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Les deux bonnes soeurs
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Les deux bonnes soeurs Titre : Les deux bonnes soeurs Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. La Débauche et la Mort sont deux aimables filles, Prodigues de baisers et riches de santé, Dont le flanc toujours vierge et drapé de guenilles Sous l'éternel labeur n'a jamais enfanté. Au poète sinistre, ennemi des familles, Favori de l'enfer, courtisan mal tenté, Tombeaux et lupanars montrent sous leurs charmilles Un lit que le remords n'a jamais fréquenté. Et la bière et l'alcôve en blasphèmes fécondes Nous offrent tour à tour, comme deux bonnes soeurs, De terribles plaisirs et d'affreuses douceurs. Quand veux-tu m'enterrer, Débauche aux bras immondes ? Ô Mort, quand viendras-tu, sa rivale en attraits, Sur ses myrtes infects enter tes noirs cyprès ?
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Ami, j'ai quitté vos fêtes
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Ami, j'ai quitté vos fêtes Titre : Ami, j'ai quitté vos fêtes Poète : Victor Hugo (1802-1885) Ami, j'ai quitté vos fêtes. Mon esprit, à demi-voix, Hors de tout ce que vous faites, Est appelé par les bois. J'irai, loin des murs de marbre, Tant que je pourrai marcher, Fraterniser avec l'arbre, La fauvette et le rocher. Je fuirai loin de la ville Tant que Dieu clément et doux Voudra me mettre un peu d'huile Entre les os des genoux. Ne va pas croire du reste Que, bucolique et hautain, J'exige, pour être agreste, Le vieux champ grec ou latin ; Ne crois pas que ma pensée, Vierge au soupir étouffé, Ne sachant où prendre Alcée, Se rabatte sur d'Urfé ; Ne crois pas que je demande L'Hémus où Virgile erra. Dans de la terre normande Mon églogue poussera. Pour mon vers, que l'air secoue, Les pommiers sont suffisants ; Et mes bergers, je l'avoue, Ami, sont des paysans. Mon idylle est ainsi faite ; Franche, elle n'a pas besoin D'avoir dans miel l'Hymète Et l'Arcadie en son foin. Elle chante, et se contente, Sur l'herbe où je viens m'asseoir, De l'haleine haletante Du boeuf qui rentre le soir. Elle n'est point misérable Et ne pense pas déchoir Parce qu'Alain, sous l'érable, Ôte à Toinon son mouchoir. Elle honore Théocrite ; Mais ne se fâche pas trop Que la fleur soit Marguerite Et que l'oiseau soit Pierrot. J'aime les murs pleins de fentes D'où sortent les liserons, Et les mouches triomphantes Qui soufflent dans leurs clairons. J'aime l'église et ses tombes, L'invalide et son bâton ; J'aime, autant que les colombes Qui jadis venaient, dit-on, Conter leurs métempsycoses À Terpandre dans Lesbos, Les petites filles roses Sortant du prêche en sabots. J'aime autant Sedaine et Jeanne Qu'Orphée et Pratérynnis. Le blé pousse, l'oiseau plane, Et les cieux sont infinis.
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Je ne vois pas pourquoi je ferais autre chose
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Je ne vois pas pourquoi je ferais autre chose Titre : Je ne vois pas pourquoi je ferais autre chose Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Toute la lyre (1888 et 1893). Je ne vois pas pourquoi je ferais autre chose Que de rêver sous l'arbre où le ramier se pose ; Les chars passent, j'entends grincer les durs essieux ; Quand les filles s'en vont laver à la fontaine, Elles prêtent l'oreille à ma chanson lointaine, Et moi je reste au fond des bois mystérieux, Parce que le hallier m'offre des fleurs sans nombre, Parce qu'il me suffit de voir voler dans l'ombre Mon chant vers les esprits et l'oiseau vers les cieux.
