fossoyé est assez étonnante dans le cadre d'inhumations protohistoriques mais le dépôt en grotte des cadavres justifie peut-être cette pratique, la cavité tenant alors le rôle de véritable caveau funéraire. Les nécropoles ne sont pour les Gaulois qu'un des aspects du fait funéraire et les défunts peuvent être inhumés dans des lieux assez divers (Perrin 2000). L'analyse taphonomique se voit également compliquée par la nature même des vestiges osseux retrouvés. En effet, il s'agit principalement de petits ossements (dents, phalanges, fragments de vertèbres), l'essentiel des os longs ayant disparu. Ainsi le NMI (nombre minimal d'individus) n'a -t-il pu être calculé pour l'essentiel qu' à partir des restes dentaires. L'absence d'ossements de grande taille (fémur, tibia, crâne…) reflète peut-être des pratiques funéraires opérées dans la cavité. Deux hypothèses se présentent alors pour expliquer la chronologie de la dislocation des dépôts et les concentrations préférentielles repérées le long des parois : il s'agit soit de réinterventions humaines gauloises liées à certaines pratiques funéraires, soit d'un nettoyage plus tardif de la cavité, à un moment où les mémoires avaient oublié cette nécropole. Des indices archéologiques, essentiellement céramiques, étayent cette seconde proposition sans toutefois écarter totalement la première hypothèse. Ainsi, le démantèlement complet et final de l'ensemble peut être attribué au xv e siècle, au cours duquel un nettoyage de la cavité a été réalisé pour sa transformation en lieu de stockage (cellier, cave), comme l'atteste notamment la présence de plusieurs pots à beurre. Au cours de cette entreprise les os les plus visibles (os longs et crânes ainsi que ceux présents au centre de la salle) auraient ainsi pu être évacués pour assainir la cavité. La répartition majoritaire des os le long des parois ne reflèterait donc pas le lieu primaire d'inhumations ou de dépôts mais témoignerait d'un ramassage non exhaustif et assez rapide dans des zones de la grotte moins accessibles, à la différence des espaces de circulation, majoritairement au centre de la salle. L'intentionnalité du dépôt est difficile à prouver au moyen de la documentation archéologique mais le contexte de la découverte peut justifier à lui seul l'appellation de sépulture. Par ailleurs, les quelques appariements ostéologiques présentés supra peuvent conforter la présence de dépôts de cadavres frais dans la cavité (fig. 4). De même, la forte correspondance entre les NMI dentaires et osseux pour les immatures, contrairement à celle des adultes, peut s'expliquer par la difficulté de nettoyer intégralement des sépultures dont les os sont plus petits. La présence de petits os comme des phalanges ou des germes de dents ne peut pas en termes statistiques résulter d'un quelconque transport. La remarque est confirmée par le nombre élevé de dents, reflétant davantage la population initiale. Même si les indices d'un dépôt primaire demeurent ténus, parallèlement aucun argument ne permet d'entériner celui d'un dépôt secondaire ou d'un ossuaire. Au-delà de l'intentionnalité du fait funéraire, l'ensemble des ossements humains de la grotte Rochefort semble bien constituer une sépulture plurielle pour laquelle la chronologie des dépôts n'est cependant pas déterminable. Les datations absolues (cf. infra & 3), avec deux fourchettes se superposant sur un intervalle de près de 30 ans, pourraient suggérer une succession des dépôts, impliquant une programmation et une réelle volonté d'attribuer à la grotte un rôle sépulcral. Il ne s'agirait pas alors d'un dépôt hâtif ou précipité dans un endroit arbitraire. Même si le choix de la grotte a pu être à l'origine opportuniste, l'importance numérique des squelettes montre qu'elle finit par devenir une réelle norme funéraire pour ce groupe de vivants. Les découvertes de corps abandonnés dans les grottes, datés de l'époque gauloise, sont parfois interprétées comme les vestiges de massacres collectifs (Mariën, 1975; Perrin, 2000). Pourtant, la théorie d'inhumations de catastrophe, sans être à exclure fondamentalement, ne peut guère être retenue ici, compte tenu du manque d'indices à la fouille. D'une part aucune trace probante de mort violente par coup ou blessure n'a pu être mise en évidence au cours de cette étude et d'autre part plusieurs critères doivent converger pour aboutir à cette conclusion, notamment la connexion stricte des articulations des défunts (précisant le dépôt simultané des corps et donc une crise brutale de la mortalité), la structure démographique de la population (révélatrice d'épidémie, famine ou massacre) et/ou un traitement particulier subi sur les os (traces de décollement, décarnisation, fracturation, cuisson…) pour des trophées de massacre ou du cannibalisme (Bouville, 1995). Le lot d'ossements recueilli dans la grotte Rochefort est à cet égard trop remanié pour autoriser une telle conclusion. L'étude anthropobiologique des vestiges de la grotte Rochefort réside principalement dans la détermination et la latéralisation de l'ensemble des fragments osseux humains récupérés dans la cavité et leur cartographie générale (fig. 4). La méthode de prélèvement a permis d'obtenir une répartition précise de la plupart des os afin d'essayer d'appréhender les pratiques et gestes funéraires, les modes de dépôts des corps et de comprendre les processus taphonomiques, même si nous ne disposons que d'éléments fragmentés et dispersés sur la surface de la salle. La conservation d'un os étant fonction de sa densité et de son stade d'ossification, les petits os et/ou les os denses (corps vertébraux immatures, os du carpe, pétreux…) sont les mieux représentés. Le déficit des os du crâne (hormis les dents) et des os longs étant quant à lui vraisemblablement le fait d'investigations anthropiques dans la cavité. Au total, il s'agit de 834 vestiges osseux assimilés au genre humain qui ont été répertoriés dans la cavité. Le nombre minimum d'individus établi à partir des dents l'a été uniquement à partir des pièces déterminées et latéralisées de façon sûre et définitive. Au total 342 dents sur les 363 récoltées durant cinq ans de fouille ont été prises en compte pour ce dénombrement (94 %). Les hésitations portent majoritairement sur des dents très abrasées, comme certaines incisives ou molaires dont les tables occlusales sont presque plates (fig. 5). Pour les adultes, le NMI découle du comptage des premières incisives supérieures permanentes droites présentant au minimum un stade d'usure « D » à partir de la nomenclature de Lovejoy (Lovejoy et al., 1985). Au total, 22 exemplaires ont été déterminés, dont 20 ont été assimilés à un âge dentaire supérieur à 15 ans. Deux premières incisives supérieures droites sont très usées et appartiennent à un stade « G » ou « H » (âge estimé supérieur à 35 ans). Deux autres, non usées, appartiendraient à des adolescents ou adultes jeunes (15-24 ans). Pour les enfants, quatre jeunes adolescents appartenant à la classe d' âge 10-14 ans ont été identifiés à partir de la première molaire inférieure gauche, trois jeunes de la classe 5-9 ans à partir de canines supérieures droites et six enfants de la classe 1-4 ans à partir de quatre incisives déciduales gauches (fig. 6). Les âges au décès pour les enfants ont été estimés à partir des phases d'éruption des dents déciduales et permanentes dans la bouche (Ubelaker 1991) et des stades de minéralisation ou de résorption dentaires selon la croissance de chaque dent (Moorrees et al. 1963a et b). L'ensemble regroupe donc au minimum 34 individus. Les dents se répartissent à peu près équitablement entre celles appartenant au maxillaire (50,5 %) et celles de la mandibule (49,5 %). Les dents permanentes monoradiculées (incisives, canines et prémolaires monoradiculées) représentent le lot le plus nombreux (58 % au total), mais sont en fait sous-représentées par rapport aux proportions normales qu'on trouve dans une bouche théorique (62 %). Le dénombrement du corpus de la grotte Rochefort montre également une parfaite cohérence entre le nombre total des incisives supérieures et inférieures et celui des molaires. La répartition des 48 dents déciduales est également cohérente par rapport à une bouche théorique ne renfermant que 20 dents. Au sein du corpus, le bloc incisivo-canin représente 62,5 % des dents contre 60 % dans une bouche théorique. La proportion de dents appartenant au maxillaire y est plus importante (60 %), conséquence du remaniement des crânes. Les chutes post-mortem des dents nous livrent donc une image assez fiable de la population déposée dans la cavité. Un total de 471 fragments d'os humains compose le corpus de la grotte Rochefort. Une quarantaine de fragments indéterminés mais vraisemblablement humains figurent parmi cet ensemble mais ils n'ont pas pu bénéficier d'une attribution définitive compte tenu de leur importante fragmentation. Il s'agit pour la plupart de fragments de diaphyses, de corps ou arcs vertébraux, ou de petits os plats appartenant au bloc crânien. Plusieurs paramètres ont été pris en compte pour déterminer le nombre minimum d'individus à partir de ces vestiges osseux : les os entiers ont tout d'abord été séparés entre droits et gauches, les fragments et notamment les épiphyses proximales et distales ont ensuite été identifiées et latéralisées et enfin les degrés de synostose des os ont permis d'augmenter la détermination du nombre d'individus (cf. Poplin, 1976; Chambon, 2003). Quatre adultes ont ainsi été identifiés à partir d'hamatums droits et du premier métacarpien droit. Quatre jeunes sujets ont également été dénombrés, dont un de moins de un an révolu (à partir d'une ulna droite), deux de la classe d' âge 5-9 ans (ischiums droits) et un de la classe 15-19 ans, représenté par de nombreux os (fig. 7). Les classes d' âge des immatures ont été attribuées à partir des degrés de synostoses des os et de la longueur des diaphyses pour les moins de un an, selon les prescriptions métriques données par Scheuer et Maresh (cf. Scheuer et Black, 2000, p. 306-308). Du fait de l'importante fragmentation des restes et de l'absence d'os du bassin complets, aucune diagnose sexuelle n'a pu être effectuée. Même si nous constatons une importante différence entre les NMI dentaire (34) et osseux (8), il semble que les vestiges retrouvés dans la cavité montrent une certaine cohérence : les os ont probablement été plus facilement récupérés que les dents au moment du nettoyage de la grotte. De plus, l'ensemble des os est assez bien représenté et toutes les portions anatomiques sont conservées (crâne, rachis, ceintures scapulaire et pelvienne, membres…). Pour tenter de réaliser un profil démographique de la population inhumée dans la grotte Rochefort, les données dentaires ont été privilégiées; les données osseuses n'ont permis de rajouter qu'un enfant appartenant à la classe 0, non représenté par sa denture, ce qui peut être lié à une absence de tamisage pendant la fouille. Les trois grands adolescents ou adultes jeunes ont été classés dans la classe 15-19 ans conjointement aux nombreux os de grands immatures retrouvés dans la cavité. Le nombre minimum d'individus déposé dans la cavité est donc de 18 adultes et 17 enfants et adolescents de moins de 19 ans, soit un total de 35 personnes. Afin de comparer la distribution des immatures de la grotte Rochefort avec un schéma de mortalité archaïque, nous avons calculé des quotients de mortalité (en ‰). Ces quotients ont été comparés à ceux établis par Ledermann pour une espérance de vie à la naissance de 30 ans et correspondent aux schémas de mortalité appliqués aux populations pré-jenneriennes (fig. 8). On observe alors un déficit des individus de moins de un an révolu; les classes d' âge 1-4 ans, 5-9 ans et 15-19 ans se situent dans l'intervalle de confiance et les 10-14 ans sont légèrement surreprésentés. Ce profil démographique est assez cohérent pour une population possédant une espérance de vie à la naissance de 30 ans même si la répartition des sujets immatures ne reflète pas tout à fait la répartition théorique d'individus appartenant à une population naturelle. Ces distorsions peuvent être liées à la fouille partielle de l'espace sépulcral (seule une partie de la salle a été fouillée), à la distribution spécifique des individus ou au nettoyage de la cavité, mais aussi à l'effectif restreint dont nous disposons. Par ailleurs, les sujets périnatals bénéficient d'une place à part dans les nécropoles gauloises; F. Perrin indique même qu'ils ne sont pas « reconnus comme membre à part entière du groupe social », ce qui impliquerait leur exclusion des espaces funéraires classiques (Perrin, 2000; Boyer et al., 2006). Pourtant la présence d'au moins un individu à Saint-Pierre-sur-Erve indiquerait que certains d'entre eux ont eu accès au même ensemble funéraire que le reste du groupe. Les données paléopathologiques demeurent minces et sont conditionnées par la mauvaise conservation et la fragmentation des pièces osseuses. L'analyse reflète davantage l'état sanitaire bucco-dentaire puisque sur chaque dent ont été recherchées les caries, les formations de tartre, les degrés d'usure et les hypoplasies. Les caries ont été repérées dent par dent et suivant un traitement binaire (présent/absent). L'existence du processus carieux est attestée, mais avec des taux très faibles (3,8 % pour les dents permanentes et 4,2 % pour les déciduales). Le bloc incisivo-canin est relativement indemne (1 %) et se sont surtout les prémolaires (7,9 %) et les molaires (5,9 %) qui se trouvent atteintes par le processus destructeur. Cette observation est inversée pour les dents déciduales où les molaires ne présentent aucune carie contrairement aux dents monoradiculées (6,6 %). Ces résultats corroborent les constatations générales émises par H. Brabant qui a démontré que cette lésion atteignait 2 à 10 % des dents avant notre ère et entre 5 et 14 % aux époques gallo-romaines (Brabant 1967, p. 546). Ce phénomène est directement influencé par la teneur des régimes alimentaires en sucres et fermentescibles (saccharose). Tout comme les caries, l'étude du tartre dentaire a été effectuée dent par dent selon un traitement binaire (présence/absence), le tartre constituant un marqueur de l'état sanitaire de la population. Les dépôts de tartre sont peu importants et touchent 8,5 % des dents permanentes. Les dents de la mandibule sont plus atteintes (12,3 %) que celles du maxillaire (4,7 %). Le bloc incisivo-canin est plus touché (10,4 %) que le reste des dents permanentes (6,2 %). Les dents déciduales sont relativement saines (4 %), le tartre n'ayant pas eu le temps de s'y déposer. Le tartre est directement issu de la plaque bactérienne dentaire; la minéralisation de cette dernière est inéluctable en l'absence d'hygiène bucco-dentaire (nettoyage des interstices dentaires). C'est pourquoi il illustre bien l'état sanitaire bucco-dentaire d'une population. Précisons que le tartre entretient une inflammation gingivale qui peut dégénérer en parodontopathie, cette dernière étant responsable des alvéolyses et donc de chutes de dents. L'état bucco-dentaire de notre échantillon se révèle donc assez sain et se situe dans la moyenne des taux observés pour cette période. Les hypoplasies ont également été repérées dent par dent selon un traitement binaire (présence/absence). Il s'agit d'anomalies de la structure dentaire, de défauts de développement pouvant être microscopiques ou macroscopiques; ici, seuls les développements macroscopiques ont été identifiés. Les hypoplasies systémiques modifient l'anneau de l'émail en cours de formation. Ces stries incrémentales témoignent du rythme de croissance de la dent et permettent de dater la pathologie dans la vie du sujet. (cf. Brunet et al. 2001, p. 111). Ainsi, les maladies générales de la femme enceinte, le stress intra-utérin et les pathologies du jeune enfant peuvent laisser des traces au niveau de l'émail. 12 dents affectées par cet indice de stress non spécifique composent notre échantillon. Les dents monoradiculées laissent toujours les meilleures traces et 6,6 % des dents du bloc incisivo-canin permanent sont atteintes dans le corpus, les plus touchées étant les canines inférieures droites (17,6 %). D'une manière générale, l'échantillonnage osseux n'étant pas très représentatif (absence des os longs et des éléments crâniens), il demeure difficile d'envisager une étude de l'état sanitaire de cette population. Mentionnons simplement des bourrelets ostéophytiques sur la cavité glénoïdale d'une scapula (J13, US 2.4, n° 199), probablement liés à une arthrose. Les os déterminés ont une facture assez gracile. Deux vertèbres thoraciques ossifiées ont été retrouvées en 2003 (L15, US 2.2, n° 420). Les points d'ossification des deux vertèbres se trouvent principalement au niveau du corps. La fusion est totale entre les deux corps et les parties molles ont, semble -t-il, été également ossifiées. Les pièces ainsi soudées n'altèrent pas la morphologie générale du squelette, constituant un bloc congénital à la manière des vertèbres sacrées qui s'ossifient entre elles. S'agit-il, dès lors, d'une spécificité pathologique ou d'une expression de la variabilité, sans conséquence fonctionnelle ? Simple variation morphologique au départ, le phénomène provoque petit à petit des conséquences fonctionnelles, liées au segment ankylosé, notamment un surmenage des joints sus - et sous-jacents et donc, à partir d'un certain âge, l'apparition inéluctable de lésions spondylosiques (Dastugue et Gervais, 1992, p. 101). Il s'agit de variations anatomiques discontinues (présentes/absentes). Celles -ci présentent un déterminisme génétique variable et mal connu. L'étude des caractères discrets à Saint-Pierre-sur-Erve n'est possible qu' à partir de l'observation des dents. Seuls deux critères ont été identifiés sur la série : des incisives « en pelle » et des tubercules de Carabelli. Des « perles d'émail » sur la face linguale et débordant sur la racine ont également été observées sur quatre des deuxièmes incisives supérieures (17,4 %); il s'agit d'un débordement d'émail en forme de perle, sur la racine mais toujours rattaché à la couronne. Cette variation anatomique ne semble pas pathologique et nous la mentionnons avec les caractères discrets juste à titre d'indication. Les incisives « en pelle » n'ont été rencontrées que sur des incisives supérieures permanentes (5, dont deux sur des individus appartenant à la classe d' âge 5-9 ans). Elles se définissent par une incurvation de la face linguale de l'incisive créant un bourrelet d'émail plus ou moins épais sur les bords de la dent. La participation génétique à cette variation morphologique est reconnue mais sa régulation par des facteurs environnementaux n'est pas encore clairement démontrée. Des variations inter-populationnelles ont été étudiées par Scott et Turner; elles nous indiquent que l'ouest de l'Eurasie a des taux qui varient entre 0 et 15 % et sont parmi les plus bas à l'échelle du globe (Scott et Turner 2000, p. 27 et 185-187). Notre échantillon se situe dans ces proportions avec 11,4 %. Le tubercule de Carabelli se situe sur la face mésio-linguale des molaires supérieures permanentes. Les données relatives à ce caractère montrent des variations inter-populationnelles marquées et un fort déterminisme génétique. L'Eurasie a des fréquences parmi les plus élevées par rapport aux autres populations mondiales, avec des taux compris entre 20 et 30 % (Scott et Turner 2000, p. 42-44 et 197-201). L'étude de ce caractère pour l'ensemble du corpus paraissait donc intéressante et les fréquences observées se sont effectivement révélées en adéquation avec une population européenne, 26,7 % des molaires permanentes supérieures étant touchées. L'ensemble de ces quelques caractères discrets dentaires identifiés sur plusieurs classes d' âges (adultes et enfants) suggère une certaine homogénéité de la population inhumée. Les ossements humains, essentiellement collectés à l'interface des couches 2.5 et 2.3, ont bénéficié d'une attribution chronologique fondée sur deux datations par le radiocarbone, réalisées sur des patella d'adultes (fig. 9) : – Lyon-2813 (SacA1773) : 2025 ± 35 BP, soit un âge calibré de 94 av./ 54 apr. J.-C. – Lyon-2814 (SacA1774) : 2050 ± 30 BP, soit un âge calibré de 162 av./ 22 apr. J.-C. Initialement envisagés comme appartenant à une phase moderne de l'utilisation de la grotte compte tenu des tessons de céramiques intimement mêlés avec eux, ces restes humains doivent maintenant être clairement considérés comme protohistoriques ou antiques, datation davantage en accord avec ce que l'on connaît de quelques dépôts gaulois ou gallo-romains. Le mobilier archéologique issu du niveau sous-jacent 2.5, comme la présence d'éléments remaniés dans les couches superficielles, confirment l'hypothèse chronologique avancée. Cette présentation se propose d'identifier les occupations protohistoriques de la grotte Rochefort à partir des artefacts conservés, des fragments de poteries pour l'essentiel, mis au jour lors des campagnes de fouille successives. Le mobilier protohistorique découvert dans le comblement supérieur de la grotte Rochefort est caractérisé par sa fragmentation importante. Il est issu des couches 2.1 à 2.7 et pour partie du comblement des tranchées de fouilles du xix e siècle. Quelques remontages ont pu être effectués entre des tessons provenant de différentes couches. Toutefois, compte tenu du caractère relativement perturbé des unités stratigraphiques 2.1 à 2.5, les remarques émises pour l'ensemble du matériel issu de ces strates ont un caractère assez général, seuls les éléments les plus pertinents étant mis en exergue. Par ailleurs, dans l'attente d'une étude approfondie du matériel gallo-romain, la détermination des vases attribués plus spécifiquement à la fin de La Tène finale ou bien au début de l'époque gallo-romaine s'avère délicate; les comptages n'ont pu dans ce cas être établis. Enfin, l'homogénéité des lots issus des couches sous-jacentes 2.6 et 2.7 a permis d'identifier et d'isoler quelques tessons similaires dans les strates supérieures hétérogènes. La couche 2.7 – Cette couche inférieure a livré un modeste ensemble de poteries fragmentées composé de 54 tessons pour un NMI estimé à 10 vases, associés à une fusaïole complète soigneusement lustrée. Les poteries sont très soigneusement lustrées à l'aide d'un outil à pointe mousse ou d'une baguette leur conférant un aspect brillant gris foncé à noir, parfois brun foncé, contrastant avec leur pâte grise. L'essentiel du lot se compose de céramiques fines très bien cuites contenant un dégraissant à peine perceptible à l' œil nu, excepté quelques paillettes de micas, des grains de quartz ou encore des éléments ferrugineux (oolithes ?). Des collages entre les carrés L15 et M15 mais aussi avec les US 2.6 et 2.4 sont à noter. Le seul élément de forme bien conservé (fig. 10, n° 1) appartient à un récipient lustré caractérisé par son profil rentrant qui se prolonge par une lèvre éversée. Il trouve des affinités morphologiques avec un vase dégagé sur les sites (inédits) du Moulin de La Jaroussaye à Janzé (Ille-et-Vilaine), dans un ensemble attribué à la fin du premier âge du Fer ou encore de la ZAC Object'Ifs Sud à Iffs (Calvados), dans des contextes du milieu et de la seconde moitié du vi e siècle av. J.-C. Parmi les tessons recueillis à la grotte Rochefort, on signalera également plusieurs fragments de carènes bien marquées (fig. 10, n° 3 et 4) et un petit récipient de faible diamètre dont ne subsiste que la carène douce (n° 2). Par ailleurs, un rebord (n° 5) trouve des équivalences dans la couche 2.5 (carré K15) et des collages sont attestés avec un tesson recueilli dans la couche 2.4. Enfin, l'un des récipients est muni d'une petite lèvre triangulaire biseautée sur sa face interne (fig. 10, n° 6). Les caractéristiques relevées sur les divers éléments de formes recueillis suggèrent une datation de ce petit lot au premier âge du Fer, avec toutes les précautions qu'implique une telle attribution chronologique à partir d'un nombre si restreint d'éléments pertinents. La couche 2.6 – Elle contient un ensemble modeste de poteries, 148 tessons pour un NMI estimé à 13 vases, auxquels sont associées deux perles ou fusaïoles. L'une d'elles (fig. 10, n° 23), soigneusement lustrée et très bien conservée, évoque par ses dimensions la fusaïole mise au jour dans l'US 2.7. La seconde (n° 22), fragmentée et érodée sur ses faces, est de petit module. Les observations relevées pour les tessons provenant de la couche 2.7 peuvent s'appliquer aux fragments découverts dans cette strate : pâte très fine, lustrage soigné des parois de teinte gris foncé à brune, panse carénée ou très galbée des récipients. Des collages avec les tessons dégagés dans les couches 2.5 et plus rarement 2.3/ 2.4 sont à mentionner. Un vase lustré de type écuelle ou jatte (fig. 10, n° 9), doté d'une carène soulignée par un ressaut, est surmonté par un haut col rentrant. Malheureusement, sa lèvre est manquante. Des collages entre les couches 2.6 (carré L15) et 2.5 (carrés K14 et K15) sont à relever. D'autres fragments de panses carénées ou galbées sont recensés (fig. 10, n° 10 à 12). L'épaulement très prononcé d'un récipient (n° 10), sans doute de type jatte ou écuelle, s'apparente à un fragment (non dessiné) découvert dans la strate 2.5 (carré J12); il s'agit certainement du même vase. Enfin, un rebord doté d'une petite lèvre triangulaire (n° 18) est reconstitué avec des tessons provenant des couches 2.6 (carré L15) et 2.5 (carré L14). Plusieurs fonds sont légèrement soulevés (n° 13 et 14). Dans cet ensemble, outre la présence de céramique fine, quelques tessons se caractérisent par leur pâte plus grossière. Par exemple, un vase archéologiquement complet (fig. 10, n° 15), sommairement modelé, est orné d'impressions au niveau de son épaulement, à l'instar d'un autre fragment décoré d'impressions digitées (n° 16), où la jonction entre les colombins est encore visible. Par ailleurs, la présence d'une petite anse étroite (n° 17) demeure plutôt inhabituelle dans les séries du premier âge du Fer alors que ce type devient plus fréquent dans les ensembles du début du second âge du Fer. Enfin, plusieurs fragments sommairement modelés, de teinte orangée, ont retenu notre attention (fig. 11). L'un d'eux est issu du carré M13 et au moins dix autres tessons, malheureusement très fragmentés, proviennent du carré L12. Réalisés dans une pâte un peu plus grossière, ils possèdent des parois épaisses et leur rebord, aplati au sommet, est ourlé vers l'intérieur du vase. Il s'agit donc probablement d'une ou plusieurs jattes à bord festonné peu débordant. Des fragments de ce type, mieux préservés, furent également mis au jour dans les couches 2.5 (carrés LM12) et 2.3 (carrés IJK12) et ont donc pu faire l'objet de relevés graphiques. Fréquentes dans les contextes de l' âge du Fer de l'est et du nord du Bassin parisien, leur aire de répartition s'étend jusque dans le Sud-Ouest (Lot, Haute-Garonne avec Vieille-Toulouse, etc.). Dans l'Ouest, il semblerait que les coupes de la grotte Rochefort fassent partie des exemplaires les plus occidentaux connus à ce jour, mais leur présence est par ailleurs bien attestée dans la Sarthe, le Maine-et-Loire ou encore la Loire-Atlantique. Il est également fait mention d'un exemplaire malheureusement très mal conservé dans les environs de Rennes, à Vieuxville-Beaurade (Leroux et al., 1998, pl. 5, n° 12) et une coupe est signalée en Mayenne, à Athée (information J.-P. Bouvet). Indiquons, par exemple, leur découverte dans la Sarthe sur les habitats gaulois du tracé de l'A 28, tels ceux de Vivoin « La Petite Némerie » dans des contextes de transition premier/second âges du Fer, ou encore sur le site voisin de « La Gaudine » (Maguer et al., 2003), attribué à La Tène moyenne. À « L'Alleu » (Saint-Hilaire-Saint-Florent, Maine-et-Loire; inédit), au moins un fragment fut découvert dans un ensemble de la fin du premier âge du Fer. Régionalement, les quelques coupes recensées proviennent donc en majorité des ensembles couvrant la fin du premier âge du Fer jusqu' à La Tène moyenne. Par ailleurs, la morphologie particulière d'un fragment a attiré notre curiosité (fig. 11, n° 1); en effet, il présente une partie d'indentation curviligne, une pointe et une indentation horizontale. Il est probable que le bord de cette jatte n'était pas complètement festonné mais présentait des indentations et des parties horizontales intercalées comme il en existe quelques cas mentionnés par B. Lambot (1988, p. 40), tels ceux de Florange et Nanteuil-sur-Aisne, respectivement datés de la fin du Hallstatt moyen/début du Hallstatt final et du plein Hallstatt final. Le fragment dégagé à Saint-Hilaire-Saint-Florent « L'Alleu » (cf. supra) est également du même type. La présence ponctuelle de telles jattes dans les grottes est fréquente; en témoignent les nombreux exemplaires mis au jour dans plusieurs grottes belges, accréditant l'hypothèse de leur utilisation comme luminaire. Sur les jattes de la grotte Rochefort, des marques blanchâtres affectent la partie supérieure de leurs parois et suggèrent un contact prolongé avec une source de chaleur, confortant cette hypothèse, sans certitude toutefois. En effet, l'absence de fond préservé permet difficilement d'envisager leur fonction précise. Par ailleurs, la possibilité de conserver des braises chaudes entretenues par une arrivée d'oxygène permanente grâce aux ouvertures dessinées par les festons du récipient ainsi retourné peut en faire également un « couvre-braise ». Enfin, outre les fonctions primaires de luminaire ou de couvre-braise, leur présence sur les habitats et de surcroît dans certaines grottes ne doit pas écarter la possibilité de leur utilisation dans certains rituels particuliers. D'après les divers éléments considérés et les données disponibles à l'échelle régionale, une attribution de cet ensemble à la fin du premier âge du Fer (Ha D) jusqu'au début du second âge du Fer demeure envisageable. Les couches 2.5 à 2.2 – Ces couches sont plus hétérogènes que les précédentes, comme en atteste la datation du matériel archéologique, qui court depuis le premier âge du Fer jusqu'aux époques médiévale et moderne. La difficile détermination des époques protohistoriques à partir des divers fragments considérés ne nous a pas permis, d'emblée, d'effectuer des comptages fiables. Toutefois, il est possible de tirer quelques remarques de l'étude du lot issu de la couche 2.5, quantitativement plus important que celui mis au jour dans la couche 2.6. D'une part, il convient de noter la fréquence encore notable des tessons résiduels attribués au premier âge du Fer et jusqu'au début du second, reconnaissables par bien des critères déjà évoqués (fig. 10, n° 25). Des collages entre des fragments issus des couches 2.6 et 2.5 ont déjà été mentionnés, et nous avons relevé des ressemblances de formes avec quelques fragments issus de la couche 2.7. Des éléments de jattes à bord festonné viennent compléter ce corpus (fig. 11). D'autre part, les artefacts de la fin de l'époque gauloise sont relativement bien représentés au sein de cette couche. La majorité des pâtes est en effet caractérisée par un dégraissant plus grossier bien visible à l' œil nu, principalement des grains de quartz, des feldspaths, des éléments ferrugineux (oolithes ?), mais également du calcaire. La finition des surfaces des poteries est moins rigoureuse et leurs parois sont généralement plus épaisses (fig. 10, n° 29, 30). Au contraire, quelques rares céramiques à pâte très fine (n° 26, 27), façonnées au tour rapide pour certaines d'entre elles, sont caractérisées par un lustrage soigné de leurs parois. Si certaines formes évoquent la fin du second âge du Fer, il est cependant délicat d'écarter l'hypothèse de matériel plus précoce au sein du lot. Malheureusement, aucun marqueur chronologique pertinent ne permet d'isoler du mobilier attribuable au début de la période. En effet, plusieurs fonds débordants soulevés, très fragmentés (K12, M14, non dessinés), pourraient indistinctement se rattacher aux différentes phases de La Tène. Toutefois, une frise estampée (fig. 10, n° 26) orne l'épaulement d'une poterie fine lustrée, juste avant le départ de son rebord qui est souligné par une cannelure à peine marquée. L'amorce d'un lustrage interne au niveau du rebord contraste avec les stries de tournage bien visibles de la panse. Le motif figuré est dérivé du « trou de serrure » connu en Bretagne occidentale dans les contextes tardifs et s'apparente ainsi à une « aile de papillon » selon la description émise par J.-P. Bouvet à propos d'un décor similaire mis au jour à Jublains (Bouvet 1997, p. 228). Ce dernier affecte d'ailleurs un fragment de panse de type régulier-tourné (ibid., p. 232, pl. 4, n° 4). Ce décor ne possède pas de véritable pendant sur les sites de la péninsule armoricaine, où on constate toutefois que les ornementations estampées disparaissent progressivement des contextes de la seconde moitié du ii e siècle av. J.-C. D'après J.-P. Bouvet (1997, p. 228), aucun décor estampé n'est d'ailleurs signalé dans les sites mayennais datés de La Tène finale, hormis « Les Bozées » à Laval. Enfin, un second tesson estampé découvert dans la grotte Rochefort est trop modeste pour envisager de reconstituer son motif initial. Par ailleurs, de nombreux récipients évoquent La Tène finale. Parmi la céramique fine tournée, on peut signaler un tesson orné d'un décor de fine baguette (carré K13) ou encore le rebord très éversé d'un récipient ouvert (fig. 10, n° 28). Par la finesse de leur pâte et leurs surfaces lustrées gris foncé à noires, ces vases s'apparentent à de la proto terra-nigra. Parmi les poteries plus ou moins grossières, on peut noter la présence d'une lèvre en bourrelet (fig. 10, n° 29) qui appartient à un bol, selon la terminologie couramment employée, dont on connaît de nombreux exemplaires attribués à La Tène finale en Mayenne. De même, plusieurs vases hauts munis d'un profil en esse (non dessinés) se rattachent à des récipients courants dans les contextes de La Tène finale dans l'Ouest. Enfin, le matériel le plus tardif - et caractéristique du lot – est constitué par un rebord de vase haut de type Besançon (carré L12) et un fragment de terra-nigra (carré M13). Les grands conteneurs sont représentés par un tesson d'amphore du type Gauloise G3/G5 (carré L12), un fragment de dolium (carré M12), mais aussi par un morceau d'amphore régionale brûlée provenant de l'ouest ou du centre-ouest de la Gaule (carré L14). La couche 2.4, simple recharge de faible puissance, n'a livré que huit tessons protohistoriques dont au moins deux fragments sont proches des séries du premier âge du Fer. On y compte également deux tessons, dont une lèvre très éversée en bourrelet, datés de La Tène finale. La couche 2.3 a livré une faible quantité de mobilier, et de surcroît peu de tessons protohistoriques, comparativement à la couche précédente 2.5. La présence d'une fusaïole (K13) est à noter. De rares fragments évoquent le premier âge du Fer. Les quelques éléments de formes conservés concernent plutôt La Tène finale. Un récipient d'un type courant en Mayenne, appelé bol (carrés LM13) trouve des équivalences avec un autre fragment dégagé dans la couche 2.5 (carré K14), appartenant peut-être au même vase. Pour le matériel plus tardif, on notera la présence de terra-nigra et d'une anse (carrés IJK12) associée à un fond d'amphore du type Gauloise G3/G5. Enfin, un fragment de sigillée provient du comblement d'un foyer récent. Un ensemble intermédiaire, nommé 2.3/2.4 faute d'identification stratigraphique fiable, se compose d'un lot hétérogène de tessons protohistoriques majoritairement attribuables à La Tène finale d'après les profils conservés. En effet, leur pâte caractéristique et la cohérence du lot permettent de les distinguer des très rares fragments (un seul rebord identifié et un décor d'incisions, fig. 10, n° 24) appartenant aux productions du premier âge du Fer et du début du second. Enfin, on notera la présence de proto terra-nigra (carré J12). Le mobilier tardif de cette strate comporte des fragments de céramique à pâte fine cuite en mode réducteur et à décor de guillochis (carré J12), des fragments de panse d'amphore provenant de Tarraconaise (carré J13), et de la terra-nigra (carré J12). La couche 2.2 a livré un peu plus de matériel protohistorique que la strate 2.3. Le mobilier attribué au premier âge du Fer y est bien représenté, notamment au sein des carrés N et O. Quelques rares éléments de formes sont attribuables à La Tène finale. Enfin, plusieurs tessons ont conservé les traces d'un tournage au tour rapide. On signalera également la présence, au sein de ce lot, de terra-nigra. Le mobilier des couches 2.5 à 2.2 se caractérise donc par une hétérogénéité marquée, regroupant des poteries protohistoriques principalement attribuées à la fin de La Tène, avec une prédominance de matériel daté de La Tène finale. Certaines formes à pâte très fine évoquent des proto terra-nigra, récipients datables du i er siècle av. J.-C. De plus, quelques tessons rappelant les séries antérieures du premier âge du Fer sont également à souligner. Enfin, pour le mobilier gallo-romain, il semble que nous soyons dans un faciès couvrant le i er siècle apr. J.-C. au sens large. L'étude plus détaillée de ce matériel antique reste à entreprendre, et l'existence d'une phase de transition La Tène finale/Gallo-romain précoce n'est pas à exclure. La couche 2.1 – Elle a livré peu de tessons protohistoriques, dont un seul ressemble aux productions du premier âge du Fer. Les éléments de formes datés de La Tène finale demeurent exceptionnels : on peut évoquer un col lustré décoré dans sa partie médiane d'un fin cordon, surmonté par une petite lèvre en bourrelet. En général, l'aspect des pâtes et des surfaces se réfère toutefois aux productions de La Tène finale. Enfin, le mobilier tardif est illustré par de la terra-nigra et par un tesson de sigillée des ateliers du sud de la Gaule, du i er siècle apr. J.-C. Les monnaies – Cinq monnaies antiques - quatre gauloises et une romaine ont été découvertes dans les niveaux superficiels du remplissage de la salle (US 2.1, 2.2 et 2.5). Les quatre monnaies gauloises proviennent du même secteur de la grotte, dans et autour du carré L15, le long de la paroi, alors que la monnaie romaine, dans le carré N 13, est distante de plusieurs mètres. – N° 1 – Quart de statère en or, attribué aux Aulerques Cénomans. D : Tête humaine, laurée, à droite; R : Cheval androcéphale ailé, conduit à droite par un aurige en position allongée sur le dos du cheval, dont la main gauche est dirigée vers l'encolure et la main droite tient un étendard tombant devant la tête du cheval; roue à quatre rais sous la queue du cheval; dessous, personnage allongé à droite, face contre terre, tenant une lance de la main droite et une épée ou un poignard de la gauche. 1. [US 2.1 (L15)] or : poids 1,85 g; module 13-14 mm; axe 5 h.; flan de forme irrégulière, éclaté à trois endroits (fig. 12, n° 1). Réf. : La Tour 1892, pl. XXIII, 6861. Les quarts de statère ne sont pas très abondants dans le monnayage d'or attribué aux Aulerques Cénomans (une trentaine d'exemplaires recensés) et se rattachent essentiellement à la classe III des statères de la série au personnage allongé, ailé puis armé (Barrandon et al., 1994, p. 241-258; Bouvet et al., 2001, p. 64 sqq). Cet exemplaire semble issu de la même paire de coins qu'un quart de statère pesant 1,78 g, issu d'une collection privée (Delestrée et Tache, 2004, p. 62, n° DT 2156). Une analyse métallique, réalisée par J.-N. Barrandon au centre Ernest-Babelon à Orléans en 2004, confirme qu'il s'agit d'un alliage ternaire (Au 50,4 %, Ag 25,6 %, Cu 23,8 %), comparable à celui employé pour les statères de la même classe, mais un peu plus riche en or. En ce qui concerne la géographie des découvertes, on note que la grotte Rochefort se trouve placée sur la frontière supposée entre Diablintes et Cénomans. Les autres provenances connues pour les quarts de statère attribués aux Cénomans sont peu nombreuses, toutes dans les départements de la Sarthe et de la Mayenne : Allonnes, sanctuaire de La Tour aux Fées (1 ex. de 1,49 g avec coup de ciseau au revers : Térouanne, 1960, pl. LXXXV n° 51; Aubin, 1984, p. 34 n° 44); Le mans, mais sans localisation précise (l'ex. BnF 6851 pesant 1,82 g : Bouvet et al., 2001, p. 259 n° 15, fig. 239); environs du mans (1 ex. de 1,75 g : Bouvet et al., 2001, p. 261 n° 25); Juvigné (Mayenne) : 2 ex. de 1,68 et 1,73 g avec revers mutilés (Naveau, 1998, n° 164-165). Deux autres quarts, mais d'un type un peu différent, apparenté à la classe IV (les ex. BnF 6875 et 6876), proviennent d'Allonnes (Bouvet et al., 2001, p. 137 : Aubin et Lambert, 2006, p. 117 et 119, fig. 3). Enfin, le quart découvert à Montoire-sur-le-Loir (Loir-et-Cher) et répertorié comme de type cénoman dans la Carte archéologique de la Gaule (Provost, 1988, p. 124, n° 197) à la suite des auteurs du xix e siècle, appartient à un autre monnayage car la description faite en 1871 mentionne au droit une tête entourée de cordons perlés d'où pendent de petites têtes humaines, ce qui évoque une frappe d'Armorique occidentale. – N° 2 à 4 – Petites monnaies en argent à la tête de Pallas attribuées aux Aulerques Cénomans. D : Tête humaine casquée, à droite. La partie droite n'a pas été empreinte en raison de l'étroitesse du flan sur les n° 2 et 4; le rendu du n° 3 est très stylisé. R : Cheval à droite dont on ne voit que l'arrière train (une partie du flanc, la cuisse, les jambes, queue) sur les n° 2 et 3; au-dessus, deux courbes opposées (n° 2) ou un cercle (n° 3 et 4); au-dessous, motif indistinct (n° 2 et 3), ou cercle pouvant appartenir à un fleuron (n° 4). 2. [US 2.1 (L15)] argent : poids 0,69 g; module 12 mm; axe 11 h. (fig. 12, n° 2). 3. [US 2.5 (K15)] argent : poids 0,76 g; module 12 mm; axe 1 h. 4. [US 2.5 (L15)] argent : poids 0,74 g; module 11-12 mm; axe 3 h. (fig. 12, n° 4). Réf. : BnF 5982-5984 var.; Allen 1965, pl. V, 1-3; Scheers, 1996, n° 933. Les petites monnaies en argent à la tête de Pallas, répandues dans le Nord-Ouest de la France (Maine et Normandie) sont bien incomplètement cataloguées. L'attribution de ces frappes est encore indécise : le territoire cénoman fut certainement un centre d'émission, mais l'existence de plusieurs ateliers est vraisemblable. En effet, les variétés sont nombreuses et leur évolution mériterait un travail d'ensemble, de même que leur répartition géographique. Cinq sites ayant livré ces petites monnaies en argent sont répertoriés en Sarthe, dont Allonnes et Oisseau-le-Petit (Bouvet et al., 2001, p. 67 et fig. 12). En Mayenne, des découvertes sont attestées à Juvigné (4 ex.) : Aubin (catalogue inédit, n° 41-44) et à Jublains (1 ex. dans la fouille de la villa de la Boissière, en 1976; 2 ex. dans la fouille du Taillis des Boissières, en 2004). – N° 5 – As de Néron (54-68); atelier de Rome ou de Lyon, vers 65-66. D : Tête nue de Néron à gauche; légende illisible. R : Victoire volant à gauche, tenant des deux mains un bouclier inscrit [SPQR ]. 5. [US. 2.2 (N13)] Cuivre : poids 8,91 g; module 28 mm; axe 6 h; usure forte (3/3). Réf. : RIC I. Ces monnaies antiques ont été émises à trois moments différents : le quart de statère en or au cours du ii e siècle ou au début du i er siècle av. J.-C., les petites monnaies d'argent dans la deuxième moitié du i er siècle av. J.-C. – et même entre 40 et 10 (Gruel et Taccoen, 1992), l'as de Néron vers 65-66 apr. J.-C. Mais peut-on dater leur utilisation ? Il faut sans doute exclure du propos l'as de Néron découvert dans un autre secteur de la salle et dont la date de perte ne peut guère s'envisager avant la fin du i er siècle en raison de son état d'usure. En revanche, les différentes monnaies gauloises ont pu être en usage au même moment, c'est-à-dire durant la période de La Tène D2. Leur association a déjà été constatée sur un même site, à Juvigné (Mayenne), il est vrai dans un contexte cultuel qui suppose une certaine pérennité de fréquentation, et surtout sans données stratigraphiques (Aubin et Lambert 1993). Ici, leur position stratigraphique (couches immédiatement sus - et sous-jacentes à l'US 2.3) ne s'oppose pas à ce qu'elles proviennent de l'ensemble funéraire mis en évidence. La présence de monnaies semble peu fréquente dans les sépultures du monde celtique (quelques dizaines de sites). Leur datation est souvent problématique : on cite de rares cas du iii e siècle en Thuringe ou en Bohême, dans l'aire celtique orientale. En Gaule occidentale, des exemples récents signalés dans la publication d'une nécropole gauloise d'Indre-et-Loire (Vaugrignon à Esvres-sur-Indre) montrent que cette pratique de dépôt s'amplifie avec le développement de l'influence romaine dans le cours de La Tène D1 et surtout à La Tène D2 (Riquier, 2004). S'agit-il d'un emprunt de coutume funéraire méditerranéenne ou d'un rite indigène d'offrande (Poux, 1999, p. 92) ? Le seul exemple connu dans l'Ouest concerne une découverte mal documentée de sépulture à Tronoën, commune de Saint-Jean-Trolimon (Finistère), lors des fouilles réalisées en 1880 (Du Châtellier, 1882), à l'extérieur d'un site de sanctuaire (Villard -Le Tiec, 2003) alors interprété comme un oppidum. P. Du Châtellier y trouva « une sépulture d'homme jeune dans laquelle le corps, orienté est-ouest, était accompagné d'une monnaie en or des Coriosolites au niveau de l'épaule, deux monnaies en argent et une en bronze au niveau du bassin, une épée en fer « tordue », deux très grandes lances dont une avec « encoche », un poignard, un soc de charrue, plusieurs vases aux pieds, et encore un squelette de chien » (Duval, 1990, p. 24). Les monnaies ont depuis lors été identifiées : celle en or est un statère d'or bas au type du sanglier enseigne (hybride LT 6533/6541), attribué non pas aux Coriosolites mais aux Osismes; les trois autres sont des petits billons armoricains (Colbert de Beaulieu 1955), plus tardifs que les pièces d'argent à tête de Pallas puisqu'ils en seraient des dérivés et dateraient ainsi cette tombe d'après la conquête romaine (Gruel et Taccoen, 1992, p. 181). La description de cette sépulture paraît vraisemblable à A. Duval, selon qui les armes et les outils découverts en nombre sur ce site évoquent un sanctuaire. Ce témoignage, en dépit de sa fragilité, rend concevable l'hypothèse d'associer les monnaies trouvées dans la grotte Rochefort à des inhumations, voire à une seule. Mais est-on ici dans un cas de sépulture ou de dépôts d'une autre nature ? Le récent dossier « Cultes et sanctuaires en France à l' âge du Fer » cite quelques cas d'association de restes humains de La Tène finale et de monnaies – parfois sous forme de véritables dépôts – et souligne la difficulté de leur interprétation : pratiques funéraires, sacrificielles ou cultuelles ? (Arcelin et Brunaux, 2003, p. 112, 119, 142, 144) Le petit mobilier métallique – Les quelques pièces récoltées dans les différentes subdivisions de l'unité 2 semblent se rattacher à l'époque gauloise et/ou gallo-romaine. – Un bracelet en bronze à jonc plat décoré de deux bandes incisées parallèles, ouvert ou au fermoir abîmé (M15, US 2.5, fig. 13, n° 3). L'objet est de petite taille, probablement conçu pour un enfant. – Trois autres fragments de bracelets en bronze, à jonc rond, ont été découverts. Ceux des unités 2.5 (L15) et 2.7 (M14) semblent provenir du même objet bien que le raccord ne soit pas possible (fig. 13, n° 1 et 2). Le diamètre réduit de ce(s) bracelet(s), similaire à celui du précédent, suggère également une parure d'enfant. – Un dernier bracelet (L13 – US 2.2) est de taille plus importante, davantage destiné à un adulte (fig. 13, n° 4). – Enfin, un petit anneau en bronze, corrodé, provenant du carré L14 (US 2.1) demeure de fonction inconnue. Son jonc rond épais et sa très petite taille interdisent d'y voir un anneau d'alliance (fig. 13, n° 5). L'idée d'un dépôt funéraire primaire démantelé et perturbé postérieurement (dès l'Antiquité ou plus vraisemblablement au cours du Moyen Âge) demeure l'hypothèse privilégiée pour expliquer l'ensemble osseux humain de la grotte Rochefort. Les inhumations gauloises en grotte présentent souvent des contextes assez perturbés à l'image de celui de notre site. Plusieurs grottes révèlent ainsi ponctuellement des occupations à l' âge du Fer sans que leur fonction soit aisément déterminable (Ducongé et Gomez de Soto, à paraître). Parmi ces sites, plusieurs hypothèses sur le rôle et l'interprétation des dépôts ont été évoquées par différents auteurs. Celle de massacres (Trou de l'Ambre et Trou de Han en Belgique : Mariën, 1975; Thiol, 1998), aujourd'hui remise en cause, nécessite de solides arguments pour être étayée. Celle de dépôts non funéraires (sacrificiels ou cultuels) est argumentée par des traces de découpes et de désarticulations volontaires présentes sur les ossements (aven du Trou de la Coupe à Trouve, Charente : Ducongé et Gomez de Soto, à paraître; Trou del Leuve de Sinsin, Belgique : Warmenbol 2005 et communication personnelle). Le fait cultuel est très difficile à démontrer en archéologie, surtout au sein d'ensembles démantelés. Dans le cas de la grotte Rochefort, les dépôts de cadavres frais, la distribution de la population, presque naturelle par rapport aux schémas de mortalité archaïque ainsi que la cohérence de l'ensemble (cf. supra les caractères discrets), convergent cependant pour accréditer l'idée d'une gestion de l'espace vouée au fait funéraire. L'argumentation stratigraphique et les analyses micromorphologiques viennent par ailleurs étayer l'hypothèse d'un dépôt primaire.Ainsi les niveaux 2.7, 2.6 et 2.5, qui ne sont affectés que par une biodégradation, ne présentent-ils aucune réorganisation sédimentaire ou pédologique. La position de ces couches est donc incontestablement primaire. De même, à l'interface des couches 2.5 et 2.3, c'est-à-dire au niveau de la surface sépulcrale supposée, le contact présente une nette agrégation de sédiments sur 1 cm d'épaisseur, dont une grande partie est formée par des phosphates. Ce type d'organisation très aérée montre que le processus de remaniement est survenu bien après la formation de la couche car ces agrégats n'ont pas été affectés par la compacité des dépôts sus-jacents. Sur le plan chronologique, trois phases principales se dégagent de l'étude du mobilier céramique, malgré les mélanges avec du matériel appartenant aux époques historiques dans les strates supérieures. Bien que les marqueurs chronologiques demeurent ténus, on peut en effet dissocier une phase, couvrant le premier âge du Fer jusqu'au début du second, d'une seconde phase, plus riche, attribuable à La Tène finale et comprenant du matériel résiduel peut-être légèrement antérieur. Par ailleurs, pour le mobilier gallo-romain, il semble que nous soyons dans un faciès couvrant le i er siècle apr. J.-C. au sens large. L'étude plus détaillée de ce matériel antique révèlerait peut-être l'existence d'une phase de transition La Tène finale/Gallo-romain précoce. Les monnaies, si l'on veut bien écarter l'as de Néron, sont quant à elles en bonne adéquation avec la chronologie des dates 14 C, davantage en faveur d'une fréquentation durant La Tène finale. L'association de restes humains avec du mobilier archéologique est aussi une observation à prendre en compte pour tenter d'interpréter ces dépôts funéraires. À cet égard, la présence de monnaies ou d'objets métalliques riches peut-elle présupposer un traitement ou un statut particuliers des défunts (cf. Rouffignac en Dordogne : Ducongé et Gomez de Soto, à paraître) ? Dans le cas de la grotte Rochefort, il s'agit des premières découvertes, dans l'Ouest, d'artefacts céramiques attribués à la Protohistoire récente mis au jour dans ce type de contexte. Ceci pose inévitablement le problème de leur nature. En effet, certaines pièces tardives évoquent des pratiques domestiques (bols, amphores) ou artisanales (fusaïoles, creuset d'orfèvre). Cependant, la qualité de la plupart d'entre elles n'est pas sans rappeler la sphère funéraire, immanquablement évoquée en contexte d'hypogée, et/ou de pratiques rituelles particulières, si l'on songe aux découvertes belges dans des contextes similaires. Dans le même ordre d'idée, les restes osseux fauniques doivent-ils être rattachés à une ou des occupations domestiques de la grotte (couches 2.7, 2.6 ou base de 2.5), ou témoignent-ils de restes de viatiques propres au dépôt des défunts ? Les pratiques funéraires laténiennes sont variées et il est difficile d'établir de véritables normes sépulcrales pour cette époque. La grotte Rochefort témoignerait peut-être ainsi d'une pratique funéraire minoritaire où la cavité représenterait un « monument » dispensant ses contemporains de creuser des fosses pour accueillir les cadavres. Au-delà des conclusions propres à cette étude archéo-anthropologique, il convient enfin de préciser qu'un recensement exhaustif des restes humains signalés dans la vallée de l'Erve a été entrepris (fig. 1) (Hinguant et Colleter, 2004). Presque toutes les cavités du site ayant fait l'objet de fouilles anciennes ont livré des restes humains, pour la plupart des fragments sporadiques de crânes et de mandibules. Les attributions chronologiques évoquées pour ces ensembles font davantage référence aux périodes préhistoriques que protohistoriques, sans plus de précision. Parfois, la fossilisation des os et/ou la présence de restes fauniques préhistoriques à proximité sont évoqués comme arguments pour leur ancienneté. Un ensemble un peu différent fut recensé dans la grotte Cordier par M. Chaplain-Duparc, à la fin du xix e siècle. Il y mit au jour « plusieurs débris de crânes et d'ossements humains » (Grosse-Dupéron, 1901, p. 46), dont un squelette entier (Moreau 1877, p. 382) associé à une « serpette en fer avec une douille et un morceau de cercle de fer de près de trente centimètres de long, auquel était attaché un clou de trois centimètres à peu près de long ». Trois blocs crâniens sont également mentionnés par l'abbé Maillard (1879, p. 17). C'est l'unique cas d'association de restes humains et de dépôt de métal dans la vallée. S'agissait-il d'un ensemble similaire à celui de la grotte Rochefort ? L'inventaire des vestiges humains recensés dans la vallée de l'Erve ne nous éclaire pas beaucoup sur le dépôt présent dans la grotte Rochefort puisque aucune sépulture réelle n'est finalement connue dans ce karst. Mais ces nombreuses mentions d'os humains, fossiles ou non, ne peuvent qu'encourager les recherches actuellement menées .
Dans le cadre de la fouille programmée de la grotte Rochefort, l'étude préalable des niveaux récents a permis d'identifier de nombreux restes osseux humains disséminés sur la totalité de la surface de la « salle des'Troglodytes ». Sans connexions anatomiques et intimement mêlés à des tessons de céramiques au sein d'une unité stratigraphique perturbée, ces os correspondent au démantèlement d'un dépôt funéraire primaire pour lequel une attribution à La Tène finale ou au début de l'Antiquité est avancée. L'article se propose d'établir un inventaire de ces restes osseux et de comprendre le dépôt initial en liaison avec le mobilier céramique et métallique retrouvé, qui devait accompagner les défunts. Nous replacerons cet ensemble dans l'inventaire plus large des sites funéraires gaulois en grotte pour lesquels les données commencent à se préciser.
archeologie_08-0202215_tei_171.xml
termith-53-archeologie
La grotte de Combe-Grenal (fig. 1) se situe dans un petit vallon sur la rive gauche de la Dordogne, à l'est du village de Domme (à 10 km au sud-est de Sarlat, en Dordogne). Connue depuis le début du XIXe siècle (Bordes 1972), elle a été visitée par divers chercheurs dont E. Lartet et H. Christy (1864) puis L. Capitan et D. Peyrony vers le début du XXe siècle. Au début des années 1930, D. et E. Peyrony procèdent à une fouille limitée du site. Mais ce sont les travaux de F. Bordes entre 1953 et 1965 qui l'ont placée parmi les plus importants gisements français du Paléolithique moyen (Jaubert 1999) en raison de la puissance de sa séquence archéo-stratigraphique avec une importante succession d'occupations humaines (Bordes 1972; Faivre 2008). François Bordes a réalisé de nombreuses découvertes archéologiques à Combe-Grenal qu'il a décrites dans plusieurs travaux (Bordes 1955, 1966, 1971; Bordes et Prat 1965; Bordes et al. 1966; Bordes et al. 1972) et spécialement dans son ouvrage publié en 1972. Des dépôts sédimentaires et archéologiques forment une séquence de plus de 13 mètres d'épaisseur mise en place lors du stade isotopique 6 et s'achevant lors du stade isotopique 3. François Bordes les subdivisa en 64 couches (65, puisque la couche 50 a été divisée en 50 et 50A). Il indique (Bordes 1972) qu'au sein de cette séquence qui, selon la sédimentologie et la palynologie, se serait formée au cours de 22 phases climatiques, peuvent être distinguées trois unités principales : couches 64 à 56 : « industrie acheuléenne ». Cet ensemble se serait formé vers la fin du stade isotopique 6, comme nous le verrons plus loin. L'interprétation de l'assemblage lithique est aujourd'hui modifiée; couches 55 à 36 : leur dépôt serait contemporain des manifestations de 7 phases climatiques selon les travaux de sédimentologie (Laville 1975). Toutes livrent du Moustérien typique sauf la couche 38 qui livre du Moustérien à denticulés. Elles se seraient formées lors du stade isotopique 5; de la couche 35 à la 1 : selon H. Laville (1975), huit phases climatiques se seraient succédées. A la base de la séquence, les conditions sont très froides et peu humides (stade isotopique 4). Elles évolueraient vers des conditions moins rigoureuses pour être relativement douces au sommet de la séquence (stade 3). Différents faciès du Moustérien y ont été identifiés, notamment du Moustérien de type Quina. De nombreux autres travaux archéologiques, géologiques, palynologiques et paléontologiques ont été réalisés sur l'importante masse de données fournies par ce gisement (Laville 1969a et b, 1975; Paquereau 1970, 1974-75; Laquay 1981; Donard 1982; Chase 1983, 1986a et b, 1989; Levine 1983; Laville et al. 1984; Lenoir 1986; Panabières 1986; Guadelli 1987; Marquet 1989; Guadelli et Laville 1990; Turq 1992; Delpech et Prat 1995; Delpech et al. 1995; Bourguignon et Turq 2003; Steele 2003, 2004; Turq 2003; Fernandez et al. 2006; Monnier 2006; Thiébaut 2006; Hiscock et Clarkson 2007; Faivre 2008). Le plus récent (Dibble et al. 2009) est l'analyse de la répartition spatiale des vestiges archéologiques cotés de six niveaux, à partir des données de F. Bordes et de l'état actuel de la collection. Il met en évidence des problèmes stratigraphiques dont l'importance reste à déterminer, problèmes qui ne modifient toutefois pas la succession des couches et l'intégrité des ensembles culturels. Plusieurs restes humains ont été mis au jour à Combe-Grenal, quatre durant les fouilles de D. et E. Peyrony et les autres, pendant celles dirigées par F. Bordes. Certains de ces derniers ont été publiés par Genet-Varcin (1982) et l'ensemble a été analysé en détail, tant du point de vue taphonomique que morphologique ou pathologique, par Garralda et Vandermeersch (1997, 2000a et b, 2007). Ainsi, une dent incomplète de la couche 39, un fragment de frontal de la couche 35, et 24 autres pièces (dents et différentes parties du squelette crânien et infra-crânien) découvertes dans la couche 25 (comme les 4 pièces des fouilles Peyrony) ont donc été très précisément étudiés. De plus, rappelons que des traces de manipulations anthropiques apparaissant sur quelques fragments ont été d'abord décrites par Genet-Varcin (1982) puis Le Mort (1989). Elles ont été analysées à nouveau par Garralda et Vandermeersch (2000a), Garralda et al. (2003 et 2005), Garralda 2008. La série anthropologique de Combe-Grenal est donc très importante pour la compréhension de la variabilité des Moustériens du sud-ouest de la France, surtout pour la période allant d'environ 75-65 ka (stade isotopique 4) dans laquelle, d'après la synthèse de Guadelli et Laville (1990), se situerait le niveau 25. En juin 2009, durant les travaux de récolement des collections du Musée national de Préhistoire, l'un d'entre nous (S.M.) isola dans les collections de la faune de Combe-Grenal, et précisément celle de la couche 60, une nouvelle pièce qu'il considéra comme humaine : une incisive déciduale. La diagnose fut confirmée par B. M. qui détermina une incisive déciduale inférieure centrale. Le fossile portait, avant la restauration (fig. 2) l'inscription « C – G / A5 / C60 », indiquant qu'il avait été mis au jour dans une des plus anciennes couches du site, la 60 (aussi dénommée A5 au début des fouilles de Bordes). Cette couche affleurait au sud et se développait bien au-dessous de la couche 25 qui a fourni l'essentiel des vestiges humains (surtout les carrés E5 et F4; voir Garralda et Vandermeersch 2000a). Cliché Ph. Jugie, Musée national de Préhistoire. Photo Ph. Jugie, Musée national de Préhistoire. En fonction de l'inventaire publié des vestiges humains de Combe-Grenal (Garralda et Vandermeersch, ibidem, p. 215-216), ce nouveau fossile peut être numéroté Combe-Grenal Hominid 31. Selon F. Bordes (1966 et 1971), l'industrie lithique que livre la couche 60 correspond à de l'Acheuléen final ou « Acheuléen méridional » en raison de la présence de bifaces et dans la mesure où ces derniers sont différents de ceux de l'Acheuléen du nord de la France (fig. 3). Cliché Ph. Jugie, Musée national de Préhistoire. Photo Ph. Jugie, Musée national de Préhistoire. Ce faciès est connu en grottes et abris à Combe-Grenal et au Pech-de-l'Azé II (couches 8 et 9 par exemple), mais aussi en plein air, en Chalosse (Thibault 1970) et en Bergeracois, à Cantalouette (Guichard 1965), Les Pendus et Barbas (Guichard J. et G. 1966). D'un point de vue typologique, il se définit principalement par un outillage bifacial grossier, souvent à pointe mousse, nucléiforme, rarement symétrique. L'outillage sur éclats est par contre très diversifié et moustérien. L'approche technologique menée par E. Boëda (1991 - p. 49-50) sur les couches 8 et 9 du Pech-de-l'Azé II (fouilles F. Bordes) et C' 4 de Barbas a montré la présence d'un système de production original, le « débitage trifacial » qui a fourni les supports, une partie des nucléus ayant été aménagée en bifaces très partiels. Le réexamen de la couche 59 de Combe-Grenal (Turq 1992) ainsi que la découverte, la fouille et l'étude du site de plein air de Combe-Brune 3 (Brenet et al. 2008) ont apporté des précisions. Aujourd'hui, ce faciès se définit par : une exploitation des matières premières lithiques provenant de l'environnement immédiat du site; des supports peu standardisés, produits par des séries courtes et unipolaires qui peuvent intéresser deux surfaces contiguës et sécantes, alternativement plan de frappe ou surface de débitage. Les nucléus sont généralement de type acheuléen (Bordes 1961; Rolland 1986) mais il existe aussi des nucléus à orientation centripète à une ou deux surfaces préférentielles de débitage et des nucléus trifaciaux très minoritaires; le façonnage est particulier, à la fois différent de celui observé dans l'Acheuléen classique et de celui du Moustérien de tradition acheuléenne. Les bifaces vraiment symétriques sont très rares. Les autres pièces ont vu se succéder, dans un sens ou dans l'autre, des phases de production (notion de nucléus) et de façonnage (biface). Il ne s'agit pas de nucléus présentant quelques retouches localisées (vision typologique) mais des pièces reconfigurées qui changent de statut. Certains bifaces ont été défigurés ou réaménagés par un grand enlèvement, sorte de coup de tranchet obtenu au percuteur dur. Ce techno-complexe qualifié d' « Acheuléen méridional » n'a donc rien à voir avec l'Acheuléen (morphologie des bifaces, absence de production systématique de grands supports, outillage sur éclats très diversifié) mais fait partie intégrante de la diversité du Paléolithique moyen ancien auquel il doit être rattaché. D'un point de vue chronologique, les données disponibles permettent de le situer avant le stade isotopique 5 (Vieillevigne et al. 2008). Cette attribution est confirmée par les datations absolues obtenues sur du matériel archéologique provenant de deux sites : Pech-de-l'Azé II (couche 8 : 149±12 à 201±16 ka (ESR), couche 9 : 117±13 à 205±26 ka (ESR); Grün et al. 1991) et Combe-Brune 3 (156,4±11,7 ka (TL); Brenet et al. 2008; Guibert et al. 2008). Notons que deux résultats TL sur un silex (échantillon 601; Bowman et Sieveking 1983) de la couche 60 de Combe-Grenal donnent les dates de 105±14 à 113±13 ka. Toutefois, Guibert et al. (2008 - p. 20) considèrent que l'indice de qualité de ces résultats est de 1 ce qui signifie que « seul l'ordre de grandeur de la datation pourrait être retenu » et que l'incertitude et l'évolution des méthodes empêchent maintenant une « prise en compte suffisamment sûre des résultats ». Les faunes des niveaux les plus anciens de Combe-Grenal ont déjà fait l'objet de publications détaillant, entre autres, le contenu des vestiges osseux des mammifères de la couche 60 (Bordes et Prat 1965; Delpech et Prat 1980, 1995; Delpech et al. 1995). Les renseignements d'ordre biostratigraphique qui en découlent sont résumés brièvement ci-dessous : la très large prédominance du Renne, la présence de caprinés montagnards (Chamois, Bouquetin, Thar) et d'espèces steppiques que sont le Cheval et le Bison, sont autant d'arguments plaidant en faveur de conditions climatiques rigoureuses; la sous-espèce caballine représentée par Equus caballus piveteaui, l'arrivée du Bouquetin, la persistance du Thar, la présence d'un Cerf de grande taille antérieurement à l'apparition de Cervus simplicidens (à partir de la couche 59), petit Cerf qui se développera surtout au stade isotopique 5 (Guadelli 1996), la présence de l'Antilope saïga dans les couches 59 et 58, témoignage de son incursion à la fin du stade isotopique 6 dans le sud-ouest de la France, sont autant d'éléments qui confèrent à la couche 60 son appartenance au stade 6 (ancien « Riss III »; Martrat et al. 2004, 2007). Une étude biostratigraphique fondée sur les grands mammifères (Delpech et al. 1995) avait conduit à placer l'ensemble des couches 64 à 56 de Combe-Grenal dans la même biozone que les couches IV de Vaufrey (datée de 120±10 ka (TL) et X à III (fouilles P. David) ou 53 à 49 (fouilles A. Debénath) de l'Abri Suard (La Chaise-de-Vouthon, Charente), la couche 51 ayant été datée de 126±15 ka (Blackwell et al. 1983) ce qui conduisait à placer la période de formation des dépôts constituant cette biozone dans la deuxième moitié du stade isotopique 6. En outre, une étude menée par F. Delpech et F. Prat (1995) a apporté des précisions sur la période de formation de l'ensemble 64 à 56 de Combe-Grenal : elle aurait été relativement brève (peut-être moins de 1000 ans), serait plus récente que celle des couches 53 à 49 de la grotte Suard, et se placerait très près de la fin du stade isotopique 6. Il en résulte que cet ensemble de Combe-Grenal, incluant la couche 60 qui nous intéresse ici, a dû se mettre en place aux alentours de 130000 ans BP. La morphologie et les petites dimensions de la couronne et de la racine de Combe-Grenal 31 nous assurent qu'il s'agit d'une dent déciduale. La couronne (fig. 4), très symétrique tant selon la face vestibulaire que la linguale, et les angles droits des côtés mésial et distal par rapport au collet, permettent de l'identifier comme une incisive centrale. Il s'agit probablement d'une dent droite, en raison de la très légère déviation, vers le côté mésial, de la ligne cervicale. La morphologie de cette dent, Combe-Grenal 31, est très similaire à celle des dents équivalentes des enfants de Pech-de-l'Azé 1 ou Roc-de-Marsal 1, exception faite de l'attrition, beaucoup plus accentuée sur le fossile étudié. Cliché Ph. Jugie, Musée national de Préhistoire. Photo Ph. Jugie, Musée national de Préhistoire. La dent a été mesurée trois fois et c'est la moyenne des trois mesures qui est reportée ici. Les diamètres ont été obtenus selon la méthode de Martin (Martin et Saller 1957; Monge et al. 2005). Ces diamètres sont un peu altérés par l'usure interproximale mais les valeurs obtenues sont très similaires à celles d'autres enfants néandertaliens (tabl. 1). Comme il a été signalé plus haut la couronne est étroite avec des angles mésial et distal assez droits (fig. 4a). La surface de la dent est courbe comme chez tous les enfants néandertaliens, et la ligne cervicale est un petit peu déviée vers le côté mésial. À part une petite facette de contact de chaque côté, dans les deux perspectives (fig. 4b et 4c) la courbure de la face vestibulaire et la proéminence du tubercule lingual sont bien visibles. La morphologie (fig. 4d) est un peu altérée par l'usure. Elle est concave, avec un tubercule lingual bien saillant, légèrement dévié vers le côté distal. La crête centrale et les crêtes marginales sont peu marquées. Rappelons qu'il n'a pas été signalé dans la littérature d'incisives centrales déciduales inférieures néandertaliennes avec une morphologie en pelle. La couronne est étroite mésio-distalement et les deux proéminences, celle de la face vestibulaire et, surtout, le tubercule lingual, se détachent nettement (fig. 4e). Le bord occlusal est oblique vers le bas et vers la face vestibulaire, indiquant une occlusion de type I (Hillson 1996), et non « bout à bout » comme chez l'enfant de Roc-de-Marsal 1, probablement décédé plus jeune que celui représenté par Combe-Grenal 31. L'usure, très intense, a plus affecté le coté labial. Elle correspond au type 5 de Murphy (1959, modifié par Smith 1984), avec une ceinture d'émail tout autour et de la dentine secondaire au centre. La racine est cassée (comme la prémolaire inférieure droite de la couche 39, Combe-Genal XV : Garralda et Vandermeersch 2000a), avec les bords érodés et sans signes de résorption. L'observation macroscopique laisse voir que toute la surface de la base de la racine est couverte d'une fine concrétion calcitique (fig. 4f), indiquant que la cassure s'était produite avant la fouille, au cours de processus taphonomiques qui eurent lieu pendant la formation de cette couche 60. L'usure accentuée ainsi que la présence des deux facettes interproximales et l'absence de résorption de la partie préservée de la racine, permettent d'estimer un âge au décès de cet enfant d'environ 3 ans ± 12 mois, en appliquant le schéma d'Ubelaker (1978) sur une série archéologique d'Amérindiens (et en ayant conscience de l'incertitude inhérente à ce type de collection), schéma très souvent utilisé par les paléoanthropologues. En fonction de l'ensemble des données métriques (tabl. 1 et 2) et morphologiques présentées ci-dessus, il apparaît nettement que cette dent présente un diamètre mésio-distal plus élevé que la limite supérieure traduisant 99 % (respectivement 5,13 et 4,93 mm) de la variabilité, de nos deux échantillons A et B d'individus récents. Il en est de même avec le diamètre vestibulo-lingual (limite supérieure 99 % = 4,60 mm uniquement pour l'échantillon B, regroupant des individus européens, africains et asiatiques; tabl. 2). Logiquement, cette dent montre donc une robustesse très importante et un indice de la couronne inférieur à l'actuel, conséquence de l'importance de sa longueur (qui est sous-estimée à cause des facettes interproximales et de l'attrition de la face occlusale). Comparée aux dimensions des Néandertaliens européens et proche-orientaux (tabl. 1 et 2) et aux deux fossiles européens mis au jour dans des niveaux très probablement antérieurs au stade isotopique 5e (Krapina et La-Chaise/Suard 14), Combe-Grenal 31 présente des dimensions et des proportions nettement plus proches de ces derniers que de fossiles plus récents. Pour expliquer ces résultats, on retrouve à nouveau la forte contribution du diamètre mésio-distal de la couronne. Nous considérerons donc que cette incisive centrale déciduale inférieure s'intègre bien au sein de la variabilité de la lignée néandertalienne, bien qu'il s'agisse d'une dent dont les traits morphologiques et métriques sont peu discriminants. Pour tenter de mieux visualiser ces différences, nous avons réalisé un graphique bidimensionnel en fonction du diamètre mésio-distal et du diamètre vestibulo-lingual de la couronne (fig. 5). Pour les fossiles, toutes les dents disponibles ont été intégrées dans l'analyse, aussi bien les dents droites que les gauches d'un même sujet (tabl. 2). Nous pensons que cette démarche est légitime en raison de la faiblesse de l'effectif fossile, et du fait que nous tentons d'apprécier au mieux une variabilité métrique. Nous avons déjà signalé (Garralda et al. 2008), que les dents droite et gauche d'un même sujet ne sont pas totalement similaires comme nous l'observons aussi dans le tableau 1. Nous avons décidé de rassembler dans un même groupe, les fossiles du Paléolithique moyen ou du Middle Stone Age qui n'ont jamais été supposés être membres de la lignée néandertalienne. Enfin, nous intégrons dans l'analyse l'unique incisive centrale déciduale inférieure rapportée à un Homo erectus, celui de Zhou Kou Dien B04 (Weidenreich 1937). Etant donné les effectifs de nos échantillons, l'unique ellipse représentée est celle du « B : groupe moderne » des tableaux 1 et 2, et symbolise l'aire de 95 % de sa variabilité. Les sujets rapportés à ce dernier groupe se répartissent de façon assez homogène. Notons toutefois qu'un de ces individus a une incisive déciduale dont les dimensions sont très importantes et, par conséquent, il se trouve nettement exclu de 95 % de la variabilité de son groupe. Les Néandertaliens des stades isotopiques 5d à 3 présentent des dents aux diamètres nettement supérieurs à ceux des dents du groupe moderne et une longueur importante relativement à leur largeur. Les deux pré-néandertaliens se situent au niveau des dents néandertaliennes les plus longues. Il en est de même pour Combe-Grenal 31. Les fossiles du Pléistocène supérieur non rapportés à la lignée néandertalienne sont parfois exclus, parfois inclus au sein de la variabilité du groupe moderne. Enfin, l'unique Homo erectus se caractérise par une dent dont la couronne montre de petites dimensions. Relativement à tous ces individus, Combe-Grenal 31 se caractérise donc par une couronne présentant des diamètres coronaires élevés à très élevés. Nous ne disposons pas de données pour discuter le ou les processus taphonomiques qui ont favorisé la conservation dans la couche 60 de Combe-Grenal de cette dent malheureusement incomplète, une incisive déciduale centrale inférieure droite d'un enfant de 3-4 ans (selon la variabilité actuelle). Combe-Grenal 31 n'est pas un fossile très « discriminant » d'autant qu'il s'agit d'une dent usée et incomplète. Mais les données morphologiques (cingulum et saillie des crêtes linguales) et surtout métriques de CG31 s'intègrent mieux au sein de la variabilité des membres de la lignée néandertalienne que des Hommes anatomiquement modernes. En ce qui concerne les diamètres de la couronne dentaire, CG31 se situe à proximité des deux pré-néandertaliens des stades isotopiques 6-5e (Suard, Krapina). Au sein de leur lignée (et donc de fossiles plus récents des stades 5d, 4 et 3 : Roc-de-Marsal 1, Pech-de-l'Azé 1, Châteauneuf 2, Shanidar 7 et Kébara 1), ces derniers se caractérisent par une longueur importante relativement à la largeur de la couronne. Notons aussi que la variabilité de la lignée néandertalienne est importante, bien que nettement distincte de celle des Hommes modernes, et que s'y intègrent quelques sujets récents ou du Pléistocène supérieur. Par conséquent, nous proposons l'hypothèse que le fossile Combe-Grenal 31 soit rapporté à la lignée néandertalienne. Si l'étude de l'industrie lithique rapproche cette couche de techno-complexes proches du Pech-de-l'Azé II et de Combe-Brune 3 (entre 117 et 205 ka) le cortège faunique la situe avec fiabilité à la fin du stade isotopique 6 (entre 140 et 127 ka). La concordance des données technologiques et paléontologiques nous amène à dater cette couche 60 autour de 130 ka. Considérant l'ensemble de ces données, l'ancienneté de la couche 60 fait que ce nouveau vestige, Combe-Grenal Hominid 31, est actuellement le plus ancien fossile humain d'Aquitaine représentant un groupe de Pré-Néandertaliens qui habita cette région pendant le dernier tiers du stade isotopique 6. Le terme d'Aquitaine a donc été pris ici au sens administratif de la région Aquitaine. Si on l'utilise dans un sens géologique ou géographique (Bassin aquitain), le reste humain du site de Pradayrol dans le Lot représente alors le fossile humain le plus ancien de ce territoire car provenant de niveaux mis en place antérieurement au stade isotopique 6 (Séronie-Vivien et Tillier 2002) .
Le récolement des collections du Musée national de Préhistoire a permis, lors du travail sur la faune découverte au cours des fouilles de F. Bordes à Combe-Grenal, site de référence, l'identification d'un nouveau fossile humain, Combe-Grenal 31. Il provient de la couche 60. En fonction des vestiges archéologiques et paléontologiques qu'elle livre, et de comparaisons avec des niveaux aussi anciens de différents gisements, cette couche s'est probablement formée lors du dernier tiers du stade isotopique 6. Combe-Grenal 31 correspond à une incisive inférieure droite de la dentition déciduale d'un enfant d'environ 3 ans ± 12 mois. Sa couronne présente de grandes dimensions malgré une forte attrition de la face occlusale. La courbure de la face vestibulaire, ainsi que le tubercule lingual sont bien marqués. Les crêtes marginales sont un peu saillantes. Ses caractères morphologiques et leur comparaison avec d'autres fossiles européens ainsi que l'ellipse d'équiprobabilité réalisée à partir des dimensions de la couronne nous permettent de souligner des similitudes avec les dents équivalentes d'autres enfants néandertaliens des stades isotopiques 5, 4 ou 3 et deux spécimens européens rapportés au stade 6.
archeologie_12-0023829_tei_196.xml
termith-54-archeologie
Le 16 septembre 2000, au cours d'une prospection spéléologique menée sur la commune du Buisson-de-Cadouin, Marc Delluc et Fabrice Massoulier, tous deux membres du Spéléo-Club de Périgueux, devaient reconnaître l'entrée d'une cavité au développement limité à une douzaine de mètres seulement. Après avoir franchi une première chatière, qui marquait jusqu' à ce jour le terme de ce conduit, puis un passage très bas ­— d'une dizaine de mètres de long — leur progression fut temporairement arrêtée par un éboulis de blocs et de plaquettes calcaires qui obstruait le conduit. M. Delluc retourna seul sur le site le samedi suivant et constata qu' à travers les éléments lithiques disjoints soufflait un violent courant d'air, indice présageant d'un élargissement important du conduit, ce qui l'incita à persévérer dans sa progression. Son opiniâtreté porta ses fruits au cours d'une troisième intervention, le samedi 30 du même mois, car la réduction partielle de l'obstacle lui autorisa l'accès à une très grande galerie qu'il parcourut sur une centaine de mètres. Au cours de cette incursion, il devait reconnaître les premières gravures pariétales de ce sanctuaire. Il poursuivit l'exploration le samedi suivant, 7 octobre, en compagnie de Hervé Durif et de Fabrice Massoulier. Six cents mètres de galerie furent ainsi reconnus, mais, devant la multiplication des indices attestant d'une présence humaine passée, ils interrompirent leur progression afin de ne point dégrader les sols, en partie argileux. Le lendemain, dimanche 8 octobre, Norbert Aujoulat et Christian Archambeau, procédèrent à une expertise à la fois du fonds graphique et des restes humains jonchant le sol, officialisant ainsi cette découverte. Pour d'impérieuses nécessités de sécurité et à l'initiative de la DRAC Aquitaine et du Service régional de l'Archéologie, d'importants travaux de purge de la zone d'entrée, d'évacuation des déblais, de protection et de consolidation furent réalisés entre janvier et mai 2001. A partir de cette date, les travaux d'exploration, de topographie et les visites complémentaires d'experts purent reprendre. L'entrée de la cavité fut reconnue, semble -t-il, dès la fin de la première moitié du XX e siècle. consécutivement aux recherches menées par Denis Peyrony (1950), originaire de la commune de Cussac, puis quelques années plus tard, par Elie Peyrony. On note aussi le passage de plusieurs spéléologues au cours de ces trente dernières années, que le premier obstacle et l'absence de courant d'air firent renoncer dans leur entreprise. A la fin de l'été 2001, l'exploration de ce site s'est poursuivie dans la branche de droite, qui d'après nos premières observations pourrait constituer l'amont de ce réseau. Au cours de deux séances successives, nous pûmes reconnaître 400 m supplémentaires de galerie, progression portant à 1600 m le développement total du réseau topographié simultanément par H. Durif. L'extrémité est marquée d'un cône argileux barrant toute la largeur du conduit et interdisant toute progression. La rive droite du Bélingou, un des affluents méridionaux de la Dordogne, est soulignée d'une petite corniche dans la partie moyenne de son cours. Cette formation précède une cascade sur travertin, exsurgence de la partie active du réseau dont la galerie ornée forme le segment fossile. Sur plusieurs dizaines de mètres, c'est-à-dire de l'entrée de la cavité à l'abri formé au pied de la barre rocheuse, 30 m en aval du porche, le sol fut en grande partie défoncé, consécutivement, sans doute, à des travaux d'extraction de produits de fertilisation des sols. Plus tard, un chemin devait relier ces deux formations géologiques. La totalité du réseau est creusée dans l'horizon supérieur du Campanien, et plus précisément dans la formation de Journiac et celle de Couzé, horizons codés respectivement c5JoG et c5Cz sur la carte géologique au 1/50000 e du BRGM (Karnay et al., 1999). La zone vestibulaire, large en moyenne de 3 m, pour une hauteur de 1 à 2 m, se limite à un développement d'une douzaine de mètres. Passé ce segment, un épisode plus contraignant marque son extrémité distale. Un passage très bas, long de 10 m environ, conduit au pied d'un cône d'éboulis, supprimé depuis, sous lequel il fallait initialement se glisser 8 sur 4 m. Au-delà de ce seul obstacle sérieux du réseau, s'ouvre une grande galerie (fig. 1), de 10 à 15 m de large et haute d'une douzaine de mètres en moyenne, scindée en deux branches, l'une, à droite, orientée à 130°, de direction armoricaine, l'autre, s'ouvrant à gauche, à 330°-350°, sub-parallèle à la direction Nord. On retrouve ici les deux orientations majeures du domaine souterrain de la région sud-est du Périgord. CNP, Ministère de la Culture. A la jonction de ces deux axes, l'entrée actuelle s'apparente davantage à un regard latéral de l'unique galerie, qu' à l'exsurgence fossile principale. Le développement reste sub-horizontal sur les 1600 m topographiés. Le parcours n'offre aucune difficulté majeure. Les seuls obstacles rencontrés proviennent des blocs d'effondrement, souvent de dimensions très importantes, qu'il faut contourner ou franchir par le sommet. L'étage inférieur est visible à plusieurs reprises, à la faveur d'étroits regards s'ouvrant dans le sol argileux. Cette partie active de la grotte reste, pour l'instant, impénétrable. La section transversale de la galerie accuse un découpage de la paroi selon trois registres à texture et inclinaison différentes. La strate inférieure, verticale, montre une interface très fracturée à modelé assez accidenté. Le niveau médian, souvent en encorbellement, diffère par une surface sans relief accentué et une qualité du support propice à toutes les formes d‘expression graphique. Le toit, enfin, s'identifie à un large chenal de voûte qui recoupe à plusieurs reprises l'axe de déambulation. La majorité des représentations figure sur les surfaces appartenant au segment médian. Sa particularité tient à un ensemble de facteurs d'ordres structural, colorimétrique et mécanique. Un grain très fin, une couleur ocrée, une induration optimale autorisant à la fois une excellente conservation des contours incisés et un geste non contraint, sont autant de critères qui participent à l'excellence de l' œuvre. La friabilité de ce support, sur 1 à 2 mm de profondeur, devait contribuer à recevoir de nombreux tracés digités. Un concrétionnement important (stalagmites, draperies, planchers de calcite. ..) recouvre en partie les sols et les parois. L'absence de bris récents de ces formations témoigne d'une non-fréquentation de la cavité au cours de ces derniers siècles. Le sol argileux est, par endroit, recouvert d'un plancher stalagmitique. Par mesure conservatoire, le parcours souterrain emprunté à chaque intervention est réduit à une largeur moyenne de 40 cm; un double ruban continu en marque les limites latérales. Dans cette phase exploratoire que nous observons depuis quelques mois, nous avons pu mettre en évidence la grande diversité des témoignages archéologiques de ce site, intégrant au fonds iconographique pariétal, les composantes mobilières et anthropologiques. La présence animale, l'ours essentiellement, semble avoir subi une occultation par dégradation naturelle et rapide des vestiges osseux, phénomène lié à un passage beaucoup plus ancien que celui de l'homme. Ne subsistent que deux formes d'indices, traduites par de nombreuses griffades sur parois et par plusieurs séries de bauges creusées dans le sol argileux. Denis Peyrony devait glaner de rares objets lithiques au pied et en contrebas de l'abri situé en aval. De cette collecte, plusieurs indices lui permirent d'identifier des cultures s'échelonnant de la fin du Magdalénien au Mésolithique (Peyrony,1950). Quelques années plus tard, l'entrée de la cavité fut fouillée sur une dizaine de mètres par Elie Peyrony, mais les données résultant de cette investigation ne nous sont pas encore parvenues. Au-delà de l'obstacle, l'éboulis d'entrée resté jusqu' à ce jour infranchissable, les indices d'anthropisation du milieu souterrain se multiplièrent tout en se diversifiant, avec cependant des caractères dus à la spécificité générée par le contexte endokarstique. A l'image de la plupart des grottes ornées paléolithiques, les objets lithiques ou osseux restent en nombre très limité. Au cours des premiers contacts avec ce milieu, nous n'avions remarqué qu'un petit nombre d'éléments mobiliers. Cependant, quelques lames furent retrouvées, sans sédimentation oblitérante. Une partie des sols, toutefois, fut temporairement exondée sur plusieurs dizaines de mètres, phénomène ayant eu pour conséquence de recouvrir de limons les secteurs proches du ruisseau souterrain. Le décollement de certaines plaques d'argile en voie de dessiccation montre que cet apport alluvial recouvrit à plusieurs reprises des éléments du mobilier paléolithique. Le fonds iconographique inventorié au cours d'une première série d'observations atteste de l'existence de plus de cent cinquante figures complètes ou partielles. Elles appartiennent toutes au bestiaire traditionnel du monde paléolithique, à savoir : rhinocéros, bouquetins, et en nombre plus important bisons, mammouths (fig. 2) et chevaux (fig. 3). CNP, Ministère de la Culture. CNP, Ministère de la Culture. La répartition des entités graphiques sur les parois de cette cavité, mais aussi au sol, n'est pas uniforme. On remarque un plus grand nombre de figures dans le segment aval, la plupart regroupées en panneaux, neuf au total, régulièrement espacés, de l'entrée jusqu' à l'extrémité distale constituant près de 90 % de l'iconographie de la grotte. L'ensemble des figures de ce site tire son originalité de la présence de représentations animales rarement exprimées dans ce contexte, notamment des oiseaux, certainement des oies, mais aussi des figures étranges, aux mufles allongés, la gueule ouverte, dont l'identification précise reste du domaine des hypothèses. Des silhouettes féminines (fig. 4) et des représentations sexuelles complètent l'iconographie du site. Leur présence est capitale dans les tentatives de comparaison avec d'autres sites de la région. CNP, Ministère de la Culture. Toujours très proches des entités figuratives animales ou humaines, mais placées souvent à la périphérie des panneaux, on enregistre la présence de nombreux tracés digités, le support tendre à grain fin devait autoriser cette forme d'expression. Ils se différencient des figures gravées à l'aide d'un outil, par le caractère aléatoire des formes obtenues, sans possibilité d'une quelconque interprétation. Toutes les figures relèvent de la gravure (fig. 5), tant sur les parois que sur l'argile des sols. L'impact visuel produit à la fois par le gigantisme des représentations et par l'emprise très large des traits confère à ces témoignages pariétaux un profil monumental. La plus imposante, un des bisons du Grand Panneau, ne mesure pas moins de 4 m de long. Ce sont les gravures préhistoriques les plus imposantes de l'art pariétal européen. En outre, le tracé des contours animaliers bénéficie des propriétés particulières du support. Cussac est encore un exemple remarquable de l'adaptation optimale des techniques graphiques aux propriétés mécaniques et chromatiques de la roche encaissante. L'induration du support reste satisfaisante pour une excellente conservation de l' œuvre et cependant suffisamment tendre pour que, à l'aide d'un outil lithique ou osseux, ou même d'un bois dur, le geste ne soit pas contraint. La trace consécutive reste large et profonde, contrastant avec le fond autant par les variations colorimétriques générées par l'enlèvement du calcin de couleur ocre, que par la largeur du trait. CNP, Ministère de la Culture. Nous n'avons retrouvé que quelques rares motifs géométriques, un quadrillage, dans la branche de gauche, appartenant à la troisième concentration de figures, et, dans la galerie de droite, une suite de sept entités pisciformes alignées sur une longueur de 60 cm, gravées entre deux représentations féminines. A proximité immédiate de l'entrée, on remarque un troisième signe, un cercle échancré. Quelques tracés au doigt et ponctuations, de couleur rouge, rompent cette unité d'expression. Nous n'avons retrouvé qu'une seule concentration d'impacts de pigments, localisée dans la branche de droite et limitée en surface à moins de 1 m 2. A la base du champ, six tirets tracés au doigt, sont alignés sur une même ligne et deux fois deux autres motifs identiques placés immédiatement au-dessus. On note aussi des essuyages ocrés dans la partie supérieure du tableau. A cette composition fort modeste, il faut y ajouter quelques rares ponctuations rouges dispersées dans l'ensemble de ce sanctuaire. Cette carence semble quelque peu étrange en regard au nombre très élevé de gîtes à matière colorante susceptibles, chacun, de fournir une quantité très importante de pigments de couleurs très variées, et ce, dans un périmètre, autour de la grotte, limité à quelques kilomètres seulement. Mêlées aux graphismes pariétaux, mais toujours en position sous-jacente, c'est-à-dire d'époque antérieure, de très nombreuses griffades d'ours se reconnaissent. On leur associe les bauges creusées dans l'argile. Le caractère archaïque des figures et la présence de plusieurs indices relatifs aux conventions graphiques, notamment certaines extrémités de pattes tracées en “X ”, des attaches de membres juxtaposées (absence de perspective), des encornures traduites frontalement pour un corps de profil, sont autant d'éléments qui laissent à penser à une mise en place de ces motifs au cours d'une période ancienne du Paléolithique supérieur. Une première analyse graphique montre qu'il existe de nombreuses analogies avec l'art pariétal du Quercy, en particulier celui de la grotte de Pech-Merle. Elles se traduisent, à la fois, dans les thèmes évoqués, dans la traduction de l'anatomie animale, mais aussi humaine, et dans les associations de figures, notamment femme-mammouth. Ceci montre que nous sommes en présence d'un art qui, non seulement possède ses propres caractéristiques, mais partage aussi certaines données avec des entités pariétales appartenant à d'autres cavités et dont la répartition s'étend sur un territoire localisé dans la zone interfluviale Lot-Dordogne. Entre ces deux rivières, en effet, s'est constitué un ensemble de sites ornés remarquables par la cohérence de ses thèmes et associations de figures. Ces analogies graphiques devaient nous permettre de préciser la période de mise en place de ce fonds, située autour de 25 000 ans. Des liens certains, mais plus ténus, peuvent aussi être établis avec l'art pariétal de la grotte de Gargas, dans les Hautes-Pyrénées, site localisé sur la rive droite de la Garonne. Cependant, les éléments autorisant un tel rapprochement restent essentiellement graphiques et limités aux seules figures animales, le bison plus particulièrement; l'absence de représentations féminines dans ce site lui accorde une dépendance moins importante par rapport aux exemples septentrionaux de ce territoire. Le rapprochement de cet art avec celui des sites localisés au sud de la rivière Dordogne montre que ce collecteur s'apparente à une réelle limite à l'extension de l'art quercynois, du moins au cours de cette période ancienne, alors que les matières premières, le silex en particulier, n'ont rencontré aucun obstacle dans sa diffusion entre le Fumélois et la Vézère. Une autre forme de témoignage préservée dans ce milieu a trait à la présence de nombreux vestiges osseux d'origine humaine, tous localisés dans la branche gauche du réseau. Ils se trouvent dans des dépressions du sol, des bauges à ours qui servirent de réceptacles. Ces structures ursines, réparties entre les différents panneaux gravés s'échelonnent sur près de 200 m, distribuées en plusieurs concentrations de trois à cinq unités chacune, séparées les unes des autres de quelques mètres. CNP, Ministère de la Culture. Un premier dénombrement de certains segments anatomiques atteste de la présence d'un ensemble qui regroupe au moins cinq individus, quatre adultes et un adolescent. L'influence temporaire du ruisseau souterrain devait entraîner des effets différenciés sur la conservation de ces restes humains. Les éléments hors d'atteinte des eaux subirent une altération plus importante que ceux recouverts d'une fine pellicule de limon, consécutive à l'exondation. On enregistre, en effet, une conservation très fragmentaire des vestiges non englobés, par opposition à ceux exposés aux débords du ruisseau souterrain qui conservent la plupart des éléments du squelette. Ce phénomène est plus particulièrement explicite dans la troisième bauge où l'on remarque même que plusieurs segments du squelette sont en connexion anatomique; une observation plus précise montre qu‘il est en position allongée, sur le ventre, ce qui pourrait suggérer un dépôt primaire. Par rapport à l'entrée actuelle, 150 m séparent l'entrée du premier locus et 225 m du second. Si les éléments du premier ensemble sont localisés au sol, le second domine le sol de déambulation de 3 m environ, perché sur une banquette, témoin d'un remplissage argileux ultérieurement calcité. En outre, il n'est pas impossible qu'au pied du Grand panneau, à l'extrémité distale, subsistent d'autres vestiges humains, rassemblés eux aussi au creux d'un nid d'ours. Une prochaine mission devrait nous permettre d'y accéder sans dégrader les sols. Dans un premier temps, six échantillons d'os, deux fragments de côtes, trois phalanges et un métatarsiens ont été prélevés pour, d'une part, procéder à une première évaluation chronologique et, d'autre part, entreprendre des recherches paléogénétiques. Des trois échantillons adressés au laboratoire, un seul offrait suffisamment de collagène pour une datation par la méthode du carbone 14. Les deux autres se trouvaient dans un état d'altération plus avancé. L'un donna un résultat approximatif, mais laissant augurer que ces vestiges pourraient appartenir à une période très ancienne, au-delà de 20 000 ans. L'autre fut inexploitable. Le seul fragment osseux suffisamment fiable est issu du squelette de la première bauge. Le résultat de l'analyse donna 25 120 ± 120 ans BP. Cette datation nécessite, bien évidemment, d' être confirmée, ce qui devrait être fait dans les prochains mois. Ces données préliminaires laissent entrevoir qu'il pourrait y avoir quasi-contemporanéité entre les faits pariétaux et les activités funéraires, au sens très large du terme. Cette conjonction pourrait ouvrir un chapitre nouveau dans les possibilités d'interprétation des motivations qui incitèrent les hommes du Paléolithique à séjourner dans le milieu souterrain. Le peu de perturbations subies par ces vestiges humains suppose une désaffection du site par les animaux cavernophiles, l'ours et la hyène, en particulier. En outre, l'analyse microstratigraphique des parois montre que toutes les griffades d'ours relevées étaient en position sous-jacente par rapport aux gravures et donc chronologiquement antérieures. Ces faits impliquent qu'immédiatement après les dernières interventions humaines, dont le dépôt des cinq individus, un événement naturel survienne. Il devait avoir pour conséquence l'obstruction de l'entrée de la cavité. Cette découverte va très au-delà de la simple augmentation du patrimoine pariétal périgourdin. L'art pariétal de Cussac présente de fortes originalités, tout en conservant un caractère homogène et en s'intégrant dans l'ensemble des conventions et des thèmes gravettiens. Dans un premier temps et en étroite collaboration avec M. Delluc, nous avons été chargé (N.A.) d'établir un inventaire des témoignages archéologiques du site, tant sur le plan pariétal que mobilier. Dans une seconde phase, il faudra procéder à un aménagement des secteurs très anthropisés, actuellement hors d'atteinte de l'observateur. Au terme de cette première séquence d'interventions, des recherches thématiquement plus étendues nécessiteront la composition d'une équipe pluridisciplinaire .
Le 30 septembre 2000, au cours d'une prospection spéléologique menée sur la commune du Buisson-de-Cadouin, Marc Delluc devait découvrir dans la grotte de Cussac un remarquable ensemble de représentations pariétales gravées. L'analogie formelle des éléments de ce bestiaire et des entités féminines remarquée très tôt avec les figures de Pech-Merle permirent d'attribuer cette iconographie à une phase ancienne du Paléolithique supérieur, le Gravettien. Cependant, le caractère exceptionnel de ce site réside aussi dans la présence de nombreux vestiges osseux d'origine humaine, regroupant au moins cinq individus et dont la répartition calque en partie celle des figures pariétales. Le rapprochement chronologique de ces deux formes archéologiques est corroboré par la datation 14C d'un des prélèvements osseux qui donna 25 120 ± 120 ans.
archeologie_525-02-11880_tei_288.xml
termith-55-archeologie
La commune de Beaupréau se situe au centre des Mauges, région qui occupe le quart sud-ouest du Maine-et-Loire, aux confins de la Vendée et de la Loire-Atlantique (fig. 1). Ses alentours sont riches d'un patrimoine archéologique protohistorique et antique, organisé notamment autour des mines d'or de Saint-Pierre-Montlimart (Levillayer, 2003). Un dense réseau d'établissements ruraux (Fricot et al., 2006) se structure autour du site protohistorique et antique de la Ségourie au Fief-Sauvin (Bouvet et Levillayer 2010; Chéné 1982). En 1974, Claude Lambert, à l'occasion d'une campagne de prospection aérienne, photographie un double enclos quadrangulaire au lieu-dit Le Pinier (fig. 2). Cinq années plus tard, un projet de lotissement à cet emplacement amène Daniel Prigent, du Service archéologique départemental de Maine-et-Loire alors nouvellement créé, à intervenir. La fouille, particulièrement difficile, s'est déroulée dans l'urgence alors que les travaux de terrassement avaient déjà débuté. Pour diverses raisons, seuls quelques rares éléments du site ont jusqu'alors été étudiés et publiés (Aubin, 1983; Lejars, 2007). Le site apparaissait alors relativement isolé de par sa chronologie ancienne. Dans le cadre d'une reprise des sites protohistoriques fouillés par le Service archéologique départemental, nous présentons ici les résultats complets de cette opération, qui prend d'autant plus de valeur qu'elle peut désormais être mise en perspective avec d'autres sites fouillés depuis lors dans la région. La photographie aérienne laisse apparaître deux enclos emboîtés (fig. 2). L'enclos interne, dont on perçoit la taille importante des fossés, est discernable dans sa totalité; il s'agit d'un enclos quadrangulaire. L'enclos externe en revanche n'apparaît que dans sa partie nord, délimité par un fossé rectiligne. Une interruption du fossé pourrait exister dans sa partie ouest (fig. 3). Le but de la fouille était de vérifier le plan du site, d'en proposer une datation et d'en déterminer la fonction. Par manque de temps, l'ensemble des fossés n'a pas été fouillé; des sondages ponctuels ont été réalisés en différents points de ceux -ci et au centre de l'enclos. Treize d'entre eux ont été réalisés à la pelle mécanique dotée d'un godet lisse et terminés à la main. Seul le sondage 10, dans l'angle sud-ouest de l'enclos interne, a été mené intégralement à la main, permettant d'en dresser la coupe stratigraphique et de récolter un mobilier plus abondant qu'ailleurs. Seuls trois sondages et une coupe ont pu être réalisés dans l'enclos externe, la poursuite des travaux de terrassement ayant empêché de poursuivre plus avant son examen. Il n'est donc pas possible de déterminer le tracé exact de cette enceinte, même si les observations faites sur le terrain peuvent être complétées par celles de la photographie aérienne. Les recherches se sont donc concentrées sur l'enclos interne, complétées par un sondage de taille restreinte réalisé à l'intérieur de celui -ci. Le site du Pinier est installé en position topographique dominante, sur le versant nord de la vallée de l'Evre, à 500 m de cette rivière qui décrit de nombreux méandres, et à une altitude moyenne de 85 m NGF (fig. 1). Les terrains sous-jacents sont constitués de schistes briovériens qu'entaille profondément l'Erve, créent un relief marqué. La fouille a permis de confirmer le plan de l'enclos interne mais pas d'observer l'intégralité de l'enclos externe (fig. 3). Quant au sondage central, il a révélé de très importantes perturbations dues aux labours qui sont probablement à l'origine de la destruction des structures en creux qui ont pu exister. Cet enclos adopte un plan grossièrement carré dont les côtés mesurent environ 40 m. Le fossé a des dimensions relativement imposantes, notamment au regard de ceux d'autres sites du second âge du Fer fouillés dans les Mauges (Fricot et al., 2006). À son niveau d'apparition (à 0,3 m environ sous le sol actuel), il mesure en moyenne 3,50 m à l'ouverture, ses dimensions étant comprises entre 3,10 m du côté est et 3,95 m du côté nord. Sa profondeur, de l'ordre de 2 m dans la partie nord et ouest, atteint 2,60 m au sud. Il présente un profil en V dissymétrique à fond arrondi (fig. 4). La face externe est toujours plus régulière et présente toujours une déclivité plus prononcée que la face interne. La coupe stratigraphique relevée sur le sondage 10 montre des dépôts de limons le long des parois, qui tendent à prouver que le fossé a fonctionné ouvert. La succession des couches qui se sont déposées de façon relativement homogène, en cuvette et sur des épaisseurs parfois considérables, incite à envisager que ce fossé est resté ouvert pendant toute la durée d'occupation du site (Menez, 1996, p. 26 et 30). Des pierres, distribuées de manière asymétrique dans le comblement, accréditent la présence éventuelle d'un talus (l'existence d'un parement, suggérée par une morphologie systématiquement assez plane des pierres, est davantage sujette à caution). Le fossé de l'enclos externe (au plan légèrement trapézoïdal) a des dimensions plus modestes (fig. 5). Il mesure environ 1,70 m d'ouverture dans sa partie basse, mais un creusement en terrasse dans la partie ouest l'agrandit à 2,55 m sous la surface. Le profil en V est très évasé, avec un fond presque plat. Le flanc ouest montre plusieurs décrochements, dont un d'importance qui pourrait correspondre à un recreusement. La stratigraphie relevée dans le sondage 11 irait en ce sens; en effet, les plus anciennes couches correspondent, à cet endroit, à des colluvionnements. Un niveau limoneux et pierreux, qui semble s' être déposé en cuvette, est recoupé par une couche qui vient rejoindre le probable curage ou recreusement évoqué précédemment. Il est donc possible qu'il y ait eu deux phases de fonctionnement. Cependant, le caractère limité des sondages n'a pas permis de les identifier clairement, ni d'interpréter davantage. L'étude du mobilier de l' âge du Fer, majoritairement constitué par de la céramique et présentant des éléments remarquables, est d'autant plus intéressante qu'elle peut être aujourd'hui replacée dans son contexte régional grâce aux fouilles de sites contemporains, intervenues entre-temps aussi bien dans le Maine-et-Loire qu'en Loire-Atlantique. Elle permet également de préciser les réflexions engagées à partir des rares éléments du site jusqu'alors publiés (Lejars, 2007; Levillayer, 2003). Le nombre des restes s'élève à 686 pour un minimum de 55 individus (calculé à partir des seuls bords) et un poids total de 11,30 kg. Ce lot est donc modeste mais non dénué d'intérêt. Du fait des conditions de fouille, le plan de répartition du mobilier n'a pas de réelle signification. Tout au plus, on note que la très grande majorité du mobilier provient de l'enclos interne (511 tessons et 47 individus). Le sondage 10, effectué manuellement, concentre à lui seul 284 tessons pour un NMI de 23. Une typologie formelle, complétée par des observations sur le montage des vases, a été élaborée de façon empirique; quinze types ont été définis (fig. 6 et 7). D'un point de vue technique, seules deux grandes catégories ont été distinguées : la céramique modelée d'une part et la céramique tournée ou régularisée au tour lent d'autre part. La première catégorie est majoritaire et représente 78 % des productions présentes sur le site. On classe parmi les 22 % restants les céramiques tournées sur lesquelles des traces de tour rapide ont pu être identifiées, ainsi que les céramiques qui ont été finies à la tournette. Les pâtes sont globalement homogènes. La majorité peut se ranger dans la catégorie des pâtes communes sombres, la cuisson étant, sauf exceptions, réductrice (le mode réducteur primitif dans lequel la privation d'oxygène est incomplète, est très majoritaire : on ne compte que quinze cuissons totalement réductrices). Seuls quelques vases (11 au total), peuvent être qualifiés de pâtes claires; parmi ceux -ci, quatre sont du type 11a (fig. 7). Les vases grossiers, essentiellement modelés, se répartissent préférentiellement sur quelques types. Ce sont les formes 9, 10 et 12, mais aussi les jattes à panse semi-hémisphérique de type 3 (fig. 6, 7). Les céramiques fines sont exclusivement tournées. Elles ne concernent que les types 4b et 11b, ainsi que les formes remarquables que nous étudions ci-dessous. Le dégraissant est généralement quartzeux. L'utilisation de chamotte est cependant à signaler dans trois cas. Enfin, quatre vases, tous de types différents, présentent une pâte micacée qui résulte de l'emploi d'une matrice argileuse vraisemblablement différente des argiles utilisées pour les autres céramiques. Le type 1 correspond à un vase tronconique trapu à fond plat, relativement ubiquiste. Parmi les écuelles et jattes tronconiques de type 2, une majorité est modelée et présente une lèvre simple, arrondie ou droite (sous-type 2a). Une légère cannelure souligne systématiquement cette lèvre. Un exemplaire se distingue des trois autres recensés par son décor : le haut de la panse est orné de cannelures horizontales tandis que la lèvre porte un décor imprimé à la baguette et présente une cannelure interne assez profonde, large de 0,2 cm. Le sous-type 2b ne se rapporte qu' à un seul exemplaire qui se distingue par un montage au tour, par un décor de deux incisions obliques sur la panse, et surtout par une lèvre qui présente un léger bourrelet externe. Ce type de vases à parois rectilignes est assez répandu dans les ensembles de la basse vallée de la Loire, depuis le Hallstatt final jusqu'au début de La Tène moyenne. On en trouve quelques exemplaires sur les sites angevins de la Croix-Boizard à Brion (Barbier, 1995) ou de la Reculière à Ecouflant, lors de la phase 1 (Nillesse, 2004), ainsi que sur le site de la Galonnière à Saint-Philbert-de-Grandlieu en Loire-Atlantique où il est très bien représenté (Bellanger en préparation). Cependant, les exemplaires de Beaupréau se distinguent par la finesse relative de leurs parois et par les cannelures décoratives. Ils se rapprocheraient alors d'exemplaires connus à La Tène B2 dans le Centre (Augier et al., 2007, p. 146). Notre type 3 est constitué de jattes modelées, grossières, à panse semi-hémisphérique et lèvre pseudo-rentrante (celle -ci pouvant être ornée de légers festons ou de digitations) qui trouvent dans la région plusieurs éléments de comparaison : on en rencontre sur les établissements de Marcé (Nillesse, 2003, p. 159-160), ainsi que dans la phase 2 des Chaloignes à Mozé-sur-Louet (Levillayer, 2006, p. 124). Sur les sites mentionnés, ces vases sont montés au tour et datés de La Tène C1 et C2. Ils paraissent plus soignés que ceux du Pinier qui évoquent, notamment par leurs décors, des productions plus anciennes. Les écuelles carénées à hauts cols déjetés constituent le type 4. Ces formes sont assez répandues en Gaule du nord et de l'ouest pour les périodes anciennes et moyennes de La Tène. Le sous-type 4a trouve un bon équivalent dans la Vienne, à Civeaux « la Papotière » (Gomez de Soto et al., 2007, p. 77). Plus près de Beaupréau, c'est encore une fois la première phase du site de la Reculière qui fournit les meilleurs parallèles, avec des exemplaires plus décorés toutefois. Le sous-type 4b quant à lui semble plus tardif. Le type 5 correspond à un individu unique. Il s'agit d'une céramique fine, tournée, qui présente une cannelure labiale interne large de 0,18 cm. Ce type de lèvre arrondie éversée rappelle des contextes bretons, comme ceux du Boisanne datés de La Tène C (Menez, 1996, p. 110-112). Une jatte à profil en S évasé avec une lèvre très légèrement en bourrelet (type 6) appelle des comparaisons avec des contextes régionaux datés plutôt de La Tène C, aux Chaloignes (Levillayer, 2006) ou encore sur le site du Moulin des Courtes aux Moutiers-en-Retz en Loire-Atlantique (Levillayer en préparation). Le type 7 a été créé pour définir la passoire découverte dans le sondage 10. Ce vase se distingue du reste du corpus à la fois et par sa typologie et par son mode de fabrication. Cette écuelle en S au profil relativement globulaire présente un petit pied annulaire percé avant la cuisson. Elle est ornée d'un cordon et d'une cannelure sur la panse. La pâte est fine. Le vase a été monté au tour rapide et cuit en mode réducteur total, achevant de souligner l'aspect soigné du récipient. De manière générale, les passoires ne se multiplient dans les contextes d'habitat qu' à partir de la fin de La Tène moyenne (Adam, 2002). Auparavant, dans l'Ouest, ils restent rares. Dans le Maine-et-Loire, on en connaît un exemplaire orné tout à fait exceptionnel à Brion (Barbier, 1995). D'un point de vue formel, ce vase évoque les jattes moyennes à cordons connues en Bretagne pour la fin de l' âge du Fer (Daire, 1992, pl. 12). Ici toutefois, le pied et la lèvre évoquent des contextes plus anciens (première moitié de La Tène moyenne ?). Il est donc difficile de dater précisément ce vase qui ne trouve pas d'exact équivalent et on doit se contenter d'envisager La Tène moyenne ou finale. Les jattes moyennes du type 8 sont modelées; elles présentent une carène relativement vive et un point d'inflexion relativement haut dégageant un col individualisé. Elles se rapprochent à nouveau de récipients découverts à la Reculière, mais aussi de formes connues dans tout le quart sud-ouest du Maine-et-Loire, entre La Tène C et La Tène D. Un seul vase trapu caréné à col concave constitue le type 9, peu caractéristique. Les pots de type 10, à profil en S adouci et lèvre profondément digitée montrent une pâte grossière cuite en mode réducteur primitif; ils se rencontrent à Brion (dans des variantes plus anguleuses toutefois) et à Saint-Philbert-de-Grandlieu en Loire-Atlantique (Bellanger en préparation). Le type 11, avec dix-huit vases, est le mieux représenté de notre corpus. Il regroupe l'ensemble des pots ovoïdes à col plus ou moins éversé simple. Certains ont même des cols sub-verticaux. La distinction que nous y avons établie repose sur la finesse de la pâte et sa mise en œuvre. Le sous-type 11a définit les vases modelés dont un tiers présente en surface des teintes très claires. Les pots en pâte fine montés au tour constituent le sous-type 11b (cinq individus); ils sont parfois ornés de fines cannelures sur le col. Ce sous-type est attribuable à une phase avancée du second âge du Fer centrée sur le ii e siécle av. n. è. et évoque à nouveau les contextes de l'ouest de la Gaule. Tout comme pour les précédents, les vases de type 12 ne sont connus que par leurs parties hautes. Ils se distinguent du type précédent par leur lèvre sub-verticale à bourrelet interne et à décor digité sommital. Ce type de lèvre nous semble tout à fait caractéristique des ensembles angevins de La Tène ancienne, sans qu'on puisse exclure de le retrouver dans le reste de la région. Les types 13 et 14 ne sont documentés que par leurs hauts cols, respectivement concaves et tronconiques. Le type 15 correspond au seul vase jusqu'alors publié. La pâte est fine, presque « savonneuse ». Le vase a été monté au tour rapide. Il est orné d'une frise de esses estampés, ainsi que de cannelures et a été cuit, tout comme la passoire, en mode réducteur total. Il a ensuite été lustré sur sa surface externe. On peut hésiter quant à l'identification de ce vase : coupe ou couvercle ? D'abord interprété comme une coupe (Aubin 1983), il a ensuite été considéré comme un couvercle. Cet objet est très proche d'un couvercle découvert à Plouër-sur-Rance (Menez, 1996, p. 118), et encore davantage d'un exemplaire retrouvé dans le souterrain de l'habitat de Prat-Kergourognon, également dans les Côtes d'Armor (Milcent, 1993, pl. 79). Le premier est daté de la seconde moitié du iii e siècle, alors que la datation du second oscille entre les iii e et ii e siècles av. n. è. Récemment cependant, Thierry Lejars a proposé d'identifier le vase du Pinier à une coupe à pied (Lejars, 2007, p. 274), en la rapprochant d'une coupe haute à pied découverte dans le sanctuaire de Mirebeau (Côte-d'Or), voire de la passoire de Brion, et en arguant du fait que les couvercles présentent habituellement un pied creusé. En cela, elle s'inspirerait de modèles méditerranéens. Les exemples cités pourraient cependant relever de typologies différentes : le vase de Mirebeau présente un profil d'écuelle plus profonde et la passoire de Brion, plus proche de notre exemplaire, est dotée d'une anse. À l'inverse, les comparaisons avec les contextes bretons et son profil évasé nous semblent devoir rapprocher le vase de Beaupréau d'un couvercle, même si la largeur du « pied » laisse en effet planer le doute. Enfin, notons la présence de deux jetons en céramique. Sans qu'on puisse les rattacher à des formes précises, plusieurs décors ont été identifiés. Les digitations, limitées aux céramiques grossières, peuvent orner la panse (fig. 7, A) ou le pied (D, E). Deux cordons digités ont été retrouvés (B, C). Ce type de décor évoque des périodes anciennes; on le trouve au premier âge du Fer et, dans des proportions moindres, aux v e et iv e siècles av. n. è. Outre deux décors incisés (fig. 7, F, G), un décor à la limite de l'incision et du lustrage, ornant vraisemblablement le diamètre maximal de la panse d'un vase grossier, a été appliqué à l'aide d'une petite spatule, (fig. 7, H); il représente une esse étirée. Ce motif curviligne est connu dans le Berry à La Tène ancienne (Augier, et al., 2007, p. 140). À cause des conditions de fouille, le fossé extérieur n'a livré que peu de mobilier, et seulement trois individus céramiques (fig. 8). Il s'agit d'une écuelle carénée à haut col sub-vertical qu'on peut rattacher au type 4, et de deux pots ovoïdes à cols courts également sub-verticaux mesurant 18 et 22 cm de diamètre à l'ouverture. Ces derniers se distinguent des formes hautes découvertes dans le fossé de l'enclos interne. La découverte de cinq fragments d'amphores républicaines dans le secteur de l'enclos externe atteste de la fréquentation du site au moins jusqu'au début du ii e siècle av. n. è. Il s'agit de fragments de panses d'un poids total de 0,68 kg et dont l'attribution typologique est impossible. Le fossé de l'enclos interne a livré une grande quantité de torchis. En tout, ce sont 202 restes qui ont été dénombrés, pour un poids total de 4,50 kg. Ces fragments attestent de constructions à l'intérieur de l'enclos central. Le sondage 10 a également livré des restes de plaques foyères (18 au total). Elles mesurent entre 2 et 3,5 cm d'épaisseur avec une moyenne se situant à 3 cm. La majorité de ces plaques foyères ne présente pas de caractéristiques particulières à l'exception de l'une d'entre elles à rebord arrondi. Enfin, on note la présence de six fragments de boudins en argile. Ceux -ci ont été soumis à des températures importantes, en une ou plusieurs fois. Ces éléments moulés à la main évoquent les boudins de calage connus dans les fours à sel et destinés à y bloquer les récipients à saumure. On peut penser qu'ils aient servi ici dans des activités de cuisson d'autres matériaux. Une fibule a été découverte dans le fossé de l'enclos interne. Les éléments de comparaison sont tous extra-régionaux. En effet, à l'exception de la fibule à décor plastique de Juvigné en Mayenne, aucune autre fibule de La Tène ancienne n'a été découverte dans la région. Il s'agit ici d'une fibule en bronze à corde interne et probablement à deux fois deux spires (fig. 9). Son arc filiforme mouluré permet de la rattacher à La Tène B (Lejars, 2007, p. 273). Elle évoque une parenté certaine avec des fibules de type « Dux », par exemple celles du type I (Kruta, 1973, p. 22). Ces fibules à arc étiré en seraient des modèles dérivés tardifs qui annoncent les fibules de La Tène moyenne. On trouve ainsi des formes proches dans la phase de transition définie par Waldhauser entre La Tène B1a et La Tène B1b-1c et jusqu' à La Tène B2a (Waldhauser, 1987, fig. 4). Une comparaison peut être établie avec la fibule découverte au Châtelard à Rivières (Charente), datable de la fin de La Tène ancienne ou du tout début de La Tène moyenne (Kerouanton, 2009, p. 118). Des fragments de fer très corrodés ont aussi été découverts. Il s'agit de deux fragments légèrement concaves retrouvés dans le sondage 10 et de trois fragments découverts dans le sondage 14 (enclos extérieur). Ajoutons à cela la présence de scories de fer mises au jour dans le fossé de l'enclos interne. Le fossé d'enclos externe a livré un fragment de meule rotative en granite, ainsi qu'un probable peson en schiste perforé (fig. 10). Le fossé d'enclos interne a pour sa part livré un broyon en granite. Dix-neuf éclats de silex, dont un certain nombre retouchés, ont également été découverts dans le fossé interne. Ils proviennent des mêmes couches que la céramique et ne doivent plus être considérés comme des artefacts intrusifs. En effet, l'usage d'un outillage lithique est avéré à l' âge du Fer, et plus particulièrement sur les sites artisanaux (Humphrey, 2007). L'étude du mobilier issu de l'enclos interne montre une certaine hétérogénéité de la céramique. Un certain nombre d'éléments renvoient à une phase ancienne qu'on peut attribuer à un horizon compris entre le milieu du iv e siècle et le iii e siècle. La fibule participe de cet horizon puisqu'elle peut être attribuée à La Tène B1 ou B2. Le mobilier céramique montre des affinités notables avec les sites de la Gravouillerie à Saint-Philbert-de-Grandlieu (Loire-Atlantique) et surtout avec la première phase d'occupation de la Reculière à Ecouflant, datée de La Tène C1, où ont été découverts des éléments d'armement de La Tène B2 (Nillesse, 2004). À Beaupréau, cette première phase de fonctionnement du site pourrait être plus précisément attribuée à une phase finale de La Tène B2, ou plutôt à une phase de transition La Tène B2-C1 observée de plus en plus fréquemment en Gaule (voir par exemple : Gomez de Soto et al., 2007, p. 77). Cette phase, correspondant à la fin du iv e siècle av. n. è. et au début du siècle suivant, est illustrée par exemple par certains types céramiques et en particulier par les jattes à panse semi-hémisphérique qui annoncent les formes de La Tène C. Le « couvercle » estampé doit également être attribué à cette phase, de même que les vases de stockage de type 12, ou encore les décors de cordons digités et de digitations. La découverte d'éléments plus tardifs dans le fossé interne, en particulier des vases tournés des types 4b, 5 et 11b, semble attester d'une occupation qui perdure au moins jusqu'au ii e siècle av. n. è. Bien que le mobilier découvert y soit rare, la plus grande partie du comblement du fossé externe pourrait relever de cette période centrée sur la fin de La Tène moyenne ou le début de La Tène finale (La Tène C2, voire D1a), comme l'atteste la découverte de quelques fragments d'amphores républicaines ou encore celle d'un élément de meule rotative, forcément postérieure au iii e siècle av. n. è. Il n'est toutefois pas impossible, comme le suggère la stratigraphie, que ce fossé ait connu un premier état de fonctionnement correspondant peut-être à l'occupation la plus ancienne du site. Les deux fossés auraient pu fonctionner de concert pendant toute la durée de fonctionnement du site. Le Pinier est donc occupé sur au moins deux siècles, entre le iv e et le ii e siècle av. n. è. Corrélé à celui d'autres sites, dont ceux d'Ecouflant, le mobilier ancien permet d'entrevoir un faciès angevin de la fin de La Tène ancienne et du début de La Tène moyenne dominé par les jattes tronconiques (parfois à bord légèrement infléchi) et les écuelles carénées à haut col déjeté, faciès qui s'intègre parfaitement à ceux connus dans le reste de la Gaule du nord à la même époque. La présence d'un décor estampé est un élément intéressant. En effet, depuis plusieurs années, les exemples de décors estampés se multiplient dans les Pays de la Loire, en particulier dans le Maine-et-Loire et en Mayenne, ainsi que dans le Poitou (Gomez de Soto, 2006; Levillayer en préparation). Ces découvertes attestent d'une dynamique artistique propre à cet espace nord-occidental atlantique au cours de La Tène ancienne et moyenne, depuis la Bretagne jusqu'au Poitou et aux marches de la Normandie (Gomez de Soto, 2006). L'étude du plan du site et de son mobilier amène à s'interroger quant à sa nature. En effet, les enclos multiples emboîtés et concentriques ont pendant longtemps été perçus comme des sanctuaires. C'est une théorie envisagée notamment par Thierry Lejars en s'appuyant sur le plan quadrangulaire de l'enclos interne qui évoque les sanctuaires connus de la fin de La Tène ancienne et de La Tène moyenne, tels que celui de Gournay-sur-Aronde (Lejars, 2007). Notons qu'un double enclos de plan parfaitement centré a également été découvert en photographie aérienne au lieu-dit Marsillé sur la commune de Beaupréau par Gilles Leroux (INRAP). Au Pinier, la présence d'une passoire soignée et d'une « coupe-couvercle », qui serait alors à identifier comme une coupe à boire, pourrait évoquer le domaine du vin et, dans ces chronologies hautes, celui du banquet. Cette même sphère rituelle était évoquée sur le site de la Reculière (Nillesse, 2004) dont on a vu les affinités qu'il entretient avec le Pinier. Cependant, ici, la contemporanéité de la passoire et de la « coupe-couvercle » n'est pas assurée. Enfin, les jetons en céramique sont parfois envisagés comme intervenant dans des pratiques rituelles, peut-être liées au vin ou à la boisson (Viand, 2008, p. 58-59). Toutefois, on trouve de tels jetons – et en grand nombre – sur l'habitat ouvert groupé des Pichelots aux Alleuds (Gruet et Passini, 1986) où aucune pratique rituelle ne peut être décelée. L'identification du site du Pinier comme un sanctuaire se heurte à d'autres objections. Tout d'abord son plan centré n'est pas certain, d'une part parce que la fouille du deuxième enclos n'en a pas touché la partie sud, et d'autre part parce que nous ne sommes pas assurés de l'exacte contemporanéité des deux fossés, ni qu'il faille systématiquement associer ces plans à des sanctuaires. À Azé (Mayenne), au lieu-dit la Mazure, Claude Lambert et Jean Rioufreyt ont fouillé une triple enceinte quadrangulaire à plan parfaitement centré, repérée d'avion et alors envisagée comme une enceinte cultuelle. L'étude spatialisée du mobilier a montré que ce plan est probablement le résultat de remaniements (et certainement d'agrandissements), entre la fin de l' âge du Fer et la période gallo-romaine, d'un habitat caractérisé aussi bien par la céramique que par l ' instrumentum Il semble qu'il en soit de même au Pinier où l'étude de l'ensemble du mobilier tend à l'assimiler à un habitat du fait de la présence de mobilier lithique (dont des éléments de mouture), de nombreuses plaques foyères et de boudins à probable usage artisanal. qui y a été retrouvé (Levillayer en préparation). Cette interprétation n'est toutefois pas forcément antinomique par rapport à d'éventuelles pratiques rituelles qui, ici, ne sont pas forcément à chercher dans le plan du site. En effet, pour les périodes hautes de l' âge du Fer, les sphères profanes et sacrées pourraient s'associer dans un même espace, pourquoi pas celui d'une certaine élite, celle -là même qui consomme le vin. Et puis, à La Tène moyenne et finale, on sait l'existence de gestes non domestiques sur les habitats (Bouvet et al., 2003; Levillayer, 2006) Si l'hypothèse d'un habitat semble la plus pertinente, il n'en reste pas moins qu'il a livré un certain nombre de mobiliers peu fréquents, parmi lesquels le « couvercle » à décor estampé et la fibule en bronze qui, toutes proportions gardées eu égard à la modestie des sondages, posent la question du statut social des habitants du site. L'importance du fossé de l'enclos interne pourrait venir appuyer l'idée d'une population relativement aisée. Cependant, ces dimensions ne doivent pas être surinterprétées car elles restent bien inférieures à celles des enclos des habitats que l'on peut véritablement qualifier d'aristocratiques comme celui de Paule, ou celui des Natteries à Cholet dont la profondeur atteint 3,40 m pour une largeur maximale de 8 m (Maguer, 2007, p. 80). Ici, manquent également les marqueurs caractéristiques de cette aristocratie, tel l'armement (Menez, 2008). Alors qui étaient les habitants du Pinier ? La statue au torque découverte à moins d'un kilomètre du site, et peut-être contemporaine de son occupation (Olivier, 2003), perpétuerait-elle le souvenir de l'un d'entre eux ? Ce serait alors un argument supplémentaire en faveur de l'importance du site et de son secteur à l' âge du Fer, dont une des possibles explications est la richesse du sous-sol des Mauges, région dont le site du Pinier vient éclairer la connaissance des mobiliers, à une période charnière du Second âge du Fer qui reste en grande partie à documenter dans la région .
Découvert à l'occasion de prospections aériennes, le site du Pinier a été le premier dans la région à livrer un ensemble mobilier dont une partie date du IVe siècle av. n. è. Le site, occupé pendant au moins deux siècles, se présente sous la forme d'un double enclos à plan rectilinéaire avec fossés massifs. On ne sait pas si les deux enclos sont contemporains ou si ce plan résulte d'une évolution dans le temps. Si sa fonction reste à confirmer (habitat ou sanctuaire ?), on y trouve en tout cas un mobilier riche et jusqu'alors peu fréquent dans les contextes régionaux contemporains (fibule, passoire, céramique décorée...).
archeologie_11-0421542_tei_149.xml
termith-56-archeologie
La Micoque est située non loin du village des Eyzies-de-Tayac en Dordogne (fig.1) et domine d'environ 20m (comm. pers. J.-P. Texier) le ruisseau Manaurie, affluent de la Vézère (Chauvet et Rivière 1896; Laville 1975). Le site doit son nom à un mas ruiné sur la propriété duquel les artéfacts furent découverts (Bordes 1984a). Le site de La Micoque était, lors de sa découverte, une surface parsemée de blocs d'éboulis présentant une pente de 22°. Durant les fouilles, une falaise calcaire devant laquelle les sédiments s'étaient accumulés fut dégagée. La Micoque était vraisemblablement un site de plein air au pied d'une paroi rocheuse. Le site fut découvert en 1895 et les premières fouilles furent faites en 1896 par G. Chauvet et E. Rivière, qui publièrent immédiatement les résultats (Chauvet 1896; Chauvet et Rivière 1896). Ceci incita de nombreuses personnes à entreprendre des fouilles à La Micoque dans les années qui suivirent, tels en 1896 Capitan (Capitan 1896), en 1897 Harlé, en 1898 et 1906 Peyrony (Peyrony 1908a et b), en 1903 et 1905 Coutil (Coutil 1905), en 1905 Cartailhac, en 1906 et 1907 Hauser (Hauser 1906-1907). A partir de 1907, Hauser loua le terrain afin d'écarter tous les autres chercheurs. En 1912, trois scientifiques berlinois se rendirent aux Eyzies et fouillèrent à La Micoque. Cette mission se révèle maintenant être d'une grande importance car la publication qui en résulta (Wiegers et al. 1913), bien que n'étant qu'un rapport préliminaire, nous donne une deuxième description de la stratigraphie d'Hauser et la confirme, du moins en grande partie. En 1914, Hauser, accusé de collaboration avec l'ennemi, dut quitter Les Eyzies en toute hâte. Il n'y revint jamais. Ce n'est qu'en 1929 que Peyrony, après avoir acheté le terrain pour l'Etat, y entreprit de nouvelles fouilles qui mirent au jour une série de couches archéologiques inconnues jusque -là (Peyrony 1933, 1938). Le site étant resté quinze ans sans protection, les couches supérieures, encore présentes en 1912 (fig.2), étaient détruites lors de la reprise des travaux. Seuls quelques restes à droite du site purent encore être identifiés (Peyrony 1938). En 1956, Bordes entreprit un sondage à La Micoque (Bordes 1984a), suivi par une reconsidération de la stratigraphie par Laville (Laville 1975; Laville et Rigaud 1976). A partir de 1983, de nouvelles fouilles ont été entreprises par une équipe interdisciplinaire (Debénath et Rigaud 1986). L'histoire mouvementée du site a provoqué la dispersion des collections dans de nombreuses institutions, tant en Europe qu'en Amérique. Souvent, les pièces ne portent plus aucune indication stratigraphique. La couche 6, qui contenait les bifaces, a disparu aujourd'hui. Il s'agit de la couche éponyme du Micoquien (Bosinski 1967; Hauser 1916 p.55), dont plusieurs auteurs tentèrent au cours du 20e siècle de reconstituer, décrire et définir le contenu (Bordes 1984b; Bosinski 1970; Patte 1971). La discussion concernant le Micoquien et les industries de la Micoque se poursuit encore à l'heure actuelle (Gouédo 1999; Richter 1997, 2002; Veil et al. 1994). La première description de la seule couche connue à l'époque parut en 1896 (Chauvet 1896; Chauvet et Rivière 1896). Capitan publia en 1907 un relevé des couches découvertes par Peyrony et, en 1908, Hauser présenta son interprétation de la coupe, où figure une seule couche archéologique qui suit la pente du terrain (Hauser 1908a). Après la publication par Peyrony de son interprétation de la stratigraphie (Peyrony 1908a), Hauser publia un nouveau profil consistant en une succession de couches horizontales (Hauser 1908b) qui trouva l'approbation de Peyrony (Peyrony 1908b). Les travaux de Wiegers (Wiegers et al. 1913) confirment également cette seconde stratigraphie d'Hauser. La publication des résultats des fouilles de 1929 (Peyrony 1933, 1938) marque d'une certaine façon un nouveau commencement, puisque Peyrony ne mentionne ni ne fait référence aux stratigraphies antérieures. Cette “nouvelle” stratigraphie servit, à partir de ce moment, de base pour tous les travaux postérieurs et est encore aujourd'hui la stratigraphie de référence. Cette stratigraphie fut précisée et complétée par Laville (Laville 1975; Laville et Rigaud 1976) et Bordes (Bordes 1984a) puis complètement réinterprétée en 1993 (Texier et Bertran 1993). A partir du moment où la nouvelle stratigraphie de Peyrony fut adoptée comme base de recherche, toutes les stratigraphies antérieures perdirent leur valeur et ne furent jamais mises en relation avec celle -ci. Ceci concerne autant la première stratigraphie établie par Peyrony que la stratigraphie d'Hauser, dont Peyrony assure qu'elles sont pour ainsi dire identiques (Peyrony 1908b). Il en découle que tous les objets en provenance de collections faisant référence à la stratigraphie d'Hauser ne peuvent être raccordés au système stratigraphique actuel. Ceci inclut non seulement les objets vendus par Hauser, mais aussi un ensemble de plusieurs milliers de pièces en provenance de toutes les couches connues à l'époque, collecté par le géologue berlinois Wiegers en 1912 (Wiegers et al. 1913). Cette collection contient, outre un certain nombre de pièces retouchées, de nombreux nucléus et déchets de débitage, permettant d'ébaucher une étude technologique de la couche 6. Au vu des questions non résolues concernant le contenu de la couche 6, il est donc impératif de tenter de corréler la stratigraphie d'Hauser avec la seconde stratigraphie de Peyrony. Hauser ne modifia que très peu la stratigraphie qu'il publia en 1908 et dont Peyrony dit qu'elle correspond exactement à la sienne (Peyrony 1908b). Ceci signifie qu'il ne découvrit pas de couches archéologiques supplémentaires telles celles que Peyrony découvrit en 1929 et que la base de la première stratigraphie de Peyrony correspond à peu près à celle de la stratigraphie d'Hauser. Dès lors, si la première stratigraphie de Peyrony peut être corrélée avec celle des fouilles de 1929, la base de la stratigraphie d'Hauser pourra être mise en relation avec une couche de la stratigraphie de Peyrony 1933. La comparaison des descriptions des couches permettra ensuite d'évaluer dans quelle mesure les couches d'Hauser correspondent aux couches connues actuellement. Les descriptions des couches et les coupes stratigraphiques pouvant être consultées dans les diverses publications, elles ne seront reprises ici qu'en cas de besoin. Peyrony avait pris l'habitude de numéroter ses couches de bas en haut, s'obligeant ainsi à modifier l'appellation de toutes les entités chaque fois que des couches plus profondes faisaient leur apparition. Ce fut le cas à La Micoque, où les couches identifiées lors des fouilles de 1906 portent d'autres appellations que celles des fouilles de 1929. Une seule fois, Peyrony fait référence à son ancienne stratigraphie dans une publication tardive : il mentionne que la couche E est le niveau archéologique puissant qu'il avait atteint en 1906 (Peyrony 1933). La confrontation des informations lithologiques et archéologiques livrées par les deux descriptions stratigraphiques (fig. 3) permet immédiatement de se rendre compte que Peyrony n'a jamais atteint la couche E dans ses fouilles de 1906. En effet, même si toutes les couches ne peuvent être parallélisées avec certitude, la présence de divers niveaux archéologiques permet de faire un certain nombre de rapprochements. La couche G ancienne correspond avec certitude à la couche N(6), il s'agit de la couche dite micoquienne. Etant donné que le niveau archéologique 5 ' à la base de L n'a été reconnu que bien plus tard par Bordes (1984a), il n'a probablement pas été identifié en 1906 par Peyrony et ne peut être pris en compte. Le groupe de trois couches (B, C, D anciennes), contenant du matériel archéologique et considéré (Peyrony 1908a) comme le niveau inférieur de La Micoque, correspond très probablement aux couches K, J(5) et peut-être I. Cette hypothèse est confirmée par la description du matériel archéologique recueilli dans ces couches. Les pièces provenant de B, C et D anciennes sont décrites comme grossières, épaisses et informes (Peyrony 1908a), celles provenant de la couche J(5) également (Peyrony 1938). La seule précision fournie concernant le contenu des couches K et I est que les pièces sont roulées. Il est fortement improbable que Peyrony ait atteint la couche H(4) en 1906, les artéfacts en provenant étant décrits comme appartenant au Moustérien classique, avec des éclats assez minces, du débitage discoïde, et presque tous les types d'outils du Moustérien typique (Peyrony 1938), genre d'industrie qui n'est pas décrit dans le contenu de l'entité inférieure des fouilles de 1906 (Peyrony 1908a). La base du profil de 1906, la couche A ancienne, non fouillée, pourrait donc correspondre à la couche I, ou plus probablement à la couche H(4), bien que celle -ci ne soit pas cimentée dans le profil de 1929, cette cimentation étant un phénomène post-dépositionnel local (Texier in Debénath et al. 1991). Il est intéressant de noter que l'outillage recueilli dans la couche J(5) est décrit par Peyrony (1938) comme ayant “beaucoup plus d'affinité avec celui du niveau E qu'avec celui de la couche H ”, ce qui pourrait expliquer pourquoi Peyrony a confondu E avec son niveau inférieur des fouilles de 1906. Les différences entre les deux profils ne peuvent être expliquées que s'ils n'ont pas été relevés au même endroit. Il n'existe malheureusement aucune documentation nous permettant de déterminer où ces profils se trouvaient, ni à quelle distance ils étaient l'un de l'autre. Il n'existe aucun relevé longitudinal de la stratigraphie de La Micoque, les fouilles d'Hauser ayant détruit une grande partie du profil le long de la falaise. Dans son article de 1908, Peyrony précise également que les couches B, C et D Hauser correspondent à son entité supérieure, et que les couches J, K et L Hauser correspondent à son entité inférieure, composée de B, C et D (Peyrony 1908b). Ces entités sont séparées chez Peyrony par une zone stérile. Cette mise en parallèle n'est pas absolument exacte. Peyrony, qui ne put fouiller à La Micoque que jusqu'en 1906, dut rester à la surface de la brèche formant la base de sa stratigraphie. Hauser quant à lui, semble, dès 1908, avoir fouillé dans une partie du gisement où cette couche, correspondant à la couche H(4), n'était pas cimentée par les carbonates. En effet, Wiegers et ses collaborateurs (1913) signalent que les racloirs moustériens typiques dominent dans la couche L Hauser, ce qui correspond à la description du contenu de la couche archéologique H(4) (Peyrony 1933). D'un point de vue archéologique, il est plus que probable que la couche J Hauser, contenant de très nombreux petits silex roulés donnant à l'inventaire un caractère primitif, correspond à la couche J(5) à industrie grossière, les couches H et K Hauser correspondant dès lors aux couches K et I. Ceci permet de fixer la base de la stratigraphie d'Hauser par rapport aux couches connues, chose confirmée dans la stratigraphie de 1916 par la présence de la couche M Hauser presque stérile sous la couche L Hauser, faisant écho à la présence de la couche G, presque stérile, sous la couche H(4). C'est probablement cette couche presque stérile reposant sur un éboulis stérile de l'avis d'Hauser mais contenant des artéfacts fortement roulés et altérés (N Hauser ou F) qui incita Hauser à ne pas fouiller plus bas. La “zone stérile” dominant l'entité inférieure décrite par Peyrony s'est avérée contenir une couche archéologique (5 ') à la base de L (Bordes 1984a), qui pourrait correspondre à G Hauser, tandis que F Hauser pourrait former la partie supérieure de L. La couche stérile E Hauser se laisse corréler sans problèmes avec la couche stérile M. Ceci nous mène à la couche D Hauser ou N(6), la couche “micoquienne ”. Son contenu est décrit de façon unanime par tous les fouilleurs, qui insistent sur la présence de bifaces finement taillés, d'une très belle industrie et d'un nombre impressionnant d'ossements et de dents de chevaux. En outre, la couche D d'Hauser, tout comme la couche N (6) de Peyrony, est sub-horizontale et repose en conformité sur les couches sous-jacentes. Une telle disposition suggère que la couche D appartient au même système sédimentaire que le reste de la séquence. Tous ces éléments pris ensemble permettent de postuler que la couche D Hauser correspond à la couche N(6). Il n'en reste pas moins que les deux couches supérieures décrites par Hauser ne sont présentes dans aucune stratigraphie de Peyrony, qui ne semble pas s'en émouvoir puisqu'il met en parallèle son entité supérieure avec B, C et D Hauser (Peyrony 1908b). Mais l'entité supérieure de Peyrony se limitant à la couche N(6), cela signifie -t-il que les trois couches B, C et D Hauser correspondent toutes à la couche N(6) ? Outre le fait qu'aucun fouilleur ne mentionne la présence d'une subdivision à l'intérieur de la couche N(6), la description de la couche C Hauser (Hauser 1916), au faciès comparable à celui des couches J Hauser (J) et E Hauser (M) et contenant de nombreux petits silex roulés, va à l'encontre de cette hypothèse. La couche B Hauser, quant à elle, ne contenait que peu de matériel archéologique et paléontologique (Hauser 1916). En outre, une photographie d'Hauser montre que la couche B se détache clairement du reste de la stratigraphie (fig. 5). Il semblerait donc que la couche N(6) ait été recouverte par deux niveaux archéologiques inconnus, peut-être présents dans une partie du gisement seulement. La présence dans la collection Wiegers de caisses contenant du matériel en provenance des trois couches concernées permet de tester si celles -ci doivent être considérées comme une entité stratigraphique ou non. Afin d'éviter des confusions dans la dénomination des couches, la couche D Hauser sera nommée à titre provisoire 6, faisant référence à la numérotation des niveaux archéologiques par Peyrony, la couche C Hauser sera nommée 7 et B Hauser 8. Les processus sédimentaires de La Micoque consistent majoritairement en une succession de dépôts de pente et de dépôts fluviatiles interstratifiés (Texier in Debénath et al. 1991; Texier et Bertran 1993). Les sédiments fouillés par Hauser appartiennent tous à la partie supérieure du complexe F4-DP3 et probablement à DP4, c'est à dire que les couches peu remaniées des dépôts de pentes mis en place par des mécanismes apparentés à la solifluxion alternent avec des dépôts fluviatiles fortement remaniés contenant des pièces concassées. La comparaison de l'importance du nombre de pièces brisées ou roulées dans les couches 6, 7 et 8 fait apparaître des différences importantes (fig. 6). Les couches 6 et 8 contiennent nettement moins de pièces brisées et surtout roulées que la couche 7. La médiane de la longueur maximale des produits de débitage (en raison de la présence d'une répartition asymétrique, il est impossible d'utiliser les valeurs moyennes) met également en évidence à quel point le concassage d'un ensemble archéologique peut modifier son aspect général. Au vu de ces différences, il est très probable que la couche 7 ait été mise en place sous un régime fluviatile tandis que les couches 6 et 8 sont des dépôts de pente. Ceci a pour conséquence que ces trois couches forment des entités stratigraphiques distinctes et qu'elles s'intègrent dans le système de sédimentation mis en évidence pour les couches sous-jacentes. Dès lors, seule la couche D Hauser correspond au sixième niveau archéologique “micoquien ”, tandis que les couches C et B Hauser représentent des entités indépendantes dont la dénomination (7 et 8) est justifiée. Ceci signifie que le niveau 6 n'est pas en position remaniée, et que, s'il est possible de le retrouver sur le site, les sédiments pourraient éventuellement être datés. Les différents arguments stratigraphiques indiquent que la couche 6 fait partie du système sédimentaire ayant mené á l'accumulation des niveaux appartenant aux complexes DP3 et F4. Etant donné que la couche 6 recouvre les couches sous-jacentes sans les éroder, il est également peu probable qu'un hiatus important ne la sépare de celles -ci. La couche 6 n'est donc probablement que légèrement plus récente que les couches E à M, datées des stades isotopiques 11 à 8 (Falguères et al. 1997; Schwarcz et Grün 1988). Le niveau archéologique découvert à la base de DP4 et remanié durant l'Holocène (Texier et Bertran 1993) ne peut donc être la couche 6, recouverte par un niveau fluviatile, mais il est possible qu'il corresponde à la couche 8. Le contenu du niveau archéologique à la base de DP4, ayant livré du débitage et des outils mais pas de bifaces, pourrait éventuellement être apparenté à la couche dite micoquienne selon Debénath et al. (1991). Il est cependant possible que la couche 8 contienne une industrie comparable en bien des points à celle de la couche 6, les rendant indiscernables sur la base d'un échantillon réduit. Seule une comparaison des caractéristiques technologiques et typologiques des couches 6 et 8 permettra de voir si celles -ci peuvent être différenciées uniquement à l'aide de leur débitage et de leurs outils non bifaciaux. Dans la description des industries, seul le contenu des couches supérieures 6, 7 et 8, moins connues, sera présenté. Les “bifaces de La Micoque” ont déjà été décrits à de nombreuses reprises (Bordes 1961; 1984b; Bosinski 1970; Hauser 1916; Obermaier 1908; Patte 1971), mais les discussions en cours concernant le Micoquien, sa définition, sa chronologie, son étendue géographique et ses pièces diagnostiques exigent une réévaluation des caractéristiques technologiques de ces pièces. Dans le cadre d'une redéfinition du Micoquien d'Europe centrale (Jöris 2001; Richter 1997; Veil et al. 1994), celui -ci s'est transformé en une entité appelée “groupes à couteaux bifaciaux” (Keilmessergruppen ou KMG), caractérisée principalement par la présence d'outils bifaciaux opposant un dos à un tranchant actif. Comme le pluriel du nom l'indique, cette entité présente une grande variabilité, et ses limites, tant chronologiques que géographiques, sont encore floues. Les grandes ressemblances unissant les ensembles lithiques de La Micoque 6 et de Bockstein IIIb (Bosinski 1967), tous deux non datés, justifient une analyse des concepts présents à La Micoque 6. Cette analyse est faite à l'aide du concept des unités techno-fonctionnelles (Boëda 2001), basé sur l'identification d'unités de fabrication distinctes remplissant des fonctions particulières et présentant des caractéristiques morphologiques mises en place par des séries d'enlèvements indépendantes les unes des autres. Une unité techno-fonctionnelle (UTF) peut être active, passive ou les deux tour à tour, faire partie du concept volumétrique initial de l'outil ou avoir été ajoutée par la suite. Deux concepts sont présents dans la couche 6 de La Micoque. Le premier, le plus important, correspond aux bifaces et est caractérisé par une organisation relativement symétrique le long de l'axe de l'outil (fig. 7 et 8). La base est généralement passive mais peut également être active, les deux tranchants de part et d'autre de la pointe sont actifs. D'autres unités, actives ou passives, peuvent être présentes entre la base et la pointe. Cette symétrie est conceptuelle et ne se traduit pas forcément en une symétrie formelle de l'outil. Ces outils, qui peuvent être classés selon les critères typologiques classiques, ont pu être utilisés en tout cas d'au moins deux façons, car ils peuvent être tenus dans la main d'au moins deux façons différentes (Boëda 2001). Le second concept, nettement plus rare, correspond aux Keilmesser allemands et ne présente pas de symétrie axiale (fig. 9 et 10). Ces pièces sont caractérisées par un tranchant principal actif situé sur l'un des côtés et opposé à un dos passif. Un tranchant secondaire peut se situer entre la pointe et le dos et former une sorte de prolongement du tranchant principal, dont il n'atteint cependant jamais les dimensions. Il est utilisé en même temps que le tranchant principal et l'outil ne doit pas être tourné dans la main pour l'activer. La base peut être active, et dans ce cas, l'unité techno-fonctionnelle qui la forme est décalée en direction du tranchant actif. Le couteau doit cependant être retourné dans la main pour pouvoir utiliser la base en tant qu'outil. Les outils bifaciaux de La Micoque répondant au concept Keilmesser peuvent rarement être classés selon les types mis en évidence en Allemagne. Ils ressemblent souvent à des bifaces normaux mais présentent un concept différent. Toutes les pièces présentent de nombreuses traces de ravivage des bords mais aucune trace de réorganisation volumétrique ni de reprise importante, indiquant que leur biographie fut relativement courte. Il est intéressant de remarquer que la caractéristique volumétrique “biface à face plane” est présente dans les deux concepts. Dans l'inventaire de la couche 6, seuls trois éclats de façonnage ont pu être identifiés (fig. 11, 1-2). Six pièces proviennent de la couche 7 (fig. 11, 5-7) et trois de la couche 8 (fig. 11, 3-4). Tous les éclats provenant de la couche 7 ont un talon lisse, indiquant une retouche couvrante d'outils sur éclat. Il est surtout intéressant dans ce contexte de remarquer la présence de six éclats de façonnage dans la couche 7, la plus touchée par la fragmentation et n'ayant livré aucune pièce bifaciale. Ces éclats de façonnage sont nettement plus nombreux que dans les couches 6 et 8, moins fragmentées et contenant des pièces bifaciales. La taille maximale moyenne de tous les produits de débitage de la couche 7 est nettement moins élevée que dans les autres couches, ce qui a apparemment incité les fouilleurs à collecter davantage de pièces de petite taille. Il est donc impossible de décider si l'absence de déchets de façonnage est due aux techniques de fouille ou à l'importation de bifaces finis sur le site. La présence d'une ébauche de biface semble cependant indiquer qu'au moins une partie des outils bifaciaux a été produite sur place. La couche 6 n'est pas la seule à avoir livré des bifaces. En fait, presque toutes les couches de La Micoque en contiennent (Bosinski 1970), mais ils sont nettement moins nombreux et ne présentent pas les caractéristiques typiques des pièces bifaciales de la couche 6. Il existe cependant deux couches faisant exception. Ces couches, appelées par Hauser P et Q, contenaient en grand nombre des pièces bifaciales identiques à celles de la couche 6. Là aussi, les deux concepts de fabrication ainsi que toutes les caractéristiques métriques, typologiques et technologiques des pièces de la couche 6 sont présents (fig. 12). Sans indications stratigraphiques, ces pièces sont indiscernables les unes des autres. Ces couches se trouvaient en position basse directement devant la falaise formant le fond du gisement. Hauser (1916) utilise cette position pour prétendre que toutes les couches sont contemporaines, puisque des sédiments contenant de belles pièces se trouvent à la même altitude que ceux contenant une industrie primitive. Cette façon de voir les choses a provoqué les protestations véhémentes de divers collègues (Birkner 1918; Peyrony 1908b) qui reconnaissent clairement dans le profil d'Hauser un éboulis ayant perturbé les couches à l'arrière du gisement. Dans l'état actuel des connaissances, il est probable que Hauser, le seul à avoir fouillé à l'arrière du gisement, s'est trouvé dans le lit du paléo-Manaurie (Turq, comm. pers.) sans s'en rendre compte. Cette partie du site est malheureusement détruite. Dans la collection Wiegers, 48 nucléus proviennent de la couche 6. Les nucléus Levallois (Boëda 1993; Geneste et al. 1990) ne sont représentés que par un seul exemplaire de type préférentiel (fig. 13, 1) les nucléus discoïdes (Boëda 1993, 1995; Bordes 1961) par un seul nucléus mal conservé (fig. 13, 2). Il n'existe aucun nucléus de type Quina (Turq 1989; Bourguignon 1997) ni acheuléen (Turq 2000) et les nucléus à lames présents dans le Micoquien du Bassin Parisien (Gouédo 1999) font également défaut. Le type de nucléus le plus fréquent dans cette couche (16 pièces) est le “nucléus en forme de lingot” (Luttropp et Bosinski 1971, p.44-46). Ces nucléus (fig. 14) sont en général de forme allongée et caractérisés par une surface de débitage plus ou moins plane, pouvant être corticale ou formée par la face ventrale d'un éclat, opposée à une face inférieure bombée ou de forme carénée. Le sens du débitage est perpendiculaire à l'axe d'allongement du nucléus, le débitage unipolaire à partir de l'un ou des deux longs côtés. Parfois, l'un ou l'autre éclat peut être débité perpendiculairement à partir de l'un des petits côtés. Le débitage a lieu en courtes séries de négatifs parallèles pouvant dans certains cas consister en un seul éclat. Les séries ne se superposent que très rarement, le nucléus étant abandonné régulièrement après le débitage d'une série sur chaque long côté. La face inférieure est souvent corticale et porte les traces d'un débitage antérieur ou d'une préparation de plan de frappe. Sur cette face, le sens du débitage varie fortement. Ces nucléus ne correspondent pas aux nucléus de type Quina définis par Bourguignon (1997), car le débitage est perpendiculaire à l'allongement du nucléus, ne touche qu'une seule surface sans changement de rôle et s'étale aux deux longs côtés, parfois même aux deux petits côtés, tandis que les convexités latérales et distales manquent. Malgré leur section triangulaire, ces nucléus n'appartiennent pas au concept trifacial non plus (Geneste et al. 1990 p.49). Il semble que les nucléus en forme de lingot représentent une solution simple et adaptée à la forme de la matière première permettant de débiter des éclats plats, plus larges que longs, parfois outrepassés ou des éclats très fins de petite taille et de forme rectangulaire (Fiedler 1997 p.60). Cette méthode de débitage semble avoir été utilisée fréquemment à la fin de l'exploitation d'un nucléus, comme en témoignent de nombreuses traces de débitage antérieures. Elle est particulièrement bien adaptée au débitage de nucléus sur éclat, de débris et de petits rognons irréguliers. Un deuxième groupe important (12 pièces) est celui des nucléus globulaires (Bordes 1961) ayant subi une chaîne opératoire plus ou moins longue, ce qui permet de reconnaître les gestes utilisés, consistant en la succession de séries d'enlèvements unipolaires ou centripètes sur plusieurs surfaces (fig. 15). Le nucléus est tourné de nombreuses fois à la recherche d'un angle favorable dès que la surface de débitage exploitée n'offre plus de possibilité satisfaisante de production d'éclat. La plupart du temps, une seule surface de débitage, faite d'un seul enlèvement, est mise en place avant le commencement de l'exploitation, les autres séries d'enlèvements utilisant les angles préexistants. Il arrive cependant qu'une surface naturelle soit utilisée comme plan de frappe initial ou que plusieurs plans de frappes soient mis en place. Ce n'est qu'après avoir épuisé toutes les possibilités que le nucléus est rejeté, que ce soit en raison de sa taille, de l'absence d'angles appropriés ou de la mauvaise qualité de la matière première. L'aspect des nucléus appartenant à ce groupe est très variable et dépend de la forme initiale de la matière première et de l'intensité du débitage. Ce mode de débitage est particulièrement bien adapté au débitage d'éclats sur galets de petite et moyenne taille ainsi que sur fragments de matière première, mais des rognons de plus grande taille ont été également débités de cette façon. Les produits issus de cette production sont aussi bien des éclats ordinaires que de nombreux éclats à morphologie débordante, portant en fonction de l'avancement du débitage sur la face dorsale des négatifs unipolaires, bipolaires, croisés ou centripètes. Il s'agit d'un système s'entretenant lui -même où chaque éclat est à la fois prédéterminé et prédéterminant. Un grand nombre de nucléus informes (11 pièces) et de nucléus sur éclat (7 pièces) ne pouvant être classifiés dans aucun des types décrits ci-dessus est également présent. En général, la taille des nucléus ne peut être mise en relation avec le type de débitage. Toutes les grandes pièces ont en commun soit une mauvaise qualité de la matière première soit un accident de taille rendant le débitage impossible. Le rejet du nucléus dépend donc de l'impossibilité technique de produire des éclats acceptables après avoir épuisé toutes les possibilités. Aucun nucléus n'a été modifié pour servir d'outil après son rejet et aucune trace d'utilisation n'a pu être observée, bien qu'il faille remarquer que l'état de conservation des pièces est souvent mauvais. Les cassons n'ont jamais été modifiés. Ils ne seront donc pas considérés ici. Une grande partie du débitage doit avoir eu lieu in situ. Le nombre de 12 produits pour un nucléus 2 et la présence de nombreux éclats corticaux, dont 9 % d'entames, indique que tous les stades du débitage doivent avoir eu lieu sur place, bien que les pièces de petites dimensions n'aient pas été collectées en raison de la méthode de fouille. Près de 28 % des produits de débitage sont des éclats à morphologie débordante, mais aucune de leurs caractéristiques métriques ou autres ne les différencie de façon significative des autres éclats. Ils peuvent être considérés comme des enlèvements résultant du débitage des nucléus globulaires et non comme des produits recherchés en raison de leur morphologie particulière. Le débitage visait à la production d'éclats à peu près aussi longs que larges, dont la forme importait peu. Seuls deux éclats à morphologie Levallois ont pu être identifiés (fig. 16, 1-2), ce qui ne surprend pas vu la rareté des nucléus Levallois. Les négatifs présents sur les faces dorsales des éclats confirment les observations faites sur les nucléus globulaires, à savoir que le débitage est au départ unipolaire pour devenir centripète au fil de la réduction. En effet, les éclats du débitage unipolaire sont les plus fréquents et ils sont significativement plus grands que les éclats du débitage centripète. Ils portent également moins de négatifs et sont plus souvent corticaux. Le débitage bipolaire est présent mais plus rare. La proportion de pièces retouchées dans la collection Wiegers est de 12 %. Quinze pour cent des éclats et 8 % des éclats à morphologie débordante sont retouchés, ce qui signifie que ces derniers n'ont pas été particulièrement recherchés pour les transformer en outils. Les racloirs (fig. 17, 1-4, 6-7), très variés, sont avec 54 % les pièces de loin les plus nombreuses. Outre les pièces de grandes dimensions et à retouche couvrante, bien représentées dans les collections d'Hauser, de nombreux racloirs simples sont présents ainsi que les pointes moustériennes. Sur les pièces de grandes dimensions, les encoches et amincissements supplémentaires sont fréquents. Les encoches et denticulés forment 17 % des outils sur éclats, et ce bien que toutes les pièces roulées et / ou concassées aient été écartées d'office. Les grattoirs (8 %) sont atypiques, jamais en bout de lame ou d'éclat allongé, mais utilisant le plus souvent une irrégularité dans la forme de l'éclat (fig. 17, 8-9). Les perçoirs (4 %) portent des traces d'utilisation typiques. Leur pointe a été dégagée par encoches (fig. 17, 5). Il existe également toute une série de pièces atypiques retouchées sur la face ventrale ou à talon enlevé (15 %), dont il est difficile de dire si elles n'ont pas, du moins en partie, servi de nucléus (Bernard-Guelle et Porraz 2001). Une seule pièce de petite taille peut être considérée comme outil multiple, si l'on exclut les denticulés et les racloirs multiples. Il s'agit d'un petit perçoir à pointe cassée combiné à un grattoir sur talon. La pièce présente un dos à retouche abrupte dans le prolongement du grattoir. Elle ne contient aucune trace de la production ou de la présence d'outils bifaciaux. Les types présents sont identiques à ceux de la couche 6. Le débitage Levallois (fig. 18, 1), rare, est représenté par un nucléus préférentiel et un nucléus récurrent centripète. Les nucléus discoïdes (fig. 18, 2-3), à une ou deux surfaces de débitage, sont au nombre de 8, donc nettement plus fréquents que dans la couche 6 et tous épuisés. Le groupe des nucléus globulaires (fig. 19, 1-2) est comme dans la couche 6 le plus important et comporte 11 exemplaires de tous les types. Ils ont tous été rejetés en raison de leur petite taille ou de la mauvaise qualité de leur matière première. Seuls deux nucléus en forme de lingot sont présents (fig. 19, 3), quatre sont des nucléus informes et trois sur éclat. La seule différence importante par rapport à la couche 6 est que les nucléus discoïdes sont plus nombreux que les nucléus en forme de lingot. Les types de débitage sont identiques et la taille des nucléus ne diffère pas significativement d'une couche à l'autre, ils sont tous exploités au maximum. Le type de matière première est identique dans les deux couches. Le nombre de 22 produits par nucléus et la présence d'une majorité d'éclats corticaux dont 14 % d'entames indiquent ici aussi un débitage in situ. Les éclats sont à peu près aussi larges que longs. L'importance du débitage globulaire se traduit par un nombre important (25 %) d'éclats à morphologie débordante. Il est intéressant de noter que ceux -ci ont, en raison de leur morphologie, mieux résisté au concassage que les éclats ordinaires. Leur taille moyenne est, si l'on prend en compte l'ensemble des pièces, nettement plus élevée que celle des éclats, tandis qu'elle correspond à celle des produits de débitage de la couche 6, soulignant le rôle du concassage dans l'aspect général de l'industrie de la couche 7, décrite par Wiegers et al. (1913) et Hauser (1916) comme « microlithique » et « primitive ». Les caractéristiques des éclats à morphologies débordantes ne diffèrent cependant aucunement de celles des éclats ordinaires, ce qui indique qu'ils représentent dans cette couche également des produits normaux du débitage globulaire. Un seul produit de morphologie Levallois, une lame Levallois (fig. 16, 3), a pu être identifié. Seule la collection Wiegers contient des pièces retouchées en provenance de la couche 7, probablement parce qu'elle ne contenait aucune belle pièce de grande taille. 16 % des supports ont été retouchés, à savoir 18 % des éclats ordinaires et 11 % des éclats à morphologie débordante. Les racloirs (fig. 20, 1-6) sont ici aussi les pièces les plus nombreuses (46) et représentent 49 % des outils sur éclat. Il s'agit principalement de racloirs latéraux mais les déjetés sont également nombreux tandis que les racloirs transversaux sont plus rares. Les racloirs abrupts sont également présents. Les grattoirs, au nombre de 13, sont relativement fréquents. Les pièces typiques ont été réalisées sur éclats allongés ou éclats laminaires et présentent parfois une cassure de l'extrémité proximale. Les grattoirs typiques (fig. 20, 7-8) sont presque aussi fréquents que les grattoirs atypiques. Les encoches et denticulés, très hétérogènes, sont au nombre de neuf. En raison du fort concassage des objets de la couche 7, seules les pièces intactes ont été prises en considération. Il se pourrait donc que ce groupe soit sous-représenté. Un seul perçoir, atypique, est présent. Il est intéressant de noter la présence d'un groszak, considéré comme typique du Micoquien (Richter 1997). Les pièces portant une retouche atypique, touchant soit la face ventrale soit le talon, sont au nombre de vingt. Il existe quatre pièces ayant un dos retouché opposé à un tranchant laissé brut (fig. 20, 9-10). Il est possible que ce tranchant porte des traces d'utilisation, mais les conditions d'enfouissement des artéfacts interdisent toute conclusion. Une seule pièce bifaciale atypique et de petite taille provient de cette couche (fig. 21, p.184). Les nucléus Levallois (fig. 22), au nombre de cinq, sont plus nombreux et plus typiques que dans les autres couches. Leur taille est inférieure à celle des nucléus Levallois des couches 6 et 7, semblant indiquer une meilleure maîtrise de la technique permettant une utilisation plus intense des rognons. Plusieurs types sont présents, préférentiel ou récurrent, à débitage unipolaire, bipolaire ou centripète. Les nucléus discoïdes (fig. 23), au nombre de sept, sont également variés. Onze nucléus sont de type globulaire (fig. 24, 1) et couvrent toutes les variantes de ce groupe. Les nucléus en forme de lingot (fig. 24, 2) sont de nouveau nombreux (10), tandis que seuls trois sont informes. Sept pièces sont des nucléus sur éclat. Mise à part une augmentation significative du point de vue statistique des nucléus discoïdes par rapport à la couche 6, il n'existe pas de différence entre les proportions de types de nucléus dans les couches. L'augmentation du nombre de nucléus Levallois n'est, quant à elle, pas significative d'un point de vue statistique. La taille des négatifs indique cependant que les enlèvements prédéterminés sont nettement plus grands que tous les autres éclats. Ici aussi, le débitage doit avoir eu lieu in situ car la proportion de produits par rapport au nombre de nucléus est de 17:1. Les éclats corticaux ainsi que les entames sont un peu moins nombreux que dans les autres couches mais pas de façon significative. La proportion d'éclats à morphologie débordante (25 %) correspond exactement à celle des couches 6 et 7 mais ces pièces sont nettement plus grandes que les éclats ordinaires. On assiste à un allongement significatif des produits de débitage (1,2 au lieu de 1) et les pièces Levallois sont au nombre de 7 (fig. 16, 4-10). Les directions de débitage reconnaissables sur les éclats correspondent aux observations faites pour les deux autres couches. Une seule pièce provenant de cette couche a pu être trouvée en dehors de la collection Wiegers. Il s'agit d'un très grand racloir sur éclat Levallois conservé dans les collections des Reiss-Engelhorn-Museen de Mannheim (fig. 25, 1). Des produits de débitage (16,5 %) ont été retouchés dont 25 % d'éclats à morphologie débordante. Les outils les plus fréquents sont les racloirs (59), dominés par les racloirs latéraux simples (fig. 25, 2-6). Seules certaines grandes pièces portent une retouche envahissante sur la face ventrale. Les encoches et denticulés, au nombre de 14, forment un groupe très inhomogène. Les 13 grattoirs sont presque tous typiques. Ils sont faits sur petits éclats ronds ou quadrangulaires ou sur éclats laminaires (fig. 26, 1-3). Il n'existe aucun perçoir dans cette couche mais les burins, au nombre de trois, font leur apparition. Ils sont cependant atypiques (fig. 26, 4-5). Près du quart des pièces retouchées (29) sont des éclats portant une retouche sur la face ventrale ou un talon enlevé n'appartenant à aucun type connu. Ce bref aperçu des ensembles lithiques provenant des couches 6, 7 et 8 de La Micoque permet quelques comparaisons. Les méthodes de débitage présentes sont identiques dans les trois couches, où les nucléus globulaires dominent toujours, mais il apparaît que l'importance des autres méthodes de débitage varie. Il est cependant délicat de tirer des conclusions définitives quant à la signification de cette variabilité étant donné les problèmes inhérents à la collecte des pièces : il ne s'agit pas de la totalité de l'industrie mais bien d'un échantillon. Il semblerait pourtant qu'une certaine augmentation des méthodes de débitage plus contrôlées, comme Levallois et Discoïde, puisse être observée entre les trois couches. En outre, la proportion d'éclats allongés et l'effectivité de l'exploitation des nucléus Levallois augmentent dans la couche 8. La couche 6 est la seule à avoir livré des outils bifaciaux en grand nombre mais la question de leur production sur place ne peut être résolue avec le matériel conservé. Cet ensemble peut être mis en relation avec les Keilmesser-gruppen d'Europe centrale en raison de la présence de couteaux bifaciaux principalement et des grandes ressemblances avec les outils bifaciaux de Bockstein (Bosinski 1967; Wetzel et Bosinski 1969) qui n'est malheureusement pas daté (pour des avis divergents quant à la situation chronologique du site voir : Filzer 1969; Jöris 2002; Richter 1997; Schmid 1969). D'un point de vue typologique, les couches 7 et 8 doivent être attribuées au Moustérien de type Quina bien que le grand nombre de grattoirs remplace une part des racloirs et donne un diagramme cumulatif quelque peu particulier. Il faut cependant remarquer que le nombre d'outils sur éclat est inférieur à 100 (respectivement 69 pour la couche 6, 94 pour la couche 7 mais 128 pour la couche 8) et ne représente donc pas un groupe statistiquement significatif. D'un autre côté, une très grande ressemblance subsiste entre les ensembles lithiques provenant de ces trois couches tant du point de vue technologique que typologique si l'on exclut les outils bifaciaux. La couche « micoquienne » de La Micoque (6) peut être intégrée dans le cycle de sédimentation décrit par Texier et Bertran (1993), étant surmontée d'une couche d'origine fluviatile (7), elle -même recouverte par un dépôt de pente (8) pouvant correspondre au DP4 observé sur le site. Son âge ne peut donc être fortement inférieur à celui des couches sous-jacentes. L'étude du contenu des couches 6, 7 et 8 a mis en évidence une industrie de type Paléolithique moyen à débitage varié mais principalement de type globulaire. La seule différence véritable consiste en la présence dans la couche 6 de nombreux bifaces absents dans les autres couches. Ceci met en évidence la problématique inhérente à la signification donnée aux différents éléments définissant un inventaire telle la présence ou l'absence d'outils bifaciaux ou d'un type de débitage particulier pour la classification d'un ensemble lithique au Paléolithique moyen. Les facteurs conduisant à la production et l'utilisation d'outils bifaciaux par exemple peuvent être tellement variés que seule une étude détaillée de tous les aspects de l'occupation, telles la taille du groupe, la durée de séjour, les activités entreprises sur place, la qualité et l'accessibilité des matières premières, etc. pourrait permettre de distinguer le rôle joué par les concepts présents de celui joué par des circonstances périphériques. Une telle étude n'est pas faisable sur le matériel de La Micoque en raison des conditions de récolte. Soit les concepts accessibles aux personnes ayant produit les différents ensembles lithiques étaient identiques mais n'ont été tous réalisés que dans la couche 6, soit le concept des outils bifaciaux faisait défaut aux occupants des couches 7 et 8 qui utilisèrent cependant exactement les mêmes méthodes de débitage que leur prédécesseurs dans des proportions semblables, ainsi que les mêmes outils sur éclats .
La couche 6 (N) du site de La Micoque, découvert en 1895, est la couche éponyme du Micoquien dont la définition varie fortement selon les auteurs. Cette couche 6 n'est cependant plus accessible sur le terrain et l'ancienneté des fouilles ainsi que la dispersion des pièces dans le monde entier rendent difficile une définition de son contenu. En outre, le système stratigraphique d'un des fouilleurs principaux, Hauser, n'avait jusqu'à présent pas pu être raccordé aux autres stratigraphies. Ce système correspond cependant presque parfaitement à la stratigraphie connue et documente en outre la présence de deux couches sus-jacentes (7 et 8). Le contenu de ces trois couches est étudié ici. Elles diffèrent fortement en ce qui concerne l'usure et le fractionnement des pièces, ce qui permet de les intégrer dans le système de sédimentation proposé pour La Micoque et consistant en une alternance de dépôts de versant et de dépôts fluviatiles de haute énergie. Ceci indique que l'âge des couches 6 et 7 au moins n'est probablement que légèrement inférieur à celui des couches sous-jacentes. L'étude typo-technologique des couches 6, 7 et 8 a démontré que celles-ci ne diffèrent guère l'une de l'autre, tant du point de vue du débitage, qui contient très peu de Levallois, du Discoïde, des nucléus en forme de lingot et un débitage opportuniste de courtes séries d'éclats, que du point de vue typologique. Seule la présence de nombreux objets bifaciaux dans la couche 6 la différencie clairement des deux autres. Ces outils bifaciaux obéissent à deux schémas conceptuels différents, permettant de produire soit des bifaces, soit des couteaux bifaciaux. Ces caractéristiques permettent de placer l'industrie de la couche 6 dans le Micoquien, maintenant appelé Keilmessergruppen (KMG), mais se pose la question de la pertinence d'une attribution " culturelle " sur la seule base de la présence ou de l'absence de certains éléments dits diagnostiques, en ce cas les outils bifaciaux.
archeologie_08-0040097_tei_254.xml
termith-57-archeologie
Dans le cadre de la construction de l'autoroute A19, ont été menées par l'INRAP (Institut National de Recherches Archéologiques Préventives) des fouilles archéologiques préventives, auxquelles ont été associées des analyses palynologiques afin de reconstituer le paysage végétal de sites remarquables. Le présent article regroupe les résultats de deux études polliniques et archéologiques réalisées dans le Gâtinais. L'un de ces sites (site 1) se localise sur la commune de Courcelles (Loiret, France) (Fig. 1). L'analyse palynologique a été menée à partir de prélèvements sédimentologiques effectués dans la vallée de la Rimarde, à proximité immédiate du ruisseau (Fig. 2 et 3). Ce dernier, affluent sud de l'Essonne, draine le plateau du Gâtinais. Le substrat est constitué par le calcaire de Pithiviers. Sur le plateau, la couverture peu épaisse est un limon brun sableux, correspondant à l'horizon d'altération de ce substrat. Sur les versants de la vallée, le recouvrement est plus important et les limons sableux s'enrichissent de plus en plus en graviers et cailloux calcaires, provenant de l'érosion du substrat. Le remplissage de la vallée présente en premier lieu une zone de transition avec un colluvionnement sablo-limoneux riche en matériaux grossiers calcaires recouvrant des argiles sableuses. En se rapprochant de la Rimarde, cette argile devient de moins en moins sableuse et le colluvionnement disparaît. Près du ruisseau, le comblement est constitué d'une argile grise avec localement un lit sableux, correspondant à des déplacements du chenal. Ce dernier a été réaménagé après la Seconde guerre mondiale; son ancien cours, au sud de l'actuel, est encore visible. Ces prélèvements se situent aux abords de cercles funéraires datés de l' Âge du Bronze final I-IIa, c'est-à-dire dans une fourchette chronologique oscillant entre 1350 et 1250 cal. BC. Il s'agit d'enclos tumulaires avec, en leur centre, une fosse montrant un empierrement calcaire et possédant des dépôts d'incinérations dans des céramiques. Ce site n'a jamais été inondé et les structures les plus proches de la Rimarde sont placées à la limite de la plaine alluviale. Sur le site ont été notés d'autres éléments archéologiques qui correspondent à des traces d'occupation attribuables au Néolithique ancien (vers 4 800 cal. BC) et à l'implantation d'une nécropole carolingienne. Le second sondage (site 2), qui a fait l'objet d'une étude paléoenvironnementale, se localise entre Bordeaux-en-Gâtinais et Sceaux-du-Gâtinais (Loiret, France), au lieu-dit des « Près de Puiseaux », à quelques dizaines de mètres au nord d'un cours d'eau, le ruisseau de Maurepas, petit affluent du Loing (Fig. 1). Cette région est essentiellement constituée de marais dulcicoles dont le réseau hydrographique est assez dense et, en grande majorité, artificiel. Malgré ce système de drainage intensif, ces basses terres situées entre des plateaux calcaires de faible altitude sont inondées en hiver. Cette stagnation des eaux se manifeste par un comblement argileux, plus ou moins organique, et qui peut localement devenir tourbeux. Le substrat correspond aux calcaires du Gâtinais. Le point de carottage se situe aux abords d'éléments d'occupation de la Période gallo-romaine au lieu-dit « les Près de Puiseaux » : restes de bâtiments et voie romaine (Chemin de César). Depuis au moins le xvii e siècle, le ruisseau de Maurepas a été recalibré en un tracé très rectiligne et les chenaux de drainage actuels ne respectent pas les pentes naturelles du terrain. L'analyse des courbes de niveaux de la zone ainsi que celle des coupes des tranchées réalisées autour du site gallo-romain (Fig. 4) permettent de constater l'existence, à l'est de celui -ci, d'un chenal d'axe nord-est/sud-ouest en relation avec un réseau de canaux, l'ensemble étant aujourd'hui comblé. Ce chenal correspond, selon toute vraisemblance, à l'ancien cours du ruisseau de Maurepas. Également d'après cette analyse géomorphologique des tranchées, le comblement argilo-organique montre que ce chenal a toujours connu un débit calme mais pourtant actif. Par la suite, il s'asphyxie devenant stagnant ce qui favorise le développement d'un milieu tourbeux. Lors de diagnostics archéologiques réalisés sur la commune de Courcelles dans le cadre du projet autoroutier A19, une nécropole à incinérations datée du Bronze final I-IIa a été découverte (Fig. 2). Cette nécropole, exceptionnelle à tout point de vue, doit sa conservation à sa position topographique dans la vallée de la Rimarde. Cet ensemble funéraire est constitué de 15 sépultures dont 6 monumentales. Ces dernières sont des tumuli à cercle de pierres, délimitant une unique tombe centrale dans laquelle reposent les restes du défunt incinéré. La nécropole se structure autour d'un monument fondateur, un tumulus de 9 m de diamètre, dédié à un personnage de haut rang. Des petits tumuli de 3-4 m de diamètre viennent l'encadrer sur la partie haute tandis qu'en contrebas, et plus éloignés, sont implantées les sépultures plus « modestes ». La plupart des tombes présentent des aménagements particulièrement soignés : coffrages en bois ou dalles calcaires et aménagement du fond pour l'installation d'un plancher symbolique ou d'un brancard funéraire en bois. Les différents éléments architecturaux observés évoquent l'image d'une maison funéraire construite. Quand aux restes du défunt, ils sont incinérés puis déposés dans une urne en céramique ou dans un contenant en matériau périssable (coffrets en bois, sacs en tissus ou en cuir…). Divers objets accompagnent le mort dans la tombe : des viatiques (récipients en céramique) dont le nombre oscille entre 2 et 4 pièces et des objets personnels tels que des bijoux (bracelets ou épingles en bronze). Dans la majorité des cas, toutes les parties anatomiques du corps ont été recueillies sur le bûcher pour le dépôt, qu'il s'agisse de restes d'enfants ou d'adultes; mais dans quelques cas, le corps n'est présent qu' à titre symbolique et se traduit uniquement par un dépôt d'objets. On constate donc pour la période considérée la mise en place d'une pratique funéraire unique, l'incinération, mais des comportements très diversifiés autour de la mort et du traitement du défunt. Malheureusement, la séquence pollinique ne recouvre pas cette période car elle débute à l' Âge du Fer, les prélèvements ayant été réalisés dans la perspective de décrire l'environnement de cette nécropole. C'est pour cette raison que nous ne nous étendrons pas d'avantage sur les résultats de ce diagnostic dans le présent article. Néanmoins, l'analyse paléoenvironnementale a donné des indices sur quelques éléments du paysage à la fin de l' Âge du Bronze à l'aide de la configuration morphologique de la vallée au début de son remplissage et d'extrapolation à partir de la végétation présente au tout début de l' Âge du Fer. Sur la partie reliant Artenay à Courtenay du tracé de l'autoroute A19, la tranche K des diagnostics archéologiques s'étend sur les communes de Corbeilles et de Courtempierre. Le diagnostic de cette section a permis de mettre au jour sept ensembles distincts de vestiges datés du Néolithique à la période médiévale (Rohmer, 2006). Suite à ces premières évaluations, deux fouilles ont été prescrites (site K1 et site K5), témoins de la forte romanisation de ces terroirs autour du i er siècle de notre ère. Lors du diagnostic du site K1 « Les Prés de Puiseaux », avaient été observés un bâtiment maçonné, un bâtiment sur poteaux ainsi qu'un réseau de fossés (dont le fossé bordier du « Chemin de César », ancienne voie romaine Orléans-Sens). La fouille extensive de ce site a mis en évidence deux phases principales d'occupation : une occupation protohistorique datant du Second Âge du Fer (La Tène C) et une occupation antique s'échelonnant du i er au iii e siècle de notre ère. L'objectif de cette fouille a donc été de déterminer la fonction du bâtiment maçonné ainsi que ses relations avec la voie antique, le réseau de fossés et les autres structures présentes. L'occupation protohistorique est peu dense et présente une répartition très diffuse dans l'espace. Les structures concernées s'organisent sous forme de trois types d'ensembles : petit bâtiment sur quatre poteaux de type grenier, fosses dépotoirs et enclos circulaire. Malheureusement, toutes les structures sont très arasées et leur compréhension s'avère parfois délicate. Le bâtiment sur poteaux (bâtiment 3, zone 1) est situé au sud-est de l'occupation principale antique (bâtiment 1, zone 1). Cette situation particulière, la présence d'autres trous de poteau sous le bâtiment antique, dont un seul a pu être daté de La Tène C (F140), ainsi que quelques tessons céramiques protohistoriques retrouvés dans les couches de déblais du bâtiment 1, laissent supposer une occupation de La Tène plus importante s'étendant vers le nord. Il n'est d'ailleurs pas rare que ces deux périodes d'occupation s'installent sur les mêmes sites (Bayard et Collart, 1996). L'enclos (F125) daté de La Tène C présente, lui aussi, des caractéristiques particulières : une taille réduite (8,5 m de long pour 7 m de large) et une forme globalement circulaire, alors que les enclos de cette période sont traditionnellement quadrangulaires. Aucun élément ne permet actuellement de trancher sur la fonction de cette structure. Enfin, l'enclos circulaire est ceinturé par un ensemble de fossés antiques complexes aux multiples creusements. Au vu de cette configuration particulière entre structures de périodes différentes, il est possible que des fossés protohistoriques aient été réutilisés à l'époque antique sans qu'aucune trace n'en subsiste à cause du surcreusement. Dans ce cas, l'occupation protohistorique pourrait elle aussi s'organiser par rapport aux fossés F113, F114 et F122. La zone d'habitation et de stockage, illustrée par le bâtiment 3 et les trous de poteau isolés, serait délimitée par les fossés F122 et F114 et s'étendrait vers le nord de l'emprise de la fouille de K1. Les espaces de rejets domestiques se situeraient à l'écart, à l'ouest du fossé F122, et se caractériseraient par les fosses F211, F216 et F217. L'espace funéraire serait, quant à lui, complètement isolé du reste de l'occupation, tout d'abord entouré par le fossé circulaire F125 puis totalement ceinturé par le système de fossés (F113, F114 et F122). L'état de conservation des structures de cette période étant mauvais, ce schéma d'organisation spatiale de l'occupation reste une hypothèse de travail considérée avec les réserves d'usage. L'essentiel des structures attribuées à la période antique est concentré à l'est de la surface décapée. La majorité des structures se situent à l'est de F122, au sud de la voie romaine et au nord du fossé F114. Cet ensemble comprend un bâtiment maçonné (bâtiment 1, zone 1), constitué d'une pièce centrale carrée et de deux annexes symétriques rectangulaires partiellement conservées. Ce bâtiment est bordé par deux fossés jointifs très arasés d'orientation ouest-nord-ouest/est-sud-est (F110) et nord-nord-est/sud-sud-est (F101) formant un angle posé sur une tranchée de récupération d'un des murs du bâtiment (F108). Plusieurs trous de poteau ont été repérés aux abords immédiats de ce bâtiment sans qu'il soit possible d'attester avec certitude leur appartenance à la construction (F124, F136, F137, F138, F139). Cet ensemble est limité à l'est par la présence du paléochenal du ruisseau le Maurepas montrant à cette période, d'après l'analyse paléoenvironnementale réalisée (voir infra), une hydrologie calme mais qui subit alors des changements notables. Cependant, la proximité du niveau de la nappe phréatique par rapport au niveau d'apparition des structures a empêché toute observation permettant la compréhension des communications entre les réseaux fossoyés, la voie romaine et le ruisseau. Toutes ces caractéristiques permettent de supposer que ce bâtiment est intimement lié à sa situation particulière, à savoir le carrefour entre le « Chemin de César » et le ruisseau du Maurepas. S'agit-il d'une sorte de relais ou de péage en rapport avec le franchissement du ruisseau ? Bien que la littérature ne permette pas d'argumenter cette hypothèse par des exemples précis, en l'état actuel de nos recherches, le vocabulaire des stations effectué par Chevallier (1997) fait mention de statio ou portorium interprétés comme des relais, douanes ou péages. De plus, ce type de bâtiment est souvent évoqué ou simplement supposé comme pour la route du Petit Saint Bernard aux environs d'Albertville (Savoie) ou sur la Via Domitia au niveau du Gué du Reculon (Saint-Michel-l'Observatoire, Alpes de Haute-Provence). Il ne faut évidemment pas négliger le caractère marécageux du milieu qui pourrait expliquer à lui seul ce système complexe de fossés. Néanmoins, les ruptures brutales des creusements et l'absence de jonction les uns aux autres ne penchent pas en faveur d'une unique fonction de drainage de ces structures. Une étude approfondie du cadastre pourrait apporter des éléments de réponses sur la fonction de ces fossés. Le site semble avoir été abandonné au cours du ii e siècle de notre ère et réoccupé partiellement durant le iii e siècle. La colonne stratigraphique (240 cm dont 165 prélevés) a été prélevée par Corinne Pont-Tricoire à proximité immédiate de la coupe réalisée entre le chemin rural de la Fontaine et l'ancien tracé du ruisseau de la Rimarde (versant ouest et plaine alluviale) (Fig. 2). La lithostratigraphie de cette colonne est présentée à la figure 3. Les sédiments ont tous été traités par la méthode en liqueur dense de Thoulet. Cinq échantillons de la séquence ont été envoyés pour datation radiocarbone au Laboratory of Isotope Geochemistry de Tucson (University of Arizona, USA). Il s'agit des niveaux 75-80, 150-155, 169-172, 185-190 et 235-240 cm de profondeur (Tableau 1). L'analyse des variations des pourcentages relatifs des espèces reconnues nous a permis d'individualiser quatre Zones d'Assemblage Pollinique (ZAP). Ces divisions correspondent à des variations locales de la dynamique de végétation. Elles sont désignées par des lettres de l'alphabet en minuscule à partir de la base du diagramme (niveaux les plus anciens). Ainsi, en ce qui concerne ce travail, les quatre ZAP définies ont été nommées a, b, c et d, la ZAP a correspondant donc à la base du remblaiement du chenal, en contact avec le socle calcaire. Ce sondage a permis de retracer l'histoire du paysage végétal depuis un peu plus de 2 300 ans à l'aide des diagrammes de synthèse (Fig. 6) et Société/Végétation (Fig. 7) (Barbier et al., 2001). Le remplissage de ce petit ruisseau s'est effectué durant le Subatlantique. La séquence débute vers 2340 ± 70 BP (A-14433 : 759 [398] 206 cal. BC), c'est-à-dire au cours de l' Âge du Fer (Hallstatt). Le milieu est déjà très ouvert à cette époque, témoignant de défrichements ayant eu lieu, sans doute, au cours des périodes précédentes (Âge du Bronze ? Néolithique ?). Quelques ormes (Ulmus), hêtres (Fagus), érables (Acer), charmes (Carpinus) et tilleuls (Tilia) se mêlent à une chênaie-corylaie (Quercus et Corylus) dont les pourcentages relatifs oscillent autour de 20 %. Les abords de la Rimarde sont marqués par une forte présence des populations humaines. L'observation de nombreuses plantes rudérales (Sanguisorba, Erodium, Crassulaceae, Convolvulus arvensis, Alchemilla, Solanaceae, Polygonum aviculare, Chenopodiaceae, Artemisia), du plantain (Plantago) et des composées nous indique, à la fois, une importante fréquentation du site et des activités d'élevage (Behre, 1981). D'autre part, une courbe continue et de conséquence (5 %) des céréales (Cerealia type) (Joly et al., 2007) nous permet d'envisager des pratiques de céréaliculture proches du lieu de prélèvement des échantillons. On note également des occurrences de noyer (Juglans) et de châtaignier (Castanea) dans le paysage. La présence de ces essences vraisemblablement à l' Âge du Fer s'ajoute à des observations de plus en plus nombreuses sur le territoire, représentant un argument supplémentaire réitérant ainsi l'hypothèse d'une introduction de ces espèces avant la Conquête (Visset, 1979; Marguerie, 1992; Visset et al., 1995; Visset et al., 1996; Barbier et Visset, 1997; Barbier, 1999; Cyprien, 2002; Ouguerram, 2002; Visset et al., 2002; Joly et Visset, 2005; Joly, 2007). Le plateau et les coteaux peu boisés sont donc dominés par des prairies à graminées (Poaceae) où prennent place des activités agro-pastorales. La végétation de landes étant peu développée, nous pouvons supposer qu'une pression constante des populations s'exerce sur le milieu. Sur les vases organiques de la zone humide, la cariçaie (Cyperaceae) et la roselière (Poaceae) bien installées s'accompagnent de nombreuses plantes paludicoles, principalement de Sparganium et de Typha angustifolia. À l'aulnaie (Alnus), très clairsemée (10 %), s'ajoutent de rares arbres de milieu humide : bouleau (Betula), saule (Salix) et frêne (Fraxinus). Les datations 1875 ± 55 BP (A-14432 : cal. AD 5 (128) 318), 1895 ± 130 BP (A-14431 : 198 cal. BC [cal. AD 88, 100, 125] cal. AD 420) et 1710 ± 65 BP (A-14430 : cal. AD 134 [265, 341, 375] 528) nous ont permis de bien individualiser cette période chronologique sur le diagramme. Au cours de celle -ci, les lieux humides semblent être peu différents de ceux de l' Âge du Fer. La couverture forestière et la proportion des prairies à graminées restent également stables dans le paysage : il s'agit d'un milieu très ouvert (20 % de pollen d'arbres) dominé par le système prairial. Si les activités pastorales semblent se développer avec une nette progression du plantain, des composées et une hausse plus discrète d'espèces rudérales (notamment de Polygonum aviculare et des Chenopodiaceae), la céréaliculture recule à partir de 1875 ± 55 BP, ou en tout cas est pratiquée plus en retrait du site. D'autre part, on note une présence discrète du châtaignier ainsi qu'un essai de culture du sarrasin (Fagopyrum). Ce dernier, aussi appelé blé noir, correspond à une espèce qui pollinise peu. De plus, la dispersion de son pollen dépendant de divers facteurs environnementaux (Behre, 1981), la présence de quelques grains permet de soupçonner une culture proche. Cette période est marquée par une nette progression de la pression anthropique sur le milieu. En effet, nous avons mis en évidence une concomitance d'événements dans le diagramme, sans doute liés à des activités anthropiques d'importance. Des défrichements ont vraisemblablement lieu sur les plateaux et coteaux : légère baisse du chêne (Quercus) (5 % en fin de période) et du noisetier (Corylus). Une pression s'exerce également dans la zone humide, qui est avant tout peuplée de Cyperaceae, de Sparganium et de Typha angustifolia, et où nous pouvons observer une quasi-éradication de l'aulnaie. Parallèlement à ces coupes, les pourcentages du pollen des céréales et ceux du chanvre (Cannabis/Humulus) augmentent fortement (plus de 5 % pour les céréales et 10 % environ pour le chanvre), indiquant la mise en place de cultures de ces essences aux abords immédiats du site (bien visible sur le diagramme Sociétés/Végétation, Fig. 7). En ce qui concerne les grains de pollen du houblon (Humulus) et du chanvre (Cannabis), ils sont morphologiquement très proches. Il semble que seul le critère de la taille (Leroi-Gourhan, 1969, 1981) autorise une distinction entre Cannabis, importé d'Asie centrale et cultivé pour ses fibres textiles, et Humulus qui se développe spontanément dans les milieux humides. Dans cette analyse, la courbe de ce type pollinique a été attribuée au pollen de chanvre, puisqu'elle se trouve associée à un ensemble de marqueurs anthropiques (Cerealia, Juglans, Castanea …) et ne suit pas les variations de la végétation de la zone dulcicole. Quelques grains sporadiques, sans aucun autre élément lié à une activité humaine, auraient été attribués à la présence de houblon. Ces activités agricoles prennent quelque peu le pas sur les surfaces occupées par les prairies à graminées. Les plantes adventices aux cultures se font plus prégnantes (Centaurea cyanus, Mercurialis annua, Rumex). Le noyer est également observé sur le site. Les pratiques pastorales demeurent vraisemblablement importantes en début de période avec une forte progression d'espèces rudérales (Artemisia, Chenopodiaceae, Polygonum aviculare, Alchemilla, Convolvulus arvensis). Le marécage est toujours dominé par la cariçaie et semble présenter à cette période un renforcement de son humidité par le développement des plantes paludicoles et aquatiques (entre autres : Potamogeton, Callitriche, Alismaceae, Iris pseudacorus, Sparganium, Typha angustifolia, Typha latifolia, Polygonum persicaria). Ce changement dans l'hydrologie de la vallée, avec un niveau d'eau stagnante plus important et des inondations régulières, peut être lié à des facteurs naturels (colmatage de la vallée…) ou anthropiques (déboisements, aménagements…). Les défrichements se poursuivent, bien marqués dans les diagrammes par la chute du chêne (à peine 5 % en fin de période) et par la raréfaction du noisetier et des autres essences accompagnatrices de la chênaie. C'est durant le Haut Moyen Âge que la courbe de Cannabis / Humulus atteint son maximum, indiquant une intensification de la culture du chanvre pour ses fibres textiles. Se poursuit également à cette époque la culture des céréales à proximité immédiate du site de prélèvement sédimentaire. L'élevage est toujours pratiqué, bien qu'il soit moins développé que précédemment. Ces activités s'accompagnent de nombreuses plantes adventices et rudérales (Centaurea cyanus, Mercurialis annua, Solanum nigrum, Rumex, Papaver, Alchemilla, Convolvulus arvensis, Polygonum aviculare, Chenopodiaceae, Artemisia). Le noyer est très présent sur le site alors que le châtaignier reste plus discret. À la fin du Haut Moyen Âge, un pic des brassicacées (Brassicaceae) peut être mis en relation avec un abandon de parcelles ou avec la mise en place de friches. Les lieux humides sont envahis par la cariçaie et la roselière alors que les plantes aquatiques sont anecdotiques (drainage de la zone ?). L'aulnaie est quasi inexistante et les arbres de milieu humide sporadiques. Les cultures de céréales et de chanvre se maintiennent quelque peu en début de période mais régressent ensuite rapidement. Le noyer devient plus discret. Des essais de cultures du seigle (Secale) se notent au début de la période. La production de fibres textiles semble se diversifier avec l'introduction du lin (Linum) dans le paysage agricole. L'activité d'élevage demeure quasiment stable, voire progresse légèrement, avec la présence du plantain et de plantes rudérales (Artemisia, Chenopodiaceae, Polygonum aviculare, Alchemilla) qui s'accompagnent d'une augmentation des composées. Même si le milieu reste très ouvert (à peine 20 % d'arbres), on note une légère hausse du couvert forestier par rapport au Haut Moyen Âge. S'agit-il d'une diminution de la pression anthropique ou de la mise en place d'une gestion forestière ? En effet, une certaine prise de conscience au Moyen Âge de la dégradation des ensembles sylvicoles, provoquée par un manque en bois de plus en plus prégnant, amène à une modification dans la gestion des terroirs (Mazoyer et Roudart, 1997). Le sondage a été réalisé au niveau de l'ancien tracé du ruisseau de Maurepas (Fig. 4) et a permis de prélever au moyen du carottier de type GIK (Visset & Hauray, 1980, 1988), une séquence sédimentaire de 2,06 m dont la lithostratigraphie est indiquée sur le diagramme pollinique synthétique (Fig. 8). Les sédiments tourbeux ont été traités par la méthode dite à NaOH alors que, pour les niveaux plus vaseux, la méthode en liqueur dense de Thoulet a été utilisée. Cinq échantillons de la séquence ont été envoyés pour datation radiocarbone au Laboratory of Isotope Geochemistry de Tucson (University of Arizona, USA). Il s'agit des niveaux 58-65, 80-85, 120-125, 149-154 et 202-206 cm de profondeur. Une sixième datation sur le niveau 105-110 a été réalisée par le laboratoire Beta Analytic Inc. de Miami (University of Branch, USA) (Tableau 2). L'analyse des variations des pourcentages relatifs des taxons reconnus permet d'individualiser six Zones d'Assemblage Pollinique (ZAP). Ainsi, en ce qui concerne ce site, les six ZAP définies ont été nommées a, b, c, d, e et f. L'histoire du paysage végétal de ce ruisseau a pu être retracée sur un peu plus de 2 500 ans (Fig. 8 et 9), le remplissage s'étant effectué durant le Subatlantique. La séquence débute vers 2525 +90 / - 85 BP (A-14438 : 832 (764) 399 cal. BC/830 (764) 400 cal. BC), c'est-à-dire au début de l' Âge du Fer (Hallstatt). Sur les vases organiques, devenant de plus en plus tourbeuses, s'installe une végétation typique de marécage dulcicole. Sur les bordures du ruisseau, la cariçaie et la roselière s'accompagnent de nombreuses espèces paludicoles (Iris pseudacorus, Lythrum, Filipendula, Thalictrum, Sparganium, Typhaceae, Rubiaceae, Apiaceae). Les arbres de la ripisylve (Fraxinus, Salix, Alnus, Betula) sont, par contre, peu présents. Les aquatiques observées indiquent un milieu d'eau relativement stagnante (Nuphar, Potamogeton, Myriophyllum spicatum). La région montre un paysage ouvert, peu boisé (20 % à 30 % d'AP). Les rares peuplements sont essentiellement constitués de chênes où se mêlent quelques noisetiers, hêtres, ormes, charmes, érables et tilleuls. La présence humaine est assez marquée avec de nombreuses plantes rudérales (Convolvulaceae, Crassulaceae, Solanaceae, Chenopodiaceae, Alchemilla, Plantago, Polygonum aviculare, Artemisia). Elles indiquent une importante fréquentation du site et elles mettent en évidence des pratiques pastorales (Chenopodiaceae, Compositae et Plantago). Il est à remarquer la présence du châtaignier (Castanea). Des activités agricoles sont notées avec des cultures de céréales et de seigle, qui s'accompagnent de quelques espèces d'adventices (Rumex et Solanum nigrum). Concernant le seigle, Behre (1992) le considère comme étant la forme sauvage lorsque seuls quelques grains sont notés, sa véritable mise en culture en Allemagne étant d'époque gallo-romaine et son développement médiéval. Mais cette essence n'étant pas indigène à la région étudiée (Bournérias, 1979; Bournérias et al., 2001), il semble donc possible d'envisager une culture plus précocement, ou tout du moins, une introduction anté-romaine de cette céréale. Cette observation n'est pas un fait isolé et des analyses ont montré sa présence dans le paysage agricole dès le Néolithique (Cyprien, 2002; Joly, 2007). La végétation des milieux de la lande est étonnamment peu développée eu égard à la faible couverture forestière : les prairies à graminées dominent le paysage, peut-être en relation avec les indices de pastoralisme. L'occurrence de Gentiana pneumonanthe au niveau 198 (non représentée sur le diagramme car regroupée avec les autres essences du milieu « landes », Fig. 8) indiquerait la présence d'une lande humide. Au cours de cette période, les zones humides se peuplent de frênes, saules, aulnes et bouleaux tandis que les aquatiques deviennent quasi inexistantes et que les paludicoles sont en nette régression. On s'interroge sur les causes possibles de telles modifications de la végétation des zones dulcicoles : changements hydrologiques ? Drainage des marécages ? Aménagement de la rivière ? Les sous-bois sont, vraisemblablement, essentiellement constitués de cariçaies et de roselières. Le couvert forestier demeure peu dense (milieu ouvert), avec des chênes, des ormes, des hêtres et quelques rares charmes et tilleuls. Les pourcentages relatifs du noisetier progressent, pouvant correspondre soit à une meilleure pollinisation de cette essence due à des défrichements (espèce héliophile), soit à son développement en bordure des zones humides (également espèce pionnière), accompagnant le phénomène observé dans ces milieux et décrit plus haut. On note un net recul des activités agricoles (Cerealia type et adventices sporadiques) ainsi que celui des pratiques pastorales avec une quasi-disparition du plantain, des composées et une diminution des plantes rudérales et des prairies à graminées. Les datations 1675 ± 40 BP (A-14437 : cal. AD 257 (392) 434) et 1685 ± 30 BP (A-14436 : cal. AD 258 (384) 426) nous permettent de bien délimiter cette période chronologique. L'événement marquant celle -ci correspond à une importante augmentation des pourcentages du pollen de chanvre (jusqu' à plus de 50 %), d'une progression des céréales, de la présence du plantain et des composées, de nombreuses espèces rudérales et adventices ainsi que de l'apparition du noyer. Dans un milieu toujours très ouvert, les activités agro-pastorales semblent donc prendre de l'ampleur. La chute des arbres du milieu marécageux (Fraxinus, Salix, Alnus, Betula), précédant la forte hausse du chanvre, pourrait être liée à des défrichements dans la zone humide et à la mise en place d'activités de rouissage à ce niveau du ruisseau, le rouissage correspondant à la macération dans l'eau de tiges pour en séparer les fibres textiles. En effet, lorsque les pourcentages relatifs de la courbe du chanvre atteignent de telles valeurs (plus de 50 %), nous ne pouvons être face à l'unique présence de parcelles cultivées, même très proches. Ces pourcentages résulteraient du traitement des tiges de chanvre encore fleuries ou au début de la formation des graines (indications sur la saisonnalité des pratiques), mais ne nous donnent aucune indication quant à l'étendue spatiale de cette activité. Il est probable que des aménagements aient également été entrepris sur les berges de Maurepas et qu'un entretien régulier de ces dernières soient pratiquées (faible développement de la roselière et de la cariçaie, peu de plantes paludicoles et d'arbres de milieu humide). D'autre part, cette activité ne peut prendre place que dans des conditions d'eau très calme à stagnante, ce qui semble être le cas ici (Nuphar, Potamogeton, Myriophyllum spicatum). Rappelons les résultats de l'étude géomorphologique du comblement argilo-organique, qui montrent que ce chenal a toujours connu un débit calme. Une telle simultanéité d'événements botaniques a été notée en d'autres sites, notamment celui des landes de Malingue en Mayenne (Barbier, 1999), mais pour une époque médiévale. Dans les travaux de Leroyer (1997) sur le Bassin parisien, l'apparition de cultures spécifiques de plantes textiles se note pendant l' Âge du Fer pour se développer ensuite au cours de l'époque gallo-romaine. À la fin de la Période gallo-romaine, les pratiques agro-pastorales ainsi que les activités de rouissage régressent fortement, voire disparaissent. Les pourcentages notés pour le chanvre pourraient correspondre à des cultures de cette essence dans les environs immédiats du site de Maurepas. Concomitant de l'abandon de cette activité, ou de son déplacement, on note un envahissement de la zone humide par la roselière puis par la cariçaie. Les lieux humides sont avant tout peuplés par la cariçaie et les arbres de milieu humide se font de plus en plus rares. Le développement des plantes paludicoles à cette époque indique une augmentation du taux d'humidité dans la vallée et les zones marécageuses. Ce milieu d'eau calme est en cours d'atterrissement et devient tourbeux. Le paysage reste ouvert, bien que l'on note un petit redéploiement de la chênaie. S'agit-il d'une politique de reboisement, comme nous l'avons évoqué pour le site précédent ? Les prairies à graminées s'étendent et s'accompagnent de quelques espèces rudérales telles que Plantago ou Artemisia, indiquant des activités d'élevage. La culture du chanvre recule pour devenir quasi inexistante au cours du haut Moyen Âge alors que celle des céréales perdure. Le noyer est également observé à cette époque. La zone humide ne subit pas de changements par rapport au début du Moyen Âge, si ce n'est que le milieu se stabilise : les cypéracées prédominent dans le milieu marécageux. Par contre, on note une progression des pratiques d'élevage à partir du Moyen Âge central (hausse des composées et des plantes rudérales) puis celle des activités agricoles au bas Moyen Âge avec une fréquence plus importante du noyer et une augmentation de la courbe des céréales et du chanvre. Sur les berges du ruisseau de Maurepas (site 2) aux eaux calmes, s'épanouit une végétation typique de ripisylve. La céréaliculture et les activités pastorales sont très présentes dès l' Âge du Fer, probablement en relation avec l'essor démographique remarqué pour cette période et qui se note dans la majorité des diagrammes polliniques par une forte hausse de l'anthropisation du milieu (Marguerie, 1992; Marambat, 1995; Barbier, 1999; Clavé, 2001; Cyprien, 2002; Ouguerram, 2002). La proximité de ces pratiques par rapport au lieu de sondage nous questionne à nouveau quant à la fonction des vestiges découverts sur le site K1 et datés de la fin de cette période. Pendant le Haut Empire, au moment de l'occupation principale du site, un net recul des activités agro-pastorales intervient et cette observation nous permet de poser l'hypothèse d'une fonction autre qu'agricole pour le bâtiment maçonné, sa véritable fonction restant donc à déterminer. La végétation de la ripisylve, sans doute régulièrement entretenue dans un premier temps, subit ensuite des coupes et les abords de Maurepas sont très probablement aménagés en relation avec une activité de rouissage du chanvre qui prend place au Bas Empire. L'occupation partielle notée au ii e siècle de notre ère pourrait être liée à la mise en place de cette pratique ainsi qu' à l'essor agro-pastoral alors remarqué. Avec l'arrêt du rouissage à ce niveau du chenal, le site est envahi par la cariçaie. L'asphyxie de ce milieu calme, devenant même stagnant, se note en fin de séquence, ce qui favorise le développement d'un milieu tourbeux, ce phénomène étant bien mis en évidence autant par notre étude palynologique que par l'analyse géomorphologique des tranchées. La régression des pratiques agro-pastorales et des activités de rouissage est-elle à mettre en relation avec les troubles de la fin de l'Empire romain ? Le remplissage de la vallée de la Rimarde (Site 1) débute au cours de l'Hallstatt, ce qui ne nous a pas permis de donner des éléments sur l'environnement du site funéraire daté de l' Âge du Bronze et situé à proximité des prélèvements. Néanmoins, nous pouvons supposer une circulation active des eaux à cette époque car il n'y a pas de sédimentation effective. Ainsi, les cercles funéraires sont réalisés aux abords d'une petite vallée dont le profil correspond approximativement à celui du socle. À partir de l' Âge du Fer, une végétation typique des zones humides et de ripisylve s'installe sur les berges de la Rimarde. Sur les plateaux environnants, le milieu est très ouvert et est dominé par les prairies à graminées et par des activités agro-pastorales. Ces dernières connaîtront un important essor au Bas Empire, avec une diversification des cultures (céréales, noyer et chanvre), puis leur apogée au cours du Haut Moyen Âge. De nouvelles plantes cultivées apparaissent dans le paysage agricole au Moyen Âge Central : le seigle et le lin. Il est à mettre en lumière une opposition dans le devenir des pratiques anthropiques à la fin du Bas Empire pour deux sites géographiquement assez proches. En effet, si aux abords de Maurepas (site 2) se note une régression des activités de rouissage accompagnées de celle de la céréaliculture et de l'élevage, ces deux derniers sont, au contraire, en plein essor au niveau de la vallée de la Rimarde (site 1). La fin de l'Empire romain a longtemps été décrite comme une période de déclin économique et de décadence bien que les raisons de cette crise fassent l'objet d'un certain nombre de théories, parfois contraires, et que beaucoup remettent en question la notion même de « chute ». Il apparaît, en effet, que cette période aurait été contrastée dans l'espace et dans le temps, quoique fortement marquée par les invasions, rendant difficile de cerner cette époque, notamment d'un point de vue économique (Delaplace et France, 1995). Il est également à mettre en exergue la correspondance d'événements entre le site de la vallée de la Rimarde et celui du marais de Maurepas en ce qui concerne les activités culturales du chanvre au cours du Bas Empire et au Moyen Âge. La production textile nous semble donc être une activité importante à prendre en considération dans la réflexion archéologique et historique régionale. Ainsi, il serait opportun et très intéressant de confronter ces données avec les connaissances actuelles sur le patrimoine de ce territoire, notamment celui de la Période gallo-romaine, et de mener une réflexion autour de cette problématique, et plus précisément autour des fonctions du bâtiment découvert à l'intersection du Chemin de César et du ruisseau de Maurepas, qui restent pour le moment inconnues .
Dans le cadre de la construction de l'autoroute A19, des fouilles archéologiques préventives ont été menées dans le Gâtinais et deux d'entre elles ont été associées à des études paléoenvironnementales. Le premier site se localise dans la vallée de la Rimarde (Courcelles, Loiret). Les prélèvements jouxtent une occupation du Néolithique ancien, des cercles funéraires de l'Âge du Bronze final et une nécropole carolingienne, mais la séquence sédimentaire ne débute qu'au cours de l'Hallstatt. Le paysage est très ouvert, dominé par les pratiques agro-pastorales qui connaissent un important essor et une diversification au Bas Empire (céréales, noyer et chanvre), puis leur apogée au Haut Moyen Âge. Au Moyen Âge Central, la culture du seigle et celle du lin apparaissent dans le paysage agricole. Le second sondage se localise près du ruisseau de Maurepas (Sceaux-du-Gâtinais, Loiret), aux abords d'une voie et de restes de bâtiments de l'époque gallo-romaine. Dès le début de l'Âge du Fer, la céréaliculture et les activités pastorales sont très présentes. La végétation de ripisylve, d'abord entretenue, subit ensuite des coupes importantes au Bas Empire, probablement en relation avec le fort développement des activités agricoles, notamment celui de la culture du chanvre, et des pratiques de rouissage. Avec le net recul de ces activités chanvrières, le site est envahi par la cariçaie et devient tourbeux.
archeologie_11-0115759_tei_377.xml
termith-58-archeologie
Depuis les années 1950, le Gravettien est considéré comme une étape importante dans la dynamique culturelle du Paléolithique supérieur de la région méditerranéenne ibérique. Jordà (1955) comme Pericot (1963) associent à cette phase la consolidation du peuplement de cette région et la mise en place de caractères culturels qui vont perdurer du Solutréen jusqu' à l'Epipaléolithique. Depuis ces travaux, les gisements présentant des matériaux de cette étape ont intégré et précisé la vision antérieure, surtout à partir des travaux de Fortea (1973) puis Fortea et Jordà (1976) qui ont permis de déterminer la position chronologique des industries épigravettiennes, se détachant du Paléolithique supérieur. Nous évoquons, dans ce travail, un panorama du Gravettien méditerranéen ibérique (fig. 1) en intégrant les données nouvelles de gisements de Catalogne et du Pays valencien. Nous aborderons également la caractérisation et les problèmes de l'origine du Gravettien régional et de ses relations avec le Solutréen. Le Gravettien n'est pas très présent en Catalogne. On le trouve dans les gisements de Serinyà et dans d'autres sites isolés. Les niveaux gravettiens sont placés au-dessus de l'Aurignacien et sous le Solutréen dans trois grottes stratifiées de Serinyà (Girona) : le Reclau Viver, l'Arbreda, et Davant Pau. Dans ces trois gisements majeurs mais également à Mollet III, situés tous les quatre dans la vallée de Serinyà, le Gravettien présente une certaine unité. Celle -ci peut être étendue à un autre gisement stratifié, l'abri Romaní (Capellades) où il y a, dans la couche 2, quelques outils très comparables à ceux de la vallée de Serinyà. Plus difficiles à interpréter, d'autres gisements peuvent être assimilés au Gravettien par leur industrie ou leur datation : le Roc de la Melca, Castell Sa Sala, la Griera et quelques trouvailles superficielles (Soler et Maroto 1996) (fig. 2 et 3). Ce gisement catalan présente la séquence la plus importante pour le Gravettien régional. Il a été fouillé par J. M. Corominas de 1944 à 1948 (Corominas 1946, 1949). Entre l'Aurignacien (couches A et B) et le Solutréen (couche F), il signala la présence de trois niveaux (C, D et E). Le niveau C est caractérisé par la présence de pointes à dos microlithiques (microgravettes pygmées) et de lamelles à dos. Les outils à retouche abrupte représentent 48 % de l'ensemble retouché (lamelles à dos 32 %, pointes à dos 14 %). Les grattoirs (14,7 %) sont plus abondants que les burins (10,3 %); préférentiellement sur troncature. Le fouilleur considérait le niveau C comme Périgordien IV, d ' après les classifications de D. Peyrony (1933, 1946). Le niveau D est situé au contact et au-dessus du niveau C. En relation avec ce dernier, il est caractérisé par la diminution de la fréquence de l'outillage microlithique, l'augmentation de la taille des outils et par la présence d'une industrie osseuse plus riche. Les outils à retouche abrupte représentent 23 % (lamelles à dos 11 %, pointes à dos 10 %, parmi lesquelles des pointes de la Gravette bien typiques). Les grattoirs sont toujours abondants (14 %) comme les burins (13,4 %), souvent sur troncature. L'industrie osseuse est caractérisée par les sagaies à base oblique. Pour cette raison, Corominas (1946, 1949) attribua ce niveau à l'Aurignacien V de Peyrony. En ce qui concerne la parure, elle est très abondante avec plusieurs canines de carnivores percées et aussi quelques têtes de fémurs de cervidés percées. Sur le niveau D, on trouve le niveau E considéré comme Protosolutréen ou Solutréen qui possède encore des gravettes typiques parmi les pointes à dos, des outils qui existent aussi dans le niveau F, nettement Solutréen. Cet autre gisement qui présente le Gravettien stratifié entre l'Aurignacien et le Solutréen, est la plus grande des grottes du Reclau, avec une stratigraphie considérable, de plus de 10 md'épaisseur, qui comprend plusieurs niveaux du Paléolithique supérieur et du Paléolithique moyen. Au-dessus de l'Aurignacien évolué du niveau G, daté de 28 000 BP (Sacchi et al. 1996), et sous le Solutréen, il y a au moins deux niveaux gravettiens, E et F, mais seul le premier est significatif par le nombre d'objets qu'il contient (Soler et Maroto 1987a; 1987b). Le niveau F est très pauvre. Parmi l'industrie lithique, il y a 34 outils, dont sept grattoirs, cinq burins, cinq pointes à dos – avec trois gravettes typiques, huit fragments de pièces à dos et sept racloirs. Il y a aussi un poinçon en os et une canine de cerf percée. Le niveau E a une datation sur charbon de 20 130 ± 220 BP (GIF-6420) (Delibrias et al. 1987). Nous ferons la description du Gravettien de l'Arbreda à partir de ce niveau. Les proportions de matières premières de l'ensemble de l'industrie lithique sont de 96,6 % pour le silex et de 3,4 % pour le reste : quartz, quartzite, cornéenne, schiste, roches filoniennes. Ainsi, la proportion de roches locales (3,4 %) est très faible, ce qui différencie ce niveau des autres niveaux du Paléolithique supérieur des grottes du Reclau, où elles sont plus abondantes. Le silex est rare dans la région et des matériaux allochtones ont donc été apportés sur le site pour le débitage. L'industrie de ce niveau est typiquement gravettienne, caractérisée par l'abondance des pointes à dos. Il y a 237 outils retouchés, tous en silex. Les outils à retouche abrupte forment 70,4 % (fragments de pointes ou lamelles à dos indifférenciés 37,1 %, pointes à dos 24 %, lamelles à dos 8 %). Parmi les pointes à dos, il y a quelques gravettes typiques et d'abondantes microgravettes; ces dernières sont souvent extrêmement petites. Les lamelles à dos sont peu standardisées à l'exception d'une lamelle à dos tronquée. Les grattoirs constituent 9,7 % des outils. Il n'y a aucun grattoir caréné. Ce sont des grattoirs simples ou à retouche latérale; il y un grattoir-burin. Les burins (5,9 %) sont dièdres dans la moitié des cas, sinon sur troncature retouchée. Les racloirs, atypiques, représentent 5,9 % de l'ensemble. Il y a aussi 3,7 % de lames à retouche marginale ou profonde. Les denticulés constituent 1,6 % et les écaillés 4,2 % de l'outillage. L'industrie osseuse est très pauvre. Il y a seulement un fragment de sagaie, deux fragments de poinçons et une alêne en bois de cerf. La parure n'est pas très riche. Elle est constituée de quelques canines percées de cerfs et de carnivores et de quelques coquillages qui représentent seulement trois espèces de bivalves : Cardium sp., Pecten jacobeus et Pecten maximus, qui ont été déterminées par J. Oller. La faune des grands et moyens mammifères est bien représentée. Elle est largement dominée par le lapin (Oryctolagus cuniculus) dont une bonne part est d'origine anthropique. Les grands mammifères, plus rares, sont dominés par le cheval (Equus caballus), suivi de grands bovidés (Bos primigenius-Bison priscus) et du cerf (Cervus elaphus). De façon plus sporadique, y sont représentés Equus hydruntinus, Rupricapra rupricapra, Vulpes vulpes et Erinaceus europaeus. Dans le niveau E, la présence des arbres est faible. Artemisia et les Asteraceae dominent sur les Poaceae ou graminées sylvestres. Le paysage correspondrait à celui d'une steppe froide. À la fin de la période, il y aurait une hausse de l'humidité et de la température (Burjachs 1993; Burjachs et Renault-Miskovsky 1992). L'analyse anthracologique de ce niveau a donné seulement deux taxons : Pinus sylvestris et Betula verrucosa. Malgré la pauvreté de l'échantillon, l'association de ces deux arbres et l'absence d'espèce méditerranéenne indiquent généralement la diminution des températures (Ros 1987). Parmi les restes de poissons, ont été identifiés : Anguilla anguilla, Salmo trutta fario, Barbus sp., Leuciscus sp., Salmo salar et Salmo sp. (Muñoz et Casadevall 1997) Les oiseaux sont représentés dans ce niveau seulement par quatre espèces identifiées : Falco subbuteo, Coturnix coturnix, Pyrrhocorax graculus et Corvus monedula (Garcia 1997). Les insectivores et les chiroptères ont été étudiés par Àngel Galobart, qui a identifié : Erinaceus europaeus, Sorex minutus, Sorex araneus et Crocidura rusula pour les premiers et Myotis myotis et Plecotus austriacus/auricus pour les seconds. Parmi les rongeurs, Microtus arvalis-agrestis est très abondant et la présence de Microtus oeconomus, une espèce froide et continentale, est significative. Il y a aussi Eliomys quercinus, Pitymys sp., Arvicola sp. et Apodemus sylvaticus (Alcalde 1987). Toutes ces analyses semblent nous indiquer l'existence, pour le niveau E, d'un climat froid et sec, certainement avec le niveau Solutréen, le plus froid et le plus sec de la séquence du Paléolithique supérieur de l'Arbreda. On l'identifie au Pléniglaciaire de la dernière glaciation et on peut penser à un climat rigoureux d'influence continentale, avec des hivers froids et secs et des étés humides. Un sondage de J. M. Corominas devant la grotte d'En Pau montra l'existence d'un niveau gravettien, très peu fouillé (Soler 1986). Les travaux ont révélé des pointes à dos, et entre autres, une pointe de la Gravette typique. On y a trouvé aussi un sifflet sur cubitus de cervidé (Soler et García 1995). Dans les environs du Reclau, la grotte de Mollet III possède un petit niveau du Paléolithique supérieur qui a donné quelques canines supérieures de cerf perforées avec une belle pointe de la Gravette, qui nous signale simplement la présence du Gravettien dans le gisement (Soler 1986). Malgré le fait que presque toutes les occupations de ce gisement appartiennent au Moustérien, dans le niveau supérieur, la couche 2 n'a pu être fouillée que par l'inventeur du site et quelques fouilleurs dans la première décennie du XX e siècle. Elle a été considérée à l'époque comme magdalénienne. En réalité, les matériaux sont très comparables à ceux de la région de Serinyà et on peut y voir d'un côté, du Protoaurignacien ou Aurignacien archaïque et de l'autre, du Gravettien (Laplace 1962; Soler 1986). Parmi les six pointes à dos, il y a des gravettes et des microgravettes. Les datations sur charbon ou concrétions donnent des âges propres au Moustérien ou au Protoaurignacien très ancien (Bishoff et al. 1994), mais la présence du Gravettien est indubitable. Il y a donc eu un mélange dans les collections. Ce petit abri contenait un seul niveau archéologique qui a été daté sur os à 20 900 ± 400 BP (MC-2219) (Soler 1980). L'industrie lithique contient de nombreux racloirs (13 %) et des denticulés (31,6 %). Les outils à retouche abrupte constituent 33,1 % (lamelles à dos 11,3 %, pointes à dos 2,5 %). Les grattoirs représentent 4,6 % et les burins, la plupart sur troncature retouchée, 13,9 % de l'ensemble retouché. L'abri du Castell sa Sala fournit à des amateurs locaux une industrie abondante du Paléolithique supérieur (Vila 1987). Nous attribuons cette industrie au Gravettien (Soler 1986). Elle est caractérisée par la présence de quelques microgravettes et de nombreux burins. Il y a 34 % de denticulés et 14 % de racloirs, les outils à retouche abrupte forment 20 % (lamelles à dos 10,3 %, pointes à dos 4,1 %), les grattoirs, 8,6 % et les burins 21,2 % de l'outillage. Ces derniers sont partagés entre burins dièdres et burins sur troncature (6,8 %). Parmi les premiers, il y en a quelques uns à retouche d'arête. La présence de burins plans comparables aux burins du Raysse et de Gratadis est également significative. L'abri de la Balma de la Griera a livré dans le niveau inférieur une industrie qui n'a pas fourni de pièces typiques. Il a été daté en AMS sur os, à 21 255 ± 350 BP (AA-8649) et attribué au Gravettien. La faune, Cerf et Cheval, est rare et très fragmentée (Fullola et al. 1994; Cebrià et al. 2000). Dans la région valencienne, les gisements présentant des niveaux stratigraphiques gravettiens sont au nombre de cinq grottes : Cendres (Moraira, Alacant), le Parpalló (Gandia, València), les Malladetes (Barx, València), Beneito (Muro d'Alcoi, Alacant) et Barranc Blanc (Ròtova, València) (tabl. 1). Les autres sites ayant fourni des matériaux et des niveaux gravettiens ne seront pas traités dans ce texte pour diverses raisons qui limitent leur étude. Les niveaux XIV à XVI, fouillés jusqu' à maintenant dans un sondage de 2m 2 et d'une profondeur de 70 et 80 cm, ont fournit une riche industrie du Gravettien (Villaverde y Roman 2004), soutenue par une série de quatre datations radiocarbone qui situent la base actuelle de la séquence à 25 850 ± 260 BP. Les données paléoclimatiques et économiques sont en cours d'étude et nous limiterons nos commentaires à l'industrie lithique et osseuse. Etant donnée la superficie fouillée réduite, le nombre de pièces est insuffisant pour établir des considérations sur l'évolution du Gravettien sur ce site; un travail qui sera abordé quand l'extension de la fouille aura avancé. Les effectifs des niveaux XIV à XVI sont représentés par 2 088 restes lithiques parmi lesquels 1 162 correspondent à des fragments et 123 exemplaires sont retouchés. Malgré le faible nombre de pièces, il est possible de pressentir une évolution dans certains traits technologiques et typologiques, dont la caractérisation sera approfondie dans le futur (fig. 4). La matière première prédominante est le silex (98,7 %). Les supports microlaminaires sont plus abondants dans les niveaux les plus profonds et leurs longueurs se situent entre 20 et 30 mm, alors que les supports laminaires dépassent difficilement 45 mm, situant la grande majorité entre 20 et 35 mm. Les talons sont généralement lisses et punctiformes ou linéaires. Parmi les 24 nucléus, 15 sont informes, ne permettant pas de précisions excessives bien que nous observions une certaine diversification des types avec un équilibre entre les unipolaires et les bipolaires. Les nucléus sont préférentiellement choisis parmi les éclats au détriment des nodules. Avant de présenter le matériel retouché de Cendres, nous avons choisi d'exclure le niveau XIV, bien que nous croyons qu'il s'agisse d'un niveau du Gravettien final daté de 21 230 ± 180 BP, il n'est pas exclu d'envisager des contacts avec le niveau supérieur, marqué notamment par une pointe à face plane. Les fouilles en cours permettront de mieux définir ce niveau. L'ensemble du matériel des niveaux XV et XVI (subdivisé en A, B et C) offre des traits typologiques assez classiques par rapport au Gravettien d'autres régions d'Espagne et d'Europe : l'indice de burins (7,84 %) est supérieur à celui des grattoirs (2,94 %), les premiers présentent une certaine diversité typologique marquée notamment par la présence de burins plans et sur troncature; les pièces à dos sont abondantes (19,6 %) avec une concentration de gravettes, microgravettes et de “pointes type Cendres ”, ainsi que des pièces microlaminaires (26,47 %) comme des lamelles à dos simples et appointées. Au sein de ce matériel, nous pouvons noter deux traits qui individualisent les industries de Cendres. Le premier correspond aux pointes “type Cendres” et le second trait particulier provient des pièces esquillées, non mentionnées jusqu'ici dans d'autres séries de la région valencienne, qui forment une part importante (11,8 %) surtout dans le niveau XVIA. Une donnée que nous retrouvons uniquement dans les niveaux gravettiens de Reclau Viver (Serinyà, Girona) (Soler 1986). Au niveau technologique, il est intéressant de signaler l'existence dans les niveaux XV et XVI de l'utilisation de lames et lamelles à crête unilatérale pour la réalisation de gravettes et microgravettes. Pour cela, les supports sont légèrement retouchés, rejoignant le demi dos formé par la crête. Les retouches secondaires, parfois inverses, permettent de confirmer la volonté de ce procédé. Un autre fait contredit les données de la séquence de Malladetes (Fortea et Jordà 1976; Miralles 1982b; Fortea et al. 1983). En effet, à Cendres, l'outillage microlaminaire apparaît plus riche et diversifié dans les couches profondes, avec la présence de lamelles à dos très fines, déjà observées à la grotte Beneito (Iturbe et Cortell 1982 et 1992). Un autre apport des fouilles de ce gisement correspond à l'industrie osseuse et la parure. La première est peu variée typologiquement, avec une nette dominance des pointes doubles longues à base arrondie ou polygonale, fines et généralement en os. L'importance du nombre de pièces par rapport à la faible superficie fouillée, tend à relativiser l'hypothèse d'une augmentation de l'industrie osseuse au Solutréen. De plus, différents types de gastéropodes perforés et des dentales (dentalium) ainsi que deux canines de cerfs à perforation médiane complètent l'ensemble. La série de la grotte du Parpalló est très réduite et correspond à la première occupation du site. L'industrie, connue par les travaux de Fullola (1978) et Miralles (1982), se réduit à 86 pièces retouchées. Il s'agit d'une industrie lamino-lamellaire, où contrairement à Cendres, l'indice des grattoirs est élevé (55,81 %) par rapport aux burins (3,48 %), tous dièdres. Les pièces à dos, dont des gravettes, microgravettes, lames et lamelles à dos tiennent une place importante (25,58 %). Aucune pièce esquillée n'est mentionnée (fig. 5). Parmi l'industrie osseuse, il faut noter l'existence de pointes à base volumineuse et de certaines pointes de section circulaire. Tout ce matériel provient, selon Pericot (1942), de deux moments de forte concentration de restes situés autour de 8 et 7,25 - 7,75 m de profondeur. Le matériel gravettien de la grotte de Les Malladetes, qui provient de fouilles des années 1940, a permis de différencier, à partir de légères variations des indices microlaminaires et de pièces à dos, deux phases d'évolution (Fortea y Jordà 1976; Miralles 1982b; Fortea et al. 1983). Comme à Cendres et contrairement au Parpalló, Malladetes présente de riches niveaux gravettiens. Selon Miralles (1982a), le nombre de pièces retouchées (couches 46 à 49) est de 486 parmi lesquelles on trouve des gravettes, microgravettes, lames et lamelles à bord abattu en pourcentages importants (fig. 5). En divisant la puissance du remplissage en deux unités, nous pouvons observer que les couches inférieures (de 2,4 à 3,2 m) présentent un indice de pièces à dos de 14,17 % alors que dans les niveaux supérieurs (de 1,6 a 2,4 m), il est de 23,03 %. Les deux niveaux sont dominés par les grattoirs (35,07 % et 35,94 %) et les pièces à retouches continues (24,62 % et 22,12 %), quelques burins (7,08 % et 5,99 %) et des pièces tronquées (2,61 % et 0,46 %). Les pièces esquillées sont présentes dans des pourcentages inférieurs à ceux de Cendres (2,61 % et 2,30 %). Les gravettes et micro-gravettes suivent le chemin inverse et bien que les premières soient nombreuses dans les couches inférieures, les secondes dominent dans les couches supérieures. Cette donnée, comme ce que nous avons dit auparavant, est contraire à ce que l'on observe à Cendres ou à Beneito, où l'outillage microlaminaire est plus abondant dans les niveaux inférieurs de la séquence (Villaverde y Roman 2004; Iturbe y Cortell 1982 y 1994). L'unité inférieure a été datée (Secteur E, couche 12 (2,75-2,9 m)) à 25 120 ± 240 BP (Villaverde 2001); une date proche du sous-niveau XVIC de la grotte de Cendres. Les résultats obtenus par Fortea et Jordá (1976), pendant la campagne réalisée en 1971, confirment l'entité gravettienne et les traits basiques de l'évolution évoquée précédemment. Cela correspond au Gravettien des niveaux VIII-X de la Cata Este, au - dessus d'un niveau du Solutréen initial. Les matériaux gravettiens de la grotte Beneito présentent une meilleure précision stratigraphique que les deux précédents (Iturbe et al. 1994) et des informations abondantes concernant cette phase industrielle (niveaux B7a, B7b et, sans doute, B6). L'industrie est assez uniforme mais présente quelques variations : les grattoirs représentent un pourcentage supérieur aux burins, les pièces à retouches continues, à la différence du reste des gisements, comme les pièces esquillées sont peu nombreuses (fig. 5). Si l'on observe plus précisément les pièces à dos, nous pouvons voir une évolution considérable dans la valeur des pièces laminaires et lamellaires. Comme à Cendres, l'outillage microlaminaire est plus abondant et varié dans les niveaux inférieurs, avec la présence de lamelles à dos, très fines, normées, dans le niveau B7b et des lamelles à retouches inverses, signalées par ailleurs dans l'étude du gisement réalisée par Iturbe et Cortell (1982 et 1984). Fouillée dans les années 1950 et 1970, les matériaux de ce gisement posent certains problèmes stratigraphiques et des mélanges avec le matériel solutréen de certaines couches (principalement la 6) sont possibles (Fletcher 1953; Fullola 1978; Miralles 1982). Sans oublier ces circonstances et à partir des données de Miralles (1982), il est possible d'observer que parmi les pointes à dos des couches 7 à 9, ne sont présentes que des microgravettes (27,8 %); les pièces à retouches continues (27,8 %) sont abondantes, les burins tiennent une place modérée (12,83 %) et en général, les pièces à dos, laminaires ou microlaminaires (5,88 % et 2,13 %) sont peu représentées (fig. 5). La comparaison de ces données avec celles des niveaux XIV de Cendres et du niveau 6 de Beneito pourrait suggérer une chronologie avancée pour le Gravettien de ce site. Dans la partie sud de la façade méditerranéenne, les données sont plus limitées. Le Paléolithique supérieur initial dans ces zones littorales a été révisé par Cacho (1980 et 1982), qui s'est appuyée principalement sur les collections de L. Siret. Aux gisements cités dans cette oeuvre, parfois avec réserves (Fortea 1986), peut être ajoutée la grotte de Nerja (Nerja, Málaga, Jordá 1986; Aura et al. 1998), et l'ensemble de Bajondillo (Torremolinos, Málaga, Cortés et Simón 1995, 1998; Cortés 2002). Nous pourrions retenir également comme Gravettien, les matériaux de Zájara, à partir de la présence de quelques pièces à dos; ceux de Morote et les niveaux inférieurs de Serrón. En général, les collections de Murcia et d'Almería se caractérisent par la faiblesse numérique du matériel à partir duquel il n'est pas possible d'approfondir la caractérisation. La collection de Bajondillo est très réduite et correspond au niveau 10. Les pièces retouchées sont peu nombreuses, dominées par les burins, plus abondants que les grattoirs, des éléments à dos comme des gravettes et micro-gravettes et quelques pièces tronquées. Nous tenons à souligner la présence occasionnelle d'outils micro-laminaires. La grotte de Nerja offre, dans la Sala del Vestíbulo (niveaux 11 à 13), un ensemble de pièces caractérisées par la taille laminaire, avec des supports de bonne dimension sur lesquels sont réalisés des grattoirs sur bout de lame, des burins et des lamelles à dos parfois bipolaires, des pièces tronquées et une pointe à retouche simple mais également quelques pointes en os et de la parure. En général, les données disponibles pour le Gravettien méditerranéen sont réduites et les contextes stratigraphiques souvent mal définis. Ces limites, qui sont parfois le produit de l'ancienneté des fouilles ou de la faiblesse numérique des ensembles industriels, sont déterminantes au moment d'établir des conclusions. Les niveaux XV et XVI de Cendres proviennent d'un sondage pour lequel il faut donc rester prudent quant aux interprétations. Les ensembles d'une certaine importance sont le Reclau Viver et l'Arbreda en Catalogne, Parpalló, Malladetes, Beneito et Cendres en Pays valencien. L'origine du Gravettien méditerranéen ibérique constitue une question qui reste ouverte aujourd'hui. Les datations absolues de la zone septentrionale, peu nombreuses, se situent dans des contextes avancés et seules les zones centrales et méridionales présentent des dates anciennes. Par ailleurs, le nombre de sites avec des niveaux aurignaciens a augmenté ces dernières décennies mais le panorama est très orienté vers la zone septentrionale où les riches séquences de l'Arbreda et les données de Reclau Viver permettent de confirmer l'importance de cette phase dans la séquence du Paléolithique supérieur régional. Pour autant, entre les dates de l'Aurignacien initial et celles du début du Gravettien, se déroulent des millénaires. Il est seulement possible de se référer à des ensembles réduits, souvent pauvres en matériel ou de chronologie imprécise. L'antiquité des dates obtenues dans certains contextes méridionaux paraît avaliser l'hypothèse d'une extension rapide de l'Aurignacien pour tout le versant méditerranéen ibérique. Cependant, les séquences sont rares pour observer, à partir de l'Aurignacien initial ou ancien, des stratigraphies ou des étapes de son évolution. Il est possible que cette situation soit en partie le résultat d'un manque de prospections ou d'une caractérisation inadéquate de certains ensembles ramassés dans des sites de plein air; cependant, il s'agit d'un panorama différent de ce qui se produit avec le Gravettien. La zone catalane se distingue du fait que la sériation de l'Aurignacien offre une meilleure entité et continuité (Fullola et al. sous presse). Les séquences stratigraphiques présentant la succession Aurignacien et Gravettien sont peu nombreuses dans le Pays valencien et en Andalousie mais permettent de caractériser les industries qui ne présentent pas de discontinuité chronologique. Les exemples de Malladetes, Bajondillo et Ratlla del Bubo sont significatifs : les collections sont réduites ou la provenance des matériaux insatisfaisante. La date de l'Aurignacien de Malladetes, 29 690 ± 560 BP, s'éloigne du Gravettien daté de 25 120 ± 240 BP. Seul le site de Beneito offre une bonne succession entre l'Aurignacien évolué et le Gravettien, mais nous manquons de datations absolues pour cette série. Les mêmes occurrences sont visibles à la Ratlla del Bubo où le Gravettien est connu uniquement grâce à des collections privées. Tout cela réduit beaucoup les possibilités d'établir un rapprochement entre les deux phases. En Catalogne, les séquences de l'Arbreda et Reclau Viver permettent de mettre en valeur cette question. En tenant compte de son emplacement sur les mêmes sites de Serinyà, et l'utilisation des mêmes matières premières que les aurignaciens, on a l'impression dans cette région, que le Gravettien constitue une évolution naturelle de l'Aurignacien. Pour voir une solution de discontinuité dans la séquence du Paléolithique supérieur en Catalogne, il faudra attendre le Magdalénien avec l'abandon des gisements du Reclau de Serinyà, l'utilisation massive du silex pour toute l'industrie lithique et la grande importance accordée à l'industrie osseuse. On peut supposer que sur un substrat aurignacien évolué polymorphe et tardif, avec généralement beaucoup des burins de différents types, sans doute appuyé par des influences extérieures, a été formé le Gravettien qui peut contenir dans ces moments initiaux, un nombre important de burins. Si le Gravettien apparaît après l'Aurignacien tardif avec beaucoup de burins, on peut penser à un début du Gravettien où les burins ont une grande importance et sont plus abondants que les grattoirs, et, on peut alors, regrouper les gisements gravettiens sous cette caractéristique, comme par exemple Castell sa Sala. Par ailleurs, les traits permettant de définir les caractéristiques du Gravettien méditerranéen ibérique s'appuient sur le fait que les industries gravettiennes présentent une considérable uniformité dans tout l'ensemble méditerranéen péninsulaire, surtout dans les moments initiaux du Gravettien méditerranéen, entre 26 000 et 21 000 BP. Cette région reste différente de ce qui est actuellement établi dans les complexes gravettiens du nord de la péninsule, du sud-est de la France ou d'une partie de l'Italie. Avec le Gravettien, est documenté l'apparition de l'art dans les séquences du Parpalló et de Malladetes; il existe également des indices de quelques figures d'art pariétal andalou qui pourraient remonter à cette étape. L'uniformité qu'offre le Gravettien sur tout le versant méditerranéen, conséquence de l'inexistence de grandes transformations dans sa structure industrielle tout au long de la séquence, est cohérente avec l'idée que son origine réponde à une stimulation ponctuelle, préalable à l'expansion des industries gravettiennes à burins de Noailles, et que son expansion sur le versant méditerranéen péninsulaire a du se produire, de manière assez rapide, vers 27 000-26 000 BP. Comme nous l'avons déjà indiqué, mesurer le poids du substrat culturel autochtone, sur lequel se développe apparemment de manière rapide et homogène le Gravettien dans l'ensemble méditerranéen, présente une grande difficulté d'analyse. Il ne semble pas que les variations des indices de burins ou de l'outillage microlaminaire soient significatifs dans l'ambiance valencienne. Une explication séquentielle ne doit pas être considérée comme le résultat de la coexistence de traditions industrielles gravettiennes distinctes dans cette région. C'est pour cela que nous considérons que le polymorphisme typologique du Gravettien de cette zone peut s'expliquer en termes fonctionnels, comme le suggère la fluctuation observée des pièces esquillées. Dans cette explication interviennent, sans doute, des facteurs de spécialisation de la chasse et d'une haute mobilité territoriale, illustrée par la faune des niveaux gravettiens en Pays valencien, qui favorisent les ensembles industriels reflétant des activités de caractère stationnaire. De plus, la forte mobilité territoriale est cohérente avec l'existence d'un niveau démographique bas, propice d'autre part à l'existence de nombreux réseaux sociaux ouverts. Il s'agit d'une des conditions idoines pour modéliser l'expansion du Gravettien ou pour rendre compte des coïncidences stylistiques dans les systèmes de parure personnelle, comme on le voit dans les sépultures ou dans le style des représentations artistiques figuratives pariétales et mobilières de ces dates en péninsule ibérique (Zilhão 2003). Les niveaux XV et XVI de Cendres contribuent également à clarifier l'évolution du Gravettien de la zone centrale méditerranéenne. Jordá (1954 : 17), à partir des résultats de fouilles de Malladetes et du Parpalló, a signalé une tendance vers le microlithisme dans les niveaux supérieurs du Gravettien valencien, avec une meilleure présence des lamelles à dos, et surtout de microgravettes. Cette même tendance, sans préciser l'importance des lamelles à dos, sinon comprises comme microgravettes, fut réitérée des années après par Jordá et Fortea (1976 : 140) à partir de résultats obtenus dans la fouille de l'année 1970 à Malladetes. Pour autant, les données offertes par Beneito et Cendres contredisent cette idée concernant l'outillage microlaminaire. Avant la fouille de Cendres et de Beneito, le Gravettien régional était défini par un indice faible de burins par rapport aux grattoirs et un outillage dominé par les dos de petite taille (microgravettes, lamelles à dos simples et appointées), avec une faible part de pièces tronquées, à peine nuancée dans les moments plus avancés. Cendres présente un meilleur indice de burins de différents types, un faible indice de grattoirs et un pourcentage élevé de pièces esquillées. Les indices de pièces à dos n'offrent pas de variations comparables au Parpalló ou à Malladetes, comme l'importance relative de pièces à retouches continues sur les deux bords. Les troncatures sont peu abondantes même dans les moments plus récents. L'outillage microlaminaire de Cendres et de Beneito est plus important dans la partie inférieure de la séquence (q.1). Certaines circonstances atténuent les différences avec les ensembles gravettiens du Nord et Sud de la péninsule et contribuent à augmenter la sensation que nous sommes avant l'étape d'uniformisation sur tout le versant méditerranéen ibérique. L'industrie osseuse de Cendres présente une certaine singularité par la typologie de ses pièces où dominent les pointes doubles longues sur supports osseux, sinon par l'unité atteinte à certains moments. Il n'existe pas d'autres références de cette unité dans d'autres gisements, mais Cendres confirme qu'il ne faut pas attendre le Solutréen pour considérer que l'os constitue une matière première importante. En ce qui concerne la chronologie, les datations disponibles pour le Gravettien du versant méditerranéen sont récentes pour la zone catalane, proches des étapes finales du Gravettien régional, et ambiguës pour la zone andalouse, comme celles obtenues à Nerja. Dans ce gisement, la publication d'une nouvelle date (Arribas et al. 2004), de 24 480 ± 110 BP, confirme l'antiquité du début de la séquence gravettienne de la zone méridionale qui se situe dans un espace chronologique très proche de celui qui correspond au sous-niveau XVIA de Cendres. La date du sous-niveau XVIC de Cendres contribue également à préciser l'ancienneté du Gravettien dans la zone centrale de la région méditerranéenne péninsulaire au moins jusqu' à environ 26 000 BP. Cette datation, associée aux deux autres obtenues dans le sous-niveau XVIA de Cendres, couche 12 du secteur E de Malladetes (campagne de 1948) et celle obtenue dans les niveaux d'Arenal de Fonseca (Utrilla et Domingo 2001-2002), permettent de préciser les dates des phases les plus anciennes du Gravettien régional (fig.6). L'ensemble de dates de Cendres, Malladetes y d'Arenal de Fonseca, renvoient à l'intervalle de 24 000 - 26 000 BP pour une étape caractérisée par l'abondance des pièces à dos et une composition industrielle cohérente par rapport au Gravettien indifférencié français (Bosselin et Djindjian, 1994) ou au Gravettien ancien (Djindjian 2000), dont les datations peuvent se situer à partir des dates obtenues à Pataud et au Flageolet I entre 26 000 et 27 000 BP. Ces résultats sont cohérents avec l'expansion de ces faciès industriels dans des dates antérieures aux industries à Noailles (Otte 2003). Cela est suggéré par les datations des niveaux inférieurs du Gravettien de Paglicci (Palma di Cesnola 2001), de La Cala (Boscato et al. 1997), de Broion (Broglio et Impronta 1994-95), ou celles du Gravettien des Pyrénées centrales françaises (Foucher et al. 2001). Finalement, cela reste pour le moment situé entre l'horizon des dates de l'Arbreda, du Roc de la Melca et de la Griera, proches du niveau XIV de Cendres, et du Solutréen inférieur de Malladetes ou du Parpalló, c'est-à-dire, dans une limite temporelle qui ne semble pas dépasser 21 000 - 20 500 BP. Etablir le degré de relation entre ce Gravettien final méditerranéen ibérique et le Solutréen demeure problématique, surtout pour les ensembles solutréens inférieurs. Intervient probablement l'appauvrissement que représente l'occupation finale du Gravettien de Malladetes (Fortea y Jordá 1976), visible dans le niveau VII de Cata Este ou la présence de ruptures stratigraphiques comme à Cendres, Nerja ou Bajondillo. Une circonstance qui peut, selon nous, s'étendre à Beneito et au Reclau Viver, et pourrait expliquer la rareté des datations gravettiennes entre 21 000 - 24 000 BP. A Cendres, indépendamment de l'exacte attribution industrielle du niveau XIV, il existe une rupture sédimentaire associée à une industrie du Solutréen évolué entre ce niveau et le XIII. Nerja offre, dans la séquence de la Sala del Vestíbulo, une situation très proche. Entre les niveaux 11 à 13, en relation avec le Gravettien et l'ensemble des niveaux 8 à 10 attribués au Solutréen moyen et supérieur, est enregistré un processus érosif (Aura et al. 1998). La séquence de Bajondillo se caractérise aussi par un passage, du Gravettien (niveau 10) à un Solutréen moyen (niveau 9), marqué par des problèmes d'attributions industrielles stratigraphiques (Cortés 2002). En ce qui concerne Beneito (Iturbe et al. 1994), nous sommes enclins à interpréter l'attribution du niveau 6 au Gravettien final, expliquant la présence de quelques pièces à retouches solutréennes comme le résultat de mélanges avec l'unité supérieure, en relation avec le Solutréen évolué (Villaverde et al. 1998). Une lecture assez semblable pourrait faire de l'industrie assignée par Soler (1994) au Proto-solutréen du Reclau Viver, le niveau E, qui se caractérise par la présence de pièces bifaciales. Finalement, le premier niveau solutréen de l'Arbreda offre des problèmes de définition similaires, sachant que parmi les pièces solutréennes, on observe la présence d'une pointe à cran à retouches solutréennes (Soler et Maroto 1987 : 223) qui invalide la possibilité d'une antériorité du niveau E aux étapes initiales du Solutréen. Le panorama que nous achevons de décrire coïncide pour autant avec l'idée que les phénomènes érosifs permettent d'expliquer, au moins en partie, les difficultés pour localiser les industries des premières étapes du Solutréen et aussi du Gravettien final .
Même si les données disponibles pour le Gravettien méditerranéen ibérique sont réduites et dans des contextes stratigraphiques mal définis, nous présentons dans ce travail les révisions de quelques sites majeurs (Reclau Viver, l'Arbreda, Parpalló, Malladetes, Beneito et Cendres ainsi que de quelques autres gisements. La vision globale du Gravettien méditerranéen ibérique nous montre, dans la période ancienne, une faible présence mais une industrie lithique et osseuse très classique est observée dans les phases moyenne et finale de la période.
archeologie_09-0052799_tei_235.xml
termith-59-archeologie
C'est vers le début des années 1960 qu'ont été développées les premières interprétations culturelles des industries du Gravettien moyen. Après ses fouilles à l'abri du Facteur et à La Rochette, Henri Delporte proposait l'hypothèse de l'existence d'un faciès périgordien (Périgordien Vc) présentant au moins trois systèmes différents (Delporte 1961 - p. 47). le premier comptait de nombreux burins de Noailles et de nombreuses pointes et lames à dos abattu, des gravettes en particulier (exemple : abri Labattut couche supérieure); le deuxième présentait de nombreux burins de Noailles mais sans ou très peu de pointes et de lames à dos abattu (exemple : abri du Facteur, niveau 10-11); enfin, le dernier ne contenait que relativement peu de burins de Noailles et guère plus de pointes et lames à bord abattu (exemple : Bassaler-Nord et La Rochette). Henri Delporte ne concluait pas quant à la signification de ces trois systèmes mais envisageait alors plusieurs possibilités. Les variations observées entre ces trois systèmes pouvaient selon lui correspondre soit à des variations liées au « hasard de la fouille », soit à des variations chronologiques soit à des variations fonctionnelles (ibid.) A cette époque, Henri Delporte n'intégrait pas dans son schéma les burins du Raysse encore pratiquement inconnus. En effet, ces burins furent identifiés quasi-conjointement par plusieurs auteurs dans le courrant des années 1960 (Pradel 1953, 1966; Couchard et Sonnevilles-Bordes 1960). Ils ont parfois aussi été appelés « burins de Bassaler » mais pour éviter les ambiguïtés, la dénomination « du Raysse » fut définitivement adoptée peu de temps après (Sonnevilles-Bordes 1965). Après leurs fouilles à l'Abri Pataud Hallam Movius et Nicholas David proposèrent d'individualiser le Périgordien Vc du reste de la lignée périgordienne. Sur la base de l'étude des attributs typologiques des industries de la couche 4 de Pataud, ils conclurent que le Périgordien Vc constituait un faciès typologiquement et culturellement distinct du reste du Périgordien (David 1995 In Bricker (dir.) 1995 - p. 130). Cette entité se distinguait alors par le remplacement progressif d'un fossile directeur par un autre : le burin de Noailles dominant à la base de la couche et le burin du Raysse dominant dans la partie supérieure de la couche (les proportions des deux types étant à peu près équivalentes dans la partie médiane). Selon eux, ce faciès avait vraisemblablement une origine provençale (ou méridionale) et ils proposèrent naturellement de le nommer « Noaillien », affirmant donc leur théorie de « l'indépendance de la tradition noaillienne ». Cependant, Movius et David ne soulevèrent jamais réellement la question de la « filiation » entre les subdivisions à burins de Noailles et à burins du Raysse, celle -ci semblant découler naturellement de la succession stratigraphique. David apportait également de nouvelles informations issues d'un examen quasi systématique des séries « noailliennes » connues en France et en Europe. Il prenait ainsi en compte nombre de données inédites, non-exploitées par les chercheurs français, ces derniers s'appuyant exclusivement sur les séquences du Périgord. Il fut le seul à proposer un début d'explication quant aux séries d'Arcy-sur-Cure : celle d'une différenciation intervenant suite à la « scission » d'un groupe du Noaillien supérieur du Sud-Ouest qui serait remonté plus au nord (David 1985 - p. 314). Mais confronté à cette série encore quasiment inédite, il conservait une certaine prudence. Dans le même temps, Jean-Philippe Rigaud reprenait l'hypothèse d'Henri Delporte, en s'appuyant notamment sur ses fouilles au Flageolet I ainsi que sur d'autres séries issues de gisements de Dordogne (Laville et Rigaud 1973; Rigaud 1982). Il proposa alors un modèle tripolaire incluant désormais les burins du Raysse (Laville et Rigaud 1973 p. 334; Rigaud 1982, 1988). Ainsi, les industries du Périgordien Vc se présentaient sous la forme d'un mélange de trois composantes (Noailles, Raysse, gravette-microgravette) avec une nette prédominance d'une ou deux d'entre elles sur l'autre ou les autres.J.-Ph. Rigaud observait donc un premier groupe rassemblant des industries très riches en burins de Noailles et pauvres en burins plans du type Bassaler ou Raysse et en pointes de La Gravette (le Roc de Gavaudun et l'abri du Facteur niveau 10-11). Le deuxième comptait des industries à nombreuses pointes et micropointes de La Gravette mais pauvres en burins de Noailles et burins du Raysse, (couches VI et VII du Flageolet I et les couches 1, 2 et 3 du Roc-de-Combe). Enfin, entraient dans le dernier groupe des industries à nombreux burins du Raysse mais, pauvres en burins de Noailles et en pointes de La Gravette, (couches 2 et 3 des Jambes et les couches IV et V du Flageolet I.) (Rigaud 1982 - p. 111). Pour cet auteur, ces industries présentaient toutes une « constante périgordienne » à travers « les pointes et micro-pointes de La Gravette (…) toujours présentes et parfois même plus nombreuses que les burins de Noailles » (ibid.). Il rejetait donc le concept de « Noaillien » qui tendait « à isoler culturellement les industries à burins de Noailles de l'ensemble périgordien » (ibid.). Il proposait alors une vision fonctionnelle de ces assemblages, les fluctuations des burins et pointes de chasse pouvant être interprétées comme « le résultat d'activités différentes ayant entraîné la prolifération de certains types d'outils. » (ibid. p. 112). Cependant, en s'appuyant sur les différences qualitatives des assemblages considérés (mais aussi sur les critères « stylistiques » du Noaillien et sur la pérennité de l'occupation observée à Pataud) Nicholas David rejetait cette hypothèse fonctionnelle (David 1995 In Bricker (dir.) 1995 - p. 130). Dans le dernier épisode, François Djindjian et Bruno Bosselin proposèrent de distinguer le « Rayssien » du « Noaillien » (Bosselin et Djindjian 1994). Ils ne remirent pas en question l'évolution interne de la couche 4 de Pataud, interprétant alors le remplacement d'un type par l'autre comme résultat d'une même finalité : la production en série de micro-lamelles (ibid. p. 87). François Djindjian avança plus récemment une autre hypothèse : celle d'une co-existence des groupes noailliens au sud et des groupes rayssiens plus au nord (Djindjian et al. 1999 - p. 185). Le site de la Picardie (Indre-et-Loire, France), fouillé dans les années 1990 par Thierry Aubry et Bertrand Walter et actuellement en cours de fouille sous notre direction, a permis d'apporter de nouveaux éléments de réflexion sur l'interprétation culturelle de la phase à « burins du Raysse » (Klaric 2003). Le gisement se trouve sur la commune de Preuilly-sur-Claise à une soixantaine de kilomètres au nord-est de Poitiers et à une dizaine de kilomètres au Sud-Est du Grand-Pressigny. Il est localisé topographiquement au bord d'un plateau encadré par deux affluents temporaires de la rive gauche de la Claise (fig. 1). Le site culmine à près de 135 m. d'altitude et domine une partie de la vallée. Des affleurements de silex du Turonien supérieur existent à proximité, en contrebas du gisement (fig. 1). Ces gîtes de silex offrent une matière première de bonne qualité (sous forme de grandes dalles ou de nodules) qui a été intensément exploitée par les populations préhistoriques. Jusqu' à présent, le site n'a pas livré de macro-reste organique. Seuls des vestiges de structures de combustion associés à des densités exceptionnelles de silex taillés (jusqu' à 18 kg pour un quart de mètre carré) ont été mis au jour. Le caractère inédit et les caractéristiques typo-technologiques exceptionnelles de l'industrie ont motivé la poursuite des opérations de terrain. De 1998 à 2008, le site a fait l'objet de différentes opérations (sondages et fouilles programmées) et est toujours en cours d'étude. Les concentrations de matériel appartiennent à un seul niveau, peu profond et sont légèrement sous-jacentes à un niveau de blocs siliceux qui pourrait résulter d'un apport naturel (étude en cours). Des tamisages systématiques ont été réalisés afin de récolter la totalité des esquilles dans les principales zones de concentrations fouillées depuis 2003. Sans élément permettant une datation absolue (pas d'os ou de charbon), c'est donc la composition typologique de l'assemblage qui a permis de déterminer l'attribution chrono-culturelle de la série. Il existe de très fortes analogies entre les abondants burins du Raysse de La Picardie n = 66 et ceux identifiés dans la couche V de la grotte du Renne à Arcy-sur-Cure (Leroi-Gourhan Arl. et A. 1964; Schmider 1996) ou dans la partie supérieure de la couche 4 de l'Abri Pataud (Movius et David 1970; Bricker 1995) (fig. 2 – nº 1 à 4). De rares exemplaires de « burins pointe » sont également présents à La Picardie (fig. 2 – nº 5), tout comme à l'Abri Pataud où ils ont été décrits par H. Movius (Movius et David 1970 - p. 447). Plusieurs détails distinguent l'assemblage de La Picardie des autres séries connues à burins du Raysse. Tout d'abord, la partie supérieure de la couche IV de Pataud compte au moins quelques burins de Noailles alors qu'aucun n'a été identifié à La Picardie. Si les « burins » du Raysse permettent l'attribution de la série au Gravettien moyen, il faut par ailleurs remarquer l'absence totale des pièces à dos abrupt ou semi-abrupt telles que les pointes de La Gravette, les microgravettes ou les lamelles à dos. Cette particularité revêt une importance primordiale puisqu'elle était jusqu'ici inédite. L'intérêt principal de la découverte de ce gisement réside dans la reconnaissance d'une catégorie particulière d'armatures sur supports lamellaires, décelée par un examen minutieux de l'ensemble du matériel issu des tamisages (fig. 3) (Klaric et al. 2001, 2002). Il s'agit de petites lamelles naturellement pointues portant une retouche marginale directe systématiquement latéralisée sur le bord droit. Cette retouche modifie à peine la largeur initiale du support et a pu être obtenue par un simple égrisage. Il faut également noter que la section de ces lamelles est très fréquemment dissymétrique : le pan droit (le plus abrupt, celui qui porte la retouche) étant opposé au bord gauche effilé et tranchant. Grâce à une étude technologique approfondie (Klaric et al. 2002; Klaric 2003), nous avons pu démontrer que ces armatures, baptisées « lamelles de La Picardie », ont été conçues sur des lamelles provenant exclusivement des « burins du Raysse » (fig. 4). Cette découverte a été renforcée par d'autres études mettant en évidence que les burins du Raysse issus d'autres gisements sont également des nucléus à lamelles (Le Mignot 2000; Lucas 2000, 2002; Pottier 2005). Enfin, la découverte de plusieurs armatures identiques sur certains de ces gisements (Solvieux, Le Flageolet I, l'Abri Pataud et la Grotte du Renne) a permis de confirmer le caractère récurrent de ce type de production (fig. 5). La rigidité du procédé d'exécution de ce débitage constitue un élément de diagnose culturel particulièrement fort pour la phase à burins du Raysse (Klaric 2003). En effet, le système formé par la méthode de débitage (« méthode du Raysse ») et les armatures à retouches marginales est pour l'instant inconnu dans d'autres phases du Gravettien français. Autre découverte importante mise en évidence par l'étude technologique : le schéma opératoire laminaire présente des analogies techniques particulièrement marquantes avec le schéma lamellaire sur burin. Sans entrer dans le détail, nous insisterons ici sur les points essentiels. Pour l'un comme pour l'autre des schémas, le principe de débitage mis en œuvre est très majoritairement unipolaire. Ensuite, le positionnement des différentes surfaces du nucléus et la progression du débitage obéissent aux mêmes règles : l'initialisation se fait sur le petit côté du volume puis le débitage envahit systématiquement le flanc droit de manière semi-tournante (fig. 6). Dans les deux cas, la jonction flanc gauche/table revêt une importance particulière car c'est elle qui offre les possibilités de recintrage (fig. 6). Il est également un autre détail particulièrement significatif : l'emploi d'un type particulier de préparation (le « facettage latéralisé oblique ») appuyé par un surcreusement latéral du plan de frappe pour la préparation de certains talons de lames est identique aux préparations par facettage et surcreusements mis en évidence pour les nucléus du Raysse (fig. 6). Ces analogies entre schémas laminaire et lamellaire renforcent le caractère rigide du système technique lithique mis en évidence à La Picardie. Fort des observations précédentes, nous nous sommes consacré à l'étude de la série lithique de la couche V de la Grotte du Renne, à Arcy-sur-Cure (fig. 5). Ce site constitue un point de comparaison privilégié, surtout depuis la découverte de silex du Turonien supérieur dans la couche V (Klaric 2003; Primault 2003). La présence des lamelles de La Picardie, des nucléus du Raysse et de certains vestiges du débitage laminaire analogues à ceux de La Picardie (lames avec talon à « facettage latéralisé oblique ») ont conduit à proposer que plusieurs détails techniques puissent avoir un véritable rôle de marqueur culturel. Cependant, ne connaissant aucune pièce à dos abrupt à La Picardie, la présence de quelques-uns de ces artefacts à la grotte du Renne pose problème. Récemment, certaines études ont bien montré que dans des contextes de grottes ou abris, des phénomènes taphonomiques complexes peuvent aboutir à des assemblages mélangés associant des artefacts provenant de différents niveaux culturels (voir entre autres Bordes 2000, 2002). Or, Jacques Tixier remarquait que « l'évolution des systèmes techniques appartenant à une même civilisation et la succession chronologique des différentes civilisations ne peuvent être démontrées que dans un cadre stratigraphique inattaquable » (Tixier 1965 - p. 772). Aussi, avant de valider l'association des pointes à dos abrupt avec le reste de l'assemblage, une évaluation taphonomique de la séquence gravettienne (couche IV et V) a été entreprise. Cette analyse, incluant une réévaluation bibliographique des données de fouilles et des tentatives systématiques de raccords de fragments de lames (intra et intercouches) a permis de montrer que les dépôts archéologiques ont été affectés par différents phénomènes : ruissellements, solifluxion, passage des animaux, etc. (Klaric 2003 - Chapitre II). De ces résultats, nous avons conclu que l'association des pièces à dos abrupt avec le reste de l'assemblage ne pouvait être acceptée sans un doute raisonnable. Par conséquent, la validité de l'association des burins du Raysse et des armatures à dos (gravette, microgravette, lamelle à dos) n'est pas clairement démontrée à la Grotte du Renne. Un inventaire bibliographique de toutes les séries du Gravettien moyen à burins du Raysse montre que d'autres sites révèlent pourtant une association de ces « burins » avec des pointes de La Gravette (Klaric 2003, Chapitre III). Globalement, il s'avère que 52 sites présentent des assemblages comprenant au moins un burin du Raysse. Cependant, après vérification des références, seulement 22 gisements peuvent vraiment être considérés comme « rayssiens », les autres montrant une identification des burins du Raysse trop incertaine voire même erronée. La répartition géographique de ces gisements apparaît bien délimitée : en gros, du nord de l'Aquitaine au sud du Bassin parisien (fig. 7). Grâce à une révision critique des données de ces sites, nous avons pu montrer que la plupart d'entre eux ne présentent pas les conditions d'intégrité contextuelle requises pour participer à notre réflexion (fouilles partielles et/ou très anciennes, indices de mélanges évidents, etc.). Sur les 22 sites examinés, seulement 8 ont été retenus pour étudier la question de la succession des phases noaillienne et rayssienne (la Grotte du Renne ayant été exclue de la discussion puisque nous avons traité sont cas précédemment). Ces sites sont : La Picardie, l'Abri Pataud, Le Flageolet, Solvieux, Plasenn'al Lomm, Les Artigaux, Bassaler-Nord et La Rochette. Ils peuvent-être classés en trois catégories : les sites avec une séquence qui montre le « remplacement progressif » des burins de Noailles par les burins du Raysse ainsi qu'une diminution progressive de la quantité de pièces à dos abrupt de bas en haut de la stratigraphie (Pataud et le Flageolet I); les sites dont les assemblages contiennent les trois types mais où les burins du Raysse sont très nombreux par rapport aux faibles quantités de burins de Noailles et de pièces à dos (Solvieux, Les Jambes, La Rochette et Bassaler-Nord); les sites qui présentent uniquement des burins du Raysse et ne comptent aucun burin de Noailles ni aucune pièce à dos abrupt classiquement gravettienne (il s'agit uniquement de site de plein air : La Picardie, Les Artigaux, Plasenn'al Lomm). Si certains de ces sites présentent effectivement une association Raysse/Noailles/Gravette, ils doivent toutefois être considérés avec prudence, surtout en regard de l'exemple de la Grotte du Renne. En effet, ces gisements n'ont pas fait l'objet d'une évaluation taphonomique par la méthode des remontages, sauf la couche 4 de l'Abri Pataud (Pottier 2005; Klaric 2007). Ainsi, si les associations « d'outils caractéristiques » observées dans ces séries peuvent être acceptées temporairement, les recherches futures devront démontrer indubitablement leur validité. Avant de conduire la discussion générale, il apparaît nécessaire de replacer la phase rayssienne dans son contexte en examinant les systèmes techniques qui l'encadrent chronologiquement. Pour ce faire, nous avons étudié une industrie appartenant au Noaillien stricto sensu et trois autres, plus récentes, rapportées au Gravettien récent. La méthode de débitage des lamelles supports d'armatures et les armatures elles -mêmes ayant révélé l'originalité du Rayssien, il nous a semblé judicieux de concentrer notre étude sur ces mêmes questions pour ces séries de comparaison. L'étude de la série noaillienne de Brassempouy (environ 22 000 pièces dont 1 284 outils) a permis de mettre en évidence des différences fondamentales avec le système technique décrit à La Picardie. Les armatures de Brassempouy (n = 205) sont très majoritairement des pièces à dos abrupt typiquement gravettiennes : gravettes, microgravettes, lamelles à dos et lamelles à dos tronquées principalement (fig. 8 – nº 1 à 6). Si quelques lamelles à retouches marginales sont bien présentes (fig. 8 – nº 7 - 8), aucune n'est comparable aux lamelles de la Picardie; d'ailleurs, aucun burin du Raysse stricto sensu n'a été identifié dans la série. Les différences se prolongent au-delà des types d'armatures puisque leur technique de fabrication (impliquant l'abattage d'un dos) et le schéma d'obtention de leurs supports (schéma laminaire) diffèrent eux aussi de ce qui a été caractérisé à la Picardie. En effet, l'étude a mis en évidence que la plupart des armatures de Brassempouy ont dû être confectionnées sur des supports laminaires réguliers et rectilignes, de gabarits variables, provenant d'un schéma opératoire majoritairement unipolaire (rarement bipolaire) (fig. 8 – n° 10 - 11) et débité à la percussion tendre organique (fig. 8 – n° 11). Les divergences entre cette série noaillienne et celle de La Picardie s'étendent à l'ensemble des grands principes de production laminaire et mettent en évidence le « fossé » qui sépare les deux industries (fig. 10). Pour la phase du Gravettien récent, trois séries différentes ont été étudiées. Les résultats permettent de mettre en évidence, là encore, de nombreuses divergences avec l'assemblage rayssien de la Picardie. Tout d'abord, au Gravettien récent, les armatures sont exclusivement des pièces à dos abrupt (fig. 9 – n° 1 à 7) fabriquées sur des supports pouvant provenir de différents schémas opératoires : débitage laminaire bipolaire (fig. 9 – n° 8), débitage lamellaire intercalé (fig. 9 – n° 9), débitage de lamelle sur « burins » (fig. 9 – n° 10). Comme au Noaillien, la technique de fabrication de ces armatures a impliqué une forte réduction de leur largeur initiale. La variabilité apparente des méthodes d'obtention des microlithes au Gravettien récent contraste assez fortement avec la rigidité et l'unicité de la méthode du Raysse. Précisons par ailleurs qu'aucune armature évoquant les lamelles de La Picardie n'a été détectée et que les burins nucléus identifiés ne correspondent pas à la « méthode du Raysse ». Enfin, les modalités de débitage laminaire diffèrent sensiblement de ce qui a été caractérisé à la Picardie (fig. 9 - 10). En effet, au Cirque de la Patrie où le débitage laminaire est représenté par plusieurs milliers de vestiges, il s'agit essentiellement d'un débitage bipolaire. Les tables laminaires sont étroites et les plans de frappe (très inclinés) sont fréquemment légèrement décalés pour favoriser l'entretien du cintre (fig. 9 – nº 8). Ce type de débitage, majoritairement réalisé à la pierre tendre (fig. 9 – nº 11), vise à l'obtention de lames rectilignes de tailles variables dont une partie au moins a été dévolue à la confection des armatures (gravette et lamelles à dos). Au final, on se rend compte que le système technique rayssien de La Picardie n'a guère de point commun avec ce qui a été évoqué pour le Gravettien récent (fig. 10). Nous avons complété cette étude par un panorama des dates radiocarbones disponibles en France. Vingt-deux dates ont été recensées pour la phase noaillienne, quinze pour la phase rayssienne et dix-sept pour le Gravettien récent (tabl. 1 – 2). Du fait de divers problèmes, dix dates ont été écartées après une réévaluation critique (tabl. 2). Avec les autres, nous avons choisi de construire des diagrammes cumulatifs pour chacune des phases (fig. 11) comme l'a fait Jacques Evin pour des périodes plus récentes (Evin 1987). À partir de ces diagrammes, trois points doivent être soulignés : - les dates entre 22 000 et 20 000 BP peuvent être considérées comme trop récentes, que ce soit pour la phase noaillienne ou la phase rayssienne; - si les stratigraphies de l'Abri Pataud et du Flageolet I montrent une succession claire entre Noaillien et Rayssien, cela n'est pas aussi évident pour les datations puisque les intervalles représentés se superposent en partie. Les datations du Rayssien entre 24 et 22 000 BP semblent aussi être très (trop ?) jeunes en comparaison des datations parfois relativement anciennes du Gravettien récent. Ce détail pointe d'ailleurs un autre problème : comment interpréter le hiatus de dates pour le Rayssien autour de 24 000 BP ? - le Gravettien récent semble couvrir un assez long intervalle de temps (environ 25 à 21 000 BP) recouvrant à la fois les intervalles du Noaillien et du Rayssien. Que signifie un tel état de fait ? Pourrait-il indiquer une co-existence partielle de plusieurs groupes gravettiens de traditions distinctes ? Peut-être, mais il parait risqué d'étayer une telle hypothèse sur un ensemble limité de datations aussi disparates. La principale hypothèse que nous souhaitons proposer est celle de la co-existence possible des seuls groupes rayssiens et noailliens. Cela a pu être possible du fait de la longue occupation noaillienne dans les zones pyrénéenne et méditerranéenne. Ce bref aperçu des dates disponibles montre que, pour l'instant, il est impossible de résoudre le problème de l'interprétation chronologique du Gravettien moyen sur cette seule base. Trop peu de dates sont disponibles pour étayer la discussion ou proposer une hypothèse valable (spécialement pour la phase rayssienne). Par ailleurs, ces datations sont de valeurs très inégales selon qu'elles ont été faites récemment ou non, prélevées dans telles ou telles conditions, effectuées dans tel ou tel laboratoire, avec telles ou telles techniques (standard, AMS, avec traitement, etc.). Néanmoins, en observant les dates classées par site (fig. 12), on peut se rendre compte que les problèmes de cohérence pourraient être liés aux sites eux -mêmes ou encore à la variabilité des dates d'un laboratoire par rapport à un autre. Ceci pourrait expliquer le problème des dates du Noaillien de l'abri du Facteur et de La Ferrassie (fig. 12) qui apparaissent bien plus récentes que celles du Noaillien de Pataud. Ces dernières semblent, a contrario, bien cohérentes et en continuité avec les dates du Rayssien plus récentes. Comment interpréter une telle situation ? Nous préférons ne pas nous y risquer pour l'instant. Il s'agit surtout de souligner le danger qui existe lorsqu'on compare sur le même plan ces mesures radiocarbones comme ont pu le faire certains auteurs (fig. 13) (Bosselin et Djindjian 1994). Tout d'abord, l'hypothèse que la phase à « burins de Noailles » et celle « à nucléus du Raysse » puissent simplement être « le résultat d'activités différentes ayant entraîné la prolifération de certains types d'outils » ne nous parait guère crédible. En effet, si ces industries reflètent effectivement différentes activités plus ou moins contemporaines, les assemblages noailliens et rayssiens devraient présenter des systèmes techniques quasiment identiques or ce n'est pas le cas pour les exemples étudiés. Il est un autre argument qui contrarie l'hypothèse de la complémentarité fonctionnelle : les séquences stratigraphiques de Pataud et du Flageolet I montrent bien que les nucléus du Raysse apparaissent après les burins de Noailles et il parait donc raisonnable de penser qu'il s'agit avant tout d'un phénomène chronologique et non d'une simple variante fonctionnelle. Malgré les réserves émises précédemment, cette idée pourrait se trouver appuyée par les mesures radiocarbones qui suggèrent une émergence des industries à burins de Noailles antérieure à celle des industries à nucléus du Raysse. Enfin, un dernier argument peut-être invoqué contre cette hypothèse : l'absence d'industrie à Noailles au nord de la Loire. En effet, si ces outils signaient un type d'activité spécifique, on pourrait s'attendre à les rencontrer (même dans de faibles quantités) dans cette région où se retrouvent les autres témoins des activités (nucléus du Raysse)…or il semble que ce ne soit pas le cas. La deuxième hypothèse envisagée, la filiation entre Noaillien et Rayssien est probablement la plus consensuelle à l'heure actuelle. Elle ne repose toutefois que sur des arguments typologiques et stratigraphiques issus du seul gisement de l'Abri Pataud. Or, nous avons vu que la prudence s'impose lors de l'étude d'assemblages issus de grottes ou d'abris. Qui plus est, les données typo-technologiques provenant de La Picardie et de Brassempouy permettent de mettre en évidence les différences profondes qui existent entre ces deux systèmes techniques. Pour envisager une filiation entre eux, il faudrait admettre des changements radicaux affectant une grande partie du système technique (morphologies des armatures, schéma de production laminaire et lamellaire, utilisation de techniques de retouche ou de préparation différentes, etc.). Si l'on conserve, en dépit de ces changements profonds, l'hypothèse de la filiation Noaillien/Rayssien, on pourrait proposer le scénario suivant : dans le nord de l'Aquitaine, le Noaillien (par ailleurs largement répandu sur une vaste zone géographique méridionale englobant quasiment tout le sud de la France) aurait connu une évolution particulière. La population locale aurait adopté un nouveau système technique marqué par le nucléus du Raysse et donc radicalement différent de celui utilisé jusque -là. Suite à cette transformation, les groupes rayssiens de la moitié nord de l'Aquitaine auraient alors fréquenté la partie du Sud du Bassin parisien occupant ainsi un territoire plus septentrional que leurs “cousins” noailliens cantonnés dans le sud de l'Aquitaine, les Pyrénées et sur les côtes de la Méditerranée (fig. 14). Ces derniers auraient conservé un système technique marqué par le burin de Noailles et poursuivi leur évolution parallèlement à la nouvelle tradition rayssienne émergente. Cette séduisante hypothèse devrait pouvoir être démontrée à partir de gisements comme l'Abri Pataud ou Le Flageolet I. En effet, ces sites sont les seuls à posséder une séquence permettant d'étudier exactement la transition entre les deux phases. Si dans ces séries, le Noaillien et le Rayssien montrent des liens de parenté typo-technologique plus étroits que là où nous les avons étudiés, l'hypothèse de la filiation s'en trouverait renforcée. Cependant, l'étude de cette transition nécessite que l'on s'assure de l'autonomie et de la pureté des séries lithiques. Pour comparer sur une même échelle les séquences de référence, il apparaît donc nécessaire qu'elles fassent toutes l'objet du même type d'évaluation taphonomique. Un récent travail de doctorat sur la couche 4 de l'Abri Pataud soutient une telle hypothèse (Pottier 2005), les données technologiques exposées montrent une relative continuité entre les méthodes de débitage laminaire identifiées dans les parties inférieure et supérieure de la couche (mais ce travail souligne aussi quelques différences notables du point de vue des schémas lamellaires). Nous attendons néanmoins que soient exposés plus longuement les résultats quantitatifs de l'étude taphonomique brièvement présentés dans ce travail. En effet, si les profils proposés plaident en faveur d'une cohérence du déroulement de la fouille, ils ne démontrent pas l'absence de perturbation ni de mouvements verticaux. Surtout lorsque l'on se rend compte du hiatus d'occupation entre les différents niveaux et du chevauchement partiel des zones occupées dans l'abri. Une analyse plus resserrée de la répartition spatiale des burins de Noailles, du Raysse et des armatures autoriserait aussi une approche plus fine de la stratigraphie. Par ailleurs, les arguments invoqués pour certifier l'intégrité et l'homogénéité du niveau (rapprochements de matières premières, tentatives de raccord sur un seul type de silex) ne nous paraissent pas suffisants (Klaric 2007). Bien que le corpus concerné soit énorme, seule la recherche systématique de remontages et raccords de lames permettra d'établir indubitablement l'intégrité et l'homogénéité des différentes subdivisions de la couche 4. Malgré ces quelques réserves, ces résultats tendent à accréditer l'hypothèse d'une continuité évolutive entre Noaillien et Rayssien. Ils soulèvent également d'autres questions : notamment celles de la variabilité/stabilité des traditions techniques noaillienne et rayssienne. Finalement, une troisième et dernière hypothèse doit aussi être examinée : celle du Rayssien comme tradition technique distincte du reste de la lignée gravettienne. Le seul argument fort en faveur de cette hypothèse est que le système technique lithique rayssien caractérisé à La Picardie et à Arcy-sur-Cure ne ressemble en rien à ceux du Noaillien de Brassempouy ou ceux du Gravettien récent du Cirque de la Patrie, du Blot et de Mainz-Linsenberg (fig. 10). Pour simplifier, le système technique rayssien parait en rupture avec ce qui le précède et ce qui le suit. Mais envisager que les industries de la phase à nucléus du Raysse puissent ne pas appartenir à la culture gravettienne est une posture extrêmement lourde de conséquences. Elle revient à considérer que ces industries constituent une véritable tradition culturelle à part entière. Or, plusieurs éléments interdisent d'aller jusque -là, pour le moment. Tout d'abord, il faudrait s'assurer qu'aucune industrie noaillienne antérieure au Rayssien ne contient des éléments permettant de relier les deux phases (cf. 2 è hypothèse). Ensuite, il faudrait parvenir à déterminer d'où proviennent ces groupes, non seulement d'un point de vue géographique, mais aussi d'un point de vue culturel. Cela reste impossible, en l'état actuel de nos connaissances. Toutefois, de récents travaux consacrés à l'industrie osseuse gravettienne viennent apporter des informations complémentaires. Comme l'a récemment mis en évidence Nejma Goutas, la phase à burin de Noailles connaît un développement et une généralisation de l'utilisation de la technique du « double rainurage » pour l'obtention de baguette en bois animal (Goutas 2004). Pour la phase à burin du Raysse, cette technique n'est pas encore identifiée formellement bien qu'elle ait pu être employée. En revanche, pour le Rayssien I, Nejma Goutas a mis en évidence (au Flageolet I) la résurgence de la technique du « refend » déjà connue à l'Aurignacien (Goutas 2004). Ces nouvelles découvertes renforcent donc l'impression de changement entre la phase noaillienne et la phase rayssienne même s'il faut rester prudent vu le peu de données disponibles pour cette dernière. Finalement, un dernier argument (d'une valeur plus faible) peut-être avancé pour distinguer les deux phases : il n'existe aucune Vénus connue en contexte rayssien. En France, les rares Vénus découvertes en contexte ou rattachées à un ensemble archéologique précis sont exclusivement attribuées à la phase noaillienne. Quel que soit le scénario confirmé, on retiendra que les différences mises en évidence soulignent l'originalité du système technique rayssien et étayent l'idée que ces industries constituent une sorte de parenthèse au sein de la lignée générale du Gravettien. S'il existe bien un phénomène gravettien qui couvre l'Europe dans la tranche chronologique comprise entre – 28 000 et – 20 000 BP, il faut désormais souligner les micro-phénomènes régionaux qui s'écartent de cette tendance majoritaire. Ces phénomènes, encore difficiles à comprendre, pourraient s'expliquer de différentes manières (co-existence de groupes humains de traditions différentes, migration, « différenciation culturelle » suite à un isolat subi ou pourquoi pas volontaire ? etc.). En somme, ils pourraient constituer des sortes d'épisodes paléohistoriques relevant d'une diversité culturelle locale qui émailleraient le développement d'une entité paneuropéenne caractérisée par la préférence des pointes à dos abrupt .
Si le Gravettien est souvent considéré comme une des premières cultures pan-européennes attribuées à l'homme moderne, il est néanmoins entendu que des particularités régionales ont dû exister sur une aussi longue plage de temps et un aussi vaste territoire. Ces moments particuliers n'ont toutefois que rarement été mis en évidence à ce jour. En France, de récents travaux sur le Gravettien moyen (ex-Périgordien Vc de Peyrony) permettent aujourd'hui de relancer les réflexions dans ce domaine (Klaric 2003 ; Pottier 2005). Dans le Sud-Ouest de la France, le Gravettien moyen est divisé en deux phases (d'après la stratigraphie de l'Abri Pataud): la première est caractérisée par l'abondance des burins de Noailles et la seconde par la dominance des burins du Raysse (David 1995). Les industries du Gravettien moyen paraissent présenter une forte polymorphie due à l'alternance des burins de Noailles et du Raysse et à des quantités très variables d'armatures à dos abrupt (gravette, microgravette et lamelle à dos). Dans la seconde moitié du XXè siècle, cette forte polymorphie conduisit plusieurs auteurs à proposer diverses interprétations culturelles des industries rattachées à cette phase. Jusqu'à maintenant, deux hypothèses ont dominé les discussions, mais aucun argument décisif n'a pu être apporté en faveur de l'une ou de l'autre. La première est fondée sur la séquence de l'Abri Pataud et considère que les phases « noaillienne » et « rayssienne » constituent deux étapes successives d'un faciès culturel (« le Noaillien ») distinct du reste du Périgordien (David 1995 in: Bricker (dir.) 1995 p. 130). La seconde hypothèse propose que les différences entre les industries reflètent une variabilité fonctionnelle. Les fluctuations des quantités de burins de Noailles, du Raysse et des pointes à dos abrupt sont alors interprétées comme le résultat d'activités particulières conduisant à la prolifération de tel ou tel type d'outils (Laville et Rigaud 1973 ; Rigaud 1982). Des recherches récentes (Klaric 2003) et les découvertes réalisées sur un nouveau site rayssien (La Picardie, Indre-et-Loire) semblent finalement contredire cette seconde hypothèse et relancer les discussions à propos de la première. Ces travaux conduisent également à proposer un nouveau scénario interprétatif de la phase rayssienne, cette dernière étant alors considérée comme une sorte d'épisode paléohistorique où les traditionnelles pointes de La Gravette sont absentes (ou quasiment).
archeologie_10-0037497_tei_219.xml
termith-60-archeologie
Le gisement Pléistocène moyen d'Orgnac 3 est situé dans le sud de l'Ardèche (France) à une altitude de 325 mètres. Il se présente sous la forme d'une cuvette d'une quarantaine de mètres de longueur et de 15 mètres de largeur, creusée dans le calcaire urgonien lapiazé. Les fouilles ont été faites à partir de 1967 par Combier, puis entre 1986 et 1989 par Lumley et Combier (in El Hazzazi 1998). Les datations faites par la méthode de résonance de spin électronique donnent un âge de 309 000 ± 34 000 ans BP pour la couche 6 (Falguères 1988) et par les méthodes U-th et ESR, un âge compris entre 300 000 et 370 000 ans BP pour l'ensemble du remplissage archéologique (Massaoudi 1995). Le site a livré des restes de microvertébrés parmi lesquels de nombreuses dents de campagnols de différentes espèces (Chaline 1972; El Hazzazi 1998; Paunescu 2001). Le campagnol souterrain d'Orgnac, Microtus (Terricola) mariaclaudiae, a été décrit par Chaline (1972) comme une sous-espèce du campagnol souterrain d'Europe M. (T.) subterraneus, puis élevé au rang d'espèce, M. (T.) mariaclaudiae, par Brunet-Lecomte (1988a) et rapproché, par la morphologie de sa première molaire inférieure (M 1), à l'espèce actuelle M. (T.) pyrenaicus (Brunet-Lecomte et al. 1994; Tougard et al. 2008). L'obtention de mesures prises sur la M 1, la dent la plus informative pour l'étude de l'évolution des campagnols fossiles et à partir de laquelle a été décrite l'espèce, par Brunet-Lecomte (1988b) et Paunescu (2001) permet, à partir de différentes variables dentaires, de décrire M. (T.) mariaclaudiae en comparaison avec les différentes espèces de campagnols souterrains qui se rangent dans le sous-genre Terricola et qui étaient peut-être présentes au Pléistocène moyen dans la bordure est du Massif central, à savoir : M. (T.) subterraneus, M. (T.) multiplex, M. (T.) pyrenaicus, M. (T.) duodecimcostatus, ainsi que l'espèce d' âge Pléistocène moyen M. (T.) vaufreyi. Une meilleure connaissance de la morphologie dentaire de cette espèce, pour l'instant seulement connue du site d'Orgnac 3, permettra de l'identifier, peut-être, dans d'autres gisements du Pléistocène moyen de France. Le matériel étudié se compose de 35 M 1 de M. (T.) mariaclaudiae. Ce matériel a permis des comparaisons avec les espèce actuelles (matériel déposé au Centre des Sciences de la Terre, Université de Bourgogne, Dijon) M. (T.) subterraneus (314 M 1 provenant de huit populations géographiques de Bretagne, Normandie, Limousin, Ain, Plaine du Forez, Pilat, Monts du Lyonnais et Morvan), M. (T.) multiplex (217 M 1 provenant de six populations géographiques de la Vallée de l'Ubaye, Matheysine, Trièves, Vercors, Royans et Plateau de Chambaran), M. (T.) pyrenaicus (486 M 1 provenant de huit populations géographiques d'Aquitaine, Gers, Tarn, Cantal, Corrèze, Creuse, Haute-Vienne et Navarre), M. (T.) duodecimcostatus (244 M 1 provenant de cinq populations géographiques de Provence-Languedoc, Isère, Drôme, Catalogne et Castille-León) et à l'espèce du Pléistocène moyen M. (T.) vaufreyi (124 M 1 provenant de trois populations l'Abri Vaufrey (Dordogne), La Caune de l'Arago (Pyrénées-Orientales) et Montoussé 3 (Hautes-Pyrénées). Les quatre espèces actuelles ont la répartition géographique suivante : M (T.) subterraneus : une grande partie de l'Europe, depuis la Russie jusqu' à l'Atlantique et le sud du Massif central, M. (T.) multiplex : des Alpes centrales, à l'ouest de l'Adige (Italie), jusqu' à la Vallée du Rhône, M. (T.) duodecimcostatus : une grande partie de l'Espagne et du Portugal, Languedoc, Provence, Alpes du sud et Vallée du Rhône et M. (T.) pyrenaicus : nord-ouest de l'Espagne, du Grand Sud-Ouest jusqu'aux Pays de la Loire et le Massif central (fig. 1). M. (T.) vaufreyi est une espèce du Pléistocène moyen décrite à l'Abri Vaufrey (Dordogne) (Marquet 1989) et reconnue dans différents gisements de France (Brunet-Lecomte 1988b). Cinq variables odontométriques sont analysées à partir de six des différentes mesures (fig. 2) prises sur la surface occlusale de la M 1 (Brunet-Lecomte 1988b) : la longueur totale de la M 1 = variable 6 et quatre variables calculées : longueur relative de la partie antérieure de la M 1 = (variable 6 - variable 3)/variable 6*100, inclinaison du rhombe pitymyen = variable 4 - variable 3, fermeture de la boucle antérieure = (variable 20 - variable 18)/variable 21*100 et le rapport longueur sur largeur de la M 1 = variable 6/variable 21. La comparaison des cinq variables de taille et de forme entre les différentes espèces est faite par analyse de variance à un facteur (ANOVA), complétée par un test de Dunnett afin de tester quelles espèces diffèrent de M. (T.) mariaclaudiae pour un risque de première espèce égal à 0,05 (5 %). La morphologie dentaire de la M 1 de M. (T.) mariaclaudiae d'Orgnac 3 est donnée Figure 3. M. (T.) mariaclaudiae est une espèce de Terricola d'assez grande taille, avec un rhombe pitymyen peu incliné et une boucle antérieure moyennement ouverte. Pour toutes les variables étudiées, l'analyse de variance indique des différences hautement significatives (p<0.0001) entre les valeurs moyennes relatives à chaque espèce. Le test de Dunett précise en quoi M. (T.) mariaclaudiae diffère de l'une ou l'autre espèce à laquelle on l'a comparée (tabl. 1). La longueur totale moyenne de la M 1 de M. (T.) mariaclaudiae (2,83 mm) est plus grande que celles relatives à M. (T.) vaufreyi (2,73 mm), M. (T.) duodecimcostatus (2,71 mm), M. (T.) pyrenaicus (2,62 mm), M. (T.) multiplex (2,58 mm)et M. (T.) subterraneus (2,47 mm), différences significatives selon le test de Dunnett. La longueur relative de la partie antérieure de la M 1 de M. (T.) mariaclaudiae (51,0 %) est plus petite que celles concernant M. (T.) vaufreyi (52,6 %) et M. (T.) subterraneus (51,9 %), et plus grande que celles de M. (T.) pyrenaicus (50,0 %) et de M. (T.) duodecimcostatus (49,9 %), différences significatives; au contraire, elle n'est pas différente de celles se rapportant à M. (T.) multiplex (51,3 %). Le rhombe pitymyen de M. (T.) mariaclaudiae (0,021 mm) est plus incliné que chez M. (T.) vaufreyi (0,127 mm) et moins incliné que chez M. (T.) subterraneus (- 0,013 mm), M. (T.) pyrenaicus (- 0,028 mm) et M. (T.) duodecimcostatus (- 0,037 mm), différences significatives. Son inclinaison n'apparaît cependant pas différente de ce qu'elle est chez M. (T.) multiplex (0,020 mm). La boucle antérieure de la M 1 de M. (T.) mariaclaudiae (26.9 %) est plus ouverte que ce que l'on observe chez M. (T.) vaufreyi (23,0 %), M. (T.) multiplex (18,4 %) et M. (T.) subterraneus (18,7 %); elle est plus fermée que chez M. (T.) duodecimcostatus (34,5 %) et présente une ouverture non différente de celle de M. (T.) pyrenaicus (28,0 %). Le rapport longueur/largeur de la M 1 de M. (T.) mariaclaudiae (2,73) est plus grand que chez M. (T.) pyrenaicus (2,53); M. (T.) subterraneus (2,61), M. (T.) multiplex (2,59) et M. (T.) duodecimcostatus (2,61) et non différent de celui de M. (T.) vaufreyi (2,73). La comparaison entre le campagnol souterrain d'Orgnac M. (T.) mariaclaudiae et les cinq autres espèces du sous-genre Terricola qui auraient pu être présentes dans ce site du Pléistocène moyen confirme l'existence de différences odontométriques entre cette espèce et M. (T.) subterraneus et M. (T.) duodecimcostatus en ce qui concerne les cinq variables étudiées, avec M. (T.) pyrenaicus et M. (T.) vaufreyi pour quatre sur cinq et avec M. (T.) multiplex pour trois d'entre -elles (tabl. 2). M. (T.) mariaclaudiae se différencie nettement de M. (T.) subterraneus par une M 1 plus grande, un rapport longueur/largeur de la dent plus grand et une boucle antérieure plus ouverte, de M. (T.) duodecimcostatus par un rapport longueur/largeur de la dent plus grand, un rhombe pitymyen moins incliné et une boucle antérieure plus fermée. M. (T.) mariaclaudiae se différencie de M. (T.) pyrenaicus par un rapport longueur/largeur de la dent plus grand, un rhombe pitymyen moins incliné et une longueur relative de la partie antérieure plus grande, mais présente une boucle antérieure semblable. M. (T.) mariaclaudiae se différencie de M. (T.) multiplex par une M 1 plus grande, un rapport longueur/largeur de la dent plus grand et une boucle antérieure plus ouverte. M. (T.) mariaclaudiae se différencie de M. (T.) vaufreyi par une longueur relative de la partie antérieure plus réduite, un rhombe pitymyen beaucoup plus incliné et une boucle antérieure plus ouverte, mais présente un rapport longueur/largeur de la dent semblable à celui de cette espèce. La synthèse de ces différences morphologiques entre M. (T.) mariaclaudiae et les autres espèces de Terricola montre, qu' à l'échelle d'une population, il est possible d'identifier M. (T.) mariaclaudiae, en comparaison des autres espèces de Terricola du Pléistocène moyen du sud de la France. Les très grandes différences observées avec M. (T.) subterraneus confirment que M. (T.) mariaclaudiae n'est pas proche de cette espèce, tout comme la très grande différence dans l'inclinaison du rhombe pitymyen avec M. (T.) vaufreyi semble exclure une très proche parenté avec cette espèce. Les études génétiques récentes (Jaarola et al. 2004; Tougard et al. 2008) sur les campagnols du sous-genre Terricola, montrent que M. (T.) multiplex forme avec M. (T.) liechtensteini un groupe phylogénétique d'Europe centrale et alpine bien différencié de celui formé par les espèces de la Péninsule ibérique et du sud de la France M. (T.) duodecimcostatus, M. (T.) lusitanicus et probablement M. (T.) pyrenaicus. Ces nouvelles données génétiques et les résultats obtenus dans cette étude invitent à envisager deux hypothèses quant à la parenté phylogénétique de M. (T.) mariaclaudiae : cette espèce appartient soit au groupe d'Europe centrale et alpine de M.(T.) muliplex, soit au groupe gallo-ibérique de M.(T.) duodecimcostatus-M.(T.) pyrenaicus. Les points en la défaveur de la première hypothèse sont principalement la grande différence notée entre M.(T.) mariaclaudiae et M. (T.) multiplex concernant l'ouverture de la boucle antérieure de la dent et le fait que M.(T.) mariaclaudiae soit une espèce du sud de l'Ardèche; dans cette région en effet, actuellement, aucune espèce du groupe alpin n'est connue, contrairement à l'espèce gallo-ibérique M. (T.) duodecimcostatus très répandue dans cette région méditerranéenne ou à M. (T.) pyrenaicus connue au nord de l'Hérault. En la défaveur de la seconde hypothèse, on peut retenir la différence morphométrique relevée entre d'une part, M.(T.) mariaclaudiae et d'autre part, M.(T.) duodecimcostatus et M.(T.) pyrenaicus concernant l'inclinaison du rhombe pitymyen. Par ailleurs, dans le cas de la seconde hypothèse, le fait que les différences concernant l'inclinaison du rhombe pitymyen et la fermeture de la boucle antérieure soient moins fortes entre M. (T.) mariaclaudiae et M. (T.) pyrenaicus qu'entre M. (T.) mariaclaudiae et M. (T.) duodecimcostatus rapproche plutôt M. (T.) mariaclaudiae de M. (T.) pyrenaicus que de M. (T.) duodecimcostatus. Les études génétiques citées sont une confirmation de la prudence nécessaire dans l'interprétation phylogénétique que l'on pourrait émettre à partir des seules données morphologiques. Ainsi, il est prématuré de considérer l'une des deux hypothèses comme la plus plausible au vu des données dont on dispose .
Le campagnol souterrain d'Orgnac Microtus (Terricola) mariaclaudiae (Chaline 1972) a été décrit du gisement Pléistocène moyen d'Orgnac 3 (Ardèche, France). La comparaison de différentes variables de la première molaire inférieure avec celles d'autres espèces du sous-genre Terricola permet de caractériser la morphologie dentaire de M. (T.) mariaclaudiae et de discuter sa position phylogénétique dans le sous-genre.
archeologie_10-0039793_tei_209.xml
termith-61-archeologie
Dans une approche comparative et métrique, Léon Pales (Pales et Tassin de Saint-Péreuse 1981) utilise une série de mesures anatomiques et leurs rapports pour caractériser géométriquement les figurations paléolithiques et les comparer. Cette dernière, approfondie plus récemment par Romain Pigeaud, appliquée aux équidés (Pigeaud 1997), permet alors de comparer un grand nombre de figurations équines de manière plus objective. Dans les grottes de Combarelles (Eyzies-de-Tayac), nous expérimentons une méthode plus précise et objective (Huard 2006) à partir du logiciel “Morphologika ”, dans le but de déterminer si son utilisation permet de décrire les figurations animales et d'en distinguer les composantes de forme. Nous n'oublions pas pour autant que les figures sont des transcriptions faites de la main de l'Homme sur des parois parfois perturbées par des phénomènes géologiques. Elles restent uniques et ne constituent pas une copie parfaite des sujets vivants. Seul le corps de l'animal figuré peut être analysé à cause de la mobilité des membres et de la tête. Il est évident que ces autres régions anatomiques sont porteuses d'informations que nous ne pouvons intégrer en même temps. Une étude séparée peut être envisagée avec croisement des données. Les analyses de ce type doivent être faites avec beaucoup de précautions lors de l'enregistrement des figures (prises de vue, relevés, etc.). Morphologika est un programme créé par Paul O'Higgins et Nicholas Jones pour la Morphologie fonctionnelle et de l' Évolution (O'Higgins 2000). Il utilise la géométrie morphométrique à partir de points coordonnés et de superpositions de type Procruste (dissociation des paramètres de taille par rapport aux paramètres de forme, ces derniers étant seuls pris en compte) (fig. 1) et permet des analyses en composantes principales. Nous avons choisi de travailler à partir de photographies effectuées sous des conditions où les déformations optiques sont minimales (Aujoulat 1987). Les points anatomiques sélectionnés (fig. 2) sont fixes par rapport à la morpho-mécanique de l'animal. C'est pourquoi, certaines parties anatomiques comme les membres, l'encolure et la tête ne peuvent être pris comme point de référence. Le positionnement de ces repères s'est effectué à partir des œuvres pariétales et a été reporté sur les clichés en comparant de nouveau la similitude des traits. Plusieurs tests réalisés sur un même objet ont été enregistrés à des distances de prises de vues différentes. Ils ont permis de vérifier la fiabilité de superposition et d'analyse de la forme. L'expérience appliquée sur les contours de chevaux actuels, de races et de catégories différentes, a permis de démontrer que les catégories peuvent se différencier à partir de l'analyse en composantes principales. La distinction des Poneys reste la plus marquée, ce qui constitue un point essentiel de notre analyse, puisque ceux -ci étaient les seuls présents au Paléolithique supérieur (forme “sauvage” des caballins), sous la dénomination Equus caballus germanicus, puis E. cab. gallicus, puis E. cab. arcelini (Eisenmann 1991; Guadelli 1987; Prat 1968 et 1986). Concernant l'étude des grottes des Combarelles, seules les figurations les plus complètes (en repères anatomiques) sont utilisées dans cet essai. La superposition Procruste permet d'obtenir des petits nuages de points bien différenciés les uns des autres. En reliant ces points, on crée une image schématique des lignes extérieures du corps, ce qui permet de rendre compte de l'homogénéité de ces représentations. Concernant la forme du corps, les tracés paraissent relever d'une image unique des équidés. Une analyse en composantes principales permet d'évaluer les différences de formes. L'étude de la composante principale 1 (PC1) en fonction de la composante principale 2 (PC2), démontre que certains individus se distinguent (trois au moins). Les deux axes du graphique (PC1/PC2) permettent d'établir les modalités de ces différences de forme et de les quantifier. Cette application permet de nous rendre compte que le seul cheval complet de Combarelles II rentre dans la variabilité des équidés de Combarelles I, suggérant l'hypothèse de représentation contemporaine ou d'un même auteur. Les observations antérieures d'André Leroi-Gourhan et de Claude Barrière avaient mis en évidence une certaine unité dans la morphologie de ces chevaux alors que plus anciennement l'abbé Breuil avait distingué quatre races différentes (Breuil 1952; Leroi-Gourhan 1965; Barrière 1997). Notre analyse morphologique confirme les appréciations les plus récentes en lui ajoutant une démarche quantitative. Morphologika est un outil important de comparaison morphométrique qui permet une superposition objective en réduisant au maximum l'intervention de l' œil humain. Seul le positionnement des repères peut faire intervenir un biais inter-observateur. Au vu de ces essais, les résultats s'avèrent pertinents tant dans la description des formes que dans leur analyse. Cette étude démontre que l'art des Combarelles, pour cet échantillon, relève d'une réelle unité dans l'expression figurative. Cette unité peut se rapporter au naturalisme, et donc à la réalité visuelle, ou bien à des conventions graphiques et stylistiques précises, malgré la présence de reliefs parfois importants du support rocheux. Cette démarche, qui implique une méthodologie rigoureuse, apporte des résultats non négligeables. Elle peut également s'appliquer aux différentes espèces du bestiaire paléolithique .
Un outil informatique utilisant la géométrie morphométrique est testé sur la forme des équidés de diverses catégories et races actuelles. L'étude est appliquée aux figurations équines des grottes des Combarelles, qui semblent démontrer une grande unité de forme parmi les individus analysés. Cette méthode pourrait offrir la possibilité de comparaisons à grandes échelles de manière précise et statistique.
archeologie_09-0062865_tei_222.xml
termith-62-archeologie
Sur la commune de Bourdeilles (Dordogne), cinq grottes et abris situés sur une ligne de falaise longeant la Dronne, ont livré des vestiges paléolithiques. L'un de ces abris, le Fourneau du Diable, qui constitue l'extrémité est de cette falaise, fut fouillé par D. Peyrony à partir de 1920. Ses travaux ont confirmé la présence d'une industrie solutréenne, déjà exhumée lors de travaux antérieurs et ils ont mis au jour des vestiges, alors attribués à l'Aurignacien (aujourd'hui Périgordien V) et au Magdalénien VI (Peyrony, 1932). Les restes fauniques récoltés ont fait l'objet, dans un premier temps, d'une simple détermination spécifique et J. Bouchud a entrepris l'étude paléontologique du Renne et celle des âges et saisons d'abattage de ce gibier, à partir des restes dentaires, des bois et des astragales, dans le cadre d'une étude régionale et diachronique (Bouchud, 1966). Des questions d'ordre méthodologique liées à la détermination des âges et des saisons sont apparues comme fondamentales et le réexamen de certaines collections étudiées par J. Bouchud nous a semblé nécessaire. D'autant plus qu' à l'issue d'un travail synthétique concernant 18 sites du quart Sud-Ouest de la France, nous avions proposé certaines hypothèses et de nouvelles voies d'investigation (Fontana, 2000b). C'est dans ce cadre que s'inscrit l'étude des restes fauniques du Fourneau du Diable (collections du Musée National de Préhistoire) dont nous présentons les résultats. Nous avons également tenté d'évaluer le potentiel informatif de ce type de collection et de comprendre en quoi son étude contribuait à la connaissance des stratégies de subsistance au Solutréen. Le Fourneau du Diable est un des sites contenant des vestiges d'industrie solutréenne de la région comprise entre le Lot et la Charente/Vienne (fig. 1). Ce gisement est formé de deux terrasses naturelles superposées contenant des dépôts archéologiques importants (fig. 2). Trois couches ont été individualisées pour la terrasse inférieure (1,10 m de remplissage) : le niveau du Périgordien V (“ aurignacien ”) de 30 cm, le niveau solutréen (80 cm) et un niveau halstattien de 20 cm (fig. 3a). Quatre ensembles (95 cm) furent définis pour la terrasse supérieure : un ensemble solutréen supérieur (85 cm) divisé en trois strates et séparé d'un niveau magdalénien (5 cm) par une couche stérile (de 5 cm) (fig. 3b). Les trois strates de l'ensemble solutréen ne correspondent pas en principe à une individualisation fondée sur des critères typologiques de l'industrie puisque “…la couche a été partagée en trois parties d'égale épaisseur…” (Peyrony, 1932, p. 26) “…pour nos fouilles et pour l'étude des industries…” (ibid., p. 27). Cependant, la lecture de l'étude de l'industrie lithique nous apprend que “.. il y ait eu plus de goût dans le choix de la matière première.” (ibid., p. 33) et que dans la strate supérieure, les feuilles de laurier sont remplacées par “d'autres pointes […] plus soignées ”. D. Peyrony a donc observé des différences qu'il interprète comme des évolutions. Si la nature de ces différences reste à discuter, elles reflètent néanmoins une certaine réalité. C'est pourquoi nous avons étudié le matériel faunique par strate et non comme un tout, même s'il est difficile (en l'absence de toute date de radiocarbone) d'apprécier la nature de ce dépôt en terme d'unicité ou de multiplicité d'horizons chronologiques. Si les restes fauniques proviennent des six ensembles décrits (cf. supra) et qu'ils ont été inventoriés comme tels, la mention de la provenance de certains d'entre eux a disparu, comme l'a déjà signalé S. Madelaine qui avait effectué un premier décompte global (Madelaine, 1989). De plus, il apparaît que certaines espèces, identifiées par J. Bouchud (1966) et déjà citées par D. Peyrony (1932), ne se trouvent plus aujourd'hui dans la collection du Musée National de Préhistoire. Enfin, dans certains cas, les décomptes et les descriptions des dents et des bois de Renne effectués par J. Bouchud, ne correspondent pas tout à fait à nos propres observations. Il apparaît donc qu'entre le moment de son étude et l'inventaire de S. Madelaine, la collection faunique du Fourneau du Diable a subi quelques “remaniements ”. En réalité quel est l'intérêt d'une nouvelle étude archéozoologique du Fourneau du Diable après l'étude de J. Bouchud (1966) ? Tout d'abord, cette étude vise à confirmer ou infirmer les données de J. Bouchud relatives aux classes d' âge et aux saisons de chasse des rennes. Nous avions expliqué dans un précédent travail (Fontana, 2000b) le caractère indispensable de cette démarche. En effet, les résultats de J. Bouchud montraient l'existence de chasses au Renne, tout au long de l'année, dans de nombreux sites du Sud-Ouest de la France, ce qui lui a permis de remettre en question le caractère migrateur du Renne, au moins dans cette région. Pourquoi est-il fondamental, aujourd'hui, de pouvoir estimer la solidité scientifique de ses résultats ? Parce qu'entre 1966 et aujourd'hui, certains travaux, notamment anglo-saxons (Spiess, 1979; Gordon, 1988) ont tenté de démontrer le contraire en utilisant notamment la méthode de la squeletto-chronologie. Ces travaux ont réaffirmé l'existence de migrations de rennes à grande échelle et celles des sociétés humaines, idée qui reste aujourd'hui fortement ancrée dans la préhistoire française comme en témoignent de nombreuses publications. Il était donc important de savoir comment J. Bouchud était parvenu à ses conclusions, en réétudiant des collections de dents et de bois de Renne de la même façon que nous le faisons régulièrement sur des séries paléolithiques françaises (Fontana, 1998, 1999, 2000a, 2000b). Ensuite, l'étude des restes du Fourneau du Diable de J. Bouchud a porté uniquement sur les restes dentaires, les bois et les astragales (cf. supra). Aucune étude archéozoologique n'a été entreprise (exception faite des aspects liés à la démographie et aux saisons de chasse) pour déterminer quelle était l'origine (anthropique ou naturelle) de certains restes ou quelles étaient les modalités d'acquisition du gibier. Par conséquent, J. Bouchud (comme les “faunistes” de cette époque qui n'étaient pas encore des archéozoologues) n'a pas exploité le potentiel de ce matériel, comme on le fait aujourd'hui, dans une perspective de détermination de la fonction du site. Enfin, l'évaluation de la représentativité de ce matériel faunique issu d'anciennes fouilles est indispensable car elle seule permettra d'estimer la qualité des résultats obtenus. Autrement dit, le ramassage des os et des dents du Fourneau du Diable a -t-il été si sélectif que les données obtenues sont sans commune mesure avec la réalité ? Ou bien, en dépit de cette sélection, cette collection reste -t-elle représentative du dépôt initial et peut-on considérer nos résultats comme le reflet (toujours partiel) de la réalité ? On comprend alors pourquoi l'étude d'une telle collection s'impose : elle permet d'estimer son degré de représentativité et, s'il est assez fort, de mettre au jour des comportements humains qu'on croyait définitivement hors d'atteinte en raison de l'ancienneté des méthodes de fouilles. Ce matériel du Fourneau du Diable, bien conservé mais collecté sélectivement, issu de superficies conséquentes (164 mètres carrés au total), mais numériquement inégal selon les couches et les provenances, et sans aucune attribution spatiale précise, est typique des collections issues de fouilles anciennes. Si l'absence d'enregistrement horizontal à la fouille rend définitivement impossible toute étude spatiale, l'étude des modalités d'acquisition et de traitement des gibiers et celle des stratégies de chasse reste -t-elle possible et comment interpréter les données issues de l'étude d'un tel assemblage ? Les échantillons étudiés sont de taille variable (entre 47 et 1471 restes selon les couches) totalisant 4458 restes (1088 pour la terrasse inférieure et 3370 pour la terrasse supérieure) (fig. 4). Ces restes, toujours bien conservés, ont tous été déterminés anatomiquement (aucun indéterminé), ce qui, pour une collection paléolithique, traduit d'emblée le ramassage exclusif (ou le tri) des pièces identifiables comme les extrémités des os longs, les os entiers du tarse, du carpe, les phalanges, les dents et les appendices frontaux. Le nombre de restes déterminés (4458) est important en dépit de cette sélection, et laisse supposer un assemblage initial beaucoup plus conséquent. Ces restes se répartissent en six séries et certaines d'entre elles (celles de la terrasse inférieure et le Magdalénien VI de la terrasse supérieure) sont numériquement très faibles. Néanmoins, le degré de représentativité de ces échantillons apparaît plutôt fort dans la mesure où la totalité des dépôts des deux terrasses (respectivement 80 et 84 mètres carrés) a été fouillée et jusqu'au substratum. Cepenadnt, la provenance exacte du matériel n'est pas toujours précisée, comme pour la terrasse inférieure dont on ignore si elle a livré des vestiges sur toute son étendue ou juste sous l'éboulis (fig. 3). Nous allons maintenant montrer que certains résultats peuvent être obtenus dès lors que la problématique prend en compte les caractéristiques de la collection faunique, sans négliger ses potentiels mais surtout sans outrepasser ses limites. Les espèces identifiées au Fourneau du Diable peuvent se classer en trois groupes (fig. 4) : celui des espèces présentes dans toutes les couches des deux terrasses (Renne et Cheval), celui des espèces présentes dans quatre ou cinq séries sur six (Aurochs ou Bison, Renard, Antilope saïga) et celui des espèces plus rares (Mammouth, Cerf, Bouquetin, Sanglier, Loup, Hyène, Ours, Lièvre, Lapin). Des incertitudes subsistent quant à la présence de certaines espèces selon les ensembles. Par exemple, J. Bouchud identifie le Cerf dans toutes les couches alors que nous n'avons déterminé de tels restes que dans trois des six couches (tout comme S. Madelaine, 1989). De plus, nous n'avons trouvé aucune trace de la dent de Lion, de la canine d'un Ours brun et de celles de Loup et de Renard, attestées dans le Périgordien VI de la terrasse inférieure. Cette liste des treize taxons identifiés par les 4458 restes déterminés est relativement classique pour des séries du Paléolithique supérieur du Sud-Ouest. En effet, les spectres fauniques des niveaux du Solutréen supérieur du Cuzoul de Vers (couches 29 à 31) et de Combe Saunière (couche IV) sont globalement composés de taxons identiques (Renne, Cheval, Boviné, Bouquetin, Chamois, Lièvre, Renard) même si certaines espèces ne se trouvent que dans l'un des deux sites (Antilope saiga, Cerf, Mammouth, Sanglier, Ours, Lapin) (Castel, 1999). Une particularité du Fourneau du Diable par rapport aux spectres de ces deux sites réside dans la présence de l'Hyène (strate moyenne du Solutréen de la terrasse supérieure), qui n'est pas, par ailleurs, exceptionnelle. Enfin, le Chamois est le seul grand herbivore, présent à Combe Saunière et au Cuzoul de Vers qui est absent des spectres fauniques du Fourneau du Diable. Si on raisonne, non plus en terme de présence/absence, mais en terme quantitatif, on s'aperçoit que les spectres du Fourneau du Diable traduisent, comme les deux autres sites de comparaison, des faunes à Renne dominant (tabl. 1 à 6 et fig. 5 et 6). En effet, si deux gibiers (le Renne et le Cheval) livrent à eux seuls entre 96 et 99 % des restes, quelle que soit leur provenance stratigraphique et spatiale, c'est le Renne qui domine nettement tous les assemblages, ses restes représentant entre 70 et 91 % du Nombre de Restes total, et entre 61 et 86 % du Nombre Minimal d'Individus de fréquence (et beaucoup plus en NMI de combinaison, cf. infra). Si la part du Cheval est plus variable selon les échantillons (entre 5 et 20 % du NR et entre 5 et 12 % du NMIf), il est systématiquement la seconde espèce la mieux représentée, comme à Combe Saunière. Les autres taxons se partagent moins de 3 % des restes, les mieux représentés (comptabilisant parfois une dizaine de restes) étant le Cerf et les Bovinés de la strate moyenne de la terrasse supérieure (cf. tabl. 4), et l'Antilope saïga et le Loup de la strate supérieure (cf. tabl. 5). Que ce soit en terme de présence/absence ou de proportion, les spectres du Fourneau du Diable sont donc tout à fait comparables à ceux des deux sites proches et bien documentés, ce qui est un premier argument pour accorder une certaine fiablité à la représentation des espèces dans cette collection. Certains restes ont-ils une origine non anthropique ? 34 d'entre eux portent des traces anthropiques : 31 restes de Renne, dans tous les niveaux excepté le Solutréen de la terrasse inférieure; un os d'Antilope saïga et un reste de Lièvre (dans la strate supérieure de la terrasse supérieure); un os de Renard (du niveau Périgordien de la terrasse inférieure). De quels types de traces s'agit-il précisément ? Parmi les trois restes de Lièvre variable (un calcanéum, un fragment d'humérus et un métapode), le métatarsien porte les mêmes stries mais un peu plus profondes en trois endroits : sous l'épiphyse proximale et un peu plus bas sur la diaphyse (fig. 7). Ce lièvre de la terrasse supérieure a donc été, lui aussi, dépecé. Les traces portées par le talus de l'Antilope saïga attestent de la désarticulation du bas de la patte, comme pour le Renne (cf. infra). Les fragments osseux des autres grands herbivores ne portent pas de traces. Il est vrai que le Cheval est représenté pour moitié par des dents et que les autres espèces sont globalement beaucoup moins bien représentées : 26 restes au total pour les Bovinés, 13 pour le Cerf, cinq pour le Bouquetin et un pour le Sanglier. Mais on leur attribue généralement une origine anthropique, surtout en l'absence d'action des carnivores, notamment des hyènes. C'est presque le cas au Fourneau du Diable puisqu'un seul reste (une incisive inférieure) de Crocuta a été identifié (dans la strate moyenne de la terrasse supérieure) et que seulement quatre phalanges de Renne (dans la strate de base de la terrasse supérieure) portent des traces de morsure. Enfin, on peut difficilement déterminer l'origine du fragment de molaire de Mammouth de la terrasse supérieure. Quelle est l'origine des restes de carnivore ? Ceux du Loup (17 : neuf dents, trois métapodes, deux vertèbres, une extrémité distale de tibia, un radius, une première phalange) ne portant aucune trace anthropique, il est difficile d'identifier leur origine. Parmi les 13 restes de Renard (un coxal, deux extrémités de radius et une diaphyse, un maxillaire, un humérus, un calcanéum, deux métapodes, une phalange, trois dents), le fragment de coxal porte des traces fines, parallèles et obliques juste sous la cavité cotyloïde (cf. fig. 7) qui identifient le dépeçage d'un renard (de la terrasse inférieure) sur le site. Les rennes, l'Antilope saïga, ainsi qu'un Lièvre et un Renard (de la terrasse supérieure), dont les restes portent les traces de l'intervention humaine, ont donc vraisemblablement été acquis par l'Homme (comme les autres grands herbivores) alors que les dents de Mammouth et d'Hyène ne sont probablement pas issus du produit de la chasse, l'origine des restes de Lapin et de Loup restant plus problématique. Peut-on, sur ce type de matériel, documenter les stratégies d'acquisition et les modes de traitement des deux principaux gibiers en analysant la représentation de leurs parties squelettiques compte tenu des méthodes de prélèvement liées aux fouilles anciennes ? Ou doit-on renoncer d'emblée à ce genre d'exercice périlleux, souvent considéré comme inutile ? Les restes de Cheval sont de trois types : des dents, des petits os entiers et des extrémités d'os longs. Aucune diaphyse d'os long n'a donc été identifiée, ce qui signe d'emblée le ramassage sélectif. On sait que les collections récentes livrent systématiquement et majoritairement de nombreux fragments osseux, à côté des rares os entiers. Dans les échantillons du Fourneau du Diable, les restes majoritaires sont les dents (entre 62 et 81 % du NR selon les couches), partie anatomique au fort potentiel de conservation : elles livrent ici systématiquement le NMIf, identifiant un minimum de un à dix individus selon les couches, 30 au total (tabl. 7 à 10). La seconde partie anatomique bien représentée est, là encore dans tous les échantillons, le métapode III, os qui se conserve bien, surtout dans sa partie distale qui est ici le fragment identifié (à quelques exceptions). Les autres parties présentes sont les os du bas des pattes qui sont restés entiers (phalanges, autres métapodes, os du carpe et du tarse). Les os longs ne sont pas tous présents dans tous les échantillons mais quand ils le sont, c'est, rappelons le, uniquement sous la forme d'extrémités, le plus souvent distales : il est donc probable que les fragments de diaphyses (parties robustes), peut-être très fragmentés, n'ont pas été collectés. Néanmoins, si cette sélection de fragments épiphysaires a favorisé les épiphyses d'os qui se conservent bien, on s'étonne de la quasi absence des épiphyses du radius et de l'ulna et de la rareté de l'extrémité distale de l'humérus, seule la partie distale du tibia étant représentée dans 3 niveaux sur 4. On peut se demander si ce déficit d'os longs traduit leur sous-représentation réelle sur le site ou une récolte aléatoire des épiphyses ? Enfin, les os composant le rachis et le crâne sont sous-représentés, voire absents (alors que les dents supérieures sont présentes), ce qui ne nous surprend pas. En effet, déjà dans des contextes de fouilles systématiques et de tamisage, ces éléments sont systématiquement sous-représentés, et ce, quel que soit le gibier (Fontana, 1998; 1999; 2000a; Bridault et Bémilli, 1999; Costamagno, 1999; Castel, 1999). Dans le cas présenté ici, on s'aperçoit donc qu'il est difficile de cerner la part relative de chacun des facteurs éventuellement responsables de la représentation différentielle des parties squelettiques des équidés sur le site : conservation différentielle, fouille sélective et éventuel apport différentiel de quartiers de viande de cheval. Mais, même dans l'hypothèse de gibiers apportés entiers sur le site (au moins pour les trois niveaux solutréens de la terrasse supérieure - cf. tabl. 8 à 10), la question du transport et du rejet différentiel, qui sont deux autres facteurs de représentation différentielle, de certaines parties anatomiques ne peut être testé sur ce genre de corpus. Enfin, il est difficile, en l'absence des diaphyses portant les stries de découpe et de traces sur les os présents, d'identifier les modes de découpe et de fracturation. Ce matériel apporte donc peu de résultats interprétables sur la chasse aux équidés. Si les restes de Renne (tabl. 11 à 15) sont plus nombreux (identifiant un total d'au moins 248 rennes), l'analyse de la représentation différentielle des parties du squelette met en évidence les mêmes tendances liées au contexte des fouilles anciennes : sélection des bois, des dents, des os et extrémités d'os entiers (notamment les extrémités distales de tibia et d'humérus). Un dernier critère nous permet de confirmer l'aspect sélectif du ramassage : l'absence de certains os de petite taille (os hyoïde et sésamoïdes) et la rareté de certains autres (métapodes vestigiaux, phalanges vestigiales, rotules). Néanmoins, la comparaison des données issues des cinq couches principales (des deux terrasses) révèle des différences dans les représentations des différents segments anatomiques (tabl. 16 et 17). En effet, les données des couches de la terrasse inférieure apparaissent comme différentes de celles de la terrasse supérieure. Dans le niveau périgordien de la terrasse inférieure, le NMIf est donné par les dents, toutes les autres parties du squelette représentant moins de 22 % du NMIf. Cette faible représentation du squelette post-crânien est identique dans la couche solutréenne mais, même si les dents représentent un minimum de 70 % des individus, c'est le talus qui donne le NMIf. Ce fort déséquilibre est-il relatif à la taille de l'échantillon ? On peut en douter puisque ce niveau solutréen de la terrasse inférieure compte davantage de restes (654) que la strate de base de la terrasse supérieure (587) qui ne montre pas un tel déséquilibre comme nous allons le voir. Dans le second cas de figure (les trois couches de la terrasse supérieure), la répartition des restes est en effet moins déséquilibrée, même si le NMIf est systématiquement donné par les dents (fig. 8 et 9). En effet, le talus, les métacarpiens et les métatarsiens sont les trois autres parties bien représentées. Des différences existent entre les trois strates : la base de la séquence montre une répartition des segments anatomiques bien plus homogène avec 86 % pour le tarse, 72 % pour le métatarsien, 59 % pour le métacarpien et 36 % pour le membre antérieur (cf. tabl. 15). Pourtant, il s'agit de l'échantillon numériquement le plus faible du Solutréen de la terrasse supérieure, ce qui montre encore une fois que la représentation différentielle des parties squelettiques ne s'explique pas par la taille des échantillons et atteste donc de leur représentativité. Enfin, là encore, les fragments de diaphyses des os longs n'ont pas été récoltés comme les fragments des ceintures (coxal et scapula), du rachis (vertèbres, côtes, sternum) et du crâne. Néanmoins, même si certains os sont absents de certains assemblages, la représentation de tous les segments anatomiques témoigne de l'apport des rennes entiers sur le site. Si le caractère sélectif de la récolte ou un tri ultérieur ne nous a pas permis de mener une analyse précise de la représentation différentielle des parties du squelette des chevaux et des rennes, l'observation des fréquences a montré une sur-représentation des dents, du talus et des métapodes (os longs toujours les mieux représentés). Elle a également montré la sous-représentation systématique du rachis, des os du carpe avec une meilleure représentation, pour les os longs de Renne, des extrémités distales d'humérus et de tibia. Cette analyse sommaire met donc en évidence un fait apparemment inattendu : un type de représentation différentielle globalement identique à celles de certaines collections fauniques issues de fouilles récentes incluant ramassage systématique et tamisage (Verberie : Audouze, 1988; Marolles : Bridault et Bémilli, 1999; Combe Saunière : Castel, 1999; Lassac, Gazel, Canecaude : Fontana, 1998; Pont de Longues : Fontana, 2000a). Notre objectif n'était pas d'interpréter ici ces fréquences relatives en terme d'apport, de transport ou de rejet différentiel en raison de la nature des échantillons (de taille moyenne et sélectifs) mais la similitude globale des représentations par rapport à certaines collections récentes issus de certains sites français doit être soulignée : que signifie -t-elle ? Simplement ceci : que la collection étudiée soit issue d'une collecte sélective ou d'un ramassage systématique, ce sont toujours les os et les extrémités de ceux qui ont le plus fort potentiel de conservation (et qui sont le moins fragmentés), qui sont les mieux représentés. C'est aussi, à notre avis, un argument fort pour réaffirmer l'importance du facteur de conservation dans la représentation différentielle des restes, peut-être plus aigu qu'on ne l'envisage généralement en interprétant ces données en terme de transports différentiels sur les sites paléolithiques français. Enfin, cette collecte partielle et sélective des restes fauniques nous interdit d'aller plus loin dans l'interprétation de la représentation des parties squelettiques des rennes et des chevaux du Fourneau du Diable. Si les rennes ont été apportés entiers sur le site, de quels traitements témoignent les traces anthropiques ? Si elles sont absentes des restes de chevaux, elles sont présentes sur 31 restes de Renne et elles sont typiques de celles qu'on observe sur les restes d'autres collections. Les plus nombreuses sont celles que laisse la désarticulation du bas des pattes : de fines traces sur l'extrémité distale d'un tibia, sur treize talus, sur quatre cubo-naviculaires, sur l'extrémité distale de trois métatarsiens, de six métacarpiens et d'un humérus (fig. 10 et 11). Trois premières phalanges portent également des traces sur leur face antérieure, correspondant à l'enlèvement de la peau. Les traces de décarnisation étant en majorité portées par les diaphyses d'os longs, il n'est pas surprenant de n'en trouver aucune. L'absence des diaphyses d'os longs nous interdit également de tenter de caractériser la fragmentation de ces restes mais l'observation des épiphyses distales, notamment des métapodes, nous indique une fragmentation tout à fait similaire à celle observée sur les restes d'autres collections comme Gazel, Canecaude (Fontana, 1998) ou Combe Saunière et le Cuzoul de Vers (Castel, 1999). Il apparaît donc, qu'en dépit du caractère sélectif de cette collection du Fourneau du Diable, certaines caractéristiques ont pu être mises en évidence et sont communes à ce que l'on connaît déjà sur le plan des modalités d'acquisition et de traitement des rennes, sur d'autres sites du Paléolithique supérieur français. Est-il possible d'identifier les stratégies (opportuniste ou non, ciblée ou indifférentielle) et les types de chasse (à l'approche, à l'affût, en masse …) des deux herbivores préférentiels ainsi que les saisons de chasse ? L'observation des incisives, des rares canines et des nombreuses dents jugales (tabl. 18) a néanmoins permis de noter que presque tous les individus étaient des sub-adultes et des adultes dont les âges étaient compris entre deux et sept ans. Seuls deux individus de moins de deux ans ont été identifiés (par la présence de quelques incisives lactéales), le plus jeune étant peut-être âgé d'environ un an comme l'atteste un coin en début d'usure (provenant de la strate moyenne de la terrasse supérieure). Le profil démographique des équidés abattus serait donc caractérisé par la sous-représentation des poulains et des individus âgés d'une part, et la forte représentation des sub-adultes et des adultes d'autre part. Si cet échantillon représente bien ce qui se trouvait dans les sédiments et que l'intégralité des dépôts a été fouillée, dans quelle mesure la sous-représentation des dents de poulain est-elle imputable au phénomène de conservation différentielle ? D'une façon générale, les dents ont un potentiel de conservation bien supérieur à celui des os, ce qui est renforcé chez le Cheval aux dents jugales massives (y compris les dents lactéales). De plus, un certain nombre de dents lactéales de cervidés et de petits bovidés se sont bien conservées, ce qui permet de penser que les poulains n'étaient pas présents sur le site. Un autre indice nous laisse également penser que l'absence, au Fourneau du Diable, des jeunes chevaux de la première année n'est probablement pas due en totalité à des phénomènes d'altération, mais plutôt à la réalité d'acquisitions plus ou moins ciblées sur les adultes. En effet, ce type de représentation des âges des équidés au Fourneau du Diable correspond à des données similaires obtenues sur d'autres sites du Paléolithique supérieur, comme Marolles dans le Bassin parisien (Bridault et Bémilli, 1999), Gazel et Canecaude dans l'Aude (Fontana, 1998 et 1999), l'abri Pataud en Dordogne (niveau aurignacien, Sekhr, 1998), le Blot, le Pont-de-Longues (Vollmar, 2001) et le Rond-du-Barry dans le Massif Central (Costamagno, 1999). Toutes ces données d' âge d'abattage paraissent correspondre à une même réalité de chasses ciblées sur les cinq-huit ans et dans une moindre mesure les trois-cinq ans. Les modalités d'exploitation du Cheval commencent à être discutées au vu de ces études récentes (et d'autres, comme Morel et Muller, 1999) mais ces dernières restent encore insuffisantes pour tester cette hypothèse. Enfin, notons l'identification d'un individu âgé d'environ un an situe au moins un épisode de chasse au printemps. J. Bouchud avait effectué un travail minutieux (Bouchud, 1966) à partir duquel nous avions réalisé trois histogrammes correspondant aux âges des rennes dont les dents étaient issues des trois strates de la terrasse supérieure (Fontana, 2000b) (fig. 12). L'allure de ces profils nous était apparue comme typique de tous les profils de Renne des sites du Paléolithique supérieur du Sud-Ouest : une allure générale d'un profil de survie (d'après les données de Miller, 1974) avec une sous-représentation systématique des faons. Nous remarquions que celle -ci était également manifeste pour les sites magdaléniens audois mais qu'elle disparaissait dans les histogrammes réalisés en pourcentage du Nombre Minimal d'Individus de combinaison qui devenaient alors quasiment identiques aux profils de survie. Il était donc nécessaire de réexaminer les collections étudiées par J. Bouchud, notamment celles du Fourneau du Diable, en comparant nos déterminations et nos pourcentages de nombre de dents et en réalisant la représentation des individus en pourcentage du NMIc. Notre travail a été réalisé à partir de 1365 jugales inférieures qui nous ont permis de déterminer les âges des individus (tabl. 19 à 24) et leurs saisons de mort. Avant de comparer nos histogrammes en pourcentage du nombre de dents avec ceux de J. Bouchud, il faut signaler que le nombre de dents par échantillon (pour la terrasse supérieure) n'est pas le même et varie de façon très importante : la strate supérieure aurait livré, d'après J. Bouchud, 592 jugales inférieures et supérieures alors que notre décompte pour les trois strates est de 906, en comptabilisant seulement les jugales inférieures. Il est donc vraisemblable que J. Bouchud n'a pas eu accès, comme nous, à la totalité du matériel. Quoi qu'il en soit, malgré cette différence, la comparaison des profils en pourcentage du nombre de dents montre une allure globalement identique à l'exception d'une plus faible représentation des faons dans nos histogrammes. Comparons maintenant nos histogrammes réalisés en pourcentage du nombre de dents avec ceux réalisés en pourcentage du NMIc. Pour les deux couches de la terrasse inférieure (fig. 13 à 16), la comparaison des histogrammes montre que l'allure générale reste globalement la même, quel que soit le critère de quantification utilisé. Mais il s'ajoute un phénomène que nous connaissons maintenant bien pour les séries dentaires de Renne, c'est-à-dire une réévaluation du nombre des faons, significative dans le cas du niveau solutréen (environ 4 % en nombre de dents contre 10 % en NMIc). Il en est de même pour les échantillons des trois strates de la terrasse supérieure où les faons sont deux fois mieux représentés en NMIc. Il n'est pas question ici de discuter la méthodologie des classes d' âge, l'emploi des critères de quantification et l'interprétation des histogrammes, aspects déjà développés par ailleurs (cf. Fontana, 2000b). Ceci permet de confirmer que la sous-représentation systématique des faons s'atténue, dans de nombreux sites, avec un calcul en NMIc (c'est le cas dans tous les sites qui livrent les données brutes sous ces deux formes). Cette étude montre donc, à ce stade, que le profil des rennes abattus au Fourneau du Diable est comparable à un profil de survie, et que la faible représentation des faons, initialement décrite, est atténuée, se situant plus vraisemblablement au-delà de 10 %. Notre seconde question était de savoir quelle était la part (outre celle du critère quantitatif utilisé) de la conservation différentielle dans cette représentation de faons dans les histogrammes de J. Bouchud. Pour répondre, il était nécessaire de réétudier un corpus bien conservé, ce qui est le cas du Fourneau du Diable. Sachant que les dents déciduales de faons isolées ont été beaucoup plus sujettes à la fragmentation que celles issues d'autres collections où les mandibules garnies sont nombreuses (comme à Gazel, Fontana, 1998 et 1999), ce facteur de conservation différentielle est donc difficilement quantifiable, mais il a vraisemblablement joué un rôle dans la destruction des dents de faons. Deux hypothèses restent donc envisageables. Ou bien les faons ont été tués dans des proportions identiques à celles d'un profil de survie et traduisant un abattage sans “égard” pour les tout jeunes (comme pour les autres) et la moitié de ces dents ont été détruites. Ou bien, même sans cibler leur chasse sur une classe d' âge en particulier, les chasseurs ont évité, dans la mesure du possible, les faons. Pour répondre à cette question, il faut l'envisager dans un cadre beaucoup plus vaste en prenant en compte les données du sex-ratio et de la saisonnalité. Si l'étude des dents de rennes permet de déterminer la saison de mort des individus de moins de deux ans et demi uniquement, celle des bois permet d'étendre ce travail à tous les individus représentés, quel que soit leur âge. Ces données sont d'autant plus fiables que l'échantillon et sa représentativité sont importants. Si les allures générales de survie des profils des rennes du Fourneau du Diable et plus généralement des sites du Sud-Ouest étudiés par J. Bouchud sont presque identiques à celles des sites de l'Aude, il en est tout autrement des données de saisonnalité. En effet, l'étude des dents jugales et des bois sur les sites du Sud-Ouest avait permis à J. Bouchud de conclure à des chasses au Renne tout au long de l'année, avec des périodes de plus grande intensité, témoignant de la faible amplitude, voire de l'absence de comportement migratoire du Renne dans cette région. C'est une donnée fondamentalement différente des chasses de l'Aude, du Bassin parisien, et de certains sites du Massif central, qui a été remise en question, pour le Sud-Ouest, par B. Gordon (1988) qui proposa, au contraire, des hypothèses de circulation des rennes (et des hommes) de plus grande ampleur. Lors de la première observation du matériel dentaire de Renne des couches du Fourneau du Diable, nous avons immédiatement réalisé à quel point ces séries étaient différentes de ce que nous connaissions jusqu'ici. En effet, ces dents représentent des individus qui sont presque tous d' âge différent et qui ont été abattus durant toutes les saisons puisque les âges fournis par les prémolaires lactéales sont très variables et répartis dans le temps : 4/6 mois, 6/7, 8/9, 6/8, 10/12, 12/13, 12/15, 15/18, 18/22. C'est en cela que cette collection diffère des sites où de nombreux individus du même âge ont été abattus simultanément, à une même période de l'année. Cette donnée est-elle confirmée par l'étude des bois ? Là encore, on observe la même variabilité (tabl. 25). La présence de massacres de femelles adultes (qui dominent les restes déterminés) et de sub-adultes des deux sexes identifie des animaux abattus en hiver et au printemps (parfois juste avant la mise bas, comme en témoigne le ligne de mue très marquée). Des bois de massacre sont présents dans les couches de la terrasse supérieure et appartiennent à des mâles morts en automne, période de maturité de ces bois. La présence de ces bois permet donc d'identifier des chasses d'automne, plus ciblées sur les mâles et des chasses de printemps et d'hiver, plus tournées vers les femelles et les sub-adultes des deux sexes. Il nous semble que la saison d'été ne soit pas clairement identifiée, comme l'avait déjà suggéré l'absence des faons de moins de quatre mois, qu'on peut, il est vrai, toujours interpréter comme une volonté de ne pas abattre ces tout jeunes animaux. Cette éventuelle absence de fréquentation ou de chasse au Renne durant l'été est la seule de nos hypothèses qui diffère de celle de J. Bouchud. Enfin, le sex ratio, estimé par J. Bouchud, à partir des bois et des mesures des astragales confirme cette forte représentation des femelles, conformément à la structure démographique actuelle des rennes. Dans quelle mesure les stratégies de subsistance mises en évidence sur ce site sont-elles représentatives de ce que l'on en connaît d'après les données issues des collections fauniques de Combe Saunière et du Cuzoul de Vers (cf. fig. 1), les deux sites solutréens qui ont fait l'objet d'une étude récente (Castel, 1999) ? Le Renne représente, au Fourneau du Diable, la grande majorité de l'acquisition, comme au Cuzoul de Vers (couches 29 à 31) et à Combe Saunière (couche IV). Le Cheval est le second gibier chassé, comme à Combe Saunière, tandis qu'au Cuzoul de Vers, il s'agit du Bouquetin. Une ressemblance unissant ces trois sites réside dans l'apport, en totalité, des rennes (et peut-être des chevaux de Combe Saunière et du Fourneau du Diable). Si l'étude des âges des rennes du Cuzoul de Vers n'a pas permis d'identifier la structure de la population représentée, à Combe Saunière, en revanche, elle a mis en évidence une chasse probablement non sélective (Castel, 1999) comme au Fourneau du Diable. Enfin, les saisons d'acquisition du Renne ne sont pas déterminées au Cuzoul de Vers alors qu'elles couvrent l'hiver, le printemps et peut-être, dans une moindre mesure l'été et une partie de l'automne à Combe Saunière (Castel, ibid.), ce qui rapproche encore ce site de celui du Fourneau du Diable. Les données archéozoologiques du Fourneau du Diable présentent donc certaines similitudes avec celles de Combe Saunière, site distant d'une trentaine de kilomètres à vol d'oiseau : place prépondérante du Renne associé au Cheval, chasses tout au long de l'année mais majoritairement en hiver et au printemps, acquisition non sélective de femelles adultes, de sub-adultes et de faons des deux sexes en mauvaise saison et plutôt ciblée sur les mâles adultes en automne. Si Combe Saunière n'était pas, durant le Solutréen supérieur, un site d'abattage (Castel, 1999), il en va probablement de même pour le Fourneau du Diable, qui a livré de nombreux restes d'industrie osseuse, des éléments de parure, des pierres gravées et des blocs sculptés. Mais la rareté d'autres données relatives aux vestiges mis au jour ne nous permet pas d'en dire plus. L'étude des restes fauniques issus du remplissage des deux terrasses du Fourneau du Diable s'est avérée intéressante à plusieurs titres. Les résultats obtenus ont montré que l'étude archéozoologique d'une collection ancienne n'était pas une tentative vaine, même en cas de collectes sélectives et de « remaniements » post-fouilles. En effet, nous avons mis en évidence que la représentativité des spectres fauniques était plutôt bonne en terme qualitatif et quantitatif. Cette collection témoigne que le Renne a été le gibier de prédilection, parfois accompagné du Cheval mais toujours en proportion moindre, et que les rennes ont été apportés entiers sur le site, la question restant non résolue pour les chevaux. De plus,cette collection nous a donné une bonne image de ce qu'est une collection de dents et de bois de Renne issus d'animaux abattus durant presque toute l'année, bien différente des collections témoignant de chasses uni-saisonnières. Mais surtout, l'étude des dents et des bois nous a permis de mettre en évidence les stratégies de chasse au Renne : des chasses hivernales et printanières non sélectives visant des troupeaux constitués de femelles adultes et de jeunes des deux sexes, des chasses automnales plus ciblées sur les mâles adultes et enfin des chasses estivales plus sporadiques. Ce résultat constitue donc un nouvel argument pour étayer notre hypothèse de stratégies communes aux groupes de nombreuses régions du Sud-Ouest et des Pyrénées, et ceci, quelle que soit leur appartenance culturelle. En effet, la mise en évidence de ce type de stratégie dans un site solutréen est tout à fait nouvelle et fondamentale car elle tend à montrer que cette homogénéité des stratégies de chasse au Renne couvre peut-être les 30 000 ans du Paléolithique supérieur. Enfin, tous ces éléments réaffirment, si besoin est, l'absence de vastes migrations saisonnières des rennes du Sud-Ouest de la France. Néanmoins, cette étude a atteint ses limites, dans l'interprétation des parties squelettiques qui est déjà un exercice particulièrement délicat pour des collections issues de fouilles récentes. Si le caractère tronqué de cette collection (dû au ramassage ou au tri sélectif des pièces) n'a pas permis de préciser les modalités de consommation, il nous a surtout empêché d'identifier le facteur principal qui est à l'origine de la sous-représentation de certaines parties squelettiques (pour le Renne : rejet différentiel des os ou emport hors du site ?). Cela rappelle, si besoin est, l'impérative nécessité du ramassage exhaustif et du tamisage, celle de l'étude exhaustive des restes fauniques mais aussi celle de la présence de l'archéozoologue sur la fouille .
L'étude des restes fauniques du Fourneau du Diable est entreprise au terme d'une étude synthétique des stratégies de chasse au Renne au Paléolithique supérieur dans le grand Sud-Ouest de la France (Fontana, 2000b) dans le but de mieux apprécier la validité des résultats anciens. En dépit du caractère sélectif du ramassage des restes fauniques, qui traduit l'ancienneté des fouilles au Fourneau du Diable, nous avons pu extraire certaines informations archéozoologiques relatives aux modalités d'acquisition des rennes, probablement apportés entiers sur le site. Enfin, la comparaison de l'ensemble des données avec celles d'autres sites solutréens a mis en évidence de nombreuses similitudes avec Combe Saunière.
archeologie_525-02-11823_tei_291.xml
termith-63-archeologie
Le gisement a été découvert en 1992 lors des investigations archéologiques menées sur le futur tracé autoroutier A 29 devant relier Le Havre à Saint-Saëns en Seine-Maritime (fig. 1). Le site avait été retenu comme étant une occupation potentielle du Néolithique grâce à la découverte d'une dizaine de haches polies par l'exploitant M. P. Monville mais, lors des investigations archéologiques intrusives, les vestiges de cette période y sont restés anecdotiques. Quant aux deux fosses ayant livré un mobilier céramique, dont des gobelets attribuables au Campaniforme, l'importance de leur découverte porte sur sa localisation à l'intérieur des terres, contrairement aux autres installations contemporaines de Haute-Normandie, principalement concentrés en fond de vallée (Blancquaert et Penna 1995, p. 93-95). Enfin, les principales occupations, qui font l'objet du présent article, datent de l' âge du Fer et de l'époque Gallo-romaine. Leur intérêt majeur réside dans la mise en évidence d'une batterie de greniers rattachée au premier âge du Fer d'une part et de structures funéraires et domestiques du Haut-Empire d'autre part (fig. 2A). Situé sur un plateau limoneux de 136 m d'altitude, le site du « Bosc Renault » surplombe le vallon sec de Hautot-le-Vatois au nord-est et un vallon de moindre importance à l'ouest. La stratigraphie présente une succession de limons éoliens quaternaires, l'argile à silex étant rarement rencontrée. Les structures archéologiques, creusées systématiquement dans le limon orangé scellé par une couche irrégulière de limon brun, atteignent ponctuellement le « limon à doublets ». Cette irrégularité est le résultat d'une érosion qui coïncide avec le micro-relief (fig. 2B). En effet, d'ouest en est, on observe une première butte suivie d'un léger replat bordé d'un versant en pente douce, un petit vallon sec prolongé par un versant plus court et plus abrupt et enfin une deuxième butte. Chaque entité topographique correspond à une occupation singulière, ce qui justifie un découpage du site en cinq zones, dont seulement les trois premières seront présentées car elles concernent les décapages exhaustifs (6 ha) ayant fait l'objet d'une fouille de sauvetage. – La zone I s'étend sur les versants de part et d'autre du vallon sec et concerne une série importante de plans de petits bâtiments sur poteaux. – La zone II occupe la butte à l'est de l'ensemble précédent et livre un système d'enclos curviligne et trapézoïdaux des époques gauloise et romaine. Les structures linéaires et quelques fosses de combustion attestées dans les tranchées de sondages effectuées dans la zone IV à l'est de la zone II suggèrent la présence d'un parcellaire et d'un enclos s'étendant au sud et donc au-delà de notre champ d'investigation. – La zone III, localisée sur le point le plus élevé à l'ouest du site, fournit une dizaine de tombes romaines, le reste d'un système parcellaire, deux fours et deux fosses cylindriques. Elle se distingue par la présence de nombreux chablis. Enfin, les tranchées de la zone V – peu fournies en structures fossoyées – font la jonction entre la route départementale n° 5 et la surface décapée de la zone III. La limite nord de cette zone n'est pas connue car située en dehors de l'emprise autoroutière. Les trois autres côtés en revanche se matérialisent par la présence de fossés ou par une nette diminution de structures (fig. 3). À l'ouest, c'est l'imposant fossé 150 qui délimite la concentration de bâtiments. Au sud, un fossé de taille plus réduite (310) limite la diffusion des vestiges relatifs au premier âge du Fer. À l'est enfin, la rupture de pente est marquée par un espace vide de traces anthropiques. Ainsi circonscrite, la zone I recèle 24 plans architecturaux d'une superficie modeste, celui d'un grand bâtiment et enfin une pléthore de trous de poteaux difficiles à organiser en un plan cohérent. Enfin, par souci d'exhaustivité, il convient d'évoquer la présence de deux chenaux parallèles conservés sur une très faible profondeur, formant un angle arrondi et qui sont aménagés dans la partie la plus basse de cette zone I et du site en général (fig. 2A). Ténues et non datées, ces dernières traces ne peuvent pas être interprétées convenablement. D'orientation nord-est/sud-ouest, le fossé 150, qui commence en limite nord du site, est connu sur une longueur de 110 m environ. Large de 3 à 6 m, sa profondeur conservée à partir du niveau de décapage oscille entre 2,80 m et 1,10 m. Les 19 coupes relevées montrent une variation importante des profils dont les plus significatifs sont donnés en fig. 4. Deux cas atypiques sont à signaler. Il s'agit d'un premier profil à « tentacules » façonné par la chute d'un arbre (fig. 4, coupe 8) et d'un second dont on remarque la profondeur exceptionnelle, le fond plat et le net recreusement. Quant à la dynamique de comblement, trois étapes majeures se distinguent. À la base du fossé se situe un dépôt lité, relatif à la stagnation d'eau, où des fines couches de limons sableux beiges alternent avec des lits argileux ocre. Dans la partie médiane, on dénombre plusieurs niveaux de limon gris ou brun (LGB), parfois légèrement argileux (LaB), dus à l'effritement des parois. Enfin, la couche supérieure se compose essentiellement de limon brun foncé enrichi en concrétions de manganèse et en particules de charbon de bois (LBs). Si le comblement de certaines coupes semble symétrique, d'autres paraissent affectées par un léger pendage ouest. D'après la pente naturelle, la proximité immédiate des bâtiments sur poteaux à l'est du fossé et l'espace vide (plus de 8 m) entre ce fossé 150 et le système fossoyé aménagé plus à l'ouest, il est fort possible qu'un talus ait été érigé à cet endroit. On peut s'interroger sur la faiblesse quantitative du mobilier exhumé dans ce fossé (fig. 4), pourtant entièrement fouillé (Blancquaert 2000, p. 108). En effet, à l'exception d'un gobelet en céramique et d'un lingot en fer, le remplissage demeure stérile. Le premier objet a été trouvé à 1 m de profondeur dans un niveau de limon très argileux plastique beige clair et riche en manganèse de la coupe 2. Le lingot en revanche est issu d'un comblement assez homogène non stratifié, composé de limon brun renfermant quelques poches de limon blanchâtre de la coupe 3, vers 0,60 m de profondeur. Enfin, le remplissage final contient quelques tessons de facture gallo-romaine. Vers le milieu de la partie reconnue de ce puissant fossé se greffe l'étroite rigole 310 formant avec lui un angle de 68° (fig. 3). D'orientation ouest-est, son tracé a été suivi sur 100 m en direction de l'est. D'une largeur constante de 1,20 m, sa profondeur n'excède pas 0,50 m. Le profil est en U, mais il ne subsiste par endroits que comme une faible cuvette. Des élargissements observés par endroits correspondent plutôt à des effondrements des bords et non à de réels creusements. Le comblement homogène est composé de limon brun gris, enrichi à la base de concrétions de manganèse. Seuls quelques tessons de facture « protohistorique » et une pointe de flèche à pédoncule et ailerons en silex y ont été recueillis. Si le sédiment lité tapissant le fond du fossé 150 est stérile, celui des couches sus-jacentes permet de retracer l'évolution de la végétation au cours d'une partie du remplissage (tabl. 3). Le taux élevé de spores de fougères de type Dryopteris témoigne de l'ombre et de la fraîcheur créées par la profondeur du fossé. Le taux d'arbres – où domine le bouleau – est assez important. Les pollens d'herbacées ne sont pas négligeables, mais comprennent peu de graminées. La présence de malvacées et d'orties suggère un milieu peu entretenu. Les pollens céréaliens et autres espèces accompagnatrices de l'activité humaine sont également rares. La coupe 8, qui montre un chablis (fig. 4), a enregistré une pluie pollinique avant et au cours de cette création. Il semble que les arbres présents au départ (bouleau, noisetier, hêtre, pin, chêne et orme) aient été perturbés dans leur développement. Ce dérèglement s'accompagne d'une nette diminution des taxons arboréens, sauf de l'aulne, et semble correspondre à la formation de chablis (celui du fossé, mais également la série attestée dans la zone III). Il semble donc que le fossé 150 ait été témoin d'un évènement « catastrophique ». Une fois les arbres déracinés, un terrain propice au reboisement apparaît (le bouleau passe de 1,3 % à la base de la couche 4 à 31,5 % au sommet du prélèvement de cette dernière). Localement, et toujours à partir de l'échantillon de la coupe 8, les spores de fougères aigle suggèrent un milieu ouvert éclairé, image renforcée par la présence d'armoise, de chénopodiacées et d'hépatiques. Le secteur I, qui s'étend au nord-est de l'angle formé par ces deux fossés 150 et 310 contient les fondations des bâtiments sur poteaux et neuf fosses ayant livré un mobilier céramique de facture protohistorique. Il convient d'insister sur l'absence de toute perturbation par des vestiges postérieurs. Par ailleurs, au sein même de la concentration, il n'y a pas de recoupements ou superpositions de structures. D'après l'agencement général des 25 bâtiments identifiés, deux groupes se distinguent. Le premier groupe, le plus dense, occupe le versant exposé à l'est, le second adopte le versant exposé à l'ouest. Une certaine organisation spatiale respectant deux axes, nord-est/sud-ouest et ouest/est, est perceptible. Une division en trois sous-groupes s'impose car un ensemble structuré se détache de deux lots de bâtiments à la disposition plus désordonnée et dont certains plans demeurent hypothétiques. – Le sous-groupe 1a comporte sept petits bâtiments à plan rectangulaire et un autre plus vaste, avec abside. Cet ensemble, d'orientation nord-est/sud-ouest, se développe le long du fossé 150 sur une superficie de 600 m 2 et est séparé des sous-groupes 1b et 1c par un « couloir » large de 5 m et vide de vestiges. Quelques fosses se situent au contact avec le secteur suivant. – Le sous-groupe 1b occupe 2 100 m 2 et englobe huit bâtiments dont cinq sont rassemblés en îlot sur une surface de 375 m 2. Les trois autres édifices, au plan moins cohérent, se trouvent à l'est et au sud de cet îlot. Le sous-groupe 1c se déploie sur 400 m 2 au nord du précédent et ne recèle que deux bâtiments, dont l'un est incertain, et quelques petites fosses. Le groupe 2 se compose de six constructions installées de part et d'autre d'un « passage » d'environ 5 m d'envergure selon un axe ouest/est. Un espace de 300 m 2 est voué à cet ensemble. Entre les deux grands groupes, plusieurs poteaux s'éparpillent sur environ 3500 m 2, mais seuls deux édifices y sont discernables. Il est tentant de considérer ce regroupement par îlots comme la conséquence de plusieurs phases de construction. Mais, s'il est évident que l'ensemble n'a pas été érigé en une seule fois, la structuration spatiale suggère une conception d'ensemble et donc un laps de temps d'installation relativement court. Cette hypothèse est plausible, car aucun cas de superposition n'a été observé parmi les structures identifiables. Les édifices sur poteaux ont été individualisés tout d'abord sur le terrain selon un décodage visuel fondé sur l'apparente homogénéité et la géométrie du plan. Dans un second temps, ce sont la taille, le comblement et le profil des poteaux qui sont venus confirmer ou réfuter cette première supposition. Toutefois, ces critères morphométriques se révèlent peu diversifiés. En effet, les traces au sol laissées par les trous de poteaux sont généralement circulaires et présentent un diamètre de 0,40 m en moyenne. Leur profil est en U et le comblement composé de limon gris charbonneux ou brun gris domine. Quant à la profondeur conservée, elle est très variable et oscille entre 0,06 et 0,40 m. Cette variation s'explique par la présence d'une certaine dénivellation dans la topographie et résulte probablement d'une érosion accrue sur les pentes. Si les trous peu profonds ne permettent pas de déterminer le procédé d'installation d'un poteau, les plus profonds suggèrent des poteaux plantés, le négatif du poteau étant lisible dans la coupe. Exceptionnellement, des taches oblongues sont perceptibles dans l'alignement des poteaux (E7). Certaines (E4, E6 et E40) recèlent un poteau discernable dans le comblement de limon brun gris. À partir du nombre de poteaux et de leur disposition, cinq types de « greniers » peuvent être définis (fig. 6). – Le type 1 concerne le module sur 4 poteaux d'angle (9 exemples), de plan quadrangulaire et d'une superficie moyenne de 6 m 2. – Le type 2, sur 5 poteaux, présente deux sous-types, dont l'élément discriminatoire réside dans la position du cinquième poteau par rapport au plan carré. Dans le premier cas (sous-type 2a) il est excentré et se situe dans la prolongation de l'axe médian (E26, E21 et E11 ?); la surface ainsi circonscrite occupe environ 10 m 2. Dans le second cas (sous-type 2b) le cinquième poteau est interne, mais décalé vers l'angle est (E1); l'unité E17 peut en être rapprochée car il s'agit d'un bâtiment dont un des poteaux d'angle est doublé. La superficie moyenne de ce sous-type est légèrement supérieure à 7 m 2. Le type 3 présente un plan rectangulaire sur 6 poteaux. Là encore deux sous-types se détachent. Le premier (sous-type 3a) s'applique à un alignement parallèle des côtés longs (E2 et E13 ?). Le second (sous-type 3b) correspond à des poteaux médians légèrement excentrés et tend vers un plan hexagonal (E5 et E6). Se discernent également des plans sur 5 poteaux, selon un alignement de 2+3 dont il est envisageable qu'un sixième poteau manque. Les exemplaires E10 et E11 enrichiraient le sous-type 3b. En tout état de cause, ces plans sur 6 poteaux délimitent un espace moyen de 12 m 2. – Le type 4, sur 9 poteaux, n'est représenté que par un exemple et on peut s'interroger sur la valeur de la troisième rangée de 3 poteaux car elle prend une orientation légèrement différente (E4). – Enfin, certains assemblages évoquent plusieurs possibilités ou rappellent une architecture particulière. L'unité 13, composée de 9 poteaux, propose un modèle à abside avec un couloir d'accès proche de la forme « en trou de serrure », mais il peut s'agir également d'un plan sur 6 poteaux, tantôt sur 5 (fig. 6). Quant à l'unité E22, formée de 9 poteaux, elle suggère un édifice à une nef et une avancée (portique) sur une moitié d'un des côtés longs (fig. 3). Un édifice particulier, localisé le long du grand fossé 150, se détache du premier groupe (ensemble 8, fig. 7). D'orientation nord-est/sud-ouest similaire à celle des « greniers », cette construction d'une superficie de 110 m 2 était supportée par 27 poteaux disposés selon un plan rectangulaire à abside côté sud et à pan coupé côté nord. À partir du diamètre des trous de poteaux, trois modules se distinguent : le module 1, le plus grand, concerne 10 exemplaires d'un diamètre de 0,40 à 0,44 m; le module intermédiaire s'applique aux 8 structures dont le diamètre est de l'ordre de 0,30 à 0,35 m; enfin, le module 3 correspond à un diamètre de 0,25 m et est illustré par 9 exemples. Au regard de ces éléments, il est tenant de décomposer l'installation de ce bâtiment en deux étapes : un premier édifice – d'une surface restreinte – est supporté par des poteaux de module 3 (zone grisée de la fig. 7), tandis que, dans un second temps, son agrandissement est appuyé par des poteaux plus grands. Si les arguments concluants en faveur d'un accroissement font défaut, il convient d'explorer deux autres critères : le profil et la profondeur des trous de poteaux. Le premier élément montre une trop forte variabilité pour soutenir la thèse de la construction en deux temps. Le second, en revanche, corrobore la proposition avancée à partir de la répartition des poteaux selon leur diamètre. En effet, si la profondeur des excavations oscille entre 0,06 et 0,40 m, les poteaux les plus profonds sont attestés uniquement dans la partie sud-ouest de la construction et coïncident avec le module 1. Les poteaux externes de ce bâtiment sont installés à intervalles irréguliers (entre 1 et 3 m). Un resserrement se distingue entre les poteaux de l'abside. Quant à la rangée médiane, on y trouve des écarts de 3,5 m et 8 m. Il est possible qu'elle ait supporté la faîtière, même si ce fait peut être contesté par les dimensions modestes de deux des trous. Les rares poteaux « sortant du rang » ont pu servir à des renforcements ponctuels ou à un cloisonnement. Il est à signaler un espacement de 4 m dans le mur est, a priori au niveau de la jonction entre la première et la seconde partie de la bâtisse. Cette apparente interruption s'ouvre sur un petit espace vide et mène vers l'allée préservée entre les alignements de greniers. On peut regretter l'absence de vestiges témoignant d'une activité à l'intérieur de cet édifice. Ce manque s'explique en partie par l'érosion et peut-être par le fait qu'il ne s'agit pas d'une maison, mais d'un bâtiment agricole de type grange. L'absence de poches de rejet domestique dans le fossé 150 situé à l'arrière du bâtiment et la faible quantité de mobilier issu des fosses voisines renforcent la notion d'un bâtiment non habité régulièrement. Sur un total de 17 fosses étudiées, neuf ont livré du mobilier archéologique, composé majoritairement de céramique et de mobilier lithique. La présentation globale de ces structures, après celles des bâtiments, est uniquement fondée sur le fait qu'elles occupent le même espace topographique, mais en aucun cas leur contemporanéité n'est garantie. En effet, ces fosses sont toutes installées en bordure des groupes de « greniers », au sud de la zone I en périphérie des sous-groupes 1a et 1b, tantôt en limite d'emprise fouillée au nord du sous-groupe 1c, de part et d'autre d'un espace vide (fig. 3). De dimensions diverses, mais n'excédant guère 1,30 x 0,80 m pour une profondeur conservée entre 0,20 et 0,60 m, ces fosses sont remplies tantôt de limon brun-gris, tantôt de limon gris foncé, l'un et l'autre peu stratifiés. Les rares niveaux inférieurs se distinguent soit par un mélange de limon orangé et de limon brun-gris, soit par un apport considérable de particules charbonneuses. La petite fosse 306, marquée par une couronne de terre rubéfiée et une couche charbonneuse tapissant le fond, suppose une combustion en place. Pour le reste, une explication fonctionnelle fait défaut. En revanche, l'organisation spatiale et la diffusion du mobilier associé permettront de mieux caractériser ce type d'occupation. Seul un échantillon de la fosse 272 a été analysé. Le spectre ne montre qu'un faible taux de taxons arboréens (surtout noisetier) et suggère un paysage déboisé. Les pollens de graminées, atteignant 25,3 %, sont accompagnés d'autres types herbacés rudéraux. Enfin, 3,2 % de céréales et 18,13 % de spores d'hépatiques évoquent un sol régulièrement remué, dénudé et cultivé. La distinction entre céramiques fine et grossière est fondée principalement sur l'épaisseur de la paroi, mais montre cependant un lien direct avec les types de pâtes détaillés ci-après. La première catégorie porte sur des parois dont l'épaisseur oscille entre 0,5 et 0,7 cm. La seconde dépasse régulièrement 0,8 cm d'épaisseur et peut dépasser 1 cm. Les céramiques « fines » semblent réalisées dans une pâte moyennement triée tandis que les produits plus rudimentaires ont été modelés dans des argiles à dégraissant de silex grossier. Dans la mesure du possible, les tessons chauffés après cuisson (C) ont été différenciés (selon leur couleur, poids…) des tessons non chauffés (NC). Enfin, les éléments discriminants n'ont été comptés qu'une fois pour ne pas fausser le nombre minimum d'individu. Ainsi, un bord et un tesson décoré du même récipient ne sont comptés que comme bord. La désignation de forme complète (FC) s'applique sur le profil archéologique entier (tabl. 1). Hormis l'organisation spatiale, ces fosses – et par conséquent le mobilier qu'elles recèlent – n'ont a priori aucun lien chronologique. Cependant, il paraît plausible, en ce qui concerne les données techniques de la céramique, de traiter le corpus dans son ensemble. Les critères typo-morphologiques en revanche sont détaillés par individu ou par structure, puis analysés simultanément. Dans le cadre d'une étude microscopique globale des céramiques protohistoriques mises au jour sur le tracé de l'A 29 réalisée par A. Pierret (1996), cinq individus issus de trois fosses distinctes de la zone I de Hautot-le-Vatois ont été sélectionnés pour analyse pétrographique sur lame mince; ils appartiennent à trois des sept types de pâtes définis (types 2, 5 et 6). Cependant, un examen effectué à l' œil nu permet de compléter cette série par une pâte à silex grossier (type 7). Si les trois types identifiés par analyse microscopique se distinguent clairement, les critères discriminants, la glauconie, les grumeaux et la chamotte, s'affirment peu. – Le faciès le mieux représenté semble la pâte de type 6, caractérisée par la présence de sable fin composé principalement de quartz émoussé et de quelques glauconies dans une masse fine argileuse, et dont la microstructure est grumeleuse. – Le type 5 concerne une pâte riche en quartz et dont la matrice argileuse contient des granules assez anguleux de même composition, mais de coloration et de biréfringence différentes; il s'agit probablement de grains de chamotte. Enfin, la pâte glauconieuse ou type 2 présente une fraction sableuse abondante et triée, riche en grains de quartz anguleux à émoussés et en glauconie dans une masse argileuse. Selon la distribution spatiale des différents micro-faciès protohistoriques à l'échelle du tracé étudié de l'A 29, il résulte que le faciès à glauconie (groupe 2) et celui au dégraissant à base de silex grossier semblent correspondre à une catégorie plutôt ancienne. La situation est comparable en ce qui concerne les pâtes grumeleuses (groupe 6) et chamottées (groupe 5). Toujours à partir de cette étude globale, il ressort qu'aucun groupe de pâte n'est destiné à la réalisation d'une forme particulière, exception faite pour les vases massifs majoritairement fabriqués dans une pâte dégraissée de silex. La couleur dominante des céramiques oscille entre le beige brun et l'ocre rouge pour un cœur plus sombre à noir, ce qui semble résulter d'une cuisson en mode oxydant. Seuls cinq individus, issus respectivement des fosses 109, 272 et 663, présentent une coloration marron homogène suggérant une cuisson en milieu réducteur, ou du moins mieux maîtrisée. En dépit d'une fragmentation conséquente des individus déterminés, on peut considérer que la presque totalité du corpus est obtenue par modelage. Si le lissage soigné est attesté sur les deux faces, la majorité de la production reflète une finition plus rudimentaire. La surface externe est égalisée de façon irrégulière ou au moyen d'une main humide boueuse. Le traitement mixte (bord lisse et panse mate) est rare. Les décors se limitent à une rangée d'incisions ou d'impressions – tantôt exécutées au poinçon tantôt au doigt – située au diamètre maximum du vase, et à des lèvres pincées ou pourvues d'empreintes digitales (109, 586-1 et 272-1). Les traits verticaux effectués au peigne et couvrant la panse (653-2), ou encore les bandes lisses verticales divisant la panse en panneaux mats alternés de larges traits brillants sont observés également (653-1). Un motif en « feuille de laurier » associe des impressions réalisées avec un instrument à pointe anguleuse et disposées en deux rangs avec un trait faiblement imprimé qui les entoure (597-1). Enfin, un vase témoigne de la présence d'un cordon modelé dans la panse et faiblement digité (272-1). À plusieurs reprises, des plages noires ou encore des croûtes ont pu être observées. Le vase 272-3 et le gobelet 272-2 présentent un bord intérieur noirci. Dans ce dernier cas, il s'agit probablement d'un reliquat d'une face lissée (finition) détériorée suite à l'utilisation ou à l'érosion naturelle. Les quelques plages noires attestées à l'intérieur du vase 112-2 suggèrent des reliquats d'épiderme érodé, mais ce récipient affiche également des résidus noirs sur le bord externe. Enfin, l'individu 586-1 présente une face interne couverte de croûtes noires qui sont probablement le résultat d'une réaction à la chaleur d'une pâte riche en carbone (ou de restes de cuisson ?) Enfin, le grand vase 272-1 porte des traces noires à l'intérieur de la panse. Il s'agit presque toujours de formes ouvertes tronconiques à panse curviligne (109-7 et 112-1) ou sensiblement rectiligne (109-4). Un exemplaire présente un bord faiblement rentrant (663-1); un autre individu est de type microvase (272-3). La morphologie des lèvres est très changeante. Elles sont tantôt arrondies tantôt aplaties, ou encore pincées. Les empreintes sont faiblement imprimées et non jointives, ou à l'opposé enfoncées et jointives, aboutissant à une gorge. Deux types de formes semblent se dégager, l'une de hauteur moyenne (pot), l'autre plutôt basse (jatte ou terrine). À remarquer les similitudes de mesures entre les deux jattes à profil curviligne (Do : 24 et 25 cm) et les deux pots à large lèvre (Do : 29 et 30 cm). Il convient d'ajouter à cette série un petit bol au corps globuleux (probablement à fond arrondi) et surmonté d'une lèvre fine arrondie (109-8). Un premier groupe porte sur les formes sans col, à épaulement doux ou à carène aiguë. Il s'agit aussi bien de formes ouvertes que fermées, de modules divers. Se distinguent un pot à la panse globulaire et au bord droit (272-2), une forme moyenne dont la panse basse est surmontée d'un bord haut cylindrique (109-10), deux formes de type jatte – l'une carénée (653-1), l'autre à épaulement (586-1) – et un récipient massif à bord droit et épaulement accentué par un épaississement de la paroi formant un cordon (272-1). Les lèvres, arrondies, sont pour la plupart relativement fines, à l'exception du gros vase à lèvre aplatie pourvue d'impressions et de la jatte à épaulement à large lèvre pincée. Le second groupe (fig. 9) concerne les formes fermées composites avec col et épaulement caréné plutôt qu'arrondi. Le col est court, droit et se terminant sur une fine lèvre (109-5 et - 6) ou encore concave et surmonté d'une lèvre éversée (109-1, - 2 et - 3). L'épaulement de ces derniers exemples est accentué par une rangée d'incisions située à hauteur du diamètre maximum. Il convient de signaler que ce lot est issu de la fosse 109 et que les éléments carénés ont été réalisés dans une pâte grumeleuse à glauconie (groupe 6), tandis que les récipients à épaulement moins prononcé illustrent la pâte grumeleuse fortement enrichie de silex pilé (groupe 7). D'un point de vue typologique, ces formes peuvent être désignées au mieux comme des jarres. Il convient tout d'abord de souligner d'une part la faiblesse quantitative du matériel par rapport au nombre de structures et à la surface fouillée et d'autre part son contexte de rejet, exclusivement dans des fosses. La fragmentation ajoute à la confusion, les individus les mieux représentés étant conservés sur seulement un tiers de leur forme. Le répertoire morphologique tel qu'il a été résumé précédemment n'offre que peu de pistes à explorer en matière d'éventuelles analogies fonctionnelles. Si la forme massive (272-1) suggère une utilisation à poste fixe et donc a priori un stockage, la taille conséquente de son diamètre à l'ouverture (24,5 cm) ne favorise pas la conservation de denrées, mais permet en revanche un accès facile. Les récipients de modules réduits (pot, microvase et bol) ont pu servir pour boire, mais il peut s'agir également d'éléments pour puiser ou encore de mesures. Les formes ouvertes basses – de type jatte – sont des récipients pratiques pour préparer et présenter des aliments mais également pour transvaser des produits divers. Les pots de module plus important sont des conteneurs moins faciles à manipuler; leur utilisation peut être variée mais leur taille limite leur maniement. Par ailleurs, les deux individus concernés ont une surface lisse, moins pratique à saisir qu'une surface rugueuse. Les formes composites avec col et celles de dimensions moyennes évoquent de multiples fonctions : préparer, stocker et transporter des produits. La position et la forme du col suggèrent également le geste de verser. Enfin, les traces noires attestées à plusieurs reprises sur la partie supérieure des individus sont difficiles à interpréter, mais ne semblent pas correspondre à des résidus de cuisson d'aliments. Ce rapide tour d'horizon d'ordre morpho-fonctionnel du corpus céramique n'apporte guère un meilleur éclairage à l'interprétation du site. Bien au contraire, il soutient une nouvelle hypothèse : ces composantes peuvent être considérées comme détritus domestiques et donc provenir d'un habitat. Celui -ci peut se situer sur place mais a été alors fortement érodé – aucun lambeau du niveau d'occupation n'est attesté sur le site –, à moins qu'il ne soit localisé hors de l'emprise étudiée. Avant de procéder à une analyse comparative, il convient de rappeler qu'il n'y a aucune certitude pour que tous les éléments du corpus présenté ci-dessus soient contemporains. Par conséquent, le chapitre qui suit prétend à introduire une réflexion globale sur l'attribution chrono-culturelle de ce genre d'assemblage plus qu' à argumenter une fourchette chronologique serrée à proprement parler. L'amorce de la problématique ici discutée remonte à plus de 15 ans car, encore aujourd'hui, nous sommes confrontés à la difficulté de traiter un mobilier ordinaire issu d'un contexte domestique, qui généralement n'a rien à voir avec la vaisselle funéraire et qui manque de marqueurs chronologiques tels que les objets métalliques. Même si les découvertes se sont multipliées suite aux investigations archéologiques sur de vastes surfaces, les lots demeurent quantitativement restreints, ou présentent des assemblages typo-morphologiques des plus surprenants (Aubry et al., 1996, p 45). Évoquons à ce titre divers lots mis au jour sur l'opération de la RN 154 dans l'Eure (fouilles G. Léon), notamment à Chavigny-Bailleul « la Petite Vallée » et « la Mutrelle »; les formes ouvertes simples et une forme massive avec impressions y rappellent celles de Hautot-le-Vatois. Quant à la série de Thomer-la-Sogne fouillé sur le même tracé, elle montre des analogies avec les formes massives et avec les formes fermées à col court (tripartites) présentées ici. À ces gisements, il faut ajouter le site de Gaillon, le Pot à l'Eau, toujours dans l'Eure et fouillé par M.-L. Merleau en 1996. Le plan exceptionnel d'un enclos quadrangulaire en association avec un parcellaire y a fourni un mobilier en usage à la transition entre le premier et le second âge du Fer (Merleau 1997). Ces gisements prennent une place considérable dans la caractérisation du premier âge du Fer, voire le début du second âge du Fer en référence aux sites picards. À Hautot-le-Vatois, nous avons en effet quelques similitudes avec le corpus de Longueil-Sainte-Marie, la Butte de Rhuis (Bonin et Talon 1988) ou encore avec celui de Choisy-au-Bac, la Confluence dans l'Oise (Talon 1989), dont le mobilier est rattaché à la période III du premier âge de Fer, moment qui coïncide avec le Hallstatt D, soit le vi e siècle avant notre ère. Dans son étude céramique, M. Talon (1989, p. 314) constate une évolution morphologique de l'épaulement doux à la période II vers une épaule carénée à la période III, tendance accompagnée d'une simplification dans le registre décoratif. Ces travaux sont une prolongation des écrits de J.-C. Blanchet dans les années 1970 et 1980, où ce dernier traçait les grandes lignes d'un phasage du premier âge du Fer à partir des éléments décoratifs (Blanchet 1984, p. 326). Il convient donc de reprendre les lots de Hautot-le-Vatois dans ce contexte pour les situer chronologiquement. D'un point de vue morphologique, si la panse arrondie est encore manifeste (st. 272, 111), il y a un ensemble où celle -ci côtoie des épaules carénées (st. 109). Il s'avère que peu de décors viennent embellir les récipients : on note l'absence de cannelures, mais l'apparition du décor au peigne (raclage) et la prédominance des incisions/impressions. Selon ces indices, et faute de mieux dans l'état actuel de la documentation, il semble judicieux d'intégrer le corpus de Hautot-le-Vatois dans un faciès hallstattien et plus vraisemblablement vers la fin de cette période culturelle. Si d'autres gisements fouillés sur le même tronçon de l'A 29 ont livré des ensembles structurés et attribuables au premier âge du Fer, leur mobilier se révèle trop différent d'un point de vue morphologique et leur chronologie trop complexe pour caractériser des faciès à l'échelle micro-régionale; évoquons à titre d'exemple le mobilier d' Épretot, la Belle au Vent et de Graimbouville, la Brière (Blancquaert et Desfossés, 1994 et 1996). Le dépouillement de la documentation disponible pour la région de Basse-Normandie s'est révélé fructueux : hormis des sites comme Mosles (Marcigny et al., 1999) et Hérouvillette (Hincker, 2000) dans le Calvados pour lesquels les auteurs proposent une chronologie plus récente (début de La Tène), l'existence des sites tels que l'éperon barré de Basly, l'enclos de Caen « ZAC de Beaulieu » et l'habitat structuré d'Ifs permettent d'établir des parallèles fiables. La fouille programmée de Basly a livré un vaste fossé associé à un riche mobilier céramique comparable à celui de Hautot-le-Vatois et son auteur (San Juan, 2001; San Juan et al., 2000 et 2001) parvient à déterminer une fourchette chronologique similaire, également fondée sur les travaux de M. Talon. Un premier travail de synthèse concernant la ZAC de Beaulieu à Caen et les découvertes mineures effectuées sur des sites régionaux comme Eterville et Mondeville dans le Calvados ou Hébécrevon dans la Manche offrent un schéma évolutif de la céramique du premier âge du Fer de bonne qualité (Lepaumier et al., 2003). Évoquons également le site « monumental » de Courseulles-sur-Mer, la Fosse Touzé avec une quantité de bâtiments sur poteaux et un mobilier céramique comparable (Jahier, 1998, p. 32). L'auteur remarque qu'il y a « …des nettes filiations avec le complexe atlantique [… ], mais aussi d'évidents liens avec le complexe continental… ». Il convient enfin de signaler les étonnantes similitudes entre le lot de notre fosse 109 et un riche ensemble issu d'un fossé à l'origine d'un vaste habitat se développant au cours de La Tène ancienne découvert à Dourges dans le Pas-de-Calais (Blancquaert [dir. ], sous presse). Le phénomène de transition du premier au second âge du Fer permet d'entrer au cœur du problème et d'ouvrir un débat sur ce que G. Verron avait en son temps appelé « la nappe culturelle Hallstatt et La Tène ancienne » (Verron 1976, p. 802). Si « la survivance des faciès hallstattien en Normandie à une époque où, plus à l'est, la civilisation de La Tène a déjà commencé… » (ibidem, p. 805) demeure valable, les découvertes récentes suggèrent un passage progressif d'une période à l'autre. Il devient alors fondamental de recenser les données relatives au premier âge du Fer afin d'approfondir les schémas chronologiques normands et armoricains et de mieux cerner la part des régionalismes et la teneur du glissement culturel. À l'exception du lot issu de la fosse 109, les assemblages lithiques sont anecdotiques et portent presque exclusivement sur des éclats et cassons de silex. Il s'agit majoritairement d'une matière première locale, attestée dans les couches sous-jacentes d'argile à silex et dont les caractéristiques sont la qualité médiocre, l'aspect fissuré et la présence d'inclusions grenues. La fosse 109 a livré 20 cassons, 7 éclats, mais également un racloir et un nucléiforme. Quant au fossé 150, hormis de nombreux rognons de silex à cortex calcaire, on y trouve un nucléus à un plan de frappe et un percuteur sur protubérance d'un rognon. Notons aussi la découverte d'une pointe de flèche à pédoncule et ailerons, dans le fossé 310, ainsi que deux lames en silex gris clair, provenant de trous de poteaux. Dans la fosse 282, c'est un bloc de silex chauffé présentant une face plane polie qui retient l'attention. Il est extrêmement difficile d'interpréter la présence de ces rejets. S'agit-il d'ensembles manifestes du 1 er âge du Fer comme le laisse sous-entendre le lot de la fosse 109; ou s'agit-il de résidus des périodes plus anciennes attestées sporadiquement sur le site ? La configuration du plan d'ensemble du site, l'identification des bâtiments, la fourchette chronologique aussi fragile qu'elle soit et les quelques données relatives à l'environnement végétal permettent de qualifier la zone 1 du site de la Plaine du Bosc Renault comme une aire de stockage groupé, d'une durée d'occupation probablement courte (quelques décennies) et correspondant à au moins une unité d'habitation avec le bâtiment à abside (E8). Une fréquentation discontinue, probablement plus intense lors de la période suivant la récolte, n'est pas à exclure. Le rôle du fossé 150, vraisemblablement précédé d'un talus déjà en place lors de la construction des « greniers », demeure difficile à expliquer mais il est plausible de lui conférer une fonction de protection et de marque de possession de ce lieu. Au travers de l'analyse générale des vestiges de la zone I, notre dépouillement bibliographique s'est orienté vers les documents relatifs au premier âge du Fer et aux plans de bâtiments. À l'échelle régionale, deux sites majeurs sont à évoquer. Il s'agit de Bernières-sur-Seine, la Banque (Prost 2001, p. 20-21) et de Gaillon, le Pot à l'Eau (Merleau 1997, p. 32-33), fouillés dans l'Eure à la fin des années 1990. Quant à Courseulles-sur-Mer dans le Calvados (Jahier 1998) on y note une multitude de bâtiments sur poteaux parmi lesquels les types 1, 2a, 3a et 4 d'Hautot-le-Vatois se distinguent. Ils se répartissent en arc de cercle autour d'une place vide et d'un vaste bâtiment circulaire. Les comparaisons sont cependant plus frappantes avec la Picardie où il convient de citer des gisements tels Lacroix-Saint-Ouen, les Longues Rayes dans l'Oise (Talon et Billand 1994) mais surtout, dans l'Aisne, Bucy-le-Long, le Grand Marais (Pommepuy et al. ,1995) et le Fond du Petit Marais (Auxiette et Pommepuy 1996). Le premier site montre un regroupement par ensembles que les auteurs interprètent comme relatif aux phases de constructions; les plans de bâtiments y sont majoritairement de nos types 1 et 3a. Les deux sites de l'Aisne sont particuliers à plus d'un titre. Celui du Grand Marais rassemble des bâtiments sur quatre et six poteaux – dont notre type 3b – dans un enclos palissadé, configuration qui lui confère un statut élevé. Le second, en revanche, illustre l'habitat ouvert à occupation lâche. Les caractéristiques principales y sont l'association de « greniers » à des fosses attenantes et la présence de plans architecturaux distincts. Pour compléter une liste – non exhaustive – de sites à « greniers » comme Hautot-le-Vatois, citons Bussy-Saint-Georges, les Coudrais (Bonin et al., 1994), Grisy-sur-Seine, les Terres du Bois Mortier et les Champs Pineux (Gouge et Séguier, 1994) en Seine-et-Marne, ou encore Isles-sur-Suippe, les Fontaines dans la Marne et Rosnay-l'Hôpital, les Grandes Pâtures dans l'Aube (Villes 1999). Quant à l'architecture du bâtiment E8, hormis l'aspect arrondi de l'extrémité sud, elle ne se distingue guère de ses homologues du type « à croupe » recensés en Lorraine, tandis que l'extension à deux nefs correspond parfaitement au type 2 de cette même région (Brenon et al., 2003), plans caractéristiques du premier âge du Fer. Hormis un réseau de fossés, la zone II recèle des fosses et une quantité importante de trous de poteaux formant de nombreux plans de bâtiments. La plupart de ces derniers sont comparables aux ensembles présentés précédemment, mais certains se distinguent par leur diamètre imposant (E36) ou par l'ordonnancement des poteaux (E27 et E37). À l'exception du bâtiment E37, les autres ne peuvent être datés convenablement car cette zone présente des traces de trois faciès culturels bien distincts : le Chalcolithique (Blancquaert et Penna 1995), l' âge du Fer et l'époque antique. Leur rattachement à l'un ou l'autre peut s'appuyer uniquement sur des comparaisons avec des plans d'autres sites, ce qui reste un exercice peu fiable. Quant aux systèmes d'enclos, une partie de l'enceinte arciforme protohistorique est recoupée au premier siècle de notre ère par un double enclos trapézoïdal. À défaut de moyens techniques et en raison de l'ampleur du site, les fossés n'ont été soumis qu' à une fouille partielle, des coupes manuelles étant réalisées aux endroits stratégiques (croisements, élargissements). Formé par un fossé au tracé curviligne, cet enclos protohistorique n'a été dégagé que partiellement (st. 732 et 920, fig. 10). Dans sa partie nord, une interruption considérable du fossé (16 m de large) donne accès à l'enclos dont la superficie supposée dépasse largement les 3 000 m 2. Large de 1,60 à 2 m, le creusement est conservé sur 1 à 1,60 m de profondeur. Le profil est à fond plat et parois évasées. Le comblement se compose d'un limon gris hydromorphe, parsemé de veines et de paquets de concrétions ferro-manganiques et surmonté d'un niveau de limon argileux gris clair (fig. 10). Un limon gris, tantôt mélangé au limon naturel orangé et brun, tantôt enrichi de charbon de bois, scelle l'ensemble. Hormis la position stratigraphique, très peu d'éléments permettent d'affiner la chronologie de cet enclos. En effet, recoupé par des fosses ayant livré du mobilier gallo-romain (voir ci-après), ce fossé arciforme 732/920 n'a fourni que quelques tessons de facture protohistorique, vraisemblablement attribuables à une phase récente de La Tène. L'éventuelle contemporanéité entre le fossé et les rares vestiges attestés à l'intérieur de l'espace circonscrit demeure hypothétique. Si la plupart des fosses se rattachent certainement à l'occupation postérieure, l'attribution chronologique des petites unités sur poteaux demeure des plus aléatoires. Le spectre pollinique des deux échantillons du fossé 732 montre des résultats très différents (tabl. 3). Le spectre de la coupe 2 est dominé par les graminées et l'armoise. Cette couverture herbacée dense aux abords de l'entrée de l'enclos rend compte d'un milieu non pas piétiné mais fréquemment bouleversé. Les pollens d'arbres y sont rares, mais leur diversité est semblable à celle de la coupe 3, où en revanche le taux de pollens d'arbres, dominé par le noisetier (54,4 %), est élevé. Les pollens de chêne et d'orme suggèrent ici un milieu arboré dans les environs. Les spores de fougères, surtout celles de type Dryopteris, démontrent un milieu ombragé, tandis que les 7,6 % de spores d'hépatiques attestent le caractère ouvert de la végétation au sol, du moins par endroits. Dans le courant du i er siècle de notre ère, un important système fossoyé est implanté sur une partie de la zone est, recoupant totalement les structures de l' âge du Fer, et en particulier l'un des fossés formant l'enclos curviligne laténien. L'absence de toute céramique antérieure au milieu du i er siècle suggère une installation relativement tardive, au plus tard vers le milieu du i er siècle, ou bien une simple fréquentation de ces parcelles sans rejet mobilier avant cette époque. Au vu du mobilier des dépotoirs, la fréquentation de l'enclos se développe essentiellement entre la deuxième moitié du i er siècle et la première moitié du iii e siècle. Parallèlement, un ensemble de sépultures à incinérations se constitue durant la même période à plusieurs centaines de mètres de là, en zone III, de l'autre côté du vallon, dans un secteur recelant peu de traces anthropiques domestiques (fig. 2 et 20). L'établissement gallo-romain se matérialise par un enclos trapézoïdal doublé sur la moitié nord-est et occupant une superficie de 3 400 m 2. Un espace vide de 3 m est réservé entre les fossés parallèles. Il a pu accueillir un talus. Le côté simple, à l'ouest, est ouvert dans l'angle nord-ouest. Au sud, une relation spatiale ou chronologique avec les fossés attestés en bordure de décapage n'est pas démontrée. Cet enclos présente des compartiments internes auxquels s'ajoutent plusieurs structures en creux, le plus souvent de simples fosses vraisemblablement liées à l'extraction de matériau limoneux, disséminées à l'intérieur de l'espace. Seule une structure se démarque, évoquant une « fosse atelier » protégée par un petit appentis (St. 954, fig. 11). Comblée au iii e siècle (cf. infra, fig. 19), cette dernière structure est la seule à traduire une quelconque activité humaine dans ce secteur, même si celle -ci reste indéterminée en l'absence d'élément probant dans son aménagement ou dans le niveau de sol conservé. Un bâtiment sur poteaux (E37) est implanté dans l'angle sud-ouest de l'enclos, à l'intérieur de l'un des compartiments de ce dernier, mais ses caractéristiques topographiques comme architecturales évoquent plutôt une grange ou étable (fig. 12), ce que tend également à confirmer l'absence de rejets mobiliers à proximité.L'occupation gallo-romaine semble donc peu importante, les bâtiments situés au nord, à quelques mètres de l'enclos, restant non datés. Dans l'état, la zone fouillée apparaît plutôt comme une partie annexe et agricole d'un habitat situé à proximité, ce que confirment les caractéristiques du mobilier découvert, principalement la céramique. En effet, cette dernière présente les caractères de rejets domestiques classiques, tant dans les assemblages en présence que par le petit mobilier associé, dont la verrerie, tout en paraissant quantitativement insuffisante pour découler d'un habitat permanent in situ. Les données palynologiques relatives aux structures antiques manifestent un changement de l'environnement végétal par rapport à la protohistoire, le noisetier devant très important. – En zone I, l'unique fosse 542 témoigne d'espaces pâturés d'après la diversité des taxons herbacés et le pourcentage élevé de pollens de composées de type Crepis (16,6 %). Le spectre pollinique de la zone II, fondé sur l'analyse de seulement deux échantillons (de la fosse 98 et de la structure 401), rend compte d'une prairie herbeuse. Le nombre élevé de types herbacés où le plantain lancéolé et la traînasse (Polygonum aviculare) dominent. Ce dernier taxon, associé à un taux élevé de fougère aigle (41,9 %) et d'hépatiques (19,1 %) suggère une prairie fourragère, peut-être fauchée ou pâturée. Les pollens d'arbres sont dominés par le noisetier et le chêne pour les deux structures étudiées. La présence de 6 % de céréales y suggère néanmoins une certaine activité agricole. Avec 3 111 tessons, la céramique découverte dans les contextes fossoyés de l'occupation antique est conséquente, sans être particulièrement abondante. Elle provient essentiellement de poches de rejets plus ou moins étalés dans les remplissages des deux plus grands fossés internes de l'enclos (St. 412 et 944), ainsi que de quelques structures creusées à l'intérieur de celui -ci (St. 89, 942 et 954), voire également d'une fosse isolée à quelques centaines de mètres à l'ouest (St. 542), non loin d'un ensemble de sépultures à incinérations de la même période (cf. ci-après). Il s'agit dans l'ensemble de dépotoirs secondaires présentant les signes de plusieurs manipulations, où la fragmentation et la dispersion sont souvent élevées. Ces caractéristiques corroborent l'idée que l'on peut se faire sur la nature annexe ou périphérique de l'enclos découvert, ce dernier ayant visiblement reçu une partie des déchets d'un habitat situé à proximité, après divers nettoyages et déplacements révélateurs. Malgré ce point, plusieurs dépotoirs s'avèrent intéressants, en particulier sur le plan des associations de formes et de productions de céramique commune. Ils ont donc été sélectionnés pour une présentation figurée détaillée, permettant un assemblage chronologique couvrant la période comprise entre la deuxième moitié du i er siècle et le début du ii e siècle (St. 89, 542 et 412), puis la fin du ii e siècle et la première moitié du iii e siècle (St. 942, 944 et 954). Il est à noter que le coeur du ii e siècle, soit approximativement les deuxième et troisième quarts, n'est pas réellement représenté. Ces ensembles permettent de faire un certain nombre de constats intéressants sur la composition du vaisselier local, ainsi que sur ses provenances, qu'elles soient proches ou éloignées. Ces données s'inscrivent dans un contexte régional particulier : en effet, la multiplication des opérations de fouilles sur le plateau de Caux a fait apparaître une grande diversité des productions communes durant le Haut-Empire, tant dans leurs formes que dans leurs techniques. Certaines d'entre elles ont visiblement couvert un territoire important tandis que d'autres se sont limitées au contraire à des zones restreintes, provoquant ainsi des associations de céramiques sensiblement différentes et parfois même totalement « contrastées » d'un endroit à un autre. Implanté au cœur du plateau cauchois, le site d'Hautot-Le-Vatois apparaît ainsi comme un jalon supplémentaire pour mieux cerner ces phénomènes, notamment par la comparaison avec d'autres habitats situés en différents endroits de ce territoire (Adrian, 1996 et 2002; Doucet, 1998; Coffineau et Dubant, 2002; Lecler et Lequoy, 2003). St. 542 : le remplissage de cette fosse située à l'écart de l'enclos, à l'ouest, dans la zone des sépultures à incinérations, a livré 158 tessons, représentant au moins 17 formes souvent bien conservées mettant en évidence des rejets primaires associés à quelques déchets secondaires, à peine affectés par deux tessons protohistoriques. Caractéristique de la deuxième moitié du i er siècle, il s'agit du lot de céramique le plus ancien découvert sur l'ensemble du site antique (fig. 13). – St. 89 : le remplissage de cette fosse située à l'intérieur de l'enclos a livré 270 tessons représentant au moins 24 formes inégalement conservées, mettant en évidence l'association de rejets essentiellement secondaires avec quelques rejets semi-primaires. Bien que totalement dépourvu de relation stratigraphique ou topographique avec l'ensemble 542, ce lot apparaît comme son successeur immédiat sur le plan typo-chronologique, vers la fin du i er siècle (fig. 14). – St 412 : il s'agit d'une poche de rejets déversés dans le fossé interne ouest de l'enclos, recueillis essentiellement au niveau du sondage 2. Celle -ci a livré 266 tessons représentant au moins 27 formes souvent fragmentaires, en relation avec des déchets d'origine résiduelle (deux tessons protohistoriques). Cet ensemble apparaît plus ou moins contemporain de la St. 89 (fig. 15). – St. 942 : cette fosse creusée à l'extrémité du fossé nord de l'enclos a livré un important dépotoir de 621 tessons représentant 52 formes inégalement conservées, associant des débris d'origines secondaire et semi-primaire (fig.16). De fortes ressemblances relient ce matériel avec celui découvert dans le fossé 944 situé à quelques mètres, suggérant une même origine. Caractéristiques de la fin du ii e siècle ou de la première moitié du iii e siècle, ces deux ensembles font apparaître un important décalage chronologique avec les séries antérieures, dont celle de la structure 412, manifestant ainsi une sorte de hiatus dans l'enchaînement chronologique de la céramique découverte sur le site. – St. 944 : il s'agit d'une concentration de mobilier découverte dans le fossé interne nord de l'enclos. Composé de 702 tessons représentant au moins 87 formes inégalement conservées (fig. 17 et 18), cet ensemble présente les mêmes caractéristiques ainsi que de fortes ressemblances avec celui découvert dans la fosse 942 située à quelques mètres, permettant de les considérer comme des déchets de même origine. – St. 954 : le comblement supérieur de cette probable « fosse atelier » située dans la partie nord de l'enclos a livré un petit dépotoir de 267 tessons, représentant au moins 32 formes relativement bien conservées, issues de rejets semi-primaires, associées à quelques débris d'origine secondaire. Il s'agit du lot le plus récent qui ait été découvert, clôturant l'occupation vers le milieu du iii e siècle (fig. 19). Elles concernent principalement les sigillées et les parois fines engobées, pour certaines métallescentes, qui connaissent les fluctuations inhérentes aux ensembles fossoyés de cette époque. De manière générale, les sigillées tiennent une place limitée, évoluant entre 0 (St. 412) et 17, 6 % du NMI (St. 542) – en fait le plus souvent entre 6 et 10 %. Si l'on considère que ces ensembles ne sont pas tous contemporains, aucune évolution quantitative n'est perceptible (augmentation ou régression), tandis que ces proportions apparaissent conformes à celles reconnues sur les sites régionaux du Haut-Empire. Les différents répertoires de formes sigillées n'appellent pratiquement aucun commentaire, étant caractéristiques des différentes périodes. Dans les deux contextes du i er siècle (St. 89 et 542), il s'agit exclusivement de productions de La Graufesenque, avec leurs formes habituelles telles que Drag. 27, 18 et 29 b (fig. 13 et 14). Seule la présence d'un bol Drag. 30 est à remarquer (St. 89; fig. 14). En effet, ce type est rare dans la région, en particulier sur les sites ruraux du plateau. Le même constat s'applique pour les trois ensembles de la fin du ii e siècle et du iii e siècle (St. 942, 944 et 954) : ces derniers livrent en effet un répertoire tout à fait classique de cette époque : plusieurs bols moulés Drag. 37, dont un semble attribuable au groupe de Paternus de Lezoux (d'après Doucet et al., 1998), plusieurs mortiers Drag. 45 (dont St. 954-1, fig. 19) et des formes lisses diverses mais caractéristiques (dont St. 944, fig. 17). Principalement issues des ateliers du centre de la Gaule, ces sigillées comprennent également quelques formes argonnaises : une coupe Drag. 33 (non figurée), des assiettes Drag. 31 (St. 942, non figurée) et Drag. 32 (2 ex. dans la St. 944, dont 944-3, fig. 17). Bien que régulièrement présentes, les productions de l'Argonne semblent ici tenir une place plus réduite qu' à d'autres endroits du plateau cauchois, en particulier plus à l'est, à Eslettes (Adrian, 2002), ou au nord-est, à Gonneville-sur-Scie (Adrian, 1996), sans que nous puissions aujourd'hui l'affirmer véritablement en raison de la faible importance des ensembles découverts sur ce site. Des tendances sensiblement différentes caractérisent l'autre grande catégorie de céramiques importées, celles à parois fines engobées, et pour certaines métallescentes. En effet, leur place apparaît encore plus limitée dans le vaisselier domestique d'usage courant : il n'y en a aucune dans les St. 5429 et 89, mais plus de 7 % du NMI dans l'ensemble St. 412, sans doute de manière exceptionnelle. Entre la fin du ii e siècle et le iii e siècle, leur présence apparaît tout aussi restreinte bien que plus constante : entre 3 et 4 % du NMI dans les ensembles St. 942/944 et 954. À la fin du i er siècle et durant la première moitié du ii e siècle, cette catégorie révèle la présence exclusive des productions du centre de la Gaule, avec des petits gobelets ovoïdes à décors d'épingles (2 ex. dans la fosse St. 412, dont le n° 412-1, fig. 15), ou simplement sablés au quartz (ensemble non figuré). La situation évolue sensiblement aux ii e et iii e siècles avec la diffusion abondante des productions argonnaises (3 ex. dans l'ensemble St. 942/944, dont le n° 944-5, fig. 17), qui font apparaître les formes issues du centre de la Gaule presque aussi rares que diversifiées (n° 942-1, fig. 16, 944-6, fig. 17 et 954-2, fig. 19). À l'inverse de ce qui est observé pour la sigillée, cette évolution, aussi bien géographique que quantitative, semble commune à tous les sites étudiés sur le plateau du Pays de Caux. Au i er siècle, les importations de vaisselle fine concernent également la terra nigra qui est une autre composante habituelle, bien que restreinte, de la poterie domestique locale de cette époque. Cette catégorie regroupe ici deux types distincts mais complémentaires : l'assiette à fond bombé Gose 288/289, souvent estampillée (St. 542, fig. 13 et St. 89, fig. 14) et le « bol » caréné Gose 307 (St. 89, fig. 14). Ces deux types semblent issus de deux productions différentes, sans doute en provenance du nord de la Gaule (dont les ateliers champenois ?). On notera l'absence d'autres formes, et en particulier de l'assiette à lèvre pendante type Ménez 11/16, dont la diffusion est inexistante dans cette partie du territoire alors qu'elle est particulièrement forte au sud de la Seine. Quelle que soit l'époque, les céramiques communes constituent, ici comme partout, l'essentiel des céramiques retrouvées sur le site. Le croisement de leurs caractéristiques typologiques et technologiques et leur comparaison avec d'autres découvertes permet de faire un certain nombre de constats sur les caractères des formes en présence, ainsi que sur leurs provenances, qu'elles soient connues ou supposées. Les informations apparaissent aujourd'hui un peu confuses pour la période la plus ancienne (deuxième moitié du i er - début ii e siècle : St. 542, 89 et 412). En effet, si le répertoire s'insère globalement dans une tendance typologique générale de cette période (fig. 13 et 14), il semble difficile d'identifier et/ou de caractériser ses différentes provenances, en raison d'un grand nombre de productions en présence, de leurs caractères parfois aléatoires, ainsi que de l'absence de référence possible à des sites de productions régionaux pour cette époque. Au vu de leurs techniques de fabrication respectives (nature, taille et répartition des inclusions, en particulier le silex et la glauconie), des caractères morphologiques souvent spécifiques d'un certain nombre d'entre elles et de leurs diffusions, les origines de ces multiples productions apparaissent, sans véritable surprise, « régionales » voire « locales » pour une grande majorité d'entre elles, sans que nous puissions aujourd'hui les appréhender dans le détail. Mais ceci n'exclut pas pour autant quelques provenances plus lointaines, s'apparentant à de véritables importations : cela concerne en particulier plusieurs poteries à pâtes claires, cruches ou mortiers (dont le mortier de la structure 412, cf. fig. 15), dotées d'une pâte entièrement jaune et tendre. En effet, ces poteries ne sont pas sans évoquer des productions picardes du « Noyonnais » (Ben Redjeb 1992). Un tel acheminement depuis les territoires voisins pourrait aussi concerner d'autres poteries qui ne peuvent pour l'heure être formellement identifiées. Dans le groupe de productions probablement locales ou régionales des i er - ii e siècles, la diversité technologique et typologique fait apparaître de nombreuses sources d'approvisionnements, sans réelle prédominance de l'une ou de l'autre, même si certaines sont visiblement plus représentées, suggérant la réalité de plusieurs petites et moyennes productions. Si aucune ne peut aujourd'hui être localisée, exceptée peut-être celle de l'important atelier situé en forêt de Monfort-sur-Risle (Eure), au sud de la Seine (Adrian, 2001), attestée à partir de la fin du i er siècle (cf. céramiques avec légende « MSR » : St. 89 et 412, fig. 14 et 15), leur représentation parfois complètement inversée par rapport à celles reconnues sur d'autres sites régionaux permet d'envisager plusieurs origines dans la partie ouest du plateau cauchois, ou bien de part et d'autre de la vallée de la Seine, plus au sud. Les provenances du côté oriental du territoire, c'est-à-dire vers la frontière historique du pays de Caux (vallées de la Durdent ou de la Scie), ou du Pays de Bray, semblent à peu près inexistantes à cette époque, en raison des grandes différences typologiques et techniques avec les répertoires qui y sont connus. Une situation sensiblement différente apparaît pour les ii e et iii e siècles : les productions de la céramique commune ont visiblement évolué, tant dans leurs formes que dans leurs techniques et leurs origines, tout en étant presque aussi nombreuses qu' à l'époque précédente. Pourtant, si de nombreuses productions cohabitent, un bon nombre se résume à des présences restreintes, voire très ponctuelles, alors que deux d'entre elles détiennent une place plus importante mais inégale. Ces deux sources d'approvisionnement sont bien identifiées : il y a d'une part celle de l'atelier implanté au cœur de la forêt de Lyons-La-Forêt, aux confins des actuels Pays de Bray et Vexin normand, et d'autre part celle, géographiquement opposée, de l'atelier installé en forêt de Monfort-sur-Risle, au sud de la Seine, sur le rebord du plateau du Roumois dominant la vallée de la Risle. Très caractéristique sur les plans typologique et technique (pâte entièrement grise, finement sableuse, avec petits silex et fins micas blancs – cf. dessins avec légende « LLF » : St. 942, fig. 16; St. 944, fig. 18; St. 954, fig. 19), la production du premier atelier devait parcourir environ 75 km à travers le plateau, un éloignement qui pourrait expliquer sa diffusion plus restreinte. Celle du second, complètement différente sur le plan technique (pâte blanche tendre, à surface gris-ardoise; quelques quartz et micas) tout en étant plus diversifiée, n'en parcourait qu'une cinquantaine mais en franchissant la Seine (cf. dessins avec légende « MSR » : St. 942, fig. 16; St. 944, fig. 17; St. 954, fig. 19), détenant sans doute de ce fait une part prédominante du marché dans cette partie du territoire. Ces deux importantes productions partagent l'approvisionnement local avec plusieurs productions d'envergures visiblement plus modestes, reconnues à plusieurs reprises sur différents sites du plateau cauchois, mais dont la proportion apparaît sensiblement plus faible qu'ailleurs, sans doute en raison d'un éloignement de leurs lieux d'implantation. Parmi elles, se distingue un groupe défini depuis 1996 sur le site de Gonneville-sur-Scie, et qui a été récemment évoqué au sujet du site d'Eslettes – le « groupe 1 » de Y.-M. Adrian (2002). Ce groupe se caractérise par un répertoire varié mais spécifique, profondément marqué par ceux des territoires de l'Amiénois et du Beauvaisis (cf. dessins avec légende « Gr 1 » : St. 942, fig. 16; St. 944, fig. 18; St. 954, fig. 19), ainsi que par des pâtes très sableuses caractéristiques. Il rassemble probablement plusieurs petites productions différentes qui ont en commun un même répertoire de formes, radicalement différent de celui des deux ateliers de Monfort ou de Lyons, signe d'une certaine « autonomie » dans leurs activités respectives. La part de ce groupe est ici relativement modeste, sans commune mesure avec ce qui a été observé en d'autres endroits du plateau, en particulier à l'est de celui -ci, probablement en raison d'une implantation des ateliers dans ce secteur. Si cette hypothèse paraît plausible, notons toutefois que les poteries à pâtes granuleuses, vraisemblablement issues du Pays de Bray (Dubois et Mille, 1994), c'est-à-dire aussi la partie est du territoire, sont ici totalement absentes, alors que leur présence est bien attestée à la même époque sur certains sites du plateau (dont Eslettes; cf. Adrian, 2002). Ceci montre une nouvelle fois que les questions d'ordre géographique (proximité/éloignement) ne sont pas les seuls paramètres d'une diffusion et de son importance. Tout comme à la période précédente, cette multiplicité des sources essentiellement locales ou régionales n'exclut pas quelques importations lointaines : ainsi, au moins un pot découvert dans l'ensemble 944 (n° 944-27, fig. 18) présente les caractéristiques tant morphologiques que technologiques d'une production extra régionale, et plus particulièrement de la « craquelée bleutée » d'origine champenoise et abondement diffusée en Île-de-France (Barat, 1993; Chossenot, 1994). Même s'il apparaît anecdotique, cet acheminement de poterie commune sur quelques centaines de kilomètres est néanmoins un fait remarquable qui annonce en quelque sorte le Bas-Empire, marqué par un développement important des approvisionnements depuis les régions voisines, et en particulier depuis l' Île-de-France ou les territoires environnants. Ils concernent essentiellement la verrerie dont 66 fragments ont été découverts, en particulier dans l'ensemble 942/944 qui en a livré à lui seul 61 pour la fin du ii e - première moitié du iii e siècle. On y relève la présence de plusieurs flacons et bouteilles carrées ou hexagonales en verre bleu, ainsi que de quelques verreries destinées à la table : il y a en particulier trois bols de type Isings 85b, dont deux sont incolores (fig. 18), et un « pot » globulaire de type Isings 130 (non figuré). Tous ces modèles apparaissent caractéristiques de l'époque. Notons qu'un rare récipient sans col et doté d'un trou sur le sommet, apparenté au type Isings 130, est également associé (fig. 18). Même si elles tiennent une place réduite au total, notamment par rapport à la céramique, ces verreries alimentent l'idée de rejets d'un habitat situé à proximité. Cette idée est confirmée par la présence d'une intaille en jaspe ou cornaline (?) pratiquement intacte, issue du dépotoir 942 (fig. 18). Ce type d'accessoire apparaît en effet peu compatible avec la simple fréquentation d'une main-d'œuvre agricole. Il en est de même pour quelques éléments en alliage cuivreux, dont un fragment de miroir dans la fosse 542 (objet non figuré). Localisée sur la butte occidentale du site, cette zone a livré des structures de natures diverses et de disposition lâche (fig. 20). Elle rassemble des restes d'une trame parcellaire constituée de fossés étroits et parallèles, des fours, des fosses cylindriques (silos) et enfin, six sépultures à incinérations. En dépit d'une fouille exhaustive, l'absence de mobilier dans les structures non funéraires interdit toute attribution chronologique. Il convient simplement d'en présenter une description sommaire afin de compléter l'étude générale du site. Le premier four est matérialisé par une tache oblongue (3,6 x 1,2 m) légèrement plus foncée que le sédiment naturel, cette structure 129 semble bien conservée en profondeur (0,60 m) et a gardé des parois rubéfiées ainsi que sa sole de combustion sous forme d'une chape indurée rouge (fig. 21). Son comblement est homogène, composé de limon brun gris enrichi de charbon et de cendre, uniquement dans la zone de chauffe. Le second four (st. 1508) présente un plan en « huit » de 3,80 m de longueur. Son profil est en berceau, à l'exception de l'extrémité orientale qui présente une paroi verticale. Son remplissage, homogène et stérile, ne laissait pas présager l'existence d'une zone de combustion. Celle -ci se localise à l'endroit le plus profond (0,70 m) et est composée d'une lentille de charbon de bois, d'une couche de terre rubéfiée et enfin d'un niveau cendreux sombre (fig. 21). Deux fosses voisines, de plan circulaire, ont été mises au jour en limite nord de l'emprise, non loin du four 129. De forme cylindrique à fond plat, le comblement de ces structures, conservées sur 0,60 et 0,80 m de profondeur, se singularise par la présence de blocs de terre rubéfiée et de charbon de bois, mais également par la conservation partielle d'une paroi rubéfiée (fosse 1300). Leur fond induré traduit-il un rejet de foyer, une combustion en place ou un aménagement particulier ? La présence de graines carbonisées dans le remplissage charbonneux suggère une fonction éventuelle de stockage (silo), hypothèse renforcée par les données palynologiques relatives à la fosse 1513. En effet, le taux de composées de type Crepis (52,4 %) dans son remplissage inférieur permet de la considérer comme une réserve fourragère. Il est tentant de mettre l'existence de ces structures en relation avec la zone de stockage attestée en contrebas, mais aucun élément chronologique sûr n'autorise une telle supposition. Six sépultures à incinérations, auxquelles s'ajoutent deux probables fosses funéraires, ont été découvertes à quelques centaines de mètres à l'ouest de l'établissement gallo-romain, de l'autre côté du petit vallon traversant le site. Réparties de manière inégale sur environ 120 m 2, ces sépultures ne présentent aucune organisation apparente ni de relation topographique avec le réseau fossoyé. Leur chronologie permet néanmoins de les rattacher à la même phase d'occupation que l'enclos antique, les dépôts mobiliers étant caractéristiques de la période comprise entre la deuxième moitié du i er siècle, pour les plus anciennes, et le iii e siècle. Tout comme pour les ensembles détritiques découverts, le courant du ii e siècle n'est pas véritablement représenté. Par ailleurs, il est à noter qu'un bloc sculpté en calcaire, évoquant une stèle funéraire, a été découvert dans les labours, non loin de cet ensemble de tombes. Particulièrement rare dans le corpus régional, cet objet hélas dépourvu de tout contexte stratigraphique est figuré pour son intérêt (fig. 24). Ces sépultures se composent d'incinérations en urnes dans de simples fosses et de tombes associant les résidus de la crémation avec le dépôt funéraire. Elles se caractérisent par une variation sensible de la qualité des dépôts, ces derniers allant d'une simple urne aux dépôts multiples de poteries, l'un d'entre eux associant même plusieurs poteries et plusieurs verreries, ainsi que du petit mobilier. Pour les trois tombes les plus anciennes (sép. 1596, 11 et 1019), le mobilier se compose essentiellement de céramiques communestandis que l'une de ces dernières, de grande dimension, sert d'urne et de réceptacle aux poteries d'accompagnement. Il s'agit apparemment d'une pratique fréquente dans les sépultures contemporaines découvertes en différents endroits du plateau cauchois depuis le xix e siècle (cf. en particulier Cochet, 1866), ou dans la vallée de la Seine, à Vatteville-La-Rue (fouilles de M.-C. Lequoy, 1987-1992). Quant aux deux sépultures les plus récentes, elles associent verreries et céramiques, dont une sigillée (sép. 36). Les urnes n'ont livré pratiquement que des esquilles osseuses interdisant toute identification anthropologique autre que la présence de quelques restes humains (dont crâne et vertèbres, mais aucun os long). Deux tombes (sép. 74 et 36, fig. 25 et 26) comportent une fosse importante sans doute liée à la crémation, ou tout au moins à l'enfouissement des résidus du bûcher. Le dépôt funéraire a ensuite été réalisé à une extrémité de la fosse, après recreusement. Cinq des six sépultures méritent une présentation détaillée en raison de leur agencement ou de leur mobilier, trois d'entre elles présentant des dépôts assez similaires. Sans être exceptionnelles, ces quelques tombes constituent un petit ensemble intéressant pour la connaissance des modes funéraires de cette région, tout en alimentant la recherche sur les différentes catégories de mobiliers. Non figurée, la sixième sépulture n'a livré que les débris incomplets d'une simple urne attribuée à la deuxième moitié du i er siècle. Bien qu'ils se soient échelonnés dans le temps, ces dépôts semblent le reflet d'une population hétérogène dans sa condition sociale, tout en confortant, par la relative richesse de l'une d'entre elles, l'idée d'un établissement conséquent situé à proximité. – Sép. 1596 (fig. 22) : elle se compose d'une grande urne en céramique commune, accompagnée de quatre autres céramiques du même genre, dont une assiette retournée servant de couvercle (non figurée). Deux des céramiques d'accompagnement (iso. 3 et 4), dont une mutilée, étaient déposées à l'intérieur de l'urne, la troisième, brisée en deux morceaux égaux, étant située à côté. Très caractéristique, l'ensemble de ces poteries peut être situé vers la fin du i er ou le début du ii e siècle. – Sép. 11 (fig. 23) : elle se compose elle aussi d'une grande urne en céramique commune fermée par une assiette retournée, et accompagnée de deux céramiques déposées à l'intérieur. Un coffre en bois clouté lui était également associé. D'un dépôt relativement semblable à 1596, cette sépulture appartient à peu près à la même période (fin du i er - première moitié du ii e siècle). – Sép. 1019 (fig. 24) : cette sépulture se compose elle aussi d'une grande urne en céramique commune, obturée par un véritable couvercle; à l'intérieur se trouvaient deux poteries déposées en offrandes. Tout à fait comparable aux précédents (St. 1596 et 11), le dépôt peut être situé durant la première moitié du ii e siècle. Sép. 74 (fig. 5) : cette sépulture est la plus importante par sa fosse ainsi que par son dépôt, associant une urne en plomb dotée d'un couvercle à quatre verreries, trois poteries d'accompagnement (dont une a été mutilée), ainsi qu'une probable pince à épiler avec étui en bronze et un « couperet » en fer; paradoxalement, malgré son importance, ce mobilier ne permet pas une attribution plus précise que la deuxième moitié du ii e - début iii e siècle. L'urne en plomb constitue l'élément le plus remarquable de ce dernier dépôt. Si elle ne possède qu'une décoration restreinte et simplement gravée, sans commune mesure avec les décors moulés en relief de trois exemplaires trouvés dans le même secteur géographique (tombes de Saint-Maurice-d'Etelan, de Lillebonne et de Roncherolles, près de Bolbec), elle est tout de même l'un des très rares exemplaires aujourd'hui connus dans toute la région haut-normande. En effet, moins de cinq exemplaires de ce type y sont attestés, presque tous étant en outre issus de fouilles ou de découvertes fortuites réalisées au xix e siècle. Si l'on en croît les données mobilières livrées par ces quelques exemples, la présence d'une telle urne donne à la sépulture une connotation d'aisance sinon de luxe. Le reste du mobilier associé dans cette sépulture forme un ensemble intéressant, en particulier la verrerie, celle -ci présentant en effet deux objets rares dans le corpus régional, tous deux en verre bleuté : un récipient de forme légèrement biconique, dépourvu de col et percé à une extrémité, apparenté au type Isings 130, et surtout une « coupe » à lèvre débordante et pied annulaire de type Isings 42, pour ainsi dire inédite dans toute la Haute-Normandie. Ces deux verreries sont associées à un aryballe à pied marqué, en verre bleu, de type Isings 61, et à une bouteille rectangulaire en verre bleu de type Isings 90, conservée par sa partie inférieure (fig. 25). Tout à fait ordinaire quand à elle, la céramique se compose d'un gobelet en céramique commune lustrée et d'un petit pot, tous deux probablement issus de l'atelier de Monfort-sur-Risle (Eure), ainsi que d'un vase présentant les signes d'une transformation par découpe, et apparemment altéré par la chaleur du bûcher. Enfin, deux objets métalliques complètent ce dépôt funéraire : alors qu'une probable pince à épiler ne nécessite guère de commentaire, si ce n'est qu'il faut souligner la présence d'un étui attaché, le plus remarquable apparaît comme un couperet en fer doté d'un manche. La disposition de celui -ci évoque un système repliable autour d'un unique rivet (fig. 25). – Sép. 36 (fig.26) : elle se compose d'une grande urne en verre (bouteille à panse hexagonale en verre bleuté de type Isings 52, avec fond marqué d'un « P ») accompagnée de trois céramiques, dont l'une (une coupelle sigillée Drag.33 d'Argonne), servait de couvercle à l'urne, tandis qu'une autre (une céramique commune indéterminée), semble issue du bûcher. Un coffre, matérialisé par ses clous, était également présent. Tout comme la sépulture 74, elle peut être située entre une partie du ii e et le iii e siècle. Outre son urne en verre de grande dimension, ce dépôt se distingue par la présence d'une sigillée utilisée en bouchon de l'urne, ainsi que par une fosse importante recevant les restes du bûcher et recreusée lors de la mise en place du dépôt funéraire. Plus conséquents que les autres, ces deux dépôts 74 et 36 sont en outre les plus récents. Ils sont contemporains des importantes phases de rejets et de comblements reconnues dans la zone de l'enclos, en particulier dans les fossés, juste avant sa désaffection. Sur le site en effet, aucun artefact ou élément ne semble postérieur au milieu du iii e siècle. Prenant en considération toutes les frustrations qu'engendrent les fouilles sur tracé linéaire, l'occupation rattachée au premier âge du Fer offre cependant une vue assez large d'un espace structuré où dominent les bâtiments de type « grenier ». Ce lieu, interprété comme zone de stockage centralisé, est non seulement un jalon supplémentaire dans la répartition de ce genre de sites au nord-ouest de la France, mais également le témoin d'une volonté de rassembler la « (sur)production » alimentaire et le désir ou la nécessité de la protéger (Zimmerman 1991; Gransar 2000). Le mobilier céramique correspondant s'intègre dans la problématique régionale permettant d'accroître nos connaissances de la période charnière entre la fin de l' âge du Bronze et l'époque laténienne. Si beaucoup de questions demeurent posées au sujet de l'occupation antique implantée ensuite à cet endroit quant à sa nature (villa ?), à son envergure, à ses activités et à sa chronologie, la partie fouillée dans l'emprise alimente la recherche régionale sur les établissements ruraux gallo-romains ainsi que sur leurs développements. Le repli de l'occupation au cours du iii e siècle apparaît aujourd'hui commun à la totalité des sites ruraux fouillés depuis 1992 en différents endroits du plateau de Caux, excepté celui de l'habitat groupé de Saint-Ouen-du-Breuil, dont l'implantation d'origine germanique au cours du iv e siècle appartient à un phénomène particulier (Gonzales et al., 1996). Ainsi apparaît une véritable césure avec les quelques occupations ultérieures appréhendées ici et là sur ce plateau lors des opérations de fouille, et dont les plus anciennes ne sont pas antérieures à la fin de l'époque mérovingienne. Par ses ensembles mobiliers de différentes natures (domestique et funéraire), l'occupation antique de la Plaine du Bosc Renault fournit par ailleurs une référence régionale intéressante pour identifier les différentes sources d'approvisionnements en céramique dans cette partie de la région durant le Haut Empire. Sa position géographique apporte de nouveaux éléments aux données déjà obtenues dans d'autres secteurs du plateau, confirmant la réalité de nombreuses productions potières d'envergures et de diffusions très variables, disséminées en de multiples endroits du territoire régional, voir même sans doute au-delà, et dont très peu sont aujourd'hui identifiées avec certitude .
Fouillé sur le tracé de l'autoroute A 29, le site d'Hautot-le-Vatois a livré des vestiges protohistoriques et gallo-romains. Les occupations ici présentées sont un ensemble structuré de plans de bâtiments sur poteaux et des fosses de rejet attribuables au premier âge du Fer, ainsi que deux zones du Haut-Empire. L'une, destinée aux activités agricoles, se matérialise par un double enclos fossoyé; l'autre, consacrée au monde des morts, regroupe, sans organisation apparente, 6 incinérations.
archeologie_08-0169914_tei_175.xml
termith-64-archeologie
Célèbre à bien des égards, notamment pour son rôle dans la définition des faciès moustériens (Bordes et Bourgon 1951; Bordes 1953) et son implication dans l'élaboration des divers modèles interprétatifs de la « variabilité moustérienne » (Bordes 1961b; Binford L.-R. et S.-R. 1966; Binford L.-R. 1973; Dibble 1987, 1988; Dibble et Rolland 1992; Mellars 1969, 1986, 1989; Rolland 1981, 1988), le gisement de Combe-Grenal (Domme, Dordogne, fig. 1) est un abri sous roche creusé dans le calcaire coniacien, orienté au sud et situé au flanc du petit vallon qui lui a donné son nom. Ce vallon, aujourd'hui asséché, constitue une voie de passage entre la vallée de la Dordogne, distante de moins d'un kilomètre, et le plateau de Bord surplombant les lieux. À l'instar d'autres célèbres gisements périgourdins, tel le Pech de l'Azé ou Laugerie, l'abri de Combe-Grenal fut, dès le début du dix-neuvième siècle, reconnu et visité par de nombreux érudits locaux. Sa découverte, en 1816, est due à F. de Jouannet. Plusieurs générations de préhistoriens vont ensuite se succéder sur ce terrain : l'abbé Audierne en 1828, E. Lartet et H. Christy en 1864 puis, dans la première moitié du vingtième siècle, L. Capitan et enfin D. et E. Peyrony. Si les travaux réalisés par ces personnalités emblématiques de la préhistoire régionale n'ont fait qu'effleurer le remplissage du gisement, c'est à François Bordes que l'on doit les fouilles conséquentes de ce contexte conduites de 1953 à 1965 (fig. 2). Les fouilles de F. Bordes ont mis au jour une impressionnante séquence stratigraphique au sein de laquelle furent individualisées 65 couches archéologiques différentes, attribuées au Paléolithique moyen ancien et récent. La puissance du remplissage avoisine les 13 mètres et repose sur trois paliers rocheux étagés (op. cit.). Le palier d'érosion supérieur de l'abri (fig. 3) constitue le substrat d'une importante séquence, composée des couches 37 à 1 attribuées au Dernier Glaciaire (Guadelli et Laville 1990). C'est au sein de cet ensemble stratigraphique que se situe la couche 20 faisant l'objet de cette contribution. D'après Bordes 1972, modifié. After Bordes 1972, modified. La couche 20 de Combe-Grenal constitue un horizon sédimentaire continu, d'une épaisseur maximale de 0,30 m. Ces dépôts sont composés d'éboulis calcaires émoussés et altérés emballés dans un sédiment sablo-argilo-limoneux (Laville 1975). La coloration de cet horizon (brun-foncé), associée à la présence de nombreux objets brûlés, ont conduit F. Bordes à distinguer ce niveau comme étant la « couche foyère » la plus nette au sein de toute l'archéo-séquence. Les dépôts s'inscrivent dans une phase d'amélioration climatique au cours de l'OIS 3 (Bordes et al. 1966; Paquereau 1974-1975 a et b) avec toutefois une prédominance de la faune caractéristique du milieu ouvert arctique (Rangifer tarandus, Equus caballus germanicus), accompagnée d'une légère augmentation des espèces de milieu boisé (Guadelli 1987). L'industrie lithique, abondante, fut attribuée au « Moustérien à denticulés » (Bordes 1955, 1972). D'après l'auteur, ce faciès industriel, représenté dans la séquence par plusieurs couches contemporaines de l'OIS 5 (couches 41 à 38), disparaît au cours du Pléniglaciaire inférieur (OIS 4) pour être à nouveau reconnu dans la couche 20, puis dans les ensembles provenant des couches 16 à 11 (OIS 3). L'ensemble lithique de la couche 20 se trouve ainsi inter-stratifié au sein d'une séquence attribuée au techno-complexe Moustérien de type Quina2(couches 26 à 21 et 19 à 17). Concernant ce faciès, les travaux réalisés par J.-M. Le Tensorer sur les séquences de Moustérien de type Quina en Périgord et en Agenais ont révélé une variation diachronique qui, de bas en haut des séquences, se traduit par une diminution régulière des racloirs au profit, selon une même proportion, des encoches et des denticulés (Le Tensorer 1969, 1978). Dans le même ordre d'idée, les études réalisées par A. Turq sur le Moustérien de type Quina des gisements du Roc-de-Marsal (fouilles J. Lafille) et de Combe-Grenal ont conduit l'auteur à isoler deux groupes qui s'inscrivent également dans une dynamique évolutive au cours du Dernier Glaciaire (Turq 1979, 1989, 2000) : un Moustérien de type Quina ancien, dit « classique » (couche IXa du Roc de Marsal et 26 à 23 de Combe-Grenal), qui se caractérise par un pourcentage de racloirs important, un équilibre entre le groupe des encoches-denticulés et le groupe composé des racloirs convergents et déjetés; un Moustérien de type Quina « évolué » (couche IXb à XII pour le premier, 22-21 et 19 à 17 pour le second) qui se caractérise par un groupe des encoches-denticulés (technique clactonienne dominante) supérieur au groupe des racloirs convergents-déjetés. Ainsi, dans ce découpage stratigraphique, la couche 20 de Combe-Grenal s'intercale entre la phase « classique » et la phase récente, dite « évoluée » (Turq op. cit.), du Moustérien de type Quina périgourdin. Avant de revenir sur cette position stratigraphique singulière, il convient de rappeler les données princeps exposées par F. Bordes au sujet de l'industrie de la couche 20. La série présente l'indice Levallois le plus bas de tous les ensembles de Combe-Grenal (1972). En outre, la proportion de racloirs (notamment de type Quina) y est très faible bien que le mode de débitage d'éclats apparaisse, d'après l'auteur, plus ou moins similaire à celui des industries Quina environnantes (op. cit.). À ce titre, l'hypothèse d'une « contamination » depuis les ensembles lithiques provenant des couches 19 à 17, directement sus-jacentes, a été énoncée (op. cit.). Les caractéristiques typologiques associées à ces « anomalies » technologiques sont à la base de deux interprétations différentes de l'ensemble provenant de la couche 20, proposées respectivement par F. Bordes et L.-R. Binford; chacune se référant logiquement aux modèles théoriques développés par ces auteurs au sujet de la variabilité moustérienne. Avec F. Bordes (1972), la singularité de l'industrie repose sur des critères strictement typologiques et volontairement discriminants (encoches-denticulés) et des caractères à la fois technologiques et typologiques (relatifs au Moustérien de type Quina) considérés comme intrusifs et justifiés comme tels par la position stratigraphique de l'ensemble (inter-stratification). À cette perception résolument « culturaliste », visant à distinguer et à isoler l'industrie au sein de l'archéo-séquence, s'est opposé le modèle interprétatif « fonctionnaliste » de L.-R. Binford (1973). Cette interprétation repose tout d'abord sur une remise en question de l'existence propre de l'identité stratigraphique et, par voie de conséquence, à l'attribution culturelle de la couche 20. Pour L.-R. Binford, la validité d'une inter-stratification peut être discutée à partir de ces mêmes éléments écartés par F. Bordes dans son diagnostic, à savoir des caractéristiques techniques de production ne se distinguant pas fondamentalement de celles observées dans les ensembles sus - et sous-jacents, rattachés au Moustérien de type Quina. Cette double perception aboutit donc à deux niveaux de lecture distincts de l'industrie : l'une « diachronique » (F. Bordes) mettant en avant la spécificité de l'outillage retouché et son caractère paradoxal dans un cadre industriel autre que le Moustérien à denticulés. L'autre, « synchronique » (L.-R. Binford), reconnaissant dans la composition typologique de l'industrie les témoins de choix fonctionnels opérés au sein du Moustérien de type Quina et, pour être plus précis, au sein d'un ensemble stratigraphique regroupant les couches 17 et 20 (Binford 1973) : les variations entre les séries étant alors inhérentes à l'existence d'aires d'activités distinctes (spatialisation) et synchrones. Notre investigation sur l'industrie de la couche 20 repose, de facto, sur un substrat de connaissances pour le moins propice au débat d'idées. Préalablement à l'exposé de nos résultats, il convient de faire la lumière sur certains points énoncés précédemment pour tenter de dégager une perception objective du contexte, notamment en ce qui concerne sa filiation stratigraphique présumée avec la couche 17 (Binford op. cit.). Concernant tout d'abord la question du synchronisme, force est de constater que cette vision va à l'encontre des données sédimentologiques et paléo-environnementales qui tendent, de concert, à établir une distinction stratigraphique entre les deux horizons (Bordes et al. 1966; Paquereau 1974-75; Laville 1975; Guadelli 1987). Il est possible de conforter ce diagnostic à partir du matériel brûlé, fortement représenté dans la couche 20 (12 % de l'industrie) et, a contrario, inexistant dans la couche 17. En ce sens, nous accordons crédit à l'individualisation de la couche 20 en tant que couche foyère se distinguant clairement des dépôts environnants (Bordes 1984a). S'il est possible d'attester l'identité stratigraphique de cette couche au sein de la séquence (diachronie), qu'en est-il de la coexistence d'éléments matériels considérés par F. Bordes comme discordants au sein de l'industrie ? L'industrie se compose de 1875 objets en silex (tabl. 1). D'un point de vue méthodologique, la série a été abordée suivant la trame de la chaîne opératoire ramifiée (Bourguignon et al. 2004; Faivre 2008). Rappelons que cet outil d'analyse, au-delà du processus de réduction global de la matière première lithique (communément mis en évidence par le concept classique de chaîne opératoire), insiste sur l'implication quantitative et qualitative des actions techniques mises en oeuvre aux dépens d'éclats-matrices (fig. 4). « L'éclat-matrice » caractérise un volume de matière première débité qui, de part sa forme et sa structure volumétrique (déterminées au débitage), est doté d'un potentiel « productionnel » (éclat-nucléus producteur d'éclats) et/ou « fonctionnel » (outil à « contacts » fonctionnels déterminés au débitage ou aménagés). L'organisation de la production lithique se détermine par stades opératoires successifs et conjoints : le premier stade regroupant les productions réalisées sur blocs; le second concernant les modes de gestion des éclats-matrices issues du premier stade opératoire (Faivre op. cit.) : gestion à vocation unique fonctionnelle (outil) ou productionnelle (nucléus), à vocations successives indépendantes (nucléus puis outil ou inversement) et enfin gestion à vocations combinées (outil/nucléus). L'approvisionnement en blocs de matières premières est réalisé à partir des nombreux gîtes présents dans l'environnement immédiat (< à 1 km) ou local (< à 5 km) du site. Les blocs de silex sénoniens lato sensu (coniacien, santonien), gris/noir ou blond, sont largement dominants (80 %) et proviennent des différentes sources disponibles (alluvions, altérites, éboulis). Les calcédoines tertiaires du plateau de Bord, en rognons ou plaquettes épaisses, constituent la seconde composante lithologique (16 %). Hormis un faible effectif de matériaux pour lesquels l'origine exacte n'a pu être précisée (moins de 1 %), le cortège lithologique est complété par un échantillon de pièces (3 %) en silex campanien de la région de Belvès. L'industrie compte 17 nucléus sur rognons, galets ou encore gelifracts. Leurs dimensions sont modestes (en moyenne 47 x 38 x 27 mm) et s'inscrivent dans une large diversité de formes. Cette variabilité morphologique renvoie à différentes combinaisons opératoires d'exploitation des volumes. La pluralité dans l'agencement de ces surfaces et dans la rythmicité de leur exploitation distinguant, de fait, plusieurs modalités de débitage : à surface de débitage unique ou préférentielle (N =6), ou à plusieurs surfaces adjacentes (N =11) exploitées de façon successive mais également en alternance. Au-delà de cette diversité, le débitage s'inscrit néanmoins au sein d'une même structure volumétrique globale réunissant les critères techniques de la production de conception Quina reconnue à Combe-Grenal (Faivre 2008) : le détachement des premiers éclats tire profit des convexités présentes sur les surfaces naturelles (corticales ou diaclasées) du volume; chaque éclat est obtenu à partir des critères techniques laissés par l'enlèvement précédent (nervure guide, latéralisation) et, dans un même temps, permet le maintien des caractères nécessaires au détachement de l'enlèvement suivant; au terme de leur exploitation, les nucléus peuvent présenter des surfaces hiérarchisées ou non hiérarchisées. Le débitage procédant par exploitation d'une surface hiérarchisée (surface unique ou préférentielle) est principalement mené à partir de deux pôles opposés (bipolaire), perpendiculaires à l'axe d'allongement de la plus grande surface du volume (fig. 5). Les nucléus à surfaces non hiérarchisées comptent de deux à quatre surfaces de débitage qui investissent le volume (partiellement ou intégralement) suivant des enchaînements variés (fig. 6). La lecture diacritique des nucléus témoigne d'un débitage d'éclats par séquences alternantes « discontinues » (Bourguignon 1996 et 1997), menées aux dépens des différentes surfaces adjacentes. Les nucléus comptant quatre surfaces sont fortement réduits et rendent compte d'une exploitation tirant progressivement profit de corniches positionnées en différentes zones du volume (celles -ci pouvant être naturelles ou résulter des séquences antérieures); d'un point de vue morpho-technique, la production varie sur les plans qualitatif et quantitatif en fonction de l'investissement du débitage aux dépens de surfaces allongées ou de surfaces courtes et larges (dans l'épaisseur du bloc). Les éclats présentent un caractère technique commun matérialisé par une asymétrie pouvant être en section (dos) ou de profil (talon épais, lisse, large et incliné); la surface de plan de frappe résulte le plus fréquemment d'une séquence de production antérieure menée aux dépens d'une surface de débitage adjacente. L'utilisation de surfaces naturelles corticales ou gélives en tant que surfaces de plan de frappe est également importante (débitage hiérarchisé); l'inclinaison des plans de fracture des enlèvements varie en fonction de la surface exploitée : sub-parallèle pour la plus grande surface (souvent la plus productive) et sécant pour les surfaces courtes et larges; la technique de débitage est la percussion directe au percuteur dur portée largement en retrait par rapport à la corniche délimitant les surfaces de plan de frappe et de débitage. Dessins J.-Ph. Faivre. Drawings J.-Ph. Faivre. Dessins J.-Ph. Faivre. Drawings J.-Ph. Faivre. Les enlèvements bruts de débitage, issus du débitage sur blocs (N =641), regroupent des caractères morpho-techniques qui s'intègrent pleinement dans le cadre technique Quina que nous avons reconnu sur les nucléus. Les éclats corticaux (à plus de 50 %) représentent 19 % de l'échantillon et ceux à résidus corticaux 36 %. Au total, plus de la moitié des produits comportent des plages plus ou moins étendues de surfaces naturelles sur leur face supérieure (fig. 7 - n° 1-4). Cette proportion atteint 63 % en tenant compte des éclats à dos ou à talon cortical seul (fig. 7 - n° 5-6). Le reste de l'échantillon, soit 37 %, est logiquement composé d'enlèvements sans cortex (fig. 7 - n° 7-9). Près de 50 % des supports bruts comportent un dos (parallèle ou oblique par rapport à l'axe technique de débitage). Ce dos est principalement cortical (62 %), couvrant sur les produits à plus de 50 % de cortex (fig. 7 - n° 4) et nettement plus abrupt sur les éclats pourvus ou non de plage résiduelle sur leur face supérieure (fig. 7 - n° 5). Les dos recoupant une surface de débitage adjacente sans contre-bulbe (fig. 7 - n° 7) ou une face lisse (diaclasée) sont bien représentés (36 %). La représentation des dos constitués d'un ou de plusieurs négatifs à contre-bulbe visible est par contre anecdotique (2 %). L'asymétrie en section, conférée par la présence d'un dos, constitue donc un critère morpho-technique majeur recherché sur les supports. Dessins J.-Ph. Faivre. Drawings J.-Ph. Faivre. Le critère d'asymétrie s'accentue d'autant plus (70 %) si l'on prend en considération les supports possédant un talon-dos cortical (fig. 7 - n° 6), ou lisse large et incliné (fig. 7 - n° 8), qui constitue la zone d'épaisseur maximale sur les enlèvements (asymétrie de profil). Le détachement des produits est largement conditionné par l'agencement des négatifs laissés par les supports débités antérieurement. L'orientation des négatifs présents sur les faces supérieures témoigne d'un débitage majoritairement mené à partir d'un même pôle : les enlèvements sont principalement unidirectionnels (63 %), parallèles ou convergents. L'analyse des talons révèle que le détachement des éclats s'effectue à partir de plans de frappe lisses (69 %) qui, dans la plupart des cas, correspondent à des négatifs débités antérieurement et présents sur une surface de débitage adjacente. Dans cette dynamique d'exploitation de deux surfaces adjacentes, la représentation des talons dièdres asymétriques, recoupant deux négatifs/plans de frappe, est faible (5 %; fig. 7 - n° 9). Il s'agit là d'une information technique qui, sur la base des critères structurels reconnus et définis pour les modalités opératoires Quina (Bourguignon op. cit.), tend à conforter le caractère « discontinu » de l'alternance du débitage que nous avons pu observer sur les nucléus à surfaces non hiérarchisées. La série compte 25 nucléus sur éclats pour lesquels les modalités de débitage procèdent soit d'une exploitation exclusive ou préférentielle de la face supérieure (N = 12) ou de la face inférieure (N =7), soit d'une exploitation partielle des deux faces opérée suivant un rythme alternant (N =6). Quelle que soit la stratégie adoptée, son déroulement est conditionné par le volume de l'éclat - nucléus. Dans la majorité des cas, la structure volumétrique du support sélectionné est constituée de trois surfaces : la face inférieure, la face supérieure et un dos essentiellement cortical. Pour les nucléus à surface de débitage unique ou préférentielle (sur face inférieure ou non), le débitage peut se développer à partir d'un seul pôle/plan de frappe localisé sur le bord opposé au dos (fig. 8 - n° 1-3). Dessins J.-Ph. Faivre. Drawings J.-Ph. Faivre. L'exploitation est menée à la fois aux dépens de la surface et de l'épaisseur de l'éclat-nucléus. Dans d'autres cas (les mieux représentés), la production repose sur une exploitation de la surface menée à partir de deux pôles opposés suivant un axe plus ou moins parallèle (fig. 8 - n° 4-5). Le bord et/ou le dos opposé font alors office de plans de frappe pour le détachement des enlèvements. La structure de ces nucléus induit une extension du débitage s'effectuant dans la largeur de la surface. Les quelques exemplaires de nucléus à deux surfaces adjacentes témoignent d'un débitage mené suivant un rythme alternant « discontinu » (fig. 8 - n° 6). La lecture des négatifs présents sur les surfaces nous révèle la mise en œuvre d'un débitage produisant des enlèvements aux caractères homogènes : d'un point de vue morphométrique, les supports sont fréquemment plus larges que longs; leur profil est concave et plus rarement convexe; les talons sont majoritairement lisses (occasionnellement corticaux) et systématiquement larges et inclinés (angle d'éclatement estimé en moyenne à 120°); que cela soit en section ou de profil, les produits sont asymétriques; le détachement des produits s'effectue par percussion directe rentrante (percussion verticale ou faiblement tangentielle portée en retrait de l'angle de corniche). Cette percussion conditionne la morphométrie du talon. Celle -ci est caractéristique et induit l'obtention de négatifs de type « encoche clactonienne » sur les nucléus. Le support caractéristique, résultant de ces modalités de débitage, s'apparente à un éclat d'encoche clactonienne (talon lisse, large et incliné), à face supérieure sans nervure ou comportant des négatifs antérieurs, partiels ou entiers (fig. 9). Dessins J.-Ph. Faivre. Drawings J.-Ph. Faivre. Ces produits (N =97) sont majoritairement détachés aux dépens de la face supérieure des éclats-nucléus (fig. 9 - n° 1-9). Seulement 18 % de l'échantillon montre des indices probants d'un détachement réalisé sur la face inférieure (fig. 9 - n° 10 et 12-16). Ces éclats comportent au maximum un seul négatif antérieur d'orientation unidirectionnelle (fig. 9 - n° 13). Pour les autres (produits aux dépens de face supérieure), le nombre de négatifs est variable (de un à cinq) et leur orientation est unidirectionnelle (parallèle ou convergente : 50 %) ou bidirectionnelle (perpendiculaire ou opposée suivant l'axe technique de l'éclat : 50 %). La proportion de produits comportant une plage plus ou moins étendue de cortex est faible (16 %). Il en va de même en ce qui concerne la présence d'un dos latéralisé (7 %). La sélection des supports destinés à être aménagés par retouche s'effectue, en priorité, au sein des produits issus de l'exploitation des blocs (67 %), et suivant des critères morphométriques : les supports d'outils sont, en moyenne, nettement plus grands (42 mm), plus larges (42 mm) et plus épais (17 mm) que les produits bruts de débitage (32 x 29 x 10 mm). Le taux de transformation des produits, issus de l'exploitation des éclats-nucléus, est relativement élevé (33 %). L'outillage retouché constitue 12 % de la totalité du matériel. Cette proportion n'est pas éloignée de celle observée pour le Moustérien de type Quina de la couche 17 (13,5 %). La spécificité typo-fonctionnelle de la couche 20 (prédominance des encoches et denticulés) ne se solde donc pas par une diminution significative du taux de transformation des supports. En ce sens, la couche 20 se démarque de la grande majorité des industries attribuées au Moustérien à denticulés au sein desquelles les taux de transformation par retouche s'avèrent, généralement, nettement plus faible (Bordes 1972; Jaubert et al. 1990; Bourguignon et Turq 2003; Thiébaut 2005; Park 2007; Faivre 2008). La présentation des supports retouchés expose, succinctement, les données relatives aux différents « contacts » fonctionnels des outils (Lepot 1993; Brenet 1996; Boëda 1997; Bourguignon 1997; Soriano 2000). Cette catégorie représente 35 % de l'outillage retouché. Elle compte 74 pièces à encoche clactonienne simple et 10 autres comportant deux encoches positionnées sur deux bords différents (adjacents ou opposés; fig. 10 - n° 5). Pour la majorité (84 %), le tranchant brut du support est modifié par un seul enlèvement sans qu'il y ait reprise postérieure du négatif (fig. 10 - n° 1-4; fig. 13 - n° 2). Pour les autres pièces (16 %), ce même négatif est repris par un second enlèvement de type « encoche clactonienne » qui vient se superposer sur le premier (fig. 10 - n° 8). La délinéation des encoches est concave, essentiellement arrondie et plus rarement en « v ». Les dimensions moyennes des négatifs sont, respectivement pour la longueur et la largeur, de 16 mm et de 27 mm. On notera la présence, assez fréquente, de l'esquille bulbaire de l'éclat d'encoche encore solidaire de son négatif. Dessins J.-Ph. Faivre. Drawings J.-Ph. Faivre. Sur le plan morpho-fonctionnel, la position de l'encoche sur le bord aménagé détermine dans la plupart des cas la création d'un « bec » d'angle, de section triédrique (dièdre de tranchant concavo-plan ou biplan de 50° en moyenne; fig. 10 - n° 1-2-4). Ce « bec » est formé à la convergence d'un des deux segments de l'encoche avec un bord adjacent brut ou bien également aménagé par une encoche clactonienne (fig. 10 - n° 5). Sur quelques pièces, ce contact transformatif comporte des macrotraces (directes, inverses ou alternes), ou encore une ligne de retouche courte, systématiquement postérieure à l'encoche (fig. 10 - n° 6-7; fig. 13 - n° 1). Les indices de reprises ou l'identification de macrotraces positionnées au niveau du creux de l'encoche sont rares et d'autant plus difficiles à distinguer d'un esquillement (fréquent) produit lors de la confection. Dans le schéma de fonctionnement de l'outil, le contact de maintien et de transmission des forces est essentiellement matérialisé par le dos ou le talon adjacent au bord encoché. Sur le plan morphométrique, les supports à encoche clactonienne constituent les outils les plus épais, tous types d'aménagement confondus : 40 x 42 x 17 mm. Cette catégorie domine le spectre typologique (44 %). L'aménagement concerne un seul bord du support (76 %), ou s'étend à deux bords adjacents (24 %). La technique utilisée pour la création des contacts transformatifs est celle de l'encoche clactonienne organisée en séries contiguës. Dessins J.-Ph. Faivre. Drawings J.-Ph. Faivre. Sur le plan dimensionnel, les encoches ont une amplitude importante (macrodenticulé supérieur à 5 mm = 85 %). Près de 72 % des pièces témoignent, au stade de leur abandon, de l'existence d'un seul rang d'encoches clactoniennes contiguës (le nombre d'encoches est variable mais reste globalement peu élevé; fig. 11 - n° 7-10). La plupart du temps étendu à la totalité du bord, plus rarement partiel (fig. 13 - n° 5), cet aménagement est réalisé sur des supports robustes (standard morpho-technique de l'éclat Quina asymétrique épais). Malgré la reconnaissance d'un seul rang d'enlèvements, le degré de réduction notable des supports est révélateur d'un cycle d'aménagement et de réaménagement plus long qu'il n'y paraît (fig. 11 - n° 3-4). Sans en faire pour autant une règle applicable à tous les outils, ce cycle nous est révélé concrètement par une part non négligeable de pièces (28 %) sur lesquelles le contact transformatif de tranchant est constitué de deux, voire de plus de deux rangs successifs d'enlèvements d'encoches contigus (fig. 11 - n° 2 et 6). Les propriétés fonctionnelles du tranchant aménagé apparaissent nettement au niveau des saillants dégagés par le détachement des éclats d'encoches (fig. 12 - A), ceux -ci étant parfois accentués par de petits enlèvements postérieurs ou par un esquillement qui ne s'apparente pas à de la retouche (macrotraces d'utilisation ?; fig. 11 - n° 6). Sur de nombreuses pièces, un second contact transformatif est créé à la convergence de deux bords adjacents. Ce contact correspond à un « bec d'angle », de section triédrique, identique à celui observé sur les supports aménagés par encoche clactonienne simple (fig. 12 - B). Dans de nombreux cas, on note un aménagement partiel du bord par retouche abrupte (troncature), située dans le prolongement direct du « bec d'angle ». Cet aménagement configure le contact de maintien et de transmission des forces dans le cadre de la mise en fonction de l'outil (fig. 11 - n° 2-3, 5, 10). Ce schéma de fonctionnement (qui peut constituer une variante dans le fonctionnement global de l'objet) est, en outre, étayé par la reconnaissance de macrotraces (directe ou inverse) positionnées uniquement au niveau des « becs d'angles » (fig. 11 - n° 6). Les outils à contacts transformatifs de type « racloir », créés par retouche sub-parallèle, écailleuse ou écailleuse scalariforme constituent seulement 10 % de l'outillage retouché (N = 34). L'aménagement concerne essentiellement un seul bord sur les supports (N =32). Les contacts transformatifs de tranchant sont majoritairement configurés par deux rangs de retouche successifs écailleux (N =18), ou par un seul rang sub-parallèle (N = 13) le plus souvent partiel sur le bord aménagé. La représentation de la retouche scalariforme est anecdotique (N =1). L'amplitude de la retouche est logiquement plus élevée sur les tranchants écailleux que sur les tranchants à rang unique (en moyenne 11 mm contre 7 mm). La nature des dièdres de tranchant est, par contre, identique : convexo-plan ou concavo-plan. Le contact de maintien, opposé ou adjacent au bord retouché, est matérialisé par un dos (cortical ou lisse) ou par un tranchant brut. D'un point de vue morphométrique, ces outils présentent des dimensions hétérogènes du fait de l'implication d'une large gamme de supports différents issus, pour beaucoup, d'un débitage sur éclats-matrices (fig. 13 - n° 6-11). Dessins J.-Ph. Faivre. Drawings J.-Ph. Faivre. Au total, 513 produits (27 % de la totalité de l'industrie) résultent soit de l'aménagement, soit du réaménagement de contact transformatif de tranchant. Deux populations peuvent être distinguées au sein de cet échantillon. La première est composée d'éclats obtenus par percussion directe au percuteur tendre (éclats de types 0, I, II et III : L. Bourguignon 1997, 2001). La seconde regroupe les éclats d'encoches clactoniennes, à talon lisse, large et incliné (types IV, Va, Vb et Vc : Bourguignon op. cit.; Faivre 2008), produits au percuteur dur. Comme nous venons de l'énoncer, ces produits sont obtenus au percuteur tendre et constituent 20 % de la totalité des éclats participant à la confection et au réaménagement des contacts transformatifs. Le premier constat que l'on peut tirer de cette représentation est un net décalage statistique au sein de l'industrie entre la proportion de ces éclats et celle des outils auxquels ils sont, techniquement, censés se rapporter (racloirs = 10 %) : les éclats type 0 (n =32), à talon lisse déversé ou linéaire/punctiforme et de profil convexe, présentent des dimensions modestes (en moyenne 22 x 19 x 3 mm) qui s'inscrivent néanmoins dans des classes morphométriques proches de celles relevées à Combe-Grenal en contexte de Moustérien de type Quina (Faivre 2008). Aucun de ces produits n'a servi de support d'outil. les éclats de type I (N =20) sont moins longs que les précédents (15 x 18 x 3 mm) et s'inscrivent dans l'aménagement d'un premier rang de retouche de profil concave (forte tendance au réfléchissement); les types II (N =18), également de profil concave, sont des produits de réaffûtage reprenant des bords aménagés par retouche sub-parallèle ou écailleuse (un seul exemple d'aménagement antérieur écailleux scalariforme). Leurs dimensions sont proches de celles des types I (en moyenne 17 x 19 x 3 mm); les types III sont les mieux représentés (N =33). De profil convexe, parfois légèrement torse, ce sont des éclats de réaffûtage comportant en partie proximale un nombre variable de lignes de retouche antérieures (de une à trois) de morphologie sub-parallèle à écailleuse scalariforme. Leurs dimensions (en moyenne 18 x 16 x 3 mm) sont inférieures à celles des éclats de type 0, ce qui induit que leur détachement reconfigure le bord par un premier rang de retouche d'amplitude maximale moins importante que lors de la phase initiale d'aménagement des racloirs. La représentation des types 0 et III tranche sur une carence évidente en produits participant à la configuration de fil de tranchant concave (type I et II) qui, au regard des amplitudes observées sur les outils, se réfère essentiellement à des éclats, de dimensions inférieures à 1 cm, absents dans l'échantillon étudié. La présence des éclats caractéristiques de la phase initiale d'aménagement mais également d'une étape ultérieure de réaffûtage nous incite cependant à envisager un processus de confection des outils à contact transformatif de type « racloir » qui s'est opéré in situ. L'éclat de type IV a été reconnu comme un éclat de réaffûtage Quina par différents auteurs (Lenoir 1986; Verjux et Rousseau 1986; Meignen 1988; Verjux 1988; Turq 1989; Bourguignon 1997). Cet éclat à talon lisse large et incliné est porteur de plusieurs informations sur le mode de gestion des outils intégrant des phases d'aménagement, de réaménagement et de recyclage des contacts transformatifs de type « racloir ». Dans l'industrie de la couche 20, le détachement de cet éclat intervient sur des bords comptant un nombre variable de lignes de retouche : une seule ligne d'enlèvements sub-parallèles (N =15; fig. 15 - n° 3-4), deux lignes écailleuses (N =16; fig. 15 - n° 2) et plus de deux lignes écailleuses scalariformes (N =23; fig. 15, n° 1, 5-6). Au total, ces simples produits sont deux fois plus nombreux que les racloirs présents dans l'industrie et l'on peut voir que leur origine s'applique à différents types de contacts transformatifs, sans préférence particulière pour des supports fortement investis par la retouche. Cette situation rejoint celle observée dans le Moustérien de type Quina de la couche 17 (Faivre 2008) où l'intervention des éclats de type IV ne semble pas corrélable avec un stade de réduction ou d'usure prononcée des bords aménagés en racloirs. La représentation d'éclats d'encoches clactoniennes comportant en partie proximale des lignes d'affûtage antérieures, sub-parallèles ou écailleuses lato sensu, apparaît dès lors quelque peu disproportionnée. Face à ce constat, les éclats de type IV semblent donc recouvrir une ou plusieurs fonctions dans le cadre de phases de recyclage des outils qui n'ont pas pour vocation la création d'un nouveau contact transformatif de type « racloir ». Par ailleurs, pour l'anecdote, la représentation des éclats de type IV au sein de l'industrie de la couche 20 se doit de lever toute ambiguïté quant au caractère intrusif de la composante typologique constituée par les racloirs, et donc à l'hypothèse d'une contamination avec les couches environnantes énoncée initialement par F. Bordes (1972). Dessins J.-Ph. Faivre. Drawings J.-Ph. Faivre. Un cycle de réduction des outils à contact transformatif de type « racloir », intégrant des phases de recyclage à vocations diverses, peut être proposé : la confection débute par le détachement d'enlèvements de type 0 ou de type I. Ce premier rang fixe l'amplitude maximale de la retouche. L'aménagement du contact transformatif de tranchant peut se limiter à ce stade (racloirs non écailleux) ou être poursuivie par une seconde série d'enlèvements de type I (racloirs écailleux); une première étape de réaffûtage (potentiellement décomposable en phases successives de détachement d'éclats de type II) se solde par l'obtention, sur certains supports, d'un bord à retouche écailleuse scalariforme; une seconde étape de réaffûtage concerne des tranchants écailleux ou écailleux scalariformes repris par des enlèvements convexes (type III). Ceux -ci autorisent une reconfiguration du tranchant (répétition du cycle) sans qu'il y ait rupture en matière de technique de percussion utilisée jusqu'alors dans le cadre de l'aménagement et de la gestion de l'outil; le stade suivant correspond au détachement d'éclats d'encoches clactoniennes de type IV. Bien que l'on ne puisse totalement écarter l'hypothèse d'une reprise postérieure et occasionnelle du bord à l'aide d'un retouchoir en matière tendre (qui implique nécessairement de profonds changements morpho-fonctionnels du contact transformatif initial), l'analyse globale du matériel nous amène à considérer cette étape comme un recyclage ayant, potentiellement, une double vocation « fonctionnelle » et « productionnelle ». Sur le plan fonctionnel, l'éclat de type IV participe à l'aménagement de nouveaux contacts transformatifs matérialisés par les racloirs à encoches adjacentes mais surtout par les macrodenticulés à coches clactoniennes contiguës. Dans la mesure où cette phase de recyclage concerne tous les types de contacts transformatifs de racloirs, elle semble traduire un changement radical dans l'orientation fonctionnelle des supports qui, par extension, vient parfaitement se caler dans la tendance générale de l'outillage. L'industrie de la couche 20 acquiert dès lors un tout autre sens qui, au-delà de caractères typologiques discriminants, prend corps dans un mode de gestion techno-économique spécifique des supports en accord avec un projet fonctionnel différent. La concrétisation de projets fonctionnels distincts, et le caractère exclusif de l'un d'eux à un moment donné (encoche-denticulé), est rendue possible par le potentiel offert par la structure volumétrique du support Quina et l'unicité des gestes techniques qui transparaît au travers de l'éclat d'encoche clactonienne. C'est justement cette unicité technique qui amène à considérer l'éclat d'encoche de type IV comme un produit regroupant l'ensemble des caractères morpho-techniques recherchés sur les enlèvements issus des différentes modalités de débitage sur éclats (cf. supra). Là où l'on pourrait reconnaître un cas de convergence technique, nous préférons opter pour la reconnaissance d'un mode de régulation techno-économique appliqué à partir du volume de matière première que constitue l'éclat-matrice Quina. Comme en témoignent les éclats de type Vb et Vc, les indices de cette gestion ne se limitent pas uniquement aux outils-matrices de type « racloir », mais se rencontrent également tout au long de la réduction des supports à contact transformatif de type « encoche clactonienne » ou « denticulé ». Ces produits sont fortement représentés au sein de l'industrie et recouvrent différentes origines en fonction du nombre de négatifs antérieurs présents sur leur bord proximal, ceux -ci se rapportant à la nature de l'affûtage du bord aux dépens duquel ils sont détachés. Les éclats de type Vb comportent un négatif de type « encoche clactonienne » en partie proximale (N =188; fig. 16). Ils s'inscrivent potentiellement dans le réaffûtage d'outils à coches (denticulés), mais peuvent également résulter d'une démarche de production de supports (continuum avec les éclats d'encoche de type Va que nous avons considéré, au regard de leurs caractères morpho-techniques, comme des produits issus du débitage sur éclats-nucléus). Dessins J.-Ph. Faivre. Drawings J.-Ph. Faivre. La confrontation statistique de la longueur des éclats de type Vb à celle des encoches clactoniennes considérées comme résultantes d'un aménagement fonctionnel des bords (contact transformatif), révèle que les valeurs moyennes de ces deux groupes sont significativement différentes (tabl. 2). Par contre, la comparaison de ces mêmes produits avec la longueur des négatifs présents sur les éclats-nucléus met en évidence une forte analogie morphométrique entre les deux populations (tabl. 3). Les enlèvements de type Vc présentent au moins deux négatifs contigus de type « encoche clactonienne » en partie proximale (N =56; fig. 17). Ces produits apparaissent clairement résulter d'une reprise (recyclage) d'un bord aménagé par retouche denticulée (tabl. 4). Dessins J.-Ph. Faivre. Drawings J.-Ph. Faivre. Le nombre d'encoches contiguës sur le bord proximal est variable (de 2 à 6). Pour la majorité, elles sont agencées en un seul rang d'enlèvements (N =44). Les bords proximaux comportant deux rangs de retouche témoignent d'une reprise partielle de la première série d'encoches par des enlèvements plus courts accentuant les saillants. Dans quelques cas, on observe un esquillement de ces saillants qui ne s'apparente pas à un aménagement intentionnel. D'un point de vue morphométrique, les éclats de type Vc ne s'inscrivent pas dans la longueur moyenne des encoches clactoniennes simples aménageant des contacts transformatifs (tabl. 5). Ceci traduit un détachement de l'éclat qui n'a pas pour vocation de reconfigurer un tranchant selon des critères morpho-fonctionnels identiques (analogies entre les contacts transformatifs de type « denticulé » et ceux repris et partiellement présents en partie proximale sur les éclats de type Vc). À l'inverse, la confrontation statistique des longueurs moyennes des types Vc avec celles des négatifs de type « encoche clactonienne » présents sur les pièces considérées comme des éclats-nucléus rend compte d'une similitude significative de ces deux groupes (tabl. 6). L'éclat caractéristique d'une reprise de bords denticulés s'inscrit ainsi dans un continuum techno-économique avec les autres catégories d'éclats d'encoches clactoniennes. Cette unicité morphométrique nous conduit logiquement à constater qu'un certain nombre de pièces classées comme nucléus (sur la base de critères discriminants), s'inscrivent en fait dans une phase ultime de réduction d'outils ayant intégré, dans le cadre d'un mode de gestion combinée, une ou plusieurs phases d'aménagement fonctionnels (denticulés). Avec l'industrie de la couche 20 de Combe-Grenal, nous sommes confronté à une situation où l'appréhension des niveaux de variabilité économique et fonctionnelle, interne au système de production Quina, apporte un nouvel éclairage à la diversité industrielle initialement perçue (Bordes 1961b, 1972, 1981; Le Tensorer 1978; Turq 1985, 1989 et 2000; Lenoir 1986; Dibble 1988; Meignen 1988; Mellars 1996; Bourguignon 1997; Geneste et al. 1997). Nous ne reviendrons pas sur les arguments avancés ayant, explicitement et à juste titre, motivé l'attribution de l'industrie de la couche 20 au Moustérien à denticulés (Bordes op. cit.). La démarche analytique appliquée à cet ensemble s'est fixée comme objectif de cerner la panoplie des comportements techniques mis en œuvre et de déterminer objectivement leur identité systémique. Les résultats obtenus sont univoques et concourent à intégrer pleinement la couche 20 dans l'assise diachronique du système de débitage Quina à Combe-Grenal : l'approche conceptuelle du débitage de supports est tout à fait identique, tant dans son déroulement économique (débitage sur bloc et sur éclat) que dans ses prérogatives techniques de production (supports Quina asymétriques épais), et s'appuie, sur le plan opératoire (méthodes, modalités), sur un ensemble de prescriptions structurelles stables. En ce sens, la couche 20 rend compte de l'application de connaissances et de savoir-faire similaires, pour ne pas dire identiques, à ceux reconnus dans l'industrie de la couche 17 (Faivre 2008), mais également dans l'ensemble des industries attribuées au Moustérien de type Quina (couches 26 à 21 et 19-18; op. cit.). Si ce premier point s'applique de façon générale aux industries, il y en a un second qu'il nous a semblé essentiel d'explorer et qui concerne plus spécifiquement la reconnaissance des options techniques, économiques, mais aussi fonctionnelles prises dans le cadre de la consommation des produits de débitage Quina; ces dernières étant les plus à même de nous amener à la compréhension objective, dynamique, de l'attribution princeps de l'industrie au faciès « à denticulés ». Nous touchons là au principal niveau où s'opère ce qui, par le passé, relevait de la variabilité techno-typologique, mais qui selon nous revêt l'expression matérielle de niveaux de régulation techno-économico-fonctionnelle : une même structure volumétrique matérialisant, par conjonction de critères morpho-techniques, la marque identitaire du système de production lithique (éclat-support Quina), aux dépens de laquelle différentes options, « fonctionnelles » et/ou « productionnelles », peuvent être appliquées. La concrétisation de ces options relève d'une démarche de sélection discriminante (critères morphométriques et morphologiques), établissant l'implication de la structure volumétrique dans l'une et/ou l'autre des voies optionnelles : éclat-support d'outil(s) et/ou éclat-nucléus. La bivalence statutaire énoncée ici trouve un écho particulièrement prononcé en contexte Quina. Cette situation prend corps dans un investissement technique, économique et fonctionnel qui mise de la façon la plus prégnante dans la structure volumétrique que constitue l'éclat-support Quina. Les maîtres-mots qui se dégagent ainsi de notre interprétation du support Quina sont « potentialité » et « flexibilité », deux notions qui, en substance, justifient pleinement le statut de « matrice » accordé aux éclats-supports Quina : ces volumes permettent la production d'éclats prédéterminés et prédéterminants tout en autorisant, de façon conjointe ou disjointe dans le processus de gestion du support, l'aménagement et le réaménagement de contacts transformatifs de tranchant. Les notions de « disjonction » et de « conjonction » des actions techniques amènent à reconnaître différents scénarios techno-économiques caractérisant respectivement une « gestion matricielle indépendante » (nucléus ou outil) et une « gestion matricielle combinée » de l'éclat Quina. Ces gestions matricielles, indépendantes ou combinées, reposent sur un certain nombre de prescriptions opératoires homogènes et une très forte unicité des gestes techniques. Nous touchons là directement à la « flexibilité » de la structure volumétrique que constitue « l'éclat-matrice » Quina, par sa capacité à répondre à des besoins fonctionnels différents, tout en souscrivant à une dynamique opératoire s'articulant autour d'une même gestuelle technique (savoir-faire). La question ne se pose donc plus en terme de dichotomie de faciès typologiques (« Quina » vs. « Denticulé »), mais se positionne à un autre niveau où l'appréhension de principes techniques identiques, présidant à la concrétisation de projets « productionnels » ou « fonctionnels », estompe certains critères utilisés et reconnus jusqu'alors comme discriminants dans la distinction des industries moustériennes .