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À Mlle Fanny de P
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À Mlle Fanny de P Titre : À Mlle Fanny de P Poète : Victor Hugo (1802-1885) Ô vous que votre âge défend, Riez ! tout vous caresse encore. Jouez ! chantez ! soyez l'enfant ! Soyez la fleur ; soyez l'aurore ! Quant au destin, n'y songez pas. Le ciel est noir, la vie est sombre. Hélas ! que fait l'homme ici-bas ? Un peu de bruit dans beaucoup d'ombre. Le sort est dur, nous le voyons. Enfant ! souvent l'oeil plein de charmes Qui jette le plus de rayons Répand aussi le plus de larmes. Vous que rien ne vient éprouver, Vous avez tout, joie et délire, L'innocence qui fait rêver, L'ignorance qui fait sourire. Vous avez, lys sauvé des vents, Coeur occupé d'humbles chimères, Ce calme bonheur des enfants, Pur reflet du bonheur des mères. Votre candeur vous embellit. Je préfère à toute autre flamme Votre prunelle que remplit La clarté qui sort de votre âme. Pour vous ni soucis ni douleurs, La famille vous idolâtre. L'été, vous courez dans les fleurs ; L'hiver, vous jouez près de l'âtre. La poésie, esprit des cieux, Près de vous, enfant, s'est posée ; Votre mère l'a dans ses yeux, Votre père dans sa pensée. Profitez de ce temps si doux ! Vivez ! — La joie est vite absente ; Et les plus sombres d'entre nous Ont eu leur aube éblouissante. Comme on prie avant de partir, Laissez-moi vous bénir, jeune âme, — Ange qui serez un martyr ! Enfant qui serez une femme ! Février 1840.
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L'angélus du matin
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : L'angélus du matin Titre : L'angélus du matin Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Fauve avec des tons d'écarlate, Une aurore de fin d'été Tempétueusement éclate A l'horizon ensanglanté. La nuit rêveuse, bleue et bonne Pâlit, scintille et fond dans l'air, Et l'ouest dans l'ombre qui frissonne Se teinte au bord de rose clair. La plaine brille au loin et fume. Un oblique rayon venu Du soleil surgissant allume Le fleuve comme un sabre nu. Le bruit des choses réveillées Se marie aux brouillards légers Que les herbes et les feuillées Ont subitement dégagés. L'aspect vague du paysage S'accentue et change à foison. La silhouette d'un village Paraît. — Parfois une maison Illumine sa vitre et lance Un grand éclair qui va chercher L'ombre du bois plein de silence. Çà et là se dresse un clocher. Cependant, la lumière accrue Frappe dans les sillons les socs Et voici que claire, bourrue, Despotique, la voix des coqs Proclamant l'heure froide et grise Du pain mangé sans faim, des yeux Frottés que flagelle la bise Et du grincement des moyeux, Fait sortir des toits la fumée, Aboyer les chiens en fureur, Et par la pente accoutumée, Descendre le lourd laboureur, Tandis qu'un choeur de cloches dures Dans le grandissement du jour Monte, aubade franche d'injures, A l'adresse du Dieu d'amour !
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J'ai tout donné pour rien
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : J'ai tout donné pour rien Titre : J'ai tout donné pour rien Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Or çà, la belle fille, Ouvrez cette mantille ! C'est trop de cruauté ; Faites-nous cette joie Que pleinement on voie Toute votre beauté. Apprenez-le, mignonne, Quand le bon Dieu vous donne Un corps aussi parfait, C'est afin qu'on le sache, Et c'est péché qu'on cache Le présent qu'il a fait. Aime-moi, je suis riche Comme un joueur qui triche, Comme un juif usurier : On peut m'aimer sans honte, La couronne de comte Rayonne à mon cimier. Je suis, comme doit faire Tout fils de noble père, Les usages anciens : On m'encense à ma place ; Mon prêtre, avant la chasse, Dit la messe à mes chiens. J'ai de beaux équipages, Des valets et des pages À n'en savoir le nom : J'ai des vassaux sans nombre Qui vont baisant mon ombre Et portent mon pennon. Soupèse un peu, la belle, Cette lourde escarcelle, Hé bien, elle est à toi ! Je veux que ma maîtresse Fasse envie, en richesse, À la femme d'un roi. Tu rejettes mes offres ? Allons, vide tes coffres, Argentier de Satan ! Fais vite, ou je dépêche, Juif, ta carcasse sèche Au diable qui l'attend. Des robes qu'on déploie, De velours ou de soie, Quelle est celle à ton goût ? Ces riches pendeloques, Qu'entre les doigts tu choques, Prends, je te donne tout : Colliers dont chaque maille De cent couleurs s'émaille, Magnifiques habits, Beaux satins, fines toiles, Brocarts semés d'étoiles, Diamants et rubis ! Oui, pour t'avoir, la belle, Si tu fais la rebelle, J'engagerais mon bien... — Merci, mon gentilhomme, Reprenez votre somme, J'ai tout donné pour rien.