Le gisement de Combe-Grenal, célèbre pour son implication dans l'histoire de la recherche sur le Paléolithique moyen aquitain, offre une imposante séquence moustérienne contemporaine du Dernier Glaciaire (couches 1 à 37). Celle-ci se caractérise notamment par une série de couches attribuée au Moustérien de type Quina (couches 26 à 17), au sein de laquelle s'intercale la couche 20 attribuée par F. Bordes au Moustérien à denticulés. En apparence antinomique dans l'assise diachronique du Moustérien de type Quina, l'industrie de la couche 20 fait l'objet de cette contribution. Au regard des résultats obtenus, par le biais d'une démarche d'analyse mettant l'accent sur la caractérisation des modes de débitage et, surtout, sur la gestion des éclats (matrices), l'industrie de la couche 20 s'avère constituer un exemple singulier du potentiel techno-économico-fonctionnel offert par le système de production Quina.
archeologie_12-0023828_tei_197.xml
termith-65-archeologie
Lorsque Dominique Frère m'a proposé, au printemps 2005, d'enquêter sur les monnaies arabes conservées dans les collections publiques régionales, j'étais loin d'imaginer que le Grand Ouest, c'est-à-dire la zone géographique située entre la boucle de la Loire à l'est, le Finistère à l'ouest et la Gironde au sud, serait d'une telle richesse, surtout lorsqu'on y ajoute les zones périphériques. Non que les collections soient riches (c'est même le contraire : une seule pièce est certaine, à Nantes; peut-être en existe -t-il une deuxième à Quimper), mais parce que les trouvailles sont abondantes. Celles -ci s'échelonnent de 1837 à 2001 pour le Grand Ouest, de 1694 à 1980 pour sa périphérie. Au total, cela représente plus de 80 monnaies, le double si l'on intègre la périphérie. Je précise qu'il s'agit des trouvailles connues et documentées, c'est-à-dire publiées d'une manière ou d'une autre; et des trouvailles dénombrées avec un taux de précision acceptable. Elles ne constituent donc qu'une partie des découvertes réellement effectuées. On constate que le nombre des trouvailles déclarées s'effondre à partir du milieu du xx e siècle, c'est-à-dire corrélativement à la mise en place d'une réglementation contraignante concernant les fouilles archéologiques et la découverte de vestiges culturels (loi du 27 septembre 1941). Pour l'essentiel, il s'agit de dinars, c'est-à-dire de pièces d'or d'un poids oscillant entre 3,70 g et 4,63 g, avec quelques dirhams d'argent, le tout couvrant une période de six siècles, depuis la fin du viii e siècle jusqu' à l'orée du xv e siècle. L'écrasante majorité de ces monnaies (plus de neuf sur dix) sont datées des xii e et xiii e siècle. Je vais y revenir. Une telle richesse est d'autant plus remarquable qu'elle se vérifie à l'échelle de l'Europe occidentale hors péninsule Ibérique et Italie méridionale où, pour des raisons évidentes, la présence de monnaies arabes n'a rien d'inhabituel : 16 sites de trouvailles pour les îles Britanniques, 13 pour le Grand Ouest (17 si l'on y inclut sa périphérie), 8 pour l'ensemble Rhône-Saône-Rhin supérieur, 7 pour Venise et l'Italie du nord, 7 également pour la Septimanie orientale, 6 pour l'ensemble Frise-Hollande-Rhin inférieur (carte 1). Ainsi, les sites du Grand Ouest représentent le cinquième des sites de l'Europe occidentale, le quart si l'on prend en compte les zones périphériques. (Sources : Duplessy 1955 et 1985; Travaini 1991; divers) Le rapport s'amplifie à l'échelle du territoire national (carte 2) : les sites qui nous intéressent contribuent au total pour moitié (Grand Ouest seul) ou pour les deux tiers (Grand Ouest et périphérie). On objectera que l'effet de loupe sur une zone fausse en partie les résultats. C'est vrai. Mais la distorsion ne modifie pas le tableau général. Par rapport aux recensements effectués par Jean Duplessy (1956 pour les monnaies arabes, 1985 et 1995 pour les monnaies médiévales toutes origines confondues), l'apport de l'enquête enrichit le corpus de six trouvailles : le chiffre, à première vue, est loin d' être négligeable (nous sommes sur de petits nombres). Cependant, qu'on retranche ces six trouvailles ou qu'on attribue aux autres régions une proportion équivalente de trouvailles inconnues de Duplessy, le classement qui place le Grand Ouest en tête n'est pas remis en question. L'analyse séquentielle du corpus est tout aussi instructive. On peut distinguer trois groupes de taille très inégale. Un premier groupe est constitué par les deux dirhams de Contres (Loir-et-Cher) et de Chaunay (Vienne), émis à Cordoue en 161 H/777-78 AD et 164 H/780-81 AD (Figure 1). Les deux localités sont situées sur la route qui relie l'Espagne à Aix-la-Chapelle par l'Aquitaine, c'est-à-dire via Bordeaux, Angoulème, Poitiers et Orléans. Or, les années 778-801, entre l'expédition de Saragosse et la prise de Barcelone par Louis d'Aquitaine, voient les contacts se multiplier entre les Andalous et le pouvoir carolingien, notamment à l'initiative des chefs rebelles de la vallée de l' Èbre. On peut imaginer que les deux dirhams, frappés à quatre années de distance, sont les témoins de ces allées et venues. Le deuxième groupe est constitué par les deux dirhams d'Ancenis, eux aussi cordouans et frappés en 198 H/813-14 AD et 238 H/852-53 AD (Figure 2). On peut sans doute y inclure les dirhams de Nantes, malheureusement non documentés. Selon toute vraisemblance, les dirhams d'Ancenis ont été enfouis ou perdus dans les années 870-875, c'est-à-dire à une époque où le contexte régional est caractérisé par la présence des Vikings. On sait que Charles le Chauve est parvenu à leur faire évacuer Angers en 873, contre l'autorisation d'hiverner dans « l' île de la Loire ». Ce lieu correspond -il à l ' asilum (refuge) dont parle Adrevald, c'est-à-dire à cet ensemble de constructions édifiées dans une île située au pied du monastère de Saint-Florent (Saint-Florent-le-Vieil, Maine-et-Loire), soit à une dizaine de kilomètres en amont du lieu de la trouvaille ? Ce serait un indice important. Le rapprochement s'impose également avec la grande expédition viking de 858-862, au cours de laquelle les princesses capturées à Nakūr, sur la côte méditerranéenne du Maghreb, ont été libérées contre le versement d'une rançon réglée – forcément en dirhams – par l'émir Muh.ammad I er de Cordoue. C'est justement à l'embouchure de la Loire que s'installent les rescapés de l'expédition. Le troisième groupe est composé par les dinars et alfonsins des xii e et xiii e siècle. Je l'ai dit, c'est de loin le plus abondant : près de 80 pièces dénombrables, toutes occidentales à l'exception du dinar de Clisson. Un mot sur celui -ci, d'abord. Connu d'une note de Parenteau, il s'agit moins, semble -t-il, d'un dinar fatimide du calife al-Āmir (début du xii e siècle) que de son imitation croisée, comme il s'en est abondamment frappé à Acre jusqu' à la fin du siècle. Je serais d'autant plus enclin à penser qu'il a pu arriver sur les bords de la Sèvre à la faveur des croisades que le Temple s'installe à Clisson vers la même époque, aux alentours de 1150. On a aussi retrouvé des monnaies bretonnes à Tripoli du Liban, indice d'une connexion entre le duché de Bretagne et les états francs de Syrie. Toutefois, l'arrivée d'une telle pièce dans la région demeure un fait isolé. Je me suis donc abstenu de créer pour elle un groupe particulier. Les autres monnaies d'or des xii e et xiii e siècle forment, en revanche, un groupe cohérent (carte 3). Elles ont été trouvées à Quimperlé et Rédéné (Finistère), dans l'estuaire de la Loire et à Nantes (Loire-Atlantique), à Poitiers (Vienne), au Poiré-sur-Velluire (Vendée) et à La Rochelle (Charente-Maritime). On peut leur associer, en périphérie, les trésors de Meslay-le-Vidame (Eure-et-Loir), Courcy-aux-Loges (Loiret), Cordes (Allier) et Aurillac (Cantal). Il s'agit en effet, dans tous les cas, de monnaies provenant des Espagnes musulmane et chrétienne et du Maghreb : dinars almoravides, dinars d'Ibn Mardanīš (premier royaume de Murcie), dinars almohades, dinars d'Ibn Hūd (deuxième royaume de Murcie), alfonsins castillans (Figures 3, 4, 8). La présence de ces monnaies d'or, souvent mêlées dans les trésors à des monnaies d'argent féodales et royales, tient à l'absence de frappe du métal jaune en Europe cispyrénéenne entre le ix e et le milieu du xiii e siècle : le numéraire en or est alors assuré par l'importation de dinars arabes et de sous byzantins, ou de leurs imitations. C'est donc au gré des échanges commerciaux et des transactions financières que les dinars et les alfonsins ont été introduits dans le Grand Ouest. Il n'y a là rien de très original. En revanche, l'origine exclusivement occidentale de ces monnaies (hormis le dinar de Clisson) mérite qu'on s'y arrête. Elle laisse deviner, en effet, l'existence d'une sorte d'arc atlantique entre la Chrétienté et l'Islam, bien moins connu que l'interface méditerranéenne. L'exportation vers l'Angleterre et la Flandre de produits andalous à forte valeur ajoutée, comme les soieries, les articles en cuir, les fruits secs et le sucre, est florissante au xiv e siècle. On peut supposer que cette route de l'ouest, déjà frayée par les Vikings au ix e siècle, puis par les nefs anglaises, frisonnes et flamandes en route pour la Terre Sainte dans le cadre des deuxième, troisième et cinquième croisades (xii e - xiii e siècle), n'a, en réalité, jamais cessé d' être empruntée par le commerce et qu'une partie du trafic vers le monde atlantique échappait, ainsi, à la Méditerranée. À ce groupe de monnaies d'or, j'associerai une pièce tardive, qui est le dinar nasride trouvé « en Bretagne » (Figure 6) : il a été frappé à Grenade vers la fin du xiv e siècle ou le tout début du xv e, époque où la production grenadine de luxe s'écoulait sur les marchés de Gand, Bruges et Southampton. Certes, ce commerce à longue distance était aux mains des Génois et des Florentins. Mais cela ne signifie pas que tout transitait obligatoirement par Gênes et par Florence. Peut-on enfin trouver dans la pièce ottomane de Guérande, frappée à Tunis en 1171 H/1763-64 AD, l'écho lointain des échanges médiévaux (figure 7) ? Libre à chacun d'imaginer comment elle est arrivée là. Pour ma part, je verrais volontiers un marin la rapportant en souvenir d'une escale à Bizerte ou à la Goulette pendant les années 1770-1790, époque où le commerce français est particulièrement actif avec la Tunisie. Voici, à présent, le catalogue des monnaies. Il inclut la détermination de neuf pièces inédites et la description corrigée de deux autres. Il s'agit de trouvailles dans l'ensemble bien documentées et de monnaies identifiées ou identifiables, à quelques exceptions près, en tout cas plus ou moins datables. Un dirham, al-Andalus (Cordoue), 161 H (777-78 AD). Découvert « tout récemment » (1863) à Contres, près de Blois (Loir-et-Cher), dans une des tombes de pierre « en forme de gaines » découverte en tranchant une « élévation » (tumulus ?) sur la route de Celles. La pièce est rognée aux trois cinquièmes, pour la ramener au module des deniers de Pépin, ayant « fort peu frayé ». Elle a été déterminée et publiée dans la Revue numismatique par Adrien de Longpérier à partir d'une empreinte « faite avec beaucoup de soin » par l'archéologue d'Orléans Charles-François Vergnaud-Romagnési : « Le symbole religieux se lit, tracé en trois lignes sur une face [= première partie de la š ah ā da ], en quatre lignes sur l'autre [= Coran CXII ]. La légende circulaire qui contenait le nom de lieu et la date écrite en toutes lettres suivant l'usage est tellement coupée qu'on n'aperçoit plus que l'extrémité inférieure des lettres à queue telles que le sin, le ié, le noun. Si le style de la pièce n'était pas si parfaitement espagnol, on pourrait hésiter sur son origine et la chercher dans le vaste domaine de l'Islamisme au second siècle de l'hégire, mais le doute n'est pas permis. Je vais plus loin, et malgré la mutilation de la légende circulaire, j'y reconnais après le mot Andalous des traces, certaines par l'observation des distances, des nombres un et soixante et cent; lorsqu'on place cette pièce rognée sur une monnaie complète de l'année 161, on voit facilement que la concordance des traits est parfaite. » Un dirham, al-Andalus (Cordoue), 164 H (780-81 AD). Découvert en 1928 « au lieu dénommé La-Brousse, sur la pente nord de la petite vallée de la Bouleur, à environ deux kilomètres du bourg de Chaunay, canton de Couhé », dans la Vienne. La pièce a été présentée par l'abbé Chapeau à la Société des Antiquaires de l'Ouest et déterminée par Émile Blochet, conservateur des manuscrits orientaux à la Bibliothèque nationale, à la demande de Georges Thouvenin qui la publie dans le Bulletin de la Société. Poids « primitif » (?) : 2,59 g (Thouvenin renvoie en fait à Lavoix). Diamètre : 27 mm. Le texte arabe des légendes publiées par Thouvenin comporte quelques erreurs et omissions qu'il est facile de rectifier grâce aux clichés de bonne qualité illustrant l'article. J'en donne ci-dessous la version exacte : Champ Légende centrale sur trois lignes (1 re partie de la š ah ā da) : Légende extérieure en quatre segments formant un carré plus ou moins curviligne : Double filet extérieur. Champ Légende sur quatre ligne (Coran CXII), séparée de la marge par un filet : Marge Légende circulaire (Coran IX, 33) : Deux pièces : un dirham au nom de l'émir al-H.akam I er (796-822), al-Andalus (Cordoue), 198 H (813-14 AD); un dirham au nom de l'émir c Abd al-Rah.mān II (822-852), al-Andalus (Cordoue), 238 H (852-53 AD). Les pièces auraient été collectées au cours de l'été 2001 près d'Ancenis (Loire-Atlantique), en période d'étiage de la Loire, avec un lot de 17 pièces carolingiennes (3 deniers de Charlemagne des années 771-793, 8 deniers de Louis le Pieux des années 822-840 et 6 deniers de Charles le Chauve des années 860-875). La trouvaille a été publiée sommairement en 2003 dans Histoire et patrimoine au Pays d'Ancenis, revue de l'ARRA (Association de Recherches sur la Région d'Ancenis). J'en prépare la publication scientifique. Un dinar fatimide ou son imitation croisée. Découvert dans la Sèvre à Clisson (Loire-Atlantique) en 1852. La pièce faisait partie de la collection Parenteau, aujourd'hui dispersée. On lit dans le catalogue du numismate nantais la notice suivante : « Trésor de Glyptique et de Numismatique, N° 4 de la description, N° 1 er de la Planche 55. Histoire par les monuments d'art monétaire. D (Centre) : à lui la Prééminence. (première légende circulaire) : il n'y a pas de Dieu qu'Allah. Mahomet est L'apotre de Dieu (2 e légende circulaire) et Ally est L'ami de Dieu (2 e légende circulaire) Mahomet est L'apotre de dieu qui l'a envoyé avec la Direction et la religion Vraie, afin qu'il la fît prévaloir sur toutes les Religions; quoi qu'en puissent souffrir ceux qui associent plusieurs personnes en Dieu (légendes arabes). R (Centre) L'Imam el Mansour. (1 re légende) Abou Aly el Amer Bihakem illah, Emir des fidèles (légende circulaire) au nom de Dieu Clément, miséricordieux a été frappé ce Dinar à Mecr (Le Caire) année 514 (légendes arabes) NB El-Amer Bihakem illah Abou Aly el Mansour fils de Mostâla, 10 Califes de la Dynastie des fatimites le 7 e qui ait régné sur l' Égypte de 495 à 524 (1101 à 1129 de J. C). Dinar d'or du poids de 3 grammes sept décigrammes, trouvé dans la Sèvres [sic] à Clisson en 1852. Ma collection (Philippe 1 er [1095 concile de Clermont 15 juillet 1099 Prise de Jerusalem Meurt en 1108]). Un accord entre les moines de St [illisible] et les chanoines de Clisson (Dom Morice) preuves à Lhistoire de Bretagne : Vol. 1 er, Page 511, porte – “unum denarium primi et Purissimi auri, quod, Vulgo dicitur, Bizantium ”. – année 1105 =. » Malheureusement, Parenteau ne dessine pas la pièce, contrairement à son habitude, car il est sans doute gêné par une graphie qu'il ne comprend pas. Ceci explique également qu'il se contente de recopier mot pour mot une notice figurant au tome IV du Trésor de numismatique et de glyptique, ouvrage publié en 1846 (soit quatre ans avant la trouvaille). S'il est donc impossible d'identifier la monnaie avec précision, on peut admettre qu'il s'agit bien d'un dinar fatimide ou de son imitation. En effet, les types fatimides se distinguent au premier coup d' œil par leurs rondeaux et légendes concentriques, disposition qui leur est propre. Il serait surprenant que Parenteau se fût trompé sur ce point. Peut-on avancer que la sagacité dont il fait preuve d'ordinaire lui a permis de constater que sa pièce était similaire à celle reproduite dans le Trésor de numismatique, en l'occurrence un dinar frappé à Mis.r (Le Caire) en 514 H (1120-21 AD) au nom du calife al-Āmir bi-ah.kām Allāh ? Ce n'est pas impossible (quoiqu'on puisse s'étonner qu'il n'ait pas tenté, dans ce cas, de dessiner la pièce). En revanche, il lui était difficile de lire le nom de l'atelier et la date de la frappe – pour autant que ces indications aient figuré sur la pièce. En effet, il y a une probabilité supérieure que la monnaie de Clisson fût un besant croisé émis dans le royaume de Jérusalem au début du xii e siècle à l'imitation du dinar d'al-Āmir. Son poids se situe nettement sous le poids habituel du dinar fatimide (alors que Parenteau ne signale pas que la pièce eût été rognée) : 3,7 g contre 4,2 g en moyenne, soit une différence de 12 %, que le frai ne saurait expliquer à lui seul, mais qui correspond au déficit pondéral moyen des besants croisés (environ 15 %). Un dinar au nom de Muh.ammad b. Sa c d (Ibn Mardanīš, el Rey Lobo), Murcie, 544 H (1149-50 AD). Il a été trouvé « en 1837, au milieu de notre ville, dans les boues du port de la Rochelle » et déterminé par « M. Reynaud [sic ], membre de l'Institut » (= l'orientaliste Joseph-Toussaint Reinaud). Ancienne collection Guillemot. Guillemot indique son poids (4 g) et fournit une description sommaire des légendes : « Elle porte d'un côté le nom de Il Iman Abdelha, prince des fidèles, frappée à Murcie en 544 de l' Égire, 1149 de J.-C.; et de l'autre, celui de Il Emil Mohamund il Sead. De plus : Celui qui suit une religion autre que celle du salut, ne sera point accepté, et au jour du jugement il sera compté au nombre des plus misérables. » Ces indications, malgré les erreurs de transcription et de traduction, permettent de restituer les légendes et de classer la pièce dans les séries de transition entre l'ancien type almoravide et le nouveau type murcian : Champ Légende sur quatre (?) lignes : Marge Légende circulaire : Il est évidemment impossible de déterminer si l ' alif du démonstratif a été élidé, comme c'est très souvent le cas sur les dinars contemporains. Champ Légende sur cinq (?) lignes : [š ah ā da et tas. liya sur trois lignes ?] Marge Légende circulaire (Coran III, 85) : « Des monnaies arabes en or » et une monnaie de cuivre. Elles faisaient partie, semble -t-il, d'un petit lot trouvé près de Quimperlé (Finistère) vers 1884, comprenant des monnaies féodales et anglaises de la deuxième moitié du xii e siècle. Elles ont été présentées par M. Harscouët à la Société d'Archéologie d'Ille-et-Vilaine lors de la séance du 10 juin 1884. En l'absence d'autre information, je suppose qu'il s'agit de dinars almoravides et/ou murcians. La monnaie de cuivre (un fals ?) demeure énigmatique. Quatre alfonsins et des dirhams arabes (sans plus de précision). Ces monnaies faisaient partie d'un trésor trouvé en novembre 1910 dans la démolition d'une maison « sise à Nantes, rue de Strasbourg, vis-à-vis de l'ancienne Caisse d' Épargne » (Dortel), « à l'angle de la rue Jussieu et de la place des Jacobins » (Blanchet). Il comprenait « de nombreuses pièces d'or et d'argent d'époques très différentes » (Dortel). Voici le compte rendu d'Alcide Dortel, président de la Société archéologique de Nantes, tel qu'il figure dans le Bulletin de la Société, séance du 8 novembre 1910 : « M. le Président [Alcide Dortel] rapporte que récemment des ouvriers, en démolissant une maison sise à Nantes, rue de Strasbourg, vis-à-vis de l'ancienne Caisse d' Épargne, ont découvert un important trésor dont il est malheureusement difficile de se faire une idée exacte puisqu'il fut immédiatement dispersé par ses inventeurs. Il était représenté par de nombreuses pièces d'or et d'argent d'époques très différentes. Un certain nombre, parmi les plus curieuses, frappées à l'effigie [sic] d'Alphonse VIII, roi de Galice et de Castille qui régna de 1126 à 1158, portaient en exergue une inscription arabe conçue à peu près en ces termes : L' Émir des Catholiques est aidé par Dieu et Dieu le protège. » De son côté Adrien Blanchet, dans la Revue numismatique, transcrit un article du Journal des Débats du 3 novembre 1910, rédigé d'après un renseignement fourni par Paul Soullard, membre de la Société : « À Nantes (Loire-Inf.), en novembre 1910, en démolissant une vieille maison à l'angle de la rue Jussieu et de la place des Jacobins, on a trouvé, dans l'épaisseur d'un mur, une caisse de bois vermoulu contenant des pièces d'or et d'argent. Les ouvriers pillèrent le trésor, mais ne surent guère en profiter, la plupart ayant voulu écouler ces monnaies dans les débits où on les refusa; beaucoup de pièces furent ensuite données à des enfants, qui les jetèrent dans les rues. On a retrouvé quelques monnaies, dont quatre en or sont d'Alphonse VIII de Castille, à légendes arabes; il y avait aussi des dirhams arabes; enfin, fait singulier, le trésor aurait contenu des doubles tournois du xvii e siècle. Le mélange de ces pièces, d' âge si différent, demeure inexplicable. – Journal des Débats du 3 novembre 1910; renseignement de M. P. Soullard. » Un des quatre alfonsins figure dans les collections du musée Dobrée de Nantes sous le numéro d'inventaire N-5423. Il provient de la collection Paul Soullard, acquise lors de la donation effectuée par son fils Marcel en 1967 et en 1968. Il s'agit d'une pièce au nom d'Alphonse VIII de Castille, frappée à Tolède en 1231 de l'ère hispanique (= 1193). En voici la description. Poids : 3,79 g. Diamètre : 25,5 mm. Champ Légende sur quatre lignes : Marge Légende circulaire (Marc XVI, 16) : Champ Légende sur cinq lignes : Marge Légende circulaire : Six pièces d'or : un dinar almohade au nom du calife Abū Ya c qūb Yūsuf (1163-1184) et cinq dinars alfonsins d'Alphonse VIII de Castille frappés à Tolède entre 1191 et 1213. Elles font partie d'un lot de monnaies et objets divers qui auraient été récoltés par un certain « David (44) » les 2 juillet, 4 et 30 août 2000, lors des marées de fort coefficient, sur un banc de sable de l'estuaire de la Loire (donc, quelque part entre Cordemais et Saint-Nazaire). L'information est parue dans le magazine Détection passion de janvier-février 2001, sans autre indication utile. La rédaction de la revue, contactée en février 2006, affirme avoir été informée de la trouvaille par « un courrier reçu par la poste, avec des impressions sur papier ordinaire, d'où la médiocre qualité des photos », et n'avoir, depuis lors, « jamais eu de nouvelles de ce David-44 ». Elle prend également le soin d'ajouter que « de fait, rien ne prouve que cette trouvaille est réelle, du moins qu'elle a été réalisée dans les sables de la Loire » – des déclarations qui ne sont guère convaincantes et semblent surtout dictées par le souci ne pas encourir les poursuites prévues par la loi n° 89-900 du 18 décembre 1989 réglementant l'utilisation des détecteurs de métaux. Bien que la photo illustrant l'article ne soit pas d'une très bonne qualité, elle est suffisante pour permettre la détermination des monnaies. n° 1. Dinar almohade au nom d'Abū Ya c qūb Yūsuf, s. l., s. d. (Figure 5) Champ Légende sur quatre lignes (incluant la š ah ā da), inscrite dans un carré : Marge Légende en quatre segments dans les écoinçons (Coran II, 163) : Champ Légende sur quatre lignes, inscrite dans un carré : Marge Légende en quatre segments dans les écoinçons : n° 2, 3 et 6. Alfonsins au nom d'Alphonse VIII de Castille, Tolède, 1250 (= 1212), portant les légendes habituelles (figure 5). Atelier et date : n° 4. Alfonsin au nom d'Alphonse VIII de Castille, Tolède, 1229 (= 1191), idem. Atelier et date : n° 5. Alfonsin au nom d'Alphonse VIII de Castille, Tolède, 1251 (= 1213), idem; atelier et date : 50 pièces d'or « ou davantage », toutes, sauf un aureus d'Auguste, « au type turc, à fleur de coin et parfaitement conservées », dont un dinar d'Abū Ya c qūb Yūsuf (1184-1199), identifié par Adrien de Longpérier. Elles faisaient partie d'un trésor découvert en février 1876 à Liminec en Rédéné, près de Quimperlé (Finistère), comprenant une grande quantité de monnaies d'argent et de billon féodales et anglaises de la fin du xii e siècle et du début du xiii e (monnaies les plus récentes : vers 1213-1223). La moitié du trésor, attribuée au propriétaire du fonds, a quitté le département avant inventaire. Sur l'autre moitié, demeurée aux mains de l'inventeur, 451 monnaies d'argent ou de billon ont été achetées par Fr. Audran, de Qimperlé, et quelques unes, peut-être, par Jegou (François Jégou ?), juge de paix de Lorient (notamment l'aureus ?). Une des pièces d'or a été déposée par Audran « au musée » (de Quimper ?), l'autre acquise par le vicomte de la Villemarqué, membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et président de la Société archéologique du Finistère, qui l'a confiée à Longpérier pour identification. Le musée breton de Quimper, contacté en mars 2006, m'a indiqué entreprendre des recherches dans son médaillier. Recherches difficiles, je suppose, puisque je n'ai reçu aucune réponse, malgré une relance effectuée en mai. Quatre dinars « dont les légendes enfermées dans un carré indiquent probablement des monnaies des Almohades d'Espagne ». Ils faisaient partie d'un trésor découvert au Poiré-sur-Velluire, près de Fontenay-le-Comte (Vendée), vers le milieu de l'année 1895, en creusant une cave, et comprenant environ 5 400 pièces d'argent et de billon des xii e - xiii e siècles, dont un quart usées par le frai, ainsi que trois boucles d'argent. Les monnaies d'argent et de billon ont été achetées par Henri Gillard, de Loubillé (Deux-Sèvres), qui a pu en déterminer 1 652 : féodales, royales françaises, anglaises, les plus récentes étant des deniers tournois de Louis VIII, ce qui permet de proposer une date d'enfouissement vers 1250. Les dinars ont été conservés par l'inventeur. Deux « pièces turques ou arabes en or ». Elles faisaient partie d'un trésor découvert à la fin du mois de juillet 1855, rue des Balances-d'Or à Poitiers, comprenant quelques deniers mellois au type de Charles le Simple et un grand nombre d'esterlins à la croix courte au type d'Henri II, ainsi que des lingots et des bijoux. Les circonstances de la trouvaille sont connues par une communication d'Eugène Lecointre à la Société des Antiquaires de l'Ouest : « M. Lecointre (Eugène) a donné de vive voix d'abord, puis dans une note écrite, des détails sur des bagues, fibules, monnaies et autres objets précieux trouvés dans les fondations d'une maison que construit la famille Lamartinière dans la rue des Balances-d'Or. Ces objets, dont quelques-uns remontent jusqu'au xii e siècle, semblent avoir appartenu à l'atelier d'un orfèvre. » Je n'ai pas d'autre information sur ces deux pièces. Il est probable qu'elles sont d'origine maghrébo-andalouse (dinars ou alfonsins). Un dinar au nom de Muh.ammad VII (1392-1408), frappé à Grenade, s.d. Cette pièce constituait le lot n° 14 de la vente aux enchères de numismatique organisée à Brest le 11 juillet 1991 par MM. Yves Thierry, Hubert Martin et Philippe Lannon, commissaires-priseurs associés. Selon une remarque orale du commissaire-priseur au cours de l'adjudication, la pièce aurait été trouvée « en Bretagne » avec des monnaies royales françaises. Pas d'autre précision quant à son origine. L'étude Thierry-Lannon, contactée à deux reprises (25 mars et 2 mai 2006), ne m'a pas répondu. Poids : 4,63 g. La photo reproduite dans le catalogue est suffisamment nette pour permettre la détermination de la monnaie. Champ Légende sur cinq lignes (Coran III, 200), inscrite dans un carré : Marge Légende en quatre segments, dans les écoinçons : Champ Légende sur cinq lignes, dans le carré central : Marge Légende en quatre segments (devise des Nasrides), dans les écoinçons : Il s'agit de pièces insuffisamment ou non documentées, probablement médiévales. Une monnaie d'or arabe présentée par Guillotin de Corson à la Société d'Archéologie d'Ille-et-Vilaine lors de la séance du 9 novembre 1879. Pas d'autre précision. « Trouvaille publiée dans un périodique des Deux-Sèvres et non retrouvée » (Duplessy). Les trouvailles de monnaies modernes sont rarement signalées. Je suis donc heureux de pouvoir mentionner la pièce suivante, en dépit de sa banalité. Piastre (?) au nom du sultan Mustafa III (1757-1773), Tunis, 1171 H, 7 e année de règne (= 1177 H / 1763-64 AD). Elle a été trouvée dans un jardin à Guérande, « durant les années [19]80 je pense ». Collection particulière (Guérande). Champ Légende sur trois lignes : Champ Légende sur cinq lignes : Je rappellerai, pour être complet, quatre trésors découverts dans la périphérie du Grand Ouest, en Eure-et-Loir, dans le Loiret, l'Allier et le Cantal. Découvert en juin 1694, il comprenait 6 dinars almoravides, 5 dinars murcians d'Ibn Mardanīš et 1 alfonsin de Castille, soit 12 pièces au total. Il est connu de trois sources : – 1) Une note de Doublet de Boisthibault publiée en 1851 dans la Revue archéologique, citant en abrégé un article de l ' Histoire ecclésiastique, civile, naturelle et littéraire des ville, diocèse et duché de Chartres et du pays chartrain par Janvier de Flainville, « avocat au bailliage de Chartres et mort il y a plus d'un demi-siècle » (ce manuscrit en 14 volumes, donné vers 1850 à la bibliothèque de Chartres, a été détruit en 1944 dans l'incendie du bâtiment). Lequel article, poursuit Doublet de Boisthibault, « a été extrait, comme le dit Janvier de Flainville, d'un Manuscrit du chapitre cotté (sic) O. 8, p. 278, que possède aujourd'hui la bibliothèque de Chartres ». On croit comprendre que cet ouvrage ne serait autre que l ' Histoire chronologique de la ville de Chartres par Pintard, qui comporte, en effet, « une notice assez étendue sous le titre : des Anciennes monnoyes de la ville de Chartres » dans laquelle, ajoute par ailleurs Doublet de Boisthibault, « Pintard donne la représentation gravée » des monnaies arabes. Résumons donc : Doublet de Boisthibault (milieu du xix e siècle) cite Janvier de Flainville (fin du xviii e siècle) qui tient ses informations de Pintard (première moitié du xviii e siècle ?). Voici ce qu'écrit Janvier de Flainville, selon la transcription de Doublet de Boisthibault : « En l'année 1694, on trouva dans des terres fouillées aux environs de Chartres des monnaies étrangères d'or fin, du poids de trois deniers deux grains, sur lesquelles étaient empreints des caractères, d'anciennes lettres arabes, des deux côtés, dans le milieu et autour des extrémités. On reconnut des passages appartenant à l'Alcoran ou des sentences de quelque sectateur de Mahomet. Sur l'une de ces pièces on lisait, d'un côté : l'Imam Abdumelet (ou Abdumolet) empereur des croyants; de l'autre, au nom de Dieu, ce denier a esté frappé à Memphis, l'an 521, revenant à l'année 1140. On peut croire que ces pièces auront été enfouies par quelque seigneur à son retour de la croisade de Louis VII dit le Jeune. » Le poids de trois deniers deux grains équivaut à 3,93 g, ce qui correspond à celui de la grande majorité des dinars almoravides et murcians, qui oscillent entre 3,90 g et 4 g, avec des maxima dépassant 4,10 g et des minima atteignant 3,80 g; les dinars alfonsins sont un peu plus légers, ils pèsent environ 3,80 g. Les erreurs de lecture et d'interprétation s'expliquent facilement, car la pièce est identifiable : il s'agit d'un dinar almoravide frappé à Fès en 527 H (1132-33 AD), coté par la lettre X dans la planche de dessins conservée (voir plus loin) et par le chiffre 5 dans la description de Jungfleisch (idem). Ainsi, l'énigmatique (et impossible) « Abdumelet » est un mauvais déchiffrement de c Abd Allāh, tandis que l'insolite (et plus qu'improbable) « Memphis » l'est de madīnat Fās (la ville de Fès) – d'où l'allusion erronée aux croisades. Par ailleurs, dans la date, le 7 de 527 a été pris pour un 1 après sa transcription en chiffres arabes, c'est-à-dire en français (rappelons que la date figure en toutes lettres sur les pièces arabes). En outre, la conversion est inexacte (521 H correspondrait à 1127 AD et non à 1140). Enfin, les deux légendes se trouvent sur la même face, le droit en l'occurrence (la référence au calife étant sur trois lignes dans le champ, les indications d'atelier et de date en légende circulaire dans la marge). – 2) Une note relevée par Roger Vaultier dans le manuscrit 1012 de la Bibliothèque de Chartres avant sa destruction en 1944 (f° 331 r°) : « Au moys de juin 1694, il a paru dans Chartres, des pièces de monnoyes d'or pesantes… trouvées proches d'un chasteau qui appartenait aux vidames de Chartres. » Les monnaies sont dessinées au f° 410 v°. Tout porte à croire que le manuscrit 1012 n'est autre, à nouveau, que l ' Histoire de Pintard. – 3) Une planche de dessins conservée à la Bibliothèque nationale, représentant le droit et le revers de douze monnaies sous le titre suivant : « Monnoye d'or arabe trouvée à Meslay le Vidame en juin 1694. » S'agit-il, là encore, d'une copie faite d'après la planche de l ' Histoire de Pintard ? À partir de ces dessins, qui sont remarquablement fidèles (Figure 8), Marcel Jungfleisch a pu déterminer et publier les monnaies. Il s'agit : – de 6 dinars almoravides au nom de c Alī b. Yūsuf (1106-1143), 2 étant frappés à Séville (en 517 H = 1123-24 AD et en 519 H = 1125-26 AD), 2 à Almería (en 517 H = 1123-24 AD et en 520 H = 1126 AD) et 2 à Fès (en 527 H = 1132-33 AD et en 535 H = 1140-41 AD). – de 5 dinars murcians (Figure 9) au nom de Muh.ammad b. Sa c d (1147-1172), tous frappés à Murcie (en 547 H = 1152-53 AD; 557 H = 1161-62 AD; 561 H = 1165-66 AD; 566 H = 1170-71 AD; le dessin incomplet du 5 e interdit de connaître la date). – d' 1 alfonsin au nom d'Alphonse VIII, frappé à Tolède en l'an 1218 de l'ère hispanique (= 1180). Découvert en 1793, il comprenait 19 pièces d'or arabes du xii e siècle. Il fut acquis par la Bibliothèque nationale, ainsi que l'indique une note conservée aux archives départementales du Loiret : « M. Buchet appelle l'attention de la Société sur une collection de dix-neuf pièces d'or du xii e siècle, qui auraient été découvertes, d'après une note conservée aux archives départementales, dans la forêt d'Orléans, près de Courcy, et payées 300 F pour le compte de la Bibliothèque nationale, le 9 nivôse an II. » Mais on ne trouve aucune trace de cette affaire dans les archives du Cabinet des Médailles. Si la datation est exacte, il s'agirait de dinars ou d'alfonsins. Découvert au xviii e siècle (?), il se composait de dinars et/ou d'alfonsins. Il est connu d'un article de Francis Pérot, d'après les notes de Dufour, chargé au xviii e siècle de former un musée (à Moulins ?) : « Plusieurs anfours d'or de la domination arabe y ont été trouvés, ces pièces datent du xiii e au xv e siècle. » La date tardive, si elle est correcte, pourrait donner à penser que le trésor comprenait des monnaies nasrides ou mérinides. Découvert en 1980, il se compose de 24 dinars almoravides, 4 dinars hudides, 20 dinars murcians et 1 dinar almohade (total : 49 pièces), qui ont été déterminés et publiés par Arlette Nègre. 48 de ces pièces ont été acquises par le Cabinet des Médailles en 1981 et 1 par le musée d'Aurillac. Il serait souhaitable que l'enquête soit approfondie, afin d'exhumer les monnaies enfouies dans les médailliers des musées du Grand Ouest et dans les collections particulières. Il faudrait, notamment, retrouver la trace du dinar de Clisson (ex collection Parenteau), des deux dinars de Rédéné (celui déposé « au musée » et celui de la collection de la Villemarqué), des quatre dinars du Poiré-sur-Velluire (sont-ils toujours en possession des héritiers de l'inventeur ?), du dinar nasride « de Bretagne » ou de la « monnaie d'or arabe » d'Ille-et-Vilaine (ex collection Guillotin de Corson ?). Et, bien sûr, connaître les trouvailles qui dorment dans des boites d'allumettes au fond des tiroirs. Ceci permettrait de les étudier et de les publier, à la satisfaction de tout le monde : le chercheur, qui s'ingénie – c'est sa mission autant que son plaisir – à transformer quelques grammes de matière en document historique; et le conservateur ou le collectionneur privé, qui pourra désormais contempler l'objet dont il a la garde avec le contentement d'avoir aidé au progrès de la science. Je lance donc un appel aux personnes concernées : n'hésitez pas à me donner des nouvelles de vos monnaies arabes ou à légende arabe trouvées dans le Grand Ouest .
Plus de 80 monnaies arabes ou à légende arabe ont été trouvées dans le Grand Ouest de la France entre 1837 et 2001. Pour l'essentiel, il s'agit de dinars d'or, avec quelques dirhams d'argent, s'échelonnant de la fin du VIIIe siècle au début du XVe siècle. Tous, à une exception près, sont d'origine occidentale (péninsule Ibérique et Maghreb). L'analyse du corpus permet de distinguer trois groupes principaux: les dirhams du VIIIe siècle, à mettre en relation avec l'activité diplomatique entre les Omeyyade d'Espagne et les Carolingiens; les dirhams du IXe siècle, très probablement importés par les Vikings; et les dinars et alfonsins des XIIe et XIIIe siècles, qui pallient l'absence d'or dans les émissions monétaire d'Europe occidentale à l'époque. Le catalogue des monnaies inclut la détermination de neuf pièces inédites et la description corrigée de deux autres.
archeologie_09-0022882_tei_139.xml
termith-66-archeologie
L'origine des matériaux utilisés par les hommes préhistoriques intéresse, depuis longtemps, les archéologues (Lartet et Christy 1869; Combes 1888; Boule 1892; Saint-Perrier 1930). A partir des années cinquante elle sera une préoccupation récurrente (Coulonges et Sonneville-Bordes 1953; Bordes et Sonneville-Bordes 1954; Monméjean et al. 1964; Valensi 1960; Lorblanchet 1964; Lumley Brandi 1969; Fitte 1970; Demars 1974; Bricker 1975; Seronie-Vivien et Le Tensorer 1977; Turq 1977a, 1977b; Le Tensorer 1979). Dans les années quatre-vingt les bases méthodologiques sont posées et l'étude lithologique devient un véritable sujet de recherche (Morala 1979, 1980,1983, 1989; Demars 1980; Duchadeau-Kervazo 1982; Rigaud 1982; Larrick 1983; Chadelle 1983; Geneste 1985; Seronie-Vivien 1987; Le Brun Ricalens 1988). A partir des années quatre-vingt-dix, le succès de l'approche est tel que pratiquement toutes les études traitant d'un ensemble lithique sont accompagnées d'une étude de l'origine des matériaux utilisés. Devant l'importance prise par les études lithologiques et les résultats qu'elles gênèrent, il nous est apparu aujourd'hui nécessaire de mener une réflexion sur les limites et la fiabilité de l'outil de travail, domaine qui a fait l'objet de peu de travaux (Geneste 1985, Seronie Vivien 1987, Turq 1992, 2003). Ce travail, qui se veut de portée générale, repose sur une longue expérience acquise dans l'approvisionnement en matières premières lithiques des chasseurs-cueilleurs (depuis le début du Paléolithique initial jusqu' à la fin du Mésolithique) principalement du Nord-Est aquitain. Dans cette première partie, nous traiterons des travaux de terrain (cartographie, estimation des gîtes), de la caractérisation des échantillons bruts issus des affleurements actuels, des outils ainsi constitués que sont les lithothèques, des difficultés de passer de l'évaluation des ressources actuelles à l'estimation des ressources passées et des échantillons de références aux objets archéologiques. Elle a comme objectif de définir les caractères propres des matériaux puis, de les classer par groupes plus ou moins homogènes voire spécifiques. Au début, deux approches se sont opposées : celle des pratriciens de terrain (Demars 1980, 1982a et 1982b; Morala 1980; Torti 1983) et celle des analystes (Masson 1981 et 1982). Chacune avait ses avantages et ses inconvénients. Les premiers, avec une démarche rapide et empirique, se sont contentés d'une approche macroscopique pour identifier les types de silex régionaux. Souvent, cette méthode n'a pas permis de reconnaître les matériaux extérieurs à la zone étudiée. Les seconds (analystes, micropaléontologues, pétrographes), insistaient sur une caractérisation avant tout géologique. Cette méthode plus scientifique, mais aussi plus coûteuse en temps, nécessitant parfois des interventions lourdes (lames minces, analyses), n'aurait pu s'avérer efficace que si elle avait reposé sur une bonne connaissance du terrain. Un consensus s'est mis rapidement en place. L'étude macroscopique avec l'aide d'une loupe binoculaire, la prise en compte des données micropaléontologiques et de la structure de la silicification se sont avérées performantes (Mauger 1985). Aujourd'hui, la majeure partie des chercheurs a adopté la proposition faite par M. et M.-R. Séronie-Vivien (1987) pour la description de la structure du silex et l'emploi du langage utilisé pour la description des microfaciès carbonatés (Dunham 1962), bien adapté à la pétrotexture de ces matériaux (Bonvin-Borer, Masserrey 1981). Le type d'organisation des éléments constitutifs, la distinction entre la matrice (fond) et les éléments figurés (grains) correspondant aux fossiles, minéraux et pellets permettent de définir plusieurs types de structures : packstone, wackestone, mudstone, grainstone (fig. 1). De plus, la généralisation de l'analyse micropaléontologique par examen macroscopique ainsi que le recours plus systématique à des lames minces permettent la détermination des microorganismes, bioclastes, l'observation des micro-structures de la roche (souvent caractéristiques), la présence d'hydroxydes, de minéraux opaques, de fantômes de minéraux ou de restes recristallisés. L'examen au microscope électronique à balayage (M.E.B) donne accès à la nanostructure de la roche et apporte des renseignements sur le contenu siliceux de l'échantillon et sur les types de silice représentés. Par exemple, quatre types morphologiques de silice ont été décrits dans les silex du sud-est de la France (Rio et Chalamet 1980). Ces différentes formes de silice et leur quantification dans un échantillon s'avèrent être, dans certains cas, de bons éléments distinctifs entre plusieurs silex (Grégoire 2000 et 2001). Plusieurs types de caractérisations physico-chimiques sont également à notre disposition : Activation Neutronique (Horan 1977; Luedtke 1978, 1979); Particle-Induced X-ray Emission (Consigny 1996); Laser Ablation Inductivly Coupled Plasma Mass Spectrometry (Morisset 1996; Blet 1999); Inductivly Coupled Plasma coupled with Atomic Emission Spectrometry (Bressy 1998, 2002; Bressy et al. 1998, 1999). Destructives ou non, elles permettent de détecter les éléments chimiques présents dont la répartition quantitative est directement induite par le milieu et les conditions de formation de la roche siliceuse (Rio 1982). Bien qu'ayant donné ponctuellement des résultats, elles présentent deux inconvénients majeurs : leur coût qui réduit le nombre d'échantillons pouvant être traités et le faible taux de résultats positifs. Tous les objets ne pouvant être analysés, l'essentiel de la détermination repose essentiellement sur une comparaison macroscopique entre les échantillons analysés et le reste des pièces archéologiques. L'indispensable mise en place d'une typologie s'est d'abord faite de manière individuelle avant que les discussions de la réunion des Eyzies aient autorisé les premières corrélations entre les appellations proposées par chacun des chercheurs et permis de jeter les bases d'un vocabulaire vernaculaire commun publié par J.-M. Geneste (1985). Ainsi, la classe 3 de P. -Y. Demars (1980), le type 1 de R. Larrick (1983), M.P.1 de J.-P. Chadelle (1983), le type X de A. Morala (1980) s'appellent désormais « silex gris et noir du Sénonien ». La classification préconisée est calquée sur le cheminement de l'analyse. Les pièces sont d'abord attribuées à des groupes larges que nous qualifions de génériques : silex gris ou noirs du Sénonien, meulières et silex lacustre. .. et silex des altérites. Ce dernier groupe se définit par les modifications physico-chimiques qui ont profondément modifié leur structure (zonation, recristallisation, encroûtements ferralitiques) et qui, très souvent, ont amélioré considérablement leur qualité mécanique (Bergeracois, Grand-Pressigny. ..). La poursuite de l'analyse permet d'attribuer une partie d'entre eux à des types plus précis qualifiés de marqueurs lithologiques (tabl. 1) alors caractéristique de zones géographiques plus ou moins précises en raison de leurs spécificités pétrographiques (silex à pyrite du Sarladais) et par leur contenu paléontologique (silex de Belvès). En ce qui concerne le vocabulaire, la préférence a été donnée aux termes vernaculaires, « silex du Fumélois » ou du « Bergeracois ». Ce système présente l'avantage d' être compris par tous les chercheurs au moins régionaux et ne nécessite pas un retour à la publication princeps pour savoir quel type se cache derrière un code. En outre ce principe facilite la prise en compte de l'évolution de nos connaissances sans bousculer la nomenclature existante. Les principales difficultés concernent la rareté des éléments caractéristiques et les altérations subies par les objets archéologiques qu'elles soient d'origine naturelle ou anthropique. La description pétrographique des échantillons tant naturels qu'archéologiques a pour but de mettre en évidence les éléments caractéristiques d'un étage géologique, d'une formation ou d'un faciès. Elle doit être comparée avec des modèles sédimentaires et les données paléogéographiques régionales (Seronie-Vivien 1972; Platel 1989). Très souvent l'attribution repose sur la présence d'un fossile particulier. Dans ce cas, même si cet organisme est abondant dans la formation géologique, sa présence est aléatoire dans le volume des objets que nous étudions. Prenons comme exemple, orbitoides media fossile marqueur du Campanien supérieur du nord-est du Bassin aquitain. Si, exceptionnellement, on peut observer 4 ou 5 spécimens sur 10 cm 2, il n'est pas rare non plus de ne pas trouver un seul fossile sur des surfaces 20 à 30 fois plus importantes. Après leur abandon ou leur perte par l'homme préhistorique, les silex sont soumis à des modifications liées soit à l'anthropisation soit à des phénomènes naturels qui peuvent rendre difficile, voire impossible, leur identification lithologique. Nous n'évoquerons ici que deux des phénomènes les plus gênants : l'action du feu et celle de la patine. Le premier, provoque de nombreux changements de couleur et de structure qui le plus souvent interdisent toute identification (Séronie Vivien 1995). Le second a des effets révélateurs, gênants ou mutilants. Dans un premier exemple, le silex que R. Simonnet (1999) appelle grain de mil ne prend son aspect caractéristique que lorsqu'il est patiné (fig. 2-3). A l'état frais, c'est un matériau blond uniforme (fig. 2-3 en haut), couleur que gardera par la suite la « pâte » alors que les nombreux débris qu'il contient blanchiront (fig. 2-3 en bas). Dans un second exemple, nous avons à faire à un simple voile qui peut oblitérer en partie la structure mais aussi mettre en évidence les fossiles en raison d'une modification différentielle des composantes du silex. Enfin si l'altération est trop forte, elle peut interdire toute analyse ce qui est souvent le cas pour des séries anciennes de surface ou trouvés en stratigraphie (La Micoque) où les objets sont devenus de couleur jaune clair uniforme très poreux et légers. C'est un sujet délicat que nous ne pouvons pas passer sous silence. A partir des années quatre-vingt-dix, pour accompagner leur étude de séries archéologiques d'une approche lithologique, des étudiants ou des chercheurs ont travaillé seuls. Sans formation et parfois sans recherche bibliographique sérieuse, les résultats obtenus sont faussés, (par exemple Bongni 1994). Ces données qui risquent d' être considérées comme acquises, peuvent être reprises dans d'autres travaux. Si l'on ne dispose ni du temps ni de la volonté de se former, il convient de confier cette étude à un spécialiste ou la faire avec lui. L'idéal serait un travail d'équipe où le premier tri serait fait par une personne qui connaît bien les ressources locales et fera appel à d'autres pour confirmer son classement des matières premières apparemment allochtones ou inhabituelles et leur en confiera l'analyse. Si l'on reprend la classification proposée (Turq 1992, 1999 et tabl. 1), pour 75 à 85 % des pièces, l'étude s'arrêtera à l'attribution à une zone géographique large. La présence d'un fossile caractéristique, d'une texture et d'une organisation très particulière permet d'extraire des groupes précédents 10 à 15 % des objets et de leur attribuer des caractères lithologiques et paléontologiques qui, le plus souvent, correspondent à un étage géologique. Une localisation plus précise, comme la présence d'un élément attribuable à un espace géographique restreint, est encore plus rare : exemple Subalveolina dordonica pour le Campanien inférieur du sud et centre du Périgord. L'identification de l'origine des matières premières lithiques comporte un certain nombre de difficultés et d'incertitudes. Elle dépend essentiellement de la connaissance des affleurements, de leur contenu, de la maille de l'échantillonnage, de la connaissance des conditions de dépôt et de formation des accidents siliceux, de l'évolution des silicifications et du cortège micropaléontologique. L'état d'avancement des recherches ne permet encore que de percevoir, dans les grandes lignes, leur origine. Dans de telles conditions, lorsque l'on passe à l'interprétation des données, nous ne pouvons formuler que des probabilités plus ou moins fortes. Avant toute étude lithologique de séries archéologiques, il convient de recenser, caractériser et classer les sources de matières premières lithiques actuelles, c'est-à-dire de créer une lithothèque. Ainsi, dans le nord-est du Bassin aquitain, chaque chercheur (Valensi 1960; Demars 1980; Morala 1980; Rigaud 1982; Chadelle 1983; Geneste 1985; Séronie Vivien 1987; Le Brun Ricalens 1988; Turq 1988c, 1992; Célérier 1993) a, dans son travail, utilisé son propre référentiel. Ces outils d'analyse sont hétérogènes puisque, outre leur spécificité géographique, ils reflètent les préoccupations de leur auteur. Trois aspects peuvent être distingués : les travaux de terrain, leur représentation graphique et les fiches d'inventaire. Avant même d'aller plus loin, rappelons que tout inventaire doit prendre en considération tous les types de lieux dans lesquels les hommes préhistoriques étaient susceptibles de trouver le silex. Ces lieux communément appelés gîtes (Demars 1980 : p. 46) correspondent à différentes étapes de leur transport, depuis la position en place dans la roche mère jusqu'aux formations alluviales ou cordons littoraux (fig. 3). Dans la plupart des travaux, l'ensemble des types de gîtes n'est pas pris en compte. Certains auteurs n'ont traité que les silex in situ (Séronie-Vivien 1987), d'autres y ont ajouté les silicifications des altérites et des dépôts de pente dérivés (Demars 1980; Morala 1980; Geneste 1985; Turq 1992). Quant aux alluvions, le plus souvent, elles ne sont qu'évoquées. L'objectif premier qui est de donner l'image la plus fidèle des ressources actuelles n'est donc pas atteint. De plus, l'échelle de prospection et de prélèvement diffère beaucoup d'un individu à l'autre. Certains ont cherché à avoir une vision générale et la maille est lâche. Pour d'autres ayant des préoccupations micro-régionales, elle est plus serrée. Même dans le Nord-Est aquitain qui est étudié depuis plus 25 ans, il reste beaucoup à faire. Quelques exemples permettent de s'en rendre compte. Pour les silicifications en place dans la roche mère, dont les positions stratigraphiques sont bien connues et les plus faciles à répertorier puisque nécessitant un simple suivi des affleurements dont les principaux sont connus. Dès que nous passons à l'échelle micro-régionale (celle qui nous intéresse dans le cadre de l'étude d'un gisement archéologique), les lacunes apparaissent : des rides anticlinales comme celle du Pech-de-l'Azé qui mettent à l'affleurement des niveaux à silex et ont favorisé le développement de cavités karstiques utilisées par l'Homme sont passées inaperçues (Turq et al. 1999). Sur la rive droite de la vallée de la Dordogne, la cartographie des niveaux à silex de la base du Coniacien s'arrête là où s'interrompt la cartographie de ces formations sur la carte géologique. En fait, ils affleurent encore plusieurs kilomètres vers l'est. par ailleurs, dans toutes les formations à silex du Sénonien, outre les silicifications classiques, il existe dans tous les étages des nodules de silex calcédonieux (certains de plusieurs kilogrammes) qui sont le plus souvent passés inaperçus. Les objets fabriqués dans ces matériaux ont fréquemment été considérés comme provenant de l'exploitation de silex tertiaires (fig. 4). En ce qui concerne les gîtes des altérites, l'importance du couvert végétal a considérablement gêné leur cartographie. Aussi, nous ne connaissons qu'une part infime de leur potentiel, alors que ces formations renferment des silicifications particulièrement importantes dont des silcrètes. Les phénomènes physico-chimiques subis dans ces milieux par les blocs ne sont pas homogènes et donnent une diversité de caractères qui sont susceptibles d'aboutir à des matériaux spécifiques (voire caractéristiques) et/ou, au contraire, à des types très comparables avec d'autres connus dans d'autres contextes stratigraphiques, géographiques ou géologiques. L'une de leurs caractéristiques est d'ordre colorimétrique : ils présentent une grande diversité de couleurs vives (fig. 5) et souvent des zonations. L'un des types assez fréquent, dit à zone sous-corticale rouge, présent dans les altérites du Santonien du bassin hydrographique de la Lémance (silex de la Séguine, Turq 1977a) mais aussi du nord-est de Périgueux (Demars 1980) peut d'abord être confondu avec du Bergeracois. D'autres à périphérie rouge brique ou lie de vin, ont parfois un cœur de couleur moutarde moucheté de noir qui rappelle alors certains jaspes de la région de Brive (Turq 1979b : p. 224). Les gîtes des alluvions (tout comme ceux des cordons littoraux) n'ont pas fait l'objet de travaux spécifiques et, tout au plus, ont-ils été pris en compte d'un point de vue cartographique (Turq 1992). De fait, ils ont donc, le plus souvent, été oubliés ou sous-estimés lors des phases interprétatives. Par exemple, dans la vallée de la Dordogne, la méconnaissance de leur contenu a donné lieu à des interprétations discutables : les jaspes de l'Hettangien et les silex lacustres de type bordure du Massif central (Turq 1992) « type bassin d'Aurillac » proviennent des affleurements primaires (Rigaud 1982; Soressi 2002 pour les premiers, Chiotti et al. 2003; Lucas 2000 pour les seconds) alors que ces silicifications se trouvent dans les alluvions de la Dordogne. Les silex des Pré-Pyrénées et des anticlinaux du sud du Bassin aquitain caractérisés par la présence de Lepidorbitoides sp. issus des formations recoupées et draînées par les affluents de la rive gauche de la Garonne proviendraient-ils toujours du pied de la chaîne ou des anticlinaux de Chalosse (Lenoir et al. 1998; Séronie-Vivien 2003; Le Brun Ricalens et Séronie-Vivien 2004) alors que des galets ont été trouvés dans la Baïse et existent donc, au moins potentiellement, en aval dans les alluvions de la Garonne ? La méconnaissance du potentiel des alluvions de la Vézère a permis d'envisager l'épuisement de ce type de gîte (Demars 1990, 1994) alors que celui -ci n'est pas concevable pour au moins deux raisons : leur richesse en silex (100 000 rognons à l'hectare) et leur renouvellement lors des crues (reprises de galets sous-jacents et de ceux situés en amont). Enfin, notons que les géologues (Platel 1983; Kafa 1988; Astruc 1988, 1990; Simon-Coinçon et Astruc 1991) ont signalé qu' à l'origine, les formations sédimentaires du Bassin aquitain avaient une extension bien plus importante vers l'est. Ceci est confirmé par la présence de silex crétacés dans les alluvions de hautes terrasses du Lot bien en amont des affleurements actuels (Séronie-Vivien 1987; Turq 1992). Pour certains auteurs (Séronie-Vivien. 1995), il peut rester ponctuellement des formations relictuelles avec des silex comme par exemple le silex du Fumélois. Ce point essentiel qui a évidemment des incidences sur l'interprétation technologique voire socio-économique des ensembles archéologiques, doit également être pris en compte. Par précaution et avant que des travaux longs et fastidieux ne permettent de préciser l'importance de ce phénomène. Il serait bon de garder en mémoire ces possibilités d'extension géographiques lors de la cartographie des ressources potentielles en silex (Turq 1992). Elle doit considérer l'ensemble des ressources actuelles, c'est à dire tous les types de gîtes. Si tel n'est pas le cas, il peut y avoir des distorsions importantes (fig. 6). Dès 1992, il nous est apparu important d'ajouter les alluvions qui se sont révélées être parmi les gîtes les plus fréquentés par les hommes paléolithiques, mais aussi de signaler, par précaution, la possibilité de présence de formations relictuelles. Très tôt, des fiches de recensement des gîtes potentiels de matières premières lithiques ont vu le jour (Malissen 1977). Toute une série d'autres paramètres, qui différent selon les auteurs, ont été retenus : données cartographiques, bibliographiques, informations concernant les gîtes, les silicifications (quantité, qualité, dimensions, morphologie…), la présence ou l'absence de traces d'exploitation. Ces documents souvent fastidieux à compléter et lourds à gérer n'ont pas été exploités ou alors très partiellement. Des méthodes simples permettent d'obtenir des données mieux adaptées aux besoins des études litho-technologiques. Outre une cartographie plus fine des gîtes, il convient de mieux estimer qualitativement et quantitativement les ressources. Pour atteindre cet objectif, trois critères doivent être retenus : les dimensions, la morphologie et l'aptitude à la taille. Pour ce denier point, nous avons opté pour une méthode simple permettant de donner les premiers éléments d'une estimation raisonnée de l'aptitude à la taille. Connaissant les difficultés à mettre en évidence des caractères objectifs de caractérisation et sachant que la solution du problème passe par une nécessaire étude collective faite par des expérimentateurs, nous nous sommes engagé dans un système simple et transitoire. Les tests systématiques ont été faits au percuteur dur. Trois groupes ont été individualisés : les mauvais silex qui sont très hétérogènes (vacuolaires ou saccharoïdes), fracturés, clivés. Ils sont pratiquement impropres à la taille, toutefois on ne peut exclure la possibilité de la production de quelques éclats; les silex de bonne qualité sont plus homogènes. Ils permettent des productions d'éclats en série et le façonnage de bifaces. Leur qualité ne permet pas, à coup sûr, la production systématique de supports Levallois, de lames ou le façonnage de feuilles de laurier; la catégorie des très bons matériaux permet toutes les méthodes de production de supports et de façonnage par percussion et probablement la retouche par pression. Deux exemples montrent tout l'intérêt de cette démarche. Dans les cartographies actuelles, tous les gîtes présents dans les altérites du Santonien de la vallée de la Vézère sont matérialisés de façon identique. Si nous savions globalement que les silicifications sont de meilleure qualité dans le secteur de Tamniès que vers Rouffignac (Demars 1980; Geneste 1985), il était nécessaire de préciser les différences. Deux gîtes des plateaux dominant la Vézère ont été choisis (fig. 7) pour montrer l'ampleur et l'implication des différences observables dans les altérites d'une même formation : l'un est situé sur la commune de Fleurac (A) et l'autre sur celle de Tamniés (B). Tous deux livrent des rognons principalement oblongs ainsi que des plaquettes. Sur chacun d'eux une centaine de nodules ont été recueillis, mesurés et testés. La figure 8 montre que le gîte A livre principalement des silex impropres à la taille et le gîte B un matériau de bonne qualité. D'un point de vue morphométrique (fig. 9), le gîte A contient surtout des silex de dimension petite à moyenne (entre 10 et 25 centimètres) alors que le gîte de Tamniès possède des blocs de dimension grande pour le Périgord (entre 20 et 30 centimètres). L'examen des vestiges archéologiques attribuables au Paléolithique inférieur ou moyen, récoltés sur chacun d'eux, confirme les possibilités estimées actuellement. A Fleurac, seules quelques pièces et de rares éclats ont été retrouvés. A Tamniès, les vestiges sont très nombreux et des débitages tout à fait exceptionnels pour le Périgord sont représentés : un large éventail de méthodes Levallois avec notamment des grands nucléus à éclats préférentiels, à pointes et plusieurs débitages laminaires. Cet exemple montre que la cartographie généralement pratiquée n'est pas ou peu représentative de la réalité des ressources actuelles. Les expérimentateurs le savent puisque, par souci d'efficacité, ils ne s'approvisionnent que sur un nombre limité de gîtes, ceux qui livrent les matériaux les mieux adaptés à leur besoin. Ne peut-on pas penser qu'il en était de même pour l'Homme préhistorique ? Nous avons travaillé pendant plusieurs années sur les alluvions actuelles de la Vézère (entre Montignac et Limeuil) et de la Dordogne (entre Grolejac et Limeuil) (fig. 7). Des comptages de galets supérieurs à 4 cm ont systématiquement été faits sur des surfaces de 1 m 2 prises au hasard sur les plages de galets. Ils ont permis de connaître la composition lithologique globale des alluvions grossières et de tester tous les silex présents. Un second prélèvement, effectué autour du premier, a consisté en la récolte systématique de tous les rognons de silex durant 15 mn, temps de parcours répété sur chaque plage pour affiner la première observation. Dans cet ensemble plus conséquent, les dimensions, la morphologie, le type et l'aptitude à la taille ont été enregistrés. Outre l'origine respective des deux rivières qui transparaît à travers la composition de leurs alluvions. Les alluvions de fond de vallée de la Vézère actuelle comportent 4 fois plus de silex que ceux de la Dordogne (tabl. 2). Les cortèges de silicifications sont globalement comparables (tabl. 3) mis à part la présence dans la seule vallée de la Dordogne de silicifications tertiaires provenant du Massif central ou de sa bordure. Pour ce qui est de l'aptitude à la taille, les galets de silex sont majoritairement de bonne à très bonne qualité pour la Vézère et de mauvaise qualité pour la Dordogne (tabl. 4). Pour la vallée de la Vézère, particulièrement riche en galets de silex, nous avons analysé plus en détail 1100 nodules de silex du Sénonien. Les gris ou noirs et les blonds sont en proportions presque identiques, (respectivement 51,5 % contre 48,5 %). Pour ce qui est de la morphologie des blocs ont été retenues en dehors des artefacts toujours présents, les plaquettes, les formes contournées, oblongues, globuleuses ou « patatoïdes » et les branchues. Comme le montre la figure 10 il n'y a pas de grandes différences entre les deux grands types. Les dimensions sont principalement comprises entre 9 et 16 cm (fig. 11), ce qui n'exclut pas que quelques blocs puissent dépasser les 40 centimètres. En terme d'aptitude à la taille, les galets de silex gris et noirs sont bien meilleurs que les blonds (fig. 12), quelles que soient leur morphologie et leur dimension. Ces données sont le reflet fidèle des observations faites dans les gîtes du bassin hydrographique. Les silex gris ou noirs provenant surtout des gîtes in situ sont de meilleure qualité que les silex blonds issus principalement des altérites du Santonien qui, comme nous l'avons vu précédemment, sont très hétérogènes. Cette première synthèse des observations souligne les précautions qu'il convient de prendre pour se faire une idée précise des ressources. Les résultats obtenus en un seul lieu sont trop ponctuels pour être significatifs. Ces recherches sur les alluvions actuelles de la Dordogne et de la Vézère ont mis en évidence des distorsions importantes entre les données recueillies, les attentes issues de l'observation du bassin versant et les résultats des études archéologiques : dans la vallée de la Vézère, les prélèvements faits dans les alluvions ne reflètent pas la totalité du potentiel du bassin versant. On note une sous-représentation des silex des altérites de la rive droite (localisées autour de Thenon, Rouffignac, Mauzens, Miremont), en particulier des silex zonés ou à zone sous-corticale rouge et le silex de type Sainte-Foy, caractéristique de la base du Campanien (Turq 1992). pour la Dordogne, les gîtes actuels sont d'un faible d'intérêt archéologique, ce qui est incompatible avec les données archéologiques issues du gisement de Combe-Grenal (Bordes F. 1972.). Aujourd'hui, dans ce secteur, les plages fournissent un à deux rognons de silex sénoniens à l'hectare, alors que dans certaines couches de ce gisement les mêmes silex, à cortex fluviatile, représentent des pourcentages significatifs (plus de 50 %). Il existe donc une différence importante entre les ressources actuelles et celles du Würm ancien. Ces distorsions observées confirment une nouvelle fois que les données recueillies sur les ressources lithiques actuelles ne sont pas directement transposables et exploitables dans des études traitant de sites paléolithiques. Les lithothèques qui se veulent et doivent être le reflet le plus exact possible du potentiel actuel ont encore des progrès à faire pour atteindre leur objectif premier, caractériser les matières premières disponibles et estimer le potentiel lithique de chaque territoire. Lorsque celui -ci sera atteint, seule la première étape de la recherche sera franchie. En effet, «. .. tout inventaire de gîtes, aussi exhaustif soit-il, ne sera qu'une image déformée des possibilités d'approvisionnement paléolithiques » (Chadelle 1983, p. 28). La seconde phase indispensable sera d'essayer d'estimer les ressources au moment de l'occupation préhistorique étudiée. C'est seulement ensuite que l'analyse de l'origine des matières premières utilisées dans un ensemble archéologique deviendra plus fiable. Chaque série analysée a ses propres particularités en terme d'état de conservation et d' âge estimé. Avant donc de passer à l'interprétation, il convient de prendre en compte ces deux éléments. Le matériel archéologique plus ou moins altéré extérieurement doit être comparé avec l'échantillon frais. Comme nous l'avons vu précédemment, des altérations anthropiques ou naturelles affectent généralement le matériel lithique. Les altérations anthropiques, la chauffe accidentelle ou volontaire, peut être totalement absente ou affecter une partie du matériel dès le Moustérien avec 4 % dans la couche B du Pech de Bourre (Turq inédit), 11 % dans la couche de base du Pech de l'Azé IV (Dibble, MacPherron 2001), 19,3 % dans la couche III du Roc de Marsal (Thiébaut 2003) et atteindre 50 % au Mésolithique (Séronie Vivien 2001). Elle amène une modification au moins de la couleur (zone bleutée ou blanchâtre) et parfois de la structure (apparition d'un réseau de fissures, de craquelures ou de cupules thermiques). Les altérations naturelles post-dépositionnelles sont aussi très fréquentes. Il peut s'agir de lustrage ou de concassage mais, le plus souvent, de patine pouvant aller du simple voile gênant l'approche à une attaque profonde qui peut empêcher toute étude. Pour tenter de pallier ces difficultés, il convient de compléter la lithothèque de référence des matériaux frais par : des échantillons traités thermiquement; des objets patinés. L'idéal serait de trouver des objets patinés sur une seule face comme on l'observe souvent dans certains sites de plein air. A défaut, on peut prendre des objets dont toute la surface est altérée et les casser pour aboutir à une identification sur la partie non altérée. La multiplication de ces échantillons permet d'analyser l'altération d'un type de silex et éventuellement mettre en évidences des critères d'identification : uniformité de l'altération, modification de seulement quelques éléments. .. Il y a déjà plus de vingt ans que, comme d'autres chercheurs, nous avons recours à cette démarche. Le résultat de notre travail sur les ressources actuelles aboutit in fine à une cartographie qui, une fois publiée, est un document figé. Chaque analyse lithologique nous amène à estimer les ressources telles qu'elles pouvaient se présenter au moment de l'occupation étudiée. Ceci nécessite la prise en compte de l'évolution géologique régionale et une bonne connaissance des conditions climatiques qui prévalaient au moment de l'occupation considérée. Plus nous remontons dans le temps, plus le transfert des données concernant les ressources actuelles est difficile. Voici quelques exemples pour illustrer le propos. Sur le site du Roc-Allan (Coulonges 1935,1963; Le Tensorer 1979; Turq 1987-1988), un changement dans l'approvisionnement en matières premières lithiques entre les occupations magdaléniennes, aziliennes d'une part et celles du Sauveterrien et du Néolithique ancien d'autre part, a été constaté (Turq et al. 1996). Les premiers utilisent surtout les silex des dépôts de versant carbonatés et des alluvions, les second ceux des altérites des plateaux environnants. Cette modification de comportement correspondant aussi à un changement culturel, il est important de savoir si l'observation faite est à mettre en relation avec un changement lié à l'Homme ou à des problèmes d'accessibilité aux gîtes. Les données recueillies permettent de retenir la seconde solution. Les dépôts de pente carbonatés anciennement fréquentés sont recouverts et scellés par la végétation (entre autre le noisetier) et ceux des terrasses alluviales recouverts par un remplissage détritico-organique lié à une modification de l'écoulement des cours d'eau (Turq et al. 2000). Quant aux gîtes des altérites, malgré le couvert végétal, ils restent partiellement accessibles sans doute à la faveur de coulées boueuses, ravines, chablis et autres. Le principe de fonctionnement mis en évidence ici a été retrouvé dans d'autre sites synchrones comme La Borie del Rey (Coulonges 1963), Le Martinet (Coulonges 1935) et le Pont d'Ambon (Célérier 1998), tous implantés dans des vallées secondaires des terrains sénoniens du nord-est du Bassin aquitain. En outre, l'apparition et le développement du Castor dans la faune de ces sites viennent confirmer le remblaiement des fonds de vallées et la fin de l'accessibilité des gîtes situées dans les alluvions des vallées secondaires. Si dans un laps de temps relativement court, à l'échelle de la Préhistoire (10 000 ans) l'accessibilité de certains gîtes s'est autant modifié on comprend qu'il est encore plus délicat d'estimer les ressources pour des périodes beaucoup plus anciennes. Prenons comme exemple la découverte, sur le tracé de l'autoroute A20 (Jarry et al. 2001), du site des Bosses (commune de Lamagdeleine) daté d'environ 300 000 ans. Ce gisement implanté sur la rive droite du Lot, à la surface de la moyenne terrasse, a livré une industrie réalisée majoritairement en métaquartzite comprenant néanmoins près de 400 objets en silex. Si la patine rend non identifiable l'origine de 14 % d'entre eux, les autres comprennent (Chalard, Turq 2001) des silex tertiaires 84 %, des silex jurassiques (11 %), des silex crétacés (3 %) et des silex jaspoïdes (1 %). Si pour la majorité d'entre eux, l'origine fluviatile ne fait aucun doute, la question se pose pour quelques pièces en silex tertiaire et crétacé ne présentant pas de néo cortex. D'où viennent ces matières premières ? Des lambeaux des hauts niveaux fluviatiles du Lot, du corps de la terrasse sous-jacente, de lambeaux de formations disparues ou des affleurements actuels ? Si, d'un point de vue numérique la réponse ne modifie que faiblement la diagnose (approvisionnement local), la présence ou l'absence de silex importés sur plusieurs dizaines de kilomètres est plus importante car elle identifie ou non un territoire d'acquisition développé vers le Périgord et le Haut-Agenais. La solution passe forcément par la prise en compte de formations sédimentaires aujourd'hui disparues mais repérables par leurs éléments retrouvés dans les formations alluviales (cf. supra) et par l'étude détaillée du contenu lithologique de chacun des niveaux des terrasses. Des silex crétacés existent dans les niveaux de haute terrasse près du site. Ces observations confirment une nouvelle fois que la cartographie actuelle des ressources n'est pas directement utilisable. Les sources de matières premières lithiques accessibles ont changé en fonction de l'évolution géomorphologique régionale : disparition par érosion de certains affleurements d'altérites, apparition de nouveaux horizons à silex mis à nu par l'incision des vallées. .. Dans l'attente de longs travaux de géomorphologie (étude détaillée de l'évolution des paysages), les premières approches peuvent s'appuyer sur la prise en compte de l'évolution du réseau hydrographique : le système de terrasses étagées peut servir de base morpho-chronologique globale. L'approche repose sur le croisement des données théoriques (ressources du bassin versant) et les grandes lignes de l'évolution du modelé des versants déduites de l'incision des cours d'eau et du contenu des différentes nappes de terrasses. Les ressources du bassin versant correspondent aux gîtes autochtones (primaires) et sub-allochtones (secondaires) actuels recensés. Pour ce qui est de l'évolution, elle peut être estimée à partir des facteurs susceptibles de faire varier ces ressources. L'accès aux gîtes autochtones ou primaires dépendent principalement de l'incision de l'affleurement par le réseau hydrographique. En effet, lorsqu'il s'agit d'affleurements continus sur plusieurs kilomètres, il est difficilement concevable que les dépôts de versant puissent en interdire totalement l'accès. Du fait d'un encaissant généralement massif, l'érosion n'a que peu d'emprise sur eux. Les gîtes sub-allochtones ou secondaire proche sont plus fragiles : le remplacement de la roche-mère par du sable ou de l'argile les rend vulnérables. D'une part, les blocs sont davantage soumis à des agressions physiques (chocs thermiques, mécaniques) ou chimiques (remobilisation de la silice, imprégnations. ..) et d'autre part, l'affleurement évolue rapidement au gré des changements de climat et/ou de la présence ou l'absence d'un couvert végétal (cf. supra), facteurs capables de pouvoir rapidement le réduire ou le détruire. Les gîtes allochtones ou secondaires éloignés sont, quant à eux, tributaires des facteurs influents sur les précédents mais aussi des capacités de transport des affluents temporaires ou permanents, et durant le dépôt des alluvions, de la compétence de la rivière. L'essai de synthèse des données (tabl. 5) montre combien, en dehors des gîtes autochtones, les propositions sont fragiles. Leur fiabilité diminue au fur et à mesure que l'on remonte dans le temps : pour l'Holocène, l'évolution des fonds de vallées qui implique le recouvrement des alluvions grossières à galets de silex est le phénomène marquant (Texier 1982; Turq et al. 2000); pour le Pléistocène supérieur, les grands changements climatiques sont abordables tant en milieu côtier (variations du niveau de la mer, Monnier 1980, 1988) que continental (Morala et Turq 1990). Pour ce dernier, nous avons pu constater (op. cit.) que certains silex n'affleurant qu'en place dans la roche mère (silex dit de Gavaudun et du Fumélois) ne sont intensément utilisés que lors des phases froides. On peut envisager que le recul des falaises et l'évolution rapide des versants, sous couvert végétal réduit, soient favorables à la régénérescence de ces types de gîtes. pour le Pléistocène ancien et moyen, les modifications du paysage sont telles que la prise en compte des gîtes aujourd'hui disparus est indispensable (cf. supra). Dans ce domaine beaucoup reste à faire. Si nous voulons essayer de faire la part entre les choix humains et les contraintes naturelles, dans l'approvisionnement en matières premières lithiques, le développement de cet axe de recherche est primordial. L'embryon de réflexion menée ici doit, dans les années à venir, servir de base à un travail d'équipe réunissant géologues, géomorphologues et préhistoriens. Un autre point important est l'impact climatique sur l'accessibilité aux gîtes. Les années quatre-vingt ont vu les premières études mettant en relation les changements dans les modes d'approvisionnement, les grandes phases climatiques et donc l'accessibilité aux gîtes. Durant les phases froides, il a été observé l'utilisation du silex dans le Paléolithique inférieur et moyen de Bretagne (Monnier 1980 et 1988) et en Haut-Agenais, le rôle accru joué par les silex in situ ou issus des dépôts de pente carbonatés, silex dit de Gavaudun et du Fumélois (Turq 1988a : p. 105; 1989a : p. 186-187; Morala et Turq 1990). Cet axe de recherche est encore aujourd'hui sous-exploré et mériterait un effort particulier. La lecture des remarques présentées ci-dessus peut paraître décourageante. Elle ne doit pas être perçue comme telle, mais plutôt comme une prise de conscience des difficultés et des limites actuelles. L'approche lithologique, en donnant une dimension spatiale, sociale et économique à l'étude du matériel lithique, a ouvert de nouvelles perspectives pour la compréhension du comportement humain préhistorique. Les méthodes utilisées, les outils mis en place demandent, en permanence à être critiqués et améliorés. La prise de conscience des problèmes et des limites de notre outil de travail doit être mise à profit pour progresser. Comme nous l'avons vu, il faut encore et encore améliorer le référentiel des ressources actuelles ainsi que les méthodes de caractérisation pour avoir enfin à disposition l'inventaire « exhaustif » recherché. A la lithothèque des échantillons frais, il convient d'adjoindre des pièces altérées ce qui facilitera les comparaisons et réduira les risques d'erreurs lors du diagnostic. Une nouvelle étape capitale reste à franchir : mettre en place les outils permettant de passer de l'inventaire des ressources actuelles à l'estimation des ressources dont disposaient les préhistoriques lors de l'occupation du site étudié. Ici, nous n'avons pu aborder que quelques pistes. Le chemin sera long et difficile. Il devra passer par un travail interdisciplinaire avec une meilleure prise en compte des données paléoclimatiques et géomorphologiques. Devant l'ampleur de la tâche et pour ne pas perdre de temps, nous souhaitons proposer des modèles théoriques construits à partir des résultats obtenus lors de l'étude de cas et de les tester pour d'autres sites en essayant de faire varier un ou plusieurs paramètres. Notre principal axe de recherche restera l'accessibilité aux gîtes et plus particulièrement, l'étude des relations entre variations du contexte paléo-climatique et types de gîte exploités. Les résultats des recherches systématiques de deux matériaux (silex dit du Fumélois et silex dit de Gavaudun, non connus dans des gîtes d'altérites) dans l'ensemble des sites du Haut Agenais et du Périgord (donc dans des milieux physiques différents) et la prise en compte des données climatiques a permis d'avancer une hypothèse : l'exploitation préférentielle des gîtes autres que les altérites durant les périodes froides. Aujourd'hui, il nous paraît important de vérifier cette hypothèse dans un site présentant deux spécificités : une longue séquence stratigraphique et des occupations dans des phases climatiques bien caractérisées par des données palynologiques, sédimentologiques et paléontologiques; un environnement immédiat ou proche dans lequel des ressources minérales nombreuses, diversifiées, facilement identifiables, proviennent de plusieurs types de gîtes. Le site retenu pour ce travail est Combe-Grenal. Les changements observés dans l'approvisionnement en matières premières lithiques à la charnière OS2/OS1 d'abord au Roc Allan tous implantés dans des vallées secondaires a permis de constater que dans ce contexte l'amélioration climatique a impliqué un changement dans l'accessibilité aux gîtes : les alluvions et les dépôts de pente carbonatés ne sont plus accessibles lors du réchauffement. Il convient de voir si fréquentés lors de changements climatiques de même ordre mais plus anciens (charnière OS6/OS5 ou peut être OS4/OS3), les mêmes phénomènes se répètent. L'ensemble des sites du Pech de l'Azé devrait permettre d'entreprendre ce travail. Enfin, il conviendra dans le futur d'aller plus loin que la simple identification de l'origine des matériaux en essayant d'estimer le nombre de blocs utilisés dans le site. Ceci est possible pour les silex des altérites où les blocs ont très souvent des caractéristiques colorimétriques spécifiques (silex du Bergeracois notamment). Cette démarche permettra de dépasser l'approche globalisante actuelle. La signification n'est pas la même si dix pièces en silex exogène sont issues d'un même bloc ou de dix blocs différents ou si cinq éclats de retouche proviennent du même bloc que le seul racloir présent. Ainsi une nouvelle étape sera franchie dans la compréhension du comportement humain qui reste la finalité de nos recherches .
Vingt cinq ans d'expérience en études lithologiques nous ont paru suffisants pour mener à bien une réflexion sur la caractérisation des matières premières lithiques et l'identification de leurs origines. Dans ce travail, sont abordés la prospection et l'inventaire des gîtes, la cartographie, les méthodes d'identification. L'analyse critique des données nous permet de mettre en évidence les principales difficultés rencontrées et ainsi de fixer les limites des recherches menées. Pour les domaines qui nous ont semblé être essentiels, des propositions concrètes sont faites pour tenter de dépasser les points de blocage. Pour améliorer nos connaissances des ressources actuelles, notamment celles des alluvions (l'une des sources les plus fréquemment utilisées par les hommes préhistoriques mais parmi les plus mal connues), une approche est proposée et des résultats présentés. Cette méthode prend en compte la morphologie et la qualité des matériaux. L'accent est également mis sur le problème majeur qui est le transfert des données du référentiel actualiste (lithothèque) au matériel archéologique: comment, à partir des ressources actuelles, peut-on envisager celles dont disposaient le ou les fabricants des objets archéologiques étudiés. Quelques exemples archéologiques servent à aborder les problèmes d'accessibilité aux gîtes et à indiquer quelques axes de recherche.
archeologie_08-0169954_tei_240.xml
termith-67-archeologie
Nombreux sont ceux qui connaissent le destin du Néandertalien Le Moustier 1 (Hauser 1909; Vandermeersch 1971). Son squelette découvert par O. Hauser en 1908 fut partiellement détruit à la fin de la seconde guerre mondiale lors de l'incendie du Museum für Völkerkunde de Berlin (Heberer 1957; Vallois 1957). La tête osseuse, ayant été isolée et stockée séparément, fut sauvée (Müller 1965-1966; Vallois 1967). Si Hauser (1909) considérait que le niveau ayant livré le Moustier 1 se rapportait à l'Acheuléen, Bordes (1959) pensait que ce fossile était associé à la couche J (cf. infra). Trois autres individus ont été mis au jour dans l'abri inférieur du Moustier : un premier squelette fut découvert en 1896 à son extrémité ouest. Il pourrait être numéroté Le Moustier 4. Son contexte archéologique n'est pas très précis ainsi que sa localisation exacte. A l'époque, la majorité de la communauté scientifique ne considère pas ce spécimen comme un fossile du Paléolithique (voir Rivière 1906, 1909; Rutot 1908, 1910). A partir de la description préliminaire faite par E. Rivière et des photos publiées de la tête osseuse (Rivière 1911 pl. I et II), nous sommes sûr qu'elle est moderne et gracile. On ne sait plus où se trouvent ces ossements. en juillet 1910, O. Hauser découvre un fragment crânien et problablement à la même période, une dent (Drößler 1988; Vallois et Movius 1953, p. 149 note 1). Les données sur le contexte archéologique de ces vestiges sont toujours inédites. Ces restes pourraient être inventoriés comme Le Moustier 3 (Rosendhal, soumis) et Le Moustier 3 bis. Leur localisation actuelle est inconnue (Rosendahl ibidem). en mai 1913, à la suite d'un effondrement d'une partie de la stratigraphie, D. Peyrony fait des fouilles dans l'abri inférieur, à l'ouest de celles de O. Hauser. Le 19 mai 1914, il découvre une fosse qui contient des restes humains. Ils sont identifiés comme Le Moustier 2 (Vandermeersch 1971). Les informations fiables sur Le Moustier 2 et son contexte archéologique sont sommaires (Peyrony 1921 p. 4-5, 1930 p. 33-34) : la fosse est creusée à partir du niveau archéologique J, traverse le niveau I et entame le niveau H. Ses limites sont claires; elle a la forme d'un cône tronqué de 40 cm de profondeur avec une section ovalaire en surface et un diamètre de 50 cm; à l'intérieur, le mélange des sédiments des couches J, I et H est évident. La compacité de ces derniers est équivalente à celle des couches archéologiques; la fosse contient le squelette d'un très jeune enfant ou d'un fœtus; divers objets moustériens sont trouvés à côté des restes humains; aucun matériel préhistorique (ni historique) plus récent n'est présent. Mais D. Peyrony ne donne aucune information sur la position des restes humains à l'intérieur de la fosse, ni sur la façon dont il les a prélevés. La seule représentation des vestiges du Moustier 2 dans leur fosse, sera fournie par F. Bordes en 1972. Mais ce dessin ne semble pas basé sur des informations inédites qu'il aurait possédées. Si Vandermeersch (1971) signale que la localisation du Moustier 2 est inconnue, J.-L. Heim (1976, p. 6, note 1) considère que : « ce très jeune squelette, découvert par Hauser et signalé dans les notes manuscrites de D. Peyrony que nous avons consultées au Musée des Eyzies, a été très certainement égaré après avoir été envoyé pour étude à Marcellin Boule ». Les travaux plus récents, par exemple May (1986), Defleur (1993), Otte (1993), n'apportent aucune précision supplémentaire sur la nature de ces vestiges et leur devenir. Seule Binant (1991) fait exception. Elle mentionne, sans que l'on puisse savoir d'où proviennent ces informations, que l'état de conservation du Moustier 2 est bon et que le squelette post-crânien a été détruit en 1945 sans avoir été étudié. Durant l'été 1996, avec l'équipe du MNP, après un inventaire synthétique des fossiles présents dans la collection anthropologique, une recherche de restes humains inédits fut entreprise dans les réserves. Avec le matériel lithique des abris du Moustier, des restes humains furent « isolés ». Depuis le début des années 1990, ils avaient été « retrouvés » et étaient connus des membres de l'équipe du Musée (Cleyet-Merle, com. pers.) Ils étaient rassemblés dans un portoir sur lequel était mentionné « squelette ». A l'intérieur du portoir, quelques os étaient isolés avec des éclats moustériens, d'autres ossements humains étaient englobés dans des mottes de sédiments peu volumineuses. Enfin, d'autres mottes contenaient des ossements partiellement visibles sans que l'on puisse affirmer leur nature humaine. Un premier examen des pièces isolées montra : qu'elles étaient celles d'un nouveau-né, que le NMI était de un, que l'état de conservation, la couleur, etc, plaidaient pour leur appartenance à un même individu. D'ailleurs des « collages » furent vite trouvés. L'hypothèse que ces vestiges puissent appartenir au Moustier 2 étant évidente, il devenait nécessaire de prouver qu'il s'agissait bien des restes mis au jour par D. Peyrony et qu'ils étaient ceux d'un Néandertalien. Peu de scientifiques ont fouillé l'abri inférieur du Moustier - O. Hauser, à partir de 1907 et jusqu'en 1910, dont la qualité des travaux archéologiques est très variable. Il ne distingue que trois couches : la supérieure livrant du matériel remanié, un niveau sableux stérile sus-jacent à une couche acheuléenne qui livre la sépulture. Il n'y a pas eu d'étude plus précise du matériel archéologique mis au jour par ce fouilleur. - D. Peyrony en 1912, 1913, 1914 et quelque temps en 1930 y travaille pour établir la stratigraphie et définir les cultures préhistoriques présentes. Ses résultats ont fait l'objet d'une monographie (Peyrony 1930) et sont rappelés dans le tableau 1. - En 1937 et 1947, pour certains niveaux, M. Bourgon donna des attributions chronologiques différentes de celles de D. Peyrony. M. Bourgon (1957, p. 21) est le premier à proposer de nommer ce site « abri Peyrony ». - F. Bordes a étudié le matériel lithique mis au jour (Bordes 1948). Puis, associé avec E. Bonifay, ils restaurèrent en 1961 les coupes endommagées à la suite d'une inondation (Laville et al. 1980, p. 173). Selon J.-Ph. Rigaud (com. pers.), ils travaillèrent surtout sur la partie basse de la stratigraphie. C'est avec le matériel de la couche J que F. Bordes et M. Bourgon testèrent pour la première fois le diagramme cumulatif (Bordes in Bourgon 1957). Enfin, F. Bordes présenta une révision du matériel lithique provenant de l'abri inférieur (Bordes 1961, 1969). Tous ces travaux précisèrent l'évolution des cultures lithiques établie par D. Peyrony et modifièrent leur attribution chronologique (tab. 1). - H. Laville et J.-Ph. Rigaud, en 1969, « rafraîchirent » les profils en vue de la visite des membres de l'excursion A5 du VIIIe congrès de l'INQUA. Cela permit une nouvelle analyse granulométrique et sédimentologique des couches, souligna l'existence d'une surface d'érosion au sommet de la couche G et modifia la corrélation chrono-environnementale des niveaux archéologiques (tab. 1 et 2). - En 1982, J.-M. Geneste et J.-P. Chadelle recueillirent des silex chauffés pour obtenir des datations absolues par thermoluminescence. Les résultats furent présentés dans deux publications (Valladas et al. 1986, 1987). En 1991, une seconde méthode a été utilisée (la résonance paramagnétique électronique, RPE ou Electron Spin Resonance, ESR). Cette technique donne des dates plus récentes que la précédente (tab. 2). - Enfin, en 1992, les coupes ont été préparées pour les protéger par des murs en pierres. Ceux -ci furent terminés rapidement et des moulages des profils furent disposés pour présenter la stratigraphie du gisement (1994). Même si les collections disponibles peuvent faire l'objet de nouvelles recherches (par exemple Soressi 1999), cette protection rend très difficile toute nouvelle recherche sur la stratigraphie de l'abri Peyrony. Les informations publiées sur Le Moustier 2 sont sommaires. Parallèlement au travail de fouille et de restauration des vestiges du MNP, il était donc nécessaire de consulter des documents non publiés afin d'y trouver des informations inédites. Les archives de D. Peyrony conservées au Musée National de Préhistoire sont pauvres lorsque l'on considère son extraordinaire activité d'homme de terrain, les correspondances qu'il a entretenues. Mais, il tenait, plus ou moins régulièrement, un agenda où il mentionnait quelques-unes de ses activités. Ces écrits n'ont jamais été précisément étudiés dans la perspective d'une meilleure connaissance des évènements de la préhistoire périgourdine, des fouilles de D. Peyrony et d'autres préhistoriens. C'est dans cet agenda que sont mentionnées les raisons qui poussent D. Peyrony à entreprendre des fouilles à l'abri inférieur. Il y est aussi signalé la date de la découverte de la sépulture du Moustier 2 (« elle contenait un petit squelette que nous avons attribué à un enfant ») et qu'il enverra à M. Boule « quelques objets » (fig. 2a). Etant donné la nature des échanges scientifiques entre D. Peyrony et M. Boule (cf. infra), nous supposons que par « objets » il faut comprendre « ossements ». Avec cet envoi, et comme nous l'assure la réponse de M. Boule, D. Peyrony souhaitait obtenir une estimation de l' âge au décès du spécimen. Malheureusement, il n'écrit pas ce qu'il a précisément soumis à M. Boule, ni s'il y a joint des informations sur le gisement et la stratigraphie. Cinq jours après, M. Boule a répondu en lui signalant que « les ossements » sont ceux d'un nouveau-né (fig. 2b). Ces deux passages de l'agenda rendent caduques l'hypothèse de J.-L. Heim (1976) selon laquelle Le Moustier 2 a été perdu à Paris. En effet, il est évident que le premier d'entre eux (fig. 2a) est celui cité par J.-L. Heim (1976, p. 6, note 1, cf. supra). Nous savions déjà que cette citation était en partie erronée, Le Moustier 2 n'ayant pas été mis au jour par O. Hauser. Selon nous, ils nous assurent aussi que D. Peyrony ne fit pas parvenir à M. Boule la totalité des vestiges du Moustier 2. En effet, il nous semble probable que par « quelques objets », D. Peyrony voulait dire « quelques ossements » et non pas la totalité de la sépulture. Un fait va également dans ce sens. M. Boule publiait régulièrement des notes dans L'Anthropologie où il mentionnait les fossiles, les moulages, le matériel, venant enrichir les collections du laboratoire de Paléontologie du Muséum national d'Histoire naturelle (Boule 1915, 1923). Or, il n'a jamais écrit, dans une publication de ce type, que les restes du Moustier 2 lui aient été confiés. Il n'y avait donc aucune raison de supposer que ces ossements aient quitté le Périgord. Archives Casalis, photo B. Maureille Casalis archives, photo B. Maureille Archives Casalis, photo B. Maureille Casalis archives, photo et © B. Maureille Malheureusement, au début du XX ème siècle, les fossiles immatures intéressent assez peu la communauté scientifique et D. Peyrony lui même ne signale pas l'existence du Moustier 2 dans certaines de ses publications (par exemple Peyrony et Capitan 1924; Peyrony 1934b, 1949). Ce spécimen n'est pas mentionné dans le premier ouvrage sur les Hommes fossiles de M. Boule (1921). Sa découverte n'est pas plus citée dans ses commentaires critiques sur la monographie de D. Peyrony sur les abris du Moustier (Boule 1931). Seul, E. Hue signale, en 1937, que Le Moustier 2 est dans les collections du Musée de Préhistoire aux Eyzies. Mais, certaines des informations fournies dans ce catalogue sont erronées. Après la seconde guerre mondiale, on peut considérer que l'existence du Moustier 2 est oubliée. H.-V. Vallois ne le cite pas dans le premier vrai catalogue des hommes fossiles (Vallois et Movius 1953) ni dans l'inventaire des Néandertaliens de France (Vallois 1960). Enfin, nous avons déjà signalé ce que les membres de la communauté scientifique actuelle ont écrit sur le devenir de ce spécimen. En avril 1997, la fouille des mottes de sédiment, contenant les vestiges osseux, put débuter ainsi que le nettoyage, la restauration des ossements épars. Au total, cela nécessita près de 150 jours de travail, avec parfois la nécessité de fouiller sous une loupe binoculaire, en humidifiant le sédiment à l'aide d'acétone. De nombreuses photographies noir et blanc, des diapositives en couleur (avec différents formats), des photographies numériques ont été réalisées ainsi que des relevés (échelle 2/1) des étapes de la fouille. Tous les objets furent coordonnés dans les trois dimensions de l'espace, le sédiment fut préservé ainsi que le moindre vestige lithique, la faune, les cailloutis calcaires. Le sédiment est un sable argileux brun clair riche en muscovite. Ses caractéristiques minéralogiques (minéraux lourds) sont très proches de celles des couches H, I et J de l'abri inférieur du Moustier et, plus largement, des alluvions de la Vézère. En revanche, elles différent nettement de celles des dépôts du grand abri de La Ferrassie (Texier, com. pers.) En ce qui concerne la texture, la courbe granulométrique cumulative est voisine de celle de la couche J mais aussi similaire à la courbe de la couche M de La Ferrassie (Texier, com. pers.) Les mottes de sédiments ont aussi livré des produits de débitage d'un silex de couleur noire et peu de restes de faune. Tout le matériel lithique collecté s'accorde avec celui provenant de la partie supérieure (niveaux H, I et J) de la séquence moustérienne de l'abri inférieur du Moustier aussi bien en ce qui concerne les aspects technologiques que la nature de la matière première (Morala et Turq, com. pers.) Il en est de même avec la faune : Rangifer tarandus, Cervus sp., Capra hircus ibex et un gros Bovinae sp. (Madeleine, com. pers.) A la fin de cette première étape, nous sommes en présence d'un squelette bien représenté d'un nouveau-né (fig. 3). L'état de conservation des ossements est bon même si des éléments de la voûte crânienne (par exemple les pariétaux) sont brisés en une multitude de fragments. L'écaille de l'occipital est déformée et une côte gauche était réduite à l'état de fantôme. Les os sont de couleur claire. Ils sont fragiles et cassants. L'examen à la loupe binoculaire de leur surface montre des arêtes aiguës, non érodées. Ils ont donc été bien protégés par leur enfouissement et n'ont pas subi de processus érosifs. Photo Ph. Jugie, collection et © Musée National de Préhistoire Photo Ph. Jugie, collection and © Musée National de Préhistoire L'étape suivante de notre travail fut donc de démontrer que ces restes correspondaient à ceux du Moustier 2. Trois éléments vont dans ce sens : nous savons comment les collections du MNP ont été constituées (le Musée de Préhistoire des Eyzies deviendra le MNP en 1972; Cleyet-Merle et Marino-Thiault 1990). Il n'est pas possible que des mélanges aient eu lieu entre du matériel anthropologique provenant de différents sites, d'autant que les fossiles humains du MNP sont peu nombreux relativement au nombre de découvertes réalisées en Dordogne; les collections du Moustier proviennent presque exclusivement des fouilles de D. Peyrony. Les travaux plus récents (cf. supra) furent plus limités et aucun vestige humain n'y fut mis au jour; à la fin de la fouille des mottes de sédiments, nous sommes en présence d'un squelette très bien représenté (fig. 3). Seuls quelques « grands » ossements sont manquants : les deux scapulas, des côtes, l'humérus et le fémur droits. Des pièces plus petites sont aussi absentes : métacarpiens, métatarsiens, phalanges des deux côtés, corps de vertèbres et hémi-arcs neuraux. Mais, dans l'ensemble, les os longs présents et complets autant que l'humérus et le fémur droits du Moustier 2, existent. Il s'agit des deux seuls ossements représentant La Ferrassie 4. Rappelons que selon Heim (1976, 1982a, p. 8 et pl. I) ce spécimen est un fœtus âgé, ou un nouveau-né. Or, cet auteur a supposé que ces deux ossements provenaient de la même fosse funéraire que celle de La Ferrassie 4bis (un nouveau-né néandertalien assez mal conservé) car il les retrouva avec les vestiges de ce fossile. Il a aussi souligné que la couleur des pièces osseuses de La Ferrassie 4bis différent fortement de celle des deux os de « La Ferrassie 4 » (Heim 1982a, p. 24). Cette remarque est également vraie si on compare la fossilisation et l'altération de surface des ossements de « La Ferrassie 4 » avec celles des pièces attribuées aux autres Néandertaliens de ce site (obs. pers.) Pour toute personne ayant une certaine expérience de la fouille de sépultures de nouveau-né, il est très difficile d'accepter l'hypothèse de la présence, dans une même fosse funéraire (la n° 4 de La Ferrassie), de deux individus avec des altérations taphonomiques si différentes. Or, les similitudes, tant sur la morphologie, la symétrie, les insertions musculaires, les caractères discrets que sur la métrique ainsi que celles concernant la fossilisation, la couleur et l'aspect de la surface externe des diaphyses entre les deux os de « La Ferrassie 4 » et l'humérus et le fémur gauches du Moustier 2, sont très importantes. Enfin, autre argument, sur la diaphyse de l'humérus et sur celle du fémur droits de très petites plages de sédiments sont conservées. Il est de couleur brun clair et on peut y observer la présence de muscovite. Le sédiment de la couche C de La Ferrassie est aussi brun mais, en fonction de ce qui est collé sur les ossements de La Ferrassie 5 (par exemple), il est bien plus sombre que celui de la couche J du Moustier. De plus, la muscovite, très fréquente dans le sédiment accompagnant les vestiges du Moustier 2, est plus rare à La Ferrassie (Texier, com. pers.) Selon nous, le fémur et l'humérus droits que J.-L. Heim (ibidem) a désigné comme « La Ferrassie 4 », appartiennent en fait au squelette du Moustier 2. Ces ossements font donc partie des « quelques objets » que D. Peyrony a envoyés à M. Boule pour la diagnose de l' âge du Moustier 2. Comment cette confusion a -t-elle été possible ? Deux raisons peuvent être avancées : la principale d'entre elles est que M. Boule n'a jamais publié son travail sur les restes humains de La Ferrassie même si cette étude « était sur le point de paraître quand la guerre a éclaté » (Boule 1921, p. 192). Rappelons que M. Boule avait reçu, de D. Peyrony, la sépulture n° 4 de la Ferrassie sous la forme d'un prélèvement (Peyrony 1934a, le bloc A selon Heim 1976). Ce dernier fut fouillé au laboratoire de Paléontologie du MNHN où les précédents vestiges humains de La Ferrassie avaient été restaurés (par exemple, le crâne de La Ferrassie 1 y fut reconstitué; Boule 1921 p. 192). Or, il est certain que M. Boule pouvait distinguer les ossements de « La Ferrassie 4 » de ceux de la Ferrassie 4bis s'ils avaient été présents dans ce bloc. Mais M. Boule n'y identifia qu'un seul individu : un nouveau-né, qu'il numérota La Ferrassie 4. Nous sommes certain de cela puisqu'en 1924, M. Boule trouvant, au Musée de Préhistoire des Eyzies, un talus droit humain avec les vestiges de faune du niveau C de La Ferrassie, le numérota La Ferrassie 7. Selon lui, cet ossement isolé représentait donc le septième sujet mis au jour dans ce gisement. Cela signifie que M. Boule n'avait identifié qu'un sujet par sépulture (numérotées de 1 à 6) trouvées par D. Peyrony. la seconde raison est que les fossiles humains confiés à M. Boule étaient mal inventoriés. Ces lacunes au niveau des informations durèrent près de 50 ans puisque J.-L. Heim (1976 p. 29) souligne que les vestiges de La Ferrassie étaient rarement marqués. Ce dernier insiste aussi sur le fait que lorsqu'il entreprit son étude, de nombreux ossements de ce site avaient été mélangés. En fait, ils ne furent « officiellement enregistrés sur le catalogue des entrées du Laboratoire d'Anthropologie du Musée de l'Homme » qu'en 1953 (Heim 1976 p. 30). Cela signifie aussi que M. Boule n'avait pas « individualisé » précisément l'humérus et le fémur droits du Moustier 2. Mais on ne sait pas si D. Peyrony avait transmis à M. Boule les informations suffisantes pour que ce dernier puisse savoir d'où ces deux ossements provenaient, quel était leur contexte archéologique (cf. supra). M. Boule aurait donc mis ces deux pièces avec les vestiges des autres fossiles que D. Peyrony lui avait déjà fait parvenir. Plus d'un demi-siècle après leur découverte, il était impossible de savoir que ces deux ossements ne provenaient pas de ce site. L'hypothèse de J.-L. Heim (1976) fut que M. Boule avait oublié, ou n'avait pas su identifier ces deux pièces, et J.-L. Heim les rapporta au site de La Ferrassie… Une conséquence de cette découverte est qu'aucune sépulture double moustérienne attribuable aux Néandertaliens n'a été mise au jour. Enfin, à La Ferrassie, on doit s'interroger sur le nombre minimal d'individus moustériens. Selon que l'on accepte ou pas l'hypothèse de l'association du talus La Ferrassie 7 avec La Ferrassie 3 (Heim, 1976, 1982a et b), il peut être de 7 ou de 8. Mais d'autres regroupements entre des vestiges isolés et des sujets plus complets ont été faits par J.-L. Heim lorsqu'il étudia cette collection. Il semble donc nécessaire de refaire un travail de fond sur les fossiles humains de La Ferrassie, sur le nombre d'individus présents, sur leur état de conservation (avec des schémas adaptés), etc. Cela implique que l'on puisse accéder au matériel anthropologique et que la totalité des archives sur ce site, sur les fossiles moustériens, sur leur découverte et particulièrement les manuscrits de M. Boule, qui existent toujours, soient disponibles. Etant sûr que les vestiges « redécouverts » dans les collections du MNP en 1996 sont ceux du Moustier 2 et, considérant le fait qu'il y avait probablement eu au moins une inhumation intrusive dans certains des niveaux paléolithiques (cf. Le Moustier 4), il est nécessaire de tenter de définir leur statut taxinomique et de préciser l' âge au décès du spécimen. En ce qui concerne l' âge au décès, l'ossification des ossements, leurs dimensions, la calcification des germes dentaires, vont dans ce sens. Les estimations de la stature du Moustier 2 d'après la longueur maximale du radius, de celle de l'ulna et de celle du fémur, avec les nouvelles équations proposées par P. Sellier et al. (1997, en fonction des travaux de Fazekas et Kosa (1978) et relativement à la variabilité de sujets européens) sont respectivement de 52,05 cm, 51,70 cm et 52,49 cm. Ainsi, l'estimation de l' âge au décès est de 10,55, 10,45 et 10,67 mois lunaires ce qui correspond à une moyenne de 9,38 ± 0,1 mois. Cela confirme la détermination de l' âge par M. Boule (cf. supra) puis par J.-L. Heim (1976, 1982a) sur la base du fémur et de l'humérus droits. Selon la méthode de C. Moorrees et al. (1963) pour déterminer l' âge d'individus actuels sur la base du développement des germes des dents déciduales, Le Moustier 2 a un âge qui ne peut excéder quatre mois après la naissance. En ce qui concerne la diagnose taxinomique, les données archéologiques fournies par D. Peyrony vont dans le sens de l'appartenance du Moustier 2 à la lignée néandertalienne. Or, en 1914, l'expérience de terrain de D. Peyrony est déjà importante. Il a mis au jour les restes de l'enfant du Pech-de-l'Azé, fouillé les sépultures de La Ferrassie 1, de La Ferrassie 2, prélevé après avoir partiellement mis au jour les vestiges humains de La Ferrassie 3 et La Ferrassie 4bis (nous continuerons à désigner ce spécimen avec ce numéro alors qu'il est évident qu'il doit être re-numéroté La Ferrassie 4) et fouillé trois fosses moustériennes (deux à La Ferrassie, une au Moustier). Selon D. Peyrony, la fosse funéraire du Moustier 2 était très clairement visible, creusée à partir de la base de la couche J. D'après un document inédit de D. Peyrony (archives Casalis), nous savons que dans la zone où il fouilla, les niveaux supérieurs de l'abri inférieur du Moustier avaient été enlevés probablement au XVIII e siècle lors de la construction d'une maison d'habitation. La hauteur entre le sommet de la sépulture et le sommet des niveaux archéologiques devait être seulement de 25 cm. Heureusement, D. Peyrony a noté qu'il n'y avait aucun matériel plus récent et/ou historique dans la fosse et que la composition et la compacité des sédiments de la fosse étaient identiques à celles des niveaux moustériens. Selon ce dernier, on ne peut douter que la sépulture soit creusée à partir d'un niveau moustérien. Or, pour le moment, en Europe de l'Ouest, les vestiges humains découverts en contexte moustérien sont tous rapportés à la lignée néandertalienne. Enfin, les caractéristiques morphologiques du squelette sont différentes de celles des nouveau-nés actuels alors qu'elles sont proches de celles des Néandertaliens immatures et même adultes d'Europe et du Proche-Orient. Ainsi, Le Moustier 2 présente déjà un maxillaire sans dépression infra-orbitaire (comme elle est définie dans Maureille 1994). Sur sa face palatine, la suture prémaxillaire est ouverte avec antérieurement deux sinus interincisifs. Une telle combinaison de caractères est très rare chez les sujets immatures actuels et les premiers Hommes modernes alors qu'elle est typique des jeunes Néandertaliens comme Roc-de-Marsal, Pech-de-l'Azé et Dederiyeh burial 1 (Maureille et Bar 1999; Dodo et al. 2002). De plus, la suture prémaxillaire est aussi ouverte sur le plancher des fosses nasales et la totalité de la hauteur de la face nasale du processus frontal des maxillaires. Il a été démontré que cette morphologie est un caractère dérivé des jeunes Néandertaliens würmiens européens (Maureille et Bar ibid.) L'os zygomatique possède un corps assez court relativement à la hauteur de son processus frontal comme sur les Néandertaliens immatures Dederiyeh 1, Pech-de-l'Azé et La Quina H18 (Dodo et al. 1998) et les Néandertaliens adultes (Maureille 1994). La morphologie des os nasaux du Moustier 2 est particulière. Ils possèdent le même profil dans le plan sagittal que ceux des adultes néandertaliens avec un tiers proximal très vertical et les deux tiers distaux presque horizontaux (Trinkaus 1983; Maureille ibid.) D'autres traits plus subtils peuvent être observés sur les pars lateralis et basilaris de l'occipital et sur le pétreux. Sur les osselets de l'oreille moyenne, on peut noter des différences entre la morphologie néandertalienne et celle des Hommes actuels. Certaines sont discutées comme l'asymétrie des branches de l'étrier (Heim 1982a versus Arensburg et al. 1996) qui existe chez Le Moustier 2. Les couronnes des germes des incisives centrales et latérales déciduales sont en pelle et, pour la face vestibulaire, bi-convexes. Ces traits sont fréquents chez les Néandertaliens (Patte 1962) et plus rares chez les hommes actuels. En ce qui concerne leurs dimensions, les diamètres coronaires des deux incisives déciduales supérieures du Moustier 2 se situent dans la partie inférieure de 95 % de la variabilité néandertalienne. Pour les germes des incisives déciduales inférieures, les mêmes mensurations sont telles que Le Moustier 2 est exclu de la variabilité néandertalienne (et de celle de notre échantillon actuel). Des caractéristiques dérivées néandertaliennes peuvent être aussi déterminées sur le squelette post-crânien. C'est le cas de la courbure médio-latérale du radius. Pour ce trait, cet os est identique à ceux des enfants néandertaliens La Ferrassie 3 et La Ferrassie 4bis et distinct de ceux de Qafzeh 10 et Qafzeh 12 (Tillier 1999) et d'un large échantillon de nouveau-nés nubiens (obs. pers.) La proportion relative des phalanges du premier rayon de la main est en accord avec ce qui a été observé sur les mains de Néandertaliens adultes (Musgrave 1971; Heim 1982b; Trinkaus, 1983; Vandermeersch 1991). L'orientation de l'extrémité proximale de l'ulna relativement à l'axe de la diaphyse (contra Hambucken 1993), la courbure moins prononcée de l'angle costal postérieur (Boule 1911-1913) sont des caractères assez distinctifs entre Néandertaliens et Hommes actuels. Même si cela ne représente pas des apomorphies néandertaliennes, l'épaisseur et la massivité des os (crâniens ou post-crâniens) doivent être soulignées. Aucune pathologie n'a pu être remarquée. En fonction des données archéologiques et anthropologiques, il est donc certain que Le Moustier 2 est un nouveau-né néandertalien. Après La Ferrassie 5, il est le Néandertalien français le plus jeune mis au jour. C'est aussi un des nouveau-nés du Pléistocène parmi les mieux préservés (avec le sujet de Mezmaiskaya, Ovchinnikov et al. 2000). Il est aussi un des Néandertaliens les mieux conservés, y compris les adultes. Enfin, en acceptant la probable contemporanéité de la sépulture avec la couche J, Le Moustier 2 est un des Néandertaliens les plus récents d'Europe de l'Ouest. Malgré les archives il n'est pas possible de répondre avec certitude à cette question. Nous ne pouvons pas exclure que le début de la première guerre mondiale (la mobilisation en France fut déclarée le 1er août 1914) ne permit pas à D. Peyrony de faire parvenir à M. Boule la totalité des restes du Moustier 2. Mais, dans ce cas, D. Peyrony aurait pu compléter son envoi après cette guerre (il fut conservateur du Musée de Préhistoire des Eyzies de 1928 à 1936). Il ne le fit pas et jamais les vestiges du Moustier 2 ne quittèrent le Périgord. Ainsi, une autre hypothèse, présentant deux facettes distinctes, peut être avancée. 1) en décembre 1913, il y avait eu en Périgord un événement majeur pour la discipline. D. Peyrony avait eu l'assurance de la création du Musée de Préhistoire des Eyzies (ce dernier sera inauguré en septembre 1923; Cleyet-Merle et Marino-Thiault 1990). Il devait donc rassembler des collections concernant tous les champs de la Préhistoire. S'il disposait d'une grande quantité de matériel lithique, de vestiges de faune, de blocs gravés, de pièces d'art mobilier, provenant de ses fouilles, il avait très peu de fossiles humains. Les spécimens célèbres du Paléolithique supérieur tels que les sujets de Cro-Magnon, l'homme écrasé de Laugerie-Basse étaient « parisiens » depuis longtemps. Le Moustier 1 et l'homme de Combe-Capelle étaient en Allemagne. Le squelette du Cap-Blanc appartenait au commanditaire des fouilles de ce site. Concernant ses propres découvertes, les fossiles de La Ferrassie 1, 2, 3 et 4bis avaient déjà été envoyés au Muséum National d'Histoire Naturelle. La découverte du Moustier 2 intervenant en mai 1914, nous pouvons supposer que D. Peyrony ait tenu à conserver ce spécimen pour le futur musée des Eyzies. Selon nous, un fait va dans ce sens. D. Peyrony n'enverra plus de fossile humain au laboratoire de Paléontologie du Muséum national d'Histoire Naturelle après 1913. Ainsi, les restes de La Ferrassie 5 et 6, mis au jour en 1920 et 1921 par D. Peyrony et J.-L. Capitan, faisaient partie des collections du Musée des Eyzies en 1952 comme l'atteste leur localisation dans le catalogue des Hommes fossiles de Vallois et Movius (1953). Ils arrivèrent au Musée de l'Homme probablement en 1953 parce que H.-V. Vallois souhaitait achever le travail de M. Boule sur les restes humains de La Ferrassie. Alors, D. Peyrony n'était plus conservateur au Musée de Préhistoire des Eyzies depuis longtemps. 2) Denis Peyrony devait être déçu du traitement que M. Boule avait réservé à ses découvertes anthropologiques. Selon nous, D. Peyrony (1869-1954) et M. Boule (1861-1942) sont deux personnalités scientifiques différentes. Le premier, instituteur, est issu d'un milieu modeste (archives Casalis). Il abandonne sa profession d'Instituteur en 1910 en devenant chargé de mission au Ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts. Il sera inspecteur des monuments préhistoriques et conservateur du Musée des Eyzies de 1928 à 1936, année où il prend sa retraite. M. Boule assez rapidement (à 23 ans) travaille avec d'importantes personnalités scientifiques parisiennes. A 41 ans, il est titulaire de la chaire de Paléontologie du MNHN. Il ne nous semble pas que D. Peyrony et M. Boule aient eu des relations amicales autres que celles qui existent entre deux personnes ayant des intérêts communs (cf. note 3). En effet, les activités de l'un étaient très utiles à l'autre et vice versa. Ainsi, le premier fouillait des sites périgourdins avec des aides financières du Ministère de l'Instruction publique et des Beaux Arts, le second était membre de la sous-commission des monuments mégalithiques (J.-L. Capitan en fut vice-président puis président) dépendant de ce ministère, commission qui attribuait des financements. Or, alors que M. Boule avait été capable de réaliser la monographie du fossile néandertalien de La Chapelle-aux-Saints en moins de 5 ans, en utilisant souvent des données provenant des adultes de La Ferrassie, il n'avait rien publié sur les spécimens, pourtant bien mieux conservés, de ce site. Une lettre inédite de D. Peyrony conservée dans les archives du Musée des Antiquités Nationales (MAN, Saint-Germain-en-Laye) plaide en faveur de cette deuxième facette de notre hypothèse. Ainsi, en 1924 ou 1925, D. Peyrony avait proposé à M. Boule de publier dans les « Archives » la monographie de La Ferrassie et d'y inclure l'étude anthropologique. Ce dernier ne lui répondit jamais mais lui reprocha, au début des années 1930, de vouloir publier cette monographie ailleurs et sans lui. Il est vrai que cette publication commune aurait été assez difficile. M. Boule était un opposant farouche à l'hypothèse de l'existence de pratiques funéraires néandertaliennes alors que D. Peyrony, dès 1921, et sur la base de ses découvertes à La Ferrassie et au Moustier, avait écrit le premier article synthétique sur le sujet. En septembre 1996, des vestiges humains appartenant à un nouveau-né sont exhumés des collections du Moustier du Musée National de Préhistoire. Certains ossements sont isolés, d'autres encore pris dans des mottes de sédiment. La lecture d'archives, certaines inédites, la fouille des blocs de sédiment, la restauration de certaines pièces, la reconstitution préliminaire du sujet (fig. 3), nous ont permis de prouver qu'il s'agit du Moustier 2, spécimen mis au jour par D. Peyrony le 19 mai 1914 et perdu pour la science depuis 88 ans. Nous avons pu aussi confirmer les hypothèses proposées par D. Peyrony et M. Boule, à savoir que ces vestiges appartiennent à un Néandertalien (D. P.), qui plus est, nouveau-né (M. B.) Une datation absolue directe (SMA) du fossile devrait être entreprise dans un avenir proche d'autant que la préservation du collagène des ossements paraît excellente (H. Bocherens, com. pers.) Cela nous autorise à espérer de bonnes perspectives pour les recherches concernant l'ADN mitochondrial et les isotopes du Carbone et de l'Azote du collagène des os du spécimen. La redécouverte du Moustier 2 a aussi permis de souligner que l'unique sépulture double néandertalienne n'existe plus, les deux ossements définissant La Ferrassie 4 appartenant au Moustier 2. Le squelette du Moustier 2 est un des Néandertaliens würmiens parmi les mieux conservés (sujets immatures et adultes compris) et les plus jeunes connus. Quel que soit le taxon fossile, considérant son âge au décès, certains de ses ossements sont uniques dans les annales de la Paléontologie humaine. Les données morphométriques préliminaires traduisent des différences importantes entre Le Moustier 2 et un échantillon de nouveau-nés actuels ou sub-actuels (essentiellement des sujets européens et nubiens). Cela va dans le sens de l'hypothèse présentée récemment sur l'éloignement entre le patrimoine génétique des Néandertaliens et celui des Hommes actuels (Krings et al. 1997, 1999, 2000). Toutefois, il est nécessaire de rappeler que nous ne connaissons pas la variabilité morphologique des nouveau-nés du début du Paléolithique supérieur et que les vestiges plus anciens appartenant à cette classe d' âge et attribués au premiers Hommes modernes sont très (trop) fragmentaires (Tillier 1999). Nous n'en savons pas plus en ce qui concerne la variabilité génétique des Hommes fossiles modernes du Paléolithique moyen (ainsi que celle des spécimens du Paléolithique supérieur) alors qu'il a été souvent démontré qu'il existe un chevauchement de la variabilité métrique des ossements des premiers Hommes modernes avec celle des Néandertaliens (voir par exemple, Maureille et Houët 1998; Maureille et al. 2001). La redécouverte du Moustier 2 est donc un événement important de la paléoanthropologie française (Maureille 2002). Elle augmente notre échantillon de Néandertaliens bien conservés, même si la classe d' âge du Moustier 2 rend moins impressionnant l'état de conservation de son squelette que celui d'un adulte. Son étude sera riche en données inédites. Elles seront incontournables dans le cadre de la réflexion sur l'ontogenèse des Néandertaliens, leur variabilité, ainsi que sur les relations phylogénétiques entre ces derniers et les Hommes modernes du Paléolithique moyen. Le Moustier 2 se classe parmi les très rares spécimens exceptionnels à intégrer dans notre réflexion sur l'évolution humaine et sa diversité .
En 1996, des ossements d'un périnatal sont retrouvés dans les réserves du Musée National de Préhistoire avec les collections des abris du Moustier (Dordogne). Certains sont isolés, d'autres sont pris dans de petites mottes de sédiment. Assez vite, il apparaît que ces vestiges peuvent être ceux mis au jour par D. Peyrony dans l'abri inférieur. En 1997, le Musée National de Préhistoire nous confie la fouille des mottes et l'étude des vestiges. A l'issue de la fouille (fin 2000), nous proposons la reconstitution d'un squelette de périnatal exceptionnellement bien conservé. L'étude, morphologique et métrique, préliminaire, des vestiges osseux nous assure que nous sommes en présence d'un Néandertalien. Considérant sa classe d'âge, certains de ses ossements sont uniques dans les annales de la Paléontologie humaine. De surcroît, la fouille des mottes de sédiment s'est accompagnée de l'enregistrement de données qui permettront de préciser la position de segments du corps dans la tombe. Enfin, cette découverte remet en cause le nombre d'individus présents dans le gisement de La Ferrassie et l'existence de l'unique sépulture double du Moustérien d'Europe. En ce qui concerne les prédécesseurs des Hommes modernes d'Europe, Le Moustier 2 représente donc la plus importante découverte paléoanthropologique faite en France depuis ces vingt-cinq dernières années et en Périgord depuis 1961. Son étude permettra de nombreuses avancées en anthropologie biologique, sur l'ontogénie des Néandertaliens et les pratiques funéraires moustériennes.
archeologie_525-04-10203_tei_280.xml
termith-68-archeologie
La pointe de Font-Yves est classiquement considérée comme l'un des principaux marqueurs, avec la grande lamelle Dufour, des industries réalisées par les toutes premières populations aurignaciennes. Cette pointe serait présente sur l'ensemble de l'aire d'extension du premier Aurignacien en Europe occidentale, en Europe centrale où elle est fréquemment rapprochée de la pointe de Krems (Hahn 1977), puis aux marges orientales du peuplement aurignacien où elle est comparée à la pointe d'El Wad (Garrod 1934; Otte et al. 2007) ou d'Arjeneh (Otte, Kozlowski 2009). Cette pointe participerait au développement d'un outillage leptolithique en liaison avec de profondes modifications des systèmes de production et vraisemblablement d'armement, communément imputées à l'arrivée de populations d'Hommes anatomiquement modernes. À la lueur d'une réévaluation du mobilier de la Grotte de Font-Yves, plusieurs aspects du mode de production et de façonnage de la pointe éponyme peuvent être proposés. Sur ces bases, d'importantes différences apparaissent alors entre les pointes éponymes et les pointes rapportées par la suite à ce type. Nous essaierons donc de comprendre comment s'est effectué ce glissement sémantique et à quelle phase du Paléolithique supérieur nous pouvons rapporter ces pointes particulières. A l'heure actuelle, les meilleurs points de comparaison apparaissent avec les pointes de la couche 6 de l'Abri Pataud, c'est-à-dire à la fin de l'Aurignacien. Les implications de ce constat dépassent largement le cadre taxonomique. Ils permettent d'éclairer les processus de mutations culturelles paléolithiques dans le cadre du passage de l'Aurignacien au Gravettien dans le sud-ouest de la France. La grotte de Font-Yves s'ouvre au sud du plateau de Bassaler, dans un versant drainé par la Planchetorte (Bouyssonie et al. 1913; Bardon et al. 1920). Font-Yves se situe à un peu plus d'une dizaine de mètres de la Font-Robert. Ces cavités correspondent à des abris peu profonds prolongés par une terrasse. Elles sont creusées dans les grès permo-triasiques du Bassin de Brive, par des phénomènes largement attribués à des alternances de gel / dégel (Raynal 1975). Les abbés Jean et Amédée Bouyssonie ainsi que Louis Bardon publient peu d'indications sur la fouille même du gisement, ni la date précise des travaux, qui auraient eu lieu durant les années 1905-1906 (Demars 1994). La Comtesse de Thévenard aurait conduit les opérations de fouille. Les indications stratigraphiques révèlent la présence d'un niveau d'effondrement de la voûte qui scella l'unique niveau archéologique, constitué de terre noirâtre, en légère pente vers la vallée. Une seule couche archéologique a été reconnue. Elle est attribuée à l'Aurignacien, bien que des fragments de pointes de la Gravette, des indices de Solutréen, ainsi que des débris de poterie aient été trouvés (Bouyssonie et al. 1913). Yves, le fils de la Comtesse de Thévenard, serait le principal acteur des fouilles (Movius 1980). En 1979, G. Mazière entreprit une opération de terrain dans la cavité. Plusieurs sondages, représentant une surface de 7 m2, ont été réalisés par J.-P. Chennbaut (P. -Y. Demars, comm. pers.) : aucun niveau archéologique n'a été retrouvé (Mazière 1980). Le tamisage des anciens déblais a permis toutefois de recueillir une quantité importante de mobilier lithique. D'un point de vue historiographique, ce gisement tient une place particulière. Face à la spécificité de l'industrie, beaucoup d'opinions divergentes furent avancées. Les abbés ont clairement énoncé les difficultés d'un calage chronologique (Bouyssonie et al. 1913; Bardon et al. 1920). Si une part du matériel rappelle fortement le niveau inférieur de la Coumba del Bouïtou, leur discours laisse place à certaines ouvertures liées à la nature « embarrassante » de l'industrie (Lalanne, Bouyssonie 1946 - p. 87). Toutefois, c'est essentiellement le parallèle avec ce gisement et d'autres contemporains qui fut retenu. Le matériel présente effectivement de nettes affinités avec des assemblages relevant de l'Aurignacien ancien classique : lames aurignaciennes, lames étranglées, grattoirs carénés, grattoirs à museaux. Au sein de l'outillage, certains aspects typologiques et stylistiques nuancent toutefois une attribution pleine et entière à l'Aurignacien ancien (Bouyssonie et al. 1913; Bardon et al. 1920), par l'importance numérique des burins et le fait que les éclats et les lames « n'ont pas, à quelques exceptions près, la belle venue des lames retouchées du Bouïtou » (Bardon et al. 1920 - p. 295). Leur conclusion révèle clairement ce questionnement chronologique : « la Font-Yves présente d'une part une ressemblance extraordinaire avec le Bouïtou inférieur, mais elle est loin d' être aussi riche; d'autre part, ses lames à bord abattu tendent à l'éloigner de ce niveau, à la rajeunir même plus que le Bouïtou supérieur. Peut-être, l'habitat de cette station a duré assez longtemps et a vu la transformation de l'Aurignacien; peut-être y a -t-il eu simple survivance de types anciens ? » (Bouyssonie et al. 1913 - p. 225). Tous les auteurs ultérieurs ne firent pas preuve d'une telle prudence, en particulier D. de Sonneville-Bordes (1958 - p. 446) : « Tous les outils caractéristiques de l'Aurignacien (grattoirs carénés et à museau, lames aurignaciennes, lames étranglées) sont présents à Font-Yves et les proportions des divers types d'outils représentés sont les mêmes que pour les outillages du Périgord, dont l'attribution à l'Aurignacien typique est indiscutable. » Denis Peyrony, dans la seconde phase de sa théorie, place cette industrie dans la lignée phylétique du Périgordien II (Peyrony 1946). Le fort indice de burin fut à l'origine de rapprochements avec des séries se rapportant à l'Aurignacien récent lato sensu. G. Laplace établit des comparaisons avec la Ferrassie couches H, H ', H ' ', Cellier couche G, la Faurélie, les Vachons couche 2, les Cottés couche D, Chanlat foyers supérieurs et Willendorf couche 4 (Laplace 1966). Cette industrie aurignacienne, par la présence d'une composante lamellaire à dos, constituerait un substrat potentiel à la formation du Gravettien (Laplace 1966). G. Mazière reprend cette comparaison avec La Ferrassie, niveaux Gos et Gf des fouilles H. Delporte. Il statue en faveur d' « un Aurignacien très évolué, Aurignacien III voire IV (?) » (Mazière 1978). Pierre-Yves Demars conclut à un moment bref et localisé de l'Aurignacien Ic (soit Aurignacien ancien de type Ferrassie, Demars 1992), interprétant la pointe de Font Yves comme « une variété probablement éphémère » de la lamelle Dufour (Demars 1994 - p. 98). Plus récemment, la présence des pointes lithiques a également orienté l'attribution globale de la série vers une phase initiale de l'Aurignacien (Bon 2000, 2002). Aurignacien archaïque, Aurignacien ancien, Aurignacien récent, Aurignacien très évolué, toutes les attributions possibles au cours de l'Aurignacien ont été proposées. L'importance du groupe des burins a souvent été prise en compte, sans pour autant interroger la nature des burins présents. Toutefois, la série de Font-Yves ne se limite pas aux pièces que nous venons d'évoquer et la présence de cinq pointes de La Gravette, de fragments de pointes à cran solutréennes n'a jamais jusqu' à présent été introduite dans la discussion. Plus particulièrement, la co-existence d'un fonds classique aurignacien avec ces pointes de Font-Yves originales a toujours été perçue comme une donnée implicitement admise. La nature même d'une telle association n'a jamais été véritablement questionnée. L'industrie fût considérée comme « homogène », (Mazière 1978; Mazière, Tixier 1976), « parfaitement homogène » (Movius 1980). La collection étudiée, la collection Thévenard, est conservée au dépôt archéologique de Chasteaux (Corrèze). La série déposée dans les réserves du Musée Labenche a également pu être examinée. L'assemblage se compose essentiellement de supports retouchés, relativement nombreux. Les premiers auteurs dénombrent à peu près 925 outils et débris d'outils (Bouyssonie et al. 1913; Bardon et al. 1920). Denise de Sonneville-Bordes décompte 1 237 outils (Sonneville-Bordes 1960), 1 256 pour G. Laplace (1966). G. Mazière retient 983 pièces (Mazière 1978) et P. -Y. Demars 1 056 outils (Demars 1994). L'essentiel de la fraction brute et de la fraction lamellaire est absent. Elle a d'ailleurs été retrouvée en quantité importante lors du sondage de G. Mazière (1980). Nous disposons donc seulement des produits retouchés, souvent entiers, de dimensions plutôt importantes et des nucléus. Le nombre de nucléus, la diversité apparente des objectifs et l'absence de fraction lamellaire, particulièrement la plus fine, rend toute attribution de l'ensemble relativement arbitraire. En revanche, les principales tendances peuvent être distinguées et décrites (Pesesse 2008a). Une première composante laminaire s'individualise (fig. 1). Elle correspond à un débitage unipolaire de belle facture, au sein duquel la percussion organique prédomine. Ces supports sont transformés en grattoirs, lames retouchées, burins. Aucun nucléus ne se rapporte à cette production. Dessins J. Bouyssonie. Drawings J. Bouyssonie. Parmi les nucléus, plusieurs appartiennent à une production de supports rectilignes légers que nous décrirons plus loin. De nombreuses pièces carénées sont présentes (fig. 2). Elles se rapportent à des productions de type grattoir, grattoir à museau, burin caréné, burin des Vachons ou réalisées à partir d'un pan de la face supérieure de l'éclat nucléus. Dessins n° 1 à 6 : J. Bouyssonie; n°7 à 9 : D. Pesesse. Drawings n° 1 to 6 : J. Bouyssonie; n°7 to 9 : D. Pesesse. Les productions répondent donc à des intentions distinctes en termes de gabarits et de paramètres morphologiques. Cette diversité concerne aussi bien les objectifs que les modalités. Si une part des débitages suit des modalités inédites, de nombreux éléments techniques recoupent des intentions clairement définies dans des contextes aurignaciens (Chiotti 1999, 2003; Lucas 2000; Bon 2000, 2002; Bordes 2005). Cela corrobore les observations des abbés et les comparaisons avec différents stades de l'Aurignacien à partir de la séquence de la Coumba del Bouïtou. Une forte composante attribuable à l'Aurignacien ancien est présente, mais d'autres éléments notamment des productions lamellaires sur tranche d'éclat attestent d'une ou de plusieurs occupations datant d'une phase plus récente de l'Aurignacien. Les pointes de Font-Yves et les éléments techniques associés (nucléus, rares sous-produits) se trouvent fortement isolés dans cet assemblage. En effet, cette composante n'est pas compatible techniquement avec un Aurignacien classique et doit donc être décrite séparément. Face à la spécificité de ces pointes et la typicité d'une large part de l'industrie, l'absence de remise en question de l'intégrité de cet ensemble paraît étonnante. Certaines tendances ou principes opératoires de la production des pointes de Font-Yves peuvent être mis en lumière, en dépit de l'ancienneté de la collection. Ces éléments techniques possèdent un caractère diagnostique et pourront servir de critères de discrimination dans le cadre de comparaisons. La pointe de Font-Yves est un type spécifique, dont l'homogénéité et la standardisation constituent les principales caractéristiques (fig. 3). Dessins D. Pesesse. Drawings D. Pesesse. D'après P. -Y. Demars, la composition pétrographique du corpus de pointes diffère du reste de l'assemblage. Ceci constitue un argument supplémentaire pour dissocier ces artefacts de l'ensemble de l'industrie. Les pointes sont essentiellement en silex du Sénonien (n =52); 11 sont en Bergeracois, le reste, en silex de l'Hettangien et du Cénozoïque (Demars 1994 - p. 101). Elles sont au nombre de 67, sur 140 décomptées initialement par J. Bouyssonie. Les fragments proximaux dominent (n =30), les mésiaux sont peu représentés (n =4), alors qu'il existe 17 fragments distaux, pour 8 pointes sub-entières et 3 entières seulement. Les exemplaires complets mesurent entre 32 et 70 mm de long, paramètre vraisemblablement plus étendu si l'on prend en compte la longueur de la plus petite pièce sub-entière : 23 mm. Les gabarits sont donc très différents, cependant les proportions relatives s'avèrent stables. Au moins deux pièces se distinguent par leur sveltesse, qui évoque une production sur tranche d'éclat. Les pointes mesurent de 5 à 10 mm de large pour 1 à 3 mm d'épaisseur (tabl. 1). Mise à part la variation de module, aucun élément notable de diversité n'apparaît. Ces pointes sont très homogènes dans leur morphologie, si l'on considère leur élancement, leur rectitude et leur régularité. La principale source de variation concerne la latéralisation et l'intensité de la retouche. Celle -ci est toujours directe, fréquemment bilatérale. Hormis la base et l'apex, elle investit de manière variable les bords et aucune partie latérale n'est systématiquement retouchée. Pour 65 cas diagnostiques : 4 fragments ont le bord gauche plus retouché que le droit, 20 fragments ont subi un aménagement équivalent des deux bords, 41 fragments voient l'aménagement préférentiel du bord droit. Si un nombre important de pointes n'est pas latéralisé, une latéralisation fréquemment dextre est observable. La base est de morphologie majoritairement ogivale. Celle d'un unique exemplaire est tronquée. L'extrémité distale n'est pas particulièrement aiguë. Le terme de mousse, parfois employé (Pradel 1978), réduit tout de même le caractère potentiellement vulnérant de la pièce. La partie distale est mince, définie de manière axiale. Son aménagement présente une certaine variabilité, des extrémités brutes naturellement perforantes à des aménagements appointants. Elle est souvent de forme légèrement ogivale. La retouche est marginale à semi-abrupte, pouvant devenir abrupte sur une zone épaisse. Son intensité est liée à la délinéation des bords du support. Globalement, la largeur de la pièce est peu réduite par la retouche. La transformation ne contribue pas spécifiquement à augmenter l'acuité des tranchants. Les bords définis sont parallèles, les extrémités axiales. Sur certains spécimens, la retouche présente une caractéristique originale. Son axe n'est pas perpendiculaire à la face inférieure de l'outil, mais incliné d'environ 75°. L'inclinaison intéresse tout ou un segment du bord. Les pièces étant latéralisées, elle est surtout visible sur le bord droit. L'inclinaison est orientée vers la partie proximale pour le bord droit et la partie distale pour le bord gauche. Un geste de compression effectué à l'aide d'un épois en maintenant la pièce inclinée peut conférer une telle incidence à la retouche. Aucun stigmate relatif à une utilisation en tant que projectile n'a été reconnu (O'Farrell 2004). Les supports sélectionnés sont tous rectilignes, très peu présentent une légère concavité médiane ou une courbure distale. La seule courbure concerne la partie proximale de la pièce. Elle peut être imputée à la préparation au détachement (abrasion) qui concerne 30 des 42 parties proximales. La première description de la pointe de Font-Yves recoupe les critères que nous venons d'évoquer. L. Bardon, J. et A. Bouyssonie la définissent par rapport à celle de La Gravette (dénommée « canif ») : « la série des longues lamelles a une physionomie bien spéciale : les lames sont minces, très délicates; l'écrasement ou rabattage du bord est moins brutal, moins abrupt; le plus souvent les deux bords sont atteints par la retouche; la section du couteau et du canif est un triangle, celle de ces outils rappelle plutôt un segment de cercle. Enfin, l'extrémité n'est pas toujours appointie, ni tronquée non plus « (Bouyssonie et al. 1913 - p. 222). Cette définition fut reprise par la suite (Lalanne, Bouyssonie 1946). Le caractère mousse de ces pointes a parfois été pris en compte (Pradel 1952, 1978; Mazière 1978). G. Laplace devant leur faible aspect perforant, et en comparaison avec les lamelles Dufour, suggère de nommer ces pièces « lamelles de Font-Yves » (Laplace 1961 - p. 170), appellation qui ne connut pas un réel succès. C'est pourtant ainsi que cette pointe est indexée dans certaines typologies (Demars, Laurent 1989). La présence de supports acuminés tend à rejeter la proposition de G. Laplace. Si la perception du caractère vulnérant diffère de ses standards, elle ne doit pas être écartée a priori, à l'encontre des paramètres morphologiques. La pointe de Font-Yves peut être définie comme un outil sur support léger, rectiligne dont les bords sont rendus parallèles par une retouche de circonstance, souvent dextre, définissant une base ogivale et un apex axial dont l'aménagement varie dans son caractère appointant. Un minimum de 29 nucléus correspondant à une production rectiligne peut être distingué (fig. 4; fig. 5). Il s'agit de 18 nucléus unipolaires (dont 7 sur éclats), 7 nucléus bipolaires (dont 5 préférentiels et 2 indéterminés), ainsi que 3 à plans de frappe opposés décalés et un à plans de frappe alternes. Ces nucléus sont essentiellement réalisés sur blocs. Dessins D. Pesesse. Drawings D. Pesesse. Dessins D. Pesesse. Drawings D. Pesesse. Les nucléus font l'objet d'une mise en forme importante. Le dos est fréquemment aménagé, des crêtes postéro-latérales sont présentes, les flancs préparés : le volume est parfaitement délimité. Parmi ces solutions, une option technique spécifique permet de regrouper certains nucléus. Il s'agit de nucléus unipolaires dont la structure volumétrique renvoie principalement à une recherche de rectitude et de convergence des enlèvements. Cet aspect est autorisé par le resserrement basal de la table, lié notamment à l'extraction de supports envahissant largement les flancs, extraits depuis la base du nucléus. La quasi-absence de fraction brute correspondant à ce gabarit n'autorise pas à aller plus loin dans la compréhension des logiques opératoires. Signalons qu'un sous-produit, se rapportant à une reprise opposée latérale, est parfaitement compatible avec cette logique (fig. 5, n° 3). Ce schéma unipolaire convergent, délimité par les flancs depuis la base du nucléus, constitue la modalité de production sur bloc la plus spécifique, mais d'autres solutions alternatives peuvent avoir contribué à la production de pointes. La série éponyme ne permet pas d'aller plus en avant dans la caractérisation des procédés de débitage dans leurs logiques propres et leur diversité potentielle. L'ensemble laminaire, en dépit d'une cohérence apparente, ne peut toutefois être rapporté exclusivement à l'une des occupations de l'abri. En effet, trente lames portent des négatifs lamellaires marqués (fig. 6), aspect encore inédit dans les productions laminaires de l'Aurignacien ancien. Parmi ces supports, 20 sont transformés en grattoirs, 3 en burins, 4 sont retouchés, une lame est « appointée » et 2 demeurent brutes. On compte 11 lames réalisées en silex du Bergeracois, 15 en silex sénonien, une proviendrait du bassin d'Aurillac et 4 sont indéterminées. Dessins D. Pesesse. Drawings D. Pesesse. Aucune lame indubitablement aurignacienne, d'un point de vue typologique (lame à retouche aurignacienne, lame étranglée) ne porte de négatif lamellaire marqué. Seule la lame « appointée » pourrait stylistiquement se rapprocher de l'outillage aurignacien. Ces négatifs, rares et isolés, trop longs et trop réguliers pour être interprétés comme la conséquence de l'abrasion, évoquent des supports potentiels de pointes de Font-Yves. Si aucun argument ne permet de vérifier pleinement ce point, ce procédé, non documenté durant l'Aurignacien ancien, permet a minima d'envisager l'existence de plusieurs composantes techniques au sein du corpus laminaire. La pointe de Font-Yves est reconnue dans de très nombreux gisements, ou plutôt des pointes à retouches bilatérales interprétées comme des pointes de Font-Yves sont mentionnées sur un vaste territoire. La répartition de ces pointes s'étend en effet de la Péninsule ibérique à l'Iran, où elles sont comparées aux pointes d'Arjeneh (Otte et al. 2007). Dans ces gisements, elle est associée à de grandes lamelles Dufour à tendance rectiligne et constitue un des éléments de définition du Protoaurignacien. Or, ces pointes présentent de nombreuses différences avec les pièces éponymes (fig. 7, n° 5 à 14). En premier lieu, l'allure même diffère. Ces pièces sont réalisées sur des supports bien moins standardisés. La retouche bilatérale directe abrupte vise à aménager une extrémité axiale aiguë. Des pointes comme celles provenant du Piage (Champagne, Espitalié 1981; Bordes 2002) ne trouvent aucun écho dans la série éponyme. Au-delà des aspects fonctionnels, la norme qui préside à l'aménagement de ces pointes diffère. Il convient donc de comprendre comment s'est opéré ce glissement terminologique. En 1912, l'Abbé Breuil dans sa première édition des « Subdivisions du Paléolithique supérieur » évoque ces pointes, avant même leur publication (Breuil 1912). Il rapproche les pointes de Krems d ' « une phase beaucoup plus primitive de l'Aurignacien moyen; ses nombreux petits microlithes sont semblables à ceux, inédits encore » provenant de la Grotte de Font-Yves (Breuil 1912). Par la suite, il rapproche également Bos-del-Ser de ces deux sites (Breuil 1937). La comparaison de Krems et Bos-del-Ser n'est pas sans pertinence. Cependant, cela instaure un premier lien entre ces industries et Font-Yves. Cette comparaison est reprise à l'identique par D. Peyrony qui associe le troisième foyer de la Grotte des Enfants (Peyrony 1946 - p. 234). Cet amalgame avec les pièces de Krems-Hundssteig (Strobl, Obermaier 1909) revient à plusieurs reprises (Bohmers 1947; Schwabedissen 1954). J. Hahn, en revanche, distingue deux types au sein de l'outillage lamellaire de Krems-Hundssteig (Hahn 1977) : les pointes de Font-Yves qui présentent une retouche bilatérale directe et qui se différencient des pointes de Font-Yves éponymes par le caractère pointu (fig. 8, n° 1 à 5); les pointes de Krems, limitées aux pièces à retouches alternes, se différenciant ainsi de la définition de H. Schwabedissen (fig. 8, n° 6 à 9). Mais cet auteur préconise l'abandon des deux termes et préfère celui de pointes à retouches marginales (Hahn 1977). Là encore, la définition de la pointe de Krems selon J. Hahn a par la suite été employée à tort pour désigner les pointes à retouches directes du site autrichien. En parallèle, des pointes sont dénommées « de Font-Yves » dans l'Aurignacien du Levant et assimilées aux pièces d'El Wad (Garrod 1934, 1951, 1954, 1955). Ce rapprochement avec le Proche-Orient rentre bientôt dans la typologie française. En 1956, D. de Sonneville-Bordes et J. Perrot donnent une définition très restreinte de l'armature (Sonneville-Bordes, Perrot 1956 - p. 547) : « Pointe à courtes retouches bilatérales semi-abruptes sur petite lame mince et étroite ou sur lamelle » et figurent deux pièces, provenant de Jabrud et de Predmosti (fig. 7, n° 1, 2, 4). Les exemplaires syriens, comme le fragment tchèque partagent peu de caractères avec les pointes de Font-Yves, si ce n'est la retouche directe et le support lamellaire. G. Laplace remarquait déjà cette incohérence (Laplace 1961 - p. 166). Deux ans plus tard, J. de Heinzelin retient aussi une définition trop limitée (Heinzelin de Breaucourt 1962). Il figure un exemplaire de Jabrud (fig. 7, n° 3) et reprend l'équation pointe de Font-Yves synonyme de pointe de Krems. M. Brézillon ne rétablit pas la situation en ajoutant que les pointes de Font-Yves ont la même diversité que les pointes de Krems (Brézillon 1968). Enfin, la corrélation Font-Yves/Krems fut reprise par P. -Y. Demars, qui précise par ailleurs que les pièces trouvées dans des industries aurignaciennes riches en lamelles Dufour diffèrent légèrement (Demars, Laurent 1989). D'autres jalons sont vraisemblablement à rechercher pour illustrer ce glissement, initié avant même la première publication de Font-Yves. Toujours est-il qu'en un temps relativement court, la pointe corrézienne rencontra une pièce considérée alors comme analogue en Autriche, la pointe de Krems, atteignit les rivages du Levant et réintégra la typologie française complètement dénaturée. Se fondant sur ces définitions très incomplètes, voire erronées, ces « nouvelles pointes de Font-Yves » furent par la suite retrouvées au Piage (Champagne, Espitalié 1981), à l'Arbreda (Maroto et al. 1996) et sur d'autres gisements. Actuellement, les pointes de Font-Yves désignent les pointes axiales du premier Aurignacien (citons par exemple Bon 2000, 2002; Bordes 2002, 2005; Ortega et al. 2005; Normand 2002; Normand, Turq 2005; Normand et al. 2007; Tsanova 2008). Une suite de glissements eut lieu, d'abord liés à la vague convergence morphologique des spécimens autrichiens, tchèques et syriens. La convergence fut considérée ensuite comme élément premier de définition, recouvrant alors celle de la pointe de Krems sous couvert de variabilité morphologique. L'absence de nouvelles séries importantes de pointes de Font-Yves a certainement contribué à maintenir la confusion. Ces pointes ont été intégrées à la variabilité inter-site des pointes à retouches bilatérales du premier Aurignacien dans un espace géographique large. Les pointes éponymes ne peuvent donc être rapportées à une occupation du Protoaurignacien. A ce titre, l'absence de grandes lamelles Dufour à Font-Yves est aussi significative que les différences évoquées. Maintenir cette appellation pour les pièces appointées du Protoaurignacien entretient donc la confusion. Reprendre la proposition de G. Laplace et distinguer les pointes de Font-Yves des lamelles de Font-Yves ne conduirait qu' à prolonger cet amalgame. Ce terme ne devrait donc plus être appliqué aux séries des débuts de l'Aurignacien. Ayant fouillé la Font-Robert avant Font-Yves, c'est dans une publication ultérieure, que les abbés reconnurent ces pointes dans le premier abri (Bouyssonie 1923). La reprise des collections permit à P. -Y. Demars et G. Mazière d'individualiser deux de ces pointes (Mazière 1978; Demars 1994). Plusieurs spécimens sont en effet présents (fig. 9). Dessins D. Pesesse. Drawings D. Pesesse. Localement, G. Mazière a également reconnu trois exemplaires à la grotte du Loup (Mazière 1978). Dans ce secteur, elles sont associées à de nombreuses lamelles à retouches alternes que l'auteur ne qualifie pas de lamelle Dufour car, par rapport aux lamelles retouchées de la Grotte Dufour, elles « sont réalisées sur un support différent (lamelles torses, étroites, nettement plus allongées) » (Mazière 1978 - p. 150). A Chanlat, un spécimen entier, issu du niveau supérieur, présente des bords parallèles et des extrémités peu aiguës caractéristiques (Bouyssonie, Delsol 1950). J. Bouyssonie décrit ainsi la collection, par rapport au niveau sous-jacent : « Les burins sont en plus forte proportion, surtout ceux que j'ai appelés burins busqués avec encoche, à propos du Bouïtou supérieur et burins carénés plans » (i.e. burins des Vachons) (Bouyssonie, Delsol 1950 - p. 188). Les fines lamelles retouchées disparaissent pour « une jolie lame mince, et à bords presque parallèles, à fines retouches presque abruptes, du type Font-Yves » (Bouyssonie, Delsol 1950 - p. 188). Tout en questionnant sa réelle homogénéité, le niveau supérieur de Chanlat pourrait globalement être assimilé à un Aurignacien récent. Ces trois sites corréziens ne clarifient pas catégoriquement la position chrono-stratigraphique des pointes de Font-Yves, mais livrent certaines données relatives à leur position stratigraphique, leur association ou leur exclusion avec d'autres marqueurs culturels bien représentés régionalement. A Chanlat, gisement dont la stratigraphie a été au moins partiellement reconnue, cette pointe est présente dans un niveau sus-jacent à un ensemble comprenant des grandes lamelles Dufour. De même, dans les séries à grandes lamelles à retouches alternes de Dufour (Bouyssonie 1944) et Bos-del-Ser (Bouyssonie 1923), aucune pointe de Font-Yves n'est présente. Au Loup, ces pointes sont associées à des lamelles à retouches alternes de profil tors, caractéristiques qui pourraient éventuellement évoquer une phase récente de l'Aurignacien. Cependant, l'absence de documentation publiée sur la stratigraphie des occupations aurignaciennes et le matériel afférent limitent l'interprétation de cette donnée. En Périgord, à l'Abri Pataud, plusieurs fragments de lamelles retouchées ont été attribués par H.L. Movius au type Font-Yves. Si ces artefacts sont effectivement des pointes de Font-Yves, cela permettrait de les replacer dans un cadre chrono-stratigraphique bien défini. Vérifions les arguments en faveur de cette appellation. L'importante séquence de l'Abri Pataud constitue un des meilleurs observatoires de l'évolution des systèmes lithiques compte tenu du nombre, de la qualité des niveaux et de la documentation pour l'Aurignacien et le Gravettien (Bricker 1995; Chiotti 1999; Agsous et al. 2006). Le dernier niveau aurignacien, la couche 6, est situé en stratigraphie entre un niveau à burins busqués, la couche 7, et un niveau dominé par les fléchettes et les armatures à dos, la couche 5. Au niveau régional, sa position chrono-stratigraphique s'avère extrêmement originale. La couche 6 peut être perçue comme l'un des derniers enregistrements archéologiques des traditions « aurignaciennes ». Deux datations à 29 347 ± 1374 BP et 28 510 ± 280 BP (GrN 6273) sont en accord avec le caractère récent de cette occupation (Bricker 1995). Au regard des niveaux antérieurs, certains choix économiques spécifiques mais aussi une certaine diversité des chaînes opératoires ont pu être mis en évidence (Chiotti 1999, 2003). En effet, cette industrie reflète des évolutions majeures des normes aurignaciennes par l'apparition d'objectifs originaux et de modalités de production inédites. Cela se traduit par une très forte diversification des produits dont la recherche de petites lames et de lamelles rectilignes, pointues et très régulières (Pesesse 2008a, 2010). La faiblesse de la fraction retouchée, en raison de l'absence de tamisage lors de la fouille en 1961, restreint la compréhension de l'ensemble des objectifs de la production, en particulier pour les gabarits les plus modestes. Toutefois, un minimum de huit pièces retouchées se démarque. Ces outils ont été attribués au type Font-Yves par H.L. Movius, appellation reprise par la suite par A.S. Brooks et L. Chiotti (fig. 10, n° 1 à 6). Dessins n° 1 à 3, n° 7 : D. Pesesse; n° 4 à 6 : L. Chiotti. Drawings n° 1 to 3, n° 7 : D. Pesesse; n° 4 to 6 : L. Chiotti. Les supports utilisés sont de petites lames ou de grandes lamelles. En dépit de leur fragmentation, une nette tendance à la rectitude est observable. Ces pièces sont retouchées sur un bord, de préférence le droit, ou les deux par une retouche d'intensité variable. Les bords de ces lamelles sont parallèles. Les deux bases sont de morphologie ogivale (fig. 10, nos 4 et 6). En dépit de la fragmentation et de la faiblesse de ce corpus, ces lamelles retouchées possèdent plusieurs points communs avec les pointes de Font-Yves du gisement du Bassin de Brive. Elles présentent un rapport largeur/épaisseur proche des pièces éponymes. La morphologie en segment de cercle, définie par J. Bouyssonie, se retrouve également. L'intensité de la retouche, de marginale à semi-abrupte, varie de même. Les deux bases de pointes de Pataud reprennent la morphologie ogivale des pièces éponymes. A cela, s'ajoute un dernier critère diagnostique, commun à ces deux gisements : une pièce de Pataud (fig. 11, n° 2) révèle l'orientation oblique à gauche des retouches du bord droit, élément tributaire d'un procédé de façonnage identique et original (fig. 11, n° 1 et 3). Dessins n°1 et 3 : D. Pesesse; n° 2 : L. Chiotti. Drawings n°1 and 3 : D. Pesesse; n° 2 : L. Chiotti. A Pataud, l'origine des supports de ces pointes peut être recherchée parmi une production réalisée sur blocs notamment. Un nucléus correspond à cet objectif; il présente une structure unipolaire convergente dont les flancs sont définis par des enlèvements extraits depuis la base du volume (fig. 10, n° 7). Ce schéma témoigne également de fortes affinités avec le matériel de Font-Yves (fig. 5 et 6). D'autres points communs existent entre ces assemblages, notamment la présence d'un mode de production lamellaire original à partir d'un pan de la face supérieure de l'éclat-nucléus, de débitages réalisés à partir de burins des Vachons ou de burins mixtes busqués-vachons. Sur ces bases, les fragments de lamelles retouchées de l'Abri Pataud peuvent être effectivement rapprochés du type Font-Yves. Le partage de conventions dans le mode de production et de façonnage, notamment dans certains aspects discrets, confirme l'attribution de H.L. Movius. Auteur d'une synthèse sur les gisements corréziens (Movius 1980), H.L. Movius connaissait probablement le matériel du gisement de Font-Yves, ce qui expliquerait la justesse de l'attribution. Un siècle après la fouille de la Grotte de Font-Yves, T. Bismuth a découvert en mars 2005 un gisement sur le versant nord du plateau de Bassaler à quelques dizaines de mètres de la Grotte de Bassaler (Couchard, Sonneville-Bordes 1960). En mars 2006, L. Detrain entreprit une opération de diagnostic mettant au jour une importante stratigraphie couvrant l'essentiel du Paléolithique supérieur, de l'Aurignacien au Magdalénien, dont un niveau à pointes de Font-Yves (Detrain et al. 2006; Detrain 2006). Sur ce site, la Grotte Bouyssonie (Brive-la-Gaillarde, Corrèze), une fouille programmée a débuté en août 2008, confirmant l'importance de ce gisement et notamment du niveau à pointes de Font-Yves (Pesesse 2008b). Pour l'heure, plus d'une quarantaine de ces pointes a été trouvée sur une surface d' 1 m2. Ces pièces partagent l'ensemble des caractéristiques des pièces éponymes : standardisation, latéralisation, mode de façonnage (fig. 12). La morphologie des extrémités, l'inclinaison de la retouche sur certains spécimens sont identiques aux pièces éponymes. La seule particularité concerne la répartition des gabarits. Avec des pointes de dimensions identiques aux pièces originales, un module extrêmement réduit est présent. Compte tenu des méthodes de fouille du tout début du XXe siècle, ces outils nanolithiques (la plus petite pointe entière mesure 9 mm de longueur) sont absents de la série éponyme. En revanche, plusieurs nucléus de la Grotte de Font-Yves recoupent cette gamme de gabarit et présentent des enlèvements de morphologie compatible. Dessins D. Pesesse. Drawings D. Pesesse. Des réponses pourront donc être apportées sur l' âge exact et les caractéristiques de cette industrie restée « orpheline » un siècle durant. Le terme « pointe de Font-Yves » a connu un large succès aux dépens des caractéristiques spécifiques aux pointes éponymes. L'ancienneté des fouilles de la Grotte de Font-Yves et l'absence d'assemblages comparables ont probablement contribué à cette perte de sens. Mais le caractère succinct et partial des définitions établies par les auteurs successifs a tout d'abord généré puis accentué ce glissement terminologique. A ces problèmes de définition répond l'absence de questionnement quant à la cohérence de l'industrie de la Grotte de Font-Yves, composée d'un fonds classique et d'un outillage lamellaire original. A ce titre, la prudence des premiers auteurs, les abbés J. et A. Bouyssonie et L. Bardon, mérite d' être soulignée. Compte tenu des différences avec les pointes à retouches directes du Protoaurignacien, le terme « pointe de Font-Yves » doit désormais être limité dans son usage aux exemplaires correspondant aux pièces éponymes. La présence d'une base ogivale, d'une retouche inclinée, d'un apex peu aigu, la très faible variation morphologique inter-individuelle et un mode de production soigné comptent parmi les caractéristiques princeps de définition. D'autres appellations sont donc à rechercher pour désigner les pointes du Protoaurignacien, un terme neutre « pointe à retouches directes », « lamelle appointée » ou bien le nom d'un site par exemple. De plus, dans le contexte du Protoaurignacien, ces pointes méritent d' être caractérisées quant à leurs spécificités, leur réelle homologie inter-site et leur place face aux différents groupes - pointes de Krems, d'El Wad, d'Arjeneh. Jusque -là considérée comme une armature lithique développée par les premiers Aurignaciens, la pointe de Font-Yves traduit plus vraisemblablement l'une des dernières innovations aurignaciennes dans le domaine des industries lithiques. En effet, les pièces de la couche 6 de l'Abri Pataud constituent à l'heure actuelle un meilleur point de comparaison. La position de ces pointes en sommet de séquence aurignacienne pourra être vérifiée dans le cadre de la fouille de la Grotte Bouyssonie dans un avenir proche. Cette réattribution modifie profondément notre compréhension de la fin de l'Aurignacien et des processus historiques à l'origine de la structuration du Gravettien. Jusque -là, les savoir-faire connus pour les groupes de l'Aurignacien récent en matière d'équipement lithique différaient des productions documentées pour le début du Gravettien. En effet, les productions lamellaires réalisées à partir de burins busqués, des micro-lamelles torses (Lucas 1997, 2000; Chiotti 1999, 2003; Bordes 2005), répondent à des objectifs très éloignés des armatures axiales rectilignes connues pour le premier Gravettien (Pesesse 2008a, 2008c, 2008d). La mise en évidence récente d'un concept de production lamellaire à partir du « burin des Vachons » a permis d'entrevoir certaines modifications importantes dans les objectifs de production chez les populations de l'Aurignacien récent (Pesesse, Michel 2006). Toutefois, le manque de données précises concernant les objectifs de cette production ne permet pas encore d'apprécier pleinement la place de ce schéma opératoire dans les processus de restructuration des systèmes techniques à la fin de l'Aurignacien. L'industrie de la couche 6 de l'Abri Pataud apporte un éclairage déterminant quant à cette question (Pesesse 2010). Elle permet d'envisager une évolution profonde des objectifs à la toute fin de cette période, orientés vers la recherche d'armatures axiales rectilignes en silex. La pointe de Font-Yves peut ainsi être considérée comme l'un des principaux témoins des évolutions des systèmes techniques à la fin de l'Aurignacien. Ce type de production, classiquement rapportée au Gravettien, trouve ainsi des prémisses aurignaciennes. De fait, la structuration du Gravettien trouve un ancrage régional au sein des systèmes techniques développés par les derniers aurignaciens .
En 1905, lors de la fouille de la Grotte de Font-Yves (Corrèze), un nouveau type de pointe en silex fut découvert: la pointe de Font-Yves. L'essentiel de l'assemblage se rapporte à une industrie d'« ambiance » aurignacienne parmi laquelle au moins deux composantes peuvent être distinguées, l'une se rapportant à un Aurignacien ancien dominant et l'autre à l'Aurignacien récent. En dépit de la spécificité de cette industrie, l'intégrité de cette collection n'a paradoxalement jamais été discutée. Or, aucun lien technique ne peut être établi entre les pointes de Font-Yves et la composante aurignacienne classique. Très rapidement, cette pointe originale fut comparée aux pointes de Krems et aux pointes d'El Wad. A partir de ces comparaisons et d'une suite de définitions pour le moins partielles, la pointe de Font-Yves réintégra la typologie française complètement dénaturée. Des spécimens attribués à ce nouveau type furent retrouvés dans plusieurs assemblages se rapportant aux débuts de l'Aurignacien, tels le Piage ou l'Arbreda. A l'heure actuelle, la pointe de Font-Yves serait, avec la grande lamelle Dufour, une des armatures réalisées par les toutes premières populations aurignaciennes. Or, entre ces nouvelles pointes de Font-Yves et les pièces éponymes de nombreuses différences apparaissent. De bien meilleures affinités peuvent être mises en évidence entre les pièces éponymes et les spécimens présents dans la couche 6 de l'Abri Pataud. Dans ce sens, la pointe de Font-Yves ne peut plus être considérée comme un marqueur des phases initiales de l'Aurignacien mais au contraire comme l'une des dernières innovations en matière d'équipement lithique des populations aurignaciennes.
archeologie_12-0023830_tei_195.xml
termith-69-archeologie
L'industrie moustérienne a été définie à la fin du XIXème siècle comme un ensemble dominé par les outils sur éclats tels que les racloirs et les pointes (Mortillet 1872). Assez rapidement, s'est imposé la nécessité de distinguer des sous-groupes au sein de cet ensemble en fonction de la présence d'outils autres que ceux du fonds commun. Les travaux précurseurs de D. Peyrony ont par exemple conduit à la définition du Moustérien de Tradition Acheuléenne sur la base de la présence de couteaux à dos et de bifaces (Peyrony 1930). À partir des années 1950, sous l'impulsion de F. Bordes et M. Bourgon, cette démarche s'est systématisée en même temps qu'elle a gagné en précision. L'utilisation d'outils statistiques simples permet notamment de prendre en considération, non pas la présence ou l'absence de quelques fossiles directeurs, mais les fréquences relatives d'outils ou de groupes d'outils sur la totalité de l'outillage des séries étudiées. L'analyse typologique de plusieurs séries archéologiques de référence a ainsi conduit F. Bordes à définir – ou redéfinir – cinq groupes principaux au sein du Moustérien d'Europe occidentale : le Moustérien de type Quina; le Moustérien de type Ferrassie; le Moustérien typique; le Moustérien de Tradition Acheuléenne; et enfin, le Moustérien à denticulés (Bordes 1953). Ces groupes sont qualifiés de “faciès” par analogie avec les faciès géologiques et sont considérés par F. Bordes comme le reflet de cinq traditions culturelles distinctes. L'interprétation de ces faciès a fait l'objet de vives polémiques et plusieurs autres hypothèses ont été proposées : hypothèse économique (Binford 1966); hypothèse chronologique (Mellars 1969); diversité liée à l'intensité des cycles de ravivage pour les faciès charentiens (Dibble 1984); déterminisme des matières premières (Geneste 1985); influence du contexte topographique et géographique (Barton 1989); hypothèse environnementale (Rolland 1990). Toutefois, aucune d'entre elles ne semble s'imposer unanimement. Le Moustérien à denticulés est donc l'un des faciès définis par F. Bordes. Sa définition repose sur l'analyse typologique de séries lithiques issues de 28 couches archéologiques de 14 gisements dont un grand nombre dans le Sud-Ouest de la France. Toutes ces séries présentent un fort pourcentage de denticulés et d'encoches. Selon F. Bordes, les caractéristiques de ce faciès sont les suivantes : “Industrie pauvre en racloirs très pauvre en pointes, peu ou pas de bifaces toujours atypiques, le plus souvent nucléïformes ou partiels. Peu ou pas de couteaux à dos, le plus souvent atypiques. Présence d'un très fort pourcentage d'encoches (9 à 46 %) et de denticulés (20 à 48 %). Facture variable, parfois bonne, souvent médiocre. Débitage Levallois ou non. Pourcentage variable de talons facettés. Il y a toujours plus d'outils denticulés que de racloirs” (Bordes 1962-63, p. 44). En 1984, F. Bordes précise que l'on ne trouve “jamais de racloir Quina” dans le Moustérien à denticulés. La rareté des racloirs, caractéristique essentielle de ce faciès avait déjà été énoncée par M. Bourgon dans son ouvrage “Les industries moustériennes et pré-moustériennes du Périgord” (Bourgon 1957). En effet, selon lui, plus que le fort pourcentage de denticulés que l'on peut retrouver dans d'autres industries, “la carence des autres formes bien définies, caractéristiques habituellement du Moustérien, laisse la prédominance aux éclats denticulés” (Bourgon 1957, p. 109). Ce faciès paraît alors très particulier puisqu'il se caractérise, paradoxalement, par l'absence de certains types d'outils et par la faible proportion de racloirs, généralement « très médiocres » (Bordes 1981, p. 79), qui sont pourtant caractéristiques du Moustérien en général. Au sein de ce faciès, quatre “groupes technologiques” ont été distingués en fonction du pourcentage d'éclats Levallois bruts et retouchés et du facettage des talons des éclats : le Moustérien à denticulés à débitage Levallois et faciès levalloisien : il présente un indice d'éclats Levallois bruts ou retouchés (IL) supérieur à 20 % sur l'ensemble des éclats et un fort indice d'éclats Levallois non retouchés (IL ty > à 35 %). F. Bordes y rattache les industries de la carrière d'Evreux II et les couches 11 et 38 de Combe-Grenal; le Moustérien à denticulés à débitage Levallois et faciès non levalloisien : la seule différence avec le groupe précédent est le fait que son indice d'éclats Levallois bruts (IL ty) est inférieur à 35 %. Ce serait le cas pour les industries de la couche VI de l'Abri Suard et pour le gisement de la Métairie; le Moustérien à débitage non-Levallois et facetté : il présente un faible indice d'éclat Levallois (IL < 20 %) mais un indice de facettage (IF) des talons de tous les éclats supérieurs à 45 %. F. Bordes cite pour exemple l'industrie de la couche 4 du Pech de l'Azé II; le Moustérien à débitage non-Levallois et non facetté : outre un indice d'éclats Levallois inférieur à 20 %, l'indice de facettage est inférieur à 45 %. Ces caractéristiques ont été observées par F. Bordes au sein de l'industrie de la couche 14 de Combe-Grenal (Bordes 1953 et 1962-63). Il en ressort que ce faciès se caractérise typologiquement par un grand nombre d'encoches et de denticulés et qu'il ne présente pas de caractéristique technologique spécifique : le débitage pouvant être Levallois ou non. Les années 1980 ont vu le développement des analyses technologiques (Geneste 1985) qui intègrent l'outillage dans une chaîne opératoire plus complexe, depuis l'acquisition des matières premières jusqu' à l'abandon des pièces lithiques. Mais, même si de nombreux travaux montrent l'importance d'une analyse technologique globale des industries pour une meilleure caractérisation des faciès moustériens, l'attribution d'une industrie à un faciès Moustérien dépend toujours du type d'outil qui prédomine. Cette attribution découle nécessairement de la reconnaissance typologique des outils retouchés. Cependant, il existe un obstacle constant à l'identification de certains faciès du Moustérien : la reconnaissance typologique de certaines pièces comme étant de véritables outils. En effet, la présence de pseudo-outils au sein de séries lithiques préhistoriques est connue de longue date dans plusieurs gisements (Bordes et Bourgon 1951b; Bordes 1961). La difficulté réside alors dans la reconnaissance formelle de ces pièces. Cette reconnaissance est encore plus difficile lorsqu'il s'agit de denticulés ou d'encoches. Cela paraît alors paradoxal lorsque l'on sait que ces objets sont caractéristiques de l'un des faciès du Paléolithique moyen : le Moustérien à denticulés. La présence de pseudo-outils encochés au sein des séries lithiques préhistoriques, a été évoquée dès la fin des années 30 (Pei 1936). Depuis, de nombreux auteurs soulignent dans leurs travaux la difficulté qu'il y a parfois à différencier les outils retouchés et, a fortiori les pièces encochées des “pseudo-outils” et des outils a posteriori (Bordes 1970; Girard 1978; Chavaillon 1985; Verjux 1988; Bernard-Guelle 1995). De nombreux travaux ont alors été orientés vers la caractérisation de ce type de pièces. Ainsi, à partir des années 1950 plusieurs chercheurs ont tenté, à la fois par l'observation du matériel archéologique et par la mise en place de programmes expérimentaux, de caractériser les pseudo-outils afin de permettre leur identification au sein de séries lithiques. Sans avoir la prétention d' être exhaustive, nous pouvons citer les travaux de F. Bordes et M. Bourgon ainsi que ceux de F. Pradel, de J. Tixier et R. Mallouf concernant les caractéristiques des négatifs des enlèvements des pseudo-outils (Bordes et Bourgon 1951b; Pradel 1956; Bordes 1961; Tixier 1963; Mallouf 1982). Néanmoins, ces caractéristiques représentent une tendance générale et ne sont pas systématiquement synonymes d'enlèvements accidentels ou naturels (Bordes et Bourgon, 1951a, Bordes, 1962-1963). Plusieurs expériences et programmes expérimentaux ont aussi été orientées vers la production de bords encochés lors de piétinement humain ou animal (Tringham et al. 1974; Knudson 1979; Flennikenn et Haggarty 1979; Prost1989; Nielsen 1991; Mc Brearty et al. 1998), lors de l'utilisation d'un tranchant brut (Beyries 1987; Prost op. cit.) lors du débitage (Newcomer 1976; Ploux 1983; Mansur-Franchomme 1986; Prost op.cit.; Inizan et al. 1995) ou encore lors de la confection d'une retouche sur un tranchant brut (Fournier 1973; Pros, op. cit.; Benito del Rey et Benito Alvarez 1998). Tous ces phénomènes jouent donc un rôle prépondérant dans l'interprétation d'une industrie lithique. En effet, si les pseudo-outils sont nombreux au sein d'une industrie lithique, ils sont susceptibles d'entraîner des erreurs lors de l'attribution d'un ensemble à un faciès du Paléolithique moyen, notamment le Tayacien (Bordes 1970) et le Moustérien à denticulés (Bordes 1961,1962-1963, 1984). Dans cette optique, nous avons donc tenté de distinguer les pièces encochées des pseudo-outils au sein de l'industrie de la couche III du Roc de Marsal. Pour ce faire, nous avons utilisé une méthode d'étude proposée dans le cadre d'un travail universitaire (Thiébaut 2001) qui synthétise notamment les observations et les travaux effectués par d'autres chercheurs. Le Roc de Marsal est un abri-sous-roche localisé au cœur du Périgord noir, dans un contexte très dense en occupations préhistoriques du Paléolithique (fig. 1). Il se situe dans le vallon de la Redonde, sur la commune de Campagne (Dordogne). Le relief y est marqué par la présence de l'anticlinal de Saint-Cyprien (Séronie-Vivien 1959; Konik 1999) à l'origine de la formation d'une ligne de falaises. Le réseau karstique présente trois cavités (cf. fig. I. Couchoud même ouvrage) : une grotte d'ampleur importante obstruée par des blocs d'effondrement; une cavité de plus petite taille qui, selon J. Bouchereau (1967), devait être reliée à la première; le Roc de Marsal proprement dit, un abri de 5,50 mètres de largeur sur 9 mètres de profondeur et d'une hauteur de près de 3 mètres qui se situe à 140 m au-dessus du lit de la Vézère. Son plafond est parcouru par une faille orientée sud-ouest/nord-est et dont l'élargissement par dissolution est à l'origine de la formation de l'abri (Assassi 1986). Le Roc de Marsal fut découvert en 1953, par J. Lafille, alors instituteur au Bugue (Lafille 1961). L'inventeur entreprit un sondage l'année suivante qui révéla la présence d'industries moustériennes en place. Le site fut immédiatement carroyé avant le début des fouilles qui commencèrent au cours de l'été 1954. De 1954 à 1971, date de sa mort, J. Lafille fouilla seul les quatorze couches sur une surface de 27 m 2. Sa méthode consista à fouiller les carrés les uns après les autres. Il cartographia un quart du matériel relevé, prit de nombreuses notes sur ses cahiers de fouille, déposés au Musée National de Préhistoire des Eyzies, et releva 30 mètres de coupes stratigraphiques. C'est pendant la campagne de fouille de 1954 et celle de 1955 qu'il put, à partir de la fouille du carré L17, séparer 14 unités stratigraphiques numérotées de I à XIV, de bas en haut. Plus tard, la fouille des carrés M 17, L16, L18, montra que la couche I n'était pas la roche mère et ainsi, trois autres couches furent distinguées et nommées : A, B, C, de haut en bas (Lafille n. d.; Turq 1989). La campagne de fouille de l'année 1961 permit la mise au jour du squelette d'un enfant néandertalien dont l' âge est estimé à trois ans (Bordes et Lafille 1962; Legoux 1965; Madre-Dupouy 1988). Le caractère anthropique de la fosse dans laquelle l'enfant a été retrouvé a été discuté par la suite (Defleur 1987 et 1993; Turq 1989). La stratigraphie du Roc de Marsal, décrite par J. Lafille, puis par les travaux de J. Bouchud (1975), F. Assasi (1986) et A. Turq (1979, 1988, 1989, fig. 2A) a été récemment réétudiée par I. Couchoud (Couchoud 2001 et à paraître). Les données issues de ces travaux concernant l'analyse sédimentologique et la mise en place des dépôts sont synthétisées ci-dessous. Si l'on se réfère à la coupe A (fig. 2B), 5 unités stratigraphiques ont été distinguées au sein du remplissage (tabl. 1). Il est possible de repositionner la couche III individualisée par le fouilleur sur la coupe relevée par I. Couchoud. En effet, à l'issue d'une étude comparative des deux représentations stratigraphiques (Couchoud 2001; Turq 1979) et des données sédimentologiques provenant des travaux de I. Couchoud et F. Assassi, la couche III décrite comme un niveau brun foncé (H 64) comprise entre deux couches plus grises (Turq op. cit.), pourrait correspondre à la couche claire reposant sur les niveaux charbonneux basaux de l'unité 3 et présentée sur la coupe A (fig. 2B). Fouillée dans les années 60, la majorité des couches archéologiques identifiées a été attribuée à des occupations préhistoriques moustériennes. En ce qui concerne les études paléontologiques et environnementales effectuées, nous ne pouvons que déplorer le fait que la faune n'ait fait l'objet que d'une étude préliminaire (Bouchud 1975) et que l'étude des pollens n'ait été réalisée que dans la couche I (Van Campo et al. 1962). Toutefois, l'étude de la faune a permis de mettre en évidence certaines tendances générales. Les couches I et II ont livré quelques vestiges de Cerf élaphe, Alectoris barbara et Capreolus, qui indiquent un climat peu rigoureux. La couche III est marquée par une dégradation climatique avec l'apparition du Renne associé aux Bovidés, équidés et Cervidés. Dès la couche IV, le Renne devient l'animal dominant et la proportion des chevaux augmente jusqu' à la couche X. Le Renard et le Lièvre font leur apparition dès la couche VII. À partir de l'étude préliminaire de l'industrie lithique, trois faciès ont été reconnus : un Moustérien de type Quina, un Moustérien typique et un Moustérien à denticulés (Bordes cité par Turq 1979). Cette première attribution a été établie à partir d'un échantillon du matériel. L'attribution des séries provenant des couches VIII, IX, X, XI et XII à un faciès moustérien de type Quina a été confirmée par les travaux de A. Turq (Turq 1979, 1989, 1992). Le travail de G. Antignac a confirmé l'attribution de la couche II au Moustérien à denticulés, tandis que l'étude de la couche I a été abandonnée car elle présentait de nombreuses difficultés, liées au faible effectif de vestiges lithiques et au fort pourcentage d'enlèvements non anthropiques (Antignac 1998). Cet auteur s'est donc concentré sur l'étude typo-technologique de la couche II qui a livré près de 5 000 pièces lithiques. Les données issues de son étude et confrontées à celles d'autres séries du Moustérien à denticulés ainsi qu'aux caractéristiques de ce faciès définies par F. Bordes, lui permettent d'attribuer l'industrie de cette couche au Moustérien à denticulés de débitage Levallois (Antignac, op.cit.). L'industrie lithique de la couche III du Roc de Marsal a été attribuée avec certaines réserves au Moustérien à denticulés du fait de la présence soupçonnée de pseudo-outils au sein du groupe IV (Thiébaut 2000, p. 35 et p. 103). L'objectif de cet article consiste à s'interroger sur les caractères discriminant d'une série lithique lors de son rattachement au Moustérien à denticulés. En effet, un réexamen des pièces encochées, effectué en juin 2002 à partir d'une méthode élaborée dans un travail antérieur (Thiébaut 2001), laisse supposer que la présence de pseudo-outils a entraîné une surestimation du groupe IV (encoches et denticulés) lors de notre première étude. Selon l'analyse de I. Couchoud, le ruissellement, associé à de l'éboulisation et à une sédimentation d'origine anthropique, semble être le principal agent de mise en place de la couche III. D'une manière générale, les phénomènes post-dépositionnels qui ont affecté le matériel de la couche III ont entraîné de nombreuses altérations qui ont eu pour conséquence des transformations physico-chimiques de la matière. La grande majorité des tranchants présente des négatifs d'enlèvements naturels, certaines pièces présentent une double patine et d'autres, de manière plus sporadique, un émoussé total de la pièce. Nous avons aussi constaté la présence de nombreux indices de chauffe accidentelle (n = 790, soit 19,7 % du matériel) qui pourraient être liés à la présence de plusieurs foyers. En effet, si l'on se réfère aux données issues des cahiers de fouilles, l'existence de foyers contemporains est mentionnée à plusieurs reprises (Lafille, n.d.). Il existe de surcroît un nombre important d'objets fragmentés (n = 826 pour les éclats bruts seulement), en partie lié à un effondrement d'une partie du plafond de la cavité (présence de gros blocs d'effondrement). Géologiquement, l'abri du Roc de Marsal est implanté dans des formations calcaires compactes du Turonien directement sous-jacentes au niveau coniacien à silex (A. Morala com. pers.) (fig. 3). Le massif coniacien a été démantelé par l'érosion et parfois recouvert ou repris par des sédiments tertiaires à tendance sidérolithique. Localement, cet environnement sédimentaire a favorisé une altération de certains matériaux siliceux (A. Morala in Thiébaut, 2000); ainsi, sur le plateau et sur ses flancs, des blocs de silex à cortex altéré coexistent avec d'autres qui présentent un cortex frais. Ce travail a été effectué en collaboration avec A. Morala et nous reprenons ici les observations effectuées lors de notre travail de maîtrise (Thiébaut 2000). À l'exception d'un percuteur en quartz, cette industrie est composée uniquement de vestiges lithiques en silex et presque exclusivement du silex du Sénonien local (de 97,7 % à 100 % selon les catégories). Bien qu'il soit assez difficile de distinguer au sein de ce groupe les différents sous-étages, on peut avancer la prédominance du silex coniacien et la présence très minoritaire du silex du Campanien et du Santonien. Le gîte de silex coniacien le plus proche se situe au-dessus du gisement, ce qui explique son utilisation privilégiée. À l'intérieur de cet ensemble sénonien, le silex noir et gris domine très largement le silex blond. Cependant, la présence d'objets lithiques de couleur mixte (gris et blond, de 4 à 9 %), témoigne d'un mélange à l'intérieur d'un même bloc de silex blond et de silex noir du Sénonien. Nous pouvons aussi noter la présence de silex blond et gris à zone sous-corticale rouge. En ce qui concerne les silex blonds, ils ont été identifiés depuis plusieurs années (Turq 1977; Morala 1980; Demars 1980) et sont issus des altérites crétacées. Pour ce qui est des silex gris, ils se localisent dans les bancs de silex à pyrite reconnu dans le Sarladais (Turq et al. 1999). Parallèlement à cette production de supports en matière première locale (présente dans toutes les catégories technologiques de vestiges), certaines pièces attestent l'utilisation de matières premières allochtones : silex du Bergeracois et calcédoine probablement tertiaire en très faible proportion (1,5 % maximum pour le silex maestrichtien et 0,7 % maximum pour la calcédoine tertiaire). Cependant, il s'agit exclusivement de produits finis (éclats Levallois, éclats bruts ou retouchés). La présence de pièces présentant un cortex néo-fluviatile au sein des différentes catégories technologiques et d'un percuteur en quartz témoigne de l'exploitation des ressources alluviales. Cette étude indique donc quatre origines différentes des matières premières utilisées : un territoire proche du gisement : le plateau même sur lequel est implanté le site (silex du Coniacien) et les collines qui lui font face (silex du Campanien et du Santonien) dont la matière première est importée sous la forme de blocs bruts et testés; deux territoires plus éloignés : l'un à l'ouest dans la région de Bergerac (silex du Maestrichtien) et l'autre en rive gauche de la Dordogne dont le gîte le plus proche se situe au lieu-dit La Bessède (Calcédoine, Turq 2000) dont la matière première est ramenée sous la forme de produits finis. enfin, les alluvions de la Vézère ou de la Dordogne pour la recherche de galets de silex et de percuteurs. La composition de l'industrie, qui compte 4021 pièces, est présentée dans le tableau ci-dessous (tabl. 2) : Au sein de cette industrie, plusieurs méthodes de débitage ont été reconnues pour la production de supports bruts : Discoïde, Kombewa et Levallois. Le débitage Discoïde est représenté par près de 50 nucléus (fig. 4), soit presque 35 % de l'ensemble des nucléus. Ils présentent tous un rythme continu du débitage selon la définition proposée par L. Slimak (Slimak 2003), un plan d'intersection total ou partiel de la surface de débitage et de la surface de plans de frappe. Le débitage s'est effectué à partir de blocs ou d'éclats corticaux épais selon trois modalités différentes de la conception volumétrique du bloc : en premier, une conception unifaciale stricte, ensuite une conception bifaciale hiérarchisée et plus rarement une conception bifaciale alternante. Si l'on considère la direction des enlèvements, là encore plusieurs modalités ont été utilisées en fonction des obstacles techniques et des produits recherchés : la mieux représentée est une modalité strictement centripète des enlèvements (31 nucléus) suivi des modalités de débitage unipolaire, centripète et cordale et très sporadiquement bipolaire. Contrairement à ce qui a été défini (Boëda 1993), le plan de fracturation des enlèvements est, au sein de cette série, majoritairement parallèle et/ou subparallèle au plan d'intersection des deux surfaces. En effet, seulement 16 nucléus présentent des plans de fracturation sécants au plan d'intersection des deux surfaces. Cette observation rejoint celles de V. Mourre sur les séries de Coudoulous (Mourre 1994, 2003) et de L. Slimak sur certains nucléus Discoïdes du Champ Grand et de Néron (Slimak 1997-1998). Certains nucléus témoignent d'une préparation des plans de frappes (41 %). La variabilité des produits obtenus est à corréler avec les différentes modalités utilisées lors du débitage. En effet, d'une manière générale, les produits issus de la modalité centripète seront plutôt courts et larges, tandis que ceux issus des méthodes unipolaires ou bipolaires présenteront des enlèvements plus allongés. En ce qui concerne la présence de plusieurs méthodes de débitage (Levallois, Discoïde, Kombewa), nous ne nous sommes pas risqué à une quantification des différents types de supports produits selon le concept Discoïde. Néanmoins, 37 % des éclats bruts et 32 % des éclats retouchés non-Levallois et non-Kombewa correspondent à une modalité centripète du débitage, tandis que 39 % des éclats bruts présentent une longueur nettement supérieure à leur largeur. Les enlèvements à dos débordant restent minoritaires et ne représentent que 10 % de l'ensemble des éclats ordinaires bruts et retouchés. Notons aussi la présence de quelques éclats pouvant provenir du façonnage de bifaces. En ce qui concerne le débitage sur éclat au sens strict du terme, deux méthodes semblent coexister au sein de cette industrie : la méthode de type Kombewa (Owen 1938; Tixier et Turq 1999) qui prédomine nettement (43 nucléus) et un débitage sur la face supérieure de l'éclat nucléus très peu représenté (2 nucléus). En effet, alors que la très grande majorité des éclats-nucléus présente des négatifs d'enlèvements sur la face inférieure, deux éclats présentent respectivement des enlèvements à partir de la face inférieure et à partir d'une fracture en partie distale. Concernant la méthode de type Kombewa, la conception volumétrique du nucléus est essentiellement unifaciale (n = 34) mais aussi, de manière plus sporadique, bifaciale hiérarchisée (n = 11). Le nombre d'éclats issus de cette méthode est assez restreint (n = 33). Comme pour le débitage Discoïde, le débitage Kombewa a été mis en œuvre selon quatre modalités : une modalité linéale avec un axe de débitage de l'éclat Kombewa identique à l'axe de l'éclat-nucléus (fig. 5 n° 5); une modalité linéale dans laquelle l'axe de débitage du produit est différent de celui de l'éclat support; une modalité récurrente unipolaire (fig. 5, n° 6, et 8); une modalité récurrente bipolaire (fig. 5, n° 4 et 7). Figure 6 - Roc de Marsal couche III. Nucléus Levallois (silex). Figure 6 - Roc de Marsal, layer III. Levallois cores (flint). Ces différentes modalités entraînent une certaine variabilité des produits obtenus : des éclats de type Kombewa Janus (fig. 5, n° 2 et 3), des éclats de type Kombewa ordinaires (fig. 5 n° 4) et des éclats de type Kombewa à dos débordants (fig. 5 n° 8). Le concept de débitage Levallois est illustré essentiellement par la présence d'éclats Levallois typiques. La faiblesse numérique des nucléus Levallois (n = 17) est, selon nous, imputable à l'état d'exhaustion des nucléus parfois repris selon un concept Discoïde. L'analyse des nucléus témoigne d'une prédominance de la méthode linéale du débitage (fig. 6, n° 2, 3 et 5). Cependant, l'état exhaustif des nucléus, souvent atypiques, reste un obstacle lors de leur attribution aux diverses méthodes existantes (fig. 6, n° 2 et 6). Bien que très peu représentée, la méthode récurrente (n = 5) est présente selon des modalités centripète, unipolaire ou bipolaire (fig. 6, n° 1, 4 et 6). Plus que les nucléus, ce sont les éclats Levallois (n = 117) qui nous ont permis de mettre en valeur la présence majoritaire d'une méthode linéale du débitage. En effet, les éclats Levallois premiers (issus d'une modalité linéale ou récurrente) représentent plus de 74 % de l'ensemble des éclats Levallois (fig. 7 n° 1, 3, 5, 6), tandis que les éclats seconds et troisièmes représentent, respectivement, près de 17 % et 9 % (fig. 7 n° 4). Ils sont principalement de morphologie quadrangulaire et ovalaire et plus rarement triangulaire (10 %). Leur talon est facetté pour une grande majorité d'entre eux, lisse pour seulement 20 % et dièdre ou punctiforme pour 16,5 % et 5 %. Au sein des 271 pièces considérées comme retouchées, l'ensemble du matériel lithique, tous types de supports confondus, atteint désormais 9,2 % (n = 210) de l'ensemble des produits de débitage (éclats brûlés non étudiés exclus) si l'on ne considère plus les pseudo-outils et 8,1 % (n = 185) si l'on ne considère plus les pseudo-outils probables (tabl. 3). Les différents phénomènes responsables de la production d'enlèvements naturels ou accidentels comparables à de la retouche anthropique ont fait l'objet de plusieurs publications. Nous distinguerons ici les processus accidentels des processus naturels : les enlèvements accidentels sont produits de manière fortuite dans le cadre d'actions anthropiques telles que le débitage (Newcomer 1976; Prost 1989), la confection de la retouche (Fournier 1973; Prost 1989; Thiébaut 2001) et l'utilisation d'un tranchant (Pradel 1956; Beyries 1987; Prost 1989), le piétinement humain ou animal (Vaufrey 1955; Tixier 1958-1959; Bordes 1970; Tringham et al. 1974; Knudson 1979; Fleniken et Haggarty 1979; Prost 1989; Mc Brearty et al. 1998) et les travaux agricoles sur les sites de plein air (Mallouf 1982; Prost 1989); les enlèvements résultent de processus naturels : la pression dans les sols, le ressac, l'action des glaciers, la cryoturbation, la solifluxion (Pei 1936; Barnes 1938; Breuil et Lantier 1951; Bourgon 1957; Bordes 1961; Bordes 1962-1963). Tous ces phénomènes sont susceptibles d'altérer les vestiges lithiques et de produire des pseudo-outils. L'état général des pièces (état de surface et du tranchant) permet dans une certaine mesure d'identifier les vestiges susceptibles d'avoir été endommagés. Pour une meilleure analyse, nous proposons un tableau (non exhaustif) issu des travaux cités précédemment sur les divers types d'altérations produites par les phénomènes naturels (tabl. 4). La distinction s'effectuera ensuite par l'observation des types d'encoches et de denticulations présentes sur les vestiges archéologiques et leur comparaison avec ceux issus des diverses expérimentations. Deux listes pourront alors être établies, l'une pour les pièces encochées et la seconde pour les pseudo-outils potentiels. Cette démarche n'est pas novatrice : dès 1970, F. Bordes préconisait la création de deux listes “typologiques” au travers desquelles on séparerait les outils retouchés et les pseudo-outils (Bordes 1970). La description précise des supports et des enlèvements des pièces comptabilisées comme pseudo-outils permettra peut-être de trouver des critères distinctifs qui leur sont propre. Il n'est ici question que des objets encochés qui présentent une certaine ambiguïté dans l'origine de leur confection. Les denticulés à macrodenticulations ne présentent généralement aucune ambiguïté quant au caractère anthropique des encoches, excepté toutefois les denticulés à macro-encoches d'utilisation. Pour ces derniers, ce sont donc les caractéristiques des encoches qui devront être étudiées. La reconnaissance typologique des denticulés à microdenticulations présente plus de difficultés. Cependant, il semblerait que deux phénomènes seulement puissent produire ce type de pièce : le piétinement et le concassage. Or, dans les deux cas, la régularité des enlèvements et l'angle du tranchant peuvent permettre une distinction plus catégorique entre les denticulés à microdenticulations et les pseudo-denticulés. La reconnaissance formelle des encoches comme objets façonnés par l'homme est plus incertaine. Toutefois, il semblerait que les micro-encoches clactoniennes isolées (ouverture < 5 mm) puissent être produites par une grande partie des phénomènes accidentels et naturels cités plus haut. Elles ne seront donc pas comptabilisées ici comme anthropiques. En ce qui concerne les macro-encoches clactoniennes, celles présentant un négatif de type (fig. 8) ou un négatif présentant les caractéristiques d'une flexion peuvent être considérées comme non anthropiques. Pour ce qui est des encoches retouchées, la distinction semble moins évidente. Cependant, une encoche retouchée très ouverte et peu profonde dont la retouche est plutôt rasante et sans aspérités localisée dans la concavité et sur les bords caractérise généralement une encoche a posteriori (Thiébaut 2001). Afin de distinguer les pseudo-outils au sein des pièces retouchées, différentes caractéristiques des tranchants ont été prises en considération : la régularité, la continuité et l'inclinaison de la retouche; l'angle du tranchant; le caractère général du tranchant et du support; les caractéristiques des négatifs (Prost 1989, fig. 8); les caractéristiques morphométriques des encoches (longueur d'ouverture, morphologie, Girard 1978, Thiébaut 2001). En ce qui concerne les éclats considérés comme des pseudo-outils, nous pouvons souligner qu'une grande majorité d'entre eux se retrouve dans le groupe IV (encoches et denticulés). Certains d'entre eux présentent plus de difficultés dans la reconnaissance du caractère anthropique ou naturel/accidentel de leur retouche. Nous les avons donc distingués en les considérant comme des “pseudo-denticulés probables ”. Les encoches clactoniennes attribuées au groupe des pseudo-outils (n = 15) sont très caractéristiques. La majorité d'entre elles (n = 8) présente une micro-encoche dont l'ouverture est inférieure ou égale à 5 mm et une longueur inférieure ou égale à 2 mm sur des tranchants relativement aigus (< 30°) (fig. 9, n° 1, 3 et 4). Ces pseudo-encoches peuvent être produites par différents phénomènes non anthropiques tels que le piétinement, le concassage ou encore la chute de blocs d'effondrement. Un autre type bien représenté (n = 5) regroupe les pseudo-encoches confectionnées par un négatif de type ‚ ß1 (Prost, 1989 et 1993) ou caractéristique d'une flexion (fig. 9, n° 2 et 8). Les deux dernières pseudo-encoches de type clactonien ne sont en fait que des négatifs d'enlèvements dont la faible profondeur ne permet pas leur rattachement au groupe des encoches. En ce qui concerne le groupe des pseudo-encoches retouchées (n = 21), nous pouvons les subdiviser en quatre groupes : groupe 1 : l'ouverture de l'encoche est inférieure ou égale à 5 mm et leur support présente un tranchant aigu (< 30°) à l'endroit où a été produite l'encoche (n = 9) (fig. 9, n° 5) et deux d'entre elles présentent des enlèvements courts et abrupts à l'intérieur d'un enlèvement de type ‚ ß1 (fracture probable); groupe 2 : elles sont peu profondes et présentent des esquillements alternants sur un tranchant dont l'angle est rarement supérieur à 30 ° (n = 4); groupe 3 : la retouche est irrégulière, souvent peu étendue (n = 1), de morphologie ouverte mais peu profonde et sans aspérité au sein de l'encoche (n = 3), caractéristiques qui suggèrent des encoches a posteriori (action de translation transversale sur support dur) (fig. 9, n° 10); groupe 4 : la retouche est irrégulière, l'angle du tranchant est aigu mais la présence d'aspérités au sein des encoches suggère une origine liée à un concassage (n = 4) (fig.10; n° 6 et 11). En ce qui concerne les pseudo-encoches probables (n = 3 + 2), le caractère naturel ou accidentel semble moins évident, mais elles apparaissent peu typiques : rasantes et peu concaves pour deux encoches simples, suggérant davantage un enlèvement par flexion pour la troisième et une retouche irrégulière parfois alternante sur des tranchants très aigus pour les deux encoches comptabilisées comme retouchées. Les critères dominants retenus pour distinguer les pseudo-denticulés et les pseudo-denticulés probables (n = 13 + 6) sont de plusieurs ordres. Tout d'abord, le manque de régularité des encoches est quasiment présent sur l'ensemble des pseudo-denticulés, la discontinuité de la retouche associée parfois à la présence d'autres négatifs alternants sur le tranchant, au caractère parfois très abrupt et irrégulier des négatifs d'enlèvements (enlèvements α et ß1) et à un tranchant relativement aigu. Nous pouvons ainsi subdiviser les pseudo-denticulés en 2 groupes : groupe 1 : retouche irrégulière (n = 10 + 3 pseudo probable, fig. 10, n° 3), parfois discontinue (n = 4, fig. 10, n° 2), alternante (n = 2 fig. 9 n° 9), discontinue et alternante (n = 2,) associé à une double patine (n = 2, fig. 10, n° 1). Plus que le caractère anthropique de la retouche, c'est ici l'attribution typologique de certaines de ces pièces à des denticulés qui est remis en cause; groupe 2 : les caractéristiques des négatifs rappellent celles des cassures de type ß1 ou de concassage (α 1) (n = 3 + 3) parfois associé à une retouche discontinue (n = 2) ou alternante (n = 2) et pour l'un d'entre eux à la fois discontinue et alternante (fig. 10, n° 4). Certains des outils dits “composites” et notamment ceux qui présentaient une encoche associée à un racloir ont été rattachés au groupe des racloirs simples. Si nous considérons les supports des principaux outils (pièces encochées et racloirs) considérés comme anthropiques, nous pouvons constater que d'un point de vue technologique et quelle que soit la catégorie typologique des outils, ce sont les éclats ordinaires qui ont été principalement utilisés pour la confection des pièces encochées et des racloirs. Néanmoins, en ce qui concerne les denticulés il semblerait que les supports à dos (de débitage ou corticaux) aient été légèrement privilégiés par rapport aux éclats ordinaires (n = 14) (tabl. 5). D'un point de vue typologique, les encoches sont généralement retouchées (n = 17, fig. 11, n° 2 et 3), plus rarement clactoniennes (n = 9, fig. 11, n° 1) ou mixtes (n = 4). Les denticulés se subdivisent équitablement entre denticulés à macrodenticulations et denticulés à microdenticulations (n = 14 et 14). Ces derniers sont confectionnés par de petits enlèvements de retouche qui créent des microdenticulations (fig. 11, n° 5 et 7). Les autres denticulés ont été produits par de grandes encoches simples (n = 7), retouchées (n = 6) ou mixtes (n = 1) créant des denticulés à macrodenticulation (fig. 11 n° 4) et moyenne denticulation (fig. 11, n° 6). Certains d'entre eux sont cependant peu typiques (fig. 11, n° 9) ou tendant vers le bec (fig. 11, n° 8). D'une manière générale, mis à part un petit nombre de denticulés, cette industrie ne présente pas un nombre important d'outils encochés typiques tels que ceux que l'on retrouve au sein d'autres séries lithiques rattachées au Moustérien à denticulés comme celles de Mauran (Farizy et al. 1994), de La Borde (Jaubert et al. 1990), de l'Hyène couche VIb1 (Girard 1978, Thiébaut en cours), du Bison couche G (David et al. 2002) et qui dépassent très nettement le groupe des racloirs. En effet, que ce soit à Mauran ou La Borde, les denticulés forment un groupe important, typique, très diversifié et cela, quelle que soit la matière première utilisée. Si nous nous référons aux pièces encochées de Mauran, trois observations doivent être retenues : la prédominance des denticulés et des encoches (n = 70) sur les racloirs (n = 21); la nette prédominance des encoches clactoniennes (fig. 12, n° 2, 8 et 10) sur les encoches retouchées (n = 19 et 1, fig. 12 n° 4); la grande diversité des denticulés : présence de denticulés à macrodenticulation (fig. 12, n° 3, 6, 11, 12 et 1 3), de denticulés à moyenne-denticulation (fig. 12, n° 5, 7 et 9) et de denticulés à microdenticulation (fig. 12, n° 1). Au sein de la série de La Borde, bien que les racloirs représentent 23, 2 % de l'ensemble des outils retouchés (n = 81), certains d'entre eux présentent une retouche proche d'une denticulation (comme le remarque J. Jaubert, (Jaubert et al. 1990; p. 83 et 91 et fig. 45 n° 3, 4, 5, 6 et 7 et fig. 62, n° 1 et 2). De plus, le groupe des pièces encochées reste nettement dominant (n = 156) puisqu'il représente 46 % des outils retouchés. Là encore les encoches clactoniennes semblent plus fréquentes (Jaubert et al. 1990, fig. 13, n° 1 à 3) et les denticulés sont très diversifiés : denticulés à macro-encoches (fig. 13, n° 7, 8, 9 et 10) denticulés à moyennes encoches (fig. 12 n° 4 et 6) et denticulés à micro-encoches (fig. 13, n° 5). En comptabilisant certaines pièces comme pseudo-pièces encochées, au sein de l'industrie de la couche III du Roc de Marsal, nous remarquons que le groupe des racloirs équivaut ou domine celui des encoches et des denticulés réunis. Cette industrie ne correspond alors plus, en terme statistique, à ce que F. Bordes appelle le Moustérien à denticulés. Nous pouvons aussi remarquer qu'au-delà de la prédominance de la classe des racloirs, ces derniers ne correspondent pas à ce que l'on peut appeler “des racloirs frustes ”. En effet, la retouche est régulière et rasante, jamais alternante, majoritairement continue et totale sur tout le tranchant (fig. 14). Mais peut-être que la bonne ou mauvaise facture des racloirs ne correspond pas véritablement à une caractéristique discriminante lors de l'attribution d'une industrie lithique au Moustérien à denticulés. Nous pouvons donc contester l'attribution de la série de la couche III du Roc de Marsal au Moustérien à denticulés et nous interroger sur celle de l'industrie lithique de la couche II dont certaines pièces appartenant au groupe des outils encochés paraissent douteuses (fig. 15, n° 1, 2, 3, et 15) alors que les racloirs sont très bien représentés, avec un indice de 40 en décompte essentiel (Antignac, 1998). De plus, G. Antignac soulignait dès 1998 la présence éventuelle de pseudo-outils au sein de cette série (Antignac 1998; p. 32). Suite à ces différentes considérations, l'attribution de ces industries (couches III et II) au Moustérien typique paraît envisageable. Cependant l'attribution d'une industrie lithique à ce faciès paraît quelque peu réductrice; sa seule caractéristique étant un relatif équilibre entre les principaux groupes d'outils associée à l'absence ou la rareté de certains types d'outils (bifaces, couteaux à dos, racloirs Quina) (Bordes, 1984). Il est peut-être temps de se demander si chaque industrie moustérienne doit être obligatoirement rattachée à l'un des faciès définis par F. Bordes, quitte à masquer une certaine variabilité omniprésente au Paléolithique moyen. Nous rejoignons ici les conclusions de M. Otte selon lesquelles “Il faut sans doute (. ..) fuir les dogmes et les schémas rigides” (Otte 1996, p. 247) Au même titre que l'industrie lithique de la couche III du Roc de Marsal, certaines industries provenant des fouilles anciennes ont pu être attribuées au Moustérien à denticulés alors qu'une partie des “denticulés” n'était que le résultat de l'utilisation d'un tranchant brut ou de phénomènes naturels. Plusieurs auteurs ont déjà dénoncé l'attribution abusive de certains ensembles à ce faciès, et F. Bordes le premier. Nous pouvons citer l'exemple du site de Iabroud, couche 9, dans laquelle les denticulés représentent 30 % de l'outillage, mais “peut être que certains d'entre eux sont le produit d'une utilisation” (Bordes 1981, p. 84). Les industries du Pech de l'Azé II offrent aussi un bon exemple du risque d'erreurs que représente la présence de nombreux pseudo-outils au sein d'un ensemble lithique. En effet, certaines pièces, issues de la série “usée ”, qui présentaient une retouche inverse ou alterne très abrupte, furent classées en 1950 comme indiscutablement intentionnelles du fait “qu'on peut les regrouper en séries morphologiques” (Bordes et Bourgon 1950, p. 383). Cependant, en 1951, après l'étude d'un plus grand nombre de pièces, cette même industrie fut considérée comme le produit d'un phénomène de concassage et les auteurs qualifièrent les pièces retouchées de “pseudo-outils” (Bordes et Bourgon 1951b, p 522, Bordes 1961). La couche 38 de Combe-Grenal a aussi été attribuée au Moustérien à denticulés alors que “dans bien des cas, il est difficile de dire si les encoches sont volontaires ou si elles résultent d'enlèvements dus à l'utilisation du bord brut” (Turq 2000, p. 293). Une étude en cours sur l'industrie lithique de la couche IVb1 de la grotte de l'Hyène montre là encore que la forte proportion d'outils retouchés semble être liée en partie à la présence de nombreux pseudo-outils (Thiébaut en cours). Il apparaît donc délicat d'attribuer certaines séries à ce faciès sur la seule base d'un nombre important d'outils encochés, parfois relativement frustes. Peut-être qu'un réexamen de certaines séries anciennement rattachées au Moustérien à denticulés modifierait en partie la répartition géographique et chronologique de ce faciès. Il est encore trop tôt pour tenter une caractérisation définitive de ce faciès relativement complexe, mais il semblerait que d'un point de vue typologique, la bonne facture et la prédominance des pièces encochées apparaissent comme deux des caractéristiques décisives pour l'attribution d'une série lithique au Moustérien à denticulés (Thiébaut en cours). En effet, plus que des caractères quantitatifs trop rigides (racloirs entre 13 % et 3 %) ou qualitatifs négatifs (racloirs médiocres) qui risquent de soustraire à ce faciès des industries lithiques telles que celles des couches D de Sandougne et de l'abri Brouillaud (Geneste 1985), c'est avant tout la régularité et la diversité des pièces encochées, associées à leur prédominance sur l'ensemble des outils, qui devrait prévaloir lors de l'attribution d'une série à ce faciès. L'étude en cours de plusieurs industries attribuées au Moustérien à denticulés nous permettra peut-être si ce n'est de le caractériser, du moins de mettre en évidence l'existence d'une variabilité technologique et socio-économique du Moustérien à denticulés .
L'industrie de la couche III du Roc de Marsal a été attribuée au Moustérien à denticulés. Un réexamen de l'outillage nous a permis de mettre en évidence la présence de pseudo-outils encochés au sein decet assemblage. Cette révision a eu pour conséquence une nette diminution de la proportion du groupe des denticulés. Au-delà du problème de l'attribution de certaines industries altérées par des agents naturels ou des actions accidentelles au Moustérien à denticulés, nous nous interrogeons sur la pertinence des caractéristiques uniquement typologiques de ce faciès et, par delà, sur le rattachement systématique d'une industrie à l'un des faciès décrits par F. Bordes.
archeologie_525-06-10678_tei_269.xml
termith-70-archeologie
Le projet de construction de la Ligne à Grande Vitesse Rhin-Rhône et de l'aménagement de ses zones annexes a nécessité la mise en place d'une campagne de diagnostics archéologiques réalisée par l'INRAP. Une des zones annexes (zone D15), située au sud de la future ligne, sur la commune de Saint-Ferjeux (Haute-Saône), et diagnostiquée du 10 au 24 octobre 2005, a livré un ensemble de trois fosses, dont deux évoquent des sépultures. La commune de Saint-Ferjeux, dans le département de la Haute-Saône, se situe à environ trente kilomètres au sud-est de Vesoul. Ce secteur n'a livré jusqu'ici aucun témoin d'occupation protohistorique. La zone diagnostiquée (fig. 1), située au nord du village, se divise en deux secteurs. Cette présentation concerne la parcelle établie au lieu-dit « La Canotte » qui englobe une superficie d'environ treize hectares. Cent quatre-vingt-cinq sondages ont été réalisés et un seul s'est révélé positif. Le terrain diagnostiqué occupe le replat d'une butte qui accuse une pente naturelle vers le nord (dénivelé d'environ seize mètres), en direction d'un vallon où sillonne un ruisseau d'est en ouest. Sous la terre végétale (épaisse d'environ 0,30 m), les sondages les plus hauts et situés au sud de la zone ont montré une strate d'argile limoneuse d'altération contenant des cailloux siliceux et gréseux. Celle -ci varie de 0,10 m à 1,50 m d'épaisseur et repose sur des marnes. Dans les autres sondages, ce niveau marneux se situe immédiatement sous la terre arable (à 0,30 m de profondeur), témoignant d'une érosion mécanique importante le long des pentes. Les dépôts correspondant se retrouvent rarement dans les tranchées situées au nord de la parcelle. Dans les quelques sondages ayant montré des colluvions, ce dernières varient de 0,10 m à 1,00 m d'épaisseur et semblent localisées dans des dépressions récentes. De même, les travaux de diagnostic de la Ligne à Grande Vitesse (située dans le vallon) n'ont révélé que quelques rares colluvionts limono-argileuses peu épaisses (de 0,10 à 0,40 m). Cependant, les niveaux les plus bas du vallon n'ont pas été sondés et pourraient éventuellement correspondre à de tels dépôts. Trois fosses ont été mises au jour dans le sondage K429 (section ZB, parcelle 18), situé en rupture de pente (fig. 2). L'altitude moyenne est de 307,65 m. Les structures sont apparues à 0,50 m de profondeur sous un faible colluvionnement limono-argileux brun de 0,20 m d'épaisseur. Elles sont creusées dans la strate argilo-limoneuse orange rouille, épaisse de 0,10 à 0,20 m et reposant sur la marne. Le fond des fosses effleure également ce niveau. Il apparaît évident que le terrain a subi une érosion importante et que la partie supérieure des structures a été emportée. Cette première fosse est de forme sub-rectangulaire, aux angles arrondis (fig. 3). Ses bords sont incurvés et le fond est relativement plat. Elle est approximativement orientée sud-ouest/nord-est. Elle mesure 1,56 m de long sur 0,70 m de large et sa profondeur conservée est de 0,12 à 0,16 m. Son remplissage est constitué d'un limon argileux granuleux brun gris, contenant de nombreux charbons de bois. Elle a livré du mobilier ferreux et céramique. La fosse 1 de Saint-Ferjeux a livré quatre pièces d'armement celtiques en fer, ainsi que trois objets indéterminés. Ces objets étaient fragmentés et entremêlés dans le quart nord-est de la fosse. Les objets indéterminés pèsent respectivement 42 g (fig. 4, n° 1), 57 g (fig. 4, n° 2) et 60 g (fig. 4, n° 3). Il s'agit de pièces ferreuses tubulaires avec de nombreuses concrétions organiques et minérales qui les rendent totalement illisibles sans le recours à des radiographies. On peut toutefois remarquer qu'un fragment d'anneau est aggloméré sur l'objet n° 1 (fig. 4, n° 1). Les interprétations possibles pour ces trois artéfacts sont nombreuses, mais deux semblent plus vraisemblables. Il peut s'agir d'éléments de la poignée de l'épée, ou d'un ceinturon enroulé, ce qui expliquerait la présence de l'anneau. Toutefois, dans l'attente des radiographies, il est impossible de conclure. L'objet le plus caractéristique mis au jour est une épée encore glissée dans son fourreau (fig. 4, n° 4), découverte en quatre morceaux entrecroisés. Il manque la soie de l'arme et l'extrémité distale de la bouterolle du fourreau. L'épée mesure 89 cm de long pour une largeur de 5 cm; la lame seule mesure 85 cm de long. Elle est à tranchants parallèles et de section lenticulaire à bords convexes d'une épaisseur d'environ 6 à 7 mm. Il s'agit donc d'une épée massive et lourde, même si nous ne pouvons pas donner son poids réel, à cause du fourreau qui la recouvre. Nous pouvons tout de même l'estimer à plus de 800 grammes, l'ensemble pesant plus de 1 kilogramme. L'extrémité distale de la lame étant cachée par le fourreau, il est impossible d'en déterminer la forme avec précision; il semble qu'elle soit arrondie. Le fourreau est constitué de deux tôles en fer, l'avers étant replié sur le revers. À son extrémité, il est renforcé par une bouterolle longue (22 cm conservés) à bords parallèles. L'extrémité distale de la bouterolle ainsi que le système d'entrée et de suspension du fourreau ne sont pas conservés. L'extrémité sommitale de cette bouterolle présente sur la face avers du fourreau deux boutons de serrage situés en contrebas de son extrémité et se termine côté revers par une frette. Cet objet est comparable au type 7A1 défini par Th. Lejars (Lejars, 1994) à partir du mobilier du sanctuaire de Gournay-sur-Aronde (Oise). Ces types de fourreau et d'épée sont caractéristiques de la période de transition entre La Tène C2 et La Tène D1, soit du milieu du II e siècle av. J.-C. Les autres pièces d'armement de cette fosse sont deux éléments d'une arme d'hast, son fer et son talon. Ce dernier est une douille conique (fig. 4, n° 6) qui pèse 23 g et mesure 4,7 cm de long, pour un diamètre d'ouverture de 1,4 cm. L'épaisseur de la tôle est de 3 mm. Le fer (fig. 4, n° 5) a une longueur totale de 39,5 cm pour un poids de 263 g. Son empennage a une longueur de 30,5 cm et une largeur maximale de flamme estimée entre 9 et 10 cm. L'épaisseur du bourrelet central de l'empennage est de 1 cm. La douille quant à elle mesure 9 cm de long, pour un diamètre d'ouverture de 1,5 cm. Ce fer est d'un type dit « classique », à nervure médiane, comparable au type I de A. Rapin, défini à partir du mobilier du sanctuaire de Gournay-sur-Aronde (Rapin, 1988). D'un point de vue chronologique, ce type d'arme connaît une très grande stabilité morphologique et se retrouve communément pendant toute la période laténienne. Sa présence aux côtés d'une épée du milieu du II e siècle av. J.-C. est donc cohérente. Tous les objets de cet ensemble présentent des stigmates caractéristiques d'un passage au feu et des éléments de charbon prisonniers de l'oxydation. Notons qu'aucune pièce n'est complète. Il est fort possible que les objets aient été ramassés sur un foyer où ils ont brûlé et se soient fragmentés avant d' être déposés dans la fosse. Malgré l'absence d'ossements accompagnant ces armes, il est probable qu'il s'agisse des vestiges d'une incinération laténienne. Les ensembles similaires franc-comtois, de la même période, sont plus que rares. Il est seulement possible de rapprocher l'épée de celle de Blussangeaux (Tchirakadzé, 1995; Pierson, 1998; Joan, 2003), provenant d'une nécropole découverte anciennement, et du fourreau du sanctuaire de Mandeure, « Clos du Château » (Pierson, 1998; Bataille, 2004) qui appartient à la même phase chronologique. Les panoplies de guerriers celtiques de la fin de La Tène C2, début de La Tène D1 manquent cruellement en Franche-Comté. La découverte de Saint-Ferjeux prend donc toute son importance dans ce contexte. La céramique provient exclusivement de la fosse 1. Le lot comprend 99 fragments de terre cuite d'aspect brûlé pour certains et non brûlé pour d'autres. Le répertoire des formes illustre essentiellement des vases à liquide. L'analyse des fragments permet d'identifier au moins deux formes hautes. La première forme se caractérise par quatre fragments de bord appartenant à un vase tonnelet. Ces éléments étant brûlés, il n'est pas possible de préciser s'il s'agit d'une céramique tournée à pâte fine et surface sombre (TFS) ou d'une céramique tournée à pâte fine et surface claire (TFC). Quatre fragments non brûlés d'un pied à petit anneau porteur et fond légèrement soulevé permettent d'identifier un pot ou un vase bouteille en céramique tournée à pâte fine et surfaces sombres fumigées (NPR : céramique noire à pâte rouge, extérieur lissé). Vingt-sept fragments de panse sont également à pâte rouge et surfaces noires et peuvent appartenir au même vase, sans certitude. Les autres fragments brûlés n'ont pu être identifiés avec précision. Il s'agit de céramique à pâte fine tournée comprenant 60 fragments de panse et quatre fragments de fond. Certains fragments de panses appartiennent de façon évidente à un type de bouteille à panse élancée. Il peut s'agir du vase décrit précédemment, ou d'un autre. Au total, on se trouve donc en présence de trois ou quatre individus, illustrant des formes caractéristiques du répertoire de la vaisselle de présentation ou de consommation des liquides, de la fin de l' Âge du Fer. Les types représentés ici se retrouvent dans les nécropoles de Mathay (Doubs; Barral, 1996), Vignolles (Côte-d'Or; Chevillot et alii, 1993) ou encore Lausanne-Vidy (Canton de Vaud, Suisse; Kaenel, Crotti, 1992). Ces comparaisons renvoient à la période LT C2-D1, sans qu'il soit possible d' être plus précis. Cette céramique, très fragmentée et en majorité brûlée, provient selon toute vraisemblance du bûcher funéraire, où elle accompagnait le défunt. La faiblesse du lot suggère une éventuelle sélection (pars pro toto). L'aspect des tessons, brûlés ou non brûlés, peut correspondre simplement à l'emplacement des récipients sur le bûcher (Lambot et alii, 1994, p. 250 sq.). Cette fosse ovalaire est orientée est/ouest (fig. 3) et mesure 0,34 m sur 0,40 m. Ses bords sont droits ou obliques et son fond est irrégulier, plat du nord au sud et oblique d'ouest en est. Sa profondeur conservée varie de 0,06 m à l'ouest à 0,12 m au centre et à l'est. Son remplissage est constitué d'un limon argileux brun gris et quelques charbons de bois. Elle a livré des ossements brûlés et du mobilier ferreux agglomérés (fig. 5). L'ensemble métallique de cette fosse est composé de fragments d'objets en fer très dégradés par leur passage au feu et leur enfouissement. Cet ensemble se compose majoritairement de vestiges de clous de menuiserie, soit 41 fragments de tiges pesant 122 g au total et six têtes hémisphériques pleines (fig. 6, n os 2 à 5) qui représentent un poids de 36 g. On dénombre également une trentaine de petits fragments de fer indéterminables pesant 25 g. Le seul objet datant de cette structure est un fragment de ressort de fibule en fer à deux fois trois spires et à corde externe, de 16 g. Par son aspect, cet objet suppose plutôt une appartenance chronologique à La Tène C2, bien que ce type de ressort puisse encore se retrouver au début de La Tène D1. Mais en absence d'élément de l'arc, il est impossible d' être plus précis. Les traces de passage au feu et les petits charbons prisonniers des oxydes, ainsi que leur position, mêlés aux ossements, permettent de supposer que ces objets ont été ramassés sur le bûcher funéraire en même temps que les ossements humains. Il est probable que la fibule est celle que portait le défunt lors de sa crémation. Les clous, quant à eux, peuvent avoir appartenu à différents types d'objets. Leurs têtes hémisphériques pleines sont considérées comme des éléments de décoration. Ainsi ces objets peuvent renvoyer aux vestiges d'un coffre, d'un cercueil ou d'un brancard qui accompagnait le corps sur le bûcher. Dans tous les cas, ces clous sont la preuve qu'une construction en bois accompagnait le mort lors de son incinération. Parmi l'amas d'os incinérés, on trouve des fragments de crâne (1,3 g), une esquille de tibia (1,2 g) et des fragments indéterminés (8,5 g). On peut estimer approximativement les os brûlés pris dans la gangue ferreuse à environ 3 g, ce qui fait un total de 14 g d'os humains incinérés. Il est probable qu'ils ne représentent qu'une partie du dépôt osseux, le reste ayant pu être arasé. La quantité d'ossements retrouvés étant très faible, il est difficile de déterminer le nombre d'individus, le sexe ou l' âge précis du sujet incinéré. Toutefois, l'aspect de la corticale des os longs permet de spécifier que le défunt est un sujet immature de plus d'un an. Un fragment d'os de faune brûlé de 3,9 g est mêlé aux restes humains. Il semble que cet ossement soit le témoin d'une offrande primaire déposée sur le bûcher funéraire lors de la cérémonie de crémation, aux côtés du défunt. Cette troisième fosse est de forme ovalaire (fig. 3). Elle est approximativement orientée nord-ouest/sud-est. Elle mesure 0,53 m de long sur 0,40 m de large. Sa profondeur conservée varie de 0,10 m à 0,16 m. Elle est en cuvette et son fond est irrégulier. Son remplissage est constitué d'un limon argileux brun gris, de rares charbons de bois et de rares nodules de chaille. Elle n'a livré aucun mobilier ou indice datant. Le contexte de découverte de ces structures permet d'émettre deux hypothèses. La première est qu'il s'agit d'une seule fosse arasée dont il ne subsiste que les surcreusements et dans lesquels ont été retrouvés d'une part l'amas osseux mélangé aux éléments de parures et d'autre part les armes et la céramique. La seconde hypothèse est qu'il s'agit de trois fosses distinctes, la première contenant uniquement les armes et la céramique, la deuxième renfermant les os incinérés mêlés au reste du mobilier métallique et la troisième uniquement des charbons. Les différentes analyses suggèrent une seule structure. En effet, la correspondance chronologique des objets d'une fosse à l'autre, l'agencement de leur répartition, les stigmates de leur passage au feu et la présence de charbons de bois dans les trois fosses témoignent de la vocation funéraire d'une fosse unique. Ainsi, sommes -nous certainement en présence d'une sépulture à incinération de la transition La Tène C2 – La Tène D1. Ce seul ensemble amène à poser la question de son caractère résiduel. Sommes -nous devant une sépulture isolée ou une nécropole, dont il ne subsisterait qu'une seule tombe en raison de l'importante érosion du terrain ? Toutefois, en dépit du caractère fragmentaire de l'ensemble de Saint-Ferjeux, celui -ci prend toute son importance dans un contexte pauvre en découverte de sépulture à incinération, et de surcroît, de panoplies de guerriers de La Tène C2 et D1. Le très faible corpus d'ensembles similaires, complets et documentés, ne permet pas une approche synthétique. En effet, la seule comparaison documentée reste la sépulture du guerrier de Mathay (Pierson, 1998; Passard, Urlacher, 1995; Mougin et alii, 1994 a et b) datant de La Tène C2. Les compositions de ces deux dépôts funéraires à incinération n'ont en commun que la présence d'armes mutilées et de fibules. L'incinération de Mathay fournit une grande variété des types d'objets, dont une panoplie de guerrier complète (épée, fourreau, umbo de bouclier et fers de lances) tous découverts dans une seule fosse. En revanche, l'organisation du dépôt funéraire de Saint-Ferjeux est bien différente. D'abord, cette panoplie de guerrier se distingue par une absence de bouclier. Ensuite, l'analyse des mobiliers et des restes humains permet de restituer un ramassage sur le bûcher de l'incinération et quelques aspects des pratiques funéraires. L'individu a été incinéré avec un mobilier d'accompagnement varié (des fibules, des pièces d'armement, des dons alimentaires, un service à boire en céramique et un objet en bois indéterminé). Lors de la déposition, les vestiges sont triés : d'un côté, les objets de parure sont mêlés aux os incinérés, l'armement est placé dans une autre fosse avec les vestiges d'un service à boire. Ce tri n'apparaît pas dans la découverte de Mathay. Finalement, ces deux seuls ensembles d'incinérations de guerrier en Franche-Comté présentent surtout des différences, à la fois chronologiques et de pratiques. Ces différences de traitement sont-elles dues à une évolution des pratiques ou au statut des défunts ?