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La dure épreuve va finir
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : La dure épreuve va finir Titre : La dure épreuve va finir Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : La bonne chanson (1872). La dure épreuve va finir : Mon coeur, souris à l'avenir. Ils sont passés les jours d'alarmes Où j'étais triste jusqu'aux larmes. Ne suppute plus les instants, Mon âme, encore un peu de temps. J'ai tu les paroles amères Et banni les sombres chimères. Mes yeux exilés de la voir De par un douloureux devoir Mon oreille avide d'entendre Les notes d'or de sa voix tendre, Tout mon être et tout mon amour Acclament le bienheureux jour Où, seul rêve et seule pensée, Me reviendra la fiancée !
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À deux beaux yeux
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : À deux beaux yeux Titre : À deux beaux yeux Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : La comédie de la mort (1838). Vous avez un regard singulier et charmant ; Comme la lune au fond du lac qui la reflète, Votre prunelle, où brille une humide paillette, Au coin de vos doux yeux roule languissamment ; Ils semblent avoir pris ses feux au diamant ; Ils sont de plus belle eau qu'une perle parfaite, Et vos grands cils émus, de leur aile inquiète, Ne voilent qu'à demi leur vif rayonnement. Mille petits amours, à leur miroir de flamme, Se viennent regarder et s'y trouvent plus beaux, Et les désirs y vont rallumer leurs flambeaux. Ils sont si transparents, qu'ils laissent voir votre âme, Comme une fleur céleste au calice idéal Que l'on apercevrait à travers un cristal.
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Écrit en 1827
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Écrit en 1827 Titre : Écrit en 1827 Poète : Victor Hugo (1802-1885) I. Je suis triste quand je vois l'homme. Le vrai décroît dans les esprits. L'ombre qui jadis noya Rome Commence à submerger Paris. Les rois sournois, de peur des crises, Donnent aux peuples un calmant. Ils font des boîtes à surprises Qu'ils appellent charte et serment. Hélas ! nos anges sont vampires ; Notre albâtre vaut le charbon ; Et nos meilleurs seraient les pires D'un temps qui ne serait pas bon. Le juste ment, le sage intrigue ; Notre douceur, triste semblant, N'est que la peur de la fatigue Qu'on aurait d'être violent. Notre austérité frelatée N'admet ni Hampden ni Brutus ; Le syllogisme de l'athée Est à l'aise dans nos vertus. Sur l'honneur mort la honte flotte. On voit, prompt à prendre le pli, Se recomposer en ilote Le Spartiate démoli. Le ciel blêmit ; les fronts végètent ; Le pain du travailleur est noir ; Et des prêtres insulteurs jettent De la fange avec l'encensoir. C'est à peine, ô sombres années ! Si les yeux de l'homme obscurcis, L'aube et la raison condamnées, Obtiennent de l'ombre un sursis. Le passé règne ; il nous menace ; Le trône est son premier sujet ; Apre, il remet sa dent tenace Sur l'esprit humain qu'il rongeait. Le prince est bonhomme ; la rue Est pourtant sanglante. - Bravo ! Dit Dracon. - La royauté grue Monte sur le roi soliveau. Les actions sont des cloaques, Les consciences des égouts ; L'un vendrait la France aux cosaques, L'autre vendrait l'âme aux hiboux. La religion sombre emploie Pour le sang, la guerre et le fer, Les textes du ciel qu'elle ploie Au sens monstrueux de l'enfer. La renommée aux vents répète Des noms impurs soir et matin, Et l'on peut voir à sa trompette De la salive d'Arétin. La fortune, reine enivrée, De ce vieux Paris, notre aïeul, Lui met une telle livrée Qu'on préférerait le linceul. La victoire est une drôlesse ; Cette vivandière au flanc nu Rit de se voir mener en laisse Par le premier goujat venu. Point de Condés, des La Feuillades ; Mars et Vénus dans leur clapier ; Je n'admire point les oeillades De cette fille à ce troupier. Partout l'or sur la pourriture, L'idéal en proie aux moqueurs, Un abaissement de stature D'accord avec la nuit des coeurs. II. Mais tourne le dos, ma pensée ! Viens ; les bois sont d'aube empourprés Sois de la fête ; la rosée T'a promise à la fleur des prés. Quitte Paris pour la feuillée. Une haleine heureuse est dans l'air ; La vaste joie est réveillée ; Quelqu'un rit dans le grand ciel clair. Viens sous l'arbre aux voix étouffées, Viens dans les taillis pleins d'amour Où la nuit vont danser les fées Et les paysannes le jour. Viens, on t'attend dans la nature. Les martinets sont revenus ; L'eau veut te conter l'aventure Des bas ôtés et des pieds nus. C'est la grande orgie ingénue Des nids, des ruisseaux, des forêts, Des rochers, des fleurs, de la nue ; La rose a dit que tu viendrais. Quitte Paris. La plaine est verte ; Le ciel, cherché des yeux en pleurs, Au bord de sa fenêtre ouverte Met avril, ce vase de fleurs. L'aube a voulu, l'aube superbe, Que pour toi le champ s'animât. L'insecte est au bout du brin d'herbe Comme un matelot au grand mât. Que t'importe Fouché de Nantes Et le prince de Bénévent ! Les belles mouches bourdonnantes Emplissent l'azur et le vent. Je ne comprends plus tes murmures Et je me déclare content Puisque voilà les fraises mûres Et que l'iris sort de l'étang. III. Fuyons avec celle que j'aime. Paris trouble l'amour. Fuyons. Perdons-nous dans l'oubli suprême Des feuillages et des rayons. Les bois sont sacrés ; sur leurs cimes Resplendit le joyeux été ; Et les forêts sont des abîmes D'allégresse et de liberté. Toujours les coeurs les plus moroses Et les cerveaux les plus boudeurs Ont vu le bon côté des choses S'éclairer dans les profondeurs. Tout reluit ; le matin rougeoie ; L'eau brille ; on court dans le ravin ; La gaieté monte sur la joie Comme la mousse sur le vin. La tendresse sort des corolles ; Le rosier a l'air d'un amant. Comme on éclate en choses folles, Et comme on parle innocemment ! Ô fraîcheur du rire ! ombre pure ! Mystérieux apaisement ! Dans l'immense lueur obscure On s'emplit d'éblouissement. Adieu les vains soucis funèbres ! On ne se souvient que du beau. Si toute la vie est ténèbres, Toute la nature est flambeau. Qu'ailleurs la bassesse soit grande, Que l'homme soit vil et bourbeux, J'en souris, pourvu que j'entende Une clochette au cou des boeufs. Il est bien certain que les sources, Les arbres pleins de doux ébats, Les champs, sont les seules ressources Que l'âme humaine ait ici-bas. Ô solitude, tu m'accueilles Et tu m'instruis sous le ciel bleu ; Un petit oiseau sous les feuilles, Chantant, suffit à prouver Dieu.