Cet article est une présentation d'une sépulture laténienne à incinération découverte récemment à Saint-Ferjeux (Haute-Saône), au cours d'un diagnostic archéologique. Le dépôt funéraire est constitué entre autres de restes osseux incinérés et d'objets d'accompagnement variés, datant de la fin de La Tène C2, tout début de La Tène Dl.
archeologie_08-0202259_tei_355.xml
termith-71-archeologie
Les découpages territoriaux ne sont pas évidents à l'heure de présenter des synthèses historiques (ou préhistoriques). Nous avons fait ici le choix de considérer les Pyrénées comme une vaste entité géographique, sans oublier pour autant que les régions qui les composent sont très différentes tant du point de vue géomorphologique que climatique (Collectif 2005; Cazals et al. 2007). Cette diversité devait déjà exister aux temps préhistoriques, à la différence près des conditions climatiques générales. L'axe montagnard qui les réunit est leur dénominateur commun : cette barrière infranchissable en contexte pléniglaciaire, sauf à ses deux extrémités, a nécessairement joué un rôle important dans l'appropriation de l'espace par les préhistoriques (dont les Gravettiens) et leurs déplacements. Nous proposons un balayage ouest-est (fig. 1), en commençant par l'ensemble des sites du Pays Basque ibérique, puis celui qui réunit ceux des Pyrénées atlantiques et centrales; nous terminerons notre panorama par les Pyrénées méditerranéennes dans leur partie septentrionale, notre collègue J.M. Fullola se chargeant, dans ce volume, de traiter du Gravettien de la Catalogne. La partie méridionale des Pyrénées centrales, correspondant à la rive gauche de la moyenne vallée de l' Èbre, n'a révélé jusqu' à présent qu'un seul site d'art pariétal : La Fuente del Trucho (Huesca), dont les mains négatives se rapportent vraisemblablement au Gravettien, mais qui n'a pas livré de dépôt stratigraphique correspondant (Utrilla 2000, 2002; Foucher 2004; Ripoll et al. 2005). Le découpage retenu tente de répondre à la fois à une cohérence géo-archéologique et à l'histoire de la recherche franco-espagnole, tout en gardant une approche synthétique. (fond de carte : F. Tessier) Les premières mentions de gisements gravettiens dans le Pays Basque de la Péninsule ibérique sont antérieures aux travaux de Peyrony et, par conséquent, se rapportent à “l'Aurignacien supérieur ”, nomenclature préconisée alors par Breuil (Arrizabalaga 1998a); cette dernière est adoptée par T. de Aranzadi et J.M. de Barandiarán, autant à Santimamiñe (Aranzadi et Barandiarán J.M. 1935) qu' à Bolinkoba (Barandiarán J.M. 1950), ainsi que dans diverses synthèses (Barandiarán J.M. 1934 et 1953), ce qui engendrera par la suite une certaine confusion. À partir des travaux effectués et publiés dans les années 1950, cette terminologie est généralement remplacée par des références au “Gravettien ”, le terme de “Périgordien supérieur” ou les diverses phases du Périgordien proposées par Sonneville-Bordes n'étant quasiment pas usités (Arrizabalaga et Iriarte 1995). En revanche, l'expression “Aurignacopérigordien” qu'elle soit orthographiée en séparant les deux termes (Barandiarán I. 1980) ou en un seul mot (Ruiz Idarraga 1990), est beaucoup plus présente dans les publications comme synonyme du Paléolithique supérieur initial. Par ailleurs, il faut mentionner la proposition de McCollough (1971) de l'existence du “Noaillien” dans la partie médiane de la Corniche cantabrique, culture à laquelle sont rattachés les gisements riches en burins de Noailles se distribuant d'Isturitz à Bolinkoba. Après les travaux déjà mentionnés à Santimamiñe et à Bolinkoba, ainsi que la brève opération effectuée à Usategi (Barandiarán J.M. 1977), il faut attendre les années 1980 pour que de nouvelles fouilles soient réalisées sur des gisements gravettiens. La fouille d'Amalda en premier lieu, suivie par les différents travaux de terrain menés à Aitzbitarte-III, Mugarduia-Sur, Legintxiki, Antoliñako Koba, Alkerdi et Irikaitz, ont permis d'étoffer significativement le registre de sites se rapportant au Gravettien. Ces derniers sites ont apporté chacun leur lot d'informations, comme une date 14 C à Alkerdi, la caractérisation de l'industrie lithique de Mugarduia-Sur, ainsi que celle de la faune récupérée à Legintxiki. Mais, à l'exception d'Amalda (Altuna, Baldeón et Mariezkurrena 1990), il manque encore des publications monographiques détaillées pour chacun de ces sites. Enfin, il faut souligner que la révision de tous les niveaux réputés comme étant gravettiens a abouti à une remise en question de l'attribution gravettienne de certains d'entre eux (niveau II de Lezetxiki et niveau V de Amalda). Le niveau II de Lezetxiki peut probablement être attribué à un Solutréen qui contient des burins de Noailles (Arrizabalaga et al. 2005). Quant au niveau V d'Amalda, une attribution au Protomagdalénien ou au Périgordien VII avait d'abord été avancée, mais il pourrait correspondre en réalité à un Solutréen avec très peu de pièces “caractéristiques” (Arrizabalaga 1995). La permanence de burins de Noailles en contexte solutréen, observée de manière récurrente dans divers gisements basques, vient d' être encore constatée lors de récentes fouilles à Antoliñako Koba (Aguirre 2000) et à Aitzbitarte-III (Altuna 2002). Si l'on établit une liste récapitulative des gisements ayant livré de manière certaine des niveaux gravettiens, dans la région basque au sud des Pyrénées, on peut comptabiliser huit sites : en Bizkaia, Santimamiñe (Aranzadi et Barandiarán J.M. 1935), Bolinkoba (Barandiarán J.M. 1954 et 1974) et Antoliñako Koba (Aguirre 2000); en Gipuzkoa, Amalda (Altuna, Baldeón et Mariezkurrena 1990), Usategi (Barandiarán J.M. 1977), Irikaitz (Arrizabalaga et Iriarte 2003) et Aitzbitarte-III (Altuna 1992b et 2002); en Alava, aucun site; en Navarra, on ne retiendra qu'Alkerdi (Barandiarán I. 1996 et 1997). Avec quelques hésitations, nous pourrions ajouter à cette liste le niveau II de Lezetxiki (Arrizabalaga 1995), quelques séries de Jaizkibel (Gipuzkoa), une série issue d'un site plein air de la région de Alava (Pelbarte, Sáenz de Buruaga 1996), les deux niveaux de Legintxiki (Nuin 1994) et de Mugarduia-Sur en Navarra (Barandiarán I. 1988a). À l'exception de Irikaitz, Mugarduia-Sur et Jaizkibel, tous ces gisements se situent en grottes ou abris, même si la portée de cette remarque doit être tempérée par la difficulté à découvrir des dépôts de plein air, en raison de l'épais couvert végétal de la région. Le cadre chronologique est bien documenté, notamment à partir de la série étoffée de dates 14 C de Aitzbitarte-III, complétée par celles d'Amalda, Alkerdi et Antoliñako Koba (fig. 2). D'un point de vue général, la première moitié du Gravettien, approximativement entre 27 000 et 24 000 BP, est bien représentée. En revanche, rares sont les dates se rapportant à la seconde moitié, entre 24 000 et 20 500 BP; ce fait pourrait trouver son origine dans l'hypertrophie du Gravettien, entraînée par le « vieillissement » des dates de la première partie du Paléolithique supérieur. On remarquera le recouvrement chronologique d'un millénaire, entre 28 000 et 27 000, avec l'Aurignacien évolué (cf. Barandiarán I., Fortea et Hoyos 1996), ainsi que la relative confusion entre la fin du Gravettien et le début du Solutréen (bien visible dans le niveau V de Amalda). Dans ce contexte, les diverses phases du Périgordien proposées par Sonneville-Bordes, notamment celles postérieures au Périgordien Vc à burins de Noailles, compliquent le cadre chronostratigraphique. Du point de vue de la culture matérielle, les burins de Noailles caractérisent les séries lithiques (à l'exception de Mugarduia-Sur), qu'ils apparaissent en petit ou en grand nombre (on décompte plusieurs milliers de ces pièces à Aitzbitarte-III). Si on considère toujours le cas de Mugarduia-Sur comme une exception, il n'existerait pas ici d'autre faciès gravettien comme, par exemple, celui à nombreux éléments à dos abattu et sans burins de Noailles, présent à Cueva Morín, dans la région voisine de Cantabria. Nous ne savons pas si ce contexte archéologique peut correspondre à une phase plus évoluée (ou antérieure) du Gravettien, mais il est certain qu'il n'existe pas de niveau géochronologique s'y référant. Dans tous les cas, les éléments à dos abattu (en particulier les pointes à dos dont certaines sont d'authentiques pointes de La Gravette) constituent le second trait typologique significatif de ces ensembles lithiques gravettiens (fig. 3). Quant à l'industrie osseuse, les sagaies d'Isturitz sont présentes (Usategi, Bolinkoba, Aitzbitarte-III), même dans des séries très pauvres comme à Usategi. Elles représentent, de loin, l'élément le plus caractéristique, le reste de l'industrie osseuse étant peu diversifiée dans les Pyrénées méridionales et cela jusqu'au Solutréen moyen. Nous ne disposons pas, pour le moment, de datations directes d'ensembles pariétaux conformes à la chronologie gravettienne. Cependant, les gravures profondes de la grotte de Venta Laperra et les peintures tamponnées de celle d'Arenaza, toutes deux situées en Bizkaia, ont été rapportées au Gravetto-Solutréen selon des critères stylistiques (Barandiarán I. 1988b). Il n'existe pas non plus d'exemples remarquables d'art mobilier, si ce n'est les biseaux incisés des sagaies d'Isturitz, certains éléments de parure (croches de Cervidés, coquilles de Littorina et de Nassa) ainsi que des os, généralement d'oiseaux, gravés d'incisions (en série ou non). Les stratégies d'exploitation des ressources naturelles dans le Gravettien basque péninsulaire commencent à être bien connues (Altuna 1990; Castaños 1986; Yravedra s.p.). On observe un degré de spécialisation relativement poussé dans la gestion des ressources animales bien que celle -ci ne se centre pas toujours sur la même espèce. La chasse intensive au Bouquetin et au Chamois (Isard) est pratiquée dans des environnements rocheux, comme à Bolinkoba ou à Amalda, alors qu' à Aitzbitarte-III les données récentes de la fouille semblent indiquer une préférence pour les grands Bovinés, et à Santimamiñe, c'est plutôt le Cerf. L'exploitation des ressources piscicoles a été mise en évidence à Amalda (salmonidés). Les études sur les stratégies d'acquisition en matières lithiques, où domine le silex (Arrizabalaga 1998b), révèlent des pratiques beaucoup plus standardisées. Au Gravettien, les trois principaux gîtes basques (Urbasa, Treviño et Flysh littoral) sont déjà connus et exploités systématiquement, bien que les ressources proches des sites archéologiques restent dominantes (Tarriño 2001 et 2003). Les données préliminaires sur le site de Irikaitz indiquent une présence marginale de silex nord-pyrénéens, notamment en provenance de Chalosse, et l'existence de quelques éclats de silex de type bergeracois est accréditée à Antoliñako Koba. En conclusion, dans l'attente de la publication de nouvelles données relatives aux fouilles en cours, notre information sur le paléoenvironnement reste encore très limitée. L'interprétation écologique induite par l'archéozoologie présente une vision ambivalente (Altuna 1992a) et nous ne disposons pas d'autres études sédimentologiques et palynologiques que celles d'Amalda (Areso et al. 1990; Dupré 1990). Cependant, sur ce dernier site, les données s'accordent parfaitement pour souligner un épisode froid dans la séquence du niveau VI et une notable amélioration dans le niveau sus-jacent V (avec les réserves que nous avons déjà émises à propos de la filiation de ce dernier niveau). En général, les données paléoenvironnementales relatives au Gravettien basque péninsulaire indiquent une prédominance du froid. L'historiographie du Gravettien pyrénéen connaît ses premiers faits marquants à la fin du XIX e siècle et durant la première moitié du XX e siècle, lors des découvertes et des fouilles des sites désormais célèbres de Brassempouy (Landes), Gargas (Hautes-Pyrénées) et Isturitz (Pyrénées atlantiques). A ces sites majeurs, il faut ajouter la grotte de Tarté (Haute-Garonne), malheureusement trop tôt fouillée, voire même pillée, dont on retiendra les deux niveaux gravettiens partiellement fouillés par E. Cartailhac et publiés par J. Bouyssonie (1939), les seuls ayant fait l'objet d'un traitement scientifique. Pour la grotte du Pape à Brassempouy, on doit à H. Delporte (1968) d'avoir dénoué une partie de l'écheveau des données de E. Piette; on peut ainsi retenir que le remplissage originel de l'Avenue et de la Grande Galerie devait receler deux niveaux gravettiens : la « couche des statuettes » et celle « au-dessus des statuettes et à grandes lames ». À Gargas, l'ensemble gravettien (niveaux 6 et 5 : « Aurignacien supérieur ») a été caractérisé par E. Cartailhac et H. Breuil lors de leur fouille dans la salle principale (Salle I) en 1911 et 1913. Leurs travaux fourniront la première séquence stratigraphique de référence pour le site, ainsi que les éléments pour la datation relative de son art pariétal, mais l'importance de cet habitat, situé à proximité des mains peintes, ne semble pas avoir particulièrement retenu l'attention des chercheurs par la suite, en raison peut-être de sa publication très tardive (Breuil, Cheynier 1958). La grotte d'Isturitz a livré deux ensembles gravettiens dans la Salle Nord, bien caractérisés tant par E. Passemard (FIII et C; 1944) que par R. de Saint-Périer (Ist. IV et Ist. III; 1952). Le niveau supérieur Ist. III avait été attribué au Gravettien final par R. de Saint-Périer (« Aurignacien final ») mais le matériel lithique, dans sa composition typologique, n'indique pas vraiment une évolution chronologique (Foucher 2004), à l'exception peut-être des pointes de La Gravette qui présentent quelques changements formels (Simonet 2005). En revanche, quelques éléments intrusifs de la couche supérieure (solutréenne) ont pu être repérés. À partir des années 1950, les études sur le Gravettien pâtissent du très faible nombre de fouilles se rapportant aux gisements de cette période. On ne compte plus que la fouille de G. Laplace sur le site de Gatzarria, de 1961 à 1976, où un niveau à burins de Noailles est mis en évidence (Sáenz de Buruaga 1995). La seule publication parue au cours de cette période est celle de J. et J. Vézian relative au site de La Tuto de Camalhot, fouillé de 1927 à 1934 (Vézian 1966). Un nouveau regain d'intérêt pour le Gravettien pyrénéen se perçoit à la fin du XX e siècle. De nouvelles fouilles sont entreprises dans les différentes grottes de Brassempouy, d'abord sous la direction de H. Delporte et D. Buisson, à partir de 1981 (Delporte 1996; Buisson 1996), poursuivies ensuite par D. Gambier et F. Bon (2000, 2002). Ces derniers travaux ont mis en évidence un niveau gravettien à burins de Noailles, pointes de la Gravette et pointes à cran (Dartiguepeyrou 1995; Buisson 1996; Klaric 2003). Un nouveau gisement est aussi découvert dans un diverticule de la grotte d'Enlène (Enlène-EDG, Ariège), fouillé par J. Clottes et R. Bégouën de 1983 à 1990 (Clottes 1989; Foucher 2004). La collection d'Isturitz a fait l'objet de nouvelles synthèses universitaires (Mújika Alustiza 1991; Esparza San Juan 1995; Esparza San Juan, Mújika Alustiza 1996; Goutas 2004; Simonet 2005). Enfin, un programme de recherche, commencé en 1997, a permis une révision du registre documentaire gravettien (Foucher, San Juan 1998; 2004), l'élaboration d'une synthèse sur les industries lithiques des deux versants des Pyrénées (Foucher 2004), ainsi que la réalisation de sondages d'évaluation à La Carane-3 (Foucher, San Juan, Martin 2000) et à Gargas (Foucher, San Juan 2004; Foucher 2006; Foucher et al. 2008). Même si la quinzaine de dates 14 C disponibles est encore insuffisante (fig. 2) pour établir une séquence chrono-stratigraphique rigoureuse, quelques tendances commencent à apparaître. Un regroupement de dates entre 28 500 et 26 000 BP marquerait une phase ancienne. La phase moyenne (et récente) se situerait entre 25 000 et 23 000 BP, mais nous disposons de très peu de données fiables sur une éventuelle phase récente et sur la transition Gravettien / Solutréen dans la région. Tout comme dans le Pays Basque péninsulaire, on peut constater une grande homogénéité dans les industries lithiques gravettiennes des Pyrénées atlantiques et centrales; elles se caractérisent typologiquement par : les éléments à dos (pointes de La Gravette, des Vachons et microgravettes); les burins de Noailles; les pièces esquillées; l'absence des pointes de La Font-Robert, qui apparaissent paradoxalement bien plus à l'ouest, sur les sites de Irikaitz (Pais Vasco) Cueva Morín (Cantabria) et de La Viña (Asturias), ou dans l'arrière pays pyrénéen, vers le nord, à l'abri Les Battuts (Tarn). Ces groupes typologiques sont prépondérants dans les assemblages lithiques de tous les gisements (fig. 4 et 5); des variations statistiques peu significatives existent entre les sites, mais elles ne semblent pas indiquer une évolution diachronique; des facteurs autres que culturels (biais des calculs statistiques dans de nombreux cas, occasionnés par des tris sélectifs opérés par certains anciens fouilleurs) ainsi que l'existence de variabilités fonctionnelles (sites « spécialisés ») peuvent aussi bien les provoquer. En tout état de cause, les séries lithiques provenant de sites anciennement fouillés (Isturitz, Gargas, Tarté) et d'autres, fouillés récemment (Enlène), présentent de grandes similitudes, tant dans la structuration générale de leur outillage que dans les formes et techniques de façonnage de certaines pièces (pointes de La Gravette, burins de Noailles, pièces esquillées). Ceci est davantage marquant si l'on considère les variables forcément induites par l'hétérogénéité des occupations et les éventuelles différences fonctionnelles de ces gisements. D'un point de vue technologique, il n'est pas encore possible d'apporter des précisions d'ordre chrono-culturel ou d'envisager l'existence de « sous-faciès » (Simonet 2005 : 75). Il faut souligner qu'on ne retrouve pas dans les Pyrénées centrales et occidentales les autres cortèges industriels et procédés techniques définis dans le Périgord comme les fléchettes, les pointes de La Font-Robert, les procédés liés aux burins de Raysse, etc., considérés comme des marqueurs de courants chrono-culturels au sein du Gravettien. Le terme de « Noaillien » pourrait s'appliquer parfaitement aux ensembles pyrénéens. Bien que les dates 14 C suggèrent d'une part, l'émergence précoce de ce faciès (autour de 28 000 BP) et d'autre part, sa longue permanence dans ce secteur tout au long de la durée de la culture gravettienne, l'existence d'un Gravettien ancien comprenant seulement des pointes de La Gravette et/ou des microgravettes n'est pas non plus à écarter. L'économie des matières siliceuses se fonde sur une exploitation légèrement prédominante des ressources locales (silex des Petites Pyrénées), de l'ordre de 55-60 % des supports d'outils. Néanmoins, la part des silex allochtones est encore importante, puisqu'elle représente 25-30 % de l'outillage (le reste est d'origine indéterminée). Les principaux gîtes de provenance du silex sont : la Chalosse/Audignon et le Flysch (dont Hibarette) pour la partie ouest de la chaîne pyrénéenne; les Corbières maritimes à l'Est et le Périgord (Bergeracois, Gris-Noir du Sénonien, Jaspéroïdes de l'Infralias) au Nord. Ces horizons géographiques évoquent des distances de transport de plus de 250 km pour les plus éloignés. Leur pourcentage varie selon la localisation géographique des sites d'habitat (fig. 6, 7). L'exemple le plus démonstratif concerne les silex orientaux (Corbières maritimes); ceux -ci n'apparaissent que dans les sites les plus à l'Est de la chaîne pyrénéenne (La Carane-3, La Tuto de Camalhot). Les matières ont été apportées sous forme de supports déjà débités, voire retouchés, ou de nucléus mis en forme ou en cours de débitage. Sur le site de Gargas, où toutes les matières premières peuvent être considérées comme allochtones (fig. 8), on constate un équilibre entre la part des silex des Petites Pyrénées (35 %) et les silex de l'Ouest (Flysch/Hibarette : 19 %, Chalosse/Audignon 6 : 18 %). Les silex du Nord viennent en complément, à hauteur de 10 % (Gris-noir du Sénonien, Bergeracois, Fumélois-Gavaudun). Les objets fabriqués en matières dures d'origine animale trouvés dans les gisements gravettiens pyrénéens appartiennent à quatre catégories typo-fonctionnelles : les armatures de chasse, l'outillage domestique, la parure et l'art mobilier. Les matières premières utilisées sont principalement les bois de cervidés (surtout le Cerf et le Renne, mais aussi quelquefois le Mégacéros) et les os, en particulier les côtes, les diaphyses et métapodes des grands et moyens herbivores, les os longs de différents oiseaux, rongeurs et carnivores, les dents de bovidés, cervidés et les canines d'Ours et Lion des cavernes, de Renard et de Loup, ainsi que l'ivoire de Mammouth. Les coquillages marins et quelques fossiles ont été employés pour la confection d'objets de parure (colliers et pendeloques). Différentes techniques pour l'obtention des supports ont été attestées au cours d'études récentes menées sur les séries d'outillage osseux de Gargas, des Rideaux, de La Tuto de Camalhot et d'Isturitz (San Juan-Foucher 2004, 2005; San Juan-Foucher, Vercoutère 2005; Goutas 2003, 2004). Le débitage des supports en os se fait généralement par tronçonnage suivi de rainurage ou d'abrasion/raclage (p. ex. pour la bipartition des côtes utilisées pour les lissoirs) ou selon un schéma de partitions successives (employé sur les métapodes transformés en poinçons ou épingles). Très souvent, les objets sont fabriqués à partir d'os dont la morphologie particulière constitue une sorte de « préforme » (corps de côtes pour les « pioches », métapodes vestigiels de Cheval et de Renne pour les poinçons, épingles et pendeloques). Pour les pièces d'industrie osseuse peu élaborées, comme les poinçons sur esquille ou les « retouchoirs », le débitage des supports se fait par simple fracturation des diaphyses, suivi d'un façonnage sommaire de la pointe ou de l'utilisation directe des éclats choisis. Le travail de transformation des bois de cervidés, dont l'acquisition provient autant de la chasse que de la collecte, comprend une première phase d'élagage de la perche au cours de laquelle les andouillers sont dégagés par percussion directe ou par entaillage et flexion (quoique dans certains cas on a pris soin d'utiliser le rainurage bifacial). Les baguettes qui serviront de supports aux outils et armatures sont obtenues soit directement sur la perche, soit sur des sections de perche préalablement tronçonnées, débitées ensuite par double rainurage ou par bipartition. Toutes les données fournies par les différents aspects de ces études indiquent une gestion bien réfléchie de l'économie des ressources animales non alimentaires, en particulier des matières utilisées pour l'équipement de chasse et les outils de base les plus solides (bâtons percés, ciseaux…), alors que les outils courants peu façonnés et facilement remplaçables, sont réalisés à partir de supports prélevés sur les carcasses, au hasard de la chasse. D'un point de vue typologique, l'équipement osseux des gravettiens pyrénéens se caractérise par un objet emblématique, la « sagaie d'Isturitz » (fig. 9 et 10). Considéré par D. de Sonneville-Bordes (1971, 1972, 1988) comme « fossile directeur osseux » du Périgordien à burins de Noailles, sa diffusion comprend une vaste zone incluant l'Aquitaine, les Pyrénées centrales, et les deux versants des Pyrénées atlantiques. Dans le cadre territorial de cette synthèse, cette pièce est représentée surtout dans le gisement éponyme (la série d'Isturitz compte 179 pièces recensées, toutes collections confondues), mais plusieurs exemplaires ont été répertoriés dans des niveaux gravettiens d'autres sites : Gargas (6), Les Rideaux (5), Téoulé (2), Les Battuts (10). Elle a été toujours définie comme une pointe de projectile (Saint-Périer 1949; Movius 1973), mais les dernières recherches tendent à montrer qu'il pourrait s'agir d'un ensemble de différents outils et armatures, partageant un aménagement similaire d'extrémité proximale appointée, avec des versions alternatives qui combinent des biseaux, incisions et encoches (San Juan-Foucher, Vercoutère 2005; Goutas 2004). Un autre type d'outil osseux caractéristique de cet horizon chronologique dans les Pyrénées est une variante de ce que A. Leroi-Gourhan (1963) avait appelé les « pioches en côtes d'herbivores ». Il s'agit d'une série de tronçons de côtes de grands herbivores, (Bison à la Tuto de Camalhot, grand Boviné – Bison ou Aurochs – à Gargas, alors que les nombreux exemplaires d'Isturitz n'ont pas fait l'objet d'une détermination précise) qui présentent une extrémité active appointée et très usée, parfois esquillée, correspondant à la partie distale anatomique. Sur les deux faces de ces côtes, apparaissent gravées des séries d'incisions parallèles, longues et fines, organisées en groupes réguliers, parfois associés à d'autres séries d'incisions courtes et profondes sur les bords (fig. 11). Des côtes utilisées et incisées sont parfois présentes dans les gisements gravettiens et aurignaciens du sud-ouest français, mais l'ensemble pyrénéen est singulièrement homogène et leur degré de standardisation – alors qu'elles proviennent de gisements distants entre 120 et 230 Km – nous autorise à les considérer comme une sorte de « marqueur » culturel. Outre ces deux types particuliers, le cortège commun des séries osseuses gravettiennes comprend une grande variété de pointes de sagaie, poinçons, outils biseautés (ciseaux et coins), épingles, bâtons percés, lissoirs et nombreux éléments d'une industrie osseuse peu élaborée, comme les retouchoirs et les côtes utilisées non décorées. Parmi les objets considérés comme des éléments de parure, certains sont largement diffusés dans la plupart des gisements de l'aire étudiée et ne montrent pas de caractères discriminants par rapport aux corpus des périodes précédentes et suivantes : c'est le cas des perles de collier en segments d'os d'oiseau, des dents et des coquillages perforés, même si dans le registre de ces derniers objets, on peut observer une certaine variabilité chrono-stratigraphique et territoriale, pas toujours imputable aux conditions paléoenvironnementales (Taborin 1993, 2001). Les dents perforées des niveaux gravettiens de Gargas et d'Isturitz proviennent en général des animaux chassés pour leur apport en viande et en fourrure (Cerf, Boviné, Cheval, Renard, Loup), mais dans certains cas, comme pour la Hyène, le Blaireau, l'Ours et le Lion des cavernes, les canines ont été certainement prélevées sur des crânes d'animaux trouvés dans les galeries des grottes. Un cas particulier est celui des coquillages percés trouvés dans les sites pyrénéens, nécessairement apportés au cours de déplacements de moyenne et longue durée. Que ce soit à Isturitz ou à Gargas, l'apport de coquillages est fondamentalement atlantique, ce qui semble évident pour le premier site mais pas pour le deuxième, situé au pied de la zone centrale de la chaîne. Cette information est significative en termes de vecteur de déplacement et d'espace culturel (Foucher 2006; San Juan - Foucher, Foucher, à paraître). Des objets d'ornement personnel plus originaux et élaborés se retrouvent dans la majorité des gisements pyrénéens, combinant à la fois des techniques partagées, acquises au cours du façonnage des outils, et l'esprit créatif individuel de leurs auteurs gravettiens. On peut citer parmi les plus beaux exemples les bandeaux en ivoire décorés de motifs incisés en zigzag de la grotte du Pape à Brassempouy (Thiault 2001); parfois, l'imagination s'associe à un certain sens pratique pour remployer des fragments d'autres objets, c'est le cas des pendeloques de « deuxième intention » de la Tuto de Camalhot (fig. 11 : 4, 5 et fig. 12 : 2, 3) (Vézian 1966; San Juan-Foucher 2006) prélevés sur une côte de Bison incisée, et de ceux du niveau III d'Isturitz (fig. 12 : 4, 5), qui mettent à profit les biseaux à incisions profondes des fragments de sagaies récupérés après cassure (Saint-Périer 1952 : 59, fig. 26 et pl. IV). L'attribution chronologique de ces dernières est toutefois à revoir (Solutréennes ?). Des pendeloques sur support lithique, obtenues à partir de petits galets incisés et perforés, sont aussi répertoriées dans les séries gravettiennes d'Isturitz. Il faut mentionner ici un type d'objets particuliers qui ne peut pas être classé parmi la parure personnelle, même s'il bénéficie des mêmes techniques de fabrication, mais qui appartient au registre privilégié et limité des artefacts nous renseignant sur le domaine des activités ludiques et/ou symboliques des Gravettiens. Il s'agit des fragments de flûtes en os d'Isturitz (Saint-Périer 1952; Buisson 1990), dont les exemples se rapprochent des pièces aurignaciennes de Geissenklösterle, dans le Jura souabe (Hahn 1999). Quant à l'art mobilier sur matières dures organiques, peu de nouveautés sont à ajouter à la synthèse réalisée par D. Sacchi en 1987 lors de sa communication au colloque de Foix (1990). Les objets les plus exceptionnels (et rares !) restent toujours les statuettes féminines de Brassempouy, une dizaine en comptant les exemplaires complets et les fragments (Delporte 1995), et la « Vénus » de Lespugue, trouvée par R. et S. de Saint-Périer lors des fouilles de la grotte des Rideaux (Saint-Périer 1922). Les seules gravures figuratives sur os connues dans le Gravettien pyrénéen depuis un demi-siècle étaient celles du niveau IV d'Isturitz, représentant un cheval et un arrière-train de Bovidé sur les deux faces d'une côte (fig. 12 : 1), ainsi que deux figures schématiques ovales considérées comme des poissons (Saint-Périer 1952 : fig. 87). Au cours d'une récente révision du matériel des fouilles Cartailhac-Breuil de Gargas (Foucher, San Juan 2002), une nouvelle figuration gravée (probablement un poisson) a été trouvée sur un fragment d'os de grand Cervidé. Une dent d'ours gravée de séries de longs traits incisés sur chaque face (fig. 12 : 6) a été aussi découverte à l'occasion de la même étude. Finalement, nous pouvons citer ici plusieurs exemples d'outils décorés de motifs qui ne semblent pas être « utilitaires ». C'est le cas des côtes incisées d'Isturitz, Gargas et La Tuto de Camalhot mentionnées plus haut comme pièces caractéristiques (fig. 11), d'un « poussoir » de ce dernier gisement orné d'un motif géométrique (Vézian 1966), et d'un lissoir incisé en forme de poisson stylisé du niveau IV d'Isturitz (fig. 12 : 7) (Saint-Périer 1952 : fig. 75). En ce qui concerne les objets de la grotte des Rideaux, que R. de Saint-Périer considérait associés à la « Vénus » en particulier la célèbre « spatule aux serpents » (1924), une révision de la collection est actuellement en cours (San Juan-Foucher 2004) pour permettre d'affiner l'attribution de la série, dans laquelle existent certainement des mélanges intervenus au cours des fouilles. L'art mobilier sur support lithique tient une place importante dans l'expression artistique (et symbolique) des gravettiens pyrénéens. À Isturitz, sont répertoriés plus d'une trentaine de galets ou de plaquettes ornés d'une iconographie typiquement paléolithique (fig. 13 : 2 à 6), composée d'anthropomorphes, de signes variés, de mammouths, de chevaux, de cervidés et de bovidés (Saint-Périer 1952). À Gargas, on connaissait principalement le galet en schiste publié par H. Breuil gravé d'une composition associant un bison et un lion avec d'autres traits non figuratifs (1953); bien datée par son niveau stratigraphique de provenance, cette pièce (fig. 13 : 1) joua un rôle considérable dans les processus de datation de l'art pariétal de Gargas ‑ et gravettien en général – en raison de la forte identité stylistique entre le bison de la plaquette et ceux gravés sur les parois de la galerie inférieure. Quatre nouveaux supports lithiques gravés ont été découverts dans le cadre de la révision de la collection Cartailhac-Breuil; on a pu y déchiffrer une tête de cheval, des têtes d'animaux indéterminés, un signe triangulaire, des traits non figuratifs (San Juan, Foucher à paraître). L'art pariétal gravettien des Pyrénées est actuellement connu dans trois sites répartis sur la partie centre-occidentale de la chaîne : Gargas, Les Trois-Frères et Erberua. L'ensemble pariétal de Gargas (galerie inférieure), composé de 230 empreintes de mains peintes en négatif, déclinant de nombreuses formules aux doigts repliés ou manquants, et de plusieurs panneaux gravés de motifs animaliers, a fait l'objet de nombreuses études (Breuil 1952; Salhy 1963 et 1969; Leroi-Gourhan 1967; Clot 1973; Barrière 1976; Groenen 1988, Foucher et al. 2007). La date 14 C de 26 860 BP ± 460, réalisée à partir d'un os fiché dans une fissure d'un des panneaux aux mains peintes, fixe un cadre gravettien indirect à son art pariétal (Clottes et al. 1992), et confirme la première attribution de H. Breuil mentionnée plus haut. La grotte des Trois-Frères, plus connue par ses manifestations pariétales magdaléniennes, possède néanmoins deux galeries vraisemblablement ornées par les Gravettiens : la Galerie des Chouettes et la Galerie des Mains (Bégouën, Breuil 1958; Bégouën, Clottes 1984). Ces représentations gardent sans doute une relation étroite avec l'occupation gravettienne d'Enlène-EDG, puisque les deux cavités appartiennent au même réseau karstique et communiquent entre elles. La grotte d'Erberua, correspondant au réseau inférieur toujours actif d'Isturitz, présente un dispositif orné très diversifié. Bien que les auteurs de la monographie le rapprochent des sanctuaires magdaléniens pyrénéens dans une étude préliminaire (Larribau, Prudhomme 1984, Prudhomme 1987), l'existence de trois mains négatives suggère également la chronologie gravettienne d'une partie de son art pariétal. Les études palynologiques ont été peu développées pour cette période; on peut citer toutefois les travaux dirigés par G. Jalut qui n'abordent que la fin du Gravettien, à partir de 21 000 BP (Jalut et al. 1982, 1996). Quant à l'étude de la faune, il faut d'abord se reporter aux études anciennes et très succinctes. À Gargas, les bovinés (bisons, aurochs) sont une fois et demi plus nombreux que les cervidés (cerf, renne), le Chamois étant la quatrième espèce chassée (Bouchud 1958). Á Isturitz, Cheval et Renne sont les espèces les plus abondantes, suivies des cervidés; on remarquera la présence d'espèces froides : le Mammouth, le Rhinocéros à narines cloisonnées, le Harfang des Neiges et le Renard bleu (Saint-Périer 1952). Des études plus récentes faites à Enlène-EDG démontrent que les gravettiens ont occupé la grotte à la mauvaise saison et chassé, de manière sélective, le Renne et les grands Bovidés (Fosse 1992). À La Carane-3, les Caprinés et les Cervidés sont les espèces les plus chassées (Foucher, San Juan, Martin 2000), alors que les Gravettiens de la Tuto de Camalhot ont privilégié le Bison (Lignereux, Vézian à paraître) On constatera que le spectre faunique est très diversifié, mais il est encore trop tôt pour savoir à quoi il correspond précisément et quelle peut être la part revenant aux variations climatiques, à l'environnement proche des sites (montagne, piémont, plaine) ou aux pratiques cynégétiques. Au bout du compte, le paléo-environnement au Gravettien dans les Pyrénées atlantiques et centrales reste encore très peu documenté. L'occupation gravettienne n'a, semble -t-il, laissé que peu de traces dans la partie méditerranéenne de l'aire pyrénéenne largo sensu. Les quelques données disponibles concernent la limite orientale de la zone sous-pyrénéenne, précisément le massif de la Clape, et, au-delà, la vallée de la Cesse, affluent senestre du cours inférieur de l'Aude. Dans le premier secteur, la documentation provient de la grotte de la Crouzade (Aude); dans le second, elle est issue de la Petite grotte de Bize (Aude). C'est àTh. Héléna que revient le mérite d'avoir, le premier, relevé la présence de pointes de La Gravette à La Crouzade. Elles gisaient dans un niveau attribué à l'Aurignacien « immédiatement au-dessus et en contact avec le Moustérien (…) à 3 et 4 mètres de profondeur, [il] forme une couche de dépôts de 0, 50 m à 1 mètre d'épaisseur, nettement séparés des premiers foyers magdaléniens par une couche stérile de sable et de petits cailloux roulés de près d'un mètre de puissance… » (Th. Héléna 1924). Dans sa description détaillée de la stratigraphie, Ph. Héléna (1928), subdivise en deux l'horizon aurignacien mis au jour par son père. Il distingue ainsi un niveau F, qualifié d'aurignacien moyen (ancêtre taxinomique de l'Aurignacien typique), et un niveau E, rapporté à l'Aurignacien supérieur (le Périgordien supérieurde D. Peyrony). Cette dernière strate prend la forme d'une « très mince ligne de cendres » traversant « vers le haut, et en certains points seulement » des « dépôts naturels de limon jaune stérile » (fig. 14). Les séries lithiques, numériquement faibles, conservées au Musée archéologique de Narbonne, s'accordent bien, typologiquement parlant, à ce schéma archéostratigraphique (Sacchi 1973, 1981, 1986). L'industrie du niveau F (N = 58) ou couche 10 (fig. 14) offre tous les caractères d'un Aurignacien sans doute ancien; celle du niveau E (N = 24) ou couche 7 (fig. 14) évoque précisément le Gravettien avec quelques pointes de la Gravette, et des lamelles à bord abattu (fig. 15 : 1, 3, 4, 6-9). Des objets de parure s'y associaient (croches de cerf et incisive de cheval perforées). Le Renne, prédominant, le Bœuf, le Cheval, le Cerf forment l'essentiel des espèces chassées selon Ph. Héléna (1928). De son côté, E. Genson signale laconiquement les « sérieuses et minutieuses fouilles », exécutées en collaboration avec J.-S. Albaille; elles permirent « de relever de bonnes coupes stratigraphiques et de constater la présence de foyers (…) aurignaciens » (Genson 1937). Le matériel recueilli figurait autrefois dans les vitrines du Musée du Vieux Biterrois, sous la mention « couche n° 2 en place, Aurignacien » (Sacchi 1986). En plus des pièces de facture aurignacienne, il comporte une composante d'allure nettement gravettienne : pointe de La Gravette, microgravette, fragment de fléchette (fig. 15 : 2, 5, 10). Rappelons en outre que le produit mêlé des fouilles exécutées en 1874 par Th. Rousseau, puis, la même année, par F. Bru pour le compte de la Commission archéologique de Narbonne, recèle également quelques pointes de la Gravette et une microgravette (Sacchi 1982, 1986). Il est désormais acquis depuis bientôt quarante ans (Sacchi 1969), que la couche 1 du profil stratigraphique décrit par Ph. Héléna (1934) n'appartient pas à « l'Aurignacien supérieur », comme celui -ci l'affirmait, mais au Badegoulien. La pointe de La Font-Robert, mentionnée par le préhistorien narbonnais, relève très vraisemblablement d'une erreur d'interprétation typologique. Cependant, une armature inédite (fig. 15 : 11), conservée à l'Université Paul Valéry de Montpellier, accrédite l'existence de pointes de La Gravette « au fond du vestibule [dans] un passage très bas donnant accès vers l'extérieur (…) au niveau le plus inférieur » (Héléna 1932). Mais ce sont les matériaux recueillis par E. Genson qui contiennent les éléments les plus significatifs d'une présence gravettienne dans la Petite grotte de Bize. Ils prennent la forme d'une pointe de la Gravette, d'une microgravette, de fléchettes et de lamelles à bord abattu, dont plusieurs exemplaires tronqués (fig. 15 : 12 à 23). Toutefois, ces objets étiquetés « couche inférieure n° 6, Solutréen » dans le dispositif mis en place au Musée du Vieux Biterrois par l'auteur des fouilles 14, se mêlent à des pointes à cran méditerranéennes et autre pointe foliacée solutréenne. L'hétérogénéité de cet ensemble ne fait donc aucun doute. Les informations relatives au Gravettien dans la partie orientale de la région nord-pyrénéenne procèdent intégralement de fouilles antérieures à la seconde guerre mondiale pour les plus récentes d'entre elles. L'indigence des séries, non exempte de mélanges, l'absence de données contextuelles, ne permettent guère de préciser l' âge et l'identité du faciès concerné. On notera néanmoins que la présence de fléchettes et l'absence de burins de Noailles, suggèrent que l'industrie lithique des deux sites recensés relève vraisemblablement d'un stade ancien de la forme occidentale de cette culture. Le panorama sur le Gravettien des Pyrénées reste encore très contrasté, en raison du poids des découvertes anciennes, de l'état de la documentation très hétérogène, ainsi que de l'avancement des recherches actuelles. Néanmoins, on peut constater que les zones atlantique et centrale présentent une très forte unité culturelle, tant du point de vue de la culture matérielle et technique, que des manifestations symboliques. Par ailleurs, on observe un réseau de sites très diversifiés (haltes de chasse, sites d'habitat prolongé, sites ornés…) et assez bien répartis sur toute cette aire géographique. Dans ce contexte, les Pyrénées orientales semblent être en marge de cet espace culturel – elles se distinguent notamment au niveau de l'industrie lithique, par la présence de fléchettes, inconnues au centre et à l'ouest de la chaîne ‑ mais les données sur cette dernière région sont bien trop maigres pour en tirer des conclusions définitives .
Les auteurs présentent un panorama général sur le Gravettien des Pyrénées. L'espace géographique retenu pour cette étude a été découpé en trois zones principales: le Pays Basque ibérique, les Pyrénées atlantiques et centrales, les Pyrénées orientales. La synthèse proposée se structure autour des quatre thèmes suivants: - histoire des recherches et contexte chrono-stratigraphique ; - culture matérielle: industrie lithique et osseuse ; - témoignages artistiques et symboliques: parure, art mobilier et art pariétal ; - le paléo-environnement.
archeologie_10-0037507_tei_215.xml
termith-72-archeologie
Durant la seconde moitié du Paléolithique supérieur, des groupes relevant de chrono-cultures différentes ont occupé le Sud de la France. Ces populations sont rattachées principalement à l' Épigravettien ou au Magdalénien qui ont vécu de façon plus ou moins contemporaine, sur des territoires proches sinon limitrophes. Les groupes magdaléniens sont principalement concentrés dans le Sud-Ouest de la France et les groupes épigravettiens dans le Sud Est, le Rhône étant considéré comme une frontière naturelle. En Provence, à la fin du Paléolithique supérieur, s'opposent une zone occidentale ou rhodanienne où dominent les groupes de tradition magdalénienne, et une zone orientale où les sociétés sont nettement marquées par les cultures italiques épigravettiennes (Camps 1989). Autant dire qu'elles se sont cotoyées sinon plus : la présence de sites appartenant à l'autre culture dans chacun des « territoires » témoignent pour le moins d'incursions croisées. Contrairement aux phases ancienne et moyenne, le Magdalénien supérieur est « représenté à l'est du Rhône, mais dans la seule Provence occidentale. À l'est d'une ligne Draguignan-Toulon commence un autre monde culturel, rattaché à l'Italie, dans lequel se maintiennent avec vigueur les traditions gravettiennes » (Ibid : p. 79). Ainsi en Provence occidentale, les Magdaléniens IV, V et VI succéderaient à l'Arénien (faciès industriel du Paléolithique supérieur reconnu en Italie du Nord et en Provence, contemporain du Solutréen) (Escalon de Fonton 1968; Onoratini 1988a) alors qu'en Provence orientale, ce même Arénien évoluerait en Bouvérien (faciès contemporain du Magdalénien) (Onoratini 1988b). Les populations de tradition magdalénienne ne semblent avoir franchi le Rhône que tardivement, pour s'installer sur la rive gauche du fleuve et ainsi conquérir de nouveaux « territoires ». Ces occupations isolées sont essentiellement attestées en Vaucluse et dans la basse vallée du Rhône (Soubeyras, Chinchon I, l'Adaouste). « Au sud de la Durance, ils se trouvèrent alors dans un milieu différent. Le renne qui est encore présent dans la grotte de l'Adaouste est inconnu plus au sud » (Ibid : p. 84). Pour ces raisons, sur le littoral, le Magdalénien n'aboutit pas à l'Azilien, comme c'est encore le cas en Vaucluse (cf. traditions du Sud-Ouest), mais sur le Valorguien. Ces deux cultures post-glaciaires naissent de l'évolution sur place du Magdalénien et ne sont donc pas présentes en Provence orientale où les groupes magdaléniens sont absents (Ibid). Toutefois, cette division culturelle n'est pas toujours aussi clairement établie. Pour plusieurs sites du sud-est, la question de leur rattachement à un courant plutôt magdalénien (et donc, en rapport avec le Sud-Ouest de la France) ou épigravettien (plutôt liés au nord de l'Italie) reste posée. C'est à cette interrogation majeure de la connaissance du peuplement de ces régions au Paléolithique supérieur récent que nous avons tenté d'apporter des éléments de réponse. Cette recherche a débuté, en maîtrise, par l'étude typo-fonctionnelle et technologique de séries provenant de trois sites vauclusiens (fig. 1). Elle s'est poursuivie, en DEA, par l'analyse du matériel en bois de cervidé du magdalénien III de Laugerie-Haute Est (Dordogne) et s'enrichit actuellement, dans le cadre d'une thèse de doctorat, par la prise en compte d'autres ensembles périgourdins en matières osseuses : Laugerie-Basse et La Madeleine. Cet abri fut découvert par M. Germand, conservateur du Musée d'Histoire Naturelle d'Avignon, lors d'une prospection botanique en 1956. Deux campagnes de fouilles furent alors entreprises : la première se déroula de 1956 à 1960 et fut conduite par M. Paccard (Paccard & Bonifay 1964) et la seconde entre 1967 et 1969, en collaboration avec C. Dumas et M. Livache (Paccard 1968). Au final, trois abris furent découverts et fouillés : l'abri I comprend une séquence qui s'étend du Tardigravettien à l'Azilien ancien (fig.2); l'abri II présente une occupation mésolithique; et l'abri III, deux niveaux d'occupation; le plus ancien date de l' Épipaléolithique et l'autre du Néolithique. Cet ensemble d'abris se trouve sur la commune de Saumanes, dans la vallée du Valat de Saumanes, affluent de la Sorgue. Il s'ouvre à une dizaine de mètres au-dessus du lit du ruisseau, le vallon étant profondément creusé dans la molasse miocène (Bonifay 1964). A la vue de la succession des faunes (Crégut-Bonnoure & Paccard 1997), Chinchon I est contemporain du début du Pléniglaciaire récent à sa base (couche 24), puis du Tardiglaciaire à son sommet (couches 18 à 9). Ces données valident l'hypothèse de M. Paccard qui date l'ensemble II – correspondant aux couches 23 à 15, avec l'habitat D en c.18 et le C en c.15 – du Dryas I, et confirment la datation C14 qui donne à l'habitat C un âge minimum de 12 000 ± 420 BP (Brochier 1977). D'autres datations C14 ont été réalisées par J-E. Brochier; les occupations B1 (couche 13) et B (couches 11 et 12) seraient datées des environs de 9000 BP (8980 ± 850 BP). En dépit de cette date un peu jeune, ces occupations sont attribuées au Magdalénien final après étude du matériel archéologique. Cependant, ces populations semblent s' être installées plus anciennement car le dernier habitat (A) – attribué à l'Azilien ancien – a été remanié au cours de l'Alleröd (11 800 - 10 800 BP). Dès les années 1960, la question de l'attribution culturelle s'est posée pour les niveaux archéologiques de Chinchon I. Ainsi ce site fut tantôt attribué à un faciès de l' Épigravettien, tantôt au Magdalénien. De nombreux travaux dont ceux de J-E. Brochier et M. Livache, ont contribué à replacer les niveaux de Chinchon I dans l'ensemble des complexes leptolithiques du Vaucluse. C'est le niveau C de ce gisement qui a été au cœur du débat, et plus particulièrement les pièces à cran qu'il renfermait. En fait, tous ces problèmes d'attribution sont en rapport direct avec les raisonnements et interprétations fondées sur l'existence de fossiles directeurs. Des études comparatives entre divers sites, parmi lesquels se trouvent les trois sites étudiés, ont permis d'avancer l'idée que les industries magdalénoïdes du Vaucluse sont issues du Tardigravettien ou Épigravettien. Ces travaux portaient uniquement sur les industries lithiques; l'industrie osseuse ayant essentiellement été prise en compte pour asseoir la position chronnologique des niveaux d'occupation. Cet abri-sous-roche fut fouillé dans les années 1950 par M. Paccard, mais avait été auparavant l'objet de pillages. Il se situe sur la commune d'Entrechaux et fut occupé au Magdalénien final (Escalon de Fonton 1958, p. 118). La stratigraphie est découpée en trois niveaux : inférieur, moyen et supérieur, et ne fit pas l'objet d'une analyse poussée. Ce site fut lui aussi fouillé dans les années 1950 par M. Paccard. Il se trouve sur la commune de Ménerbes, dans la vallée du Calavon dont il est distant d'environ 150 mètres. Les couches 1 et 2 correspondent au Néolithique et celles 3 à 7 au Paléolithique supérieur (fig.3). L'industrie en matières dures animales y est très mal conservée à cause du milieu acide qui la contenait : le Foyer 3. Selon M. Paccard et M. Escalon de Fonton, le site de Soubeyras constituerait soit un « jalon sur l'aire d'expansion du Grimaldien vers l'Ouest où on le rencontre dans son faciès du Magdalénien II » (Paccard 1956, p. 33) soit un gisement arénien (Escalon de Fonton, Lexique Stratigraphique International). S'appuyant sur des études comparatives entre l'industrie magdalénienne du Sud-Ouest de la France et celle de Soubeyras, Denise de Sonneville-Bordes privilégie quant à elle l'attribution de ces niveaux à un Magdalénien final classique (de Sonneville-Bordes 1958). En l'état actuel des recherches, l'interprétation en vigueur est que ce site montre une évolution des niveaux supérieurs magdaléniens à partir du substrat tardigravettien; on retrouverait donc la même configuration qu' à Chinchon I (Brochier 1978). L'objectif étant d'appréhender les modalités techniques et économiques qui ont régi le travail des matières osseuses chez les groupes du Vaucluse, l'étude qui suit consiste en une analyse technologique de l'ensemble de cette industrie. À cette analyse, s'ajoute l'étude typo-fonctionnelle détaillée des objets finis, nécessaire à la caractérisation de l'industrie vauclusienne, et qui avait été conduite de façon très générale jusqu'alors (Provenzano 1985). L'analyse technologique passe par l'observation fine des pièces et permet d'aborder les aspects techniques et économiques appartenant à un groupe humain. L'étude des aspects techniques renvoie aux problèmes de conservation que connaissent les vestiges depuis leur abandon sur le site, à la détermination de la matière première, à l'identification des stigmates techniques et à leur intégration au sein de la chaîne opératoire de transformation. On parlera ainsi des techniques, des procédés et des méthodes qui concernent les deux opérations majeures que sont le débitage et le façonnage. Les aspects économiques renvoient, quant à eux, à la gestion de la matière première, aux notions de production et productivité, ou encore à la consommation des produits. Notre étude a pour objet la totalité du matériel issu du travail de l'os et des bois de cervidé. Cela va donc du déchet à l'objet fini usé et abandonné sur le site, en passant par le support et l'ébauche. Ces différents témoins de la chaîne opératoire ne sont pas toujours présents sur les sites. Cet état de fait est très important pour la suite et plus particulièrement pour l'interprétation économique : y a -t-il production endogène (in situ) ou exogène (sur un autre site) ? Le matériel étudié provient de différentes couches archéologiques pour chacun des trois sites. A Chinchon I, les pièces ont été découvertes dans les niveaux suivants qui vont du Tardigravettien ancien à l'Azilien : E-F (n° 1 et 2), D (n° 3, 4), C (n° 5, 6, 7) et d (n° 15), B (n° 8, 9, 10 et 20), B1 (n° 11, 12, 16 à 19) et A (n° 13). Les habitats B et B1 correspondent aux Magdalénien V et final, et seraient donc plus ou moins contemporains des groupes qui se sont installés sur les deux autres sites étudiés. En effet, à Charasse I, l'ensemble de l'industrie osseuse se trouvait dans un même niveau attribué au Magdalénien final. A Soubeyras, le matériel est issu du niveau du Foyer 3 à l'exception de la pièce n° 7 qui appartient au Foyer 2. Ces occupations sont, néanmoins, toutes deux attribuées au Magdalénien VI. Les produits de l'industrie osseuse se répartissent en quatre catégories : les objets finis, les ébauches, les supports et les déchets (Averbouh 2000). Toutes sont représentées sur le site de Chinchon I, alors qu'il y a seulement des produits finis et des déchets pour les deux autres sites. Les différentes pièces archéologiques sont présentées par catégories de produits, et à l'intérieur de ceux -ci par groupes typologiques. Avant de procéder à l'étude morpho-fonctionnelle, il semble important de présenter la composition globale du corpus (Pl. I à V). Les objets finis – « buts ultimes de la chaîne technique de transformation » (Ibid) – sont répartis, en fonction de la composition de notre corpus, en deux groupes. Ils renvoient directement au type de support sur lequel les pièces ont été façonnées : les objets sur supports « en volume » sont représentés par deux éléments sur épois de bois de renne à Chinchon I (Pl. I, n° 6). Ils correspondent à de véritables outils puisqu'ils ont été aménagés de façon à obtenir une pointe de sagaie à biseau simple; les objets sur supports plats, les plus nombreux, renvoient à divers types d'outils : les sagaies, les poinçons, les pointes entièrement façonnées, les baguettes demi-rondes et le harpon azilien de Chinchon I. Le corpus ne comporte qu'une seule ébauche (Chinchon I), celle d'un harpon de type magdalénien (Pl. II, n° 11). Les supports (bruts) ne sont présents qu' à Chinchon I, en deux exemplaires (Pl. III, n° 14, 16). Ce sont des baguettes de type « boudins segmentaires ou semi-circulaires » (Averbouh 2000, p. 160), peut-être liés à la production des baguettes demi-rondes.Les déchets renvoient ici au débitage et à la réfection de l'objet au cours de son utilisation. La production des déchets stricto-sensu est en rapport direct avec celle des supports et donc des objets finis. Au sein de ces trois séries, les déchets de débitage sont représentés par un déchet sur partie basilaire, correspondant à une « base dentelée » puisque attestant d'un débitage par extraction, à Chinchon I, et un « morceau sur tronçon » (Averbouh 2000, p. 163), sur épois et issu du débitage transversal, à Charasse I (Pl. IV, n° 4). Les déchets de réfection sont évoqués avec les objets finis car ils correspondent au réaménagement des objets pendant leur utilisation. Planche I - Chinchon I, Saumanes en Vaucluse (Collection Paccard, Musée Calvet, Avignon). L'équipement présent est principalement composé d'armatures de sagaies. Associées à ces armatures, on trouve des baguettes demi-rondes et des harpons qui jouent aussi un rôle important dans l'acquisition des denrées. Mais les activités économiques ne se limiteraient pas à la chasse et à la pêche. Les poinçons seraient utilisés à d'autres fins, comme percer des peaux. La question de l'utilisation de ces objets reste posée, aucune étude tracéologique n'ayant été menée sur le matériel archéologique des trois sites étudiés. Les sagaies présentes dans notre corpus renvoient à trois types : les sagaies à biseau simple (ou unifacial) présentes durant tout le Paléolithique supérieur, de l'Aurignacien au Magdalénien (Delporte & Mons 1988a); les sagaies à biseau double (ou bifacial) (Ibid) présentes dès l'Aurignacien et pendant tout le Paléolithique supérieur. Elles connaissent un développement important durant le Magdalénien moyen et supérieur, ainsi que dans les cultures contemporaines. Dans notre corpus, il s'agit essentiellement de sagaies dont les bords sont parallèles de l'extrémité proximale jusqu'au départ de la partie distale (Soubeyras, Pl. V, n° 5, 6). Les pans du biseau sont situés, sur les deux exemplaires, dans le plan horizontal c'est-à-dire sur les faces supérieure et inférieure de l'objet. Pour la pièce 5, les pans sont plans et l'extrémité proximale est rectiligne alors que pour la pièce 6, les pans sont plutôt convexes et l'extrémité proximale, arrondie. et peut-être une sagaie à base raccourcie à Chinchon I (Pl. I, n° 8). Ce type de sagaie est surtout en nombre important durant le Magdalénien supérieur (Mons 1988). Les baguettes demi-rondes, considérées par de nombreux chercheurs comme un « fossile directeur » du Magdalénien IV, apparaissent en fait à partir du Gravettien et se multiplient pendant le Magdalénien moyen (Feruglio 1992). La pièce de Chinchon I (Pl. II, n° 12) est de contour rectangulaire et de profil rectiligne. Les bords sont parallèles et convergent légèrement vers l'extrémité distale. La section générale est plano-convexe. La partie distale est appointée et son extrémité manquante. Le fût ne présente ni aménagement ni décor, et la partie proximale n'est pas conservée. La pièce de Charasse I (Pl. IV, n° 1) est, quant à elle, actuellement en six morceaux; les parties distale et proximale ne recollent pas avec le reste du fût. Le profil est rectiligne et la section plano-convexe. Cet objet est décoré et appointé à chaque extrémité. Le fût comporte sur ses deux bords – rectilignes et parallèles – trois profondes rainures. Celles -ci sont parallèles entre elles et longitudinales. Elles constituent un décor en cannelures et réutilisent les vestiges des rainures du débitage. Un autre décor est visible, mais en mauvais état, sur la face supérieure et rappelle celui d'une baguette demi-ronde de Laugerie-Basse en Dordogne (Girod & Massénat 1900). Sa trame évoque un damier constitué de petits losanges en relief. À première vue, on pourrait se méprendre et croire qu'il s'agit de restes de perlures, mais à la loupe binoculaire les incisions apparaissent nettement. Les harpons, présents uniquement à Chinchon I, appartiennent tous deux à des types et cultures différents (Pl. II, n° 11, 13). Le plus ancien est « magdalénien », et plus précisément du type A2 (Julien 1995). Il ressemble beaucoup au harpon découvert dans la Petite grotte de Bize (Aude) et attribué au Magdalénien supérieur. Selon J. Combier (1967), ces harpons sont typiques du sud-est de la France. Le contour est rectangulaire et le profil légèrement courbe, les faces supérieure et inférieure étant respectivement convexe et concave. Les bords sont parallèles puis convergent légèrement vers chaque extrémité. La partie distale est cassée. Le fût est massif – soit de section polygonale – et porte des barbelures unilatérales sur le bord droit. Il est individualisé par de profondes gouttières longitudinales très nettes qui se développent de part et d'autre des barbelures. Ces dernières sont anguleuses (Julien 1982), assez trapues, courtes et serrées. On en compte quatre courtes complètes, deux cassées du même module et une longue qui ressemble à une crête. Cette dernière serait la preuve que ce harpon est en cours de fabrication : les dernières barbelures ne sont pas encore dégagées. Deux autres éléments renforcent ce diagnostic : la section mésiale très anguleuse et n'ayant donc pas encore subi la dernière régularisation, et les gouttières à l'état brut. L'embase est représentée par deux fragments : celui proximo-mésial à protubérance, l'autre de morphologie conique. La protubérance se situe du même côté que les barbelures – sur le bord droit – et peut constituer un mode de fixation pour une ligne ou une ligature. L'extrémité proximale est – quant à elle – amincie en cône pour être éventuellement insérée dans une hampe. Concernant l'hypothèse d'utilisation, l'aménagement proximal suggère donc un harpon à « tête détachable », « une armature de pointe de trait destinée à la capture des proies » (Julien 1995, p. 27). L'autre harpon est « azilien ». Ce type apparaîtrait dès le Magdalénien final et se généralise pendant l'Azilien (Mons 1995). Il s'agit plus particulièrement d'un harpon unilatéral à perforation basale. Sa pointe, en partie cassée à son extrémité, devait être punctiforme. Le fût présente sur son bord droit des barbelures anguleuses/concaves (cf. bords distal et proximal). Celles -ci, relativement serrées et trapues, se développent sur toute la longueur du fût entre la pointe et l'embase. L'embase, qui représente presque la moitié de la pièce, comporte un épaulement progressif ainsi qu'une perforation ovale. Ce premier aperçu permet de voir la pauvreté quantitative de l'industrie osseuse dans cette région. En effet, l'échantillon reste faible en dépit du fait que le corpus renvoie à trois sites distincts, et pour chacun à la totalité du matériel travaillé en os et en bois de cervidés. Du point de vue qualitatif, la pauvreté de notre corpus se situe à divers niveaux : en terme de variété d'abord catégorielle : en dehors des objets finis et de quelques déchets, les autres catégories, supports et ébauches, ne sont pas représentées sur chaque site (cf. Chinchon I); d'un point de vue typologique, peu de types d'objets finis sont présents, puisque nous avons uniquement des armatures de sagaie, des poinçons, des harpons et des baguettes demi-rondes. Ces différents objets sont reconnus à Chinchon I, tandis que pour Charasse I et Soubeyras deux types seulement sont représentés (sagaies et baguette demi-ronde pour le premier, sagaies et poinçon pour le second). De même, la variété des types est relativement faible (cf. sagaies : à biseau simple ou à biseau double ou à base brute de débitage). D'une manière générale, ce corpus présente une grande variabilité métrique à l'intérieur des types d'objets finis. Mais le terme de « variabilité » est à nuancer à deux niveaux : à cause du faible nombre de pièces et car ces objets ne sont pas entièrement conservés. Le constat est ainsi fondé sur la prise en compte des largeurs et des épaisseurs maximales. Pour les sagaies, les largeurs varient entre 4,5 et 11 mm à Chinchon I; de 4,5 à 12 mm à Charasse I, et de 4 à 11 mm à Soubeyras. Les épaisseurs varient de 4 à 10 mm à Chinchon I; de 4 à 8,5 mm à Charasse I, et de 3,5 à 10,5 à Soubeyras. L'existence d'armatures de sagaies ayant des dimensions variées tend à montrer que les hommes préhistoriques adaptaient leurs armes en fonction du type de gibier chassé. Pour les poinçons, les largeurs varient entre 2,5 et 10 mm à Chinchon I. A Soubeyras, nous avons un seul objet de ce type : sa largeur maximale est de 5 mm et son épaisseur maximale, de 3 mm. A Charasse, l'industrie osseuse ne comporte pas de poinçon. Pour les baguettes demi-rondes, les longueurs ne sont pas négligeables bien que ces pièces ne soient pas entières. En effet, l'exemplaire de Chinchon I mesure 145 mm bien qu'il soit cassé aux deux extrémités. De l'exemplaire de Charasse I, il ne reste qu'une portion des parties distale, mésiale et proximale. Ces trois fragments ne recollent malheureusement pas, mais nous donnent une idée de la longueur minimale de la pièce. Cette dernière mesurait au minimum 186 mm. Pour les types d'objets représentés par une seule pièce, nous n'évoquons ici que les principales mesures (longueur, largeur et épaisseur maximales), renvoyant pour les autres (cf. dimensions des barbelures, etc.) au texte extensif de notre mémoire (Braem 2002, p. 46-47). La pointe entièrement façonnée fait 89 mm de long pour 5 mm de large et 4 mm d'épaisseur. Les deux harpons, l'un magdalénien et l'autre azilien, ont pour dimensions respectives : 165 x 12,5 x 9 mm et 64 x 15 x 7 mm. Les collections étudiées présentent, d'une façon générale, un assez bon état de conservation par rapport aux conditions d'enfouissement. Les altérations liées à la taphonomie sont en effet peu importantes et sont principalement dues aux actions des racines. Il paraît également important de mentionner que de nombreuses pièces étaient auparavant exposées et donc collées sur des planches. Ainsi elles n'ont pas pu être manipulées et étudiés dans leur intégralité. C'est le cas notamment de la baguette demi-ronde et du harpon magdalénien de Chinchon I pour lesquels la face inférieure n'a pas été visionnée. D'autres pièces ont été décollées, mais présentent encore de la colle sur l'une des deux faces. Enfin certaines sont recouvertes d'épaisses couches de vernis, rendant difficile l'étude de leurs éventuels stigmates (de fabrication ou d'utilisation). L'état de conservation joue aussi un rôle déterminant dans l'identification fine de la matière première exploitée. En se fondant sur les identifications réalisables (22 sur 32 pièces), on constate que seules deux matières osseuses ont été utilisées : l'os et le bois de cervidés. Celui -ci, majoritairement représenté par le bois de renne (15 pièces), compte également quelques rares éléments en bois de cerf (1 voire deux pièces). Le bois de renne tient une place prépondérante, puisque l'on a : 9 pièces sur 20 à Chinchon I fabriquées dans cette matière, 2 pièces sur 5 à Charasse I et 4 sur 7 à Soubeyras. Le bois de cerf est attesté de manière indubitable à Charasse I (Pl. IV, n° 1). Les objets dont la matière première n'a pu être déterminée au niveau de l'espèce, renvoient tous aux bois de cervidés. Quatre pièces à Chinchon I (Pl. I, n° 1, 3, 4, 9) et une à Soubeyras (Pl. V, n° 7) témoignent du travail de l'os. À la vue du mobilier des trois sites étudiés, il n'est malheureusement pas possible d'avoir recours au remontage « par défaut » car il faut au moins deux catégories de produits – celles placées aux extrémités de la chaîne opératoire étant les plus importantes (cf. déchets et objets finis). Or Charasse et Soubeyras ne présentent que des objets finis et chacun un déchet non significatif (cf. déchet sur épois et déchet de réfection). Par contre à Chinchon I, l'industrie osseuse comporte : des objets finis, une baguette brute de débitage (soit un support), une ébauche de harpon, des déchets de débitage – aménagés par la suite en pointes – et des déchets de réfection. Toutes les catégories sont donc représentées, mais le corpus n'est pas assez important. La technologie n'est donc abordée qu' à travers l'identification des stigmates de travail. Ceci permettra à terme de mettre en évidence l'emploi de plusieurs techniques, procédés et méthodes. À Chinchon I, comme technique de fracturation, nous avons l'enlèvement par percussion lancée tranchante directe; et parmi les techniques d'usure, on trouve le raclage – identifié sur toutes les pièces dont l'état de conservation le permet – et le polissage léger (Pl. I,n° 3) qui renvoient à une usure en surface; le rainurage – notamment reconnu grâce aux vestiges des rainures de débitage (Pl. I,n° 2 et 6) – et l'incision (Pl. I, n° 1) qui entraînent une usure en profondeur. À Charasse, on retrouve à peu près les mêmes techniques d'usure : le raclage et l'abrasion qui est notamment identifiée sur la face supérieure de la baguette demi-ronde (Pl. IV,n° 1); le rainurage et l'incision (Pl. IV, n° 1 et 2). À Soubeyras, les techniques d'usure sont représentées par : le raclage, l'abrasion et un probable polissage pour la pièce 5; le rainurage et l'incision (cf. décor Pl. V, n° 1 et 6). Toutes ces techniques constituent « les éléments de base des procédés, des méthodes et passant de la chaîne opératoire » (Averbouh 2000, p.135). Elles participent d'une manière générale aux trois opérations de la chaîne technique opératoire que sont le débitage, le façonnage et la finition. Sur les trois sites, l'étude technologique a révélé l'utilisation de divers procédés participant soit au débitage, soit au façonnage, soit à la finition. Pour le débitage, plusieurs procédés de détachement ont été identifiés. Il s'agit : du procédé de sectionnement par rainure bifaciale profonde et suivie d'un détachement par éclatement en percussion lancée diffuse; ou par élimination de matière en percussion lancée tranchante (Charasse, Pl. IV, n° 5). On trouve aussi un procédé d'arrachement consistant à aménager deux rainures bilatérales, parallèles ou convergentes, et participant au débitage par extraction de baguettes brutes. Pour le façonnage, nous avons reconnu différents procédés de modification des formes et des masses, au sens strict : le raclage intégral; le biseautage, obtenu par un raclage intense (Chinchon I, Pl. I, n° 5) ou par une abrasion (Soubeyras, Pl. V, n° 5), et l'appointage réalisé grâce à un raclage intense mais fin (Chinchon I, Pl. I, n° 3). Furent également identifiés deux procédés permettant l'aménagement d'attributs : un procédé de perforation sur le harpon « azilien » de Chinchon I et plus particulièrement sur l'embase, par rotation circulaire bifaciale; et un procédé de découpage, également reconnu à Chinchon I, pour mettre en place les barbelures des deux harpons. Pour la finition, quelques pièces de notre corpus ont montré qu'elles avaient subi une régularisation fine de leurs surfaces, par le recours à un raclage fin ou à un léger polissage. Le renforcement de la fonction du biseau par l'ajout de stries obliques entrent également dans cette phase de la chaîne opératoire (pièce 7, Chinchon I). Certaines pièces ont posé problème par rapport à leur réintégration dans la chaîne opératoire. Il s'agit de deux épois sectionnés à Chinchon I (pièces 6 et 15). Leur sectionnement semble à la fois lié à la préparation du bloc et à la production d'un support, nous aurions donc un déchet d'élagage par la suite transformé en outil. D'autres procédés de transformation – intervenus lors de l'utilisation des objets finis – furent identifiés grâce à l'analyse technologique. Ils permettent de réaffûter les sagaies et correspondraient à de l'entaillage. Les déchets ainsi produits pourraient correspondre aux « sagaies à base raccourcie ». L'étude technologique de notre corpus, majoritairement constitué d'objets finis, atteste un débitage par extraction de baguettes. Il s'agit, à l'heure actuelle, de la méthode la plus connue pour le Magdalénien. Elle n'est ici représentée, de manière significative, que par une matrice d'extraction (cf. fragment d'andouiller débité à Chinchon I) et par deux baguettes brutes de débitage (Chinchon I, Pl. III, n° 14, 16). Par contre, les façonnages d'approche et d'entame sont bien illustrés par les sagaies et les harpons. Le premier a pour objectif de « donner au support sa forme et ses dimensions définitives, c'est-à-dire mettre essentiellement en place les plans principaux » (Averbouh 2000, p. 156). Le second consiste à « donner au support des formes ciselées, précises, correspondant souvent aux plans secondaires » (Ibid). On le rencontre lors de la réalisation des barbelures des deux harpons de Chinchon I, qui ont été obtenues selon deux façons différentes. Les unes furent dégagées par découpage grâce à des rainures longitudinales et bifaciales; les autres furent directement sculptées (Pl. II, n° 13), en travaillant le flanc perpendiculairement aux faces supérieure et inférieure. Ici, la démarche consiste plus précisément en un rainurage bifacial et élargissement progressif en « boutonnière ». D'après les stigmates reconnus, toutes les pièces étudiées renvoient au schéma de transformation par extraction. En effet, les sagaies sont façonnées sur des baguettes de bois de renne ou de cerf, ou plus rarement sur des baguettes en os. Après obtention de ces supports par double rainurage, est venue la phase du façonnage par raclage plus ou moins intense, selon la forme désirée et donc la quantité de matière à retirer. L'abrasion est aussi attestée et a servi à l'élimination du tissu spongieux et des perlures dans le cas du bois de cerf. Les stigmates du raclage sont visibles sur la plupart des pièces. Lorsque ce n'est pas le cas, cela vient des problèmes de conservation et non d'un quelconque polissage. Le raclage fut utilisé lors de deux séquences de la chaîne opératoire de fabrication : le façonnage et la finition. Pour cette dernière, il s'agit d'un raclage fin qui sert à une régularisation soignée des surfaces. Etant donné que cette technique demeure encore assez méconnue, nous avons entrepris une série d'expérimentations (Braem 2002). On a vu ensuite que les deux méthodes de façonnage identifiées jusqu' à présent (Averbouh 2000) – d'approche et d'entame – sont présentes dans notre corpus et plus précisément dans le mobilier de Chinchon I. Après cette étape, un travail de finition a parfois été réalisé et correspond à la mise en place d'un décor (cf. incisions), renvoyant à des motifs non figuratifs. La sphère économique est abordée grâce à l'analyse des trois étapes de la chaîne techno-économique de transformation : l'acquisition, la production et la consommation. Cependant cette chaîne opératoire est d'abord étudiée à partir de la « finalité économique du débitage » (Averbouh 2000, p. 213). Sur les trois sites, le débitage a permis principalement d'obtenir des supports plats. En effet, cette production renvoie à la totalité des objets finis, mis à part les outils aménagés sur épois. D'après les dimensions des objets, il ne semble pas y avoir eu standardisation des supports que sont les baguettes. Pour la production des supports en volume, se pose le problème de leur véritable finalité. Aucun indice ne permet de savoir si le débitage des épois constitue réellement une production de supports, voire une production d'outils. Il semble plutôt s'agir d'une exploitation opportuniste, car les Préhistoriques n'ont pas fabriqués d'objets en volume tels que des bâtons percés. Ces épois seraient alors des déchets appartenant à la production de supports plats. Ces hypothèses tiennent bien évidemment compte du fait que tout le corpus ne provient ni du même site, ni des mêmes niveaux à l'intérieur de chacun des sites. Les productions sont donc peu importantes quantitativement et qualitativement – si production il y a eu in situ. La question de la productivité ne peut être résolue ici, le remontage par défaut n'ayant pu être mis en œuvre. Pour cette raison, il est difficile avec si peu de matériel de dire combien de baguettes furent extraites à Chinchon I. Pour les deux autres sites, Charasse I et Soubeyras, aucun vestige ne témoigne de la production des objets sur place. Ainsi, les sagaies et la baguette demi-ronde pourraient correspondre à un « équipement exogène ». Il s'agit du matériel transporté depuis un autre site, au cours des déplacements de ces populations. Par contre, à Chinchon I, une partie de l'équipement fut fabriqué in situ (cf. déchets de débitage). On parle alors d' « équipement endogène ». Deux sources ont pu être sollicitées : les produits de la chasse ou plus particulièrement les déchets de nourriture et la collecte qui renvoie principalement aux bois de cervidés. L'approvisionnement en bois peut être local, la présence du renne et du cerf étant attestée en Vaucluse. A Chinchon I, les deux espèces sont représentées dans la faune d'où l'acquisition d'une partie de la matière première a pu se faire par la chasse. A Charasse I et Soubeyras, le renne n'a pas été identifié parmi les restes fauniques, ce qui pourrait signifier que l'acquisition en bois de cervidés s'est plutôt effectuée par collecte, dans la mesure où il y a production sur place. La faible quantité de pièces d'industrie osseuse tend à montrer que cette activité est marginale au sein des préoccupations du groupe. A ce stade de la réflexion, il apparaît prétentieux d'aller plus en avant pour deux raisons : car la faune est peu conservée sur ces sites (cf. problèmes taphonomiques), et car la saisonnalité et la durée des occupations n'ont pas encore fait l'objet d'études. Néanmoins, l'industrie osseuse – en général – garde une place importante dans l'économie de ces populations du Paléolithique supérieur, car elle leur procure les « armes » nécessaires notamment à la chasse et/ou à la pêche (cf. sagaies et harpons). La consommation des objets fut intensive dans le sens où certaines sagaies furent réaffûtées pour être utilisables plus longtemps. Tous les objets finis furent abandonnés après utilisation, comme en témoignent les cassures et les écrasements provoqués par les chocs lors de leur utilisation comme projectiles. Par conséquent, lorsqu'ils ont quitté le site (Chinchon I ou Charasse I ou Soubeyras), les hommes ont laissé sur place les outils qui ne pouvaient plus servir. L'étude du matériel archéologique des trois sites vauclusiens a mis en évidence la pauvreté quantitative et qualitative de l'industrie osseuse dans cette région, pour la seconde moitié du Paléolithique supérieur. Il paraît possible d'extrapoler ce constat à l'ensemble du Sud-Est, le Vaucluse étant en fait la région la plus riche dans ce domaine de la culture matérielle. De plus, les diverses analyses tendent à montrer que ce mobilier peut être rapproché de l'industrie osseuse magdalénienne du Sud-Ouest de la France. Toutefois, il faut tenir compte de l'état médiocre des connaissances sur l'industrie osseuse épigravettienne. En effet, les références font défaut pour l'Italie du nord d'abord parce que ce type de vestiges n'a pas encore fait l'objet d'études et de publications systématiques; ensuite parce que les séries disponibles sont peu nombreuses en raison de sérieux problèmes de conservation. Ce premier travail conduit en maîtrise a permis de constater que l'industrie osseuse du Vaucluse se caractérise par un équipement relativement peu diversifié et proche de celui des Magdaléniens du Périgord. En outre, les techniques, les procédés et les méthodes de fabrication ne diffèrent pas de ceux connus jusqu'alors dans la région voisine du Sud-Ouest. Ces premiers éléments n'offrent pas encore d'arguments suffisamment pertinents pour répondre à la question d'origine : les groupes du Sud-Ouest et du Sud-Est de la France forment-ils un ensemble homogène ? Ont-ils eu des contacts les uns avec les autres ? Si oui, sont-ils visibles dans ce domaine de la culture matérielle ? C'est pour être en mesure de répondre à ces interrogations que notre recherche actuelle s'articule autour de trois axes prioritaires : la caractérisation de l'industrie osseuse du Périgord (qui permettra peut-être de résoudre le problème d'attribution des séries du Sud-Est); la caractérisation de l'industrie du Sud-Est, l'analyse comparée de l'ensemble aux séries pyrénéennes. À travers ces études, nous pourrons traiter les questions des origines géographique, chronologique et culturelle des groupes installés à l'est du Rhône et du Magdalénien des Pyrénées, en se fondant sur ce qu'on aura vu en Périgord. Les comparaisons doivent permettre d'aborder notamment le problème des relations entre ces groupes, relations déjà vues à travers l'étude des industries lithiques, des arts mobilier et pariétal… Pour caractériser l'industrie osseuse du Magdalénien en Périgord, notre choix s'est porté notamment sur les gisements de Laugerie-Haute et de Laugerie-Basse. En DEA, nous avons commencé par l'étude du travail des bois de cervidés de Laugerie-Haute Est (fouilles Peyrony) où le Magdalénien est représenté dans sa phase moyenne par le Magdalénien III (Braem 2003). Pour le deuxième axe de recherche (caractérisation de l'industrie osseuse du Sud-Est), le champ de vision a besoin d' être élargi par l'analyse techno-économique d'autres séries. Ces nouvelles études permettraient : de faire un tour d'horizon complet des sites du Sud-Est, rapportés ou se rapportant aux périodes concernées (soit réaliser un inventaire exhaustif du matériel présent); et de caractériser – le plus justement possible – ces industries en matières osseuses. Pour alimenter la réflexion, on s'appuiera ensuite sur les informations acquises pour les groupes pyrénéens (qui ont été souvent rapprochés des groupes périgourdins) et éventuellement sur ce qu'on connaît dans le nord de l'Italie (puisque des groupes épigravettiens ont vécu dans cette région et dans le Sud-Est de la France) .
Réalisée dans le cadre d'une maîtrise, cette étude a été consacrée à la caractérisation de l'industrie en matières dures animales de la fin du Paléolithique supérieur dans le Sud-Est de la France. Cette industrie et ses auteurs posent question quant à leur rattachement chronologique et culturel aux ensembles mieux connus du Sud-Ouest de la France ou du nord de l'Italie. C'est à cette interrogation majeure de la connaissance du peuplement du Sud-Est de la France que nous avons tenté d'apporter des éléments de réponse à travers une analyse typo-fonctionnelle et technologique des séries de trois sites vauclusiens (Chinchon I, Charasse I. Soubevras).
archeologie_08-0168756_tei_323.xml
termith-73-archeologie
La transition entre le Paléolithique moyen et le Paléolithique supérieur intéresse depuis longtemps les préhistoriens car elle marque un changement important dans l'histoire de l'Homme, tant d'un point de vue culturel que biologique. En effet, en Europe, cette période voit à la fois la disparition des Néandertaliens et des cultures moustériennes, ainsi que l'apparition des Hommes anatomiquement modernes et du Paléolithique supérieur. Le coeur de ce débat consiste alors à savoir dans quelle mesure ces deux bouleversements, l'un biologique, l'autre culturel, sont liés ou non. En ce qui concerne les industries lithiques, les discussions se concentrent essentiellement sur leur statut “de transition ”, c'est-à-dire empruntant des éléments tant au Moustérien qu'au Paléolithique supérieur et qui, chronologiquement, sont positionnées entre ces deux grands ensembles. Le Châtelperronien apparaît de ce fait comme un des technocomplexes de transition parmi les plus emblématiques de ce débat. Nommé et caractérisé dès le début du XX è siècle par l'Abbé Henri Breuil (1911), à partir de ses travaux sur la Grotte des Fées à Châtelperron (Allier), ce technocomplexe, essentiellement reconnu dans un grand quart sud-ouest de la France et dans le nord de l'Espagne (Harrold 1989 pour une synthèse) semble se positionner entre 39 000 et 33 000 BP, soit à la fin du stade isotopique 3a (Lahaye 2005). Son industrie lithique se caractérise par une production de supports laminaires plutôt larges (1,5 à 3 cm) et assez courts (4 à 8 cm), de profil rectiligne et principalement dévolus à la fabrication de châtelperrons, pièces à dos courbe et à pointe plus ou moins déjetée (Pelegrin 1995). Dernière industrie attribuée aux Néandertaliens (Lévêque et Vandermeersch 1980), le Châtelperronien est également marqué par l'apparition d'une industrie osseuse (Baffier et Julien 1990; D'Errico et al. 2004) et des premières traces de parure (Taborin 1990; Granger et Lévêque 1997). Les séries châtelperroniennes sont relativement rares (n = 44) et bien souvent mal conservées, voire mélangées (Bordes 1958; Pelegrin 1995). Ces constatations valent en particulier pour les sites de plein air (n = 6) où aucune répartition spatiale particulière n'a été observée, excepté à Canaule II (Guichard 1970) et dans une moindre mesure, sur le site des Tambourets en Haute-Garonne (Bricker et Laville 1977). Pourtant, c'est bien à partir d'ensembles non mélangés qu'il importe de discuter la définition du Châtelperronien, étant donné la question de son statut d'industrie de “transition ”. Quelle valeur donne -t-on par exemple aux pièces d'aspect moustérien ? Véritable association culturelle avec le Moustérien de tradition acheuléenne (Bordes 1958; Soressi 2002) ou mélange, comme supposé pour certains assemblages par J.-Ph. Rigaud (1996) ? L'étude de la série de Canaule II devrait donc permettre d'apporter de nouveaux éléments à la définition du Châtelperronien. C'est dans cette perspective que cet article évalue le degré de préservation et explore le potentiel informatif de ce site, à partir de l'analyse taphonomique, typo-technologique et spatiale de cinq remontages. L'intérêt taphonomique, techno-économique et spatial des remontages ayant largement été démontré (Cahen et al. 1980; Bodu 1990; Bordes 2002), nous avons ici appliqué cette méthode dans le but d'appréhender, d'après les déplacements d'objets, le degré de préservation du site, de repérer une éventuelle structuration des vestiges, ou encore de mettre en évidence les traditions techniques propres aux Châtelperroniens de Canaule II. Nous avons alors analysé cinq remontages poussés à leur maximum, en portant un soin particulier aux petites pièces qui permettront de mesurer, en partie, l'importance des déplacements post-dépositionnels des vestiges (fig. 3). Ces blocs ont été choisis car ils nous paraissaient représentatifs de la variabilité des comportements techniques à l' œuvre dans le site. A savoir : trois débitages laminaires fortement investis [remontages 1, 2 et 3 (pl. 1 à 5) ], un débitage d'éclats [remontage 5 (pl. 7, en annexe) ], et un débitage conditionné par la mauvaise qualité de sa matière première (remontage 4 (pl. 6, en annexe), présentant toutefois, par le très faible nombre de supports réguliers obtenus, un intérêt taphonomique particulier (on peut supposer qu'il n'y eut aucune intervention humaine de type sélection/déplacement après le débitage). Pour que cette sélection permette d'aborder au mieux les trois champs d'application des remontages et ce afin d'évaluer le potentiel informatif de Canaule II, la recherche systématique de raccords, assortie de l'analyse de la répartition spatiale des objets remontés a été effectuée. De plus, ceux -ci ont tous fait l'objet d'une étude technologique (Pelegrin 1995), pour laquelle ont été pris en compte : la localisation et l'étendue du cortex; les longueurs, largeurs et épaisseurs des supports; la courbure, la section et la régularité des supports laminaires; les caractères des talons (aspect et épaisseur); la localisation et la description des retouches, ainsi que la présence éventuelle de traces d'utilisation. Enfin, l'étude de l'ensemble de l'outillage retouché a été entreprise. L'analyse typologique a alors été réalisée à partir de la liste type de D. de Sonneville Bordes et de J. Perrot (1954-1955-1956). Le site de Canaule II est localisé sur le bord du plateau surplombant d'environ 60 mètres la rive droite de la Dordogne, à quelques kilomètres en amont de Bergerac (fig. 1). L'environnement proche du site est formé de trois systèmes sédimentaires différents. Les basses terrasses sont composées de sables et de galets, alors que les hautes terrasses, sur une desquelles se place le site, sont constituées de sables et d'argiles dont l'acidité n'a pas permis la conservation des vestiges organiques. Enfin, les produits de décalcification du calcaire maestrichtien constituent l'assise du plateau (carte géologique n° 806, Bergerac). Comme l'ont montré bon nombre de travaux portant sur le sujet (p.ex. Demars 1994; Séronie-Vivien 1987) le contexte gîtologique de la région de Bergerac, et de ce fait de Canaule II, est remarquable. On trouve en effet sur le plateau et en particulier aux abords immédiats du site, de très nombreuses silicifications du calcaire maestrichtien, nommées communément silex “du Bergeracois ”, dont les dimensions et la qualité exceptionnelles (Séronie-Vivien 1987) permettent d'exprimer pleinement les concepts et objectifs de taille des artisans du Paléolithique. Par ailleurs, les terrasses fluviatiles contiennent de nombreux nodules de silex sénoniens, gris et noir essentiellement (Demars 1994), souvent de grain fin, mais généralement fissurés par le gel et de petites dimensions (<15cm). Elles peuvent également contenir dans une moindre mesure des matériaux tertiaires et jurassiques. Cet environnement gîtologique exceptionnel explique en grande partie la richesse du contexte archéologique de ce plateau qui atteste la présence de groupes humains depuis l'Acheuléen jusqu'au Magdalénien. Nous pouvons ainsi citer parmi les sites les plus importants ceux de Toutifaut, Barbas, les Pendus, (Guichard 1966, 1976 et 1970), Usine-Henry (Morala 1992, 2001), le Vieux Coutet et Cantalouette (Bourguignon et al. 2004). Le site a été découvert en 1962 par Jean Guichard à la suite de prospections pédestres. Un sondage effectué la même année permit de déterminer la présence d'un riche niveau archéologique attribué au Châtelperronien à l'extrémité ouest du bord de plateau de Canolle sur lequel J. Guichard avait précédemment mis en évidence un premier gisement, Canaule I, et dont l'industrie fût rapportée à un faciès industriel original le “Canaulien” (Guichard et al. 1989; Morala 2000 et 2001). La fouille du site, supervisée par Jean Guichard et Geneviève Guichard son épouse, principalement assistés par Guy Célérier, s'est déroulée en 1968 et 1969. D'après le fouilleur, le niveau archéologique représente une occupation de plein air située sous 80 cm de limons. La fouille extensive sur 67 m 2 a permis de “cartographier dans le détail d'assez riches concentrations” (Guichard 1970, p. 503) (fig. 2). Face à ces amas lithiques implantés à proximité immédiate de gîtes de matières premières et en l'absence d'indices de zones d'activités particulières ou d'habitats visibles, ce site a alors été défini lors de la fouille comme étant, de la même manière que ses voisins (Barbas par exemple), un atelier de taille (Guichard 1970). La nomination de Jean Guichard au poste de Conservateur du Musée national de Préhistoire des Eyzies-de-Tayac (1967), associée à ses responsabilités de maire de la commune (de 1977 à 1988), ne lui permit pas de réaliser l'étude souhaitée de ce matériel dont seule une partie a été publiée. En ce qui concerne l'étude de l'assemblage lithique, un classement typologique associé à une première recherche de raccords fut entrepris par André Morala et Jean-Pierre Chadelle en 1980 et 1981. Ces travaux furent ensuite poursuivis avec Jacques Pelegrin en 1986 et 1987 mais interrompus temporairement pour des raisons pratiques (thèse en cours : Pelegrin 1995, p. 260). Ces analyses ont été reprises à partir de 2003 lors de l'élaboration du programme muséographique du nouveau Musée national de Préhistoire des Eyzies-de-Tayac. Dans cette perspective scénographique d'agencement des nouvelles galeries permanentes d'une part et de la publication des résultats de l'analyse technologique en cours par Jean Guillaume Bordes, Jacques Pelegrin et André Morala d'autre part, l'étude du matériel lithique a été largement prolongée. Par ailleurs, dans le cadre de la présentation muséographique retenue et pour permettre de disposer d'un document de répartition planimétrique adapté, illustrant la répartition spatiale des vestiges et des activités pratiquées sur ce lieu d'occupation, tous les carnets de fouille et les fiches de relevés du site ont été traités et numérisés. La reprise de ce travail a ensuite fait l'objet d'un mémoire de deuxième année de Master à l'Université Bordeaux 1 (Bachellerie 2006), dont cet article intègre les principaux résultats. Lors de la fouille, tous les vestiges ont été cotés individuellement en deux dimensions et les éléments de moins de 2 cm (correspondant aux refus de tamis) relevés par mètre carré. Le niveau étant quasiment horizontal, les cotes d'altitude ne sont pas systématiques. Elles ont généralement été mesurées pour les pièces de plus grandes dimensions. D'après la copie des carnets de fouille à notre disposition, nous dénombrons 5 030 pièces cotées individuellement. En comparant les projections réalisées grâce à ces carnets avec le plan effectué à partir des relevés de fouilles, nous nous rendons compte qu'il manque les cotes des vestiges de la partie Nord-Ouest du carré I3. En tenant compte de cette absence, nous pouvons néanmoins estimer le nombre total de vestiges cotés de Canaule II à 5 100 pièces environ, dont 141 outils. En ce qui concerne les pièces de moins de 2 cm relevées par mètre carré, nous avons estimé leur nombre en sélectionnant un échantillon de 200 grammes constitué d'éléments non cotés. Celui -ci a été décompté et la totalité des refus de tamis a été pesée. Le rapport entre les données obtenues nous permet d'estimer le nombre de ces pièces à 10 100 (± 10 %). Il faut toutefois noter que le tamisage à sec, dont nous ne connaissons ni la maille ni le caractère systématique, effectué lors de la fouille n'a certainement pas permis de récolter la fraction la plus fine des vestiges lithiques. Le décompte précis des différents types de matières premières est en cours dans le cadre d'une thèse (F.B.). Un tri de la série par blocs, associé à un rapide examen visuel nous a toutefois permis d'estimer qu'environ 98 % des vestiges sont en silex maestrichtien dit “du Bergeracois ”, dont les gîtes se trouvent à proximité immédiate du site. Les 2 % restant se partagent ensuite entre les silex sénoniens gris-noir (Demars 1994), taillés sur place, sans doute ramassés sur les berges de la Dordogne (n° 1 - fig. 4; n° 3 - fig. 5), et les silex tertiaires apportés sous forme d'outils provenant très probablement de la rive gauche du fleuve (n° 2 – fig. 4). Un unique éclat en silex du Turonien inférieur du Fumélois (Morala 1984) a également été diagnostiqué, alors que deux pointes de Châtelperron sont en matériau d'origine indéterminée. Si l'homogénéité de la série de Canaule II semble confirmée par la très forte cohérence typologique et technologique de l'assemblage associée à un très fort taux de raccords, l'intérêt de cette étude va alors être de mesurer la validité de l'organisation spatiale des vestiges, par l'analyse de leur plan de répartition puis par l'étude de quelques remontages lithiques. Nous nous intéresserons particulièrement aux éléments de petites dimensions qui sont, d'une manière générale, susceptibles de se déplacer plus rapidement sous l'effet de processus naturels et qui, n'étant pas des produits de première intention, ne sont pas déplacés par les hommes. La projection verticale des objets cotés montre que la nappe de vestiges de Canaule II est concentrée sur quelques centimètres d'épaisseur, avec une pente moyenne inférieure à 2 % vers le sud-est (fig. 2). Cette configuration rend peu probable la déformation de cette nappe par des processus associés aux dépôts de pentes, telle que la solifluxion par exemple. Cependant, et compte tenu de leur âge, ces vestiges ont nécessairement traversé de nombreux épisodes climatiques contrastés et notamment le dernier maximum glaciaire. Il serait donc étonnant que ces phénomènes n'aient en rien affecté cette nappe d'objets. Ainsi, d'après le plan de répartition du matériel (fig. 2), l'existence de polygones de gel, soulignée par l'organisation des vestiges, a été proposée (Arnaud Lenoble et Pascal Bertran, com. pers.). L'observation des projections est de nature à invalider cette hypothèse car elle ne met pas en évidence de déplacements verticaux d'objets le long de ces polygones présumés, qui par ailleurs ne semblent pas remettre en cause l'intégrité des concentrations visibles. Notons également qu'aucune marque de gel (cupules, fissuration, éclatement) n'est présente sur les objets. L'ensemble de ces remarques est, de plus, confirmé par l'analyse de la répartition spatiale des objets, en particulier ceux inclus dans les remontages (fig. 3). En effet, la dispersion des blocs étudiés est faible. Cela transparaît de façon très nette pour les remontages 1 et 4, où la plus grande partie des restes de débitage se retrouvent dans le même mètre carré (fig. 3). Pour les autres, la dispersion des vestiges semble légèrement plus importante, mais les remontages sont toujours circonscrits dans des concentrations de dimensions tout à fait similaires à ce que l'on observe en contexte expérimental (Bertran et al. 2006). Enfin, la quantité des éléments de moins de 2 cm remontés paraît non négligeable. Ainsi, leur proportion atteint jusqu' à 17 % pour les remontages 2 et 4. Elle apparaît toutefois moins importante pour les autres remontages mais cela peut s'expliquer par la couleur moins caractéristique de ces blocs qui rend le remontage de ces petits éléments plus difficile. Au final, cet aspect quantitatif nous permet ici de minimiser la dispersion des vestiges par des processus post-dépositionnels. Il apparaît donc, par l'absence de toute contamination, le très fort taux de raccords et l'information spatiale préservée, que la conservation du niveau châtelperronien de Canaule II est exceptionnelle. L'étude typologique a permis de dénombrer 141 outils (tabl. 1; fig. 7), soit environ 2,7 % des pièces cotées, même si par ailleurs un premier diagnostic montre l'existence de traces d'utilisations, y compris sur de nombreux objets bruts. Si dans certains cas, ces marques peuvent être naturelles, une attention particulière devra être portée sur les produits de première intention. Notamment sur les supports réguliers de “plein débitage” ou possédant un dos naturel, qui ont pu être utilisés sans transformation préalable. En ce qui concerne l'outillage retouché, les couteaux ou pointes de Châtelperron constituent plus d'un tiers de l'outillage (32 %) si l'on y adjoint les pièces “atypiques” (n° type 47 : dos fin ou discontinu) selon Sonneville-Bordes (fig. 5). Les grattoirs sont presque aussi nombreux (27,6 %), avec une très forte proportion de grattoirs sur éclats (16,3 %) (fig. 4). Viennent ensuite les lames à dos (14,9 %) et les pièces tronquées (9,2 %) (fig. 5). Il faut cependant noter que la présence de burins est très discrète (2,8 %). Enfin les racloirs, encoches et denticulés forment ensemble environ 10 % des outils déterminables. Mais aussi intéressant qu'il soit, tant d'un point de vue descriptif que comparatif, ce classement selon la typologie classique mériterait d' être repensé sur la base de nouvelles grilles. Évoquons ici quelques pistes de travail : Déjà mise en évidence à Arcy-sur-Cure par N. Connet (2002), la distinction de deux sous-types de grattoirs nous semble pertinente et à explorer ici. A la suite de cet auteur, nous pouvons distinguer d'une part les grattoirs possédant un front peu marqué mais avec un angle de retouches aigu (n° 3 - fig. 4); d'autre part, ceux dont le front est beaucoup plus large avec cette fois un angle de retouches semi-abrupt (n° 1 et 2 - fig. 4). Cette distinction, pouvant être liée à des fonctions, des supports ou encore des usures différenciées, ne peut être perçue par un simple classement typologique selon la grille classique. Ces observations devront être validées par une étude de l'outillage suivant cette problématique, confrontée avec les approches technologiques, fonctionnelles et spatiales. Nous avons déjà évoqué la faible représentation des burins dans l'assemblage de Canaule II, mais leur définition serait à rediscuter car il pourrait s'agir de nucléus sur éclats débités sur la tranche. Si cela apparaît évident dans certains cas, comme à la Côte par exemple, où deux burins sont en fait des nucléus sur éclats (Pelegrin 1995), la difficulté ici est de savoir à partir de quel moment nous pouvons parler de nucléus plutôt que de burins. La recherche poussée de remontages entre les burins et leurs chutes, associée à une étude tracéologique, pourrait permettre d'argumenter l'intention première de ce débitage. L'objectif est de savoir si ce sont les supports produits ou au contraire les burins qui ont été utilisés, même s'il faut garder à l'esprit que ces deux possibilités aient pu coexister. L'avis de D. de Sonneville-Bordes pour qui “la pointe de châtelperron présente dans toutes les séries une grande variabilité typologique” (Sonneville-Bordes 1972), est parfaitement valable ici. Nous pourrions même préciser que l'on passe insensiblement des pièces “typiques” à celles dites “atypiques” (car finalement l'épaisseur du dos ou la continuité de la retouche dépendent en grande partie de la morphologie du support), mais aussi aux lames à dos plus ou moins épais, ou aux pièces tronquées (fig. 5). En réalité, toutes les pièces à retouche semi abrupte ou abrupte et toujours au moins distale, nous semblent constituer une famille au sein de laquelle il apparaît difficile d'opérer des découpages sans ambiguïté. Il faudrait pour cela une analyse morphométrique poussée des types de retouches et de supports ainsi que de leur corrélation éventuelle. Les données d'ordre fonctionnel et spatial ne nous aident pas non plus à faire de distinction nette entre ces types d'outils. En effet, si les pièces à dos ou tronquées peuvent aisément être liées à un travail de découpe (viande, peaux, bois, etc.), la fonction principale des châtelperrons sur le site reste en suspens : pointe de projectile (sachant que celles -ci sont associées au Paléolithique supérieur) ou couteau à dos (directement issus du moustérien) ? Dans l'état actuel de nos recherches, il paraît difficile de trancher pour telle ou telle fonction, même si l'absence de fractures d'impacts claires ne semble pas plaider ici pour une utilisation en pointe de projectile. Enfin, les informations spatiales indiquent que la majorité des pièces à dos se retrouve au sein des amas. Impliquant alors, et même si leur importance quantitative surprend, soit une utilisation sur place de ces outils, soit un abandon au stade de la retouche. Le cortège plus ou moins important, dans les industries châtelperroniennes, de “souvenirs” moustériens (racloirs, encoches et denticulés) (Bordes 1958), pose problème quant à sa provenance : véritable association culturelle, ou mélanges avec des niveaux moustériens sous-jacents (Rigaud 1996) ? L'étude d'une série parfaitement homogène comme celle de Canaule II devrait permettre d'avancer un début de réponse. Ainsi, d'après les décomptes, les éléments du “fonds moustérien” représentent environ 10 % de l'outillage retouché, entrant dès lors dans la variabilité connue pour l'Aurignacien ancien (Sonneville-Bordes 1960). De plus, ces outils sont réalisés sur des sous produits du débitage laminaire et non sur des éclats issus d'un débitage autonome. Or, de tels objets se retrouvent dans des ensembles aurignaciens par exemple. Tout ceci amène alors à relativiser, si ce n'est pas la présence, du moins la proportion d'éléments caractéristiques du Paléolithique moyen dans les industries châtelperroniennes. Les résultats présentés ici sont issus de l'étude de cinq remontages lithiques (composés de 326 pièces, soit 6,4 % des pièces cotées), figurés en annexe sous forme de fiches techniques (pl. 1 à 7, en annexe). Ils sont tous en silex maestrichtien dit “du Bergeracois ”, de bonne qualité et de couleurs variées. En ce qui concerne le remontage 5 (pl.7, en annexe), ses éléments ont été collés pour les besoins de la muséographie du Musée national de Préhistoire des Eyzies-de-Tayac. Par manque de temps, il nous a été impossible de le démonter pour l'étudier dans son intégralité, impliquant alors une description plus sommaire de son débitage et une incapacité à analyser sa répartition spatiale. L'étude de ces remontages nous a permis de mettre en évidence que la production lithique de Canaule II est quasi-exclusivement orientée vers l'obtention de lames, au moyen d'un schéma de débitage semi tournant non convergent. Celui -ci peut alors être réalisé sur bloc [remontages 1 (pl. 1-2, en annexe) et 3 (pl. 4-5, en annexe) ], ou sur tranche et face inférieure d'éclat [éclat 2A (pl. 3) ]. Les remontages 1 et 3 montrent que ces deux méthodes peuvent également coexister sur un même bloc. Le débitage sur tranche d'éclat est le plus répandu avec une fréquence de 52,6 % de l'ensemble des nucléus, contre 28,8 % de production sur bloc. Les 18,6 % restants représentent les indéterminés. Leur importance numérique s'explique par la forte réduction de certains nucléus au cours de leur exploitation, rendant dès lors la caractérisation de leur support incertaine. Enfin, le remontage 5 (pl. 7, en annexe) se présente apparemment comme un nucléus à éclats, sans pour autant rappeler une méthode reconnue des industries moustériennes. Sa mise en forme matérialisée par l'installation de crêtes, aboutissant à une configuration et à un module identiques à ceux observés pour les nucléus laminaires de la série, permet de penser qu'il n'était sans doute pas destiné, dans un premier temps, à fournir une production intentionnelle d'éclats. Les Châtelperroniens de Canaule II ont débité différents type de volumes : gros bloc [remontages 2 (pl. 3, en annexe) et 3 (fig. 11, en annexe) ], plaquette [remontage 1 (pl. 1-2 ], gros éclats [remontage 2A (pl. 3) ]. Ils ont utilisé pour cela des modalités de mise en forme diverses, afin d'aboutir à une morphologie constante de la surface de débitage. Pour les nucléus sur blocs, les procédures employées mettent en jeu des crêtes variées : dans le remontage 1 (pl. 1-2), le tailleur a utilisé une nervure latérale naturelle pour orienter et guider le débitage, alors que pour le remontage 5 (pl. 7, en annexe), une crête à un versant préparé a été mise en place. Des crêtes à deux versants préparés se rencontrent aussi dans le reste de la série de Canaule II, même si elles paraissent plus rares. Pour les nucléus sur éclat, il semble que la mise en forme se fasse de façon quasi exclusive à partir d'une crête à un versant préparé, généralement mise en place à partir d'une large surface lisse préexistante [remontages 2A (pl. 3, en annexe), 3-1b et 3-1c (pl. 5, en annexe) ]. La localisation et l'orientation des surfaces de débitage montrent que les plus longues n'étaient pas forcément recherchées en priorité. Par ailleurs, la volonté d'obtenir des supports larges a commandé un débitage sur des faces relativement larges des nucléus. Dans le cas des nucléus prismatiques, une fois la surface de débitage exploitée, la production déborde latéralement sur un des flancs qui sera alors à son tour débité. Lorsque la production affecte toutes les faces de nucléus, celui -ci prend en fin de réduction l'aspect d'un débitage tournant, alors que chaque face a été exploitée successivement sur toute sa largeur. De la même façon, la volonté d'obtenir des produits rectilignes va impliquer le recours très fréquent à la mise en place de deux plans de frappe opposés, pour surmonter le manque de convexité longitudinale de la surface de débitage [remontages 1 (pl. 1-2), 3 et 3-1a (pl. 4-5) ]. D'après l'épaisseur assez importante des talons et la présence de bulbes de percussion proéminents sur les éclats provenant de la mise en forme des volumes, il apparaît nettement que la percussion directe au percuteur dur a été utilisée, associée à un geste “rentrant ”. Pour les autres éléments, dits “de plein débitage ”, la présence de talons minces (filiformes ou punctiformes), ainsi que de stigmates tels que les esquillements du bulbe et/ou du talon (Pelegrin 2000), permettent d'argumenter ici l'utilisation de la percussion directe à la pierre tendre, alors effectuée par un geste plutôt tangentiel (fig. 6). D'ailleurs, rien n'interdit de penser que ces mêmes percuteurs en pierre tendre, associés à une percussion plus rentrante, aient été utilisés pour une part des phases de préparation, laissant alors des stigmates similaires à ceux d'une pierre plus dure. D'après l'aspect des plans de frappe observés, les indices de préparation au détachement sont très fréquents. Il s'agit alors de traces de réduction des surplombs (ou de la corniche) du plan de frappe par abrasion vers la surface de débitage, ou plus rarement de traces de facettage du plan de frappe. Enfin, les plans de frappe sont entretenus périodiquement par le détachement de tablettes de ravivage totales ou partielles. L'intention principale des Châtelperroniens de Canaule II est indiscutablement la recherche de supports laminaires. L'essentiel de la production concerne les lames dont le calibre est compris entre 8 et 4 cm de longueur pour 1,5 à 3 cm de large (fig. 7); celles de plus grandes dimensions correspondant plutôt à la mise en forme des blocs. Ces supports sont obtenus par débitage semi tournant non convergent sur bloc ou sur tranche et face inférieure d'éclat. Les éléments absents des remontages rentrent également dans cette catégorie de supports, confirmant ainsi la valeur d'intention première de ces produits. La rectitude de ces supports est également à noter, même si elle n'a pas été précisément mesurée dans cette étude. Cette volonté se matérialise notamment par la recherche préférentielle de surfaces de débitage plutôt larges et le recours fréquent à un deuxième plan de frappe opposé. Il apparaît enfin, de façon claire, que parmi les supports rectilignes de 4 à 8 cm de long pour 1,5 à 3 cm de large, la part consacrée à la fabrication des châtelperrons paraît nettement majoritaire (fig. 7). Les autres lames, moins régulières et plus arquées, ayant été plutôt réservées à d'autres types d'outils (notamment les grattoirs) ou à une utilisation directe sans opération de retouche préalable. Malgré leur discrétion, l'existence de supports de gabarit lamellaire est indiscutable (fig. 7), même s'ils ne se retrouvent pas de prime abord au sein de l'outillage retouché. La difficulté ici est qu'une ou quelques “lamelles ”, voire un ou deux nucléus d'aspect “à lamelles” ne suffisent pas à démontrer l'existence d'une production lamellaire intentionnelle et différenciée. D'autant plus que “tout le débitage laminaire est l'occasion d'une production plus ou moins volontaire (opportuniste ou fortuite) de quelques lamelles” (Pelegrin 1995, p. 93). Le travail d'argumentation de l'intentionnalité reste alors à faire et nécessite une étude à part entière sur l'ensemble de la série de Canaule II. Pour finir, les éclats remontés peuvent être regroupés en deux grands lots : d'un côté les éclats épais, corticaux et détachés au percuteur dur provenant des phases de mise en forme des nucléus; de l'autre, les éclats plus minces, sans cortex et détachés à la pierre tendre plutôt issus des phases de réaménagement de ces nucléus. Ils ne proviennent alors pas d'un débitage intentionnel d'éclats (cette question ne se pose que pour le remontage 5), mais sont plutôt issus d'une production dérivée du débitage laminaire. Les outils façonnés à partir de ceux -ci ne peuvent alors être considérés que comme des éléments de seconde intention. L'objectif de cet article était de présenter la série de Canaule II, restée jusque -là inédite, en mettant en avant les problématiques que l'étude du site pouvait alimenter. Ainsi l'analyse de cinq remontages nous a permis de préciser la caractérisation de cet assemblage : tout d'abord, l'excellente conservation du site, sur une surface de près de 70 m 2, a pu être argumentée par un examen taphonomique des blocs débités, nous permettant d'envisager des études technologiques et spatiales précises, sources d'informations sur le comportement des Châtelperroniens (prévision dans la gestion des ressources, organisation de l'espace, gestion de l'outillage). L'analyse technologique nous a ensuite permis de montrer que la série lithique de Canaule II s'insère, par les concepts et les modalités employées, dans la variabilité par ailleurs très faible du Châtelperronien (Pelegrin 1995; Connet 2002). Ce résultat, associé à l'absence d'indices clairs d'évolution diachronique [mis à part à Quincay dans la Vienne (Lévêque 1987)] et qu'il importerait de tester (M. Roussel, thèse en cours) et à l'observation d'éléments de stabilité tels que l'indépendance de la dimension des supports recherchés face à la matière première, confirme l'idée d'une forte homogénéité de son industrie, sans doute symbole d'une unité culturelle forte. Enfin, le caractère pleinement laminaire de cette industrie, mis en évidence par ses intentions de débitage, semble confirmer l'intégration du Châtelperronien au Paléolithique supérieur. Se pose alors la question de son rôle au sein de la transition entre le Paléolithique moyen et le Paléolithique supérieur. Il serait important, au regard des nouvelles données, de revoir certaines séries du Moustérien final. Car, finalement, quelle est la place du Moustérien de tradition acheuléenne dans la genèse du Châtelperronien, sachant que le Moustérien à denticulés s'affirme de plus en plus comme étant le faciès le plus final (Lahaye 2005) ? De la même manière, si cette industrie des derniers néandertaliens (Lévêque et Vandermeersch 1980) est interprétée comme marquant une rupture avec l'Aurignacien ancien (Pelegrin 1995), première culture supposée réalisée par des Hommes anatomiquement modernes (Gambier et al. 2004; Gambier et White 2006), la reconnaissance récente d'un Aurignacien archaïque en Aquitaine (Bon 2002, 2006; Bordes 2002; Normand 2006) remet en cause les termes de cette comparaison. Il reste alors à comparer le Châtelperronien à ce “premier terme” de l'Aurignacien, tant d'un point de vue technologique qu'économique, afin de percevoir ce qui, dans le registre archéologique, nous autorise à parler de rupture ou de continuité pour les manifestations techno-culturelles de cette période .
Fouillé par Jean Guichard en 1968 et 1969, le site de plein air de Canaule II (Creysse, Dordogne) présente un unique niveau archéologique attribué au Châtelperronien par la présence de pièces à dos caractéristiques. Ce gisement fut interprété comme étant un atelier de débitage, directement implanté sur les gîtes de silex maestrichtien du Bergeracois. Nous le présentons ici à travers l'approche taphonomique, techno-économique et spatiale de cinq remontages lithiques. Cette étude montre l'exceptionnelle conservation du site et explore le potentiel qu'il révèle pour la définition du Châtelperronien et la caractérisation des comportements humains au début du Paléolithique supérieur.
archeologie_09-0062864_tei_223.xml
termith-74-archeologie
Les croissants d'argile, désignés également par le vocable « chenet » dans la littérature archéologique, sont des objets en terre cuite cornus que l'on rencontre sur la plupart des habitats des phases moyenne et finale de l' Âge du Bronze final de l'est de la France. Seuls quelques exemplaires proviennent de sépultures de la même période. Toutefois, ces représentations sont également connues largement au-delà de nos régions au Danemark, en Hongrie, en Autriche… et plus précocement dans le monde méditerranéen. Nous avons retenu pour cette étude le terme de croissant, plus neutre et surtout sans connotation interprétative, et non le terme de chenet, expression provenant essentiellement de son attribution fonctionnelle comme accessoire lié au foyer et aujourd'hui encore très contreversée. L'interprétation de ces objets a toujours éveillé l'intérêt des archéologues. Ainsi, dès 1874, E. Desor (Desor, 1874) les qualifie de chevets ou d'appuis-tête en référence au mobilier funéraire égyptien (Leemans, 1840). Par la suite, les croissants ont été tantôt dénommés « chenets » par comparaison avec leurs homologues contemporains (Tschumi, 1912; Vouga, 1933), tantôt rattachés à des symbolismes lunaires ou solaires (Keller, 1858; Kimmig, 1934; Brisson, Hatt, 1966 et 1967; Piette, 1984; Villes, 1984; Bonnet et alii, 1985), tantôt définis comme des représentations d'animaux cornus (cornes de consécration) et voués à un culte domestique (Gross, 1876; Déchelette, 1908; Vouga, 1933; Briard, 1987; Anastasiu, Bachmann, 1991; Tikonoff, 2003 et 2006). Ces croissants sont parfois associés à des disques en céramique interprétés comme des symboles solaires et lunaires. L'association « croissant d'argile, disque » est plus fréquente dans nos régions en contexte funéraire; néanmoins quelques disques proviennent d'habitats, notamment en Alsace (Bonnet et alii, 1985). Certaines découvertes de Champagne, à Barbuise-Courtavant Les Grèves de la Villeneuve (Aube) (Lambot, 1989) et à Frignicourt L'Orconté, Sous la Ballastière et Les Courbes (Marne) (Chossenot, 2004), ou d'Allemagne, à Bucheim ou Kelheim (Nebelsick, 1996), attestent ces couples d'objets dans les tombes et dans les fossés des enclos. B. Lambot interprète leur présence dans les fossés comme des indices de rituels de fermeture de l'enclos funéraire (Lambot, 1989). Parallèlement, d'autres d'objets complètent ce corpus insolite. Creux et constitués d'une plaque d'argile cuite concave, ils sont appelés couramment « tuiles faîtières » (fig. 1), et ont été uniquement découverts sur des sites de l' Âge du Bronze final III dans nos régions. Ces éléments sont assez rares et se concentrent essentiellement de part et d'autre du Rhin, de la Suisse aux provinces de Hesse et de Rhénanie-Palatinat (Allemagne), en passant par l'Alsace et le Bade-Wurtemberg (Koenig, 2005). Leur présence ne semble pas attestée dans les nécropoles. Les premières déterminations archéologiques considèrent ce type d'objet comme une tuile de faîtage, d'où son nom, mais il a rapidement été assimilé à des chenets (Kimmig, 1934). Ces « tuiles », souvent comparées aux croissants d'argile dans la littérature archéologique (Koenig, 2005; Billot, 2008), en constituent peut-être une sorte de variante. La Lorraine, avec ses abondantes fouilles préventives opérées depuis une trentaine d'années, apporte également son lot d'objets singuliers et les croissants et « tuiles faîtières » présentés ici proviennent tous de fouilles récentes en contexte d'habitats. Quatre habitats (fig. 2) fouillés ces dix dernières années ont ainsi livré pas moins de 86 croissants d'argile. Leur contexte de découverte est très comparable : ce sont pour la plupart de petites occupations qui associent des bâtiments d'habitation, quelques greniers et des fosses d'extraction de limon ensuite comblées par des détritus. À Basse-Ham Retierne (Moselle), au nord de Metz, l'habitat fouillé en 2004 sur une superficie de trois hectares (Tikonoff, 2006) à l'emplacement d'une future Zac a livré quinze croissants d'argile (fig. 3 à 5). Ils sont issus de sept fosses d'extraction de limon et d'un poteau isolé. Leur datation s'échelonne entre l' Âge du Bronze final IIb et IIIa. À Bouxières-sous-Froidmont Le Tremble, près de Pont-à-Mousson (Meurthe-et-Moselle), site fouillé en 2003, les dix-sept croissants proviennent des abords d'un marigot ayant servi de dépotoir (fig. 6). La céramique permet une attribution chronologique de l'ensemble à l' Âge du Bronze final IIIa (Deffressigne, en cours).Situées le long de la vallée de la Meurthe à l'est de Nancy, les fouilles de la Zac des Sables à Rosières-aux-Salines (Meurthe-et-Moselle) ont également complété la série des objets en terre cuite, que ce soient les deux premiers secteurs étudiés à la fin des années quatre-vingt-dix par Cécile Véber (Véber, 2001) et par Marie-Pierre Koenig (Koenig, 2000, 2005), ou les deux derniers sites de la Zac fouillés en 2008 et 2009 (Tikonoff, en cours). La dernière phase des travaux a livré plus de quarante croissants d'argile et trois « tuiles faîtières » (fig. 7 et 8) alors que les recherches antérieures n'avaient extrait respectivement que quatre croissants et une « tuile ». La grande majorité des objets proviennent d'un niveau d'épandage situé en bordure de vallon. Leur attribution chronologique est comprise entre l' Âge du Bronze final IIb et IIIb. Par ailleurs, les « tuiles faîtières » découvertes à Rosières-aux-Salines sont les seuls éléments de ce type répertoriés à l'ouest de la plaine d'Alsace à ce jour. Enfin l'habitat de Saulxures-lès-Nancy (Meurthe-et-Moselle), fouillé entre 2000 et 2001 (Tikonoff, 2003) sur le contournement est de l'agglomération nancéenne, a fourni neuf croissants d'argile (fig. 9) provenant tous d'une même fosse d'extraction qui a également livré une grande quantité de céramiques. Ils sont datés de l' Âge du Bronze final IIIa. Les quatre sites lorrains retenus ici ont livré un corpus constitué d'un NMI de 86 croissants d'argile. Ils ont tous été retrouvés sous la forme de rejets et, à l'exception de deux pièces de Basse-Ham et de Bouxières-sous-Froidmont, à l'état fragmentaire. Le vocabulaire descriptif utilisé ici est repris des études de Hauterive-Champréveyres (Suisse) réalisées par Ruxandra Anastasiu et Françoise Bachman (Anastasiu, Bachmann, 1991, p. 41) (fig. 1). Aucune typologie fondée sur la forme de ces objets n'a été tentée, leur état de conservation ne permettant pas une approche aussi précise. L'étude s'est donc bornée à une description morphologique et décorative des différentes parties. Les croissants d'argile ne sont pas toujours très bien conservés : l'intérieur étant parfois mal cuit, la matière a disparu avec le temps. Ils sont réalisés dans des pâtes semblablesà celles employées pour la fabrication des vases en céramique. De la même manière, ils peuvent, comme la vaisselle, être rangés dans deux groupes différents, l'un de qualité médiocre (exemplaires grossiers), l'autre de qualité supérieure (exemplaires fins). Leséléments appartenant au premier groupe sont peu nombreux. Ils représentent vingt-cinq pièces de notre corpus. Ils sont faits d'une pâte qui possède des inclusions dépassant souvent 10 mm, conférant à l'ensemble un aspect grossier. La cuisson de ces pièces est généralement de mauvaise qualité et leur traitement de surface reste assez fruste. Le groupe de croissants d'argile de qualité supérieure (fins) est, quant à lui, constitué de 61 éléments. Contrairement au groupe précédent, la pâte est fine et les dégraissants de petite taille et très bien calibrés. De même, la cuisson est d'excellente qualité et pour les exemplaires épargnés par l'altération, la finition de surface est soignée. La section des croissants d'argile est trapézoïdale, permettant une meilleure stabilité de l'ensemble. Seules deux pièces quasiment complètes proviennent de Basse-Ham et de Bouxières-sous-Froidmont (fig. 3, n° 1 et fig. 6, n° 2); elles mesurent 265 et 403 mm de longueur. La seconde est particulièrement grande. En effet, en compraison, les croissants de Hauterive-Champréveyres ne dépassent pas 400 mm et sont pour la plupart compris entre 260 et 340 mm (Anastasiu, Bachmann, 1991). La hauteur entre la base et la crête est très variable et se situe entre 60 et 110 mm. Enfin, la largeur de la base est comprise entre 30 et 81 mm. Les bases sont planes ou légèrement incurvées, excepté une base creuse découverte à Basse-Ham (fig. 3, n° 1). Quelques pièces reposent sur un ou plusieurs pieds (fig. 3, n° 1; fig. 6, n° 2; fig. 7, n° 5 et fig. 9, n° 1). Deux croissants de Rosières-aux-Salines et de Saulxures-lès-Nancy possèdent au moins deux pieds. Ce ne sont pas des exemplaires uniques en Lorraine puisque le site de Frouard Saule Gaillard possède aussi un croissant à pieds multiples (Buzzi, Koenig, 1990). De nombreux éléments de comparaison extra-régionaux pour ces différents types existent en Alsace (Billot, 2008), en Allemagne à Bötzigen (Grimmer, 1982, Grimmer-Dehn, 1991) et en Suisse à Hauterive-Champréveyres (Anastasiu, Bachmann, 1991) ou Mörigen (Bernatzky-Goetze, 1987). Les cornes conservées sont triangulaires, arrondies ou en forme de croissant de lune. Elles sont parfois à peine esquissées, voire quasi inexistantes, ou tout au contraire très développées. Ainsi, leur hauteur est comprise entre 18 et 90 mm. Quelques croissants d'argile dépourvus de cornes sont toutefois signalés en Lorraine. Ainsi, un exemplaire découvert à Marly (Moselle) Le Clos des Sorbiers (Klag, 1990) possède un léger replat à leur emplacement (fig. 10). Une autre pièce privée de cornes provient de Crévéchamps (Meurthe-et-Moselle) Savelon (Rachet, 2008) (fig. 11). Ce type de croissant semble toutefois assez rare. Les flancs et les crêtes sont plats ou arrondis. À Basse-Ham, deux faces sont perforées en leur centre d'un large trou ovalaire (fig. 3, n° 1 et fig. 6, n° 2). Tous les croissants recensés pour cette étude sont décorés. Les quelques pièces qui n'ont pas d'ornementation sont soit très lacunaires car trop fragmentées, soit érodées. Le décor est placé sur la face, parfois sur le flanc ou la crête. A contrario, peu de dos sont ornés, à l'exception de trois exemplaires provenant tous de l'habitat de Basse-Ham (fig. 3, n° 1; fig. 6, n° 2; fig. 5, n° 8). L'ornementation est composée de différents motifs faits sur la base de cannelures, de cupules, de stries, d'impressions ou d'incisions. Comme pour les vases, les décors diffèrent selon la qualité des croissants. Ainsi, les croissants grossiers sont ornés de larges cannelures irrégulières et de cupules, tandis que les pièces fines possèdent un riche décor composé de fines cannelures, d'incisions et de cupules. Par ailleurs, il est intéressant de constater que certains croissants d'argile forment des ensembles cohérents d'un point de vue morphologique et décoratif au sein de leur entité archéologique respective. Ce phénomène se rencontre sur les sites de Basse-Ham et de Saulxures-lès-Nancy, alors qu'il est plus délicat à mettre en évidence sur les sites de Bouxières-sous-Froidmont et de Rosières-aux-Salines. En effet, la plupart des croissants de ces habitats proviennent d'épandages. Ainsi, parmi les 86 croissants d'argile identifiés, quelques éléments méritent donc une attention particulière. Tout d'abord, trois pièces provenant d'une première fosse d'extraction de Basse-Ham (fig. 4, n os 3 à 5) ont la face décorée de lignes parallèles tracées à l'aide d'une pointe mousse délimitant ainsi des bandeaux. Ces derniers sont garnis de séries de hachures obliques incisées et mises en opposition. Sur l'un des croissants, l'espace situé entre la crête et le dernier bandeau est orné d'une ligne en zigzag et la base de sa corne montre une barrette barbelée entourée de petites cupules. Sur le deuxième, deux bandeaux décorés de séries de hachures obliques incisées et mises en opposition encadrent une rangée de triangles emboîtés et hachurés. Le flanc est décoré de deux rangées verticales de petites cupules. Le décor du troisième et dernier croissant est fortement altéré. Il est composé d'un motif en dents de loup constitué de triangles hachurés incisés, d'une ligne de petites cupules, puis d'une ligne horizontale surmontant des séries de trois à cinq hachures obliques incisées, ce dernier motif étant très dégradé. Deux croissants provenant d'une autre fosse d'extraction du même habitat (fig. 3, n° 1 et fig. 6, n° 2) ont un profil longitudinal assez singulier. En effet, ils possèdent tous les deux des pieds et des cornes détachés de la face ainsi qu'une grosse perforation au centre de celle -ci. La face et le dos de ces deux croissants offrent un décor assez similaire. Il est réalisé à l'aide d'une pointe mousse pour produire de fines cannelures qui sont placées par deux, trois ou quatre, parallèlement au bord de la base, de la crête ou des cornes. Ces motifs linéaires sont soulignés par des arceaux doubles ou triples et des triangles symbolisés par des doubles et triples cannelures obliques. La crête et le flanc des cornes sont ornés de deux larges cannelures dont l'arête centrale proéminente est décorée d'incisions comme les arêtes latérales. À Saulxures-lès-Nancy, deux croissants se détachent du lot (fig. 9, n os 1 et 2). Leurs faces sont décorées de fines cannelures réalisées à l'aide d'une pointe mousse qui délimitent des bandeaux. Ces derniers sont régulièrement entrecoupés par quatre cannelures verticales. Un troisième élément dont il ne subsiste plus qu'une partie de corne appartient certainement au même ensemble (fig. 9, n° 5). Ces associations d'objets comparables soulèvent les mêmes interrogations que celles déjà posées par l'identification de services de vaisselle sur l'habitat de Saulxures-lès-Nancy (Tikonoff, 2003). S'agit-il d'une simple cohérence chronologique ou bien est -ce lié à la production de différents artisans ou à des « commandes » réalisées auprès d'un potier ? Sans oublier la valeur symbolique, clanique et/ou familiale que peut véhiculer un objet conçu sur le même registre morphologique. Toutes ces questions demeurent pour l'heure sans véritables réponses, même si elles sont étroitement liées les unes aux autres. Toutefois, ces associations de croissants semblables paraissent se distribuer par unité domestique sur chacun des deux sites. Maintenant, si la question ne se pose pas à Saulxures-lès-Nancy puisqu'il y a une seule unité, l'aspect chronologique est important à prendre en compte à Basse-Ham, notamment afin d'observer une éventuelle diachronie des différentes installations d'habitat. Néanmoins, cette dernière n'est pas décelable, malgré l'important lot céramique associé aux croissants et daté du début de l' Âge du Bronze final IIIa. Enfin à la différence de la vaisselle en céramique qui, dans l'ensemble, est très similaire d'un habitat à l'autre, l'ornementation, voire les détails morphologiques des croissants d'argile, ne sont pas communs à tous les sites, mais semblent au contraire propres à chaque habitat, voire à chaque unité domestique. Les trois « tuiles » de notre corpus ont toutes été découvertes sur le site de Rosières-aux-Salines (fig. 8, n os 10 et 11). Elles sont fabriquées à l'aide d'une pâte assez fine. Leur cuisson et leur finition sont aussi de qualité. Une seule pièce a pu être en partie restituée. Elle est composée d'une collerette ornée de cannelures et d'un fragment de corps non décoré. Les deux autres « tuiles » sont représentées chacune par un fragment de collerette. Le seul élément de comparaison lorrain à notre disposition provient également des fouilles de Rosières-aux-Salines (Koenig, 2005). Il s'agirait d'ailleurs du seul habitat situé à l'ouest de la plaine d'Alsace qui aurait livré à ce jour des « tuiles faîtières ». Ainsi associés ou non à des disques solaires, les croissants d'argile font valoir les fonctions d'appuis-tête, de chenets, d'objets cultuels lunaires ou solaires, de cornes de consécration vouées à un culte domestique. J. Déchelette ira même jusqu' à les comparer à des supports d'autel, comme il en existe dans le mondeméditerranéen (Déchelette, rééd. 1987). En Lorraine, aucun croissant n'a été trouvé en contexte funéraire, alors qu'ils sont attestés dans les nécropoles de Champagne (Lambot, 1989; Chossenot, 2004), d'Alsace (Billot, 2008) et d'Allemagne (Nebelsick, 1996), c'est-à-dire dans pratiquement toutes les régions limitrophes à la Lorraine, et parfois associés à des disques en céramique. Ces derniers étaient également absents des ensembles mobiliers lorrains jusqu' à présent. Ces lacunes sont probablement dues à l'état de la recherche plutôt qu' à un problème culturel, ce qui ferait de la Lorraine une enclave. En effet, ce présent travail a permis d'identifier l'existence de deux disques en céramique inédits (fig. 10) sur l'habitat de Marly Le Clos des Sorbiers (Klag, 1990). L'un d'eux est d'ailleurs associé à un croissant dans une fosse. Un autre exemplaire inédit, interprété comme un couvercle (Véber, 1996), a également été identifié sur le site d'Atton Quémine. Ainsi, d'autres disques existent certainement, mais n'ont peut-être pas été identifiés comme tels lors de leur découverte. Les croissants des quatre habitats présentés dans cet article semblent corroborer l'analyse réalisée parRuxandra Anastasiu et Françoise Bachman à Hauterive-Champréveyres (Suisse) (Anastasiu, Bachmann, 1991). Ainsi, la notion de chenets pour foyer ne peut être retenue, aucune pièce totalement brûlée par un passage au feu prolongé n'ayant été remarquée dans l'ensemble des corpus. Les quelques traces de chauffe constatées proviennent vraisemblablement de leur cuisson et sont identiques à celles que l'on observe sur les vases. Par ailleurs, les quelques fragments brûlés l'ont été après avoir été brisés, comme le montrent les cassures anciennes. D'autre part, l'absence de pied unique bien individualisé (Anastasiu, Bachmann, 1991) comme l'association à des disques minimisent l'hypothèse d'objets liés à des cultes lunaires ou solaires. Par ailleurs, l'étroitesse des crêtes et les arêtes formées par les cannelures qui décorent ces dernières n'incitent pas non plus à les interpréter comme des chevets ou appuis-tête. Aucun de ces objets n'a été retrouvé en position d'utilisation dans les nécropoles, ce qui aurait pu corroborer cette interprétation; il est vrai que cette période privilégie la crémation. Toutefois, ces éléments sont également absents du mobilier d'accompagnement déposé dans les tombes. En revanche, l'hypothèse la plus crédible actuellement semble être la figuration stylisée d'animaux cornus. De par la morphologie de ces croissants d'argile, il est tentant de les rattacher à des pratiques liées à l'agriculture et à l'élevage. Ils pourraient donc symboliser la fertilité et la prospérité des troupeaux et des terres (Briard, 1987; Anastasiu, Bachmann, 1991; Baumeister, 1995). C'est par ailleursl'interprétation privilégiée par les études récentes (Briard, 1987; Lambot, 1989; Anastasiu, Bachmann, 1991; Tikonoff, 2006). Les symboles cornus célébrant le culte agricole et d'élevage identifiés dès le iv e millénaire sur des stèles semblent avoir envahi l'Europe via des îles méditerranéennes à la fin de l' Âge du Bronze. Même les casques de certains guerriers s'enorgueillissent de ces attributs (Briard, 1987, p. 27) et le temple en bois de Bargeroosterveld (Pays-Bas), édifice de la fin de l' Âge du Bronze (- 1200 à - 800) conservé dans une tourbière, voit l'extrémité de ses poutres horizontales agrémentée de cornes (Briard, 1987, p. 91). Si cette attribution s'avère plausible, essayer d'en comprendre la signification est nettement plus malaisé. La plupart des auteurs cités précédemment s'accordent aussi pour les assimiler à des objets cultuels liés à des pratiques domestiques, qui expliqueraient aussi leur présence discrète dans les nécropoles de nos régions. Toutefois, deux théories – peut-être complémentaires d'ailleurs – sur la finalité de ces cultes domestiques peuvent êtreavancées. La première assimilerait ces objets cornus à une allégorie divine (culte agricole, culte lié à l'élevage ?) alors que la seconde correspondrait plutôt à une offrande faite à l'occasion de célébrations aux vertus propitiatoires ou fertilisantes, ou d'évènements festifs en relation avec le monde agricole (semailles, moissons…). Cependant, par manque d'éléments matériels, la caractérisation de ce culte s'avère complexe, voire périlleuse, et demanderait à être étayée par un grand nombre de découvertes, croisées avec une analyse poussée des contextes et associées à une étude iconographique détaillée issue notamment du monde méditerranéen. En outre, le fait de les retrouver cassés n'est peut-être pas uniquement dû à une éventuelle fragilité, mais peut aussi correspondre à un bris volontaire et rituel réalisé au cours d'une cérémonie. Ce geste pourrait être une explication au nombre élevé de croissants découverts dans les habitats. D'autre part, la présence des débris au sein des rejets de la vie quotidienne oblige à s'interroger sur la valeur de ces éléments au moment de leur enfouissement. Étaient-ils toujours consacrés ou au contraire étaient-ils désacralisés ? Dans l'état actuel de la recherche et faute de texte pour la période, aucune réponse satisfaisante ne peut être apportée à ces questions. Pour conclure, il faut souligner la difficulté à reconnaître les pratiques cultuelles de « civilisations primitives » dont les seuls témoignages qui nous soient parvenus sont matériels. Ainsi, la citation d'A. Leroi-Gourhan (Leroi - Gourhan, 1964) sur « la difficulté qu'il y a à définir le phénomène religieux, même dans les sociétés vivantes, à travers de simples témoignages matériels » reprise par R. Anastasiu et F. Bachmann (Anastasiu, Bachmann, 1991) prend ici tout son sens. En outre, aucune société, aussi « primitive » soit-elle, ne vit sans croyance. Le but de cet article est avant tout de présenter les croissants d'argile et les pseudo « tuiles faîtières » découverts sur quatre habitats lorrains. Cette étude ne renouvelle pas fondamentalement la réflexion sur le sujet, elle en confirme la plupart des aspects en soulignant toutefois le caractère domestique des découvertes lorraines. À terme, elle permettra l'intégration de ces données à des analyses plus vastes et plus complètes .
L'étude de 86 croissants d'argile et de trois "tuiles faîtières" découverts sur quatre habitats de l'Âge du Bronze final en Lorraine permet une première approche régionale d'objets inédits, vraisemblablement ultimes témoins de cultes domestiques à figuration d'animaux cornus. L'analyse morphologique et décorative a également permis d'associer plusieurs croissants au sein de leur entité archéologique respective, soulevant ainsi diverses interrogations d'ordre chronologique, symbolique ou de production... Bien que la question de l'interprétation soit très subjective, elle est néanmoins abordée, comme les nombreuses hypothèses émises depuis la découverte des premiers croissants au XIXe siècle. La confrontation des données symboliques et des faits archéologiques constitue une première approche du genre pour la région.
archeologie_12-0135611_tei_331.xml
termith-75-archeologie
La forêt constitue un milieu avec un potentiel archéologique très fort, notamment du fait de la bonne conservation des vestiges sous forme de micro-reliefs, mais aussi par la mémoire que les sols forestiers gardent de ces occupations anciennes. Ainsi, les grands massifs forestiers situés sur les plateaux calcaires du Bajocien entre Pont-à-Mousson et Neufchâteau (Meurthe-et-Moselle et Vosges) recèlent-ils de nombreux habitats et parcellaires fossiles gallo-romains, objets d'un programme de recherche pluridisciplinaire depuis 1998 (Georges-Leroy et al., 2003; 2007). Ceux -ci se présentent sous la forme de pierriers linéaires (murées) ou de talus, parfois longs de plusieurs centaines de mètres et hauts en général de quelques dizaines de centimètres, qui délimitent des anciens champs ou pâtures, des enclos, mais aussi des voies, et sont associés à des habitats gallo-romains également conservés sous forme de micro-reliefs. Ces occupations anciennes ont encore un impact fort sur la biodiversité et la fertilité forestière actuelles, comme l'ont montré plusieurs études (Dupouey et al., 2002; 2007). La forêt représente toutefois un milieu contraignant pour les prospections archéologiques : visibilité limitée à cause de la végétation, voire inaccessibilité à certains secteurs, difficulté (voire impossibilité) à repérer les vestiges totalement enfouis, difficulté à cartographier les sites, etc. (Georges-Leroy et al., 2010). Ces contraintes, mais aussi le fréquent postulat d'un territoire forestier se rétrécissant progressivement depuis les défrichements néolithiques, ce qui implique l'existence de noyaux forestiers vierges de toute occupation agricole importante, expliquent l'absence de prospections archéologiques dans de nombreuses forêts et en conséquence le faible nombre de sites identifiés. Une méthode assez récente de télédétection permet de s'affranchir d'une partie de ces contraintes et limites et peut aider au repérage et à la cartographie des vestiges archéologiques. Il s'agit du scanneur laser aéroporté, également connu sous l'acronyme anglais de lidar (light detection and ranging). Cette technique de télédétection a été utilisée pour la première fois en milieu forestier, à des fins archéologiques, à partir de 2003, par une équipe de l'institut de gestion des paysages de l'université de Fribourg-en-Brisgau sur des champs bombés conservés en forêt à Rastatt, en pays de Bade (Sittler, 2007). Des massifs forestiers ont ainsi été explorés dans divers pays, comme par exemple la forêt de Dean en Grande-Bretagne (Devereux et al., 2005), celle de la montagne de la Leitha en Autriche (Doneus et al., 2008), à Elverum en Norvège (Risbøl et al., 2006) ou dans le Michigan aux États-Unis (Gallagher et Josephs, 2008). Une expérience s'est aussi révélée fructueuse dans la forêt tropicale en Guyane française (Mestre et al., 2008). Les parcellaires et les vestiges agraires linéaires sont très bien révélés par lidar. Ce fait a été mis en évidence dès les premières utilisations de la méthode en 2000 (Motkin, 2001). En plus des champs bombés de Rastatt, cette méthode a notamment servi à la détection de Celtic fields aux Pays-Bas (Humme et al., 2006; Kooistra et Maas, 2008), de parcellaires autour du site de Stonehenge (Bewley, 2005) et dans la forêt de Dean, où ont aussi été repérés des rideaux de culture (Devereux et al., 2005). Cette technique de télédétection a été utilisée pour la première fois en France, en contexte archéologique, durant l'hiver 2006-2007, avec notamment le vol au-dessus des 11 600 ha du massif forestier de Haye, situé à côté de Nancy (fig. 1). Étudié dans le cadre du programme de recherche sur les parcellaires fossiles du plateau bajocien (Georges-Leroy et al., sous presse), ce massif forestier, essentiellement constitué de feuillus (hêtraie-chênaie-charmaie principalement), se localise dans une boucle de la Moselle entre Nancy et Toul, en limite sud de la confluence avec la Meurthe. En raison de sa position sur le plateau en bordure de la cuesta des Côtes de Moselle, il est entaillé par de profonds vallons et limité au nord, à l'est et au sud par de fortes côtes. Il a été très durement touché par la tempête du 26 décembre 1999, rendant certains secteurs inaccessibles aux prospections au sol pour plusieurs années (présence de ronces, régénérations denses, chablis, etc.). Les vestiges antiques conservés dans cette forêt ont fait l'objet de relevés et de sondages en quelques points du massif, dans les années 1970, par deux archéologues bénévoles, Michel Loiseau et Étienne Louis. À partir de 1995, une cartographie assez systématique des parcellaires a ensuite été entreprise par Philippe Loué, agent de l'Office National des Forêts (ONF). Notre équipe a poursuivi ces levés à partir de 1999 à l'aide de GPS à correction différentielle, les levés précédents ayant été réalisés au décamètre ou au topofil et à la boussole. L'erreur de positionnement a varié de quelques mètres à quelques centaines de mètres selon les modes d'acquisition et les zones prospectées. Cette imprécision sur les secteurs déjà cartographiés et l'importance des secteurs restant encore à cartographier (plusieurs milliers d'hectares à la fin 2005), dont certains inaccessibles au sol, ont conduit l'équipe à se tourner vers le scanneur laser aéroporté. Le premier objectif de cette étude par télédétection était donc la réalisation de la cartographie la plus complète et la plus précise possible des vestiges de parcellaires et d'habitats anciens. Mais elle était aussi destinée à acquérir des informations sur les peuplements forestiers, afin notamment de mesurer la hauteur des arbres, car, en foresterie, la hauteur à un âge donné est un indicateur de la fertilité des sols (Pardé et Bouchon, 1988). L'objectif final est le croisement des données archéologiques et écologiques, afin d'analyser l'impact de l'utilisation ancienne des sols sur l'état et le fonctionnement des écosystèmes forestiers actuels (diversité végétale, productivité des peuplements). Cet article vise à : – décrire les étapes du protocole d'acquisition et, surtout, d'analyse des données récoltées afin d'aider à la réalisation de projets ultérieurs; – présenter les apports de cette technique à l'étude des vestiges archéologiques conservés sous couvert forestier, notamment par rapport aux méthodes traditionnelles de prospection au sol, en s'appuyant sur l'exemple des habitats et des structures agraires et parcellaires du massif forestier de Haye. Le principe du levé lidar consiste en un survol à basse altitude de la zone d'étude à l'aide d'un avion équipé d'une source laser qui balaye très rapidement la surface terrestre, par bandes de quelques centaines de mètres de largeur (Joinville et al., 2003; Bilodeau et Deroin, 2008). Les impulsions laser sont interceptées par le sol ou par les objets en sursol (végétation, bâtiments) et réfléchies en direction de l'avion où un capteur détecte l'intensité et le temps de retour du signal. Ce temps de retour dépend de l'altitude du point d'impact qui est ainsi calculée. Des systèmes de positionnement dans l'avion (GPS, centrale inertielle) et au sol (GPS), permettent de recalculer la trajectoire de l'avion et d'en déduire la position des points d'impact avec une précision de quelques centimètres en altimétrie et de quelques dizaines de centimètres en planimétrie. Comme une même impulsion lumineuse peut toucher à la fois la végétation (branches, troncs, feuilles, etc.) et le sol, les scanneurs enregistrent, selon les modèles, de deux à cinq échos (système multi-échos, utilisé en forêt de Haye). Il existe également depuis 2004 des systèmes qui enregistrent le signal de retour en continu (système full-waveform; Mallet et Bretar, 2009). Dans les deux types de système, il en résulte un nuage de points en trois dimensions. Les derniers échos renvoyés par chaque impulsion font ensuite l'objet d'une classification à l'aide d'algorithmes de filtrage permettant de séparer les points ayant atteint le sol de ceux ayant touché la végétation ou d'autres objets (points dits de « sursol »). Plusieurs modèles numériques d'élévation (MNE) peuvent être élaborés avec ces points, le plus souvent sous la forme d'une grille régulière d'altitudes dont la finesse de résolution dépend de la densité de points disponibles. Les points sol permettent de construire un modèle numérique de terrain (MNT) et les premiers échos de chaque impulsion permettent de réaliser un modèle numérique de surface (MNS), qui représente la surface terrestre avec les éléments permanents du sursol (bâtiments, végétation). La visualisation par ombrage du MNS fournit une image proche d'une photographie aérienne (fig. 2a). Du fait du couvert forestier, la plupart des techniques classiques de télédétection aérienne sont inopérantes pour révéler les vestiges qui y sont conservés. En revanche, grâce à une densité de points élevée (plusieurs milliers par hectare) et une pénétration du signal à l'intérieur du couvert forestier, les levés topographiques à l'aide d'un lidar constituent une méthode performante pour détecter les vestiges conservés sous forme de micro-reliefs. Il convient cependant pour cela de s'assurer d'une méthode de classification adéquate des points sol/sursol. L'acquisition lidar au-dessus de la forêt de Haye, effectuée sur deux jours, a porté sur une surface totale de 116 km 2, dont près de 5 km 2 hors forêt. Elle a été réalisée par l'entreprise G2B/Geophenix, juste avant la reprise de la végétation, en mars 2007, avec un appareil laser Leica ALS50-II (tabl. 1). Quatre échos au maximum ont été mesurés par impulsion émise (1,5 en moyenne). La totalité de la zone a fait l'objet d'un levé avec une densité moyenne de 5,2 impulsions émises par mètre carré et un angle de balayage de 34°. Par ailleurs deux secteurs, d'une surface totale de 2,3 km 2, ont fait l'objet d'un survol supplémentaire avec un angle de balayage de 18° afin d'atteindre une plus grande densité de points (10 pts/m 2), ce qui a permis de tester le rôle de la densité d'acquisition des points sur la qualité de la détection de structures archéologiques. Au final, c'est en moyenne 11,3 impulsions par mètre carré qui ont été émises sur l'ensemble de la zone survolée. Cette « surdensité » par rapport à la densité théorique initiale s'explique par le recouvrement des bandes de vol et la réalisation d'un vol complémentaire nécessaire pour combler les manques sur certaines bandes (écarts trop importants par rapport au plan de vol initial). Ce sont environ 2 milliards d'échos qui ont été mesurés, dont 250 millions ont été classés en points « sol », soit 19 % des impulsions émises. Ce pourcentage représente en quelque sorte le « rendement » du vol lidar pour tous ceux qui s'intéressent au MNT. La densité moyenne des points sol après classification est de 2,11 pts/m 2. Elle présente une très grande hétérogénéité, variant de 0 à plus de 10 pts/m 2 (calculée sur des pixels de 25 x 25 m). Cette variation est d'abord liée au mode d'acquisition lui -même et notamment aux zones de recouvrement entre les bandes de vol. Un constat important est que la densité de points sol, et donc la qualité des images utilisées pour l'interprétation archéologique ultérieure, n'augmente pas proportionnellement au nombre de passages de l'avion (tabl. 2). D'un point de vue purement numérique, le tableau 2 montre que la rentabilité d'un accroissement du temps de vol, en vue d'augmenter la densité de points sol, est globalement mauvaise et devient très mauvaise au-delà de deux passages. Mais les types de peuplements forestiers (perméabilité du couvert) ont aussi une influence importante. Ainsi, dans les zones forestières, principalement constituées de feuillus, le taux de points classés sol par rapport au nombre d'impulsions émises (le « rendement » cité précédemment) est en moyenne de 40,3 % pour un passage de l'avion, mais il n'est que de 36,7 % dans les zones où la forêt a été totalement détruite par la tempête de 1999 et de 35,5 % dans les gaulis (peuplements forestiers denses compris entre 3 et 12 m). Il atteint un minimum de 30 % dans les peuplements de 5 à 6 m de hauteur. Dans les rares secteurs de conifères, on constate que les rayons pénètrent difficilement le couvert arboré. Le signal semble totalement intercepté par les houppiers des arbres et ne passe que dans les espaces qui les séparent. Un autre résultat important est que, lors de ce vol effectué hors période feuillée, les rayons laser n'ont été que peu interceptés par les branches et les troncs des arbres. Nous avons calculé que 83 % des impulsions émises par l'avion pénètrent jusqu' à la hauteur de 2 m au-dessus du sol (fig. 3), dans les peuplements de 4 m de hauteur et plus. C'est finalement dans la végétation arbustive basse, en dessous de 2 m, qu'ont eu lieu ou ont été classés la majorité des impacts laser (64 %). Deux interprétations complémentaires peuvent être données à ce résultat : – Le sous-bois, avec ses ronciers qui gardent en partie leurs feuilles en hiver, et ses fourrés de jeunes pousses denses peut en effet constituer un réel obstacle au passage du rayonnement lidar. – Mais il se pourrait aussi que l'algorithme de classification employé conduise à rejeter en sursol une proportion importante des impacts réels au sol. Le fait que le nombre de points classés sol n'augmente que peu avec le nombre de passages de l'avion concorde avec cette dernière interprétation. À l'issue du vol, les premiers traitements (classification sol/sursol, réalisation des MNT et MNE pour la végétation uniquement, sous forme de grilles au pas de 50 cm) ont été réalisés par l'entreprise chargée de l'acquisition. Le niveau du filtrage retenu pour la classification a toutefois été discuté durant la phase d'élaboration de l'algorithme et validé par l'équipe archéologique. L'équipe s'est ainsi assurée que le filtrage n'était pas trop important et ne faisait pas disparaître d'éléments archéologiques, en se référant aux structures déjà connues et au système d'information géographique disponible initialement. Les autres traitements destinés à la visualisation des données ont été réalisés par l'équipe archéologique, avec le logiciel ArcGis 9.2 de ESRI et son extension 3DAnalyst. La visualisation la plus immédiate consiste à réaliser un ombrage à partir du MNT, en jouant sur l'altitude et les directions d'éclairage afin de faire apparaître l'ensemble des micro-reliefs (Devereux et al., 2008) (fig. 2b). En effet, certaines structures archéologiques n'apparaissent que sous une direction d'éclairage particulière. Pour les zones les plus planes on a utilisé un ombrage très rasant, à une altitude de 3°, et deux azimuts (315° et 45°). Dans les zones pentues, la visualisation des micro-reliefs par cette méthode est plus délicate, car ils sont masqués par la pente naturelle. Nous avons donc dû parfois utiliser des éclairages un peu moins rasants, à une altitude de 6° ou 10° et, en complément des deux azimuts principaux, nous avons utilisé des azimuts à 225° et 135°. Même si le résultat est souvent spectaculaire, on ne peut pas se contenter de ces images pour l'analyse et l'interprétation des vestiges qui nous intéressent. Une étape fondamentale pour permettre cette analyse consiste à définir les objets archéologiques que l'on souhaite cartographier et le protocole de vectorisation que l'on va utiliser. Cette approche est encore souvent absente dans les études de données lidar en archéologie, dans lesquelles on se limite à la seule production d'images. Dans notre cas, plusieurs objets archéologiques ont ainsi été retenus (structure agraire et parcellaire, bâtiment, chaussée, tas, rempart, limite forestière), mais aussi des éléments non archéologiques, nécessaires à la compréhension des vestiges (zones détruites par des aménagements récents, zones perturbées par des effondrements miniers ou des aménagements militaires). Chaque objet archéologique a été défini morphologiquement et des normes de cartographie ont été précisément déterminées (tabl. 3). La datation des différents éléments a été renseignée dans un second temps, en croisant les données de terrain (mobilier recueilli), les données historiques (analyse des cartes anciennes) et les données lidar (analyse des connexions, morphologie des structures, etc.). Ces objets archéologiques de base ont ensuite servi à la construction d'objets plus complexes et d'un niveau d'interprétation plus élevé. Ainsi, les voies antiques qui se présentent sous deux formes – des voies principales composées d'une chaussée centrale éventuellement bordée de levées latérales et de fossés; des voies secondaires matérialisées par une double ligne de levées – sont construites à partir des objets « parcellaire » et « chaussée ». Les habitats, qui se présentent comme des bâtiments isolés ou comme des enclos entourant des bâtiments, sont quant à eux construits à partir des objets « bâtiment » et « parcellaire » et grâce aux prospections de terrain. L'essentiel du travail a porté sur les structures agraires et parcellaires qui sont notamment utilisées dans les travaux d'analyse spatiale menés dans le projet ArchaeDyn. Celui -ci a pour but de mettre en évidence et de caractériser les discontinuités spatiales dans l'utilisation ancienne du sol, au travers de la variation de l'intensité et de la structuration de ces parcellaires fossiles (Georges-Leroy et al., 2008). Afin de limiter les imprécisions inhérentes aux images ombrées (ombrage porté, taille de cellule de l'image de 50 cm), leur cartographie a été réalisée en superposant des courbes de niveau espacées de 5 à 15 cm à ces ombrages(fig. 4). Les structures ont pu être ainsi dessinées précisément sur le sommet des levées ou la rupture de pente du talus. Associées à des profils réalisés à travers les structures, les courbes de niveau permettent d'identifier la morphologie de ces structures (talus ou levée), qui n'apparaît pas sur les images ombrées. Ce travail requiert un apprentissage dans la lecture et l'analyse des images, avec l'élaboration de référentiels, afin de différencier les vestiges archéologiques des structures liées à l'exploitation forestière par exemple (andains, cloisonnements forestiers, etc.), mais aussi pour distinguer les différents types de structures entre elles. L'importante base de relevés dont nous disposions au départ, ainsi que les vérifications de terrain, ont permis la validation de ces référentiels. Il faut enfin insister sur le fait que, si la phase d'acquisition des données et les premiers traitements sont assez rapides à réaliser, hormis du temps de calcul pour les ordinateurs, la phase d'analyse et de cartographie, avec retour sur le terrain, nécessite un investissement humain en temps beaucoup plus important. Le scanneur laser a permis de cartographier 647 km linéaires de vestiges agraires et parcellaires de toutes époques sur 116 km 2 (fig. 5a). Ces chiffres sont à comparer avec les 275 km qui avaient été relevés entre 1979 et 2006 avec les autres moyens techniques sur une surface d'environ 75 km 2 (fig. 5b). Ces structures linéaires, même celles qui sont très peu élevées et quasi imperceptibles à l' œil sur le terrain, apparaissent remarquablement bien sur les images lidar, y compris dans les zones totalement détruites par la tempête de 1999 et même dans une zone où les arbres n'ont pas été dégagés depuis cette date. Ces images permettent en effet un recul que l'on n'a que rarement en forêt à cause de la végétation. La cartographie a donc pu être réalisée dans les zones non étudiées auparavant, mais également être complétée dans les secteurs déjà étudiés. Ainsi dans les zones considérées précédemment comme bien prospectées au sol, on a découvert 50 % de vestiges supplémentaires. Dans les zones déjà étudiées, mais qui posaient des problèmes d'accessibilité dus au type de peuplement forestier (jeunes peuplements, zones de tempête), la longueur des vestiges cartographiés a été multipliée par 2,3. Par ailleurs, si l'accessibilité joue un rôle important dans le repérage au sol des vestiges, ce repérage est aussi tributaire de leur état de conservation. Ainsi, dans un secteur pourtant bien prospecté, mais où les vestiges sont très peu perceptibles au sol, la longueur cartographiée par lidar a été multipliée pratiquement par quatre. En revanche, il semble que la grande variabilité de la densité des points sol n'influence pas le nombre de structures nouvelles découvertes; les variations à courte distance de cette densité étant probablement sans effet pour des structures linéaires d'une certaine longueur. L'apport quantitatif du lidar par rapport aux méthodes classiques de prospection au sol est donc tout à fait considérable, notamment quand on approche les limites de perception de l' œil humain : pour les vestiges les plus discrets et dans les milieux forestiers les moins accessibles ou les moins visibles. De plus, ce levé lidar a permis de corriger les erreurs de positionnement souvent importantes des vestiges relevés initialement à la boussole et au décamètre ou au topofil. Des écarts jusqu' à 90 m ont ainsi pu être mesurés. La comparaison avec les données cartographiées au GPS différentiel a en revanche montré une assez bonne précision du GPS sous couvert forestier, puisque la très grande majorité de ces données ne sont pas éloignées de plus de 5 m de celles acquises par lidar. La correction de ces erreurs de positionnement, associée à la cartographie des nouveaux tronçons, révèle ainsi un parcellaire beaucoup plus dense et cohérent qu'il n'y paraissait auparavant. Enfin, outre l'intérêt démontré du scanneur laser pour augmenter le nombre de linéaments cartographiés et améliorer leur localisation, cette méthode a également permis une approche morphologique de ces vestiges. Ainsi, grâce à la lecture des images lidar, il est possible de repérer certaines traces agraires plutôt typiques de l'utilisation de la charrue : billons ou rideaux de culture curvilignes, associés à des crêtes de labour (fig. 6c). Elles sont donc postérieures à l'époque gallo-romaine, alors que les autres structures agraires et parcellaires sont attribuées à l'Antiquité, grâce à leur connexion avec des habitats datés par du mobilier antique. Or, sur le terrain, ces structures médiévales ou modernes ne se distinguent pas morphologiquement des structures antiques, à l'exception du fait que certaines sont beaucoup moins perceptibles. Elles témoignent de défrichements de la forêt postérieurs à l'époque gallo-romaine et antérieurs pour certaines au xvii e siècle comme le montre l'analyse des cartes anciennes disponibles sur le secteur (Georges-Leroy et al., 2010). Nous avions minimisé ces faits avant la télédétection par scanneur laser, faute de bien les appréhender. Le résultat est également très positif pour les habitats, qui se présentent soit sous la forme de fermes à enclos entourant un ou plusieurs bâtiments, soit sous la forme de bâtiments isolés. Leur surface varie de quelques dizaines de mètres carrés pour les bâtiments isolés jusqu' à plusieurs milliers de mètres carrés pour les habitats à enclos (Georges-Leroy et al., sous presse; Fig. 4). Sur les 85 habitats identifiés actuellement dans le massif forestier, 26 soit 30 % ont été découverts grâce au scanneur laser et confirmés par prospection au sol. 24 de ces nouveaux habitats sont localisés dans des zones au moins partiellement prospectées auparavant, mais en grande majorité dans des secteurs où la visibilité était réduite du fait de la végétation. Il s'agit principalement d'habitats à enclos, mais aussi de quatre bâtiments isolés, d'une surface supérieure à 100 m 2. De plus, 21 habitats déjà connus ont vu leur connaissance améliorée ou même totalement renouvelée. Les apports ont surtout concerné les enclos, mais quelques nouveaux bâtiments ont aussi été identifiés. Concernant les bâtiments, sur un effectif total de 93 bâtiments, dont 35 sont d'interprétation incertaine, le lidar a permis la découverte de 31 d'entre eux dont 15 incertains. Les plus petits de ces bâtiments ont des surfaces inférieures à 50 m 2. En revanche, quatre bâtiments isolés ne sont pratiquement pas visibles sur les images lidar, mais ils sont également très peu lisibles sur le terrain car localisés dans des zones détruites par la tempête. Par ailleurs, il n'existe pas de corrélation entre la découverte ou l'amélioration des connaissances sur les habitats et la densité des points sol, qui varie à l'emplacement des habitats de 0,95 à 3,87 pts/m 2. Et si l'on examine le cas du seul habitat couvert par les deux densités de vol, soit des densités respectives de points sol de 2,05 et 3,14 pts/m 2, on constate que la résolution de l'image est certes plus fine et donc plus lisible, mais aucun nouvel élément d'enclos ou bâtiment n'est observable sur les images à plus forte densité. Mais il ne s'agit là que d'un exemple, localisé de plus dans une zone très touchée par la tempête de 1999 et non exploitée depuis, ce qui nuit à sa perception générale. Enfin, la taille minimale des vestiges repérables avec les paramètres de vol utilisés varie en fonction de leur type. Ainsi, les plus petits vestiges en élévation perceptibles sont des tas de pierres circulaires (probables tas d'épierrement), de 6 à 8 m de diamètre et de 20 à 30 cm de hauteur. En revanche, les structures en creux sont perceptibles à des tailles inférieures : on distingue en effet très bien sur les images des creusements circulaires, de 2 à 3 m de diamètre et d'une cinquantaine de centimètres de profondeur. Il est possible que cette différence de seuil de détection entre les vestiges en creux et en bosses soit attribuable à l'algorithme de classification utilisé dans ce projet. Des structures plus petites sont encore visibles sur les images, mais elles ne sont plus assez détaillées pour être identifiées correctement. Comme pour les structures agraires et parcellaires, l'apport quantitatif du lidar pour les habitats par rapport aux méthodes de prospection traditionnelles semble donc important dans les milieux forestiers les plus difficiles. De plus, de nouveaux habitats ont été découverts dans des secteurs qui avaient été considérés comme bien prospectés et ne présentaient pas de difficultés d'accès particulières. Cela montre que lorsque la zone de prospection atteint plusieurs milliers d'hectares et qu'il n'est pas possible de procéder à des prospections au sol véritablement systématiques (de type prospection en lignes), des vestiges de quelques dizaines à quelques milliers de mètres carrés peuvent facilement être « manqués ». Le lidar renouvelle donc nos connaissances sur ces habitats antiques. D'une part, grâce à cet inventaire beaucoup plus exhaustif, il permet une approche sur leur répartition spatiale, au moins dans les secteurs non perturbés par des aménagements postérieurs (aménagements militaires, effondrements miniers, secteurs remis en culture au Moyen Âge ou à l' Époque Moderne). D'autre part, il nuance la perception globale que l'on avait auparavant de leur morphologie, notamment en augmentant la part des habitats à enclos. En plus des habitats et parcellaires antiques et des structures agraires médiévales ou modernes, le massif forestier de Haye recèle de nombreux autres vestiges archéologiques, dont un grand nombre sont visibles sur les images lidar (Georges-Leroy et al., 2010). Ainsi on y recense plusieurs sites de hauteur fortifiés protohistoriques, « Côte du Pimont » à Frouard, « La Fourasse » à Champigneulles, « Camp d'Affrique » à Messein, « Bois de Châtel » à Chavigny. Ce dernier est un site inédit découvert sur les images lidar, alors même que ce secteur a fait l'objet de nombreuses prospections au xix e et au début du xx e siècle. Les structures conservées en élévation à l'intérieur du « Camp d'Affrique » ont, quant à elles, fait l'objet d'une nouvelle analyse grâce au levé lidar (Deffressigne et Tikonoff, soumis). Dans le massif forestier, ont également été repérés des vestiges d'extraction du minerai de fer, des fours à chaux et des carrières d'extraction du calcaire, des tranchées de chasse d' Époque Moderne, de nombreux chemins creux de toutes époques, mais aussi de nombreux vestiges militaires de la fin du xix e et du début du xx e siècle (forts, batteries, etc.) (fig. 6a, b, e). Cette richesse archéologique et notre bonne connaissance de cette forêt nous ont permis d'élaborer à partir des images lidar un catalogue de vestiges archéologiques, mais aussi de structures liées à la forêt (andains, cloisonnements, chablis – fig. 6d) ou de phénomènes divers (effondrements miniers par exemple – fig. 6f). Ce catalogue, outil de référence nécessaire à l'identification de ces diverses structures, pourra être réutilisé sur de nouveaux secteurs où nous ne connaissons pas, ou beaucoup moins, les vestiges présents. L'apport de la télédétection par scanneur laser réalisée sur le massif forestier de Haye est donc considérable, tant par la découverte de nouveaux vestiges que par l'amélioration de leur connaissance. Pendant longtemps, la difficulté à percevoir et à cartographier les parcellaires en forêt a été un frein à leur étude et, en l'absence de cette cartographie, on en a minimisé l'ampleur. Le lidar permet un véritable changement d'échelle dans l'étude des sites archéologiques en révélant, dans le cas du massif forestier de Haye, un ensemble de parcellaires fossilisé sur plus de 11 000 ha, ce qui représente une superficie considérable. À titre de comparaison, les emblématiques parcellaires de l' Âge du Bronze fossilisés sous les landes du Dartmoor (Grande-Bretagne), couvrent une surface équivalente : les reaves, qui correspondent à nos murées, s'étendent sur plus de 10 000 ha, sur un territoire d'environ 35 km par 23 km (Fleming, 2008). Par ailleurs, cette cartographie, associée à la datation des vestiges agraires et parcellaires, permet d'esquisser dans ses grandes lignes l'histoire de l'occupation du sol de l'actuel massif forestier de Haye au moins depuis 2000 ans (Georges-Leroy et al., 2010). Ainsi ce plateau calcaire a été presque entièrement défriché et mis en culture au moins à partir de l'époque gallo-romaine. Puis la forêt a reconquis probablement tout ou partie de l'espace jusqu' à nos jours, en connaissant toutefois une ou plusieurs autres phases de défrichement importantes dans plusieurs zones. Ces données illustrent donc les importantes fluctuations dans le mode d'exploitation qu'a connu ce terroir et montrent que la couverture forestière n'a pas seulement évolué selon des pulsations de déboisement/reboisement autour de noyaux pérennes, mais s'est bien déplacée dans le territoire, selon des modalités encore à préciser. Grâce à la méthode de cartographie mise au point et au référentiel acquis lors de cette étude, il est maintenant envisageable d'engager une prospection lidar à une échelle encore plus importante, en abordant la totalité des massifs forestiers du plateau bajocien, au moins entre Nancy et Neufchâteau, où de nombreux parcellaires antiques restent à inventorier et cartographier. Une telle échelle nous permettra peut-être de comprendre pourquoi ces espaces agraires massivement cultivés durant l'Antiquité sont depuis retournés à la forêt .
Le potentiel archéologique des forêts est fort, notamment en raison de la bonne conservation des vestiges sous forme de micro-reliefs, mais les prospections archéologiques sont gênées par le couvert forestier, ce qui freine l'étude des sites. Une méthode de télédétection assez récente, le scanneur laser aéroporté ou lidar, permet de s'affranchir d'une partie des contraintes physiques et permet le repérage et la cartographie des vestiges. Cette technique a été appliquée au massif forestier de Haye, qui couvre 116 km2, à côté de Nancy, durant l'hiver 2006-2007. Elle a permis des apports considérables par rapport aux méthodes de prospection traditionnelles au sol jusque-là utilisées pour étudier les structures agraires et parcellaires et les habitats antiques qui y sont conservés. Ces apports ont porté sur de nombreux points: nette augmentation du nombre de vestiges découverts, amélioration de la localisation des vestiges initialement cartographiés au topofil et à la boussole ou au GPS, apports morphologiques et chronologiques, etc. Nous avons mis au point une méthode de cartographie et élaboré un référentiel de vestiges archéologiques et de structures morphologiques diverses, adaptés à l'analyse et à l'interprétation des données lidar. Au final, cette technique rend possible un véritable changement d'échelle dans l'étude des sites archéologiques et permet d'esquisser dans ses grandes lignes l'histoire de l'occupation du sol de l'actuel massif forestier de Haye.
archeologie_12-0313896_tei_369.xml
termith-76-archeologie
Cette note concerne un lot de céramique exhumé récemment dans la ville de Beaucaire, lors de travaux effectués dans une cave par des particuliers. L'exiguïté des lieux n'a pas permis de mener une exploration archéologique complémentaire, mais un relevé des vestiges mis au jour a été effectué et l'ensemble du matériel récolté a pu être étudié. Aucune stratigraphie n'a été consignée; cependant, le mobilier recueilli et sa localisation dans Beaucaire se sont révélés intéressants pour la connaissance de la topographie de la ville antique. Beaucaire est située sur la rive droite du Rhône, à 17 km au nord d'Arles et à 25 km à l'est de Nîmes. « Au contact de trois terroirs (plaine, colline, plateau), [le site] bénéficie aussi du confluent du Rhône et du Gardon, de la rupture de charge entre Rhône maritime et Rhône continental » (Provost et al. 1999, 192). L'agglomération gallo-romaine d ' Ugernum a été formellement identifiée à la ville par la découverte d'une inscription en 1845, au cours de fouilles dans l'enceinte du château médiéval. L'occupation protohistorique du lieu a été révélée quant à elle dans les années soixante, avec la découverte des nécropoles des Colombes et des Marronniers, puis par les interventions sur l'oppidum de Triple-Levée (à quelques kilomètres au nord-ouest de Beaucaire) et sur celui de La Redoute qui se trouve pratiquement à l'emplacement de la forteresse médiévale, sur la dernière colline hauterivienne de la rive droite du Rhône qui domine la ville moderne. Sur l'oppidum du Château et de La Redoute, une occupation allant de la fin de l' âge du Bronze au début de la période romaine a été mise en évidence par différents sondages. Deux périodes sont bien marquées : les VIII e - V e s. d'une part, les II e - I er s. d'autre part, avec un possible hiatus aux IV e et III e s. av. n. è. Plusieurs découvertes de céramique protohistorique ont également eu lieu dans la ville moderne, en contrebas de la colline (fig. 1); il s'agissait généralement de trouvailles liées à des travaux de voirie, qui ont été surveillés depuis le début des années soixante par les membres de la S.H.A.B. (Dedet et al. 1978, 75-81; Bessac et al. 1987, 14-15). Ces travaux rencontraient le niveau antique à 1,20 m environ sous le sol actuel dans la partie nord de la ville, et à 2 m dans la partie sud. Le matériel préromain recueilli appartient aux II e et I er s. av. n. è., à quelques exceptions près; de fait, ces excavations n'étaient jamais très profondes, et n'entamaient donc probablement que les niveaux protohistoriques les plus récents. La découverte qui nous occupe a eu lieu au n° 32, rue de la République, c'est-à-dire au cœur de la vieille ville de Beaucaire, sous le château qui domine la cité et au pied de l'oppidum protohistorique (fig. 1). Le sol de la cave dans laquelle les vestiges ont été exhumés se trouve à un peu plus de 2 m au-dessous du niveau de la rue, et l'excavation est descendue encore sur plus de 1,80 m à partir de ce sol. Le fond de la fouille se trouvait ainsi à près de 4 m sous le niveau actuel de la rue; ce sont donc des niveaux particulièrement profonds qui ont été atteints, ce qui, semble -t-il, n'avait jamais été le cas précédemment dans la ville, où les sondages liés aux travaux de voirie n'ont jamais excédé 1ou 2 m de profondeur. L'excavation pratiquée dans la cave mesure environ 1,60 m sur 2,50 m (fig. 2). À 60 cm du sol, un premier élément lithique a été rencontré : un bloc taillé de forme quadrangulaire (40 cm de côté) présentant une encoche en son centre; à ce niveau, cette pierre est apparue isolée. Une trentaine de centimètres plus bas a été observé un mur d'orientation est-ouest, de 40 cm de large, relativement bien appareillé, avec des blocs parfois importants; une partie semble avoir été épierrée. Au sud de ce mur, se développe un dallage fait de grandes pierres plates, jointoyées par un limon argileux de couleur sombre. Ces dalles ont des dimensions comprises entre 20 et 80 cm de long pour 15 à 25 cm de large; une seule a pu être observée en contact avec le mur précédemment cité : elle venait s'appuyer contre. Cet aménagement soigné (du moins pour la partie qui a pu être observée) fait songer à un espace de circulation intérieur ou extérieur, même si des observations faites sur une surface aussi restreinte restent sujettes à caution. L'excavation a été poursuivie en profondeur sur une petite partie seulement de la surface, sans que soient notées d'autres structures bâties. Elle n'a pas atteint le substrat naturel. Le mobilier découvert à l'occasion de ces travaux permet de distinguer deux phases, l'une ancienne, que l'on peut placer aux VI e - V e s., l'autre plus récente, entre la fin du III e et le I er s. av. n. è.; le mur et le dallage appartiennent sans doute à cette deuxième phase, tandis que les témoins les plus anciens, en moindre quantité, pourraient provenir des strates basses situées en dessous du dallage. Mais dans ce cas encore, du fait des conditions de découverte, aucune certitude n'est acquise. En dehors de la céramique, qui compose l'essentiel du lot, on a récolté quelques témoins divers. La faune se limite à 38 os ou fragments d'os, dont quelques-uns ont brûlé. En métal, on compte 1 fragment et 2 scories de fer, et une lamelle tordue en plomb; en os, 1 stylet dont les deux extrémités sont brisées; en terre cuite, quatre fragments de tuiles (3 tegulae, 1 imbrex). Enfin, on relève un fragment d'enduit de mortier peint en noir. Les tuiles et l'enduit attestent la présence d'un niveau d'époque romaine, qui a pu être en effet observé a posteriori dans la berme est de l'excavation, juste sous le sol de la cave, et qui n'excède apparemment pas une dizaine de centimètres d'épaisseur. De fait, la majeure partie des niveaux d'occupation de cette époque, retrouvés en divers endroits de la ville moderne, ont dû être ici détruits par le creusement de la cave elle -même dont on a vu qu'elle était relativement profonde. Vues les conditions de découverte, il n'a pas paru opportun de multiplier les périodes chronologiques. Seules deux grandes phases ont été dégagées par l'étude céramologique, de manière assez large pour qu'on puisse y inclure tous les éléments recueillis. Ainsi, on distinguera une phase I correspondant aux VI e et V e s., avec une majorité de documents attribuables au plein V e s., la période antérieure n'étant que peu représentée; et une phase II, de la fin du III e s. au début de l'époque augustéenne. Le décompte des céramiques, du fait de l'absence de sériations stratigraphiques, est présenté dans un seul tableau (fig. 3), toutes les catégories de vases ne pouvant pas être distribués par phase. Une première phase, correspondant au début du deuxième âge du Fer, se dégage nettement. Elle est caractérisée par des bords d'amphores massaliètes présentant un creux de repliement marqué (type 1 de Py 1978), par la céramique grise monochrome, par certaines formes de vases à pâte claire peinte ou non, dont plusieurs éléments de style sub-géométrique rhodanien, ainsi que par un bord de coupe ionienne d'importation grecque orientale ou magno-grecque qui apparaît comme l'un des éléments les plus anciens de cet ensemble (fig. 4). Le décompte des éléments identifiables s'établit comme suit : amphore massaliète - type A-MAS bd1 : 1 bord (n° 1); A-MAS bd2 : 1 bord (n° 2); amphore magno-grecque - type A-MGR bd4 : 1 bord (n° 3); A-MGR 3 : 1 fond (n° 4); céramique grise monochrome - coupe GR-MONO 2a : 1 bord (n° 6); coupe GR-MONO 2b : 1 bord (n° 7); céramique grecque orientale - kylix GREC-OR Kyb2 : 1 bord (n° 5); céramique à pâte claire peinte - CL-MAS 222 (n° 9) : 1 bord; CL-MAS 241 : 1 bord (n° 10); style sub-géométrique rhodanien : 1 bord de cruche (n° 11), 3 fr. de panse (n° 12, 13, 14); Céramique à pâte claire non peinte - mortier CL-MAS 621b : 1 bord (fig. 4, n° 15), bol CL-MAS 323 : 1 bord (fig. 4, n° 16); céramique commune tournée du Languedoc oriental - jatte CCT-LOR 4 : 1 bord (n° 8). La deuxième phase dégagée par l'étude céramologique correspond essentiellement aux II e et I er s. av. n. è., mais elle a été étendue à la fin du III e s. pour rendre compte de quelques éléments sans doute plus anciens (par exemple des bords d'amphore massaliète A-MAS bd 6 et certaines formes de vases à pâte claire) qui ne justifiaient cependant pas, me semble -t-il, la création d'une phase indépendante : le IV e s. n'est en effet attesté par aucune forme caractéristique, et le plein III e s. n'est apparemment pas représenté. Cette période est illustrée par un matériel abondant. Les amphores italiques de type Dressel 1 (bords et fonds) sont bien présentes, de même que la céramique campanienne A et les pâtes claires massaliètes ou de tradition massaliète; on trouve également un fragment de vase de la côte catalane et de rares tessons de céramique ibérique peinte. Voici le décompte des éléments identifiables (fig. 5) : amphore massaliète - A-MAS bd 6 : 3 bords (n° 9, 10, 11); A-MAS bd 9 : 1 bord (n° 12); amphore italique - A-ITA Dr1A-bd1 : 3 bords (n° 1, 2, 3); A-ITA Dr1A-bd2 : 3 bords (n° 4, 5, 6); A-ITA Dr1A-bd3 : 2 bords (n° 7, 8); céramique grise de la côte catalane - gobelet COT-CAT Gb4 : 1 fr. (n° 20); campanienne A - coupelle CAMP-A 25 : 2 bords (n° 14, 15); bol CAMP-A 27a-b : 1 fond (n° 16); bol CAMP-A 31b : 1 bord (n° 13); assiette CAMP-A 36 : 2 bords (n° 17, 18), dont l'un porte un graffite alpha à barre brisée (n° 18); 1 rondelle taillée (n° 19); céramique à pâte claire massaliète - cruche CL-MAS 524 : 1 bord (n° 25); couvercle CL-MAS 711 : 1 bord (n° 28); cruche CL-MAS 525 : 2 bords (n° 23, 24); mortier CL-MAS 633c : 1 bord (n° 22); olpé CL-MAS 521d : 5 fonds (n° 29 à33); cruches indéterminées : 2 fonds (n° 26, 27); céramique à pâte claire récente - cruche CL-REC 2b-bd 1 : 1 bord (n° 21). J'ai préféré présenter à part la céramique non tournée, car malgré la présence de certaines formes assez caractéristiques des périodes récentes, toute identification plus poussée semblait aléatoire. Une répartition entre les deux grandes phases déterminées précédemment apparaît de fait difficile en l'absence de données stratigraphiques. Les formes ont été classées selon quatre catégories : coupes, jattes (fig. 6), urnes, couvercles (fig. 7), auxquelles ont été adjoints les fonds (fig. 7). On trouve pour la céramique non tournée les proportions habituelles de répartition entre ces quatre catégories dans la région du Languedoc oriental (Py, Adroher, Sanchez 2001, 833). Sur l'ensemble étudié, les céramiques non tournées apparaissent majoritaires en nombre d'individus, ce qui correspond tout à fait au faciès reconnu à Beaucaire, site où dominent les productions locales caractéristiques d'un habitat protohistorique. Le décompte des éléments identifiables s'établit comme suit : céramique non tournée - coupes : 9 bords (fig. 6, n° 1-9); jattes : 7 bords (fig. 6, n° 10-16); urnes : 10 bords (fig. 7, n° 1-10); couvercles : 5 bords (fig. 7, n° 11-15); formes diverses : 12 fonds (fig. 7, n° 16-27); fragments décorés (incisions au peigne pour la plupart) : 23 exemplaires; dolium - 22 fragments, dont deux présentent un cordon. L'échantillonnage disponible s'insère bien dans le faciès céramique régional, même si une comparaison fondée sur un aussi faible nombre de vestiges doit être reçue avec prudence. Tant au niveau des catégories de céramiques représentées que de leurs pourcentages relatifs et de leurs formes, on est très proche des résultats fournis par l'étude des autres sites du voisinage : localement, par l'oppidum de la Redoute et du Château (Dedet et al. 1978, 27-69); plus largement par la Roche de Comps (Roubaud, Michelozzi 1993) et le Marduel (Py, Lebeaupin 1986), sans oublier les nécropoles de Beaucaire, les Marronniers et les Colombes (Dedet et al. 1974; Dedet et al. 1978, 83-113), ainsi qu'une tombe protohistorique isolée comme celle du Mas de Jallon (Garmy, Michelozzi, Py 1981) par exemple. Ce mobilier témoigne d'un faciès indigène caractérisé par l'abondance de la céramique non tournée, mais aussi par la présence relativement importante des importations méditerranéennes, massaliètes puis italiques. Cette découverte fortuite apporte un éclairage nouveau sur la Protohistoire de Beaucaire, en complétant les connaissances acquises sur la topographie de l'occupation du site à cette époque. Il semble que l'on se trouve en présence d'une installation de bas de pente liée à l'oppidum situé au sommet de la colline. De fait, il s'agit d'une des découvertes les plus orientales faites dans la ville; plusieurs trouvailles avaient auparavant permis d'affirmer que la pente sud-ouest de l'oppidum était occupée à la fin du deuxième âge du Fer (fig. 1), mais on ne songeait pas à une installation sur la pente orientale – le versant nord quant à lui tombant assez abruptement vers le Rhône. L'absence de vestiges dans ce secteur était imputée aux inondations possibles – et sans doute fréquentes – du Rhône qui ont empêché de soupçonner une installation aussi près du fleuve : « La quasi-absence de témoins dans les quartiers orientaux de la ville suggérait que ces secteurs auraient été impropres à un habitat important et permanent » (Michelozzi 2001). Une occupation durable a pourtant été mise en évidence par la découverte de la rue de la République; la proximité du fleuve ne devait sans doute pas constituer un obstacle majeur pour ces populations, qui voyaient peut-être avant tout dans cet emplacement un lieu avantageux pour les activités commerciales. Il faut souligner l'ancienneté de cette installation de bas de pente puisque la céramique recueillie atteste une présence à cet emplacement dès la fin du premier âge du Fer, alors que les autres découvertes sur le versant occidental de la colline se limitaient à une période plus récente, couvrant le II e et le I er siècles. Ce type d'implantation trouve des comparaisons proches, comme à la Roche de Comps où est attesté un habitat établi à la base de l'oppidum à partir du dernier quart du VI e s. av. n. è. (Roubaud, Michelozzi 1993). Le phénomène est d'ailleurs courant en Languedoc : aux cas précédemment relevés (Py 1990, 613), on ajoutera par exemple celui de Montlaurès, où une habitation du Ve siècle av. n. è. a été mise au jour par les dernières campagnes de fouilles (1998-2001) en contrebas du versant nord-est de l'oppidum (Chazelles 2001). L'extension de l'agglomération protohistorique beaucairoise est certainement liée au développement du commerce méditerranéen dont attestent les céramiques importées retrouvées rue de la République. La ville de Beaucaire est en effet installée à un point stratégique de la vallée du Rhône, à l'intersection de la grande voie de pénétration vers les régions septentrionales de l'Europe que constitue le fleuve et d'un important axe de circulation terrestre est-ouest, assimilé parfois à la « Voie Héracléenne », et qui deviendra la Voie Domitienne à l'époque romaine. Il s'agit donc bien d'un carrefour, et d'un point de passage incontournable que ce soit pour traverser le Rhône ou pour continuer la route fluviale vers le nord, car Beaucaire constituait peut-être un point de déchargement obligatoire avant le seuil de Vallabrègues, situé à quelques kilomètres en amont de l'agglomération. Beaucaire, qui contrôlait de plus un territoire non négligeable (Provost et al. 1999, 217-218), put entretenir des relations privilégiées non seulement avec les autres oppida importants de la région, comme Nîmes ou le Marduel, mais aussi, par l'entremise des comptoirs d'Espeyran et d'Arles, avec Marseille qui diffuse ici dès le VI e s. av. n. è. de nombreux produits. Les inscriptions gallo-grecques retrouvées à Beaucaire (Lejeune 1985) constituent également un indice de la profondeur et de la durée de ces relations, dont on sait qu'elles ne se limitèrent pas au commerce des denrées .
C'est au fond d'une cave de la ville de Beaucaire qu'ont été par hasard exhumés les vestiges d'une installation protohistorique de bas de pente, située au pied de l'oppidum du Château et de La Redoute. Le matériel recueilli témoigne de deux grandes phases d'occupation: les VIe-Ve siècles av. n. è. d'une part, les IIIe-Ier siècles av. n, è. d'autre part. La céramique locale côtoie les importations méditerranéennes caractérisant chaque période. Par leur localisation, ces vestiges sont intéressants pour la connaissance de la topographie antique d'Ugernum, puisqu'il s'agit de l'installation la plus proche du Rhône repérée jusqu'à présent.
archeologie_525-04-10656_tei_120.xml
termith-77-archeologie
Le site du Vau Blanchard sur la commune de Lavernat dans le sud du département de la Sarthe 1 a été découvert lors des prospections archéologiques effectuées dans le cadre du futur tracé de l'autoroute A 28, au niveau de l'échangeur de Montabon, un peu à l'ouest de la ville de Château-du-Loir (fig. 1). Mis en évidence lors de sondages de diagnostic archéologique (Gallien, 2004), il a été fouillé par J. Brodeur (2006). Ce site se trouve en limite sud de la cité des Aulerques Cénomans (fig. 2), au plus près du territoire andécave. Le mobilier recueilli a permis d'identifier deux périodes chronologiques : la fin du deuxième âge du Fer et le début de l'époque gallo-romaine. La fouille avait pour but de reconnaître l'intégralité de la structure trapézoïdale, d'essayer de la caractériser et si possible d'en préciser la chronologie (Brodeur, 2006). Selon les prescriptions du Service régional de l'Archéologie des Pays de la Loire, un décapage extensif fut opéré, suivi d'une fouille manuelle classique, avec les adaptations inhérentes à la nature des vestiges découverts. Les opérations de terrain se sont déroulées du 20 juin au 31 août 2004. Après un bref aperçu du contexte historique et archéologique, nous allons déterminer l'organisation du site, en présenter le mobilier et finir par une mise en perspective des résultats. Le gisement de Lavernat occupe un plateau légèrement ondulé à une centaine de mètres d'altitude. Ce plateau est tranché à 1,6 km au sud de l'enclos par la rivière du Loir. Nous passons en moins de 400 m d'une altitude de 101 à 44 m, ponctuellement la pente atteint 25 % (fig. 3). Le site archéologique domine la tête d'un petit vallon sec orienté est-ouest, qui se trouve à cheval sur les communes de Lavernat et de Montabon. Le gisement se développe sur une légère pente ouest-est, un peu en contrebas d'un petit promontoire. Son altitude varie d'environ 99,7 m au sud-ouest à 96,3 m au nord-est (fig. 4); d'est en ouest, les pentes observées y varient de 1,7 à 2,9 % et, du sud vers le nord, de 0,7 à 2,2 %. La profondeur d'enfouissement des vestiges est peu importante, environ 0,40 à 0,50 m. Le fond du vallon sec se trouve au sud du site à une altitude de 80 m et le haut du plateau, au nord, à une altitude de 114 m. Les sédiments tertiaires qui forment le substrat du site appartiennent à l' Éocène continental (e de la carte géologique) et sont constitués d'une argile de couleur jaune à rouille. Plus haut sur la pente, on remarque un fin placage de Limons de plateau (LP), tandis que plus bas, on observe des argiles issues de l'altération des calcaires crétacés (Rc). Le fond du vallon est marqué de matériaux soliflués issus de Rc et de colluvions de fond de vallon (Manivit et al., 1998). La carte archéologique de Lavernat était, jusqu' à cette découverte, totalement dépourvue d'indices d'occupations anciennes et la Carte archéologique de la Gaule offre une même indigence (Bouvet, 2001, n° 160). Les plus proches témoignages se situant à Aubigné Racan, à quelques kilomètres à l'ouest : une installation indigène de nature indéterminée a pu y être mise en évidence, à laquelle se substitue une agglomération antique pourvue d'une parure monumentale : théâtre, thermes, temple et forum (ibid.). Sur la même commune, des vestiges de La Tène finale forment un complexe fortifié occupé dès le premier âge du Fer sur la butte de Vau (ibid., p. 143), tandis que, du site de la Grande Pâture, proviennent des pièces d'armement datables du iv e au ii e siècles av. J.-C. (ibid., p. 146-147). Quelques monnaies gauloises jalonnent le tracé du Loir : Aubigné-Racan, Vaas, Château-du-Loir, la Chartre-sur-le-Loir et Poncé-sur-le-Loir (ibid., fig. 12) et matérialisent un axe de « circulation » qui passe non loin au sud du Vau Blanchard. Les indices qui ont permis de dresser une carte des limites de la cité cénomane supposent qu' à l'ouest de Château-du-Loir, la frontière avec les Andécaves (région d'Angers) devait s'y confondre avec le cours du Loir (ibid., p. 80-81) (fig. 2). Le site de Lavernat est au plus près de la limite sud de la cité des Aulerques Cénomans, au contact de leurs voisins. Enfin, une voie de crête vraisemblablement antique passerait à environ 1 100 m au sud du site (fig. 3) (Bouton, 1947, p. 186-187). En dernier lieu notons que ce secteur de la commune de Lavernat était jadis en partie voué à la culture de la vigne, comme l'atteste la régularité des parcelles en lanières visibles sur le cadastre du xix e siècle (fig. 4) (Brodeur, 2006, fig. 1 bis). Le fossé St. 1 décrit un trapèze quasi isocèle, d'une base de 101 m pour une hauteur de 77 m (fig. 4). Ses côtés est, nord, ouest et sud mesurent respectivement, 78, 69, 78 et 101 m, l'ensemble circonscrivant une surface d'environ 6 500 m 2. Plusieurs remarques d'ordre géométrique peuvent être effectuées à partir de la simple observation du plan. En premier lieu, les médianes de ce trapèze, orientées nord-sud et est-ouest, trahissent une nette volonté d'orientation cardinale. En second lieu, le trapèze qui matérialise l'enclos forme la base géométrique d'un vaste triangle isocèle haut théoriquement de 232 m. Or la hauteur du trapèze est de 77 m, soit exactement le tiers de la hauteur de ce triangle théorique. Nous pouvons donc envisager une construction géométrique basée sur une figure simple – le triangle isocèle – et des calculs élémentaires – division par 3 – permettant par ailleurs d'obtenir une figure géométrique parfaitement équilibrée. D'autres remarques transparaissent au travers de ces données, concernant d'éventuelles unités de mesure : l'utilisation d'un pes local de 0,322 m peut être envisagée à partir de la hauteur du trapèze isocèle (77 m = 2 actus de 120 pes chacun), cette unité de base étant proche du pes de 0,326 m déduit de la valeur moyenne de la leuga gauloise de 2 450 m (Dassier, 2000). Ces premiers éléments impliquent à notre sens, qu'au moment du creusement de la structure, le plan à obtenir bénéficiait d'un système de repérage au sol. Les terrassiers ainsi guidés ont alors pu creuser l'ensemble du linéaire. De manière générale, le fossé St. 1, creusé dans les argiles naturelles sur 0,60 à 1 m de profondeur, présente un profil en forme de V, avec cependant, quelques différences quant à la pente des bords (fig. 5 et 6). Ainsi, sur les sondages 47 et 77 (fig. 5), celle -ci est-elle très marquée vers un fond très étroit, tandis qu'ailleurs, le fond aplati, légèrement plus large, est complété de bords évasés (Sd. 57 et 46, fig. 5). On constate même à plusieurs endroits, à mi-pente, une sorte de méplat plus ou moins accentué (Sd. 65, fig. 6), témoignant peut-être de récurages difficiles à identifier (Sd 22, fig. 6). Le remplissage du fossé d'enclos a livré peu d'informations. On a constaté, au fond, la présence d'un niveau hydromorphe, de texture plus ou moins argilo-sableuse et de teinte souvent grise à gris-orangé ou ocrée, contemporain du fonctionnement à ciel ouvert de la structure (fig. 5 et 6) : le ruissellement des eaux sur les bords compacts a entraîné cette accumulation caractéristique d'épaisseur variable où le mobilier de La Tène a tendance à se concentrer. Ensuite se remarquent des couches de stabilisation, caractéristiques des fossés qui ont fonctionné en mode ouvert (sd. 47 et 57, US 3, fig. 5; sd. 31 et 40, US 2, fig. 6). Les niveaux sus-jacents montrent en coupe des taches de couleur différente de la masse. Un comblement, à l'aide de « mottes » vraisemblablement arrachées à un petit talus d'escarpe a sans doute donné ce type de stratigraphie; c'est dans ces horizons que le mobilier le plus récent a été recueilli. Enfin, des anomalies dans le tracé du fossé et dans le comblement, observées notamment au niveau du passage aménagé sur le côté oriental, permettent d'envisager des recreusements ponctuels (fig. 5, Sd. 47; fig. 6, Sd. 22). Ce passage est parfaitement placé au centre du côté est, à 37 m des angles nord-est et sud-est, montrant là encore une organisation préalable du chantier de terrassement et l'application de règles simples de géométrie. La fouille n'a montré aucun aménagement particulier pour ce seul accès, large de quatre mètres. L'environnement, notamment la localisation de chemins ou de voies a dû être déterminante, mais leur identification reste en suspens. Nous suggérons aussi que la forme trapézoïdale marque une adaptation à la topographie locale pour gérer au mieux l'écoulement des eaux (Guillier et al., 2005). En effet, on remarque, près de l'angle nord-ouest de l'enclos, la présence du fossé 89 (fig. 4), dont la largeur varie de 0,60 à 0,80 m (fig. 6). Parfaitement orienté nord-sud, ce St. 89 se connecte au côté nord de l'enclos; il accuse une légère pente vers le nord et les couches de son remplissage sont limoneuses mais, malheureusement, aucun mobilier n'y a été mis au jour. Cette structure que nous attribuons à La Tène finale a joué un rôle d'évacuation de l'eau pour éviter sa stagnation dans le fossé St. 1. Il a pu aussi former l'amorce d'une basse-cour, phénomène lié couramment aux enclos trapézoïdaux; citons par exemple les sites de Douains dans l'Eure (Varin, 2007), d'Herblay dans le Val-d'Oise (Valais, 1994) ou de Pouille en Vendée (Nillesse, 1994). Une autre possibilité, n'excluant pas les précédentes propositions, est celle d'une amorce de parcellaire. Le décapage intégral de l'intérieur de l'enclos a seulement mis en évidence deux bâtiments sur poteaux plantés, localisés dans sa moitié sud (fig. 4; fig. 7). L'un, le Bâtiment A, se trouve à proximité de son angle sud-ouest; le second, le Bâtiment B, distant du premier d'une trentaine de mètres, est plus proche de l'entrée. Ce bâtiment présente un plan rectangulaire régulier (fig. 7, en haut). Il mesure 6,5 x 4,8 m, soit 20 x 15 pes de 0,322 m. Le rapport longueur / largeur est de 4/3, une application directe du « théorème de Pythagore » qui permet d'envisager un traçage au sol à l'aide d'une corde à nœuds. Trois des côtés sont ponctués de trous de poteaux, parfois de taille importante; le côté sud paraît totalement ouvert mais nous pouvons suggérer que l'érosion a fait disparaître les trous les moins profonds. La surface utile de ce bâtiment A, 30 m 2, entre dans la moyenne des « bâtiments vrais » tels que définis par P. Pion (1996, p. 90) dans la vallée de l'Aisne, où ils varient de 26 à 33 m 2. Pour le département de la Sarthe, aucun plan similaire n'a été relevé; nous avons seulement remarqué que certains des modules définis offrent des dimensions voisines : 7 x 4 m et 8 x 5 m par exemple sur les sites « La Petite Némerie » ou « La Pièce de Bildoux » à Vivoin (Maguer et al., 2003, fig. 15). Des structures assez comparables ont aussi été mises au jour en Haute-Normandie, à Tournedos-sur-Seine, Condé-sur-Iton, etc. (Dechezleprêtre et al., 2000, p. 329 à 331 et fig. 2). Un des bâtiments les plus semblables a été découvert à Avrilly dans l'Eure (Guillier et al., 2005) (fig. 7, en bas). Le plan de ce bâtiment (fig. 7, au centre) est dessiné par six trous de poteaux de 0,60 m de diamètre (St. 78 à 83), définissant une surface trapézoïdale de 3,20 m de côté environ. St. 80 est légèrement décalé vers le sud tandis que St. 83 paraît ajouté à l'angle nord-ouest. Les profondeurs conservées des trous occidentaux sont de 0,40 m. À l'angle nord-est, une profondeur de 0,70 m (St. 78), correspond à un poteau plus fort. Il y aurait ici le même phénomène que pour le Bâtiment A avec des renforcements à l'ouest et au nord, face à la pente. Ce bâtiment B pourrait correspondre à un grenier surélevé; cependant ses dimensions le placent à la charnière, située théoriquement à 3 m de côté, entre les greniers surélevés et les bâtiments sur sol (Dechezleprêtre et al., 2000, p. 328). Des exemples, souvent de dimensions moindres, ont été mis au jour dans les Pays de la Loire : Vendée, Loire-Atlantique, Maine-et-Loire (Nillesse, 2003), Sarthe (Maguer et al., 2003). Une forme très proche a été découverte à Avrilly dans l'Eure (Guillier et al., 2005) (fig. 7 en bas), et comme pour ce dernier site, nous pouvons nous interroger ici sur l'éloignement de cet éventuel grenier par rapport à l'habitation : en dehors d'une zone de surveillance, proche du seul accès au site, relève -il d'un phénomène ostentatoire – la richesse est dans le grenier – ou d'une activité particulière ? Enfin, la localisation des bâtiments A et B dans la moitié sud de l'enclos suggère la présence d'une partition, séparant l'aire interne en deux, vraisemblablement selon un axe est-ouest, mais pas assez ancrée dans le sol pour nous être parvenue. De telles partitions se rencontrent dans les Pays-de-la-Loire, souvent sur des sites occupés plus densément, par exemple à La Chaize-le-Vicomte en Vendée (Maguer et al., 2005). À vingt-cinq mètres au nord-est du bâtiment B, a été mise en évidence une structure isolée de 3,50 m de diamètre, St. 85 (fig. 4), à proximité de la seule entrée de l'enclos. La coupe (non figurée), effectuée sur une hauteur de près de 1,50 m, livre une stratigraphie caractéristique d'une excavation profonde : les différentes couches plongent littéralement vers son centre. Pour des raisons de sécurité, l'exploration n'a pu être prolongée qu' à l'aide d'une pelle mécanique, mais sans atteindre le fond; toutefois le bras de l'engin a pu descendre à 6,90 m de profondeur par rapport à la surface (cote 96,6 m), de ce qui semble être un puits à eau. L'enclos trapézoïdal du Vau Blanchard montre une occupation particulièrement faible, relevant probablement d'un unique noyau familial, modeste; ne s'y trouvent que deux bâtiments sur poteaux, à l'image de l'enclos d'Allonne dans l'Oise (Beaujard et al., 2006). On peut rappeler que, dans ce département, il a été établi une hiérarchisation entre les différents types de fermes gauloises (Malrain et Pinard, 2006, p. 244-252). Selon celle -ci, Lavernat se rapprocherait des occupations de « rang 3 », l'expression la plus simple de l'habitat enclos. En revanche, il est difficile d'en connaître le type des occupants : des paysans libres ou une population servile relevant d'un grand propriétaire ? Le nord de l'enclos donne une impression de vide qui résulterait d'une partition et d'une spécialisation de cet espace (fig. 4). Il faut évidemment rester conscient que nombre d'occupations ou d'activités n'ont laissé aucune trace : l'érosion a entraîné la disparition des foyers de surface, des zones de travail, des jardins ou potagers, ou encore des clôtures de parcages d'animaux, pas toujours bien ancrés dans le sol. Les résultats de la fouille des structures qui ont échappé à ce sort permettent tout au plus d'esquisser quelques grandes lignes d'organisation. Les dimensions du bâtiment A dessinent un espace suffisant pour une habitation et quelques activités agricoles (30 m 2 environ). La répartition du mobilier dans le fossé d'enclos vient conforter l'identification de cette fonction; en effet, c'est dans la partie sud-ouest de St. 1, à proximité du bâtiment A, que fut rencontrée la plus forte densité d'un mobilier (fig. 8) dont le caractère domestique ne fait aucun doute (cf. infra) : le fossé tout proche offrait une zone de rejet idéale. Certes à un degré moindre, un phénomène identique s'observe à l'est du deuxième bâtiment mais ici, comme souvent, la présence de l'unique accès a pu également jouer un rôle de zone de rejet secondaire. La fonction retenue pour ce bâtiment B, un grenier surélevé, expliquerait la faible quantité de tessons relevée dans cette partie orientale de l'enclos. L'entrée de l'enclos ne paraît pas avoir bénéficié d'aménagements particuliers. Le fossé, peu marqué, s'interrompt en créant un simple passage, large de 4 m. S'il existait une palissade, elle n'a pu être installée que sur un talus formant une petite escarpe. L'ensemble de ces observations conduit à voir une fonction défensive réduite au minimum. On n'observe toutefois pas l'aspect ostentatoire matérialisé par des fossés plus importants du côté de l'ouverture, comme parfois noté sur des enclos gaulois même peu importants (Guillier et al., 2005). L'enclos subit un abandon, marqué par le comblement de son fossé qui disparaît presque de la surface du sol. Certaines composantes gallo-romaines du mobilier (cf. infra), indiqueraient une mise hors fonction du site, dont les fossés devaient pourtant être encore visibles dans la première moitié du i er siècle de notre ère. Cette période vit l'émergence des capitales de Cité suite à la réforme administrative engagée par Auguste. Cette nouvelle organisation eut forcément des conséquences sur les paysages, sur le peuplement et sur la nature même de l'habitat des campagnes. L'enclos du Vau Blanchard peut en constituer une modeste trace dans la nouvelle Cité des Cénomans. Le mobilier archéologique mis au jour à Lavernat est essentiellement céramique, mais il comprend aussi 11,4 kg d'éléments en terre cuite; des fragments de meules, de rares objets en fer et une scorie complètent ce modeste corpus. L'occupation du site relève essentiellement de La Tène finale (388 tessons, soit 90 % en nombre et 78 % en poids). Son abandon au i er siècle de notre ère est attesté par 45 tessons (10 % en nombre et 22 % en poids). Le mobilier céramique (toutes périodes confondues) se répartit à 89 % (en nombre de tessons) et 85 % (en poids) dans le fossé d'enclos (St. 1), essentiellement à proximité de la zone d'habitat au sud-ouest du site (fig. 8). Pour les terres cuites, la répartition est comparable (86 % en poids). Le reste du mobilier se localise dans le secteur des bâtiments situés à l'intérieur de l'enclos et dans le puits (St. 85). Ces chiffres désignent le fossé St. 1 comme le réceptacle principal des déchets. De tels comportements vis-à-vis des rejets se retrouvent dans l'enclos laténien d'Avrilly dans l'Eure (Guillier et al., 2005) et sur bien d'autres sites gaulois. La nature du mobilier recensé alliée à la quantité relevée de chacun de ses éléments montre leur caractère domestique : céramiques, fragments de plaques de foyer, pilettes et meules. – Les deux meules. La meule A est constituée de la partie inférieure « dormante » d'un moulin rotatif ou meta (fig. 9 en haut). Mise au jour dans le trou de poteau 74 du bâtiment A, elle est de forme cylindrique, aplatie et munie d'une perforation axiale marquée d'un bourrelet en partie haute. Sa surface active, piquetée afin d'améliorer sa capacité d'abrasion, possède un poli d'usage. Son diamètre est de 360 mm. La seconde meule, B (fig. 9 en haut), représente la partie supérieure tournante ou catillus d'un moulin rotatif. Fragmentée, elle provient à la fois du fossé d'enclos (St. 1, Sd. 73) et du trou de poteau 74 (bâtiment A). De forme cylindrique et de 380 mm de diamètre, elle est perforée d'un trou axial de 75 à 80 mm de diamètre. Sa partie supérieure offre un bouchardage grossier tandis que la surface active montre un poli d'usage. Les dimensions et la forme de ces deux éléments ne sont pas contradictoires avec une datation de La Tène finale. Malgré un matériau identique (un grès à grain fin, compact, dur, de teinte jaune-orangée), elles ne sont pas appariées, la meta présentant une surface active à la pente moins accentuée que le catillus .La nature des produits moulus peut être très variée, mais en contexte domestique elle se cantonnerait à des farines alimentaires (céréales, légumineuses). Les « terres cuites ». On y distingue des fragments de plaques de foyer amovibles (8,7 kg), des éléments de pilettes (1,3 kg), des fragments d'argile rubéfiée (1,4 kg) et des restes de torchis. Les plaques de foyer, très fragmentées et essentiellement issues du fossé St. 1, sont confectionnées à l'aide de plaques ou de boulettes d'argiles juxtaposées et tassées dans une forme rectangulaire. Elles contiennent un dégraissant sableux fin abondant et quelques éléments plus grossiers. Leur teinte varie du rouge orangé au brun. Elles offrent des surfaces lissées sur la partie supérieure et plus brutes de l'autre côté; de petits bourrelets en marquent la circonférence. Leur épaisseur varie de 29 à 55 mm, mais est surtout comprise entre 31 et 45 mm (fig. 9, tableau). De telles pièces rectangulaires se trouvent dans une vaste zone intégrant la Loire-Atlantique, l'est du Morbihan et le sud de l'Ille-et-Vilaine (Le Goff, 2003). Plus près de Lavernat, signalons des découvertes dans le Maine-et-Loire (Nillesse, 2003), en Mayenne à Entrammes et dans le nord sarthois (Maguer et al., 2003), sur les sites de Vivoin. Enfin, sur le site tout proche de Beauregard à Dissé-sous-Courcillon (fig. 2, n° 5), il a en a été recueilli 360 kg (Nillesse, 2004). Trois fragments de pilettes, constitués d'un matériau identique aux plaques de foyer ont été exhumés de la partie ouest et sud-ouest de St. 1; ces objets pouvaient supporter des plaques de foyer (Nillesse, 2004, p. 30-31). À Lavernat, les fragments qui nous sont parvenus (fig. 9), ont des sections variant de 5,4 x 5,5 à 6,3 x 6,6 cm. Des vestiges comparables proviennent du site tout proche de Beauregard à Dissé-sous-Courcillon (ibid., fig. 61). – Le métal est peu représenté, comme souvent sur ce type de site (Bouvet, 2001, p. 61). Nous relevons un clou (St. 21), un petit fragment en fer très oxydé de nature indéterminée (St. 85) et un éventuel fragment de lingot, mesurant 32 x 45 mm, épais de 12/13 mm et pesant 100 g (St. 1). Mentionnons aussi une scorie de fond de forge (St. 1), en calotte plus ou moins hémisphérique, bien caractéristique (Mangin, 2004, p. 101-102). Il s'agit d'une pièce mesurant 76 x 85 mm, d'une épaisseur de 35 mm et pesant 215 g; elle est recouverte en partie supérieure d'une surépaisseur vitreuse de teinte claire. Ces rares éléments, gaulois ou éventuellement gallo-romains, trahissent une économie modeste, sans aucune mesure avec celle d'autres sites régionaux où l ' instrumentum occupe une place plus importante. À titre d'exemple, mentionnons le site gaulois voisin de Beauregard d'où proviennent 208 fragments de scories pour 18,4 kg (0,2 kg au Vau Blanchard) et plus de 20 objets, dont des pinces, des socs d'araire, une épée, des lève-loquets… (Nillesse, 2004, fig. 62 et 63). Le caractère domestique de l'occupation est confirmé par le corpus des céramiques, malgré le faible nombre de vases identifiables : 17 individus au total (NMI) pour 388 tessons. Sur le plan technique, les céramiques sont modelées (7 ex.) ou tournées (5), parfois tournassées (1); des surfaces altérées n'ont pu permettre de détermination dans quatre cas. Plusieurs types de pâtes se distinguent en fonction de la technique de montage des vases. Les céramiques modelées ont des pâtes plutôt siliceuses, de teinte brune, brun-gris ou brun-noir, soigneusement lissées et de même teinte en surface et en section. Les vases tournés offrent également des pâtes siliceuses, mais à cœur gris parfois brun-noir, alors que les surfaces externes, lissées, se colorent d'orangé-grisâtre à brun-clair. Vu le faible effectif, il n'est guère possible d'envisager une typologie aboutie; aussi nous cantonnerons à une simple présentation. La céramique de La Tène finale (fig. 8) se caractérise par la présence d'écuelles à bord déjeté, à panse carénée (vases 1, 2 et 3) ou à profil « en esse » (vase 4). Notons un bol tronconique à bord droit dont le dessus de lèvre est décoré d'impressions (vase 5). Les écuelles ont une pâte fine, leurs surfaces sont soigneusement lissées, l'une d'elles porte une incision au niveau de la carène (vase 3); elles sont employées aussi bien pour la préparation et la cuisson des aliments que pour leur présentation lors des repas. Une autre catégorie de vases est constituée de pots, destinés principalement à la cuisson. Ils sont ovoïdes (vases 6, 7 et 8) ou globulaires (vases 9 et 10), à l'épaule parfois soulignée d'incisions (vase 9). Enfin, six tessons appartenant à deux amphores, dont une vinaire italique de type Dressel 1 (sans plus de précision), complètent ce corpus caractéristique de La Tène D1 et du début de La Tène D2. Ces formes se rapprochent de celles exhumées sur le site La Tène D1 – D2 de Beauregard à Dissé-sous-Courcillon (Nillesse, 2004). Quelques-unes (vases 4 et 9) offrent des parallèles à La Tène D2 avec celles du « Grand Aunay » à Yvré-l'Evèque (fig. 2, site n° 4; Vacher et Bernard, 2003). Ce bref examen confirme le caractère domestique, peu important et vraisemblablement assez bref de l'occupation du site au cours de la fin de La Tène finale. Régionalement en effet, les sites à enclos recèlent des lots céramiques bien plus importants : – Carquefou (Loire-Atlantique) : 1 542 tessons pour un NMI de 117 vases (Le Goff, 2003, p. 108); – Marcé (Maine-et-Loire) : « Deffroux » (2 831 tessons, NMI de 126 (Nillesse, 2003, p. 156) et « Hélouine » (3 917 tessons, NMI de 116 : ibid., p. 156); – Retiers (Ille-et-Vilaine) : 2 300 tessons, NMI de 155 (Le Goff, 2003, p. 106); – Vivoin (Sarthe), « La Pièce de Bildoux » : 2 231 tessons, NMI de 161 (Maguer et al., 2003, p. 227) et « La Gaudine » : 1 476 tessons, NMI de 199 (Guillier et al., 2007, p. 52); – Dissé-sous-Courcillon (Sarthe), « Beauregard » : 7 979 tessons, NMI de 122 (Nillesse, 2004, p. 20). Les établissements ruraux fouillés exhaustivement et présentant aussi peu de mobilier que le « Vau Blanchard » sont rares. Citons le « Clos des Forges » à Avrilly dans l'Eure, qui a livré 276 tessons pour un NMI de 26 (Guillier et al., 2005) et celui de Neuville-près-Sées dans l'Orne, où 251 tessons ont été découverts (Besnard-Vauterin, 2005). La céramique gallo-romaine n'est matérialisée que par 45 tessons (dont 43 dans St. 1). Ils ont été découverts pour 75 % d'entre eux lors du diagnostic, ce qui nous suggère leur présence dans les seules couches supérieures du fossé puisque son tracé a été presque entièrement mis au jour à cette occasion. Nous avons noté des dolia (fig. 8, vase 12), dont un similaire à ceux produits dans l'atelier de Mougon (Indre-et-Loire), un bord de cruche, un tesson appartenant à une amphore de type Pascual 1 (Tarraconaise), dont la production supplante les amphores italiques à partir du troisième quart du i er siècle av. J.-C. Chronologiquement, ces artefacts sont attribuables au début du i er siècle de notre ère. À voir cette poignée de tessons, nous exprimons notre doute sur le fait qu'ils matérialisent une réelle phase d'occupation de l'enclos, même limitée. Leur dépôt dans les couches de comblement final du fossé d'enclos St. 1, alors qu'il devait être encore quelque peu visible sur le terrain, signerait plutôt l'existence d'une occupation extérieure à l'emprise de la fouille, supposant éventuellement un déplacement de l'habitat et l'apport de terre ou de fumure sur un site désormais abandonné et en voie de nivellement. Si quelques informations se dégagent de ces éléments et suscitent l'intérêt de cette opération, il faut rester conscient des limites de l'exercice par rapport à une certaine déficience des données et des connaissances acquises sur le terrain au niveau du département de la Sarthe. En effet, les établissement ruraux gaulois datables de La Tène C ou D, n'y sont pas nombreux : à Vivoin, « La Fosse » (Morzadec, 1999, phases 3 et 4), « La Gaudine » et « La Pièce de Bildoux » (Maguer et al., 2003; Guillier et al., 2007) (fig. 2, sites 1, 2 et 3), « Le Grand Aunay » à Yvré-l'Evêque (Vacher et Bernard, 2003) (site 4) et « Beauregard » à Dissé-sous-Courcillon (Nillesse, 2004) (site 5). Relatons aussi la découverte d'indices matérialisés par des segments de fossés accompagnés de mobilier : « Le Tertre » à Souligné-Flacé (Bouvet, 2001; site 6), « Les Petites Landes » à Teillé (ibid.; site 7), « Les Rues Vertes » à Saint-Jean-d'Assé (ibid.; site 8) et « Le Ruisseau » à Yvré-l'Evêque (Guillier, 1999; site 9). En revanche, les nombreuses anomalies repérées par photographie aérienne laissent présumer un territoire densément occupé (Bouvet, 2001, p. 59), et ce probablement sur les meilleures terres de la Cité des Aulerques Cénomans comme le suggèrent les cartes de répartition des sites du I er et du II e Âge du Fer (ibid., fig. 4 et 5), selon ce que J.-C. Meuret nomme un clivage pédo-géologique (Leroux et al., 1999, p. 97). La forme trapézoïdale est courante pour les enclos de cette période (fig. 10). Mentionnons en Haute-Normandie, dans le pays de Caux, Veauville-le-Baons « RD 37 », Saint-Aubin-Routot « Le Four à Chaux », Gremonville « Le Gal », Criquettot-sur-Ouville « La Folie », Baons-le-Comte « Les Baons » ou Cottevrard « La Bucaille » (Blancquaert et al., 1996; Desfossés, 1996). Nous pensons aussi aux enclos d'Avrilly (Guillier et al., 2005), de Poses (Dechezleprêtre et al., 1997, p. 50 et fig. 3), de Parville (Lukas, 2007), de Douains (Varin, 2007) ou d'Ivry-la-Bataille et de Piseux (Le Borgne et al., 2002) dans l'Eure, sur le territoire des Aulerques Eburovices. Mentionnons encore ceux de Baud et de Crédin dans le Morbihan, révélés par photographie aérienne (Leroux et al., 1999, p. 117 et 137), de Pouille en Vendée (Nillesse, 1994), ou d'Herblay dans le Val-d'Oise (Valais, 1994), qui présentent une forme géométrique similaire. En région parisienne, citons encore les Antes à Rungis dans le Val-de-Marne (Bostyn, 2002, p. 111-174) et le Plessis-Gassot dans le Val-d'Oise (Cammas et al., 2005). Plus au nord, dans l'Oise, on trouve le site des « Gâts » à Verberie, dont l'enclos offre des proportions similaires à celui du Vau Blanchard (Malrain et Pinard, 2006, p. 90-91) et celui d'Allonne près de Beauvais, où un enclos trapézoïdal est complété d'une palissade (Beaujard et al., 2006). Avrilly, dans l'Eure, offre une nette ressemblance avec le Vau Blanchard de par sa forme, son organisation interne, la faible quantité de mobilier recueilli et sa chronologie d'occupation. Une ferme un peu plus ancienne (début de La Tène D1) y présente une organisation aussi peu dense avec un silo, un atelier enterré et surtout un bâtiment principal et un grenier, très semblables à ceux de Lavernat (Beaujard et al., 2006). Dans la Sarthe, sur le territoire des Aulerques Cénomans, les prospections aériennes ont livré des formes assez similaires, à Amné, Champfleur, Longnes ou René (Bouvet, 2001). Chez leurs voisins occidentaux, les Aulerques Diablintes, nous avons relevé des enclos trapézoïdaux à Chailland, Cossé-le-Vivien, Nuillé-sur-Vicoin et Saint-Berthevin (Naveau, 1992). Si cette forme est sans doute courante, en revanche les trapèzes isocèles sont rares, hormis celui de Crédin, dont les dimensions se rapprochent fort de Lavernat (fig. 10). Par sa morphologie, l'enclos du Vau Blanchard s'insère dans un schéma qui émerge des données récemment acquises dans l'ouest de la Gaule : les « enclos trapézoïdaux à entrée axiale » (Leroux et al., 1999, p. 55-56 et fig. 31). Ce type de site est identifié par des bâtiments sur poteaux, un système d'enclos rectilignes, un plan très organisé, une faible surface enclose et une morphologie générale caractéristique. Des établissements aussi modestes que celui de Lavernat se rencontrent aussi, plus au nord, chez les Bellovaques (Beaujard et al., 2006), augurant d'une diffusion plus vaste de ce type d'enclos. Ainsi que nous l'avons déjà souligné, de nombreux points de comparaisons existent entre les plans d'enclos trapézoïdaux (fig. 10) et les plans des structures qui les occupent (fig. 7). Si l'on associe ces convergences, il ne nous paraît pas impossible d'émettre l'hypothèse qu'il existerait – certainement au sein d'autres types –, une forme particulière (trapézoïdale), répétitive, dessinant un plan-type particulièrement adapté à son environnement naturel. L'exemple de Lavernat obéit de plus à des règles géométriques simples, faciles à mettre en œuvre sur le terrain (utilisation de rapports simples : 1/2, 1/3 et 4/3) tant pour tracer au sol le plan de l'enclos que celui des structures d'habitat, à partir d'une corde à nœuds par exemple; leur évolution ultérieure dépend probablement de facteurs externes. Cette hypothèse demande à être confirmée, tout en sachant que nos informations sont grandement tributaires du hasard des recherches. L'hypothèse d'un modèle de la ferme indigène à La Tène finale n'est pas une nouveauté; elle a déjà été évoquée au sujet des enclos gaulois du pays de Caux (Desfossés, 1996, p. 205) qui, rappelons -le, sont très proches de celui du Vau Blanchard. Le site du Vau Blanchard, actuellement unique dans le département de la Sarthe, devait correspondre à une petite unité agricole exploitée à La Tène finale, occupée sur un laps de temps assez court (une ou deux générations), le site acquérant sa forme définitive au moment même de sa création. Le fossé de l'enclos formait une protection surtout destinée à maintenir à distance les animaux prédateurs et à délimiter un espace utilitaire. L'occupation, comme l'a montré la fouille, est peu dense; une simple cellule familiale pouvait y être installée pour mettre en valeur un petit territoire alentours (sur un finage). Nous pouvons évoquer l'hypothèse d'un établissement de défrichement, installé sur des terres pauvres, peut-être à cause d'une pression démographique entraînant une conquête de terres nouvelles comme le souligne J.-C. Meuret (in Leroux et al., 1999, p. 98), les terres les plus riches étant déjà occupées. L'enclos, occupé brièvement à la fin de La Tène finale, disparaît totalement dans le paysage et aucune occupation postérieure d'habitat ne s'y substitue à son emplacement direct, contrairement à nombre d'autres sites fondés à la même époque. L'existence d'un domaine dans le secteur expliquerait la désaffection de cette structure rurale inadaptée au mode d'exploitation latifondiaire, bien que la recherche récente ait pu mettre en évidence la création de petites structures gallo-romaines typologiquement proches des modèles gaulois (Guillier, 2002; Guillier et al., 2006). Ce type de découverte contribue à nuancer l'idée d'une zone « désertique » en marge de la cité des Cénomans. À l'heure actuelle, si le site apparaît comme unique localement, il y atteste néanmoins une présence humaine à l' Âge du Fer et notamment à La Tène finale. Il ne saurait être question cependant de statuer, sans autre prospection, sur l'ampleur et la nature de cette occupation à l'échelle d'un territoire. Bien que limitée, la valeur démonstrative de l'enclos du Vau Blanchard est représentative de l'état de la recherche dans ce secteur et même plus encore à l'échelle du département. Son existence suggère une mise en valeur de terres peu occupées à partir d'un semis d'autres fermes, le tout sous la direction d'une aristocratie dont on ne sait si elle est propriétaire ou non de ces exploitations dont l'ensemble reflète cependant une société hiérarchisée cohérente. C'est à cette problématique que doivent être maintenant confrontées d'éventuelles prescriptions de fouilles sur le territoire de la commune et de celles qui l'environnent. C'est en effet la seule façon d'infirmer ou de confirmer ce qui vient d' être dit. L'enclos étudié paraît avoir subi un nivellement au courant du I er siècle de notre ère. L'hypothèse d'une nouvelle gestion de l'espace à l'échelle de la Cité par le pouvoir romain, si elle est logique et séduisante, est tributaire d'une ouverture du champ de la recherche; les prospections archéologiques sur le tracé de l'A 28, l'auront au moins initiée. Enfin, insistons sur le fait que la fouille d'un établissement rural gaulois, même s'il ne présente que quelques structures et peu de mobilier, s'avère tout aussi nécessaire que celle d'un établissement dit aristocratique, afin de comprendre le plus finement possible les différentes composantes de la société de la fin de La Tène dans nos régions et d'appréhender le mode de vie de ses habitants .
Sur la commune de Lavernat, dans le sud du département de la Sarthe, la campagne de prospection archéologique systématique effectuée sur le tracé de la future autoroute A 28, a permis au niveau de l'échangeur de Montabon, près de Château-du-Loir, de mettre en évidence un enclos de plan trapézoïdal d'une base de 101 m pour une hauteur de 77 m, circonscrivant une surface de 6 500 m2. À ce jour, il s'agit d'une des rares fermes indigène de La Tène finale fouillée exhaustivement dans le département de la Sarthe. Cette ferme est matérialisée au sol par des structures fossoyées arasées. Le décapage mécanique intégral de l'aire interne y a révélé un seul bâtiment d'habitat complété d'un grenier et d'un puits à eau. Quelques centaines de tessons, des plaques de foyers et des meules constituent l'essentiel des vestiges matériels exhumés tandis que de rares vestiges du Ier siècle de notre ère matérialisent l'abandon du site. De nombreux établissements ruraux très comparables permettent d'évoquer un plan-type au sein des découvertes effectuées dans l'ouest de la Gaule.
archeologie_10-0500458_tei_152.xml
termith-78-archeologie
Le gisement paléontologique des Fourches II a été découvert fortuitement en 1990 par R. Liardet 4, le propriétaire du terrain. Très exposée aux déprédations et aux fouilles clandestines favorisées par son isolement dans une zone fréquemment parcourue par des spéléologues amateurs et des randonneurs, la cavité fit l'objet au mois de mai 1991 d'une petite opération de sondage, conduite par le Service d'Archéologie du Conseil général de Vaucluse, ayant pour objectifs de vérifier la présence éventuelle de vestiges archéologiques et de prendre les dispositions nécessaires à sa protection. L'aven des Fourches II est situé sur la commune de Sault, à environ 2 km au nord-ouest du village et à 70 km au nord-est d'Avignon (fig. 1). Creusé dans un des reliefs du Crétacé inférieur qui couvrent près des deux tiers de la superficie du département de Vaucluse, il s'ouvre sur un plateau fortement karstifié dans une zone, entre la chaîne septentrionale du Mont Ventoux au nord et la chaîne du Luberon au sud, qui englobe le versant sud du “Géant de Provence” et les monts de Vaucluse (fig. 2). La diaclase s'ouvre à 795 m d'altitude, au milieu des buis, des chênes pubescents et des genévriers communs, dominant d'une centaine de mètres au sud le fossé de Sault arrosé par la Nesque encore pérenne dans cette partie de son cours et, à l'ouest, l'étroite combe du Fraysse qui la sépare du plateau des Molières. A proximité immédiate de la cavité s'ouvre l'aven des Fourches I qui a livré, à la faveur d'opérations archéologiques d'envergure, de très nombreux vestiges attribuables au Chalcolithique et surtout à l'Age du Bronze final - Bronze D et Hallstatt A - (Buisson-Catil 1993, 1996, Buisson-Catil et al. 1996-1997). Toujours dans ce secteur s'ouvre l'aven du Quartier du Ventoux 2, bien connu des spéléologues, où après un petit ressaut de 2,50 mètres, on aboutit dans une galerie d'assez belles dimensions pour le plateau. C'est en fait l'ensemble de ce plateau qui est concerné par la karstification et on ne peut exclure l'existence de réseaux communiquants (fig. 3). Si les formes souterraines de la karstification semblent ici moins nombreuses et moins spectaculaires que dans la partie extrême orientale des monts de Vaucluse, plateau de Saint-Christol et d'Albion (Gaubert et al. 1990, 1995; Gaubert 1993), il n'en demeure pas moins que le secteur qui nous intéresse se présente souvent sous l'aspect d'une région karstique typique, c'est-à-dire avec des surfaces lapiazées et nues (le sol étant constitué par la surface calcaire très ciselée et découpée par la dissolution) - karst thermique - qui constitue le lapiaz stricto sensu. L'unité sous-jacente (karst de subsurface - conduits sous-cutanés), bien représentée, comprend tous les systèmes de fissures élargies ou non par la dissolution : cette action peut être augmentée dans certains secteurs par la fracturation tectonique (canevas tectonique local) en rapport avec les lithofaciès, comme en témoigne l'alignement préférentiel des dolines, des poljés et des avens le long des failles (Weydert 1990; Jorda 1993). L'épaisseur de cette unité varie de quelques mètres à quelques dizaines de mètres. La plupart du temps, la pénétration spéléologique de cette zone est très limitée; on n'en connait que les diaclases profondes et assez larges comme c'est le cas pour l'aven des Fourches II. Pour bien comprendre la morphologie actuelle du fossé de Sault et de ses environs, il faut reprendre l'histoire géologique de la région depuis le début du Crétacé (Puig 1990). C'est en effet au Crétacé inférieur que se déposent, dans une mer profonde et subsidente, les sédiments calcaires qui, consolidés par les phénomènes diagénétiques, vont former ce que l'on a pu appeler le “panneau de couverture nord-provençal” (Villéger 1984) : il s'agit d'une vaste dalle épaisse de plus de 1000 m, en strates décimétriques et décamétriques à peine entrecoupées de rares lits marneux, et qui présente donc mécaniquement une grande rigidité. Après dépôt de ces sédiments calcaires, la mer devient plus profonde et reçoit les marnes gargasiennes. Puis, une phase tectonique correspondant à une compression nord-sud va amorcer des structures anticlinales et synclinales : du fait de la rigidité du panneau nord-provençal, ces plis d'orientation est-ouest ont un très grand rayon de courbure. Cette compression s'accompagne d'un exhaussement du fond marin et de l'émersion du sommet des anticlinaux. On pense que, dès cette phase, est exondée l'amorce des chaînes Ventoux-Lure et Luberon et surtout d'un anticlinal au sud du Mont Ventoux, la structure de Saint-Gens (Rivier 1960). Au milieu du Crétacé commence, avec une émersion générale de la région, une longue et intense période d'érosion des zones les plus hautes. Pour les calcaires massifs qui forment l'ossature des reliefs, cette érosion est essentiellement une karstification qui se traduit, en surface, par une ablation pouvant atteindre plusieurs centaines de mètres et, en profondeur, par le développement de réseaux de drainage souterrain qui se mettent en place à la faveur des failles et diaclases. Ces zones hautes sont restées soumises à l'érosion depuis cette époque, c'est-à-dire depuis 90 millions d'années. Au début de l'Oligocène, intervient une phase tectonique distensive avec un étirement orienté est-ouest. Certaines cassures antérieures rejouent en failles normales, principalement celles orientées NE-SO. Des compartiments entiers de la dalle calcaire s'affaissent, formant des fossés d'effondrement, dont le fossé de Sault-Aurel, mais aussi les fossés de Murs, de Lioux et de Banon. Dans les zones basses, fossés d'effondrement NE/SO et synclinaux Est-Ouest (Jabron, Apt, Carpentras), s'installe un milieu laguno-lacustre dont les dépôts détritiques et chimiques totalisent par endroits plusieurs centaines de mètres. Ainsi, dans le fossé de Sault vont se déposer en discordance sur les terrains crétacés, des argiles, des marnes et des calcaires en plaquettes. Au début du Miocène, une nouvelle phase de compression ENE-OSO fait rejouer en décrochement certaines failles antérieures. En particulier, les failles qui délimitent le fossé de Sault vont avoir des déplacements de sens contraires. Ces mouvements antagonistes vont avoir pour effet de plisser les dépôts oligocènes du fossé selon une direction oblique par rapport aux accidents. Le fossé lui -même est rehaussé. Enfin, la dernière, sinon la moindre, des phases tectoniques qui ont modelé la région intervient à la fin de l'Ere tertiaire, au Pliocène terminal. C'est de nouveau une compression nord-sud, déviation “provençale” de la phase paroxysmale de l'orogénèse alpine. La dalle calcaire, incapable de serrer beaucoup ses plis à grand rayon de courbure, va se laminer sur ses marges septentrionales et méridionales où elle est bien amincie et va chevaucher les synclinaux tertiaires correspondants. Ce mouvement s'accompagne d'un exhaussement général des reliefs et les fossés sont soulevés bien au-dessus du niveau des mers et lagunes pliocènes qui subsistent dans les paléo-vallées du Rhône et de la Durance. Ce rapide rappel de l'histoire géologique de notre région nous permet d'analyser la morphologie actuelle, superficielle et souterraine. Nous voyons bien maintenant le contraste entre la zone déprimée du fossé de Sault, dont la position topographiquement basse a permis la conservation des sédiments tendres du Crétacé moyen et du Tertiaire, et les plateaux calcaires qui la délimitent, sur lesquels la roche mère subaffleurante ne supporte qu'un placage mince et discontinu de ses produits d'altération. La carte géologique de la figure 4 représente schématiquement les principaux terrains affleurants dans le fossé de Sault et ses abords immédiats. La région de Sault est soumise à un climat de type méditerranéen influencé par l'altitude, dont nous allons décrire ci-dessous les caractéristiques locales en utilisant les données de la station météorologique de Sault : la température moyenne interannuelle est un peu inférieure à 10 degrés (9,92°); l'influence méditerranéenne donne aux mois chauds des moyennes souvent supérieures à 20 degrés et des valeurs maximales atteignant 34 degrés; l'influence montagnarde est responsable d'hivers rigoureux, avec des températures moyennes comprises entre 2 et 3 degrés pour les mois froids et plus de 110 jours de gelée par an en moyenne interannuelle; les deux influences interviennent sur le régime pluviométrique : la lame d'eau moyenne est de 960 mm, la sécheresse estivale est bien moins marquée qu'en plaine, et si le début de l'automne est bien la saison la plus arrosée, la seconde période humide, intervenant selon les années entre février et juin, est donc “nivelée” par les moyennes mensuelles interannuelles. Au plan hydrogéologique et hydrologique, le contraste est là encore bien marqué entre le fossé et les plateaux voisins : le fossé, dont le fond est resté tapissé par les marnes gargasiennes imperméables, dispose en toute saison de ressources en eau accessibles avec de nombreuses sources et le seul cours d'eau pérenne (la Nesque) à dix kilomètres alentour. Sur les calcaires, la fissuration provoque l'infiltration rapide des eaux météoriques, les vallons sont secs la plus grande partie de l'année, les sources sont rares, éloignées les unes des autres, et le plus souvent taries dès le début de la saison chaude, à l'exception notable de la source Millet située sur le versant sud de la montagne d'Albion. Une quarantaine de sources a été recensée sur les quelques 20 km 2 du fossé de Sault (Derosier 1981). La moitié coulait à la fin du mois d'août 1981, en étiage prononcé, et on peut donc les considérer comme pérennes. Bien sûr, beaucoup d'entre elles ne produisent en basses eaux que quelques litres à l'heure. Mais certaines, dont les sources de la Nesque, ont en toute saison un débit de plusieurs litres à la seconde. La carte de la figure 5 indique la situation et le débit des sources les plus importantes du fossé. Si la plaine du fossé, cultivable plus facilement et riche de nombreux points d'eau est plus attrayante, il faut se rapprocher des reliefs calcaires pour trouver des abris naturels, ceux que la karstification a creusé en agrandissant par dissolution les fractures de la roche. Même si l'érosion karstique a duré très longtemps et se poursuit de nos jours, elle ne donne pas partout les mêmes formes hypogées, et son action dépend d'un facteur énergétique : l'altitude par rapport au niveau de base, mer, lac ou fleuve récepteur final des eaux infiltrées. Sur les reliefs qui ont été rapidement exhaussés par rapport au niveau de base, le creusement a principalement une composante verticale. Se sont ainsi formés les grands avens des plateaux, qui se caractérisent par des successions de puits verticaux dont chacun peut atteindre ou dépasser 100 mètres de profondeur (167 m à Jean-Nouveau pour le puits d'accès). Les plus grandes cavités des plateaux de Vaucluse et d'Albion, dont quatre dépassent 500 mètres de profondeur et deux ont plus de 600 mètres de profondeur, montrent des galeries à grand développement. Mais ces galeries sont étagées entre 100 et 600 mètres de profondeur, après des puits d'accès très verticaux (Gaubert 1993). En revanche, les cavités situées à proximité immédiate du fossé de Sault ont vu se développer, sans doute lorsque ce fossé constituait le niveau de base local, des cavités de profondeur modeste et d'un développement horizontal relativement important. Compte tenu des difficultés d'accès aux parties profondes et en l'absence d'étude sédimentologique, les observations concernant l'endokarst et de son remplissage restent très sommaires. C'est donc sur le secteur de l'entrée et les parties accessibles du réseau que portera le premier niveau de description (fig. 6). La seule entrée connue de la cavité se présente sous la forme d'un puits vertical de quatre mètres de profondeur, creusé dans les calcaires massifs barrémo-bédouliens, dont la largeur maximale n'excède jamais un mètre. Son diamètre à l'ouverture est de 80 centimètres. Ce puits permet d'accéder à une galerie d'orientation est-ouest, en grande partie horizontale, dont la hauteur dépasse rarement un mètre pour une largeur qui oscille, dans la partie explorée, entre 1,20 et 2 m. Concernant le conduit, quelques remarques essentielles peuvent être retenues : une dominante horizontale, une faible hauteur nécessitant la reptation, une obscurité totale, un taux d'humidité élevé avec d'importants ruissellements en période pluvieuse. Vers l'est, son développement atteint plusieurs dizaines de mètres (une trentaine a été reconnue). La partie ouest est quant à elle colmatée après quelques mètres. Les parois ont gardé, dans l'ensemble, un important revêtement calcitique, même si par endroits, la déstabilisation de ce revêtement a entraîné la chute de nombreux fragments (phase de sédimentation primaire), conséquence d'un assèchement du climat et d'un abaissement des températures (faible dissolution et forte cryoturbation). Enfin, on observe la présence ponctuelle, vers l'est, d'un plancher stalagmitique suspendu de faible épaisseur. Les observations stratigraphiques se limitent à des observations macrostratigraphiques effectuées à partir du remplissage mis en évidence dans un sondage de 1 m 2 pratiqué à la verticale de l'ouverture. La base n'a pas été atteinte. On observe de bas en haut : I - argile de décalcification rouge très plastique à cassure prismatique. Cette formation, reconnue sur une trentaine de centimètres d'épaisseur, est stérile. La fraction grossière, peu abondante, est essentiellement représentée par de petits galets karstiques et des rognons de silex d'origine locale affectés d'une patine noirâtre. De très rares fragments de revêtement calcitique, toujours de petites dimensions, sont visibles dans ce niveau. II - argile de décalcification rougeâtre emballant des fragments calcaires à des stades divers de dissolution (blocs décimétriques et cailloutis centimétrique, sables grossiers et sables fins), des spéléothems (fragments de stalactites, de stalagmites et de plancher stalagmitique) et des rognons de silex. C'est à la base de cet ensemble, épais d'une soixantaine de centimètres, et au contact du niveau sous-jacent, que les restes osseux et dentaires d'un équidé ont été mis en évidence. III - accumulation récente à la verticale de l'ouverture, constituée d'une matrice argileuse brune d'une dizaine de centimètres d'épaisseur, emballant des végétaux, de petits blocs calcaires anguleux et de nombreux restes de faune actuelle et subactuelle : Capra hircus, Ovis aries, Sus scrofa, Capreolus capreolus et lagomorphes dont Lepus europaeus. Ce type de vestiges est aussi abondamment représenté en surface. L'aven des Fourches II, comme les avens environnants, donne accès à un conduit sub-horizontal se développant à seulement quelques mètres sous la surface du plateau. La morphologie du plafond (présence locale de coupoles) indique un stade de creusement en régime noyé. Le remplissage, dont l'importance n'est pas connue, masque la morphologie initiale du conduit, ce qui ne permet pas d'établir s'il y a eu des phases de creusement en écoulement libre. La mise en place de ce type de conduit pourrait être contemporain de la phase de sédimentation du fossé de Sault (Oligocène l. s.), celui -ci formant alors un niveau de base d'altitude très supérieure à celle de Fontaine-de-Vaucluse, actuel exutoire du système aquifère (Puig 1987; Couturaud 1995). Le plancher stalagmitique a été démantelé sous l'action de son propre poids et par le tassement des formations sous-jacentes, mais aussi par des écoulements qui ont érodé l'ensemble du remplissage. Un soutirage des sédiments vers des conduits inférieurs peut aussi être invoqué. Cette formation peut être rapprochée d'un autre plancher stalagmitique, localement suspendu, mis en évidence cette fois dans l'aven des Fourches I (Buisson-Catil et al. à paraître). La datation de ce spéléothème par la famille de l'uranium donne : 344,1 k.a. (+ inf/86,4). L' âge trouvé comprend l'infini dans sa limite d'erreur et est donc trop près de la limite de la méthode (350 000 ans) pour être pris tel quel en considération. Néanmoins, il faut noter que le rapport 234U/238U plus grand que 1 signifie que l'équilibre n'est pas encore atteint et que l'échantillon est plus jeune qu'environ 1,5 million d'années. Le plancher stalagmitique des Fourches II, s'il est contemporain, comme on peut raisonnablement le supposer, de celui des Fourches I, se serait donc formé au plus tard durant le Troisième Interglaciaire avant le présent (Mindel-Riss de la chronologie alpine (350-300 Ka B.P. - stade isotopique 9). Le plafond et les parois montrent des concrétions massives recristallisées, recouvertes très souvent par un concrétionnement plus récent avec des altérations de surface. Certaines concrétions sont cassées. La cassure présente une altération qui prouve son caractère ancien. Les conduits accessibles par les avens des environs sont du même type. Deux phases de concrétionnement sont visibles. Des planchers stalagmitiques, parfois suspendus, indiquent un recreusement qui a évacué les remplissages détritiques. L'aven du Quartier du Ventoux n° 2 montre un soutirage au niveau d'un amoncellement de blocs, ce qui prouve que la karstification s'est développée plus en profondeur. Quelques restes osseux et dentaires de grand mammifère proviennent des dépôts d'argile rouge plus ou moins riches en éléments détritiques (cf. supra). Ils concernent exclusivement les vestiges d'un herbivore, le Cheval (Equus caballus L., 1758), daté de la fin du Dernier Glaciaire (Tardiglaciaire). Deux espèces sont présentes au Pléistocène terminal : Equus caballus et Equus hydruntinus. Ce dernier, de plus petite taille, présentait des affinités avec les asiniens. On retrouve ces deux espèces de façon sporadique au début de l'Holocène (Postglaciaire). Les dimensions et la morphologie de nos pièces permettent rapidement d'écarter le cheval hydruntin et d'attribuer ce matériel au cheval caballin. Le matériel est réduit en raison de la faible surface explorée; un total de 15 éléments (NRD = 30), plus quelques esquilles, se rapportent à un individu unique de cheval juvénile. Les pièces les plus caractéristiques sont : deux séries dentaires (dents isolées) supérieures : la série droite comprend la P2 et la M1, et la série gauche plus complète de la P2 à la M3 (cette dernière cassée avec partie vestibulo-linguale manquante) avec deux dents lactéales coiffant la P3 et la P4 (fig. 7); dents isolées : I2 supérieure droite, M1 inférieure droite, P2 inférieure gauche, deux incisives lactéales, deux fragments d'une dent inférieure; le post-crânien est représenté par des fragments de côtes, un radius droit incomplet (l'extrémité distale et la moitié latérale de l'extrémité proximale manquent), un métacarpien III droit complet, une phalange I complète (extrémité proximale abîmée), un trapézoïde droit, un fragment proximal de métacarpien, un fragment de condyle distal de fémur, un tibia droit (manque l'extrémité proximale). (Dessin F. Chardon) (drawings F. Chardon) Les dimensions (en millimètres) des dents et des ossements sont données dans les tableaux 1 et 2. Une quinzaine d'esquilles complète cette liste. Un certain nombre d'entre elles (d'un poids de 104 g) a fait l'objet d'un datage 14C, effectué au Laboratoire de Géologie du Quaternaire alors à Marseille-Luminy (mars 1994). Les esquilles osseuses fournissent suffisamment de matière organique (collagène) pour donner un résultat satisfaisant. Un âge de 12 500 ± 300 ans B.P. (LGQ-1069) indique la fin du Pléistocène et du Dernier Glaciaire (Würmien). Cette période tardiglaciaire montre une succession de phases climatiques plus ou moins contrastées conduisant à l'Interglaciaire actuel (Holocène). L'intervalle de temps 12 800-12 200 se rapporte à la fin d'une phase d'amélioration climatique, humide et fraîche, le Bölling (13 300-12 300), précédant une courte phase froide (Dryas II, 12 300-11 800) et suivie à nouveau d'un réchauffement (Alleröd, 11 800-10 800). Cette dernière oscillation est parfois considérée comme marquant la fin du Paléolithique avec la transition vers d'autres industries épipaléolithiques-mésolithiques. De même, il est maintenant courant de considérer la période 13 300-10 800 comme une même phase climatique appelée Interstade Bölling-Alleröd (Magny 1995). Durant le Dernier Glaciaire, plusieurs sous-espèces de Cheval se succèdent : germanicus au Würm ancien, puis gallicus et arcelini au Würm récent. La sous-espèce arcelini a récemment été décrite (Guadelli 1991) à partir du matériel des niveaux magdaléniens de Solutré (Saône-et-Loire), niveaux datés de 12 580 ± 250 ans B.P. (LY-393). Ce travail servira largement dans les comparaisons qui suivent afin de préciser l'attribution taxinomique du cheval de Sault. Les dents sont relativement bien conservées, trouvées en connexion lâche, sans os mandibulaire ou maxillaire, alors que les ossements de couleur claire, blancs à grisâtres, présentent une surface osseuse légèrement desquamée (cupules de dissolution), montrant de fines fissurations et un début de “digestion” des masses spongieuses des épiphyses. Des traces d'impact naturel sous forme de dépressions mal délimitées sont observables et des marques de dents de rongeurs sont visibles le long du bord médial de la diaphyse du radius; ces marques indiqueraient un rongeur de taille moyenne (comme par exemple le rat-taupier Arvicola). Le bord des fractures, comme les surfaces osseuses, est émoussé. Ces caractéristiques taphonomiques indiquent une relative dispersion, accompagnée de fragmentation, des éléments osseux qui se sont trouvés exposés assez longtemps à l'air libre, avec l'intervention d'un rongeur, avant l'enfouissement dans les dépôts colluviés. Le contexte topographique (aven, dimension de l'ouverture) et la situation des ossements (aplomb de l'ouverture), le type d'éléments trouvés et l'état du matériel (os complets, degré d'altération), permettent d'avancer que le Cheval de Sault concerne un individu piégé naturellement dans le karst. Des accumulations de faune dans les aven-pièges sont bien connus (ex. : aven des Planes à Monieux, Aujard-Catot et al. 1979), et concernent souvent de larges populations d'herbivores grégaires. Il est étonnant ici qu'un seul sujet soit présent, ce qui pourrait simplement s'expliquer par les dimensions modestes du sondage effectué. Un premier examen de ce matériel montre rapidement que nous avons affaire à un poulain dont nous avons essayé d'estimer l' âge. Ce facteur est important dans la détermination de matériel paléontologique, détermination nécessitant la prise de mesures en vue de comparaisons biométriques avec d'autres populations ou spécimens. Les estimations de l' âge des mammifères sont fondées sur le degré d'éruption et d'usure dentaire et sur le degré d'épiphysation des os longs des membres (auxquelles il faudrait ajouter la morphologie des bois chez les cervidés). La séquence d'éruption chez le Cheval est bien connue et correspond globalement à celle observée chez d'autres grands herbivores (seul le tempo diffère suivant la taille des espèces considérées). Chez le Cheval, les premières molaires (M1 et M2) sortent les deux premières années suivies par la deuxième prémolaire vers la fin de la troisième année (avec perte de la première lactéale dP2); les autres prémolaires (P3 et P4) sortent entre 3 et 4 ans (perte respective de dP3 et dP4) et la série se met définitivement en place avec l'éruption de la troisième molaire jusque vers 5 ans. Ainsi, à 4-5 ans le sujet possède sa dentition définitive; un poulain désigne un individu de 0-3 ans, qui deviendra ensuite un jeune adulte capable de se reproduire. Les mâles se groupent alors en bandes (célibataires) éloignées des harems dominés par un étalon plus vieux et plus fort. L'estimation des âges d'après les dents a permis d'élaborer des tables d'éruption et d'usure dentaire à partir d'espèces ou races domestiques (Lévine 1982). Le degré d'usure de chaque dent de la série dentaire supérieure, et des dents isolées, du cheval de Sault est indiqué dans le tableau 1 avec la fourchette d' âge retenue. La série dentaire supérieure présente des M1 et M2 en début d'usure, le reste des dents définitives étant non usées et les P3 et P4 sont encore coiffées des dents lactéales bien usées (fig. 8). Les dents isolées (inférieures et incisives) montrent également une usure nulle ou faible, ce qui démontre l'appartenance du matériel à un même individu. La conjonction de l'ensemble des intervalles de temps d'éruption et d'usure permet de retenir un âge élargi, entre 0,9 et 2 ans et, plus précisément, autour de 1,3-1,6 an. L'absence de racines nettement constituées (M1 et M2) et la fragilité de la couronne non encore formée dans la partie basale (PM, M3) contribuent à cette estimation; le développement des racines commençant à partir de 2 ans jusqu' à presque 8 ans. Les os des membres apportent également des précisions. Les âges d'épiphysation chez les chevaux sont pour les os concernés : radius proximal = entre 1,3 et 1,6 an; métacarpien III distal = autour de 1,3 an; phalange I proximal = 1-1,3 an; tibia distal = autour de 2 ans; calcaneum = autour de 3 ans. Tous les os de l'aven des Fourches II montrent un début d'épiphysation avec des traces de suture visible entre diaphyse et épiphyse, traces en particulier assez nettes sur le tibia. La partie proximale du calcaneum (tuber) est manquante et il est intéressant de relever que des phénomènes de digestion osseuse sur l'ensemble des os longs se placent préférentiellement sur les sutures épiphysaires. La taphonomie (degré d'altération) vient ainsi compléter ces observations qui confirment l' âge du cheval de Sault aux alentours de 1,3-2 ans. L'ensemble de ces données permet de connaître la saison à laquelle le cheval de Sault a été piégé dans l'aven. Chez les grands herbivores, la période de naissance se situe au printemps (avril-mai). Considérant l' âge estimé ci-dessus, le poulain est tombé dans l'aven pendant l'automne ou au début de l'hiver. La présence d'un sujet juvénile constitue un certain handicap dans la caractérisation morphométrique; de plus, nous n'avons ici qu'un individu et non une série (i.e. population). Il a souvent été signalé le danger de prises de mesures et leur utilisation sur les dents isolées non ou peu usées, ce qui a amené des auteurs à les mesurer selon un point déterminé (pour le Cheval il s'agit du point P à 2 cm de la divergence des racines, ce qui n'est guère possible ici). Seule la série supérieure gauche, la plus complète, a été mesurée au niveau occlusal et à mi-hauteur de la couronne sur la série placée en connexion (c'est-à-dire sur le même plan horizontal : soit environ 3 cm au-dessous de la surface occlusale sur les PM et la M3 et environ 4-4,5 cm sur les M1 et M2) (← fig. 8). Les dents supérieures présentent une morphologie typiquement caballine avec des styles marqués (surtout para - et méso-styles), arrondis sur les molaires et dédoublés sur les prémolaires; ce dédoublement est particulièrement fort sur le parastyle des P3 et P4 et sur le mésostyle des P2 et P3. Les faces interstylaires sont nettement concaves et le protocône est long avec un sillon lingual très marqué, allant en s'évasant dans le bas des couronnes. L'hypsodontie est forte (cf. hauteur de la M2 supérieure et M1, 2 inférieures); le pli caballin est simple et bien marqué sur la M1 supérieure et les fossettes montrent des plissotements importants et relativement fins (on rappellera de nouveau qu'il s'agit d'une dent en début d'usure). Les deux dents lactéales possèdent aussi des styles développés, un pli caballin net et des plis sur la préfossette. Les dimensions prises à mi-hauteur des dents de la série supérieure (tabl. 1) sont comparées aux mesures prises au niveau occlusal (données in Guadelli 1991). Les comparaisons concernent les sous-espèces germanicus (Combe-Grenal, Pair-non-Pair), gallicus (Camiac, Jaurens, Solutré, Saint-Germain-la-Rivière) et arcelini (Solutré). Les dents jugales du cheval de Sault sont particulièrement fortes et se rapprochent des moyennes obtenues sur E. c. germanicus; les mesures dépassent souvent la variation métrique observée sur les populations de chevaux du Würm récent. L'indice protoconique (IP) augmente de P3 à M2 et la M3 à un IP proche de M2 : cette disposition serait plus fréquente chez les chevaux d' âge ancien, alors que l'IP moyen des M3 est toujours plus faible que celui des molaires chez les formes plus récentes (Guadelli 1991). Les dents isolées inférieures indiquent également un appareil masticatoire puissant pour le cheval de Sault. Les éléments post-crâniens permettent de préciser ces dernières observations. Le métacarpien a une longueur totale de 237 mm. Les valeurs (en mm) pour les chevaux sont les suivantes (Guadelli 1991 : tabl. 30-32) : germanicus (Pair-non-Pair) : (n = 24) 219,0-242; moyenne = 229,33 (2,78 gallicus (Solutré) : (n = 38) 207,0-231,5; moyenne = 220,24 (2,09 arcelini (Solutré) : (n = 39) 202,5-228,0; moyenne = 215,75 (2,07 La longueur de notre métacarpien sort complètement des intervalles de variation des chevaux récents, alors qu'elle est proche des valeurs de E. c. germanicus. Les autres mesures, à l'exception peut être du DT proximal et du DAP sus-articulaire distal, sont plus faibles et rejoignent les valeurs du groupe gallicus-arcelini. De même, les autres ossements ont souvent des valeurs proches de celles de ce groupe, mais il faut considérer que les os longs ont souvent des mesures généralement faibles quelle que soit la sous-espèce considérée. Les hauteurs de la phalange I sont plus proches des valeurs de germanicus. La faiblesse des mesures transverses à l'axe des os dénote essentiellement la “jeunesse” de notre individu. Le Poulain fossile de l'aven des Fourches II était un animal robuste avec des dents jugales puissantes et une hauteur au garrot estimée, à partir du métacarpien (coefficient de Kiesewalter), à 1,52 m, probablement proche de sa taille adulte. Pour comparaison, on citera la taille moyenne chez gallicus égale à 1,41 m (1,24-1,60) et chez arcelini égale à 1,38 m (1,21-1,57) (Guadelli 1991). Ces caractéristiques morphométriques permettent de le rapprocher de formes anciennes telles que Equus caballus germanicus du Würmien ancien. Avec réserve, au regard de l' âge récent de ces restes, nous désignerons le cheval de Sault sous le nom Equus caballus aff. germanicus. Dans un essai de synthèse et afin de saisir la dynamique du peuplement des chevaux dans le Sud-Est de la France, nous avons cherché les gisements, provençaux et régions périphériques (Languedoc, Dauphiné-Alpes, Italie), d' âges tardiglaciaire et postglaciaire ayant livré des restes de Cheval caballin. La fin du Dernier Glaciaire (Würmien) est marquée par la régression des glaciers alpins qui s'amorce vers 18-16 000 ans et entraîne le désenglacement des grandes vallées de nos régions (Jorda 1988). Le Dryas ancien (Dryas I, entre 15 000 et 13 000) est encore froid et voit le développement d'une steppe à armoises et fruticée, à genévriers. La phase de réchauffement qui suit, regroupant le Bölling jusqu' à l'Alleröd, est considérée comme une transition avec une reconquête forestière des zones de moyenne altitude (pineraies). Ces périodes tempérées se manifestent souvent par une phase d'érosion et l'absence, ou la rareté, de dépôts en Provence : par exemple à l'Adaouste (Bouches-du-Rhône) et au Rainaude 1 dans le Var (Onoratini 1982). Une nouvelle occurence froide assez brève est de nouveau observée au Dryas récent (entre 10 800 et 10 000 env.) suivie par l'installation définitive de la végétation postglaciaire mésophile. Cette période voit le développement de cultures et faciès originaux, à partir ou indépendamment d'un substrat magdalénien : Salpétrien en Languedoc, Arénien-Bouvérien et Gravettien-Epigravettien en Provence et en Italie; le Magdalénien supérieur ou terminal est également présent. L'Azilien, le Montadien, le Valorguien (Romanellien provençal), le Sauveterrien ou le Castelnovien caractérisent des industries, plus ou moins de transition, de l'Epipaléolithique-Mésolithique dans le Sud-Est de la France qui précèdent le Néolithique, du Cardial au Campaniforme (Buisson-Catil, Sauzade 1995). L'existence du Cheval caballin est relevée dans plusieurs gisements du Pléistocène terminal et du Postglaciaire dans le sud-est de la France. Les restes ne sont cependant jamais trouvés en grande quantité (souvent de l'ordre d'une dizaine, ou moins !) ce qui a amené nombre d'auteurs à juste les signaler, limitant d'autant les comparaisons taxinomiques. Les dates 14C qui suivent sont exprimés en “années B.P.” et sont publiées pro parte dans M. Schvoerer et al. (1977), accompagnées du nombre de restes (n) découverts. Le Cheval semble régulièrement présent dans les associations animales autour du maximum glaciaire, associé au Renne et/ou au Bouquetin : c'est le cas à la Salpétrière - couche 6b (n = 45; 19 165 ± 200), d (n = 42; 18 970 ± 280) et 5 (n = 8; 17 960 ± 600) - et à la Baume d'Oullins (c. 9) dans le Gard et à l'aven Bouet dans l'Hérault (15 460 ± 190) (Brugal 1981, 1982). En Provence, il est présent dans le Vaucluse à l'aven des Planes (plusieurs individus : Aujard-Catot et al. 1979) et dans le Var à la grotte du Vieux-Mounoï (deux individus entiers, 18 400 ± 1700; Helmer inédit), à la Bouverie (c. 3 autour de 23 000 ans, n = 2 dents) et au Rainaude 1 (c. 5, n = 64) (Bonifay in Onoratini 1982). Les sujets du Mounoï correspondent à un individu adulte (Ht. au garrot de 1,44 m) et un jeune (Ht. au garrot de 1,42 m). Dans les premiers sites, le Cheval est proche de la sous-espèce gallicus alors qu'il apparaît plus archaïque et plus robuste dans les gisements varois de la Bouverie et de Rainaude (E. cf. germanicus). Durant le Bölling-Alleröd, le Cheval devient rare et on le signale en Provence à l'Adaouste (5 restes dans la couche 17 datée de 12 760 ± 250 et 12 981 ± 266; 1 reste dans la couche 12 datée de 12 280 ± 190 et 12 054 ± 370), dans le Vaucluse à Chinchon 1 (c. 15/A, 12 000 ± 420) et Chinchon 5 (c. 12-15) (Brochier 1977), dans le Var au Rainaude 1 (c. 3 n = 3 et c. 1, n = 3). Il est également présent en Languedoc à la Salpétrière (c. 3, n = 2, 13 100 ± 100) et dans le Dauphiné à l'abri du Calvaire, Isère (13 450 ± 300, 12 970 ± 300) (Desbrosse 1976) et dans la grotte du Tai et l'abri du Campalou dans la Drôme (couche inférieure surmontée d'une couche datée de 12 800 ± 300) (Brochier in Desbrosse 1976). L'extrême fin du Tardiglaciaire et le tout début du Postglaciaire (entre 11 000 et 8 000 ans) voit l'installation de cultures transitionnelles épipaléolithiques-mésolithiques ou plus nettement mésolithiques. Le gisement de Cornille (Bouches-du-Rhône) montre une séquence intéressante ayant fourni des restes bien étudiés de chevaux (Bonifay 1968; Bonifay, Lecourtois-Ducgoninaz 1976). La couche 10 (10 540 ± 310 et 10 870 ± 320) livre 8 restes, la couche 9 (10 270 ± 470) 3 restes (c. 10-9 : Romanelien; la couche 6 (8 100 ± 130 et 7 000 ± 130) fournit 15 restes et la couche 4, la plus riche, contient plus de 50 restes (c. 6-4 : Montadien). Les conclusions décrivent les chevaux de Cornille comme étant de petite taille (dents de petites dimensions, en particulier pour les prémolaires), se rapprochant de la limite inférieure de E. caballus gallicus. Des éléments d'une espèce proche sont également présents dans l'Epipaléolithique du Vaucluse : à Unang (n = 2), Gramari (c. 5-7 datées de 10 120 ± 230, n = 9), à Soubeyras et à Roquefure (n = 1) (Paccard et Bouville 1993; Poulain 1971; Brochier 1977; Helmer, inédit); et, dans le Var, à la Baume Goulon (Bonifay 1978). Il est également cité dans le Gard à la Baume de Valorgues (c. 8, n = 4, datée de 10 970 ± 85) (Bonifay 1978). Les dernières mentions de Cheval sont signalées en Provence dans les Bouches-du-Rhône à Fos-sur-Mer, site montadien du Mourre-Poussiou (n = 18, 8 980 ± 200; Lecourtois-Duc Goninaz 1984); et, en Vaucluse, dans le Sauveterrien de Gramari (Poulain 1971) : couche 3c (n = 14), couche 3b (n = 8) et couche 3a (n = 1, datée de 8 000 ± 190) (la couche 4 sous-jacente est datée de 9 340 ± 220). En Languedoc, le site gardois du Plaisir, daté d'environ 8 500 ans, livre quelques rares éléments (Brugal in Bazile et al. 1986-87). Le Cheval disparaît par la suite du sud de la France et ne fera sa réapparition dans nos régions que 2 à 3 millénaires plus tard. En Provence, une première mention est faite dans le site néolithique ancien final du Frigouras à Peipin dans les Alpes de Haute-Provence : structure 35 (n = 1, 5 450 ± 100) (Helmer in Buisson-Catil et al. 1991). Il est aussi rare dans les gisements chasséens de l'Ardèche comme Combe Obscure (c. 5, n = 2) et vauclusiens (Unang; n = 1), dans la grotte de l'Eglise supérieure dans le Var (n = 4) et sur le site des Calades à Orgon dans les Bouches-du-Rhône (ce dernier campaniforme, n = 4) (Helmer 1991). Il ne devient réellement abondant que dans le gisement néolithique final (Campaniforme) de La Balance à Avignon (Helmer 1979; env. 4 500-3 800). Dans ces sites, il s'agit d'une espèce de petite taille, voisine du Cheval de Solutré (Helmer 1979, 1991), égale ou légèrement plus grande que celle du Cheval du Néolithique final de Roucadour (Lot). Sur les Causses, une population (27 individus) a été décrite par P. Ducos (1957) représentant un Cheval de moyenne taille proche du type des forêts et qui pourrait désigner des animaux déjà domestiqués. P. Ducos (1960) note également la présence du Cheval dans les gisements néolithiques (essentiellement chasséens, mais contextes mélangés, Courtin 1974) des grottes Barriéra (Alpes-Maritimes), Saint-Benoît (Alpes de Haute-Provence) et dans le Lot à Reilhac et à l'abri Pagès. Il est signalé dans les sites Fontbouisse de l'Hérault (Le Lébous, Gravas), le Campaniforme tardif de St-Côme-de-Maruéjols, Gard (Courtin 1978) et le Plan-des-Vaches, Bouches-du-Rhône (n = 3, Helmer 1982). Quoiqu'il en soit sur le statut de ces dernières formes (voir Courtin 1978), les chevaux sauvages semblent absents à partir de l'Age du Bronze alors que les premières formes domestiques apparaissent. Rappelons ici que la plus ancienne preuve de domestication du Cheval se trouve en Europe de l'Est - site de Dereivka en Ukraine, autour de 6 000-5 400 ans - (Helmer 1992). Globalement, le Cheval reste un élément rare des faunes sauvages du Néolithique et du Chalcolithique en France, toujours trouvé en petite quantité dans une cinquantaine de gisements (liste in Poplin et al. 1986). Dans le Sud-Est son utilisation domestique devient effective au Bronze final et surtout à l'Age du Fer (Courtin 1978). L'Italie présente une situation globalement proche du Sud-Est de la France et le Cheval paraît absent ou peu abondant. Il existe très peu de gisements contenant du Cheval à la fin du Pléistocène supérieur et à l'Holocène ancien (Gravettien-Epigravettien) en Italie nord-orientale (environ 5 cités in Bon et al. 1991) et à peine plus en Italie centrale (environ une dizaine in Caloi, Palombo 1994a et b). Dans une synthèse récente sur la transition Pléistocène-Holocène, les auteurs concluent : “During the time span correlated with the Dryas I, the equids are not reported from Northern Italy and seem to have been quite rare elsewhere. They kept rare throughout the rest of the Lateglacial and apparently died out in the course of the Dryas III interval” (Masseti et al. 1996, p. 91). Il n'y a pas de précision sur le statut taxonomique des formes italiennes. Sans prétendre synthétiser un ensemble de données à la fois complexes et incomplètes, quelques considérations générales peuvent être présentées, d'une part sur l'occurence du cheval de Sault, d'autre part sur l'histoire plus générale des chevaux dans le sud-est de la France. L'aven des Fourches II, localisé à près de 800 m d'altitude, livre des restes d'un cheval dont les caractéristiques morphométriques le rapprochent des formes du Würmien ancien, E. c. germanicus. Une datation sur ossements place cet individu dans l'interstade tempéré-humide de Bölling-Alleröd, soit le Würm récent. Seuls quelques rares éléments d' âge plus ancien seraient comparables (Bouverie, Rainaude) alors que tous les gisements, quand l'effectif le permet, démontrent la présence d'un cheval de plus petite taille, proche des chevaux de Solutré; ceci depuis le Pléistocène terminal jusqu'au Postglaciaire. Trois raisons peuvent expliquer cette découverte étonnante : Problème de datation. Un âge Pléistocène est en accord avec la stratigraphie (cf. supra) : les pièces se trouvent en place dans des sédiments anciens (argile rouge) et leur fossilisation est fort différente des restes récents relevés en subsurface. L' âge fourni par le 14C a pu être rajeuni sous l'effet de ruissellement et de dégradation de matière organique; cependant le résultat obtenu, avec une fourchette d'erreur faible, a été jugé satisfaisant (R. Lafont, comm. pers.). Les équidés sont reconnus pour présenter une grande souplesse adaptative en relation avec l'alimentation et les substrats (sols). Ces caractères concernent l'importance des plissements d'émail dentaire et les dimensions des os distaux des membres (métapodes, phalanges) qui s'élargissent plus ou moins (DT, DAP). La taille elle -même est sujette à variations en fonction de paramètres climatiques. Toutefois, le cheval de Sault présente de faibles plis d'émail et une certaine gracilité, malgré son âge ontogénique, qui ne permet pas d'affirmer une telle cause. Il faut également noter que le Cheval de l'aven des Planes près de Monieux (alt. 750 m), attribué au maximum glaciaire et partageant avec Sault le même environnement de plateaux calcaires, désigne un cheval de taille proche de celui de Solutré. Il est vrai que le polymorphisme écologique des formes équines est réel, et pourrait être retenu pour expliquer la présence d'un Cheval de grande taille à Sault, d'autant plus que la fin du Pléistocène subit des changements climatiques significatifs et voit le morcellement géographique de nombreuses formes qui tendent à disparaître (soit par extinction, soit par changement de leur aire de distribution). Ce dernier point nous entraîne vers une troisième hypothèse. Il existe un conservatisme des formes anciennes en Provence. Cet “endémisme” s'expliquerait par la géomorphologie de cette province, bordée par des barrières naturelles qui retreignent les échanges (mer au sud, Rhône à l'ouest, Alpes - plus ou moins englacées - au nord et à l'est). Si l'arrivée de chevaux de petite taille (type Solutré) se place en Provence dès le début du Würm récent, elle aurait pu repousser ou isoler des populations plus anciennes, continuant à exister dans des zones-refuges. Si on suppose une arrivée depuis le sillon rhodanien, ces poulations seraient repoussées vers l'Est et/ou vers des territoires d'altitude. Dans le premier cas il serait intéressant de connaitre les chevaux italiens en vue de comparaisons. Dans le second cas, le gisement de Sault, et ses abords de plateaux calcaires, fournirait une bonne illustration de ce phénomène. A charge de cette hypothèse, on notera, outre la forte taille de notre sujet, un certain archaïsme révélé par l'indice protoconique (cf. supra). Sans pousser plus avant ces remarques, il est probable que les deux dernières hypothèses puissent fonctionner ensemble, par des processus interactifs entre une éco-climatologie (adaptation) et une dynamique de peuplement (isolat), pouvant justifier de la présence d'un cheval archaïque à la fin du Pléistocène en Provence. Enfin, la découverte du Cheval de Sault a permis de faire le point sur l'existence et l'abondance de cette espèce dans la zone péri-méditerranéenne en France (Provence, Languedoc) au cours du temps. Il paraît clair que la fin des temps glaciaires voit la disparition progressive des populations de chevaux, subsistant à l'état relictuel jusque vers 8 000 ans, ainsi que dans les régions limitrophes. La fréquence des restes de chevaux dans les gisements cités est particulièrement révélatrice, à moins qu'il ne s'agisse d'une sélection anthropique liée à une chasse moins active dans les phases les plus récentes ? (Ducos 1960). Cette période est marquée par un réchauffement général accompagné d'un accroissement du couvert végétal et d'une diversification des groupes culturels de l'Epipaléolithique-Mésolithique régional. La forte réduction des zones herbacées marque la disparition du Cheval, animal d'espaces ouverts par excellence, pendant presque 3 000 ans. Sa réapparition restera timide et ponctuelle à la fin du Néolithique, et pose le problème de la survivance de groupes dans les zones-refuges (localisation non connue) ou de sa domestication précoce dans nos régions ? Il ne deviendra présent de manière régulière seulement à partir de l'Age du Fer sous forme domestique (origine est-européenne), mais le souvenir des derniers chevaux sauvages en Provence sera alors depuis longtemps oublié .
La découverte de restes de chevaux dans un contexte d'aven permet de présenter un ensemble d'études sur les conditions de dépôt et la taphonomie ainsi que de préciser l'attribution taxonimique du matériel. Celui-ci, daté par 14C de 12 500 ± 300 ans B.P., serait proche de la forme ancienne germanicus; elle révèle ainsi des conditions biogéographiques et/ou écologiques particulières pour la région concernée. Cette découverte permet de faire le point sur l'existence et l'abondance de cette espèce dans la zone péri-méditerranéenne (Provence, Languedoc) au Tardiglaciaire et au Postglaciaire.
archeologie_525-02-11814_tei_294.xml
termith-79-archeologie
Les techniques de fouilles préhistoriques ont considérablement évolué depuis les premières recherches des pionniers du début du XIXème siècle, avec en exergue F. Jouannet dès 1816 dans le sud de la France (Cheynier 1936), W. Buckland en 1820-1823 et J. Mac Enery de 1824 à 1829 en Angleterre ou encore P.-C. Schmerling dans les grottes mosanes belges de 1829 à 1834 (Toussaint 2001) et C. Picard en 1836-1837 dans les terrasses de la Somme (Cohen 2005). Dans l'esprit de ces premiers chercheurs, il s'agissait, et c'est particulièrement clair dans les écrits de Schmerling, de démontrer la contemporanéité de l'homme, dont des ossements étaient découverts dans les sédiments, et des grands mammifères disparus tels que l'ours des cavernes, le mammouth ou le rhinocéros laineux. Il convenait aussi d'attester que les silex trouvés en association avec les ossements humains et animaux étaient taillés et qu'il s'agissait de productions de ces hommes « primitifs ». Les références sommaires à la stratigraphie servaient à démontrer l'existence de l'homme fossile, sans que les détails de sa morphologie et les éventuelles différences par rapport à l'homme moderne ne soient réellement pris en compte. C'est également l'approche de J. Boucher de Perthes, souvent considéré comme « le » fondateur de la préhistoire (Cohen et Hublin 1989). Dans un second temps, une fois la réalité de l'homme fossile admise ainsi que la préhistoire et la paléontologie humaine réellement constituées en tant que disciplines (Grayson 1983; Groenen 1994; Laming-Emperaire 1964; Richard 1992; Van Riper 1993), soit vers 1860, les objectifs se sont focalisés sur la reconnaissance de la succession des industries - notamment à l'initiative d'E. Lartet et H. Christy, d'E. Dupont à partir de 1864 (Dupont 1872), ainsi que de G. de Mortillet (1883) - et sur la démonstration de l'existence d'humains plus archaïques que les préhistoriques de morphologie moderne, soit des hommes de Neandertal (Fraipont et Lohest 1887). Il s'agissait donc de récolter des lots d'objets dont les différences typologiques permettaient d'appréhender les modifications de cultures, ainsi que les restes osseux des hommes correspondants. Il en résulta un intérêt progressivement plus affirmé pour la stratigraphie qui ne devait plus, comme c'était le cas auparavant, servir uniquement à donner une réalité à l'homme préhistorique mais devenait une véritable méthode de travail, avec pour fonction de déterminer la succession des époques et de caractériser chacune des cultures consécutives par des objets typiques; cette optique introduira rapidement la notion de fossile directeur (Groenen 1994). Avec de telles conceptions, de grandes quantités de silex taillés et d'ossements animaux sont extraites des gisements en très peu de temps. La qualité des relevés stratigraphiques varie de site à site, comme de fouilleur à fouilleur. Un même chercheur peut être tantôt soigneux, tantôt laxiste. Ainsi Dupont a -t-il, au cours de ses deux campagnes de fouilles de 1866, décrit la stratigraphie de La Naulette avec une précision qui permet encore aux chercheurs actuels d'y trouver des éléments de corrélation avec leurs propres relevés, tandis qu'il a, par la suite, traité plus que négligemment celle des grottes de Goyet. Pendant ces longues périodes où les récoltes d'artefacts étaient essentiellement « stratigraphiques », soit le XIXème siècle et la première moitié du XXème, les fouilles étaient le plus souvent opérées à la pelle et à la pioche par des terrassiers. Les archéologues qui commanditaient ces travaux étaient loin d' être toujours présents. La fouille était « différée » (Groenen 1994 100). Des dérives - d'ailleurs inhérentes aux premiers balbutiements de toute science - se produisirent inévitablement. C'est le bel objet qui importe; les découvertes secondaires ne sont pas systématiquement conservées. Dans certains cas, les ouvriers sont payés en fonction des découvertes, ce qui a parfois conduit à la réalisation de faux (Vayson de Pradenne 1932; de Heinzelin et al. 1993). De temps à autre, se manifeste un certain intérêt pour la répartition spatiale des artefacts découverts ce qui préfigure les approches planimétriques actuelles. Dès la fin des années 1850, Longuemar attire ainsi l'attention non seulement sur la position stratigraphique des objets mais aussi sur leurs relations (Debénath 1992). La technique du relevé en trois dimensions a été utilisée par W. Pengelly à Kent's Cavern dans le dernier tiers du XIXème siècle (Campbell 1994, p. 581). Lors de ses recherches dans les grottes de Menton dans les années 1870, E. Rivière note la position verticale et horizontale des objets, ce qui lui permet d'étudier leurs relations. Les premiers manuels de fouilles, rédigés « de manière à être à la portée de tous » (SPF, 1906), tentent d'introduire une certaine rigueur méthodologique. Ils envisagent cependant les fouilles comme des travaux de terrassement à réaliser selon une approche stratigraphique : « […] on peut fixer […] la technique générale de la fouille et la ramener en principe à la stratigraphie de la façade verticale » (SPF 1929, p. 279) au sein de laquelle « […] les objets trouvés seront recueillis absolument à part de ceux de la couche précédemment explorée, afin d'en faire une étude également séparée » (SPF 1929 p 325). La publication du manuel de fouilles de Leroi-Gourhan (1950), dont la philosophie est inspirée de l'ethnologie et implique des méthodes de fouilles beaucoup plus fines que par le passé, marque une nouvelle étape dans les techniques de recherche de terrain, en associant la fouille de carrés à la conservation systématique de bermes; l'objectif est de combiner les informations de la stratigraphie, soit d'une lecture verticale, à celle d'une analyse spatiale, plus ethnographique. Comme le note judicieusement Courbin, il s'agit d'une « sorte de méthode Wheeler avant la lettre » (Courbin 1987, p. 328; voir aussi Wheeler 1954). L'article de Laplace-Jauretche et de Méroc (1954) sur le carroyage relève de la même veine de rigueur accrue des méthodes de relevés en trois dimensions. A cette époque, le pinceau et le couteau se substituent plus systématiquement au pic et à la pelle et les archéologues s'impliquent systématiquement sur le terrain. Le décapage des sols, avec recherche de structures archéologiques, sera par la suite considérablement développé pour répondre à de nouvelles exigences théoriques apparues à l'occasion des fouilles du site de plein air de Pincevent (Leroi-Gourhan et Brézillon 1972). Ce modèle inspirera nombre de recherches modernes et sera largement exporté (Bosinski 1979), malgré les difficultés inhérentes à la quasi suppression des coupes et donc les inévitables problèmes à distinguer, en chronologie relative, les diverses structures (Courbin 1987). Cette approche est en réalité difficilement applicable en dehors des sites à sédimentation homogène sur de vastes surfaces, comme on en trouve dans les plaines alluviales et les plateaux loessiques. Dans la plupart des cas cependant, et en particulier dans les grottes, les variations latérales de faciès et les géométries complexes ne peuvent être appréhendées que par référence à une véritable dissection microstratigraphique, avec suivi de proche en proche des différentes unités stratigraphiques, ce qui n'exclut d'ailleurs nullement les études planimétriques fines. La fouille d'E. Dupont en 1866 à la caverne de La Naulette s'inscrit clairement dans une approche purement stratigraphique. Les documents récoltés sont rapportés à leur couche d'origine, de manière à supporter leur étude diachronique, mais sans souci de leurs relations spatiales. C'est dans un tel cadre que Dupont fit creuser un tunnel d'exploration dans les sédiments profonds de la caverne. Le recours à une telle technique s'avère un des aspects les plus insolites des méthodes de fouilles du XIXème siècle. En préhistoire paléolithique en milieu karstique, cet usage s'avère cependant moins anecdotique qu'il n'y paraissait de prime abord. Jusqu'il y a quelques années en effet, il semblait que seule la grotte de Spy avait fait l'objet d'un tel traitement en Wallonie, sur la base des quelques lignes écrites à ce sujet près de trois décennies après les recherches (Lohest et al. 1925). Plus récemment, les travaux entrepris au Trou Al'Wesse (Collin et al. 1994) puis à la caverne de La Naulette (Toussaint et al. 2000) ont apporté deux nouveaux cas de galeries de fouilles dans le karst mosan. A La Naulette, le bon état de conservation du tunnel a permis d'en lever des plans et des coupes ainsi que d'en étudier la technologie. Le fait que E. Dupont était géologue n'est évidemment pas étranger à l'application de telles méthodes aux sédiments fossilifères des grottes régionales. Le présent article a pour objectif, après une brève présentation de la caverne de La Naulette et de son intérêt anthropologique (§ 2), de décrire en détail la galerie de fouille creusée dans cette cavité (§ 3) puis de proposer des comparaisons (§ 4), tant en préhistoire paléolithique de Belgique, de France et de Grande-Bretagne qu'en ce qui concerne des tumulus mégalithiques et gallo-romains, avant d'analyser les quelques constantes qui se dégagent de cette méthode de fouille pour le moins curieuse (§ 5). La caverne de La Naulette est située sur le versant gauche de la vallée de la Lesse, à Hulsonniaux-Houyet, à moins d'un kilomètre au sud-ouest du hameau de Chaleux (province de Namur, Belgique), dans un environnement riche en sites paléolithiques d'époques variées (fig. 1). Ses coordonnées Lambert sont : x = 190,960; y = 100,680 (carte IGN 53/8 Dinant Houyet; parcelle cadastrale 146 h, Houyet, 6 ème Div., Section A, 1 ère feuille). Elle s'ouvre vers l'ouest, à 25 m au-dessus de la rivière, au fond d'un abri. Longue d'une trentaine de mètres, la cavité proprement dite se compose d'un large couloir d'entrée et d'une vaste salle (fig. 2). Le couloir d'accès qui mesure une quinzaine de mètres de long sur quatre à cinq mètres de largeur suivant les endroits, est partiellement encombré de gros blocs de calcaire détachés de la voûte. Il débouche dans une imposante salle de quelque 15 mètres de long sur 11 mètres de large, située en contrebas. A l'est de cette salle, un étroit couloir ascendant, autrefois comblé, permet de ressortir de la grotte par une entrée secondaire qui débouche le long de la falaise, à 18 mètres au nord du porche principal. Les premières fouilles à La Naulette se sont déroulées de janvier à mars 1866, lorsque Edouard Dupont (1841-1911; Twiesselmann 1952), financé par le gouvernement belge pour explorer les grottes de la région dinantaise, s'y intéressa, avec en point d'orgue la découverte d'une hémi-mandibule et donc d'une ulna humaines (Dupont 1866). La qualité des résultats et l'importance du remplissage amenèrent le fouilleur à compléter ses investigations au cours de l'été de la même année, essentiellement dans le but de rechercher les autres parties du squelette humain (Dupont 1867 p. 248); seule une canine, perdue depuis, vint enrichir le lot. Ces découvertes marquèrent profondément le développement de la paléoanthropologie. P. Broca y vit même « […] le premier fait qui fournisse un argument anatomique aux darwinistes » (Broca 1866, p. 503; Toussaint 1992, 2001). La séquence stratigraphique du fond de la cavité a plus de 11 m d'épaisseur. Dupont (1866, 1867, 1872) y a reconnu sept « nappes de stalagmites » et trois « niveaux ossifères ». Les ossements humains se rattachent au deuxième « niveau ossifère », situé quelque part sous le p ancher stalagmitique supérieur. La mandibule de La Naulette, essentiellement réduite à la partie gauche du corps et à la région symphysaire, présente une série de traits primitifs ou « lésiomorphes », mais par contre pas de caractères « dérivés » des Néandertaliens adultes comme par exemple l'espace rétromolaire; le caractère incomplet du fossile ne permet cependant pas de juger de l'état d'autres traits parfois considérés, plus à tort qu' à raison, comme dérivés, tel le rejet des processus condylaires pour moitié en dehors du plan de la branche. Sur le plan statistique, la mandibule se situe dans la variabilité des Hommes de Néandertal et de leurs ancêtres pré-néandertaliens (Leguebe et Toussaint 1988). L'ulna qui, selon Dupont, accompagnait la mandibule dans le second niveau ossifère, montre par contre des caractères morphologiques de type moderne et métriques de type féminin. Deux hypothèses peuvent expliquer ces différences. Dans la première, Dupont a erronément associé les ossements humains des diverses couches du site. La finesse des observations stratigraphiques du fouilleur et divers autres arguments, par exemple la similarité de l'aspect de surface des documents ou encore l'absence d'ossements humains modernes dans les couches superficielles de la cavité, plaideraient cependant contre cette possibilité. La réalisation de datations directes des fossiles pourrait aider à éclaircir cette question, encore qu'ils aient été abondamment vernis. Si par contre tous les ossements proviennent bien de la même couche, voire du même sujet, l'explication pourrait tenir à l'appartenance de l'individu concerné à un groupe néandertalien très ancien. En effet, les caractères propres à ce taxon ont été acquis progressivement, en mosaïque, pour aboutir à la morphologie classique aux environs de l'interglaciaire éemien. Par certains de leurs détails anatomiques, des fossiles assez anciens peuvent donc être morphologiquement plus proches de l'homme moderne que des Néandertaliens classiques. C'est pour tenter d'apporter de nouveaux éléments à la résolution de cette problématique que de nouvelles fouilles pluridisciplinaires ont été entreprises depuis 1999 à La Naulette. Les objectifs de ces travaux consistent à retrouver et à préciser la succession stratigraphique décrite par Dupont, afin d'apporter des informations nouvelles à propos de la datation de la mandibule et d'étudier son paléoenvironnement. Il s'agit également d'estimer l'importance des sédiments encore en place, donc l'éventuel potentiel anthropologique que recèlerait toujours le site (Toussaint et al. 2000, 2001; Pirson et Toussaint 2002; Toussaint et Pirson 2002, 2006). La découverte d'un ancien tunnel d'exploration des sédiments profonds de La Naulette a eu lieu le 23 août 1999, au début des nouvelles recherches, lorsque le niveau de décapage d'un sondage s'effondra partiellement sous l'un des auteurs, qui se retrouva dans une cavité en grande partie bouchée par des remblais mais dont les 60 cm sommitaux étaient vides (fig. 3). Les traces de pioches observées sur les parois confirmèrent rapidement la nature anthropique de cette cavité. L'examen de l'unique mais vaste coupe longitudinale du remplissage de la caverne publiée par Dupont (1867) permit d'en élucider l'origine. En effet, sur cette coupe (fig. 4), les couches de la base du remplissage, soit 1, 2 et partiellement 3, sont figurées à l'extrémité la plus profonde de la caverne en étant séparées des couches supérieures par un resserrement qui correspond au puits d'accès du tunnel. En raison du caractère schématique du relevé d'époque, seules de nouvelles fouilles permettaient de décoder la signification de ce détail de dessin qui aurait tout aussi bien pu traduire un montage de coupes voisines. C'est sans doute entre janvier et mars 1866 que Dupont fit creuser le tunnel d'exploration de la base des sédiments de La Naulette; même s'il ne consacre pas un mot à cette galerie, deux indices en attestent. En effet, Dupont décrit les dépôts de la base du remplissage de la caverne dès son premier article et les observations des fouilles modernes suggèrent qu'il ne les a pas explorés ailleurs que dans son tunnel. Ce dernier était en outre, lors de sa découverte en 1999, quasiment rempli de déblais, qui ont dû être déversés lors des secondes fouilles de Dupont, celles de l'été 1866, lorsque de son propre aveu, le chercheur vida une grande partie de la salle principale de la caverne. De cette manière, il évitait d'avoir à sortir une partie des sédiments dégagés. Les raisons pour lesquelles Dupont fit aménager un tunnel semblent tenir à un souci d'économie de temps et de moyens dans l'exploration stratigraphique et dans la recherche d'éventuels niveaux ossifères profonds. La galerie est située tout au fond de la grotte (fig. 2). Elle débute à la base d'un puits vertical de plan ovoïde d'environ 2,3 m sur 1,9 m, creusé sur un minimum de 2 m de hauteur (fig. 5 et 6). Il n'est cependant pas possible de déterminer exactement ce dernier paramètre. En effet, une partie importante des sédiments de la salle principale de la cavité n'existe plus, probablement enlevée par Dupont lui -même lors de sa deuxième campagne de fouille. En outre, pour des raisons de sécurité, la fouille n'a pu être poursuivie jusqu' à la base du puits. Du côté nord de ce puits s'ouvre la galerie souterraine proprement dite. Elle mesure près de 10 m de longueur et, en plan, dessine un arc de cercle. Un diverticule de 1,5 m de longueur s'ouvre perpendiculairement dans sa paroi nord. La galerie n'a pas été boisée. Elle est creusée directement dans les sédiments fins très compacts et quasi dépourvus d'éléments grossiers. Sa voûte est en plein cintre, pour de judicieuses raisons de résistance à la pression. D'ailleurs, en 133 ans, la galerie n'a pas subi d'effondrement majeur. Seuls de petits décollements de minces plaques de sédiments ont été observés au plafond. Au moment de sa découverte, la galerie était remplie de déblais sur près d' 1,60 m de hauteur; seuls les 60 cm sommitaux étaient encore vides. Sous l'ouverture artificielle pratiquée par hasard lors de sa découverte, seul endroit où une coupe complète a pu être dressée, la largeur du tunnel est de 1,20 m à la base pour une hauteur maximale de 2,20 m (fig. 5 : b). La dénivellation de la galerie est de 4 m entre son entrée au niveau du puits d'accès et son extrémité, soit un pendage moyen de quelque 25° (fig. 5 : c). D'innombrables impacts de pioches, imprimés les uns à côté des autres, ont été observés sur toutes les parois du tunnel (fig. 6). Leur largeur, qui est donc celle de la partie biseautée de la pioche, est de l'ordre de 3,5 cm à la base. Ces négatifs témoignent de coups donnés de haut en bas avec force. Cinq niches, qui présentent des dimensions et des formes très similaires, ont également été repérées (fig. 7). Deux d'entre elles ont été creusées dans les parois du puits d'accès au tunnel, l'une juste au dessus de l'entrée et l'autre sur la paroi droite du puits. La troisième se trouve au début du tunnel, sur la paroi gauche. Les deux dernières sont également sur la paroi gauche du tunnel, à quelque 5 m et 6,2 m de son accès à partir du puits. Des traces du creusement de ces niches ont été observées sous la forme de négatifs de la partie large d'une pioche. D'autres niches ont sans doute été aménagées dans les parties du tunnel non complètement vidées des déblais. Le tableau 1 précise les principales dimensions des cinq niches observées et la figure 7 en donne les vues de face et les coupes. Leur hauteur moyenne est de 41,2 cm, avec des extrêmes à 37 et 45 cm. Leur largeur moyenne est de 23,3 cm et leur profondeur moyenne de 16,4 cm. Tout indique que ces logettes servaient à déposer les lampes ou les bougies des fouilleurs-mineurs. Aucune trace de fumée n'a cependant été remarquée dans les cinq niches repérées. La technique de fouille en tunnel peut, aujourd'hui, sembler iconoclaste. Replacée dans son contexte chronologique, à une époque où les fouilles en archéologie préhistorique n'en étaient qu' à leurs premiers balbutiements, elle paraît moins « non-scientifique ». En effet, en 1866, Dupont avait très peu, voire pas du tout, de références relatives aux techniques de fouilles. Il a quasiment dû tout inventer en la matière. Formé à la géologie, donc bien au courant des méthodes de travail utilisées dans les mines, il n'était pas anormal qu'il s'en soit inspiré, au moins par endroits. La pratique de la fouille en tunnel par Dupont n'est pas un phénomène isolé dans le développement des recherches préhistoriques et archéologiques européennes. Divers autres exemples ont en effet été repérés dans la littérature ancienne. Le recours à ce type de technique en complément de fouilles par tranchées à ciel ouvert est cependant mal documenté, jamais plus d'un dessin ou de quelques lignes dans des articles qui ne sont pas spécifiquement consacrés à cette pratique. Il est donc illusoire de vouloir en dresser un véritable inventaire. Très peu de détails techniques sont précisés, par exemple à propos des dimensions, des modes d'éclairage ou des dates de réalisation. La nature des diverses variantes de ces tunnels reste en outre très délicate à appréhender, notamment en ce qui concerne la différence entre réelles fouilles en galerie et simples galeries d'accès. La découverte des Néandertaliens de Spy a marqué l'histoire de la paléoanthropologie mondiale (Fraipont et Lohest 1877). Elle met en effet fin à la deuxième phase du développement de cette discipline, à savoir la reconnaissance du fait que l'homme fossile peut être morphologiquement différent de l'homme moderne (Toussaint 1992, 2001). C'est en juin et jusqu'au 11 juillet 1886 que deux squelettes humains d'aspect archaïque sont exhumés de la terrasse de la grotte de Spy, à une vingtaine de kilomètres à l'ouest de Namur (Belgique). Les travaux sont réalisés par l'ancien mineur A. Orban qui fouille pour le compte de Marcel De Puydt (1855-1940), archéologue liégeois, et de Maximin Lohest (1857-1926), alors assistant en géologie à l'Université de Liège. L'étude des ossements est confiée au paléontologue Julien Fraipont (1857-1910), à l'époque jeune professeur extraordinaire à la même université. En fait, Lohest et De Puydt avaient débuté les recherches à Spy en août 1885. Comme l'intérieur de la cavité était déjà fortement bouleversé par des travaux antérieurs, ils concentrent leurs recherches dans la terrasse. Après s' être débarrassés, à l'aide d'explosifs, des blocs calcaires qui encombrent le site, ils commencent par creuser une tranchée exploratoire devant l'entrée de la grotte. Pour exploiter vers l'extérieur un « niveau ossifère » ainsi repéré, ils se rallient rapidement à la proposition de leur fouilleur qui suggère de creuser une galerie souterraine pour suivre le dépôt d'ossements comme on longerait une veine de charbon. « Il s'agissait donc », confessera Lohest 30 ans après la fouille, « de creuser des galeries et de les boiser soigneusement pour éviter tout accident. C'était une solution économique, mais dangereuse par suite du peu de consistance du terrain. […] Du fond de la galerie, Orban nous apportait une petite manne de terre recueillie autant que possible à un niveau bien déterminé. Nous examinions le tout au grand jour. Si Orban nous signalait la rencontre d'un objet intéressant, nous pénétrions dans les travaux, éclairés par des bougies, et nous allions dégager l'échantillon et noter sa situation précise » (Lohest et al. 1925 p. 146). C'est lors de ces opérations peu orthodoxes, au cours desquelles ils traversent, sans s'en rendre compte, plusieurs entités stratigraphiques distinctes, que les fouilleurs isolent les restes d'un premier squelette néandertalien, désigné par la suite sous le nom de « Spy 2 ». Les conditions de récolte sont mauvaises. Le crâne est fracturé en une quarantaine de fragments. La position des vestiges n'est relevée ni en plan ni en stratigraphie. Tout au plus les inventeurs ont-ils noté (De Puydt et Lohest 1887 p. 229) que « les os se trouvaient déplacés de leurs connexions naturelles […] ». Se rendant cependant compte de l'importance de leur trouvaille et de la désinvolture de leurs procédés de recherches, De Puydt et Lohest reviennent ensuite à des méthodes plus rigoureuses : « Si nous avions pu prévoir alors l'intérêt exceptionnel qu'allaient bientôt présenter nos fouilles, nous aurions procédé autrement. Mais nous n'étions pas riches et [… ], il importait d'agir avec économie », avouera Lohest(1925 p. 146). Les fouilleurs font alors creuser une tranchée à ciel ouvert à travers la terrasse. Ils mettent ainsi au jour un deuxième squelette partiel d'homme de Néandertal, « Spy 1 », dans des conditions plus propices à un relevé stratigraphique et à des observations correctes. En fait, très peu de détails précis sont connus à propos des galeries souterraines de Spy. Dans un de leurs premiers articles, De Puydt et Lohest (1886 p. 35) précisent : « mais sous la terrasse, l'épaisseur des éboulis nous a parfois obligés de conduire notre travail par galeries boisées ». Une lettre manuscrite de Marcel De Puydt à Max Lohest rédigée en pleine fouille, soit au début de l'été 1886 ajoute : « J'ai peur de la manière dont Orban travaille, les galeries me donnent la fièvre […] ». Aucun plan de localisation des galeries boisées n'est réalisé à l'époque. On peut sans doute imaginer, pour des raisons liées à la forme de la terrasse et à la position de « Spy 2 », qu'une des galeries au moins débutait en bordure de la terrasse et était orientée sensiblement du sud-sud-ouest au nord-nord-est. Si tel est bien le cas, elle devait avoir au minimum cinq à six mètres de longueur. Quatre décennies plus tard, Rahir (1928 p. 59) observe une ancienne galerie qu'il positionne sur un plan de la grotte (fig. 8). Elle est orientée perpendiculairement à la précédente et se dirige vers la droite. Sa largeur est de quelque 75 cm. Dans la mesure où Rahir la qualifie d' » ancienne », il pourrait s'agir d'un des diverticules des galeries de Lohest et de ses collaborateurs. Dans ce cas, la longueur minimale de galerie creusée dans l'axe de la terrasse et de la « salle principale » peut être portée à une dizaine de mètres, auxquels s'ajoute la longueur de la galerie annexe relevée par Rahir. En définitive, on sait donc : que le tracé du tunnel d'exploration pratiqué dans la terrasse de la grotte de Spy était irrégulier, avec sans doute des diverticules; que ces galeries souterraines ont été boisées en raison de la nature des sédiments, ce qui implique des poteaux et des traverses au plafond; que les premiers ossements néandertaliens du gisement, soit ceux de « Spy 2 », ont été découverts dans une galerie; que donc une des galeries passait quasiment au milieu de la terrasse, puisque les fouilleurs ont précisé que « Spy 2 » se trouvait « […] à peu près en travers de l'axe de la grotte » (De Puydt et Lohest 1887 p. 229); que l'ouvrier qui travaillait dans le tunnel s'éclairait à la bougie; que les galeries ont été abandonnées quand Lohest et De Puydt ont réalisé à la fois le danger auquel s'exposait leur fouilleur et l'imprécision de la méthode d'exploration adoptée, d'autant plus dommageable qu'un squelette dont ils avaient compris l'importance venait d' être trouvé et qu'il convenait de s'assurer avec davantage de précision de sa position stratigraphique. Lors de sa campagne de fouilles de 1993 au Trou Al'Wesse, à Petit-Modave (Clavier, province de Liège), Fernand Collin repéra un ancien tunnel dans les sédiments de la terrasse qui précède l'immense cavité (fig. 9; Collin et al. 1994). Cette galerie n'avait jamais été signalée auparavant. Elle n'était pas complètement comblée. Sa voûte était arrondie. Quelques fragments de bois trouvés au sol ont conduit l'inventeur à supposer qu'elle avait été boisée, comme celle de Spy. Ce tunnel fut à nouveau entraperçu sur une coupe transversale aménagée plus en avant dans la terrasse au début juillet 2004, dans le cadre de la deuxième phase des fouilles modernes sur le site (Miller et al. 2004 p. 115; Miller et al. 2005 p. 27), puis observé plus en détail dans sa partie antérieure au cours des campagnes de fouille de l'été 2005. A cet endroit, la voûte était en plein cintre et ses parois s'évasaient légèrement vers le bas. Aucun boisage n'est apparu et le tunnel était entièrement comblé. La fouille de 2006 a en outre montré que la galerie souterraine était précédée par une tranchée d'accès à ciel ouvert creusée dans la pente précédant la terrasse. Dans l'attente d'un dégagement plus complet de cette structure, diverses questions restent en suspens, notamment sur les détails de sa morphologie, sur le nom des instigateurs du creusement et sur la date de sa réalisation. E. Dupont, le fouilleur de La Naulette, a travaillé au Trou Al'Wesse vers 1870. I. Braconier lui a succédé de 1885 à 1887, en compagnie de M. Lohest et de J. Fraipont. Tant Dupont que ses successeurs ont pu avoir fait aménager un tunnel : Dupont en avait déjà l'expérience tandis que Lohest et ses collaborateurs utilisaient à la même époque la technique à Spy. Deux indices, issus du dépouillement d'un article de Fraipont et Braconier (1887) relatif à la « poterie à l' âge du mammouth », pourraient plaider en faveur d'un creusement fait en 1885-1887. Le premier tient à ce que, selon ces auteurs, Dupont n'a fait pratiquer qu'une tranchée de quelques mètres de longueur à l'entrée de la cavité. Le second résulte de l'association observée par Fraipont et Braconier à sept mètres de profondeur, dans leur sixième niveau ossifère, presque au plancher de la grotte, d'une demi poterie à fond plat et panse arrondie avec une dent de mammouth, une pointe moustérienne et une « pointe de javelot en os » : un tel groupement implique de profonds remaniements de couches qui pourraient bien avoir été engendrés par le creusement d'un tunnel, encore que d'autres explications soient tout aussi possibles. Des galeries ont été creusées par Elie Massénat (1832-1903) et ses collaborateurs dans le vaste abri de Laugerie-Basse, aux Eyzies-de-Tayac (Dordogne), pour passer sous une série de gros blocs rocheux et atteindre les couches archéologiques sous-jacentes. A cette occasion, en 1872, un squelette humain attribué à l'époque à l' « âge du renne » est mis au jour. La réalité de ces galeries souterraines est attestée par divers écrits de Massénat lui -même et d'autres chercheurs de son époque. Ainsi, pour parvenir au-dessous de blocs dont certains avaient cinq mètres de longueur et deux de largeur et d'épaisseur, écrit Massénat « […] il fallut reprendre les fouilles à une certaine distance et faire une étroite galerie; pendant ce travail, on n'a pas cessé de recueillir des ossements et bois de rennes, et de nombreux silex taillés » (Massénat et al. 1872 p. 1062). Les informations disponibles sur ces tunnels sont succinctes. Tout au plus apprend -on que « les fouilles sont pénibles dans ces galeries souterraines; elles sont dangereuses, difficiles […] » (Massénat et al. 1872 p. 1061), ou encore que « […] c'est dans les parties les plus profondes de la galerie que les plus belles pièces ont été rencontrées. Ce travail de mineur a donné ce qu'il pouvait donner […] » (Girod et Massénat 1900 p. 22). Il semble que Otto Hauser, le marchand allemand qui pilla une partie du patrimoine préhistorique du Périgord, adopta, lui aussi, la technique du tunnel à La Micoque pour se faciliter la tâche dans ses activités mercantiles (Simar 1956 p. 86). Aucun détail sur ces activités ne semble cependant disponible. De 1954 à 1957, R. Constant exploita les niveaux archéologiques de la grotte de Regourdou, dont il était propriétaire, en creusant une galerie souterraine de 7 m de longueur à partir d'une cheminée naturelle vidangée peu avant (fig. 10; Bonifay 2003). C'est à cette occasion, en septembre 1957, qu'il mit au jour les restes humains du Néandertalien Regourdou 1 dont la fouille fut partiellement achevée par E. Bonifay et B. Vandermeersch de 1960 à 1965. Plusieurs grottes à intérêt préhistorique et paléontologique de Grande-Bretagne, notamment dans les “Mendip Hills ”, dans le sud-ouest de l'Angleterre, près de Bristol, furent découvertes par des mineurs qui étaient payés par des collectionneurs et archéologues amateurs du XIXème siècle. Les conditions exactes de ces travaux, où des tunnels semblent avoir été creusés, parfois dans le sédiment, parfois dans la roche, restent mal connues. Le cas de la troisième caverne de « Creag nan Uamh », en Ecosse, est plus démonstratif (Lawson 1981). Un tunnel de quelque sept mètres de long sur environ 1,5 m de hauteur, destiné à explorer les sédiments profonds, y fut creusé lors des fouilles de 1926-27 (fig. 11). Plusieurs tumulus mégalithiques ont été fouillés par galeries et puits destinés à accéder à la chambre centrale en limitant l'exploration au minimum. C'est notamment le cas du tumulus Saint-Michel, à Carnac (Morbihan), d'abord exploré par René Galles en 1862 et 1864, puis par Zacharie Le Rouzic de 1900 à 1907 (Joussaume 2003 p. 23; Riskine 1995 p. 21). A la fin du XIXème siècle et au début du XXème, de nombreux tumulus gallo-romains ont été exploités en creusant des tunnels étançonnés qui descendaient en légère pente vers la chambre qui, à l'époque, retenait l'essentiel de l'attention des archéologues. En raison du caractère monumental des buttes, ces fouilles ne concernaient donc qu'une petite partie de la surface recouverte. Cette technique, dangereuse en raison des risques d'éboulement, a notamment été utilisée en Hesbaye, vaste région située au nord du sillon Sambre et Meuse, en moyenne Belgique, par exemple dans les tumulus de Hottomont, du Bois des Tombes à Waremme ou encore d'Ambresin (Massart 1994). En raison du nombre réduit de comparaisons, l'analyse de la technique des tunnels de fouille au XIXème siècle est forcément sommaire et ne permet pas de dégager de constantes à valeur statistique. C'est le géologue E. Dupont qui fut le premier, en 1866, à faire creuser un tunnel pour explorer les sédiments d'un site préhistorique en grotte du bassin mosan. Vingt ans plus tard, en 1886, Max Lohest et Marcel De Puydt utilisent la même technique pour sonder la terrasse de la grotte de Spy. Le tunnel repéré dans la terrasse du Trou Al'Wesse remonte apparemment à la même époque que celui de Spy, en 1885 ou 1886, quoiqu'un doute subsiste toujours à ce propos. Le tunnel de Massénat à Laugerie-Basse a apparemment été creusé dans les années 1870. La plupart des autres tunnels de fouille, notamment dans les tumulus, semblent également remonter à la fin du XIXème siècle ou au début du XXème. L'exemple de la troisième caverne de Creag nan Uamh prolonge l'usage de cette technique jusqu'en 1926-1927. Le tunnel du Regourdou apparaît, lui, tout à fait anachronique. La principale motivation de la réalisation de galeries souterraines pour fouiller les sédiments de grottes paléolithiques et des tumulus d'époques variées est évidente : elle tient à l'économie des moyens mis en œuvre pour atteindre des couches profondes sans avoir à réaliser de vastes tranchées à ciel ouvert. Diverses variantes de tunnels s'observent cependant. Dans certains cas, il s'agissait de fouiller en suivant un filon archéologique ou paléontologique : c'est très clair à la grotte de Spy et probable au Trou Al'Wesse, dans la mesure où les déblais remplissant le tunnel de cette cavité contiennent des ossements et des silex. A La Naulette et à Creag nan Uamh, les tunnels avaient pour but de rechercher de nouveaux « niveaux ossifères » - en ce sens, ce sont des tunnels de sondage - et de réaliser des relevés stratigraphiques des niveaux profonds du remplissage. Parfois, le tunnel a été aménagé pour accéder à l'intérieur d'une grotte ou à une chambre sépulcrale, comme dans certains tumulus mégalithiques et gallo-romains. Un tel tunnel d'accès peut, au fil des recherches, se transformer en tunnel de fouille lorsque des vestiges y sont trouvés, comme à Laugerie-Basse. Le tunnel de Spy a été, au moins par endroits, consolidé par boisage des parois et du plafond. Ce n'est pas le cas à La Naulette où une voûte en plein cintre a été aménagée dans les sédiments meubles. La nature des sédiments, limon argileux compact et homogène à La Naulette versus couches très caillouteuses plus meubles à Spy, suffit cependant à expliquer les différences de techniques adoptées. Seule la poursuite des fouilles permettra de préciser la situation au Trou Al'Wesse, où la voûte est également arrondie mais où l'éventuelle présence d'un boisage complémentaire reste à vérifier. A La Naulette, l'accès à la galerie souterraine se faisait à partir du fond d'un puits vertical. Au Trou Al'Wesse, l'entrée du tunnel s'amorçait par contre en pente douce, directement à partir d'une tranchée aménagée dans la pente précédant la terrasse; quoique plus problématique à décoder, la situation pourrait avoir été similaire à Spy. Dans le cas de La Naulette, il semble que Dupont ait d'abord implanté un simple sondage puis que, constatant l'épaisseur des sédiments, il ait modifié sa stratégie et fait creuser un tunnel à partir du fond de ce puits. A la grotte de Spy, l'éclairage du tunnel de fouilles se faisait à la bougie. A La Naulette, les fouilleurs disposaient leurs sources de lumière dans des niches creusées dans les parois du tunnel, sans qu'il soit possible de préciser s'ils utilisaient également des bougies ou des lampes de mineurs alimentées en huiles végétales. Aucune trace de fumée n'a été constatée dans les cinq niches observées. Il est probable qu'en 140 ans, l'humidité ambiante a eu le temps d'effacer ces traces. Il est également possible que l'absence de traces témoigne de la brièveté d'utilisation du tunnel. Le recours au creusement de tunnels pour explorer les sédiments profonds de grottes et abris est dangereux. De Puydt lui -même finit par s'en effrayer à la grotte de Spy. Dans cette technique, la relative facilité d'exécution et donc une certaine forme d'efficacité dans la récolte de matériel archéologique et paléontologique l'emportent clairement sur la précision des informations récoltées. En effet, le creusement de tunnels dans des conditions d'éclairage souvent précaires induit forcément le mélange des couches stratigraphiques successivement rencontrées, donc du matériel d'époques variées. C'est d'ailleurs peut-être en partie ce phénomène des tunnels - comme probablement d'autres aspects du manque de finesse des fouilles de l'époque - qui conduira à la « légende » de la poterie paléolithique, véhiculée à la fin du XIXème siècle par des chercheurs aussi sérieux que J. Fraipont, et dont la grotte de Spy et le Trou Al'Wesse comptent parmi les exemples emblématiques (Fraipont et Braconier 1887). La réalisation de tunnels à la fin du XIXème siècle et au début du XXème pour explorer les sédiments de diverses grottes intéressantes sur les plans archéologiques et anthropologiques est passée quasi inaperçue des chercheurs qui s'intéressent à l'histoire de la préhistoire et aux développements des méthodes de fouilles. Une telle pratique n'a cependant pas été si isolée qu'on pourrait le croire en première approche sur base des rares mentions à ce propos, essentiellement à la grotte de Spy. En fait, rien que dans les grottes paléolithiques du bassin mosan belge, deux nouveaux exemples ont été récemment mis en évidence, d'abord au Trou Al'Wesse en 1993, puis à la caverne de La Naulette en 1999. C'est dans ce dernier site que la technique a pu être la mieux documentée, dans la mesure où le tunnel creusé par E. Dupont en 1866 est presque intégralement préservé et où il a donc été possible d'en dresser un plan et des coupes ainsi que d'étudier les détails de son creusement. A Spy par contre, les informations disponibles se limitent à quelques phrases dans des articles et lettres manuscrites ainsi qu' à un plan très partiel réalisé près de quatre décennies après la fouille. Le tunnel du Trou Al'Wesse, encore en grande partie conservé, reste à fouiller. Le recours à cette méthode paraît certes barbare aux yeux des fouilleurs actuels, habitués à des techniques soigneuses et plus respectueuses de la stratigraphie. A une époque où la recherche préhistorique n'en était qu' à ses débuts et où aucune réelle technique de fouille n'avait encore été mise au point, elle correspond aux tâtonnements méthodologiques de chercheurs qui avaient à concilier un cruel manque de moyens à l'importance des sédiments qu'ils souhaitaient explorer. Ces premiers préhistoriens n'avaient en outre pas encore réalisé qu'une fouille fine livrait de multiples sortes d'informations relatives au contexte des objets, ces derniers étant alors la principale motivation de leurs fouilles. Il reste à espérer que la présentation du tunnel de La Naulette suscitera des recherches similaires à propos des autres souterrains de fouilles du XIXème. Il serait, à cet égard, particulièrement intéressant de rassembler et d'étudier l'éventuelle documentation encore disponible relative aux galeries de Laugerie-Basse et de La Micoque et de rechercher d'autres exemples de cette ancienne pratique de fouilles. La question des galeries pratiquées dans diverses grottes de Grande Bretagne, notamment dans les grottes des « Mendip Hills », dans le comté de Somerset, et de leur relation avec les travaux des mineurs, des chercheurs de grottes et des premiers archéologues, mériterait également d' être étudiée en détail .
Lors de fouilles récentes à la caverne de La Naulette, dans le sud de la Belgique, un intéressant témoignage relatif à une pratique méconnue et insolite à laquelle les fouilleurs en grottes de la fin du XIXème siècle ont eu recours à diverses reprises a été mis au jour. Il s'agissait, pour des raisons de facilité, d'économie et d'efficacité, de creuser des galeries souterraines, à la manière des mineurs, pour exploiter les " filons " que représentaient les couches archéologiques ou paléontologiques. Cet article présente en détail le tunnel réalisé en 1866 à la Naulette par le géologue Edouard Dupont, avant de proposer des exemples similaires, quoique moins bien documentés, provenant de la grotte de Spy et du Trou Al'Wesse - également en Wallonie - mais aussi de France et de Grande-Bretagne.
archeologie_08-0127723_tei_249.xml
termith-80-archeologie
L'analyse pétrographique microtexturale du matériau basaltique des meules à grains permet de reconstituer la diffusion spatiale et le commerce de ces objets, omniprésents en Gaule méditerranéenne aux époques protohistorique et antique (Reille 1995, 1998a, 1988b, 1999, 2000a, 2000b, 2000c, 2001a, 2001b, 2001c; Reille, Chabot, 2000). Les résultats présentés dans cette note concernent des vestiges de meules exhumés sur deux sites protohistoriques importants du Languedoc oriental, l'oppidum du Marduel et celui de Nages. Au cours des vingt dernières années, ces sites ont fait l'objet de nombreuses campagnes fouilles programmées, connues pour leur qualité et leur rigueur méthodologique (Py 1987; Py et al. 1982, 1986, 1989). De ce fait, l'ensemble du matériel qu'ils ont livré se trouve bien repéré et répertorié, caractéristique aussi intéressante qu'inhabituelle dans notre pratique. Les objets, conservés au dépôt archéologique départemental du Gard, ont été mis à notre disposition par M. Py, accompagnés de leurs références complètes. Les exemplaires examinés ont fait l'objet d'un prélèvement minimal au ciseau. Deux d'entre eux ont été sciemment détruits par l'analyse compte tenu de leur très petite taille (quelques centimètres) et de leur intérêt typologique nul. En ne considérant que les gisements volcaniques situés dans un rayon de 150 km autour de chacun des sites examinés, on distinguera en première approximation, une origine méridionale (gisements proches de la côte méditerranéenne) et une origine septentrionale (coulées du massif des Coirons et du Massif Central). Cette distinction est basée sur les caractéristiques microtexturales du matériau volcanique des meules. Elle s'appuie sur les types microtexturaux du référentiel du Midi de la Gaule, présenté dans des articles antérieurs (CDRom, Reille 1995 et 1998a) et sur des données récentes et inédites concernant des microtextures des coulées basaltiques des Coirons et de meules exhumées sur les sites archéologiques ardéchois de Jastres et d'Alba (fig. 1C et 4B). Le critère essentiel permettant de proposer ici une origine septentrionale est la non conformité des microtextures examinées avec celles du référentiel méridional, à la condition que les différences notées soient significatives et incontestables. Par exemple, la présence de phénocristaux d'augites d'un vert soutenu (composition à tendance ægyrinique) ou d'au-gites zonées et colorées, avec cœur de composition sodique et périphérie titanifère (fig. 2A), n'a pas été observée parmi les nombreuses meules originaires du sud examinées jusque -là. Il en va de même pour les mésostases à grands microlites de plagioclases (atteignant occasionnellement la taille de mésocristaux). La liste complète, passablement longue, des critères discriminants effectivement relevés ne sera pas fournie ici. Il nous paraît toutefois nécessaire de réserver une place particulière à la présence éventuelle de pseudomorphoses de phénocristaux de kaersutite, souvent complètement altérés en rohnite et en minéraux opaques (fig. 2A, 2B, 2C). En effet, nous n'a-vons jamais rencontré de phénocristaux de kaersutite (altérée ou non) dans les laves des gisements plus méridionaux utilisés dans la confection des meules protohistoriques et antiques. En revanche, la kaersutite est bien présente dans le basalte de plusieurs coulées du massif des Coirons où on l'observe tantôt intacte, tantôt partiellement ou complètement altérée. On la rencontre également dans certaines des meules d'Alba et de Jastres, sites archéologiques ardéchois proches de cette zone volcanique. Cette double particularité nous incline à attribuer une origine « Coirons » aux éléments basaltiques du Marduel et de Nages qui contiennent ce minéral ou ses vestiges altérés. En fait, sur l'ensemble des meules basaltiques rhodaniennes actuellement étudiées et dont l'origine septentrionale est quasi certaine, les microtextures répertoriées sont particulièrement nombreuses et variées. Cette variété est étroitement liée au vaste développement spatial et à la complexité des gisements sources, auprès desquels les gisements méridionaux paraissent minuscules. Or le référentiel dont on dispose actuellement sur les Coirons (une trentaine de microfaciès) ne correspond, en dépit de sa consistance, qu'au tiers des affleurements de ce massif. À ce stade de l'étude, on n'établira donc pas de distinction formelle entre les différents microfaciès des laves septentrionales. D'autre part, comme on ne possède pas d'arguments définitifs pour exclure une provenance à partir d'affleurements volcaniques du proche Massif Central, on proposera le plus souvent une origine globale « Coirons / Massif Central ». Pour ce qui concerne la diffusion des meules protohistoriques en Languedoc oriental, l'oppidum du Marduel est spécialement intéressant par sa position géographique à l'intérieur des terres et par sa relative proximité de la vallée du Rhône (fig. 1C). Il l'est également pour sa durée d'occupation et la qualité de ses références stratigraphiques (Py et al. 1982, 1986, 1989). Les meules à grains y sont essentiellement représentées par des fragments, généralement peu exploitables sur le plan de la typologie mais porteurs d'information quant à leur provenance. Le nombre total des exemplaires examinés s'élève à trente-trois, ce qui constitue un échantillon de taille statistiquement significative. Les trois quarts des objets ont été recueillis dans des niveaux stratigraphiquement plus anciens que la limite III e - II e s. av. n. è. Le barycentre chronologique de la population se situe donc à une époque antérieure au décollage industriel du site d'Embonne / Cap d'Agde (Reille, 2000a). Pour ce qui concerne la lithologie, la plupart des exemplaires sont en basalte (88 %). Quatre seulement sont en roches non volcaniques, dont un en granite et trois en roches sédimentaires. Constatation nouvelle pour nous, la majeure partie des exemplaires basaltiques recueillis sur le site, soit 80 % de la sous-population de nature volcanique ne provient pas des gisements méridionaux (St Thibéry/Bessan, Cap d'Agde et vallée de l'Hérault, arrière-pays toulonnais). Leur origine est à rechercher vers le nord, essentiellement dans le massif des Coirons (fig. 1C et 4B), sans exclure une éventuelle participation d'autres gisements du Massif Central. Dans le contexte du Languedoc oriental protohistorique, ce premier résultat est indubitablement important. Il démontre non seulement que la diffusion de meules à grains issues de gisements basaltiques de la moyenne vallée du Rhône atteignait une zone relativement méridionale, mais qu'elle pouvait y jouer un rôle tout à fait prépondérant, en dépit de la proximité d'autres circuits de distribution, particulièrement actifs. Ceci est spécialement intéressant pour la période antérieure à la seconde moitié du III e s., pendant laquelle les éléments de provenance septentrionale représentent les neuf dixièmes de la population. Mais il faut surtout noter que cette prépondérance subsiste aux époques plus tardives, depuis la seconde moitié du III e s. av. jusqu'au I er s. de n. è., même si la disproportion globale est moins impressionnante (deux tiers de provenances septentrionales contre un tiers de méridionales). Cette situation est particulièrement significative si on la compare à celle qui prévalait alors dans d'autres sites de la Gaule méditerranéenne où les productions d'Embonne / Cap d'Agde avaient littéralement submergé le marché dès le début du II e s. av. n. è. (Reille 2000b, 2001b; Reille, Chabot 2000). Les deux exemplaires les plus anciens remontent au dernier quart du VI e s. L'un d'eux est en granite, vraisemblablement issu du proche Massif Central; il s'agit probablement d'un fragment de table de système à va-et-vient. L'autre est un minuscule élément basaltique typologiquement non identifiable. Sa microtexture exclut une origine à partir des gisements méridionaux répertoriés dans notre référentiel. Entre le premier quart du V e s. et la première moitié du III e, on dénombre quatorze éléments, dont douze en basalte et deux en roches sédimentaires. Parmi les éléments en basalte, onze sont d'origine septentrionale et un seul d'origine méridionale. Ce dernier est intéressant sur le plan typologique, compte tenu de son état de conservation. Il s'agit du vestige d'une très grande table de système à va-et-vient, exhumé dans des niveaux de la fin du V e s. (420-400 av. n. è.), indubitablement originaire du gisement d'Embonne / Cap d'Agde. Parmi les autres exemplaires basaltiques, deux seulement sont typologiquement identifiables il s'agit de fragments de tables de systèmes à va-et-vient. Les deux exemplaires en roches non volcaniques sont constitués par des micropoudingues siliceux, éventuellement empruntés aux niveaux sédimentaires triasiques de la bordure cévenole. Au sein de la population examinée, les exemplaires du III e s. comportent les plus anciens témoins de systèmes rotatifs. Le plus vieil élément de meule rotative (première moitié du III e s.) est un catillus, taillé dans un calcaire bioclastique gréseux dont le faciès est commun dans les niveaux du Crétacé moyen et supérieur de la vallée du Rhône, au nord du site du Marduel (fig. 3A). Trois autres éléments de meules rotatives sont en basalte et sont rattachables à la seconde moitié du III e s. L'analyse pétrographique microtexturale de deux d'entre eux montre clairement qu'ils proviennent de l'important massif volcanique des Coirons (fig. 1C). Il s'agit de fragments de catilli biconcaves relativement massifs (fig. 3B et 3E), d'une typologie originale, analogue à certains exemplaires des sites ardéchois d'Alba et de Jastres. L'attribution microtexturale du troisième est moins évidente, mais son incompatibilité avec les données du référentiel méridional et ses affinités typologiques (fig. 3D) permettent de lui assigner une origine septentrionale (Coirons ou Massif Central). Entre la seconde moitié du II e s. et l'époque augustéenne, la proportion des éléments en basalte méridional (en l'occurrence Embonne/Cap d'Agde) augmente sensiblement, tout en restant nettement inférieure à celle des éléments d'origine septentrionale (un tiers contre deux tiers). Une meta de système rotatif originaire des Coirons (fig. 3C), trouvée dans des niveaux d'époque augustéenne (25-1 av. n. è.), présente des caractères typologiques typiques des époques tardives. À ce titre, elle est tout à fait comparable aux exemplaires reproduits à satiété par le centre d'Embonne / Cap d'Agde au cours de sa période de production « industrielle » (II e s. av. - I er s. de n. è.; fig. 6C, 6G et 6H). Cette observation ponctuelle montre que le fonctionnement des centres d'extraction du massif des Coirons a perduré au moins jusqu'au début de l'Antiquité romaine, avec une évolution typologique vers des formes plus adaptées aux contraintes et aux goûts de cette époque. On retrouve là un cheminement tout à fait analogue à celui qu'a connu le centre d'extraction méridional de St Thibéry/Bessan (Reille 2000c). Comme l'oppidum du Marduel, celui de Nages fait partie des sites privilégiés ayant fait l'objet de fouilles récentes dont le mobilier est stratigraphiquement bien repéré (Py 1987). Le nombre total des exemplaires examinés s'élève à trente-cinq, ce qui constitue, là encore, un échantillon de taille statistiquement significative. À la différence de l'oppidum du Marduel, les meules à grains y sont représentées par des éléments majoritairement significatifs sur le plan de la typologie. Il s'agit d'une population incontestablement plus jeune que celle du Marduel : plus de 80 % des objets sont postérieurs à la limite III e - II e s. av. n. è. Tous les exemplaires sont en basalte à l'exception d'un seul (grès grossier du type subarkose). La figure 4A montre la large prédominance des basaltes méridionaux (72 %). Parmi eux, c'est celui du site d'Embonne / Cap d'Agde qui l'emporte, avec 66 % (fig. 5A, B, C, D, F, G, H). Le gisement de St Thibéry/Bessan compte deux représentants (6 %). L'un d'eux est une meta ancienne massive (fig. 5A) qui constitue le plus ancien élément de meule rotative de la population de Nages (première moitié du III e s.). L'autre est un catillus du milieu I er s. av. n. è., conforme à la typologie des productions récentes de ce centre, dont on sait qu'elles accompagnent discrètement celles d'Embonne / Cap d'Agde pendant le deuxième âge du Fer et le début du Haut Empire. Les autres basaltes de la vallée de l'Hérault (6 %) sont représentés par un exemplaire de Grau d'Agde / Rochelongue et un exemplaire des basanites de la moyenne vallée du fleuve (coulées de Nizas-Caux). De manière inattendue, on constate que les basaltes septentrionaux (coulées des Coirons ou du Massif Central) sont notablement représentés (23 %, fig. 4A et 4B) Ils se répartissent dans une fourchette chronologique d'environ un siècle, entre le milieu du II e s. et le milieu du I e s. av. n. è. Sur le plan typologique, six exemplaires sur sept peuvent être rattachés à des systèmes rotatifs, dont deux catilli (fig. 5E et 5F) et quatre metæ. L'exemplaire le plus ancien (- 150 à - 100) est un catillus, indiscutablement originaire des Coirons (fig. 5E). Une des metæ, issue de niveaux tardifs (- 70/-30), présente des affinités indubitables avec les formes anciennes (fig. 5C); peut-être s'agit-il d'un cas de rémanence de matériel ancien. En revanche, une autre meta de même âge présente une morphologie plus conforme aux canons des époques récentes (fig. 5D). L'étude de l'origine du matériau des meules importées sur les agglomérations protohistoriques du Marduel et de Nages fournit des données inédites sur les trajectoires de distribution de ce mobilier. Sur l'oppidum du Marduel, pour toute la période comprise entre les V e et I er siècles av. n. è., on constate que l'approvisionnement en meules basaltiques est largement dominé par les apports en provenance du nord (massif des Coirons et, éventuellement, autres gisements du Massif Central). Cette observation marque un contraste frappant avec ce qui a été précédemment observé dans des sites plus proches de la côte méditerranéenne, où l'essentiel sinon la totalité du matériel provient de quelques gisements basaltiques méridionaux (vallée de l'Hérault, arrière-pays toulonnais). Pour le cas précis des meules du Marduel, on constate que le transit dans la vallée du Rhône s'effectuait le sens nord-sud et non l'inverse. La pénétration commerciale des produits d'origine méridionale dans l'axe rhodanien abondamment avérée pour d'autres catégories de mobilier, est donc considérablement plus discrète dans ce domaine commercial spécifique. Par ailleurs, on remarquera que les meules rotatives les plus anciennes (ici III e siècle av. n. è.), sont issues d'ateliers strictement indigènes particulièrement actifs, à la fois techniquement et commercialement. L'existence de formes typologiques spécifiques souligne l'originalité de ces productions précoces. Ce constat global nous renvoie à des observations antérieures analogues, concernant le site de production de St Thibéry/Bessan, dans la vallée de l'Hérault (Reille 2000 c). Sur l'oppidum de Nages, site plus proche de la côte méditerranéenne que le Marduel, la place des productions méridionales est nettement prédominante. Cependant, la représentation des produits septentrionaux est loin d' être négligeable puisqu'elle représente 23 % de l'ensemble, dans une fourchette chronologique relativement jeune (II e à I er s. av. n. è.). Ce constat est d'autant plus significatif que la période concernée se situe pendant le maximum de la production d'Embonne / Cap d'Agde, époque pendant laquelle les produits de ce centre submergent le reste du marché est-languedocien et provençal, jusqu' à Entremont et Olbia (Reille 2000b, 2001b). On notera enfin que la présence des meules septentrionales n'est pas attestée sur le site d'Ambrussum, pourtant tout proche de Nages (moins de 10 km, fig. 4), mais situé hors du domaine de la Vaunage. Cette absence met en évidence une limite locale de l'aire de diffusion des meules basaltiques septentrionales. L'étude de quelques autres sites devrait permettre d'en préciser les contours et d'apporter des éléments objectifs supplémentaires à la connaissance des circuits régionaux de distribution de ce mobilier, jadis indispensable à l'organisation de la vie domestique. Ce travail a reçu l'appui financier du Service Régional de l'Archéologie du Languedoc-Roussillon et de l'association ASSTERR .
L'analyse pétrographique microtexturale appliquée aux meules basaltiques des oppida du Marduel et de Nages met en évidence le rôle de gisements volcaniques septentrionaux dans l'approvisionnement de ces sites. Dans le cas du Marduel, entre le Ve s. et le Ier s. av. n. é., près de 80 % de ce mobilier provient du massif des Coirons ou de gisements du Massif Central et on y observe des formes typologiques inconnues dans les productions méridionales. Dans le cas de Nages, pourtant plus proche des débarcadères méditerranéens, la proportion de ces meules d'origine septentrionale reste conséquente (23 %) entre le IIeet le Ier s. av. n. é. Cette constatation contraste fortement avec ce qu'on observe sur nombre d'autres sites du Languedoc oriental et de Provence où les productions d'Embonne/Cap d'Agde s'imposent en quasi-exclusivité pendant la même période. Ces résultats permettent de localiser, assez loin vers le sud, une limite d'influence de centres de production septentrionaux et de matérialiser, dans l'axe rhodanien, un transit nord-sud de produits manufacturés spécifiques.
archeologie_525-04-10657_tei_119.xml
termith-81-archeologie
Dans notre lecture et notre compréhension du passé, l'analyse exhaustive du mobilier funéraire permet de concevoir le concept épistémologique de « sacré » versus « profane et domestique ». La présence des objets en silex parmi le mobilier funéraire révèle autant leur statut symbolique secondaire, que l'importance de les considérer au même titre que les autres offrandes et objets personnels des dépôts rituels. Les besoins spirituels de nos ancêtres, concrétisés par des rites funéraires variés, représentent un domaine compliqué, où la lecture de faits archéologiques peut facilement être suivie d'interprétations spéculatives et non pertinentes. Il faut souligner l'importance des études complexes du mobilier et des pratiques funéraires issues de nécropoles préhistoriques, afin d'éviter une précarité gnoséologique, consistant en des reconstructions basées sur des données archéologiques insuffisamment fiables (c'est-à-dire isolées et anecdotiques). J'ai eu la possibilité d'accomplir une étude tracéologique du mobilier en silex de la nécropole Durankulak dont les résultats mettent en évidence une information supplémentaire sur la sélection et extraction (consciente ou fortuite) des artefacts en silex de leur contexte premier de fonctionnement, domestique, et leur transfert vers la sphère sacrée des offrandes funéraires. Beaucoup de questions liées avec cette problématique méritent une discussion approfondie. La Bulgarie préhistorique est bien connue grâce aux trouvailles spectaculaires de ses nécropoles et surtout de la nécropole chalcolithique de Varna, ou le contexte funéraire manifeste une forte différentiation sociale et hiérarchique des défunts. Les signes de richesse et de hiérarchie à Varna, aussi bien que les objets présents suggèrent une spécialisation artisanale élaborée et un échange à grande échelle : faits qui sont récemment considérés par certains chercheurs comme des indices convaincants et significatifs pour qu'on puisse parler d'une proto-civilisation, mais ce débat n'est pas le sujet de l'article. On dénombre sur le territoire de la Bulgarie 11 nécropoles préhistoriques (avec plus de 10 sépultures) surtout chalcolithiques. La plus connue est la nécropole de Varna, mais celle qui représente un vrai phénomène archéologique est la nécropole de Durankulak (carte ci-dessous). Il convient de présenter ici dans un cadre général ce réel phénomène archéologique. Cette nécropole, en effet, est l'unique dont les restes archéologiques soient complètement étudiés et publiés (Todorova 2002). Bien qu'elle ait été éclipsée par la célébrité du cimetière de Varna, la nécropole de Durankulak possède quand même certains avantages proprement cognitifs. Située près de la frontière roumaine sur le littoral bulgare, elle illustre une séquence très importante du Néolithique récent jusqu'au Chalcolithique final, qui permet d'observer et de reconstituer de manière diachronique les pratiques funéraires (avec leurs caractères variables) de la communauté locale, dont le site d'habitat se trouve à 200 m au nord. Cette séquence représente un intervalle de temps de presque un millénaire, et une bonne illustration du développement des cultures Hamangia et Varna, qui se présentent de la manière suivante : - Hamangia ancienne (phases I, II) – Néolithique récent - Hamangia III – début du Chalcolithique - Hamangia IV – Chalcolithique moyen, période de transition évolutive - Varna – Chalcolithique final Le cadre chronologique absolu des étapes culturelles est présenté ci-dessous (Bojadzhiev 2002a, 67) : - Hamangia I - II 5250/5200 - 4950/4900 cal. BC - Hamangia III 4950/4900 - 4650/4600 cal. BC - Hamangia IV 4650/4600 - 4550/4500 cal. BC - Varna I 4550/4500 - 4450/4400 cal. BC - Varna II-II 4450/4400 - 4250/4150 cal. BC La collection en silex de Durankulak, soumise à l'analyse tracéologique compte 184 artefacts dont 112 (60 %) avec des fonctions identifiées. Cela fait au total 133 sépultures étudiées (tabl. 1). L'analyse tracéologique a été effectuée à l'aide des microscopes MBS 10 (x100) et METAM P1 (x400). En ce qui concerne la confusion et l'opposition entre les déterminations des sépultures qui s'appuient sur la composition du mobilier et qui sont qualifiées d' « archéologiques », et les déterminations anthropologiques (un problème qui existe depuis toujours et qui est bien élucidé dans les travaux de Jeunesse 1997), je m'appuie sur les données publiées dans le catalogue de la nécropole (Todorova 2002). Ces données contiennent les identifications anthropologiques, si elles sont disponibles et dans le reste des cas - les déterminations archéologiques basées sur l'analyse méticuleuse du contexte : mobilier funéraire et l'agencement des structures sépulcrales. L'avantage pratique de ces données est qu'elles représentent une base standardisée et uniformisée pour la comparaison des résultats d'analyses supplémentaires. Le compromis méthodologique que j'ai fait un utilisant cette démarche est admissible, étant donné le fait que dans les cas des sépultures avec du mobilier en silex les confrontations entre les 2 types de déterminations ne sont qu'au nombre de 9. (d'après Sirakov 2002, fig. 14) Dans les tableaux que j'ai cré pour illustrer les résultats de l'analyse tracéologique les catégories anthropologiques des garçons et des filles sont associées respectivement à des hommes et des femmes. Les enfants et les nouveau-nés sont traités séparément. Pour la raison que l'étude fonctionnelle n'est pas complète (il y a des sépultures dont le mobilier en silex n'était pas disponible pour mon étude) on ne peut pas se permettre d'entreprendre une interprétation définitive et exhaustive. On peut néanmoins faire certaines constatations. - parmi les fonctions déterminées sur le total de pièces en silex de la nécropole les plus fréquentes sont la découpe de tissu carné (23 ex.); les armatures de faucille (15 ex.) et les pointes de projectile (flèche) (14 ex.). photo : M. Gurova Dans une moindre quantité sont présentées les fonctions comme la découpe de végétaux (roseaux) et le traitement de la peau (fig. 2); - les outils (typologiques et fonctionnels) associés uniquement à des inhumations masculines sont les microlithes géométriques. La majorité de ces pièces (10 ex.) proviennent des sépultures de Hamangia I-II (4 ex.) et Hamangia III (6 ex.) : cela veut dire du début de la séquence de la nécropole; - les armatures de faucilles (y compris les couteaux à moissonner) prédominent dans les sépultures féminines (8 ex.), mais il y en a aussi parmi les offrandes des hommes (5 ex.). À la différence des pointes de flèches, elles n'existent pas dans les sépultures du Néolithique récent, elles sont rares dans les sépultures de Hamangia III et IV (4 ex.) et beaucoup plus nombreuses pendant la phase Varna (11 ex.) qui correspond à la phase finale du Chalcolithique; - une fréquence pareille est valable pour les pièces servant à la découpe de tissu carné, mais contrairement aux armatures de faucilles, elles sont associées plutôt à des sépultures masculines (11 ex.) que féminines (6 ex.); - à Durankulak il n'y a pas de « super lames » de 30 cm environ ou plus de longueur comme celles présentes à Varna. Il y a néanmoins 3 lames assez grandes et représentatives (entre 25 et 30 cm) dont 2 font partie du mobilier masculin (tombes 597 et 977), tandis que la troisième provient d'une sépulture féminine (tombe 1162; fig. 3). (d'après Sirakov 2002, fig. 16) Quant au ratio entre le nombre des artefacts en silex présentés et celui des pièces utilisées, la situation de Hamangia I-II est très proche de celle de Hamangia III. La période Hamangia IV se caractérise par une réduction quantitative du silex, mais à l'inverse, le nombre et le pourcentage des pièces usitées augmentent sensiblement (de 41 % à 71 %). Ce taux est identique pendant la phase finale du Chalcolithique Varna, qui marque en plus une augmentation proportionnelle du nombre de sépultures avec du mobilier en silex, des pièces en silex et des pièces utilisées. Il y en a 5 fois plus par rapport à l'étape précédente de Hamangia IV (Gurova 2002, 253-254). Il me semble intéressant de présenter ici la répartition de soi-disant « outillages/nécessaires de tailleur de vêtements », a priori attribués à l'activité assez particulière et plutôt féminine (le terme et l'interprétation provisoire sont introduits par l'inventeur de la nécropole, H. Todorova). Un tel outillage consiste d'habitude en 3-4 types d'objets : artefact(s) en silex, poinçon (parfois aiguille) en os, petit galet (lissoir) en pierre et coquillage, mis dans un vase en céramique (fig. 4). Ces outillages sont au nombre de 51 et sont relevés dans 50 sépultures (dans la sépulture 518 il y en a 2). La détermination culturelle des outillages est la suivante : Hamangia IV – 8, Varna – 42; tandis que la détermination sexuelle et de l' âge est ainsi : homme – 13, femme – 27, enfant – 3, cénotaphe – 7. Illustration : M. Gurova (adaptée du catalogue publié dans H. Todorova 2002, 2/2) En effet cet outillage ne représente pas un complexe cohérent : tout d'abord il y a la variation des différents composants. La combinaison la plus fréquente et stable consiste en une pièce de silex (le plus souvent une lame) et une aiguille en os. Cela semble être bien logique théoriquement et surtout dans une optique présumée que cet outillage représente un « nécessaire » contenant des outils efficaces : on sait qu'une lame en silex est un outil multifonctionnel, dont l'efficacité est concrètement complétée par un outil perçant comme une aiguille en os. Les artefacts en silex de ces outillages comptent 39 pièces dont 33 possèdent de traces d'utilisation. L'analyse plus détaillée de cet outillage a montré la variabilité fonctionnelle des éléments en silex (tabl. 2). Il est évident qu'il s'agit d'un outillage associé plutôt aux inhumations féminines et surtout au contexte de la culture Varna. Il est évident aussi qu'il n'y a pas de fonction prédominante au moins parmi les artefacts en silex. Les actions les plus fréquentes sont longitudinales, sciage et découpe, suivies par le grattage et rarement le perçage. Quant aux matières travaillées, les plus courantes sont les tissus carnés, suivies par le bois végétal et les céréales. On peut constater que le traitement de la peau est bien représenté : il s'agit de différentes opérations et étapes de travail sur cette matière. La présence des armatures de faucille et des outils pour le traitement du bois complètent ce spectre des activités, liées aussi bien à la sphère domestique quotidienne (« household »), qu' à la sphère de subsistance proprement dite – la moisson de céréales. Même parmi les tombes d'enfants il y a 3 de ces assortiments, dont un (sépulture 423) « nécessaire de tailleurs de vêtements », qui comprend un artefact en silex utilisé pour le travail de bois végétal. Les usures assez hétérogènes des éléments en silex n'évoquent pas une quelconque fonction précise de cet outillage. C'est plutôt une combinaison d'objets extraits de leur contexte domestique pour répondre aux besoins rituels. Elle est donc chargée d'une signification sacrée, dans laquelle les paramètres quotidiens de ces composants perdent leurs valeurs proprement utilitaire et domestique (Gurova 2006, 4-5). Comment pouvons nous considérer et interpréter le sens originel de ces outillages ? Ils n'apparaissent qu'au sein des cultures Hamangia IV et Varna. On peut citer ici la conclusion d'un chercheur qui a été impliqué à chaque étape de travail sur la nécropole – Y. Bojadzhiev qui dit :. .. « les changements des rites funéraires à la fin de la culture Hamangia reflètent un grave et profond changement social, spirituel et d'un certain degré même ethnique, qui a émergé à cette époque -là » (Bojadzhiev sous presse). Dans cette optique on peut lancer au moins 2 interprétations vraisemblables de cet « outillage » : 1 - cet outillage pourrait signifier une parenté quelconque dans le cadre de la communauté. Cette hypothèse trouve une certaine confirmation dans la répartition spatiale particulière de ces outillages concentrés dans 3 regroupements majeurs au sud de la nécropole. Le fait que l'outillage prédomine dans les sépultures féminines pourrait être vu comme une tentative de souligner le statut des femmes menant la plupart des activités de la sphère domestique « household » ;2 - les outillages pourraient pourtant être considérés comme attribut de regroupement social ou professionnel des leurs possesseurs. Les composants des outillages suggèrent probablement une adhésion et/ou affiliation artisanale, où la distinction de l' âge et du sexe est parfois assez vague. Parce que si la guerre et la chasse sont encore considérées comme activités attribuables au domaine masculin, le début d'agriculture comme une priorité plutôt féminine, l'accomplissement des activités domestiques quotidiennes pourrait être considéré comme un privilège et une obligation communes et partagés. Beaucoup de productions artisanales sont connues au Néolithique récent et au Chalcolithique et dans ce sens les femmes, les hommes, aussi bien que les enfants peuvent être présumés comme producteurs de poterie, industrie en silex et os, etc. Différentes issues théoriques et même spéculations sont bien possibles sur le débat de la division sexuelle du travail et des activités préhistoriques. Ce sujet de discussion n'est pas le but de l'article et pour cette raison je me contente de citer la constatation faite dans le compte rendu des volumes de Durankulak : « The potential for re-thinking established sex and gender trends in mortuary treatment in the Neolithic Balkans is huge » (Bailey & Hofmann 2005, p. 221). Dans la plupart des nécropoles de la Bulgarie du NE le nombre des tombes d'enfants est considérablement inférieur au nombre des tombes d'adultes. La détermination précise de l' âge des enfants décédés est assez rare et la distinction des groupes Infans I et Infans II varie d'une nécropole à l'autre. En règle générale, les données anthropologiques fiables sur les nouveau-nés (jusqu' à 1 an) sont plutôt exceptionnelles. Cette situation factuelle est en contradiction avec la mortalité ordinaire des enfants à cette époque -là, qui est au plus haut chez les nouveau-nés et diminue graduellement avec l' âge. La nécropole de Durankulak nous offre une réponse plausible à ce paradoxe, issue du contexte même du terrain – l'utilisation d'une structure sépulcrale en pierre qui matérialise la fosse primaire. Cet aménagement des sépultures, y compris de nouveau-nés, en vigueur pendant la culture Varna, permet de constater la présence de tombes même s'il n'y a ni squelette, ni mobilier funéraire : un fait qui est très important relativement aux nouveau-nés et aux enfants dont les ossements sont les plus vulnérables aux altérations post-dépositionnelles. L'analyse du contexte funéraire à Durankulak montre que les enfants ont été inhumés dans la nécropole comme les autres membres de la communauté, mais le nombre et la densité des tombes d'enfants varient d'une phase à l'autre. Par exemple, le nombre des sépultures d'enfants enregistrées à Hamangia I-III est de 29 (5,8 %), et il augmente progressivement pendant les périodes suivantes de Hamangia IV et Varna. À la différence de Hamangia, durant la phase Varna les ossements de nouveau-nés sont sûrement attestés et identifiés, mais les cas semblables ne sont pas nombreux. L'analyse des sépultures en total montre un taux très élevé de sépultures d'enfants (40 %). Il faut pourtant souligner que la plupart d'entre eux ne possèdent aucun reste osseux et que l'identification repose sur les données contextuelles – caractère du mobilier et agencement de la structure sépulcrale (Bojadzhiev2001; 2003, p. 56-57). Presque la moitié des sépultures enfantines contiennent un certain spectre d'offrandes dans lequel on peut distinguer les catégories suivantes : - objets considérés comme habituels et ordinaires pour un enfant : les récipients en argile qui sont présumés contenir de la nourriture et des effets personnels, comme de la parure par exemple; - à part ces objets, du mobilier peut être moins naturellement attribuable aux enfants : ce sont des éléments d'outillages en silex, pierre taillée et os, parmi lesquels des outils utilisés. En règle générale les artefacts en silex sont (après la poterie bien sûr) parmi les objets les plus répandus dans le mobilier funéraire des enfants. C'est la raison pour laquelle on va se concentrer ici sur cette catégorie de mobilier. Les artefacts en silex sont rarement isolés dans le mobilier de la nécropole. C'est également valable pour les tombes d'enfants/nouveau-nés. Les combinaisons d'offrandes et d'effets personnels sont les moins nombreuses pendant les phases anciennes Hamangia I-III. Les plus nombreuses sont les combinaisons avec de la céramique. Pendant la phase Varna la diversité du mobilier funéraire augmente sensiblement, parallèlement à l'accroissement général du nombre des sépultures et de leur représentativité (sur le plan du mobilier et des pratiques funéraires). À Durankulak il y a 7 tombes identifiées par un anthropologue comme tombes de nouveau-nés (tombes 525, 531, 719, 724, 876, 1194, 1194A), mais aucune d'elles ne contient d'artefacts en silex. Il n'y en a pas non plus parmi les tombes d ' Infans I (1-7 ans), au nombre de 43. Le second groupe d ' Infans II (7-14 ans) contient certaines sépultures avec du mobilier en silex (tombes 154, 236, 358, 433, 559 et 649) qui représentent un taux de 20 % de la totalité des tombes de ce groupe (tabl. 3). En règle générale il faut souligner le fait que les sépultures des groupes Infans I et surtout Infans II sont les plus significatives du point de vue de la compréhension (et de l'interprétation) adéquate des sépultures d'enfants. À cause du squelette conservé (dont la position est d'habitude allongé sur le dos - pour les garçons, et replié sur le flanc droit – pour les filles) on peut concevoir la sépulture comme un ensemble clos et intact, offrant une image fidèle du rituel funéraire et de ses suggestions symboliques et spirituelles. D'autre part (et on aborde ici le problème qui mérite la discussion épistémologique) la démarche interprétative doit se limiter à la considération et à la corrélation des faits étudiés (dans ce cas les sépultures) pour qu'ils gardent leur valeur adéquate au sein du contexte funéraire global. Le tableau 3 montre le ratio 4/2 des tombes des différentes phases en faveur de celles de Varna. L'analyse des artefacts en silex révèle un petit assemblage hétérogène : les produits de débitage (lames et éclats bruts) aussi bien que les outils retouchés sont présents. Les usages déterminés sont variés autant du point de vue des matières travaillées que des actions, mais néanmoins la découpe prédomine parmi les gestes effectués. Il n'est pas exclu, mais il n'est pas certain non plus, que ces outils aient été utilisés par les défunts de leur vivant. Les artefacts en silex sont attestés dans 8 sépultures sans ossements humains, mais les petites dimensions des structures sépulcrales en dalles de pierre incitent à les considérer comme des sépultures de nouveau-nés (tombes 415, 573, 700, 701, 716, 782, 234, 566) (tabl. 4 et fig. 5-1). Il est évident à l'examen du tableau 4, que dans le cas de nouveau-nés il n'y a pas de différence prononcée en comparaison des données déjà présentées pour les enfants du 2 e groupe : il y a une variété de types d'artefacts aussi bien qu'une variété de fonctions. D'autre part, il faut souligner que les tombes attribuées aux phases de Hamangia et, surtout Hamangia IV prédominent largement par rapport aux sépultures de phase Varna, un fait qui ne corrobore pas le ratio diachronique des autres catégories de sépultures (y compris de celles d'enfants). L'explication repose probablement sur des difficultés réelles à distinguer les sépultures de nouveau-nés, dénuées d'ossements. De même, il n'est pas exclu que pendant les phases les plus anciennes de la nécropole, il y ait eu une préférence particulière pour les objets en silex en guise de dépôts funéraires pour l'inhumation de nouveau-nés. Illustration : M. Gurova (adaptée du catalogue publié dans H. Todorova 2002, 2/2) Cinq sépultures (tombes 76, 217, 218, 365, 423) avec des artefacts en silex sont interprétées comme tombes d'enfants lato sensu sur la base des dimensions de la fosse sépulcrale, de la présence de petits fragments osseux (y compris de dents) et du caractère du mobilier funéraire disponible (tabl. 5 et fig. 5-3). Dans le contexte de la nécropole sont attestés 9 cas de découvertes d'artefacts en silex, soit isolés (tombes 50A et 837A), soit en combinaison avec d'autres types de mobilier : poteries (tombes 2A, 510A, 476A, 764A), parures (tombes 39A, 614A), les deux (tombes 571A). Malgré l'absence d'indices sûrs (ossements et construction sépulcrale), ces tombes sont interprétées dans la publication comme nouveau-nés/enfants (Todorova et al. 2002). D'un autre côté, il n'est pas exclu que certaines d'entre elles (et surtout les tombes de la phase Hamangia) soient des cénotaphes (Bojadzhiev 2004) (tabl. 5 et fig. 5-2). Malheureusement, et cela ressort de l'examen du tableau 5, l'information tirée des objets en silex de ces groupes de sépultures reste incomplète parce qu'un certain nombre des pièces n'ont pas été mis à disposition pour l'étude. L'analyse des artefacts en silex met aussi en évidence le fait qu'il n'y a pas une préférence prononcée vis-à-vis des types de pièces en silex sélectionnées pour être déposées dans les tombes d'enfants. En général les silex-offrandes ne varient pas considérablement en fonction de l' âge et du sexe des défunts. Il y a quand même 2 exceptions : les pointes de projectile et les très grandes lames qui n'existent pas parmi le mobilier des enfants. Il n'y a pas non plus un rapport direct entre les silex – offrandes et leur valeur utilitaire et domestique. Leur introduction dans le contexte mortuaire est évidemment chargée d'une connotation spirituelle et symbolique. Le mobilier funéraire (considéré de manière égale dans un sens quantitatif et qualitatif) permet de supposer que les enfants ont été l'objet de rites cérémoniels de la même manière que les adultes. Ce fait les rend, malgré leur mort prématurée, respectés et considérés comme les membres normaux des réseaux familiaux et sociaux auxquels ils appartenaient. C'est une conclusion assez générale et peu spectaculaire, mais elle est pertinente, parce qu'elle ne cherche pas à révéler de valeurs symboliques exagérées des faits extraits de leur contexte. Pour finir il est raisonnable de rappeler la conclusion d'un grand connaisseur du développement de la Bulgarie à la fin du Chalcolithique – John Chapman. Ses recherches le mènent à conclure que les nécropoles chalcolithiques de la Bulgarie de nord-est et leur mobilier funéraire représentent la plus forte et puissante « arène sociale » (Chapman 2000). Les offrandes mortuaires peuvent s'interpréter comme un ensemble d'objets qui transmet les relations et les conditions sociales. Notre objectif doit être de les dévoiler et de les élucider autant que possible. Chaque étude concrète sur le domaine mortuaire et funéraire pose des problèmes particuliers liés d'une part au contexte (pré) historique des documents archéologiques, et d'autre part au but et à l'ambition cognitive des chercheurs. Les sujets du culte et de la religion ont été depuis toujours abordés par les archéologues. Néanmoins, une analyse véritablement épistémologique, effectuée récemment par T. Insoll, montre que l'archéologie de la religion doit surmonter beaucoup de préjugés et de difficultés méthodologiques (Insoll 2004). C'est le cadre le plus général de la problématique. Depuis des décennies, dans les recherches sur les pratiques funéraires, un malentendu demeure et se reproduit : la détermination des sexes. Les déterminations qui s'appuient sur la composition du mobilier sont qualifiées d' « archéologiques » et elles s'opposent aux déterminations anthropologiques (Jeunesse 1997, p. 95). Ce problème a entraîné beaucoup de conséquences négatives, mais il persiste et, dans un certain sens, il semble être inévitable et insoluble. Différemment, mais sûrement les problèmes mentionnés ci-dessus se projettent sur l'interprétation des données de la nécropole de Durankulak, malgré le fait qu'elle est soigneusement fouillée et documentée (voir note 2). Même un objectif assez précis et modeste - révéler les caractéristiques fonctionnelles d'un des éléments du mobilier funéraire, en l'occurrence, les silex – pose un faisceau de questions. La fonction des artefacts en silex du mobilier funéraire contient une dichotomie difficile à saisir et à expliquer de manière adéquate. L'analyse tracéologique (comme outil fiable de diagnostic) révèle la fonction utilitaire (= réelle et/ou profane) des pièces. Au-delà de cette approche fonctionnelle reste le problème de l'autre versant de la fonction – la fonction symbolique et/ou sacrée. La compréhension de cette dichotomie et son interprétation correcte requièrent beaucoup plus que la singularisation fonctionnelle des pièces. Elles exigent une approche approfondie, systématique et contextuelle montrant la relation entre tous les éléments du mobilier afin d'explorer le système sémiologique auquel elles se réfèrent .
L'article fait le point sur la problématique dévoilée par une des nécropoles bien connues de la Bulgarie du nord-est, celle de Durankulak, l'unique qui soit étudiée et publiée entièrement. Sur la base empirique de la détermination fonctionnelle des mobiliers funéraires en silex, fondée sur l'analyse des traces d'utilisation des artefacts, quelques observations et réflexions sur la valeur cognitive de mobilier en silex sont présentées à propos d'objets de silex rituels provenant d'un contexte 'sacré'. Ces résultats sont intégrés dans le contexte des données interprétatives et révèlent la dichotomie des connotations fonctionnelles des offrandes lithiques dont la partie évidente la fonction utilitaire et profane - représente seulement une des trajectoires vers la considération adéquate de la valeur sémiologique du mobilier en silex dans le contexte mortuaire global.
archeologie_10-0215369_tei_308.xml
termith-82-archeologie
Cette tentative de mise au point concerne la France méditerranéenne à savoir la Provence, le Languedoc Roussillon et la vallée du Rhône en aval de Valence. Il s'agît d'une région à forte unité biogéographique aux paysages variés, parfois contrastés. L'unité est surtout donnée par le climat méditerranéen et la végétation, la limite septentrionale pouvant être donnée par l'aire de l'olivier et du chêne Kermès. Le Rhône et sa vallée sont à la fois une voie de communication naturelle et une frontière culturelle sinon naturelle dont il conviendra de discuter le rôle et la nature. Nos connaissances sur le Gravettien sont assez disparates au sein de ce vaste territoire et de valeur très inégale selon les régions considérées (fig. 1). La Provence, orientale surtout, et dont les affinités avec l'Italie sont évidentes, reste a priori la plus fournie. Le Languedoc présente des données concentrées en Languedoc oriental (est de la vallée l'Hérault), plus rares au-delà, et un grand vide entre la vallée de l'Aude et la Catalogne espagnole. La moyenne vallée du Rhône fournit des éléments d'inégales valeurs, provenant soit de fouilles déjà anciennes, voire récupérées dans des déblais (Le Figuier) ou encore des séries trop peu fournies pour être parfaitement caractérisées. La vallée du Rhône ouvre cependant des perspectives intéressantes par la présence de toute une série de petits sites stratifiés dans des limons lœssiques. Certains d'entres eux sont associés à des restes de Mammuthus primigenius comme les sites de Tayac ou des Lèches (Onoratini et al. 1999). Un autre, Le Bouzil, correspond sans doute à un habitat structuré qui n'est pas sans évoquer la découverte récente du site de La Treille à proximité de Nîmes, également stratifié dans des lœss. Indiscutablement, la Provence présente une séquence gravettienne, sans doute à fortes affinités avec l'Italie, révélée par Gérard Onoratini dès 1974. Nous n'hésiterons pas ici à faire référence à la Ligurie et, en particulier, à l'ensemble des grottes de Grimaldi. L'essentiel des données disponibles concerne un Gravettien moyen à burin de Noailles connu en stratigraphie à la Bouverie (couche 5A) avec une série assez pauvre de 90 outils dont seulement deux burins de Noailles (fig. 2). Le Gravettien moyen à Noailles est surtout présent sous la forme de toute une série de sites de plein air, comme La Cabre ou le Gratadis ou encore le Mal Temps et Les Gachettes 2. Le Gravettien à Noailles est également connu en Ligurie proche, en particulier à l'Abri Mocchi (couche D). G. Onoratini reconnaît également un faciès à Noailles et à pointes aréniennes et rares Noailles (5) dans le foyer G de la Grotte des enfants à Monaco (Onoratini et Da Silva 1978). Sans remettre en question la qualité des fouilles du chanoine de Villeneuve, on peut émettre quelques doutes sur l'homogénéité de séries aussi anciennes. Le Gravettien ancien reste par contre assez mal connu. Il n'est ancien à la grotte de la Bouverie (niveau 6 D, 84 outils et 6 A, 94 outils) que par sa position stratigraphique sous le Noaillen de 5A (fig. 2). Dans ces deux niveaux non datés, les grattoirs, parfois doubles, façonnés sur lame sont dominés par les burins. Les armatures constituent plus de la moitié de l'outillage : les microgravettes sont deux fois plus nombreuses que les gravettes, les lamelles à dos représentent le groupe majeur de la série. Les microlithes géométriques sont déjà présents sous la forme de triangles scalènes. Autre niveau attribué au Gravettien ancien, la série de couche 9 F de la grotte Rainaude, par l'abondance de pointes à dos, gravette et microgravettes, caractérisée et surtout des lamelles à dos (Onoratini et Combier 1999). Cette série, non datée, pourrait entrer, sur la seule base typologique, dans un Gravettien ancien à gravettes (et microgravettes). Ce stade ancien du Gravettien à pointes à dos (Gravettien indifférencié) se retrouve dans le niveau le plus profond de la couche D de l'abri Mochi (Df 3.6) ou les gravettes et microgravettes sont très abondantes, plus de 80 %, auxquelles s'ajoutent des lamelles à dos (5,5 %) et des lamelles à dos tronqués (4,6 %). On relèvera la rareté des grattoirs (0,9 %) et des burins (4, 6 %) (Laplace 1977). G. Onoratini souligne également l'existence d'un “faciès à pointe aréniennes, pièces à dos et fléchettes” à la Barma Grande et à la grotte des Enfants, couches H et I. La position des fléchettes de la Barma Grande n'est pas claire (fouilles de 1884…) et on sait que ce “fossile directeur” n'est pas absent de séries gravettiennes plus récentes que le seul Bayacien. Concernant les couches H et I de la grotte des enfants, elles semblent en fait un mélange d'Aurignacien et de Gravettien. La station des Gachettes est également rattachée au “Périgordien IV ”. La série, peu abondante (114 outils selon le décompte publié en 1982), comprend des gravettes (15 = 13,16 %), une microgravette, deux burins de Noaille et une série de pièces appointées (9 = 7,89 %) correspondant peu ou prou à la définition de la “pointe arénienne ”. Les lamelles à dos, la plupart tronquées, sont présentes (12,28 %) ainsi que les lames retouchées sur un ou deux bords (14, 91 %). Malheureusement, cet assemblage lithique, issu pour l'essentiel de ramassages de surface (labour), n'est pas daté. Le Gravettien supérieur provençal est surtout connu par le pauvre niveau 4 de la Bouverie (52 outils) et le niveau 3, plus riche (164 outils) qui marquerait la transition avec l'Epigravettien et serait, en quelque sorte, un “Proto Arénien ”. La pointe arénienne, rare durant le Noaillien, refait ici son apparition. La station de Bernucem, dans le Vaucluse, est également attribuée à un Gravettien terminal, rapproché du “Protomagdalénien ”, en raison du caractère élancé de l'outillage; les niveaux supérieurs de la Baume Bonne à Quinson (fouilles Bottet) procèderaient également d'un Gravettien terminal. Ainsi s'achève la séquence gravettienne, au sens strict, de la région provençale, séquence qui se perpétue sous la forme d'un Epigravettien, proche de l'Epigravettien italien, “l'Arènien” puis le “Bouverrien ”. Ces deux “cultures” dont nous pourrons discuter la pertinence, correspondent bien à l'Epigravettien ancien à foliacées des auteurs italiens pour l'Arénien ancien (pointes aréniennes) et à l'Epigravettien ancien à crans des mêmes auteurs pour le Bouverrien. L'Arénien a fourni un des rares jalons de chronologie absolue pour l'Epigravettien provençal avec la date réalisée à la demande de E. Bazile Robert (1981) sur les charbons de la couche 5 de Rainaude. Le résultat 20300 ± 400 BP (MC 2335) nous offre un synchronisme assez précis avec les industries du Solutréen Supérieur du Languedoc, à savoir le niveau D de la Baume d'Oullins (Bazile et Bazile-Robert 1979). Les crans disparaissent dans le “Bouvérien” supérieur, sans doute dès le début du Tardiglaciaire et le Bouverien va peu à peu s'enrichir en géométriques puis “s'azilianiser” au “Bouverien” moyen, se chargeant en grattoirs unguiformes. La tradition gravettienne persiste cependant même si les informations sur la technologie du débitage font défaut. Ce schéma est conforme, à quelques menus détails prêts, à celui connu en Italie. Sans anticiper sur nos conclusions, et en faisant abstraction des grottes de Grimaldi (à la référence, au demeurant pleinement justifiée) la séquence gravettienne, au sens strict de Provence, apparaît moins consistante que ne le laissent supposer les différentes publications sur le sujet. Le Noaillen, Gravettien moyen, reste l'élément principal, précédé d'un Gravettien ancien à pointes à dos, rares et pour lequel quelques datations absolues seraient hautement souhaitables. Le faciès à Noailles est absent de la Provence occidentale, comme d'ailleurs du Languedoc à l'opposé, du Vivarais, des gorges de l'Ardèche et du Chassezac. Le Gravettien moyen à burin du Raysse fait défaut même si on rencontre quelques burins-nucléus plan dans les séries du Noaillen (Le Gratadis). Le Gravettien supérieur demeure assez discret ou, plus vraisemblablement, sa différenciation avec l'Epigravettien ancien reste floue, faute de données chronologiques précises et de séries plus consistantes. La réalité de la séquence épigravettienne n'est pas contestable avec des stratigraphies plus complètes et des séries plus fournies. Là encore, les dates font défaut. Nous retiendrons une certaine unité stylistique du Gravettien (et Epigravettien) provençal à travers la retouche, faute d'indications technologiques. Cette retouche large, proche de la retouche aurignacienne, envahit fréquemment les grattoirs sur lame ainsi que les lames, souvent larges et relativement épaisses. Elle donne vraisemblablement un “certain style” au Gravettien méditerranéen. Jusqu' à ces dernières années, le Gravettien n'était connu que dans les gorges du Gardon, à la Salpêtrière (Escalon 1966) et dans le bassin de l'Aude, à la Crouzade et peut-être à la petite grotte de Bize (Sacchi 1976 et 1980); nous l'avons reconnu à la Balauzière (vers Pont du Gard) et avec moins de certitude à la grotte de Pâques (Collias, Gard), d'après les documents de la collection Bayol du Musée de Nîmes (Bazile 1977). Nous avons identifié le Gravettien en 1980 à la station de la Verrière (Pougnadoresse, Gard) et, avec moins de certitude, au Bois des Brousses à Aniane dans l'Hérault. Depuis nos précédentes mises au point (Bazile et Bazile-Robert 1979; Bazile 1981a et 1983), quelques éléments sont venus compléter et préciser des données assez disparates, comme la découverte et la fouille du site de plein air de la Treille à Manduel (Bazile et al. 2001 a et b). Le Roussillon reste, pour l'instant, vide de toute trace de Gravettien. Jusqu' à la fin des années 1990, les plus anciennes traces de Gravettien étaient connues à la Salpêtrière, dans la couche 32A du grand témoin Bayol (Escalon 1966); ce niveau n'a fourni que trop peu de matériel pour pouvoir être identifié avec certitude; il s'agit sans doute d'un Gravettien déjà évolué (une pointe à cran atypique), interstratifié entre deux niveaux d'industries indéterminées (Aurignacien tardif ?), tous aussi pauvres. Un niveau plus riche existait dans la couche 30 O-P précédant “l'Aurignacien évolué et terminal ”, dans le centre de la grotte. L'industrie n'est pas très abondante (une cinquantaine d'outils), mais suffisamment caractéristique pour être identifiée à un Gravettien déjà évolué. Les burins sont nombreux (IB = 35,29), les burins sur troncature (IBt = 15,68) dominent les burins dièdres (IBd = 13,72). Les grattoirs sont peu abondants (IG = 11,76), représentés surtout par des grattoirs sur bout de lame simple. Les pièces à dos sont en pourcentage notable avec cependant une seule gravette, des tronçons de lamelles à dos ou de microgravettes (13,72 %) et plusieurs lamelles à dos tronquées (7,84 %). L'élément le plus original de la série reste des pointes à cran et dos adjacent, dont des exemplaires semblables existent dans la collection Sallustien, conservée au Musée de Montpellier. p. Ambert (1994) a signalé un exemplaire comparable dans la grotte de Caramao, à Montesquieu dans l'Hérault. Il faut encore noter plusieurs pédoncules cassés, interprétés à l'époque comme d'éventuels pédoncules de pointes à soie, ce qui conduisait à classer cette industrie dans un “Périgordien V” à pointe de la Font-Robert. Une première date sur os, LY 944 : 20 800 ± 460 BP, obtenue dans les années 1970, semble trop récente. Nos travaux ultérieurs dans le secteur centre-ouest de la Salpêtrière ont permis de retrouver un niveau relativement pauvre (couche E1 du Porche – centre) et sur une surface limitée (sondage) mais dont l'attribution au Gravettien ne pose pas de problème. Depuis, ce niveau a été reconnu mais non fouillé sur une cinquantaine de mètres carrés. L'outillage comprend principalement des burins, dièdres et sur troncatures, des grattoirs dont un grattoir sur éclat large à retouches bifaces, quelques lames retouchées et quelques pièces à dos (tronçons de lamelles à dos et de microgravettes, gravettes); l'élément le plus caractéristique de cette petite série est une pointe à dos et cran adjacent, d'un type comparable à celui des pointes à cran de la couche 30 O des fouilles M. Escalon de Fonton. Les données paléo-environnementales (Bazile 1999 et une datation absolue (MC 2450 : 22 350 ± 350 BP) permettent de préciser la positon chronologique du Gravettien de la Salpêtrière dans un stade froid du Pléniglaciaire (Heinrich 2). La corrélation avec la couche 30 O (Gravettien supérieur à pointes à cran) des fouilles Escalon de Fonton paraît probable : les deux niveaux occupent une position stratigraphique comparable, antérieure à “l'Aurignacien évolué” (Pontigardien) ici daté (couche C1) de 21 350 ± 350 BP (MC 2388); enfin, la composante des sédiments paraît identique (sable éolien peu caillouteux pour 30 O); la présence de pointes à cran et dos adjacent dans les deux niveaux pourrait être un argument supplémentaire. - Le gisement de plein air de la Verrière est situé sur la commune de Pougnadoresse à proximité de sa limite avec la commune du Pin, 1 250 m environ à l'ouest de ce dernier village. L'industrie lithique, révélée par des travaux agricoles, est stratifiée dans une formation colluviale en tête du thalweg du ruisseau de Crouzas, petit affluent en rive droite de la Tave (Bazile 1983). La série étudiée apparaît homogène, sur le plan physique, du moins; quelques différences de coloration peuvent s'expliquer par l'utilisation de deux matières premières (rognons du Turonien et silex en plaquettes du Sannoisien), mais également par la position de l'industrie dans le profil du sol fersiallitique qui affecte la formation quaternaire. Les silex rencontrés dans l'horizon BCa possèdent une patine bleutée alors que ceux provenant des horizons Bt un cortex d'altération plus prononcé, blanc-beige, identique à celui du matériel lithique de nombreuses stations du Languedoc, néanmoins les possibilités d'un mélange ne sauraient être totalement exclues. L'industrie a fait l'objet d'une révision récente dans le cadre d'une maîtrise à l'Université de Provence (Terme 2002). Les outils à dos abattus sont nombreux, avec des pointes de la Gravette (9,8 %), des microgravettes (4,37 %), des lamelles à dos (2,18 %) et quelques fragments de lames à dos. Les gravettes sont typiques, quoique fragmentées, avec souvent des retouches plates inverses à la pointe et à la base (variété des Vachons); nous ferons une mention particulière pour une pointe présentant un cran peu marqué sur plus de la moitié de la longueur, qui l'assimile aux pointes à cran et dos adjacent plutôt qu'aux pointes à gibbosité. Les burins restent la classe dominante de l'outillage (IB = 26,34) avec une majorité de burins sur troncatures retouchées (IBt = 12,90). Les burins sur troncatures sont variés et parfois multiples, ils montrent fréquemment des enlèvements plans; certains, plans et multiples, sur éclats courts ou sur bloc, sont dans l'esprit des burins du “Raysse ”. Signalons également des burins multiples mixtes et un burin transversal sur encoche. Enfin, il faut souligner l'absence totale de burins de Noailles. Les grattoirs représentent 10,20 % de l'outillage avec une assez forte proportion de grattoirs épais (10), carénés, à museau ou à épaulement; les grattoirs sur lame retouchée (2,18 %) sont de belle facture, avec une retouche large, assez comparable à celle connue dans la “lignée gravettienne de Provence ”. La présence de grattoirs épais peu paraître ici surprenante bien que ce type d'outils ne soit pas absent de séries gravettiennes (Villerest). Pour neuf d'entre, eux (sur 10), il s'agit vraisemblablement de nucléus à lamelles (Terme 2002). Les lames retouchées sur un bord (6,55 %) et sur les deux bords (6,55 %) sont bien représentées avec quelques lames appointées ou des pointes de types divers (2,18 %) correspondant peu ou prou à la définition de la pointe arénienne. L'industrie de la Verrière peut être classée sans problème dans un Gravettien supérieur ou terminal voire à la transition Gravettien/Epigravettien. dont les caractéristiques principales sont une bonne représentation des outils à dos abattu et l'abondance relative des lames retouchées avec quelques lames appointées ou pointes dont certaines évoquent “l'Arénien provençal ”. On retrouve ici certains traits spécifiques à la Provence (pointes “aréniennes” et lames retouchées, retouches larges sur les grattoirs. Cette attribution pourrait nuancer le rôle du Rhône comme frontière culturelle à la fin du Pléniglaciaire. - L'abri du Bois des Brousses est un petit gisement de la moyenne vallée de l'Hérault situé sur la rive gauche de la rivière à la sortie des gorges, en amont du Pont du Diable (Bazile 1981a). Nous y avons mis en évidence un niveau d'habitat très diffus (niveau 3) attribué avec réserves à un Gravettien supérieur. L'industrie est très pauvre avec seulement une trentaine d'outils pour autant de pièces de débitage sans nucléus; elle comprend des burins de types divers principalement sur troncatures et des burins multiples mixtes, des pièces à dos, dont une véritable pointe de la Gravette et surtout des micropointes à dos relativement mince. L'élément le plus original est représenté par trois pointes à cran dont l'une à cran long n'est pas sans rappeler les pointes de l'Epigravettien provençal (“ pointe de La Bouverie”). L'industrie du niveau 3 (non datée), reste difficile à situer sur le plan chronologique; elle appartient très vraisemblablement à un Gravettien tardif, voire final, qui paraît un peu se démarquer de l'industrie de la Salpêtrière et de la Verrière. - La Treille à Manduel. L'habitat de plein air de La Treille à Manduel (Gard) est l'acquis le plus récent sur le Gravettien languedocien. Fouillé durant l'été 2000, dans des conditions proches du sauvetage, ce gisement à structures conservées, le premier révélé pour le Gravettien en Languedoc oriental, apporte des éléments qui autorisent de nouvelles perspectives sur le Gravettien. Le gisement est situé à 7 km au nord est de Nîmes, au sein de la dépression fermée de Manduel, en Costière du Gard, un ancien étang asséché durant l'Antiquité. La stratigraphie montre plusieurs occupations dont, principalement, des vestiges du Haut Empire, remaniés par les labours, un habitat (?) de l'Age du Fer stratifié dans un sol hydromorphe (0,70 m) correspondant à l'ancien étang, et un niveau du Paléolithique Supérieur dans les lœss sous jacents, ici peu épais (0,90 m). L'ensemble repose sur des cailloutis siliceux plus ou moins concrétionnés, de petit module. Un des éléments remarquables du site réside dans la présence de structures et quatre mois de “fouille programmée” ont permis le décapage d'une “unité d'habitation” plus ou moins circulaire, en cuvette légère, d'environ 150 m 2, et organisée autour d'un unique foyer, le foyer F7. On rappellera à cet égard, la rareté des habitats de plein air gravettiens en France, et même en Europe occidentale. L'habitat présente également plusieurs groupements de galets, la plupart du temps fragmentés par la chaleur et en général attribués à des “vidanges” ou rejets de foyers. L'analyse dans une perspective dynamique est en cours (remontages nombreux) grâce au prélèvement intégral des témoins minéraux bruts ou chauffés, préalablement localisés sur photos numériques et cotés en NGF (environ 5 000 galets). L'étude préliminaire de l'industrie (fig. 3 et 4) confirme bien son appartenance à un Gravettien sans outils spéciaux et que nous aurions tendance à rapprocher d'un Gravettien ancien de type “Périgordien IV” comme, par exemple, le niveau 5 de l'abri Pataud, à savoir un Gravettien indifférencié à gravettes seules, selon les propositions de Djindjian et Bosselin (Djindjian et Bosselin 1994). Malheureusement, aucune datation absolue n'est venue confirmer cette attribution. Une tentative sur des charbons attribués à Picea/Abies, donc traduisant bien un stade froid du Paléolithique supérieur, s'est soldée par un échec. Le résultat, 13 292 ± 77 BP (Erl. 6203) est peu compatible avec les caractères de l'industrie recueillie. Les gravettes (et microgravettes) sont relativement abondantes (16 %) ainsi que les burins majoritairement dièdres (15 %), l'emportant sur les burins sur troncatures (11 %). Il n'y a pas de burin de Noaille. La part des grattoirs sur lames non retouchées, de bonne facture, n'est pas négligeable (13 %). On note également un effectif important de lamelles à dos (26 %) et quelques outils divers comme les perçoirs, dont des micro-perçoirs, et de rares troncatures. On signalera également d'assez nombreux outils sur galet (quartzite) de la Costière, principalement des “choppers ”. La présence de cet “outillage lourd” n'est sans doute pas fortuite et doit être mise en liaison avec la fonction du site. Malgré l'absence de faune, digérée par la pédogenèse, on ne peut s'empêcher de penser au traitement de produit de la chasse et plus particulièrement d'animaux de grande taille. Cette industrie se démarque assez nettement du Gravettien languedocien, rare et plutôt final, à pointes à crans (La Salpêtrière) ou à lames retouchées et appointées (La Verrière), proche du Gravettien final provençal (Bazile 1983). Elle se démarque également de la majorité des industries provençales, largement dominées par le “Noaillien ”, sauf les niveaux de base de la Bouverie et la station des Gachettes (Onoratini 1982). Les comparaisons sont relativement difficiles, en l'état de la documentation disponible (Onoratini et al. 1999), avec les gisements de plein air de la moyenne vallée du Rhône comme, par exemple, la station des Lèches (Soyons). Il est prématuré de se prononcer sur la nature et le statut du site de La Treille. Cependant, la caractérisation du type d'habitat sera sans doute possible, malgré l'absence de faune qui représente un handicap certain, mais non insurmontable. L'impression générale reste celle d'un campement “léger” avec peut-être une fonction répétitive (chasse ?), et non d'un habitat “lourd” pour ne pas employer les termes de sites de concentration ou d'agrégation. Cependant, cette “unité d'habitation ”, seule reconnue faute d'un décapage plus extensif (limité à 400 m 2 seulement), n'était sans doute pas unique dans la dépression de Manduel. Sous réserve des études en cours, le site de la Treille renouvelle nos connaissances sur le Paléolithique du Languedoc rhodanien avec la possible mise en évidence d'une phase ancienne du Gravettien qui pourrait s'inscrire dans la fourchette 28 000/26 000 ans BP. Nous n'en sommes pas surpris et, dans un travail récent (Bazile 1999c), nous avions souligné le caractère lacunaire de la “séquence de référence” de la Salpêtrière avec un “trou” de presque 6 000 ans entre l'Aurignacien de CG5/SLC4 (28 000 BP) et le Gravettien à pointes à cran des couches 30 O-P = E (22 000 BP). Cependant un âge plus récent, Gravettien supérieur post Noaillien ne peut en l'état, faute de datations absolues fiables, être totalement écarté. La Treille représenterait néanmoins le plus ancien Gravettien du Languedoc oriental. A l'ouest de l'Hérault et jusqu' à la Catalogne espagnole, le Gravettien reste une industrie rarissime. Nous avons déjà signalé la pointe à cran isolée de la grotte de Caramao à Montesquieu dans l'Hérault, identique aux pointes de la Salpêtrière (Ambert 1994). Ce témoin très isolé pourrait exprimer une certaine insuffisance des recherches au-delà de la vallée de l'Hérault. Restent les quelques témoins du bassin de l'Aude, la Crouzade et sans doute la petite grotte de Bize (Sacchi 1976 et 1986). La présence ici de rares fléchettes (une fragmentée à Bize et deux à La Crouzade) pose la question de l'existence d'un éventuel Gravettien ancien (Bayacien), bien isolé cependant des sites de la région des Eyzies, La Gravette et Pataud. Les fléchettes existent de façon sporadique dans de nombreuses séries, comme par exemple, à la Vigne Brun (32) dont 12 dans l'Unité OP10, accompagnée de quelques pointes pédonculées (Pesesse 2003). - L'après Gravettien en Languedoc. Il convient d'aborder succinctement, en dernier lieu, la question des industries de la Salpêtrière situées entre le Gravettien et le Solutréen ancien (couche 30 N à 30 A) et attribuées par M. Escalon de Fonton (1966) à un Aurignacien évolué et terminal. L' âge et la position stratigraphique de ces séries, au demeurant assez pauvres, sauf 30 A, ne posent pas problème. Elles sont postérieures au Gravettien de 30 O-P = E (MC 2450 : 22 350 ± 350 BP) et vraisemblablement à situer dans le même ensemble chrono-climatique froid et sec. Faune, végétation et sédiments (actions éoliennes fortes) s'accordent sur ce point. Plusieurs datations absolues, déjà anciennes (datations conventionnelles à écarts statistiques forts) confirment cette attribution, situant “l'Aurignacien évolué et terminal” de la Salpêtrière dans la fourchette 22 000/20 000 BP : Couche 30 A : Ly 942 : 20 630 ± 770 BP Couche 30 E : Ly 943 : 21 760 ± 490 BP Couche 30 A : Ly 942 : 20 630 ± 770 BP Couche 30 E : Ly 943 : 21 760 ± 490 BP Couche C1 : MC 2 338 : 21 250 ± 350 BP Ces industries occupent donc la position chronologique d'un Gravettien terminal (Protomagdalénien, par exemple) ou d'une “industrie intergravetto-solutréenne” au sens de Djindjian (1999). On peut sur ce point évoquer, pour demeurer en France, la séquence de l'abri Casserole, niveau 9 et 10 qualifiés de Protosolutréen. (Zilhao et al. 1999). Qu'en est-il de la Salpêtrière ? Les séries examinées, sauf 30 A retrouvée lors de nos propres travaux, sont très réduites et limitées à l'outillage typologiquement défini. Elles ont toutes en commun un “style aurignacien” : lames larges, grattoirs épais, retouches des supports bien développées mais assez irrégulières, absence d'outils à dos marqué, sinon profond. L'outillage lamellaire, peu abondant, comprend des grandes lamelles, assez larges, souvent tronquées, à retouches latérales alternes ou alternantes, directes ou inverses semi-abruptes (dos marginal) qui correspondent peu aux nucléus/grattoirs carénés des séries disponibles. En l'état, il est difficile d'assimiler ces séries manifestement tronquées de leur débitage, à un “protosolutréen” ou à un Epigravettien au sens de l'Epigravettien provençal ou italien. Pour répondre à une question implicite d'un article précité (Zilhao et al. 1999), nous soulignerons l'absence de toute “pointe de Vale Comprido ”. En attendant la reprise, possible (environ 100 m 2 potentiels), de la fouille de ces niveaux à la Salpêtrière, nous préférons conserver une position d'attente pour ces industries complètement coupées de la séquence aurignacienne régionale (6 000 ans…). Nous avons proposé dans une synthèse récente (1999) de les individualiser sous le terme de “Pontigardien ”, également en vocabulaire d'attente, en espérant pouvoir disposer (enfin) de séries plus abondantes (incluant le débitage) pour une meilleure caractérisation de ce technocomplexe. L'analyse de ces quelques données, permet de mieux cerner la question du Gravettien en Languedoc, qui demeure, malgré la fouille récente de La Treille, une industrie relativement rare. Il faudra s'interroger sur les raisons de cette rareté qui s'accroît vers l'ouest pour devenir un vide complet au-delà de la vallée de l'Aude. Mis à part La Treille, au droit de l'axe rhodanien, qui pourrait procéder d'un stade plus ancien restant à préciser, l'ensemble des éléments disponibles indiquerait un peuplement tardif, voire terminal. On doit pouvoir situer le Gravettien de la Verrière dans une phase tardive et il paraît en être de même pour l'industrie de la couche 30 O-P de la Salpêtrière. La datation absolue de la Salpêtrière (couche E) confirme le caractère récent de l'industrie de 30 OP. Pour le Bois des Brousses, nous manquons encore de précisions chronologiques, mais là encore, l'abondance des micropointes à dos, la présence de pointes à cran semblent signer un stade tardif du Gravettien, voire un Epigravettien. L'absence du Gravettien à burins de Noailles en Languedoc oriental (et occidental), à l'inverse de la Provence orientale et du Vivarais pose un réel problème. Nous y reviendrons. Rappelons cependant la présence d'un burin dans “l'esprit Noaille” à la Balauzière, quelques centaines de mètres en aval de la Salpêtrière, du Pont du Gard ainsi qu' à la grotte de Pâques, à Collias, également dans les gorges du Gardon (Bazile 1977 et 1983). Le Vivarais, que l'on peut grossièrement assimiler au département actuel de l'Ardèche, occupe une position intermédiaire entre le Massif central et la vallée du Rhône. Sa partie méridionale, présente des plateaux calcaires (plateau Urgonien de Saint-Remèze et plateau jurassique des Gras), en continuité avec les garrigues languedociennes, entrecoupés par les gorges de l'Ardèche et de son affluent le Chassezac. Plusieurs gisements des deux canyons montrent la présence d'une occupation gravettienne, sans doute importante, mais avec des données de valeurs inégales. Un autre ensemble, installé en bordure de la vallée du Rhône, comporte essentiellement des sites de plein air tout au long d'une zone lœssique plus ou moins continue depuis la région de Lyon. La Grotte d'Oullins. Située au milieu du canyon de l'Ardèche à mi-distance de Vallon Pont d'Arc et de Saint-Martin, cette vaste cavité s'ouvre en rive droite à 180 m d'altitude non loin de la bordure du plateau. Les recherches conduites en 1958 par Jean Combier ont montré une stratigraphie très complète comprenant en outre un niveau Gravettien interstratifié entre un horizon du Paléolithique supérieur ancien indéterminé et une série solutréenne. Ce niveau qualifié alors de « Périgordien final » de faciès Rhodanien était constitué de trois minces strates (3, 4, et 5) qui renfermaient respectivement 71, 58 et 170 éléments de silex taillés, de petite taille, attribués à la même culture. L'outillage pauvre (67 outils tous niveaux confondus) est de type assez microlithique, façonné sur lames courtes et lamelles. Les outils communs, grattoirs et burins sont peu abondants. Les pièces à coches sont plus nombreuses sur lamelles ou éclats ainsi que les lames retouchées. Les armatures sont l'élément caractéristique (17 éléments) avec des gravettes et des microgravettes, des lamelles à dos et quelques micropointes à cran. On remarque la présence du microburin et de microlithes géométriques : le triangle. Le caractère particulier hypermicrolithique de l'outillage (surtout de celui de certaines armatures) avait conduit J. Combier à distinguer ce faciès sous le terme de « rhodanien » et à le rapprocher des outillages du Noaillien méditerranéen, tel celui de la couche D de l'Abri Mochi (Combier 1967). La grotte du Figuier (fig. 5). La grotte du Figuier est située en rive gauche de l'Ardèche presque à la sortie du canyon inférieur des gorges, dix kilomètres en amont de la confluence de la rivière et du Rhône. Le remplissage comportait certainement un niveau gravettien sous un niveau solutréen ancien dans lequel fut découvert, en 1947 par p. Huchard et A.Obenich, une tombe d'enfant. En effet le tamisage des sédiments remaniés a fourni à p. Madelain une série de petits burins de Noailles caractéristiques, quelques pointes de la Gravette et des microgravettes (Madelain 1976). Ces quelques pièces confirment bien l'existence d'un habitat gravettien dans la cavité. La sépulture, située à la base du Solutréen ancien et dont l'outillage associé comportait une pointe de la Gravette, pourrait être liée à cet habitat gravettien. L'Abri des Pêcheurs. L'abri des Pêcheurs, situé dans la vallée du Chassezac, s'ouvre sur la commune de Casteljau à 30 m d'altitude au-dessus de la rivière. La petite cavité a été fouillée dès 1974 par G. Lhomme livrant une séquence stratigraphique importante avec plusieurs niveaux du Paléolithique supérieur superposés à des niveaux moustériens. L'outillage des “sols” F6-F7 montre (sous un niveau solutréen à pointe à face plane, pauvre) la présence d'un faciès gravettien à tendance microlithique accusée. On remarque des microgravettes très effilées, de petites pointes à soie difficilement assimilables à des Font-Robert typiques, des pointes à cran et surtout une série de petits burins de Noailles dont plusieurs assez épais (Lhomme 1976 et 1977). La Grotte du Marronnier. La grotte du Marronnier est située en rive gauche de l'Ardèche, en aval du cirque de la Madeleine (Onoratini et al. 1992). Les fouilles, essentiellement réalisées en 1969 par H. Lucot et son équipe, ont révélé un niveau d'habitat unique, épais de 10 cm en moyenne, avec plusieurs zones cendreuses de foyers, parsemés de nombreux galets de l'Ardèche. Dans la partie ouest du gisement, le niveau d'habitat principal (couche 1) surmontait un limon fin (couche 2) et un cailloutis (couche 3) qui constituaient le remplissage d'une petite fosse ocrée contre la paroi ouest. Cette fosse contenait quelques restes humains fragmentaires. La parure, relativement abondante, constituée uniquement de coquilles marines méditerranéennes, était principalement associée aux restes humains. L'outillage lithique comprend 120 outils pour quelques centaines de pièces débitées (fig. 5). Les burins dominent les grattoirs avec un indice de burins sur troncature retouchée supérieur à celui des burins dièdres. Les armatures à dos sont l'élément dominant; on y distingue de nombreux spécimens tronqués et des pointes de la Gravette et des microgravettes. Il faut remarquer enfin la présence, en très faible pourcentage, de burins de Noailles, du burin du Raysse et de pointes à cran de type méditerranéen. Les auteurs signalent en outre la présence dans cet outillage de plusieurs couteaux de Kostienki typiques (en cours d'étude et non figurés). Cet assemblage lithique est rapproché du “complexe gravettien méditerranéen à burins de Noailles” et, plus particulièrement, des niveaux 6 à 4 de la Bouverie (Onoratini 1982). Le débat n'est pas tranché sur la technique de Kostienki (technique ou outil spécifique) et son utilisation en terme d'influence est sans doute abusive en l'état des connaissances. Des traces de Gravettien existaient aussi dans d'autres cavités du canyon, notamment dans la grotte des Huguenots à Vallon-Pont-d'Arc où, sous deux niveaux magdaléniens, il est signalé des traces d'occupation gravettienne avec un fragment de gravette et deux burins sur troncature retouchée dont un spécimen fin de petite taille, rapproché des burins de Noaille (Onoratini et Joris 1995). Ces gisements de plein air, la plupart du temps très pauvres, certains anciennement découverts, ont fait l'objet d'une révision il y a une dizaine d'années (Onoratini et al. 1999). Ils ont tous en commun une industrie à affinités gravettiennes et pour trois d'entre eux, une association à des restes de Mammuthus primigenius, le plus évident étant le site des Lèches à Soyons. Nous les examinerons du nord au sud. La plus septentrionale est la station de Méret (Toulaud) découverte en 1945, à quelques kilomètres au nord de Soyons. Nos informations sur l'industrie sont réduites. Elle comprend d'assez nombreux grattoirs sur lames allongées souvent retouchées, des burins, des pointes de la Gravette, d'une pointe de la Font-Robert, une des rares connue dans l'aire concernée, et d'une pointe à cran. Un peu plus au sud, à l'ouest du village de Soyons, au quartier de Jaulan, les déblais de la construction d'une habitation livrèrent en 1982 quatre molaires de Mammuthus primigenius quelques restes osseux et une lame à bord abattu partiel. Le site appartient vraisemblablement au Paléolithique supérieur mais ne peut être attribué avec certitude au Gravettien. Il pourrait cependant constituer le prolongement du gisement des Lèches situé 200 m à l'est. Le site des Lèches, à Soyons, dans le quartier des Lèches, est plus consistant. C'est à l'occasion du creusement d'une cave que fut découvert en 1985 un fragment osseux dans le lœss. Un sauvetage sur 10 m2 réalisé par Gérard Dalpra en 1986, dans le soubassement de la villa, a mis en évidence les restes morcelés d'un Mammuthus primigenius, avec une partie du crâne comportant les deux molaires, les défenses, la mandibule avec ses deux molaires, l'atlas, plusieurs vertèbres en connexion, des côtes et deux calcanéums. Certains ossements et en particulier une côte, portent des traces très profondes de découpe. L'outillage très réduit se compose d'un fragment de pointe à face plane, d'un fragment de petite lamelle à dos, d'une lame retouchée et denticulée, d'un éclat de calcaire siliceux utilisé et d'une lame courte épaisse et tronquée. Il semble pouvoir néanmoins se rattacher à la culture gravettienne au sens large. Nous sommes vraisemblablement en présence d'une aire de dépeçage de mammouth (“ kill butchering site”), rappelant les sites d'Europe centrale et orientale. La station de Tayac, découverte en 1938 à Saint-Georges-les-Bains, pourrait procéder du même type de gisement avec l'association de restes de Mammouth et de quelques lames retouchées (trois lames à proximité d'une articulation d'os long). Une fouille (P. Paya) conduisit à la découverte d'un crâne avec ses deux défenses, d'une mandibule inférieure et de plusieurs ossements, dont des éléments fracturés, associés à un gros galet de quartzite refendu. Le matériel lithique est bien faible (sinon le style du débitage) pour attribuer ce gisement au Gravettien. La coïncidence avec les Léches est néanmoins troublante. La station paléolithique du Bouzil est située non loin de Viviers, sur la commune de Saint-Thomé. Découvert fortuitement par R. Chareyre en 1983 lors de travaux de terrassements, le site a fait l'objet à partir de 1985 d'une première fouille de reconnaissance, puis de 1989 à 1991 de fouilles plus importantes sur une zone de près de 18 m 2. A notre connaissance les fouilles sont actuellement interrompues. Le site comprend quatre niveaux d'occupation stratifiés à la base d'une puissante série de limons lœssiques (8 m). Trois ont été partiellement fouillés, le dernier atteint seulement par sondage. Le sol d'habitat le plus récent (couche 1) a été fouillé en 1985 et comporte deux amas de débitage et deux structures en pierres dont un foyer. Des remontages (non publiés) ont pu être réalisés sur les deux amas de débitage. L'outillage était surtout présent au nord du foyer, la zone sud étant plus pauvre. On y rencontre de nombreux burins sur grandes lames, mais plusieurs exemplaires sur lamelles tronquées à enlèvement très fins évoquent les burins de Noailles. On note un fragment de gravette et des éléments tronqués. Le deuxième niveau comportait également un amas de débitage (remontage sur un nucléus) et une structure pierreuse mal caractérisée (foyer ?). L'outillage, beaucoup plus pauvre, évoque celui du niveau précédent mais sans élément tronqué ou burin sur troncature de type Noailles. Le sol d'habitat de la couche 3 est le plus riche du site. Il comportait trois amas principaux de débitage. Un ovale délimité par plusieurs gros blocs de calcaire et pouvant constituer le pourtour d'un habitat, entourait les zones de débitage et une structure caillouteuse. L'outillage abondant est fortement dominé par les burins accompagnés par un grattoir-pointe très retouché, de plusieurs grandes lames appointées ou retouchées et par deux fragments de microgravettes. La faune, mal conservée, était plutôt localisée à l'extérieur de la zone d'habitat autour d'une structure; elle comprend du Cerf et du Bouquetin. Le gisement a fait l'objet de deux premières datations conventionnelles assez peu satisfaisantes pour une attribution précise : Ly 3477 : > = 29 000 BP (sur os) Ly 5113 : 18715 ± 1480 (sur charbons du niveau I) Une troisième datation AMS sur charbon de mélèze du niveau III : Ly 390/AA-23 353 : 23 570 ± 200 BP est plus satisfaisante. Elle montrerait un âge plus ou moins contemporain des occupations gravettiennes de la Vigne Brun à Villerest. Selon les auteurs (Onoratini et al. 1999) le site présenterait la succession de deux faciès gravettiens : à la base (niveau III) un Gravettien riche en burins à grandes lames appointées, pauvre en éléments à dos évoquant la phase moyenne du Gravettien d'Europe centrale. au-dessus, un Gravettien plus récent (niveau I) de même tradition mais avec des éléments tronqués et quelques burins de Noailles. Ce gisement, qui n'est pas sans rappeler par certains points (structure) le site de la Treille, est sans doute très important pour la compréhension du Gravettien du sud de la France. On ne pourra que regretter l'absence de données chiffrées et de publication récente. Pour être complet, il faudrait également signaler le site de Darnous, à Saint-Marcel d'Ardèche où R. Gille a récolté (surface) une industrie pauvre d'affinités gravettiennes, signalé brièvement par J. Combier (1966). Nous avons vu très rapidement cette industrie il y a une trentaine d'années; nous ne l'avons pas retrouvée au musée d'Orgnac qui conserve la collection Gilles. Nous avons tenté, le plus objectivement possible, de rassembler ci-dessus l'ensemble des données disponibles sur le Gravettien de la France méditerranéenne, sans prétendre à l'exhaustivité. Il résulte de ce tableau une certaine hétérogénéité et des différences notables selon les sous - régions concernées. Les séries sont souvent numériquement faibles (vallée du Rhône) et/ ou provenant de fouilles anciennes (Ligurie et Languedoc occidental). Les datations absolues sont rares, quasiment inexistantes ou sujettes à caution. Un effort reste à faire (dates AMS) sur ce point précis. Les attributions chronologiques reposent trop souvent sur des considérations typologiques et des comparaisons à très longues distances; elles sont rarement confortées par des données paléoenvironnementales solides. D'une façon générale, la phase ancienne du Gravettien est mal représentée et mal datée. Il s'agirait d'un Gravettien indifférencié à gravettes seules connu à la Bouverie (6 D et 6A) sous-jacent à un niveau à Burin de Noaille (5A). Ce stade ancien pourrait se retrouver (non daté) dans la couche 9 F de la grotte Rainaude et dans le niveau le plus profond de la couche D de l'abri Mochi (Df3.6). La station des Gachettes est également rattachée au “Périgordien IV” sur la base de la seule étude typologique. La faible représentation des microgravettes (un exemplaire) pourrait étayer cette diagnose. En Languedoc, seul le gisement de la Treille pourrait, pour l'instant, procéder d'un stade ancien avec quelques réserves dues à l'abondance relative des microgravettes (Gravettien supérieur ?). L'existence d'un éventuel “Bayacien” reste problématique à travers les quelques fléchettes de l'Aude (Bize, La Crouzade) de la Barma Grande, à la position stratigraphique incertaine. De même, un stade à Font-Robert n'est pas établi malgré la présence de rares pointe pédonculées de petite taille, comme par exemple aux Pêcheurs où elles sont associées à des burins de Noailles. Seule la pointe de Méret, au sud de Valence, pourrait signer ici une influence septentrionale (vallée de la Saône), sans cependant de véritable connotation chronologique. La réalité d'un Gravettien ancien pourrait néanmoins s'exprimer à travers plusieurs datations des mains négatives de la Grotte Cosquer autour de 27 000 BP. En Provence, le stade moyen (Noaillen) est mieux assuré en grotte (La Bouverie) mais également à travers de nombreux gisements de plein air. Ce Gravettien moyen est en tout point comparable à celui de l'Italie dont il assure la continuité vers l'ouest. Là encore, les dates font cruellement défaut. A l'inverse, le Gravettien moyen à burin-nucléus du Raysse n'est pas formellement attesté. Le Gravettien à burin de Noailles est également présent en Ardèche, souvent associé à des micropointes à dos et à crans de morphologie variable. Les Pêcheurs, Le Marronier et le Figuier sont les principaux jalons de cette occupation qui pourrait accuser un décalage chronologique avec la zone côtière. Nous suivons assez volontiers G. Onoratini pour voir ici une influence méditerranéenne, vraisemblablement par la remontée de la vallée du Rhône, même si un relais en Provence occidentale manque encore. L'abondance de coquillages méditerranéens dans les sites de l'Ardèche est sans doute un argument supplémentaire. Le Gravettien moyen à burin de Noaille est par contre absent du Languedoc Roussillon et, au-delà, de la Catalogne espagnole. Les deux pauvres burins “paranoaille” de la Balauzièrze et de la grotte de Pâques, provenant de fouilles anciennes, ne sont pas suffisants pour assurer sa présence. On pourrait invoquer une insuffisance de la recherche ou la perduration de groupes aurignaciens tardifs occupant le territoire à l'ouest du Rhône. La première hypothèse est possible mais peu probable; la deuxième, prônée à l'origine par Escalon de Fonton, résiste de moins en moins au progrès de la recherche. Somme toute, le Noaillen élude la côte méditerranéenne à l'ouest du Rhône. La question demeure en suspens et devra focaliser les recherches futures. Concernant le Gravettien supérieur, les séries de la Provence portent déjà en germe une évolution vers l'Epigravettien selon un processus proche de l'Italie. Une retouche large, plus ou moins écailleuse, évoquant plus le Protomagdalénien que l'Aurignacien, des pointes (aréniennes) à typologie plus ou moins fixée, des lames retouchées et/ou appointées annonce l'Epigravettien ancien à foliacées, puis l'Epigravettien ancien à cran. On peut d'ailleurs s'interroger sur le maintien des termes “Arènien” et “Bouverrien ”, termes qui ont pu un temps constituer un vocabulaire d'attente. En Languedoc par contre, on assiste à une certaine polymorphie du Gravettien supérieur et final, peut-être en apparence, en raison d'une représentation limitée. On soulignera l'omniprésence des crans (Salpêtrière, Bois des Brousse) et une très possible influence de la Provence à la Verrière. Sur ce point, le Rhône, en Languedoc Rhodanien, véritable zone de contact, n'a sans doute pas toujours eu le rôle de “frontière culturelle” sinon naturelle qui lui a été attribué. Certes, les grandes lignes, Solutréen puis Magdalénien à l'ouest du Rhône et Epigravettien à l'est, restent respectées mais les interpénétrations sont possibles. On évoquera sur ce point le cas du “Rhodanien récent” de la Baume d'Oullins, coincé entre la séquence solutréenne et le Magdalénien Supérieur (Combier 1966). L'industrie, pauvre (72 outils), montre l'existence, à coté de micropointes à dos et de deux crans “méditerranéens ”, de véritables dos profonds, assimilables à des gravettes. Le Salpêtrien supérieur, rebaptisé trop rapidement Magdalénien moyen, pourrait procéder du même phénomène. On évoquera également, outre les tracés digitaux dans les parois altérées de la Baume Latrone, les deux galets peints à motifs géométriques de la grotte Nicolas pour lesquels un rapprochement avec l'Epigravettien italien a été avancé, à juste titre (Monnet 1986). Rappelons encore la position chronologique et stratigraphique du “Pontigardien” (en terme d'attente) de la Salpêtrière (couches 30 m à 30a), sous-jacent au Solutréen dont il est séparé par un léger ravinement, et postérieur à un Gravettien supérieur à crans et dos adjacents. Cette industrie occupe, en partie du moins, la place d'un Gravettien final. Pour clore ce développement sur une note plus prospective, s'il est certain que l'étude du Gravettien, au sens large du terme, souffre d'une certaine faiblesse (pénurie des dates, absence d'approches technologiques, rareté des fouilles depuis les années 1980) les potentialités existent. Un programme de datation AMS bien construit permettrait d'apporter un début de solution aux nombreux problèmes chronologiques; une révision et une prospection ciblée des sites de plein air (vallée du Rhône, dépressions fermées du Languedoc) sont susceptibles de fournir des données nouvelles, indispensables. Les fouilles récentes de la Treille en sont le meilleur exemple. Pour rester optimiste, et malgré la difficulté d'accès à certaines séries provençales, les choses ne sont pas totalement bloquées. Rappelons simplement la fouille de l'abri du Rouet à Carry-le-Rouet (Brochier et Livache 2003), dont on espère la publication exhaustive prochaine et l'étude technologique des séries provençales entreprise par Cyril Montoya (Montoya 2004) .
II est proposé un état des lieux, d'après les données disponibles, du Gravettien en France méditerranéenne (Provence, Languedoc- Roussillon et Vallée du Rhône). Malgré des données assez disparates et de valeur inégale, la région présente un intérêt certain pour la compréhension du Gravettien. Le Rhône joue sans doute un rôle important à la fois de frontière culturelle et de voie de communication. Le Gravettien ancien reste rare ou mal représenté (lacune de la recherche?). Il s'agit d'un Gravettien à pointes de la Gravette seule (Gravettien ancien indifférencié). Les faciès à Font-Robert et à fléchettes ne sont pas véritablement attestés. La séquence gravettienne continue par le faciès Noaillien qui s'étend de la Provence à l'ouest, jusqu'à la Campanie à l'est. Ce faciès n'est pas connu sur la côte méditerranéenne du Languedoc-Roussillon et de l'Espagne. Il est, par contre, présent dans la moyenne vallée du Rhône, principalement dans les gorges de l'Ardèche. Le Gravettien supérieur et final montre une certaine diversification selon les régions. En Provence, la frontière reste floue entre le Gravettien final et l'Epigravettien; dans cette région, comme en Italie, le Gravettien poursuit son évolution au Tardiglaciaire sous la forme d'un Epigravettien. A l'ouest du Rhône, le Languedoc connaît une évolution plus en rapport avec le Sud-Ouest avec l'apparition du Solutréen, puis du Magdalénien. Il faut cependant signaler des industries encore mal caractérisées, identifiées parfois comme aurignaciennes, comme à La Salpétrière, qui occupent la position du Gravettien terminal. Plusieurs auteurs voient, dans ces faciès de la fin du Gravettien, l'origine des industries solutréennes et épi-gra-vettiennes qui s'individualiseront différemment à l'est et à l'ouest du Rhône. La question reste ouverte en l'état des recherches. Il manque encore à la France méditerranéenne une bonne série de datations absolues, une approche technolgique du gravettien et surtout un renouveau de l'archéologie de terrain (nouvelles fouilles). Plusieurs découvertes récentes, une meilleure considération des gisements de plein air autorisent cependant une vision optimiste pour les recherches futures.
archeologie_09-0052801_tei_234.xml
termith-83-archeologie
Le gisement se situe au nord-est des Pyrénées-orientales sur la commune d'Espira de l'Agly, à moins de 20 km de la Méditerranée. Il s'étend entre la rive droite du Roboul, affluent du fleuve côtier l'Agly, et les premières hauteurs arides des Corbières calcaires, en contrebas du hameau de Montpin. Encadrée par les ravins de Montpin et celui de l'Aze, la station se situe entre 50 et 70 mètres d'altitude (fig. 1). Ce gisement s'étend en pente douce sur environ 2000 m2, entre les Mas de Moutou et de la Joliette, selon une exposition est/sud-est. Les coordonnées Lambert sont X = 641 et Y = 3056,5 (carte IGN, 1990, feuille de Rivesaltes). Le site est découvert par Jean Abelanet qui a organisé les récoltes en deux zones : la Joliette nord et la Joliette sud. Bien qu'une quantité plus importante de matériel soit dans la partie sud, nos prospections (de 1997 à 2003) n'ont pas individualisé des aires archéologiques; d'ailleurs une pièce, retrouvée en 1998 au sud de la station, remonte avec une autre ramassée par J. Abelanet au nord. Cette industrie jamais étudiée en détail, a d'abord été présumée acheuléenne (Collina-Girard 1975), puis « aussi bien acheuléenne que moustérienne » (Collina-Girard 1976, p. 81), enfin considérée comme caractéristique d'un atelier de débitage moustérien ancien (Abelanet 1993). Les bases géomorphologiques et géologiques générales (travaux de Calvet, Clauzon, Debals et Giret) en corrélation avec l'industrie récoltée (position, conservation, taphonomie du matériel) sont nos seuls outils de datation. La station repose sur un plan de glacis de piémont, très épais, le « Crest de Rivesaltes » situé au nord de Rivesaltes. « Ce vaste épandage en éventail s'étend de Casa-de-Pène à la Salanque [vers l'ouest] et s'étale très largement de l'Agly vers Salses [vers le Nord] » (Giret 1999, p. 128) « Le Roboul et quelques autres talwegs ont construit cette vaste crau caillouteuse, très uniforme, qui passe sans ambiguïté à la nappe T2 de l'Agly » (Calvet 1996, p. 770). « Le très large cône du Roboul (I'.2) est constitué de débris de calcaire souvent cimentés, qui accentuent le caractère aride de sa garrigue, ce qui lui a valu le surnom de « Crest ». Il vient mourir sans solution de continuité sur la basse terrasse de Rivesaltes [I.2 ou T2 de Calvet] après avoir dévié l'Agly de son débouché naturel dans l'étang de Salses » (Giret 1999, p. 135). La nappe T2 de l'Agly et le Crest de Rivesaltes, se distinguent par « un sol fersialitique [peu] lessivé modal caractéristique […] rouge à marron rouge et décarbonaté, [emballant de nombreux galets « fragiles » et blocs de calcaires provenant des formations encaissantes ], reposant sur un encroûtement blanc en taches puis en dalles plus massives mais irrégulières » (Calvet 1996, p. 756). Marc Calvet tente la comparaison avec l'Emporda (à 75 km au sud) car le niveau T2 y a été daté d'une période anté-wurmienne, attribuable aux stades finaux du Riss, entre 140 et 200 000 ans. « Un tel âge pour T2 est en bon accord avec les profils de sols fersialitiques lessivés modaux bien développés […] sur le Crest de Rivesaltes et qui suppose des durées minimales estimées autour de 100 000 ans en milieu méditerranéen » (Calvet 1996, p.782). Pour Alain Giret, cette « basse terrasse de Rivesaltes (I.2), prolonge celle de Toulouges » (Giret 1999, p. 128) sur la Têt qui « constitue une très vaste plaine alluviale fossile, née d'un écoulement en nappe contemporain d'une glaciation. C'est le seul [épandage] que nous pensons pouvoir dater du Würm » (Giret 1999, p. 124). Benoit Debals (Debals 1998) est le seul à apporter des éléments de datation absolue où convergent les données du paléomagnétisme et de l' 18O, en ignorant les relations douteuses avec la chronologie alpine. Pour lui, les terrasses T2 de Calvet, Fy1 de Clauzon, I.2 de Giret se bâtissent entre les stades isotopiques 4 et 2, voire toute fin du 5 (entre 100 et 30 ka). Ainsi, au niveau géomorphologique, la formation du plan principal du cône du Reboul et de la T2 de Rivesaltes est postérieure au stade isotopique 5b. Le phénomène d'éolisation est « un critère de datation uniquement valable à l'approche du littoral, là où l'action [de la paléo-tramontane] semble avoir été plus forte et continue » (Giret 1999, p. 118). Sur les niveaux « T2 le toucher éolien et l'usure superficielle sont tout à fait caractéristiques sur les quartz » (Calvet 1994, p. 802). Notons que « l'essentiel de l'évidement [et entretien des cuvettes éoliennes] paraît se placer dans le quaternaire moyen [T3 et T2 ], en particulier dans la deuxième moitié de la période [T2] dans la partie finale [150 000 ans environ] » (Calvet 1996, p. 810). L'industrie n'a subi aucune éolisation et des cupules de gel sont visibles sur 15 % du matériel; ce phénomène est caractéristique des bas niveaux roussillonnais (T1 de Calvet, I.1 et I.2 de Giret, Fy1 et 2 de Clauson) et des cônes associés, où l'éolisation est tout à fait inconnue (Calvet 1994; Debals 1998; Giret 1999). Enfin, de fortes imprégnations en oxyde (altérites fersialitiques) sont marquées sur toutes les plaquettes brutes de silex (cortex et néocortex). Elles sont très légères sur le matériel archéologique, qui dévoile en revanche des doubles patines (blanc-jaune ivoire clair opposé à un orangé-rouille d'imprégnation) sur les éclats à surface néocorticale. Ainsi l'industrie ne porte pas les traces de l'évolution géochimique présente dans l'environnement dont le processus est estimée à 100 ka et particulièrement effectif dans la première partie du cycle (les premiers 50 000 ans). Ceci implique une activité moustérienne lors de périodes plus récentes que 100 ka. Le dépôt de l'industrie dans le niveau superficiel, voire carrément en surface du glacis plaide également pour une phase bien postérieure au dépôt du plan principal du Crest de Rivesaltes (100/80 à 60 ka selon Debals) et de la phase majeure de son évolution géochimique (100 à 50 ka). Ainsi, l'estimation chronologique de l'occupation du site se situe durant le Würm ancien et l'hypothèse que nous retenons est une période allant de la seconde partie du stade isotopique 4 au début du 3. Les Moustériens de Moutou-la-Joliette ont principalement exploité l'environnement géologique de la zone domestique (91 % des roches, tabl. 1). De médiocre qualité, avec de nombreuses impuretés et un cortex très vacuolaire, la chaille carbonatée (Crétacé) en plaquettes, est omniprésente (88 % de la collection et 83 % des produits débités). Les calcaires sont ramassés en galets ovalaires à section circulaire de dimensions réduites (10 à 25 cm) sur l'épandage du Roboul et en blocs prismatiques tronqués volumineux (25 à 40 cm) dans le cône du Ravin de Montpin comme les quartz détritiques (petits blocs à surface d'altération vacuolaire). De possibles intrusions dans la zone intermédiaire (5 à 20 km), toujours dans sa partie proche (5 à 10 km) se signalent par les quartz laiteux à inclusions, les grès, les cornéennes et grès-quartzites abondants dans le lit actif ou les épandages de l'Agly situés au sud et sud-est du site. Les quartzites ramassés dans le lit actif de la Têt (à surfaces d'altération fluviatile très fraîches comparables à celles rencontrées aux Anecs (Duran 2002; en préparation), proviennent de la zone intermédiaire éloignée (12 à 20 km) au sud. Des approvisionnements dans la zone éloignée (au-delà de 20 km) se signalent par le silex lacustre oligocène de Roquefort des Corbières dont le gîte est au nord du site (Grégoire 2000). C'est la première fois qu'il est déterminé en Catalogne sur un site de plein air du Paléolithique moyen ou inférieur (Grégoire, communication orale). Les Moustériens ont élaboré différentes stratégies d'approvisionnement (sélection et transport). Les roches de la zone éloignée ont été introduites sous la forme de nucléus préformés, de produits finis, de gros éclats corticaux et de galets de moyennes dimensions (tabl. 1). Celles de la zone intermédiaire l'ont été sous la forme de galets entiers (quartz laiteux et grès-quartzite) ou uniquement sous la forme de pièces façonnées achevées (cornéenne et grès). Les roches de la zone domestique située sur le site d'occupation ont été rassemblées sous la forme brute (galets, blocs et plaquettes). Enfin les Moustériens ont géré ces roches pour des chaînes opératoires précises : percussions, façonnage (bifaces ou aménagements de galets) et débitages organisés. C'est une industrie non laminaire (Ilam : 2), à supports moyennement allongés (L/l moyen : 1,2), plutôt larges (Longueurs et largeurs moyennes : 41 et 30 mm) et moyennement fins (Iapl moyen : 3,8). Si le débitage Levallois est omniprésent (Iltech. : 24, ITG : 63,6), le débitage discoïde (ITG : 15,4) est bien attesté. D'autres modes de production, plus ponctuels et très variés, tiennent une place non négligeable (ITG des débitage connexes : 21) : de type Quina (ITG : 3 peut-être légèrement sous-évalué), sur éclats à diverses modalités, à surface de débitage peu entretenue, sur enclume et de type orthogonal. La préparation générale des plans de frappe est moyenne (IFs = 30), les lisses étant majoritaires (46 %). Enfin des cursus opératoires de débitage sont associés à ceux de façonnage bifacial et d'outillage lourd. Le débitage est effectué sur place comme l'indique l'équilibre de la chaîne opératoire qui reste néanmoins complexe (fig. 2, tabl. 2). Si les plaquettes brutes dominent (27 pièces), les façonnées sont nombreuses (23 pièces). Malgré une classe de consommation (éclats de retouche) lacunaire, le taux de transformation général est fort (12,3 %) pour un site de plein air. Au niveau des produits non corticaux (32 %) la méthode Levallois domine (ITG : 71). Viennent ensuite les méthodes discoïdes (ITG : 11,5) et « Quina » (ITG : 3,2 légèrement sous-évalué). La phase des produits prédéterminants est importante (23 % du débitage, 12 % de l'ensemble) et se rapporte à 90 % au Levallois, avec très peu de produits de gestion de plans de frappe. La retouche affecte 13 % de ces produits. La phase des produits prédéterminés est à 70 % composée de produits Levallois (ILtech. : 31) très diversifiés (pointes, lames, éclats divers de récurrence) et faiblement transformés (19 %). Les produits corticaux (phase d'initialisation) sont nombreux (38 % du débitage et 20 % de l'ensemble) avec 70 % de produits fortement corticaux. Cette phase est extrêmement retouchée (20 %). Les nucléus sont également très présents (15 % soit 185 pièces) et sont abandonnés après l'utilisation du tiers ou de la moitié de l'épaisseur de la plaquette (cf. infra). Pour les débitages organisés l'obtention de produits prédéterminés se résume au grand maximum à 3 séries d'enlèvements non corticaux par nucléus. Nos expérimentations montrent qu'un débitage plus poussé occasionne des cassures et de mauvaises gestions des plans de frappe. De plus, la géométrie périphérique des nucléus et la structure des plans de frappe sont produites par des fracturations, réduisant par voie de conséquence le nombre des éclats de mise en forme de plan de frappe et des éclats corticaux d'épannelage de réserve. Les abondants fragments de plaquettes (10 % du matériel) correspondent ainsi à une phase importante de pré-initialisation des plaquettes-nucléus. Dès lors, c'est l'arrêt rapide du débitage qui explique l'importance des nucléus par rapport au débitage (entre 4 et 6 éclats par nucléus), la relative abondance des produits de remise en forme et la profusion des produits corticaux d'épannelage, surtout des très corticaux. Si les nucléus sont réduits en épaisseur, la comparaison des dimensions des plaquettes mises en forme et des nucléus (surtout Levallois) (tabl. 3), atteste que le débitage réduit faiblement la périphérie des nucléus-plaquettes. En dernier lieu, même si la catégorie des supports prédéterminés est forte, l'exportation de produits n'est pas à écarté en raison de l'importance des produits corticaux, des nucléus et du déséquilibre flagrant entre le nombre de pointes Levallois et le nombre de nucléus Levallois à préparations unipolaires convergentes (cf. infra). L'examen des pièces archéologiques et des plaquettes brutes dévoile les choix et les stratégies des artisans moustériens. Tout d'abord, les plaquettes détritiques sont rares sur le gisement et dans le cône de déjection et aucune concentration particulière due à la mise en culture (pierrier) n'a été reconnue lors des prospections, sur un très large rayon autour du site. Ensuite, les nucléus montrent que les plaquettes choisies possèdent toutes un cortex peu épais et régulier, qu'elles sont rarement « diaclasées » avec peu d'accidents sub-corticaux, peu de « passées non siliceuses » ou d'impuretés. Les fragments de mise en forme et les plaquettes testées ou juste dégrossies possèdent généralement un de ces défauts comme près de 85 % des plaquettes brutes ramassées pour nos expérimentations. Lors du débitage, des impasses techniques dues aux défauts débouchent soit, sur un décorticage trop coûteux en matière, soit sur une fragmentation du nucléus, soit sur des accidents de taille. Enfin, les plaquettes testées ou mises en forme montrent un choix dans les épaisseurs, entre 20 mm et 50 mm. Ces types d'épaisseur ne sont pas les plus courantes actuellement (tabl.4). Les Moustériens ont développé des stratégies de recherche et de récolte sur une grande superficie, afin de trouver une chaille de grande qualité et des plaquettes répondant à des critères dimensionnels stricts. L'industrie sur silex local n'est ni laminaire (3 %) ni à tendance laminaire (7 %). Les produits possèdent des longueurs peu développées, de 33 et 55 mm. Le groupe Levallois marque sa différence et sa variété, avec des indices d'aplatissement compris entre 4 et 6 (moyenne de l'industrie = 3,5). L'ensemble Levallois est généralement plus élancé et le critère laminaire est recherché au travers des produits à dos débordant non limité Levallois. Le type de pré-initialisation des plaquettes implique des plans de frappe rarement corticaux (talons corticaux 8 %) et majoritairement lisses et dièdres (54 %). La préparation des plans de frappe est forte (Ifs = 31 et 6 % de talons réduits), elle est très forte pour la production Levallois (Ifs de tous les produits du cursus Levallois = 52) et rare pour les produits corticaux. Si la valeur moyenne des angles de fracturation est de 107° (écart type = 10°) toute la production Levallois se situe en dessous de 100°. Les plaquettes testées sont abondantes (29 pièces). Les tests sont réalisés par 1 à 2 enlèvements moyennement envahissants sur le grand plan de la plaquette ou sur une arête. Les mises en forme (24 pièces) se résument à des structurations volumétriques et formelles des plaquettes-supports par des fracturations (forts dégrossissages périphériques de 3 à 8 fractures). Dès lors sont mis en place les plans de frappe et des superficies des surfaces bien avant leur décorticage. Ainsi le débitage Levallois débute par cette pré-initialisation des nucléus avec des structures volumiques ovalaires et des dimensions inférieures à 120 mm de long et de large. L'abondance des produits de débitage corticaux (33 % du débitage) implique une stratégie de décorticage intense et forcée, à base de produits très fortement corticaux (60 % des corticaux) afin de réduire le nombre de séries et d'éviter la diminution de l'épaisseur de la plaquette. Plus de la moitié de cette première phase sont des produits à 75 % corticaux qui sont plus allongés que les entames. Ainsi, l'initialisation est développée principalement à partir d'un ou deux plans de frappe opposés (longitudinal unipolaire et bipolaire = 70 %), puis une rotation est pratiquée autour du nucléus afin de finaliser le décorticage (transversal unipolaire + orthogonal = 27 %). En dernier lieu, le décorticage s'achève par des produits à cortex envahissant sur la partie distale (20 %) qui sont toujours à talons lisses et comportent à 50 % des dos de débitage. Rares (14 %) et à talons facettés ou réduits (75 %), les corticaux à dos envahissant sont la deuxième phase de l'initialisation qui instaure simultanément la finalisation du décorticage et la première mise en forme des critères de débitage Levallois. D'ailleurs les dimensions les placent dans la variabilité des produits prédéterminants et si l'angle moyen d'éclatement des produits d'épannelage est de 108°, celui des corticaux facettés est de 98°. Si les talons sont presque tous lisses de fracturation, le facettage est utilisé pour cette dernière étape, entre initialisation et prédétermination. Paradoxalement, nos expérimentations de décorticage sur ces plaquettes dans le but de développer un débitage Levallois ont montré un rapport de 1,4 (produits corticaux / produits Levallois) compatible avec le rapport archéologique qui est de 1,35. Les expérimentations sur rognons de silex montre un rapport de 1,66 (Geneste 1985). Ainsi, la physionomie des plaquettes, la pré-initialisation, le faible épannelage des réserves impliquent un taux moins important en produits corticaux, malgré un décorticage intensif hautement producteur d'éclats très corticaux. Ainsi la forme et le volume des plaquettes-nucléus sont structurés par des fracturations périphériques. Ensuite les surfaces corticales « plates » des plaquettes impliquent une stratégie de « décorticage forcé » sans tenir compte des mises en forme des convexités. Ces dernières seront aménagées par un autre cursus à produits débordants très peu corticaux et centrés non corticaux. Cette approche apparaît différente de celle pratiquée sur les rognons (Geneste 1985). Sur plaquettes, la dépense de matière est donc plus forte car le décorticage et l'initialisation des surfaces sont bien individualisés. Toutes les phases de production Levallois sont présentes avec les produits prédéterminés (éclats, pointes, lames de récurrence diverses), les divers produits prédéterminants et les nucléus (tabl. 2). Les nucléus réaffirment le caractère Levallois de cette industrie (fig. 3) d'ailleurs 60 % des débris de nucléus sont Levallois dont 11 fragments de nucléus Levallois récurrents centripètes obtenus parfracturation directe intentionnelle au milieu de la surface de débitage. Les supports des nucléus Levallois et mises en formes Levallois sont des plaquettes entières (97 pièces) ou des gros fragments de plaquette. Les « mises en forme de surface Levallois » abandonnées sont périphériques, bipolaires et unipolaires convergentes. Les nucléus présentent tous des angles d'intersection des surfaces (hiérarchisées) strictement compris entre 72 et 77°, des réserves très faiblement décortiquées (85 % sont à 60 % corticales), des plans de frappe facettés à 88 % (les plans de frappe lisses sont associés aux différentes gestions Levallois unipolaires) et des mises en forme des plaquettes-nucléus par des fracturations périphériques. Les causes d'abandon sont l'épuisement des réserves, des plans de frappe ainsi que l'inadéquation des angles d'éclatement (58), les rebroussements et l'outrepassement d'éclats (26 pièces), puis les cassures (15) et les défauts internes des plaquettes (10). Toutes les modalités Levallois sont également présentes : - Levallois linéal de gestions variées = 13 soit 14 %, - Levallois de gestion récurrente centripète = 38 soit 41 %, - Levallois de gestion bipolaire = 23 soit 24 %, - Levallois à enlèvement outrepassé distal = 2 soit 2 %, - Levallois de gestion unipolaire convergente et parallèle = 18 soit 19 %. Sur les nucléus Levallois de gestion linéale, les préparations de surface sont en majorité périphériques centrées, plus rarement associées à quelques éclats cordaux (fig.4.3). La préparation est moyenne à faible (5 à 9 enlèvements). Nous pensons que l'utilisation de la gestion linéale est dictée par les faibles épaisseurs des plaquettes (faible nombre de préparations, réserves très corticales) et celle à préparation périphérique est certainement l'ultime étape du débitage récurrent centripète (3 nucléus linéaux sont des reprises de récurrent centripète facilitée par une double fracturation afin de dégager un plan de frappe dièdre et un angle d'éclatement suffisant). Les nucléus Levallois de récurrence centripète abandonnés témoignent d'une exploitation très poussée (fig. 4.1) avec, soit uniquement des produits de récurrence (24/38), soit associés à des produits cordaux (7/38). La préparation est parfois bonne (<13 enlèvements) et de très forts contre-rebroussements découlent des éclats de récurrence. Les cas particuliers sont divers avec 3 nucléus « Levallois laborieux » (Boëda 1993), 4 marquant une réduction de type discoïde (débitage à partir de la réserve selon un plan sécant), 1 fortement réduit avec une réserve corticale latéralisée sur la surface de débitage, ou encore 1 présentant une gestion de récurrence sur les 2/3 de la surface de débitage, l'autre 1/3 servant uniquement de convexité distale ou latérale avec un entretien spécifique à petits éclats. Sur les nucléus Levallois d'organisation bipolaire (fig. 4.5, 6), les bords latéraux sont soit corticaux (14 pièces), soit lisses à cause d'une pré-initialisation par fracturation. Les plans de frappe sont très soignés (à 40 % en association avec toujours une plage lisse de fracture ou légèrement corticale) sont rarement évolutifs sur le pourtour du nucléus (peu d'économie de remise en forme de type Abri Suard, Delagnes 1992, - fig. 5.11). Deux cas d'organisation de surface sont visibles. L'une, à partir de 2 plans de frappe opposés associe des produits débordants à dos non limités (souvent à dos corticaux abrupts) débités de manière bipolaire (14/20). L'autre combine des préparations uniquement transversales bipolaires à partir de plans de frappe lisses pour les convexités distales et latérales avec de très fortes abrasions de corniches, et un nombre d'enlèvements préparatoires toujours inférieur à 8. Les nucléus Levallois d'organisation et de récurrence unipolaires parallèles (7 nucléus, fig. 4.8) ou convergentes (11 nucléus, fig. 4.2, 7) sont souvent plus longs que larges pour des productions de supports allongés à l'inverse des précédents. Pour les modalités unipolaires parallèles, les surfaces sont très préparées (9 à 13 négatifs), les convexités sont établies latéralement par des éclats à dos corticaux non limités outrepassants et les convexités distales le sont par des produits à dos très oblique débités perpendiculairement à toutes les préparations. Les modalités convergentes sont moins préparées (4 à 7 enlèvements). Les convexités (latérales et distales) sont aménagées par des éclats à dos corticaux abrupts non limités, enveloppants et très envahissants qui se recoupent sur leurs parties distales. La morphologie sub-triangulaire des nucléus en facilite l'obtention. La production d'éclats prédéterminés affiche un nombre moyen d'éclats linéaux ou premiers (23 % des éclats), impliquant un débitage Levallois particulièrement basé sur le système de récurrence (1 éclat premier pour 4,1 éclats seconds) (fig. 6.2, 5 et 10). Le système de récurrence est assez peu poussé (1 éclat de récurrence troisième pour 5 éclats seconds). Le taux de préparation des produits prédéterminés est moyen (5,8 en moyenne) pour toutes les modalités préparatoires, mais il est assez fort sur le système linéal (7 à 10 enlèvements). Les contours des produits prédéterminés sont quadrangulaires allongés (63 %) et de sections trapézoïdales asymétriques à 81 %. Les rares pointes Levallois sont classiques (fig. 6.1, 4), assez peu allongées et les lames Levallois, courtes et larges (L/l 2,1) de préparation périphérique et de récurrence unipolaire d'axe, ne sont jamais linéales. Les produits prédéterminants sont dominés par les pointes pseudo-Levallois (tabl. 2, fig.5.10). Les produits à crête longitudinale et à crête transversale (parfois très épais, fig. 5.11) attestent de la grande maîtrise du débitage et du désir de productivité. Les organisations bipolaires et unipolaires sont marquées sur 42 % des éclats linéaux, sur 22 % des produits Levallois de récurrence et de prédétermination (fig. 5.1, 6 et 8; fig. 6..9, 13, 14 et 16; fig. 7.2). Les préparations périphériques et semi-périphériques (fig. 5.7, 8) sont les plus nombreuses (72 % des produits prédéterminés et prédéterminants Levallois), avec des structures de récurrences sub-transversales (fig.6.12; fig. 8.11, 14; fig. 7.8), transversales et entrecroisées à 60 % (fig. 6.6, 15; fig. 8.4), ce qui montre clairement les récurrences centripètes à rotation rapide autour de plans de frappe périphériques. Mais les récurrences unipolaires sur préparations périphériques sont clairement utilisées (fig. 6.8, 11). Le débitage Levallois, soigné, est presque uniquement récurrent et particulièrement de récurrence centripète comme l'attestent aussi les produits de « décalottage » de surface Levallois et les nucléus. L'intégration d'organisation et de structure de récurrence bipolaires et unipolaires (parallèles et convergentes) sont spécifiques dès l'initialisation des nucléus et sont des modalités importantes dans la production Levallois surtout linéale (éclats et pointes). Ils ne sont parfois identifiables qu' à partir de l'étude des nucléus. La production discoïde est exclusivement développée à partir de la méthode cordale à forte production d'éclats à dos non limité (Duran 2002) comme l'attestent les nucléus discoïdes (fig. 3), le corpus des produits discoïdes (tabl. 2) et leurs angles d'éclatement (112 à 121 °) et les éclats à tranchant périphérique (produits de maintenance de surface discoïde souvent décrits comme Levallois accidentel) (fig. 5.12). Dans la méthode cordale, en envahissant les 3/4 de la surface de débitage discoïde, ces produits annihilent la convexité centrale au profit de la périphérique, permettant d'éviter un débitage bifacial par restructuration du volume et de la surface. Ceci va permettre la sortie rapide des futures ondes de choc vers le centre du nucléus pour l'obtention d'éclats à dos de débitage sur toute la périphérie (Duran 2002). La hiérarchisation des surfaces est importante (nucléus à gestions unifaces 11/14, fig. 6.6); la gestion bifaciale, toujours alterne et peu productive, est réductrice de volume lorsque ces réductions ne sont pas effectuées par des reprises volumétriques à partir du fond du nucléus ou par ouverture de surfaces supplémentaires (Duran 2002) ce qui est pourtant établi par l'étude des nucléus (aucun éclat à crête, tabl. 2). La production Quina (Bourguignon 1997) est attestée par une chaîne opératoire complète (nucléus et produits divers, tabl. 4) Les nucléus de type « Quina » (fig. 3, fig.5.1) sont caractérisés par la méthode d'alternance continue (1 seul est d'alternance discontinue) de réductions volumétriques peu poussées. Pourtant certains nucléus montrent des surfaces gérées de manière orthogonale et de rares éclats à talons à pans (tabl. 2) signalent des changements assez importants d'inclinaison de surface, signes d'exhaustion poussée et de débitages sériés forts. Les faces sur le grand plan de la plaquette sont plus fortement réduites que celles sur la tranche de la plaquette. Ainsi la plaquette instaure la structure du débitage et détermine la méthode. Le débitage unipolaire à surface peu entretenue est seulement observable sur des nucléus (fig. 3) qui sont toujours plus larges que longs. Ils peuvent être assimilés aux nucléus Levallois unipolaires récurrents (plans de frappe uniques facettés, angles d'intersection des surfaces entre 71 et 75° et débitage strictement unipolaire parallèle). Mais, il n'y a jamais de pré-mise en forme volumétrique et surtout, le débitage est effectué sans un entretien des convexités latérales et sans mise en place de convexités distales (résidus corticaux envahissants sur la surface débitée). Ainsi, la production est faible (< 6 enlèvements plus larges que longs) sur des surfaces qui deviennent rapidement concaves avec de forts rebroussements. Les débitages sur éclats-nucléus (fig. 3) sont presque uniquement reconnus par ces derniers (17 éclats, tabl.2). Par débitage sur éclat-nucléus nous regroupons plusieurs paramètres. D'abord la modalité n'entre pas dans la variabilité des débitages très organisés et structurés de surface ou de volume (Levallois, Quina, discoïde, laminaire…), bien que certains auteurs assimilent ces nucléus à des phases initiales d'un débitage Levallois (Wengler 1993) ou Quina (Bourguignon 1997). Ensuite, c'est le support qui instaure les critères d'obtention des produits : épannelant ou de volume. Enfin, le débitage ne restructure jamais le support débité par des produits de remise en forme. Les nucléus de « débitage sur éclats-nucléus » correspondent majoritairement à des produits d'entame (34/39) et les modalités sont de deux types. Les nucléus de débitage sur face supérieure d'éclat (majoritaires : 31 pièces) utilisent la face plane comme plan de frappe pour un débitage de volume. De fortes abrasions de corniche sont systématiques (angles de débitage de 60° à 84°). La production est moyenne (5 à 8 enlèvements). Le débitage affecte par ordre d'importance, la partie proximale, la partie distale, la semi-périphérie ou toute la périphérie de l'éclat-nucléus. Ces nucléus se situent dans la variabilité des « Flaked flakes » du Paléolithique inférieur anglais (Ashton et al. 1991) ou français (Lhomme et al. 2003). Les nucléus sur face inférieure d'éclat (fig. 9.2 à 4) montrent des plans de frappe particulièrement soignés, (70 % facettés) situés sur la tranche de l'éclat-nucléus (surtout sur leur partie proximale) permettant un débitage épannelant de la face inférieure de l'éclat-nucléus (Owen 1938; Tixier & Turq 1999). L'abrasion de corniche est peu attestée et le débitage recherche l'allongement de la surface (angles de 71° à 78°). Les organisations des enlèvements sont majoritairement unipolaires (87 % dont 43 % sont convergents). Les nucléus sont peu exploités (≤ 5 enlèvements) mais les produits obtenus sont de grandes dimensions. Ainsi, l'épaisseur et l'allongement des éclat-nucléus brutsdéfinissent la méthode employée. Les nucléus à débitage sur enclume (fig. 3) montrent une réduction, sur la tranche du support, à partir de plans de frappe corticaux ou ´diaclasés / lissesª, selon des angles de débitage de 81 à 88°. Les séries sont aussi bien unipolaires que bipolaires (changement du plan de frappe du percuteur lancé par retournement du support afin de débiter la même surface d'éclatement et retrouver ainsi un angle de chasse adéquat). Le développement est surtout périphérique mais aussi latéralisé sur le pourtour du support débité. De fortes abrasions de corniches gèrent la propagation de l'onde de choc et l'épaisseur des talons. La méthode bipolaire est effectuée par alternance de plans de frappe soit par des séries de 1 à 3 enlèvements non chevauchants afin d'entretenir de fortes arêtes directrices pour la série suivante opposée, soit par des séries de 3 à 4 enlèvements chevauchants afin de développer des arêtes directrices fines et instaurer une certaine prédétermination des produits qui sont toujours épais, avec des méplats obliques. Sur les nucléus à débitage orthogonal (fig. 3), deux séries d'enlèvements se côtoient sur des plans de frappe et des surfaces distincts et perpendiculairement opposés. Les plaquettes non dégrossies sont grandes mais peu épaisses (23 mm). Les enlèvements largement envahissants (de 7 à 9 sur chaque nucléus), sont développés, de manière unipolaire, sur les grands plans corticaux des plaquettes à partir de plans de frappe corticaux (angles de débitage de 100 à 110°). Avec 32 pièces, il est introduit sous la forme de nucléus décortiqués fortement débités ou de gros éclats-nucléus décortiqués (absence de rognon, d'éclats et de talons corticaux) et de produits finis. Mais une partie du débitage est effectuée sur place : présence de produits prédéterminants et de « décalottage » de surface Levallois (15/32). La modalité est uniquement Levallois (ITG : 100) selon des plans de frappe très aménagés (IFs : 95). Avec un faible taux de préparation (4 à 6 négatifs), les éclats prédéterminés sont obtenus par modalité Levallois récurrent centripète. La consommation est faible (6 % d'outils) et un façonnage bifacial s'effectue hors du site. Le débitage est axé sur les méthodes Levallois (ITG : 92) puis discoïdes (ITG : 8). La chaîne opératoire est déstructurée. Bien que la classe de consommation soit absente, 24 % de l'ensemble du matériel est retouché (29 % du débitage). Les nucléus sont absents à cause d'une carence de prospection car les produits corticaux, prédéterminants et prédéterminés (fig. 9.7) sont présents. Le nombre important des produits prédéterminés Levallois par rapport aux prédéterminants implique une importation de produits finis. Mais de petits éclats corticaux ainsi que des dos de débitage corticaux associés à un percuteur désignent aussi un apport de galets bruts, voire ébauchés (aucun talon cortical). Le facettage de la production Levallois est fort (61 %) et le taux de préparation des produits important (de 7 à 11). Les modalités Levallois sont principalement de préparation périphériques et semipériphériques mais avec des structures de récurrence unipolaires et bipolaires. Ce faux débitage récurrent centripète « opportuniste » est développé sur place (éclats débordants, pointes pseudo-Levallois …). Les éclats Levallois de modalité bipolaire (fig. 8.1) qui sont de dimensions plus importantes et tous linéaux ont été importés débités (aucun prédéterminant de modalité bipolaire). Les éclats discoïdes conservent des résidus de facettage impliquant un débitage discoïde réducteur de nucléus Levallois. Tous les cursus opératoires ont été effectués sur place. Les activités de façonnage (6 galets aménagés et bifaces) et de percussion (4 percuteurs et 5 éclats de percuteur) sont présentes. Ces percuteurs de médiocre qualité pour des opérations de taille peuvent indiquer une non planification des implantations moustériennes. En effet dans le Tarn, sur les ateliers de débitage du Verdier, les percuteurs sont tous des galets de quartz ramenés de la vallée du Tarn (Tavoso 1987). Notons que ces galets peuvent avoir été utilisés pour bien d'autres activités. Le débitage est Levallois (ITG : 70) et Quina (ITG : 30). Le premier étant effectué sur des blocs issus du Ravin de Montpin, les produits corticaux proviennent de la mise en place du débitage Quina et du façonnage de galets qui sont toujours produits sur des galets du Roboul. Les nucléus Quina (fig.9.7) sont tous de méthode d'alternance continue (Bourguignon 1997). Le débitage Levallois, aussi bien linéal que récurrent, est exclusivement de modalité bipolaire (fig. 4.4) à plan de frappe peu soigné (IFs faible) et de faible préparation (≤5 enlèvements). Un possible nucléus refaçonné en biface (fig. 7.1) développe une reprise de la réserve par un grand éclat linéal (débitage Levallois poussé ou d'amincissement de la pièce bifaciale ?). Les outils (20 % des calcaires) sont tous des produits issus de façonnage : 3 choppers modaux soignés, 2 bifaces sur éclats ordinaires et une pièce bifaciale sur un nucléus Levallois. La chaîne opératoire des quartz est incomplète. Les produits de débitage sont rares (2,2 éclats pour 1 nucléus). Si la phase d'approvisionnement est bien présente (percuteurs souvent éclatés et choppers modaux), la phase d'initialisation lacunaire et peu diversifiée (6 entames) est à mettre en relation avec le façonnage de galets, car le débitage est toujours développé sur des blocs, des gros débris et des éclats non corticaux. La phase de consommation (éclats de retouche) est inexistante bien que les quartz soient transformés à 22 %. Si accessoirement, intervient un débitage unipolaire sur enclume qui affecte des blocs, le débitage est dominé par le débitage discoïde (ITG : 86) Ce dernier n'est ni poussé, ni bien maîtrisé, la réduction des volumes nucléus étant très faible. La gestion volumétrique bifaciale des nucléus est rapidement mise en oeuvre de manière alterne tous les 2 enlèvements contigus. La méthode discoïde cordale à production d'éclats à dos non limité ou limité se vérifie sur les nucléus, les produits de débitage et sur les 3 produits de « décalottage » de surface discoïde. La chaîne opératoire est aussi très incomplète, mais le débitage, ponctuel, est effectué sur place (produits de débitages et nucléus présents). La modalité est strictement discoïde et de méthode cordale, selon une gestion hiérarchisant les faces de débitage sur plusieurs enlèvements (fig.9.5). Aucun produit n'a été transformé. Une seule chaîne opératoire a été reconnue : le façonnage de biface à l'extérieur du site (fig. 7.6, 9). Nous avons donc affaire à des gestions différentielles des matières premières brutes, phénomène remarqué pour d'autres assemblages (Jaubert 1990, 1994). Les unes associent le débitage et les moyens de percussion, d'autres le débitage et divers types de façonnage, ou sont uniquement destinées au débitage ou bien au façonnage de bifaces. Cependant aucun confinement des roches selon l'éloignement des zones d'approvisionnement n'est reconnu. Par contre, quelques spécialisations s'effectuent pour les méthodes de débitage. Sont principalement développées deux méthodes principales, que sont le Levallois et le discoïde. Le débitage Levallois est prépondérant sur les silex, le quartzite de la Têt et le calcaire. Le discoïde est résumé au débitage du grès-quartzite et du quartz. Mais à l'inverse du Levallois, le discoïde est ainsi systématiquement présent sur les roches qui développent le système Levallois, sauf sur le calcaire. Ainsi une certaine complémentarité se fait jour. Les autres débitages connexes peu productifs sont des palliatifs opportunistes. Les débitages de type Quina comme orthogonaux sont intégrés car facilement adaptables aux types de supports sur certaines matières. Les débitages sur enclume et sur face supérieure d'éclat-nucléus sont des méthodes qui assurent des productions similaires aux discoïdes. Les débitages sur face plane d'éclat-nucléus, « à gestion unipolaire sans entretien de surface » sont des méthodes produisant les mêmes types d'éclats que les gestions de type Levallois. Ainsi les productions sont ciblées sur deux grands modules de produits : les éclats fins, à tranchants périphériques assez allongés, quadrangulaires et ovalaires, à grande superficie… (débitages Levallois, unipolaires à surface peu entretenue, orthogonaux, sur face inférieure d'éclats nucléus) et les éclats trapus, épais, assez peu allongés triangulaires, trapézoïdaux à ovalaires avec des méplats divers (débitages discoïdes, Quina, sur enclume, sur face supérieure d'éclats nucléus). L'essentiel de l'outillage est, bien sûr, produit sur le silex local (85 %). C'est le cas pour les encoches, les racloirs à bords multiples et presque tous les becs. Les denticulés et les outils du groupe III sont associés au quartz laiteux et au quartzite pour les seconds. Le silex exogène est exploité pour de rares outils à retouches continues. Le macro outillage est façonné sur les matières locales (silex, calcaire) et les pièces bifaciales, à 80 % importées achevées, le sont sur des roches des zones d'approvisionnement éloignées ou intermédiaires (silex, cornéenne et grès). Si toute la chaîne opératoire générale paraît être utilisée (sauf les éclats de retouche), l'originalité vient de la forte utilisation des produits corticaux (41 % : 25 % très corticaux et 16 % peu corticaux), qui supportent toutes les troncatures, les grattoirs (4/5) et de nombreux outils à coches (32 % très corticaux et 33 % faiblement corticaux envahissants). Les supports très corticaux sont moins recherchés pour les racloirs (20 % très corticaux et 16 % peu corticaux). Les produits de débitage décortiqués (50 % de l'outillage) sont plus utilisés pour les racloirs (60 %) que pour les outils à coches (27 %). Les produits à dos divers sont très employés (corticaux abrupts 7 %, dos de débitage : 19 %) pour les racloirs transversaux notamment, pourtant les divers produits prédéterminants le sont peu (13 % : encoches et racloirs latéraux). Les produits Levallois prédéterminés (20 % sans une pointe Levallois) sont moyennement retouchés pour une industrie à fort débitage Levallois (65 % des produits prédéterminés). Inexistants sur les outils à coches, ils supportent 90 % des couteaux à dos et 36 % des racloirs. Ces derniers sont à 50 % sur des produits Levallois divers. Si aucun produit Quina n'est présent, les produits discoïdes (9 % de l'outillage) et ceux produits par débitage sur enclume ou sur face supérieure d'éclats-nucléus sont utilisés pour 18 % des outils à coches. Quelques déchets divers et nucléus sont retouchés ou façonnés ponctuellement en burins, becs et en bifaces. Les retouches sont peu variées, dominées par les marginales (1/2 épaisses, plates moyennement écailleuses et minces). Les profondes (épaisses et abruptes épaisses) et les rebroussantes (surélevées, aurignaco-moustériennes) représentent le tiers des retouches. Les scalariformes sont rares (5 %). Le sens de la retouche est majoritairement direct, quelques inverses se glissent pour 20 % des racloirs et 18 % des outils à coches. Les amincissements sont à 60 % sur les faces ventrales des supports. Le façonnage par coches clactoniennes est prépondérant à 63 % et rarement marginal. L'industrie est dominée par les outils à retouches continues (tableau 5; fig. 8.1, 2, 3, 8, 9, 10 et 11). Les racloirs latéraux simples et dans une moindre mesure les transversaux forment presque 50 % des outils. Les racloirs sont peu diversifiés, de belle facture, rarement inclinés et à 60 % de délinéation rectiligne. Les façonnages sont partiels sur 30 % des bords transformés. De rares racloirs à bords convergents (tabl. 5) sont plus nombreux que les doubles. Les denticulés (fig. 8.6, 12), toujours simples et de mauvaise facture, sont anecdotiques. Les becs, tous clactoniens, sont peu typiques (seulement 2 becs alternes). Un léger enrichissement en encoches est perceptible (tabl. 2). Aussi bien retouchées que clactoniennes (fig. 8.5, 13), ces encoches développent souvent de fortes échancrures. Les outils de type Paléolithique supérieur (fig. 8.7, 10; fig. 7.2, 3, 4, 6, 7 et 8) sont variés et assez présents, mais dominés par les couteaux à dos abattu (tabl. 5; fig.8.2; fig. 7.2, 8). De moyennes à grandes dimensions (de 45 à 80mm de long) leurs dos épais, le plus souvent courbes, englobent souvent la partie distale du support. Ils donnent à cette industrie son premier aspect typologique original. L'absence des outils composites accentue l'image d'une industrie peu réduite par la transformation. De plus, les réorganisations de supports-outils ou d'outils par le biais d'un aménagement soigné de type outil (coches, troncatures, amincissements de base, de dos ou de type Nahr Ibrahim) sont rares (15 pièces). Les aménagements sommaires (fracturations, abattements divers - fig. 8.9) sont peu employés (83 bords modifiés dont 37 % sur des éclats « utilisés bruts de débitage »). Les deux autres originalités de cette industrie sont la présence de bifaces et celle de l'outillage lourd produit sur plaquettes et galets (tabl. 5). Très caractéristiques d'un façonnage de type moustérien et associés aux nombreux couteaux et aux racloirs rectilignes, ils révèlent un faciès encore peu connu sur le pourtour méditerranéen. Les pièces façonnées constituent 22 % de l'ensemble de l'outillage (fig. 7.1, 5, 6 et 9; fig. 10). La tendance des bifaces de Moutou-la-Joliette est le type cordiforme et sub-cordiforme, passant rarement au sub-triangulaire et plus souvent au sub-ovalaire (fig.11). Leur allongement est compris entre 1,4 et 1,6. Les dimensions sont homogènes et les pièces montrent une certaine finesse (15 à 23mm d'épaisseur). Les bifaces sont travaillés sur des éclats divers et le façonnage au percuteur en pierre dure ou tendre (calcaire) n'exclut pas l'utilisation du percuteur tendre végétal ou animal. Le façonnage est généralement peu poussé, et se développe de façon presque stéréotypée sur presque toute la petite série de bifaces. Après l'obtention du support, une « réduction-préformante » (1er stade de l'ébauche) est développée sur la périphérie de la pièce de manière non continue, d'abord sur la face supérieure du support (2 à 4 séries d'enlèvements), puis sur la face ventrale (1 à 2 séries d'enlèvements) qui témoigne de forts résidus de face plane (25 % et 50 % de la surface). L'objectif est le développement du volume et de la symétrie. Ces ébauches sont effectuées selon 3 plages bifaciales de dimensions inégales délimitées sur la périphérie : une latérobasale, une latéro-distale et une latéralisée (partie active). Puis une phase de rectification, à partir d'enlèvements moins envahissants se recoupant dans leur partie distale permet le développement des parties actives. Des enlèvements assez courts et de profondes retouches unifaces semi-abruptes sont utilisés pour les parties de préhension. Ces plages de rectifications sont sur les mêmes plages de séquence d'ébauche. D'extensions plus importantes, elles subdivisent en deux ou trois parties les plages précédentes et sont beaucoup plus opérantes sur les faces ventrales des supports-outils. Cette séquence permet de créer sur certains bifaces une délinéation rectiligne des tranchants ou un réajustage des surfaces. Seules les parties basales et distales des bifaces sont fortement transformées. Enfin l'affûtage (ou le réaffûtage visible sur 6 bifaces) est produit avec des retouches plus scalariformes unifaces ou alternes, voire semi abruptes légèrement rebroussantes sur les parties actives. Les parties de préhension sont réajustées avec des retouches larges épaisses ou fortement surélevées profondes. Notons 1 biface avec un réaffûtage de type encoche (fig.7.6). Les galets aménagés (5 pièces) et les plaquettes aménagées (25 pièces) sont de facture soignée (fig. 10). Les dimensions montrent l'absence de choix spécifique des plaquettes. Le façonnage utilise la partie la plus étroite du support. Les tranchants sont rectilignes à 50 % et très peu obliques, la physionomie des plaquettes dégageant des bords parallèles non inclinés. Ils sont initialisés par un nombre d'enlèvements se regroupant ainsi : de 4 à 7 pour 13 pièces, de 8 à 13 pour 9 pièces et de 15 à 25 pour 2 pièces. La retouche de régularisation (11 pièces) qui se développe en 2 séries, peut être fortement scalariforme ou fortement rebroussante. Ce façonnage détermine des fronts semi-abrupts (78°) et obliques (65°) et des biseaux « actifs » entre 50 ° et 75°. Le façonnage unifacial domine (27 choppers de modalités diverses). Pour l'ensemble, les pièces modales sont les plus nombreuses (choppers et chopping-tools) et 5 choppers sont désignés comme sommaires mais typiques. Viennent ensuite 7 pièces plurimodales, (choppers passant aux chopping-tools et des choppers épannelés passant au chopping-tools semiépannelés), dont 4 bimodales qui sont des choppers à reprises inverses de tranchant (2 enlèvements courts) et 3 pièces trimodales à façonnage unifacial épannelant à reprise inverse de tranchant par enlèvements centrés épannelants. Les plaquettes-supports sont presque toutes remodelées dans leurs structures volumiques ou formelles, par fracturations bilatérales, par 3 à 5 fracturations alternes sur les 2/3 de la périphérie, ou par des abattements ciblés. Ainsi l'outillage lourd à tranchants façonnés n'est ni accidentel, ni aléatoire, ni ponctuel. Il est très stéréotypé dans le modelage, le façonnage, et les structures volumiques et formelles. C'est une forte composante de cet outillage au même titre que le façonnage de biface. Le taux de transformation est élevé (13 % d'outils). L'exportation de produits hors du site est peu marquée (chaîne opératoire en chaille très équilibrée). Les pièces ébauchées (nucléus et bifaces) sont absentes. L'abondance marquée des nucléus et des produits corticaux provient uniquement de la qualité et de la physionomie de la chaille à l'état brut. Ainsi, la série ne caractérise pas un atelier de taille, bien que l'implantation soit sur un gîte à silex. Les MTA de la Plane I (Turq 2000) ou du Sénonais (Deloze et al. 1994) qui n'ont pas le pourcentage d'outils de cet ensemble lithique, ne caractérisent pas non plus des ateliers de taille. Mieux, à Moutou-la-Joliette, la variété des débitages, l'exhaustion de certains nucléus, la structure équilibrée des types d'éclats, le bon taux de transformation et la grande variété des outils, laissent entrevoir un site où les activités étaient diversifiées. L'homogénéité des types de façonnage, de débitage et des caractéristiques des produits débités est très importante. Dès lors, si l'implantation peut être d'assez longue durée, nous pensons que plusieurs séquences d'occupation rapprochées dans le temps sont à l'origine de la station, l'exploitation de la zone d'approvisionnement éloignée selon deux directions opposées étant un argument. Ensuite, avec un débitage Levallois très fort, des bifaces, des couteaux à dos, des racloirs simples droits relativement sur face plane et la rareté des outils convergents, cette industrie se rapproche d'un MTA de type A (Bordes 1954, 1955, 1961; Soressi 2002). Jacques Jaubert dans une récente synthèse sur le Moustérien à rares bifaces de la partie orientale du Bassin aquitain (Jaubert 2001), arrête la reconnaissance du MTA à l'Ariège et au sud du Tarn. Pourtant, si ce Moustérien est absent de la Catalogne espagnole, en Languedoc-Roussillon il est connu de manière très fragmentaire, par quelques bifaces isolés « d'allure moustérienne », uniquement dans l'Aude : dans la vallée du Sor (Tavoso 1987), et dans la très basse vallée de l'Aude (de Lumley 1971), ainsi que dans la Montagne noire sous influences climatiques méditerranéennes dans le bassin versant du Fresquel (Tavoso & Vézian 1983). Ainsi, le MTA de Moutou-la-Joliette doit trouver sa place dans le grand complexe de MTA de débitage Levallois de France et particulièrement dans sa partie Sud. Quelles affinités a -t-il avec les MTA « des Argiles à graviers » qui se retrouvent sur toute la frange ouest du Massif central du nord du Tarn au sud de la Montagne Noire avec les stations de la Combe à Puycelsi (Duran 2002), de Fontcouverte (Tarn) et de l'Hermitage à Saint-Papoul (Aude), (Tavoso 1983, 1987) et le MTA « du moyen bassin du Tarn » évoqué par les stations du Ratier à Puycelsi (Duran 2002) et du Petit Nareye à Caladens (Tarn) (Tavoso 1987). Seront associés pour cette rapide caractérisation par recherche de similitudes, les MTA plus occidentaux de Las Planes à Mazeyrolles (Lot-et-Garonne), des Ardailloux (Lot), de la Lizone, de La Plane I (Turq 2000) et de Fonseigner Dsup., du Dau, de Courzac (Périgord) (Geneste 1985). Les MTA « du moyen bassin du Tarn » et « des Argiles à graviers », très développés sur quartz, sont peu laminaires et guère à tendance laminaire. Pour les MTA plus occidentaux, fortement produits sur silex, l'indice laminaire se situe entre 7 et 12 et la production générale est plus élancée (40 % à tendance laminaire). Les plans de frappe pour les productions Levallois sont aussi bien préparés dans les MTA « du moyen bassin du Tarn » ou du Lot-et-Garonne qu' à Moutou-la-Joliette. Dans les industries du Lot, de Dordogne, du Périgord et des « Argiles à graviers », la préparation semble moins intense. Les modalités Levallois unipolaires et bipolaires sont majoritaires à Courzac (30 % chacune). À la Combe, à la Plane I, au Ardailloux et à la Lizone, elles ne sont pas attestées, et sont à peine représentées comme à l'Hermitage de Saint-Papoul. Les MTA « du moyen bassin du Tarn » montrent un schéma Levallois dominé par la modalité récurrente centripète mais avec une modalité bipolaire moins attestée qu' à Moutou -la - Joliette. À l'Hermitage et au Petit Nareye, le débitage récurrent centripète est assez fortement concurrencé par un débitage linéal à préparation périphérique. Si des industries würmiennes comme Courzac, le Moustier (Dordogne) couche G (Soressi 1999), la Rouquette couches Bb et B (Charentien, Duran 2002; Duran & Tavoso 2005; Duran et al. à paraître) attestent d'une relative compétition entre modalités récurrentes centripètes, unies ou bipolaires, ces dernières sont les seules modalités Levallois marquées dans divers types de Moustériens « anciens » (Delagnes 1992, 1996; Geneste 1988; Boëda 1994). Dans notre aire géographique aussi, la modalité récurrente centripète devient prépondérante dans les moustériens récents et tardifs, évolution bien visible à l'Arbreda (Duran 2002; Duran & Soler en préparation) mais aussi plus au nord dans l'extrême sud des Grands Causses à la Rouquette (Duran & Tavoso, à paraître; Briki et al. à paraître). De ce fait à Moutou-la-Joliette, l'importance de la modalité récurrente pourrait affirmer un âge würmien. Tous les MTA « des Argiles à graviers », du « moyen bassin du Tarn » associent les quartz et le débitage discoïde dans de fortes proportions, bien que la technique Levallois soit omniprésente sur le silex. La faible pratique du discoïde distingue l'industrie de Moutou-la-Joliette de ces dernières. La pratique très forte du Levallois est reconnue dans les MTA du Périgord, du Lot, de l'Agenais et de Dordogne; le débitage discoïde n'étant pas effectif ou non relaté dans les études. Les méthodes de débitage discoïde s'apparentent à celles rencontrées dans les MTA « moyen bassin du Tarn » très productrices d'éclats courts à dos divers, par contre, les méthodes cordales sont fortement productrices d'éclats discoïdes à dos non limité. Dans les MTA « des Argiles à Graviers », les productions sont très différentes. Les méthodes discoïdes spécifiques développent des éclats assez allongés, tranchants et moyennement épais (Duran 2002) et les méthodes cordales sont rares et productrices de produits à dos limités. Dans les MTA « moyen bassin du Tarn », la gestion volumétrique discoïde bifaciale est plus développée, alors que dans les MTA « des Argiles à graviers », les uniaciales sont plus longtemps maintenues (Duran 2002). Malheureusement, les débitages annexes ne sont pas toujours détaillés, sauf le débitage sur face plane d'éclat-nucléus toujours plus ou moins présent. Le débitage trifacial que nous avons rencontré au Ratier et à l'Hermitage de Saint-Papoul n'est pas attesté à Moutou-la-Joliette. Nous avons rencontré, sur l'ensemble des roches, le débitage sur face supérieure d'éclat-nucléus sur l'ensemble du Paléolithique moyen du Tarn, de l'Aude, du Roussillon et de Catalogne espagnole (Duran 2002). Enfin, le débitage sur enclume est aussi important à la Combe qu' à Moutou-la-Joliette, comme la forte variété des débitages sur le silex (discoïde, Levallois, Quina, sur face plane, sur enclume). Ces productions connexes sont plus rares dans les autres MTA des « des Argiles à graviers » et du « moyen bassin du Tarn ». Pour les supports transformés, les indices Levallois typologiques de La Plane I, des Ardaillous et de la Lizone sont très forts (ILty entre 43 et 65). Ceux des MTA « des Argiles à graviers », du « moyen bassin du Tarn » et du Périgord (ILty : 30) se rapprochent, tout en étant légèrement plus bas, de ceux de la Moutou-la-Joliette. Le taux important d'éclats corticaux, caractéristique de notre industrie, se retrouve à Courzac (44 %). Si le taux important de racloirs peut faire penser à un Moustérien typique, ils sont toujours très élevés dans les MTA des Ardailloux, de la Lizone, de la Plane I et du Ratier (54 à 69 %). Au Dau (34 %) comme dans les MTA « des Argiles à graviers », les racloirs, rarement à bords convergents, sont assez peu nombreux (34 % à 20 %). Les racloirs transversaux sont nombreux dans les séries du Périgord (Geneste 1985) et sont très rares dans le Tarn, hormis à la Combe (8 %). Tous les MTA « des Argiles à graviers », et du « moyen bassin du Tarn » présentent des retouches plates et profondes, avec de rares scalariformes qui peuvent être plus attestées à Las Planes, à la Combe et en Périgord. Les taux d'outils à coches sont assez peu élevés (entre 12 et 25 %), avec peu de denticulés au Dau, à Courzac, aux Ardailloux, à la Lizone, et au Petit Nayère (encoches : 5 % et 20 % de denticulés). Par contre ceci tranche avec le MTA de la Plane I (III : 30) mais surtout avec ceux des « des Argiles à graviers », où l'enrichissement en denticulés (20 à 33 %)et en coches (20 à 30 %) est caractéristique. Dans l'ensemble des MTA « des Argiles à graviers », du « moyen bassin du Tarn », à la Plane I, à Courzac et au Dau, les couteaux à dos abattus sont anecdotiques (moins de 2 %). Nous les retrouvons dans des proportions maximales aux Ardailloux et à la Lizone (entre 3 et 7 %). Les bifaces sont assez rares dans tous les sites de comparaisons, sauf à Courzac (24 %), comme au Moustier couche G (tri sélectif ?). Les bifaces représentent entre 7 et 18 % dans les MTA des Ardailloux, de la Lizone, et entre 6 et 10 % sur les stations de Fontcouverte et du Petit Nayère. À la Plane I, l'Hermitage, à Las Planes et à la Combe, les bifaces sont très effacés (1 à 2 %). Les bifaces sont tous cordiformes et sub-cordiformes comme dans l'ensemble des MTA « du moyen bassin du Tarn » et « des Argiles à Graviers ». Dans les MTA plus occidentaux les formes à tendance triangulaire dominent. Dans les MTA « du moyen bassin du Tarn » les pourcentages de galets aménagés sont moyens (environ 20 %) et se rapprochent de ceux de Moutou-la-Joliette. Par contre, ces pièces sont rares dans les sites du Lot, du Périgord et de la Dordogne et très abondants (38 à 50 %) dans les MTA « des Argiles à graviers » et dans le Lot-et-Garonne. À Las Planes, les galets aménagés montrent une importante standardisation avec un fort façonnage unipolaire sur des pièces modales. La dominance des choppers modaux, rarement sommaires, se retrouve aussi au Petit Nayère, au Ratier et à la Combe alors qu' à Foncouverte et à l'Hermitage, les chopping-tools sont aussi nombreux que les choppers. Ces enrichissements en « outillage lourd », au-dessus de 20 %, sont surtout significatifs d'implantation sur des épandages fluviatiles fortement producteurs de galets, ce qui n'est pas tout à fait le cas de Montou-la-Joliette. Une bonne présence des galets aménagés de 15 % à 25 % semble amplement suffisante pour décrire un « faciès enrichi » et introduire l'idée d'activités ciblées de boucherie et de désarticulation. Positionné sur l'extrême sud de son aire de reconnaissance malgré de rares apparitions dans les Pyrénées comme dans la couche Csup du Portel en Ariège (Prince 2000), ce MTA apporte un éclairage nouveau sur la variabilité du Moustérien de la Catalogne, des Pyrénées et plus généralement un repositionnement de la zone d'influence du MTA par une extension vers le sud et en Méditerranée. Le MTA de Moutou-la-Joliette possède ses propres caractéristiques et, comme nous l'avons vu, le MTA n'est pas un faciès très homogène. Pourtant, nous pouvons déceler quelques franches affinités typologiques avec les MTA du « moyen bassin du Tarn », mais les techniques et modalités de débitage s'apparentent plus à celles de certains sites situés plus au nord-ouest comme les Ardailloux, la Plane I, la Lizone.Mais, la pluralité des productions annexes fait également penser au MTA enrichi en galets de la Combe .
Le gisement de plein air de Moutou-La-joliette, découvert par Jean Abelanet, se situe à moins de 20km de la Méditerranée, au pied des premières hauteurs des Corbières, sur le Crest de Rivesaltes. Cette série (1380 pièces) est attribuée au Würm. L'approvisionnement en matières premières s'effectue sur un rayon de 33 km bien que le silex local soit omniprésent. Le débitage Levallois est de modalités récurrentes puis linéales, avec des structures de préparations et de récurrence majoritairement centripètes, puis bipolaires et unipolaires parallèles et convergentes. Il cohabite avec d'abondants débitages annexes: sur éclats, discoïdes, de type Quina, orthogonaux, « unipolaires à surface peu entretenue » ou sur enclume. Les racloirs (48 %) presque uniquement simples, le plus souvent rectilignes à retouches plates, dominent les outils à coches (17 %) où les encoches sont majoritaires. Les couteaux à dos abattus (7 %) représentent la moitié du groupe IV. Les bifaces (6 %), tous à tendance cordiforme, montrent un façonnage stéréotypé. Enfin, l'enrichissement certain en choppers (16 %) est une caractéristique supplémentaire. Ces caractéristiques permettent d'attribuer la série à un Moustérien de tradition acheuléenne et en font le seul véritable représentant de ce faciès en Méditerranée occidentale. Les singularités typologiques la rapprochent des MTA du moyen bassin du Tarn, alors que ses caractéristiques technologiques rappellent celles du MTA situé plus à l'ouest.
archeologie_08-0170011_tei_315.xml
termith-84-archeologie
Dans les années 1960/1970, l'évolution des céramiques au cours du Bronze final IIb/IIIa n'était pas reconnue en Franche-Comté, jusqu' à la découverte, à la fin des années 1970, d'un horizon stratigraphique en place à la grotte des Planches-près-Arbois (Jura), qui a permis de distinguer le Bronze final IIIa. Des différences stylistiques entre le nord et le sud du territoire ont alors pu être mises en évidence (Pétrequin et alii, 1985), mais c'est un schéma évolutif global, uniquement basé sur la chronologie, qui a finalement été proposé (Pétrequin, 1988). Dans les années 1990, les fouilles préventives liées à des travaux de réaménagement et de construction dans le département du Jura, ont permis la découverte de nouveaux sites datés du Bronze final IIb/IIIa : Bletterans « Sous le Moulin » (Séara et alii, 2001), Choisey « Aux Champins » (Simonin, 1996), Quintigny « À la Feuillée » (Simonin, Ganard, 1995), Ruffey-sur-Seille « La Paule » (Gourgousse, 1995), Tavaux « Aérodrome » (Ganard, 1998 et 2004). L'étude de trois de ces sites – Choisey « Aux Champins », près de Dole; Quintigny « À la Feuillée » et Ruffey-sur-Seille « La Paule », près de Lons-le-Saunier (fig. 1) – a apporté des précisions d'ordres chronologique et culturel sur l'évolution de la céramique du Bronze final IIb/IIIa dans ce département (Bourson, 2004). Le site de Choisey « Aux Champins » est situé à 6 km au sud de Dole, dans la zone de confluence Doubs/Loue, où plusieurs occupations ont été décelées entre le Bronze final IIb/IIIa et l'époque gallo-romaine (Simonin, 1996). Cinq structures ont pu être attribuées à l'étape moyenne du Bronze final : 390, 670, 305, 443 et 274 (fig. 2). Cette dernière nous semble toutefois être plutôt attribuable au Bronze final IIIb d'après la céramique recueillie (ibid., fig. 6.79, n° 4, p. 122). Les quatre structures retenues sont situées de part et d'autre du chantier et ne constituent pas par conséquent un ensemble cohérent. L'essentiel du mobilier céramique est issu de deux fosses ayant servi de dépotoir, st. 390 et 670 (fig. 3). Ces deux structures ont été datées par le radiocarbone (datations calibrées ARC 1353, Archéolabs) entre 930 et 800 av. J.-C. pour la st. 390 et entre 940 et 790 av. J.-C. pour la st. 670. Il en a résulté une attribution globale du site à la fin du Bronze final IIIa (ibid., p. 96-107). Pourtant l'étude typologique présentée ici révèle des attributions chronologiques plus anciennes. Situé à 40 km au sud de Choisey,Quintigny « À la Feuillée » domine la plaine de Bletterans-Arlay à 8 km au nord-ouest de Lons-le-Saunier. L'occupation du Bronze final IIb/IIIa est caractérisée par quatorze structures : 1, 2, 3, 7, 10, 11, 13, 16, 18, 19, 21, 25, 30, 31 (fig. 4). Ces structures ne présentent pas véritablement d'organisation, mais la présence d'un grenier à six poteaux (st. 17, 22, 23, 27 et 29 – le dernier poteau trop arasé n'a pas été retrouvé) et de silos (st. 1, 2, 3, 13 et 16) pourrait indiquer un espace de stockage sans doute lié à un habitat se développant hors de l'emprise autoroutière.Les céramiques proviennent surtout des silos et de la structure 21 qui a livré un mobilier important (fig. 5). L'étude des céramiques faite lors du D.F.S. a permis de conclure à l'homogénéité du mobilier et de le dater du Bronze final IIb, en référence avec des sites de Bourgogne orientale, de la Vallée du Rhône et du Lac du Bourget (Simonin, Ganard, 1995, p. 10). Le site de Ruffey-sur-Seille « La Paule », proche de Quintigny, se développe sur une hauteur en bordure de la Seille, à environ 10 km au nord-ouest de Lons-le-Saunier (Gourgousse, 1995). L'occupation datée du Bronze final IIIa est composée de huit fosses situées dans la partie sud du site (fig. 6). Ces structures, très arasées et irrégulières, n'ont pu être interprétées, mais la nature de leur remplissage indique une fonction secondaire de dépotoir. Seules les structures 164 et 35 ont livré un important mobilier céramique homogène. La structure 35, à elle seule, a livré près de 2500 tessons (fig. 7). Cet ensemble présente une grande variété de formes et un nombre important d'exemplaires pour chaque type avec plusieurs profils archéologiquement complets. Quelques récipients présentent des déformations sans qu'il soit possible de dire s'il s'agit de ratés de cuisson ou des conséquences d'un incendie. Ce sont des récipients largement ouverts à profil tronconique. Deux sous-ensembles ont été distingués en fonction des dimensions et de l'angle d'ouverture des parois. Pour permettre le classement des récipients dans l'un ou l'autre type, nous avons tenu compte d'un rapport limite entre le diamètre à l'ouverture et la hauteur de 3,5 (R = D/H), défini d'après les dimensions des récipients de ce corpus et d'un angle d'ouverture limite de 110° entre les deux types. Un troisième sous-ensemble regroupe les coupes à pied (type 1.3.). Type 1.1. : assiettes largement ouvertes Les diamètres à l'ouverture oscillent entre 16,5 et 37,5 cm, avec une plus grande proportion pour les grands diamètres (au-dessus de 24 cm), la hauteur varie entre 4 et 8 cm. Le rapport entre ces deux dimensions est supérieur à 3,5 et l'angle d'ouverture est supérieur à 110°. Ces assiettes peuvent présenter des profils à paroi segmentée (1.1.a), droite ou légèrement concave (1.1.b), ou convexe (1.1c). Type 1.2. : assiettes profondes Les diamètres à l'ouverture sont compris entre 16 et 31 cm, avec une plus grande proportion pour les plus petits diamètres (entre 16 et 22), les diamètres de plus de 28 cm étant marginaux dans notre corpus, et la hauteur varie entre 6 et 9 cm. Le rapport D/H est compris entre 1,5 et 3,5 et l'angle d'ouverture est proche de 90°. Les parois sont à profil tronconique rectiligne (1.2.a) ou convexe (1.2.b). Type 1.3. : coupes à piédestal Seuls trois fragments de pied ont été découverts à Quintigny (pl. 14, n° 4 et pl. 17, n os 5 et 8) mais leur rattachement à une forme d'assiette n'a pas été possible. Ce sont des récipients de forme hémisphérique sans anse (type 2.1) ou avec anse (type 2.2). Leur diamètre à l'ouverture est compris entre 8 et 21 cm, dont une grande proportion de diamètres entre 12 et 16 cm, et la hauteur varie entre 6 et 12 cm, ce qui donne un rapport diamètre/hauteur inférieur à 2. La paroi est soit évasée et rectiligne (a) ou légèrement refermée (b), soit verticale convexe sans rebord (c). Une quatrième forme de paroi a été distinguée pour la catégorie des bols : paroi verticale convexe avec rebord (2.1.d). Les jattes présentent une même forme hémisphérique que les bols mais avec de plus grandes dimensions. Les diamètres à l'ouverture sont supérieurs à 20 cm et la hauteur varie de 7 et 11 cm pour un rapport supérieur à 2. Quatre variantes ont été distinguées, deux avec un profil plus ou moins convexe sans rebord (3a et 3b) et deux autres à profil segmenté avec rebord (3c et 3d). Les gobelets biconiques (4.1.) sont de petite taille, les diamètres à l'ouverture sont compris entre 9 et 12 cm et la hauteur entre 4,5 et 6 cm. Deux variantes ont été distinguées : une forme basse (4.1a) et une forme haute (4.1b).Les pots biconiques (4.2.), de plus grandes dimensions, présentent deux variantes : une forme biconique à rebord dont la carène est située dans la moitié supérieure de la panse (4.2.a) et une forme bitronconique sans rebord (4.2.b). Les gobelets à épaulement sont caractéristiques du R.S.F.O. Ils présentent une grande variété de formes et de décors, intéressante d'un point de vue chronologique mais également culturel. À partir des critères de taille et de forme, nous avons distingué plusieurs sous-types : les gobelets à épaulement arrondi et à col rentrant rectiligne (5a); les gobelets à épaulement de type étroit à col cylindrique rectiligne ou légèrement concave (5b); les gobelets à épaulement de type large à col cylindrique rectiligne (5c); les gobelets à épaulement de type étroit à col cylindrique convexe (5d); les gobelets à épaulement de type étroit à col évasé rectiligne ou légèrement concave (5e); les gobelets à épaulement de type large à col évasé rectiligne ou légèrement concave (5f). Plusieurs variantes ont été distinguées dans cet ensemble selon la forme du col et la taille du récipient : petit vase à col évasé (6a); vase à col évasé légèrement concave (6b) : vase à col évasé convexe (6c); urne à col cylindrique, souvent décorée de larges cannelures horizontales sur le haut de la panse (6d); vase de type large à épaule haute et col cylindrique court (6e). Ce type regroupe les pots ansés ou « cruches » au sein desquelles ont été distinguées deux formes : une forme petite à profil arrondi, munie d'une anse au milieu de la panse (7a) et une forme biconique avec une anse située dans la partie haute du récipient, sous le bord (7b). De même forme que le type 1.1. largement ouvert et réalisé en pâte grossière, ce récipient a un diamètre à l'ouverture de 26 cm et une hauteur d'environ 6 cm. Un seul exemplaire est présent sur le site de Choisey « Aux Champins », st. 390. Ce type regroupe des récipients hémisphériques de grandes dimensions pour lesquels deux sous-types ont été distingués : un récipient à profil convexe avec rebord (9a) et un récipient au profil légèrement caréné (9b). Deux sous-types ont été distingués en fonction des dimensions des récipients : les pots de moyennes dimensions dont le diamètre à l'ouverture est inférieur à 25 cm (type 10.1) et les pots de grandes dimensions dont le diamètre à l'ouverture est supérieur à 25 cm (type 10.2). Type 10.1. : pots de moyennes dimensions Le profil peut être : sinueux avec une épaule surbaissée et un bord évasé (10.1.a) ou avec une épaule haute, arrondie et un bord droit (10.1.b); de forme biconique à bord oblique, avec un diamètre maximum largement supérieur au diamètre d'ouverture (10.1.c) ou sensiblement égal à celui -ci (10.1.d) ou à panse ovoïde et bord oblique (10.1.e). Nous avons intégré, au sein de ce type de récipients, une cruche qui présente le même type de profil que les pots et est sensiblement de même dimension. Son profil est sinueux avec un bord évasé, l'anse, placée verticalement, est rattachée au bord (10.1.f). Type 10.2. : pots de grandes dimensions Les profils sont soit biconiques larges à carène haute dont le diamètre maximum est supérieur au diamètre à l'ouverture et dont le bord est oblique et fait un angle de 45° avec la panse (10.2.a), soit biconiques à carène médiane avec la partie supérieure de la panse légèrement concave (10.2.b) ou encore à panse globuleuse et bord oblique (10.2.c). Type 11 : micro-poteries réalisées en pâte grossière dont deux variantes ont été définies : un profil ramassé aux parois légèrement évasées avec un petit rebord (11a) et une forme plus haute au profil convexe avec un rebord (11b). Type 12 : cuillère à fond plat avec une poigné en partie creuse, sans doute pour permettre un emmanchement. Type 13 : plaque ou couvercle circulaire à rebord, plat ou légèrement convexe, en pâte fine. Type 14 : fragment de faisselle, percé de petits trous d' 1 cm de diamètre environ, espacés régulièrement. La forme du récipient n'a pu être définie en raison de la petite taille du fragment. Les bords de récipients présentent des particularités dans leur forme ou leur décor qu'il convient de prendre en compte lors de l'étude de céramiques. Ces particularités montrent des tendances liées à la chronologie ou à des orientations culturelles différentes. Pour tenter de mettre en évidence ces tendances, les bords ont été classés dans quatre catégories, sans tenir compte du type de récipient : les bords directs (A), qui suivent la ligne de la paroi, les bords indirects courts (B) ou longs (C), qui présentent une discontinuité marquée avec le profil du récipient et les rebords décrochés (D), spécifiques du type 1. À l'intérieur de ces catégories, plusieurs variantes ont été définies selon la forme de la lèvre : arrondie, aplatie, étirée, cannelée, etc.; ou selon l'orientation du bord : oblique, horizontal, tombant, etc. Comparés aux céramiques richement décorées de la grotte des Planches-près-Arbois, les décors présents sur les sites étudiés ici sont peu nombreux et particulièrement sobres, les motifs y sont surtout linéaires, incisés ou cannelés. Des préférences pour l'une ou l'autre technique se remarquent selon le site, les incisions étant plus présentes à Choisey alors que les cannelures représentent l'essentiel des décors du site de Quintigny « À la Feuillée », ce qui peut révéler des affinités culturelles différentes. Les cannelures sont en effet plus présentes dans le domaine rhône-alpin alors que les incisions sont plus spécifiques des régions nord-orientales (Alsace, Allemagne et Suisse). Les décors rencontrés sur les trois sites sont présentés par type de récipient (fig. 11 et 12; légende en annexes). Afin de nous permettre de distinguer des groupes au sein des ensembles céramiques, nous avons mis en place une sériation des structures de chaque site. L'examen quantitatif et qualitatif des séries nous a conduit à sélectionner les éléments les plus pertinents (formes, décors…) présentés numériquement dans le tableau ci dessous (fig. 13). La sériation permet de distinguer trois ensembles : - le premier groupe qui se distingue est composé des structures 390 et 305 du site du Choisey « Aux Champins ». Elles forment un ensemble homogène, avec la présence d'assiettes à profil brisé, d'assiettes décorées de motifs de « guirlandes », de gobelets à épaulement et col rentrant avec décors d'arceaux cannelés, de gobelets à épaulement et col cylindrique de type étroit. - le second groupe est composé du site de Quintigny « À la Feuillée » et des structures 670 et 443 de Choisey « Aux Champins », avec des gobelets à épaulement et col cylindrique de type étroit et large décorés de motifs géométriques ou de cannelures horizontales, des assiettes à degrés ou à fines cannelures horizontales, des rebords décrochés. - le troisième groupe est représenté par le site de Ruffey-sur-Seille « La Paule », avec la présence d'assiettes à degrés, de jattes à décors linéaires incisés, de gobelets à épaulement et col ouvert, de décors de méandres. Des fragments d'assiettes, dont la forme générale n'a pu être reconnue, sont décorés de lignes plus ou moins fines, incisées au peigne à trois dents (fig. 14, n os 4-6), qui peuvent se rattacher à des motifs de « guirlandes » ou à des décors « rayonnants ». Ce type de motif se retrouve au Bronze final IIb dans des coupes non segmentées à profil rectiligne ou convexe : à Peppange au Luxembourg (Waringo, 1988, fosse E, fig. 8, p. 149); en Alsace, à Achenheim (Piningre, 1988, tombe 2, pl. 1, n° 1) et à Lingolsheim « Les Sablières Modernes » (Lasserre, Rohmer, 1994, fig. 4), ainsi qu'en Lorraine, à Vandières « Les Grandes Corvées » (Boura et alii, 1990, fig. 9, n° 8). Ce type d'assiette est présent dans le groupe « Main-Souabe » de W. K immig( Kimmig ,1951, fig. 1, n° 8) souvent associé à de riches décors incisés, guirlandes ou motifs rayonnants. Des exemplaires non décorés sont également répertoriés en contexte Bronze final IIa, à Peppange au Luxembourg (Waringo, 1988, fosse B, fig. 6, p. 147), ainsi que pour la première moitié du Bronze final IIb sur le site de Bavois-en-Raillon (Vaud) (Vital, Voruz, 1984, couche 3). Ce type de petit gobelet biconique apparaît au Bronze final I où il est présent sur le site des « Gours-aux-Lions » à Marolles-sur-Seine, en Seine-et-Marne (Mordant, Mordant, 1970). Décoré de lignes horizontales incisées, il est plus typique de la transition Bronze final IIa/IIb dans le Bassin parisien comme à Aulnay-aux-Planches (Marne), Hermé-les-Grèves et Misy-sur-Yonne (Seine-et-Marne) (Mordant, 1988, fig. 2, n os 3-5, fig. 3, n os 3 et 5 et n os 6), ainsi qu'en Moselle sur le site de Yutz (Klag, 1999, pl. 1, n° 4). Les deux formes, basses et hautes, sont également présentes au Hohlansberg, dans le Haut-Rhin, en contexte Bronze final IIb (Bonnet, 1973, fig. 10, n os 6 et 7). Ce type de gobelet est présent en grande quantité dans la structure 390 (pl. 1) où treize exemplaires sont dénombrés, décorés de bossettes ou demi-bossettes cannelées associées à des lignes verticales peignées (fig. 14, n os 13-14) ou à de fines cannelures verticales (fig. 14, n° 12). Ce récipient est typique du R.S.F.O. et correspond au type 13a défini lors du colloque de Nemours (Brun, Mordant, 1988). En France, il est plus caractéristique des régions du Nord-Est où on le rencontre dans des contextes du début du Bronze final IIb : en Franche-Comté, il est présent à Dampierre-sur-le-Doubs (Pétrequin et alii, 1969, fig. 19, n os 2, 3 et 6) et à Quitteur (Haute-Saône) (Nicolas, 2002, pl. 179); en Alsace, il est associé à des coupes segmentées dans une fosse d'habitat de Magstatt (Haut-Rhin) (Piningre, 1988, p. 188, pl. IV, n° 16); en Lorraine, il est présent sur le site 13 de Yutz (Moselle) (Klag, 1999, pl. 13, n° 7) et en Champagne à Broussy-le-Grand (Marne) (Chertier, 1988, fig. 4, n os 3 et 4). Ces gobelets correspondent au type 11 du colloque de Nemours (Brun, Mordant, 1988). Ils apparaissent au début du Bronze final IIb et perdurent pendant toute l'étape moyenne du Bronze final pour laquelle ils sont un élément représentatif. Leur présence en petit nombre dans cette structure, associés à des éléments représentatifs d'une étape antérieure, indique plutôt une datation au tout début du Bronze final IIb. En Franche-Comté, ces pots sont plutôt caractéristiques de périodes antérieures au Bronze final IIb. Un exemplaire, présent à la grotte de Vaux-les-Prés, dans le Doubs, est daté du Bronze final I (Pétrequin, Urlacher, 1967; fig. 3). Leur présence dans la structure 390 de Choisey (fig. 14, n° 26 et 27), en association avec des récipients typiques du Bronze final IIb, indique une perduration de ces formes à l'étape moyenne du Bronze final régional. Attribution chronologique de la structure 390 D'après la date 14 C calibrée (Arc 1353, Archéolabs), donnée dans le D.F.S. (Simonin, 1996), la structure 390 se situerait entre 930 et 800 av. J.-C., soit au Bronze final IIIb. Or, comme le montrent les comparaisons, les céramiques se rattachent plutôt à la période de transition Bronze final IIa/IIb ou au tout début du Bronze final IIb avec des assiettes à profil brisé, des décors incisés rayonnants, des gobelets à col rentrant décorés d'arceaux cannelés et la présence en faible quantité de gobelets à épaulement de type étroit. Les comparaisons ont été essentiellement trouvées dans des ensembles du Nord-Est (Champagne, Lorraine, Alsace et Luxembourg), ce qui indique un rapprochement stylistique entre Choisey « Aux Champins » et ces régions. Ces formes d'assiettes à profil rectiligne ou convexe apparaissent au début du Bronze final IIb et perdurent jusqu' à la fin du Bronze final IIIa. Ornées de degrés internes, elles seraient plus spécifiques du Bronze final IIIa. En Franche-Comté, ce type de décor est surtout attesté en contexte Bronze final IIIa : dans le Jura, à la grotte des Planches-près-Arbois (Pétrequin et alii, 1985, p. 128-129), à Andelot-Morval (Magny et alii, 1984, fig. 8, n os 10-11) ou à Tavaux « Aérodrome » (Ganard, 1998, fig. 13, n° 1), mais il pourrait apparaître plus tôt, comme à Quitteur « Sur la Noue » (Haute-Saône) où il est présent sur des assiettes en contexte Bronze final IIb récent (Nicolas, 2002, pl. 155). Sur les sites lacustres de Suisse (Zug-Sumpf, Hauterive-Champréveyres) et des régions alpines (Chens-sur-Léman), ces formes sont présentes dès la phase initiale de l'occupation des bords de lacs, vers 1070/1050 av. J.-C. (S eifert, 1997; Borrello, 1992; Launay, 2001). Ces gobelets se rencontrent sur toute l'aire géographique du R.S.F.O. pendant toute l'étape moyenne du Bronze final. La forme des gobelets et leur décor permettent d'apporter des précisions d'ordres chronologique et culturel. Dans la structure 670, les gobelets présentent des cols bien rectilignes, certains décorés de lignes horizontales incisées, avec un épaulement anguleux décoré de motifs géométriques incisés au peigne à deux dents, composés d'alternance de traits obliques encadrés de lignes horizontales et de séries de traits verticaux (pl. 5, n os 4 à 15). On rencontre ce type de gobelet à épaule anguleuse dans les régions rhénanes, sur les sites de Strasbourg-Cronenbourg et du Hohlansberg (Piningre, 1988, p. 182), dans une phase évoluée du Bronze final IIb ou au tout début du Bronze final IIIa. En Franche-Comté, c'est dans la zone septentrionale qu'il est le plus représenté, comme à Quitteur « Sur la Noue » (Haute-Saône) (Nicolas, 2002, pl. 171) ou à Dampierre-sur-le-Doubs (Doubs) (Pétrequin et alii, 1969, fig. 7, n° 4) également dans des contextes du Bronze final IIb récent. Attribution chronologique de la structure 670 Une datation 14 C a également été donnée pour cette structure lors du DFS (Arc 1358, Archéolabs) : datation calibrée entre 940 et 790 av. J.-C., soit à la fin du Bronze final IIIa et au Bronze final IIIb. Les éléments les plus représentatifs de cette structure, bien que peu nombreux - assiettes à degrés et gobelets à épaulement - montrent une homogénéité chronologique et permettent une attribution plus ancienne au Bronze final IIb récent ou au début du Bronze final IIIa. Cette structure révèle de nouveau un rapprochement stylistique avec le Rhin par la présence de gobelets à épaulement anguleux à décors géométriques assez spécifiques de ces régions. L'ensemble de Quintigny « À la Feuillée », bien que placé dans le même groupe que la st. 670 de Choisey, présente des caractéristiques stylistiques différentes. Les formes des récipients sont particulières et les décors basés essentiellement sur les cannelures. Cette dernière spécificité se rencontre surtout dans les régions alpines où des comparaisons ont pu être trouvées. La forme générale des assiettes de Quintigny, à profil rectiligne ou convexe, ne diffère pas de celles rencontrées à Choisey « Aux Champins » dans la structure 670. Certaines assiettes sont également décorées de degrés internes, ce qui les situe au Bronze final IIb récent ou au Bronze final IIIa. Par contre, certaines spécificités ne se rencontrent qu' à Quintigny tels les rebords décrochés ou les décors de fines cannelures horizontales. Les rebords décrochés se rencontrent dans les régions du Rhin dans des contextes du Bronze final IIb, associés à des décors incisés : dans le Haut-Rhin, à Merxheim (Bonnet, Plouin, 1979, fig. 5, n° 16) et au Hohlansberg (Jehl, Bonnet, 1968, fig. 11), et dans le Bas-Rhin, à Achenheim (Heintz, 1953, pl. 5, n os 10-14, et pl. 6, n os 1-3). À Quintigny, les décors associés sont différents : nous trouvons des lignes de zigzags (pl. 17, n° 1), décor présent en Suisse sur des assiettes sans rebord décroché, à Hauterive-Champréveyres dès 1070/1050 (Borrello, 1993, pl. 2, n° 8), puis sur des assiettes à degrés vers 1050/1030 av. J.-C. (ibid., zone 1, couche 3, pl. 77, n° 3), ou des séries de fines cannelures horizontales internes (pl. 17, n° 3), décor plus spécifique des régions méridionales (domaines alpin et rhodanien). Les séries de cannelures horizontales groupées par deux ou trois lignes représentent une grande partie des décors internes des assiettes de Quintigny. En Franche-Comté les cannelures horizontales se rencontrent surtout dans le département du Jura, à Tavaux « Aérodrome » (Ganard, 1998, fig. 29, n° 18) et à la grotte de Chancia (Aimé, Jacquier, 1985, fig. 11, n° 44 et fig. 5, n° 26). Mais aucun exemplaire n'est répertorié à la grotte des Planches-près-Arbois, site de référence pour le Bronze final IIIa dans le département du Jura (Pétrequin et alii, 1985). Ces séries de cannelures sont quelquefois associées à d'autres décors tels que les degrés (pl. 7, n° 1; pl. 9, n° 1; pl. 16, n° 1), association qui se retrouve sur les sites lacustres suisses : à Hauterive-Champréveyres, zone A, couche 3, vers 1050/1030 av. J.-C. (Borrello, 1993, pl. 17, n° 4) et sur le site de Cortaillod-Est (Suisse), daté entre 1010 et 965 av. J.-C. (Borrello, 1986, pl. 14, n° 6), ainsi que dans le domaine alpin, sur le site de Tougues, à Chens-sur-Léman (Haute-Savoie), dans l'ensemble 3, daté par la dendrochronologie entre 1070 et 1040 av. J.-C. (Billaud, Marguet, 1992, fig. 22). D'autres cannelures sont associées à des chevrons incisés situés sur le haut de la face interne de l'assiette et réalisés au peigne à deux ou trois dents (pl. 14, n° 2) avec parfois la présence de matière blanche à l'intérieur des sillons (pl. 14, n° 3). Les chevrons incisés se rencontrent pendant toute la phase moyenne du Bronze final et jusqu'au Bronze final IIIb mais leur situation dans des assiettes semble plus spécifique au Bronze final IIb comme à Aulnay-aux-Planches (Marne) où le décor est situé dans une coupe à pied (Brisson, Hatt, 1953, fig. 40, n° 10) ou à Quitteur « Sur la Noue » (Haute-Saône) où ils sont associés à des triangles hachurés (Nicolas, 2002, pl. 147). Au Bronze final IIIa, ce type de décor est présent uniquement sur des gobelets, à la grotte des Planches-près-Arbois, dans le Jura (Pétrequin et alii, 1985, fig. 90, n° 1). Trois fragments de pied appartenant sans aucun doute à des coupes ont été répertoriés (pl. 14, n° 4, pl. 17, n os 5 et 8) mais le profil des récipients n'est pas connu et pourrait être segmenté ou non, avec ou sans décor interne. Ce type de coupe à pied est considéré comme caractéristique du groupe Main-Souabe, au début du Bronze final IIb (Chertier, 1988, fig. 4, n° 2). Il est présent dans différentes régions, souvent en contexte funéraire : en Champagne, à Broussy-le-Grand « Le Pralat » (Marne), enclos A (ibid.) et à Courtavant (Aube), enclos 44 (Piette, Mordant, 1988, fig. 3, C), en Bourgogne, à Vicreuses (Bouthier et alii, 1988, fig. 2, inc. 17). On le trouve quelquefois en contexte d'habitat comme en Savoie, sur le site de Conjux II, à Conjux et Portout (Kerouanton, 1999, fig. 6, n° 3) ou en Suisse, à Auvernier-Nord (canton de Neuchâtel), dans un niveau daté par la dendrochronologie vers 980 av. J.-C., mais dont la présence semble « étonnante dans un contexte aussi récent » (Borrello, 1992, fig. 67, n° 3). En Franche-Comté ce type de coupe est absent des autres sites et est donc, pour le moment, particulier à Quintigny. À Quintigny, les gobelets possèdent des cols cylindriques souvent convexes (pl. 18, n os 1-2) et des épaules plus arrondies que sur le site de Choisey, avec des décors de cannelures horizontales au sommet de celles -ci (pl. 18, n os 4 à 11). La forme arrondie de l'épaulement et ce type de décor sont plus spécifiques des zones situées au sud du Jura : ils sont présents dans l'Ain sur le site de la grotte de « la Balme à Gontran » à Chaley (Treffort, Nicod, 2001, fig. 22, n os 25-29), en Haute-Savoie dans l'ensemble 3 du site de Tougues à Chens-sur-Léman, vers 1070/1040 av. J.-C. (Launay, 2001, vol. 2, pl. 82, n° 331, et Billaud, Marguet, 1992) et dans la vallée du Rhône où ils sont plutôt caractéristiques du Bronze final IIb. En Franche-Comté, les décors de cannelures sur l'épaule des gobelets sont assez rares et se rencontrent plutôt sur des formes de gobelet à col ouvert, en particulier dans le département du Jura et dans des contextes plus récents comme à la grotte des Planches-près-Arbois (Pétrequin et alii, 1985, fig 91, n° 4 et fig. 92, n° 9), à la grotte du Bief du Marais à Andelot-Morval (Magny et alii, 1984, fig. 10, n° 5), à Bletterans « Sous le Moulin » (Séara et alii, 2001, fig. 17, n° 4) et sur le site de l'Aérodrome, à Tavaux (Ganard, 1998 et 2004, fig. 24, n° 8), tous attribués au Bronze final IIIa. En Franche-Comté les gobelets à col ouvert sont considérés comme une évolution de la céramique et seraient plus spécifiques du Bronze final IIIa (Pétrequin, 1988, p. 218). Toutefois, en domaine alpin, ils se rencontrent dans des contextes plus anciens comme dans l'ensemble 3 du site de Tougues, à Chens-sur-Léman (Haute-Savoie) (Billaud, Marguet, 1992, fig. 22). Le site de Quintigny possède plusieurs exemplaires d'urnes à col cylindrique décorées de larges cannelures horizontales sur le haut de la panse (pl. 15, n os 1 à 3). Au Bronze final IIb, elles sont surtout présentes dans des contextes funéraires, comme urne cinéraire (Bonnamour, Mordant, 1988, fig. 2, n° 11, p. 366), mais se rencontrent également dans des niveaux d'habitat, en contexte plus récent comme à Colmar (Haut-Rhin), au début du Bronze final IIIa (Maise, Lasserre, 2005, pl. 6, n os 100 et 101). Ce type de récipient ressemble morphologiquement aux gobelets à épaulement de type large, tels ceux rencontrés à la grotte des Planches-près-Arbois (Pétrequin et alii, 1985, fig. 92, n° 4), mais de dimensions plus importantes. Il est décoré sur l'épaule de larges cannelures verticales presque rectangulaires et peu profondes (pl. 14, n° 1), de petites cannelures obliques surmontées de lignes horizontales incisées (pl. 19, n° 7) ou de cannelures obliques moyennes (pl. 19, n os 8-9). Au sud du Jura, ce type de récipient décoré de larges cannelures obliques est attesté en Haute-Savoie, sur le site de Collonges-sous-Salèves « Station du coin » pour l'étape moyenne du Bronze final (Oberkampf, 1997, pl. 16, n° 11), ainsi qu'en Savoie, dans l'ensemble 3 du site de Tougues, à Chens-sur-Léman (Launay, 2001, fig. 97, n os 351/352 et 292). Un type particulier de jarre biconique à panse fortement carénée et très large avec un bord très déversé formant un angle d'environ 45° avec la panse, décoré d'impressions digitées au diamètre maximal, est présent à Quintigny (pl. 7, n os 5 et 8). Cette forme se rencontre surtout dans les régions situées au sud du Jura : dans l'Ain à la grotte de « la Balme à Gontran », à Chaley (Treffort, N icod, 2001, fig. 19, n° 13), ou dans le Rhône, à Vénissieux le « Vieux Bourg » (Joly et alii, 1993, fig. 22, n° 5). En Franche-Comté, elle est surtout présente dans le département du Jura : à Arbois « Les Pommerets » (Pétrequin, Richard, 1983, fig. 5, n os 1 et 3) et à Tavaux « Aérodrome », parmi le matériel hétérogène du chenal (Ganard, 1998 et 2004, fig. 30, n° 10). L'attribution chronologique de ce type de récipient est difficile mais il est intéressant d'un point de vue stylistique et montre des affinités avec les régions au sud du Jura. Attribution chronologique et stylistique du site de Quintigny « À la Feuillée » Les éléments présents à Quintigny révèlent une attribution de cet ensemble entre la fin du Bronze final IIb et le début du Bronze final IIIa, ce qui place ce site à la même phase chronologique que la structure 670 de Choisey « Aux Champins ». Toutefois ces deux sites présentent des caractéristiques stylistiques différentes. Le site de Choisey montre des affinités avec les régions rhénanes tandis que les céramiques de Quintigny sont plus proches du faciès nord-alpin. Les comparaisons trouvées sur le site de Tougues à Chens-sur-Léman nous permettent d'avancer une date entre 1070 et 1040 av. J.-C. Le troisième groupe mis en évidence lors de la sériation (fig. 13) est représenté par les structures 35 et 164 de Ruffey-sur-Seille « La Paule ». À Ruffey-sur-Seille, les assiettes sont à profil tronconique plus ou moins profondes, les assiettes à profil segmenté et les coupes à pied sont absentes. Les décors internes sont essentiellement à base de degrés : 38 % des assiettes répertoriées sont à degrés (pl. 22). Comme nous l'avons vu précédemment, les assiettes à degrés existent dès la phase initiale de l'occupation des sites lacustres à la transition Bronze final IIb/IIIa et perdurent pendant tout le Bronze final IIIa. Certaines assiettes à degrés présentent des cannelures plus fines situées uniquement dans la partie inférieure de la panse (pl. 22, n° 1). Ce type de décor, fréquent au Bronze final IIIa, est présent à la grotte des Planches-près-Arbois (Pétrequin et alii, 1985, fig. 102, n° 1) et à la grotte de la Balme à Gontran, à Chaley (Ain) à la même période (Treffort, Nicod, 2001, fig. 11, n os 1-7). En Suisse, il apparaît sur le site de Hauterive-Champréveyres vers 1050/1030 en zone A, couche 3 (Borrello, 1993, pl. 16, n° 4). Les jattes de Ruffey-sur-Seille sont décorées à l'extérieur de lignes horizontales incisées, groupées par série de deux ou trois lignes plus ou moins fines et régulières (pl. 24, n os 12 à 22). Ce type de jatte apparaît sur les sites lacustres de Suisse vers 1050/1030 av. J.-C., comme à Hauterive-Champréveyres (Borrello, 1993) ou à Zug « Sumpf » (Seifert, 1997) où elles sont considérées comme une nouveauté à partir de cette étape chronologique. Associées à d'autres types de décor (chevrons, méandres, etc.), elles se retrouvent dans des contextes plus récents, vers la fin du Bronze final IIIa, comme à Cortaillod-Est, daté par la dendrochronologie vers 1010/965 av. J.-C. (B orello, 1986). Mais ces décors font défaut à Ruffey-sur-Seille. En Franche-Comté, les jattes décorées de lignes horizontales se rencontrent plus particulièrement au sud, dans le département du Jura, sur des sites attribués au Bronze final IIIa : à la grotte des Planches-près-Arbois, horizon C3/D2 - où sont également présentes des jattes décorées de méandres (Pétrequin et alii, 1985, fig. 109, n° 1 et fig. 155, n° 5) - à Tavaux « Aérodrome » (Ganard, 1998 et 2004, fig. 5, n° 3 et fig. 13, n° 1) et à la grotte de Chancia (Aimé, Jacquier, 1985, fig. 6, n os 31 et 33). À Ruffey-sur-Seille, les gobelets à épaulement sont en grande majorité à col ouvert décoré de lignes horizontales incisées au peigne à deux ou trois dents, fines ou larges. Deux exemplaires de type étroit, archéologiquement complets, présentent des lignes incisées sur le col et l'épaule (pl. 24, n os 8-9). Comme nous l'avons vu précédemment pour Quintigny, les gobelets à col ouvert sont plus spécifiques du domaine rhône-alpin. Sur le site de Tougues à Chens-sur-Léman (Haute-Savoie), ils sont présents dans les ensembles 3 et 2, datés respectivement entre 1070 et 1040 av. J.-C. et entre 1017 et 965 av. J.-C. (Billaud, Marguet, 1992, fig. 22 et 23). En Franche-Comté les cols ouverts sont surtout attestés sur les sites du département du Jura comme Bletterans (Séara et alii, 2001, fig. 17, n os 2 et 3), la grotte du Bief du Marais à Andelot-Morval (Magny et alii, 1984, fig. 10, n os 1 et 2) ou la grotte des Planches-près-Arbois (Pétrequin et alii, 1985, fig. 92, n os 3 et 5). Les mêmes décors de lignes horizontales incisées se retrouvent sur des cols de gobelets de type large mais un exemplaire est décoré de fines cannelures horizontales au sommet de l'épaule (pl. 24, n° 3), semblable à celui de Quintigny (pl. 18, n° 7), décor également attesté sur d'autres sites du Jura : Bletterans « Sous le Moulin » et Tavaux « Aérodrome », attribués au Bronze final IIIa (Séara et alii, 2001, fig. 17, n° 4; Ganard, 1998, fig. 24, n° 8). Un décor de méandres incisés au peigne à trois dents est présent sur un fragment de col de gobelet à épaulement, provenant de la st. 164 (pl. 30, n° 7). Ce type de décor est bien représenté à la grotte des Planches-près-Arbois, aussi bien à l'intérieur de coupes que sur des gobelets à épaulement (Pétrequin et alii, 1985, fig. 91, 93 et 94, n° 1). En Suisse, il apparaît dans des assiettes à partir de 1030 av. J.-C., comme à Hauterive-Champréveyres, couche 1 (Borrello, 1993, pl. 86, n os 8-10), et est utilisé sur d'autres formes de récipient à des dates plus récentes comme à Cortaillod-Est, entre 1010 et 965 av. J.-C. (Borrello, 1986, pl. 22, 23, 39, 43 et 60). À la fin du Bronze final IIIa, les méandres deviennent plus rares et sont uniquement présents sur des formes hautes à Hauterive-Champréveyres, zones D et E, datées entre 980 et 870 av. J.-C. (Borrello, 1992, pl. 22, n° 7, pl. 56, n os 13-17). En domaine rhône-alpin ce type de décor est très rare : un seul exemplaire est répertorié sur le site de Tougues à Chens-sur-Léman (Haute-Savoie), dans l'ensemble 2 (Launay, 2001, pl. 82, n° 477). Attribution chronologique du site de Ruffey-sur-Seille « La Paule » Le site de Ruffey-sur-Seille présente des formes et surtout quelques éléments décoratifs qui permettent de le placer au Bronze final IIIa, à partir de 1050/1030 av. J.-C., date à partir de laquelle les jattes décorées de lignes horizontales apparaissent sur les sites lacustres de Suisse, à Zug ou à Hauterive-Champréveyres (Seifert, 1997; Borrello, 1993). Le rapprochement avec le site de référence de cette période dans le département du Jura, la grotte des Planches-près-Arbois, est difficile. Les décors de Ruffey-sur-Seille sont en effet très sobres, basés sur des motifs linéaires incisés ou cannelés, contrairement aux céramiques richement décorées de la grotte des Planches-près-Arbois (Pétrequin et alii, 1985). D'autres sites du Jura tels Quintigny « À la Feuillée », Bletterans « Sous le Moulin », ou Andelot-Morval « la grotte du Bief du Marais » présentent cette même sobriété décorative. L'étude comparative a permis de mettre en évidence que cette spécificité se retrouve surtout dans les régions nord-alpines, notamment sur le site de Tougues à Chens-sur-Léman (Savoie) où les décors sont essentiellement linéaires et où les cannelures sont très répandues (Launay, 2001; Billaud, Marguet, 1992). Cette constatation montre qu'un rapprochement stylistique est possible entre le sud du Jura et le domaine nord-alpin plutôt qu'avec la Suisse occidentale, comme c'est le cas pour la grotte des Planches-près-Arbois (Pétrequin et alii, 1985). Cette étude a permis de distinguer trois phases chronologiques entre le Bronze final IIb et le Bronze final IIIa dans le département du Jura et a mis en évidence des différences stylistiques entre le nord et le sud. Le début du Bronze final IIb est représenté par l'ensemble céramique de la structure 390 de Choisey « Aux Champins », situé près de Dole. Les comparaisons pour cet ensemble ont essentiellement été trouvées dans les régions du Nord-Est : en Champagne, Lorraine, Alsace et en Suisse. Une deuxième phase, située entre la fin du Bronze final IIb et le début du Bronze final IIIa, a été reconnue à travers le mobilier céramique de la structure 670 de Choisey « Aux Champins », site toujours stylistiquement proche des régions rhénanes et de la Suisse orientale, et le mobilier du site de Quintigny « À la Feuillée », près de Lons-le-Saunier. Celui -ci présente, par contre, des affinités avec les régions nord-alpines. La troisième phase, attribuée au Bronze final IIIa, est représentée par la céramiques du site de Ruffey-sur-Seille « La Paule » qui, comme Quintigny, révèle des rapprochements avec le domaine nord-alpin. Au Bronze final IIb/IIIa, le département du Jura ne présente donc pas un faciès homogène entre le nord et le sud mais est partagé entre plusieurs entités culturelles. À une plus grande échelle, l'étude des ensembles céramique de toute la Franche-Comté (Bourson, 2005) a permis de distinguer les mêmes phases chronologiques et a fait apparaître la même partition stylistique nord/sud. Les sites attribués au Bronze final IIb sont surtout présents dans le nord de la Franche-Comté : Dampierre-sur-le-Doubs (Doubs), fosse 32 (Pétrequin et alii, 1969), Choisey « Aux Champins », st. 390, et certaines fosses de Quitteur « Sur la Noue » (Haute-Saône) (Nicolas, 2002). La transition Bronze final IIb et IIIa, est représentée au nord par Dampierre-sur-le-Doubs, fosses 8, 15 et 19, Gondenans-les-Montby (Doubs), sép. 2 (Pétrequin, 1972), Valentigney « Pézoles » (Bourson, 2005, fig. 14 à 18), Quitteur « Sur la Noue » et Choisey « Aux Champins », st. 670. Au sud, seul le site de Quintigny est représentatif de cette période. La troisième phase chronologique, au Bronze final IIIa, est représentée au nord de la Franche-Comté par la « grotte de la Balme » à Gonvillars (Haute-Saône) (Bourson, 2005, fig. 12 et 13), Valentigney « Les Tâles » (ibid., fig. 20), « Sous la Novie » (ibid., fig. 21 à 24). Au sud, les sites de Tavaux « Aérodrome » (Ganard, 1998 et 2005), Bletterans « Sous le Moulin » (Séara et alii, 2001), la grotte des Planches-près-Arbois (Pétrequin, 1985), Ruffey-sur-Seille « La Paule » et Andelot-Morval « la grotte du Bief du Marais » (Magny et alii, 1984) sont attribués à cette période. Les mêmes orientations culturelles ont été constatées entre le nord de la Franche-Comté, d'une part, influencé par les régions du nord-est, et le sud, d'autre part, proche du domaine alpin, à l'exception de la grotte des Planches-près-Arbois qui se rapproche stylistiquement de la Suisse occidentale. Les limites de ces influences sont difficiles à déterminer et nous ne pouvons, dans l'état actuel de la documentation, que leur donner une localisation hypothétique : le Doubs semble former une limite naturelle entre le nord et le sud de la Franche-Comté tandis que les monts du Jura pourraient être une limite entre l'est et l'ouest du territoire (fig. 18). Cette différenciation stylistique se retrouve plus largement sur toute la France où les techniques décoratives se répartissent selon une limite nord/sud : au nord, les techniques les plus utilisées sont les incisions, tandis qu'au sud, ce sont les cannelures qui représentent l'essentiel des décors des ensembles céramique (Nicolas, 2003, annexe 46). Types 1 (fig. 11) 1. Sillons courbes d'un mm de large, irréguliers; peigne à trois dents souples. 2. Lignes courbes fines, régulières, incisées au peigne à trois dents. 3. Lignes très fines, courbes, rapprochées; peigne à huit dents. 4. Cannelures horizontales. 5. Degrés ou ressauts. 6. Degrés et cannelures horizontales. 7. Séries de zigzags irréguliers. 8. Arcs de cercle incisés au peigne à trois dents. 9. Chevrons incisés au peigne à deux dents rigides, sur des cannelures horizontales. 10. Chevrons incisés au peigne à trois dents rigides, remplis de pâte blanche. 11. Triangles hachurés sous un degré, partie centrale de la paroi interne. 12. Motif triangulaire incisé au peigne à trois dents fines. Type 2 13. Anse décorée de lignes horizontales incisées et de petites estampes rondes. 14. Cannelures circulaires situées sous le fond. 15. Cannelures horizontales dans la partie inférieure de la panse. Type 3 16. Lignes horizontales fines, régulières, incisées au peigne à deux ou trois dents. 17. Sillons horizontaux d'un mm de large, réguliers, au peigne à deux ou trois dents. 18. Lignes horizontales fines, régulières, au peigne rigide à trois dents. 19. Lignes horizontales fines, irrégulières, au peigne souple à deux ou trois dents. Type 4.1 20. Sillons horizontaux d'un mm de large, réguliers, au peigne à deux dents. 21. Lignes horizontales fines, régulières, au peigne à deux dents. Type 5 22. Col : sillons horizontaux, réguliers, surmontant des cannelures horizontales. Épaule : cannelures circulaires, entrecoupées de lignes fines verticales incisées. 23. Épaule : cannelures circulaires et sillons verticaux d'un mm de large. 24. Épaule : cannelure horizontale surmontant des cannelures verticales et circulaires. 25. Épaule : sillons horizontaux au-dessus de cannelures circulaires. 26. Base du col : cannelures horizontales. Épaule : arceaux cannelés. 27. Épaule : arceaux cannelés. 28. Épaule : cannelures horizontales. 29. Col : sillons horizontaux au peigne à deux dents. 30. Col : lignes horizontales incisées au peigne à deux dents et cannelure horizontale. 31. Base du col : cannelures horizontales. Épaule : cannelures verticales. 32. Col : lignes horizontales fines, incisées au peigne à deux dents. 33. Épaule : deux sillons horizontaux, pointe unique ou deux dents très écartées. 34. Épaule : un sillon horizontal. 35. Col : lignes horizontales fines, irrégulières, au peigne souple à trois dents. 36. Col : lignes horizontales fines, régulières, peigne à deux dents. 37. Base du col : fines cannelures horizontales. 38. Épaule : incisions au peigne à deux dents; lignes horizontales enserrant des traits obliques en alternance, par séries de six, le tout surmontant des séries d'incisions verticales. 39. Épaule : décor géométrique; lignes horizontales fines, régulières, au peigne à deux ou trois dents, enserrant des séries alternées de traits obliques incisés au peigne à deux dents. 40. Col : sillons horizontaux et méandres au peigne à trois dents rigides. 41. Épaule : sillons horizontaux et chevrons incisés au peigne à trois dents rigides. 42. Épaule : cannelures horizontales. 43. Épaule : large cannelure horizontale et lignes horizontales fines, peigne à deux dents. 44. Épaule : cannelures horizontales séparées par un méplat. 45. Épaule : triangles hachurés. 46. Col : sillons horizontaux irréguliers, peigne à deux dents. 47. Épaule : lignes horizontales fines, régulières, peigne à trois dents. 48. Épaule : large cannelure horizontale surmontant de fines cannelures horizontales. 49. Épaule : série de six cannelures fines horizontales, superposées. 50. Épaule : fine cannelure horizontale et lignes horizontales irrégulières, deux dents. 51. Base et haut du col : cannelure horizontale. 52. Col : lignes fines et sillons horizontaux, peigne à deux dents. 53. Col : lignes fines horizontales, régulières, peigne à deux et trois dents. 54. Épaule : cannelure horizontale et lignes fines, peigne à deux dents rigide. 55. Épaule : sillons horizontaux, réguliers, peigne à trois dents. 56. Col : sillons horizontaux, réguliers, peigne à deux et trois dents. Type 6 (fig. 12)57. Trois séries de trois cannelures horizontales sur la partie supérieure de la panse. 58. Larges cannelures horizontales sur la partie supérieure de la panse. 59. Épaule : sillons obliques au-dessus d'une petite cannelure horizontale. 60. Épaule : petites cannelures obliques, surmontées de sillons horizontaux. 61. Épaule : larges cannelures verticales peu profondes. 62. Épaule : cannelures moyennes obliques. Type 7 63. Larges cannelures horizontales sur toute la panse. Type 10 64. Impressions digitales sur le dessus de la lèvre. 65. Impressions digitales sur le bord externe. 66. Impressions digitales sur le bord externe et à la jonction col/panse. 67. Impressions digitales sur la panse. 68. Impressions digitales à la jonction col/panse. 69. Impressions unguéales sur le dessus de la lèvre. 70. Impressions unguéales sur le bord externe et impressions digitales à la jonction col/panse. 71. Impressions unguéales à la jonction col/panse. 72. Série d'impressions en forme de « fer à cheval » à la jonction col/panse. 73. Incisions obliques au couteau sur le bord externe. 74. Pseudo-torsade : impressions digitales allongées, sur le dessus de la lèvre. 75. Incisions obliques, avec un outil à section ronde, à la jonction col/panse. 76. Cordon modelé sans décor. 77. Cordon rapporté avec impressions digitales. 78. Petit cordon rapporté avec incisions obliques au couteau ou à l'ongle. 79. Incisions obliques sur le bord externe et impressions digitales à la jonction col/panse. 80. Impressions ovalaires irrégulières à la jonction col/panse. 81. Impressions ovalaires régulières à la jonction col/panse. 82. Impressions ovales couchées, avec un outil des section ronde à la jonction col/panse. 83. Impressions obliques régulières avec un outil de section ronde à la jonction col/panse. 84. Impressions obliques avec outil de section carrée à la jonction col/panse. 85. Estampages triangulaires à la jonction col/panse. 86. Incisions sur le bord et impressions ovalaires à la jonction col/panse. 87. Incisions sur le bord et impressions d'ovales couchés à la jonction col/panse. 88. Incisions sur le bord et impressions en « épis de blé » à la jonction col/panse. 89. Impressions rectangulaires obliques et impressions digitales sur le haut de la panse. 90. Incisions obliques au couteau sur le bord, impressions digitales à la jonction col/panse et impressions en « épis de blé ». 91. Deux séries superposées d'incisions obliques et d'impressions digitales, col et panse. 92. Impressions en « épis de blé » sur le bord, cordon impressionné (pseudo-torsade) à la jonction col/panse, au-dessus d'impressions ovalaires. 93. Incisions sur le bord et impressions rectangulaires obliques à la jonction col/panse. 94. Incisions sur le bord et impressions ovalaires obliques à la jonction col/panse. 95. Petits estampages circulaires à la jonction col/panse .
Les fouilles préventives de ces dernières années ont permis la découverte dans le département du Jura d'un important mobilier céramique attribuable au Bronze final IIb/IIIa. À partir de l'étude de trois ensembles: Choisey « Aux Champins », près de Dole; Quintigny « À la Feuillée » et Ruffey-sur-Seille « La Paule », près de Lons-le-Saunier (Bourson, 2004), trois phases chronologiques ont pu être distinguées. Des différences stylistiques entre sites ont également été mises en évidence révélant deux influences culturelles dans le Jura. Au nord du département, sur le site de Choisey « Aux Champins », les céramiques présentent un faciès proche de celui du domaine rhénan tandis qu'au sud les céramiques de Quintigny « À la Feuillée » et de Ruffey-sur-Seille « La Paule » sont typologiquement proches du faciès nord-alpin.
archeologie_08-0169946_tei_362.xml
termith-85-archeologie
Le site archéologique découvert à proximité de la ferme du Clos-Henry est implanté à la périphérie sud-ouest de Château-Gontier (fig. 1), sur les rebords sud-est d'un plateau entaillé par la vallée d'un modeste ru (fig. 2). À quelques centaines de mètres plus à l'est, celui -ci se jette dans le ruisseau du Ponceau, cours d'eau qui vient ensuite grossir les eaux de la mayenne. Les vestiges sont établis à 50 m d'altitude, entre la colline de la Pinaudière (83 m) à l'ouest et celle d'Yvano (84 m) au sud. Le substrat se compose principalement de limons issus de l'altération des schistes précambriens. Le tout est recouvert par un horizon humique d'une trentaine de centimètres. Les phases détritiques ont une puissance variable avec des minima atteints à l'est du décapage, où le substrat rocheux apparaît seulement sous 0,10 m de limons. Dans la région de Château-Gontier, les premiers indices archéologiques remontent à la fin du Néolithique. Ils se résument à un dolmen à la Pêcherie (fig. 2, n° 1) et à un polissoir découvert en 1896 à la Chiffanerie d'Azé (n° 2) (Angot, 1900, tome 1, p. 660 b). Il faut attendre la fin de La Tène pour connaître l'existence de populations dans le bassin de Château-Gontier. L ' oppidum de la Petite Frizelière ou de la Cadurie, situé aux confins des communes de Château-Gontier/Bazouges et Loigné (fig. 2, n° 3), constitue un éperon barré d'une douzaine d'hectares. Cette enceinte est défendue au nord par un rempart très érodé, et par des falaises de plus de 40 m au sud-ouest et au sud-est. Elles dominent la confluence du ruisseau du Bouillon et de la mayenne. même si la datation de cette enceinte reste incertaine, sa position sur la mayenne évoque les autres exemples connus dans cette vallée encaissée que sont les oppida d'Entrammes et de moulay, deux exemples très majoritairement occupés durant La Tène finale (Valais, 2004 et 2008). Pour l'éperon barré de la Petite Frizelière, on évoque au xix e siècle de très nombreux murs aux morillands (Angot, 1910, t.3, p. 123) ou à la Cité, une ferme encore mentionnée sur le cadastre napoléonien, ainsi que des découvertes monétaires gauloises comme un statère d'or attribué aux Cénomans (type BN 6852) (Naveau, 1992, p. 87) et gallo-romaines. Ces éléments épars paraissent confirmer une occupation des lieux depuis La Tène finale jusqu' à la période romaine. Au sud de Château-Gontier, les sites des Fosses (ex-commune de Bazouges) (fig. 2, n° 5), et un peu plus loin de La Réhaudière sur la commune de Saint-Fort (en dehors de la carte), constituent les traces les plus orientales d'une exploitation aurifère protohistorique et antique que l'on suit vers l'ouest jusqu' à La Selle Guerchaise (Ille-et-Vilaine) (Meuret, 1993, p. 231). La présence de cette ressource minière pourrait en partie expliquer la profusion d'enclos que les missions de photographie aérienne nous dévoilent tout au long du « chemin des miaules » (ibid., p. 203-205). La région de Château-Gontier montre également de nombreux indices d'occupation, que les campagnes aériennes de G. Leroux permettent d'entrevoir. Des sites enclos ont été relevés par exemple à la Bouteillerie (fig. 2, n° 6), à la Guesnonière (n° 7), à Richebourg (n° 8), tous repérés sur l'ancienne commune de Bazouges. À ce jour, seul le site de la mazure (n° 9), repéré du ciel en 1974 par C. Lambert et J. Rioufreyt et menacé par la construction de la rocade sud de Château-Gontier, a fait l'objet de trop rapides sondages archéologiques l'année suivante (Lambert et Rioufreyt, 1976). Le site, en rive gauche de la mayenne, se compose d'un triple enclos de forme trapézoïdale; il a essentiellement livré des indices d'occupation du second siècle avant J.-C. (céramique et fragments de plaques foyères). L'existence d'un habitat antique à proximité est étayée par au moins un fossé recelant du mobilier du second siècle après J.-C. (ibid., p 31). L'hypothèse d'une voie romaine peut être proposée ici. Il pourrait s'agir du tracé signalé comme antique et qui longe la rive gauche de la mayenne depuis Entrammes et Villiers-Charlemagne au nord (Naveau, 1997, fig. 18). Au sud de la paroisse de Fromentière, elle franchirait le ruisseau du Pomperdreau au niveau de la ferme du Petit moulin pour ensuite gagner Château-Gontier en empruntant l'actuelle rue Trouvée puis celle des martyrs en limite de zones inondables. Au-delà, l'axe longerait le côté ouest de l'enceinte gauloise de la mazure pour se diriger au sud vers Azé, siège d'un monastère mentionné entre 529 et 550 (Legros, 2006, p. 35). La découverte en 2001 de plusieurs indices de sites de l' âge du Fer sur le tracé de la rocade nord de Château-Gontier/Bazouges au nord des fermes de la morlière (fig. 2, n° 11) et de la Petite Jariais (n° 12) ou encore au lieu-dit montaigu dans le même secteur (Valais, 2001a), confirme encore l'importance de l'occupation gauloise du secteur (Langlois, 2001). La découverte du site du Clos Henry est intervenue fortuitement dans une zone pavillonnaire au cours de la viabilisation. Deux fossés perpendiculaires intéressants furent alors identifiés en raison de leurs orientations différentes de celles du parcellaire environnant (fig. 3). À la suite d'un sondage et de l'exploration rapide des coupes, du mobilier (céramique et fragments de terre cuite) fut recueilli permettant d'attribuer l'ensemble des vestiges à La Tène finale. Les relevés et les quelques photographies réalisés ont permis de geler temporairement les aménagements de cette partie du projet avant qu'une opération archéologique ne vienne évaluer l'importance des vestiges mis au jour (Valais, 2001c). Notons encore que ces éléments ont été découverts à 150 m environ du site haut moyen Âge de Vauvert, repéré du ciel par G. Leroux en 1992 et qui a fait l'objet d'une évaluation en 1999 (Meuret, 2003, p. 25-30) et d'une fouille en en 2001 (Valais, 2001b) (fig. 2, n° 20). Au cours de cette opération, une fosse de forme oblongue (F 40) a été relevée au sud-est de l'enclos de La Tène (fig. 3). Elle mesure 3 m sur 0,50 m et est conservée sur 0,20 m de profondeur. En plus d'un polissoir ou aiguisoir en schiste ou gneiss poli, ce creusement a livré un très intéressant lot céramique constitué de 127 fragments (fig. 4). Parmi les formes identifiées, quatre récipients en trois-quarts de sphère présentent dans leur partie haute un registre décoratif de boutons d'environ 2 cm de diamètre et des décors de cordons en V à la base desquels sont implantées des anses à perforation horizontale. Ces compositions décoratives commencent à mieux être connues pour le Néolithique ancien (groupe de Villeneuve-Saint-Germain), que ce soit en Basse-Normandie comme à Valframbert ou à mondeville (Chancerel et al., 1995), au Haut-Mée (Cassen et al., 1998), site fouillé plus récemment en Ille-et-Vilaine, ou dans le maine-et-Loire à la Bajoulière (Gruet, 1986). Le décapage réalisé autour de cette fosse n'a révélé aucune autre structure intéressante. L'ensemble a été daté par radiocarbone aux alentours de 5000 avant J.-C. (Lyon 2054 : 6115 + 60 BP, soit 5255 à 4815 BC – dates les plus probables par ordre décroissant : 5040, 5006, 5185-4965 avant J.-C.). D'abord repéré dans sa partie nord-est et ponctuellement dans des tranchées de réseau sur son côté sud-est, l'enclos a finalement été perçu dans sa totalité lors de l'opération d'évaluation du printemps 2001 (fig. 5). L'enceinte, orientée nord-ouest/sud-est, mesure 40 m de largeur pour une soixantaine de mètres de longueur. Sa surface atteint ainsi 2400 m 2 et ses limites ont pu être relevées en continu sur trois côtés (fossé F 7). Le côté sud-est de l'enclos a été vu lors des travaux de viabilisation, sans que son profil précis ait pu être partout relevé. Les autres fossés ont pu être sondés à la main au cours de l'évaluation et de la fouille. Les sondages répartis sur le pourtour accessible ont permis d'en apprécier les différents types de remplissage. La taille des fossés de l'enclos est constante. Elle ne varie que très légèrement d'un tronçon à l'autre avec des largeurs oscillant entre 1,20 et 1,40 m. Les profondeurs conservées sont comprises entre 0,50 et 0,66 m. Cette profondeur variant peu, il est possible d'apprécier le sens des écoulements sur la partie de l'enclos qui a pu être topographiée. Les points les plus hauts se situent au niveau de son angle sud-ouest. Le ruissellement se faisait d'une part vers l'angle nord puis vers le sud-est jusqu'au fossé constituant le côté détruit par la viabilisation. De la même façon, le fossé qui marque le côté sud-ouest de l'enclos draine les eaux vers le sud-est. Les phases de remplissage rencontrées sont toujours très lessivées, rendant les différences entre niveaux très peu marquées. La base est occupée par des éléments fins issus de l'altération progressive des parois des fossés et d'un tri gravitaire à partir des phases de remplissage supérieures. Les teintes varient de l'orangé au brun orangé et quelques charbons de bois peuvent exister. La principale phase de remplissage qui comble le reste du fossé est le plus souvent brun gris avec des nodules de manganèse, des graviers de quartz et parfois des zones de limons orangés. D'une manière générale, les couches rencontrées sont peu organiques. Les charbons de bois y sont rares, excepté dans le fossé sud-ouest à la hauteur de la fosse F 57, où une planche ou un rondin a été retrouvé à l'état de charbon de bois. De la même façon, le mobilier archéologique issu des fossés est peu abondant à la hauteur des bâtiments. Toutefois, quelques nuances peuvent être apportées. Le redressement des coupes réalisées lors de la découverte fortuite du site a été l'occasion de recueillir d'assez nombreux nodules et blocs de terre cuite. Il en est de même pour le fossé de partition interne F 44. Ce dernier a d'ailleurs été reconnu grâce à sa teneur en éléments indurés. Nulle part ailleurs dans les fossés nous n'avons retrouvé ce phénomène. Deux fossés ont été découverts dans l'enclos de La Tène (F 44 et F 32, fig. 5). Leurs orientations cohérentes avec celles de l'enclos, leur localisation dans l'enceinte, et leurs interruptions permettent probablement de les associer à un système de partition interne. Le fossé F 44 a une orientation sud-ouest/nord-est. Il a été suivi sur 24,50 m. Au sud-ouest, il s'interrompt à un peu plus de 3 m du fossé sud-ouest de l'enclos et au nord-est nous perdons sa trace au-delà de la limite décapée. En coupe, sa lecture est difficile. Son niveau d'apparition a pu être localisé juste au-dessous de l'humus grâce aux éléments de terre cuite qu'il contenait. Ce fossé n'a pas livré d'autre mobilier. En coupe, il mesure 0,3 à 0,4 m de profondeur pour 0,80 à 1 m de largeur. Son profil montre, comme à son extrémité nord-est, un fond plat et des bords évasés. En dehors des tronçons les plus riches en mobilier, rien du fossé n'était visible, absence de contraste qui pourrait également en expliquer des lacunes de repérage. La découverte, dans son remplissage, de nodules de terre cuite identiques à ceux découverts ailleurs sur le site permet peut-être d'associer cette limite à l'organisation générale de l'enclos. malgré tout, l'orientation de ce fossé diffère sensiblement de celle de l'enceinte et nous devons admettre qu'il serait hasardeux de vouloir les associer à tout prix. Un autre fossé (F 32) a été relevé un peu plus au nord-ouest. Comme pour le précédent, cette limite, difficile à voir au décapage, n'a été relevée que ponctuellement. Suivie par intermittence sur un total de 21 m, elle s'inscrit assez nettement dans les principales orientations de l'enclos. Conservé sur moins de 10 cm de profondeur, ce fossé atteint une cinquantaine de centimètres de largeur. Son remplissage n'a pas livré de mobilier. Cette probable limite parcellaire n'a pas de contact avec le fossé sud-ouest de l'enclos, sans que l'on sache s'il s'agit d'une interruption réelle ou simplement due à son niveau d'arasement. À son autre extrémité en revanche, quatre trous de poteau, qui forment un ensemble cohérent, confirment la présence d'une interruption. Enfin, si l'on restitue la partie manquante de l'enclos, cette limite le divise en deux parties presque égales. Le fossé F 58 se greffe au niveau de l'angle ouest de l'enclos. Cette limite, orientée nord-ouest/sud-est, a été suivie sur 14 m de longueur. Elle mesure 0,90 m de largeur et presque 0,30 m de profondeur. Son profil à fond plat montre des bords évasés et aucun mobilier n'a été recueilli dans l'unique sondage ouvert. Sa connexion au niveau d'un angle de l'enclos permet de l'associer à un même complexe. La coupe réalisée au contact de ces deux limites excavées n'a pas permis d'observer de différences entre des phases de remplissages totalement lessivés. Le fossé F 224. Repéré dès l'évaluation et décapé plus largement à l'occasion de la fouille, ce fossé rectiligne a été reconnu sur 35 m de longueur parallèlement au côté sud-est de l'enclos. Il mesure 0,75 à 0,95 m de largeur pour 0,17 à 0,34 : m de profondeur. Avec une orientation qui s'écarte nettement des limites parcellaires du cadastre napoléonien, cette limite semble bien appartenir au même ensemble que l'enclos, ce qui semble confirmé par quelques tessons de La Tène finale issus de son remplissage. Ce fossé pourrait ainsi doubler le côté sud-est de l'enclos. Plus au sud, d'autres fossés pourraient également faire partie de cet ensemble. – Le fossé F 306 mesure 0,45 m de largeur pour 0,10 m de profondeur. Il a été suivi sur 8 m de longueur. L'orientation de cette limite s'apparente à celle du fossé sud-ouest de l'enclos principal. – Le fossé F 302, dans ce même sondage, mesure de 0,60 à 0,90 m de largeur pour 0,22 à 0,32 m de profondeur. Suivi sur 8 m de longueur, il s'interrompt au nord-est, recoupé par un fossé du parcellaire actuel. Il n'a pas livré de mobilier. Perpendiculaire au fossé F 306, il semble ainsi aligné sur l'angle sud de l'enclos. – Un autre fossé, F 301, vient se greffer sur le précédent. Suivi sur 6 m de longueur, large de 0,90 m et profond d'une quarantaine de centimètres, il n'a pas livré de mobilier. Son orientation s'écarte assez nettement du reste des fossés attribuables à La Tène même si le contact avec F 302 montre qu'ils ont au moins fonctionné un temps ensemble. – Le fossé F 31, qui se termine en angle droit à 0,90 m du fossé sud-ouest de l'enclos, pourrait faire également partie du même complexe du fait de son orientation. Il mesure 0,80 m de largeur et il a été suivi sur 3,50 m de longueur avant qu'il ne sorte du décapage. Les autres limites fossoyées mises au jour ont été retrouvées sur les planches du cadastre napoléonien; elles ont toutes des orientations différentes de celles du complexe protohistorique (fig. 6). Les trous de poteaux et plus généralement le reste des structures en creux restent à distance des fossés de l'enclos (fig. 5). L'absence de creusement dans l'axe du site et dans sa moitié orientale, pour ce que nous en savons du moins, est à souligner. La conservation des structures est moyenne comme le montre la coupe du fossé F 44. Le niveau d'apparition des creusements, quand ils sont riches en mobilier, se situe en effet à une vingtaine de centimètres au-dessous du niveau de décapage. Pour ceux qui sont pauvres en mobilier, aucune différence n'est visible entre les phases de remblais et les schistes altérés à ce niveau de décapage. Il faut encore descendre jusqu'au substrat non perturbé pour que se dessinent les structures en creux. D'autre part, le décapage a été réalisé à la fin de l'été et dans un premier temps, la sécheresse du substrat a empêché de discerner toutes les anomalies archéologiques. C'est ainsi que la première semaine d'intervention s'est attachée à ne tester que les structures évidentes comme les fossés et les fosses les plus vastes. L'arrivée de la pluie nous a ensuite permis de retrouver d'autres creusements. Un secteur montrant de nombreuses anomalies autour de la fosse F 57 a fait l'objet d'un premier relevé. Ces taches informes, qui ne semblaient n' être liées qu' à des phénomènes de bioturbation, ont été testées. Ces sondages ont montré que certaines d'entre -elles masquaient en fait des trous de poteaux. Un ensemble de structures de plan comparable dessine un rectangle de 8,20 m sur 6,10 m (fig. 6). Localisé dans la partie ouest de l'enclos, ce qui apparaît nettement comme un bâtiment est parallèle au fossé occidental. Cette construction est délimitée par les vestiges de trois trous de poteaux, F 2, 52 et 53, de deux doubles trous, F 50/68 et 55/54, et peut-être d'un sixième, F 67. Tous ont des plans rectangulaires; leurs longueurs varient de 1,08 à 1,30 m pour des largeurs qui fluctuent de 0,70 à 0,90 m (fig. 7). Les profondeurs sont plutôt régulières puisqu'elles sont comprises entre 0,34 et 0,40 m. Ces creusements ont perforé la couche de limon jusqu' à atteindre, sans l'attaquer, la surface des schistes. Les trous simples (F 2, 52, 53) sont de gabarit extrêmement régulier. Ils occupent trois des angles de l'espace. Les trous composites sont placés au milieu des grands côtés du rectangle. Les relations observées à la fouille et les observations faites sur les contacts entre avant-trous indiquent que, dans le cas de F 50/68, le premier est le plus ancien. Cette observation réalisée en coupe semble confirmer le positionnement de F 50, qui est centré par rapport à F 53 et F 52. Pour l'autre paire, la construction se composant à l'origine de deux alignements de trois poteaux, il semble logique que le poteau F 55 soit postérieur à F 54, mais seule la position du premier hors du plan initial de la construction vient appuyer cette proposition. Ne subsiste du dernier angle de la construction qu'une simple encoche découverte sur un des versants du fossé moderne F 60. Sa présence est confirmée par l'altitude de l'avant-trou F 67, comparable à celles des autres. L'implantation des restes de ce creusement semble indiquer qu'il en existait un second à proximité, totalement oblitéré par le fossé F 60. En suivant le même raisonnement que précédemment, cet avant-trou manquant limiterait également l'emprise initiale du bâtiment. Trois de ces structures ont livré les traces de poteaux, de diamètres compris entre 0,30 et 0,40 m. Certaines de ces traces n'étaient visibles qu'en coupe. Quatre trous de poteaux (F 56, 65, 64 et 61) délimitent un espace rectangulaire de 2,90 sur 3,30 m (fig. 6). Les avant-trous ont des formes et des dimensions voisines (fig. 8). Ils sont également de forme rectangulaire, de 0,80 ou 0,90 m de largeur pour 0,90 à 1,20 m de longueur. Les profondeurs atteignent 0,50 à 0,55 m. Pour ces creusements également, les niveaux de limon d'altération ont été perforés jusqu'aux schistes plus durs. Dans deux des quatre structures, des négatifs de poteaux ont été relevés. Ils mesurent entre 0,34 et 0,45 m de diamètre. Quelques-uns de ces trous ont livré du mobilier de La Tène finale, notamment F 56. Les parentés entre les deux constructions sont évidentes. La forme des avant-trous, leur taille et dans une moindre mesure leur profondeur, la proximité des deux bâtiments, leur orientation voisine indiquent qu'ils remontent très probablement à une même phase de construction. Ce sont deux bâtiments robustes dont le plan est réalisé à l'aide d'avant-trous de poteaux de gabarit régulier. Avec près de 1,10 m de profondeur à atteindre pour implanter des poteaux de 0,30 à 0,40 m de diamètre, il fallait des creusements suffisamment spacieux pour s'y mouvoir à mesure que le travail avançait. Le plan précis des bâtiments n'était ajusté qu'ensuite avec la pose des poteaux, qui ne se trouvaient pas forcément au milieu des excavations. Les ressemblances techniques entre ces deux bâtiments permettent également de confirmer la fonction du plus grand. Il nous semble qu'avec 51 m 2 d'emprise et son implantation dans l'enclos, il ne peut constituer qu'une habitation. En élévation, celle -ci se composait de deux murs gouttereaux à trois poteaux. Les supports qui se répondaient d'un alignement à l'autre devaient être reliés par une sablière haute et par des entraits, ensemble qui permettait sans doute de soutenir un plancher, comme les diamètres des poteaux utilisés l'indiquent (entre trente et quarante centimètres). Aucune information n'a en revanche été recueillie quant à l'emplacement de l'entrée. Le côté sud-est peut néanmoins être privilégié : il est à l'abri des vents dominants et ouvre directement sur le reste de l'enclos. Pour le second bâtiment, l'hypothèse d'un grenier est privilégiée (fig. 9). Le gabarit des supports (au-delà de 0,35 m de diamètre) permet également de restituer une construction imposante. Au-delà de l'hypothèse proposée ici, pourquoi ne pas imaginer un plancher dont l'assise serait légèrement supérieure à l'emprise délimitée par les quatre poteaux ? Ce parti aurait l'avantage de fournir une surface utile plus importante. La pose de pierres plates au sommet des supports, élément que l'on ne retrouve jamais en fouille, ne serait pas nécessaire, le surplomb formé par le débordement de la plate-forme étant suffisant pour empêcher les montées de rongeurs… Le premier ensemble est constitué des trous de poteaux F 26, 27, 38 et 39 (fig. 6 et 10). Ils ont été relevés pour les deux derniers dans un des sondages de l'évaluation et pour les deux autres à l'extrême est du décapage. En plan, F 26 et 27 ont des diamètres légèrement supérieurs à 0,60 m pour 0,12 à 0,22 m de profondeur alors que les deux autres, moins profondément conservés (du fait d'un niveau de décapage inférieur de la tranchée d'évaluation), ne mesurent que 0,50 m environ pour 0,12 à 0,18 m de profondeur. Ces quatre structures limitent un espace rectangulaire de 2,50 sur 2 m dont l'orientation est la même que l'orientation générale de l'enclos. La surface modeste de ce petit bâtiment composé de quatre poteaux évoque également un grenier. Légèrement plus à l'ouest, un second ensemble ressemble également à ce type de construction. Les quatre structures, F 17, 18, 19 et 20, ont des formes singulières. Il ne s'agit pas de trous de poteaux de forme habituelle mais de petites fosses oblongues qui mesurent entre 0,88 et 1,08 m de longueur pour des largeurs oscillant entre 0,29 et 0,40 m. Les profondeurs sont comprises entre 0,04 et 0,10 m. Cet ensemble délimite un espace de 2,50 m sur 2 m. Les creusements allongés ont exactement la même orientation. Les concordances de plan et d'orientation avec le grenier précédent permettent de l'en rapprocher. malgré des structures de formes atypiques, il est difficile de ne pas penser qu'il puisse s'agir également d'un grenier. Au nord-est du bâtiment principal, une modeste concentration de creusements peut être signalée (fig. 6). Plusieurs trous de poteaux comme F 11, F 13 ou F 16 montrent des profondeurs comprises entre 0,18 et 0,50 m et des diamètres de 0,65 à 0,70 m. Le trou F 16 présente même l'ultime vestige d'un poteau de presque 0,30 m de diamètre. Ces trois creusements décrivent un angle droit dont l'orientation générale est comparable à celle déjà remarquée pour les autres bâtiments. Par leur gabarit, ces vestiges ont fait probablement partie d'un autre bâtiment dont il ne subsiste que quelques éléments. Les écartements entre les avant-trous F 11 et F 13 d'une part et F 13 et F 16 d'autre part atteignent 4 m d'axe en axe, distance proche de celle utilisée dans le bâtiment principal. À cet ensemble, nous hésitons à associer une quatrième structure, F 14. En comparaison des autres ensembles, celui -ci nous semble bien irrégulier. Une petite tranchée F 8, du type de celles qui constituent l'un des greniers du site, existe également plus au nord-est. Ce creusement a exactement le gabarit et l'orientation des quatre structures F 17, 18, 19 et 20. Même si ces vestiges de construction sont rares et mal conservés, ils permettent néanmoins de montrer que des bâtiments existaient sans doute sur toute la largeur de cette partie nord occidentale de l'enclos. La fosse F 1 a une forme ovalaire (fig. 11). Elle mesure 2,30 m de longueur sur 1,70 m de largeur pour une profondeur de 0,55 m. Ses bords sont évasés et son remplissage, composé de trois couches, est issu d'activités domestiques, notamment de vidanges de foyer. La couche la plus intéressante, en position terminale de comblement, renfermait, en plus de quelques tessons protohistoriques, des nodules de terre cuite et des fragments de charbon de bois assez nombreux. L'hypothèse d'une fosse de construction, nécessaire la réalisation des parois des bâtiments, est envisageable pour ce creusement voisin des principales constructions. La fosse F 10, localisée à proximité du pignon nord du bâtiment principal, a une forme sub-rectangulaire. Elle mesure 2 m de longueur pour 1,10 à 1,30 m de largeur et 0,10 à 0,20 m de profondeur. Son remplissage se compose de trois phases. La plus riche d'enseignements est la phase terminale, qui renfermait de nombreux éléments de terre cuite (fragments de parois de structures de combustion), accompagnés de tessons de céramique en assez grand nombre, associés à un mélange de limon et de pierres brûlées. La fonction de dépotoir peut probablement être privilégiée pour une telle fosse, située à proximité immédiate d'une habitation. Il pourrait également s'agir à l'origine d'une fosse de construction. La fosse F 57 a été relevée juste dans l'angle sud-ouest de l'enclos, entourée par les deux bâtiments principaux. Le creusement mesure 5 m de longueur sur 4 m de largeur. En dehors de son côté sud, où plusieurs perturbations sont venues le recouper, ce creusement présente une emprise régulière. La profondeur maximale se trouve au centre de la structure où les schistes ont été atteints à une cinquantaine de centimètres sous le niveau du décapage. Parmi les trois phases de remplissage relevées, la seconde a livré plus de 25 kg d'éléments d'argile indurée issus pour la plupart de plaques foyères. On peut supposer que ce creusement, voisin des principaux bâtiments, a pu servir dans un premier temps de fosse de construction puis, comme sans doute les deux autres fosses, qu'il a ensuite reçu les rejets domestiques issus des bâtiments tout proches. Le nombre total des tessons s'élève à 242, chiffre dont la modestie surprend pour un site d'habitat et pourrait restreindre la portée des conclusions; mais on verra qu'en raison de la très grande homogénéité du lot, ce n'est pas le cas. 75 à 80 % des tessons présentent une cuisson en atmosphère réductrice. Un certain nombre montre cependant des surfaces plus claires, brun-ocre et rarement rouge brique. Une pâte particulière doit être signalée, de couleur brun-vert sombre avec des mouchetures de surface noires, correspondant sans doute à une argile particulière. Les cassures reflètent l'irrégularité de la cuisson : elles peuvent être à cœur sombre, brun-brique, noir, quelquefois gris mais sont rarement régulières dans toute l'épaisseur. Un cas seulement montre une structure légèrement feuilletée (lot 23, tesson non dessinable). Tous les tessons présentent un dégraissant de quartz mais de calibre irrégulier atteignant parfois 10 mm (lot 10) pour les tranches épaisses. On a plusieurs fois relevé la présence de mica en paillettes très fines et parfois de chamotte (lot 15 : fig. 12 n° 4 et 5; lot 10 : n° 8). Le surfaçage manque de finition : parfois il se résume à des stries multiples de tournage rapide, parfois – et c'est le cas le plus fréquent - il présente un aspect râpeux produit par un surfaçage grossier et rapide. On n'a par exemple observé aucun cas de lustrage. Quant à la fonction des vases, on note dans quelques cas la présence de traces de suie à l'extérieur des panses, signe de leur usage pour la cuisson (lot 10, tessons non dessinables; lot 20 : fig. 12, n° 7; lot 27 : n° 9). Tous les tessons appartiennent peu ou prou au même faciès régional à une exception près, celle d'un tesson de couleur rosée provenant du sondage 2, ZII F35 (lot 39 : fosse F 57). m. monteil, familier des ensembles céramiques du midi et à qui il fut d'abord présenté, l'identifia comme une céramique à pâte claire fabriquée au sud et donc importée. Pour cette époque, hormis les amphores, les importations de céramique méridonale brillent par leur rareté au nord de la Loire : le fragment d'olpe ampuritaine qui fut identifié à Plouer-sur-Rance (Côtes-d'Armor) dans un contexte du ii e siècle av. J.-C. demeure une exception (Ménez, 1996, p. 138-139). C'est pourquoi le tesson du Clos-Henry a été soumis à m. Py, autorité indiscutable en la matière, que nous tenons à remercier pour son expertise : « Le fragment […] correspond à un vase en céramique tournée à pâte calcaire, couramment désignée sous le vocable de céramique à pâte claire. Les traces de tournage visibles à l'intérieur, l'inclinaison du fragment, ainsi que son diamètre et son épaisseur, permettent d'identifier la base de la panse d'une cruche. La pâte, de couleur jaune-rosé, contient un fin dégraissant sableux où se remarquent des inclusions de couleurs diverses, certaines blanches et brillantes pouvant correspondre à du mica ou du quartzite, d'autres noires ou brun foncé d'identification plus délicate en l'absence d'une analyse pétrographique. L'épiderme extérieur était lisse à l'origine; l'épiderme intérieur est relativement dégradé. Le type de vase en question, dans un contexte préaugustéen (Tène finale) et dans une région où ce type de production ne semble pas connu à cette époque à l'échelle régionale, pourrait tout à fait correspondre à une importation méditerranéenne. Les caractères techniques excluent qu'il puisse s'agir d'une production à pâte claire marseillaise. L'aspect sableux de la pâte n'est par ailleurs guère compatible avec les productions locales de la Gaule méditerranéenne, qui d'une manière générale présentent des pâtes plus épurées et plus savonneuses au toucher. Cette inclusion de sable fin évoque par contre d'assez près les productions de céramiques communes à pâte claire italiennes des ii e - i er siècle av. n. è., qui accompagnent dans les épaves les amphores et les mortiers italiques. L'une des hypothèses envisageables, sous toutes réserves évidemment, pourrait être celle d'une cruche d'origine italienne importée en accompagnement des amphores italiques ». Le nombre de vases a été calculé à partir des lèvres et le NMI s'établit à 42, ce qui est important par rapport au faible total de tessons (fig. 13). Parmi ces lèvres, 37 présentent un profil en S plus ou moins marqué avec forme éversée (fig. 14, n° 17, 20, 21, 22, 23), dont neuf avec une cannelure labiale interne; celle -ci ne dépasse pas 1 mm, sauf dans un cas (lot 31 : 3 mm); c'est une proportion relativement élevée. Sept lèvres présentent la forme caractéristique du bourrelet externe (fig. 12, n° 2 et 4; fig. 14, n° 25); enfin, on relève une autre forme caractéristique qui est celle des lèvres de section triangulaire et sans col, en « Y », à bourrelet externe et interne et forme aplatie au sommet, mais avec des variantes (lots 10, 15, 20 : fig. 13, n° 7 et 8). Notons enfin un bord particulier, celui d'une céramique fine à profil vertical, sans col, avec une petite lèvre en léger bourrelet (lot 16 : fig. 14, n° 18). Parmi les onze fonds, aucun ne présente l'anneau caractéristique des jattes, bien que certaines panses appartiennent à ce type de vase. Tous sont plats et se rapportent donc plutôt à des vases simples de conservation ou de stockage. Les angles de panses mesurés sur ces pieds par rapport à l'horizontale vont de 130° à 100° (fig. 12, n° 10 à 16); ceux -ci appartiennent donc à des formes hautes, de type pot. Le diamètre moyen de ces fonds s'établit à 11,4 cm. Des traces de tournage rapide s'observent sur un vase sur cinq; ce sont des stries multiples, des cannelures et des cordons en haut de panse (fig. 12, n° 2 à 6). mais la régularité de toutes les formes prouve qu'elles relèvent bien de cette même technique; de plus, aucun tesson ne présente d'irrégularité attribuable à la pratique du modelage. Hormis les cannelures et cordons qui n'en sont pas vraiment, les décors sont très rares : ni incision, ni impression, ni molette, ni estampage; on note seulement quelques rares stries lissées (lot 26), soulignant le tournage ou perpendiculaires à celui -ci (lot 15-1 : fig. 14, n° 19). Les types de formes générales ont été évoqués plus haut. Ce sont seulement 27 vases au total qui ont pu être déterminés, sachant qu'une seule forme est archéologiquement complète. Les formes basses sont minoritaires, de type jatte ouverte, avec un angle de panse très fuyant, de l'ordre de 30 à 40°. Il en est de même pour les formes moyennes avec un angle de 50 à 60°. Avec plus de la moitié du total, les formes hautes l'emportent donc nettement. La typologie des lèvres amène à conclure à une majorité de vases ouverts ou semi-ouverts et à la rareté des formes fermées de type globulaire (lots 14, 17 et 24 : fig. 14, n° 24 à 26). Le diamètre à l'ouverture va de 16 à 24 cm, pour une moyenne de 23,7 cm. Aux extrêmes, il faut signaler un petit vase à paroi fine (lot 16), de 15 cm, et quatre gros exemplaires de 54, 50 et 46 cm de diamètre, qui sont des vases de stockage. L'ensemble céramique recueilli présente une très grande homogénéité, tant dans les cuissons à majorité réductrice que dans les formes, probablement toutes tournées, ou dans les décors. Pour autant, il convient de nuancer et de comparer avant d'aboutir à des conclusions géographiques et chronologiques. Considérons d'abord les dimensions des vases. Au Clos-Henry, avec 23,7 cm de diamètre à l'ouverture, on se situe au-dessus des moyennes connues pour l'Armorique de la fin de l' âge du Fer, où la majorité va de 11 à 20 cm (Daire, 1991, p. 37). De plus, on doit tenir comme un fait particulier la présence ici de très grands vases à lèvre très éversée, d'un diamètre compris entre 46 et 54 cm (fig. 14, n° 24 à 26). Or, dans l'Ouest, ni à L'Homme-Mort, ni aux Ebihens, ni au Boisanne, on ne trouve une aussi forte représentation pour de telles dimensions : au Boisanne, deux vases seulement dépassent 40 cm, sur 726 diamètres mesurés (Ménez, 1996, p. 126-127) ! De manière générale, les sites bretons ne fournissent guère de ces grands vases (Hinguant et Le Goff, 1998, p. 105). Il faut regarder tout à l'est de l'Ille-et-Vilaine, pour voir apparaître le phénomène, par exemple sur le site de La montagne en Visseiche (Meuret, 2006, p. 27). Pour trouver une présence comparable, il faut arriver dans le maine avec des exemplaires pour Ecorcé à Entrammes et l'oppidum de moulay (Naveau, 1977, p. ix et x), ou encore La Glanerie à Athée (Meuret, 1997, p. 67). Le fait est plus courant en France septentrionale où une étude récente a montré une présence de grands vases de l'ordre de 10 % (Gransar, 2000, p. 288). Sans doute doit-on mettre ici en relation la fréquence de ces gros vases à provisions avec les autres capacités de stockage qui nous sont révélées sur le site du Clos-Henry par la présence de trois greniers probables au voisinage immédiat du bâtiment principal; on sait en effet qu' à toutes les phases des âges du Fer, le stockage en céramique est complémentaire du stockage en grenier ou silo (Gransar, 2000). À moins qu'il ne faille y voir, pour la haute Armorique, une pratique différente de celle de l'Armorique péninsulaire. D'autres arguments permettent de distinguer dans ce lot un faciès différent de celui de l'Armorique péninsulaire. Ainsi, aucun tesson graphité n'a été observé au Clos-Henry alors que cette pratique atteint des taux élevés à l'ouest et décroît régulièrement vers l'est. Cette observation est à rapprocher de la présence importante de fragments de plaques foyères au Clos-Henry. Ce type de reste est omniprésent sur les sites de Haute-Armorique comme d'ailleurs du reste de la Gaule, mais absent des sites ouest-armoricains de La Tène. Ces éléments présentent une épaisseur de 4 à 4,5 cm, avec parfois un bord lissé et, dans tous les cas, une cuisson peu poussée. Aucun ne comporte de perforation, contrairement à certains sites comme Retiers (Hinguant et al., 1997, p. 70), Rannée ou Athée (Meuret, inédit), pas plus que de forme particulière comme au Terrain des sports de Jublains (Boissel et Naveau, 1980, pl. 17). Comparé à Rennes-Beaurade, où l'on en a recueilli « près de 20 kg » (Leroux et al., 1999, p. 186), le site du Clos-Henry, avec un total de 25 kg, se place en bon rang, mais loin derrière Visseiche -La montagne qui en a déjà produit 171 kg (Meuret, 2006). Quoi qu'il en soit de leur typologie, on tient avec ces plaques de cuisson mobiles un élément distinctif très marquant entre les cultures domestiques de l'ouest et de l'est de l'Armorique. Sans doute faut-il aussi rappeler l'absence totale de la jatte à bord rentrant, forme au contraire omniprésente à partir de la Loire et vers le sud de la Gaule (Cornu, 1997, p. 194-196). J.-P. Bouvet rappelle que l'abs ence de cette forme céramique doit être mise en relation avec la présence, dans le maine et le sud de l'Orne, d'une autre forme qui pourrait être son substitut régional (Bouvet, 1997, p. 228-229); nous voulons parler de l'écuelle à bourrelet externe et de ses variantes, bien représentée au Clos-Henry. On en a trouvé sur la plupart des sites mayennais tels moulay-bourg, le Grand-Mesnil à moulay, Ecorcé à Entrammes, le terrain de sport à Jublains, le Port-Salut à Entrammes, La Chevalerie à montflours, La mazure à Azé (site tout proche du Clos-Henry), ainsi que sur les sites inédits des Bozées à Laval, de Gesnes-le-Gandelin et de Teillé dans la Sarthe (Bouvet, 1997, p. 229). À ce type de vase caractéristique de la région, nous ajouterons une autre forme présente au Clos-Henry, la lèvre en « Y », ou encore à section triangulaire sans col (lots 10, 15, 20 : fig. 12, n° 7 et 8). Elle correspond à des vases tronconiques de forme moyenne. On en connaît en Haute-Bretagne comme aux Jeusseries en Retiers, au Clouet en Carquefou (Le Goff, 2003, p. 111), à La montagne en Visseiche (Meuret, 2006, p. 26), à La Ligne Anne en Rannée (Meuret, 1992, fig. 5) et on les retrouve avec des variations sur les sites mayennais : l'oppidum de moulay (Naveau, 1976, pl. XIII), Ecorcé à Entrammes (Naveau, 1977, pl. X), Azé (Lambert et Rioufreyt, 1976, p. 16 et 18). Concernant les signes d'éventuelles influences du sud au Clos-Henry, on observe la présence d'un vase de type jatte carénée (lot 15-1 : fig. 14, n° 19), que J.-P. Bouvet a relevé à Angers, aux Pichelots, à Guérande et à Chênehutte-les-Tuffeaux (informations orales); mais ce n'est ici qu'un seul exemplaire, tout comme le vase fin à profil vertical (lot 16 : fig. 14, n° 18) dont on retrouve les équivalents au château d'Angers (Bouvet et al., 2003, p. 182), au Grand-Aunais à Yvré-l'Évêque (Vacher et Bernard, 2003, p. 208). Avec ces vases tronconiques à lèvre en Y et les lèvres en bourrelet, ajoutés à une plus grande représentation des vases de stockage, à une taille supérieure des vases en général, à l'absence de bords rentrants, à l'absence de graphitage et à la présence de plaques foyères, probablement tient-on là un ensemble de traits qui permettent de commencer à cerner un faciès céramique particulier; celui -ci engloberait l'Ille-et-Vilaine (surtout à l'est), la mayenne, la Sarthe, le nord du maine-et-Loire et de la Loire-Atlantique. Il se distingue nettement de ce qui se voit à l'ouest de la Bretagne et, plus au sud, le long et au sud de la Loire. Pour autant rien ne permet de transposer ces observations céramiques et très matérielles au domaine culturel général, même si la région définie correspond étrangement à l'extension des mentions épigraphiques gallo-romaines – mais sur fond religieux antérieur – de mars mullo. Pour autant, l'ensemble céramique du Clos-Henry appartient bien encore à l'ensemble typologique armoricain dans la mesure où le taux de cannelures labiales internes y demeure élevé (fig. 12, n° 1, 3, 6). C'est là une caractéristique de la céramique armoricaine – au sens géographique et non protohistorique du terme – où les taux vont de 20 % jusqu' à 60 % sur les sites du Finistère, du morbihan ou des Côtes-d'Armor. On en trouve cependant dans la manche, le Calvados et même la Seine-Maritime (Daire, 1992, p. 102-104). Cette fréquence sur le site du Clos-Henry n'a donc rien d'anecdotique et dénote une indiscutable appartenance culturelle armoricaine ou tout au moins des courants d'échanges avec cette région. Elle ne fait que renforcer une constatation déjà faite en mayenne à Azé, Entrammes, Evron, Jublains, montflours, moulay (ibid., p. 106-107), ou Athée (Meuret, 2000, p. 101), dans des proportions importantes mais qui n'ont pas été chiffrées. Le vaisselier du Clos-Henry relève pour sa quasi-totalité d'une production réalisée au tour rapide. Si l'on se réfère au phasage de la céramique établi par Y. menez pour le site du Boisanne à Plouer-sur-Rance – le plus proche de Château-Gontier, l'ensemble du Clos-Henry s'apparente plutôt à sa phase IV (Menez, 1996, 120-122), marquée par « une maîtrise complète du tour rapide » et datée de l'ensemble du I er siècle av. J.-C. Cependant, la prédominance des formes hautes à Château-Gontier amène à corriger et à vieillir un peu cette datation, par comparaison avec l'Homme-Mort à Saint-Pierre-de-Plesguen (Ille-et-Vilaine) et les Ebihens à Saint-Jacut-de-la-Mer (excavation B), dans les Côtes-d'Armor (Daire, 1991, 40); cela nous amène à placer le lot du Clos-Henry – où jattes et bols représentent moins de la moitié des formes identifiées – autour du début du i er siècle av. J.-C. La cannelure interne de la lèvre fournit un autre indice de datation. Sur le site du Boisanne, aux dernières phases IIIa (250 à 150 av. J.-C.) et IV (100 av. J.-C. à 0), elle se réduit à 1 mm et même disparaît. Avec les réserves qu'implique une série beaucoup plus courte, il semble qu'au Clos-Henry, où dominent les cannelures de 1 mm (huit des neuf exemplaires observés), l'occupation ne puisse se placer qu'aux ii e ou i er siècle av. J.-C. (Menez, 1996, 128). Aucun reste d'amphore n'a été découvert au Clos-Henry, ce qui nous prive d'une autre source d'information chronologique externe. Cependant on a vu qu'un tesson provient du Sud, sans doute d'Italie, (lot 39) et se place au cours des ii e ou i er siècle av. J.-C. Cette dernière information chronologique d'origine exogène peut être confrontée sans contradiction à toutes celles fournies par l'examen de la céramique indigène et les comparaisons avec des sites voisins : cannelures labiales nombreuses (plutôt ii e siècle-début i er av. J.-C.), importance des formes tournées (i er siècle av. J.-C.), finition générale des vases (type Tène finale). Cela nous amène à proposer pour le Clos-Henry, une datation large entre 150 et 50 av. J.-C., peut-être plus resserrée si on se réfère à la clarté et à l'unicité des structures en creux. Dix fragments de pierre brûlée, probablement du grès, issus d'une meule (d'un type non identifiable) ont été découverts dans le fossé F 44 (lot 22). Plus anecdotique sans doute, une pointe de flèche a été recueillie au cours de l'évaluation, au sommet du remplissage du fossé nord-ouest de l'enclos (étude P. Forré, INRAP). Il s'agit d'un exemplaire perçant, à base concave et aileron équarri, en silex blond (secondaire), issu des terrasses de la Loire ou du Loir; cet objet peut être attribué au Bronze ancien. Il est intéressant de signaler qu'une autre de ces flèches a été recueillie au cours des sondages réalisés sur le site voisin de la mazure à Azé. Il s'agissait là d'une pointe de flèche denticulée à ailerons et pédoncules en silex blanc (Lambert et Rioufreyt, 1976, p. 17). Il est difficile de dire s'il s'agit d'un hasard ou d'une récupération opportuniste d'objets anciens encore efficaces et qui auraient été réutilisés par les habitants de ces deux sites de La Tène finale. Le site du Clos-Henry est constitué d'un enclos orienté nord-ouest/sud-est qui mesure 40 m sur 60 environ. Les fossés sont de taille modérée avec 1,30 m de largeur pour 0,80 m de profondeur observée environ. En supposant que le sol gaulois était celui de la parcelle avant décapage, ces fossés ne devaient pas dépasser 1,40 m de profondeur et 2 m de largeur. En dehors de deux structures (F 24 et F 42) ouvertes à proximité immédiate du fossé nord-est, une bande de 2 ou 3 m de large le long des fossés de l'enclos est dépourvue de creusements. Cette zone pourrait correspondre à l'emprise d'un talus. Même si le site n'a pu être totalement appréhendé en raison des destructions liées aux travaux de viabilisation, l'organisation générale de l'enclos semble assez nettement se dessiner. Pour ce que nous en savons, les bâtiments y sont implantés dans la moitié nord-ouest. Le bâtiment le plus vaste, où l'on reconnaît une habitation, reprend exactement l'orientation du fossé nord-ouest. Comme généralement, l'habitation est établie à l'abri d'un talus. Implantée à proximité immédiate du grand axe de l'enclos; elle en constitue, par sa position centrale, l'élément privilégié. Ce bâtiment est également associé à un grenier principal; les similitudes remarquées entre leurs structures permettent sans doute d'en attribuer la construction à une même phase voire à une même équipe. Deux autres greniers d'importance plus modeste complètent cet ensemble. Le type d'enclos ainsi mis au jour évoque de nombreuses autres enceintes reconnues en photographie aérienne par G. Leroux (fig. 15). Notre collègue insiste sur le nombre important de ces enclos simples à partition interne, notamment dans le sud-ouest du département de la mayenne. Plusieurs d'entre eux, souvent plus vastes que le Clos-Henry, y ont été repérés, comme celui des Boulais à Bouchamp-les-Craon (100 m sur 118, soit 1,2 ha : Leroux et al., 1999, p. 274). Il présente également un fossé de partition interne. Orientés est/ouest, les accès principaux se situent sur son grand axe. Il existe également un tel enclos aux mazures à Niafles (90 m sur 130, soit 1,17 ha : ibid., p. 268) et un autre à la Petite Rouairie, commune de La Selle-Craonnaise (146 m sur 86, soit plus de 1,25 ha : ibid., p. 291). Un dernier, le site du Chef Lieu à Pommerieu (ibid., p. 291), plus proche du Clos-Henry par la surface puisqu'il ne mesure que 70 m sur 90 (0,63 ha), appartient également à ce type; le fossé de partition interne n'y est pas exactement au centre de l'espace. Mais ce type d'enclos n'est pas propre à cette partie des confins de la Bretagne et des Pays de la Loire; il suffit de citer la fouille récente du site de l'Echasserie à Chemillé (Maine-et-Loire), repéré sur le tracé de l'autoroute A 87 et évalué lors de l'aménagement de la « route des mauges » (Pinard, 2003, p. 32-33). La surface de cet établissement occupe au moins 6 000 m 2, une partie du site se trouvant hors emprise de l'étude. Deux hypothèses sont à discuter ici : la présence d'une entrée au milieu du côté sud-oriental de l'enclos et un chemin de desserte. Les enceintes rectangulaires citées plus haut montrent toutes une interruption du fossé au centre d'un de leurs petits côtés (Leroux et al., 1999, p. 59-60). Cette disposition, qui se répète au niveau du fossé de partition interne, pourrait également se retrouver au Clos-Henry : on y note, d'une part, une lacune au centre du fossé qui divise l'espace en deux parties et, d'autre part, les rares sondages ouverts dans le fossé sud-est de l'enceinte juste avant sa destruction ont livré un mobilier (tessons et éléments de terre cuite) plus abondant que partout ailleurs dans l'enclos. La présence de cette zone de concentration pourrait être liée à la proximité de l'entrée. Avec un fossé qui vient doubler ce côté de l'enclos, il semble également possible de restituer un chemin qui viendrait du nord-est et qui desservirait cet accès (fig. 16). La fouille du site du Clos-Henry a permis pour la première fois en mayenne, et plus particulièrement dans le sud-ouest d'un département extrêmement riche en sites enclos, d'étudier un type d'établissement rural repéré à de multiples reprises en photographie aérienne. Le mobilier, peu abondant mais très homogène, montre qu'il s'agit ici d'une création de la seconde moitié du ii e siècle avant J. - C., abandonnée vers le milieu du siècle suivant. La durée d'occupation du site apparaît assez courte et on y dénombre peu de structures mais un nombre de bâtiments proportionnellement très élevé, où seule l'habitation présente des traces de restauration. Durant une ou deux générations, cet enclos rectangulaire de 2 400 m 2 semble partagé entre un secteur arrière réservé aux activités domestiques et de stockage et une partie avant qui paraît moins densément construite. En raison de la destruction de cette partie du site avant notre intervention, nous manquons cependant d'éléments précis pour en connaître exactement l'occupation. S'agit-il de parcs à bestiaux ou d'un secteur à vocation maraîchère ? Rien ne permet de trancher. Un espace agricole pourrait également avoir existé au sud de l'enclos habité. Si ces éléments sont habituels pour une ferme de cette période, ce qui l'est moins dans la région, c'est sa très faible emprise. Un seul site plus petit a été relevé, celui de la Pièce de Bildoux à Vivoin (Sarthe) avec seulement 1 500 m 2 (Maguer et al., 2003, p. 217). Les établissements fouillés et ceux repérés du ciel sont généralement beaucoup plus vastes et peuvent atteindre par exemple 28 000 m 2 aux Genâts en Vendée (Nilesse, 2003, p. 278). Les surfaces encloses, extrêmement variables d'un site à l'autre, sont un des éléments qui permettent d'en hiérarchiser les occupants. À ces amplitudes d'emprises, viennent s'ajouter les gabarits de fossés plus ou moins larges (Ferdière et al., 2006, p. 26), mais aussi la qualité, le type (monnaies, armement, parures) et l'origine du mobilier découvert, notamment les quantités de céramiques d'importation comme les amphores (Malrain et al., 2002, p. 191-141). À la lumière de ces éléments, les occupants de la ferme du Clos-Henry apparaissent comme de bien modestes paysans. À travers cette découverte, c'est une fois encore l'importance de l'occupation humaine de cette région du sud-ouest du département de la mayenne qui est mise en lumière, mais c'est aussi, à travers la profusion de sites enclos repérés dans cette région de confins, la diversité de ces unités agricoles qui transparaît. Non loin des exploitations aurifères qu'étaient alors les « miaules » (Meuret, 1993, p. 228-249), ce tissu d'établissements fossoyés a contribué également à mettre en valeur ce terroir de l'est-armoricain .
La fouille du site du Clos-Henry à Château-Gontier, outre la découverte d'une fosse du néolithique ancien VSG a permis de mettre en évidence une ferme de La Tène finale d'emprise très modeste. Son enclos rectangulaire à partition interne n'occupe en effet que 2 400 m2. Malgré un nombre restreint de structures en creux, moins de quarante trous de poteau, quatre bâtiments sur poteaux y ont été relevés. L'occupation relativement courte du site, une ou deux générations, permet d'y distinguer une unité agricole constituée d'un bâtiment principal associé à quelques bâtiments annexes de type grenier. L'ensemble est établi au cours de la seconde moitié du second siècle avant J.-C. et abandonné au milieu du siècle suivant.
archeologie_10-0138174_tei_166.xml
termith-86-archeologie
Le terme de Mésolithique a été employé par les archéologues dès la fin du XIXe siècle et sa définition n'a cessé d'évoluer depuis (Zvelebil 1998). Confondu parfois avec celui d' Épipaléolithique, il représentait, à l'origine, une phase de transition entre le Paléolithique et le Néolithique. Souvent mal définies, les populations mésolithiques ont été associées à une image très négative et à une période de déclin (Rozoy 1978; Pluciennik 1998; Zvelebil 1998). La relative abondance des dépôts coquilliers de cette période le long de la façade atlantique en Espagne, au Portugal, en Angleterre, en Irlande, en France, aux Pays-Bas, au Danemark et en Suède ou près du Danube et du Rhin (Arnaud 1982; Zvelebil & Rowley-Conwy 1986; Bogucki 1987; Cooney 1987) a contribué à cette image de populations misérabilistes qui vivent de la consommation de mollusques. La définition du Mésolithique a ensuite été modifiée en plaçant l'économie de production, qu'est l'agriculture, comme le critère déterminant du Néolithique (Childe 1947 cité dans Zvelebil 1998). Le Mésolithique s'oppose donc, à partir de ce moment là, au Néolithique par un mode de subsistance basé sur la chasse, la collecte et la cueillette. Mais, la périodisation a entraîné une vision chronologique du Mésolithique et du Néolithique et indirectement une idée d'évolution sociale graduelle qui reste souvent ancrée dans les discours (Pluciennik 1998; Zvelebil 1998). En France comme dans la majorité des pays cités ci-dessus, les sites mésolithiques placés à proximité de la côte semblent perdurer plus longtemps que ceux de l'intérieur des terres (Bogucki 1987; Gregg 1988; Kimball 2000). Même si la présence d'environnements productifs n'est sans doute pas le seul facteur ayant entraîné le développement d'économies basées sur les ressources marines à la fin du Mésolithique (Whittle 1990), l'apport alimentaire riche, varié et régulier des écosystèmes aquatiques est souvent avancé pour expliquer ce phénomène (Bogucki 1987; Gregg 1988; Kimball 2000). De plus en plus, l'image traditionnelle des Mésolithiques est modifiée. En effet, leur présence tardive dans les régions côtières tend à être associée à une sédentarisation prolongée qui aurait pu entraîner le développement d'une organisation socio-économique complexe (Zvelebil & Rowley-Conwy 1986). Les sites archéologiques de la façade atlantique de la France sont bien souvent intégrés à ces schémas conceptuels. Cependant, les données citées sont souvent celles de la moitié du XXe siècle avec les amas coquilliers de Téviec et Hoëdic (Péquart et al. 1937, Péquart & Péquart 1954). Les fouilles de l'époque étaient focalisées sur les sépultures associées aux amas coquilliers et, finalement, peu de données sont connues de la composition et de l'organisation des déchets culinaires et donc du mode de subsistance et de résidence de ces populations. Ainsi, plusieurs programmes français tendent de pallier cette lacune en intégrant non seulement les informations liées à l'exploitation des différentes ressources alimentaires et au mobilier funéraire (N. Desse-Berset pour l'ichtyofaune, C. Dupont pour la malacofaune, Y. Gruet pour les crustacés, R. Schulting pour les analyses isotopiques des ossements humains et A. Tresset pour les mammifères et l'avifaune) mais aussi celles apportées par les études lithiques (Marchand, ce volume). Cet article est un bilan des données apportées par l'analyse de la malacofaune marine consommée par les Mésolithiques le long de la façade atlantique de la France. La variabilité des restes coquilliers de par le monde est telle que, dans un premier temps, la définition des termes de dépôts et d'amas coquilliers utilisés est précisée. Plusieurs obstacles s'opposent à la comparaison des sites tels les biais taphonomiques, l'hétérogénéité des méthodes de fouille employées et des quantités de témoins archéologiques isolées à la fouille. Malgré ces biais, des ressemblances dans l'exploitation de la malacofaune marine sont observées entre les sites mésolithiques. Enfin, quelques différences permettent de proposer, à partir des coquillages alimentaires, un modèle d'organisation logistique du territoire des derniers Mésolithiques de la façade atlantique. Les rejets coquilliers sont des lieux où les populations vivent, où elles rejettent leurs déchets et où, parfois, elles enterrent leurs morts (Rozoy 1978; Andersen 1993; Armit & Finlayson 1992; Cauwe 2001). Ils peuvent présenter, selon les régions et les périodes observées, des formes et des volumes très variables. Plusieurs essais de classification des amas coquilliers anthropiques ont été tentés qui prennent en compte la composition malacofaunique des dépôts, la présence ou non d'artefacts liés à d'autres activités et leur position géographique (Claassen 1991; Andersen 1993). Cependant, la variabilité des restes coquilliers en fonction de la zone géographique où ils sont découverts est telle qu'aucune des classifications existantes n'a pu être appliquée à ceux de la façade atlantique de la France. D'autre part, comme le montre R. Chenorkian, la détermination d'amas coquilliers a pu être appliquée à des sites archéologiques tandis que les coquilles représentaient une infime fraction du site (Chenorkian 1988). Ce problème de terminologie et cette lacune du vocabulaire a encouragé l'établissement d'une classification des rejets coquilliers adaptée à ceux trouvés le long de la façade atlantique de la France. Les critères utilisés pour différencier les rejets coquilliers sont le mode de dépôt, la morphologie de l'ensemble du rejet et le volume des coquillages observés dans notre zone d'étude. Tout d'abord, la position des rejets par rapport au substrat est prise en compte (fig. 1). Ensuite, le terme de lit coquillier a été utilisé quand les coquilles sont déposées sous forme de couches horizontales. Ceux d'amas et de dépôt coquillier soulignent un aspect plus massif du rejet. La différenciation entre amas et dépôt coquillier est seulement liée au volume de ces accumulations. Cette classification n'est pas exhaustive et n'a de valeur que pour la zone géographique où elle a été établie : la façade atlantique de la France. Elle est, bien sûr, susceptible d' être modifiée en fonction de nouvelles découvertes. Si cette classification est appliquée aux rejets coquilliers du Mésolithique de la façade atlantique de la France, tous sont des amas coquilliers (Téviec, Hoëdic, Beg-er-Vil, Beg-an-Dorchenn, Beg-an-Tour, Saint-Gildas IB) à l'exception du dépôt coquillier de Saint-Gildas IC (Préfailles, Loire-Atlantique) (pour la localisation géographique des sites et leur description se reporter à Marchand, ce volume). Saint-Gildas IC se situe sur le même promontoire rocheux que Saint-Gildas IB et ses dimensions, lors de la découverte, étaient d'environ de 2,50 m de long par 0,80 m de large et de 0,25 m au-dessus du sol (Rozoy 1978). L'épaisseur maximale décrite pour les amas coquilliers mésolithiques de la façade atlantique est d'un mètre (Marchand, ce volume). Même si cette valeur est faible comparée aux immenses amas coquilliers d'autres régions de plusieurs dizaines de mètres de hauteur (Fairbridge 1976), les amas coquilliers bretons représentent les rejets de coquilles les plus volumineux du Mésolithique et les tests y sont le composant majoritaire. Notre vision de ces amas est fortement biaisée par rapport au dépôt d'origine. En effet, la plupart de ces amas ont été recouverts d'un niveau de dune holocène qui masque complètement l'irrégularité qu'ils peuvent représenter dans le paysage (Péquart et al. 1937; Péquart & Péquart 1954; Kayser 1987; Dupont 2003). De plus, leur constante dégradation agit fortement sur l'épaisseur de ces couches coquillières. Ainsi, à Beg-an-Dorchenn, O. Kayser note pour les fouilles qu'il a effectuées en 1984 que « la puissance de la couche était de 0,35 m en moyenne contre 0,80 à 1 m d'épaisseur dans les zones anciennement fouillées » (Kayser 1985). Puis, l'opération effectuée en mai 2001 a permis l'observation d'une couche coquillière de 30 cm seulement (fig. 2). Ainsi, il ne faut pas perdre de vue que ce qui est observé actuellement représente une partie seulement du rejet d'origine. La typologie des restes de patelles en fonction de leur degré d'altération a été appliquée au prélèvement réalisé en 2001 sur le site de Beg-an-Dorchenn dans les quarts de mètre carré A et C (fig. 3, 4). Une altération plus prononcée de la patelle vers la surface et la base est effectivement observée en C. Cette observation peut être liée à un plus faible confinement des zones présentes à la périphérie de l'amas, à la différence du centre du rejet où la plus forte concentration de coquilles a pu, par une dissolution d'une partie d'entre elles, stabiliser le pH (potentiel Hydrogène) du sédiment. Dans le carré A, la situation est plus confuse. La patelle est légèrement plus dégradée qu'en C. Elle ne montre pas de grande différence selon les passes. Or, le carré A jouxtait le sondage ouvert par O. Kayser et pouvait être, de ce fait, moins confiné que le C. Ainsi, les observations faites en A et en C montrent que les zones placées en périphérie de l'amas sont plus dégradées. Cette altération peut être liée à de nombreux agents taphonomiques tels la porosité, la perméabilité, le tassement, le pH, les vers et les racines (Boekschote 1966; Bailey 1975; Stein 1992; Lorblanchet 1999). Ceux -ci agissent de la formation du dépôt à leur découverte. Mais, d'autres biais s'opposent également à notre vision des restes coquilliers. En effet, les proportions de coquillages conservés lors de la fouille par rapport au dépôt d'origine sont parfois très faibles. Cela vaut tout particulièrement pour les rejets alimentaires. Ainsi, moins de 2 kg de tests ont été conservés après ramassage à vue pour le site de Téviec tandis que 324 m2 de couche coquillière y ont été décrits (Péquart et al. 1937). Pour Hoëdic, 5 kg de coquillages alimentaires avaient été ramassés par M. et S.-J. Péquart pour un site d'une surface de plus de 200 m2 (Péquart & Péquart 1954). Il est difficile de répondre à la question du volume minimum à ramasser pour que l'échantillon soit représentatif du dépôt coquillier car les volumes et le degré de conservation du matériel sont très variables d'un site à l'autre. Pour les rejets les plus volumineux et les plus denses en coquilles, les essais d'estimation d'un volume minimum au-delà duquel les proportions des espèces ne varient pas significativement montrent que ce volume est différent selon les sites. Par exemple, pour Beg-er-Vil, il est de 93 litres tandis que, pour Beg-an-Dorchenn, il est de 88 litres (Dupont 2003). La prudence doit malgré tout être de mise car ce volume dépend du volume maximum pris comme référence. De plus, l'application du tamisage est loin d' être systématique sur de tels dépôts. La méconnaissance des informations apportées par les restes fauniques et la saturation rapide des tamis en milieu coquillier peuvent en partie l'expliquer. Or, de nombreux restes tels des coquillages très fragiles, des restes ichtyologiques et des crustacés sont parfois très difficiles à déceler sans l'application d'un tamisage. Dans le but de montrer la distorsion apportée sur notre vision de la malacofaune entre un ramassage à vue et un tamisage, une expérimentation a été réalisée sur un des sites mésolithiques à coquilles les mieux documentés : Beg-er-Vil. Dans un premier temps, des sachets de sédiments (107 litres au total) prélevés par O. Kayser en 1987 ont été étalés (Kayser 1987). Puis, les éléments bien visibles ont été isolés du reste des échantillons (NR V du tableau 1). La totalité du matériel étant recouverte d'un sédiment noirâtre, la dimension des restes coquilliers a largement motivé ce ramassage à vue. Dans un second temps, ce qui reste de chaque échantillon a été tamisé à l'eau à l'aide d'une colonne de tamis de mailles carrées de 5 et 1 millimètres. Étant donné l'extrême dégradation du matériel et son abondance, seuls les éléments supérieurs à 5 millimètres ont été comptés. Le nombre de coquilles après tamisage comprend celles issues du ramassage à vue additionnées de celles de taille supérieure à 5 mm (NR T du tableau 1). La diversité spécifique ainsi que les quantités relatives de chaque espèce du lot ramassé à vue ont été comparées à celles obtenues après tamisage. Les espèces qui n'avaient pas été identifiées à vue sont au nombre de neuf (fond grisé du tableau 1). La diversité spécifique passe ainsi de 12 espèces repérées à vue à 22 après un tamisage. La petite taille de Gibbula umbilicalis, de Lacuna parva, de Trivia monacha et de Hiatella sp. peut expliquer leur absence lors du ramassage à vue (fig. 5). Elles ont pu être amenées par hasard sur le site fixées à d'autres produits marins ramassés, quant à eux, volontairement par les hommes. Callista chione, Lutraria lutraria et Pecten maximus, de grande taille, ont également été identifiés uniquement après tamisage sous forme de rares débris (fig. 5). Tandis que P. maximus est inaccessible à pied sec, Callista chione et Lutraria lutraria ne peuvent être collectées que lors de très basses mers de vive-eau. Leur faible présence dans l'amas peut s'expliquer par cet accès limité. La dernière catégorie ignorée par le ramassage à vue comprend les tests d'une extrême fragilité de Solen marginatus et de Scrobicularia plana (fig. 5). Ainsi, aucun reste de scrobiculaire n'avait été repéré par un ramassage à vue pour plus de 700 restes après tamisage. De même, le faible nombre de restes de la moule Mytilus edulis (fig. 5) détectés après un ramassage à vue faisait de celle -ci une espèce minoritairement collectée voire ramassée par hasard. Or, le tamisage démontre le contraire avec plus de 13000 restes de cette espèce identifiés. Les proportions relatives de chaque espèce par rapport à l'ensemble de la malacofaune ont été calculées en NR et en NMI avant et après tamisage dans le but de voir si les espèces majoritaires étaient variables selon la technique de fouille utilisée (Tableau 2). D'un ramassage à vue à un tamisage les proportions de la moule sont multipliées par un coefficient de 77 en NMI passant de 0,4 à 29 %. Selon la technique de ramassage à la fouille, les proportions et l'ordre des cinq espèces majoritaires sont variables (tableau 2). Ainsi, la moule est, après tamisage, au premier rang des espèces en NMI. La vision des territoires de collecte exploités peut donc se trouver biaisée en l'absence d'un tamisage. Un test du Chi-Deux (c2) appliqué aux deux distributions du NMI des taxons avant et après tamisage montre une différence statistiquement significative au seuil de 0,05 (χ2 = 12,59, ddl = 6) (Schwartz 1980; Dupont 2003). Cette expérimentation, appliquée au site de Beg-er-Vil, montre donc que selon la technique de prélèvement utilisée à la fouille, la vision du spectre de la malacofaune ou, du moins, les proportions des espèces les plus abondantes sont significativement différentes. Dessin : C. Dupont. Enfin, les données tirées de la bibliographie ne donnent pas toujours accès aux mêmes variables (masse de coquilles, nombre de restes, nombre minimum d'individus). Les biais présentés ci-dessus sont autant d'éléments qu'il faut prendre en considération dans la comparaison de l'exploitation de la malacofaune marine entre sites. Pour les coquillages alimentaires, la masse des coquilles a été privilégiée, lorsqu'elle est disponible, pour décrire les assemblages fauniques. Elle permet, en effet, de limiter l'importance relative des petites espèces présentes en grande quantité et au faible apport nutritif. Quelles sont les sources d'informations disponibles pour la malacofaune des sites mésolithiques de la façade atlantique ? Les sites de Beg-an-Dorchenn et de Beg-er-Vil sont de loin les mieux documentés avec un peu plus de 15 kg de coquilles étudiées après un tamisage à 5 mm. Pour Beg-an-Dorchenn, les données du sondage Dupont et Marchand réalisé en 2001 ont été utilisées. Pour Beg-er-Vil le sédiment prélevé lors des fouilles d'O. Kayser a été tamisé en laboratoire. Moins de 2 kg de coquilles alimentaires de Téviec et de Hoëdic ont été ramassés à vue à l'issue des fouilles du milieu du XXe siècle. La comparaison entre les restes déposés au musée de Carnac et ceux décrits en bibliographie a montré d'importantes distorsions entre ces deux sources d'information (Dupont 2003). D'autre part, l'analyse de la taille des individus déposés au musée de Carnac a montré la sélection des grands coquillages. De nombreux biais s'opposent ainsi à la bonne représentativité de ces deux échantillons. Un retour sur l' île de Hoëdic en 2001 a permis le tamisage d'un petit échantillon (Dupont 2003). Malgré un nombre réduit de restes coquilliers isolés à l'issue de cette opération (1,6 kg), les informations apportées complètent le lot observé à Carnac. Pour les sites placés sur le promontoire de Saint-Gildas un nombre minimal d'individus de 172 a été publié pour Saint-Gildas IC et de 829 pour Saint-Gildas IB (Tessier 1984). La masse de coquilles isolées à vue n'a pas été mentionnée par M. Tessier. Le faible nombre de restes retenus pour le IC peut être lié au faible volume de ce dépôt. Enfin, les données malacofauniques du site de Saint-Gildas IB ont été complétées en 2003 par un prélèvement. Malheureusement, moins d'un kilogramme de restes malacofauniques a pu être étudié lors de cette opération. Malgré tout, le tamisage appliqué à ce dépôt permet de compléter les données issues des ramassages de M. Tessier. La majorité des sites du Mésolithique où des rejets alimentaires coquilliers ont été trouvés est localisée en Bretagne et en Pays-de-la-Loire. Plus au sud, les indices de la consommation de coquillages sont minces pour cette période. Seules quelques coquilles ont été trouvées à La Pierre-Saint-Louis (Geay, Charente-Maritime - information Y. Gruet). D'autre part, les rejets coquilliers du Mésolithique sont, pour la plupart, actuellement attaqués par la mer et les sites de plein air, témoignant de la consommation de coquillages antérieure à cette période, sont absents pour la région considérée. Cette observation peut être liée à la remontée du niveau marin qui a sans doute provoqué l'immersion des sites précédant le stade final du Mésolithique et permis la seule conservation des sites protégés par des barres rocheuses et positionnés en hauteur. Ainsi, l'apparition des amas coquilliers souvent décrite à la fin du Mésolithique doit être relativisée (Bailey & Milner 2002). D'autre part, la synthèse faite pour les restes malacofauniques du Mésolithique et du Néolithique montre que la rareté des rejets coquilliers associés à une occupation mésolithique dans le Centre-Ouest de la France peut être liée à une adoption de l'économie de production ou à l'arrivée d'une population qui maîtrise déjà l'élevage plus précocement qu'en Bretagne (Dupont 2003). Ainsi, la variabilité du phénomène de néolithisation liée aux variations du niveau marin a pu entraîner cette distorsion dans la répartition des rejets alimentaires mésolithiques. L'étude de l'exploitation de la malacofaune est indissociable de celle du paléoenvironnement. En effet, le milieu marin est en constante évolution et l'image qu'offre la côte actuelle peut être bien différente de ce qu'elle était au cours de la préhistoire. Au Mésolithique récent/final, malgré un ralentissement de la remontée du niveau marin par rapport aux périodes précédentes, la transgression flandrienne se poursuit. Une même démarche a été appliquée aux sites mésolithiques de la façade atlantique de la France (Dupont 2003). Elle consiste à prendre en compte à la fois la marge de datations obtenue pour chacun des sites, les sondages paléoenvironnementaux, la nature des fonds marins, ainsi que les différentes courbes de variations du niveau marin (Ters 1973; Morzadec-Kerfourn 1974; Delibrias & Morzadec-Kerfourn 1975; Pinot 1975; Pirazzoli 1991). De ces informations, et malgré les imperfections qu'elles peuvent présenter, une distance théorique du site à l'estran ainsi que la nature des substrats accessibles peuvent en être déduites et sont résumées dans le tableau 3 (pour plus de détails voir Dupont 2003). Cette première donnée montre que ces sites, où la malacofaune a été consommée, étaient proches de l'environnement marin. Une distance de la côte aux campements supérieure à un kilomètre ne semble pas rentable pour l'exploitation de la malacofaune marine. Les données obtenues sur le paléoenvironnement ont été comparées aux biotopes d'origine des espèces collectées par les Mésolithiques. Elles ont permis de mettre en évidence des points communs pour l'exploitation de la malacofaune marine entre les différents sites du Mésolithique. Les histogrammes de distribution des substrats dont sont originaires les coquillages consommés ont, dans un premier temps, été dressés (fig. 6). Pour les sites de Saint-Gildas seul le NMI a été indiqué par M. Tessier (Tessier 1984). Il est probable que l'espèce de vase Scrobicularia plana ait été sous-estimée dans ces décomptes, comme semble le montrer le prélèvement réalisé en 2003. Malheureusement ce dernier n'a pas permis l'étude d'une quantité de coquilles très importante. Ces différentes données ont malgré tout été représentées dans ce graphique et seront utilisées dans la suite de la démonstration tout en relativisant leur portée en fonction de l'origine du matériel analysé. Parmi les six sites représentés dans la figure 6, trois (Beg-an-Dorchenn, Beg-er-Vil, Saint-Gildas IC) montrent une exploitation diversifiée des substrats. En effet, pour ces sites le substrat représenté en seconde position atteint encore entre 28 et 48 %. Cette diversification des milieux exploités peut être liée à l'accessibilité pour ces populations mésolithiques à différents substrats (Tableau 3). La proximité d'un estuaire a encouragé l'exploitation du substrat vaseux à Saint-Gildas IB et IC (Marchand et al. 2002). Quant à la distorsion entre les deux histogrammes de Saint-Gildas IB, elle peut être liée à la sous-estimation de la scrobiculaire par le ramassage à vue de M. Tessier mais également à l'aspect restrictif du prélèvement, en 2003, qui a pu être réalisé sur une concentration de scrobiculaire du dépôt d'origine. Quoi qu'il en soit pour les deux sites de Saint-Gildas localisés lors de leur fonctionnement à proximité d'un estuaire, les populations ont exploité à la fois la vasière et, en plus ou moins grande proportion, les rochers. Pour Téviec et Hoëdic, la faible représentation des deux milieux meubles (entre 1 et 6 %) semble'être influencée par leur accès limité. En effet, le substrat rocheux est majoritaire sur les côtes avoisinant ces deux sites (Dupont 2003). Cette caractéristique pourrait correspondre à un comportement opportuniste de ces populations qui semblent avoir exploité toute la diversité de la malacofaune disponible dans l'environnement marin proche du site. Comme le montre la figure 7, les espèces majoritai-rement consommées au Mésolithique sont toutes accessibles dès le moyen estran. Elles ont pu être collectées quasi quotidiennement et ce pendant plusieurs heures. D'autre part, malgré la diversité des substrats exploités, le milieu rocheux domine, au Mésolithique, pour 4 sites sur 6 étudiés (fig. 6). Ce fait peut être lié à la présence majoritaire de ce substrat à proximité des sites étudiés. Mais le « succès » du substrat rocheux, peut aussi être rapproché d'une plus grande accessibilité des espèces qui y vivent. En effet, contrairement aux deux autres substrats (le sable et la vase), les coquilles sont directement repérables à la surface du rocher. Le temps consacré à la recherche de la malacofaune est donc plus limité dans le cas de l'exploitation du milieu rocheux. Ainsi, les populations mésolithiques semblent s' être adaptées aux espèces les plus accessibles. Enfin, la patelle (Tableau 4) est présente parmi les deux espèces les plus consommées pour cinq sites parmi les six observés. Cette préférence a également été observée pour la majorité des amas coquilliers de la façade atlantique localisés à proximité de côtes rocheuses comme certains de l'ouest de l' Écosse, de l'Irlande et du Portugal (Mellars 1978; Russell et al. 1995; Tavares da Silva & Soares 1997; McCarthy et al. 1999). Les caractéristiques de sa consommation ajoutées à son accès facile, à son abondance sur les rochers et à sa présence possible dès le haut niveau de l'estran peuvent expliquer son succès. En effet, la consommation de ce gastropode conique ne présente pas de difficulté. Contrairement aux gastropodes turbinés où l'accès à la chair nécessite, soit une ébullition, soit une cassure de l'apex, soit l'écrasement du test, celui de la patelle peut se faire directement (Mellars 1978; Russell et al. 1995; Vigne 1995; McCarthy et al. 1999). L'étape de la préparation avant consommation est donc minime pour cette espèce. C'est d'ailleurs un des coquillages les plus rentables de la côte atlantique (Mellars 1978) avec une proportion de chair comprise entre 46 et 60 % d'un animal frais (Dupont & Gruet 2002). De plus, parmi les quatre autres espèces majoritairement consommées, seuls des bivalves sont présents (Tableau 4). Le simple contact de ces coquillages avec une source de chaleur provoque leur ouverture et donne accès à la chair. Ainsi, les populations mésolithiques de la façade atlantique française qui ont consommé des coquillages marins semblent s' être adaptées à leur environnement proche. Cette caractéristique, associée à une exploitation diversifiée du milieu marin, reflète un comportement opportuniste de ces populations. Enfin, les points communs observés montrent des choix similaires qui aboutissent à une simplification des sous-systèmes techniques de l'acquisition et de la consommation de la malacofaune et tendent vers un meilleur rendement de l'exploitation de cette ressource. Malgré ces points communs entre les dépôts et amas coquilliers mésolithiques, quelques différences ont également été observées. Les spectres malacofauniques sont présentés dans la figure 8. La mauvaise représentativité de l'échantillon de Téviec fait qu'il a été écarté de cette figure. À Beg-an-Dorchenn et Beg-er-Vil, qui sont les amas coquilliers les mieux documentés quantitativement, la diversité observée au niveau des substrats exploités se retrouve pour les coquillages collectés. Les proportions de 4 à 6 espèces doivent être additionnées pour obtenir plus de 90 % de la masse totale de coquilles consommées. C'est également le cas de l'échantillon de Hoëdic issu du tamisage, mais dont une plus faible quantité a été observée (fig. 8). Pour les sites de Saint-Gildas, l'addition des pourcentages de deux à trois espèces suffit à obtenir plus de 90 % du NMI et de la masse. Si on exclut Téviec, moins fiable du point de vue de la représentativité de l'échantillon prélevé par rapport à l'ensemble du site, la plus grande diversité spécifique des sites de Hoëdic, Beg-an-Dorchenn et de Beg-er-Vil s'oppose à celle légèrement plus réduite des sites de Saint-Gildas. Les données de ces derniers sites ont pu être biaisées par la faible quantité de restes et les techniques de ramassage. Malgré tout, d'autres différences semblent opposer les sites à plus forte diversité spécifique de ceux de Saint-Gildas. Les sites à faible diversité malacofaunique se composent de rejets où les coquilles sont les seuls restes de faune identifiés (Saint-Gildas IB et IC). La sélection plus importante des espèces qui y ont été consommées pourrait correspondre à une exploitation ponctuelle dans le temps du territoire accessible. En effet, la collecte d'un nombre d'espèces restreint peut rapidement entraîner l'épuisement des bancs naturels les plus proches du site. Le volume d'un mètre cube du dépôt coquillier de Saint-Gildas IC suggère également une courte fréquentation du lieu. Celui de Saint-Gildas IB, estimé à 60 m3, est plus volumineux et pourrait traduire une résidence un peu plus longue. Cependant, en l'absence de données stratigraphiques, l'accumulation de dépôts successifs espacés dans le temps ne peut pas être écartée. D'autre part, aucune structure (foyer, sol d'habitation) n'a été observée dans ou à proximité de ces rejets. Les sites de Saint-Gildas, séparés dans le temps au vu des datations radiocarbones (7520 ± 140 B.P. Gif-3531 soit 6293 à 5687 av. J.-C. pour IB et 6790 ± 90 B.P. Gif-4847 soit 5486-5142 av. J.-C. pour IC, cal. 2 sigmas; Tessier 1984; Marchand 1999) pourraient donc être le reflet d'une fréquentation régulière, mais courte dans le temps, du promontoire de Saint-Gildas. Des petits groupes d'une population auraient ainsi pu faire des expéditions saisonnières pour exploiter une ressource naturelle. La malacofaune aurait pu être le but de ces déplacements. Mais, plusieurs éléments permettent d'en douter. Bien qu'il y ait un biais lié à la taphonomie, en l'état actuel des recherches, aucun site de l'intérieur des terres n'a été trouvé associé à des quantités importantes de coquilles. Cependant, la chair de l'animal aurait pu être désolidarisée de la coquille avant son transport. Mais, la légèreté du test de la scrobiculaire limite le gain apporté par le détachement de la chair de l'animal de son test (diminution du poids à transporter) vis-à-vis du coût (temps de préparation) que cette étape demande. De plus, les rejets observés peuvent tout aussi bien correspondre uniquement au repas de ces expéditions. La reconstitution du paléoenvironnement montre que ces stations étaient placées à proximité d'un large estuaire (Dupont 2003). Or, l'écosystème estuarien est au centre de nombreuses migrations (poissons, oiseaux). Les Mésolithiques ont pu exploiter une de ces ressources, plus abondante à certains moments de l'année, et consommer des coquillages le temps de leur halte. L'absence de restes de faune autres que les coquilles sur les sites de Saint-Gildas peut correspondre au transport du produit recherché vers un camp de base. Le rejet de restes de poissons sur leur lieu de pêche, à quelques dizaines de mètres des coquilles, n'est pas non plus exclu. Les biais liés à une conservation différentielle ne peuvent cependant pas être exclus au sein même des assemblages de Saint-Gildas. Malheureusement, le régime alimentaire d'éventuels camps de base situés à proximité de la pointe de Saint-Gildas n'est pas connu. Le second ensemble de sites de la fin du Mésolithique observé correspond à ceux de plus large spectre malacofaunique : Hoëdic, Beg-an-Dorchenn et Beg-er-Vil. À la différence des sites à faible diversité spécifique, ces amas coquilliers sont composés d'autres restes alimentaires que les coquillages. Cet élément permet d'associer Téviec à cet ensemble qui avait été écarté de l'analyse des spectres malacofauniques du fait de sa faible représentativité. Ainsi, l'alimentation terrestre carnée a bien été identifiée (cerf Cervus elaphus, chevreuil Capreolus capreolus, sanglier Sus scrofa, aurochs Bos primigenius en sont les principaux composants), celle d'origine végétale n'est connue que par de minces indices (restes de noisettes et de pépins de poire Pirus cordata) (Péquart et al. 1937; Gebhardt & Marguerie 1993). La diversité offerte par la frange littorale a été exploitée comme en témoignent les restes de poissons (Labridés, Gadidés, Sparidés, petits requins hâ Galeorhinus galeus, raie Raja sp.; l'analyse en cours de N. Desse-Berset montre qu'au moins 6 espèces ont été pêchées à Beg-an-Dorchenn), de céphalopodes (seiche Sepia officinalis), de crabes (au moins quatre espèce ont été identifiées à Beg-an-Dorchenn et Beg-er-Vil) (Gruet 2002; Dupont & Gruet sous presse), de coquillages et de cétacés (phoques et baleines sans doute ramassés après leur échouage). De plus, une partie de la faune chassée doit sa présence à son affinité avec l'environnement marin. C'est le cas des oiseaux marins, bien représentés à Téviec (Péquart et al. 1937; Schulting et al. soumis). Ainsi, l'exploitation de toute la diversité des ressources offertes par l'environnement voisin du site entrevue par l'analyse malacofaunique se confirme pour les autres sources de nourriture. Contrairement à ce qui a été observé à Saint-Gildas, plusieurs structures (foyers culinaires, aire dallée, muret) témoignent des activités quotidiennes d'une population sur ces sites (Marchand, ce volume). Ces différentes structures peuvent témoigner d'une fréquentation sans doute plus longue de ces amas que ce qui a été observé à Saint-Gildas. Le volume des rejets (entre 195 et 60 m3) peut suggérer un temps de résidence assez prolongé sur les sites. L'évaluation approximative de la masse totale de coquilles accumulées à Beg-an-Dorchenn pourrait représenter plus de 5 tonnes de coquilles rejetées en cet amas. À Hoëdic, ces quantités pourraient dépasser les 14 tonnes et plus de 3 tonnes à Beg-er-Vil. À Beg-an-Dorchenn et à Hoëdic, plus de 2 tonnes de chair de patelles auraient ainsi pu y être mangées (Dupont 2003). Cependant, si aucun autre élément de saisonnalité n'est considéré, ils peuvent aussi bien correspondre à des accumulations continues ou au cumul de dépôts saisonniers successifs. Pour Téviec et Hoëdic, les sépultures collectives sont placées dans l'habitat même (Péquart et al. 1937; Péquart & Péquart 1954). À moins d'une épidémie ayant provoqué des morts proches dans le temps, les sépultures multiples peuvent correspondre à l'ouverture d'une fosse ou à son réemploi sur un certain laps de temps. Dans le cas de retours successifs sur ce site, la durée de résidence de chaque passage a donc pu être assez prolongée. Mais nous ne pouvons pas, à ce stade de l'observation, chiffrer le temps minimum de résidence lié à chacun de ces passages ou à une occupation continue de cet habitat. Les périodes de migrations ou de nidification des oiseaux déterminés sur ces sites auraient pu être utilisées pour compléter les données sur la saison de fréquentation de ces campements. Cependant, les modifications d'aire de nidification observées à l'échelle d'une vie humaine (Grayson 1984; Harrison 1995) et la rareté des restes d'oiseaux pour ces sites appellent la prudence. De même, la présence du renard et de la martre a été associée à une chasse d'hiver car ces animaux ont une fourrure plus fournie durant cette saison (Kayser 1991). Ce n'est là qu'une hypothèse et pas un fait. En effet, ces deux espèces sont accessibles toute l'année. Le nombre de restes à l'origine des déterminations de ces deux espèces peut d'ailleurs être faible. De plus, elles ont pu être chassées pour les nuisances apportées à l'habitat (consommation de nourriture). Enfin, pour les végétaux, le moment de leur cueillette ne correspond pas obligatoirement à celui de leur consommation. Même si pour la poire, sa conservation est limitée à quelques mois après sa cueillette, la noisette peut être conservée dans de bonnes conditions plus d'une année. Ces différentes composantes des régimes alimentaires nous donnent les moments de capture et de collecte les plus probables mais ils ne suffisent pas à établir le temps minimum de résidence de ces populations. L'étude de la saison de collecte de la malacofaune possède également ses limites (Dupont 2003). Cependant, à la différence des autres restes alimentaires, les coquillages ont, sans doute, été consommés et les coquilles rejetées sur le site juste après leur acquisition. En effet, à moins d'une transformation de la chair, celle -ci se conserve hors de l'eau moins d'un mois après la collecte. Ainsi, la malacofaune donne directement accès au moment de la fréquentation du site sur une année. Malheureusement, les restes malacofauniques conservés pour Téviec, comme pour Hoëdic, sont trop restreints pour apporter des éléments. Pour Beg-an-Dorchenn, la zone fouillée correspondrait à une collecte de la palourde au moins de la fin de l'hiver au milieu de l'année et pour Beg-er-Vil au début du printemps et de l'automne (Dupont 2003). Ce ne sont là que des temps minimums de collecte de ces mollusques. De plus, l'analyse de la saison de collecte de la malacofaune est fortement dépendante de la zone prélevée dans les amas. La permanence de la résidence de ces différents sites de la fin du Mésolithique n'a pu être prouvée. Cependant, plusieurs données témoignent d'un temps de résidence sans doute plus long que sur les sites de Saint-Gildas. Dans l'hypothèse où les sites à grande et à faible diversité spécifique auraient fonctionné simultanément, des sites permanents aux activités de prédation diversifiées peuvent être opposés à de petites stations (fig. 9). Le mobilier lithique reflète une plus grande diversité des activités des amas coquilliers que celles des « stations littorales légères » (Marchand 2000). En bas de la figure 9, l'organisation logistique déduite de l'industrie lithique dans le nord-ouest de la France a été synthétisée. Les grands sites d'habitat semblent s'y répartir en deux principaux ensembles. Le premier est localisé à proximité du littoral, le second à une vingtaine de kilomètres des rivages (Gouletquer et al. 1996; Marchand 2000). Cette répartition hétérogène des sites les plus grands et la concentration du premier ensemble sur la zone côtière peuvent être mises en relation avec l'attrait procuré par l'exploitation de l'environnement marin. Ainsi, une certaine dépendance vis-à-vis des ressources offertes par le littoral a pu être mise en évidence par la diversité des denrées marines consommées par ces populations mésolithiques. Celle -ci a été confirmée par les analyses isotopiques des ossements humains de Téviec et de Hoëdic, où entre 60 et 90 % des protéines consommées proviendraient de ressources marines (Schulting & Richards 2001). Les petites stations peuvent quant à elles correspondre à des haltes de courte durée, peut-être liées à des activités saisonnières. La faune terrestre chassée déterminée à Téviec, Hoëdic, Beg-an-Dorchenn et Beg-er-Vil pourrait provenir de ces expéditions. Ce point peut être renforcé par la mise en évidence de sites plus restreints qui entouraient des grands sites (Marchand 2001) et dont l'outillage est orienté vers la fabrication d'armes de chasse. De même, les stations satellites du littoral étaient peut-être destinées à des camps de base n'ayant pas un accès quotidien à la côte. Ainsi, malgré tous les biais qui gênent la comparaison de l'exploitation de la malacofaune au sein des différents sites du Mésolithique de la façade atlantique française, l'opposition entre des camps de base à forte diversité spécifique et des sites satellites à faible diversité spécifique converge vers les données issues de l'industrie lithique. L'ébauche proposée d'un modèle d'organisation logistique du territoire côtier au Mésolithique ne va pas sans rappeler les modèles d'occupation du territoire proche du littoral du Mésolithique final et le Néolithique ancien du Portugal (Soares 1996; Tavares da Silva 1996). De même, la complémentarité entre des grands sites aux activités diversifiées et de nombreux sites satellites aux activités plus spécialisées est à rapprocher de ce qui a été observé pour le Mésolithique final du Danemark (Hodder 1993; Andersen 1995). Malheureusement, pour notre zone d'étude, en l'état actuel des recherches, les dépôts coquilliers mésolithiques ne sont pas assez nombreux le long de la façade atlantique française et les stations sont trop distantes les unes des autres pour valider le modèle d'occupation de la zone côtière proposé. Cependant, les résultats obtenus contrastent avec l'image négative des Mésolithiques du début du XXe siècle. En effet, les occupants des amas coquilliers bretons ne se sont pas contentés uniquement de la collecte de mollusques. Ils semblent, au contraire, avoir exploité toute la diversité des ressources alimentaires accessibles à la fois dans l'environnement marin et terrestre proche. Ils ont pu compléter une alimentation largement tournée vers le littoral par des expéditions ponctuelles vers les terres. Ainsi, malgré le cantonnement des sites à malacofaune proches du littoral, ces Mésolithiques côtiers n'ont pas vécu isolés de ceux de l'intérieur des terres. Le transport vers les terres de produits associés à l'environnement marin tels des parures en coquillages (Dupont 2003) et des galets côtiers (Kayser 1984) a été mis en évidence. Enfin, les informations apportées par la malacofaune marine et les autres témoins archéologiques sur l'économie de subsistance et sur le mode de résidence des Mésolithiques côtiers montrent une image totalement différente de celle d'un groupe en marge qui se réfugie près du littoral pour survivre et qui occupe une zone que d'autres populations n'ont pas voulu. Au contraire, l'emplacement des habitats à proximité du littoral a pu être guidé à la fois par une composante économique liée à l'attrait d'un environnement productif (proximité de bancs coquilliers et de multiples matières premières), mais aussi par une composante culturelle liée à l'organisation logistique du territoire (contact entre les différents sites) .
Les populations mésolithiques vivant à proximité ou sur des zones de déchets coquilliers ont, par le passé, été associées à une image très négative. Ces ramasseurs de coquillages auraient ainsi établi leur campement dans des zones marginales dont personne ne voulait. Cette vision des populations côtières du Mésolithique tend, actuellement, a être modifiée par l'analyse de leur mode de subsistance et de résidence, jusque là peu prise en compte. Les caractéristiques de l'exploitation de la malacofaune marine montrent que la diversité des substrats et des espèces les plus accessibles a été exploitée. Elle traduit un comportement opportuniste de ces populations qui ne se sont pas limitées aux coquillages mais qui ont collecté, péché et chassé tout ce qui était disponible dans leur environnement. D'autre part, les points communs aux différents sites du Mésolithique tendent vers un meilleur rendement de l'exploitation des coquillages en limitant les sous-systèmes techniques de l'acquisition et de la consommation de cette denrée. Enfin, des différences sont aussi observées. Elles opposent des sites à la faible diversité spécifique de la malacofaune, à d'autres de plus grande diversité. D'autres éléments tendent à dissocier ces deux types de sites. Les amas à la plus grande diversité spécifique se composent d'autres restes fauniques (mammifères terrestres et marins, oiseaux, poissons, crustacés...) et le temps de résidence semble y être plus prolongé que pour les autres sites òu aucun reste de faune autre que les coquillages a été observé. Même si l'ébauche d'une organisation logistique du territoire demande à être validée, cette étude montre que ces populations mésolithiques ne sont pas isolées des autres groupes humains contemporains.
archeologie_08-0168990_tei_322.xml
termith-87-archeologie
La grotte de El Horno est située dans l'est de la Cantabrie, dans le haut-Asón, près du village de Ramales de la Victoria (fig. 1). C'est dans cette région riche en gisements préhistoriques qu'ont été réalisées quelques-unes des premières découvertes d'art rupestre paléolithique de la région cantabrique. C'est le cas notamment des grottes de Covalanas et la Haza, explorées en 1903 (Alcalde del Río 1906; Sierra 1909; Alcalde del Río et al. 1911) et situées, tout comme El Horno, sur le Mont Pando. Si, dans cette zone, l'intérêt pour l'art pariétal ne s'est jamais démenti, il faut attendre le milieu des années 90, avec le début de la fouille de la grotte de El Mirón, pour voir se développer des programmes de recherche visant à identifier les modalités d'implantation des groupes dans la région et leurs modes de vie (Straus et al. 2002). Le site de El Horno s'ouvre aux dépens d'une falaise calcaire imposante, connue sous le nom de « paroi de l'Echo » et située sur la face sud-ouest du Mont Pando, à quelque 200 m d'altitude et 20 km à vol d'oiseau de la côte actuelle. Plusieurs cavités situées à la base de cette paroi ont été signalées dans l'ouvrage « Les Cavernes de la Région Cantabrique » (Alcalde del Río et al. 1911), mais les premières mentions du gisement archéologique de El Horno sont très récentes et ont trait à la découverte de matériel céramique de surface (Smith et Muñoz 1984; Muñoz et al. 1987; Ruiz Cobo 1992). Les premières « fouilles » ont été réalisées dans le fond de la grotte au milieu des années 80 par des membres de l'Association Spéléologique Ramaliega (A.E.R.) afin de désobstruer le passage donnant accès au réseau karstique. Postérieurement, des fouilles clandestines ont entre autres affecté cette zone. Parmi le matériel recueilli lors des premières « fouilles » et déposé au Musée Régional de Préhistoire et d'Archéologie de Cantabrie (Santander), la découverte d'un fragment distal de harpon bilatéral à section plane en bois de Cervidé, de filiation à l'évidence azilienne, a conduit l'un d'entre nous (M.A.F.), en 1999, à procéder à une campagne de fouille pour évaluer le potentiel archéologique de la grotte (fig. 2). Ces travaux de terrain ont permis de mettre en évidence une importante occupation correspondant, pour l'essentiel, au Magdalénien supérieur-final (daté dans la région cantabrique entre 13000 et 11500 BP non calibré, González Sainz 1989, 1995). Malgré la surface réduite de la fouille (cf. infra), l'abondance du matériel osseux et son excellente conservation nous ont incités à mener une étude archéozoologique détaillée sur les vestiges de grands mammifères. Cette analyse qui vise à évaluer les modalités d'acquisition et de traitement des carcasses présentes sur le site apporte un nouveau jalon à la connaissance du mode de vie des Magdaléniens de la Région cantabrique. A terme, l'objectif final du programme de recherche en cours est de générer un modèle sur la dynamique du peuplement du bassin de la rivière Asón pendant le Magdalénien supérieur-final (fig.1) (Fano sous presse a). Les fouilles menées durant trois campagnes (1999 à 2001) ont concerné une surface réduite située dans le fond de la grotte à proximité de la zone de désobstruction des spéléologues et ce, afin de profiter des coupes déjà disponibles. Au total, 3 m 2 ont été ouverts : N33 et N32 dans leur totalité et une partie de N34 et M33. Dans les trois carrés où le substrat a été atteint (N32, N33 et M33), l'épaisseur des dépôts est de 125 cm. A l'exception d'une partie du niveau 2 (2base) qui, par erreur, a été tamisé uniquement à une maille de 4 mm, l'ensemble des sédiments a été tamisé à l'eau sous des mailles de 4 et 2 mm. Durant la campagne de 2001, le matériel organique provenant des niveaux intacts a été recueilli par flottation, autorisant ainsi la mise en œuvre d'analyses anthracologiques et carpologiques. Après la dernière campagne de fouille, la coupe Ouest du carré N32 fait apparaître la succession stratigraphique suivante (fig. 2) : Niveau 3 : de faible puissance (5 cm), composé d'un dépôt jaunâtre de texture sablonneuse, pauvre en matériel archéologique; Niveau 2 : de 23 cm d'épaisseur, dépôt de couleur brune, très riche en matière organique, matériel archéologique abondant. Un échantillon d'ossements provenant de la partie supérieure du niveau a donné une date radiocarbone de 12250 ± 190 BP (12378 ± 462 cal BC) - GX-27456; Niveau 1 : composé d'un dépôt jaunâtre de texture compacte d'une épaisseur de 22 cm. Une date radiocarbone effectuée à partir d'un échantillon d'ossements provenant de la partie supérieure du niveau est disponible : 12530 ± 190 BP (12741 ± 468 cal BC) - GX-27457. L'apparente inversion stratigraphique entre ces deux datations radiocarbones ne peut être utilisée comme un argument en faveur d'une possible altération du sédiment. En effet, selon le test du Khi-2, la différence entre les deux dates n'est pas statistiquement significative; Niveau 0 : épaisseur variable de 50 à 70 cm, mélange de matériel archéologique de diverses périodes. En 1999, avant la mise en évidence du caractère pertubé de la couche, un échantillon d'os avait fourni une date radiocarbone de 11630 ± 170 BP (11472 ± 199 cal BC) - GX-26410; Niveau superficiel : 10 cm d'épaisseur en moyenne, mélange de matériaux modernes et préhistoriques, il correspond aux déblais des spéléologues et des fouilleurs clandestins. L'ensemble des niveaux décrits ci-dessus n'a été identifié que dans le carré N32. En N34, les niveaux en place n'ont pas encore été atteints. Dans les carrés M33 et N33, seule la base du niveau 2 a été clairement identifiée : le matériel sus-jacent a été attribué au niveau 1-2 sans distinction. De même, au cours de la campagne 2001, dans le carré N32, du matériel provenant de la zone de contact des niveaux 1 et 0 a été attribué au niveau 0-1. Les dépôts préservés de El Horno sont attribuables au Magdalénien supérieur-final comme l'attestent le matériel archéologique et les dates radiocarbones obtenues. Malgré la pauvreté archéologique du niveau 3, la présence de grattoirs unguiformes, d'outillage microlaminaire et d'éléments de parure permet de rattacher ce niveau à cette phase chronoculturelle. Le niveau 2 a livré une industrie osseuse particulièrement diagnostique. C'est le cas notamment de deux harpons décorés sur bois de Cervidé (Fano et al. 2005) qui correspondent au type de harpons, peu variable morphologiquement, commun dans la région cantabrique à partir de 13000 BP (González Sainz 1995). Dans ce niveau, d'autres pièces décorées ont été mises au jour comme un bâton percé orné de traits non figuratifs et une côte de Cheval décorée de nombreuses gravures larges et profondes. Le matériel lithique retouché relativement peu abondant et composé de grattoirs, burins et d'outillage microlaminaire est cohérent avec le reste de l'information disponible (Fano sous presse b : pl. 1; Fano et al. en préparation). Le niveau 1 n'a pas livré d'industrie osseuse diagnostique mais la composition de l'outillage lithique, constitué principalement de grattoirs, burins, outils composites et d'outillage microlaminaire (Fano sous presse a : fig. 2), est en cohérence avec la datation radiocarbone obtenue (cf. supra). En ce qui concerne le niveau 1-2, l'étude de l'outillage lithique et osseux montre qu'une grande partie du matériel est également attribuable au Magdalénien supérieur-final. Dans cet horizon, la proportion de matériel lithique retouché est intermédiaire de celles retrouvées dans les niveaux 1 et 2; la découverte d'une sagaie avec décoration « lineal-geométrica » (Corchón 1986) est un autre argument en faveur de cette hypothèse (Fano 2005; Fano et al. 2005). L'assemblage lithique issu du niveau 0-1 est constitué de grattoirs mais surtout d'un nombre très important d'outillage microlaminaire, ce qui pourrait indiquer un ensemble archéologique différent des assemblages sous-jacents. L'outillage osseux faiblement représenté étant similaire à celui mis au jour dans les niveaux du Magdalénien supérieur-final, de nouveaux travaux sont nécessaires afin de mieux appréhender la chronologie de ce niveau. Comme nous l'avons signalé, le niveau 0 a livré du matériel archéologique de diverses périodes. Ainsi, une vingtaine de fragments de céramique correspondant à la Préhistoire récente a été découverte ainsi que deux pièces indubitablement magdaléniennes : un ciseau décoré de deux représentations schématiques de bouquetins en vision frontale et une base perforée de harpon (Fano 2004; Fano et al. 2005). Enfin, il est probable que le harpon de type azilien identifié au sein du matériel recueilli lors de la désobstruction de la cavité par les spéléologues et décrit précédemment provienne de ce niveau. L'étude de l'outillage lithique de cet ensemble montre que la cavité pourrait également avoir été occupée durant l'Azilien. En effet, de nombreux grattoirs unguiformes et des pointes à dos, certaines d'entre elles étant aziliennes ont été découvertes (Fano et al. en préparation). Pour la faune mammalienne qui fait plus particulièrement l'objet de cette étude, tout comme pour le reste des analyses interdisciplinaires en cours, seul le matériel issu des niveaux en place (1, 2 et 3) a été considéré, représentant un volume fouillé d'environ 400 dm 3. Les unités 2base et 2 traitées de façon simultanée ont été regroupées sous l'appellation « niveau 2 ». L'ensemble des pièces osseuses récoltées a fait l'objet de déterminations taxonomiques et anatomiques les plus précises possibles. Les observations taphonomiques et archéozoologiques détaillées ont porté exclusivement sur les pièces supérieures à 2 cm qui ont été observées sous une loupe (grossissement 12) afin d'y déceler d'éventuelles traces d'origine naturelles (traces de dent, de weathering, de concrétionnement, d'abrasion, etc.) et/ou anthropiques (stries de boucherie, traces de percussion, de feu, etc.). En ce qui concerne les fragments inférieurs à 2 cm non déterminables, seuls cinq attributs ont été notés : la couche, le type de reste (Bois, crâne, dent, vertèbre, côte, cartilage costal, fragment diaphysaire, tissu spongieux, reste non identifié), la longueur (classes : 0-10 et 10-20 mm), la présence de traces de feu et l'intensité de la combustion [0 : non brûlé, 1 : traces de feu ponctuelles, 2 : os carbonisé (majoritairement noir), 3 : os majoritairement gris et 4 : os calciné (majoritairement blanc) ]. Les spectres fauniques ont été exprimés à la fois en nombre de restes (NISP) et en nombre minimum d'individus de combinaison (MNIc) (White 1953). Afin de déterminer la diversité taxonomique des ensembles, l'indice de Simpson a été calculé sur les seuls restes d'ongulés (Grayson 1984). En ce qui concerne les éléments squelettiques, pour le crâne et la mandibule, les nombres minimums d'éléments (MNE) ont été décomptés à partir des parties osseuses et non des restes dentaires (Stiner 1994). Ainsi, les nombres minimums d'individus utilisés pour le calcul des % MAU (Binford 1984) sont obtenus à partir du matériel osseux. Ils sont donc différents de ceux retenus pour l'étude de la composition taxonomique qui tiennent compte des éléments squelettiques les plus abondants qui, à El Horno, sont les restes dentaires. En ce qui concerne l' âge des animaux abattus, les estimations ont porté sur les restes dentaires qui fournissent les plus forts nombres minimums d'individus pour les deux taxons dominants. Que ce soit pour le Bouquetin ou le Cerf, les méthodes employées reposent essentiellement sur les stades d'éruption et de remplacement dentaires (Couturier 1962; Varin 1979; Delpech et Le Gall 1983; Vigal et Machordom 1985). Afin de quantifier les stries de boucherie, deux indices ont été calculés : le pourcentage de stries de boucherie et leur intensité. Le premier indice correspond au pourcentage du nombre de restes portant des stries sur le nombre de restes observables (% cutNISP/NISPo). Ce pourcentage peut porter sur l'ensemble osseux dans son entier, une espèce particulière ou bien encore un élément ou une portion squelettique donné. Le second indice correspond au nombre de stries par élément ou portion squelettique (cuts/MNE). En ce qui concerne la fragmentation, le completeness index (Marean 1991) a été calculé pour les carpiens et les tarsiens. Le pourcentage d'os complets (Lyman 1994a) a également été calculé pour certains éléments squelettiques afin de documenter le degré de fragmentation des ensembles osseux. L'impact anthropique sur la fracturation des ossements a été évalué en calculant le pourcentage d'ossements portant des traces de percussion par rapport à leur nombre total (% impactNISP/NISP). Afin de faciliter la lecture, les abréviations ainsi que les unités quantitatives utilisées sont résumées dans le tableau 1. Près de 10 000 vestiges osseux ont été étudiés (tabl. 2). Les niveaux 1 et 2 ont livré un nombre comparable de pièces alors que le niveau 3 apparaît nettement moins riche en restes fauniques. Quel que soit le niveau considéré, le Bouquetin est l'espèce dominante (tabl. 3). Bien que relativement faible dans l'ensemble des couches, le taux de détermination du niveau 2 apparaît plus élevé que celui des deux autres niveaux. L'abondance des pièces inférieures à 2 cm dans les ensembles osseux des niveaux 1 et 3 explique leur taux de détermination particulièrement bas (fig. 3). On peut s'interroger sur le ou les facteurs responsable(s) de la sous-représentation des vestiges de moins de 2 cm dans la couche 2. Au cours des différentes campagnes de fouille, l'ensemble des sédiments a été tamisé à des mailles de 4 et 2 mm, seule exception, le niveau 2base des carrés M/N33 passé à une maille de 4 mm seulement. La sous-représentation des vestiges de moins de 1 cm dans la couche 2 pourrait donc être liée à des méthodes de fouille et de tamisage différentes entre le niveau 2 et les niveaux 1 et 3. Afin de tester cette hypothèse, nous avons comparé l'histogramme des longueurs des fragments osseux de la zone M/N33 couche 2base au carré N32 couche 2 tamisé selon un protocole identique à celui employé dans les niveaux 1 et 3. En procédant de la sorte, il apparaît une nette dichotomie entre ces deux secteurs de fouille : au niveau de la zone M/N33, la fréquence des vestiges inférieurs à 1 cm est en nette diminution (1,7 % contre 14,4 dans le niveau 2 dans sa totalité) alors que dans le carré N32, la proportion de ces mêmes vestiges devient comparable à celle obtenue dans les deux autres niveaux fouillés (19,9 % contre 22,2 dans le niveau 1) (fig. 4). Si la sous-représentation des pièces inférieures à 1 cm semble résulter du protocole de tamisage, en revanche, la faible proportion de vestiges compris entre 1 et 2 cm dans la zone M/N33 pourrait être liée à une fragmentation différentielle des ossements à laquelle il est difficile, dans l'état actuel des données, d'attribuer à un facteur taphonomique précis. En dehors de l'Homme, les agents taphonomiques ayant modifié les ensembles osseux sont particulièrement discrets. Les carnivores qui n'ont livré des restes que dans le niveau 2 ont eu un impact négligeable sur l'ensemble des assemblages osseux : moins de 1 % des restes dont la surface a été observée porte des traces de dents. Ces marques de carnivores ont été retrouvées sur quelques restes de Bouquetin et de Cerf. L'action des autres agents biologiques susceptibles de modifier les ensembles est également limitée (tabl. 4). Plusieurs types de modifications liées à l'action d'agents naturels non biologiques ont été enregistrés sur les ossements (tabl. 4). Malgré la multiplication des approches expérimentales et/ou actualistes sur les modifications naturelles des ossements (par exemple Miller 1975; Behrensmeyer 1978; Andrews et Cook 1985; Morel 1986; Shipman et Rose 1988; Guadelli et Ozouf 1994; Andrews 1995), le lien entre la trace et l'agent à son origine reste ténu : des agents taphonomiques différents peuvent créer des marques de morphologie semblable. A El Horno où les traces naturelles représentent une faible part des modifications osseuses, il est particulièrement difficile d'aller au-delà d'un simple inventaire. Les traces de desquamation et les fissures longitudinales pourraient être liées à l'action des agents atmosphériques sur les ossements. Un faible degré de « weathering » est généralement considéré comme le signe d'un enfouissement relativement rapide des ossements (Behrensmeyer 1978). Des études actualistes ont montré qu'en milieu tempéré les altérations de surface sont beaucoup plus lentes qu'en milieu aride (Andrews et Cook 1985; Andrews et Armour-Chelu 1998). En grotte, les ossements sont également moins soumis aux agents atmosphériques. Dans ces conditions, les restes osseux récoltés à El Horno ont pu rester en surface quelques années avant leur enfouissement sans que, pour autant, ne se développent d'intenses altérations. Un certain nombre de traces relevées sur les ossements sont liées aux circulations d'eau (concrétionnement, dissolution, corrosion) qui, dans l'ensemble, ont peu modifié les ensembles osseux. La répartition spatiale des vestiges semble responsable de l'abondance des traces de dissolution relevées sur les ossements de la couche 2 (tabl. 4). En effet, si l'on ne prend en compte que le carré N32, cette fréquence est alors comparable à celle du niveau 1 (tabl. 5). Le processus taphonomique le plus fréquemment relevé sur les vestiges osseux est l'abrasion en particulier au sein de la couche 2 où près de la moitié des pièces présente des traces d'émoussé. Bien que les stigmates d'abrasion soient plus abondants dans le secteur M/N33 que dans le carré N32, la couche 2 dans son ensemble a livré des ossements plus fréquemment émoussés que les deux autres niveaux étudiés. Cette abrasion qui se limite au pourtour des vestiges reste somme toute relativement peu intense, suggérant les déplacements limités des pièces osseuses dans le sédiment. Cette hypothèse est confirmée par plusieurs remontages (restitutions articulaires et remontages d'os fracturés frais) réalisés au sein d'un même sous-carré (N32b et N32d). L'intense fragmentation des ossements peut être possiblement liée à des phénomènes post-dépositionnels en relation notamment avec la compaction des sédiments (Klein et Cruz-Uribe 1984). Afin de quantifier cette destruction potentielle, le completeness index a été calculé sur les carpiens dans leur ensemble, les calcanéums, les talus et le reste des tarsiens. Une première remarque s'impose, quel que soit le niveau considéré, les carpiens et tarsiens, à l'exception du calcanéum, sont majoritairement complets (tabl. 6). Pour le calcul de l'indice, certaines pièces incomplètes ont été écartées. C'est le cas notamment des vestiges carbonisés dont la fragmentation peut être liée aux processus taphonomiques de la combustion (Théry-Parisot et al. 2004; Costamagno et al. 2005), des os avec des traces de percussion ainsi que des pièces dont la surface de fracture présente une légère combustion montrant que la fragmentation est intervenue avant l'enfouissement. De manière générale, les indices sont faibles, indiquant une fragmentation post-dépositionnelle limitée qui, d'après nos observations, pourrait même être plus restreinte que cela (tabl. 6). En effet, ces os, exception faite du calcanéum, montrent pour la plupart des bords de fracture rectilignes qui sont caractéristiques des formes de cassure obtenues lors de la fracturation anthropique de carpiens et de tarsiens (Costamagno et al. 1999). L'intense fragmentation des calcanéums pourrait également résulter de l'exploitation de la moelle plutôt que de l'action de processus post-dépositionnels : certaines pièces exclues pour le calcul de l'indice présentent en effet des points de percussion. Le faible impact des processus post-dépositionnels sur la fragmentation des ossements semble être confirmé par les sésamoïdes. En effet, d'après leur morphologie, le completeness index devrait être proche de celui des carpiens, or l'ensemble des sésamoïdes récoltés à El Horno est complet. Un autre argument en faveur de cette hypothèse est la rareté des fragments diaphysaires d'os longs témoignant d'une fragmentation sur os sec (tabl. 7). Au contraire, près de deux tiers des bords d'os longs présentent des fractures spirales d'aspect lisse caractéristiques d'une fragmentation sur os frais (Villa et Mahieu 1991). Bien que quelques restes de poissons (travaux O. Le Gall) et d'oiseaux (travaux V. Laroulandie) aient été récoltés, les assemblages osseux apparaissent largement dominés par les restes de grands mammifères. Au sein de ces derniers, le Bouquetin constitue l'espèce prépondérante suivie par le Cerf (tabl. 3). Les autres taxons documentés (Léporidés, Cheval, Carnivores, etc) n'ont livré qu'un très faible nombre de restes osseux quelle que soit la couche considérée. La comparaison de l'ordre des rangs des différents taxons de grands mammifères indique une corrélation hautement significative entre les niveaux 1 et 2 (r s =0,927). La richesse taxonomique plus faible de la couche 1 pourrait être liée à la faible taille de l'échantillon récolté (Grayson 1984). Les indices de Simpson relativement faibles (respectivement de 1,321 et 1,501 dans les couches 1 et 2) sont caractéristiques de spectres fauniques peu diversifiés. En raison d'effectifs limités (tabl. 3), seules quelques remarques peuvent être formulées. Dans le niveau 1, les restes récoltés proviennent de deux cerfs : un jeune et un adulte. La crache perforée attribuée selon la méthode de F. d'Errico et M. Vanhaeren (2002) à une biche d'environ 4 ans (Vanhaeren et al. 2005) pourrait provenir de ce dernier individu. Pour le Bouquetin, quatre individus sont documentés : trois adultes et un jeune de moins de deux ans. Dans le niveau 2, le Cerf est représenté par quatre individus dont deux jeunes entre 9 et 10 mois. D'après les hauteurs de couronne, un jeune adulte est également présent dans ce niveau ainsi qu'un vieil individu. L'incisive usée utilisée comme support de pendeloque pourrait provenir de cet animal tandis que les deux craches perforées pourraient appartenir au jeune adulte (Vanhaeren et al. 2005). Pour le Bouquetin, douze carcasses ont été décomptées (tabl. 8). Les animaux abattus sont majoritairement des individus adultes dans la force de l' âge (NMI=7). Quatre animaux immatures ont également été identifiés ainsi qu'un vieil individu. Les données sur le sexe des animaux abattus sont encore plus restreintes que celles relatives à leur âge. A la faiblesse des échantillons analysés viennent s'ajouter la rareté des extrémités articulaires d'os longs et leur forte fragmentation qui empêchent toute étude ostéométrique détaillée. Pour le Cerf, aucune donnée n'est disponible. En revanche, pour le Bouquetin, d'après la taille des carpiens et des tarsiens, mâles et femelles semblent avoir été abattus par les Magdaléniens de El Horno. Les données relatives aux saisons d'abattage sont également très sporadiques. Dans le niveau 2, que ce soit pour le Bouquetin ou le Cerf, le degré d'usure des dents déciduales semble indiquer des périodes d'abattage relativement limitées dans le temps. Pour le Bouquetin, les individus tués dans leur première année ont entre 7 et 9 mois tandis que ceux abattus au cours de leur deuxième année sont âgés de 18 à 22 mois. Ces animaux ont donc été tués durant la même période de l'année. Les naissances se déroulant généralement de la fin du mois de mai au début du mois de juin (Couturier 1962), la chasse au Bouquetin devait donc se dérouler de janvier à avril, c'est-à-dire au cours de la mauvaise saison et au tout début de la bonne. Pour le Cerf, deux individus immatures ont entre 9 et 10 mois, ce qui indique que des chasses ont également été menées au début du printemps. La présence d'os de fœtus (non déterminés d'un point de vue taxonomique) semble confirmer cette attribution saisonnière (Vigal et Fandos 1989). L'étude des profils squelettiques permet d'évaluer les stratégies de transport des carcasses mises en œuvre par les chasseurs après abattage du gibier. Cependant comme l'ont montré de nombreux auteurs (Brain 1976; Grayson 1989; Lyman 1991; Marean et Frey 1997; Bartram et Marean 1999; Ioannidou 2003; Costamagno 2004b), la représentation différentielle des éléments squelettiques est tributaire de nombreux autres processus taphonomiques (agents d'accumulation autres que l'Homme, destruction différentielle, méthodes de fouille et d'études) dont il est important d'évaluer l'impact avant de conclure à un transport différentiel des carcasses par les hommes. Que ce soit pour le Cerf ou le Bouquetin, on observe une nette sous-représentation des éléments squelettiques de faible densité : vertèbres, carpiens et tarsiens (tabl. 9 et 10). L'action limitée des processus taphonomiques non anthropiques ainsi que la bonne conservation des ossements plaident en faveur d'une attaque chimique ou mécanique naturelle réduite, excluant de fait un problème de conservation de ces parties squelettiques. En étudiant plus particulièrement les os longs, les portions spongieuses des extrémités articulaires apparaissent en net déficit par rapport aux portions diaphysaires (fig. 5). Dans ce cas précis, les portions absentes et les portions bien représentées provenant d'éléments squelettiques identiques, il est difficile d'envisager une introduction différentielle de ces segments. Une intense fragmentation d'origine anthropique qui rendrait difficile la détermination de ces pièces apparaît donc comme l'hypothèse la plus probable. Si l'on admet que des processus similaires ont agi sur l'ensemble des os du squelette, la sous-représentation du squelette axial post-crânien et des os courts pourrait être liée à ce facteur. Pour les ossements des massifs carpiens et tarsiens, cette hypothèse est confirmée. En effet, ces os légers et peu encombrants ont peu de chance d' être entièrement désarticulés sur le site de boucherie initiale. Si une désarticulation s'opère, ces massifs vont rester liés soit à l'os long proximal (radius ou tibia) soit à l'os long distal (métacarpe ou métatarse). Donc, théoriquement, l'abondance de ces os compacts doit être proche de celle au moins d'un os adjacent. Comme on peut le voir dans les tableaux 9 et 10, l'abondance des carpiens et des tarsiens est nettement plus faible que celle des os mitoyens, impliquant de fait une fracturation différentielle de ces ossements. Pour le squelette axial post-crânien, il est plus difficile de trancher. La prise en compte des fragments de vertèbres taxonomiquement indéterminés augmente le nombre de restes qui passe respectivement dans les niveaux 1 et 2 de 28 à 139 et de 117 à 220 (tabl. 11). Il est probable qu'une partie des fragments spongieux non identifiés anatomiquement soient des vertèbres. Ainsi, si l'on considère que tous ces fragments sont des restes de vertèbres, on aboutit à, respectivement, 825 et 754 pièces. En considérant une moyenne de dix fragments par vertèbre, il est possible à partir des MNI de Cerf et de Bouquetin de connaître le nombre minimum d'individus représenté par ces fragments de vertèbres. Ces vestiges pourraient représenter 3,1 individus contre 4 décomptés dans le niveau 1 et 2,8 individus contre 8 décomptés dans le niveau 2 ce qui implique des %MAU respectivement de 77,5 % et de 35 %. En ce qui concerne les côtes, la prise en compte des restes non identifiés taxonomiquement augmente de manière significative le nombre de leurs fragments. En procédant de la même façon qu'avec les vertèbres, il est possible de se faire une idée du %MAU des côtes. En fonction du degré de fragmentation retenu, ce pourcentage varie de 87,6 à 23,4 % dans le niveau 1 et de 37,6 à 10 % dans le niveau 2 (tabl. 12). En tenant compte des pièces indéterminées, la représentation des côtes et des vertèbres augmente plus significativement dans le niveau 1 que dans le niveau 2, montrant que le taux de fragmentation (et donc la facilité d'identification) joue un rôle non négligeable dans la sous-représentation du squelette axial post-crânien de la couche 1. Pour autant, il ne permet pas d'expliquer la totalité des déficits mis en évidence. Dans les deux niveaux, le transport pourrait être en partie responsable de la sous-représentation de ces segments squelettiques. En résumé, les carcasses de Cerf ou de Bouquetin semblent avoir été introduites, dans la majorité des cas, sous forme de quartiers. Les membres ont été préférentiellement transportés sur le site. Dans le niveau 1, les plats de côtes étaient également introduits sur le gisement tandis que les colonnes vertébrales étaient plus souvent abandonnées sur le site d'abattage. Dans le niveau 2, c'est le tronc dans son ensemble qui semble fréquemment avoir été délaissé par les Magdaléniens. Enfin, pour les autres espèces, peu de données sont disponibles. Dans la couche 1, un crâne et un fémur de Cheval ont au moins été introduits sur le site; dans le niveau 2, seuls des éléments crâniens sont relevés. C'est le cas également des Léporidés qui sont représentés essentiellement par des fragments crâniens dans la couche 2 alors que vertèbres et os longs sont présents dans le niveau 1. Pour le Chamois et le Chevreuil, quelques restes dentaires et des os des extrémités des pattes sont les seules pièces identifiées. Les traces anthropiques présentes sur les ossements permettent de reconstituer les schémas d'exploitation des carcasses et par conséquent d'identifier les ressources recherchées par les groupes humains. On peut distinguer deux grandes phases d'exploitation, d'une part la boucherie qui permet de segmenter et modifier les carcasses animales en pièces consommables (Lyman 1987) et d'autre part, la cuisson et la consommation des aliments. Les stries de boucherie tout comme les traces de percussion ou les traces de feu peuvent théoriquement nous renseigner sur les pratiques bouchères et culinaires. Cependant, bien que ces dernières influent largement sur l'ensemble de la chaîne opératoire d'exploitation des carcasses, peu d'études ont directement porté sur cette seconde phase (Bunn et al. 1988; Gifford-Gonzalez 1989, 1993; Oliver 1993; Montón Subías 2002). Des traces de boucherie sont présentes sur 35 % des restes observables du niveau 1 et 39 % de ceux du niveau 2 (pl. 1 a à e). A l'exception du Sanglier dont le seul reste identifié ne porte pas de stries anthropiques, l'ensemble des taxons présents montre des traces de découpe. Dans la couche 1, la présence de stries sur un fragment diaphysaire de fémur de Cheval atteste le décharnement de cet os tandis que les stries relevées sur un os hyoïde indique le prélèvement de la langue. Dans la couche 2, les traces identifiées sur la branche horizontale d'une mandibule d'Equidé pourraient être le signe de l'écorchement du crâne. Dans ce niveau, les stries transverses relevées sur un métatarse de Chevreuil et un métacarpe de Chamois semblent relatives à des activités de dépouillement. Les traces mises en évidence sur les restes de Léporidés de la couche 2 pourraient indiquer le décharnement des carcasses. En raison du nombre limité de restes et de la surface fouillée, ces hypothèses sont cependant à prendre avec précaution. En ce qui concerne les deux espèces les plus abondantes, des analyses tant qualitatives que quantitatives peuvent être menées. Dans le niveau 1, les restes de Cerf portent plus fréquemment des traces de boucherie que les restes de Bouquetin alors que, dans la couche 2, les proportions sont similaires (tabl. 13). Il est difficile de reconstituer les séquences de désarticulation en raison notamment de la sous-représentation des extrémités articulaires d'os longs. Quoi qu'il en soit, des traces de désarticulation au niveau des vertèbres atteste d'une segmentation de la colonne vertébrale. Dans la couche 1, des stries sur la tubérosité du radius indique la désarticulation des coudes sur au moins une des trois carcasses de bouquetins. Pour le Bouquetin, dans ce niveau, les autres stries de désarticulation n'ont été observées qu'au niveau des extrémités des pattes. Ces traces relevées à différents niveaux (tarsiens, métatarsiens, premières, deuxièmes et troisièmes phalanges) indiquent soit des techniques bouchères différentes selon les carcasses, soit une désarticulation de chaque ossement des extrémités. Des stries de désarticulation dans le niveau 1 n'ont été observées que sur deux restes de cerfs : une première phalange et une vertèbre cervicale. L'absence d'extrémités articulaires d'os longs de cerfs (un seul fragment d'extrémité distale de tibia a été identifié) interdit toute analyse des séquences de désarticulation. Dans le niveau 2, la même remarque s'impose. En effet, si la présence de traces au niveau de l'acetabulum d'un os coxal et de l'extrémité distale d'un tibia de Cerf atteste respectivement d'une désarticulation de la hanche et de la cheville, l'absence d'extrémité des os longs supérieurs des membres antérieurs ne permet pas de savoir si ces derniers étaient désarticulés au niveau de l'épaule et/ou du coude. Pour le Bouquetin, en dehors de la désarticulation des extrémités des pattes, les stries relevées ne documentent que la désarticulation du coude et de l'omoplate. Les stries de découpe sont essentiellement présentes sur les os des ceintures et les portions diaphysaires des os longs (tabl. 14). Les os longs des parties charnues portent, de manière générale, plus fréquemment des stries que les métapodes (tabl. 15). Les stries relevées sur ces derniers pourraient être liées au prélèvement de tendons ou bien encore au nettoyage de l'os en vue de sa fracturation ou de la confection d'outillage osseux. Sur les os longs des membres supérieurs, l'hypothèse de stries en relation avec le décharnement des éléments squelettiques semble confirmée par l'intensité des stries de découpe. Par ailleurs, si l'on examine plus particulièrement les os longs des parties charnues, il apparaît une nette dichotomie entre le fémur et les autres ossements (humérus, radius et tibia), le premier étant plus intensément strié (tabl. 15). Les ensembles osseux de El Horno sont intensément fragmentés. Tous les os longs en dehors d'os de fœtus sont présents sous forme de fragments. Cette fragmentation est liée majoritairement aux activités humaines comme le montrent la forme des bords de fracture (cf. supra) et les traces de percussion présentes sur près de 28 % des restes d'os longs des niveaux 1 et 2 (pl. 1 f à h). De telles pratiques attestent d'une exploitation de la moelle osseuse par les groupes magdaléniens de El Horno. Des points d'impact relevés sur des fragments mandibulaires indiquent que cette graisse était particulièrement recherchée. Les premières et deuxièmes phalanges qui contiennent pourtant une faible quantité de moelle ont également fait l'objet d'une exploitation quasi-exhaustive (tabl. 16 et pl. 1i). Comme nous l'avons montré précédemment, la fragmentation d'origine post-dépositionnelle est limitée. La fracturation des ossements pourrait donc, en grande partie, être liée aux techniques de boucherie utilisées par les groupes humains ayant occupé El Horno. La présence de traces de percussion sur des fragments de vertèbres, de carpiens et de tarsiens confirme cette hypothèse. Dans les deux niveaux, les traces de combustion sont particulièrement abondantes : 71,1 % des restes sont brûlés dans la couche 1 et 44,6 % dans la couche 2. La plupart de ces pièces (95 %) présente des traces de combustion très ponctuelles qui se caractérisent par des auréoles de couleur brune (pl. 1 j à l). Les dents sont nettement moins affectées par le phénomène que les restes osseux, indiquant, de fait, que ces brûlures ne sont pas toutes accidentelles mais sont liées, pour certaines, à des activités humaines précises (tabl. 17). La faible intensité de combustion exclut une utilisation de l'os comme combustible (Costamagno 1999; Villa et al. 2002). Les traces de feu peuvent donc être mises en relation avec des pratiques culinaires telles le rôtissage de la viande. La présence de traces de combustion sur la majorité des os des extrémités des pattes - os dépourvus de viande donc plus aptes à porter des stigmates de cuisson - semble indiquer que ce type de cuisson était largement usité par les Magdaléniens de El Horno (Vigne et Marinval 1983). Pour autant, la totalité des brûlures ne peut être imputée au rôtissage. En effet, de nombreux fragments présentent des signes de combustion à des emplacements comportant une grande quantité de viande donc peu susceptibles de porter ce type de traces. Certains ossements pourraient donc avoir été déposés une fois décharnés à proximité du foyer. Les raisons sous-tendant cette pratique sont dans l'état actuel des connaissances difficiles à mettre en évidence en raison de la rareté des études sur le sujet. La moelle en se réchauffant se liquéfie ce qui pourrait faciliter sa libération lors de la fragmentation des ossements. Outre l'aspect pratique, on peut également imaginer des raisons gustatives à ce choix. La présence de brûlures à l'intérieur de la cavité médullaire de quelques fragments montre que ces pièces étaient déjà fracturées avant leur dépôt dans le foyer, excluant, dans ces cas précis, des raisons pratiques et favorisant l'hypothèse d'un réchauffement des fragments osseux en vue d'une consommation de la graisse résiduelle attenant aux surfaces osseuses. La discussion est menée selon deux échelles distinctes. L'échelle macrorégionale permet d'évaluer l'intégration du site au sein des modèles de subsistance proposés pour le Magdalénien de la corniche cantabrique. Des comparaisons plus précises sur les gisements du Magdalénien supérieur/final du centre de la Région cantabrique autorisent une discussion sur une éventuelle complémentarité de certains de ces sites au sein d'un territoire relativement restreint. Dans les deux niveaux, la présence de traces anthropiques sur l'ensemble des taxons identifiés et la rareté des traces de carnivores montrent que les accumulations osseuses sont d'origine humaine. Les espèces exploitées par les Magdaléniens sont comparables d'une couche à l'autre. En effet, l'augmentation de la richesse taxonomique observée du niveau 1 au niveau 2 est en relation avec la taille des échantillons (les taxons les plus faiblement représentés dans la couche 2 (Chevreuil et Sanglier) n'ont pas été identifiés dans la couche 1) et non avec un spectre de chasse plus diversifié. Dans les deux niveaux, la proie la plus fréquemment chassée est le Bouquetin suivi du Cerf, présent dans des proportions nettement moindres (tabl. 3). Dans la corniche cantabrique, de nombreux gisements se caractérisent par des spectres fauniques comparables à ceux de El Horno. C'est le cas de Bolinkoba c.III (Castaños 1983), Ekain c.VI (Altuna et Mariezkurrena 1984), Ermittia c. magd. (Altuna 1972), Erralla c.V (Altuna et Mariezkurrena 1985), Piélago II c.6 (López Berges et Valle 1985) et Rascaño c.5-3 et 2 (Altuna 1981). A El Horno comme dans les autres gisements, l'abondance du Bouquetin est à mettre en relation avec l'environnement montagnard de ces grottes (Altuna et Mariezkurrena 1996). De manière générale, dans la région cantabrique, la plupart des sites magdaléniens se caractérise par une faible représentation du Chamois. Il est difficile de savoir si la rareté du Chamois, espèce qui affectionne pourtant des biotopes similaires à ceux du Bouquetin, est due à sa faible présence dans l'environnement local ou à un choix anthropique en faveur du Bouquetin (Altuna et Mariezkurrena 1996). Quelques gisements répartis sur toute la corniche [Aitzbitarte IV c. magd. (Altuna 1970), Las Caldas c.II (Corchón Rodríguez et Mateos Cachorro 2003), Erralla c.III-II (Altuna et Mariezkurrena 1985), Piélago II c.5 (López Berges et Valle 1985)] ont, cependant, livré plus d'un quart de restes provenant de cette espèce (Costamagno et Mateos Cachorro sous presse). Sa rareté dans les autres sites pourrait indiquer que ce taxon, bien que présent dans l'environnement, était souvent délaissé par les magdaléniens au profit du Bouquetin. Au sein de la corniche cantabrique, la très faible diversité des spectres fauniques a conduit de nombreux auteurs à émettre l'hypothèse d'une véritable spécialisation de la chasse par les Magdaléniens de cette zone soit sur le Bouquetin pour les sites d'altitude (cf. supra), soit sur le Cerf dans les gisements de fonds de vallée ou de plaines [par exemple Juyo c.4 (Klein et Cruz-Uribe 1987); Paloma c.8, 6 et 4 (Castaños 1980); El Pendo c.II (Fuentes 1980); La Riera c.18-20 et 21-23 (Straus et al. 1981; Altuna 1986)] (e.g. Altuna 1990; Gonzalez-Sainz 1992; Straus 1992; Altuna et Mariezkurrena 1996; Straus 1996; Yravedra Sainz de los Terreros 2002). Nous ne reviendrons pas sur les discussions relatives à la notion de spécialisation de la chasse au Magdalénien (cf. Costamagno 2003, 2004a), mais il est clair que, comparativement aux sites magdaléniens du versant nord-pyrénéen, les spectres de chasse des gisements de la corniche vasco-cantabrique sont nettement spécialisés, en particulier dans les Asturies et la Cantabrie (Costamagno et Mateos Cachorro sous presse). Ainsi sur le versant nord, seul le site des Eglises montre une nette spécialisation sur le Bouquetin (Delpech et Le Gall 1983) alors qu'au niveau de la corniche cantabrique, une dizaine de gisements – El Horno compris – se caractérise par des cortèges fauniques largement dominés par ce gibier. Le comportement des ongulés variant tout au long de l'année, la saison d'abattage peut donc avoir des répercussions non négligeables sur les stratégies de chasse mises en œuvre, sur le choix du recrutement des individus mais également sur le traitement et l'exploitation des carcasses. Dans les sites d'altitude de la zone cantabrique, les bouquetins semblent avoir été chassés durant la bonne saison [Erralla c.V (Altuna et Mariezkurrena 1985); Ekain c.VII et VI (Altuna et Mariezkurrena 1984) ]. Ce qui ne paraît pas être le cas de El Horno qui se caractérise, pour la couche 2, par des chasses de fin d'hiver et de début de printemps. Au regard de la surface fouillée, ces hypothèses sont à prendre avec précaution mais il est intéressant de s'interroger sur les raisons d'un tel choix. Si les bouquetins comme les cerfs, sont dans leur plus mauvaise condition physique durant le printemps, c'est à cette saison, en revanche, que le Bouquetin occupe les zones les plus basses; c'est également à cette période de l'année qu'il est le moins sauvage (Couturier 1962). Au printemps, la chasse au Bouquetin apparaît donc plus aisée qu' à d'autres périodes, ce qui pourrait expliquer d'une part, l'installation des Magdaléniens dans ce biotope propice à l'espèce et d'autre part, son exploitation privilégiée en cette saison. Quoi qu'il en soit, dans l'état actuel des données, les proies semblent avoir été chassées durant une période restreinte de l'année, attestant d'occupations de durée relativement courte comme c'est le cas à Erralla c.V (Altuna et Mariezkurrena 1985), Ekain c.VII et VI (Altuna et Mariezkurrena 1984), Paloma c.8 (Castaños 1980), Riera c.21-23 (Altuna 1986). En dehors de la période de rut (automne), les hardes mixtes sont rares. La présence simultanée de mâles, de femelles et de chevreaux au sein des ensembles osseux de El Horno pourrait donc indiquer des chasses menées à la fois sur des hardes de mâles célibataires et des chevrées. Etant donné le degré de résolution des assemblages, il est difficile de savoir si ces différentes hardes étaient exploitées durant la même phase d'occupation, d'autant que des études éthologiques montrent que les bouquetins peuvent se réunir, au début du printemps, en hardes mixtes (Couturier 1962). Dans la couche 2, sur la base des restes dentaires et si l'on exclut des problèmes de conservation différentielle (Munson et Garniewicz 2003, Guadelli et Ozouf à paraître), les bouquetins adultes semblent avoir été préférentiellement chassés. Un comportement identique a été observé à Rascaño c.5-3 (Altuna 1981), Ermittia c. Magd. (Altuna 1972) et Ekain c.VI (Altuna et Mariezkurrena 1984). En choisissant des bouquetins adultes, les groupes humains ont donc sélectionné les animaux les plus rentables d'un point de vue nutritif. La présence de mâles qui, au sortir de l'hiver, sont dans des conditions physiques nettement moindres que les femelles indique que cette logique de rentabilité n'a pas été poursuivie jusqu' à son extrême puisque des femelles dans la force de l' âge auraient dû alors être préférentiellement exploitées. Selon le principe d'optimisation (Winterhalder 1981), les bouquetins mâles devaient donc être suffisamment rentables par rapport aux autres individus disponibles pour avoir fait l'objet d'une exploitation. En ce qui concerne le transport des carcasses de Bouquetin et de Cerf, les résultats sont également à prendre avec précaution en raison du volume limité de fouille. La rareté des éléments squelettiques de faible densité pourrait être mise en relation avec leur introduction et/ou leur fragmentation différentielles. Ainsi, la sous-représentation des carpiens et des tarsiens serait due à un traitement anthropique. En revanche, si le manque de vertèbres ou de côtes est, en partie, imputable à leur intense fragmentation, l'abandon de squelettes axiaux sur les sites d'abattage est probablement le facteur clé dans cette sous-représentation. La rareté des bois de Cerf est également à signaler. Les carcasses de Bouquetin et de Cerf semblent donc avoir été introduites sous forme de quartiers sur le site après boucherie initiale (Lyman 1987) au niveau du site d'abattage ou à proximité. L'abondance des os longs des membres indique une sélection préférentielle de ces unités. Comment peut-on expliquer ces choix ? A la fin de l'hiver et au début du printemps, les animaux sont dans leur plus mauvaise condition physique : leur viande est particulièrement maigre et les os des extrémités des pattes (métapodes et phalanges) ainsi que les mandibules restent les seuls éléments squelettiques à contenir une quantité non négligeable de graisse (Speth 1983; Speth et Spielmann 1983). Sur la base de contingences purement nutritives, la mobilisation de la graisse est probablement responsable de l'abandon du squelette axial post-crânien. En effet, plus de viande maigre est ingérée, plus les besoins en graisse sont accrus (Speth 1983). Or, la séquence de mobilisation de la graisse débute par la graisse du dos (Sinclair et Duncan 1972). D'après cette même séquence, on explique mal l'abandon, sur le site d'abattage, d'une partie des phalanges qui sont parmi les derniers éléments à perdre leur réserve. La moelle des phalanges pourrait avoir été consommée sur le site de boucherie initiale par les chasseurs, expliquant, de fait, leur abandon. Des études ethnologiques sur les Hadzas (Bunn et al. 1988) et les Kuas (Bartram 1993) documentent de telles pratiques chez les chasseurs-cueilleurs actuels. Une seconde hypothèse qui ne relève pas de contingences nutritives est envisageable : les phalanges restant souvent incluses à la peau (Binford 1981; Bunn et al. 1988), l'absence de ces éléments pourrait indiquer que les peaux de cerfs et de bouquetins étaient tannées sur le site de El Horno puis transportées d'un camp à l'autre. Des études tracéologiques sur l'outillage lithique pourraient permettre de tester cette hypothèse, les stries relevant du dépouillage étant particulièrement difficile à mettre en évidence sur les ossements. Le traitement des carcasses est également tributaire de la condition physique des proies abattues. Ainsi, à El Horno, si l'abondance des traces de décarnisation atteste du désossement des parties charnues, en revanche, la saison de chasse permet d'exclure l'hypothèse d'un stockage de la viande trop maigre à cette époque pour permettre la constitution de réserves. Le décharnement des os longs est donc à mettre en relation avec l'exploitation de la moelle. Outre la fracturation systématique des os longs, les besoins accrus en graisse durant cette saison pourraient expliquer la fracturation quasi-systématique de premières et deuxièmes phalanges ramenées au campement. Cette hypothèse est, cependant, à prendre avec précautions puisque, quelle que soit la saison considérée et, par conséquent, quelle que soit la condition physique des animaux abattus, l'exploitation de la graisse contenue dans les phalanges apparaît comme une constante au Magdalénien (Mateos Cachorro 1999a, 2005; Costamagno 2003). Cette pratique est d'ailleurs signalée dans de nombreux sites de la zone cantabrique [par exempleEkain c.VII et VI (Altuna et Mariezkurrena 1984); Erralla c.V (Altuna et Mariezkurrena 1985); La Riera c.18-20 et 21-23 (Altuna 1986); Las Caldas c.XII et VIII (Mateos Cachorro 1999b, 2000/2001) ]. La rareté des extrémités d'os longs et des carpiens/tarsiens ainsi que des indices de fracturation sur certains de ces éléments sont des arguments forts en faveur de la confection de bouillon pour l'obtention de la graisse contenue dans les portions spongieuses (Delpech et Rigaud 1974; Vehik 1977; Binford 1981; Outram, 2001; Church et Lyman 2003). Seuls quelques sites documentent ce geste boucher : La Riera (Straus et al. 1981) et Las Caldas c.VIII (Mateos Cachorro 2005). Enfin, le rôtissage de la viande de même que le chauffage des os longs à proximité des foyers pour des raisons culinaires et éventuellement techniques sont avérés. En résumé, les carcasses ont donc été exploitées d'un point de vue essentiellement alimentaire. D'après les données disponibles, les seules sources non alimentaires utilisées par les Magdaléniens de El Horno pourraient avoir été la peau. En effet, la rareté des bois de cerf tout comme celle des déchets de fabrication de l'outillage osseux semblent indiquer que cette activité était peu pratiquée au niveau du gisement. A moins que, étant donné la surface fouillée, elle ne soit restreinte à une autre zone de la grotte. Par de nombreux aspects, les stratégies de chasse et les modalités de traitement des carcasses mises en évidence à El Horno s'inscrivent pleinement dans les modèles de subsistance proposés pour le Magdalénien cantabrique. Pour le Magdalénien supérieur-final du centre de la Région cantabrique, le nombre de gisements livrant des données sur les restes fauniques est relativement limité et ce d'autant plus que les données quantitatives sur les taxons présents ne sont pas toujours disponibles (tabl. 18 et fig. 1). Ainsi, sur les dix gisements répertoriés, seuls six (La Fragua, El Valle, El Pendo, Rascaño, Piélago II et Morín) fournissent une information. En outre, les analyses archéozoologiques étant le plus souvent très succinctes, les comparaisons sont de fait très limitées. En ce qui concerne les taxons chassés, les espèces exploitées sont relativement similaires d'un site à l'autre : le Cerf est signalé sur la totalité des niveaux répertoriés, le Bouquetin et le Chamois sur les trois quarts; les autres taxons (Cheval, Sanglier, Chevreuil et grands Bovidés), en dehors du Renne identifié dans la couche 2 de Morín, les niveaux 7 et 6 de El Castillo et la couche C de El Valle, sont présents dans la moitié des couches environ. Ces cortèges fauniques ne diffèrent en rien de ceux documentés sur l'ensemble des Asturies et du Pays Basque (Costamagno et Mateos Cachorro sous presse). Dans la zone considérée, trois types de spectres fauniques peuvent être mis en évidence : le premier est largement dominé par le Bouquetin, le deuxième par le Cerf, le troisième enfin dénote une exploitation plus équilibrée des ongulés (indice de Simpson > 1,6) (fig. 6). El Horno tout comme Rascaño appartiennent à la première catégorie de gisements. Par leur indice de diversité, ces sites ne se distinguent pas des ensembles osseux largement dominés par le Cerf mais, en revanche, les espèces secondaires chassées y apparaissent nettement moins nombreuses, la richesse taxonomique étant nettement plus faible sur les sites dominés par le Bouquetin que sur ceux dominés par le Cerf. Si les assemblages ayant livré des cortèges fauniques plus diversifiés (La Fragua, Piélago II) se caractérisent tous par la prépondérance du Bouquetin, les espèces complémentaires varient d'un ensemble à l'autre. Ainsi, dans la couche 4 de La Fragua, le Cerf offre, avec 35 % des restes, la majeure partie des ressources alimentaires non fournies par le Bouquetin (Marín Arroyo 2004a); dans la couche 5a de Piélago II, c'est le Chamois qui joue ce rôle tandis que dans les niveaux 6 et 5b de ce même gisement, Chamois et Cerf se partagent cette seconde place (Lopez-Berges et Valle 1985). Comme à El Horno, une acquisition privilégiée des proies adultes ainsi que, pour les bouquetins, un abattage des mâles et des femelles sont documentées dans la plupart des gisements fournissant ce type d'informations (Rascaño, El Pendo, La Fragua), attestant de pratiques cynégétiques comparables sur l'ensemble de ces sites. El Valle se distingue de ces gisements puisque les mâles sub-adultes semblent avoir été préférentiellement abattus. En ce qui concerne le transport et le traitement des carcasses d'ongulés, là-encore de nombreuses similarités se dégagent. A l'exception des carcasses de Bouquetin de la couche 4 de La Fragua et de Cerf de El Valle qui semblent avoir été introduites complètes, sur les autres gisements, les proies ont été transportées sous forme de portions, les crânes et les membres étant les parties préférentiellement introduites sur les sites (Rascaño, El Pendo). Cependant, en l'absence d'études taphonomiques détaillées sur ces gisements, cette hypothèse est à prendre avec précaution, la sous-représentation du squelette axial post-crânien pouvant être liée à un problème de conservation et non à un transport différentiel. La fracturation des ossements en relation avec l'exploitation de la moelle est systématique sur les gisements documentés même si, à El Pendo, l'intensité de la fragmentation apparaît plus faible que sur les autres gisements (Fuentes 1980). Comme à El Horno, l'exploitation de la moelle contenue dans les phalanges est signalée à Morín (Altuna 1971), El Valle (García-Gelabert et Costa Talavera 2004) et La Fragua (Marín Arroyo 2004a); les autres études ne fournissent pas cette information. L'hypothèse d'une utilisation de la graisse contenue dans les portions spongieuses n'est avancée que pour El Horno. Cependant, si à El Pendo elle est clairement rejetée, sur les autres gisements, aucune analyse ne fait référence à ce type d'activité. Dans la couche 2 de Morín, la sous-représentation des extrémités articulaires des os longs pourrait attester de cette pratique. Seule l'étude archéozoologique menée à La Fragua fournit des éléments de comparaison quant à la fréquence des stries de boucherie sur les carcasses qui apparaît nettement plus forte à El Horno que ce soit pour le Cerf ou le Bouquetin. Ces différences restent cependant difficiles à interpréter. Enfin, en ce qui concerne les saisons de chasse, à El Horno, les bouquetins semblent avoir été abattus à la fin de l'hiver et au début du printemps tandis qu' à Rascaño ils ont été chassés à la fin du printemps (Altuna 1981), dénotant dans les deux cas des occupations ciblées dans l'année. A La Fragua, la chasse au Bouquetin semble s' être déroulée durant l'automne; deux cerfs documentent également la période estivale. Dans l'état actuel des recherches, il est extrêmement délicat d'inférer un statut particulier à chacun de ces sites. Rascaño, selon J. Altuna (1981), pourrait être assimilé à un site spécialisé dans la chasse au Bouquetin. Mais comme l'ont souligné plusieurs chercheurs, il est difficile, sur la seule base de la spécialisation du spectre faunique et, dans une moindre mesure, de la durée d'occupation des sites, de conclure à des sites spécialisés de chasse sans avoir, au préalable, documenté, sur ces gisements, tous les autres aspects de la subsistance (acquisition des matières premières, fabrication de l'outillage, etc.) (Mateos et al. 2004; Costamagno et Mateos Cachorro sous presse). Concernant notre objectif global qui est de générer un modèle de la dynamique de peuplement du bassin de la rivière Asón durant le Magdalénien supérieur-final (Fano sous presse a), le travail doit s'effectuer à deux échelles distinctes (échelle du gisement fouillé et échelle régionale), en raison notamment de la forte mobilité des sociétés de chasseurs-cueilleurs. Si nous disposons, dans le bassin de l'Asón, d'un nombre relativement important de gisements archéologiques renfermant des occupations du Magdalénien supérieur-final (Fano sous presse a, fig. 1), les données sont encore trop limitées pour proposer un véritable modèle. Selon A.B. Marín Arroyo (2004a, 2004b),La Fragua aurait été temporairement occupé par des groupes vivant à l'intérieur des terres venus s'installer provisoirement à proximité des côtes. La relation des groupes du Haut-Asón avec le milieu côtier semble d'ores et déjà certaine comme l'atteste, à El Horno, la présence de parure en coquillage marin (Turritella sp., Trivia sp. ,etc.) (Vanhaeren et al. 2005). Ainsi, La Fragua, El Perro ou d'autres sites côtiers aujourd'hui submergés –produits de la transgression flandrienne– auraient pu être occupés par les mêmes groupes de chasseurs-cueilleurs qui, à d'autres périodes de l'année, auraient exploité les biotopes du Haut et Moyen-Asón. Il est en ce sens spécialement frappant d'observer comment les saisons d'abattage à La Fragua ou à El Horno paraissent complémentaires. Afin de mieux appréhender les modes d'occupation du bassin de l'Asón, une analyse comparative poussée entre les différents gisements est nécessaire. Pour identifier les types d'activités réalisées sur les sites, elle doit s'occuper, en premier lieu, de la typologie, de la technologie et de la fonctionnalité de l'outillage lithique et osseux documenté dans les différents gisements. Le suivi des zones d'acquisition des matières premières est tout autant primordial. L'étude comparative des animaux chassés et des modalités d'exploitation des ressources alimentaires doit également être menée de même qu'une analyse comparative des matériaux particulièrement significatifs d'un point de vue culturel (pièces d'art mobilier et objets destinés à la parure personnelle). Enfin, le développement du modèle requiert un suivi des conditions d'habitabilité des gisements.En évaluant d'une manière objective les caractéristiques des espaces occupés, les hypothèses concernant le rôle joué par les différents gisements dans leur contexte régional s'avèreront ainsi plus pertinentes. La poursuite des études pluridisciplinaires sur les sites récemment fouillés ou la reprise des analyses sur les sites plus anciennement découverts permettra de disposer, à moyen terme, d'une information archéologique de qualité à partir de laquelle il sera possible de développer, dans les termes signalés, un modèle sur la dynamique de peuplement du bassin de l'Asón pendant le Magdalénien supérieur-final. L'étude de la faune fournit des informations importantes pour la reconnaissance de la nature des occupations magdaléniennes de El Horno. Le Bouquetin qui domine très nettement les spectres fauniques semble avoir été chassé durant une période restreinte de l'année (fin de l'hiver et début du printemps). Les profils squelettiques révèlent que le travail de boucherie initial a été effectué sur le lieu de chasse ou dans ses alentours, d'où ont été prélevés les membres afin d' être introduits sur le gisement. Les stries de boucherie et l'intense fragmentation des ossements indiquent une exploitation quasi-exhaustive des ressources alimentaires fournies par les parties squelettiques ramenées au campement. En revanche, tout paraît indiquer que les os ont été peu utilisés, tout au moins sur le site, pour l'élaboration de l'outillage osseux. Curieusement, deux des trois os gravés recueillis à la fouille correspondent à deux côtes droites de Cheval, un taxon très rare dans l'ensemble osseux de El Horno (<1 %) (Fano et al. 2005). Même si le bois de Cervidés semble avoir été davantage utilisé que l'os pour la confection d'outils, la rareté des restes de bois et le petit nombre de déchets de fabrication suggèrent que cette activité n'a pas non plus été très intense dans le gisement. Les résultats de l'étude fonctionnelle de l'outillage lithique, actuellement en cours, permettront de compléter et/ou de nuancer quelques-unes des conclusions de l'étude archézoologique (travail de boucherie, traitement de la peau…); ils augmenteront probablement la liste des activités menées sur ou à partir du site. Selon les données déjà disponibles, une de ces activités semble avoir été la pêche en rivière comme le laissent supposer les harpons trouvés dans le niveau 2 et les restes de truites et de saumons identifiés par O. Le Gall dans son étude préliminaire. Déterminer les périodes de la capture des Salmonidés par les Magdaléniens de El Horno permettra probablement de mieux comprendre le rôle joué par ce site au sein de son contexte régional. Enfin, la faune d'origine marine récoltée sur le site met en évidence les liens plus ou moins intenses des Magdaléniens de El Horno avec la côte qui ne semble cependant avoir pas été exploitée depuis le gisement. Les premières campagnes de fouilles de El Horno ont révélé l'importance des occupations de la fin du Magdalénien. Ces niveaux sont essentiels pour le développement du modèle sur la dynamique de peuplement du bassin de l'Asón pendant le Magdalénien supérieur-final, et ce d'autant plus que la grotte de El Mirón qui correspond au gisement le plus riche du Haut-Asón n'a livré que des occupations magdaléniennes supérieur-final limitées (Straus et González Morales 2000; Straus et al. 2002). Les études en cours permettront, à court terme, une intégration des données qui facilitera une première approche sur la nature des occupations magdaléniennes documentées sur le site. Cependant, dans l'immédiat, les dimensions réduites de la surface fouillée rendent difficiles une compréhension optimale des occupations magdaléniennes. C'est pourquoi, en septembre 2004, l'un d'entre nous (M.A.F.) a commencé une seconde phase d'excavations ayant pour objectif la fouille des niveaux magdaléniens sur de grandes surfaces. Il ne s'agit pas seulement d'augmenter le volume d'informations, mais aussi d'analyser ces occupations sur un plan synchronique. A terme, le but est de documenter des sols d'occupation susceptibles de fournir des informations sur des structures et des aires d'activités. Ceci permettra un progrès qualitatif dans la compréhension de la nature des occupations magdaléniennes de El Horno .
Le site de El Homo a livré de nombreux vestiges archéologiques attribués au Magdalénien supérieur parmi lesquels les restes osseux sont bien conservés. L'étude taphonomique montre que les ensembles osseux sont d'origine essentiellement anthropique. Le Bouquetin domine très nettement les spectres fauniques qui apparaissent largement spécialisés. Des proies adultes chassées probablement à la fin de l'hiver et au début du printemps ont été majoritairement abattues par les Magdaléniens. Les carcasses de Bouquetin et de Cerf semblent avoir été introduites sous forme de quartiers après boucherie initiale au niveau du site d'abattage. L'étude des traces de boucherie et du degré de fragmentation des assemblages atteste une exploitation exhaustive des ressources alimentaires fournies par les carcasses animales. La comparaison menée sur les ensembles osseux du Magdalénien supérieur-final du centre de la Région Cantabrique montre que, au niveau des tableaux de chasse, El Homo est très proche de la couche 2 de Rascaño. En revanche, que ce soit pour le transport ou le traitement des carcasses, les pratiques apparaissent largement similaires sur l'ensemble des sites pris en compte.
archeologie_08-0169748_tei_242.xml
termith-88-archeologie
La stratigraphie de La Gravette occupe une place princeps dans la compréhension des tous premiers stades du Gravettien. Fernand Lacorre reconnût avec une certaine clairvoyance l'importance du niveau à fléchettes (Lacorre 1933a) situé entre un niveau d'Aurignacien évolué à burins busqués et trois niveaux de Gravettien à pointes de La Gravette principalement (Lacorre 1960). Cette observation fut confirmée lors de la fouille de l'Abri Pataud par Hallan M. Movius, vérifiant vingt ans plus tard la position des fléchettes à la base de la séquence gravettienne (Bricker 1995). L'originalité de cette industrie amena F. Lacorre à l'individualiser sous le terme de « Bayacien ». Pour lui, ce niveau à fléchettes procède d'une lignée distincte du « Gravétien » mais parallèle (Lacorre 1959) puisque les données typologiques ne permettaient pas d'établir un lien direct entre ces entités. Le terme de « Bayacien » eut un avenir contrasté, retenu par certains auteurs compte tenu de l'originalité de cet assemblage (Delporte 1972; Otte 1981; Djindjian et Bosselin 1994; Bosselin 1996) ou refusé au profit de « Périgordien moyen » (Bricker 1974, 1995; Perpère 1992) car la stratigraphie de l'Abri Pataud ne présente pas une telle rupture entre niveaux à fléchettes et niveaux à pointes de La Gravette. L'appellation « Bayacien » fut également rejetée, compte tenu du manque d'éléments de caractérisation (Rigaud 1988). Aujourd'hui, la nature du Bayacien et donc son existence demandent encore à être définies. L'étude du gisement éponyme constitue l'occasion d'aborder la structuration technique de cet assemblage bayacien. Cette attribution même s'avère problématique car les marges du Bayacien sont aussi floues que sa nature propre. Qu'est -ce qu'une industrie bayacienne ? Existe -t-il d'autres gisements bayaciens ? Sur quelles bases et dans quelles limites, pouvons -nous parler de Bayacien ? Est -ce la présence ou une proportion de fléchettes suffisante qui définit le Bayacien ? Comment s'articule l'évolution vers le Gravettien à pointes de La Gravette ? Les fléchettes sont-elles associées à d'autres « fossiles directeurs » ? Ces interrogations sont inhérentes à la nature même du Gravettien qui, loin de constituer une entité, apparaît comme une « mosaïque » (Klaric 2003) de techno-complexes à connotations géographiques et chronologiques dont les liens sont encore à définir. Comme la majorité des sites gravettiens, les gisements ayant livré des fléchettes se situent dans le Grand Sud-Ouest, essentiellement au nord de l'Aquitaine : en Gironde : à Pair-non-Pair (Daleau 1881; Cheynier et Daleau 1963); en Charentes : aux Vachons, abri II, couche 3 (Bouyssonie 1948, Bouyssonie et Sonneville-Bordes 1956); en Corrèze : à Noailles (Bardon et al. 1904), à La Font-Robert (Bardon et al. 1906; Bardon et al. 1908) et à Puy Jarrige (Mazière 1980; Mazière et al. 1984), en Dordogne : à Durand-Ruel (Pittard et Montandon 1912; Daniel et Schmider 1972), à l'Abri du Poisson, couche supérieure (Peyrony 1932), à La Gravette (Lacorre 1933, 1960), à la Roque Saint-Christophe (Sonneville-Bordes 1960), à Laussel (Lalanne et Bouyssonie J. 1946), à l'Abri Vignaud (Sonneville-Bordes 1960), à l'Abri Pataud, couche 5 (Bricker 1995) et probablement à Oreille-d'Enfer (Pradel 1959), en Agenais : au Roc de Gavaudun, couche 2 (Monméjean et al. 1964). Hors de cette zone géographique principale, seulement trois gisements ont livré des fléchettes. Deux occurrences languedociennes, la petite grotte de Bize et la Crouzade (Sacchi 1986), indiquent qu'il ne s'agit pas d'un phénomène uniquement aquitain et qu'il faille chercher d'autres facteurs à même d'expliquer la répartition des assemblages à fléchettes. Signalons enfin un dernier point, La Vigne Brun (Larue et al. 1955), jalon oriental de cette carte (fig. 1). La première description fût donnée par les abbés Bardon et Bouyssonie à partir du matériel de la Grotte de Noailles : « lame très mince, de 57 mm de long, rendue pointue par retouches latérales, et qui devait être une pointe de flèche » (Bardon et al. 1904 p. 288). Ensuite à Durand-Ruel, ces pièces furent décrites comme de « petites lames minces dont le contour épouse assez fidèlement la forme d'une feuille ovalaire ou lancéolée » (Pittardet Montandon 1912 p. 31). F. Lacorre en donnera la première description complète (Lacorre 1933a), précisée par H. Delporte (Delporte 1972). L'essentiel des découvertes eut lieu entre les années 1900 et 1940 (tabl. 1). Ce contexte de fouilles a suscité certaines remises en question, concernant l'intégrité des niveaux observés par D. de Sonneville-Bordes (1958) à La Gravette et à Vignaud, ainsi que par H. Delporte (Delporte 1972, 1976) à l'abri du Poisson, Laussel et la Roque Saint-Christophe (Rigaud 1988).Le cadre chrono-stratigraphique de la majorité des assemblages à fléchettes demeure donc mal défini. Parmi les sites stratigraphiquement fiables, citons l'Abri Pataud, Puy Jarrige et La Vigne Brun, derniers sites fouillés. Le manque de données concernant la position chrono-stratigraphique des fléchettes ne peut être compensé par un nombre suffisant de datations absolues. En effet, seuls deux gisements ont fait l'objet de mesures radiométriques, l'Abri Pataud et La Vigne Brun. Pour le premier, la date retenue pour la couche 5, Front Lower 2, est la plus ancienne obtenue avec 28 400 ± 1 100 BP, OXA 169 (Bricker 1995). Cependant, les nombreuses datations effectuées situent l'occupation de ce niveau dans une fourchette chronologique beaucoup plus large entre 27 545 ± 320 BP (Gx 1370), 26 720 ± 460 BP (Gx 1369), 25 815 ± 330 BP (Gx 1371) et 23 600 ± 800 BP (W 151) (Bricker 1995). En ce qui concerne La Vigne Brun, les datations s'échelonnent entre 24 900 ± 2 000 BP (Ly 391), 24 900 ± 900 BP, 23 500 ± 1 000 BP (Ly 2640), 23 450 ± 690 BP (Ly 2637), 23 230 ± 760 BP (Ly 2639) et 21 580 ± 600 BP (Ly 2638) (Combier 1980; Combier 1989; Evin 1982). Pour ce gisement, un effet de rajeunissement important des datations est à envisager, probablement lié à la mauvaise conservation des éléments osseux en contexte granitique. Les datations de ces deux sites s'avèrent donc beaucoup trop hétérogènes pour définir un cadre chronologique cohérent. La position stratigraphique des niveaux à fléchettes en base de séquence à La Gravette, à l'Abri Pataud ainsi qu' à Willendorf (Felgenhauer 1959; Otte 1981) en Autriche, constitue donc toujours le meilleur argument en faveur de l'ancienneté de ce faciès. Si ce dernier point est acquis depuis longtemps (Peyrony 1933), la période de disparition des fléchettes dans les assemblages suscite en revanche certaines incertitudes, notamment liées à l'association de fléchettes avec les « fossiles directeurs » du Périgordien V. Les « fossiles directeurs » des Périgordien IV et Va, fléchettes et pointes de La Font-Robert, furent retrouvés à plusieurs reprises dans un même ensemble archéologique, comme à Durand-Ruel (Daniel et Schmider 1972), La Font-Robert (Bardon et al. 1908), Laussel (LalanneetBouyssonie J. 1946), les Vachons (abri II, couche 3) (Bouyssonie 1948; Bouyssonie et Sonneville-Bordes 1956), La Vigne Brun (unités OP10, O16, KL19 et secteur I) et dans le Jura Souabe, à Geissenklösterle (couche Ia) (Otte 1981). Ces associations au sein de mêmes ensembles stratigraphiques ne permettent pas d'apporter de réponse à une question pourtant névralgique dans la compréhension de l'évolution du Gravettien : quels rapports existent entre faciès à fléchettes et faciès à pointes de La Font-Robert ? Le site du Jura Souabe présente la seule succession stratigraphique bien documentée de ces deux outils. La couche Ia renferme deux fléchettes et une pointe de La Font-Robert, la couche Ib, sous-jacente, une seule fléchette. Cependant, les études ultérieures remirent en question les subdivisions distinguées à la fouille (Hahn et al. 1985). Dans le gisement girondin de Pair-non-Pair, les fléchettes se rencontrent dans les couches 3, 4, C-D, D, K, sous le niveau comprenant l'unique pointe de La Font-Robert, couche 7. Cette occurrence pourrait être un des rares arguments stratigraphiques directs en faveur de l'antériorité des fléchettes sur les pointes de La Font-Robert, si les données stratigraphiques permettaient de définir précisément la position respective de ces objets (Malvesin 1948; Lenoir 1983). Pour La Vigne Brun, la situation est différente. Si un seul ensemble archéologique a été mis en évidence lors de la fouille, de nombreuses indications comme l'existence de couches d'ocre, d'épandages charbonneux et de pavages d'ossements, orientaient la perception du remplissage comme une succession de dépôts archéologiques sur plus de 50 cm d'épaisseur (Combier 1980). L'analyse spatiale réalisée par E. Nonet permît de vérifier ces observations et de reconnaître plusieurs stades dans le fonctionnement d'une structure, l'unité OP10 (Nonet 2004). L'existence d'une microstratigraphie pourra alors éventuellement permettre de définir la position stratigraphique relative de ces deux « fossiles directeurs ». Les fléchettes furent également retrouvées avec des burins de Noailles dans plusieurs gisements dont le Poisson, Oreille d'Enfer (Pradel 1959), Durand-Ruel (Daniel et Schmider 1972) et le Roc de Gavaudun, couche 2 (Monméjean et al. 1964). À la Roque Saint-Christophe, des burins du Raysse viennent s'ajouter, amenant J.-P. Rigaud (Rigaud 1988) à rajeunir cet ensemble attribué à un Périgordien IV (Sonneville-Bordes 1960). À l'aune de ces fouilles, les premiers stades du Gravettien ne firent pas l'objet d'une approche globale visant à définir la nature de ces assemblages ni les liens existants entre eux. Seules les principales collections de fléchettes firent l'objet d'études typo-métriques ciblées révélant au-delà de l'existence d'une norme commune, les particularités des fléchettes pour La Gravette (Lacorre 1960; Delporte 1972), l'Abri Pataud (Bricker 1973, 1974; Perpère 1992) et en Autriche, Aggsbach (Otte 1981). Dans la compréhension de l'évolution des phases anciennes du Gravettien, un problème demeure donc : l'absence de stratigraphie complète. Cette lacune, contournée par D. Peyrony en superposant la stratigraphie de la Ferrassie à celle de La Gravette (Peyrony 1933), constitue toujours un écueil. Les modèles récents de structuration du Gravettien en rendent compte (Bosselin et Djindjian 1994) sans parvenir à apporter de réponse quant à la nature des liens existant entre faciès à fléchettes, à pointes de La Font-Robert et à gravettes seules. Cette évolution qui ne semble pas enregistrée dans la stratigraphie de l'Abri Pataud, peut donc trouver des éléments de compréhension dans les gisements de Geienklösterle et de La Vigne Brun. Toutefois, si une perduration des fléchettes jusqu'aux éléments à pointes de La Font-Robert reste envisageable, l'association des fléchettes avec des burins de Noailles pourrait être liée à l'ancienneté des fouilles et au manque inhérent de données stratigraphiques, ce qui ne permet pas de statuer avec fiabilité sur le sens de ces associations dont les origines peuvent être multiples. La présence épisodique de fléchettes au sein d'assemblages mal caractérisés stratigraphiquement et culturellement ne doit pas masquer pour autant sa forte valeur diagnostique d'un point de vue chronologique. Compte tenu de l'indigence des données existantes sur les premières phases du Gravettien, un retour aux collections de référence afin d'appréhender cet épisode du Paléolithique supérieur sur des bases nouvelles s'impose donc. Le choix a porté sur deux gisements : le niveau bayacien de La Gravette, puis La Vigne Brun. L'objectif est d'évaluer dans quels systèmes techniques s'insère la production de fléchettes dans des contextes où la fléchette constitue la seule armature, puis lorsqu'elle est associée à d'autres « fossiles directeurs » du Gravettien. La question de l'existence du Bayacien pourra ainsi être posée. L'importante monographie consacrée à ce gisement deux fois éponyme révèle la richesse et l'intérêt de cette collection (Lacorre 1960). Le niveau bayacien se distingue nettement des trois niveaux « gravétiens » sus-jacents par la réalisation d'objectifs techniques forts différents. Bien que la collection constituée par F. Lacorre comporte certains biais étant donné l'ancienneté des fouilles, la quasi-absence de fraction fine et la faible représentation des produits bruts, la constitution actuelle de l'assemblage permet tout de même de restituer avec une certaine acuité la nature des procédés techniques mobilisés par les tous premiers artisans gravettiens (fig. 2). La production essentiellement tournée vers l'obtention de fléchettes confère un aspect extrêmement léger à cette industrie. La proportion d'éléments appartenant à ce système technique est prédominante, puisqu'elle rassemble 77 % de l'assemblage. La série comprend 145 fléchettes dont 117 sont entières. Les pièces subentières sont peu nombreuses avec 19 éléments dont il manque l'extrémité distale et 4, la base. Enfin, 4 fragments proximaux sont présents pour un seul distal. La dimension des fléchettes révèle un degré de dispersion variable selon le paramètre considéré. La longueur constitue le principal élément de variation, se répartissant entre 26 et 73 mm de long, pour une moyenne de 48,61 mm (fig. 2.). Les largeurs des fléchettes sont comprises entre 9 et 15 mm, enfin l'épaisseur des produits témoigne d'une nette normalisation puisque 85 % des supports mesurent entre 2 et 3 mm d'épaisseur. Henri Delporte a démontré la variabilité de l'aménagement des fléchettes (Delporte 1972). Si la retouche demeure semi-abrupte, sa localisation sur le support et la face investie varient de manière importante. L'auteur observe le caractère majoritairement direct de la retouche, qui investit fréquemment le bord droit. La régularité des supports de fléchettes sous-entend l'application de modes opératoires très investis techniquement et une standardisation des procédés d'obtention. Un schéma de production très normé apparaît destiné à l'obtention de supports rectilignes. Le débitage est mené à partir d'un plan de frappe principal, sur un volume entièrement mis en forme (fig. 3). Le dos est régularisé par une série d'enlèvements; le plan de frappe, d'angulation ouverte, reste lisse. La base et les flancs sont aménagés à partir d'un plan de frappe opposé décalé. La table est rectiligne, large, très peu cintrée, se resserrant en partie distale car la convergence des enlèvements, associée à la présence de la corniche du plan de frappe opposé créée un dièdre qui canalise l'onde de choc. De ce fait, en partie proximale, depuis la zone de contact du percuteur (vraisemblablement tendre organique), l'onde de choc part en s'évasant, s'élargit en partie mésiale, puis se resserre en partie distale. Le support ainsi obtenu possède donc de manière intrinsèque la morphologie sublosangique des fléchettes. Les produits ne sont donc pas des petites lames mais bien des fléchettes. Tout l'art de ce débitage réside donc dans la manière de faire varier en différents points l'étalement latéral de l'onde de choc. Cet aspect est également tributaire de la morphologie des flancs, volontairement définis de manière légèrement convexes, notamment par les enlèvements issus du plan de frappe opposé décalé. À titre d'hypothèse, l'utilisation d'un plan de frappe opposé peut être mise en relation avec une volonté de ne pas délimiter la table à partir du plan de frappe principal. En effet, l'investissement des flancs à partir du plan de frappe principal induirait une torsion des supports situés en bord de table. Or, les supports latéraux sont utilisés pour la confection de fléchettes et aucune d'entre elles ne présente de torsion en partie proximale. De fait, l'ensemble des supports extraits depuis le plan de frappe principal peut être considéré comme des produits. Dans les premiers stades, les produits obtenus sont relativement allongés mais tendent à s'élargir avec la réduction du volume et l'aplatissement de la table. Ces supports présentent une ou plusieurs nervures, pas nécessairement centrées, ni parallèles et des bords convexes. Le produit recherché possède toutes les caractéristiques de l'outil, de morphologie sublosangique, peu épais, large par rapport à sa longueur, à extrémité distale aigue. En marge de cette production majoritaire, certains supports se dissocient de cette norme. Ces produits correspondent véritablement à de petites lames rectilignes, sveltes, élancées, à bords parallèles (fig. 4). Ces supports proviennent de nucléus dont les caractéristiques architecturales s'avèrent foncièrement différentes. La table de ces nucléus est beaucoup plus longue, très étroite et délimitée latéralement par des flancs abrupts, lisses et parallèles. Le volume est géré à partir de deux plans de frappes, opposés dans ce cas. D'après l'investissement de la table et la chronologie des enlèvements, il apparaît que ces deux plans de frappe ne partagent pas les mêmes objectifs. Une alternance est identifiable entre l'extraction de supports longs et rectilignes et des supports plus courts et moins réguliers (fig. 4 n° 5). Ces deux plans de frappe sont donc hiérarchisés, l'un servant à la production stricto sensu, l'autre à l'entretien du volume, de la carène. Les produits obtenus dans ce cas sont de réelles lames légères à bords parallèles, acuminées par la transformation. Observons que les deux fléchettes de la série portant des négatifs d'enlèvements opposés correspondent à ces supports (fig 4, n° 2). Leur faible représentation masque le statut économique de cette production dans l'assemblage. Certaines de ces petites lames sont transformées en grattoirs, ce qui n'est pas le cas pour les supports extraits selon le schéma précédent. Ces deux modes de production présentent donc des divergences fortes portant sur la nature des procédés techniques mobilisés, la morphologie des produits et leur vocation fonctionnelle. Ces premiers éléments de lecture des modes de production de fléchettes rendent compte d'un investissement en soin important dans le débitage par la structuration du volume, la mise en place de plans de frappe à fonctions très différenciées, la régularité des supports, ce que traduit l'existence de schémas opératoires complexes et spécialisés. L'obtention de fléchettes constitue l'objectif principal de la production. La seule composante autre correspond à une production laminaire d'appoint, plus robuste, sans lien technique ni fonctionnel avec les schémas présentés, destinée à alimenter l'outillage de fonds commun. Aucun élément ne se rapporte donc à une production de pièces à dos. De plus, les modalités d'obtention des pointes de La Gravette des couches supérieures s'avèrent forts différentes. Le niveau bayacien de La Gravette apparaît donc comme un assemblage techniquement homogène. L'absence de fraction brute et la sous-représentation des fragments de fléchettes induisent un certain biais dans la compréhension de l'occupation mais ne remettent pas en question l'intégrité de cet assemblage dans sa composition majoritairement orientée vers la production de fléchettes à l'exclusion de tout autre type d'armature. Le gisement de La Vigne Brun a livré une importante occupation gravettienne. Fouillé par J. Combier, sur 450 m 2, l'espace s'organise sous la forme de structures circulaires creusées dans le substrat et délimitées par un bourrelet de terre issue du creusement et de nombreux blocs de granit de grandes dimensions (Combier 1980). L'industrie lithique, abondante, est réalisée sur des roches d'origines très lointaines, provenant d'un espace géographique correspondant au pourtour septentrional du Massif central, mais également sur des matériaux plus locaux, issus des formations jurassiques du Bassin de la Loire, en aval du site (Masson 1981). Les nucléus ayant transité sur le site proviennent des formations turoniennes inférieures du Cher, crétacées et oligocènes du sud du Bassin parisien ainsi que des argiles à silex du Mâconnais. Les études concernant les unités KL19 (Digan 2001) et OP10 (Nonet 2002; Pesesse 2003) mettent en évidence la place centrale occupée par les pointes de La Gravette dans la structuration du système technique. La production de cette armature in situ influe sur le choix et le mode d'introduction des matériaux sur le gisement, et conditionne la mise en place de procédés techniques élaborés, visant à obtenir des lames et des lamelles rectilignes, élancées, pointues, à bords vifs et réguliers. Dans ces unités, la proportion de pointes de La Gravette représente respectivement 34 % et 51 % de l'outillage. Cette prédominance des pointes de La Gravette n'exclut pas pour autant la présence d'autres types d'armatures. Dans le cas de l'unité OP10, la population de fléchettes représente 12 éléments pour 871 outils, dont 448 pointes de La Gravette, 78 pointes à dos alternes et quatre pointes de La Font-Robert (Pesesse 2003). À l'échelle du gisement, cette très faible représentation des fléchettes s'observe également : 32 pièces sont pour l'instant décomptées pour un total avoisinant plusieurs dizaines de milliers de pièces. Les fléchettes mesurent entre 25 et 75 mm de long, 9 et 16 mm de large et 1,5 et 6 mm d'épaisseur (fig. 5). Les supports transformés se caractérisent par leur rectitude, par une section fréquemment symétrique, par une certaine régularité. Ils correspondent aux produits de première intention, extraits au centre d'une table régulière pour la majorité d'entre eux. Néanmoins, une sélection de supports beaucoup moins réguliers apparaît également, produits de seconde intention ou véritables sous-produits du débitage laminaire (lames décentrées, sous-crêtes antérieures). Les caractéristiques morphologiques, métriques et pétrographiques des supports ne permettent pas de dissocier technologiquement les productions de pointes de La Gravette et de fléchettes. Ces éléments vont en faveur d'une transformation différenciée des produits issus d'un même schéma opératoire en fonction de leurs caractéristiques propres dans la mesure où l'utilisation de la percussion induit une source de variabilité relative au sein d'une production, même normée. Ainsi, l'extraction d'un dièdre, d'une nervure saillante confère au support une morphologie triangulaire, une section symétrique, ce qui incarne bien l'image de la fléchette. Cet aspect est également lié à la convergence distale des enlèvements. De plus, bien que la production de supports d'armatures rectilignes soit conceptuellement très normée, les Gravettiens font preuve d'une certaine souplesse en mobilisant un panel d'options techniques, à valeur de modalités, liées notamment à la morphologie initiale des blocs, influant sur la délimitation plus ou moins abrupte de la table, et subséquemment sur l'investissement des flancs. Ces variations sur le thème entraînent donc une source supplémentaire potentielle de différenciation des produits. Ces supports proviennent majoritairement d'une chaîne opératoire unipolaire convergente. Certains éléments documentent l'utilisation ponctuelle d'un plan de frappe opposé dans un cadre d'entretien (Pesesse 2003). De rares fléchettes présentent une morphologie assez particulière par leur équilibre, leur symétrie, leur finesse et leur forme presque losangique (fig. 5, n° 8), permettant d'envisager éventuellement une production dissociée. Cet aspect, par le faible nombre de pièces et la quasi-absence de nucléus en matières allochtones compte tenu du statut du gisement, demeure hypothétique. La production s'opère donc dans un continuum technique et fonctionnel entre débitages laminaires dont les supports sont destinés à l'outillage de fonds commun, puis débitages de petites lames et de lamelles transformées en armatures. Au sein de l'équipement lié aux activités d'acquisition des chasseurs de La Vigne Brun, la fléchette occupe donc une place marginale par le faible nombre d'éléments présents et par le fait que les produits sélectionnés proviennent de schémas opératoires en priorité destinés à fournir des supports de pointes de La Gravette. La situation s'avère donc très différente de La Gravette où la fléchette structure la production lithique. Dans ces gisements, ces armatures sublosangiques relèvent de deux normes de productions très différentes, par la nature et l'imbrication des chaînes opératoires à finalités cynégétiques et domestiques, dissociées à La Gravette et intégrées à La Vigne Brun. Pourtant la transformation des supports s'opère selon les mêmes conventions techniques dans la réalisation d'une armature axiale à retouche semi-abrupte, limitée aux parties basales et apicales. À La Vigne Brun, cette retouche confère aux supports la morphologie sublosangique de la fléchette, caractéristique définie lors du débitage à La Gravette De La Gravette à La Vigne Brun, durant cet intervalle de temps, les systèmes techniques lithiques gravettiens furent complètement restructurés autour d'une nouvelle arme de chasse, la pointe de La Gravette. Absente dans le Bayacien de La Gravette, elle constitue l'essentiel de l'équipement cynégétique des chasseurs de chevaux de La Vigne Brun. Toute la production d'armatures se trouve modifiée techniquement et économiquement. Seule cette modalité de transformation de l'armature présente une certaine pérennité. Face à la diversité des armatures de La Vigne Brun - pointes de La Gravettes, microgravettes, nanogravettes, pointes à dos alternes et pointes de La Font-Robert - la fléchette peut éventuellement apparaître comme un complément fonctionnel, lié à son caractère d'armature axiale. Peut-être faut-il chercher plus loin les raisons de la perduration du concept de fléchette dans les sociétés gravettiennes postérieures au Bayacien. Elle peut difficilement s'appréhender comme une survivance anecdotique si l'on s'accorde sur le statut des armes de chasse en matière minérale dans certaines sociétés paléolithiques, gravettiennes et solutréennes notamment. La fléchette peut alors apparaître comme un marqueur identitaire fort des premiers gravettiens et, à ce titre, avoir perduré quelque peu dans la société gravettienne alors même que l'ensemble des normes techniques avait évolué. Le Bayacien de La Gravette révèle une homogénéité du point de vue de la corrélation entre les processus techniques et les objectifs, et la complémentarité fonctionnelle entre les trois schémas opératoires définis. Cet assemblage présente donc des caractéristiques originales par la nature et la structuration des procédés techniques mobilisés par les premiers gravettiens. Dans cette acception, aucun autre équivalent n'est encore reconnu. Le particularisme de cette industrie, doublé d'une position chrono-stratigraphique charnière mérite donc son individualisation sous le terme de Bayacien proposé par F. Lacorre. En ce sens, seul le niveau de La Gravette se rapporte au Bayacien. La présence de quelques fléchettes, comme à Vigne Brun ou à Puy Jarrige, lorsqu'elle n'est pas le fruit de mélanges, n'est pas suffisante pour parler de Bayacien. Toutefois, si la perduration de ces armatures peut être le signe du maintien des traditions, les processus d'évolution technique entre le Bayacien et le Gravettien ancien à fléchettes demeurent à définir .
Les premières phases du Gravettien en France soulèvent de nombreuses interrogations liées au polymorphisme des industries attribuées à cette période. Ces gisements se distinguent notamment par la présence de fléchettes que l'on retrouve dans des proportions variables. Cet outil est fréquemment associé à d'autres fossiles directeurs du Gravettien, notamment des pointes de La Font-Robert et des burins de Noailles. Toutefois, ces associations relèvent fréquemment de contextes mal définis stratigraphiquement car la majorité des fouilles des gisements du Gravettien ancien se déroulèrent entre les années 1900 et 1940. Parmi les ensembles archéologiques homogènes figurent le gisement éponyme de La Gravette, l'Abri Pataud, Puy Jarrige et La Vigne Brun. À La Gravette, F. Lacorre reconnût un niveau dont la fléchette est la composante principale à l'exclusion de tout autre type d'armature. L'originalité de cette industrie et l'absence de points de comparaisons, y compris dans les niveaux supérieurs de La Gravette, le conduisît à l'individualiser sous le terme de Bayacien (Lacorre 1960). Une nouvelle étude de ce gisement permet de reconnaître l'intégrité de ce niveau, remise en question par de nombreux auteurs (Sonneville-Bordes 1958 ; Delporte 1972 ; Rigaud 1988). D'un point de vue technologique, la production de fléchettes s'avère prédominante, réalisée de manière autonome selon un schéma opératoire très spécifique. La production laminaire destinée à alimenter l'outillage de fonds commun se déroule selon d'autres logiques techniques, indépendantes. La situation diffère pour le gisement de La Vigne Brun. Les fléchettes se trouvent associées à des pointes de La Gravette et la production de ces armatures s'effectue dans un continuum technique, associant également la production de supports à finalités domestiques. Ces données techniques permettent d'envisager de manière originale les premières phases du Gravettien. Elles révèlent que le Bayacien constitue effectivement une entité à part entière et légitime ainsi son individualisation au sein de la sphère gravettienne. Ce terme doit être compris dans cette acception réduite qui ne concerne, à l'heure actuelle, que le gisement doublement éponyme. Reconnaître l'originalité du Bayacien soulève de nombreuses implications d'ordre paléohistorique et modifie notre compréhension du passage de l'Aurignacien au Gravettien. Les restructurations importantes des systèmes techniques entre l'Aurignacien et le Gravettien peuvent être perçues comme le reflet des profondes mutations affectant ces sociétés du Paléolithique supérieur.
archeologie_10-0037498_tei_218.xml
termith-89-archeologie
L'ensemble des amas coquilliers – plus d'un millier - du littoral atlantique de Mauritanie occidentale (prolongé au nord, au Sahara occidental), représente un exemple probablement unique, en milieu tropical sec, de l'utilisation de ressources marines du rivage – mais aussi des plaines intérieures sableuses, riches en pâturages. Pendant 6 millénaires, des hommes ont vécu sur le rivage ou l'ont saisonnièrement fréquenté pour pêcher et collecter bivalves et gastéropodes. Hydroclimat (température et salinité de l'eau; rôle des courants, upwelling…), transgression marine et climat terrestre (qui a évolué, à l'Holocène, dans ces régions, entre semi-aride et sahélien) ont joué un rôle essentiel dans l'évolution du mode de vie des populations du Sahara atlantique (fig. 1). Le littoral mauritanien est, en général, une côte basse et sableuse. Il n'y a qu'au nord – du Cap Blanc au cap Tafarit – que des falaises le bordent par intermittence. Cependant, le niveau actuel n'est qu'un épisode parmi d'autres. En fonction de l'évolution climatique de la planète – des cycles glaciaires-interglaciaires et de leurs soubresauts internes – le niveau de l'océan a considérablement varié. Un élément essentiel de la compréhension du milieu marin littoral de la Mauritanie est la circulation des eaux atlantiques, liée en grande partie au déplacement des centres de hautes et de basses pressions atmosphériques, particulièrement de l'anticyclone des Açores. En période aride, le courant froid des Canaries, dont l'importance est liée à celle des alizés de nord-ouest, et qui circule du nord au sud, diminue l'humidité de l'atmosphère, mais favorise la pêche, grâce à l'upwelling (remontée des eaux profondes froides qui fait proliférer le plancton - donc le poisson). Pendant la mousson d'été, le courant froid s'atténue, voire s'arrête, pendant quelques semaines et un courant chaud arrive du sud, dans une atmosphère plus humide. Au contraire, pendant les cycles plus favorables, le courant des Canaries s'affaiblit, et parfois même disparaît, avec pour conséquence un climat moins sec sur le continent proche, parallèlement à des précipitations globalement plus fortes. Au début de l'Holocène, les conséquences de la dernière glaciation se font toujours sentir, le niveau de la mer est encore plusieurs dizaines de mètres au dessous de l'actuel. À - 15 mètres, vers 8000 BP, le rivage se trouve au niveau actuel un peu après 7000, grâce à l'optimum climatique de l'Holocène ancien. Ensuite, l'existence de la transgression nouakchottienne, traditionnellement datée entre 6000 et 3500 BP, est aujourd'hui contestée par une approche géomorphologique et sédimentologique nouvelle. Ses manifestations sont liées à des phénomènes côtiers qui ne paraissent pas impliquer nécessairement une montée conséquente des eaux, que l'on ne retrouve d'ailleurs pas, ou peu, dans les autres régions littorales. Des processus morphodynamiques côtiers semblent exercer une influence dominante. L'optimum climatique de l'Holocène ancien et moyen (jusqu' à 4800 BP environ) oriente les vents – et donc les vagues – dans un sens très favorable à une invasion marine profonde. La modification des vents et des courants, et donc du front de houle, permet à la mer de s'enfoncer profondément dans les indentations du littoral. Sur les rives orientales de la baie du Lévrier et de la baie d'Arguin, elle s'avance loin sur un rivage plat, dont l'estran peut dépasser plusieurs kilomètres. Les regs de l'Azefal et de l'Akchar sont transgressés dans les dépressions interdunaires et rongés au niveau des dunes. Plus au sud, la baie d'Acheïl) (baie de Saint Jean), la sebkha de Tenioubrar, et surtout le golfe de Ndghamcha et celui du Sénégal atteignent des dimensions bien plus grandes. La confusion viendrait du fait que, lorsque la mer est parvenue à quelques mètres au-dessous du niveau zéro, elle s'est trouvée face à un continent formé pour l'essentiel d'une côte basse, sableuse, faite de golfes, de baies, de rias (entre les cordons dunaires parallèles orientés NE-SW) et de vallées fluviales. En fait, aucun obstacle d'importance ne bloquait la montée des eaux et la houle. Il n'y a donc pas vraiment besoin d'une ultime transgression pour expliquer des plages jusqu' à 70 km du littoral actuel, comme à l'est du golfe de Nghamcha. Le battement naturel des marées, les tempêtes et le forçage sédimentaire suffisent sans doute à expliquer les « plages nouakchottiennes », qui ne dépassent guère, en réalité, un mètre d'altitude par rapport au niveau zéro actuel (Barusseau et al., s.p.). Cela a suffi à créer lagunes, baies et golfes, si caractéristiques du nouakchottien. Car celui -ci a bien existé. Plutôt qu'une transgression, il s'agit, en fait, d'un ensemble d'environnements littoraux, conjonction de la fin de la transgression post-glaciaire et d'une modification climatique qui voit, pendant quelques millénaires, les températures et les précipitations s'élever, dans un contexte de mousson où la limite septentrionale du Sahel se décale vers le nord de plusieurs centaines de km, tandis que l'hydroclimat voit la modification des courants et la diminution de l'upwelling. Cette situation se poursuit sans doute, en déclinant à partir de 4500 BP, jusque vers 3500, avec des épisodes de retour à des conditions littorales plus proches de l'actuel – et donc des vents, des courants et une houle différents, moins propices à ces mouvements de vagues vers l'intérieur, tandis que la sédimentation terrestre diminue, les cours d'eau n'atteignant plus la mer après 4800 BP. Plusieurs oscillations sont sensibles pendant les deux millénaires suivants, vers 2700, 2400 et, pour la dernière, vers 1900 BP. Elles permettent aux eaux salées d'envahir les zones les plus basses, alternativement lagunes, sebkhas, marigots, voire même lacs d'eau douce, comme ceux du Rkiz et de Guiers, de part et d'autre du fleuve Sénégal. À l'exception du fleuve Sénégal, où l'océan est remonté, au maximum de la « transgression », jusqu' à Boghé, à 230 km de l'embouchure actuelle, la manifestation la plus spectaculaire est l'envahissement des zones basses par une tranche d'eau peu épaisse, transformant d'immenses espaces en lagunes, baies, golfes, vasières aux eaux chaudes, calmes et périodiquement dessalées. Dans un contexte relictuel, le Banc d'Arguin est une bonne illustration de cette situation, qui favorise une faune de poissons, de coquillages et d'oiseaux particulièrement riche, dont les amas coquilliers gardent la trace. La faune malacologique est tout aussi riche, et surtout les espèces de lagunes, de vasières et de bras d'eau calme, comme Anadara senilis. Anadara est un bivalve euryhalin, caractéristique des biotopes de lagunes et d'estuaires en bordure de mer, vivant dans des sables vaseux, dans un milieu à énergie très modérée. Il apprécie un dessalement saisonnier pour sa reproduction. D'autres espèces de bivalves prospèrent, comme Cardium, et de nombreux gastéropodes prédateurs, Conus, Murex, Pugilina morio … et différents Cymbium, carnivores des fonds sableux, dans la zone littorale abritée, les lagunes, les estuaires, jusqu' à 90 m de profondeur (Elouard & Rosso 1982; Rosso et al. 1977). Cette association d'espèces disparaît lorsque les conditions climatiques, tant marines que terrestres, changent progressivement, après 3500 BP. Mais, encore aujourd'hui, Anadara senilis et Cymbium constituent toujours une part importante de la biomasse du banc d'Arguin. La fin de la transgression nouakchottienne, parallèlement au retour en puissance du courant des Canaries, se traduit sur le littoral par une configuration de type actuel : une côte désertique, très sèche, battue par la houle – sauf au niveau du Banc d'Arguin, où vasières, bras de mer, hauts fonds et îles perdurent. Au sud du Banc d'Arguin, la côte est rectiligne. Un cordon sableux littoral s'est construit, barrant les baies, golfes (Ndhgamcha) et lagunes nouakchottiennes. La faune nouakchottienne a disparu entre delta du Sénégal et banc d'Arguin. La principale espèce de bivalve marin, largement collecté, est Donax rugosus. Son biotope, qui se met en place une première fois il y a 4300 ans, mais surtout à partir de 3000 BP, est tout à fait caractéristique de la transition entre un milieu tropical « semi-humide » et un milieu « semi-aride », à l'équilibre instable. Donax est un bivalve sabulicole des plages rectilignes en mer ouverte et mode battu et semi-battu, juste sous la ligne de déferlement des vagues. Il s'est donc développé au sud du banc d'Arguin à partir de la latitude des « grandes dunes » de l'Akchar, tronquées par la mer actuelle. La courbe climatique des plaines littorales du Sahara mauritanien à l'Holocène n'épouse pas forcément la courbe du niveau de la mer. Le premier optimum climatique, à l'Holocène ancien, se termine avant 8000 BP : déjà des autruches sont présentes au nord, d'après le radiocarbone. Le VIIIe millénaire est encadré de deux arides très marqués. La très nette amélioration, après 7000 BP, s'accompagne d'une forte poussée humaine (alors que, plus tôt, les traces sont trop ténues, ou trop lointaines - Cap Juby, Azrag - pour être probantes), suivies de deux autres au cours des VIe et Ve millénaires. Vers 4200/4000, un aride bref mais très marqué provoque un bouleversement dans l'occupation humaine. Le IVe millénaire BP est le dernier optimum néolithique, déjà plus modeste. Il s'achève vers 3000 BP. Désormais l'aridification est irréversible. Mais, d'une part, elle se fait lentement, ce qui permet aux hommes de s'adapter au milieu, soit en accompagnant vers le sud le glissement des isohyètes (Devisse 1983), soit en passant, sur place, d'un élevage bovin peu mobile à un nomadisme plus marqué, où le petit bétail occupe une part croissante, avant que le dromadaire n'apparaisse. Mais il ne faut jamais oublier que ce sont des bovins qui accompagnent les gravures de chars d'Aouïneght (25° N) ou d'El Ghallaouiya (22° N), il y a 2500 ans, et que, jusqu'au milieu du XXe siècle, des troupeaux de vaches ne sont pas rares, jusque dans les régions franchement sahariennes, dès lors que l'eau est accessible et la densité démographique conséquente… Enfin, de modestes rémissions climatiques ponctuent les IIIe et IIe millénaires BP. La dernière, entre 500 et 1000 AD, accompagne l'installation des grands états sahéliens de l'ouest (Ghana, Tekrour) et l'aventure almoravide. Mais aussi l'édification des derniers amas coquilliers de l'Aftout es Saheli, au sud de Nouakchott. Les éleveurs et les chasseurs des plaines intérieures furent souvent attirés par la richesse faunistique du rivage atlantique, capable de pallier les périodes sèches de l'intérieur (saisonnières, annuelles, pluriannuelles). Pourtant, globalement, le rivage atlantique est plus sec que les plaines de Mauritanie occidentale. Il a cependant servi de refuge à de multiples reprises et, en tout cas, d'économie d'appoint aux éleveurs, chasseurs et même, sans doute, au sud, agriculteurs néolithiques et post-néolithiques. En conclusion, on peut utiliser - prudemment - les indications encore parcellaires concernant le littoral nord et montrant le balancement entre les différents épisodes, sur terre comme sur mer (fig. 2) : - 6700 BP : Courbine et escargot terrestre (Helix duroi) au Cap Blanc indiquent un climat proche de l'actuel, sans doute un peu plus humide. - 6200 : début du nouakchottien. Réchauffement des eaux par affaiblissement de l'alizé et du courant des Canaries. - 6000 : autruche à Cansado. Climat peut-être un peu moins sec qu'aujourd'hui. - 5500/5000 : apogée du peuplement sur le littoral nord et pêche d'espèces d'eau plus chaude que la courbine : climat plus chaud et plus humide. Minimum pour le courant des Canaries (Meco et al., 2002). Maximum de la « transgression ». - Après 5000 : fin de l'occupation du Cap Blanc, où l'eau douce a toujours été rare - et d'autant plus que le courant des Canaries est fort. On peut penser - cela reste une hypothèse tant que des analyses isotopiques sur des otolithes de poissons pêchés à l'époque ne l'ont pas confirmé - que cela indique également un début de changement climatique, les espèces de mollusques d'eau chaude se raréfiant au niveau du Cap Blanc. Mais le même type d'occupation continue sur le littoral et dans les plaines intérieures pendant deux millénaires. - Pendant les IVe et IIIe millénaires BP, la variabilité du climat est très marquée, comme le montrent les épisodes d'occupation humaine successifs, ou la présence d'un escargot terrestre au Cap el Sass vers 2745 BP, signe d'une certaine humidité que l'on retrouve sur d'autres sites à l'intérieur et plus au sud. - Aujourd'hui : le capitaine (Pseudotolithus senegalus) ne représente pas 1 % des prises de l'ensemble des Sciaenidés débarquées à Nouadhibou; les précipitations, calculées sur le XXe siècle, ne dépassent pas 20 mm/an; Helix duroi aurait été vu vivant au début des années 70 (c'est-à-dire après 20 années de pluviométrie un peu moins médiocre dans le Sahara) (Hebrard 1978). On distingue plusieurs étapes, même si leurs limites sont encore floues (fig. 3 et 4). Première installation sur le littoral atlantique holocène de collecteurs de coquillages (Anadara avant tout). Une occupation plus ancienne, avant le début de la transgression nouakchottienne, existe (Cansado, 6700 BP), mais elle est le fait, semble -t-il, de pêcheurs seulement (fig. 4.1). On ignore si les hommes de la culture épipaléolithique de Foum Arguin, qui a précédé ces premiers groupes de quelques siècles, voire d'un ou deux millénaires, se sont intéressés au littoral de l'époque, aujourd'hui englouti sous la montée des eaux post-glaciaire (Vernet 2004). Les amas coquilliers sont répartis sur le rivage du début du Nouakchottien, à peine supérieur au niveau actuel, du Sahara occidental (Mahariat) à la région de Nouakchott, en passant par le Cap Blanc, la presqu'île de Tintan, Tafarit et le pourtour de la sebkha Nghamcha (fig. 4.2). Multiplication des implantations de collecteurs d ' Anadara autour du trait de côte du maximum de la transgression – du Sahara occidental à la Baie du Lévrier et du Banc d'Arguin au sud du delta du Sénégal (Khant) (fig. 4.3, 4). Les mangeurs d ' Anadara accompagnent le lent reflux du niveau de la mer. Mais ils sont toujours aussi nombreux. Cependant, le glissement vers le sud est sensible : la presqu'île du Cap Blanc est abandonnée et il semble bien que le centre de la culture de Tintan glisse de la presqu'île du même nom et du Tasiast à la région de Chami. Plus au sud, la région de Nouakchot et l'Aftout es Sahili attirent de plus en plus d'hommes (fig. 4.5, 6). À partir de 3000, les baies et les lagunes nouakchot-tiennes se transforment en sebkhas; le cordon littoral sableux rectiligne, battu par la houle (à partir du Cap Timiris) s'installe; le courant froid des Canaries retrouve toute sa force et les pluies redeviennent sahariennes ou, à tout le moins, nord-sahéliennes. Au nord, la faune malacologique nouakchottienne disparaît ou se réfugie dans des zones peu accessibles du Banc d'Arguin. Les activités de collecte sur le littoral n'intéressent plus guère les habitants de la région (derniers amas vers 2600 BP, semble -t-il) (fig. 4.6). Au sud, si Anadara et huîtres de palétuviers réapparaissent à quelques reprises (2400, 1900…), une nouvelle espèce - Donax rugosus – colonise la plage, une première fois, à 100 km au nord de Nouakchott, avant 4000 BP (ce qui correspond à la transformation du golfe de Ndghamcha en sebkha), puis vers 3390. Mais c'est essentiellement aux IIIe et IIe millénaires BP que vont s'édifier d'innombrables amas de Donax (fig. 4.7). « Amas » coquillier est sans doute une expression excessive en Mauritanie, surtout si on compare avec les énormes accumulations d ' Anadara au Sénégal, en particulier dans le Sine Saloum – plus de 6 mètres parfois. Il ne semble pas qu'un seul amas coquillier mauritanien ait 1 m d'épaisseur. De rares exemples, au Banc d'Arguin, montrent deux couches d'une quarantaine de centimètres séparées par une couche de sable stérile. La plupart du temps, l'épaisseur est comprise entre 10 et 40 cm. Mais de nombreux amas ne sont en réalité que des voiles de coquilles posés sur une dune littorale ainsi fossilisée (Amblard 1992; Descamps 1998). Les dimensions des amas sont extrêmement variables. Certains sont individualisés (Cansado, Foum Arguin, Timiris, Chedd Allal, Areich T 24…), d'autres sont en continu sur des kilomètres, voire des dizaines de km (autour de la baie d'Acheïl, entre Iouik et Rgueïba, au sud du cap el Sass…). Mais d'autres amas sont de petites dimensions, simples dépotoirs coniques, aujourd'hui souvent inversés par l'érosion, d'ailleurs. On trouve même des tas « individuels » : on peut imaginer un panier, une hotte destinée au repas d'une famille ! Il faut enfin noter qu' à partir de la latitude de la sebkha Ndghamcha, vers le sud, les amas d ' Anadara ont souvent été réoccupés par des mangeurs de Donax, trois millénaires plus tard, les tas de cébettes simplement posés sur ceux d'arches. À l'exception d'un seul sondage dans un amas récent de Donax, daté entre 2600 et 600 BP, les quelques sondages et échantillonnages poussés qui ont été menés, l'ont toujours été dans des amas d ' Anadara. Ces travaux font ressortir, outre l'épaisseur modeste des amas, d'une part, la chronologie, et, d'autre part, la pauvreté générale du matériel archéologique, à l'exception, notoire, des sites des cultures néolithiques situés au nord de 20° N. Ces amas ont été occupés, durant toute la transgression nouakchottienne et, au-delà, jusqu' à l'abandon des activités de collecte des Anadara, dans la première moitié du IIIe millénaire BP, avec des différences selon les régions, en fonction de la latitude et de la topographie du littoral. L'analyse de l'ensemble des datations radiocarbone des amas coquilliers d'époque nouakchottienne confirme ce schéma général. À Cansado et dans la région du Banc d'Arguin, les amas coquilliers sont habités à demeure pendant de longues périodes : la richesse du matériel lithique et de la céramique et les nombreuses tombes (Petit-Maire et al., 1979) le montrent. Les sites sont en général occupés successivement par des groupes différents. Mais il existe d'innombrables sites sans Anadara appartenant à ces groupes, comme à Et Teyyedché, à 30 km de Tintan-nécropole, dans le Tasiast, ou dans le Khatt Atoui, le nord du Tijirit et autour de Chami. Sur la côte, la collecte des coquillages est l'activité principale. La pêche est rarement importante, d'après les restes actuellement connus, sauf à Cansado, dès 6700 (donc avant le début du Nouakchottien), sur quelques sites de la presqu'île de Tintan, à Jerf el Oustani, au VIe et au Ve millénaire BP, et à Mednet el Halve, dans la première moitié du IVe millénaire. Par ailleurs, les poids de filet sont très rares au nord du Banc d'Arguin (et absents à Cansado). Les produits de la mer ne représentent donc qu'une partie des activités économiques des hommes de l'époque. Ailleurs, le matériel est très souvent rare sur les sites, même si l'épaisseur de coquilles est importante, comme autour de la Baie d'Acheïl. Comme il est difficile d'imaginer des populations dépourvues de céramique et de lithique (même si la matière première disparaît au sud de 20° N), il faut bien admettre que les amas coquilliers n'ont été fréquentés que de manière saisonnière, ou par des groupes spécialisés, tandis que l'essentiel de la population vivait sur les dunes intérieures (Chami, Tijirit…). Dans tous les cas, l'économie comprend donc à la fois la collecte des coquillages littoraux, rarement la pêche, la chasse, qui perdure évidemment, et l'élevage (sans doute pas avant le début du Ve millénaire BP, alors qu'il est attesté un millénaire plus tôt au Maroc et dans le Sahara central). En réalité, l'archéologie permet d'affirmer que peu de groupes humains, avant les périodes récentes, étaient strictement inféodés à la mer. L'étude de l'industrie lithique montre un profond déséquilibre entre le nord, où la matière première est souvent abondante, jusqu' à la hauteur du Cap Tafarit (20° N) et le sud, où elle est absente – ce qui signifie que tout outil en pierre trouvé entre le Banc d'Arguin et le delta du Sénégal a été importé du Tasiast, du Tijirit, de l'Amsaga, de l'Inchiri ou de l'Aouker occidental. On ne peut donc tirer de conclusions sur ces industries méridionales, tout au plus sur les circuits d'approvisionnements, quoique le pillage interdise toute analyse statistique. Certains habitats néolithiques du nord-ouest, en particulier ceux de Cansado, Et Teyyedché ou Foum Arguin, ou ceux de la presqu'île de Tintan, étudiés par N. Petit-Maire et al. (1979), essentiellement à Tintan-nécropole, sont d'une grande richesse lithique. Le grand nombre d'armatures de flèche indique, à lui seul, que les hommes du Néolithique régional ne sont pas seulement des collecteurs d ' Anadara et – un peu – des pêcheurs. Mais, de toutes manières, il y a plus de sites non-coquilliers, jusque très à l'est, dans le Tijirit, que de sites littoraux. Encore une fois, il apparaît que la collecte des Anadara est, soit un appoint, soit l'activité de groupes spécialisés. Elle a été rarement récoltée : - Quelques harpons en os, sans doute anciens au nord (Amtal, au Sahara occidental et deux fragments plausibles à Cansado) et plus récents au sud (vers 2500 à Nouakchott et non datés au Khant – delta du Sénégal) (Vernet 2000). Notons qu' à la latitude de Nouakchott, des pêcheurs en eau douce ont utilisé des harpons vers 5500 BP et que leur céramique pourrait bien avoir un lien de parenté avec celle de Tintan. - Les seuls hameçons connus le sont dans le delta du Sénégal, quoique certains objets taillés dans des coquilles puissent être soit des pendeloques, soit des hameçons droits (pl. 2.2). - Les poids de filet en terre cuite semblent reproduire le schéma chronologique des harpons : rares et anciens au nord, on en connaît quelques-uns dans la presqu'île de Tintan, mais pas à Cansado, où l'on n'a donc pas pêché la courbine, à 6700, au filet mobile – donc muni de flotteurs; très abondants et récents au sud, depuis 2500 BP (pl. 2.4). - Au nord, les nombreuses pièces géométriques en silex blond du Néolithique régional ont pu être des barbelures de harpons. Cela reste à démontrer. - À une époque, on a utilisé de curieuses pièces taillées sur des fragments de coquilles de Cymbium, très standardisées, qui ont pu servir d'engins de pêche (pl. 2.1). Mais comment ont-ils été utilisés ? L'apport de l'ethnoarchéo-logie serait ici précieux… - Aucun indice, à quelque époque que ce soit, n'évoque l'usage de pirogues, engin connu, dans d'autres contextes, depuis le début du Néolithique – par exemple à Dufuna, dans le nord du Nigeria, au IXe millénaire BP Mais le peuplement des îles d'Arguin et de Tidra, autour de 4000 BP, si elle n'est pas liée à une baisse importante du niveau de la mer, ne peut s'expliquer que par l'usage d'un engin flottant. - Enfin, les techniques évoquées à propos de la pêche à la courbine à Cansado, à 6700 BP, outre qu'elles sont sans doute hors sujet (l'amas coquillier est bien postérieur), ne reposent que sur des déductions. Mais elles sont toujours utilisées plus au sud, par exemple en Guinée Bissau (Tous et al., s.p.). Il s'agit de filets fixes, qui piégent le poisson, en utilisant le flux et le reflux de la marée dans les chenaux littoraux étroits et peu profonds. À Cansado, une telle technique, vers 6700 BP, pose évidemment le problème du niveau de la mer et du profil de la côte (pl. 2.5). Elle est, contrairement à l'industrie lithique, d'une grande diversité, du Cap Blanc au fleuve Sénégal. Sa richesse est souvent exceptionnelle. - La plus ancienne dans la région daterait de près de 7000 ans, au nord-est de Nouakchott, sur un site de chasseurs, et n'est pas connue, pour l'instant, sur le littoral même. Les premiers amas coquilliers, datés autour de 6000 BP, ont fourni une céramique peu abondante, aux tessons minuscules et totalement érodés. Epaisse, à dégraissant minéral grossier, peu décorée (du peu qu'on en connaît), elle a été repérée autour de la sebkha Ndghamcha. Existe -t-elle sur les plus anciens amas du Cap Blanc ou du nord du Banc d'Arguin ? - La céramique des groupes néolithiques du nord-ouest, actuellement datés entre 5400 et 4000 BP, tant sur le littoral qu' à l'intérieur, est très variée et souvent originale. Le principal ensemble - dont le groupe de Tintan est le mieux connu – possède une poterie caractérisée par sa grande taille, ses formes (souvent conique, tronquée par une cupule basale), son engobe lie de vin, son polissage, le décor labial et en bandes parallèles horizontales sur la panse, souvent pivotant et flammé, exécuté parfois avec un fragment d ' Anadara. Elle apparaît sur certains sites comme une véritable vaisselle de luxe. De nombreux sous-groupes semblent exister pendant son millénaire d'existence. Le nord du Tijirit (Gleibat Ajayat), l'Amsaga et le sud de l'Adrar (Ereich et Telli) possèdent également des sites du VIe millénaire BP. Dans la région de Nouakchott, si de nombreux amas coquilliers datent de cette époque, certains ne sont pas liés à la mer. L'un d'eux, Nouadhfat, est un habitat de pêcheurs en eau douce (en particulier au harpon) où les espèces récoltées sont celles que l'on peut trouver dans le fleuve Sénégal. Dans l'ensemble, la céramique paraît procéder de la même mouvance culturelle que celle du Banc d'Arguin, du Tasiast et du Tijirit à la même époque. - Au IVe millénaire BP, de très nombreux groupes s'individualisent, tant au Banc d'Arguin que plus au sud, avec un décalage vers le sud, lié à la détérioration progressive du climat. Là encore, les récoltes de coquillages et la pêche ne sont qu'une des activités. La culture du Dhraïna (dite des « pots coniques »), dans la région de Nouakchott, est avant tout une culture d'éleveurs, entre 4000 et 3500 BP. Ce sont sans doute les hommes du Dhraïna qui ont introduit l'élevage entre 19° et 18° N. Mais la collecte des Anadara ne leur est pas étrangère. Or la céramique absolument unique de cette culture – forme en obus, fond très conique, décor en bandes parallèles, souvent faites au peigne à dents (dont des fragments de bords d ' Anadara) n'est pas sans évoquer celle du Néolithique du nord-ouest. On peut donc penser qu'il existe un continuum humain, du VIe au IVe millénaires BP sur le littoral atlantique, élargi aux plaines proches. Mais il faut noter que les dates actuellement connues semblent indiquer une ancienneté plus grande de la céramique de la région de Nouakchott. - Au IIIe millénaire BP, il existe, de la même manière, de nombreux groupes humains identifiés surtout par la céramique. La nouveauté est que certains sont avant tout consacrés à la pêche et à la récolte des coquillages, même s'ils possèdent du bétail, voire l'agriculture. C'est le cas de la culture de Tin Mahham, dans la région de Nouakchott, qui ne s'éloigne pas du rivage de l'époque, entre 2400 et 1700 BP. Vers le nord elle atteint les « grandes dunes » littorales de l'Akchar, même si quelques petits sites ont été trouvés jusqu'au nord de la baie Saint-Jean. Vers le sud, elle fréquente les rivages ancien et sub-actuel de l'Aftout es Saheli, glissant progressivement vers le sud, sans doute jusqu' à la rive nord du fleuve Sénégal. Les hommes de Tin Mahham récoltent Anadara et huîtres, d'une part, Donax, d'autre part, en fonction de l'évolution du littoral, où alternent dans le temps et dans l'espace sebkhas, lagunes et côte rectiligne. - Enfin, les cultures protohistoriques, dont le centre de gravité est sur le fleuve, ont fréquenté la région de Nouakchott et l'Aftout es Saheli à plusieurs reprises pendant le premier millénaire AD, la collecte de Donax n'étant qu'un aspect de leur économie. Le radiocarbone indique qu'au XVe siècle, ce mode de vie est toujours en place. Mais la population de N'Diago consomme encore aujourd'hui des Donax … La compréhension des amas coquilliers de Mauritanie occidentale est loin d' être suffisante. Si l'inventaire, la chronologie et le contexte paléoenvi-ronnemental sont globalement connus, les modes de vie liés aux amas sont, eux, à peine appréhendés :occupation permanente, saisonnière, occasionnelle; temps d'édification des amas; groupes spécialisés ou non; collecte des coquillages et/ou pêche; techniques de pêche; techniques de cuisson des coquillages; modes de consommation (sur place, à l'intérieur des terres) (Amblard 1992; Descamps 1998)… Les origines ethniques des collecteurs et des pêcheurs restent très peu connues. Vingt ans de prospection n'ont que très rarement permis de retrouver des restes identifiables sur les buttes coquillières – dont on sait qu'elles ont été systématiquement réoccupées, puis, après la fin de l'économie de pêche à pied, souvent utilisées comme cimetière. Enfin, un lien avec les amas coquilliers du Sénégal - qui s'étendent, comme en Mauritanie, sur tout le littoral, du delta du Sénégal (Khant) à celui de la Casamance, n'a jamais pu être mis en évidence. Le fleuve - large de plusieurs dizaines de kilomètres en aval pendant le Nouakchottien - a -t-il toujours été un obstacle infranchissable au Néolithique, dans un sens ou dans l'autre ?
L'ensemble des amas coquilliers du littoral de Mauritanie représente un exemple exceptionnel, en milieu tropical sec, de l'utilisation de ressources marines du rivage. Pendant au moins 6 millénaires, des hommes ont vécu sur le rivage ou l'ont saisonnièrement fréquenté pour pêcher et pour collecter bivalves et gastéropodes. L'étude des vestiges de mollusques, dans leur milieu et associés à d'autres éléments archéologiques, fournit des éléments essentiels d'interprétation sur de longues périodes des variations de l'hydroclimat et du climat terrestre, ainsi que des variations du niveau de la mer, facteurs qui ont joué un rôle essentiel dans l'évolution du mode de vie des populations du Sahara atlantique. Des méthodes récentes permettent d'envisager, à partir d'analyses isotopiques des coquilles elles-mêmes, des reconstitutions très fines des caractéristiques des climats littoraux à diverses périodes du passé, et peuvent contribuer à mieux comprendre les liens entre atmosphère et océan. Que ce soit pour l'alimentation ou l'ornementation, voire pour des usages " industriels ", les mollusques ont constitué la base de plusieurs économies successives de sociétés néolithiques et protohistoriques sahariennes ou sahéliennes, qui ne sont sans rappeler certains systèmes d'exploitation actuels dans d'autres régions de l'Afrique occidentale. A travers les vestiges de ces usages transparaissent la diversité des écosystèmes littoraux et leur évolution, parfois rapide et éventuellement liée à des phénomènes de surexploitation, constituant une source d'enseignements pour la période actuelle et le futur proche en matière de gestion des ressources vivantes côtières et d'aménagement du littoral.
archeologie_08-0169441_tei_316.xml
termith-90-archeologie
L'étude présentée ici est une synthèse d'un travail universitaire de Maîtrise (Nicoud 2004) durant lequel a été analysée une série de 871 galets, tous issus d'une zone de 24 m² du site du Paléolithique moyen récent de Champ Grand (Loire). Cet ensemble de galets a été sélectionné parmi les 6 300 que compte le site. La zone dont ils proviennent est quatre fois plus dense en galets que le reste du gisement. Plusieurs questionnements guident notre étude : comment ces galets sont-ils parvenus sur le site ? En quoi consistent les chaînes opératoires qui impliquent les galets du Champ Grand ? Le site du Champ Grand est situé sur la commune de Saint-Maurice-sur-Loire dans le département de la Loire (France) à 10 km au sud de Roanne. Sa découverte remonte à 1944 à la suite de ramassages de surface effectués par un amateur local. C'est ensuite J. Combier qui reconnaît les industries moustériennes. Les fouilles sont réalisées sous la direction de A. Popier de 1965 à 1975 et de 1979 à 1982. Une série archéologique composée de plus de 90 000 artefacts lithiques est mise au jour. Le niveau moustérien est considéré comme un palimpseste épais mais l'ensemble lithique reste très homogène (Slimak 1999a et 1999b). En 1983, la construction par EDF du barrage de Villerest entraîne l'immersion du gisement. Le barrage a pour fonction de soutenir les étiages, son niveau est donc variable et les mouvements de l'eau importants et destructeurs. En été, le site est émergé et la couche archéologique mise au jour à certains endroits, ce qui favorise l'érosion et les fouilles sauvages. Le gisement est considéré comme « perdu » (Bailly 1992). Outre les galets concernés par notre étude et non pris en compte lors de l'analyse technologique du reste de l'assemblage (Slimak 2004), l'industrie lithique se compose de près de 16 000 pièces (hors les micro-éclats et les débris) parmi lesquelles 670 nucléus, 6 350 éclats bruts et 4 880 outils dont la majeure partie consiste d'un point de vue typologique, en des racloirs. Les schémas de débitage représentés sont essentiellement de type discoïde et minoritairement de type Levallois ou laminaire. Les éclats sont en général minces et de petites dimensions (de 3 à 5 cm). La retouche est écailleuse et scalariforme. L'aspect charentien de l'industrie est très net; néanmoins, la proportion des amincissements, la présence, même rare, de pointes de Quinson et de racloirs foliacés bifaces rapproche la série de l'ensemble rhodanien (Slimak op.cit.). Le gisement de Champ Grand est implanté à proximité du fleuve sur un versant dominant la Loire au débouché de ses gorges (fig. 1). Le substratum forme un léger replat à 30 m au-dessus du niveau actuel de la Loire. Le « replat » rocheux est toutefois fortement incliné vers le fleuve (orientation est-sud-est). Il est limité à l'est par des escarpements microgranitiques et au sud par un petit vallon, celui de la Caille. Les gorges de la Loire ont été creusées dans des tufs rhyolithiques du Viséen (Carbonifère) qui ont été recoupés ultérieurement par des filons de microgranites formant des barres plus résistantes à l'érosion. Le démantèlement de ces roches a déterminé en partie la nature des dépôts quaternaires (Kervazo 1984). La mise en place des dépôts est aussi liée à la dynamique de versant. Ainsi, les dépôts ont pu largement solifluer et des galets se trouvent naturellement présents sur tout le versant. La séquence sédimentaire atteint près de quatre mètres d'épaisseur. Elle est composée de neuf couches : couche 1 : 20 cm de sédiments remaniés; couche 2 : 50 cm de couche grise; couche 3 : 1,50 m d'épaisseur constitué de 8 niveaux sédimentaires fins; couches 4 à 9 : 1,80 m d'épaisseur composée de trois gros cailloutis (couches 4,6,8) avec des sédiments fins intercalaires (couches 5,7,9); substratum rocheux : tufs rhyolithiques et microgranites. Le gisement est constitué de deux niveaux archéologiques (couches de cailloutis 4 et 6), situés à un et deux mètres de profondeur dans des dépôts de pente argilo-sableux provenant de l'arénisation du socle granitique datée du « Würm II » (Kervazo op.cit.). Les deux niveaux archéologiques se rejoignent pour former un palimpseste épais. Le niveau supérieur n'est pas présent en continu, tandis que le niveau inférieur est présent sur 30 m de longueur. L'industrie lithique en silex et matières premières assimilées du Champ Grand se caractérise par l'emploi d'un petit nombre de matières premières de qualité moyenne. La chaille d'aspect très hétérogène provient d'une dizaine de kilomètres du gisement; la calcédoine est de provenance locale et de qualité médiocre avec des inclusions calcaires. Le quartz, présent sous forme de cassons provient peut-être des alluvions de la Loire. Certaines pièces n'offrent pas de cortex alluvial mais leur origine reste indéterminée. C'est le silex jurassique, présent à une dizaine de kilomètres du gisement, qui est majoritairement utilisé (d'après Slimak 2004). Les galets étudiés sont en roches magmatiques régionales, volcaniques pour les unes, éruptives pour les autres : trachytes, basaltes, granite (tabl.1; fig. 2). Le quartz est, quant à lui, fréquent dans tous les assemblages. Il n'est donc pas surprenant de trouver ces matières premières lithiques dans notre corpus et l'hypothèse selon laquelle ces galets proviennent pour l'essentiel du fleuve, la Loire ou de l'une de ses anciennes terrasses peut être avancée sans danger. Parmi les 871 galets initialement sélectionnés, la proportion de galets apparemment non transformés ou utilisés est importante (n = 199), tout comme celle des galets trop altérés pour permettre d'y lire des intentions anthropiques (n = 394). Leur néocortex d'altération est fréquemment de l'ordre d'un à deux millimètres d'épaisseur. Seuls 278 galets sont finalement décrits précisément ici. La répartition par taille et matière première des galets de notre corpus (tabl. 2 et 3) semble très similaire aux assemblages que nous avons observés sur la terrasse actuelle de la Loire. Les techniques et méthodes employées pour tailler les galets ainsi que les objectifs de production pouvant être communs à différentes matières premières, nous nous sommes concentré sur la reconnaissance de ces techniques et méthodes. Des pièces singulières sont récurrentes dans l'assemblage (n = 39). Elles sont élaborées sur des galets de trachyte de morphologie aplatie, en général de taille petite ou moyenne (cf. tabl.3). Les enlèvements qui transforment la pièce en outil sont périphériques, unifaciaux et très courts. Ils convergent en direction du centre et sont sécants au plan d'intersection des deux faces de ces galets de morphologie aplatie. Les enlèvements sont parfois suffisamment envahissants pour faire disparaître le néocortex sur une face. Le plan de frappe est cortical. L'angle du tranchant ainsi produit est compris entre 45 et 90°. La matière première principalement utilisée est la trachyte; or, cette roche se délite. Cela donne à la retouche un aspect scalariforme. L'expérimentation exercée sur cette matière montre des éclats friables et fragiles qui se fractionnent lors de leur débitage. Les éclats produits ne semblent donc pas recherchés (fig 3 – en annexe). De nombreux galets (n = 120) décrits par les archéologues de Champ Grand comme étant des « choppers doubles bifaces atypiques » (Popier 1976) portent des esquillements ou de véritables négatifs d'enlèvements à leurs extrémités. Le caractère anthropique de certains stigmates n'est pas assuré. Toutefois, nous obtenons expérimentalement ces petits esquillements lorsque nous tenons la pièce en coin sans la percuter avec puissance au percuteur dur sur enclume. Les galets concernés sont majoritairement aplatis et la plupart de ceux -ci sont en trachyte. Ils sont essentiellement de petite et moyenne dimensions (fig. 4 – en annexe). Les enlèvements produits sont de dimensions très réduites (<1,5 cm), très fins et fragiles. Ces pièces (n = 13) se distinguent par l'aménagement d'un tranchant robuste et régulier dont l'angle approche 50°. Les galets utilisés sont de dimensions moyenne à grande. Les enlèvements aménageant le tranchant sont fins et courts, nombreux et disposés régulièrement. Une de ces pièces est en trachyte, de taille moyenne. Les enlèvements sont bifaciaux, distaux et latéraux (fig. 5 – en annexe). Deux modalités d'obtention d'éclats sont reconnus : un débitage centripète par percussion lancée au percuteur dur et dans de rares cas, une percussion récurrente unipolaire au percuteur dur sur enclume. Les galets reconnus comme nucléus sont toutefois peu nombreux (n = 22). Des nucléus en silex et quartz ont bien été identifiés lors de différents travaux comme résultant d'une méthode de débitage discoïde (Slimak 1999 a). La production d'éclats dans d'autres matières premières comme la trachyte semble moins évidente pour des raisons pétrographiques. Néanmoins, certains nucléus en trachyte présentent les mêmes caractères que les nucléus en quartz : les enlèvements sont centripètes, périphériques, unifaciaux, récurrents et les surfaces de débitage et de plan de frappe sont hiérarchisées. Le plan de frappe n'est en général pas préparé ou quelquefois, très sommairement (fig. 6 – en annexe). Sur les nucléus en trachytes cependant, les plans de détachement des éclats sont sécants tandis que sur les nucléus en quartz, ces plans sont parallèles (fig. 7 – en annexe). Les enlèvements sont plus épais sur les nucléus en trachytes que sur le quartz. Rappelons que l'épaisseur est nécessaire à la robustesse d'un éclat de trachyte. Quelques percuteurs sont exploités en nucléus. Des exemplaires, en quartz notamment, portent des traces de percussion qui paraissent antérieures à des traces de débitage d'éclats. Un galet de granite porte des traces de percussion ainsi que quatre négatifs d'enlèvements (fig. 8 – en annexe). La percussion sur enclume a été utilisée ici, permettant notamment « d'ouvrir » le galet. La section obtenue se trouve dans la longueur (fig. 8 - négatif d'enlèvement n° 1). Seules deux pièces semblent avoir été débitées avec cette technique. Les éclats produits sont de morphologies variées. De nombreux galets (n = 83) portent des traces qui ne les affectent pas en profondeur. C'est le cas des traces de percussions et d'incisions diverses. Nous avons relevé près de 40 galets portant des traces de percussion (fig. 8) mais peu de pièces portent des traces indéniables. Les galets susceptibles d'avoir servi de percuteurs sont de morphologie ovée ou discoïde en granite ou quartz. Ils sont parfois marqués par des enlèvements ou sont cassés. Ils peuvent porter toutes sortes de traces : stries, percussions, cassures, négatifs d'enlèvements. Ils sont de dimensions moyennes ou grandes. Des pièces à incisions ont déjà été évoquées par A. Popier (1976) et interprétées comme des retouchoirs. Compte tenu du degré d'altération des pièces, les galets retenus ont subi une sévère sélection : 43 pièces portent des incisions anthropiques évidentes dont l'ancienneté est assurée par des remontages. Il s'agit surtout de galets de trachyte de morphologie aplatie. Au moins deux types d'incisions sont individualisés. Il s'agit d'une part de stries longues, denses, orientées, profondes et larges (fig. 9 – en annexe). Nous pouvons percevoir la pression exercée par un objet saillant (tranchant de silex ?) sur le galet utilisé ainsi comme enclume. D'autre part, des galets portent des stries longues, denses, orientées et fines, perpendiculaires et associées à des incisions très courtes et larges (fig.10 – en annexe). Ces dernières correspondent aux traces caractéristiques d'un retouchoir, comme cela a été observé souvent sur des os et plus rarement sur des galets au Paléolithique moyen (Bourguignon 1997; Lhomme et Normand 1993). Les résultats obtenus à l'issue de l'étude d'une série de galets en matériaux volcaniques et quartz du gisement moustérien de Champ Grand sont essentiellement d'ordre qualitatif par manque de données taphonomiques propres au gisement. En effet, il est aujourd'hui impossible d'établir la part de l'Homme et celle de la Nature dans l'apport et la transformation physique ou chimique d'une grande partie des galets. Les observations réalisées sur le matériel en galets sont rassemblées dans un schéma synthétique (fig. 11 - en annexe). Non seulement ce schéma illustre les limites d'une approche technologique sur ce matériel mais aussi la pluralité des méthodes et techniques employées pour transformer morphologiquement les galets dans des objectifs fonctionnels a priori variés. Les traces apparaissent bien individualisées, puisque rares sont les recoupements des chaînes opératoires de débitage et de confection en outil, par exemple. Deux objectifs principaux guident le ramassage des galets par les artisans : en effet, la confection des pièces à enlèvements périphériques, des pièces à esquillements ou des pièces incisées se fait essentiellement sur des galets de dimensions réduites et de morphologie aplatie. Il se trouve que la trachyte utilisée est la matière première répondant à ces critères morphologiques, la plus abondante actuellement sur les berges de la Loire aux alentours du site. Par ailleurs, la production d'éclats se fait sur des galets de dimensions plus importantes et nécessite une matière première robuste; il n'est donc pas étonnant de voir des nucléus sur galets de quartz, de granite fin non altéré ou de trachyte de grandes dimensions. C'est donc surtout la morphologie du galet (forme et dimensions) qui détermine sa récolte dans le but d'une utilisation précise et parfois sa matière première comme dans le cas du débitage. Bien que les pièces relevant de chaînes opératoires de débitage soient quasi-anecdotiques dans l'ensemble étudié, nous remarquons que les modalités de débitage s'apparentent tout à fait aux modalités mises en œuvre sur d'autres matières premières comme le silex. Enfin, de la diversité des gestes techniques appliqués et de leurs implications morphologiques sur les pièces, nous pouvons supposer une diversité fonctionnelle importante de ces industries sur galets en roches volcaniques et quartz .
Les galets en roches volcaniques et quartz sont présents en quantité remarquable sur le gisement Paléolithique moyen récent de Champ Grand (Saint-Maurice-sur-Loire, Loire). Ils sont souvent très altérés et peu transformés contrairement au reste de l'assemblage lithique. Les informations d'ordre géologique et des prospections aux alentours du gisement montrent qu'ils sont présents naturellement sur le versant. Cependant, une petite partie d'entre eux a indubitablement été sujette à des actions anthropiques. Différents schémas opératoires de transformation peuvent être individualisés, relevant d'action de débitage ou de confection d'outil. Principalement en fonction de leur morphologie, les galets sont choisis et voués à subir des transformations variées pour des objectifs fonctionnels supposés différents. L'étude permet de mettre en évidence la diversité des gestes et des actions en rapport avec ces objets en roches locales.
archeologie_12-0217489_tei_185.xml
termith-91-archeologie
Les burins du Raysse (ou de Bassaler) ont suscité, dans les années 1970, un intérêt particulier de la part de L. Pradel (Pradel, 1953, 1965, 1966a, 1966b, 1971, 1977, Pradel et Pradel, 1966) et de H.-L. Movius et N.-C. David (Movius etDavid, 1970) afin de préciser leur position chronologique et de caractériser leur mode de fabrication. A Pataud, comme au Flageolet I (Rigaud, 1982) et aux Jambes (Célerier 1967), les burins du Raysse semblent liés à une forte diminution des burins de Noailles (Movius et David, 1970). Deux récentes études ont montré, par une approche technologique, qu'une des fonctions très probables de cet « outil », et qui n'avait pas été envisagée par ces précédents auteurs, est celle de nucléus à lamelles (Le Mignot, 2000, Klaric, 1999, 2000, Klaric et al. 2001). Le travail de Laurent Klaric est particulièrement intéressant puisqu'il décrit plusieurs modalités de production lamellaire associées sur un même « nucléus-burin du Raysse ». La première d'entre elles est l'exploitation de la face supérieure d'une lame aménagée par la technique de Kostienki depuis un plan de frappe formé par une troncature inverse (Klaric, 2000). Cette modalité est associée presque systématiquement au débitage sur bord de lame ou « technique de coup de burin » (seconde variante). La troisième, associée également aux deux premières, implique l'extraction des lamelles sur la face inférieure du support (telle que l'on peut l'observer sur les burins du Raysse). Parallèlement à ces études, nous avons fait une observation similaire sur les burins du Raysse de la couche V du Flageolet I (fig. 1) (Lucas, 2000) aboutissant à cette même conclusion. Nous proposons de donner ici les raisons qui ont conduit à cette réflexion sans omettre d'évoquer la possibilité d'une réutilisation de ces burins comme outils (Hays et Lucas, 2000a). (dessins de J.-G. Marcillaud). (drawings by J.-G. Marcillaud). Le matériel étudié provient de l'abri du Flageolet I situé en Dordogne (fig. 2). Le site fut découvert et fouillé par Jean-Philippe Rigaud entre 1967 et 1984. L'archéostratigraphie présente une importante séquence aurignaco-périgordienne s'étalant entre 18 610 ± 440 (Ly 2185) et 33 800 ± 1 800 (OxA 598) (fig. 3). Le niveau étudié, la couche V, est daté à 25 700 ± 700 (OxA 447) (Rigaud, 1993 et Mellars et al., 1987). L'ensemble lithique comprend 6 507 objets (refus de tamisage, soit 3 832 g de matériel lithique, exclus) dont 546 outils (soit 8 %). Parmi le faible nombre de pièces à dos, trois fragments de pointes de la Gravette sont présentes (celles -ci sont fabriquées sur de petits fragments de lame). Les outils caractéristiques du Périgordien V de Peyrony sont peu nombreux : aucune pointe de la Font-Robert, trois éléments tronqués et onze burins de Noailles. En revanche, les burins de toutes sortes, dont les burins du Raysse présents au Flageolet I dans ce niveau (n = 36), sont abondants (Rigaud, 1982, Lucas, 2000). La première évocation du burin plan date de 1903 (Bardon et al., 1903). Dès 1911, M. Bourlon l'intègre dans sa première classification des burins (Bourlon, 1911). Ce n'est que plus tard que ce burin va être reconnu en tant que type particulier par L. Pradel qui le signale à la grotte du Raysse (Pradel, 1953). Il le qualifie de burin d'angle et plan dont il détaille les deux stades de fabrication : réalisation d'un burin d'angle et plan et « découronnement de ce burin (comme ferait un avivage), par un enlèvement partant de l'intersection angle et plan pour se diriger obliquement, un peu vers le bas, sur la face opposée aux enlèvements plans, en mordant un peu plus sur les enlèvements d'angle que sur les enlèvements plans » (Pradel, 1966b, p. 48). Les burins du Raysse sont également décrits sous le nom de burin de Bassaler par D. de Sonneville-Bordes considérant que ces outils, nombreux à la Roque-Saint-Christophe, à l'abri Labatut, à l'abri Laraux, caractérisent le Périgordien supérieur à burins de Noailles (Sonneville-Bordes, 1958) et que J. Couchard et elle -même ont pu mettre en évidence à la grotte de Bassaler (Couchard et Sonneville-Bordes, 1960). Reprenant la définition du burin du Raysse, H.-L. Movius et N.-C. David (1970) décrivent en fait le mode de fabrication qui s'avère plus complexe que ne l'avait décrit L. Pradel. Il peut se résumer comme suit : aménagement d'une troncature retouchée premier coup de burin enlèvement du biseau par une petite retouche tertiaire second coup de burin incliné sur la face ventrale seconde retouche tertiaire troisième coup de burin encore plus incliné sur la face ventrale (Movius et David, 1970). Ils interprètent ce « procédé de fabrication » comme « un témoignage, non pas d'une création d'un type de burin spécialisé et fonctionnellement différent mais, seulement d'une technique de ravivage permettant de tirer l'usage maximum d'un morceau de silex » (Movius et David, 1970, p. 454). Toujours selon ces auteurs, le burin du Raysse est un burin sur troncature retouchée qui a subi une série de ravivages en vue d'obtenir un biseau plus étroit, plus efficace. En dépit de ce qu'a pu écrire J. Sackett à propos des burins du Raysse de Solvieux (Sackett, 1999, p 248 : « …even assuming - as seems reasonnable - that the burin was itself an active tool rather than a nucleus for obtaining a particular form of delicate spall which in turn served some special function. »), nous soutenons, comme L. Klaric, l'hypothèse selon laquelle ces burins sont des nucléus à lamelles et que la méthode de ravivage décrite par H.-L. Movius et N.-C. David représente en fait les phases successives d'un débitage lamellaire, la modification tertiaire tenant le rôle de préparation ou de réaménagement du plan de frappe. D'autres exemples de débitage lamellaire à partir d'un « burin » peuvent être cités (Buisson, 1991, Bosselin et Djindjian, 1994, Zilhao et al., 1997, Aubry et al., 1997, Lucas, 1997). Au Blot (Cerzat, Haute-Loire), D. Buisson évoque la possibilité de burins périgordiens jouant le rôle de nucléus à lamelles (« Une analyse détaillée des techniques de fabrication des pièces à dos a permis de mettre en évidence l'utilisation fréquente des chutes de burin pour leur confection. Cette observation pose le problème de savoir si les burins du Blot n'ont pas joué le rôle de nucléus à lamelles dans un contexte où l'économie de la matière première était, semble -t-il de bonne règle. » (Buisson, 1991, p. 107)); son travail étant préliminaire, il ne fournit pas de précision sur le type de burin concerné. Ce sont ces burins qui ont fait, quelques années plus tard, l'objet de l'étude déjà citée de Laurent Klaric. A l'abri Pataud (Les Eyzies - de-Tayac), la couche 4inf qui contient des burins de Noailles est sous-jacente à la couche 4moy, riche à la fois en burins de Noailles et en burins du Raysse, elle -même sous-jacente à la couche 4sup où seuls les burins du Raysse subsistent. A la suite de H.-L. Movius et N.-C. David (1970), B. Bosselin et F. Djindjian tentent d'expliquer ce remplacement par une évolution technologique visant le même résultat : la production en série de lamelles (Bosselin et Djindjian, 1994); mais aucune analyse technologique n'a été effectuée pour en éclaircir le déroulement. A Buraca Grande (Portugal), T. Aubry et ses collaborateurs (Aubry et al., 1997) décrivent un débitage sur burin à troncature dont les produits sont très caractéristiques. La face supérieure de ces chutes de burin montre, par l'orientation de ses négatifs antérieurs, un débitage unipolaire. En outre, leur profil est rectiligne ou tend à posséder une convexité vers la face supérieure. L'association de ces deux caractères, débitage unipolaire et profil rectiligne, n'est pas concevable sur des nucléus unipolaires plus « classiques » (Zilhao et al., 1997, Aubry et al., 1997). Remarquons que le nucléus de cette chaîne opératoire est un burin d'angle sur troncature tandis que les burins du Raysse sont des burins d'angle et plans sur troncature. L'orientation différente de la surface de débitage explique, nous allons le voir, pourquoi les chutes de burin trouvées au Flageolet I sont moins rectilignes que celles décrites à Buraca Grande. Au Flageolet I, en l'absence provisoire de remontage de chutes de burin sur leur burin, nous avons recherché des arguments permettant le raccord virtuel probable entre chutes de burin et burins du Raysse. Ces arguments peuvent être d'ordre lithologique (comparaison de la matière première utilisée), d'ordre métrique (comparaison des modules des négatifs d'enlèvements sur les burins avec les dimensions des chutes de burin), d'ordre morphologique (latéralisation des burins et de leurs chutes, torsion des chutes de burin) et d'ordre technologique (préparation du bord latéral du burin avant l'enlèvement des premières chutes, présence de la troncature, préparation du plan de frappe avant le coup de burin). Par la suite, nous nous sommes efforcée de montrer que ces lamelles ont été produites pour être retouchées et pour cela, nous avons confronté la population de lamelles brutes à celles des lamelles retouchées. Nous n'avons cependant pas écarté, dans notre étude, la possibilité d'une utilisation du « burin » en tant qu'outil. L'objectif de cette analyse est donc triple : tester l'hypothèse selon laquelle les burins du Raysse seraient des nucléus à lamelles, confirmer qu'une importante population de lamelles caractéristiques a été produite par ces “burins ”, prouver qu'une partie de cette population a été sélectionnée pour la fabrication d'armatures. Le nombre total de burins du Raysse dans la couche V du Flageolet I est de 45 (dont 9 burins multiples mixtes). Le support choisi préférentiellement (54 %) est allongé, relativement rectiligne, une lame non-corticale de préférence (Tabl. 1), de façon à avoir des bords latéraux suffisamment réguliers pour être exploités. La largeur et l'épaisseur du support ne semblent pas déterminants dans le choix de ce dernier car une forte variation a été observée (fig. 4). Certains de ces burins sont fabriqués dans un silex patiné très particulier, appelé « silex blanc porcelainé » (Rigaud, 1982) qui serait d'après A. Morala un silex tertiaire (communication personnelle). Ce silex, dont l'origine reste hypothétique, est exclusivement choisi pour ce type de burin dans les couches V et IV. Il est pratiquement inexistant dans les autres couches. En effet, avec un taux de 33 %, il constitue un des rares exemples de matière première rivalisant avec le silex du Sénonien au Flageolet I (Tabl. 2). Dans tous les cas observés le plan de frappe est une troncature semi-abrupte; les avantages sont nombreux : elle permet d'aménager l'angulation adéquate entre le plan de frappe et la surface de débitage (<90°), elle favorise la saillie de la zone d'impact indispensable pour la précision du coup de burin elle renforce la solidité du plan de frappe (Klaric, 1999). La direction de la retouche de la troncature, en relation directe avec le type de surface de débitage utilisé, est directe dans la quasi-totalité des cas (89 %, 2 % croisée et 2 % indéterminable); en effet, la retouche de la troncature serait inverse si c'était la face supérieure qui était exploitée ceci afin de permettre une angulation optimale entre le plan de frappe et la surface à débiter (Klaric, 1999). En ce qui concerne l'inclinaison de la retouche, celle -ci semble liée à la morphologie même du support choisi comme nucléus : plus le support sera mince plus la retouche sera abrupte et inversement plus le support sera épais plus elle sera développée et ceci afin de maintenir en permanence l'angulation adéquate entre le plan de frappe et la surface de débitage. A l'état d'abandon, nous avons relevé deux délinéations possibles pour la troncature : rectiligne ou convexe en accent circonflexe; elles correspondent à deux stades successifs dans le processus de débitage des lamelles où le point d'impact du percuteur se déplace de gauche à droite (objet vu de la face supérieure) (fig. 1 n° 5). La forme de la troncature va donc traduire l'état d'avancement de la séquence de production sachant qu'une troncature rectiligne correspond au stade 1 et une troncature en forme d'accent circonflexe au stade 2. Au cours du débitage, les enlèvements qui, au début, étaient d'angle deviennent de plus en plus plans; pour ces derniers, le tailleur a besoin de préparer à nouveau le plan de frappe en dégageant une proéminence sur la troncature qui déterminera le point d'impact (cette modalité correspond à la « modification tertiaire » décrite par H.-L. Movius et N.-C. David formant comme une sorte de museau (Demars, 1973)). En plus d'obtenir un point d'impact plus saillant, la modification tertiaire permet également d'aligner la zone de percussion avec l'axe de débitage voulu (Klaric, 1999). La majorité des burins du Raysse présente une troncature de stade 2 (fig. 1); ceci confirme que ce stade représente un état avancé de l'exploitation lamellaire de ce type de nucléus. Sur une lame-support, les possibilités pour initier le débitage sont assez limitées : le tailleur utilise une nervure de la face supérieure ou le bord, retouché ou non, pour faire « filer » la première lame (Klaric, 1999). Seule la seconde possibilité est décrite pour la couche V du Flageolet I. En effet, l'observation d'une petite retouche de préparation sur le bord latéral gauche des burins est possible mais sur seulement quatre d'entre eux car dans la plupart des cas, cette retouche a été emportée par le premier enlèvement de chute de burin. Elle a donc été recherchée et observée sur les premières chutes de burin débitées. Ces dernières portant cette retouche de préparation qui facilite leur détachement peuvent être assimilées aux lames à crête premières du débitage laminaire. Elles semblent surtout corriger la « déviation latérale de la carène » (appelée également « flèche ») liée à la courbure du support (Klaric, op. cit.). Dans son étude des burins du Blot, Laurent Klaric a choisi d'élargir la définition du terme de « débitage plan » initialement introduit par D. de Sonneville-Bordes et J. Perrot (1956) pour désigner un enlèvement oblique ou presque parallèle détaché de la face d'éclatement du support servant de nucléus. Il observe suivant les cas une exploitation simultanée des faces supérieure et inférieure du support (Klaric, 1999). Au Flageolet I, la surface de débitage exploitée est la face inférieure; pour diverses raisons, le tailleur n'a pas jugé nécessaire d'étendre l'exploitation du nucléus à toutes les surfaces offertes par le support (la morphologie des lamelles obtenues sur la face supérieure ou sur la face inférieure n'est certainement pas identique et ne permet sans doute pas la même utilisation). En revanche, le débitage plan sur la face inférieure est toujours associé au débitage d'angle qui permet de commencer la production des lamelles en utilisant l'angle du bord de la lame-support formé par la face d'éclatement et la face supérieure. Nous observons donc sur les burins du Raysse du Flageolet I une rotation progressive de la surface de débitage depuis l'angle formé par le bord du support vers la face inférieure. Les contraintes rencontrées lors de ce type de débitage sont principalement dues à la morphologie de la face inférieure de la lame qui est lisse, plutôt concave (absence de cintre et de carène) mais également parfois convexe (présence du bulbe). Le tailleur va donc, pour guider la lamelle qu'il s'apprête à détacher, utiliser l'arête la plus éloignée du bord de la lame laissée par l'enlèvement précédent. Notons que la rotation progressive de la surface de débitage vers la face inférieure, plane, rend tout de même de plus en plus difficile le détachement des lamelles (Klaric, op. cit.) ce qui explique le petit nombre d'enlèvements lamellaires observables sur chacun des burins (5 à 6). Laurent Klaric remarque également que la concavité de la face d'éclatement empêche l'obtention de longues lamelles tandis que celles obtenues sur la face supérieure ne subissant pas cette contrainte sont en général plus allongées; ceci confirme que, suivant les faces exploitées de la lame-support, les lamelles ont des morphologies différentes. Il faut également remarquer que le plan de frappe (c'est-à-dire la troncature) est très nettement latéralisé : nous constatons que 91 % des burins présentent des enlèvements à gauche opposés à la troncature qui est à droite (objet vu de la face supérieure) (8 % à droite et 1 % indéterminés). Un tailleur droitier sera plus à l'aise pour débiter les lamelles sur la face inférieure en tenant la lame-support du nucléus, la face inférieure vers lui et en appliquant le coup de percuteur à l'intersection de la troncature et du bord latéral gauche (bord droit si on considère la lame au moment du débitage). La moitié des pièces observées est cassée; parmi ces fragments de burin, la plupart présente un dernier enlèvement réfléchi. Il nous paraît possible que cette cassure ait pu être voulue par le tailleur qui aurait pu ainsi remettre en forme un plan de frappe par une troncature sur la surface de cassure et reprendre le débitage d'une autre série de lamelles. Cette hypothèse est confirmée par la faible dimension des burins du Raysse entiers présentant un accident de débitage (en général un réfléchissement) : trop courts pour être cassés et remis en forme, ils ont été soit abandonnés tels quels soit exploités sur l'autre extrémité du support lorsque cela était possible (la présence d'un bulbe ou d'ondulations sur la face inférieure rendent la surface de débitage souvent trop convexe ou irrégulière pour être exploitée). A côté de ces burins cassés volontairement, nous avons également observé des fragments de burins ne présentant aucun accident de débitage; ces fragments sont en général plus courts et nous leur attribuons plus naturellement une cause accidentelle. Il semble à présent très probable que les burins du Raysse soient des nucléus; il nous a donc paru indispensable, afin d'avoir une vision plus juste de leur place dans l'équipement technique des préhistoriques, de soumettre ces objets à une analyse tracéologique. Celle -ci fut confiée à Maureen A. Hays qui, en raison de la surface très patinée, n'a malheureusement pu étudier que dix pièces sur 45. Les résultats de ces observations ne sont donc qu'indicatifs en attendant que des analyses soient appliquées à un échantillon plus important prélevé dans une série moins patinée. Sur ces dix objets, sept ne portent aucun micropoli, un est trop patiné pour être observable, un présente sur le biseau des traces associées à la production des lamelles (abrasion du plan de frappe) et le dernier présente des traces d'utilisation indéterminées localisées sur le bord de la lame-support (Hays, communication personnelle). Les 1 156 chutes de burin de la couche V, prélevées sur la totalité du matériel (refus de tamis inclus), ont été triées en partant du principe que les burins étudiés étant latéralisés à gauche, les chutes de burin devaient l' être également. Nous avons donc séparé de la population de chutes de burin totale les chutes de burin « latéralisées à gauche » mais pour latéraliser une chute de burin, il faut l'orienter; or, l'état de fragmentation et les faibles dimensions de ces objets rendent l'observation difficile et nous avons dû établir un certain nombre de critères diagnostiques. Avant d'orienter latéralement une chute de burin (c'est-à-dire de déterminer si elle a été débitée à droite ou à gauche) il est nécessaire de l'orienter verticalement (c'est-à-dire de distinguer le haut du bas par rapport au sens de débitage). Cette diagnose est donc composée de deux étapes qui sont indissociables (figure 5 où les chutes de burin ont volontairement été orientées suivant le sens de débitage) : en effet, il est tout d'abord nécessaire d'observer sur le fragment étudié au moins un des critères servant à l'orientation verticale de la chute de burin puis un autre des critères définis pour l'orientation latérale. Prenons par exemple la présence du bulbe de percussion caractéristique d'un fragment proximal; la présence de la portion de la face inférieure du support observable sur une face supérieure de chute de burin. Remarquons que le bord de la lame-support est souvent retouchée : c'est un angle aigü qui ne peut pas être confondu avec celui, plus obtus, des négatifs d'enlèvements de chutes de burin détachées antérieurement. Pour préciser le sens de débitage, toujours unipolaire, les ondulations et les lancettes des négatifs antérieurs de chutes de burin sont également à considérer. Nous avons remarqué que les fragments mésiaux sont très difficiles à latéraliser car les lancettes et les ondulations y sont moins visibles que sur les fragments distaux. (d'après des dessins de J.-G. Marcillaud) (after drawings by J.-G. Marcillaud) Les résultats du tri sont les suivants : 250 chutes de burin latéralisées à droite (21 %), 557 à gauche (49 %), 349 sont indéterminables (30 %). La population totale de 1 156 chutes de burin regroupe donc, en plus des lamelles issues des burins du Raysse, des lamelles venant d'autres types de burins, très nombreux dans ce niveau. Tous les burins du Raysse étant latéralisés à gauche (voir supra : débitage des lamelles), la population de lamelles étudiée sera donc constituée des 557 chutes de burin latéralisées à gauche elles aussi. Différents critères d'ordre morphométrique, technologique ou lithologique permettent de confirmer que les burins du Raysse sont à l'origine de la production de la grande quantité de lamelles recueillies dans la couche V du Flageolet I. Les burins du Raysse ne sont pas les seuls burins présents dans l'ensemble lithique étudié : c'est pourquoi, afin de confirmer que seuls ces « burins » très particuliers sont à l'origine d'une production systématique de lamelles, il est nécessaire de mener une étude comparative des dimensions des derniers négatifs d'enlèvement des burins du Raysse et des burins d'axe et d'angle sur troncature retouchée. Nous avons choisi ces deux types de burins pour deux raisons : ils sont, avec les burins du Raysse, relativement nombreux dans la couche étudiée (pour les burins d'axe sur troncature retouchée, n = 48 et les burins d'angle sur troncature retouchée, n = 38); étant, comme les burins du Raysse, des burins sur troncature, ils ont produit des chutes de burin également susceptibles de présenter une portion de cette troncature au niveau de leur talon. Les négatifs d'enlèvements lamellaires lus sur les biseaux des burins d'axe ou d'angle sur troncature retouchée apparaissent plus larges (largeur maximale 1,6 cm) et plus longs (longueur maximale 7 cm) que les négatifs lus sur les burins du Raysse (largeur maximale 1,1 cm et longueur maximale 3,5 cm) (fig. 6). Ceci constitue un premier argument pour penser que seul un de ces deux types de burins est à l'origine de la production lamellaire étudiée ici. Les résultats montrent que les négatifs issus des burins sur troncature « classiques » (burins d'axe et d'angle sur troncature retouchée) s'avèrent être plus longs et plus larges (2,36 cm de longueur moyenne et 0,64 cm de largeur moyenne) que ceux des burins du Raysse (2,08 cm de longueur moyenne et 0,59 cm de largeur moyenne) (fig. 6). En outre, les négatifs des burins d'axe et d'angle sur troncature retouchée ne présentent pas la régularité et l'homogénéité dimensionnelle caractéristiques d'une production de supports en série; ceci est certainement lié au fait que les supports de ces burins n'ont pas fait l'objet d'une sélection rigoureuse (utilisation de lames et d'éclats corticaux, ou non, aux dimensions et morphologies diverses). De plus, les burins d'axe et d'angle sur troncature ne présentent pas de troncature franchement latéralisée (57 % à droite et 43 % à gauche) contrairement aux burins du Raysse (91 % de cas où la troncature est à droite, 8 % à gauche et 1 % indéterminée). Nous pensons donc que les burins du Raysse sont probablement à l'origine de la production lamellaire décrite ici. Les négatifs d'enlèvements lamellaires lus sur les biseaux des burins du Raysse présentent en effet des valeurs minimales réduites (1 cm de long et 0,3 de large (fig. 6)); leur longueur moyenne est de 2,08 cm et leur largeur moyenne de 0,59 cm. La longueur moyenne des lamelles est de 2,89 cm et leur largeur moyenne de 0,59 cm. La comparaison des deux nuages de points (fig. 7) permet de constater que la répartition des modules des négatifs d'enlèvements de chutes de burin correspond à celle des modules des chutes de burin non-retouchées entières. Les moyennes des négatifs sont plus faibles car ce sont les derniers négatifs produits sur la surface de débitage. En effet, les premières chutes de burin sont souvent plus longues parce que d'une part, le burin est plus long et d'autre part, elles filent mieux et plus loin le long du bord préparé. (extrait de Lucas, 2000) (extracted from Lucas, 2000) (extrait de Lucas, 2000) (extracted from Lucas, 2000) Parmi cette population de chutes de burin latéralisées à gauche, 27 % d'entre elles sont en silex blanc porcelainé; ce taux est proche de celui des burin du Raysse taillés dans ce même matériau (33 %) par rapport à l'ensemble de l'outillage (Tabl. 3). Si l'on ne considère que la population de chutes de burin latéralisées à droite, seulement 3 % d'entre elles sont en silex blanc porcelainé ce qui confirme également, mais indirectement, l'étroite relation entre cette matière première et les burins du Raysse. Un certain nombre de ces chutes de burin présente, au niveau du talon, une portion de la troncature du burin qui a été enlevée lors du coup de burin (40 % des lamelles entières et des fragments proximaux). La quasi-totalité des lamelles (90 %) sur lesquelles subsiste un reste de troncature est torse. Cette torsion, différente de celle présentée par les lamelles Dufour, est induite par la troncature qui forme un angle avec le bord latéral gauche de la chute de burin (fig. 8 n° 3). Le bord gauche de la lamelle se relève vers la face supérieure au niveau de cet angle. Parmi ces chutes de burin présentant une portion de troncature, 43 % sont en silex blanc porcelainé. Ce taux, plus fort que celui des chutes de burin simplement latéralisées à gauche (27 %), montre que la présence de la troncature caractérise bien les chutes issues des burins du Raysse. Toutes les chutes de burin ne sont pas torses car seules celles qui sont entières ou proximales ont pu conserver la portion de troncature. C'est pourquoi les fragments mésiaux ou distaux sont rarement torses. (dessins de J.-G. Marcillaud). (drawings by J.-G. Marcillaud). Quant à la retouche de préparation sur le bord latéral gauche, 33 % des lamelles en présentent des traces : il s'agit des premières lamelles débitées, les suivantes ont suivi les nervures-guides des enlèvements précédents. Les chutes de burin retouchées ont toutes été inventoriées sous le nom de lamelles à fine retouche directe ou inverse sur un bord (L. Klaric a proposé de les appeler lamelles de La Picardie (Klaric et al., 2001)). Ces dernières, qui présentent une retouche directe ou inverse, sont au nombre de 46 (fig. 9). Mais toutes les lamelles à fine retouche directe ou inverse sur un bord ne sont pas nécessairement des chutes de burin retouchées (Tabl. 4). D'après les critères évoqués précédemment pour déterminer ces supports, seulement 60 % d'entre elles le sont. Un certain nombre d'arguments permet d'affirmer que les lamelles produites par les burins du Raysse ont été sélectionnées pour être retouchées et probablement utilisées. Seules quatre d'entre elles sont entières; elles ont une longueur moyenne de 2,2 cm. La largeur moyenne de ces lamelles retouchées est de 0,53 cm. Ces dimensions se situent dans le domaine de variation des négatifs d'enlèvements des burins et des chutes de burin non-retouchées (fig. 6 et 7). La totalité de ces chutes de burin est latéralisée à gauche. Le taux de silex blanc porcelainé est de 25 % (Tabl. 5). Une portion de troncature est présente sur 50 % des fragments proximaux et des lamelles entières. Il est important de remarquer qu'on ne peut pas effectuer de comparaison directe entre les lamelles finement retouchées et la population de chutes de burin latéralisées à gauche car cette dernière ne regroupe pas seulement des chutes de burin issues des burins du Raysse (les autres burins sur troncature ont également pu produire des chutes de burin latéralisées à gauche sans qu'il s'agisse pour autant d'une production systématique). Il est cependant possible d'évaluer le nombre de chutes de burin issues des burins du Raysse en se référant au nombre de lamelles torses (Tabl. 6 : 60 % soit environ 330 chutes de burin torses) et de calculer le nombre de chutes de burin minimal (car toutes les lamelles produites ne sont pas forcément torses) produites par biseau qui est d'environ 5 à 6 lamelles (n = 330 chutes de burin/56 biseaux), soit 10 à 12 chutes par burin double (4). Il s'agit d'un nombre minimum évalué uniquement d'après la quantité de lamelles torses; sachant que ces lamelles n'étaient pas exactement les lamelles recherchées, la quantité de lamelles totales était certainement bien plus élevée (5). De plus, étant donnée la longueur moyenne des lames-supports retrouvées (4,5 cm), ces nucléus à lamelles ont, nous avons vu, très probablement subi des réavivages successifs dont l'importance est difficile à évaluer. Un certain nombre de lamelles produites par les burins du Raysse ont été sélectionnées pour être retouchées. Si ce fait semble établi, deux problèmes subsistent : seul un petit nombre de lamelles a été retouché (26), des lamelles torses ont été produites mais ne semblent pas avoir été par la suite sélectionnées. Le petit nombre de chutes de burin retouchées pourrait s'expliquer par une utilisation particulière s'effectuant hors du site, à la suite de laquelle seule une petite fraction d'entre elles sont ramenées, souvent fragmentées (seulement 9 % sont entières), par le biais de processus divers (par exemple enfouies dans la carcasse de l'animal ou enchassées sur un fût dans le cas d'une utilisation comme élément de pointe de projectile). Il s'agit toutefois d'hypothèses qui doivent être vérifiées. Il est également possible que les lamelles aient été utilisées non-retouchées. La retouche des lamelles a pour but souvent de modifier la morphologie (voir les lamelles Dufour aurignaciennes (Bon 2000)) et si la modification n'est pas nécessaire, la retouche est absente; dans ce cas seules les analyses tracéologiques peuvent apporter des éléments de réponse. Les résultats de l'analyse des lamelles retouchées montrent que ces dernières ne sont pas préférentiellement torses (une portion de troncature est présente sur seulement 50 % des fragments proximaux et des lamelles entières); contrairement aux lamelles Dufour, cette caractéristique ne semble pas avoir été spécialement recherchée. Dans ce cas, cette morphologie particulière n'a probablement joué aucun rôle pour le choix du type d'emmanchement. Le critère de sélection de ces lamelles est peut-être davantage d'ordre dimensionnel que morphologique. En revanche, dans le cas où toutes les lamelles utilisées ne sont pas retouchées, il est difficile d'avoir une idée précise de la morphologie des lamelles recherchées. D'une façon plus générale ces données nouvelles concernant le rôle des burins du Raysse permettent de constater que la production lamellaire au Gravettien présente une grande variabilité. Un certain nombre d'objets considérés jusqu' à présent comme des outils sont en fait des nucléus à lamelles. Au Flageolet I, nous n'avons pu mettre cela en évidence que pour un type de burin bien particulier, mais il semble que dans d'autres gisements (le Blot par exemple (Klaric, 1999)), d'autres types de burin soient également concernés par ces considérations fonctionnelles. Cela nous conduit à soulever le problème d'équifinalité rencontré fréquemment au cours de l'étude des objets lithiques du Paléolithique : en l'absence d'étude technofonctionnelle, il est difficile d'attribuer une fonction d'outil ou de nucléus à tel ou tel objet (exemple des pièces carénées (Hays et Lucas, 2000a), ou des pièces esquillées (Hays et Lucas, 2000b, Lucas et Hays, 2000)). C'est pourquoi il nous semble essentiel de combiner les études technologiques pour démontrer la fonction éventuelle de nucléus et les analyses tracéologiques pour vérifier la fonction d'outil. Il est également important de remarquer que des résultats positifs dans ces deux domaines mettent en évidence un processus de recyclage intéressant d'un point de vue économique (Hays et Lucas, 2000a) .
Comme pour un certain nombre d'outils en silex du Paléolithique supérieur (pièces carénées, pièces esquillées) la possibilité de la fonction de nucléus pour les burins du Raysse n'a été soulevée que tardivement. Par l'étude technologique des burins du Raysse de la couche V du Flageolet I, cet article a pour objectif de contribuer à la clarification de cette question, importante en termes d'interprétation fonctionnelle de l'assemblage.
archeologie_525-04-10200_tei_282.xml
termith-92-archeologie
Le site peu connu de l‘abri de La Rochette (vallée de la Vézère) a été désigné comme “ruine archéologique” (Delporte 1962, p. 1). Les fouilles de O. Hauser en 1910 et surtout celles de H. Delporte en 1961 et 1962 ont permis de relever une séquence stratigraphique importante. Pendant les travaux de O. Hauser (Hauser 1911), la plupart des couches archéologiques ont été fouillées (abri principal, secteur B). Les fouilles de H. Delporte avaient lieu dans le secteur A, une carrière du XIX ème siècle, à l'est de l'abri principal et à l'ouest au secteur C (Delporte 1962, fig. 1). Si les fouilles de O. Hauser n'ont fourni qu'une séquence stratigraphique simplifiée et peu juste, les recherches de H. Delporte ont, heureusement, livré des résultats beaucoup plus précis et détaillés. La stratigraphie de La Rochette d'après H. Delporte (1962) est la suivante : Gravettien (Périgordien supérieur, Faciès Noailles) - couche 2 (secteur A), Aurignacien – couches 3, 4, 5, Châtelperronien – couche 6, Moustérien terminal – couche 7, Moustérien tradition acheuléenne – couches 8-9, Moustérien type charentien – couche 10. Lors des fouilles, en 1910, des restes humains ont été découverts approximativement au milieu des niveaux aurignaciens 3 à 5. Près de ces vestiges ont été également trouvés plusieurs dents de chevaux, percées, qui, selon O. Hauser, pourraient correspondre à d'éventuels bijoux portés au niveau des mains (Hauser 1927). Les fossiles humains sont représentés par des fragments d'un humérus droit et gauche, d'une ulna et d'un radius droit, d'un fémur droit presque complet ainsi qu'un autre fragment du côté gauche. A cela s'ajoutent onze dents, qui peuvent être attribuées à trois individus d' âges différents. Il s'agit d'un adulte, d'un adolescent et d'un enfant. L'analyse anthropologique a été publiée par H. Klaatsch et W. Lustig (1914) ainsi qu'une analyse odontologique par F. W. Elsner (1914). Actuellement, les vestiges de La Rochette sont inventoriés comme La Rochette 1 et 2 (os long) et La Rochette 3 et 5 (dents) dans le “Catalogue of Fossil Hominids” (Oakley et al. 1971, 172). Mais, à cause de doutes importants concernant les méthodes de travail de O. Hauser, la position chronologique des vestiges humains de La Rochette a été sérieusement mise en doute (May 1986, p. 55; Binant 1991, p. 102). Cette opinion a été confortée par une datation (14 C SMA) obtenue récemment sur des vestiges humains du même site faisant partie des collections du Musée National de Préhistoire aux Eyzies de Tayac. Elle donne un âge de 1.610 ± 80 B.P. (GifA-95455) et ainsi un âge calibré de 253 à 612 A.D. (Gambier et al., 2000). Etant donné que les vestiges de La Rochette 1 à 5 sont considérés comme disparus (“ whereabouts unknown ”) (Oakley et al. 1971, p. 172), un ré-examen de ces derniers n'avait pu avoir lieu. Depuis, ces fossiles ont été retrouvés dans la collection ostéologique de l´Université de Tübingen (Allemagne). Ils sont inventoriés sous le numéro 7074. Nous avons donc décidé de réaliser de nouvelles datations absolues sur ces derniers. Une première date, par la méthode 14 C SMA, a été obtenue sur un fragment d'ulna droite. La datation donne un âge de 23.630 ± 130 B.P. (OxA-11053). Ainsi ce vestige de La Rochette remonterait au Gravettien supérieur. En fonction de ce résultat et de celui obtenu précédemment (Gambier et al., 2000), il nous semble donc important qu'une nouvelle recherche exhaustive, impliquant toutes les personnes qui travaillent sur ces fossiles, soit entreprise sur la totalité des restes humains de La Rochette (ainsi que sur la parure censée provenir du même niveau). Naturellement, ce travail doit s'accompagner d'une analyse aussi précise que possible des archives disponibles sur ce gisement .
Les vestiges humains découverts par O. Hauser lors de ses fouilles en 1910 du site de La Rochette ont été attribués par ce dernier à l'Aurignacien. Il a été possible de faire une attribution chronologique exacte d'une de ces pièces (datation absolue SMA), présente dans les collections de l'Université de Tübingen en Allemagne. Elle est maintenant rapportée au Gravettien supérieur.
archeologie_525-04-10221_tei_279.xml
termith-93-archeologie
• Projet de recherche de C. San Juan-Foucher - Les industries gravettiennes et solutréennes sur matière dure animale dans les gisements pyrénéens. Stratégies d'acquisition des supports et caractéristiques techno-typologiques des objets façonnés. Ce travail s'inscrit dans une dynamique de recherche développée au cours de ces dernières années par les préhistoriens des deux versants des Pyrénées sur les questions de mobilité et d'exploitation des ressources naturelles par les groupes de chasseurs-cueilleurs paléolithiques. Si l'analyse sur la circulation des matières premières lithiques est actuellement en plein essor, les hypothèses de travail dégagées par ces études demandent à être confirmées par des approches complémentaires réalisées sur d'autres données du registre documentaire paléolithique. Nous nous proposons d'analyser et de comparer les caractéristiques techno-typologiques des objets façonnés et le mode d'acquisition des supports sur matière dure animale (os, ivoire, bois de Cervidé) dans des gisements-clés du complexe Gravettien-Solutréen des Pyrénées (28 000 – 17 000 BP). Nous avons sélectionné une dizaine de séries à étudier que nous avons considérées comme suffisamment complètes pour être représentatives du dépôt contenu dans le site de provenance ou parce que la variabilité et/ou l'originalité des objets conservés dans la collection peuvent apporter de nouvelles perspectives de recherche. Ces séries, dispersées dans de nombreuses collections publiques et privées, proviennent de sept sites des Pyrénées centrales ou de leur arrière-pays : La Tuto de Camalhot (Saint-Jean-de-Verges, Ariège), la grotte de Gargas (Aventignan, Hautes-Pyrénées), l'abri de Tarté (Cassagne, Haute-Garonne), l'abri et la grotte des Battuts (Penne, Tarn), la grotte d'Enlène-secteur EDG (Montesquieu-Avantès, Ariège), l'abri des Harpons (Lespugue, Haute-Garonne), et la grotte des Rideaux (Lespugue, Haute-Garonne). Le but de cette recherche est d'essayer de déterminer s'il existe des techniques de travail et des modes d'exploitation des ressources spécifiques pour chaque ensemble culturel ou s'il s'agit de comportements induits par le type et la fonction de l'occupation du site, ainsi que par la variabilité des environnements naturels respectifs. • Projet de recherche de C. Vercoutère – Utilisation de l'animal comme ressource de matières premières non alimentaires : industries osseuses, parures, et art mobilier (exemple de l'abri Pataud, Dordogne). Nous avons constaté que les études des industries osseuses paléolithiques se calquent souvent sur celles des industries lithiques, établissant des catégories typologiques et menant des études technologiques. Des différences fondamentales existent pourtant entre les matières dures animales et les matières minérales; notamment du point de vue de leur disponibilité et de leurs modes d'acquisition. Ayant une formation d'Archéozoologue, il nous a semblé pertinent d'appréhender l'examen de l'industrie osseuse paléolithique selon une approche centrée sur l'animal, ressource de matières premières non-alimentaires. C'est dans cette perspective que nous avons choisi d'étudier le matériel (industrie osseuse et parure) de l'abri Pataud (Dordogne, France). Le choix de ce site n'est pas anodin. En effet, le gisement présente, en continuité stratigraphique, des niveaux archéologiques allant de l'Aurignacien ancien au Solutréen. Il s'agit donc d'une référence pour le début du Paléolithique supérieur en Europe occidentale. Notre but est de retracer les chaînes opératoires, tant aurignaciennes que gravettiennes, qui mènent de l'acquisition de l'animal à l'objet fini en os, bois de Cervidé, ou ivoire. Nous espérons ainsi établir des modèles de comportement des Hommes préhistoriques de Pataud vis-à-vis de ces différents matériaux. Modèles que nous souhaitons par la suite tester sur le plan chronologique et géographique en comparant les résultats obtenus à Pataud avec ceux publiés pour des sites voisins contemporains, mais aussi des sites d'Europe Centrale. Ceci afin de mieux appréhender les variabilités régionales et les éléments caractéristiques intrinsèques des deux grandes cultures du début du Paléolithique supérieur que sont l'Aurignacien et le Gravettien. • Le PCR et l'approche pluridisciplinaire Le Projet Collectif de Recherche sur Le complexe Gravettien-Solutréen dans les Pyrénées : cadre chronoculturel et stratégies d'exploitation des ressources naturelles est né en 2003, à partir des contacts établis entre une douzaine de chercheurs, de statuts, de spécialités et de rattachements différents (Université, CNRS, Culture), intéressés par des questions de mobilité et d'acquisition de matières premières. Comme il a été mis en évidence lors du colloque CTHS-2001 de Toulouse, Terres et hommes du Sud : territoires, déplacements, mobilité, échanges, la dynamique de recherche régionale axée sur les matières siliceuses relance une problématique à laquelle on ne peut pas répondre sans croiser plusieurs approches complémentaires. L'occasion s'est présentée à la suite d'une opération de prospection thématique menée depuis 1997 sur les sites du complexe Gravettien-Solutréen des Pyrénées (Foucher & San Juan 2002), qui a permis le repérage et l'étude préalable d'un fonds documentaire important, souvent inédit ou sommairement exploité. Le PCR a comme premier but l'étude pluridisciplinaire de plusieurs collections et la publication des résultats au fur et à mesure de l'avancement des travaux, mais sans perdre de vue une problématique et un objectif commun : la réalisation d'une synthèse régionale assise sur un cadre chronologique réactualisé. Plusieurs publications sont déjà en cours de préparation, ainsi que des travaux de maîtrise et de doctorat, en même temps qu'un programme de nouvelles datations 14 C (AMS). Les « sagaies d'Isturitz » sont jusqu' à présent les seuls éléments d'industrie osseuse reconnus comme caractéristiques du Gravettien dans le Sud-Ouest de la France. Objets généralement rares dans les gisements, il n'y a que les séries des niveaux gravettiens de la grotte d'Isturitz (site éponyme pour le type) et de l'abri Pataud qui présentent un nombre significatif de pièces pour servir de référence. La découverte d'une petite série au cours de la révision de l'outillage osseux de Gargas, morphologiquement très proche de l'ensemble d'Isturitz, nous a incité à tenter une étude comparative afin de déterminer des points communs et des divergences entre les ensembles de Pataud et de Gargas, dans la limite des conditions de conservation des deux collections, dont l'une est issue de très anciennes fouilles. Il est certain que si nous nous trouvions dans le contexte d'abondance de l'industrie osseuse magdalénienne, cette comparaison aurait pu paraître incongrue, et d'ailleurs elle trouve des limites au niveau de l'analyse morphométrique, mais la rareté de ce type de sagaies fait de la modeste série de Gargas la cinquième dans le « ranking » du Gravettien de l'Europe occidentale. L'étude trouve son intérêt principal dans le cadre des recherches sur les caractéristiques techno-typologiques et l'acquisition des matières premières des séries provenant de sites gravettiens et solutréens des Pyrénées, dans lesquelles nous essayons d'établir s'il y a des modalités d'acquisition et des techniques de travail proprement « pyrénéennes » ou s'il s'agit de marqueurs culturels extra-territoriaux. L'intérêt de cet exercice se voit renforcé par les nouvelles perspectives ouvertes à partir des études sur l'origine des matières premières siliceuses utilisées pour l'élaboration de l'outillage lithique gravettien de Gargas (Foucher 2004). Les matières allochtones proviennent en bonne partie (17,8 % des outils) des gîtes de Chalosse (Landes), ce qui nous rapproche d'Isturitz, mais un pourcentage significatif (7,4 %) est représenté par les silex qui viennent du Périgord, et ceci pose quelques interrogations vis-à-vis des relations entre les groupes gravettiens des Pyrénées et de la Dordogne ainsi que sur leur mobilité territoriale. Certains types d'outillage ou d'armatures osseuses trouvent leur nom et leur définition de façon tout à fait spontanée, presque dès leur première mention dans une publication et ils sont généralement admis et utilisés par la suite. C'est souvent le cas des dénominations descriptives qui se réfèrent à la forme de l'objet ou à un élément caractéristique (exemple : la sagaie à base fendue, le harpon à un ou deux rangs de barbelures…). L'histoire de la sagaie d'Isturitz, résumée très brièvement dans la fiche n° 8 du Cahier I de la Commission de l'Os (Sonneville-Bordes 1988), a été beaucoup plus mouvementée et reflète bien la part des tâtonnements, des intuitions avisées et de la valeur du travail méthodique qui participent à la construction de la recherche préhistorique. Elle met aussi en scène de façon exemplaire l'un des « pêchés » le plus largement partagé de notre discipline : nous ne lisons pas suffisamment les travaux des collègues (un oubli arrive fatalement à tout un chacun et nous prenons volontiers la part de faute collective qui nous revient). Les raisons pour lesquelles les études (et les magnifiques dessins !) de R. et S. de Saint-Périer (1949, 1952) sur les sagaies d'Isturitz sont restées oubliées, « invisibles » pendant trente ans aux yeux d'auteurs de la renommée de H. Breuil et A. Cheynier (1958), H. Delporte (1968), D. Sonneville-Bordes (1971) et Momméjean et al. (1964), alors qu'elles avaient paru dans des publications aussi prestigieuses et diffusées que l'Anthropologie et Les Archives de l'Institut de Paléontologie Humaine, demeureront toujours mystérieuses. Avec un peu d'humour, non dépourvu de mauvaise foi, nous pourrions nous faire écho d'une vieille doléance des préhistoriens locaux qui voulait que « ces gens de Paris et de Bordeaux qui font la Préhistoire » avaient toujours oublié les Pyrénées. Quoi qu'il en soit, après une première période où ce type de pièces souffre du statut incertain des objets isolés, décrit avec plus ou moins de pertinence par les auteurs des découvertes comme « poignard, arme simple mais forte et dangereuse, alors que l'os était frais » (Féaux 1878), comme « lissoir » (Thomson 1939), ou comme « prototype de harpon, premier essai, encore malhabile » (Ragout 1940), R. de Saint-Périer (1949) fait le point sur cette question à partir de l'important corpus trouvé dans les niveaux gravettiens (« Aurignacien supérieur à pointes de la Gravette et burins de Noailles ») d'Isturitz. Une bonne centaine de pièces provenant de ses propres fouilles, plus une trentaine issue des fouilles Passemard qu'il a découvertes, inédites, dans la collection du Musée de Saint-Germain-en-Laye, lui fournissent une série suffisamment complète pour définir un type caractéristique et ses variantes (avec ou sans encoches, biseau…). Nous reprenons littéralement sa description : « Les pièces que nous allons examiner se présentent sous deux aspects. Les unes, les plus nombreuses, /…/, sont de puissantes baguettes en bois de Cervidé, soigneusement polies sur la face supérieure, à section presque en demi-cercle ou en ellipse, dont l'une des extrémités est une pointe épaisse et striée assez régulièrement sur 2 à 4 cm de hauteur; quelques unes portent en outre un biseau latéral, ou à droite ou à gauche. L'autre extrémité, sur nos exemplaires entiers, est ovale, assez plate et ne présente pas de stries. Un certain nombre de pièces semblables, dont une seule est à peu près complète, ont été encochées latéralement à leur extrémité striée, tantôt sur un bord, tantôt sur l'autre, mais jamais sur les deux; ces encoches sont en nombre variable et de profondeur également variable. L'une de ces pièces porte aussi un biseau latéral. Sur toutes, les stries plus ou moins régulières, ne traversent pas l'encoche, qui a donc été creusée après la striation. Il faut remarquer que les reliefs qui séparent les encoches sont pour la plupart usés, adoucis comme par un long frottement, au point que sur l'une des baguettes, qui représente la forme extrême, ces reliefs sont transformés en boutons hémisphériques et polis » (Saint-Périer 1949, p. 69). Il aborde également la question de la fonction de ces objets (outil, arme ?) que nous développerons à la fin de l'analyse comparative. Le texte de cet article sera repris presque littéralement dans la monographie consacrée aux niveaux solutréens, aurignaciens et moustériens d'Isturitz (R. et S. de Saint-Périer 1952), complété par quelques éléments de comparaison localisés dans les collections ou les publications des sites de Téoulé (Haute-Garonne, fouilles Thomson), Gargas (Hautes-Pyrénées, fouilles Garrigou) et Labattut (Dordogne, coll. Vésignié). S. de Saint-Périer (1965), dans un article synthétique sur le Paléolithique supérieur d'Isturitz, rappellera la stratigraphie complexe du site et les éléments caractéristiques du matériel lithique et osseux, parmi lesquels « une sagai (sic) puissante, à base en pointe, striée, parfois encochée, paraît être la sagai d'Isturitz » (p. 323). Le type est donc non seulement défini mais aussi nommé. Les publications de nouvelles recherches dans les années 1950-1960 sur des sites à niveaux gravettiens présentant ce type de pièces ne feront pas mention des travaux des Saint-Périer, à l'exception de la thèse de N. David, sur le « Périgordien V », soutenue à l'Université de Harvard en 1966, mais qui restera longtemps inédite. En 1971, D. de Sonneville-Bordes propose de considérer ces « pointes en bois de Renne, à section ovalaire faiblement dissymétrique, portant sur la partie appointée de légères incisions transversales, discontinues, de longueur irrégulière, parallèles entre elles », comme « un fossile directeur osseux du Périgordien à burins de Noailles ». Les seuls éléments de référence mentionnés dans la publication sont trois pièces : un fragment, en bois de Renne, de la couche 2 du Roc-de-Combe (Lot) (Bordes, Labrot 1967), un exemplaire complet, sur côte, du niveau Périgordien supérieur à burins de Noailles du Roc-de-Gavaudun (Lot-et-Garonne) (Momméjean et al. 1964) et celui, déjà mentionné, de l'abri du Facteur (Delporte 1968). Point de mention des pièces pyrénéennes ni de la synthèse des Saint-Périer. En revanche, un an plus tard, D. de Sonneville-Bordes fait une amende plus qu'honorable en publiant successivement deux notes (1972a, b) qui reprennent toutes les études antérieures, ainsi que la thèse de N. David, toujours pas éditée mais qui circulait dans sa version dactylographiée (1966). Entre temps, un article de J.-F. Alaux (1971) faisait connaître de nouveaux exemples provenant de l'abri des Battuts (Tarn) et, pour finir la succession de nouvelles contributions, H. L. Movius Jr (1973) publie la très belle série de la couche 4 de l'abri Pataud et fournit quelques informations complémentaires. Cet apport de données récentes entraîna une salutaire discussion sur l'orientation des pièces (partie proximale/partie distale) et l'acceptation définitive du type, tel qu'il figure dans la fiche 8 de la Commission de nomenclature sur l'industrie de l'os préhistorique, citée plus haut (Sonneville-Bordes 1988). Nous avons repris cette définition et les éléments descriptifs qui l'accompagnent comme base de travail pour notre analyse comparative des pièces de Pataud et de Gargas. Quelques autres exemplaires de « sagaies d'Isturitz » avaient été découverts avant 1988 mais n'étaient pas répertoriés parmi la série de référence, sans doute parce que les publications qui les avaient signalés n'avaient pas une diffusion suffisamment étendue à ce moment. Depuis, certains ont été repris dans des synthèses ou des travaux universitaires, d'autres ont été redécouverts au cours de révisions de collections anciennes. Il nous a semblé utile de mentionner ici ces découvertes parce que, même si elles ne sont pas assez nombreuses pour changer les données d'un point de vue statistique, leur présence est significative (pour un objet qui a toujours été considéré comme rare) et contribue à préciser l'aire de diffusion du type, ainsi qu' à enrichir le corpus des pièces connues. Trois de ces sagaies proviennent du Pays basque espagnol et elles présentent une ressemblance indéniable avec celles du site d'Isturitz. Pourtant, la plus éloignée a été trouvée dans le niveau F (Gravettien à burins de Noailles et pointes de la Gravette) de Bolinkoba (Vizcaya), à quelque 120/130 km de distance, à vol d'oiseau, d'Isturitz (Barandiarán 1950; Corchón Rodriguez 1986, p. 41, fig. 7). Il s'agit d'une partie proximale, plutôt robuste, sans encoche, dont la face supérieure et les deux bords sont couverts d'incisions courtes parallèles, transversales à l'axe principal (fig. 1.5). Les deux autres sont issues de gisements plus proches des Pyrénées (entre 60 et 70 km au sud-ouest d'Isturitz); celle du niveau III d'Usategui (Guipuzcoa), également gravettien à burins de Noailles (Barandiarán 1977, p. 201-204; Corchón Rodriguez 1986, p. 41, fig. 8), est similaire à la précédente mais un de ses bords présente deux encoches à la place des incisions (fig. 1.4). La troisième vient du gisement d'Aitzbitarte III (Guipuzcoa), trouvée dans un éboulis « glissé » dans un niveau inférieur à celui du dépôt d'origine, mais accompagnée d'un bon nombre de burins de Noailles (Múgica 1983, p. 459, ph. 6, fig. 29). Il s'agit cette fois -ci d'une partie mésio-proximale dont l'extrémité est dissymétrique (à biseau latéral) et couverte d'incisions fines et longues, légèrement obliques (fig. 1.6). Les trois autres exemplaires ont été trouvés dans des gisements de l'arrière-pays pyrénéen, versant français. Deux d'entre elles (fig. 1.1, 2) pourraient provenir des anciennes fouilles de l'abri des Battuts (Penne, Tarn). E. Ladier, conservatrice du Musée d'Histoire Naturelle de Montauban, s'est livrée à une enquête minutieuse après avoir découvert qu'elles avaient été mélangées à d'autres objets provenant de sites différents afin de « composer » une vitrine (Ladier 1995). La vérification des inventaires du XIXe siècle, l'examen du fonds d'origine des objets mélangés ainsi que du type de sédiment adhérant aux pièces, lui font plutôt pencher pour une attribution à la collection du matériel récolté par V. Brun dans ses fouilles de l'abri des Battuts en 1864-65. Ces pièces ressemblent, par ailleurs, à certains exemplaires trouvés dans le même abri par J.-F. Alaux au cours de ses fouilles de la couche 7, Périgordien supérieur à burins de Noailles (Alaux 1971). Le dernier exemplaire avait, lui aussi, échappé au répertoire jusqu' à ce que M. Allard et M. Jarry (1993) réalisent l'inventaire de la collection que R. et S. de Saint-Périer avaient donnée au Musée de Saint-Gaudens (Haute-Garonne). Il vient des fouilles de l'abri des Rideaux à Lespugue, vraisemblablement du niveau gravettien dans lequel ils avaient trouvé la célèbre « Vénus ». Les quatre autres pièces similaires, conservées au Musée des Antiquités Nationales, étaient déjà connues. Il s'agit encore d'une partie proximale, cassée à la pointe (fig. 1.3), qui garde une grande ressemblance avec des exemplaires d'Isturitz et de Gargas. • Gargas (fouilles Garrigou 1870, Breuil-Cartailhac 1911-1913) La série de sagaies de Gargas, objet de cette étude, provient de deux collections différentes : celle de Félix Garrigou, déposée au Musée de l'Ariège, actuellement dans les réserves du Palais des Évêques (Saint-Lizier, Ariège) et la collection Breuil-Cartailhac conservée à l'Institut de Paléontologie Humaine de Paris. Les fouilles de F. Garrigou et de A. de Chasteigner eurent lieu en 1870 (le 16 juillet, d'après ses notes personnelles), se limitant à une tranchée peu profonde, immédiatement à gauche de l'entrée. Dans leur communication à l'Académie des Sciences, en juillet de la même année, ils indiquent y avoir reconnu « un foyer de l' âge du renne, avec outils en silex, ossements de cerfs et de renne, de cheval, de bœuf, tous cassés longitudinalement et transversalement par l'homme » (Garrigou & de Chasteigner 1870). Ce « foyer » était superposé à « une couche argileuse régnant dans toute la caverne, et renfermant en abondance des ossements d'Ursus spelaeus. Sur certains points, une stalagmite plus ou moins épaisse recouvre cette couche ». Dans cette « argile à ours », ils ont trouvé d'au-tres vestiges de faune de grands mammifères, mais il n'y a pas de mention d'autre matériel archéologique. Dans une publication postérieure, F. Garrigou (1872) reprend une description plus détaillée du remplissage de la grotte, accompagnée du dessin d'une coupe, dans laquelle il confirme ses premières impressions et n'indique qu'un seul « foyer de l' âge du Renne ». Les fouilles de E. Cartailhac et de H. Breuil se déroulèrent une quarantaine d'années plus tard, en 1911 et 1913, dans le centre de la première salle, au pied de l'escalier d'entrée de l'époque. Ces travaux leur permirent de dégager une séquence stratigraphique atteignant 5 m de profondeur, située sous un plancher superficiel stalagmitique de 0,15 à 0,30 m d'épaisseur. La coupe synthétique publiée 45 ans plus tard par H. Breuil et A. Cheynier (1958, p. 344) fait état d'au moins trois niveaux archéologiques, séparés par des couches stériles, contenant du Gravettien (« Périgordien final à pointes de la Gravette et burins de Noailles »), de l'Aurignacien typique et du Moustérien, même si dans le texte les auteurs indiquent deux niveaux « de Châtelperronien avec silex et de Moustérien taillé dans une roche schisteuse dure à grains variés ». Le niveau gravettien a été retrouvé dans deux locus de la grotte : le sondage principal près de l'entrée (niv. 6) et un autre sondage plus petit situé à peu de mètres vers l'intérieur de la cavité (niv. 5), mais l'industrie osseuse, relativement abondante, n'est mentionnée que dans le premier. • Pataud (fouilles Movius 1958-1964) Toutes les pièces présentées ici (fig. 2, 3) proviennent des fouilles entreprises à Pataud par le Professeur Hallam L. Movius Jr. (Université de Harvard, Cambridge) et son équipe de 1958 à 1961, puis en 1963 et 1964. La majeure partie des « sagaies d'Isturitz » de Pataud (21 pièces sur 22) ont été découvertes dans la couche 4, fouillée en 1959, 1960, et 1963. Ce niveau archéologique, daté entre 27 060 BP ± 370 et 26 300 BP ± 900 (Bricker 1995), a livré de très nombreuses pièces d'industrie lithique (11000 objets et 5200 outils retouchés; David 1995) qui ont permis de l'attribuer au Périgordien supérieur à burins de Noailles (ou Noaillien, ex - Périgordien Vc). Ce niveau est également le plus riche de tout le remplissage de l'abri Pataud du point de vue de l'industrie osseuse, avec 360 pièces en os, bois de Cervidé, et ivoire. En outre, d'après l'étude sédimentologique de W. Farrand (1995), le dépôt des sédiments de la couche 4 s'est fait lors d'un épisode climatique tout d'abord frais et légèrement humide, puis plus doux avec altération chimique. Quant aux études palynologique (Donner 1975) et archéozoologique (Cho 1998), elles décrivent un paysage mixte (espaces découverts et milieux boisés) et un climat peu froid. Une des « sagaies d'Isturitz » de Pataud provient de l'éboulis 4/5, sous-jacent à la couche 4, et qui résulte d'un important effondrement de plafond. Les sédiments de la base de la couche 4 s'étaient déposés dans les interstices entre les blocs du sommet de l'éboulis 4/5. En outre, lors de la formation de la couche 4, « l'eau coulait des blocs dans des rigoles naturelles ou artificielles et emportait avec elle les dépôts » (Bricker 1995, p. 22). En considérant que le niveau 4 est le seul a avoir livré des « sagaies d'Isturitz », nous sommes donc en droit de penser que la pièce issue de l'éboulis 4/5 peut être rattachée à la base de ce niveau. C'est pourquoi, nous avons étudié toutes les « sagaies d'Isturitz » de Pataud comme un ensemble attribué à la couche 4 (Noaillien). D'après Movius 1973. D'après Movius 1973. • Gargas Les « sagaies d'Isturitz » de Gargas n'ont pas fait l'objet jusqu' à présent d'étude spécifique, deux d'entre elles sont même restées inédites. Celle qui provient des fouilles Garrigou n'avait pas été décrite par ce chercheur, tout comme le reste de l'industrie provenant du sondage, qui avait été donnée au Musée de l'Ariège par le préhistorien et exposée dans les vitrines du Château de Foix. En 1951, S. de Saint-Périer collabora à la réalisation de l'inventaire de ces anciennes collections, quelque peu perturbées par la mauvaise conservation du précaire dispositif muséographique : des pièces lithiques et osseuses accrochées à des planches en carton par des fils de fer, qui avaient fini par tomber en vrac au fond des vitrines quand les fils avaient rouillé. F. Garrigou avait marqué certaines des pièces par l'inscription « Gargas (A.R.) » faisant référence au « foyer de l' âge du Renne », mais la plupart du marquage d'origine est aujourd'hui effacé. S. de Saint-Périer a identifié la pièce sans difficulté à cause de sa ressemblance avec celles d'Isturitz, et la mentionne dans le volume III de la monographie consacrée à ce gisement : « Gargas, un seul exemplaire tout à fait analogue aux nôtres, avec deux encoches (fig. 68, n° 1), inédit, remontant sans doute aux fouilles de Félix Garrigou et que nous avons eu la bonne fortune de trouver récemment, mélangé à de la faune au Musée de Foix (pièce enregistrée maintenant sous le n° 2067 bis, vitrine 7, carton 72) » (Saint-Périer R. et S. 1952, p. 124). Il s'agit de l'exemplaire cité par D. de Sonneville-Bordes (1988) dans le tableau de la fiche consacrée aux « sagaies d'Isturitz » et reproduit parmi les illustrations de référence. Dans la publication de H. Breuil et A. Cheynier (1958) sur les fouilles de Gargas, l'outillage en os ou en bois de Cervidé est simplement groupé par grands ensembles typologiques et sommairement décrit, généralement par un bref renvoi à l'une des six planches de dessins. Ces dessins très schématiques ne concernent pas la totalité des pièces de la collection et plus d'un tiers de celle -ci était inédit quand nous avons commencé notre étude. Seulement trois fragments proximaux de « sagaies d'Isturitz » ont été dessinés et décrits : « sur la même planche, nous voyons représentés encore (n° 257, 258, 263) trois exemplaires d'une série de très beaux objets coniques, qui sont trop gros et pas assez effilés pour être qualifiés de poinçons : ils portent tous plus ou moins de traits transversaux très fins disposés sans ordre; nous ne savons leur donner un nom défini » (p. 362). Dans la légende de la pl. XVII, les numéros des figures 257, 258 et 263 sont suivis de l'indication : « pièces en cônes allongés et légèrement aplatis, plus ou moins couverts de raies transversales (peut être bases de sagaies) » (p. 377). Comme nous l'avons signalé plus haut, cette difficulté à identifier les pièces en question semble d'autant plus inexplicable que R. de Saint-Périer avait publié, depuis plusieurs années, son article essentiel (1949) pour décrire ce type de sagaie, et que R. et S. de Saint-Périer avaient mentionné et dessiné, en 1952, parmi les références de comparaison, la sagaie de Gargas provenant des fouilles Garrigou. Au cours de notre étude, nous avons pu identifier encore deux autres exemplaires, ainsi, le corpus des sagaies d'Isturitz provenant de Gargas atteint aujourd'hui un total de 6 pièces, toutes des parties proximales (fig. 4, 5). Plusieurs fragments de fûts de sagaies présents dans la collection Breuil-Cartailhac pourraient correspondre à des parties mésiales ou distales des bases incisées répertoriées; la finition, la section et le calibre conviennent, mais aucun remontage n'a pu être effectué. • Pataud Les « sagaies d'Isturitz » de l'abri Pataud furent décrites pour la première fois dans la littérature par H. L. Movius Jr. (Movius 1973). Par la suite, N. David les évoque à nouveau dans son étude du niveau 4 (Noaillien) de l'abri Pataud (David 1985, 1995). Ces deux auteurs ont comptabilisé 27 pièces pouvant être rapportées à des bases (16), des extrémités distales (2), et des segments (9) de « sagaies d'Isturitz ». Dans l'état actuel des recherches sur ce type de sagaie, nous ne disposons pas de critères permettant d'identifier avec certitude des parties mésiales ou distales isolées. Nous n'avons donc retenu que 22 parties proximales et mésio-proximales (Tableau 1) qui répondent à la définition de D. de Sonneville-Bordes (1988). Grâce à l'étude des bois de Cervidé du niveau gravettien de Gargas, nous avons pu identifier trois taxons : le Renne (Rangifer tarandus), le Cerf élaphe (Cervus elaphus), et le Chevreuil (Capreolus capreolus). Les bois de ces trois cervidés nous ont également permis de calculer le NMIc (Nombre Minimum d'Individus de combinaison) pour chaque espèce. La présence d'au moins deux rennes (dont une femelle ou un jeune) est attestée, ainsi que celle d'un cerf adulte et d'un jeune chevreuil âgé d'environ un an. La présence à Gargas à la fois d'animaux évoluant sous un climat froid et dans un paysage ouvert (Renne) et de cervidés ayant besoin d'un climat plus tempéré et d'espace boisé (Cerf et Chevreuil) témoigne de la diversité des biotopes aux environs de la grotte. Ceci est corroboré par les données de J. Bouchud (1958). En effet, la présence du Bison des Steppes (Bison priscus) témoigne d'un paysage ouvert et d'un climat assez rigoureux, tandis que celle de l'Aurochs (Bos primigenius) évoque un climat plus clément et une prairie-parc. Quant au Bouquetin (Capra ibex), il s'accommodait sans doute d'un relief relativement escarpé, alors que le Chamois (Rupicapra rupicapra) évoluait dans un paysage moins accidenté à des altitudes plus élevées. Quant aux supports des « sagaies d'Isturitz », ils correspondent à des baguettes de bois de Renne. Dans son étude de la faune gravettienne des fouilles Breuil-Cartailhac de Gargas, J. Bouchud (ibid.) dénombre au moins 17 rennes. L'étude des bois et dents de cet animal lui a permis d'affirmer que, au Gravettien, la grotte était occupée à l'automne, en hiver et au printemps. Mais il affirme également : « Etant donné le petit nombre de pièces interprétables, nous ne pouvons pas donner ce fait comme certain » (Bouchud ibid., p. 387). En outre, la présence, dans notre matériel, d'un bois de massacre d'un chevreuil d'environ un an témoigne de l'abattage de cet animal entre la mi-juin et la fin octobre. Il semble donc que la saisonnalité de ce site soit difficile à cerner et qu'une étude archéozoologique de la faune serait nécessaire pour tenter de la définir de manière plus précise. Par ailleurs, J. Bouchud (ibid.) évoque la présence de bois de chute de rennes mâles « entaillés au burin » (nous n'avons malheureusement pas encore retrouvé les bases de bois dont il est question dans son article). Il est donc fort probable que la matière première nécessaire à la confection de l'outillage en bois de Renne de Gargas provenait autant de la collecte de bois de chute de rennes mâles que de la récupération des bois des rennes (mâles ou femelles) abattus par les Gravettiens séjournant dans la grotte. Les supports des « sagaies d'Isturitz » correspondent à des baguettes de bois de Cervidé et, en particulier pour 20 d'entre elles, de bois de Renne. Dans son étude archéozoologique de la faune du niveau 4, T.-S. Cho (1998) a dénombré au moins 415 rennes (dont 108 jeunes), mais le NMIc qu'il a obtenu à partir des bois de Renne de ce niveau n'est que de 39. Comment expliquer ce déficit de bois ? Lors de l'occupation noaillienne de Pataud, les rennes étaient chassés toute l'année (Cho ibid., p. 362), ce qui exclut l'hypothèse de l'abattage d'animaux sans bois. En outre, l'étude taphonomique des ossements provenant du niveau 4 atteste de très bonnes conditions de conservation qui ont même permis la découverte d'os fragiles (os hyoïdes, cartilages costaux, sternèbres, et os de fœtus; Cho 1998). Il est donc très improbable que le bois de Renne se soit fortement détérioré. Par ailleurs, T.-S. Cho (ibid.) évoque la présence, au sein des restes fauniques, de petits fragments striés de bois de Renne, ainsi que de crânes portant des marques anthropiques témoins de la séparation volontaire des bois du crâne. Ceci suggère une utilisation des ramures comme matière première d'au moins une partie de l'équipement des Hommes préhistoriques séjournant à Pataud. En effet, nous avons pu identifier, parmi les 201 pièces d'industrie en bois de Cervidé du niveau 4, 136 objets en bois de Renne, et 86 d'entre eux correspondent à des pièces techniques. Ces dernières confirment le travail du bois de Renne à l'intérieur de l'abri. Certaines de ces pièces techniques (matrices sur base de bois de Renne) nous ont permis de définir un NMIc de 4 (3 mâles et 1 femelle ou jeune). Si nous faisons la somme des NMIc calculés à partir des bois de Renne contenus dans le matériel faunique et dans l'industrie osseuse, nous obtenons un NMIc de 43. Ce qui reste encore bien inférieur au nombre minimum de rennes ayant été abattus lors du Noaillien. L'utilisation du bois de Renne pour la confection d'une partie de l'équipement des Préhistoriques ne suffit donc pas à expliquer le devenir de cette matière dure animale. Plusieurs hypothèses peuvent être émises : soit une partie du traitement des ramures a été effectuée à l'extérieur de l'abri empêchant ainsi leur découverte, soit des morceaux de bois de Renne (travaillés ou non) se trouvent dans une zone du gisement non encore fouillée, ou alors la majeure partie des bois a été transformée en objets emportés ensuite hors de l'abri. Notons également que certaines pièces techniques ont pour support des bases de bois de chute de rennes mâles. Ceci atteste d'un second mode d'acquisition des bois qui consistait en leur collecte par les Noailliens. Cette pratique n'a pu être démontrée dans le cas des bois de calibre plus faible. En effet, notre matériel ne contient aucun bois de chute attribuable à une femelle ou à un jeune. Il apparaît que les Noailliens de Pataud ont utilisé deux sources d'approvisionnement en bois de Renne : la récupération des ramures des animaux abattus et la collecte de bois mûrs de rennes mâles. À Gargas comme à Pataud les « sagaies d'Isturitz » on toutes été confectionnées à partir de baguettes en bois de Cervidé. Dans la majorité des cas, il a même été possible d'identifier le bois de Renne. Il a pu également être établi que ce matériau provient des animaux abattus par les Gravettiens ayant séjourné dans ces deux sites et de la collecte de bois de chute de rennes mâles. Il est bien entendu impossible de se prononcer sur la nature précise (bois de chute ou de massacre, de femelle ou de mâle) du bois de Renne utilisé pour la confection de chacune de ces pièces, après les transformations subies au cours de leur fabrication. Tout comme R. de Saint-Périer (1949) et H. L. Movius Jr (1973), nous avons considéré ici comme extrémité proximale celle qui est striée, ce qui a facilité la reconnaissance des parties proximales et mésio-proximales de « sagaies d'Isturitz ». Les deux collections contiennent sans doute d'éventuelles parties distales ou mésio-distales, mais leur identification reste problématique en absence d'éléments caractéristiques déterminants. La série étudiée de Gargas est constituée uniquement de parties proximales (6), cassées assez près de l'extrémité. Quant à celle de Pataud, sur 22 pièces, 13 (soit 59 %) sont des parties proximales, et 9 (soit 41 %) des parties mésio-proximales. Les sections des pièces (Tableau2) ont été prises, quand cela a été possible, sur le fût, à la limite entre la partie mésiale et la proximale. Dans la série de Gargas, où il n'y a que des bases, la section a été prise toujours sur la partie la plus large de la pièce, à proximité immédiate de la fracture. Les fûts des pièces n'étant pas complets, nous n'avons relevé que les formes des parties proximales. La série de Gargas est trop limitée pour pouvoir y distinguer des groupes particuliers. En revanche, à Pataud, trois groupes apparaissent plus clairement : Groupe 1 : 10 sagaies à base appointée robuste et épaisse Groupe 2 : 8 sagaies à base appointée aiguë et effilée Groupe 3 : 4 sagaies à base appointée ogivale (« sagaies d'Isturitz » atypiques). La dissymétrie (ou biseau latéral) des pointes est présente uniquement dans des sagaies du groupe 2 (3) et du groupe 3 (1 atypique). L'échantillon étudié est très peu homogène en ce qui concerne les dimensions (cf. tableau 1), mais il faut rappeler que nous ne disposons pas, dans aucune des deux séries, d'exemplaires complets et que les raisons de cette fragmentation peuvent être diverses, depuis l'abandon des pièces en cours de fabrication à la cassure accidentelle ou fonctionnelle. Les fragments conservés peuvent aller de 362 mm de longueur sur une pièce exceptionnelle de Pataud (fig. 3 : n° AP60-4-8953) à 36 mm sur un petit fragment de partie proximale du même gisement (n° 3449). Les fragments de la série de Gargas oscillent entre 74 et 46 mm de longueur, avec des largeurs et épaisseurs relativement constantes et proportionnelles, qui révèlent une certaine standardisation. La variable de la longueur étant donc très aléatoire et peu significative pour l'analyse comparative, nous n'avons retenu que l'indice d'aplatissement (largeur / épaisseur), plus intéressant dans l'hypothèse d'une utilisation comme projectile, indépendamment de la fragmentation des pièces. – Indice d'aplatissement l/e : * Pour Pataud Nous avons tenu à respecter les trois catégories formelles (cf. supra « Morphologie ») que nous avons observées à Pataud afin de ne pas « lisser » les résultats sur l'ensemble de la série. La pièce 13188, qui n'est qu'un fragment d'extrémité, n'a pas été comprise dans les calculs. Groupe 1 (n=9) : 1,6≤l/e≤2,1 et l/e moyen = 1,9 Groupe 2 (n=8) : 1,3≤l/e≤1,8 et l/e moyen = 1,6 Groupe 3 (n=4) : 1,5≤l/e≤1,7 et l/e moyen = 1,6 Total (n=21) : 1,3≤l/e≤2,1 et l/e moyen = 1,7 La majorité des pièces (17 sur 21, soit 81 %) ont un indice d'aplatissement l/e compris entre 1,5 et 2. * Pour Gargas 1,7≤l/e≤2,1 et l/e moyen = 1,9 La fourchette de valeur de l'indice d'aplatissement l/e de Gargas est incluse dans celle de Pataud et elle est similaire à celle des sagaies du groupe 1 de Pataud. Il semble donc possible de rapprocher, au moins morphologiquement, les « sagaies d'Isturitz » de Gargas et celles du groupe 1 de Pataud. Les incisions se situent exclusivement au niveau de la partie proximale, sauf dans deux cas, à Pataud, où des séries d'incisions courtes et fines ont été observées sur un bord du fût (cf. infra « Finitions »). La zone striée peut être plus ou moins étendue (de 11 à 91,5 mm, selon les pièces). La répartition des incisions sur les pièces (Tableau 3) est très variable, avec une nette prédominance de la catégorie « face supérieure et un bord » (10 exemplaires en tout). Dans le rythme et le type de séquences des incisions (Tableau 4), nous trouvons aussi une relative variabilité, avec toutefois une tendance vers les incisions parallèles sans espacements réguliers à Pataud et une majorité d'incisions organisées en séries rythmées régulières ou mixtes à Gargas. Quant au type et à l'orientation des incisions (Tableaux 5, 6), celles profondes et marquées, à traits continus et obliques sont majoritaires à Pataud, alors qu' à Gargas prédominent les incisions fines et superficielles, à traits simples continus, perpendiculaires ou mixtes. Deux pièces sur six présentent des encoches à Gargas, seulement quatre sur vingt deux à Pataud (trois du groupe 1 et une du groupe 3). Le nombre d'encoches par pièce varie de un à cinq mais, sur certaines parties proximales (2 sur chaque site), la série a pu être interrompue par la fracture. Toutes les encoches sont unilatérales; sur les deux pièces de Gargas, elles se situent sur le bord gauche alors que, sur trois des quatre pièces de Pataud, elles se présentent sur le bord droit. Elles sont toujours localisées sur un bord non incisé. La forme des encoches sur les deux séries est dissymétrique, en angle ouvert, avec le bord « d'arrêt » plus court et abrupt que l'autre (fig. 6.a, b). Même si encoches et incisions ne se recoupent pas, dans certains cas le départ du trait incisé se situe juste en bordure de l'encoche (fig. 4.a et 6.a : n° 2067 bis, fouilles Garrigou à Gargas). Tout en étant conscients des limites d'une analyse comparative formelle concernant deux échantillons si différents (22 pièces à Pataud et seulement 6 à Gargas), nous allons essayer de synthétiser les résultats. Les formes, sections et dimensions de toutes les pièces rentrent dans le standard du type, même si plusieurs exemplaires de Pataud présentent une longueur exceptionnelle par rapport à la moyenne (± 175 mm), tous gisements confondus. Puisque les deux séries ne contiennent que des pièces incomplètes, nous avons retenu uniquement la forme des parties proximales pour la comparaison. Ceci nous a permis d'établir trois groupes distincts à Pataud. L'ensemble des pièces de Gargas ne permet pas de classement aussi tranché, mais la majorité des pièces (4 sur 6) se rapproche du groupe 1 de Pataud (base appointée robuste et épaisse). Cette affinité se manifeste aussi dans l'indice d'aplatissement largeur/épaisseur : la totalité des exemplaires de Gargas et ceux du groupe 1 de Pataud se situent entre 1,6 et 2,1 avec une moyenne identique de 1,9. Les sections concavo-convexes apparaissent uniquement sur les pièces de Pataud (5 ex.), ainsi que les elliptiques à pan coupé (3 ex.). Ces deux types de section sont absents dans la série de Gargas et il n'y a pas non plus de pièces à biseau latéral. La répartition, le type, l'orientation et le rythme des incisions sont très variables dans les ensembles des deux gisements, mais à Pataud prédominent les incisions profondes, obliques, sans espacement régulier, alors qu'elles sont majoritairement fines et superficielles à Gargas, perpendiculaires à l'axe et plutôt organisées en séries rythmées. Quant aux encoches, leur forme et leur nombre sont similaires dans les deux sites, mais elles se situent sur le bord gauche des pièces de Gargas alors que, sur trois des quatre pièces de Pataud, elles sont localisées sur le bord droit Que ce soit sur la série de Gargas ou sur celle de Pataud, le dégagement de la perche a été réalisé par tronçonnage transversal des andouillers près de l'embranchement avec celle -ci. En fonction de la section des andouillers, le tronçonnage se fait par rainurage bifacial ou par sciage transversal partiel du tissu compact, toujours suivis de flexion. Cette dernière technique a été aussi utilisée sur un bois de Renne de Pataud pour en détacher la base. À Gargas, en plus de celles décrites, on observe une gamme de techniques plus variée. En effet, certains andouillers ont été élagués par amincissement périphérique progressif (entaillage) comme en témoignent les stigmates en escalier, et une chevillure de bois de Renne a été détachée par percussion directe tranchante suivie d'arrachage. Plusieurs exemples, dans la collection de Gargas, montrent la pratique d'un sectionnement de la perche en tronçons calibrés, obtenus par les différentes méthodes de tronçonnage que nous venons de décrire, et qui ne dépassent pas les 20 cm de long. Les rares fragments de perche plus longs correspondent à des pièces uniques (bâton perforé) ou brutes. En revanche, le matériel de Pataud ne présente pas de tronçonnage systématique de la perche. Dans les deux sites, les baguettes sont obtenues par double rainurage longitudinal comme le prouvent les nombreux déchets, dont des matrices qui portent des pans de rainure, quelquefois multiples et convergents. Mais, la procédure d'extraction est différente : à Gargas, le tronçonnage bipolaire a été effectué le plus souvent de façon préalable au rainurage, la perche ayant été « pré-découpée » en sections, alors que dans le matériel de Pataud, il y a de nombreux exemples d'extraction directe de baguette sur la perche entière, la languette d'arrachement restant sur la baguette et son négatif sur la matrice. Les baguettes brutes en bois de Cervidé de Gargas présentent des sections diverses : plano-convexes, subquadrangulaires, trapézoïdales… Celles qui ont servi à la fabrication des sagaies du type Isturitz proviennent de baguettes plano-convexes correspondant à des moitiés de tronçons de perche divisés longitudinalement par double rainurage. Les faces supérieures sont très peu modifiées, les pièces conservent la courbure naturelle de la perche, les faces inférieures où la spongiosa est visible sont régularisées par abrasion. Au cours de cette dernière opération, les sections sont souvent modifiées, devenant biconvexes aplaties (lenticulaires) ou plano-convexes à bords arrondis. Les baguettes brutes de Pataud, destinées à être façonnées en armatures du type « sagaies d'Isturitz », sont de dimensions et de sections variables. Leur calibrage n'est pas net comme à Gargas. Notons que cet effet de plus grande diversité peut être dû à l'importance de l'échantillon étudié (22 pièces). Le façonnage reprend le même procédé que celui décrit pour Gargas (raclage longitudinal et abrasion), mais les modifications de la face supérieure restent très discrètes au niveau du fût. Les extrémités proximales sont appointées par raclage longitudinal et par abrasion, jusqu' à devenir sub-coniques dans le cas de Gargas, alors que celles de Pataud présentent différentes formes : coniques, aplaties, à biseau ventral, à biseau latéral… Le voile de calcite qui recouvre partiellement la plupart des pièces de Gargas rend difficile l'observation des stigmates de polissage, mais ils sont décelables sur les « plages » non calcitées des extrémités proximales. Certains fûts de sagaies du même niveau, qui pourraient correspondre à des parties mésiales de « sagaies d'Isturitz », montrent aussi des traces de polissage mais nous ne pouvons pas conclure au polissage intégral de la pièce, vu l'état fragmentaire de l'échantillon étudié. Il est difficile de savoir s'il y a eu du polissage dans la série de Pataud, car les pièces sont recouvertes d'une couche de vernis. Sur certaines, le polissage de l'extrémité a pu être constaté, même s'il a été léger (traces de raclage adoucies, mais encore visibles). D'autres, en revanche, présentent des surfaces vierges de polissage, notamment au niveau des encoches. Deux autres opérations de finition donnent aux « sagaies d'Isturitz » leur aspect caractéristique : la réalisation des encoches et celle des incisions sur l'extrémité proximale. Dans le cas de Gargas, les encoches sont présentes dans 2 cas sur 6, et leur réalisation s'intègre dans la chaîne opératoire entre la phase de façonnage et celle de finition. Elles sont pratiquées sur la pièce après l'abrasion qui donne la forme définitive à la pièce et avant le polissage, puisque dans les deux cas observés les encoches sont polies. Les 4 pièces à encoches de Pataud présentent des variations significatives dans le nombre et la morphologie de ces dernières (cf. tableau 1 et supra « Encoches »). Sur la seule sagaie où les encoches n'ont pas été polies, nous avons pu observer en détail les traces de façonnage de celles -ci. Le bord de l'extrémité proximale a été entaillé à plusieurs reprises en deux mouvements : le premier, pratiqué de haut en bas suivant l'axe d'allongement de la pièce, permet d'enlever des copeaux de matière; le second, transversal à l'axe d'allongement, incise profondément le bord jusqu' à recouper la trace laissée par le premier (fig. 6.b). La réalisation des incisions sur la partie proximale est la dernière opération dans la chaîne de fabrication des « sagaies d'Isturitz » de Gargas et de Pataud, ce qui permet de conserver tout leur pouvoir d'adhésion aux incisions. En effet, leur observation à l'aide d'un grossissement moyen (x25) confirme qu'elles ne sont en aucun cas recoupées par les encoches et que leurs bords ne sont pas émoussés par un polissage. Cependant, l'enchaînement des opérations de façonnage et de finition peut parfois être décalé sur les différentes parties de la pièce. Ainsi, la pièce AP/59 4-7322 de Pataud (fig. 2), vraisemblablement en cours de fabrication, présente une partie proximale totalement élaborée, jusqu'aux incisions, alors que son fût correspond à une baguette partiellement brute (fig. 6.c, d). Enfin, d'autres incisions peuvent apparaître au niveau d'un des bords du fût (les deux cas observés font partie de la collection de Pataud : fig. 3, AP63-4-11842 et AP60-4-8953). Il s'agit de séries d'incisions courtes, fines, transversales ou obliques, et parallèles entre elles. Ces séries d'incisions latérales s'interrompent avant d'atteindre la partie proximale, sans recouper les incisions caractéristiques de celle -ci. Comme nous l'avons vu plus haut, lors de notre évocation de l'historique du type, les premiers inventeurs de ce type de pièces pensent d'emblée à des armes de chasse ou de pêche : « poignards », « harpons », « sagaies ». .. Quand R. de Saint-Périer publie sa synthèse (1949), il se pose néanmoins la question de la fonctionnalité et commence à chercher des réponses à partir de leur observation détaillée : « Mais nous pensons qu'au lieu de les considérer comme des pointes de prototype de harpons, ainsi que l'a fait A. Ragout, il faut y voir, au contraire, des bases de sagaies ou d'armes d'hast qui étaient emmanchée : les stries et les encoches de l'extrémité avaient pour but de consolider l'emmanchement /.../ Quant aux encoches, elles ne pourraient être assimilées à des barbelures de harpons qu' à la condition de présenter des angles vifs : nous avons vu précisément que beaucoup de nos encoches ont leurs bords usés, et Ragout lui -même l'a constaté sur sa pièce. /.../ Supposons, au contraire, que ces encoches fassent partie d'une base, fixée au moyen de lanières de cuir sur une hampe, soit excavée pour recevoir la face convexe de la pièce, soit creusée en manière de douille pour enserrer la base entière : en effet, la forme aiguë de ces bases est en faveur de l'usage d'une douille. Il est facile de voir que le mouvement latéral de l'objet sur sa hampe ou dans sa douille, qui se produit fatalement quel que soit le serrage des lanières, finit par amener à la longue une usure du bord des encoches, qui peut aller jusqu'au polissage, comme le montre une de nos pièces » (p. 71). Suit encore l'argument du biseau latéral présent sur huit exemplaires d'Isturitz, qui renforce l'hypothèse de l'utilisation de la zone encochée/striée comme base, ainsi que le fait indiscutable de la fragmentation différentielle : uniquement trois pièces entières sur 105, et seulement 10 pointes possibles sur l'ensemble du matériel osseux. Les parties proximales (bases) revenaient donc au gisement avec les hampes. Si l'on se tient ainsi à l'examen de ces parties proximales, le problème semble réglé. Mais. .. il y a les « pointes » ! Et celles -ci posent d'autres questions : « On pourrait objecter que les pièces dont nous avons des exemplaires complets ont une extrémité trop peu aiguë et trop plate pour avoir été des armes et qu'elles auraient pu être utilisées tout aussi bien, sinon plutôt, comme lissoirs, skinscrapers, spatules : ceci d'ailleurs ne changerait rien à leur mode d'emmanchement. Mais d'abord, il est possible que les rares exemplaires que nous avons recueillis intacts aient été retaillés et polis pour être adaptés à un nouvel usage. D'autre part, il faut tenir compte de la résistance du bois de Cervidé à l'état frais. On sait que les cerfs peuvent faire de terribles blessures avec leurs andouillers dont l'extrémité est cependant peu aiguë. /…/ Enfin la vigueur de l'homme paléolithique est un élément qu'il ne faut pas négliger » (p. 72). Sans vouloir négliger la vigueur de l'Homme paléolithique, il nous semble quand même peu probable que les seuls éléments entiers d'Isturitz, effectivement munis d'une extrémité distale en forme d'ogive aplatie et pointe mousse, aient été tous systématiquement retaillés et polis pour en faire des « lissoirs ». En revanche, sur les deux séries de Gargas et Pataud, il y a plusieurs parties distales qui, par leur forme et leurs dimensions, correspondent parfaitement à celles d'Isturitz et conviendraient aux bases que nous avons décrites en détail plus haut (fig. 7). Malgré la morphologie que nous venons d'indiquer, les extrémités distales de ces pièces n'ont pas servi de lissoirs. Elles présentent parfois des ébréchures et des stries d'utilisation dans le sens de l'axe principal, mais n'ont pas les aplats et facettes polis propres des « lissoirs » et « spatules ». Sommes -nous en face d'un projectile original ? Dans les deux collections, il y a plusieurs exemples de sagaies plus « conventionnelles », avec des sections et des extrémités très différentes de celles du type « sagaie d'Isturitz », mais qui rappellent tous les modèles répertoriés dans les autres périodes du Paléolithique supérieur. Si nous examinons les fractures présentes sur les pièces des deux séries, les types les plus fréquents sont ceux provoqués par flexion (Pétillon 2000) (en « marche »), souvent obliques, avec quelques exceptions : certains exemples, plus rares, de fracture en dents de scie, en languette ou nette. Un exemplaire de Pataud (AP59-4-3882) semble avoir été repris par aménagement d'une gorge suivi de flexion. Il y a toutefois dans chaque gisement au moins un cas de fracture en double languette : à Pataud, il s'agit d'un éclat de baguette en bois de renne au profil en “S” qui conserve des incisions similaires à celles relevées sur les « sagaies d'Isturitz »; l'exemple de Gargas se situe sur la pièce n° 257, au niveau de la fracture qui l'a séparée de la partie mésiale, même si la double languette a été simplement amorcée sur une des deux extrémités (fig. 5.b). Ce type de fracture est caractéristique, mais non exclusif du travail des ciseaux (Rigaud 2001, p. 136, fig. 30-1). Encore une fois, la variabilité des fractures, comme celle des formes et des dimensions, ne nous permet pas d'imaginer un scénario unique pour le fonctionnement de ce type de pièces et la question de savoir si nous avons affaire à des projectiles ou à une diversité d'outils et d'armatures qui ont en commun un même type d'emmanchement se pose plus que jamais. Précisément, les hypothèses d'emmanchement proposées par R. de Saint-Périer (cf. supra) restent à vérifier. Si les extrémités proximales appointées, striées et parfois encochées, sont glissées à l'intérieur d'une douille, on voit mal comment cela a pu entraîner le poli d'usure des encoches, ou alors, ce poli devrait être périphérique, à l'endroit où l'extrémité proximale était en contact avec la douille. Si, au contraire, cette extrémité était adossée à la hampe et maintenue par des liens, ceux -ci auraient dû laisser leurs traces sur les deux bords de la pièce; à moins que ce soit uniquement le bord encoché qui dépassait du dispositif. Mais alors, comment ceci fonctionnait-il dans les cas des biseaux latéraux ? Nous le voyons bien, nous avons ici plutôt listé les questions qui se posent après l'examen du matériel des deux sites, mais une analyse fonctionnelle complète dépasserait largement les limites de cet article et demande sans doute des compétences complémentaires. Nous nous proposons de contacter à ce sujet nos collègues ayant réalisé des approches expérimentales. Le concours de la tracéologie aurait été le bienvenu, mais nous nous heurtons à un inconvénient majeur dans les deux séries : les pièces de Pataud ont été enduites de vernis et la majorité de celles de Gargas sont recouvertes d'un voile tenace de calcite, parfois opaque, qui rend difficile ou empêche définitivement le recours à cette méthode d'étude. Ceci est d'autant plus regrettable que nous aurions souhaité vérifier une nouvelle hypothèse fonctionnelle : la possibilité que certaines de ces pièces puissent avoir servi à la fabrication d'éléments de vannerie, ou au tressage de fibres végétales. Les artisans traditionnels de produits de vannerie ont toujours utilisé des « poinçons » en os, sorte de baguettes appointées, souples et solides, pour écarter et tasser les fibres au cours du tressage ou du montage des paniers. Les exemplaires entiers d'Isturitz auraient pu servir à cette tâche et le polissage des encoches résulterait de l'utilisation directe de cet outil à la main, peut-être recouvert à la base d'un manche en cuir pour l'empêcher de glisser. Dans un récent article d'Aranguren et Revedin (2001) sur le niveau gravettien à burins de Noailles de Bilancino (Italie), les auteurs ont pu préciser, à partir de l'étude tracéologique des burins, que l'occupation du site avait été orientée vers la récolte et le traitement des herbes palustres. Des occupations contemporaines sur les sites gravettiens de Moravie, Pavlov I et Dolní Vestonice I et II, ont fourni un large répertoire d'utilisation de fibres végétales tressées et tissées, avec des impressions sur argile cuite de plusieurs variantes de tissu et de « mailles » (Soffer 2000). Il est évident que nos gisements du Sud-Ouest sont restés beaucoup plus discrets sur ce type de vestiges périssables, mais une question de taphonomie comme celle -ci ne peut limiter notre perception de la vie quotidienne des Gravettiens en la réduisant aux seules activités de chasse et de consommation. Notre imagination de préhistoriens accepte sans difficulté les gestes liés au travail de traitement et d'assemblage des peaux, dans la mesure où des outils devenus familiers, comme les grattoirs, lissoirs, poinçons et aiguilles nous semblent tout naturellement destinés à ces tâches. Nous devrions nous poser plus souvent la question des récipients utilisés par ces populations sans céramique, de tous les objets nécessaires au cours de leurs déplacements et leurs activités journalières : paniers, filets, cordes, nattes… bien évidemment disparus sans laisser de vestiges. En attendant de pouvoir retrouver leurs traces dans les outils qui nous sont parvenus, nous garderons volontiers à l'esprit cette hypothèse de travail, surtout quand les autres réponses ne sont toujours pas satisfaisantes. L'étude monographique de chacune des séries des sites de Gargas et de Pataud, à partir des approches individuelles de chaque auteur, aurait déjà apporté son lot de nouvelles données et d'observations intéressantes. D'une part, des six pièces de Gargas, uniquement celle provenant des fouilles Garrigou avait été reconnue comme « sagaie d'Isturitz » et mentionnée dans la liste de référence de la fiche typologique du Cahier I (Sonneville-Bordes 1988). Les cinq autres viennent s'ajouter désormais au corpus de l'industrie osseuse gravettienne, tout comme les six « nouvelles » provenant des deux versants des Pyrénées. La série de Pataud, publiée sommairement par H.L. Movius Jr (1973), avait contribué à la formalisation du type dans les années 1970; elle avait été remise dans le contexte de l'industrie osseuse du « Périgordien V » du sud-ouest de la France par N. David (1966), mais n'avait pas fait l'objet d'une étude du point de vue de l'acquisition des supports au sein de la chaîne opératoire du travail du bois de Cervidé. L'approche de l'archéozoologie offre ici un élément de compréhension supplémentaire en intégrant les données techniques et celles des stratégies de chasse et de collecte. Elle a permis d'établir que ces stratégies étaient similaires en ce qui concerne l'acquisition du bois de Renne qui a servi à la fabrication des « sagaies d'Isturitz » des deux gisements. Ce travail apporte aussi une nouveauté par la démarche originale d'analyse comparative des deux séries. La plupart des réponses et des choix de classement de cette étude sont intervenus après des séances de comparaison du matériel parce que les collections sont véritablement complémentaires, autant dans les objets finis ou en cours de fabrication que dans les déchets conservés, riches en informations d'ordre technique. Ainsi, nous avons pu mettre en évidence quelques différences dans les choix techniques qui entrent en jeu dans les traitements préliminaires et dans la phase de débitage. Les Gravettiens de Gargas sont moins systématiques que ceux de Pataud au moment de dégager la perche et utilisent un éventail plus large de solutions techniques pour enlever les andouillers (rainurage bilatéral, sciage périphérique partiel, entaillage en escalier, percussion directe et indirecte). En revanche, le débitage des baguettes passe par un tronçonnage bipolaire, sorte de “pré-découpage” de la perche en sections, dans tous les cas observés à Gargas, alors que la série de Pataud présente plusieurs exemples de débitage direct sur la perche entière ou partiellement fragmentée et aucun de tronçonnage bipolaire. Ceci a dû entraîner sans doute des différences dans les dimensions des objets finis mais la fragmentation de l'échantillon de Gargas ne nous a permis d'aller plus loin dans la comparaison. La taille de certains exemplaires de Pataud dépasse néanmoins celle de toutes les baguettes brutes ou des tronçons de perche sectionnés présents dans la collection de Gargas. Parmi les éléments communs à signaler, l'utilisation du double rainurage pour l'obtention des baguettes est bien attestée dans les deux séries et les caractéristiques formelles des pièces rentrent dans les deux cas dans le standard du type, y compris les variations répertoriées (encoches, biseaux, incisions). La différence de l'échantillon d'objets finis (22 pièces à Pataud contre 6 seulement à Gargas) pose quand même des limites à l'analyse comparative formelle : il y a évidemment davantage de possibilités de variabilité dans une série numériquement plus importante. L'absence d'incisions profondes sur les pièces de Gargas, par exemple, correspond -elle à un choix technique, fonctionnel ou simplement à des limitations induites par le « nombre d'individus » étudiés ? Certains problèmes abordés n'ont pas trouvé de réponse dans notre étude. Ainsi, la question du polissage intentionnel des encoches dans la phase de finition des pièces ou du poli comme résultat d'une usure au cours de leur utilisation n'a pas pu être tranchée dans l'état de conservation de nos deux séries. Les pièces encochées, peu nombreuses, étaient soit recouvertes de vernis (Pataud), soit d'un voile de calcite (Gargas). Nous considérons toutefois que ce point mérite d' être approfondi et que des études tracéologiques sur des exemplaires ou des séries mieux conservées pourraient apporter des éléments de réponse aux problèmes d'analyse fonctionnelle. Cette dernière question, la fonction des pièces que nous appelons “sagaies d'Isturitz ”, requiert à notre avis, des approches complémentaires à celles que nous avons exposées ici. Nous souhaiterions connaître non seulement l'avis de collègues tracéologues mais aussi de ceux qui ont réalisé des démarches expérimentales sur les projectiles en matière dure animale, ou qui font actuellement des études technologiques/fonctionnelles sur des séries plus complètes que les nôtres. Nous profitons de l'occasion qui nous est donnée dans cette publication consacrée aux recherches en cours pour inviter tous les participants à une réflexion commune sur le sujet .
Les auteurs de cet article mènent leurs propres recherches dans le cadre de thèses de doctorat concernant les industries sur matières dures animales des sites gravettiens et solutréens des Pyrénées centrales (C.S.J-F) et celles des niveaux aurignaciens et gravettiens de l'abri Pataud (Dordogne) (C.V.). Leurs problématiques d'étude respectives sont exposées en introduction. Le Projet Collectif de Recherche sur le Complexe Gravettien-Solutréen dans les Pyrénées : cadre chrono-culturel et stratégies d'exploitation des ressources naturelles, démarré en 2003, a permis des rencontres de travail fructueuses sur des approches pluridisciplinaires, en particulier la mise en commun de différents points de vue (de l'archéologue et de l'archéozoologue) sur l'acquisition des supports et ses implications relatives à l'environnement et aux comportements humains dans les domaines technique, économique et culturel. Les auteurs ont essayé de partager leurs expériences autour de l'étude d'un outil caractéristique de l'industrie osseuse gravettienne : la sagaie dite d'Isturitz.
archeologie_08-0169196_tei_319.xml
termith-94-archeologie
En recherchant l'origine des silex utilisés dans une grotte des environs de Bagnères-de-Bigorre, E. et Ch. Frossard, en 1869, remarquent que la plupart provient d'affleurements crétacés qui passent à 9 km en aval du site. Les auteurs ont vu à Noudrest (Montgaillard) « des silex en bancs et rognons peu considérables et pas toujours d'assez bonne qualité pour être taillés » (Frossard, Frossard 1880 : 20). Il s'agit alors de la carrière Dussert à Montgaillard. La présence de silex est donc connue de longue date dans cette région du piémont pyrénéen. L'intérêt pour ce matériau a été relancé par les découvertes faites par Jean et Thierry Barragué † dans les années 1980 (Clottes 1985 et 1989). En effet, plusieurs concentrations de blocs de silex bruts accompagnés d'un important matériel archéologique sont identifiées sur les hauteurs dominant le village d'Hibarette. Le site livre alors aux prospecteurs d'énormes quantités de vestiges. Par ailleurs, ce type de silex était déjà identifié dans les séries lithiques d'habitats magdaléniens dans les grottes de la région (notamment cf. Simonnet 1991). Ce nouveau gîte et son exploitation ont été accessoirement mentionnés à plusieurs reprises dans des notes. Une partie de l'industrie a déjà été décrite par l'un de nous (Jarry 1992). Le présent article livre les résultats des derniers travaux effectués sur ce gisement de silex, augmentés des récoltes des prospections récentes. Les gîtes paraissent relativement isolés dans le contexte nord pyrénéen. Ils sont à une trentaine de kilomètres plus à l'est des gîtes du flysch prospectés par S. Lacombe et Ch. Normand, et à moins de 50 km du massif de Montmaurin-Lespugue où s'achève l'ensemble des Prépyrénées (fig. 1). Les concentrations de blocs et d'industries se répartissent dans un espace d'environ 1,5 km sur 800 m sur les communes de Bénac, Hibarette, Saint-Martin et Visker. Le nom d'Hibarette a été retenu pour désigner l'ensemble. Les lieux-dits sont : sur la hauteur, Coustaret, Le Bois du Bécut et Las Vignes, sur la pente est, vers l'Adour, Bioues et Pého, sur la pente ouest la Décharge et enfin, en fond de vallée, sur la terrasse de l'Aube, Las Sablas (fig. 2). La Décharge est une immense tranchée creusée, depuis le plateau jusqu' à la plaine, par la ville de Tarbes pour y déposer les ordures ménagères. Une partie du site a donc été détruite, il reste cependant de longues et hautes coupes qui sont les seuls regards sur les terrains affleurants et la sédimentation. Les nodules de silex, en surface, sont mélangés aux blocs de calcaire et à d'autres roches. Aucune industrie n'a été remarquée en profondeur dans les sédiments fins, ce qui laisse supposer, ici comme ailleurs, que tout est en surface ou presque. La dénivellation entre le point le plus haut et Las Sablas, au fond de la vallée de l'Aube, est d'une centaine de mètres. Coustaret est à 480 m c'est-à-dire à une altitude qui correspond aux cas extrêmes enregistrés dans les Prépyrénées (Le Pla, Couteret, Tucaou) où la moyenne évolue entre 350 et 400 m. Les Prépyrénées sont nettement dégagées des altitudes proprement montagnardes et s'en écartent encore plus à l'ouest de la cluse de Boussens. Hibarette est dans une localisation bien différente; on est au début du glacis qui, en moins de 25 km, conduit aux 2872 m du Pic du Midi. Or, Coustaret a été fréquenté par les Solutréens puisque c'est de là que provient le plus grand nombre de feuilles de laurier du site. Il y a donc, en ce point des Pyrénées, un repère à prendre en compte dans la cartographie des espaces habitables au maximum glaciaire. L'ensemble d'Hibarette est un gîte secondaire. A l'exception de Las Sablas, dont le dépôt est de formation plus récente, les blocs de silex sont dans la dépendance d'une nappe détritique correspondant à “la sédimentation torrentielle du Miocène supérieur” cartographiée m3-p (fig. 2) ayant fait suite à “un épisode de creusement des vallées” consécutif au dernier soulèvement de la chaîne. Ces blocs sont issus des silicifications en gîte primaire des calcaires du flysch dont fait partie l'affleurement situé à Montgaillard, au silex déjà connu et daté du Crétacé supérieur. Deux grandes formations sont figurées sur la carte géologique et décrites dans la notice (fig. 2). Il s'agit des références “c2-3F, Cénomanien moyen à Turonien, flysch gris.” et “c6-7F, Campanien-Maastrichtien. Flysch marneux. ”. La carrière Dussert est citée dans la deuxième de ces formations “calcaires maastrichtiens (notés C7) qui sont surtout visibles dans une ancienne carrière au nord du Soum de Buala, le long de la route départementale 28. ”. Or d'après la carte, cette carrière est située dans la première formation. L'absence de critères biostratigraphiques dans les échantillons de silex ne permet pas de trancher entre “Turonien à Santonien” et “Campanien-Maastrichtien” (tabl. 1 : lames minces C 30184, C 30185, C 30186). La référence à “silex type Montgaillard-Hibarette” évite d'entrer dans le débat, l'essentiel étant d'identifier le matériau suffisamment caractérisé par d'autres aspects et d'en localiser l'origine. D'après ce qu'il a été possible d'observer à différentes dates sur les coupes encore visibles de la Décharge, il paraît probable que les matériaux détritiques décrits par la notice géologique sous la référence e5-g proviennent du démantèlement de la formation déjà détritique que sont les poudingues de Palassou. Le gîte d'Hibarette serait, si on peut dire, deux fois secondaire, la position primaire étant dans le contexte des bancs calcaires dont la référence est en affleurement à Montgaillard. La preuve de ce transit possible, en position intermédiaire, par les poudingues de Palassou est apportée par le pointement de ces derniers dans le village même de Vielle-Adour où on remarque, cimentés parmi les blocs calcaires, des silex dont le gîte primaire est à 1,5 km en amont à Montgaillard. Cependant, on note qu' à la Décharge, les blocs de calcaire sont de dimensions variables, souvent gros et, conformément à la description de la notice géologique qui ignorait ce regard dans l'épaisseur des sédiments, il n'y est pas question de silex. Le seul silex qu'on y observe est encore pris, non dégagé comme en position primaire, dans la masse du calcaire de quelques blocs; aucun nodule n'a été remarqué en profondeur dans ces coupes. Comme il a été précisé plus haut, il se confirme donc que tout est bien en surface dans la formation détritique la plus récente. Ceci n'exclut pourtant pas un emprunt, légèrement en amont, à un niveau particulier des poudingues dont la barre affleurante est à la Décharge, ici redressée à 40°, et inconnu ou non décrit par les géologues. Il ne faut pas perdre de vue que les géologues ont rarement eu accès, dans ce massif, à des “regards” en profondeur. Les blocs de silex libérés à Hibarette se présentent sous les formes qu'ils ont en gîtes primaires telles qu'on peut les voir dans les fronts étagés du calcaire de la carrière à Montgaillard : en nodules arrondis plus ou moins gros (dont un silex noir dans une vaste poche de calcaire noir), en plaquettes d'épaisseurs variables. Les cortex, réguliers et fins, sont aussi d'épaisseurs variables, de 1mm à 20 mm. Les défauts, surtout sur les plaquettes, ont créé, après fragmentations naturelles, des surfaces planes plus ou moins altérées. La couleur largement dominante va du gris au brun. Le noir est souvent associé au brun (tabl. 1 : lame mince C 30184), en variabilité intrabloc : cœur noir sous une épaisseur variable brune (après débitage, un même bloc peut se cacher sous trois types de silex). Selon le degré d'altération, la couleur des artefacts passe d'un gris bleuté à un brun crème qui est largement dominant. [Clichés P. Chalard et P. Foucher ]. Les intraclastes associés semblent assez caractéristiques malgré le flou des attributions stratigraphiques, voire leur absence : abondants grains ovoïdes (pellets) parfaits ou plus ou moins défaits selon les zones, de couleur blanchâtre; les groupements en pelotes qui se remarquent dans certaines zones paraissent un bon critère (fig. 3a); “en semis ”, corps défaits hauts en couleurs : jaunes, jaunes-rouille, rouille pour le brun, noirs pour le noir; par zones, forte densité de spicules de silispongiaires alignés (fig. 3h). Rares petits foraminifères benthiques identifiables (fig. 3d); quartz clastiques miroitant sur les surfaces éclatées; impuretés carbonatées (irisées) parfois grosses, attaquées à l'acide en test destructeurs laissant des vacuoles. Lorsque l'altération graphique est intervenue, les intraclastes restent toujours perceptibles, par leurs contours et leurs couleurs, sur les surfaces de débitage des industries du gîte et des habitats plus ou moins lointains. Cela donne une sorte de léger moucheté de grains blancs et de couleur, avec parfois des zones où la densité des spicules devient plus élevée (fig. 3). De son côté, l'étude de l'industrie a isolé une variété de silex que l'usage appellerait “silex blond ”. Ce matériau a attiré l'attention par sa ressemblance avec un des types courants de silex du Turonien au Grand-Pressigny auquel on pense au premier abord. En supposant, bien entendu, une source inconnue plus proche que celle évoquée, l'éventualité d'un type supplémentaire de silex exogène ne pouvait donc être écartée a priori jusqu' à ce que la découverte récente d'un bloc volumineux apporte la preuve qu'il s'agit bien d'un type particulier, peu fréquent mais appartenant bien au gîte. Par la finesse de son cortex, la couleur et la texture de son silex, ce bloc a confirmé la ressemblance trompeuse. A son niveau d'analyse et d'après sa fiche descriptive, la lame mince ne paraît pas apporter d'informations déterminantes; il reste que le Turonien est présent à Montgaillard, malheureusement mal localisé pour notre usage. Toujours dans l'industrie, il a été remarqué un autre cas particulier susceptible d'entraîner, au-dessous d'une certaine maille de débitage, une erreur d'attribution. Il s'agit d'un silex à structure brèchoïde rappelant un des caractères du grand traceur qu'est le matériau du gîte du Verdier, lui aussi bien lointain. Il n'a pas encore été trouvé de bloc brut identique. Cependant, on est certain qu'on a affaire au moins à un cas de variabilité intra-bloc; en effet un grand éclat présente localement cette structure puis une zone de passage au terme de laquelle on retrouve les caractéristiques du silex de Montgaillard-Hibarette. Enfin, et toujours en ce qui concerne les risques d'erreur, il importe de signaler un cas limite d'altération qui, sans une bonne connaissance des deux gîtes, pourrait prêter à confusion avec l'altération mouchetée du gîte du Paillon à Saint-Martory (Haute-Garonne). L'importante quantité de silex taillés ramassés sur une vingtaine d'années et la nature du site (de surface) ont été des facteurs déterminants dans l'orientation de notre étude; traiter plus d'une tonne d'industrie lithique n'est pas sans poser de problèmes et la restitution des données en a été forcément adaptée. Le site principal a été divisé en quatre grandes zones contiguës (zones 1 à 4 se localisant au point D Bois de Bécut), individualisées au cours des prospections en fonction de la dispersion et des concentrations de matériel qui sont apparues. Ainsi, chaque grand ensemble lithique issu de ces zones a fait l'objet d'une étude séparée. La première étude qui avait été faite sur cette collection avait démontré qu'elle recoupait plusieurs grandes périodes de la Préhistoire (Jarry 1992). De par la présence de pièces caractéristiques (typologiques ou technologiques), on pouvait y déceler du Paléolithique moyen, du Paléolithique supérieur et du Néolithique. Face à ces mélanges manifestes, nous avons opéré un tri préalable dans l'industrie en écartant tout ce qui se rapportait à l'évidence au Paléolithique moyen et au Néolithique. Le résultat a été de constituer un ensemble d'étude, forcément artificiel, qui devait rassembler les principales composantes de l'industrie du Paléolithique supérieur; nous avons tenté par la suite de les mettre en évidence et de les caractériser par le biais d'une analyse typologique et technologique restreinte (étude des nucléus). L'effectif total des outils de la zone 1 s'élève à 1205 (tabl. 2). L'importance numérique des lames et des éclats retouchés tend à écraser les autres catégories d'outils. Cette donnée peut être expliquée par la fonction du site qui devait être avant tout un atelier de production laminaire; les lames débitées à profusion sur le site, qui n'étaient pas destinées à être emportées, semblent avoir été majoritairement employées pour les activités annexes des préhistoriques. Si l'on retire les lames et les éclats retouchés du décompte général, ce sont les grattoirs qui dominent à 42 %; ils ont été réalisés sur tous types de supports (éclat, lame), parfois épais (> 1,5 cm); il faut remarquer la part importante qu'occupent les carénés (fig. 4 et 5). Les burins sont présents pour 19 %. Les burins sur troncatures (9 %) dépassent les burins dièdres (5 %). Leurs supports sont autant des éclats que des lames et sont souvent très épais (2 à 2,5 cm) et notamment certains qui pourraient être aussi bien des nucléus à lamelles (fig. 6). Les troncatures représentent 15 % de l'ensemble. Elles ont été réalisées exclusivement sur des supports laminaires qui peuvent être des petites lames plus ou moins épaisses (fig. 7) ou des pièces robustes. Les becs/perçoirs (13 %) sont majoritairement réalisés sur éclats; leurs rostres peuvent être bien dégagés ou parfois aménagés de manière sommaire (fig. 5). Les pièces esquillées (7 %), majoritairement sur éclat sont du même type que celles qu'on retrouve dans les habitats en grotte ou en abri, notamment dans les niveaux gravettiens (fig. 7). On notera enfin la présence de quelques raclettes (3 %). En ce qui concerne les lames retouchées (fig. 8), nous les avons classées selon les trois catégories suivantes : lames à encoches ou/et denticulées; lames à retouches marginales : elles sont souvent ponctuelles (elles n'affectent qu'une petite partie de la lame), alternes; elles peuvent être des retouches d'utilisation (grignotage); lames à retouches continues : elles affectent une bonne partie de la lame; elles sont souvent très développées et d'une ampleur importante. Nous avons adopté les mêmes critères de classement pour les éclats retouchés puisqu'on retrouve les mêmes type de retouches : seul le support a changé. Bien que l'atelier se trouve sur le gîte de matière première, des supports en silex allochtones sont aussi présents (tabl. 3). Ils représentent 8 % de tous les outils confondus. C'est le silex de Chalosse qui a été majoritairement employé (5,5 %), puis un silex dont l'origine est à rechercher dans les affleurements du flysch du piémont béarnais. Les silex des Prépyrénées restent d'emploi restreint; on notera l'utilisation du silex du Paillon. Les types d'outils principalement façonnés dans ces silex sont les grattoirs et les lames retouchées. L'effectif des outils des zones 2 et 3 est notoirement insuffisant pour en tirer une quelconque analyse si ce n'est qu'on se situe vraisemblablement en marge de l'occupation principale. Pour la zone 4, le nombre d'outils est plus élevé (101), sans pour autant être comparable à celui de la zone 1. Cependant, on retrouve presque la même diversité typologique que dans la zone 1 et la composante aurignacoïde reste prépondérante. Nous présenterons ici une brève description des différents nucléus trouvés dans la zone 1 qui est la principale zone de concentration d'artefacts. Nous avons écarté d'emblée tous les types caractéristiques du Paléolithique moyen, c'est-à-dire tous ceux qui présentent un débitage centripète de type Discoïde ou Levallois. Le nombre de nucléus ainsi totalisé, retenu pour notre étude, est de 528. Leur répartition selon les grands types est la suivante : 124 nucléus à lames, 60 nucléus à éclats laminaires, 131 nucléus à lamelles, 213 nucléus à éclats. • Blocs testés (18) • Préformes (12) • Dans le cas des nucléus à éclats (213), nous avons gardé pour étude des types qui ne rentraient pas a priori dans ceux du Paléolithique moyen ou ancien; il se peut que certains exemplaires n'appartiennent pas au Paléolithique supérieur ou que nous en ayons écarté d'autres qui devaient l' être : nucléus à éclats atypiques (20) dont le débitage est désordonné et la production atteint trois ou quatre éclats; leurs formes sont plus ou moins polyédriques; l'arête des négatifs d'éclats est d'environ 7 à 5 cm; nucléus à éclats (59), réalisés à partir d'un plan de frappe naturel (négatif d'un éclat de gel, plan de clivage du rognon, etc.); les produits recherchés sont des éclats obtenus dans la zone sous-corticale du rognon (fig. 9 : 1 à 3); nucléus à éclats (134), réalisés à partir d'un plan de frappe préparé (fig. 9 : 4 à 6); leurs formes sont plus ou moins polyédriques; les techniques de débitage au percuteur dur sont majoritairement employées; les différentes classes de taille (longueurs des arêtes des négatifs d'éclats) et leurs effectifs sont les suivants : - arêtes de 2 à 3 cm = 40 • Pour les nucléus à lames (124), nous avons distingué les types suivants : nucléus à un plan de frappe, à table large qui a souvent gagné sur le flanc du nucléus (18); la production recherchée est celle de lames courtes mais larges (entre 5-6 cm et 6-7 cm) - fig. 10 : 2 et 4; fig. 11 : 3; nucléus à un plan de frappe, avec un débitage tournant sur bloc épais qui dégage un front (19); la forme qui en résulte se rapproche des grattoirs carénés, mais pour une production de lames (fig. 9 : 7 et 8); nucléus développés sur plaquette, avec un débitage à recul frontal dans le volume du bloc (21) - fig. 11 : 1 et 2; nucléus prismatiques à un plan de frappe (26) - fig. 11 : 4 – leurs dos sont souvent naturels (plan de clivage, plage corticale) ou aménagés par deux enlèvements croisés qui déterminent plus un “pincement” qu'une crête; nucléus à deux plans de frappe (21), pour une production de lames droites et courtes (fig. 11 : 6); nucléus réalisés à partir de gros éclats (5) - fig. 11 : 5 – ces types de nucléus se retrouvent souvent dans les gîtes/ateliers des Prépyrénées; ce mode de production, qui consiste à prélever un gros éclat destiné à être emporté vers les habitats et devenir un nucléus à lamelles, est en partie déterminé par la qualité des matières premières qui sont souvent très hétérogènes (notamment le “Bleu” pyrénéen) : il est plus aisé de rapporter un fragment de matière qui pourra être débité que de s'embarrasser d'un volumineux rognon qui pourrait s'avérer être impropre à la taille (Simonnet 1999); nucléus sur rognons volumineux pour une production de lames larges relativement longue (10 cm de long et 3 à 4 cm de large) - fig. 10 : 1, 3, 5; un nucléus qui laisse penser à un débitage au punch. • Pour les nucléus à lamelles (131), nous avons distingué les types suivants : nucléus à éclats lamellaires (14); le débitage est souvent maladroit; il est le pendant de celui que l'on retrouve sur des nucléus plus gros; ils semblent être l'exemple de pièces d'apprentissage; nucléus à lamelles à un plan de frappe, de section plus ou moins parallélépipédique, à débitage à recul frontal (29); il rentre dans ce type les nucléus à lamelles sur fragment de petite plaquette (fig. 12 : 3 et 4); nucléus à lamelles à un plan de frappe et à débitage convergent (10); il rentre dans ce type les nucléus à lamelles pyramidaux (fig. 12 : 6 et 7); nucléus à lamelles à un plan de frappe et à débitage qui se développe sur les flancs du nucléus (10) - fig. 12 : 5; nucléus à lamelles, de type prismatique à débitage tournant (12) - fig. 12 : 1; nucléus à lamelles de type caréné (16); la différence avec les grattoirs carénés est malaisée à établir; on classera plutôt certaines pièces comme nucléus celles qui présentent un front (ou une table) moins régulière; ce type de pièce pourrait alimenter le débat sur la nature et fonction des grattoirs carénés que certains considèrent comme des nucléus (Bon 2000), de même que celles de la figure 9 (7-8); nucléus à lamelles à deux plans de frappe (31); souvent la table est large et le débitage des lamelles s'est effectué à partir des deux plans de frappe; dans d'autres cas, le deuxième ne semble avoir servi qu' à la réfection de la table (fig. 12 : 2); nucléus à lamelles divers (8). • Il faut souligner la présence de nombreux percuteurs (30) : sur galets de quartzite, granite et roche métamorphique (12); sur petits rognons de silex de Montgaillard/Hibarette (16); sur d'anciens petits nucléus en silex de Chalosse (2). Comme nous l'avons déjà indiqué, l'industrie récoltée à Hibarette témoigne de nombreuses occupations à des périodes très diverses de la Préhistoire, ce qui limite la portée d'une étude typo-technologique très poussée. Néanmoins, certains éléments typo-technologiques repérés permettent de mieux préciser quelques champs chronologiques pour le Paléolithique supérieur. Les ateliers semblent avoir fonctionné plus particulièrement à l'Aurignacien si l'on tient compte du nombre relativement important des grattoirs carénés, des grattoirs sur lames ou éclats robustes ainsi que des lames à retouches aurignaciennes trouvés sur place. A cette période, correspondraient les nombreux nucléus à lames larges dont une partie des supports a servi directement dans l'outillage aurignacien du site. Cependant, la part principale de la production laminaire a dû être emportée vers les habitats pyrénéens : nous n'avons retrouvé que 155 lames brutes et 12 lamelles sur le gisement, ce qui est une quantité dérisoire comparée à la masse de matière qui a été débitée. La présence solutréenne est à signaler hors des 4 zones précédemment définies, par une pièce foliacée au lieu-dit Las Sablas et par une concentration d'industrie solutréenne caractéristique au lieu-dit Coustaret (fig. 5 : 16 à 19); cette dernière semble être homogène et elle fera l'objet d'une étude séparée. L'autre occupation importante est celle des Magdaléniens. A la phase ancienne de cette culture peuvent correspondre les raclettes, certains perçoirs sur éclat et les pièces esquillées, bien que ces dernières puissent être également une production aurignacienne ou gravettienne, voire azilienne. L'existence d'une chaîne opératoire axée sur la production d'éclats conforterait l'attribution au Magdalénien ancien. Pour la phase récente, il n'existe dans l'ensemble étudié aucune pièce caractéristique pouvant s'y rattacher; cependant, de nombreux nucléus à lames étroites et surtout à lamelles évoquent particulièrement le mode de débitage du Magdalénien moyen-supérieur (fig. 11 : 1, 5, 6; fig. 12 : 6, 7); nous retrouvons le même type de nucléus, tant au niveau des formes que de la matière première employée, notamment des plaquettes de silex de Montgaillard/Hibarette, dans le gisement magdalénien de la grotte de Labastide, distant de trente kilomètres (Simonnet 1991). D'autres indices permettent d'évoquer quelques passages à d'autres périodes, spécialement le Châtelperronien; il existe une pointe de Châtelperron (Las Vignes) qui entre dans la variabilité des formes du type (fig. 7 : 15) : la pointe est cassée, le dos présente des retouches semi-abruptes; celles de la corde sont continues, ce qui pourrait la distinguer des pièces standard. Le support de la pièce est en silex de Chalosse et elle a dû être abandonnée en raison de sa cassure. Les rapprochements immédiats sont à faire avec le Châtelperronien de la grotte de Gatzarria (Laplace 1966) à l'ouest, ainsi qu'avec le site de plein air des Tambourets (Méroc 1963) à l'est. L'Epipaléolithique n'est guère décelable puisque aucune pièce typique ne se retrouve dans l'industrie analysée, mais une étude récente des niveaux épipaléolithiques de la grotte de Troubat indique l'utilisation du silex de Montgaillard/Hibarette en proportion importante dans l'outillage (Lacombe 1998, 1999); certains petits nucléus à éclats laminaires pourraient être le résultat d'une taille à cette période (fig. 9 : 2, 3, 6). De même, par l'existence de silex Montgaillard/Hibarette dans les niveaux gravettiens de Gargas et d'Enlène EDG (Foucher, San Juan, à paraître), on peut inférer que les Gravettiens se sont arrêtés sur le gîte et il est possible que certains nucléus puissent se rattacher à des modalités de débitage de cette culture. Enfin, il existe sur le gisement des pointes de flèches et des haches polies qui révèlent des fréquentations au Néolithique; de nombreux grattoirs, notamment en silex de Chalosse, pourraient se rapporter à cette époque (grattoirs sur éclat ou éclat laminaire avec un bulbe épais et un talon lisse large). Le gîte/atelier d'Hibarette se présente comme un site étendu, à exploitation extensive, couvrant plusieurs hectares (un peu plus de 1 km_) dont une bonne partie n'est pas accessible actuellement ou a été malheureusement détruite (à l'emplacement de la déchetterie). Il est relativement isolé par rapport aux gîtes pyrénéens les plus proches comme ceux d'Arudy (40 km), de Lespugue-Montmaurin (40 km), de Salies-du-Béarn (60 km), du Dôme d'Aurignac, de Courensan dans le Gers (76 km) ou de Chalosse (85 km). La genèse de la matière siliceuse se place dans les formations du flysch (Crétacé supérieur). A la suite d'un démantèlement de cette formation et d'un transport, le silex s'est retrouvé au sein des poudingues de Palassou. Mais les affleurements de silex accessibles aux Paléolithiques se situaient dans les colluvions remaniant les poudingues à la suite des phénomènes érosifs, fréquents en contexte climatique périglaciaire et en piémont montagnard. Les affleurements sont très riches en matière première qui possède une bonne aptitude à la taille, et livrent des rognons de toutes dimensions, permettant des débitages de lames de plus de 15 cm de long, et de toutes formes : ceux en plaquettes ont été particulièrement employés à cause de leur forme parallélépipédique qui ne nécessite quasiment aucune préparation avant le plein débitage de lames. L'outillage trouvé sur le site est numériquement important et très diversifié dans ses composantes typologiques; il se rapproche de celui qu'on rencontre dans les habitats classiques en grotte ou abri (à faciès domestique dominant). Le site a été fréquenté sur la longue durée, du Paléolithique moyen au Néolithique. Les ateliers de taille du Paléolithique supérieur semblent se rapporter surtout à l'Aurignacien, au Solutréen et au Magdalénien, avec quelques indices pour le Châtelperronien, le Gravettien et l'Epipaléolithique. On peut le rapprocher des gîtes/ateliers du Pla (Mas d'Azil, Ariège), de Jean Nougué (Fabas, Ariège) ou de Bouzin village (Haute-Garonne) qui présentent les mêmes caractéristiques : longue durée de fréquentation et diversité de l'outillage associé (à la nuance près que l'outillage de Hibarette est numériquement plus important). En revanche, il se démarque de la myriade d'ateliers des Petites Pyrénées qui se répartissent en continu sur un front de 70 km et où l'on retrouve une majorité de déchets de débitage. La situation qu'occupe Hibarette dans l'espace paléolithique et le réseau d'habitats en grotte (ou abri) n'est pas la même que celle qu'on trouve dans les Petites Pyrénées. Les premiers karsts habités sont Lourdes (12 km), Aurensan (12 km), Espèche (20 km), Labastide (28 km), tandis que, dans les Petites Pyrénées, le maillage des grottes et abris se surimpose à celui des gîtes. Ces contextes différents ont dû certainement avoir des incidences sur les modes de fréquentation des gîtes. Pour se fournir en silex d'Hibarette, il fallait que les paléolithiques s'y rendent pour au moins une journée complète ou bien s'y arrêtent au cours de leurs déplacements épisodiques; ce gîte/atelier constituerait un lieu de production laminaire associé à un habitat que l'on pressent plutôt de courte durée (quelques jours). Quant à la majorité des sites des Petites Pyrénées – à l'exception des grands gîtes/ateliers du Pla, Jean Nougué ou Bouzin village qui auraient le même statut que celui d'Hibarette – ils semblent n'avoir été exploités que de manière occasionnelle par des paléolithiques dont les habitats devaient être proches, pour l'obtention de quelques supports. Les gîtes sont sur place, comme la faune; on peut s'y approvisionner au fur et à mesure des besoins sans que cela nécessite la mise sur pied d'une expédition spécialisée. Si on a besoin d'un bloc, on va le chercher (à l'exemple des occupants du Mas d'Azil, de Tarté, de Marsoulas, de Roquecourbère ou de Montmaurin-Lespugue). L'analyse de l'éventail des silex allochtones présents sur le site pourrait aussi donner quelques pistes d'interprétation sur les caractéristiques des séjours paléolithiques. A Hibarette, le silex provenant de Chalosse est majoritaire : 70 % des silex allochtones. La composante nord-aquitaine (silex du Bergeracois, gris ou noir du Sénonien périgourdin) est absente, alors que celle -ci se retrouve systématiquement dans les cortèges lithiques des habitats des Pyrénées centrales. Cette donnée pourrait aller dans le sens d'une occupation de courte durée du site d'Hibarette : en effet, si le séjour s'était prolongé, les paléolithiques auraient pu abandonner leurs outils de voyage en silex périgourdins comme c'est le cas en grotte ou sous abri (la logique commande que plus on reste longtemps dans un endroit, plus on est amené à abandonner des ustensiles que l'on a usés). L'hypothèse que l'on peut retenir serait une occupation de courte durée par quelques personnes, détachées du groupe principal dont l'habitat prolongé est ailleurs, venues spécialement sur le gîte pour des opérations de taille qui ont pu leur demander quelques jours (prospection et taille). L'apport de matériaux issus des sites de Chalosse suggère que leur dernière provenance connue est certainement à rechercher à l'ouest des Pyrénées. Les hypothèses énoncées doivent être relativisées à l'aune du contexte d'étude qui est celui d'une prospection, certes fine et systématique, mais qui possède ses limites : nous sommes loin d'avoir collecté toute l'industrie débitée sur le gisement et il reste très difficile d'appréhender la fréquence des passages des paléolithiques. Elles doivent donc être considérées comme les “scénarios” les plus probables (de même pour les campements en retrait par rapport au piémont occupés par des groupes plus importants et dans la mesure où on a une idée de l'importance numérique de ces groupes). Les études sur l'origine des matières siliceuses dans les habitats pyrénéens sont suffisamment bien avancées pour avoir une bonne idée de la diffusion de ces différents types de matériau (Simonnet 1973, 1981, 1999; Simonnet, Simonnet 1991; Chalard et alii 1995; Lacombe 1998; Normand 1986; Bon 2000; Briois 2000; Foucher, San Juan 2000). Dans le cas du silex de Montgaillard/Hibarette, on le retrouve dans presque tous les principaux sites des Pyrénées centrales se rapportant au Paléolithique supérieur et dans des proportions qui varient en fonction de l'éloignement du site par rapport au gîte. La figure 13 synthétise les données actuellement connues sur la circulation de cette matière siliceuse. Jusqu' à présent, le silex de Montgaillard-Hibarette n'a pu être mis en évidence que dans les sites localisés à l'est du gîte/atelier (à l'exception des Espélugues à Lourdes). Au sein des habitats qui se trouvent dans un rayon de 60 km, comme Labastide, Gargas, Troubat, il occupe une place importante dans l'industrie lithique : par exemple plus de 20 % des roches débitées dans le Magdalénien supérieur de Troubat et 16 % dans l'Azilien (Lacombe 1999). Au-delà, comme par exemple dans le Solutréen de Roquecourbère, des Harpons et le Gravettien d'Enlène ou de La Tuto de Camalhot, il est présent dans l'outillage à 1 ou 2 % (Foucher, San Juan 2000 et à paraître). Les deux derniers sites gravettiens se situent respectivement à 90 et 125 km de la source d'approvisionnement. Il faut citer plus particulièrement le cas de la grotte de Labastide qui a l'avantage de réunir plusieurs niveaux d'informations qui, si on les recoupe, permettent de proposer un sens de diffusion culturelle dans le monde magdalénien à partir de faits archéologiques précis (Simonnet, Simonnet 1991). L'outillage des Magdaléniens qui ont séjourné dans la grotte est composé uniquement de silex originaires de l'ouest ou du nord (Silex d'Hibarette, de Chalosse ou du Périgord). Les coquillages marins percés corroborent cet axe de déplacement nord-sud ou ouest-est. Si au cours de leur périple, ils étaient passés par les Petites Pyrénées, ils auraient immanquablement ramassé des supports de cette région; ce qui semble être la règle dans les habitats des Pré-Pyrénées et des vallées intérieures lorsqu'on atteint le méridien des gîtes prépyrénéens dans un déplacement vers l'est, au pied de la chaîne. Or, jusqu' à présent aucun support de provenance orientale n'a pu être détecté. Par ailleurs, dans le corpus des objets mobiliers découverts dans la grotte, se détache un des rares exemplaires de “propulseur au faon ”; il en existe un en tous points comparables à Arudy, ainsi qu'au Mas d'Azil et à Bédeilhac, avec pour ces derniers une iconographie certainement plus complète (représentation supplémentaire d'un oiseau). Nous avons, d'une part, les données de circulation des matières premières qui indiquent un déplacement unilatéral des Magdaléniens de l'ouest vers l'est (dans le cas où les Magdaléniens venaient de Dordogne, ils devaient passer forcément par la Chalosse pour s'y approvisionner en silex); d'autre part, des objets mobiliers confectionnés presque à l'identique dans des sites qui jalonnent les Pyrénées occidentales et centrales. Il serait étonnant, sauf à envisager des hypothèses qui répondraient à des épisodes évènementiels qui nous échapperont toujours, que le thème iconographique du Faon appliqué aux propulseurs n'ait pas été véhiculé par les mêmes personnes qui se déplaçaient de l'ouest vers l'est et dont une des provenances assurées était la Chalosse. En confrontant ainsi industrie lithique et art mobilier, on perçoit un courant d'influence et de diffusion culturelle au Magdalénien moyen le long des Pyrénées, de sa partie occidentale vers celle orientale. Au fur et à mesure de l'avancement des connaissances sur les gîtes à silex des Pyrénées, le site de Hibarette apparaît comme un des principaux gîtes à silex des Pyrénées centrales. Il fait partie d'un ensemble géomorphologique, corrélatif aux affleurements du flysch qui recèlent d'autres potentialités en ressources siliceuses; mais le silex de Montgaillard possède suffisamment de caractères intrinsèques qui l'individualisent bien et en font un bon marqueur. Jusqu' à présent, sa diffusion semble n'avoir pris qu'une direction exclusivement orientale et a atteint une distance de 150 km. Cependant, des études plus systématiques à venir pourraient réserver quelques surprises : il est du domaine du possible que des supports en silex de Montgaillard/Hibarette puissent être reconnus (si on le recherche) dans des sites éloignés comme dans les Cantabres, l'Aquitaine ou le Languedoc-Roussillon .
Les auteurs présentent les résultats d'une étude portant sur le silex du flysch de Montgaillard et sur les ateliers de plein air paléolithiques de Hibarette (Hautes-Pyrénées) où il a été exploité. L'acquisition des données s'est faite par le biais d'une prospection systématique étalée sur une vingtaine d'années. La matière première a fait l'objet d'une caractérisation pétrographique et le contexte géomorphologique des gîtes exploités a pu être précisé, ographique Les ateliers de taille ont fonctionné à toutes les périodes de la Préhistoire: Paléolithique moyen, supérieur et Néolithique. L'exploitation du silex au Paléolithique supérieur semble se placer surtout à l'Aurignacien, au Solutréen et au Magdalénien (ancien, moyen/supérieur). Néanmoins, il existe quelques indices de passages au Châtelperronien, au Gravettien ainsi qu'à l'Epipaléolithique. De par la qualité du silex, la masse de matière première qui a été débitée sur les ateliers de taille, et sa diffusion dans toutes les Pyrénées, le silex de Montgaillard/Hibarette tient une place de choix dans l'économie des matières siliceuses des Pyrénées centrales et les gîtes/ateliers de Hibarette sont certainement parmi les plus importants de cette région.
archeologie_525-02-11856_tei_290.xml
termith-95-archeologie
Situé sur la commune de Sorde-l'Abbaye (Landes), l'abri-sous-roche de Duruthy s'ouvre au sud dans les calcaires nummulitiques de la falaise du Pastou où sont également localisés les gisements préhistoriques de Dufaure, du grand et du petit Pastou (fig. 1). Repéré en 1872, le site a fait l'objet, de 1873 à 1874, de fouilles limitées au fond de l'abri par Louis Lartet et Gatien Chaplain-Duparc qui y ont établi les premières stratigraphies et découvert des ossements humains paléolithiques (Sorde 1) dont il sera question dans cet article (Lartet et Chaplain-Duparc, 1874 a et b; Oakley et al., 1971, p. 179). Par la suite, de 1958 à 1985, Robert Arambourou a mené des fouilles de plus grande envergure qui ont permis à la fois de compléter et de préciser la stratigraphie du site, mais également de contribuer à l'identification d'un autre lot de vestiges osseux humains paléolithiques (Sorde 3) (Arambourou, 1978; Oakley et al., 1971, p. 179), ainsi qu' à la découverte de trois statuettes de chevaux en ronde-bosse (Arambourou, 1962). L'ensemble des différentes investigations archéologiques a mis au jour des assemblages industriels attribués au Chalcolithique (une nécropole d'une trentaine d'individus), à l'Azilien ainsi qu'au Magdalénien moyen et supérieur pyrénéen (Orliac et al., 1988, p. 319-320). Dans le cadre d'une approche comparative des industries sur matières dures animales magdaléniennes à l'échelle des Pyrénées occidentales, à partir de l'étude de la grotte du Bourouilla à Arancou (Pyrénées-Atlantiques) (Chauvière, 1998), nous avons réexaminé les collections de Duruthy conservées aux Musées du Mans et issues des fouilles Lartet et Chaplain-Duparc. Ces derniers avaient notamment découvert, au fond de l'abri, un assemblage constitué d'ossements humains (crâne, phalanges, fémurs) et de canines de lion et d'ours des cavernes, certaines perforées et décorées, qu'ils ont interprété tout d'abord comme une sépulture (donc un dépôt volontaire) puis, dans un second temps, comme les restes parés d'un individu décédé accidentellement (Lartet et Chaplain-Duparc, 1874 a et b). Plus d'un siècle après cette trouvaille, nous constatons que cet ensemble n'a été que partiellement publié et que les auteurs successifs qui ont eu à traiter de Duruthy n'ont fait que reprendre les observations et les figures de l'article princeps. Dans leur première publication de 1874, Lartet et Chaplain-Duparc mentionnent ainsi : “Au-dessus de cette terre rouge, on trouve tantôt une couche, très noire de cendres assez grasses, tantôt un limon jaunâtre. C'est dans cette dernière assise qu'ont été rencontrées une quarantaine de canines d'ours, presque toutes percées d'un trou de suspension et dont un bon nombre présentaient des gravures figurant des animaux, des flèches et des ornements. A ces canines d'ours étaient associées trois canines de lion pareillement percées de trous de suspension. Immédiatement à la surface de ce lit se trouvaient les débris épars d'un crâne et d'un squelette humains” (Lartet et Chaplain-Duparc, 1874 a, p. 128). Trois points importants de ce texte sont à souligner : Lartet et Chaplain-Duparc sont ici évasifs sur le nombre total de canines d'ours découvertes. Ce chiffre est d'ailleurs pratiquement toujours resté approximatif au fur et à mesure des publications. On a ainsi parlé indifféremment de “quarante” (Binant, 1991 a, p. 56; May, 1986, p. 47), d'une “quarantaine” (Arambourou, 1973, p. 15 et 1978, p. 14) ou d'une “cinquantaine” de pièces (Orliac et al., 1988, p. 319). Gustave Cotteau propose un effectif de 55 canines, mais il parle uniquement de dents d'ours et ne mentionne pas le nombre de canines de lion (Cotteau, 1889, p. 151); En revanche, Lartet et Chaplain-Duparc sont catégoriques sur le nombre de canines de lion (trois exemplaires). C'est le seul total qui ne change pas d'une publication à l'autre, ni d'un auteur à l'autre; Toutes les canines d'ours ne sont pas percées ni décorées. Or, le titre même de l'article de Lartet et Chaplain-Duparc est ambigu puisqu'il fait état “[…] d'un foyer contenant des débris humains associés à des dents sculptées de Lion et d'Ours” (Lartet et Chaplain-Duparc, 1874 a et b). Dans la littérature, certains auteurs ont considéré la totalité du matériel dentaire comme perforé et/ou orné : “[…] 40 canines d'ours et 3 de lion, toutes percées, certaines décorées […]” (Binant, 1991 b, p. 56), “[…] un crâne associé à un harpon avec des dents d'ours perforées […]” (Strauss, 1995, p. 13), “[…] le cadavre était paré d'un collier et d'une ceinture en canines de lion et d'ours, perforées et gravées […]” (Déchelette, 1908, p. 287). Nous verrons plus loin qu'il n'en est rien. D'autre part, Lartet et Chaplain-Duparc restent tout aussi imprécis quant au nombre exact de canines d'ours décorées : “[…] Une vingtaine…offrent des figures diverses gravées au silex […]” (Lartet et Chaplain-Duparc, 1874 a, p. 139). La même imprécision ressort évidemment des décomptes livrés par d'autres auteurs à leur suite : “[…] la moitié de ces canines est ornée […]” (Cartailhac, 1896, p. 116), “[…] des gravures sur certaines dents de la parure […]” (Binant, 1991 b, p. 56), “[…] la célèbre série de canines d'ours et de lions, pour la plupart gravées […]” (Bordes, 1978, p. 9). En fait, seuls 18 objets, percés et/ou décorés, ont été effectivement publiés et reproduits. Les pièces non-façonnées, quant à elles, n'ont jamais été ni étudiées ni figurées. D'après nos propres décomptes, et après raccord des objets fragmentaires, le nombre de dents de carnivores exhumées lors de ces premières fouilles s'élève à 55, chiffre identique à celui proposé par Cotteau et qui doit être considéré comme un maximum. Quarante-neuf pièces sont conservées aux Musées du Mans et cinq autres au Muséum d'histoire naturelle de Toulouse (tabl. 1 et 2) (Ladier et Welté, 1995). Il manque donc une pièce que nous n'avons pas localisée. Il s'agit d'une des trois dents de lion. Les canines de cette espèce sont pourtant aisément identifiables par le double sillon mésial et distal situé sur la couronne (Bonifay, 1966). Le Muséum d'histoire naturelle de Toulouse semble en posséder une seule, sur la foi des documents publiés en 1995 (Ladier et Welté, 1995, p. 44). De même, aux Musées du Mans, nous n'avons repéré qu'une seule canine de lion, celle publiée par Lartet et Chaplain-Duparc (fig. 2, n° 2). La dent manquante a -t-elle totalement disparu ou se trouve -t-elle parmi les pièces pour lesquelles il ne subsiste plus que la racine (4.2 Déterminations anatomiques et spécifiques) ? Quand bien même envisage -t-on cette dernière éventualité, une dent fait de toute façon défaut à l'inventaire (4.1 Etat de conservation général de la collection Chaplain-Duparc). Quoiqu'il en soit, 37 dents d'un ensemble depuis longtemps célèbre sont restées inédites jusqu' à ce jour (tabl. 1 et 2). Lartet et Chaplain-Duparc ont décrit la localisation respective des restes humains et des canines de carnivores au moment de leur découverte. Ils écrivent : “Examinons maintenant, à leur tour, ces canines d'ours et de lion, qui formaient la parure de cet homme et devaient être en même temps des trophées de chasse. Nous les avons trouvées au nombre d'une cinquantaine environ, réparties en deux groupes inégalement distants du crâne, comme si l'un avait constitué un collier et l'autre une ceinture, par exemple” (Lartet et Chaplain-Duparc, 1874 a, p. 137). Ces précisions appellent trois remarques : Pour Lartet et Chaplain-Duparc les canines de carnivores sont associées aux ossements humains; Pour ces mêmes auteurs, ces canines sont investies d'une dimension symbolique et appartiennent à la catégorie des objets de parure; L'activité cynégétique est l'unique modalité d'acquisition envisagée pour ces dents. Si l'interprétation des canines percées et/ou décorées en tant qu'éléments de parure n'a jamais été remise en cause, en revanche, le caractère intentionnel de l'association os humains/éléments symboliques a récemment été discuté par Dominique Gambier (1996 a et b). Selon cet auteur, dans la mesure où les différents artefacts n'ont pas été retrouvés en relation directe les uns avec les autres (les dents superposées aux ossements, par exemple), il reste délicat, qui plus est en l'absence de relevés précis, d'affirmer la réalité paléolithique de cette association. Notons que pour la sépulture du Cavillon, Yvette Taborin a signalé la présence, non pas sur le squelette mais au-dessus et à proximité de celui -ci, de coquillages (lamellibranches et coquilles de type alimentaire). La relation entre l'inhumé et ce mobilier est toutefois douteuse, compte tenu de l'ancienneté des fouilles et de la présence de coquilles identiques dans les autres niveaux d'occupation de la grotte (Taborin, 1982, p. 48). Pour Duruthy, une pollution stratigraphique ne peut être raisonnablement envisagée car aucune autre canine de grand carnivore n'a été signalée ailleurs dans le gisement. On pourrait toutefois, de prime abord, envisager une distinction dans la position stratigraphique respective des dents et du squelette humain (un individu adulte, d' âge indéterminé), si l'on s'en tient à la précision qu'apportent Lartet et Chaplain-Duparc : “Immédiatement à la surface de ce lit - le limon jaunâtre dans lequel ont été trouvées les dents de carnivores - se trouvaient les débris épars d'un crâne et d'un squelette humain” (Lartet et Chaplain-Duparc, 1874 a, p. 128). Ceux -ci seraient donc localisés un peu plus haut que les canines dans la stratigraphie et seraient plus récents. Toutefois, et comme l'a déjà souligné R. Arambourou (1978, p. 45), les fouilleurs regroupent sur le relevé d'une coupe de l'abri, d'orientation sud-ouest/nord, les dents et les ossements humains dans une même entité stratigraphique : le limon jaunâtre (c, d) (Lartet et Chaplain-Duparc, 1874 a, p. 131, fig. 30) (fig. 3). Cette lentille, dont la superficie totale reste inconnue, tranchait suffisamment par sa texture et sa couleur pour ne pas avoir été confondue avec les sédiments sous-jacent (“ terre brûlée rougeâtre ”) et sus-jacent (“ couche, très noire de cendres grasses”). Seul le sommet du crâne est inclus dans l'ensemble F : “Couche noire de foyer avec ossements brisés de bœuf, de cerf, de cheval et de renne et nombreux silex taillés” (Lartet et Chaplain-Duparc, 1874 a, p. 131, fig. 30). Ils ajoutent encore : “Ce qui frappe tout d'abord, c'est d'apercevoir sur la terre brûlée (Tb) qui semble se rapporter à la première occupation de l'abri, le crâne humain gisant à côté du collier de dents d'ours et de lion” (Lartet et Chaplain-Duparc, 1874 a, p. 135). Enfin, ils précisent : “Nous ne croyons pas [. ..] pouvoir considérer le crâne C comme se rapportant à une époque bien antérieure à l'accumulation du foyer noir (F) qui le recouvre immédiatement” (Lartet et Chaplain-Duparc, 1874 a, p. 135). En conclusion, il reste légitime, de prime abord, de considérer l'assemblage canines/ossements humains comme stratigraphiquement équivalent et synchrone à l'échelle de la formation de l'unité sédimentaire dans laquelle il est inclus. Toutefois, l'intentionnalité et la stricte contemporanéité de l'association doivent, quant à elles, être évaluées dans d'autres termes que ceux qui sont inhérents à la seule distribution stratigraphique et spatiale des vestiges. Nous verrons plus loin ce qu'une analyse technique de l'ensemble peut apporter comme arguments dans un sens ou dans l'autre. Rappelons enfin que D. Gambier défend l'hypothèse d'une sépulture primaire remaniée, suggérée par la faible représentation numérique des éléments du squelette humain limités à la région céphalique et à quelques ossements post-crâniens ainsi que par l'absence de connexion anatomique. En outre, aucune fosse d'enfouissement n'a été signalée par les inventeurs (Gambier, 1996 b, p. 266). Le calage chronologique de cet ensemble est problématique. La plupart des auteurs s'entendent pour attribuer Sorde 1, en raison de sa position stratigraphique, au Magdalénien supérieur sensu lato (Arambourou, 1978; Orliac et al., 1988). Mais cette attribution, basée sur l'intercalation des ossements humains et des canines de carnivores entre des niveaux du Magdalénien VI et d'autres du Magdalénien IV (fig. 3), reste toute théorique, qui plus est en l'absence de datation numérique. Elle est même en contradiction avec les conclusions de l'analyse stylistique des décors des canines d'ours. En effet, des parallèles ont pu être établis entre Duruthy et d'autres sites pyrénéens (Isturitz, Gourdan, Lortet) et périgourdins (Laugerie-Basse) tant au niveau du répertoire figuratif que non-figuratif, ce qui a permis d'attribuer l'ensemble au Magdalénien moyen sensu lato ou Magdalénien IV de Breuil (Arambourou, 1962, p. 462; Binant, 1991 b, p. 56; May, 1986, p. 50; Tymula, 1996, p. 180). Nous estimons toutefois que ce calage chronologique est trop lâche car le Magdalénien IV reste à caractériser. En outre, on ne date ici qu'une phase du façonnage des objets (la mise en place de l'ornementation) et il faudrait démontrer, dans ce fait précis, que toutes les phases de transformation de l'ensemble du matériel dentaire concerné sont synchrones. Il est enfin nécessaire de valider l'association du ossements humains avec les canines de carnivores. Le caractère partiellement inédit de cette documentation relative au gisement de Duruthy ne peut justifier à lui seul une publication si l'ensemble n'est pas réintégré dans une problématique plus vaste. Dans un premier temps, une lecture autre de Sorde 1 est susceptible d'alimenter le débat relatif à la disposition des canines de carnivores par rapport au squelette humain et de valider cette association. Dans un second temps, il devient alors légitime de s'interroger, notamment à partir de l'analyse des canines d'ours non-façonnées, sur les problèmes liés à l'identification et à l'interprétation des objets paléolithiques investis d'une dimension symbolique (qui ne sont pas nécessairement des éléments de parures). En outre, une thématique spécifique concernant la durée de vie de ces objets (ou temps de “véhiculation”), en regard de leur lieu de fabrication et d'abandon, peut être abordée à partir des contextes particuliers que sont les sépultures. Ces dernières fournissent en effet un repère chronologique “court” à l'intérieur du temps “long” de la préhistoire : celui de l' âge au décès du (des) individu(s) inhumé(s). On conçoit dès lors tout l'intérêt de multiplier les observations sur l'état d'usure de ces objets symboliques en milieu sépulcral (comme celle qui a été réalisée par Yvette Taborin (1993) pour l'enfant de la Madeleine en Dordogne, par exemple). On peut ensuite les confronter entre elles et à celles, plus nombreuses mais non “calibrées ”, obtenues pour des éléments similaires dans des contextes de nature différente tels que les habitations paléolithiques. Le bilan des études menées sur les canines de carnivores de Duruthy montre que celles -ci ont fait l'objet uniquement d'une analyse thématique de l'ornementation figurative et non-figurative (Breuil et Saint-Périer, 1927; Reinach, 1913, p. 170; Tymula, 1996, par exemple). Nous avons opté pour une approche technique des 49 éléments de parure conservés aux Musées du Mans. Réalisé par le biais du concept de chaîne opératoire (Leroi-Gourhan, 1943; Perlès, 1991), seul ce type d'étude est à même de mettre en évidence les activités techniques exercées sur ce matériel archéologique ou lié à celui -ci, notamment au niveau des traces d'extraction et de façonnage ainsi que des stigmates de fonctionnement. Toutes les pièces de la collection Chaplain-Duparc ont été analysées sous une loupe à faible grossissement (jusqu' à dix fois). Pour valider les observations archéologiques, nous avons utilisé notre propre référentiel expérimental sur les traces de travail et d'usure de dents animales portées en suspension. Ce référentiel est utilisable à l'échelle macro - et microscopique (loupe binoculaire à fort grossissement). L'état de conservation des 49 pièces étudiées est très inégal. Seuls sept éléments sont complets (fig. 4; fig. 2; fig.5; fig.6). Les 42 autres objets présentent des fractures anatomiques localisées le plus souvent au niveau de la couronne (fig. 7 à 11; fig. 12; fig. 13, n° 4). Parmi ce dernier ensemble, 18 pièces sont fragmentées au niveau de la perforation ou du décor. Les états de surface sont assez médiocres dans l'ensemble, consécutivement à de nombreuses manipulations (moulages, par exemple) et à un processus de desquamation avancé pour certaines pièces. À ce titre, un bilan comparatif montre, de manière éloquente, l'évolution des objets depuis la publication princeps (fig. 14 et 7). Certaines dents sont en effet amputées de la moitié, voire des deux tiers de leur volume et ont perdu une partie de leur décor ou de leur perforation. La collection Chaplain-Duparc se compose de 48 (47 ?) canines d'ours (Ursus spelaeus) et une (deux ?) de lion (Felis spelea ?). Il reste difficile, pour les pièces très fragmentaires dont il ne subsiste plus que la racine, de déterminer à quel taxon elles appartiennent (fig. 9; fig. 11, n° 4). Parmi les canines d'ours qui ont conservé l'extrémité de leur racine intacte, nous avons décompté deux individus subadultes (racine ouverte). Les autres dents proviennent d'individus adultes (racine fermée) (tabl.1). Nous avons essayé de déterminer le sexe des ours qui ont pu fournir ces dents en nous basant sur la mesure de la largeur de la racine au collet (ou Diamètre Transversal au collet) (Baryshnikov et David, 2000; Koby, 1949; Schweizer, 1999). La plupart des canines de Duruthy ne sont pas latéralisées du fait de leur fragmentation. Afin d'obtenir la validité statistique des résultats, nous avons décidé de regrouper toutes les pièces sans opérer la distinction habituelle entre les canines supérieures, les inférieures et les indéterminées. Le graphique n° 1 montre une répartition globalement bimodale de l'ensemble (graph. 1). Les mesures comprises entre 14 et 17 mm pourraient appartenir à des femelles ou des jeunes subadultes alors que les quatre mesures comprises entre 19 et 23 mm pourraient être rapportées à des mâles. Nous avons vu que Lartet et Chaplain-Duparc ont considéré l'acquisition des canines d'ours et de lion liée à une activité cynégétique. Or, à Duruthy, il n'existe aucun élément pour étayer cette affirmation. D'ailleurs, d'une manière générale, la chasse de ces animaux (Ursus spelaeus et Felis) n'est pas argumentée en contexte paléolithique (Morel et Garcia, 1997, p. 2). En outre, l'ours des cavernes ne semble plus présent en Europe après 18 000 BP, c'est-à-dire bien avant l' âge habituellement avancé de la sépulture Sorde 1 (Fosse et al., 1997, p. 5). Il est donc tout aussi plausible d'envisager une acquisition au détriment de squelettes fossiles. De telles modalités d'acquisition ont été décrites en contexte spéléologique et archéologique pour la grotte du Tuc d'Audoubert (Ariège) où des crânes d'ours des cavernes ont été fracturés par percussion lancée avec un percuteur pour en extraire les canines (Begouën et Breuil, 1958, p. 90; Begouën et Clottes, 1982, p. 518). Sur les 49 dents analysées, 30 sont perforées à la racine au détriment des faces mésiale et distale (fig. 2,4 et 7 à 12; fig. 15, n° 4). Cinquante-deux perforations sont observables (nous avons compté une perforation par face). Quatorze pièces présentent une préparation du volume à percer réalisée par grattage-rainurage afin d'amincir la dent à cet endroit et faciliter le calage de l'outil perforant. Dans sept cas, cette préparation est bifaciale (fig. 11, n° 1, 2, 4; fig. 4, n° 1, 2; fig. 2, n° 1; fig. 12, n° 3). Dans sept autres cas, la préparation est unifaciale mais deux pièces n'ont plus qu'une face observable (fig. 7, n° 3, 4; fig. 8, n° 2; fig. 9, n° 1; fig. 11, n° 3; fig. 12, n° 2). À noter que l'absence de stigmates de préparation sur les 16 autres pièces ne signifie pas nécessairement l'absence de ce type d'action technique car elles ont pu être totalement occultées par les perforations qui leur sont toujours postérieures. Les perforations ont été effectuées par rotation bifaciale (24 cas) et les orifices sont de section biconique (fig. 7, n° 1, 3, 4; fig. 8; fig. 9, n° 2, 3, 5; fig. 10, n° 1; fig. 11, 12, 2, 4; fig. 13, n° 1, 2). Cinq pièces n'ont plus qu'une face conservée mais dans ce cas, la perforation est également réalisée par rotation (fig. 9, n° 1, 4; fig. 10, n° 2; fig. 13, n° 3, 4). De par la technique employée (la rotation), les perforations sont nécessairement circulaires. Les dimensions des orifices varient entre 6 et 10 mm (graph. 2). Les diverses phases du façonnage ont pour objectif la mise en fonction de ces dents en tant qu'éléments de parure portés en suspension. Yvette Taborin signale qu'habituellement les dents d'ours ont fait l'objet d'un percement laborieux, certainement par grattage-rainurage (Taborin, 1995). Les perforations des canines de Sorde 1 sont, au contraire, très soignées, à l'instar de ce qui a été observé sur les exemplaires de Castelmoron (Bidart et al., 2001, p. 36) et de Bruniquel-Lafaye (Ladier et Welté, 1993, p. 316 et 1994, p. 117). Parmi les 49 dents étudiées, 16 présentent un décor inégalement localisé sur les faces mésiale, distale ou vestibulaire, soit 22 faces (tabl. 3). Le registre iconographique est le plus souvent réalisé au niveau de la racine, sauf pour l'exemplaire I-667 (fig. 10, n° 2) où il affecte également le collet et la couronne. Il n'a pas été possible de distinguer l'ordre de succession entre les phases de percement et de mise en place de l'ornementation, exception faite pour la pièce I-651 (fig. 8, n° 1) où la gravure est postérieure à la perforation. La technique utilisée est la gravure fine ou plus profonde. Sur la dent I-659 (fig. 7, n° 2), on peut parler de champlevé pour la réalisation de l'image de phoque. Comme nous l'avons déjà signalé, la thématique iconographique a déjà fait l'objet de nombreuses publications. Il n'est donc pas nécessaire d'y revenir sauf pour mentionner les pièces inédites I-653 (fig. 11, n° 3) et I-675 (fig. 13, n° 2), sur lesquelles on distingue des motifs gravés de forme elliptique ou de type “barbelé ”. (fig. 7, 8, 14; fig. 9, n° 1; fig. 4, 10, 11) Pour six canines décorées, la netteté des traits gravés est à noter (fig. 8, n° 1; fig. 11, n° 1, 2, 4; fig. 4, n° 2; fig. 13, n° 2). Pour dix autres pièces, les bords des traits de gravure sont un peu plus émoussés (fig. 7; fig. 8, n° 2; fig. 9, n° 1; fig. 10; fig. 11, n° 3; fig. 4, n° 1). Il est très difficile d'interpréter ces données tracéologiques dans la mesure où les pièces ont été, depuis leur découverte, souvent manipulées, quelques fois moulées. Certaines ont même vu leur décor repassé au crayon afin de faciliter la lecture des motifs ce qui n'a pas manqué d'altérer les tracés eux -mêmes (fig. 7, n° 1; fig. 10, n° 1; fig. 4, n° 1). A la suite de ce constat, nous avons porté notre attention sur l'analyse des traces d'usure des perforations. Vingt-huit pièces ont pu être retenues pour observation (tabl. 4). Aucune orientation d'usure préférentielle n'a pu être notée car la plupart des perforations sont brisées. Toutefois, deux groupes d'objets peuvent être distingués : Groupe 1. Il comprend dix canines pour lesquelles les stigmates de perforation par rotation sont encore parfaitement visibles, même à l'échelle macroscopique. Les bords des orifices ne sont pas émoussés (fig. 5). Groupe 2. Il est constitué par 18 pièces dont les stigmates de percement, s'ils restent largement lisibles, sont en partie effacés. Les bords des orifices sont légèrement émoussés. On notera que la plupart des pièces pour lesquelles nous avons observé un émoussé des incisions du décor se retrouvent dans le groupe 2. Toutefois, l'équation n'est pas vérifiée dans tous les cas et compte tenu des remarques précédentes (cf. 4.5.1), il s'avère hasardeux de vouloir systématiser la relation entre l'usure des perforations et celle de l'ornementation. On admet habituellement que ces objets ont été véhiculés sur un laps de temps très long, peut-être à l'échelle de plusieurs générations, car ces dents de grands carnivores sont abandonnées dans un état d'usure prononcé (Taborin, 1995). Or, les canines de Sorde 1 se singularisent par l'absence ou la faible intensité des traces d'usure au niveau des perforations. D'après notre expérience personnelle dans l'étude des dents animales percées en général et des canines d'ours et de lion en particulier, nous sommes amené à considérer les canines de Duruthy comme des objets ayant été peu ou pas utilisés. La série de canines de carnivores de Duruthy est très fragmentaire puisque 42 pièces sont brisées. Nous avons étalonné notre analyse des fractures à partir des pièces figurées en 1874 et qui ont subi, depuis, des modifications de forme selon le processus de desquamation décrit précedemment (cf. 4.1). C'est notamment le cas de la dent I-659 (fig. 7, n° 2), ornée d'une image de phoque. Cette dent présente, au niveau de la fracture qui affecte la pièce sur le tiers de son volume, une double patine. L'une (patine de type 1), d'aspect récent caractérisé par la couleur blanche de la dentine mise à nu, se retrouve dans 21 autres cas. L'autre (patine de type 2) se révèle être totalement identique à celle qui affecte les quatre canines n'ayant pas évolué, de façon certaine, depuis la publication princeps (fig. 8, n° 1; fig. 10, n° 2; fig. 11, n° 1, 4). Cette patine est très brune et s'est formée sur 23 autres pièces. Par conséquent, il est désormais impossible de savoir, pour ces canines non figurées en 1874, si elles étaient fragmentaires ou complètes lors de leur découverte par Lartet et Chaplain-Duparc. Aucune interprétation, quant au moment et au type de fracturation, ne peut être proposée. Dix-neuf canines d'ours ne portent aucun stigmate de façonnage. Toutefois, 16 de ces pièces sont fragmentaires et pour 15 d'entre elles, nous n'avons aucune assurance qu'elles aient été travaillées. Finalement, il n'y a que quatre pièces pour lesquelles l'absence de stigmates de façonnage correspond à une réalité paléolithique (fig. 6 et 16). La question de l'interprétation de ces pièces non travaillées, retrouvées au sein d'un ensemble fortement investi symboliquement, est discutée plus loin (cf. 5.2). Si les dents percées de grands carnivores comme le lion et l'ours sont rares en contexte paléolithique, celles qui s'avèrent être décorées sont encore moins nombreuses. On peut, à titre de comparaison, citer la canine d ' Ursus spelaeus ? de Castelmoron (Lot-et-Garonne) décorée de stries rectilignes parallèles sur sa face linguale, datée du début du Magdalénien moyen (Bidart et al. 2001, p. 36). Une canine d'ours découverte au Placard (Charente), sans attribution chrono-culturelle précise, porte sur ses faces vestibulaire et linguale de courtes stries rectilignes parallèles (Chollot, 1980, p. 61). Henri Delporte signale une gravure d'oiseau sur une canine d ' Ursus spelaeus provenant d'El Buxu (Oviedo, Espagne) (Delporte, 1990, p. 79). A l'inverse, le relevé de la canine d ' Ursus spelaeus provenant, peut-être, des niveaux aurignaciens d'Aurignac (Haute-Garonne) n'est pas explicite (Lartet, 1861, p. 190). À notre avis, les pièces de Duruthy sont à replacer au sein du contexte plus vaste des dents perforées et décorées des phases moyenne et supérieure du Magdalénien d'Europe occidentale. Elles prennent également place dans l'histoire des relations entretenues entre l'homme et l'ours depuis le Paléolithique inférieur (Auguste, 1993). Sorde 1 se caractérise par la présence simultanée de quatre catégories de dents de carnivores, très différentes les unes des autres, à savoir : A - des produits façonnés fragmentaires, B - des produits façonnés usés, C - des produits façonnés non usés, D - des pièces non-façonnées. A ce stade de l'analyse, il convient d'évaluer, pour chacune de ces catégories, leur potentialité d'appartenir soit à une sépulture, soit à un quelconque autre contexte archéologique. Ils sont retrouvés en grand nombre dans les habitations et peuvent correspondre à des objets abandonnés, après fragmentation, sur le lieu de leur dernière utilisation. En outre, chez Ursus spelaeus et Felis spelea, les canines sont très robustes, larges et épaisses. Il paraît donc peu vraisemblable que des fractures se soient produites lors du percement des objets. Toutefois, on ne peut totalement écarter l'hypothèse d'une moindre résistance de dents “fossiles ”, a priori plus fragiles, lors du façonnage. Enfin, à notre connaissance, il n'existe pas d'exemplaires introduits en l'état dans les sépultures mais, pour les fouilles anciennes, la totalité du matériel a -t-elle été publiée ? Les habitations et les contextes funéraires ont livré de tels objets (Taborin, 1982). Dans le cas de la sépulture de la Madeleine (Dordogne), les coquilles perforées qui accompagnent l'enfant de trois ans (Heim, 1991, p. 612) paraissent avoir été longuement utilisés (Taborin, 1993). Ainsi, cet auteur se demande justement si la parure est bien celle du défunt car un tel laps de temps (la durée de vie de l'enfant) ne semble pas suffisant pour user des coquilles d'une manière si accusée. L'exemple de Duruthy, où un squelette humain adulte serait ici associé à des dents animales percées, peu ou pas usées, se situerait donc à l'opposé de celui de la Madeleine. En contexte funéraire, on peut mentionner l'exemple des sépultures épipaléolithiques de los Azules et du Molino de Gasparin (Espagne) pour lesquelles l'étude tracéologique de certains objets qui accompagnaient le défunt suggère qu'ils n'ont pas été utilisés (Arias Cabal et Garralda, 1995, p. 879). Leur présence au sein d'un niveau d'occupation reste tout aussi cohérente si l'on retient l'hypothèse d'un atelier de façonnage d'objets symboliques, par exemple. Elles posent le problème de l'identification des éléments symboliques. En effet, si l'on postule que deux objets de structure différente ne peuvent avoir le même mode de fonctionnement (au sens où ce terme est défini par Sigaut, 1991), il est délicat, pour Sorde 1, de proposer une interprétation unique pour des canines d'ours non percées non décorées et pour d'autres très investies sur le plan technique. En définitive, deux logiques guident l'archéologue dans son identification de l'objet symbolique : Celle de la logique contextuelle, qui assigne la même valeur de signifiant à des objets non travaillés aussi bien qu' à des éléments fortement investis sur un plan technique; Celle de la logique technique, qui incite à considérer les pièces non façonnées comme des supports en attente d' être mis en fonction. À noter que dans ce cas, seule une approche transdisciplinaire, croisant les données issues d'analyses techniques et archéozoologiques, permet de dégager les éléments pour une discussion sur le statut de ces objets (Castel et al. 1998). Les deux raisonnements sont applicables en milieu archéologique, à condition de différencier les sites suivant leurs modes de fonctionnement propres. Nous estimons que la piste interprétative n° 1 est surtout valable pour des contextes bien particuliers, assurément symboliques, comme les grottes ornées (voir le cas des objets retrouvés dans des “caches ”, Begouën et Clottes, 1982) ou les sépultures comme celle de la femme du Cavillon qui, sous réserve des précisions apportées en 2.2, aurait livré, en même temps que des produits transformés, des objets non façonnés (Binant, 1991 a, p. 113-114; Luquet, 1926, p. 187, par exemple). La solution n° 2 paraît plus acceptable dans le cas d'une habitation (au sens large du terme). C'est d'ailleurs cette hypothèse qui est envisagée pour les deux incisives de bouquetins non-façonnées (une troisième incisive est perforée) provenant des niveaux solutréens de Combe-Saunière (Dordogne), alors qu'aucun autre os du squelette crânien et post-crânien de ce taxon n'a été découvert dans le site (Chauvière, 1997). Elle pourrait aussi être valable pour 19 incisives d'ongulés non-façonnées découvertes au Cuzoul-de-Vers (Lot) sans qu'aucun autre reste ne leur soit attribuable (Castel, 1999). Dans ces deux cas, en l'absence de traces de façonnage, il est possible d'affirmer que ce matériel dentaire possède une charge symbolique certaine, mais leur intégration directe dans la catégorie des objets de parure, comme le propose J.-C. Castel, demande un autre argumentaire (Castel, 1999, p. 278). Il convient ici d'éviter la confusion constante opérée dans la littérature entre des niveaux d'interprétation différents, que traduit l'emploi même des termes “objet de parure” et qui renvoie déjà à une fonction et “objet symbolique ”, premier stade de l'analyse. En effet, ce dernier n'est pas nécessairement synonyme du premier. Il peut être chargé d'un tout autre sens (offrande, etc.) et qu'avant d'interpréter un objet en tant qu'élément de parure, il convient d'évaluer sa charge symbolique. La question qui se pose en définitive doit être ainsi formulée : quel peut être le mode de fonctionnement d'objets symboliques non-façonnés et quels peuvent être les stigmates d'utilisation spécifiques ? L'enjeu est d'importance car si des critères distinctifs venaient à être mis en évidence, cela conduirait à augmenter de façon sensible le nombre d'objets symboliques actuellement reconnus pour le Paléolithique supérieur (nous pensons ici aux dents non travaillées, retrouvées par milliers dans l'ensemble des sites et qui pouvaient être serties ou encollées, etc.). Comme on le voit, aucun argument n'est véritablement exclusif d'un contexte bien précis. Il devient alors délicat d'élaborer un modèle interprétatif permettant d'englober les quatre catégories de canines de Duruthy. Si, de prime abord, on associe tous les éléments constitutifs de Sorde 1 (comme leur position stratigraphique nous autorise à le faire), on peut émettre l'hypothèse d'un ensemble symbolique partiellement conçu pour le vivant (et très peu utilisé) mais également pour le mort. Cela permettrait d'expliquer, d'une part, les stigmates d'usure légers de certaines perforations, occasionnés par un temps bref d'utilisation, et d'autre part la présence simultanée de pièces “neuves ”, configurées exclusivement pour les restes humains, et d'objets non-façonnés. Pour Duruthy, cette hypothèse, corrélée à la distribution bipartite des dents, n'est en rien incompatible avec celle de la sépulture primaire remaniée car si les ossements du squelette humain ont été déplacés, il a pu en être de même pour le mobilier associé. Toutefois, ceci est en contradiction avec ce qu'a pu vérifier Y. Taborin qui, essentiellement à partir de l'analyse des traces d'usure des coquillages, pense que les objets de parure associés aux sépultures paléolithiques étaient d'abord destinés aux vivants (Taborin, 1982, p. 50). Par ailleurs, si l'on se place dans une logique technique, il est possible d'intégrer ces produits dans une chaîne opératoire théorique de transformation et de mise en fonction en tant qu'éléments de parure. On pourrait alors interpréter cet assemblage comme un atelier de façonnage d'objets symboliques et le dissocier du squelette humain. Cependant, on s'explique mal la présence d'objets usés dans un tel contexte et l'hypothèse de l'existence de deux assemblages distincts se fait alors jour. Une partie des canines pourrait être associée à un éventuel dépôt funéraire alors que l'autre correspondrait à un contexte d'habitation. A ce titre, on regrettera toujours l'absence d'informations quant au contenu véritable des deux groupes de dents découverts à proximité du squelette de Sorde 1 lors de la fouille de 1874. Cette distribution bipartite correspondait peut-être à une structuration spatiale inhérente à un ou plusieurs niveaux archéologiques. Mais dans ce dernier cas, il faudrait faire fi de la localisation des ossements humains et des canines dans une même entité stratigraphique (cf. 2.2). Finalement, à l'échelle du temps “court ”, les discontinuités techniques et fonctionnelles introduites par le type d'analyse adopté, si elles s'accordent avec l'hypothèse de la sépulture primaire remaniée, suggèrent surtout que la totalité de l'assemblage, généralement considéré comme “homogène” et “clos ”, a peut-être plusieurs origines. Dans ce dernier cas, une interprétation univoque de Sorde 1 ne peut plus désormais être admise. L'examen technique de la collection Chaplain-Duparc des Musées du Mans a permis l'élaboration de données nouvelles, interprétables à l'échelle du gisement. Dans le même temps, il met à disposition d'autres éléments pour une appréhension de la symbolique des hommes du Paléolithique supérieur. Il est désormais nécessaire d'étudier, dans une même perspective, les cinq canines conservées au Muséum d'histoire naturelle de Toulouse afin de vérifier ce qui vient d' être développé tout au long de cet article. Nous pensons également qu'une datation directe du crâne humain (les autres ossements semblent avoir été perdus), si elle s'avère possible, doit être sérieusement envisagée afin de fournir une indication chronologique supplémentaire. La confrontation entre toutes les datations, obtenues par le biais de différentes méthodes (physico-chimiques, stratigraphiques, stylistiques), doit permettre de valider les discontinuités techniques mises en évidence sur le mobilier archéologique. En outre, l'élaboration et la publication des données tracéologiques en contexte symbolique évident (sépultures, grottes ornées) reste à faire afin d'apprécier la variabilité des stigmates d'usure des objets déposés et inférer leur importance au niveau social .
Les Musées du Mans conservent une partie du matériel archéologique découvert entre 1873 et 1874 par Louis Lartet et Gatien Chaplain-Duparc lors de leurs fouilles dans l'abri-sous-roche de Duruthy (Sorde-l'Abbaye, Landes). La renommée de ce gisement est liée à la mise au jour d'ossements humains appartenant à un individu adulte (Sorde 1) auxquels semblent être associées 55 canines d'ours (Ursus spelaeus) et de lion (Felis spelea?), certaines percées et/ou gravées. Quelques 120 ans après cette découverte, seul un tiers des dents de carnivores localisées à proximité immédiate des restes humains a été publié. Le réexamen, d'un point de vue technique et fonctionnel, des 49 éléments de la collection Chaplain-Duparc des Musées du Mans a notamment permis de caractériser et de quantifier ce matériel. Ont été décomptées 16 pièces perforées et gravées, 14 dents percées et 19 canines non-configurées, qui présentent toutes différents degrés d'usure. A la lumière de ces données, Sorde 1 apparaît comme un assemblage archéologique complexe pour lequel une interprétation univoque, basée sur l'association des canines avec les ossements humains, n'est plus possible.
archeologie_525-02-11815_tei_293.xml
termith-96-archeologie
En Europe centrale, la majorité des gisements de plein air du Paléolithique supérieur se répartissent dans deux domaines géographiques de part et d'autre de la chaîne des Carpates (fig. 1). Le domaine occidental couvre une large part du bassin du Danube moyen; les gisements y sont bien documentés en Basse Autriche, dans la vallée du Váh en Slovaquie occidentale et le long du couloir morave qui donne accès vers le nord à la plaine baltique. Dans le domaine oriental, ils sont surtout abondants le long du Prut et du Dniestr qui drainent les plateaux loessiques de Podolie et de Moldavie et entaillent les formations riches en silex du Crétacé supérieur. Au cours des années soixante, les enregistrements de Stillfried B à l'est de Vienne (Fink 1969) et de Dolní Vestonice dans le sud de la Moravie (Klíma 1963; Demek & Kukla 1969) constituèrent la référence pour la seconde moitié du Pléistocène supérieur en Europe centrale. La stratigraphie du système se composait d'un sol humifère daté vers 29 000 BP et rapporté au pléniglaciaire moyen (sol de Stillfried B en Autriche, PK I et sol Würm 2/3 en Moravie), surmonté par un ensemble de loess à pseudogleys rapporté au pléniglaciaire supérieur, surtout bien développé à Dolní Vestonice. Pendant les années quatre-vingt, des stratigraphies complémentaires bien documentées et datées par le 14 C furent établies pour des gisements paléolithiques pluristratifiés répartis dans la vallée du Danube aux environs de Krems (notamment à Willendorf, Stratzing et Grubgraben), aux environs de Brno (Bohunice et Stránská Skála) et dans le sud de la Pologne (Spadzista). Parallèlement, en Ukraine occidentale, les remarquables séquences de Molodova et de Korman furent mises au jour dans la vallée du Dniestr grâce aux travaux de A. Chernysh (1959) et de I. Ivanova & Tzeitlin (1987), mais ces gisements demeuraient inaccessibles aux spécialistes occidentaux. A partir de 1990, l'ouverture des frontières politiques a favorisé l'accès d'équipes internationales à l'ensemble du domaine est-carpatique dans le cadre de projets de recherche multidisciplinaires. Dès lors, il fut possible d'élaborer une nouvelle séquence régionale basée sur les enregistrements de Molodova V en Ukraine occidentale, complétés par ceux de Mitoc-Malu Galben dans le nord-est de la Roumanie et de Cosautsi en République de Moldavie (Haesaerts et al. 2003). De même, le cadre chronologique de la séquence régionale du Danube moyen fut affiné grâce à un grand nombre de dates 14 C obtenues pour les principaux sites de Moravie (Svoboda 2001; Svoboda et al. 1994) et de Basse Autriche (Haesaerts 1990a; Haesaerts et al. 1996; Neugebauer-Maresch 1999). Les conditions nécessaires étaient donc réunies pour permettre l'élaboration d'une séquence chronostratigraphique et paléoclimatique globale à l'échelle de l'Europe centrale, intégrant un maximum de sites du Paléolithique supérieur. Pour ce faire, nous avons donné la préférence aux gisements pluristratifiés contenant des assemblages lithiques bien documentés, situés avec précision en stratigraphie. L'élaboration de la séquence globale implique par ailleurs la mise en place d'un schéma corrélatif associant les différents enregistrements régionaux selon le principe de la stratigraphie séquentielle. Ce principe prend en compte la distribution des principales unités lithostratigraphiques ainsi que les signatures paléoclimatiques des séquences considérées, lesquelles reposent sur une évaluation qualitative de l'environnement à partir des données pédosédimentaires et paléontologiques des enregistrements locaux (Haesaerts & Van Vliet 1974). La démarche vise également à intégrer les différentes séries de dates radiométriques disponibles en considérant, en priorité, le positionnement stratigraphique et la qualité du matériel daté. On associe de la sorte deux ensembles de données établis indépendamment, dont la cohérence interne contrôle la validité du schéma corrélatif et fixe le cadre chronologique du système. Parmi le large éventail des dates 14 C reprises ci-dessous, un grand nombre de dates nouvelles furent obtenues à Groningen à partir de 1993 dans le cadre de projets financés par l'Etat belge et INTAS. Celles -ci furent réalisées essentiellement sur charbon de bois traité de manière à éliminer tout élément contaminant et à sélectionner du matériel bien identifié (Damblon et al. 1996; Damblon & Haesaerts 2002). Ce domaine régional regroupe la Basse Autriche, la Moravie et la Slovaquie occidentale où sont concentrés les principaux gisements gravettiens (fig. 1). Ceux -ci sont répartis le long d'un axe joignant la vallée du Danube à la plaine baltique via la Moravie et la vallée du Váh. Les gisements de Willendorf et de Grubgraben sur le Danube, de Dolní Vestonice, de Stránská Skála et de Predmostí en Moravie jalonnent cet itinéraire qui aboutit à Spadzista dans le sud de la Pologne. Tous ces gisements sont associés à de longs enregistrements pédostratigraphiques bien documentés qui constituent l'ossature de la séquence régionale du pléniglaciaire moyen et du pléniglaciaire supérieur. D'autres gisements paléolithiques présentant des stratigraphies beaucoup plus réduites, mais néanmoins susceptibles d' être positionnées avec plus ou moins de précision dans la séquence régionale, ont également été sélectionnés. Citons en particulier Krems-Hundssteig, Alberndorf et Kamegg en Basse Autriche, Milovice et Petrkovice en Moravie, Nitra Cermán et Moravany-Lopata en Slovaquie. Par contre, les sites de Hongrie et de Slovaquie orientale, pour lesquels l'information stratigraphique est trop limitée ou auxquels nous n'avons pas eu accès, n'ont pas été considérés ici. En Autriche-Moravie, l'essentiel de l'information stratigraphique et chronologique pour le pléniglaciaire moyen est enregistré le long de la vallée du Danube, à l'ouest de Vienne, principalement à Willendorf dans la Wachau et à Stratzing, ainsi qu'en Moravie, à Dolní Vestonice et à Stránská Skála (fig. 2). A Willendorf II et dans le site adjacent de Schwallenbach, cette période intègre deux unités distinctes préservées entre les couvertures loessiques pléniglaciaires, au sommet d'une basse terrasse du Danube (Haesaerts 1990b; Haesaerts et al. 1996). La première (unité D) correspond à un dépôt colluvial et incorpore la couche culturelle 2 qui a fourni un premier assemblage lithique laminaire de type Paléolithique supérieur (Haesaerts & Teyssandier 2003). La partie supérieure des colluvions, datée entre 41 700 et 39 900 BP, porte un sol brun carbonaté associé à une faune malacologique qui témoigne d'un épisode de réchauffement climatique majeur dénommé “Interstade de Willendorf” (Haesaerts et al. 1996). Par son faciès et sa position, cette pédogenèse peut être mise en parallèle avec le sol de Bohunice en Moravie associé à l'industrie lithique du Bohunicien et bien daté entre 43 000 et 38 750 BP (Valoch 1976; Svoboda et al. 1994; Haesaerts & Teyssandier 2003). A Willendorf et à Schwallenbach, la seconde unité qui couvre la période entre 40 000 et 26 000 BP (unité C), traduit un environnement climatique nettement contrasté et relativement humide. Elle comprend un ensemble de loess sableux avec gleys de toundra qui alternent avec trois horizons humifères rapportés respectivement aux interstades de Schwallenbach I (39 000 à 37 400 BP), de Schwallenbach II (vers 32 000 BP) et de Schwallenbach III (vers 30 500 BP) par référence au site du même nom où ces horizons sont préservés in situ (Haesaerts et al, 1996). Dans la coupe de Willendorf, la première couche aurignacienne (couche 3) datée 38 880 et 37 930 BP est incorporée à la base du sol Schwallenbach I; un hiatus sépare celui -ci des sols humifères Schwallenbach II et Schwallenbach III qui contiennent respectivement la couche aurignacienne 4 datée 32 060 BP et la couche gravettienne 5 datée 30 500 BP. Ce doublet de sols humifères est probablement contemporain du sol de Stillfried B également présent à Stratzing-Galgenberg au nord de Krems où il est associé aux concentrations aurignaciennes datées entre ± 31 790 et ± 29 200 BP (Neugebauer-Maresch 1996). En Moravie, la période 33 000 – 30 000 BP correspond globalement au sol W 2/3 décrit par B. Klíma (1963, 1995) à la base de la séquence loessique à Dolní Vestonice et à Pavlov (fig. 2). Il s'agit également d'un horizon humifère complexe, le plus souvent étiré par solifluxion et localement dédoublé. Les charbons de bois qu'il contient ont été datés 29 940 BP dans la briqueterie et 31 700 BP dans la partie basse de la station A (Haesaerts 1985, 1990a), tandis que la partie inférieure de l'horizon a fourni un âge de 32 850 BP à Dolní Vestonice I (Klíma 1995). Dans l'ensemble, le contexte archéologique du sol W 2/3 et des dépôts associés n'est guère documenté, excepté à Milovice où la couche culturelle aurignacienne datée 29 230 BP est incorporée à des lentilles solifluées de sol humifère (Oliva 1989) et localement associée à des horizons cendreux datés 32 030 BP à la base et 28 780 BP au sommet (Oliva 2001). Enfin, à Stránská Skála, l'horizon humifère supérieur est également complexe et contient plusieurs concentrations aurignaciennes datées respectivement 32 350 et 30 980 BP (Svoboda et al. 1994), ce qui correspond à l' âge des sols Schwallenbach II et III à Willendorf. Dans la Wachau, mais aussi à Krems et à Stillfried, les dépôts limoneux sus-jacents aux sols Schwallenbach III et Stillfried B portent un épais gley de toundra témoin d'une péjoration climatique de peu antérieure à 26 000 BP qui précède directement les premiers apports éoliens du pléniglaciaire supérieur (fig. 2). Ces dépôts contiennent les témoins de plusieurs concentrations gravettiennes datées 28 560 BP à Willendorf et 27 940 BP à Krems-Hundssteig (Neugebauer-Maresch 2000), ainsi que la couche culturelle principale d'Alberndorf attribuée à un Aurignacien évolué qui a fourni plusieurs dates sur os entre 26 900 et 20 500 BP (Bachner et al. 1996), mais fut datée récemment de 28 360 BP sur charbon de bois (Haesaerts et al. 2004). Enfin, une seconde génération d'occupations gravettiennes est associée à la partie sommitale du gley de toundra; c'est le cas de la couche culturelle 6 de Willendorf datée 26 500 et 26 150 BP et probablement aussi de l'occupation principale d'Aggsbach qui a fourni des âges équivalents (Otte 1981; Haesaerts 1985, 1990a). Dans la plupart des secteurs de Dolní Vestonice et de Pavlov, les dépôts directement sus-jacents au sol W 2/3 atteignent en moyenne un mètre d'épaisseur et se composent d'une succession de lentilles limoneuses et de couches loessiques solifluées; ces dépôts sont affectés par une importante pédogenèse de type gley de toundra (gley G1, cf. Klíma 1963, 1969), équivalente à celle développée au sommet de la séquence du pléniglaciaire moyen à Willendorf, à Krems et à Stillfried B (fig. 2). C'est dans la moitié supérieure de ce complexe que se situe la majorité des couches culturelles du Pavlovien dans les secteurs Dolní Vestonice I, Dolní Vestonice II et Pavlov I, pour lesquelles on dispose d'un grand nombre de dates radiométriques cohérentes comprises entre 27 500 et ± 25 500 BP (fig. 2 et 3; Klíma 1995; Svoboda et al. 1994; Svoboda 2001). Par ailleurs, dans les profils du secteur Dolní Vestonice II, les occupations attribuées au Pavlovien sont distinctement postérieures à un léger horizon humifère fortement étiré, daté vers 28 000 BP, qui paraît bien traduire un épisode climatique positif également enregistré par la palynologie (Svobodová 1991), dénommé épisode interstadiaire de « Dolní Vestonice » (Haesaerts 1990a; Haesaerts et al. 1996). En Autriche, cette longue période a connu plusieurs phases de sédimentation loessique dont la stratigraphie fut établie à partir des enregistrements complémentaires de Willendorf, Krems-Hundssteig, Stillfried et Grubgraben (fig. 2). A Willendorf, la première phase loessique correspond à l'unité B datée entre ± 26 000 et ± 25 000 BP; elle comprend deux couches de loess poudreux séparées par un sol humifère incipient qui contient la couche culturelle gravettienne 8 datée entre 25 800 et 25 230 BP dans la coupe du champ de fouilles ouverte en 1981 et 1993 (Haesaerts et al. 1996). La couche 9 à Gravettien évolué (Willendorfien cf. Kozlowski 1986), située dans le loess supérieur environ un mètre au-dessus de la couche 8, n'a pas été rencontrée dans la coupe de 1993 mais fut datée 24 910 BP sur la partie centrale d'un gros os provenant des fouilles de J. Bayer (1930). Notons à ce propos que la position stratigraphique de la célèbre vénus de Willendorf, classiquement rapportée à la couche 9, est contestée par cet auteur, lequel attribue cette vénus à une petite concentration lithique nettement distincte, située environ 50 cm en dessous de la couche 9 (Bayer 1930 : 54). La partie médiane de la couverture loessique, dépourvue de repères chronologiques, est accessible en position de versant dans plusieurs sites de Basse Autriche. A Schwallenbach, à Krems-Hundssteig et à Stillfried B, elle se compose d'un complexe de loess poudreux avec plusieurs petits gleys de toundra, surmonté d'un dépôt loessique finement lité. Cette succession est également présente dans la partie inférieure de la séquence de Grubgraben, dans une large combe ouverte vers le sud en direction du Danube, sous un épais complexe de trois dépôts loessiques séparés par des chenaux sableux (fig. 2). En particulier, la présence dans la partie inférieure du premier dépôt loessique de trois horizons humifères associés à plusieurs couches culturelles « épigravettiennes » (Montet-White 1990) datées entre 19 380 et 18 380 BP, constitue un repère précieux rapporté à la phase climatique de « Grubgraben » (Haesaerts 1990c; Haesaerts et al. 2004). Le caractère interstadiaire de ces courts épisodes de pédogenèse est bien exprimé au niveau de l'horizon humifère contenant la couche culturelle 4 que l'on peut suivre sur une cinquantaine de mètres de distance le long du chemin creux qui jouxte le gisement. L'ensemble atteste donc d'une sédimentation complexe dans un contexte climatique contrasté et relativement humide au cours de la seconde partie du pléniglaciaire supérieur, sous végétation à dominante steppique avec présence du pin cembra au voisinage du site lors des courts épisodes interstadiaires (Haesaerts 1990c : 30).A Grubgraben, la sédimentation s'est probablement poursuivie jusqu'au Tardiglaciaire, ce dont témoigne le caractère nettement plus sec du contenu malacologique de l'unité loessique supérieure (Haesaerts 1990c). Cette dernière génération loessique est également présente à Kamegg dans le vallée de la Kamp au-dessus de dépôts sablo-limoneux à fentes de gel qui contiennent une industrie rapportée au Magdalénien (Otte 1981) datée récemment sur os à Groningen de 14 100 BP (Haesaerts et al. 2004). En Moravie, c'est la couverture loessique de Dolní Vestonice, au pied des Monts Pavlov, qui sert de référence pour le pléniglaciaire supérieur (Demek & Kukla 1969; Klíma 1963, 1969, 1995). Parmi les gleys de toundra G2 à G7, qui constituent la signature de cette formation, l'horizon G2 et le doublet G3-G4 associé à un réseau de coins de glace sont les mieux exprimés, un second réseau de coins de glace étant présent au sommet du doublet G6-G7 (fig. 2). A Pavlov I, à Dolní Vestonice II mais aussi dans le secteur G de Milovice (Oliva 1989), un petit groupe de dates proches de 25 000 BP obtenues à Groningen sur charbon de bois pourrait témoigner de la persistance des occupations du Gravettien moyen au cours de la phase initiale du pléniglaciaire supérieur, comme c'est le cas des couches 7 et 8 à Willendorf, mais ici les processus de solifluxion qui affectent le sommet du gley G1 ne permettent pas de les différencier stratigraphiquement des occupations antérieures. Toutefois, dans les profils du chemin creux à l'est de la station Pavlov II, B. Klíma signale la présence d'un horizon humifère décimétrique contenant des éléments de la couche culturelle, au contact du gley G1 et de la couverture des loess sus-jacents (Klíma 1976); ce petit horizon humifère, probablement équivalent à celui de la couche culturelle 8 de Willendorf, traduirait également une légère amélioration climatique voisine de 25 500 BP dénommée oscillation de « Pavlov » (Haesaerts 1990a). Quelques témoins d'occupations plus tardives existent cependant dans d'autres stations de la région, notamment à Dolní Vestonice III où une concentration lithique proche du Gravettien supérieur, datée 24 560 BP, est présente dans la partie inférieure des loess (Skrdla et al. 1996; Svoboda 2001). C'est le cas également de la concentration d'ossements de mammouth du secteur C-D à Milovice qui a fourni un âge de 22 250 BP et appartient à la partie médiane de la couverture loessique sans plus de précision (Oliva 1989). Quant aux dates 18 400 et 15 350 BP réalisées sur la fraction humifère des loess de la briqueterie à Dolní Vestonice (Demek & Kukla 1969; Klíma 1995), elles sont dépourvues de signification chronologique car fortement rajeunies comme le sont toutes les dates sur humus obtenues pour les loess d'Europe centrale (Haesaerts 1985, 1990a). Dans ce contexte, les enregistrements de Spadzista près de Cracovie (Escutenaire et al. 1999) et de Nitra Cermán (Bárta 1980) en Slovaquie occidentale (fig. 2) permettent de préciser quelque peu le cadre chronologique et archéologique de la couverture loessique pléniglaciaire de Moravie. A Spadzista, l'épais gley de toundra et les dépôts soliflués sus-jacents associés à un réseau de grands coins de glace (sous-unités 6b et 6a), qui contiennent les principales occupations gravettiennes à pointes à cran datées entre 24 380 et 23 040 BP sur charbon de bois, seraient équivalents au doublet G3-G4 de Dolní Vestonice. De même, l'horizon humifère de peu postérieur à 24 440 BP, présent à Nitra Cermán sous la couche gravettienne à pointes à cran datée 23 000 BP sur charbon de bois à la base de la couverture loessique (Bárta 1980), serait à rapporter à un second épisode interstadiaire interne au pléniglaciaire supérieur nettement distinct de l'oscillation de Pavlov, épisode que nous désignons ici sous le nom de oscillation de « Cermán » (fig. 2 et 4). Par ailleurs, à Spadzista, le loess lité avec gleys de toundra peu développés (unité 5) postérieur à la péjoration climatique de l'unité 6, contient les derniers ateliers gravettiens datés 21 000 BP sur os. D'après Kozlowski (1996, 1998) et Escutenaire et al. (1999), cette unité loessique, également bien exprimée dans les sites paléolithiques du nord de la Moravie et de Slovaquie occidentale où elle recouvre les concentrations du Gravettien à pointes à cran, se serait mise en place entre ± 21 000 et ± 17 000 BP, soit pendant et juste après le stade glaciaire de Brandenburg-Lezsno. Cette fourchette chronologique nécessite cependant quelques réserves car elle repose sur un corpus de données hybrides associant des âges radiocarbone sur os provenant de laboratoires différents, ainsi que des âges TL à larges erreurs statistiques (Escutenaire et al. 1999 : 23). En particulier, la date sur os de la couche 5 à Spadzista constitue probablement un âge minimum, comme c'est souvent le cas pour du matériel osseux préservé dans les loess carbonatés (Damblon et al. 1996; Haesaerts et al. 2003). Dès lors, un âge plus proche de 23 000 BP pour la base de la couverture loessique supérieure et pour la fin des occupations gravettiennes à pointes à cran nous paraît plus probable. Le même phénomène pourrait expliquer la discordance chronologique entre les dates sur os des couches A et B à Moravany-Lopata (Pazdur 1998), la date de 21 400 BP issue de la couche inférieure (A) étant probablement rajeunie et moins fiable que la date de 24 100 BP obtenue pour la couche supérieure (B). Enfin, dans le sud de la Pologne, la seconde moitié du pléniglaciaire supérieur se caractérise aussi par une augmentation de la composante sableuse des dépôts de couverture et se termine également par une dernière péjoration climatique. Celle -ci se marque par un réseau de grands coins de glace développé au sommet des loess sableux à Brzoskwinia (Sobczyk 1995), lequel semble s' être maintenu pendant la mise en place des sables de couverture associés à l'occupation du site par les chasseurs du Magdalénien au cours de la première moitié du Tardiglaciaire. Cette vaste région située à l'est des contreforts des Carpates, drainée par le Prut et le Dniestr, possède un potentiel de gisements paléolithiques exceptionnel prospecté dès 1929 par N. Morosan (1938). Parmi les nombreux sites de plein air connus en Ukraine occidentale, en République de Moldavie et en Roumanie, et qui demeurent accessibles, seuls quelques-uns présentent de longues séquences stratigraphiques associées à des occupations pluristratifiées du Paléolithique supérieur. Molodova V sur la rive ukrainienne du Dniestr fut exploité par A. Chernysh (1959, 1987) et I. Ivanova (Ivanova & Tzeitlin 1987); Cosautsi sur la rive moldave du Dniestr et Mitoc-Malu Galben sur la rive roumaine du Prut furent fouillés au cours des années quatre-vingt (Borziac 1991, 1993; Chirica 1989, 2001). Au cours de la dernière décennie, ces sites ont fait l'objet d'études pluridisciplinaires dans le cadre de programmes de recherche internationaux et constituent la structure de base de la séquence régionale (Otte et al. 1996; Haesaerts et al. 2003; Noiret 2004). Ils représentent trois enregistrements pédosédimentaires et paléoclimatiques complémentaires avec de multiples couches du Paléolithique supérieur, encadrés par une chronologie 14 C solide et bien documentée pour la période 33 000 – 10 000 BP. Dans ce système, la résolution optimale de chaque séquence fut contrôlée par la dynamique sédimentaire et par la position du site dans le paysage (fig. 5 et 6). Cosautsi, au sommet de la première terrasse du Dniestr, a fourni une séquence de haute résolution pour la seconde moitié du pléniglaciaire supérieur et le Tardiglaciaire, tandis que Mitoc-Malu Galben, sur le versant de la deuxième terrasse du Prut, a favorisé un enregistrement complémentaire au cours de la phase finale du pléniglaciaire moyen et de la première partie du pléniglaciaire supérieur. Par ailleurs, Molodova V, dans la continuation de la seconde terrasse du Dniestr située environ 20 mètres au-dessus du talweg, a conduit à la préservation d'une longue séquence couvrant la majeure partie du Pléistocène supérieur (Ivanova & Tzeitlin 1987) avec une haute résolution chronologique pour la période 33 000 – 10 000 BP (Haesaerts et al. 2003). A Mitoc-Malu Galben, cette période correspond aux unités 13 à 7 dont le grand développement est lié à la position du site au pied du talus de la seconde terrasse du Prut (fig. 5 et 6). Cette accumulation loessique représente un enregistrement cyclique semi-continu de six horizons humifères d'intensité décroissante, avec une sédimentation colluviale (unités 13 à 11) suivie par des apports de limons loessiques (unités 10 à 7). La distribution des dates 14 C dans cet ensemble d'unités a permis de situer ces six épisodes interstadiaires nommés Malu Galben 13 à 8, respectivement vers 33 000 BP (Malu Galben 13), 31 200 BP (Malu Galben 12), 30 500 BP (Malu Galben 11), entre ± 29 000 et 27 700 BP (Malu Galben 10 et Malu Galben 9) et vers 27 000 BP (Malu Galben 8). Les unités 12 à 8 contiennent de nombreux ateliers aurignaciens, tandis que l'unité 7 incorpore les premiers ateliers gravettiens (Otte et al. 1996; Noiret 2004) et porte un épais gley de toundra daté autour de 26 000 BP, indicateur d'un refroidissement drastique qui conclut le pléniglaciaire moyen et constitue un premier marqueur stratigraphique (fig. 6). A Molodova V, la période de 33 000 à 26 000 BP correspond au pédocomplexe supérieur (unité 10) développé dans les colluvions de la partie sommitale de la séquence du pléniglaciaire moyen (fig. 6 et 7). Ce pédocomplexe comprend deux sols bruns de type para-rendzine (sous-unités 10-1 et 10-2) datés autour de 32 600 et de 30 400 BP et donc contemporains des épisodes Malu Galben 13 et Malu Galben 10. Ces sols sont suivis par un horizon humifère gris foncé (sous-unité 10-3) daté entre 29 650 et 27 700 BP, qui correspond aux épisodes Malu Galben 10 et Malu Galben 9; au-dessus de cet horizon existe également un épais gley de toundra bien daté entre 26 640 et 25 760 BP. A la différence de Mitoc-Malu Galben, le contenu archéologique de l'unité 10 à Molodova V est limité aux couches gravettiennes 10 et 9 qui appartiennent distinctement à l'épisode froid séparant les sols 10-2 et 10-3 (fig. 6). A Molodova et à Mitoc, cette période enregistre à nouveau une sédimentation cyclique avec deux ensembles de loess sableux jaune pâle qui reflètent des conditions climatiques froides et encore contrastées. Le premier ensemble de loess correspond aux unités 11 et 12 de Molodova et aux unités 6 à 4 de Mitoc. Il comprend trois apports éoliens alternant avec des gleys de toundra; le gley supérieur daté autour de 23 000 BP (unité C) est le mieux développé et constitue un second marqueur stratigraphique. Ce premier complexe loessique présente encore deux horizons humifères associés aux épisodes climatiques interstadiaires Malu Galben 6 et Malu Galben 4 (fig. 6 et 7), datés respectivement vers 25 500 BP à Molodova (sous-unité 11-2) et entre 23 830 et 23 290 BP à Mitoc (unité 4). Dans ces deux sites, le premier complexe loessique contient les couches culturelles gravettiennes principales. A Mitoc, les concentrations gravettiennes II et III, datées entre 26 450 et 24 780 BP, appartiennent au Gravettien moyen tandis que la partie supérieure de la concentration III et la concentration IV datées entre 24 780 et 23 290 BP sont rapportées au Gravettien supérieur à pointes à cran (Otte et al. 1996; Noiret 2004). A Molodova V, la situation est légèrement différente car seule la couche culturelle 8 dans l'horizon humifère 11-2 appartient au Gravettien moyen. Quant à la couche culturelle 7, rapportée au Gravettien à pointes à cran (Otte 1981; Kozlowski 1986), elle fut datée entre 25 280 et 25 130 BP dans la partie supérieure du loess 11-3; la couche 7 fut également rencontrée par A. Chernysh (1987) dans l'horizon humifère 12-1 daté 23 650 BP et dans le gley de toundra sus-jacent (sous-unité 12-2) daté 23 000 BP (Haesaerts et al. 2003). En ce qui concerne le second complexe loessique du pléniglaciaire supérieur, les unités 3 et 2 de Mitoc et l'unité 13 à Molodova V reflètent clairement des conditions environnementales devenant de plus en plus sèches entre ± 23 000 et ± 20 000 BP (Haesaerts et al. 2003). Au cours de cette période, les apports loessiques alternent avec trois épisodes de gel profond marqués par des gleys de toundra et un court épisode positif (Molodova 13-2) marqué par un horizon bioturbé daté 21 540 BP. Quant aux témoins archéologiques, ils se limitent dans les deux sites à de petites concentrations atypiques dispersées à différents niveaux dans le loess. Dans le domaine est-carpatique, cette période se caractérise également par une évolution climatique cyclique. Celle -ci est la mieux enregistrée à Cosautsi sur la basse terrasse du Dniestr (cycles VII à IV) ainsi que dans la partie supérieure de Molodova V (unité 14). A Cosautsi, la période comprise entre ± 20 000 et ± 17 200 BP correspond aux cycles VII à IV (pro-parte); elle se marque par une diminution des apports loessiques et par la formation d'une série de six horizons humifères d'intensité décroissante, dans un contexte climatique relativement humide avec persistance de parcelles boisées associant conifères et décidus le long de la vallée du Dniestr (Medianik 1994; Haesaerts et al. 2003). L'horizon humifère de l'unité 7-2 associé à l'épisode interstadiaire Cosautsi VII-2 est de peu antérieur à 20 000 BP (Haesaerts et al. 2003 : 179), tandis que les horizons des unités 6-4, 6-2, 5-4, 5-2, 4-4 et 4-3, associés aux épisodes climatiques Cosautsi VI-4 à IV-3, sont bien datés entre 19 400 et 17 130 BP par une double série de dates cohérentes obtenues sur charbon de bois à Groningen et sur os à Oxford (Haesaerts et al. 1998; Otte et al. 1996). Cette séquence enregistre également plusieurs épisodes de gel profond, en particulier vers 20 000 BP (unité 7-1), 18 300 BP (unité 6-1) et 17 200 BP (unité 4-4). Dans le domaine est-carpatique, les dépôts de cette période ont fourni de nombreuses concentrations épigravettiennes (Noiret 2004). A Cosautsi, pas moins de 17 couches culturelles distinctes ont été rencontrées depuis l'unité 7-1 jusqu'au sommet de l'unité 5-1 (Borziac 1991, 1993). A Molodova V, la première occupation épigravettienne datée 20 400 BP (couche culturelle 6) appartient à l'épisode interstadiaire Molodova 14-1 équivalent à Cosautsi VII, tandis que les couches 5 et 4 situées entre ± 19 000 et 17 800 BP pourraient correspondre aux épisodes Cosautsi VI-2 et Cosautsi V-4 (fig. 6 et 7). Finalement, à partir de ± 17 200, une modification drastique du climat vers des conditions extrêmes avec plusieurs épisodes à permafrost est enregistrée à Cosautsi (cycle IV) et dans la partie supérieure de la séquence de Mitoc (sous-unité 1b). Ces conditions se traduisent par une activité éolienne intense avec des apports croissants de sables locaux et des processus de fonte. Cette phase climatique se termine par un épisode à permafrost marqué par un dernier gley de toundra bien développé (unité 4-1 à Cosautsi et probablement sous-unité 14-3 à Molodova V) de peu postérieur à 16 000 BP. Seules de petites concentrations préservées dans les sédiments sableux du cycle IV à Cosautsi témoignent d'activités humaines au cours de cette période du pléniglaciaire supérieur terminal. A partir de ± 14 500 BP, une période de sédimentation éolienne sous des conditions climatiques plutôt sèches a favorisé le dépôt d'une dernière couverture loessique sur les versants des vallées du Prut et du Dniestr. Les apports éoliens se sont poursuivis, semble -t-il, jusqu' à la fin du Dryas avec des interruptions temporaires accompagnées de la formation de sols humifères à proximité et dans les fonds de vallée au cours du Bölling et de l'Alleröd (Cosautsi III et Cosautsi II). A Molodova V, les dates comprises entre 13 370 et 10 940 BP obtenues par I. Ivanova pour les couches culturelles 3 à 1 de l'unité loessique 14-4, suggèrent un âge tardiglaciaire pour ce loess et les industries qu'il contient. Cette interprétation est toutefois contestée par D. Nuzhnyi (comm. pers.) sur la base d'une étude comparative des assemblages lithiques de ces deux sites, laquelle plaiderait en faveur d'un âge plus ancien, voisin de 17 500 BP pour les couches 3 à 1 de Molodova. La mise en parallèle des séquences régionales établies de part et d'autre des Carpates constitue la seconde étape de notre démarche; basée sur l'analyse séquentielle des ensembles pédosédimentaires et de leurs signatures climatiques, celle -ci vise en particulier une intégration des données paléoclimatiques et archéologiques à l'échelle de l'Europe centrale pour la période comprise entre 33 000 et 10 000 BP. Il importe de souligner ici le caractère exceptionnel de la séquence climatique du domaine est-carpatique, dont la chronologie repose sur de longues séries de dates radiométriques réalisées pour l'essentiel sur charbon de bois de conifères. Rappelons à ce propos que les enregistrements pédosédimentaires et les dates radiocarbone constituent des bases de données indépendantes mais complémentaires, qui par leur cohérence interne renforcent et fixent la chronologie du système. La limite inférieure de notre schéma fut donc située vers 33 000 BP car au-delà, les données chronologiques précises font défaut dans le domaine est-carpatique, notamment à Molodova V (fig. 7), tandis que dans le domaine occidental, les stratigraphies de la période antérieure à 33 000 BP sont trop fragmentaires. La principale caractéristique du schéma corrélatif établi de la sorte pour le domaine loessique d'Europe centrale réside dans la remarquable reproductibilité de l'ensemble des événements de part et d'autre des Carpates; cela concerne non seulement les grandes unités lithostratigraphiques mais surtout la succession des événements climatiques à différentes échelles de temps. Il apparaît donc que les événements climatiques spécifiques des différentes périodes sont exprimés de manière similaire dans les deux séquences régionales, même lorsqu'il s'agit d'oscillations de courte durée. C'est le cas, par exemple, de l'épisode interstadiaire Malu Galben 6, voisin de 25 500 BP, qui est enregistré à la base de la couverture loessique du pléniglaciaire supérieur à Molodova V et à Mitoc, mais aussi à Willendorf et à Pavlov (fig. 8). De la même manière, les courts épisodes interstadiaires Molodova 14-1, Cosautsi VI-4 et Cosautsi VI-2 entre 20 400 et 19 000 BP, ont leurs équivalents à Grubgraben en Basse Autriche. Le système fonctionne également dans le cas des péjorations climatiques, notamment celles associées aux gleys de toundra G1 à G7 de Dolní Vestonice qui occupent des positions similaires dans les deux séquences régionales. De la sorte, il est possible de reconnaître des épisodes climatiques d'une durée de quelques siècles supposés synchrones à l'échelle du domaine loessique d'Europe centrale, avec un degré de résolution sensiblement supérieur à celui des dates radiométriques. La séquence globale établie ci-dessus pour la période 33 000 – 10 000 BP fournit donc un canevas stratigraphique extrêmement précis autorisant une restitution objective de la distribution dans l'espace et dans le temps des différents ensembles culturels du Paléolithique supérieur dans un cadre paléoenvironnemental bien défini, avec un degré de résolution de l'ordre de quelques siècles dans la plupart des cas. Cette démarche concerne en priorité les gisements auxquels nous avons eu accès et intègre principalement des données stratigraphiques et chronologiques de première main (Damblon et al. 1996; Damblon & Haesaerts 1997; Haesaerts et al. 1996, 2003); elle reprend également un certain nombre d'éléments discutés dans les différentes synthèses sur le Paléolithique supérieur (Kozlowski 1996, 1998; Djindjian et al. 1999; Svoboda 2000; Djindjian 2002; Otte & Noiret 2004), synthèses dont le cadre chronostratigraphique repose le plus souvent sur des âges radiométriques déconnectés des données stratigraphiques. En Basse Autriche, la séquence aurignacienne débute, semble -t-il, au cours de l'interstade de Schwallenbach I avec la couche culturelle 3 de Willendorf datée 38 880 et 37 930 BP (Haesaerts et al. 1996; Haesaerts & Teyssandier 2003), laquelle est probablement contemporaine du Bohunicien en Moravie (Svoboda 2001). Quant à l'Aurignacien classique, il est surtout bien documenté entre ± 32 500 et ± 29 000 BP, période qui couvre notamment les interstades Schwallenbach II et Schwallenbach III (fig. 4). A l'est des Carpates, c'est principalement la séquence de Mitoc-Malu Galben qui sert de référence avec une succession d'ateliers aurignaciens compris entre ± 32 700 et ± 27 500 BP, lesquels encadrent les épisodes interstadiaires Malu Galben 12 à 9 (fig. 6 à 8). L'Aurignacien était également bien représenté à Ripiceni-Izvor sur la rive roumaine du Prut en aval de Mitoc (Paunescu 1993) mais la stratigraphie de ce site, actuellement noyé sous les eaux d'un lac de barrage, n'a pu être intégrée dans la séquence régionale. Première période (de ± 30 500 à 28 000 BP) - Un point important qui concerne directement la problématique de l'origine du Gravettien en Europe centrale, porte sur la position de la couche culturelle 5 de Willendorf dans un horizon humifère daté 30 500 BP et rapporté à l'interstade Schwallenbach III (Haesaerts 1990b; Haesaerts et al. 1996). Cette attribution, mise en doute sur la base de données partielles par F. Djindjian et al. (1999 : 400), repose cependant sur l'intégration des observations récentes et des levés des fouilles anciennes dans un système stratigraphique et chronologique bien documenté que viennent renforcer la stratigraphie et les dates radiocarbonne du site adjacent de Schwallenbach (Haesaerts et al. 1996; Haesaerts & Teyssandier 2003). Cet ensemble de données atteste donc la présence du Gravettien ancien à Willendorf dès 30 500 BP dans un contexte régional nettement aurignacien lequel va subsister jusque ± 28 400 BP à Alberndorf en Basse Autriche et jusque ± 27 500 BP dans le nord-est de la Roumanie (unité 8 à Mitoc) et peut-être même au-delà dans certains sites de Moldavie (Borziac 1994; Noiret 2004). L' âge voisin de 30 500 BP pour la couche 5 de Willendorf est également cohérent avec le contexte stratigraphique des couches 10 et 9 de Molodova V à nette composante gravettienne (Otte 1981; Chernysh 1987; Noiret 2004). Celles -ci constituent un ensemble bien individualisé, daté entre 30 200 et 28 730 BP, dont la position au début de l'oscillation froide qui suit l'épisode interstadiaire Malu Galben 11 est bien assurée (fig. 6 et 8). Enfin, ce schéma est également en bon accord avec l' âge de 29 200 BP obtenu pour les premières occupations gravettiennes à Geissenklösterle dans le Jura Souabe (Conard et Bolus 2003). Quant aux couches culturelles plus récentes, attribuées à la phase initiale du Gravettien entre 29 000 et 28 000 BP par F. Djindjian et al. (1999), elles concernent principalement de petites concentrations atypiques; celles -ci sont datées 28 560 BP à Willendorf au-dessus de la couche 5 et 28 220 BP dans la briqueterie à Dolní Vestonice (Haesaerts 1990a). Dans ce contexte, il faut aussi mentionner la couche culturelle solifluée de la station A à Dolní Vestonice I supposée représenter l'occupation la plus ancienne du site (Klíma 1963), dont la position par rapport au sol interstadiaire W 2/3 et par rapport aux charbons de bois datés 29 300 BP demeure problématique (Oliva 2000). De même, la date de 28 950 BP obtenue à Mitoc-Malu Galben pour l'atelier gravettien à la base de l'unité 7 demande à être confirmée car nettement trop vieille par rapport à la chronologie de la séquence locale (Damblon et al. 1996). Deuxième période (de 28 000 à 26 000 BP) - Cette seconde période, qui enregistre la dégradation climatique de la phase terminale du pléniglaciaire moyen, correspond également au plein développement du Gravettien moyen et du Pavlovien (Svoboda et al. 1994, 2000; Oliva 2000; Otte & Noiret 2004). A Dolní Vestonice II, les occupations associées aux concentrations A-B-C débutent vers 27 500 BP (Klíma 1995). De même, les chasseurs du Gravettien moyen étaient présents à Krems-Hundssteig vers 27 940 BP (Neugebauer-Maresch, 2002) mais aussi à Mitoc-Malu Galben sur le Prut vers 27 000 BP (base de l'unité 7) et probablement à Mejigirzi sur le Dniestr moyen (Koulakovska & Otte 1998) où la couche principale a été datée récemment 27 070 BP sur bois carbonisé (Haesaerts et al. 2004 : 45). Quant aux grandes occupations du Pavlovien datées majoritairement entre 26 500 et 25 500 BP à Dolní Vestonice, à Pavlov et à Predmostí, elles encadrent la péjoration climatique associée au gley de toundra G1 qui termine le pléniglaciaire moyen (fig. 4 et 8). C'est également le cas de la couche 6 de Willendorf, de l'occupation principale d'Aggsbach et des premiers grands ateliers gravettiens de Mitoc-Malu Galben datés entre 26 450 et 25 500 BP, lesquels occupent une position similaire dans la partie sommitale du gley de toundra et à son interface avec la couverture loessique du pléniglaciaire supérieur. Dans ce contexte, la concentration des habitats du Pavlovien autour de sites occupant une position remarquable dans le paysage (Svoboda et al. 2000) paraît bien répondre à l'emprise des conditions rigoureuses spécifiques de l'extrême fin du pléniglaciaire moyen. C'est le cas notamment des occupations du Pavlovien à Dolní Vestonice où la présence d'accumulations, probablement naturelles, d'ossements de mammouth au pied des monts Pavlov serait lié à l'attrait que le contexte géologique de ce lieu aurait exercé sur les grands herbivores suite à des exigences spécifiques dues au stress lié aux conditions rigoureuses. En cela, les habitats pavloviens se distinguent des occupations gravettiennes et aurignaciennes antérieures, lesquelles paraissent relativement dispersées dans le paysage, associées à un contexte climatique plus diversifié et relativement humide avec couvert végétal en mosaïque de type steppe arborée (Svobodová & Svoboda 1988; Rybnicková E. & Rybnicek K. 1991; Svobodova 1991). Troisième période (de 26 000 à 25 000 BP) - Pour terminer, il nous faut considérer ici un dernier ensemble d'occupations du Gravettien moyen contemporaines des premiers apports loessiques du Pléniglaciaire supérieur mis en place localement le long des vallées principales entre 26 000 et 25 000 BP. Cet ensemble, qui assure en quelque sorte la transition vers le Gravettien supérieur, regroupe les couches 7 et 8 de Willendorf et la couche 8 de Molodova V (fig. 7), les couches 8 de ces deux sites étant incorporées dans un sol humifère intra-loessique bien daté vers 25 500 BP, également reconnu à Pavlov II. Le même ensemble comprend les occupations terminales du Pavlovien datées entre 25 500 et 25 000 BP à Dolní Vestonice, à Pavlov I et à Predmostí, ainsi que la couche principale de Milovice en Moravie et la partie inférieure de la concentration gravettienne II à Mitoc-Malu Galben. Première période (de 25 000 à 23 000 BP) - En Europe centrale, la distribution de ce complexe techno-culturel caractérisé par des pointes à cran (Otte 1981; Kozlowski 1986), reposait classiquement sur six sites ou groupes de sites : soit, Spadzista (sous-unités 6b et 6a), Petrkovice, Moravany, Nitra Cermán, Willendorf (couche 9) et Molodova V (couche 7). Depuis, s'y sont ajoutés Mitoc-Malu Galben (Gravettien IV : Otte et al. 1996) et probablement Dolní Vestonice III (Skrdla et al. 1996). L'ensemble est classiquement situé entre 24 500 et 22 000 BP (Kozlowski 1986, 1996; Djindjian et al. 1999), mais les nouvelles données de Willendorf, Molodova et Mitoc permettent de préciser cette chronologie (Haesaerts et al. 1996, 2003). En particulier, le développement du Gravettien à pointes à cran en Europe centrale paraît bien contemporain du dépôt de la première couverture loessique du pléniglaciaire supérieur dans un environnement froid mais encore légèrement humide, ce dont témoignent les gleys de toundra qui y sont associés. Les premiers témoins de cette industrie apparaissent vers 25 000 BP de manière quasi synchrone de part et d'autre des Carpates. A Willendorf, la couche culturelle 9 fut datée 24 910 BP sur la partie centrale d'un os long provenant des fouilles de J. Bayer (1930); notons à ce propos que les âges compris entre 24 370 et 23 180 BP mentionnés par J. Kozlowski (1998 : 131) et J. Svoboda 2000 : 200) pour la couche 9 sont non valides car ils se réfèrent à des dates obtenues sur la partie externe de l'os long et sur un fragment d'omoplate de mauvaise qualité de la même couche (Haesaerts et al. 1996 : 38). A Molodova V, la partie principale de la couche 7 fouillée par A. Chernysh (1959), située avec précision dans la sous-unité 11-3 dans les profils ouverts en 1997-98 (fig. 6), a fourni trois dates sur charbon de bois entre 25 280 et 25 130 BP (Haesaerts et al. 2003); par contre, la partie supérieure de la couche 7 située par I. Ivanova (1987) dans l'horizon humifère sus-jacent (sous-unité 12-1) et dans le gley de toundra 12-2, fut datée respectivement 23 650 BP et 23 000 BP (fig. 6 et 7). A Mitoc, mais aussi à Dolní Vestonice III, à Moravany-Lopata et à Spadzista, le Gravettien à pointes à cran est attesté entre 24 780 et 23 000 BP, les principales occupations de Spadzista datées vers 23 000 BP se situant juste en dessous et dans le sommet soliflué du gley de toundra principal (sous-unités 6a et 6b). A cet ensemble appartiennent également l'occupation de Petrkovice, dont la date 23 370 BP obtenue récemment nous paraît plus fiable que celle de 20 790 BP issue des fouilles antérieures (Jarosová et al. 1996), ainsi que l'occupation de Nitra Cermán, datée 23 000 BP sur charbon de bois, qui est présente dans la partie basale de la couverture loessique supérieure (Bárta 1980). Deuxième période (de 23 000 à ± 20 000 BP) - La mise en place de la couverture loessique supérieure dans un contexte froid, mais surtout très sec sur la base de la malacologie (Haesaerts et al. 2003 : 175), a été datée à Molodova entre 23 000 et ± 20 000 BP, période correspondant à l' âge du stade glaciaire de Brandenbourg-Lezsno dans la nord de l'Europe (Kozarski 1980). A l'ouest des Carpates, la chronologie des premiers apports éoliens de cette importante phase loessique demeure imprécise en raison de la fiabilité aléatoire des âges sur os en milieu loessique, du moins à l'échelle du millénaire (Damblon et al. 1996), et du manque de charbon de bois dans les dépôts de cette période. Ces loess n'ont livré que de rares assemblages atypiques témoignant d'occupations occasionnelles et de courte durée. C'est le cas du niveau supérieur d'Aggsbach et de Milovice vers 22 500 BP, ou encore d'ateliers de taille isolés comme ceux de la partie basale de la couche 5 à Spadzista C attribués à une phase tardive du Gravettien supérieur (Kozlowski & Sobczyk 1987; Kozlowski 1998; Escutenaire et al. 1999). A l'est des Carpates, le long du Prut et du Dniestr, les occupations gravettiennes bien documentées font également défaut dans les loess de cette période; ceux -ci incorporent cependant un grand nombre de petites concentrations lithiques ou de pièces dispersées associées à des restes de renne et de cheval, avec localement présence de charbon de bois. A Molodova V par exemple, ces petites concentrations réparties sur plusieurs niveaux dans les loess de l'unité 13, furent datés respectivement 23 120 BP à la base, 21 500 BP dans la partie médiane et 20 600 BP vers le haut de l'unité (fig. 6). En d'autres termes, compte tenu de l'exceptionnel potentiel archéologique des vallées du Prut et du Dniestr dont seule une infime partie fut exploitée, ces quelques témoins attestent la présence répétée de petits groupes de chasseurs dans la région au cours de cette période froide mais surtout très sèche comprise entre 23 000 et ± 20 000 BP. Localement, des indices d'occupations plus importantes existent néanmoins dans les dépôts de cette période, par exemple dans la partie inférieure du loess poudreux de Crasnaleuca au nord de Mitoc mais celles -ci n'ont pas encore fait l'objet d'études détaillées (Chirica 1989). En conséquence, la période correspondant à la seconde génération loessique, que l'on a souvent associée à un vide d'occupation en relation avec le maximum glaciaire du stade Brandenburg-Lezsno (Kozlowski 1996, 1998; Djindjian et al. 1999; Djindjian 2002), paraît surtout enregistrer un changement majeur du mode de subsistance des populations de chasseurs collecteurs après 23 000 BP; celui -ci s'accompagne, semble -t-il, d'une réorientation des pratiques cynégétiques vers la chasse saisonnière du renne et du cheval en réponse à une modification importante de l'environnement liée à l'extension considérable des substrats xériques et à l'uniformisation des biotopes steppiques peu favorables à la grande faune autochtone (Haesaerts 1990b). Première période (de ± 20 000 à ± 17 000 BP) - Les industries de cette période se réfèrent à deux groupes d'occupations : celui de Grubgraben (couches culturelles 5 à 1) en Basse Autriche et celui de Cosautsi (couches 10 à 1d) et de Molodova (couches 6 à 4) sur le Dniestr (fig. 2, 6 et 8). Dans les deux régions, ces occupations accompagnent une succession de courtes oscillations interstadiaires et d'épisodes plus froids dans un contexte climatique relativement humide. Cette succession constitue en quelque sorte la signature de la seconde moitié du pléniglaciaire supérieur entre ± 20 000 et ± 17 000 BP, une période également associée à l'extension maximum de l'inlandsis scandinave dans le nord de l'Europe (fig. 8). A Grubgraben, les couches culturelles 4 et 3 datées 19 380 et 18 920 BP et les deux horizons humifères associés, ainsi que l'horizon humifère inférieur qui contient les éléments de la couche 5, se rapportent à un épisode complexe dénommé « phase climatique de Grubgraben ». Les couches culturelles 2a et 2b datées 18 890 et 18 380 BP, accompagnent les loess sus-jacents, tandis que la couche 1 est associée à une phase d'arrêt des apports loessiques antérieure à 16 800 BP (Haesaerts 1990c). L'industrie lithique des couches culturelles 5 à 1 constitue un ensemble cohérent rapporté à l'Epigravettien par A. Montet-White (1990), mais qui présenterait cependant certains caractères « aurignacoïdes » (Brandtner 1996; Street & Terberger 1999). A cet ensemble, appartiendraient également les occupations de Langsmannersdorf et Rosenburg en Basse Autriche, deux gisements dépourvus de contexte stratigraphique, datés sur os entre 20 580 et 20 120 BP (Neugebauer-Maresch 1999). De même, les occupations épigravettiennes rapportées à la période 18 900 - 17 700 BP à Sagvar en Hongrie (Gabori 1965) et à Stránská Skála en Moravie (Svoboda et al. 1994) sont probablement contemporaines des couches 3, 2 et 1 de Grubgraben. A l'est des Carpates, ce sont les séquences de Molodova V et surtout de Cosautsi qui sont les mieux documentées; elles intègrent un grand nombre de couches épigravettiennes riches en charbon de bois, datées entre 20 400 et 17 200 BP, qui paraissent bien s'inscrire en continuité avec les occupations occasionnelles de la période antérieure (Noiret 2004). A Molodova V, où les Epigravettiens sont présents dès 20 400 BP, la couche 6 couvre une large superficie et se trouve associée à un horizon humifère interstadiaire bien exprimé (sous-unité 14-1) qui établit la liaison avec la longue série d'occupations correspondant aux couches culturelles 10 à 1d de Cosautsi. Celles -ci se distribuent en semi-continuité autour de trois groupes d'horizons humifères rapportés aux épisodes interstadiaires Cosautsi VI-4 et VI-2 (entre 19 400 et 19 000 BP), Cosautsi V-4 et V-2 (entre 18 000 et 17 500 BP) et Cosautsi IV-4 et IV-3 (vers 17 200 BP), lesquels sont séparés par deux péjorations climatiques situées vers 18 200 et 17 200 BP probablement contemporaines des stades glaciaires de Frankfurt-Posnan et de Poméranie (fig. 8). D'autres témoins d'occupations épigravettiennes de cette période sont préservés à Molodova V (couches 5 et 4), à Korman IV (Ivanova 1977; Noiret 2004), à Podgor au voisinage de Cosautsi (Borziac 1994), mais aussi à Crasnaleuca le long du Prut (Chirica 1989). Deuxième période (de ± 17 000 à ± 14 500 BP) - En Europe centrale, cette période qui correspond au stade glaciaire de Poméranie, se caractérise par des conditions climatiques extrêmes avec plusieurs épisodes de permafrost et une prédominance des faciès sableux souvent soufflés à partir des plaines alluviales avoisinantes; elle s'accompagne d'une nouvelle césure dans la séquence du Paléolithique supérieur, les dépôts correspondant étant généralement stériles. Toutefois, le bassin du Dniestr fait à nouveau exception, principalement à Cosautsi (couches 1c à 1a) et peut-être aussi à Korman IV, avec de petites concentrations lithiques peu différenciées mais encore attribuées à l'Epigravettien, datées entre 17 100 et 16 050 BP (Ivanova 1977; Noiret 2004). Celles -ci y sont préservées dans les dépôts sableux et sablo-limoneux antérieurs à l'épisode rigoureux avec gley de toundra et fentes de gel qui termine le pléniglaciaire supérieur (fig. 7 et 8). Troisième période (de ± 14 500 à ± 10 000 BP) - Le Tardiglaciaire est associé à la phase finale du Paléolithique supérieur dans un environnement climatique contrasté avec plusieurs phases plus sèches dont témoigne une double génération d'apports éoliens qui encadrent les sols humifères du complexe Bölling-Alleröd préservés dans les parties basses du paysage. Dans le domaine occidental, les rares gisements connus appartiennent au complexe magdalénien. C'est le cas de la couche culturelle magdalénienne de Kamegg dans la vallée de la Kamp, datée 14 100 BP sur os à la base d'un loess comparable à celui de la séquence supérieure de Grubgraben (Haesaerts et al. 2004). De même, l'industrie magdalénienne de Brzoskwinia, dans le sud de la Pologne, préservée dans les sables de couverture du Dryas le plus ancien, peut être mise en parallèle avec le Magdalénien supérieur de la grotte de Pekarna en Moravie (Svoboda et al. 1994). Par contre, à l'est des Carpates, la situation est plus complexe. Alors qu'en Ukraine centrale, la présence de l'Epigravettien est attestée entre 15 000 et 13 500 BP, par les célèbres campements à structure d'habitat en ossements de mammouth (Soffer 1985; Iakovleva 2001), au contraire, dans les bassins du Dniestr et du Prut, l'attribution chronologique des petites concentrations épigravettiennes préservées dans la partie supérieure de la couverture loessique demeure problématique, en particulier pour les couches 3 à 1 de Molodova V. La séquence interrégionale élaborée à l'échelle du domaine loessique d'Europe centrale pour la période 33 000 – 10 000 BP, associe les données pédostratigraphiques, les enregistrements paléoclimatiques et chronologiques et les données archéologiques. Ce système bien documenté permet ainsi de préciser les liens entre ces différentes composantes. Dans ce contexte, la chronologie des événements constituait un objectif prioritaire; elle repose sur une séquence complexe et reproductible de courts épisodes climatiques dont la chronologie fut fixée par de longues séries de datations 14 C cohérentes obtenues pour la plupart sur charbon de bois, ce qui autorise le positionnement de la majorité des événements dans l'échelle du temps avec un degré de résolution de l'ordre de quelques siècles. Par ailleurs, l'insertion dans ce système d'un grand nombre de sites et d'horizons d'occupations du Paléolithique supérieur bien positionnés en stratigraphie, a permis de démontrer le caractère synchrone de la distribution des principaux ensembles techno-culturels de part et d'autre des Carpates, compte tenu de la marge d'imprécision inhérente au schéma chronologique (fig. 8). Dès lors, cette approche s'inscrit en complément des différents essais de synthèse publiés ces dernières années pour le Paléolithique supérieur d'Europe centrale (Kozlowski 1996, 1998; Djindjian et al. 1999; Svoboda 2000; Djindjian 2002; Otte & Noiret 2004). Un autre aspect spécifique de la séquence interrégionale concerne l'incidence des variations du climat et de l'environnement sur le schéma évolutif du Paléolithique supérieur dans le domaine loessique d'Europe centrale au cours de la période considérée, un thème qui n'a guère été développé dans les essais de synthèse précédents. De fait, le degré de résolution du système a permis de mettre en évidence un remarquable parallélisme entre l'évolution de l'environnement et celle des ensembles techno-culturels; il apparaît en outre que ces deux processus évolutifs traduisent une succession rythmique des événements selon une périodicité de l'ordre de ± 2 500 ans. Ce parallélisme se marque dès la fin du pléniglaciaire moyen avec la phase d'extension du Pavlovien et du Gravettien moyen entre 27 500 et 25 500 BP, dans un contexte climatique essentiellement rigoureux et humide qui contraste avec la succession récurrente d'épisodes interstadiaires de la période antérieure. Il se poursuit au pléniglaciaire supérieur avec la mise en place d'une première couverture loessique entre ± 25 500 et 23 000 BP dans un environnement encore relativement humide; c'est au cours de cette période que se développe le Gravettien supérieur à pointes à cran, et cela en continuité avec les occupations gravettiennes antérieures (Svobodá et al. 2000). De même, la diminution considérable des occupations entre ± 23 000 et ± 20 000 BP, qui caractérise la mise en place de la seconde génération loessique associée au stade glaciaire Brandenbourg-Lezslo, répond probablement à une uniformisation des biotopes steppiques peu favorables à la grande faune d'herbivores autochtones suite à l'extension considérable des substrats xériques. Cette situation se maintient au cours de la seconde partie du pléniglaciaire supérieur, avec toutefois une plus grande densité de campements saisonniers récurrents au cours de la phase plus humide comprise entre ± 20 000 à ± 17 000 BP. En Basse Autriche, Grubgraben et les sites adjacents évoquent un environnement steppique (cf. § 2.2), tandis que dans le domaine est-carpatique, les données palynologiques et l'abondance de charbon de bois dans les gisements épigravettiens à Cosautsi, Molodova et Korman IV, laissent supposer la présence de parcelles boisées le long des vallées principales dans un paysage de forêt-steppe (cf. § 3.3). Néanmoins, au cours de cette période, la large distribution des substrats loessiques demeure un facteur déterminant de part et d'autre des Carpates et se répercute sur le mode de subsistance des populations, surtout axé sur les migrations saisonnières du renne et du cheval, ce dont témoigne la composition des faunes de chasse de la plupart des gisements. En cela, elles se distinguent des faunes antérieures à 23 000 BP, lesquelles sont nettement plus diversifiées et le plus souvent composées de grands herbivores autochtones. De fait, entre ± 20 000 et ± 17 000 BP, la plupart des gisements se situent le long des principales voies de migration du renne. Grubgraben fait face à la vallée du Danube, à hauteur du débouché de la rivière Kamp qui donne accès, vers le nord, au plateau morave et à la plaine baltique. De même, la vallée du Dniestr et ses abords constituaient un parcours de migration obligé entre les zones marécageuses du Pripet au nord et les steppes méridionales à proximité de la mer Noire actuelle. Enfin, la dernière phase rigoureuse du pléniglaciaire supérieur entre 17 000 et ± 14 500 BP voit à nouveau diminuer considérablement les occupations de part et d'autre des Carpates. Cette situation se modifie à nouveau au début du Tardiglaciaire, une période caractérisée par une différenciation régionale marquée des complexes techno-culturels du domaine loessique en Europe centrale (Otte & Noiret 2004). En conclusion, les différents stades évolutifs du Paléolithique au cours du pléniglaciaire supérieur semblent surtout induits par les modifications de l'environnement climatique à l'échelle de l'Europe centrale et par l'impact de l'extension des couvertures loessiques sur la composition de la grande faune liée à la nature et à la diversité du paysage végétal. Par contre, au cours d'une même phase climatique, la fréquence et le type d'occupation s'avèrent indépendantes des oscillations climatiques de courtes durées (fig. 7 et 8). Dans ce contexte, les nouvelles données réunies en Europe centrale pour le pléniglaciaire supérieur conduisent à nuancer quelque peu l'hypothèse d'un vide d'occupation entre 21 000 et 18 000 BP avancée précédemment par divers auteurs (Soffer 1985; Kozlowski 1996, 1998; Djindjian 2002). De fait, les gisements du domaine occidental et du domaine est-carpatique illustrent la variabilité dans le temps des environnements climatiques, mais aussi les diversités régionales du domaine loessique au cours de cette période généralement associée au maximum glaciaire. En particulier, les séquences de Mitoc, de Molodova, de Korman IV et de Cosautsi attestent la présence répétée des chasseurs paléolithiques dans la région pendant la quasi-totalité du pléniglaciaire supérieur, les vallées du Prut et du Dniestr constituant une voie de migration obligée pour les hardes de rennes. Nous sommes cependant conscients du fait que les schémas de distribution régionaux soulignant le synchronisme des différents ensembles techno-culturels du Paléolithique supérieur de part et d'autre des Carpates demeurent incomplets. Cela tient en particulier au nombre limité de sites pris en compte par rapport au potentiel supposé des régions concernées et à la part de hasard conditionnant leur découverte, une situation qui rend aléatoire les modèles de migration des populations du Paléolithique supérieur dans la Grande Plaine européenne (Mussi et al. 2000) .
Dans le bassin du Danube moyen, les sites de Willendorf II (Autriche), de Dolní Vestonice, de Pavlov et de Stranská Skála (République tchèque) ont permis de reconstruire une séquence régionale bien documentée pour les loess du pléniglaciaire moyen (de ± 45 000 à 26 000 BP), tandis que le contrôle chronologique pour le pléniglaciaire supérieur et le Tardiglaciaire (de 26 000 à 10 000 BP) restait limité en raison du faible nombre de gisements du Paléolithique supérieur relevant de cette période. Depuis 1991, de nouvelles données obtenues dans la région est-carpatique (bassins du Prut moyen et du Dniestr moyen) sont basées sur trois enregistrements loessiques exceptionnels: Mitoc-Malu Galben (Roumanie), Cosautsi (République de Moldavie) et Molodova (Ukraine). Pour la période comprise entre 33 000 et 10 000 BP, plus de 15 oscillations climatiques positives marquées par des sols humifères en alternance avec des loess et des sols cryogéniques ont été enregistrées et positionnées chronologiquement sur la base de plus de 120 nouvelles datations C 14 réalisées dans les laboratoires de Groningen et d'Oxford. L'ensemble des données issues des deux régions ouest- et est-carpatique a fourni une séquence globale au niveau paléoclimatique, chronologique et archéologique conduisant à une meilleure compréhension des changements de l'environnement par rapport aux témoins matériels du Paléolithique supérieur à l'échelle de l'Europe centrale.
archeologie_09-0052795_tei_238.xml
termith-97-archeologie
La réalisation d'un diagnostic archéologique en 2007, sur une douzaine de parcelles à lotir sises sur le territoire de la commune de Lannilis, non loin de la chapelle Saint-Sébastien, a permis de mettre au jour les restes d'un petit dépôt de l' âge du Bronze composé d'une dizaine de pièces. Les terrains concernés se situent au sud du bourg, sur un versant dominant des zones humides et un ruisseau affluent de l'Aber Benoît (fig. 1). L'intervention a traité une superficie de cinq hectares. Géographiquement, la commune de Lannilis se situe à proximité de la côte nord-ouest du Léon (Finistère). Le site est localisé au cœur d'un vaste éperon de 10 km de long pour 4 km de large, limité au nord par la ria de l'Aber Wrac'h et au sud par celle de l'Aber Benoît. Les terrains diagnostiqués constituent une partie du versant exposé au sud, au-delà de la rupture du plateau actuellement occupé par le bourg. L'altitude du secteur étudié varie de 38 à 25 m NGF, avec un pendage général d'environ 4 %. Dans la partie basse, le pendage s'accentue jusqu' à près de 10 %, s'accompagnant d'une évolution du substrat arénitique vers des bancs de sable gris ou de graviers à mesure que l'on s'approche des zones humides (ruisseau et marécages). Le traitement en profondeur des parcelles par les engins agricoles modernes a accentué l'érosion de la partie supérieure du substrat et limité ici tout espoir de découvrir du mobilier archéologique erratique ou d'éventuelles structures en élévation. La commune de Lannilis, tout comme la région des Abers en général, recèle un environnement archéologique assez riche et diversifié (Galliou, 1989, p. 190-191; documentation du SRA de Bretagne). Pour les périodes pré - et protohistoriques, douze sites y sont recensés, parmi lesquels une occupation du Néolithique (Roual) et six sépultures de l' âge du Bronze (Kerdrel, Kerscao, Rascol, Kerfrichoux, Prat-ar-Simon-Pella). Cette dernière, découverte fortuitement quelques mois avant le diagnostic de Keravel (Le Goffic, 2006), a livré un mobilier du Bronze ancien (poignard et hache à légers rebords en bronze, lots de minuscules clous décoratifs en or et pointes de flèches en silex). Une hache à talon, de provenance inconnue et aujourd'hui disparue, fut également recensée sur la commune par J. Briard (Gabillot, 2003, p. 174). L' âge du Fer est représenté par le petit cimetière de Pembrat-Vihan (stèle et urnes). Deux autres stèles sont également connues, plus à l'ouest, à Coum et à Kerguisquin. Enfin, un souterrain (Le Prat) complète le panorama pour l' âge du Fer. Par ailleurs, rappelons que l'occupation ayant livré le célèbre collier en or de Kerellen en Tréglonou se situe de l'autre côté de la ria, sur la rive gauche de l'Aber Benoît, à moins de 5 km à vol d'oiseau. Pour l'Antiquité, trois occupations (moulin de Poulfougou, Penhoat et Kergoadou) livrent de la poterie, des tuiles et des fossés. Plusieurs monnaies gallo-romaines, à la provenance indéterminée, sont également répertoriées à Lannilis. En outre, les Abers sont fréquemment cités comme sites portuaires au cours de l'Histoire, notamment durant la période gallo-romaine. Des itinéraires antiques reliant la mer et les sites de Saint-Frégant (villa) et Kérilien-Plouneventer (agglomération secondaire) se suivent au nord du bourg actuel de Lannilis. Enfin, plusieurs sites médiévaux et d'époque moderne (manoir, motte, enclos…) font le lien avec l'histoire récente. Des textes attestent de l'existence d'un bourg dès 1330, cœur de la paroisse de Ploudiner, réunissant alors Lannilis, Tréglonou et Broennou avant un éclatement survenu au xv e siècle. En dépit de ce riche environnement, les résultats du diagnostic furent peu spectaculaires malgré un taux de décapage de plus de 10 % des parcelles (fig. 2). En dehors du dépôt faisant l'objet de cet article, le site révéla un vaste réseau de fossés de parcellaires, parfaitement structuré, à l'orientation décalée de 45° par rapport au paysage actuel (Villard, 2007). Ce réseau ancien s'accompagne d'un fond de chemin creux. D'autres espaces de circulation ont pu compléter l'ossature de ces parcelles. Le recoupement de certains fossés par des limites parcellaires figurant sur le cadastre de 1841, dont l'orientation est similaire à celle du document actuel, date ce réseau d'une période antérieure au xix e siècle, sans plus de précision. L'absence totale de mobilier dans les sections fouillées ne permet pas de l'intégrer à une quelconque période historique. L'action en profondeur des techniques agricoles récentes (cf. supra) a par ailleurs éliminé toute possibilité de découvrir des tessons erratiques anciens. Cette érosion anthropique récente a complété une érosion naturelle du versant, sans doute importante mais dont il est difficile d'estimer la puissance et les conséquences sur les vestiges. Seuls deux petits tessons d'allure antique (pâte grise et dégraissant roulé) ont été mis au jour au nord de la tranchée B. XI, hors structures. Ces derniers ont peu de poids parmi les nombreux fragments de verre, de faïence voire de plastique découverts au même niveau, dans la couche remaniée par l'agriculture, entre la base de la terre végétale et la surface actuelle du substrat sain. Le profil des fossés, très arasés et conservés en moyenne sur 0,30 m de profondeur, ainsi que leur appréhension sous forme de segments intermittents, ne favorisent guère l'interprétation du réseau qui se répartit cependant sur les cinq hectares étudiés. On note simplement que la régularité de l'implantation en fait un ensemble cohérent. Ces fossés constituent les vestiges d'un large terroir homogène. L'archéologie préventive met fréquemment au jour de tels ensembles parcellaires. Ils sont connus dès l'Antiquité autour d'établissements ruraux tels que ceux du Moustoir (Le Bihan et Villard, 2001b; 2003a et b) ou de Kerjaouen (Villard, 2002; Roy, 2008), l'un et l'autre à Quimper. Cependant, la mise en place du bocage à partir des xiv e - xv e siècles ne simplifie pas l'attribution chronologique de ces réseaux fossoyés. Ce phénomène de bocage, conforme à ce que l'on connaît des modes de structuration du paysage en Europe occidentale (Guilaine, 1991), se poursuit ou se modifie, à un rythme parfois rapide, jusqu'aux xviii e - xix e siècles. Faute de relations entre ce réseau parcellaire et les structures d'habitat de ses exploitants, malheureusement absentes, le débat sur sa datation demeure ouvert. Cette quarantaine de fossés s'accompagne de quelques structures isolées parmi lesquelles les restes d'un petit dépôt d'objets en bronze. Le dépôt fut découvert au sud-ouest des parcelles étudiées (tranchée B. XIX), en bas de pente, à proximité du ruisseau affluent de l'Aber Benoît (fig. 3). Ce secteur regroupe deux éléments imbriqués difficilement discernables en surface : d'une part une fosse (Us. 01), d'autre part un lot de dix objets ou fragments d'objets en bronze. La fosse (Us. 01) présente un plan ovale dont l'axe longitudinal est orienté nord-ouest/sud-est (fig. 4, 5, 6). Elle mesure près de 6 m de long pour 3,20 m de large. Elle se situe en dessous de la rupture topographique des 28 m NGF, dans un secteur de fort pendage (10 %). Son comblement, de terre arénitique très claire, la distingue peu du substrat environnant. Ce dernier est relativement varié dans cette portion basse du site où les bancs d'arène jaune alternent avec des bancs grisâtres ou des graviers. La fouille partielle de la structure montre un creusement en front de taille vers l'amont. Au nord-ouest, le fond de la fosse présente un fond plat qui se transforme, à contre-pente, en vaste cuvette. Partiellement incrustés dans le substrat, localement relativement meuble, au niveau du flanc sud-ouest du creusement principal, les objets en bronze étaient groupés sur une superficie de moins d'un demi-mètre carré, en limite extérieure de la fosse. Seules quelques traces extrêmement ténues de poussière verdâtre, apparues au décapage, signalent leur présence. La situation particulière de ces objets, en position décentrée et incrustés dans le flanc de la fosse, pose la question de la liaison entre objets et structure. Un temps interprétés comme appartenant à un même ensemble, tant les limites de la fosse Us.01 étaient difficilement repérables en surface, la fouille montra que les deux unités devaient être dissociées. Les bronzes ne sont pas déposés dans la fosse, ils constituent un ensemble distinct et antérieur (fig. 4). La fosse, avec sa technique de creusement en front de taille, évoque davantage une structure d'extraction de matériaux. Des cas similaires se rencontrent régulièrement lors d'opérations archéologiques; citons pour exemple les carrières d'époques moderne et contemporaine de Mez-Notariou à Ouessant (Le Bihan, 2008), celles médiévales, de la rue Bourg-les-Bourgs à Quimper (Villard, 2005) ou celles protohistoriques, de Penvillers (Le Bihan, 1997), toujours à Quimper. Le contexte géologique de Keravel, avec ses bancs de belle arène, se prêterait sans mal à cette interprétation. La couleur extrêmement claire du comblement conférerait à la structure les critères d'une certaine ancienneté, peut-être même dès l' âge du Bronze, mais sans pour autant la dater avec précision. Rappelons que certains comblements de fossés du parcellaire ancien, découverts sur le site, présentent les mêmes caractéristiques. Ni la forme asymétrique du fond de la fosse, ni l'absence totale de mobilier archéologique en dehors des objets en bronze excentrés, n'évoquent une structure funéraire, type de vestiges que l'on était en droit de rencontrer ici compte tenu de l'environnement archéologique de la commune (cf. supra) et qui fut à la base de la prescription du diagnostic. L'homogénéité du remplissage, sans aucune trace d'argile rubéfiée ou de terre charbonneuse, ne cadre pas plus avec une fonction artisanale ou liée à un habitat au demeurant absent du reste des parcelles étudiées. Enfin, ni la position de la fosse, sur un versant à forte pente, et sa taille ne favoriseraient ces dernières fonctions. Cette situation renforcerait plutôt la première hypothèse d'une carrière destinée à l'extraire de l'arène. Les bronzes ont été, quant à eux, retrouvés dans un secteur restreint, en limite extérieure de l'excavation. Il s'agit ici d'un lot et non d'objets dispersés. L'hypothèse de pièces ayant migré en bas de pente, suite à la destruction par les labours d'une structure archéologique, située en amont, ne s'accorderait pas avec cette concentration. De plus, aucune structure particulière ayant pu receler ces dernières n'a été mise au jour durant le diagnostic. L'hypothèse d'un lot déposé sur ce bas de pente doit être retenue, d'autant que son analyse révèle que les objets se rattachent à des typologies contemporaines (cf. infra). Cependant, aucune trace du creusement initial du dépôt ou de sédiment spécifique n'est discernable autour de ces pièces. Tout indique que le creusement de la fosse Us.01, à une époque sans doute très ancienne mais indéterminée, lié à la recherche de matériau arénitique, a recoupé, ou tout au moins frôlé, un dépôt de l' âge du Bronze ou ce qu'il en restait. L'hypothèse de travaux récents, agricoles ou autres, ayant fait resurgir des objets fut émise mais semble peu en accord avec l'aspect ancien et homogène du sédiment de la fosse. De même, l'idée d'une récupération volontaire ou d'un pillage fut suggérée, les objets subsistants n'étant alors que le reflet d'un dépôt plus important; cependant, la masse de métal laissé sur place (500 g) ne cadre pas avec un tel cas. Le creusement du fossé T. 31 à une période récente (seconde moitié du xx e siècle), n'a sans doute pas simplifié le problème. Lui aussi a pu faire resurgir quelques objets anciens et contribuer à la dégradation du dépôt d'origine. Rappelons qu'une hache à talon, de type et de provenance indéterminée et aujourd'hui disparue, fut recensée sur la commune (cf. supra). Le dépôt se compose de deux objets en mauvais état ou usés, une pointe de lance et une hache, accompagnés de huit autres fragments (tableau 1). La pointe de lance (fig. 7 n° 1; fig. 8 et 9), est à douille se terminant avant la pointe; sa longueur conservée est de 17,6 cm. Elle est décorée de deux lignes de petits points sur la flamme, au niveau du raccordement des ailerons et de la douille. Ce raccordement est renforcé par deux nervures aplaties longeant cette même douille. Les trous de rivets, aux rebords irréguliers sont de forme oblongue (1,2 cm sur 0,7 à 0,8 cm). La douille tronconique est, à sa base, de section elliptique (2,7 x 1,9 cm de diamètre d'emmanchement) avec des arêtes assez nettes dans l'axe de la flamme. Les bords des ailerons sont très abîmes. De même, la base de la douille était brisée et les fragments mêlés aux autres objets formant le lot. Cette pointe de lance est caractéristique du type de Tréboul, en référence au dépôt découvert en 1948 dans cette partie de la commune de Douarnenez et qui contenait plusieurs pointes de lances identiques (Briard, 1965; Briard et Mohen, 1983), datées du Bronze moyen. L'exemplaire de Keravel est assez proche du n° 4 de ce dépôt, avec son décor limité aux ailerons. Elle s'apparenterait au type 52 de la typologie de M. Gabillot (2003). La forme des trous de rivets, aux contours irréguliers, semble indiquer une perforation à froid après moulage, technique que J. Briard date également du Bronze moyen par opposition à celle de la goupille insérée dans le moule lors de la coulée, donnant un trou régulier, et davantage caractéristique du Bronze récent. Le fragment de la pointe d'un objet indéterminé (fig. 7 n° 2; fig. 10) dont l'épaisseur s'amenuise vers la base a également été mis au jour. Long de 5,8 cm pour 2,1 cm de large, il pourrait s'agir de l'extrémité distale d'une lame de poignard (ou d'épée). Faute d'éléments complémentaires, il est difficile d' être plus précis quant à son attribution typologique. La petite hache est du type à talon (fig. 11; fig. 12 n° 3). Sa longueur conservée est de 8,85 cm dont 65 % pour le seul talon. Elle présente une partie proximale à bords très légèrement convexes. La butée, franchement rentrante en section, est légèrement arrondie vue de face. Le profil des larges rebords est biconvexe. Les barbes latérales de coulée sont apparentes mais soigneusement écrasées. La longueur observée de la lame est très courte. Le fil du tranchant est décentré d'environ 4° par rapport au plan du talon. Le type des rebords encadrant les gorges du talon, avec leur largeur maximale déportée à mi-distance de l'emmanchement et non près de la butée, rattacherait également cette hache aux objets du type de Tréboul (Briard et Verron, 1976), bien que quelques variations de détail existent avec les haches du dépôt éponyme; en particulier, on ne note pas ici de rupture entre le profil convexe des bords et la lame, mais plutôt une continuité. Généralement ce type de hache possède une lame relativement longue et large (cf. infra, fig. 16). La petite taille de celle de l'exemplaire de Keravel pourrait être due à une usure exagérée suite à de nombreux réaffûtages, ce qui expliquerait le désaxage du tranchant; il s'agirait alors d'une hache « en bout de course », devenue non fonctionnelle. Cependant, on n'observe pas de traces d'usure nettes sur la peau du bronze au niveau de la lame. Par ailleurs, compte tenu de la forte concavité des bords de cette dernière, leur prolongement hypothétique supposerait un tranchant extrêmement large, plus de quatre fois supérieur à la largeur du talon si l'on se base sur des exemplaires complets. Le cas d'une large hache n'est pourtant pas exclu d'autant que les individus de grande taille sont fréquents dans le groupe de Tréboul. De plus, dans l'hypothèse de réaffûtages successifs, ceux -ci ont pu être réalisés par martelage, opération induisant inévitablement un élargissement du tranchant. L'examen à la binoculaire de la surface de ce dernier ne révèle cependant la présence que de rares stries, selon différents axes, dont on ne peut affirmer l'origine (aiguisage, utilisation, séjour en milieu arénitique…). L'hypothèse d'un outil coulé à l'origine avec une lame courte, peut-être pour un usage particulier, doit également être évoquée même si l'on ne connaît pas d'objets de ce type. L'un des intérêts de cette hache concerne sa technique de réalisation. En effet, l'angle aigu (environ 60°) formé par le rentrant de la butée par rapport à l' âme du talon implique une maîtrise particulière de conception des moules. Avec un moule bivalve, ces parties rentrantes gênent le démoulage en formant une « contre-dépouille ». Il faut donc soit un moule fractionné, soit une jonction des valves permettant un démoulage oblique selon un angle inférieur à celui du rentrant, soit un moule perdu (en argile par exemple). Ce type de rentrant a pour avantage de renforcer l'emmanchement, les éléments de ce dernier étant maintenus par effet de coin contre l' âme du talon lors des chocs liés à son utilisation. Ces rentrants ne semblent pas être très courants. En revanche, ils sont la preuve d'une certaine évolution technique des bronziers l'ayant réalisé. Malheureusement, en l'absence de coupes longitudinales sur de nombreux dessins publiés, il n'est pas possible de tirer des conclusions statistiquement pertinentes sur l'apparition et la diffusion de ce caractère. Ce type de rentrant s'observe à l'occasion sur quelques haches à talon normandes (à dépression triangulaire, à décor de sabot fendu et nervure, divers) des dépôts de Verneuil-l'Étang et Heuqueville (Seine-maritime), Saint-George-du-Vièvre et La-Chapelle-du-Bois-des-Faulx (Eure) ou sur des haches du Bassin parisien à Mareil-Marly (Yvelines) et Sucy-en-Brie (Val-de-Marne), mais il ne s'agit là que d'un reflet de l'iconographie disponible (Gabillot, 2003). Ces dépôts sont cependant tous datés de la seconde moitié du Bronze moyen. Les objets n° 6a et b sont probablement deux fragments d'une même grande hache (fig. 13 n° 6; fig. 14). Ils ont la même patine de surface, ainsi que la même texture interne bulleuse du bronze. Il s'agit de la partie mésiale et d'un fragment de bord de tranchant d'une forte hache à talon. La butée du talon est arrondie et soulignée par un petit bourrelet. L'amorce d'une nervure centrale, sur le plat de la lame, se raccorde à ce bourrelet. Les flancs sont ornés de stries en chevrons ou en épis. Ce type d'ornementation figure, par exemple, sur une hache mise au jour à dans le dépôt finistérien de Pouldergat (Briard et Onnée, 1971; Giot et al., 1995). Par rapport à la petite hache précédente (n° 3), ce modèle se rattache davantage au groupe des haches à talon de type breton à nervure centrale (Briard et Verron, 1976). Il est cependant intéressant de noter qu'un point commun relie ces deux pièces, à savoir l'angle aigu de la butée. Les remarques technologiques faites pour la hache n° 3 sont également valables ici. Ce sont : – un fragment de talon de hache qui, compte tenu de sa taille, est difficilement rattachable à une typologie précise : hache à rebord ou à talon (fig. 12 n° 4, fig. 15); – un fragment de tranchant de hache à talon d'un type indéterminable (fig. 12 n° 5; fig. 15); – un fragment de tranchant de hache, probablement à rebord (fig. 13 n° 7), dont le tranchant pourrait avoir été mis en forme par martelage; – un segment de tige ou de manche marqué de deux rainures opposées longitudinales (fig. 13 n° 8, fig. 15); il pourrait s'agir d'un élément de soie d'outil de type ciseau, rasoir ou spatule…; – un fragment parallélépipédique indéterminé (non figuré). Deux aspects caractérisent le dépôt de Keravel : la présence d'objets fragmentés ou usés d'une part et l'association d'éléments d'armement (pointe de lance) et d'outillage ou d'objets divers (haches, tige) d'autre part. Le nombre minimum d'objets conservés et identifiés est relativement faible (neuf) pour une masse totale de 505,5 g. Il a été montré que le dépôt a été effleuré par la fosse Us.01 et que dans ce secteur à forte pente, l'érosion naturelle et anthropique fut importante. Dès lors, la question se pose de savoir si les objets présentés ici constituent l'ensemble ou simplement une part du dépôt d'origine. Il apparaît cependant, à la lumière des synthèses récentes, que masse et effectif sont dans la moyenne des dépôts mis au jour dans le nord-ouest de la France (Gabillot, 2003). Ses caractéristiques de composition apparentent assez bien le dépôt de Keravel à un ensemble d'objets destinés à la refonte, situation fréquente dans les dépôts appartenant à l'horizon de Tréboul. Une telle diversité est courante à l' âge du Bronze, notamment à partir du Bronze moyen, « période où la fabrication d'objets métalliques va largement se diversifier et s'amplifier » (Giot et al., 1995). Plusieurs dépôts de ce type sont recensés dans le nord Finistère, l'un des plus proches étant celui de Plouguin. Les communes environnantes de Plouguerneau, Ploudalmézeau et Saint-Frégant (cf. infra, fig. 17) ne sont pas en reste, preuve de la densité géographique des dépôts dans le Léon (Galliou, 1989; Gabillot, 2003). Plusieurs éléments permettent de dater le dépôt de Keravel, à commencer par la typologie des objets composant le lot : deux d'entre eux, la pointe de lance (n° 1) et la petite hache (n° 3) appartiennent au groupe de Tréboul (fig. 16). Ce groupe typologique est daté du début du Bronze moyen (Briard, 1965). Une datation par radiocarbone, obtenue sur un fragment du sac en toile de lin qui avait contenu les bronzes de Tréboul, propose une large fourchette chronologique calibrée entre 1730 et 1475 avant J.-C. (Roussot-Larroque in Le Bihan et al., à paraître). Les différents fragments de talons et de tranchants présents à Lannilis s'accorderaient avec cette date et cette typologie, notamment le tranchant de hache à rebords. Par comparaison, un talon de hache, également de type Tréboul, mis au jour sur l'habitat de Mez-Notariou à Ouessant, est daté par la stratigraphie et le mobilier céramique d'un horizon antérieur à 1450 avant J.-C., entre 1650 (?) et 1450 avant J.-C. (Le Bihan et al., à paraître). Seuls les fragments de la hache à talon de type breton (n° 6 a et b) sont un peu plus récents. Ce type de hache est daté de la seconde phase du Bronze moyen et du tout début du Bronze final (Briard et Verron, 1976). Il est difficile d' être plus précis compte tenu de l'aspect fragmentaire de l'exemplaire de Lannilis qui limite une attribution typologique plus poussée. La hache de Pouldergat, comparable par son décor, est attribuée à l'horizon de Tréboul par J. Briard (fig. 16), soit entre 1550 et 1400 avant J.-C. (Bronze moyen I). Enfin, les caractéristiques technologiques (net rentrant de la butée) évoquées pour les haches n° 3 et 6 (cf. supra) semblent plaider pour une datation avancée au sein du Bronze moyen. La coexistence d'objets anciens ou archaïsant (type de Tréboul) et de haches de type breton, considérés comme plus évoluées, est relativement fréquente, les dépôts constitués exclusivement de haches bretonnes étant plus récents (Briard, 1965; Gabillot, 2003). Citons pour exemple le dépôt de Saint-Gravé dans le Morbihan, proche par sa composition de celui de Lannilis (une pointe de lance de type Tréboul, une hache à rebord et une hache à talon de type breton), daté vers 1450/1400 avant J.-C. En s'appuyant sur ces comparaisons, le dépôt de Lannilis Keravel daterait d'une période où la production des deux types de haches, Tréboul et breton, coexistaient. Par analogie avec les ensembles de Saint-Gravé et de Pouldergat, une datation autour du xv e siècle avant J.-C. peut être suggérée. Le phénomène des « dépôts » est général à toute l'Europe au Bronze moyen et se prolonge largement au Bronze final. Si les objets en bronze ont fait leur apparition en Bretagne dès le Bronze ancien, ce n'est qu'au cours du Bronze moyen que se développent les fabrications d'objets métalliques en se diversifiant et s'amplifiant. Une première étape de ce dynamisme est matérialisée par les multiples dépôts du groupe de Tréboul. C'est surtout sous cette forme de dépôts enterrés que les objets (armes outillage, bracelets…) sont parvenus jusqu' à nous. Ces ensembles sont généralement interprétés comme artisanaux : réserves familiales, stocks de marchands ou récupération pour refonte selon la taille des dépôts, la qualité ou l'état des objets. Certains de ces dépôts, retrouvés au fond de cours d'eau, marais ou tourbières sont considérés comme votifs (Giot et al., 1995). Dans le cas de Keravel, la petite quantité de mobilier mis au jour ainsi que sa piètre qualité (fragments d'objets ou pièces très usées) plaident en faveur d'un lot destiné à la refonte. Cependant, sa localisation à proximité du ruisseau, en limite de zone marécageuse, pourrait lui conférer des caractères religieux. Si cette dernière hypothèse doit être évoquée, elle ne semble pourtant pas devoir être retenue compte tenu de la modestie de ces éventuelles offrandes. Malgré tout, ce jugement qualitatif est un point de vue actuel : notre connaissance des religions de ces époques demeure encore lacunaire. Les découvertes des dépôts à caractères rituels de Mez-Notariou à Ouessant, avec leur association faune marine, sélection d'ossements de faune terrestre et objets métalliques (poignard, bracelets, épingle, rasoir et patelle en bronze), le montrent bien (Le Bihan et al., 2007, p. 15-37; Le Bihan et al., à paraître). Les objets mis au jour dans le dépôt de Lannilis se rattachent pour la plupart à la typologie du groupe de Tréboul. Celle -ci regroupe des dépôts situés sur l'ensemble de la Bretagne, Loire-Atlantique incluse, dont plusieurs dans le nord Finistère comprenant des haches, des épées et poignards, de l'outillage (marteaux, ciseaux ou burins) mais peu d'objets de parure. Les productions de ce type, qui se développent au Bronze moyen, trouvent des similitudes aussi bien avec des ensembles normands ou britanniques que vers l'embouchure de la Loire ou de Gironde. Des objets relevant de cette typologie furent également découverts dans les bassins rhodanien et rhénan, preuve d'échanges entre toutes ces régions. Par ailleurs, les routes commerciales maritimes sont déjà fréquentées à ces époques. Pour la Bretagne, l'approvisionnement en cuivre destiné à la fabrication du bronze est essentiel; en contrepartie, l'étain du Léon (secteur de Saint-Renan) est un produit d'exportation. Pour cette partie nord du Finistère, l' île d'Ouessant, avec son habitat, son sanctuaire et son atelier de bronzier du Bronze moyen/final I de Mez-Notariou, est le meilleur exemple à ce jour de l'interaction entre les populations locales et les échanges atlantiques mais également continentaux (Le Bihan et al., à paraître). À Keravel, le dépôt demeure isolé, aucune autre structure de cette période n'ayant été découverte sur le site. Les éléments contemporains les plus proches sont les sépultures recensées sur le territoire de la commune. Ce dépôt complète une cartographie déjà dense des dépôts armoricains du Bronze moyen (fig. 17). Manquent encore les habitats pour connaître le mode de vie des artisans liés à ces dépôts de fondeurs. Les indices de peuplement (sépultures, dépôts, trouvailles d'objets isolés) sont pourtant nombreux pour ce secteur du Léon où l'environnement naturel est favorable à l'implantation humaine (terres cultivables, ressources maritimes). Malgré quelques découvertes, liées aux opérations d'archéologie préventives, les lacunes sur l'habitat à l' âge du Bronze demeurent malheureusement générales dans la région .
Le dépôt du Bronze moyen de Keravel en Lannilis (Finistère) fut mis au jour lors d'une opération de diagnostic archéologique en 2007. Une dizaine d'objets ou fragments d'objets fut découverte, probable reflet d'un dépôt partiellement détruit par une petite carrière d'arène granitique, creusée à une époque indéterminée. Une pointe de lance décorée et des fragments de haches à talon ou à rebord se rattachent au groupe typologique de Tréboul. Ils sont accompagnés de fragments d'une grande hache de type breton. L'ensemble, datable du XVe siècle avant J.-C., s'insère dans un état des connaissances, déjà richement documenté en Bretagne, à propos de ce type de dépôts.
archeologie_10-0500454_tei_156.xml
termith-98-archeologie
La période qui va de 12 300 à 7500 BP (dates non calibrées) est assez mal représentée et assez mal datée dans le Massif central : les restes fauniques sont rarement conservés et quand ils le sont, ils ne permettent pas toujours l'obtention d' âges radiocarbone. Aujourd'hui, nous disposons seulement de huit séries fauniques (dont trois non datées) pour documenter les paléoenvironnements et les économies de chasse sur une période de 5 000 ans, dans une région plutôt vaste. Une difficulté supplémentaire réside dans la répartition de ces données sur un espace géographique comprenant des zones de fond de vallée (plaine de la Grande Limagne entre 300 et 350 mètres d'altitude) et des zones de moyenne montagne (hautes vallées entre 700-800 mètres d'altitude) (fig. 1). Quel est donc l'intérêt de mettre en perspective ces données rares et disparates ? Il est déjà difficile, dans des régions bien documentées, d'interpréter les différences observées (en terme de gibier et de stratégie d'acquisition), en identifiant la part respective des différents facteurs (climatique, environnemental et anthropique). Le premier intérêt est de proposer, pour la première fois, un schéma de recomposition faunique global intégrant cette fois les espaces situés en plaine, à la suite de la synthèse concernant les milieux de moyenne montagne (Bridault et Fontana 2003). Il s'agit donc d'une part, de caractériser la recomposition des cortèges fauniques dans le Massif central à la fin du Pléistocène et au début de l'Holocène, et d'autre part, d'identifier les particularités éventuelles de cette région (et des secteurs intrinsèques). L'enjeu est encore plus grand en Limagne, secteur où des événements géologiques et climatiques importants se sont produits et dont les effets se superposent à ceux du réchauffement holocène. En effet, une partie de la plaine de la Limagne et de ses environs a connu une activité volcanique importante entre 15 000 et 7 000 BP (Raynal et al. 1994, 1998; Vernet et Raynal 2000, 2002). D'autres questions se posent alors. Quelles conséquences ces éruptions ont-elles eu sur la végétation et donc sur la zoocénose, en particulier sur les cortèges de grands mammifères ? A quel degré et de quelle manière les grands ongulés, proies des chasseurs, ont-ils été affectés ? Enfin, quels types de stratégie d'acquisition les groupes humains ont-ils adopté ? L'absence des sites datés du début de l'Holocène avait permis à certains de supposer que les sociétés mésolithiques avaient peut-être délaissé la Limagne en raison d'un environnement dit hostile au pied de la chaîne des Puys (Daugas et Tixier 1977; Raynal et Daugas 1984; Daugas et Raynal 1991). Cependant, les témoins d'occupation humaine se multipliant, force est de reconnaître que cet environnement a été occupé et exploité. Tout l'enjeu de l'étude des sociétés de ce secteur est donc de comprendre les modalités d'organisation des groupes, en relation avec les modifications environnementales liées à ces deux paramètres (activité volcanique et réchauffement climatique), notamment en terme de stratégies d'acquisition. C'est pourquoi nous avons tenté, à partir de six études archéozoologiques récentes, de mesurer l'impact de ces modifications sur les grands mammifères et donc sur leurs prédateurs humains, en analysant d'abord les différences observées entre les spectres fauniques puis en les comparant aux données botaniques et géologiques. Parmi les six spectres fauniques répartis entre 12 300 BP et 7 800 BP, deux proviennent de sites de moyenne montagne, au sud, (la grotte Béraud et l'abri des Baraquettes) et quatre sont issus de sites de plein air de la plaine de la Grande Limagne au nord (Le Pont-de-Longues, Marsat-les-Pradelles, Champ Chalatras et Les Patureaux) (fig. 1). Ces collections sont de taille modeste à une exception près (tabl. 1) et l'état de conservation des restes est dans l'ensemble assez médiocre. En Europe occidentale, la date de 12 000 BP marque le début de la phase de recomposition majeure du Tardiglaciaire annonçant la mise en place du cortège faunique qui restera globalement identique tout au long de l'Holocène. Elle est caractérisée par la disparition ou le retrait vers le nord des espèces froides au profit des espèces inféodées à la forêt caducifoliée (Delpech 1983; Bridault 1997a, 1997b; Street 1997). En France, on observe la disparition du Renne (Rangifer tarandus) et du Renard polaire (Alopex lagopus), le développement puis la diminution des Equidés (Equus gallicus et Equus hydruntinus), le début de la remontée en altitude du Chamois (Rupicapra rupicapra), du Bouquetin (Capra ibex), de la Marmotte (Marmotta marmotta) et du Lièvre variable (Lepus timidus), le tout au profit du Cerf (Cervus elaphus) en premier lieu, mais selon des variations régionales et altitudinales (Bridault 1997a, 1997b; Bridault et al. 2000; Bridault et Chaix 2002; Bridault et Fontana 2003; Eriksen 1996; Street 1997). Nous avons déjà eu l'occasion de montrer la dispersion géographique des données du Massif central, de surcroît rares pour cette période (Fontana 2000a et 2000b; Surmely et al. 1999) puisqu'elles proviennent uniquement de deux sites de la vallée de l'Allier, l'un en Limagne, l'autre dans la haute vallée. Le Pont-de-Longues, site en bord d'Allier dans la plaine de la Limagne a livré des restes datés d'une ou plusieurs occupations comprises entre 12 300 et 11 700 BP et une industrie apparentée à un Magdalénien final (Surmely et al. 2002), ce qui pose un premier problème au regard des deux dates récentes de 11 900 BP et 11 700 BP (tabl. 2). Le spectre faunique témoigne de chasses axées sur le Renne et le Cheval, au sein d'un spectre relativement peu diversifié. A ce double titre il est typique des sites du Paléolithique supérieur de cette région (Fontana 2000a). Néanmoins, son attribution chronologique à l'extrême fin du Pléistocène soulève de nombreuses questions. Tout d'abord, la couche inférieure (C6) a livré deux dates, l'une autour de 12 300 BP, obtenue sur un reste de Renne et l'autre autour de 11 900 BP, obtenue sur un reste de Cheval. Il est donc permis de se demander si plusieurs niveaux ne sont pas compris dans cette même couche puisque les dates en cal BC (tabl. 2) ne se recouvrent pas. De plus, la couche supérieure (C4) a été datée de 11 700 BP à partir d'un reste de Cheval, la tentative faite sur le seul reste de Renne bien conservé s'étant avérée vaine. Le problème est donc de savoir dans quelle mesure et dans quelles proportions Cheval et Renne étaient associés sur ce site entre 12 300 et 11 700 BP. Néanmoins, quelles que soient les parts respectives du Cheval et du Renne sur ce site, le Cerf est anecdotique (moins de 1 % des restes déterminés), la présence de l'Aurochs est aléatoire (Fontana 2000a), Chevreuil et Sanglier sont absents (fig. 2) : aucun élément du cortège faunique n'indique donc l'entrée dans l'Alleröd. Bien entendu la représentation quantitative d'une espèce dans un site archéologique ne reflète probablement pas toujours et en tous lieux, son exacte représentation dans l'environnement. C'est pourquoi, si la présence d'une espèce est toujours significative, son absence ou sa rareté l'est beaucoup moins. Néanmoins, ce spectre faunique ne nous semble pas, dans ce contexte précis, représentatif de l'entrée dans l'Alleröd et il pose le problème de la recomposition du cortège faunique autour de 12 000 BP, en Limagne. En effet, dès 12 300 BP, dans de nombreuses régions comme le Sud-Ouest et les Pyrénées (Delpech 1983; Delpech et al. 1983; Bridault et Fontana 2003), le nord et l'est de la France (Bridault 1997a, 1997b) et le Bassin parisien (Bémilli 2000; Bridault et al. 2003), tous les spectres fauniques indiquent une tendance similaire : raréfaction et disparition du Renne au profit du Cheval, du Cerf et de l'Aurochs. Or, même si la part du Cheval est importante au Pont-de-Longues, peut-être surtout à partir de 12 000 BP, ni le Cerf ni l'Aurochs ne sont bien représentés, Chevreuil et Sanglier étant absents. C'est donc la rareté du Cerf et de l'Aurochs, associée à l'absence du Chevreuil et du Sanglier et replacée dans son contexte chronologique, qui nous laisse penser qu'aucun signe de recomposition faunique n'est perceptible. Deux hypothèses sont alors envisageables : des dates trop récentes, ou bien des dates cohérentes correspondant à un cortège faunique qui ne s'est pas encore modifié en profondeur. L'hypothèse du choix anthropique, c'est-à-dire l'expression d'un choix ciblé sur le Renne dans un environnement déjà en recomposition, nous apparaît comme peu plausible. Si les rennes avaient été chassés en hiver et abattus en masse, on pourrait en effet voir dans ce spectre l'expression d'une représentation saisonnière marquée. Or, il n'en est rien puisque ce site a été occupé durant la belle saison et que les rennes ont été prélevés dans de petits groupes formés de quelques individus (femelles adultes, nouveau-nés et jeunes) après la mise bas (Fontana 2000a). Les données du second site daté de cette période peuvent-elles nous aider à éclaircir ces questions ? Dans le Haut Allier, à 700 mètres d'altitude (fig. 1), la grotte Béraud a livré trois nouvelles dates qui ont laissé penser que ces occupations (« niveaux épipaléolithiques » 2 à 4) pouvaient être qualifiées d'Epipaléolithique ancien ou de Magdalénien terminal et se situaient à la transition Bölling-Alleröd (Surmely et al. sous presse). A ce titre, elles seraient donc partiellement contemporaines de celles du Pont-de-Longues, alors que les anciennes dates situaient ces occupations entre 6 000 et 8 000 BP (Virmont, 1981) (tabl.2). Pourtant, plusieurs faits nous apparaissent troublants. Si l'industrie lithique semble contenir des pointes hambourgiennes, aucune pièce n'est réellement caractéristique du Magdalénien final ni de l'Azilien ancien. En effet, les « segments bipointes » ou « pointes à dos courbes » présents par exemple à Pont d'Ambon (Célérier et al. 1993), au Closeau (Bodu 1995) et à Pégourié (Séronie-Vivien 1995) sont absents de la série de Béraud. L'attribution à la transition Bölling-Alleröd nous semble donc problématique. L'absence du Cerf du niveau inférieur (4) témoignait d'après les auteurs d'un climat encore froid (en dépit de l'absence du Renne), argument qui ne peut être retenu pour deux raisons. D'une part, la relation systématique Cerf/climat tempéré/forêt caducifoliée doit être abandonnée (cf. infra) et d'autre part, le Cerf est en réalité présent dans ce niveau inférieur (Fontana inédit). Que nous apprennent les données fauniques récentes au sujet de l'attribution chronologique ? Le spectre faunique des trois niveaux de la grotte Béraud est radicalement différent de celui du Pont-de-Longues en ce sens qu'il est bien représentatif des faunes de l'Alleröd ou du début de l'Holocène, surtout en moyenne montagne (fig. 2). C'est un spectre beaucoup plus diversifié au sein duquel le Bouquetin est le mieux représenté, à côté du Cerf et surtout du Chevreuil et du Sanglier : cette association est, à l'échelle du Tardiglaciaire-début Holocène (15 000 - 8 000 BP) une signature incontestable du début de l'Holocène. C'est pourquoi les deux spectres fauniques du Pont-de-Longues et de Béraud ne peuvent en aucun cas être contemporains. Car, même si la différence entre ces spectres était liée à l'environnement (plaine/moyenne montagne), elle ne pourrait expliquer à elle seule une si grande différence, en raison de l'association Cerf-Chevreuil-Sanglier doublée de l'absence du Renne. Là encore, l'absence du Renne ne peut à elle seule argumenter la position chronologique d'une occupation, de même qu'elle ne serait pas en contradiction avec une date de 12 000 BP, date probablement postérieure à son retrait de la région. Mais force est de constater que les sites du Magdalénien final de ce secteur ont systématiquement livré des restes de Renne et que les restes de Chevreuil et de Sanglier ne sont pas identifiés actuellement dans les sites antérieurs au Préboréal (cf. infra). Pour argumenter cette idée, l'occupation magdalénienne de la grotte de Belvis, située à 1000 mètres d'altitude, dans l'Aude et datée du Bölling, peut être citée en exemple. Si le spectre faunique de ce site montre de nombreuses ressemblances avec celui de la grotte Béraud, trois différences sont notables : l'absence du Chevreuil, la persistance du Renne (deux restes), et la (forte) représentation du Lièvre variable (fig. 3) (Fontana 1998). En conclusion, le trio Cerf-Chevreuil-Sanglier doublé de l'absence du Renne à Béraud signe, dans ce contexte chronologique et régional précis, une faune postérieure à 12 300 BP, peut-être plus proche de 10 000 BP et s'étalant sur plusieurs périodes. Les données fauniques et lithiques nous semblent aujourd'hui correspondre à des occupations épipaléolithiques plutôt proches du Préboréal que de l'Alleröd. J. Virmont, qui reconnaissait le caractère trop récent des premières dates, affirmait pourtant que les études paléoenvironnementales plaçaient ces occupations à plusieurs périodes entre le Dryas III et le Préboréal ou Boréal (Virmont 1981). C'est pourquoi nous pensons que les nouvelles dates radiocarbone ne démontrent pas la contemporanéité des occupations de Béraud et du Pont-de-Longues et encore moins celle des cortèges fauniques. Ces dates s'expliquent peut-être par les remaniements de certains secteurs : la présence de restes d'animaux domestiques provenant des niveaux néolithiques et médiévaux témoignent de nombreux mélanges. Seule la datation des restes de Chevreuil permettrait d'éclaircir partiellement cette question. Pour conclure, la complexité des contextes stratigraphiques et la mauvaise connaissance des contextes pédo-sédimentaires, parfois associées à l'absence de tout protocole d'échantillonnage des restes fauniques destinés aux datations, rendent les dates récentes de Béraud et du Pont-de-Longues inexploitables. L'existence d'un plateau radiocarbone ne fait qu'amplifier ces imprécisions. C'est pourquoi ces deux séries ne nous permettront pas d'analyser en détail l'évolution des cortèges fauniques entre 12 300 et 12 000 BP. Il apparaît seulement qu'une partie des occupations du Pont-de-Longues se situerait encore dans le Bölling alors que les niveaux (2 à 4) de la grotte Béraud seraient postérieurs à 12 000 BP. Si nous suivons, au Pont-de-Longues, l'hypothèse d'une chasse au Renne antérieure à 12 000 BP (voire plus ancienne) et celle d'une forte représentation du Cheval autour de 11 900-11 700 BP, ce site témoignerait donc pour la première fois de chasses au Cheval au début de l'Alleröd en Grande Limagne, dont l'importance resterait à caractériser. Un site épipaléolithique non daté, en Limagne, Marsat les Pradelles, a livré des témoins d'occupation qui pourraient appartenir en partie à cette période. Deux couches ont été identifiées, la plus récente ayant été scellée par la retombée du Puy Chopine datée par ailleurs de 8 500 BP (Vernet et Raynal 2000; Vernet et al. 2001; Raynal et al 2003) et ne contenant que de rares restes de silex. Dans la couche sous-jacente, des restes d'industrie lithique étaient associés à de nombreux restes d'Aurochs, de Chamois, de Bouquetin et à de rares restes de Renne (Vernet 1995). La présence discrète du Renne nous laisse penser que la période la plus ancienne de cette occupation se situerait aux alentours de 12 200-12 000 BP, si l'identification des restes de Renne etait confirmée et en vertu des données récentes sur le retrait du Renne (Bridault et al. 2000). Ceci n'est pas contredit par les rares pièces lithiques, attribuées à un épipaléolithique au sens large du terme, en l'absence d'éléments caractéristique. Néanmoins une attribution plus tardive a été proposée sans tenir compte de la présence du Renne. Outre cette présence du Renne, précieuse pour l'attribution chronologique, on note l'absence du trio Cerf-Chevreuil-Sanglier et surtout celle du Cheval. Or, dans le Bassin parisien et dans le nord de la France, Cerf, Aurochs et Cheval constituent le trio de recomposition comme au Closeau (Bémilli 2000), à Pincevent III, à Saleux et à Belloy (Bridault 1997a) par exemple. De même, dans le Sud-Ouest et les Pyrénées, le Cerf domine la majorité des spectres fauniques (Delpech 1983; Bridault et Fontana 2003). On doit donc se demander ce que traduit cette forte représentation de l'Aurochs, identifiée en Limagne à partir des données d'un seul site à la datation de surcroît incertaine : est-elle l'expression de la recomposition faunique en Limagne au début de l'Alleröd ? Pour répondre à cette question, examinons les données des périodes suivantes. La période 12 000 - 10 000 BP, cruciale dans notre perspective, n'est malheureusement pas documentée (sauf peut-être par Béraud ? cf. supra). Pour préciser la nature de la recomposition faunique en plaine, on dispose des données plus récentes du site de Champ Chalatras, un autre site épipaléolithique de Limagne (fig. 1), daté entre 9 400 BP et 10 100 BP, au tout début du Préboréal (tabl. 2) (Pasty et al. 2002a et 2002b). Cette fois les dates sont cohérentes avec le faciès lithique à pointes de Malaurie, rectangles et lames tronquées que J.-F. Pasty identifie comme un Laborien typique. Là encore le spectre faunique est dominé par l'Aurochs à plus de 93 %, le Cheval et le Cerf étant anecdotiques et le Chevreuil et le Sanglier, absents, comme le Renne, définitivement retiré vers le Nord : cette fois encore, l'Aurochs domine au sein d'un spectre peu diversifié qui ne semble toujours pas indiquer une éventuelle reconquête forestière (fig. 4). Ailleurs en revanche, même si l'Aurochs reste bien représenté (jusque vers 10 000 BP), c'est toujours au sein d'un spectre où Cerf et/où Cheval sont présents. L'exemple du site éponyme de la Borie del Rey (Coulonges 1963) montre en effet une association Cheval-Aurochs-Cerf-Chevreuil-Sanglier (couche 5 : Ly 1401, 10 350 +/ - 340 BP) alors qu'au Pont d'Ambon, le Cerf domine nettement l'assemblage, à côté de l'Aurochs et du Cheval et dans une moindre proportion du Chevreuil et du Sanglier (couches 2, 3, 3a : entre 10 500 et 9 500 BP environ) (Delpech 1983). Il n'existe à notre connaissance que deux sites attestant de ce type de chasse spécialisée à l'Aurochs. Il s'agit du site de Bedburg-Königshoven en Allemagne du Nord (Street 1996, 1997, 1999) et de celui de La Montagne dans le Vaucluse (Helmer 1979; Onoratini 1982), tous deux datés du Préboréal. A Bedburg-Königshoven, site de plein air en fond de vallée, les niveaux du Mésolithique ancien ont été datés entre 10 200 à 9 500 BP environ (Street 1996). L'Aurochs représente environ 75 % des restes de grands mammifères, à côté du Chevreuil et du Cerf, puis des carnivores, du Cheval et du Sanglier (Street 1997). Sur le site de plein air de La Montagne, situé à mi-hauteur d'une colline, la couche 3 attribuée au Montadien a livré une date radiocarbone un peu plus récente de (MC 1159) 9 000 +/ - 100 BP (Onoratini 1982). L'Aurochs représente environ 92 % des restes au sein d'un spectre tout aussi diversifié composé de l'Hydruntin, du Cerf, du Chevreuil, du Sanglier, du Chamois et du Bouquetin (Helmer 1979). Dans ces deux sites, si la représentation de l'Aurochs est toute aussi forte, elle l'est au sein d'un spectre très diversifié qui inclut le trio Cerf-Chevreuil-Sanglier. A ce double titre, la représentation de l'Aurochs dans les spectres fauniques de Limagne se distingue. À Champ Chalatras comme à Marsat-les-Pradelles, il semble donc que l'Aurochs ait remplacé le Renne (et le Cheval ?) dans l'alimentation des groupes humains. Qu'en est-il des données plus récentes ? Le site des Patureaux (fig. 1) a récemment livré les restes d'une occupation sauveterrienne datée de 7 800 BP environ (tabl.2). Un niveau limoneux contenant de nombreux fragments de trachyte et identifiant le « recouvrement téphrique le plus récent de Limagne. » (C7) lui est localement associé (Raynal et al. 2003, p. 467). L'industrie lithique, dont le débitage est caractérisé par une production de lamelles et l'outillage, par une prédominance des triangles scalènes, triangles de Montclus et pointes de Sauveterre est identifiée comme un « sauveterrien moyen, ancien » (Saintot et al. 2001 p. 31). L'Aurochs domine à nouveau et à 90 % (Fontana dans Saintot et al. 2001; Saintot et al. à paraître) mais cette fois au sein de l'association Cerf-Chevreuil-Sanglier. Le Cheval est, quant à lui, anecdotique et son association à ces niveaux mésolithiques n'est pas très claire (fig. 4). L'Aurochs reste donc le premier grand herbivore chassé mais pour la première fois à côté d'espèces attestant de la présence d'un couvert forestier. Ceci alors que partout ailleurs dans l'Hexagone, Sanglier, Cerf et Chevreuil dominent déjà les spectres fauniques (Delpech 1983; Bridault 1997a; Bridault et Fontana 2003). L'étude des micromammifères du site confirme ces résultats : la plupart des espèces identifiées vivent en milieu découvert et si certaines « recherchent les ombrages de taillis à proximité des grands bois sans y pénétrer longtemps et profondément. » (Mulot gris, Campagnol roussâtre et Crapaud commun), « Aucune espèce n'est strictement forestière. ». Enfin, le Rat taupier, qui « recherche les sols profonds et frais, souvent en bordure de cours d'eau… » domine le spectre faunique (Jeannet dans Saintot et al. 2001 p. 27). Par conséquent, si, en Grande Limagne, les associations fauniques se modifient autour de 12 000 BP, les cortèges bien datés manquent encore pour décrire ce changement et particulièrement pour identifier la part relative des Equidés et de l'Aurochs. Si le Renne du Pont-de-Longues est daté de 12 300 BP, celui de Marsat les Pradelles est probablement un plus récent mais guère plus. Enfin, il est possible que la recomposition faunique s'effectue, dans ce secteur, d'abord au profit de l'Aurochs, le trio Cerf-Chevreuil-Sanglier ne s'installant vraiment qu' à une période plus tardive qui reste à préciser (Boréal ?). Avant de confronter cette hypothèse aux autres données paléoenvironnementales, examinons les données fauniques des secteurs plus éloignés, issues des sites de moyenne montagne. Si aucune donnée n'est disponible pour le reste de la période dans les hautes vallées, le site plus occidental des Baraquettes, dans le Cantal, a livré des traces d'occupation mésolithique : Mésolithique ancien (entre 10 200 et 9 900 BP environ) et Mésolithique moyen (autour de 8 800 BP). Les industries lithiques du Mésolithique moyen sont attribuées au Sauveterrien moyen (tabl. 2) (Surmely 2000) et elles étaient associées à des restes fauniques qui nous permettent de bien mesurer la différence entre ce site et les précédents de Limagne (fig. 1). Du point de vue qualitatif, les données sont assez similaires à ce qu'on avait observé pour la grotte Béraud, l'autre site méridional de moyenne montagne, mais la chasse est moins diversifiée au niveau des grands herbivores (ni cheval ni bovinés). Du point de vue quantitatif, le Sanglier semble l'espèce majoritairement chassée (fig. 5). Chamois, Bouquetin, Cerf et Chevreuil complètent le tableau de chasse (Fontana 2000b). Ces données nous avaient permis de constater une fois de plus la faible représentation du Cerf (Fontana ibid.). En réalité, elles nous permettent surtout de confirmer que les cortèges de moyenne altitude sont bien différents de ceux de la Limagne : qu'il s'agisse des Baraquettes ou de Béraud (ou du Cheix : Surmely et al. 1999), ils documentent, chacun dans leur secteur (et peut-être à des périodes différentes), une recomposition faunique plutôt classique de l'Holocène ancien, ce que nous avions déjà proposé auparavant (Surmely et al. ibid.). En conclusion, la forte représentation de l'Aurochs, qui est un phénomène connu à partir de 12 000 BP (surtout au Préboréal) prend, entre 12 000 et 7 800 BP un caractère tout à fait particulier en Grande Limagne, les trois sites connus montrant des taux de représentation supérieurs à 90 %. Ces données traduisent-elles un développement exceptionnel des populations d'Aurochs, lié à un type particulier de couverture végétale de fond de vallée, moins propice au développement des populations de cerfs, de chevreuils et de sangliers ? Pour résoudre cette question, il est impératif d'examiner les données paléoenvironnementales disponibles, issues des études géomorphologiques et polliniques. Les données botaniques relatives au Tardiglaciaire et au début de l'Holocène de la Grande Limagne sont, elles aussi, plutôt rares. La majorité de la documentation concerne les périodes postérieures au Boréal voire à l'Atlantique. De plus, la plupart de ces données sont anciennes et leur comparaison avec les plus récentes pose problème. Le biotope propice à l'Aurochs est en général décrit comme un environnement ouvert, au climat plutôt frais, composé de prairies humides, de « riches pâturages humides à Graminées et Cypéracées entrecoupées de boqueteaux, pinèdes, forêts galeries le long des cours d'eau. » (Delpech et al. 1983). En Europe, durant le Paléolithique, l'Aurochs semble avoir été abondant durant les périodes tempérées et humides et ses « périodes de développement paraissent plus proches des interglaciaires » (Delpech 1999) au sein d'espaces ouverts. Dans quelle mesure ce secteur occidental de la Grande Limagne situé en rive gauche de l'Allier correspondait-il à ce type d'environnement ? Les données polliniques qui documentent la végétation existante entre la fin du Tardiglaciaire et le début de l'Atlantique sont issues de trois types de source : les travaux anciens de G. Lemée et de L. Gachon (1942-1964), qui concernent la Limagne; les données plus récentes de J.-L. de Beaulieu, A. Pons et M. Reille (1982-1988), obtenues dans les massifs montagneux plutôt méridionaux; les résultats plus récents de D. Vivent, issus du secteur de la Grande Limagne qui nous intéresse (1994-2001) ainsi que des études ponctuelles de J. Argant (1999 et à paraître) et de M..-M. Paquereau (Vernet et Paquereau 1989). Confronter ces données fut un exercice délicat dans la mesure où elles sont issues de contextes différents (tourbières et téphras) et que les méthodes utilisées (carottage, comptage, présentation des résultats) le sont tout autant. Examinons tout d'abord ces données à l'échelle du Massif central puis à l'échelle de la Limagne, avant d'examiner précisément le secteur concerné. L'analyse des données issues des tourbières et des lacs des massifs montagneux a permis à J.-L. de Beaulieu, A. Pons et M. Reille de retracer l' « Histoire de la flore et de la végétation du Massif central depuis la fin de la dernière glaciation » (de Beaulieu, Pons et Reille 1988). Les analyses de 88 sites ont permis de mettre en évidence une évolution du couvert végétal assez similaire à l'évolution générale, ponctuée de certaines particularités (fig. 6). Jusqu' à la fin du Dryas ancien (12 800 BP), date à laquelle le Genévrier (Juniperus) commence à se développer, la couverture arborée reste extrêmement réduite dans le Massif central. Vers 11 500 BP, le Bouleau (Betula) commence à s'étendre au sein de formations herbacées toujours dominantes alors que le développement du Pin (Pinus) semble plus faible qu'ailleurs. Le Dryas récent marque une certaine aridité mais le Chêne (Quercus) continue à s'implanter progressivement. Le Tardiglaciaire traduit donc comme partout l'installation de végétations pionnières fortement clairsemées, mais cette mise en place est très lente. Le Préboréal (dès 10 300 BP) est marqué par le retour des formations herbacées mésophiles (aux dépens des taxons steppiques) et par l'existence de prairies humides à hautes herbes qui « devaient être largement répandues dans toutes les zones déprimées ou mal drainées », ce que confirme l'abondance des Poacées (ibid., p. 13). Le Bouleau et le Pin sont à leur maximum à cette période et le Chêne poursuit sa progression en continu alors que les herbacées représentent encore entre 25 et 60 % des pollens, les taxons steppiques reculant définitivement. La fin du Préboréal est marquée par l'apparition brutale et l'augmentation rapide du peuplement en Noisetier (Corylus) qui connaît son maximum de développement au Boréal (9 000-8 000 BP). Le Bouleau se retire alors, totalement ou partiellement et la trilogie mésophile Noisetier/Chêne/ Orme (Ulmus) est en place. Enfin, l'Atlantique ancien (8 000-6 000 BP) marque le « règne des chênaies », parallèlement au retrait progressif du Noisetier qui s'effectuera en partie au profit du Tilleul (Tilia) puis du Frêne (Fraxinus) à la fin de la période. Ces données correspondent-elles globalement à l'évolution du couvert végétal de la Limagne, zone de plaine plus septentrionale ? Il sera difficile de répondre à cette question dans le détail dans la mesure où les données concernant la Limagne ne peuvent être synthétisées : bon nombre d'entre elles sont trop diffuses et inexploitables. Les analyses de L. Gachon (1963) possèdent, en dépit d'incontestables problèmes méthodologiques, un avantage non négligeable : elles proviennent des marais de Sarliève et de Marmilhat, situés en rive gauche de l'Allier, tout près des sites épipaléolithique et mésolithiques dont il est question (fig. 1). Leurs résultats sont globalement concordants et ils traduisent une évolution de la végétation similaire, à deux exceptions près, à celle décrite dans les massifs montagneux. Les résultats de L. Gachon (1963) sur le marais de Sarliève Sud (fig. 1) décrivent en effet, à partir de la base des séquences (phase IV de Firbas, cf. Préboréal) le développement du Noisetier puis du Chêne et de l'Orme, parallèlement à un recul des herbacées représentées majoritairement par les Chenopodiacées. La Phase VI (2è partie Boréal) est caractérisée par le quatuor Chêne/Orme/Tilleul/ Frêne qui prend « définitivement le pas sur le Pin… » (Gachon 1963, p. 132) avant que ces espèces n'atteignent leur maxima en phase VII (Atlantique ancien). Malheureusement, le rapport Herbacées/Arbres reste difficile à évaluer, ce qui interdit toute appréciation de l'ouverture du milieu. Deux autres secteurs, toujours en rive gauche mais plus au nord, ont livré quelques données polliniques. A Clermont-Ferrand, une couche tourbeuse identifiée dans un sondage lors d'une opération préventive (Thévenin 1999) a permis à J. Argant d'analyser un échantillon de 337 grains et d'identifier 21 taxons. Le spectre pollinique qu'elle place aux environs de 10 000 BP (extrême fin du Dryas récent ou tout début du Préboréal) traduit « un paysage largement ouvert, occupé principalement par des plantes de prairies (et) le boisement est essentiellement constitué par des pins, aux côtés d'un faible peuplement en bouleaux, saules et genévriers dénotant des conditions climatiques relativement rigoureuses. » (Argant 1999). Enfin, les données de coupes réalisées dans des formations alluviales, à la zone de confluence Morge-Chambaron (commune de Cellule, fig. 1) décrivent une séquence Dryas II-Alleröd-Dryas récent où l'Alleröd est bien identifié par un pourcentage d'arbres de 40 à 49 %, avec un boisement en Pin dominant et Bouleau secondaire (entre 2 et 13 %) ainsi qu'une forte humidité à la fin de l'Alleröd (Vernet et Paquereau 1989). Ces études polliniques éparses réalisées en Limagne semblent traduire un environnement globalement en adéquation avec le réchauffement holocène documenté par ailleurs. Néanmoins, plusieurs remarques s'imposent. D'une part, les analyses de L. Gachon ne documentent pas l'évolution du paysage avant le Boréal et d'autre part, les deux seules études disponibles pour les périodes antérieures attribuent ces données à l'Alleröd et au Dryas récent sans aucune date radiocarbone. De plus, le Préboréal, période cruciale dans notre perspective, n'est pas documenté. Enfin, il est difficile, sur la base de ces seuls résultats, d'estimer l'évolution du degré d'ouverture du paysage. Les travaux de D. Vivent réalisés à partir de paléosols situés en dessous ou au-dessus de téphras lui ont permis d'identifier les variations de l'environnement végétal, principalement dans quatre secteurs situés dans les environs de Clermont-Ferrand, dans un rayon de 30 kilomètres, en rive gauche de l'Allier (fig. 1). Ces données sont intéressantes dans la mesure où elles sont calées chronologiquement. L'émission du téphra de la Moutade est un saupoudrage trachyandésitique identifié à 30 kilomètres au nord-est de Clermont-Ferrand, dans le marais de Villeneuve-les-Cerfs (Raynal et al. 1998). L'analyse pollinique (fig. 7) a mis en évidence l'existence d'un climat frais/tempéré et humide à très humide à la transition Bölling/Alleröd, avec “eaux stagnantes locales” et “groupements forestiers accompagnés de prairies humides persistantes” (ibid. p. 205). L'Alleröd serait ici caractérisé par une “boulaie en pleine extension accompagnée de prairies humides plus étendues” et le Préboréal, par un refroidissement (regain de Pin, baisse du Bouleau) accompagné de la perduration des prairies humides. L'ensemble de la séquence traduirait donc un environnement végétal caractérisé par “une pinède bien développée […] accompagnée de bosquets/bois (aulnaie, corylaie, chênaie, bétulaie) et de prairie [… ]..” (p. 209), le tout au sein d'un milieu humide en permanence. Deux autres diagrammes palynologiques ont été réalisés à partir de l'échantillonnage dans un téphra (trachytique) situé au sommet du Puy-de-Dôme. Ils sont caractérisés « par la dominance du Noisetier qui évoque une reconquête forestière dans un contexte assez doux et humide », reconquête attribuée au tout début du Boréal, ce que confirment les datations radiocarbone sur fragments ligneux - (Gif 2118 : 8 150 +/ - 150 BP). L'analyse des contenus palynologiques d'un troisième téphra, à Clermont-Ferrand (la rue Sous-les-Vignes) présente une séquence plus longue couvrant une période allant du Préboréal au Sub-Boréal ou Sub-Atlantique. D. Vivent décrit les paysages du Préboréal et du Boréal comme “(…) en plaine des prairies humides à bosquets de saules et aulnes et sur les hauteurs une pinède bien développée avec quelques bouleaux et chênes en lisière” (ibid. p. 212). L'épisode sus-jacent attribué à la fin du Boréal voire à l'Atlantique est caractérisé par les « maxima de Quercus, Corylus, Ulmus et l'abondance d'Alnus » (ibid. p. 213). Les dernières données proviennent du sondage réalisé dans le Grand Marais de Limagne à cinq kilomètres au nord-est de Clermont-Ferrand (A 710) où les témoins de quatre retombées volcaniques non remaniées ont été identifiées (Vivent et Vernet 2001). Les analyses polliniques confirment les données précédentes et apportent des précisions chronologiques importantes. La première phase est caractérisée par “une pinède régionale et localement un milieu ouvert. ..” (ibid. p. 261). Si l'on ajoute à ces données celle de la régression des taxons steppiques au profit des Graminées et des taxons humides, tout ceci traduit une amélioration climatique qui se situe, en stratigraphie, sous la retombée volcanique CF1 datée de l'Alleröd (11 999 ± 90 BP). Dans la seconde phase, l'environnement arboré serait identique (à l'exception de l'absence du Genévrier et de la reprise du Pin) et les herbacées identifiées seraient toujours des taxons humides, avant que ne se développent les Graminées. Ces données identifient le Préboréal même si le Bouleau, habituellement bien représenté à cette période, est ici sporadique. L'ensemble de la séquence traduirait donc à nouveau un milieu ouvert avec quelques îlots boisés en Pin et feuillus, de la fin de l'Alleröd au Préboréal. Les espaces non boisés auraient été colonisés par des prairies humides lors des améliorations climatiques. Il semble donc qu'une certaine homogénéité se dégage des diagrammes palynologiques de D. Vivent, tendant à caractériser ce secteur de la Limagne comme un milieu globalement plutôt ouvert comportant des espaces boisés et des prairies humides, ceci depuis l'Alleröd et au moins jusqu' à la fin du Boréal. Si les groupements forestiers semblent avoir varié (aulnaie, boulaie, corylaie, chênaie) au sein de pinèdes locales et régionales, les développements du Pin et du Chêne semblent avoir été plus variables. En réalité la place du Chêne au sein de ces diagrammes n'est pas très claire, même s'il semble faiblement représenté jusqu' à la fin du Boréal. De même, le Bouleau, identifié après chaque épisode éruptif n'atteint pas, au début du Préboréal son extension habituelle, dans ce secteur de la Limagne, ce qui est également visible sur les diagrammes de L. Gachon et de G. Lemée. Selon D. Vivent, la présence sporadique du Bouleau (et le développement des Graminées) est “une réponse habituelle bien connue d'un environnement végétal soumis au stress volcanique.” (Vivent et Vernet 2001, p. 261). En revanche, les rares données de D. Vivent, relatives à l'Atlantique ancien semblent montrer, tout comme les données de L. Gachon à Sarliève (cf. supra), le développement de la chênaie mixte qui existe ailleurs. Les données récentes de J. Argant sur le niveau de base du Bassin de Sarliève (SARL. 2B.a), daté de (Lyon 1981, GrA-21826) 6 890 +/-80 BP, identifient effectivement ce développement de la forêt mais comme « un paysage assez largement ouvert » (AP : 50 à 69 %) (Argant et Lopez-Saez à paraître). Il comprend, à côté des Poacées et des Chénopodiacées, principalement le Noisetier (16-29 %), le Chêne (10-13 %), l'Orme (6-15 %), le Tilleul (2,8-3,7 %) et le Frêne (0,4-4,5 %). L'ensemble de ces données relatives à l'Atlantique ancien semblent donc homogènes et ne permettent pas, selon nous, d'évoquer la Limagne comme une zone « envahie par la Corylaie… » (Raynal et al. 2003, p. 468). Que conclure de l'ensemble de ces données ? Si la reconquête forestière est amorcée dans le Massif central depuis la fin du Tardiglaciaire comme partout en Europe occidentale, il semble qu'elle ait pris, au moins dans une partie de la Grande Limagne un caractère particulier et ce, jusqu' à la fin du Boréal (voire le début de l'Atlantique). Est-il possible que dans ce secteur occidental, la recomposition du milieu végétal se soit traduite par le développement de vastes étendues de prairies humides, ceci aux dépens du couvert forestier ? L'existence d'un tel paysage entre 12 000 et 8 000 BP, que nous proposons à titre d'hypothèse, est nécessairement liée à la présence d'une humidité importante : à quels types de contexte géomorphologique correspond -elle et quelle est son origine ? L'existence d'environnements humides évoqués par la grande faune et en partie la végétation nous renvoient à l'évolution géomorphologique de la Grande Limagne et à sa relation avec les phénomènes éruptifs des 15 derniers millénaires. Ceci d'autant que le stress volcanique a été évoqué comme étant en partie responsable de la représentation de certains taxons dans les spectres polliniques de D. Vivent (cf. supra). Dans quelle mesure les phénomènes éruptifs du Tardiglacaiaire et du début de l'Holocène ont-ils affecté l'évolution du couvert végétal et l'évolution géomorphologique de la Grande Limagne ? Il n'est pas question ici de retracer en détail l'histoire géomorphologique de la Grande Limagne de la même façon que nous l'avons fait pour le couvert végétal, mais d'examiner certaines caractéristiques sous un angle particulier. Si l'environnement a été, dans un secteur précis, particulièrement favorable à l'Aurochs (ouverture et humidité du milieu), dans quelle mesure les phénomènes éruptifs sont-ils liés à l'établissement et à la perduration de ce milieu particulier ? La période 12 000 - 7 000 BP “caractérise bien une phase éruptive de la chaîne des Puys étalée de l'Alleröd à l'Atlantique” (Raynal et al. 1998) car la “Limagne occidentale a enregistré au moins quatre épisodes éruptifs trachytiques..” (Vernet et Raynal 2002). Les caractéristiques globales de ces phénomènes éruptifs en Limagne sont maintenant bien connues. Ils sont documentés par la téphrostratigraphie des retombées cendreuses et trachytiques, elles -mêmes calées par des datations radiocarbone et/ou en thermoluminescence. Saupoudrages trachyandésitiques et éruptions trachytiques ont été accompagnés d'écoulements boueux et de lave qui ont ennoyé le réseau hydrographique avec comme conséquence directe une reprise rapide de l'érosion des versants. C'est ainsi que “Les projections fines ont été transportées sur de longues distances et ont recouvert de larges territoires modifiant le couvert végétal et l'équilibre géochimique des sols …” (Raynal et al. 1994). S'il est évident que ces phénomènes éruptifs ont soumis la végétation à des périodes de stress volcanique, toute la difficulté est de comprendre, dans ce contexte, les modalités de la reconquête végétale. D'autant que l'amplitude des retombées reste à préciser pour chaque épisode éruptif. En Limagne, cela s'est-il traduit par un retard général dans le développement des espèces de la Chênaie mixte, régulièrement interrompu et vite rattrapé, dans le courant de l'Atlantique ancien ? Ou bien ces coups d'arrêt donnés au développement de la végétation, notamment arbustive, sont-ils restés très localisés et l'évolution vers la Chênaie mixte a -t-elle suivi globalement le même rythme qu'ailleurs ? Il est très difficile d'analyser les spectres polliniques issus d'un environnement végétal stressé par une activité volcanique. Néanmoins, les études de la végétation réalisées sur l'Etna, le Piton de la Fournaise ou encore le Mont Saint-Helens (références bibliographiques dans Vivent 2001) montrent que « les processus de reconquête végétale (présence d'un couvert forestier) se réalisent en un siècle. » (Vivent ibid. p. 237). Cette rapidité permet de se demander ce que représente la phase de reconquête végétale dans les spectres polliniques de la Limagne, autrement dit si elle est nécessairement perceptible. On ignore le nombre d'années qui s'est écoulé entre les retombées volcaniques et la constitution des échantillons polliniques de même que l'on ignore ce qu'un siècle représente dans ces mêmes échantillons. De plus, les éruptions ont, via l'érosion (cf. supra) et la perturbation du réseau hydrographique (création de chenaux, mauvais drainages) très probablement créé des zones d'inondations et d'engorgements, typiques des environnements soumis aux phénomènes éruptifs répétés. L'exemple de la formation de Marsat (fig. 1), récemment datée (ARC1516-8465+/-70 BP), est à cet égard très démonstratif. L'unité de base de cette formation « représente indiscutablement une coulée boueuse synéruptive, identifiée à plus de 11 kilomètres de son volcan source » […] qui « ennoie et colmate la vallée du ruisseau de Mirabel à son débouché sur la plaine de la Limagne ». « Le drainage naturel est alors totalement perturbé », ce qui induit la « création de chenaux comblés d'alluvions torrentielles qui charrient des troncs d'arbres » et une vallée (qui) est recouverte par au moins trente centimètres de cendres. » (Vernet et Raynal 2002). Il est donc établi qu' à « la fin du Tardiglaciaire et au début de l'Holocène, les dernières éruptions de la Chaîne des Puys ont, de fait, profondément perturbé le couvert végétal en place et la pédogenèse en cours à l'Alleröd par le dépôt d'épaisses couches de cendres. » (Ballut 2000). Les conséquences de ces éruptions ont généré « une érosion généralisée à l'ensemble des bassins versants » et l'augmentation du ruissellement a participé « à l'érosion et à l'accroissement des débits ». (Ballut ibid.). Il semble que par la suite, vers l'Atlantique, les « toutes dernières éruptions […] ne marquent plus les dépôts et ont vraisemblablement un impact plus limité sur la plaine de Clermont-Ferrand (et que) partout la pédogenèse reprend son cours. ». Effectivement, « l es dynamiques de versant se ralentissent, la charge et le débit des cours d'eau se réduisent, les cônes des ruisseaux se rétractent vers l'Ouest. » (Ballut ibid.). Si le caractère répété et parfois violent des épisodes éruptifs a perturbé l'évolution des sols et le réseau hydrographique, un autre phénomène peut lui être lié, celui de la subsidence. En effet, depuis 15 000 ans, la partie occidentale de la Grande Limagne s'affaisse vers le Nord-Ouest. Cet affaissement est à l'origine d'un mauvais drainage d'un grand secteur situé en rive gauche de l'Allier dans la zone qui nous intéresse (Ballut ibid.). Il est difficile d'attribuer une rythmicité à ce mouvement mais il est incontestable qu'il a entraîné la constitution de nappes d'eau, au moins dès l'Alleröd et jusque vers 7 000 - 6 000BP. Il semble donc que l'évolution géomorphologique en Grande Limagne soit liée à deux facteurs que sont les mouvements de néotectonique, qui créent des zones de rétention d'eau dans le secteur nord-ouest, et les phénomènes éruptifs qui induisent érosion et perturbation du réseau hydrographique. Si ces phénomènes sont globalement identifiés (cf. infra), leur impact sur la constitution et l'évolution des paysages n'est cependant pas caractérisé précisément. Les données fauniques, botaniques et géomorphologiques concernant la Grande Limagne, de la fin du Tardiglaciaire à l'Atlantique ancien se sont révélées comme un ensemble de données difficilement comparables et disparates à l'échelle des 4 000 ans observés. Leur mise en perspective procédait d'une question émanant d'un des trois corpus documentaire, celui des données archéozoologiques. L'acquisition presque exclusive de l'Aurochs (sur les trois sites documentés), qui est un cas unique, nous suggérait l'existence et l'exploitation de biotopes particuliers : était -ce le reflet de la réalité et dans l'affirmative, quelle était leur origine et leur évolution ? Au terme de cette première synthèse, les données botaniques et géomorphologiques examinées ne nous semblent pas en contradiction avec l'hypothèse d'un environnement plutôt ouvert et humide, au moins à certains moments de la période examinée. Il faut à présent examiner l'ensemble des données afin de caractériser cet environnement et son exploitation. Si les données polliniques hors sites ont en partie confirmé l'existence de biotopes plutôt ouverts et humides, au moins dans le secteur occidental de la Grande Limagne, ces conditions exceptionnelles ont-elles perduré durant 4 000 ans ? Si les données polliniques et les spectres de chasse montrent des tendances globalement similaires, ils ne permettent pas d'appréhender le phénomène assez finement. Ils ne sont que des instantanés de la végétation et des cortèges de mammifères. Flores et faunes ont pu subir certains changements entre ces moments identifiés, changements que nous ne percevons pas. Néanmoins, deux remarques s'imposent. Si l'environnement s'est modifié à certains moments qui ne sont représentés ni par les diagrammes polliniques ni par les faunes chassées, il a repris régulièrement et durant 4 000 ans ce caractère ouvert, frais et humide favorisant le développement des populations d'Aurochs, freinant celui du Cerf et empêchant ceux du Chevreuil, du Sanglier et des carnivores forestiers, résolument absents des spectres (fig. 8). Ceci est très probablement à mettre en relation avec le cycle des phénomènes éruptifs qui sont en partie responsables de cette humidité et de l'ouverture persistante du milieu. Cet environnement a donc varié au rythme des phénomènes volcaniques et on doit imaginer au moins trois types de paysage : des paysages dénudés à la suite des phénomènes éruptifs; des paysages plutôt ouverts de prairies humides et forêts claires dans les secteurs où la présence de l'eau était importante; des forêts (Corylaie et Chênaie mixte) en cours de développement. Il est encore impossible de savoir si les éruptions ont régulièrement interrompu les processus de recomposition ou si elles ont détruit des environnements déjà reconstitués. Néanmoins, en raison de la récurrence des phénomènes éruptifs entre 12 000 et 7 000 BP, de l'homogénéité apparente des données polliniques et fauniques (obtenues sur des sites différents), il est possible que cet environnement soit resté globalement identique durant 4 000 ans, plutôt ouvert et humide. Car si une centaine d'années suffit à une forêt pour se reconstituer, l'importance des phénomènes d'érosion et de ruissellement a probablement perturbé le réseau hydrographique (et donc la végétation) de façon beaucoup plus continue (cf. supra). Le fait que le Chevreuil et le Sanglier ne soient pas identifiés sur les sites antérieurs à 7 500 BP (à Marsat-les-Pradelles et à Champ Chalatras), alors qu'ils le sont sur le site le plus récent à l'Atlantique ancien, semble confirmer cette idée. Car même dans le cadre d'une acquisition spécialisée, d'autres espèces devraient être représentées, au moins par un ou deux individus, comme c'est le cas aux Patureaux mais aussi dans la quasi totalité des sites du Paléolithique supérieur et du Mésolithique. C'est une nouvelle idée que nous proposons à titre d'hypothèse de recherche et que nous testerons au fur et à mesure de l'enrichissement des données. Cette hypothèse pose à présent toute une série de questions relatives à la reconquête forestière. En effet, doit-on voir dans le spectre des Patureaux le début de l'installation de la Chênaie mixte en Limagne ? Est-elle encore plus tardive ou a -t-elle au contraire débutée plus tôt, les Patureaux ne représentant qu'un épisode ponctuel ? Soulignons, à ce titre, l'importance de cette série faunique qui documente pour la première fois en Limagne la présence des deux espèces forestières que sont le Chevreuil et le Sanglier. Enfin, la part du trio Cerf-Chevreuil-Sanglier a -t-elle augmenté progressivement comme semblent le montrer les données (fig. 8) ? Peut-on envisager dans un tel contexte que, dès de début de l'Atlantique, la Chênaie mixte domine enfin après des épisodes successifs avortés ? Quoi qu'il en soit de l'évolution précise de l'environnement du secteur occidental de la Grande Limagne, plusieurs sites du début de l'Holocène sont maintenant connus. Ils témoignent que les potentialités de ces environnements particuliers ont été identifiées et qu'ils ont été exploités par les groupes humains. La question est maintenant de savoir selon quelles modalités. Les taux importants de représentation d'une espèce suscitent en général la question de leur origine. Traduisent-ils la forte représentation d'une espèce dans l'environnement du site ? Ou bien un choix anthropique, celui d'une espèce au sein d'un cortège plus ou moins diversifié ? Cette question n'a pas vraiment de sens dans la mesure où l'Homme prélève dans un cortège faunique existant : l'étude de l'évolution des ongulés durant le Würm dans le sud-ouest de la France a montré que l'image du climat donné par les spectres de chasse était rarement en contradiction avec les données paléoclimatiques (Delpech 1983). Néanmoins, contrairement à ce que l'on pourrait penser, cette idée n'évacue en aucun cas le choix anthropique : si l'Homme prélève son gibier en conformité avec l'environnement du site, il a choisi ce lieu d'installation. C'est donc en choisissant son site que l'Homme a choisi son gibier (ce qui ne signifie en aucun cas que le choix d'installation des sites est déterminé toujours et en tous lieux par cet unique facteur). La question des taux de représentation d'Aurochs n'est donc pas de savoir s'ils révèlent un grand développement des populations d'Aurochs ou bien s'ils traduisent l'existence de chasses spécialisées. En effet, les deux facteurs (environnemental et anthropique) sont liés : l'existence de chasses presque exclusives à l'Aurochs signifie que la chasse à l'Aurochs présentait, dans ce secteur, certains avantages particuliers comme celui d'un grand développement des populations. Ce secteur a donc été propice au développement de troupeaux d'aurochs, de façon récurrente pendant 4 000 ans et il a probablement été choisi comme lieu d'exploitation (chasse spécialisée à l'Aurochs) et d'occupation à certains moments de l'année. Ces résultats soulèvent à présent des questions relatives au système économique des sociétés humaines. En effet, si les groupes épipaléolithiques et mésolithiques qui ont fréquenté la Grande Limagne ont chassé avant tout l'Aurochs durant quelques millénaires, comment ont-ils géré leurs acquisitions et leur consommation alimentaire (carnée et végétale) à l'échelle d'un cycle annuel ? Fréquentaient-ils un territoire assez peu étendu, comme en témoigne la provenance des matières premières lithiques des Patureaux (Pasty dans Saintot et al. 2001), et, dans ce cas, l'Aurochs a -t-il constitué la base de leur alimentation carnée (à côté d'un alimentation végétale qui reste à définir ?) ? Alors qu'ils fréquentaient auparavant un territoire un peu plus vaste, comme l'atteste la provenance septentrionale du silex blond très bien représenté à Champ Chalatras (Pasty et al. 2002b) ? Enfin, on ne peut nier que la quasi exclusivité de l'Aurochs en tant que grand herbivore chassé sur trois sites répartis sur 4 000 ans en Limagne, contraste avec le trio Cerf-Chevreuil-Sanglier documenté dans les secteurs méridionaux de moyenne montagne : ces secteurs de la Haute-Loire et du Cantal, qui ont été le lieu d'acquisitions (animale et végétale) de taxons plus forestiers (cf. Les Baraquettes et Béraud) étaient-ils fréquentés par ces mêmes groupes de Limagne ? L'acquisition de certains produits comme les fourrures de carnivores forestiers (cf. la Loutre aux Baraquettes) ou encore le bois de Cerf était-elle réalisée dans ces secteurs méridionaux et selon quelles modalités ? Percevoir l'environnement d'un secteur comme la Limagne durant 4 000 ans, avec comme seule documentation les données fauniques de quatre sites et trois séquences polliniques issues de téphras, était une tentative délicate. Elle s'avérait pourtant nécessaire après la publication des données récentes relatives aux sites épipaléolithiques et mésolithiques, mais aussi pour deux autres raisons : les données fauniques n'avaient jamais été confrontées aux données polliniques publiées depuis quelques années et les cortèges fauniques identifiés s'avéraient très homogènes d'une part et différents de ceux des autres régions françaises d'autre part. L'analyse des rares données disponibles a produit deux résultats importants : la similitude des spectres fauniques de moyenne montagne du secteur méridional avec ceux de moyenne montagne des sites des Pyrénées françaises, du Jura et des Alpes; la mise en évidence d'une particularité cynégétique en Limagne, qui a été examinée à la lumière de données paléoenvironnementales hors sites et interprétée, à titre hypothétique, en partie comme l'expression d'une reconquête forestière particulière et peut-être tardive. En réalité, la modification des cortèges fauniques et floristiques est probablement bien plus complexe que la tendance générale que nous avons proposée. L'étendue de l'espace affecté par l'impact des retombées volcaniques, qui sont à l'origine de ces particularités est, à ce titre, tout aussi important à définir. Le fait que les trois sites étudiés en Limagne attestent d'une chasse à l'Aurochs quasi exclusive signifie que les groupes humains ont fréquenté la Limagne et chassé l'Aurochs alors que les prairies étaient de nouveau réinstallées. Il nous faut à présent comprendre le statut économique de ce gibier en identifiant les stratégies de sa chasse (Fontana 2000c et Fontana 2003). Plusieurs données sont donc désormais indispensables, notamment des données démographiques mises en relation avec les saisons d'acquisition. Nous parvenons là en limite de nos données archéozoologiques puisque ce type d'information est encore rare. D'autres questions relatives à l'évolution des biotopes fréquentés par les grands herbivores se posent également. Par exemple, de quelle façon cette phase importante d'éruptions qui a repris à la fin du Tardiglaciaire a -t-elle affecté les populations de Renne ? Les rares données disponibles n'argumentent pas aujourd'hui un retrait précoce ni tardif, par rapport aux autres régions françaises (Bridault et al. 2000). La représentation du Cheval reste, quant à elle, opaque et on ignore encore si ses populations se sont développées, au moins durant l'Alleröd, à l'instar de certaines régions. Quant au Cerf, il est le grand absent de ce début de l'Holocène : s'il est mieux représenté en moyenne montagne qu'en Limagne, il ne fait jamais partie des trois premiers gibiers chassés, ce qui est vraiment surprenant, d'autant que la Chênaie mixte ne lui est pas indispensable. En effet, la grande plasticité écologique de cette espèce, récemment réévaluée, explique sa présence dans différents types de milieu, ouverts ou fermés (Drucker et al. 2003); à ce titre, il est un indicateur bien moins précis que le Chevreuil. Le développement de ce dernier reste, quant à lui, mal fixé chronologiquement (dès l'Alleröd en moyenne montagne et seulement au Boréal en plaine ?). L'importance des espaces ouverts et humides doit à présent être confirmée, de même que l'importance des populations d'Aurochs et la faible représentation du Cerf. De même, la relation entre les éruptions volcaniques et le caractère ouvert et humide du milieu à cette période doit être caractérisée plus précisément. Plus généralement, nous devrons tenter d'identifier précisément les contraintes et les opportunités créées par ce type d'environnement en Limagne et les réponses apportées en terme d'exploitation des biotopes et de mobilité. C'est toute l'organisation économique de ces groupes que nous allons à présent réexaminer à la lumière de cette nouvelle hypothèse .
Les données relatives à l'économie de chasse des groupes humains entre l'extrême fin du Pléistocène et le début de l'Holocène sont rares dans le Massif central puisque seulement six gisements ont livré des corpus fauniques attribués à cette période : un site du Magdalénien final, trois sites épipaléolithiques et deux sites mésolithiques. Cette étude devait permettre d'appréhender l'évolution du choix des espèces chassées en rapport avec la recomposition des cortèges fauniques entre la fin du Pléistocène et le début de l'Holocène, comme on la connaît dans d'autres régions. Or elle a mis en évidence l'existence, en Grande Limagne, d'une particularité inédite. En effet, si les données des secteurs méridionaux de moyenne montagne sont comparables à ce que l'on connaît dans d'autres régions à des époques semblables (chasses au Cerf, Chevreuil, Sanglier, Bouquetin), les données des sites septentrionaux de Limagne témoignent exclusivement de chasses à l'Aurochs. L'hypothèse d'environnements particuliers est discutée en intégrant les données paléobotaniques et les données liées aux éruptions volcaniques de la Chaîne des Puys. Ces six séries étant situées dans des secteurs différents du Massif et réparties sur une période d'environ 5000 ans, leur représentativité, tant régionale que chrono-culturelle, est discutée.
archeologie_525-06-10675_tei_272.xml
termith-99-archeologie
La commune de Mouriès compte sur son territoire, à 2 km au nord-est du village, un oppidum important, celui des Caisses, et, en contrebas du côté sud, une vaste zone archéologique (fig. 1) s'étendant en partie sur le domaine de Servanes (habitats d'époques diverses, nécropole à incinération de la fin de l' âge du Fer). Déjà, en 1870, de nombreuses tombes avaient été découvertes le long du chemin de Cagalou par H. Revoil, propriétaire du domaine. Il donna alors à l'empereur Napoléon III des armes (poignard anthropomorphe, pointe de lance et umbo circulaire de bouclier) provenant d'une sépulture dont la localisation est aujourd'hui imprécise (Brun 1933; Benoit 1936; Olivier 2000, 245). Un autre secteur a été fouillé en urgence en 1996, le long du chemin de Cagalou. En 1987-1988, le projet d'aménagement d'un golf à Servanes provoqua l'intervention du Service Régional de l'Archéologie de Provence-Alpes-Côte d'Azur. Après accord avec les aménageurs, des prospections puis une surveillance des travaux furent organisées (Lagrue-Reul 1987; Nougué 1988). Sur le piémont au bas de l'oppidum, deux tombes de la fin de l' âge du Fer furent alors découvertes par un engin de terrassement. Durant l'été qui suivit, une fouille de sauvetage (dir. R. Royet) permit de dégager le restant d'un petit groupe de tombes et, sur la même parcelle, des structures d'habitat de différentes époques : VI e - V e s. av. J.-C. et II e - I er s. av. J.-C. (Royet 1988; Jorda, Provansal, Royet 1988; Marcadal 2000b et 2000c; Royet, Verdin 2000). Après la fin de ces recherches, on apprit qu'une autre sépulture avait été découverte fortuitement en un endroit différent du domaine et son mobilier archéologique dispersé. Plusieurs années plus tard, l'un d'entre nous (J.-M. F.) a pu néanmoins recueillir des renseignements oraux sur la structure de la tombe et certaines des conditions de sépulture, et prendre connaissance du mobilier (fig. 2), dont une grande partie est aujourd'hui récupérée. D'après les informations obtenues, elle aurait été située à la bordure nord de la petite plaine de Servanes, à proximité d'un chemin de pied de côte longeant le versant sud des Alpilles, le « chemin de Maussane à Aureille » du cadastre de 1827, d'origine probablement protohistorique. La sépulture, apparemment isolée, serait donc placée à plus de 500 m à l'ouest de la nécropole déjà connue du chemin de Cagalou et à environ 200 m au sud du groupe de tombes mis à jour en 1988. En nivelant le terrain, un engin mécanique avait écrêté les parois d'un caisson de pierre et détruit le paléosol. On ne sait donc rien sur d'éventuelles structures de couverture ou de signalisation ni sur les traces possibles de rites rendus sur la tombe. Cet emplacement est actuellement recouvert par le parcours n° 8 du golf. Le caisson, probablement enterré au-dessous du paléosol, et orienté du nord-ouest au sud-est, avait des dimensions inhabituelles : environ 2 m de longueur et 1 m de largeur (fig. 3). Le sommet de la structure ayant été arasé par l'engin en même temps qu'une amphore en position verticale, on peut estimer, compte tenu de la longueur restante de celle -ci, que la hauteur intérieure était de 1 m au moins. Les parois latérales étaient constituées par quatre dalles brutes de calcaire gris arrachées au substrat local, posées de chant sur la terre constituant le fond du coffre. En revanche, l'ensemble était fermé par au moins deux grandes dalles de couverture en calcaire blanc taillé, qui sont tombées de biais à l'intérieur du caisson en se coinçant entre les parois, ce qui a protégé le mobilier funéraire. On peut raisonnablement penser que l'amphore en position verticale a pu être protégée jusqu' à nos jours par une troisième dalle que l'engin a fait disparaître. La position des dalles de couverture à l'intérieur du caisson montre bien que celui -ci n'a pas été immédiatement colmaté. La terre de remplissage, un sédiment fin très compact, s'est infiltrée progressivement par les interstices des parois. À partir des témoignages recueillis, la disposition du mobilier funéraire a pu être reconstituée avec une assez grande fiabilité. Les objets retrouvés n'occupaient pas la totalité de l'espace intérieur, un tiers de celui -ci n'ayant pas livré de vestige notable. Comme la tombe n'avait visiblement pas été violée auparavant, même partiellement, il est possible que cet espace ait été occupé par des matières périssables. Il ne s'agit probablement pas d'aliments solides ou liquides dont on eût retrouvé les contenants et/ou des restes éventuels (os, coquilles, arêtes, etc.), et il faut plutôt s'orienter vers d'autres artefacts (des tissus ou des vêtements par exemple, des sacs ou des paniers, etc.) ou des produits végétaux (feuillages, fleurs ?). Sur les deux tiers restants du caisson étaient disposées au moins 16 pièces de mobilier céramique et métallique : dans l'angle nord, une amphore dressée verticalement (n° 1), contre laquelle était appuyée une épée en fer pointe vers le bas (n° 13). Le fourreau (n° 14) gisait au pied de l'amphore, à 0,20 m de distance. Très dégradé, il n'a pas été récupéré; dans l'angle ouest, l'urne cinéraire (n° 2) en céramique modelée; à proximité immédiate, une lampe à huile (n° 9) et deux objets en bronze : un poêlon à long manche (n° 10) et une anse de cruche coulée et décorée (n° 11); plus loin vers l'est, au milieu du caisson, des vases disposés en demi-cercle, avec, non loin de l'urne cinéraire, une autre urne modelée (n° 3), puis diverses céramiques campaniennes : un grand plat campanien B de forme 5 (n° 8) contenant au centre une pyxis CAMP-B3 (n° 7) et trois gros os (provenant d'un quartier de viande indéterminé); trois assiettes A-5/7 empilées; un bol A 31b (n° 6); enfin, en bordure de l'espace intérieur retrouvé vide, un vase à pâte claire écrasé (n° 4) et un « manche » en bronze attribué par les fouilleurs à un simpulum brisé aux deux extrémités. Ces objets abîmés ont été abandonnés sur place. Il est d'ailleurs possible que d'autres éléments du mobilier archéologique soient restés dans la tombe. Ainsi, la partie inférieure de l'amphore et le flanc de l'urne modelée d'accompagnement portent encore des marques de rouille laissées par d'autres artefacts métalliques qui, trop oxydés, n'ont pas dû attirer l'attention des fouilleurs. Lame en fer à double tranchant, de section losangique, à pointe effilée. Soie de section rectangulaire terminée par un petit appendice arrondi, sur laquelle est enfilée une plaque de forme hexagonale interprétée comme un pommeau. L. tot. 0,775 m; l. lame à la garde : 0,05 m; L. de la soie : 0,125 m. Cette arme, retrouvée en très mauvais état de conservation, est actuellement brisée en plusieurs morceaux. La lame affectait une courbure prononcée en arc de cercle. À 0,50 m environ de hauteur sur la paroi de l'amphore, une plaque de rouille indique le point de tangence de la courbure de l'arme. La soie a également subi une déformation dans le même sens que la lame, mais beaucoup plus accentuée. L'épée, dont le fourreau a été enlevé au préalable, semble bien avoir été ployée volontairement avant son dépôt. La déformation n'atteint pas une ampleur comparable à celle de certaines épées de la région nîmoise (Py 1981), qui sont souvent ployées en S dans leur fourreau. Elle évoque davantage celle des épées des tombes 3 et 5 de la nécropole des Colombes à Beaucaire (Gard) qui sont modérément pliées par le milieu (Dedet, Michelozzi, Py 1994). La soie de la poignée étant probablement garnie d'une matière périssable (bois, cuir, corne ou os) qui s'est décomposée, le pommeau a glissé jusqu'au niveau de la garde. Le fourreau très dégradé a été abandonné sur le fond du caisson. Mais on a pu savoir qu'il était formé par une matière totalement pourrie (bois ou cuir ?) et possédait deux bagues (ou barrettes) métalliques de suspension pourvues d'un anneau à chaque extrémité. Cette arme, publiée récemment (Feugère 1993, 97-99; Feugère 1994, 10-11 et fig. 10), possédait donc un système de suspension à deux barrettes transversales et quatre anneaux diffèrent de celui des épées celtiques. Elle a été identifiée comme une épée de type gladius hispaniensis, ancêtre du glaive romain à pointe effilée de l'époque impériale, et datée, d'après le mobilier d'accompagnement, des dernières années du II e s. av. J.-C. ou du tout début du suivant. L. tot. 0,50 m; L. manche 0,28 m; diamètre du bassin 0,268 m; prof. 0,055 m. Récipient à vasque circulaire surbaissée de forme aplatie en tôle de bronze, dont la lèvre, large et aplatie, est décorée de stries disposées en chevrons près du départ du manche. Manche allongé terminé par un crochet décoré d'une tête d'oiseau aquatique (canard ou cygne). Ce récipient, posé à plat au milieu de vases retrouvés intacts, avait déjà subi une sérieuse déformation avant son dépôt. La vasque a reçu sur le côté un coup violent porté avec un instrument contondant. À l'époque de la découverte, elle était déjà très rongée par l'oxydation et présentait sur le flanc d'importantes parties manquantes. On peut aussi remarquer l'angle anormalement fort du manche par rapport à l'horizontale, sans pouvoir toutefois affirmer qu'il s'agit d'une déformation intentionnelle. Ce récipient appartient au type de poêlon dit d'Aylesford, qui a été retrouvé à plusieurs reprises en Gaule dans des sépultures aristocratiques du I er s. av. J.-C., et qui disparaît dans les premières années du règne d'Auguste (Feugère, De Marinis 1991, 107-108). Le diamètre de l'exemplaire de Mouriès (0,268 m) le classe dans la catégorie dite standard (diamètre : 0,20 à 0,26 m) dont R. de Marinis situe la fabrication, pour l'Italie septentrionale, à La Tène D1, entre 125 et 70 av. J.-C. L. : 0,175 m; l. attache sup. : 0,115 m. Anse coulée, fortement incurvée en S; attache supérieure en arc de cercle terminée, à chaque extrémité, par une tête de canard ou de cygne. Base limitée par trois moulures horizontales superposées au-dessus d'un médaillon figurant un masque : visage ovale aux yeux globuleux, large sourire et barbe en éventail, encadré par une coiffure en calotte se prolongeant de part et d'autre par des appendices latéraux incurvés. Aucune trace de la tôle de bronze constituant le corps du récipient n'a été signalée. Cette anse appartenait à une cruche de type Kelheim, actuellement datée entre 125-120 et 70 av. J.-C. (Tassinari 1990, 199; Boube 1991, 39-40). Ces cruches, le plus souvent retrouvées dans des contextes funéraires en association avec d'autres pièces de vaisselle métallique et des armes, ont pu être longuement conservées avant leur enfouissement. C'est le cas, par exemple, de la cruche de Châtillon-sur-Indre (Ferdière, Villard 1993, 96-107) trouvée notamment en association avec un poêlon du type d'Aylesford et un poignard anthropomorphe de type Hawkes G. Pour cette dernière sépulture, la datation de l'enfouissement, initialement placée vers le milieu du I er s. av. J.-C., pourrait être encore plus tardive. Cet objet, déjà détérioré, a été laissé sur place lors de la découverte. Cette identification ne repose donc que sur le témoignage verbal des fouilleurs. Il ne faut certes pas exclure la possibilité d'un simpulum (ou d'une passoire ?), peut-être sacrifié par enlèvement de la vasque et surtout du crochet terminal. Dans le Sud-Est en effet, les simpula sont fréquents dans les sépultures de la fin de l' âge du Fer. Mais une autre identification (un manche de miroir par exemple) est aussi bien envisageable. H. cons. 1,08 m; h. panse 0,745 m; diam. max. 0,30 m. La partie supérieure a été détruite lors du nivellement du terrain, et l'on ne peut savoir si elle avait déjà été écrêtée pour prendre place verticalement dans le caisson, comme cela a déjà été plusieurs fois observé (Py 1990, 783). Le col et les anses ont été recoupés au même niveau par l'engin, ce qui établit qu'elle se trouvait bien en position verticale. D'après la pâte, la forme de la panse et surtout le profil en S des anses, il s'agit d'une production italique d'époque républicaine de forme Dr. 1C. La hauteur totale de ce modèle d'amphore avoisine généralement 1,15 m. Quelques points de peinture (ou d'encre ?) rouge, sans contours bien définis, s'observent encore sur l'épaulement et la base du col (restes d'une inscription ?). L'épée appliquée sur la panse a laissé, à mi-hauteur, des traces ferreuses. Vers le bas, d'autres marques de rouille sont dues au contact d'un objet en fer (qui n'a pas été signalé par les fouilleurs). La présence d'amphores vinaires est assez fréquemment signalée dans les tombes du groupe de la basse vallée du Rhône, soit couchées (La Catalane aux Baux-de-Provence, B.-du-Rh., tombe XXVII; Arcelin 1980, 93), soit en position verticale (au nombre de deux dans la tombe 17 de la nécropole des Marronniers à Beaucaire; Dedet et al. 1978, 97). Ce type d'amphore est attesté dès le début du I er s. av. J.-C., mais on ne peut encore assurer qu'il n'apparaisse pas avant la fin du II e siècle (Hesnard 1990, 51-52), et disparaît en même temps que les autres Dr.1 dans le courant de la deuxième moitié du siècle. Elle ne comprend que deux exemplaires. H. et diam. max. 0,335 m; diam. fond. 0,215 m; ép. parois 0,08 m; ép. fond 0,09 m. Urne de grande contenance, à panse globulaire, épaulement bien marqué surmonté par un col convergent et un bord déversé vers l'extérieur. Pâte brun gris à gros grains de calcite. Surface externe totalement lissée, peignage horizontal à l'intérieur. Ce type de vase, bien attesté dans les Bouches-du-Rhône, par exemple à Saint-Blaise ou au Baoux Roux, a été classé par P. Arcelin dans la catégorie des productions locales (Arcelin 1979, forme 1a, variante 1, pl. 48, n° 158 et 160; Py dir. 1993, forme CNT-PRO U5b1). Il est aussi maintenant connu dans les Alpilles, aux Baux-de-Provence (cabane 1 des Tremaïe), à Mouriès sur l'oppidum des Caisses (niveaux d'habitat fin II e - début I er s. av. J.-C.) et dans les tombes de Servanes fouillées en 1988 (Royet, Verdin 1995). La forme a manifesté une grande longévité depuis le III e s. jusqu'au premier quart du I er s. av. J.-C., mais en évoluant vers un profil plus trapu et un col moins haut. Les caractéristiques morphologiques de l'exemplaire concerné amènent à placer sa fabrication aux environs de 100 av. J.-C. H. 0,213 m; diam. ouverture 0,180 m; diam. max. panse 0,215 m. C'est la production la plus ancienne des ateliers des Alpilles (P. Arcelin, in Py dir. 1993, forme CNT-ALP 1a1, 100-40 av. J.-C.). Elle est caractérisée par une panse globulaire à fond plat, un col convergent surmonté d'une lèvre largement déversée et presque horizontale. Col poli et panse à peignage unidirectionnel. Rangée d'impressions obliques unidirectionnelles sur l'épaulement. Surface extérieure brun sombre avec coups de feu. Surface intérieure bien égalisée, de couleur rougeâtre. Elle comporte six éléments différents; un grand plat de campanienne B, forme 5. H. 0,40-0,50 m; diam. max. 0,348 m. Pied épais et bas à bourrelet extérieur saillant. Bord nettement concave vers l'intérieur. Pâte beige rosé, vernis noir mat à faiblement luisant sur les deux surfaces, tirant localement sur le brun rouge. Décor central très altéré, comportant au moins une rangée de guillochis limitée par un sillon circulaire. Fond réservé avec graffite M et A liés suivis d'un rhô. Fabrication assez soignée avec tournassage des arrondis par petites facettes successives et intérieur de la vasque parfaitement lisse. L'ensemble de ces caractéristiques ainsi que les composants de la pâte (particules de quartz et petits grains noirs) correspondent bien aux aspects de la campanienne B du I er s. av. J.-C. de la basse vallée du Rhône (Arcelin, Chabot 1980, 111 et 187), fabriquée dans la région de Calès en Campanie. Ce plat a beaucoup servi. La couronne d'appui est très usée. L'intérieur de la vasque porte de nombreux petits impacts qui semblent avoir été produits par la pointe du couteau de l'utilisateur. une pyxis de campanienne B, forme 3. H. 0,054 m; diam. fond 0,076 m. Vase intact, au vernis noir faiblement luisant devenant marron par endroits sous le fond. Le pied, bas et fortement saillant, est caractéristique des productions du I er s. av. J.-C. trois assiettes empilées de campanienne A de forme 5/7, aux dimensions très proches, appartenant vraisemblablement à la même série. Exemplaire inférieur : h. 0,04 m; diam. max. 0,172 m. Décor de deux cercles concentriques. Vernis noir faiblement luisant, devenant brun rouge à l'intérieur du pied. Marques de doigts autour du pied, et stries de tournassage bien visibles. Surépaisseur de pâte non enlevée au raccord pied-vasque. Exemplaire central : diam. max. 0,163 m. Décor de deux cercles concentriques, dont l'un s'est déformé en spirale lors du tournassage. Surcuisson traduite par un bord fortement déformé et un important coup de feu à l'intérieur de la vasque. Exemplaire supérieur : diam. max. 0,161 m. Assiette de meilleure qualité, la seule à montrer un vernis vraiment noir et luisant, et moins d'imperfections techniques (stries, gorges d'arrachement). Décor de deux cercles concentriques, dont le plus grand est déformé en spirale. Les trois assiettes présentent donc des aspects de la campanienne A tardive produite à partir de 100 av. J.-C. et exportée de plus en plus massivement par la suite. Quant aux traces de frottement, en particulier sur la couronne d'appui, elles révèlent une utilisation d'une certaine durée. un bol de campanienne A tardive de forme 31b. H. 0,08 m; diam. ouverture 0,167 m. Enduit noir homogène, mat à faiblement luisant. Décor interne de bandes peintes en blanc, l'une sous le bord, deux autres concentriques autour du cercle d'empilage marron. Le tournassage extérieur de la vasque est assez négligé, ce qui lui confère un profil irrégulier, avec des stries et des gorges d'arrachement faites par la pointe du tournassin. Par rapport aux productions du II e s., la forme est plus évasée. D'après les informations obtenues, les débris d'un vase à pâte claire pourvu de deux anses auraient été laissés sur place. On ignore tout de sa taille et de sa forme. Il pourrait s'agir aussi bien d'un gobelet que d'une forme plus haute (amphore, urne à deux anses, etc.). Complète, mais de dimensions inconnues (étudiée d'après la seule photographie qui nous ait été communiquée). Corps du réservoir bitronconique avec petit médaillon central en creux entouré d'un bourrelet; anse annulaire verticale; bec évasé à bord antérieur convexe, plat et décoré à la base par un sillon et une bande quadrillée formant une série de bossettes. Décor de cannelures rayonnantes sur le marli. Pâte grise et traces d'engobe noirâtre. Sans être très nombreuses, de telles lampes sont connues dans quelques tombes des Alpilles (inventaire dans Bémont, Lahanier 1985, 226) : sépulture 1 de l'Arcoule au Paradou, nécropole de La Catalane aux Baux-de-Provence, tombe V de Glanum à Saint-Rémy-de-Provence. Une autre lampe récemment découverte dans une tombe (inédite) de Saint-Pierre-de-Vence (Eyguières) vient compléter cette liste. On les rencontre également dans la proche région, à Beaucaire sur le Rhône ainsi qu' à Cavaillon sur la basse Durance (fosse funéraire n° 3, Dumoulin 1965, 80 et fig. 1). Toutes se situent dans des contextes funéraires souvent tardifs du I er s. av. J.-C. La fabrication s'étale des années 130-125 au début de l'époque augustéenne, vers 30 av. J.-C. environ (Pavolini 1990, 103-104). En raison de leur longue durée de fabrication et/ou d'utilisation depuis la fin du II e s. av. J.-C., la lampe à décoration rayonnante et l'amphore ne peuvent guère apporter d'indications sur leur date d'enfouissement L'association d'un poêlon du type d'Aylesford et d'une cruche de Kelheim est plus intéressante, la période de fabrication de ces ustensiles se situant entre 130-125 et 75 av. J.-C. Mais, on l'a vu précédemment, ces objets relativement précieux ont pu être longuement conservés, à cause de leur valeur ou de l'attachement qu'on leur portait, et n' être enfouis que durant la seconde moitié du I er s. av. J.-C. En définitive, c'est la vaisselle de céramique, dont la durée de vie est généralement plus courte, qui peut apporter le plus d'indices pour dater le moment de l'enfouissement. La céramique campanienne A tardive, par les défauts de son vernis et surtout du tournassage, est une production caractéristique du I er siècle avant notre ère. Mais cette perte de qualité, réelle certes mais non excessive, n'indique pas une période très avancée dans le cours du siècle, ce qui est confirmé par la datation des deux vases modelés. L'urne cinéraire ne peut avoir été fabriquée au-delà du premier quart du siècle. Quant au vase des Alpilles, sa période de fabrication va de 100 à 40 av. J.-C. La majeure partie des objets date donc de la période 125-75 av. J.-C. Le recoupement des diverses données indique un enfouissement compris entre 100 et 50 av. J.C., avec, à l'intérieur de cette fourchette, une forte probabilité en faveur du premier quart de ce siècle. La tombe en caisson de Servanes est à ce jour la seule tombe de ce type connue à Mourès. On ne sait rien sur les structures des tombes découvertes par H. Revoil au XIX e siècle. Mais les sépultures fouillées à Servanes en 1988 (qui datent de la première moitié du I er s. av. J.-C.) et celles du chemin de Cagalou en 1996 (deuxième moitié du I er s. av J.-C.) n'ont révélé que des structures en fosse creusées en terre libre. Cette sépulture en caisson, datable du début du I er siècle fait donc figure pour l'instant de cas isolé à Mourès. En revanche, l'utilisation du caisson de dalles brutes ou travaillées est courante dans les autres nécropoles des Alpilles, par exemple à Eyguières ou à La Catalane. Il a été remarqué (Bats 1990, 286) que ce type de structure tombale devenait majoritaire en Basse-Provence au I er s. av. J.-C., sans que le mode de sépulture en pleine terre ne soit pour autant abandonné. On a proposé d'expliquer son adoption à la fin du II e siècle par des influences culturelles italiques (Arcelin 1980, 97, n. 15; Py 1990, 220) ou par le développement de l'architecture en pierre lié à l'urbanisation (Bats 1990, 286). Dans le cas présent, on peut considérer que les deux types de sépulture ont bien coexisté, ce qui traduit peut-être des différences de statut social, le caisson étant alors, du moins au début de cette période de changement, l'apanage d'une élite socialement plus élevée et ouverte à Rome. Cependant, par rapport aux caissons habituellement décrits dans d'autres nécropoles des Alpilles, celui -ci présente des singularités. En premier lieu, ses très fortes dimensions (2 x 1 x 1 m), alors qu'elles sont ailleurs généralement inférieures à 1 m. D'autre part, l'emploi de dalles taillées pour la couverture seule est assez surprenant. Dans la région des Baux, proche de celle de Mouriès, où des ateliers de carriers et de tailleurs de pierre sont connus aux Tremaïe (Gallia 1986, 402-405), ou dans celle de Saint-Rémy-de-Provence, on a fréquemment utilisé dans le courant du I er siècle avant notre ère des dalles de molasse travaillées pour les flancs et la couverture des caissons. En revanche, sur les sites éloignés des carrières de pierre tendre, on a plutôt recherché les affleurements naturels de lauzes de calcaire. Mais l'emploi simultané des deux types de matériau n'avait pas encore été rencontré. Malgré l'absence de conditions de fouille scientifique, et celle de tout renseignement sur le contenu de l'urne cinéraire et du vase modelé d'accompagnement, quelques observations sont néanmoins possibles. La présence éventuelle d'un dépôt de débris osseux provenant de l'incinération sur le fond du caisson, ou d'un amas de charbons prélevés sur le bûcher, n'a pas été remarquée. Le choix du mobilier céramique est significatif des pratiques funéraires de la fin de l' âge du Fer. La céramique tournée domine largement (77,8 % des cas) en particulier la céramique campanienne (6 vases sur 9), alors que la céramique modelée, habituellement majoritaire dans les habitats, n'est représentée que par deux urnes à usage culinaire (22,2 %). Ces vases, qui portent des traces d'usure, avaient donc déjà servi au moment de leur dépôt. On a employé comme urne cinéraire un vase modelé. Ce choix, souvent observé, par exemple à La Catalane, relèverait d'une exigence culturelle (attachement à une forme traditionnelle, rappel du rôle de contenant alimentaire; Arcelin, Arcelin-Pradelle 1973, 98). Fait habituel dans les Alpilles, le contenu de l'urne n'est pas protégé par un couvercle, ce qui diffère de certaines tombes de l'agglomération d'Arles pourtant voisine (nécropole de l'hôpital Van Gogh; Sintès 1987, 101-102). La lampe à huile était très proche de cette urne. Le fait a déjà été constaté ailleurs, par exemple dans la sépulture n° 1 de Paradou (Arcelin 1979, 140), la tombe III de Saint-Rémy-de-Provence (Arcelin, Arcelin-Pradelle 1975, 74) ou bien, de façon répétitive, dans plusieurs tombes de la nécropole d'Aramon dans le Gard. La lampe serait ainsi étroitement associée à la personne du défunt représentée par l'urne (Genty, Feugère 1995,171), en tant que symbole de sa survie (Py 1990, 783, n° 1696). Comme cela a été observé également ailleurs, le mobilier d'accompagnement est déposé par zones : d'abord l'amphore et la vaisselle métallique, puis les vases servant à contenir et à préparer des aliments (le vase modelé des Alpilles), à boire et à manger (la céramique campanienne). Des offrandes alimentaires ont accompagné le mort dans sa dernière demeure, puisqu'un quartier de viande au moins a été déposé. En revanche, les trois assiettes empilées ne pouvaient contenir de nourriture, et sont peut-être seulement le symbole du repas funéraire. Enfin, plusieurs objets personnels du défunt ont été volontairement sacrifiés et rendus inutilisables. L'épée a été ployée et le poêlon a reçu un coup violent. Mais on ne peut assurer que la cruche et le possible simpulum en bronze aient été « tués » eux aussi, des débris de la tôle peut-être rongés par l'oxydation ayant pu ne pas attirer l'attention des fouilleurs. Au total, ces gestes funéraires sont conformes à ce qui a été observé dans les nécropoles régionales à la fin de l' âge du Fer. Une particularité dans l'organisation interne de la tombe est toutefois peu fréquente. Le large espace laissé vide suggère la présence parmi les offrandes d'artefacts en matières périssables (vêtements, sacs ou paniers par exemple), ou bien de végétaux (feuillages, fleurs ?) dont les traces possibles n'auraient pas été remarquées. On ne peut savoir avec certitude si cette tombe était réellement isolée, puisque cette partie du golf est fossilisée, pour plusieurs dizaines d'années encore, sous la pelouse. Sa localisation, si elle est bien exacte, pose la question de la structure et de l'extension de la zone funéraire et de son évolution dans le temps. À titre de comparaison, on a pu mettre en évidence, dans la région toute proche du Languedoc oriental, une répartition spatiale des tombes connues en trois groupes : des nécropoles suburbaines de petite ou moyenne importance (à Nîmes, Ambrussum ou Beaucaire), des tombes dispersées à proximité d'un grand oppidum (Nîmes ou Nages), et des tombes isolées et éloignées de tout habitat contemporain (Py 1990, 763-765; Fiches 1989, 216-221). À Mouriès, de la même manière, l'importance de l'habitat installé sur l'oppidum des Caisses et ses abords n'implique apparemment pas, pour la période considérée, l'existence d'un cimetière unique. Au I er s. av. J.-C., la principale zone funéraire se trouvait beaucoup plus à l'est, sous le chemin de Cagalou puis en bordure du chemin, à proximité de son carrefour. On doit désormais localiser à cet emplacement les sépultures fouillées au XIX e siècle par H. Revoil (Brun 1933) dont on a longtemps ignoré l'emplacement précis. Celui -ci vient d'ailleurs d' être confirmé par les fouilles de 1996 le long du chemin. Datant du I er s. av. J.-C., les sépultures formaient une véritable nécropole qui a continué à être utilisée jusqu'au III e s. ap. J.-C. Cependant, le petit groupe de tombes isolé à l'écart de la nécropole principale sur le piémont de Servanes appartient bien lui aussi à la même période, puisqu'on le date entre les années 100 et 50-40 av. J.-C. On peut donc admettre l'existence de tombes ou de petits groupes de tombes à l'écart de la nécropole principale, surtout quand la richesse relative de leur mobilier paraît leur conférer un statut particulier. La sépulture que nous étudions, isolée en bordure de la plaine de Servanes, pourrait alors se comprendre, de même que, du moins si on retient la localisation fournie par F. Benoit, la tombe au poignard anthropomorphe, qui aurait été dans ce cas assez éloignée (Benoit 1936). Peut-on véritablement parler, à propos de la tombe de Servanes, de sépulture privilégiée révélant par sa richesse un statut social particulier ? Certainement pas, si l'on considère seulement le total de son mobilier, qui ne compte que 16 pièces (si l'on comptabilise les objets vus dans la tombe, mais abandonnés sur place). Le chiffre est peu surprenant, si on le compare à celui des autres tombes (avec ou sans armes) déjà découvertes dans le Bas Rhône et le Languedoc oriental. Le nombre de pièces du mobilier pourrait donc ne pas être, au début du I er s. av. J.-C., un critère absolument déterminant d'appartenance à l'élite sociale. L'expression de sépulture privilégiée a été cependant utilisée dans un ouvrage récent (Ferdière, Villard 1993, 237-238) consacré à la tombe augustéenne de Fléré-la-Rivière (Indre). Ce terme désignerait des sépultures avec armes de Narbonnaise considérées comme apparentées aux tombes aristocratiques du reste de la Gaule. Il s'agirait, plus particulièrement, de ce qui est appelé « groupe de Saint-Laurent-des-Arbres », c'est-à-dire de la basse vallée du Rhône. On doit tout de suite rappeler, par rapport à la richesse véritable des sépultures du « groupe de Fléré » ou d'autres régions de la Gaule, du « groupe de Welwyn » en Grande Bretagne ou de celui de « Goeblingen-Nospelt » au Luxembourg et en Rhénanie, la relative modestie des offrandes déposées dans les tombes du groupe de la basse vallée du Rhône. Mais, en dehors de cette constatation et des différences de structure tombale (absence de véritables chambres funéraires et d'enclos, tumulus rarement attestés par les fouilles), certaines affinités existent bien, telles la présence d'armes associées à de la vaisselle de bronze et à des amphores. En Gaule Belgique (Metzler et al. 1991, 146, 147), l'amphore vinaire serait par excellence le dépôt de la sépulture aristocratique, et, dans le même ordre d'idées, la vaisselle de bronze servant à mélanger le vin et/ou aux ablutions. L'épée, objet relativement rare et précieux, caractériserait le défunt comme un membre de l'aristocratie et de la caste militaire. Dans la même optique de différenciation sociale, les sépultures de la Narbonnaise ayant livré des armes ont été d'abord comprises par les chercheurs du Sud-Est comme des « tombes de chefs » (Barruol, Sauzade 1969), avant d' être interprétées différemment. Ces armes, qui constituent en réalité le seul élément les distinguant des autres tombes, seraient en fait l'indice de tombes masculines et le symbole de la valeur guerrière du défunt. Sans traduire une condition sociale élevée, elles appartiendraient à une catégorie de « guerriers-paysans » (Py, 1980, 181; Py 1990, 173), voire de « guerriers-paysans tributaires » à la fois sur le plan militaire et sur le plan économique (Fiches 1989, 229). Par rapport à ces diverses interprétations, comment comprendre la tombe de Servanes ? Il faut tout d'abord attirer l'attention sur la présence d'une épée, fait rare jusqu' à présent dans la région. On a souvent remarqué l'extrême rareté des armes dans les tombes de la basse vallée du Rhône et plus particulièrement à l'est du fleuve, dans les Alpilles. Jusqu' à présent, la liste des trouvailles était particulièrement courte : des fragments de fourreau d'épée à l'Arcoule (sépulture 6; Arcelin 1979, 148); à La Catalane (Arcelin 1980, 96), un umbo de bouclier (sépulture XXVII), peut-être un autre umbo et le haut d'un fourreau d'épée qui auraient été observés au XIX e siècle (Arcelin 1980, 100, n. 29); enfin, à Mouriès, le poignard anthropomorphe, la pointe de lance et l'umbo circulaire conservés au Musée des Antiquités Nationales de Saint-Germain-en-Laye. Ce constat doit être légèrement nuancé, car l'inventaire s'est depuis peu élargi avec le glaive et la pointe de lance trouvés à Servanes en 1988 (Royet, Verdin 2000, tombes 3-4), la trouvaille récente et encore inédite d'un fragment de casque à Saint-Pierre-de-Vence (Eyguières) et l'épée de la présente sépulture. Trois tombes avec armes ont donc été identifiées à Mouriès qui possède pour l'instant le total le plus important pour les nécropoles des Alpilles. Ce chiffre doit cependant être relativisé. S'il est équivalent à celui atteint à Beaucaire sur la rive gauche du Rhône, il est très faible en comparaison des découvertes de la région nîmoise, dans le Gard. La tombe de Servanes est d'autre part la seule dans ce groupe de la basse vallée du Rhône à avoir livré en association un poêlon et une cruche en bronze. À l'exception des simpula, courants dans les sépultures à incinération régionales de la Tène finale, la vaisselle métallique en bronze est exceptionnelle en Provence (listes et cartes de répartition dans Feugère, Rolley 1991), et provient presque toujours de tombes. En ce qui concerne ce groupe, les trois éléments de cruche de Kelheim déjà connus dans des sépultures proviennent tous des Bouches-du-Rhône : Tarascon (un support), Les Baux-de-Provence (partie supérieure d'une anse), Eyguières (la seule cruche retrouvée complète). Le bilan pour les cruches de type Piatra Neamt, jusqu'alors réduit à un fragment d'anse à La Catalane, vient de s'enrichir d'une autre trouvaille à Mouriès (fig. 14). Enfin, dans la proche région, les poêlons étaient jusqu' à présent représentés par le seul support en plomb de Saint-Rémy-de-Provence. L'association du poêlon et de la cruche de Kelheim a été interprétée comme un signe d'appartenance du défunt aux classes supérieures de la société indigène (Feugère, De Marinis 1991, 108). Destinés aux ablutions liées aux repas collectifs, ces ustensiles témoigneraient de la diffusion dans l'élite sociale, au contact des Romains, d'une certaine façon de servir et de boire le vin en société. Il semble donc bien que l'on puisse parler, à propos de cette tombe de Servanes, de sépulture particulière, celle d'un personnage ayant joué un rôle militaire et qui était initié aux pratiques et gestes du symposion. On peut voir dans ce personnage un représentant d'une élite sociale se voulant ouverte au modèle italique. Sa tombe n'est vraisemblablement pas la dernière demeure d'un aristocrate de haut rang, mais plutôt celle d'un petit noble, chevalier ou chef local épris de romanité. On peut difficilement reprendre à son sujet l'expression de « guerrier-paysan » utilisée pour les tombes nîmoises .
Cette tombe est située sur le domaine de Servanes, au pied de l'oppidum des Caisses. Elle est placée à l'écart de la nécropole principale de la fin de l'âge du Fer, distante de 500 m. En 1988, une fouille clandestine a provoqué le pillage et la destruction de son mobilier. Depuis lors, celui-ci a été presque totalement récupéré, en même temps que pouvaient être recueillies des informations sur les conditions de sépulture. Par rapport aux autres tombes à incinération connues dans les Alpilles, cette sépulture se singularise par les dimensions inhabituelles du caisson, la présence d'une épée qui a été sacrifiée et celle de plusieurs objets liés à la cérémonie du symposion : amphore, instruments de bronze (cruche et poêlon). On est ainsi amené à s'interroger sur l'appartenance sociale du défunt, ainsi que sur le degré de romanisation des élites dans le premier quart du Ier S. av. J.-C.
archeologie_525-02-11132_tei_126.xml
termith-100-archeologie
De très nombreux sites paléolithiques français sont inclus dans des dépôts de versant, notamment dans les talus en pied d'abris-sous-roche, sous le porche des grottes ou dans les colluvions qui recouvrent les terrasses fluviatiles. Dans ce type d'environnement sédimentaire, les mécanismes qui conduisent à l'enfouissement d'objets déposés à la surface du sol sont complexes. Les diverses expériences réalisées dans des environnements naturels indiquent que les objets (des cailloux marqués dans la plupart des expériences) subissent des déplacements plus ou moins importants sur la pente avant d' être enfouis. Ces déplacements peuvent être très rapides (plusieurs mètres au cours d'un événement pluvieux par exemple), parfois sélectifs, c'est-à-dire qu'ils ne concernent alors que certaines catégories d'éléments, et peuvent varier considérablement sur de courtes distances en fonction des caractéristiques du sol et des singularités topographiques locales. Appliquées à l'archéologie, ces études démontrent que des remaniements significatifs sont susceptibles d'avoir affecté les niveaux paléolithiques ou, en d'autres termes, que les processus naturels qui se sont produits après l'abandon du site par les hommes ont pu jouer un rôle important dans la constitution des niveaux archéologiques tels qu'on les observe à l'occasion des fouilles. De manière à mettre en évidence l'impact de ces processus, il est nécessaire de déterminer en détail les mécanismes qui ont contribué à la formation du niveau archéologique étudié et de tester, à partir de la distribution spatiale et de l'organisation des vestiges, ce qui revient à la dynamique naturelle. Différents outils sont à la disposition de l'archéologue dans cette démarche (voir par exemple Bertran et Texier 1997). Parmi ceux -ci, l'analyse des fabriques, c'est-à-dire l'analyse de l'orientation et de l'inclinaison des objets au sein du niveau archéologique, a connu d'importants développements ces dernières années concernant à la fois la méthodologie et le nombre de sites analysés. Ce type d'étude a été introduit en archéologie par Isaac (1967), Bar Yosef et Tchernov (1972) et Schick (1986) et Kaufulu (1987), initialement dans le but de comprendre la genèse des sites du Paléolithique ancien trouvés dans les dépôts alluviaux en Afrique et au Proche-Orient. Pour les dépôts de versant, l'application à l'archéologie est plus récente (Bertran 1994, Bertran et Texier 1995) et a bénéficié d'une mise au point récente sur les différents milieux dynamiques naturels (Bertran et al. 1997). Le présent article se propose de faire le point sur les progrès réalisés dans l'analyse des fabriques depuis ces derniers travaux et de montrer, à travers un certain nombre d'exemples, les potentialités de la méthode. Sur le terrain, on distingue plusieurs grands types de disposition des objets (fig. 1) : A) une disposition désordonnée (isotrope), B) une disposition à plat sur le plan de stratification, C) une orientation préférentielle des éléments allongés selon une direction particulière, D) une imbrication ou disposition en tuiles, c'est-à-dire une disposition relevante par rapport au plan de stratification. La fabrique est quantifiée par la mesure sur un échantillon représentatif, soit une cinquantaine d'éléments, de l'orientation et de l'inclinaison du grand axe des objets. La mesure s'effectue à l'aide d'une boussole et d'un clinomètre. Les objets doivent avoir un allongement bien marqué; dans la pratique, la limite inférieure du rapport longueur / largeur utilisé est égale à 2. Deux types de traitements statistiques sont utilisés pour comparer les fabriques. L'intensité de l'orientation préférentielle (Vector Magnitude) notée L est calculée selon la formule proposée par Curray (1956) : L = 100.r.n - 1 avec r = [(Σ sin 2α) 2 + (Σ cos 2α) 2] 0,5 n : nombre de mesures a : orientation (de 0 à 180°) L varie de 0 % (l'orientation des axes est aléatoire) à 100 % (tous les axes sont orientés dans la même direction). Ce paramètre, qui n'a de réel sens que si la distribution des orientations n'est pas bi - ou plurimodale, peut être utilisé dans un test de Rayleigh pour calculer la probabilité p d'obtenir une valeur d'intensité plus forte que L par combinaison de n vecteurs d'orientation aléatoires. p est obtenu par la formule suivante : p = e (- L2n)(10-4) Lorsque p est inférieur à 0,05, l'hypothèse d'une distribution aléatoire de l'orientation des axes des objets peut être rejetée avec un risque faible. Les tests montrent que la valeur de L se stabilise rapidement lorsque l'échantillon atteint 40 à 50 objets mesurés (fig. 2), tandis que p tend à décroître au fur et à mesure que n augmente : une orientation préférentielle non significative lorsque la taille de l'échantillon est de 50 objets peut s'avérer significative pour n = 80. Pour un échantillon “standard” (n = 40 à 50), la valeur de p permet de séparer les fabriques fortement linéaires (p < 0,05) des autres types de fabriques. La Méthode des Valeurs Propres (Watson, 1965, 1966; Mark, 1973) prend en compte à la fois l'orientation et l'inclinaison des débris. L'attitude des n mesures peut être représentée par une matrice 3 x 3 construite à partir des cosinus des angles que font les axes des débris avec les trois axes de l'espace. Les vecteurs propres de la matrice définissent les axes d'étirement du nuage de points. Les valeurs propres normalisées E 1, E 2 et E 3 qui leur sont associées permettent de comparer les fabriques des différents échantillons. Pour plus de détails sur cette méthode, nous renvoyons aux publications de Watson (1965, 1966), Mark (1973) et Woodcock (1977). Le traitement des données s'effectue à l'aide d'un logiciel adapté (e.g. Stereo, Mc Eachrean, 1990). La forme de la fabrique (fabric shape) peut être caractérisée en calculant les valeurs r 1 = ln(E 1 / E 2), r 2 = ln(E 2 / E 3) et K = r 1 / r 2. Lorsque K est compris entre 0 et 1, la fabrique est de type ceinture ou planaire (les axes des objets sont regroupés autour d'un plan, généralement le plan de stratification), entre 1 et チ, la fabrique est de type groupé ou linéaire (les axes sont regroupés autour d'une linéation, généralement la pente). La variance sphérique (SVAR) reflète la dispersion des axes autour de l'orientation moyenne. Ce paramètre est une mesure de l'intensité de la fabrique (fabric strength), de fortes valeurs indiquant une dispersion importante des axes. Benn (1994) a également introduit un indice d'isotropie IS = E3 / E1 et un indice d'élongation EL = 1 - (E2 / E1). Plusieurs types de représentation sont utilisés. Lorsqu'on ne s'intéresse qu' à un seul paramètre (orientation ou inclinaison), les données sont figurées par des diagrammes en rose. Ils correspondent à des histogrammes circulaires où les valeurs sont regroupées dans des classes de 10 ou 20° (fig. 3). Des classes de 20° semblent être la limite admissible pour espérer mettre en évidence une orientation ou une inclinaison préférentielle des objets. Lorsque l'on dispose pour chaque objet des deux paramètres orientation et inclinaison, on utilise la projection stéréographique de Schmidt. Une description de la technique est proposée par Henry (1976). Sur le stéréogramme, les axes se matérialisent par des points, tandis que les surfaces (plan de stratification par exemple) le sont par des arcs de cercle (fig. 4). Plusieurs types de diagrammes ont été proposés pour représenter les échantillons analysés par rapport aux trois pôles possibles (fabrique isotrope, fabrique planaire, fabrique linéaire). Le diagramme de Woodcock (1977) fait intervenir les paramètres r 1 et r 2 dérivés de la méthode des valeurs propres (fig. 5). Le diagramme de Benn (1994) utilise les indices IS et EL comme variables (fig. 6). De nombreux travaux de géomorphologie réalisés depuis les années 1970 ont montré que des fabriques spécifiques se développent en fonction des mécanismes sédimentaires mis en jeu. Grâce à ces travaux, on dispose d'un référentiel bien documenté sur de nombreux milieux de versant. D'après Bertran et al. (1997), les fabriques permettent de distinguer deux principaux types de processus : les processus de transport en masse tels que la reptation, la solifluxion, les coulées de débris et les coulées sèches, dans lesquels les éléments grossiers tendent à acquérir une orientation préférentielle dans le sens du déplacement; les processus de transport particulaire où les éléments se déplacent isolément sur le sol, tels que l'éboulisation et le ruissellement qui produisent des fabriques de type isotrope ou planaire, parfois plurimodale (fig. 7). Parmi tous les mécanismes sédimentaires analysés, la solifluxion périglaciaire donne les plus fortes valeurs d'orientation préférentielle de l'ensemble des échantillons. Les fabriques isotropes se trouvent principalement dans les éboulis gravitaires et dans les lobes des coulées de débris tandis que le ruissellement donne surtout des fabriques planaires. Des variations importantes s'observent pour chaque processus : la figure 7 indique par exemple que selon la valeur de la pente, le ruissellement peut faire apparaître des fabriques soit de type ceinture simple, soit de type ceinture avec un mode bien marqué dans la pente. Dans le cas de pentes supérieures à 30°, une orientation très significative des objets apparaît. Cette étude montre également que les champs couverts par les valeurs provenant des différents processus se recouvrent de manière importante; l'analyse des fabriques ne permet donc pas, dans de nombreux cas, de discriminer les différentes dynamiques de sédimentation et doit pour cela être associée à d'autres critères. L'association possible de plusieurs dynamiques qui agissent de manière concomitante ou se succèdent dans le temps sur un même versant complique encore ce schéma. Ainsi, l'essentiel de la sédimentation (en terme de volume de matériel déposé) sur de nombreux cônes de déjection est souvent lié à des coulées de débris qui sont déclenchées par des pluies exceptionnelles. De telles coulées ont un temps de retour élevé (de cinq à plusieurs centaines d'années selon les bassins versants) et sont caractérisées par un impact morphogénétique très important. En dehors des brefs épisodes de mise en place des coulées, les dépôts du cône sont repris par d'autres dynamiques (ruissellement, solifluxion) de récurrence plus élevée et qui confèrent au dépôt final une grande partie de ses caractéristiques sédimentologiques. Les analyses montrent alors que les fabriques initiales peuvent être complètement oblitérées par la dynamique de remaniement et ne refléter que l'action du dernier phénomène intervenu sur le sédiment. Parallèlement à ces travaux dans les milieux naturels, quelques études ont été conduites sur du matériel archéologique expérimental; elles concernent principalement la solifluxion et le ruissellement. Dans le cadre du programme TRANSIT, qui s'est déroulé sur un versant où la dynamique est dominée par la solifluxion dans le massif de la Mortice (Alpes du sud) (Texier et al. 1998, Todisco et al. 2000), différentes cellules expérimentales comportant chacune une centaine d'objets ont été disposées sur des pentes de 5 à 12°. Au cours de cinq ans d'expérimentation, la solifluxion a occasionné un déplacement moyen de l'ensemble des objets compris entre 4,5 et 18 cm vers l'aval. Quelques pièces ont toutefois subi un plus grand déplacement, de l'ordre du mètre, sous l'action d'autres processus (ruissellement, impact de la grêle, vent…). Il a été noté que l'acquisition d'une orientation préférentielle pour les éléments allongés pouvait être un phénomène relativement rapide : au cours des cinq années d'évolution à la surface d'une coulée de solifluxion, de nombreux éléments ont en effet subi un pivotement qui les a orientés dans la pente. Malgré tout, en raison de la courte durée de l'expérience, l'orientation des objets pouvait toujours être considérée comme statistiquement aléatoire. Dans une expérience de Lenoble et Bordes (2001), des niveaux archéologiques expérimentaux ont été soumis au piétinement puis à une érosion par ruissellement diffus. Les résultats de l'expérience montrent que, sur terrain plat, le piétinement tend à engendrer une disposition plus désordonnée des objets qu'au départ, au sein d'une “couche active” de trois à cinq centimètres d'épaisseur. Lorsque la pente dépasse 10°, une tendance à l'acquisition d'une orientation préférentielle se manifeste en raison de la reptation progressive des objets vers l'aval au fur et à mesure du piétinement. Cette orientation reste cependant peu significative pour des échantillons de 50 objets. Au cours de l'érosion par le ruissellement, l'entraînement sélectif du sédiment fin provoque une diminution d'épaisseur du niveau archéologique (phénomène de pavage). La fabrique reprend alors des caractéristiques très proches de l'état initial, de type ceinture. L'observation détaillée du mode de formation du pavage indique qu'il s'accompagne du pivotement de nombreuses pièces; des orientations préférentielles parallèles ou transverses à l'écoulement se développent alors localement au sein de groupes d'objets en fonction des particularités locales. De telles observations rejoignent celles déjà faites par Butzer (1982). Cependant, à l'échelle de surfaces assez grandes, de l'ordre du mètre-carré et plus, ces phénomènes ne provoquent pas de modification sensible des paramètres de fabrique qui reste de type ceinture. L'évolution des valeurs IS et EL au cours des différentes phases de l'expérience est retracée sur la figure 8. Etiolles est un site madgalénien du Bassin parisien localisé sur une terrasse alluviale de la Seine (Taborin, 1994) (fig. 9). Les sols d'occupation découverts sont inclus dans des limons de débordement du fleuve et ont livré des structures d'habitat dans un état de conservation remarquable. Les résultats présentés ici concernent des mesures de fabriques effectuées en 1996 sur plusieurs concentrations de vestiges lithiques dans l'unité d'occupation D71. Ces concentrations étaient disposées sur des pentes variables, allant de 10 à 26°, correspondant à différents secteurs d'un petit chenal recoupant les dépôts alluviaux. Cinq amas de débitage et un ensemble d'objets répartis sur une zone de quelques mètres carrés ont fait l'objet d'une analyse. Les fabriques se répartissent schématiquement en deux types : des fabriques pouvant être considérées comme planaires, avec une valeur de p supérieure à 0,05. Ces fabriques proviennent de lots d'objets sur des pentes faibles (10 à 17°). Les valeurs du paramètre L, qui représente l'intensité de l'orientation préférentielle, sont faibles et comparables à celles trouvées sur d'autres sites non perturbés par Bertran et Texier (1995). Elles confirment le caractère statistiquement aléatoire de l'orientation des objets archéologiques accumulés par des processus exclusivement anthropiques; des fabriques significativement orientées dans la pente (p<0,05). Elles correspondent aux amas de débitage localisés sur une pente forte (19 à 26°). Dans le détail, on constate que la valeur de L est nettement corrélée avec la pente (fig. 10). Deux hypothèses peuvent être proposées pour expliquer cette observation : la présence d'une orientation préférentielle serait d'origine primaire. On peut par exemple supposer que la position prise par les objets qui tombent sur un sol en pente au cours de la taille d'un bloc de silex ne soit pas aléatoire, les objets s'immobilisant après une phase de glissement qui peut être favorisée par la faible rugosité du substratum; cette organisation peut indiquer une réorganisation post-dépositionnelle des objets. Mills (1983) a par exemple décrit le développement d'une fabrique orientée suite à l'action d'une lente reptation des cailloux sur une pente et, de manière concomitante, une corrélation entre l'intensité de l'orientation préférentielle et la valeur de la pente. Dans le contexte sédimentaire du site d'Etiolles, cela pourrait résulter d'un déplacement des objets au cours des inondations qui ont déposé les sédiments limoneux. Les artefacts, trop volumineux pour être transportés par roulement ou saltation, auraient néanmoins subi des réajustements par glissement sur le sol, d'autant plus importants que leur position initiale était instable. L'étude des fabriques met ici en lumière d'éventuelles perturbations passées jusqu'alors inaperçues et qui peuvent avoir des répercussions sur l'interprétation fonctionnelle de certains amas, eu égard aux possibles modifications de leur microstratification technologique. Dans l‘état actuel des connaissances, il est difficile de déterminer laquelle des deux hypothèses est la plus vraisemblable; seules des expérimentations permettraient de trancher. Le site de Croix-de-Canard, découvert à l'occasion des travaux d'archéologie préventive sur le tracé de l'autoroute A89 et fouillé par L. Detrain (INRAP), est localisé sur une terrasse de la vallée de l'Isle, à une trentaine de kilomètres à l'ouest de Périgueux (fig. 9). Plusieurs niveaux archéologiques ont été mis en évidence sur ce site. Le plus ancien (“ secteur 3”), qui contient une industrie du Paléolithique moyen, est inclus dans des argiles palustres à la base de la séquence sédimentaire, à environ 4,10 m sous la surface actuelle du sol. Les données stratigraphiques, en particulier l' âge supposé de la terrasse, permettent d'attribuer un âge ancien à cette industrie, probablement de l'ordre de 300 ka. Un second niveau paléolithique moyen (“ secteur 2 ”) a été trouvé à environ 0,60 m de profondeur. Il est inclus dans des colluvions sablo-argileuses recouvrant les dépôts alluviaux et dont la mise en place est attribuée au dernier cycle climatique. Dans l'ensemble des niveaux archéologiques de Croix-de-Canard, le caractère acide des sédiments est responsable de la disparition complète des vestiges osseux. A l'exception de ce type de vestiges, le contexte sédimentaire dans lequel se trouve le niveau archéologique du secteur 3, qui correspond à des dépôts de débordement de la rivière de granulométrie très fine, a été a priori favorable à une bonne préservation du site et notamment à l'absence de déplacement latéral important : les écoulements qui ont permis l'enfouissement du niveau archéologique étaient en effet très peu puissants et incapables de déplacer des objets de taille subcentimétrique. On peut donc considérer que la distribution spatiale des vestiges est presqu'exclusivement le résultat de l'activité anthropique. Certaines observations, en particulier la présence de nombreux objets disposés verticalement, suggèrent cependant que la disposition primaire des pièces a été sensiblement modifiée par des phénomènes post-dépositionnels, vraisemblablement liés à un processus de retrait et de gonflement répété des argiles. Ce processus se marque à l'échelle du terrain par la présence de faces lisses et brillantes sur les agrégats argileux (slickensides), dont la formation résulte des pressions qui apparaissent dans le sol au cours des phases d'humectation et de gonflement. Une mesure de la fabrique a été faite de manière à quantifier ce phénomène. Les résultats montrent une disposition très désordonnée du grand axe des objets (fig. 11). Sur un diagramme de Benn, le point représentatif du niveau archéologique s'écarte sensiblement des valeurs obtenues pour des sites comme Etiolles et se positionne à proximité du pôle fabrique isotrope (fig. 12). Si l'existence de perturbations post-dépositionnelles du site ne fait donc pas de doute, on pense toutefois que celles -ci n'ont pas oblitéré de manière significative l'organisation spatiale originelle du niveau, dans la mesure où leur impact reste très local. En revanche, elles expliquent probablement en grande partie la dispersion verticale des objets, qui dépasse 30 cm. Le second niveau (secteur 2) est inclus dans des sédiments mal triés, interprétés comme des colluvions. Les différents éléments stratigraphiques et chronologiques récoltés indiquent que les dépôts dans lesquels ont été trouvés les objets archéologiques nappent la surface d'un cône de déjection qui a été abandonné par les écoulements torrentiels au cours d'une phase ancienne de l'évolution du versant. Pendant le Pléistocène récent, cette surface n'a reçu que de très rares apports sédimentaires et les vestiges archéologiques n'ont pas été profondément enfouis. Un tel type de contexte a plusieurs implications en ce qui concerne l'archéologie : des niveaux d'occupation d' âge différent peuvent être situés à des profondeurs voisines; il est difficile d'établir une stratigraphie relative des occupations successives; dans la mesure où les vestiges sont restés exposés en (sub-)surface pendant une longue période, les phénomènes de remaniement par les processus naturels postérieurs à l'abandon du site par les hommes peuvent avoir joué un rôle important dans la constitution des niveaux archéologiques; le contexte est donc peu favorable à une bonne préservation des niveaux d'occupation. De manière à tester cette hypothèse, les fabriques de différents locus au sein de la nappe de vestiges ont été analysées. Les résultats obtenus montrent sans ambiguïté la présence d'une orientation préférentielle très marquée des objets selon la pente (fig. 11). Une telle orientation préférentielle n'a jamais été observée dans des sites archéologiques non perturbés; en revanche, la comparaison avec les fabriques relevées dans différents types de dépôts de pente naturels indique que les valeurs trouvées entrent dans le champ de celles connues pour la solifluxion (fig. 12), c'est-à-dire de la reptation du sol liée aux alternances de gel et de dégel en contexte périglaciaire. Il apparaît donc très vraisemblable que le niveau paléolithique moyen ait été remanié par la dynamique de versant au cours des phases froides du Pléistocène récent. Dans l'état actuel des connaissances, l'intensité du déplacement des objets reste difficile à apprécier sur la seule base de la fabrique. L'absence de véritable concentration et la faible densité des vestiges plaident en faveur d'un remaniement important et d'une dispersion sur une grande surface d'unités initialement mieux délimitées. On peut à ce sujet comparer le plan de répartition du secteur 2 (locus 3), où les objets forment une nappe à peu près continue, avec celui du secteur 3 évoqué plus haut, pour lequel l'étude taphonomique ne met en évidence aucun déplacement horizontal significatif et où des amas très denses séparés par des zones quasiment stériles apparaissent clairement (fig. 13). Ce phénomène de dispersion est en accord avec les données recueillies sur des coulées de solifluxion actuelles (Texier et al. 1998), qui indiquent à la fois une translation vers l'aval et une “diffusion” du matériel expérimental déposé à la surface des coulées. L'hypothèse d'un remaniement important du niveau archéologique par la dynamique de versant en milieu périglaciaire rend donc bien compte des différentes observations effectuées sur le site. En raison du remaniement, toute lecture palethnologique de l'organisation spatiale des vestiges semble incertaine, au moins à l'échelle de surfaces restreintes; pour autant, il n'implique pas obligatoirement une perte de l'intégrité de l'assemblage lithique initial. En effet, dans la mesure où d'une part la solifluxion n'entraîne pas de tri longitudinal important des objets au cours des mouvements sur la pente, qu'il s'agit d'autre part d'un site de plein air dans lequel il est peu vraisemblable que de nombreuses occupations se soient succédées au même endroit (des mélanges d'industries sont donc improbables) et qu'enfin, la fouille a concerné une superficie importante (de 100 à 250 m2 pour chaque locus), on peut considérer que la plus grande partie du matériel archéologique qui composait le site originel nous soit parvenu. C'est ce que tendent à démontrer la présence de nombreux remontages au sein du niveau étudié. Ainsi, le taux de remontage atteint 37 % du total du matériel récolté sur le locus 3, valeur comparable à celle trouvée dans de nombreux sites d'habitats paléolithiques. D'après L. Detrain (Document Final de Synthèse, rapport non publié, INRAP Grand Sud-Ouest, 2002) From L. Detrain (Document Final de synthèse, unpublished report, INRAP Grand Sud-Ouest, 2002) Le site de Caminade est un vaste abri-sous-roche du Périgord (fig. 9) qui a été fouillé de 1953 à 1968 par B. Mortureux et D. de Sonneville-Bordes. La partie est du gisement a particulièrement retenu l'attention des fouilleurs qui y ont reconnu une séquence archéologique constituée de trois niveaux moustériens surmontés de deux niveaux d'Aurignacien ancien puis de deux niveaux d'Aurignacien récent (Sonneville-Bordes, 1969, 1970). Une recherche systématique de raccords entre les différents assemblages lithiques isolés lors de fouilles anciennes a montré l'impossibilité de séparer les deux niveaux d'Aurignacien ancien d'une part et les deux niveaux d'Aurignacien récent d'autre part (Bordes, 2000; Bordes et Lenoble, 2001). Une reprise des travaux a alors été entreprise pour discuter les processus de formation du site. Les niveaux aurignaciens sont interstratifiés dans des sables argileux massifs, interprétés comme des dépôts ruisselés à l'aval d'un cône colluvial qui pénètre dans l'abri sous roche. Le nombre élevé de vestiges mesurés (n = 171) dans la nappe archéologique supérieure (Aurignacien récent) permet d'observer en détail l'évolution de la fabrique en fonction de la stratigraphie. Le calcul des paramètres L et p sur des séries de 40 objets se succédant dans l'ordre stratigraphique met en évidence des variations importantes (fig. 14) : la fabrique est de type planaire à la base et au sommet de la nappe de vestiges, tandis qu'une orientation préférentielle apparaît dans la zone médiane. Ces variations démontrent que la constitution de la nappe, d'apparence homogène si l'on en juge d'après les projections verticales, ne correspond en réalité pas à un événement simple mais résulte d'une succession complexe de processus anthropiques et naturels. Au cours de la dernière décennie, de nombreux sites paléolithiques ont donné lieu à une étude contextuelle détaillée et d'abondantes données sur les fabriques ont été récoltées. Les figures 15 et 16 présentent les valeurs tirées de la base de données établie par P. Bertran, A. Lenoble et J.P. Texier (IPGQ, Talence). La lecture des diagrammes met en évidence les points suivants : 1) pour les sites pour lesquels aucune présomption de remaniement n'existe, comme Etiolles (amas sur pente faible ou nulle) ou Hope Estate (site précolombien des Petites Antilles), de même que pour les sites expérimentaux, les valeurs du paramètre r1 obtenu avec la Méthode des Valeurs Propres sont comprises entre 0 et 0,45 tandis que les valeurs de r2 sont entre 2 et 4. Sur un diagramme de Benn, les points représentatifs se placent à proximité du pôle fabrique planaire. L'aire définie par ces sites englobe également les valeurs obtenues au cours de l'expérience de Lenoble et Bordes (2001) sur des niveaux piétinés lorsque la pente est inférieure à 10°; 2) les sites inclus dans des dépôts soumis à des pédoturbations (retrait-gonflement des argiles, action de la flore et de la faune du sol) ont des fabriques plus désordonnées; sur un diagramme de Benn, leurs points représentatifs s'étirent en direction du pôle IS = 1 (fabrique isotrope). Ces mécanismes sont supposés n'avoir qu'un impact restreint sur la configuration spatiale initiale du niveau archéologique. La stratification peut être en revanche très perturbée; 3) l'action du ruissellement, si elle peut avoir de grandes conséquences sur la répartition spatiale des vestiges, ne modifie pas nécessairement la fabrique. Les différentes données obtenues montrent un grand étalement des valeurs à la fois en direction du pôle IS = 1 et du pôle EL = 1; les fabriques restent néanmoins plus ou moins nettement planaires. Les raisons de l'augmentation de l'isotropie restent en partie conjecturales; il est probable que dans de nombreux cas, d'autres mécanismes que le ruissellement, notamment des pédoturbations, soient intervenus dans l'enfouissement des niveaux analysés. Les valeurs de IS les plus basses (ou de r2 les plus élevées) proviennent du site badegoulien de Marsas (fouilles inédites I. Ortega, INRAP), dans la région de Blaye en Gironde, qui est inclus dans des sables éoliens repris par le ruissellement. On pense que de telles valeurs qui indiquent une position très à plat des vestiges (plus à plat que dans un site comme Etiolles) résultent d'un phénomène de résidualisation du niveau archéologique sur le versant par le ruissellement; 4) les phénomènes de transport en masse des vestiges, généralement par solifluxion pour les sites analysés, se traduisent par l'apparition d'une orientation préférentielle dans la pente, laquelle peut être faible et ne pas dépasser 3 à 4°. Sur un diagramme de Benn, tous les sites provenant de dépôts soliflués s'isolent très bien des autres niveaux analysés et se placent en direction du pôle EL =1 (fabrique linéaire). Ils correspondent à des niveaux du Paléolithique moyen et du Paléolithique supérieur ancien, c'est-à-dire à des niveaux dont la mise en place a précédé ou a été contemporaine des périodes les plus froides du Pléistocène. Dans notre échantillon, ce type de fabrique n'a en revanche pas été rencontré dans les sites postérieurs au dernier Maximum Glaciaire (Badegoulien, Magdalénien, Epipaléolithique, Mésolithique). Selon les cas, ce type de transport peut avoir occasionné des perturbations plus ou moins significatives des niveaux d'occupation. Bien que de nombreuses questions comme celle soulevée par l'analyse du site d'Etiolles restent encore en suspens et nécessitent que de nouveaux travaux leur soient consacrés, les progrès réalisés au cours de la dernière décennie dans l'analyse des fabriques, concernant l'exploitation statistique des mesures mais aussi la constitution d'un référentiel sur les différents mécanismes sédimentaires, en font une méthode très efficiente pour aborder le mode de constitution des niveaux archéologiques. Elle permet notamment de discriminer clairement les niveaux ayant subi des pédoturbations importantes ou un transport en masse par la solifluxion, cas fréquemment rencontré dans les sites paléolithiques européens contemporains de climats périglaciaires. Cependant, si elle a le mérite d'attirer l'attention sur un ou plusieurs mécanismes perturbateurs, cette méthode ne permet pas seule d'apporter des éléments précis sur le degré de remaniement ou sur l'intégrité d'un assemblage lithique. Elle doit pour cela être confrontée aux autres données géologiques et archéologiques, provenant de l'étude des remontages, de l'état de surface des pièces, de l'homogénéité des chaînes opératoires ou des assemblages d'outils. Le cas du site de Croix-de-Canard développé plus haut montre par exemple comment le croisement des différentes approches peut permettre de cerner assez précisément les processus de formation d'un niveau archéologique et de poser des limites à l'interprétation archéologique de l'assemblage lithique récolté. On peut souligner que pour le niveau moustérien du secteur 2 de ce site, les différentes données montrent qu'en dépit d'un remaniement important par des processus périglaciaires, l'homogénéité de l'assemblage lithique peut être admise avec un degré de confiance élevé. C'est vraisemblablement le cas pour de nombreux sites de plein air, dans lesquels les différentes occupations sont bien séparées en stratigraphie et dans l'espace. En revanche, c'est rarement le cas pour les sites en grotte ou en abri sous roche, dans lesquels de nombreuses phases d'occupation se sont succédées sur un même espace à des intervalles de temps relativement brefs et où activité anthropique et phénomènes géologiques postdépositionnels ont donné naissance à des palimpsestes difficilement déchiffrables. Peu d'études taphonomiques détaillées sont cependant disponibles pour ces sites, qui ont pour la majorité d'entre eux fait l'objet de fouilles anciennes. L'analyse des fabriques, que l'on peut pratiquer sur les objets visibles en coupe, peut constituer un moyen rapide pour proposer une première réévaluation de la signification des assemblages lithiques provenant de ces sites, eu égard à leur importance dans la définition des différentes cultures du Paléolithique .
Des progrès significatifs ont été réalisés au cours de la dernière décennie dans l'analyse des fabriques en contexte archéologique, c'est-à-dire dans l'analyse de l'orientation et du pendage du grand axe des objets. Ils concernent à la fois l'exploitation statistique des mesures, la constitution d'un référentiel sur les mécanismes sédimentaires naturels ainsi que l'accroissement du nombre de sites étudiés. Ces travaux montrent que les fabriques constituent un outil efficace pour aborder les processus de formation des niveaux paléolithiques. Elles permettent notamment de discriminer clairement les niveaux ayant subi des pédoturbations importantes dues à l'activité biologique et au retrait-gonflement des argiles ou les niveaux affectés par la solifluxion en contexte périglaciaire. Dans l'état actuel des connaissances, les fabriques utilisées seules ne permettent pas d'estimer réellement l'ampleur des perturbations et doivent pour cela être confrontées avec d'autres arguments archéologiques et géologiques.
archeologie_525-04-10237_tei_276.xml