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Lorsque l'enfant paraît
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Lorsque l'enfant paraît Titre : Lorsque l'enfant paraît Poète : Victor Hugo (1802-1885) Le toit s'égaie et rit. ANDRÉ CHÉNIER. Lorsque l'enfant paraît, le cercle de famille Applaudit à grands cris. Son doux regard qui brille Fait briller tous les yeux, Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être, Se dérident soudain à voir l'enfant paraître, Innocent et joyeux. Soit que juin ait verdi mon seuil, ou que novembre Fasse autour d'un grand feu vacillant dans la chambre Les chaises se toucher, Quand l'enfant vient, la joie arrive et nous éclaire. On rit, on se récrie, on l'appelle, et sa mère Tremble à le voir marcher. Quelquefois nous parlons, en remuant la flamme, De patrie et de Dieu, des poètes, de l'âme Qui s'élève en priant ; L'enfant paraît, adieu le ciel et la patrie Et les poètes saints ! la grave causerie S'arrête en souriant. La nuit, quand l'homme dort, quand l'esprit rêve, à l'heure Où l'on entend gémir, comme une voix qui pleure, L'onde entre les roseaux, Si l'aube tout à coup là-bas luit comme un phare, Sa clarté dans les champs éveille une fanfare De cloches et d'oiseaux. Enfant, vous êtes l'aube et mon âme est la plaine Qui des plus douces fleurs embaume son haleine Quand vous la respirez ; Mon âme est la forêt dont les sombres ramures S'emplissent pour vous seul de suaves murmures Et de rayons dorés ! Car vos beaux yeux sont pleins de douceurs infinies, Car vos petites mains, joyeuses et bénies, N'ont point mal fait encor ; Jamais vos jeunes pas n'ont touché notre fange, Tête sacrée ! enfant aux cheveux blonds ! bel ange À l'auréole d'or ! Vous êtes parmi nous la colombe de l'arche. Vos pieds tendres et purs n'ont point l'âge où l'on marche. Vos ailes sont d'azur. Sans le comprendre encor vous regardez le monde. Double virginité ! corps où rien n'est immonde, Âme où rien n'est impur ! Il est si beau, l'enfant, avec son doux sourire, Sa douce bonne foi, sa voix qui veut tout dire, Ses pleurs vite apaisés, Laissant errer sa vue étonnée et ravie, Offrant de toutes parts sa jeune âme à la vie Et sa bouche aux baisers ! Seigneur ! préservez-moi, préservez ceux que j'aime, Frères, parents, amis, et mes ennemis même Dans le mal triomphants, De jamais voir, Seigneur ! l'été sans fleurs vermeilles, La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles, La maison sans enfants ! Mai 1830.
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victor-hugo-poeme-lorsque-l-enfant-parait
Prière
René-François Sully Prudhomme (1839-1907)
Poésie : Prière Titre : Prière Poète : René-François Sully Prudhomme (1839-1907) Recueil : Les vaines tendresses (1875). Ah ! Si vous saviez comme on pleure De vivre seul et sans foyers, Quelquefois devant ma demeure Vous passeriez. Si vous saviez ce que fait naître Dans l'âme triste un pur regard, Vous regarderiez ma fenêtre Comme au hasard. Si vous saviez quel baume apporte Au cœur la présence d'un cœur, Vous vous assoiriez sous ma porte Comme une sœur. Si vous saviez que je vous aime, Surtout si vous saviez comment, Vous entreriez peut-être même Tout simplement.
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Nouvel amour
Alphonse Beauregard (1881-1924)
Poésie : Nouvel amour Titre : Nouvel amour Poète : Alphonse Beauregard (1881-1924) Comment savoir d'avance Si ce nouvel amour sera la vague immense Qui transportera l'âme ivre d'émotion, Jusqu'où s'annonce, enfin, la révélation, Ou s'il ira se perdre en fol espoir vivide, En trépignements dans le vide ? À sa famille de pensées Une femme nous présenta ; Ravi, nous avons dit, en phrases nuancées, Vers quel bonheur tendaient nos pas. Un soir de clair de lune, Un moment de tendresse et de rêve charnel, Où le monde paraît simple et presque irréel, Cette femme devient la grisante fortune Que notre désir appelait. Le songe autour de nous danse un pas de ballet. Tout à coup transparaît en l'aimée une tache Qui nous hallucine, grandit, Éclipse ses vertus et cache Son charme de jadis. Et parce que la dissemblance Inéluctable entre les cœurs, Avança par hasard son jour de délivrance, Le bel amour nouveau se meurt.
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C'est une émotion étrange
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : C'est une émotion étrange Titre : C'est une émotion étrange Poète : Victor Hugo (1802-1885) C'est une émotion étrange pour mon âme De voir l'enfant, encor dans les bras de la femme, Fleur ignorant l'hiver, ange ignorant Satan, Secouant un hochet devant Léviathan, Approcher doucement la nature terrible. Les beaux séraphins bleus qui passent dans la bible, Envolés d'on ne sait quel ciel mystérieux, N'ont pas une plus pure aurore dans les yeux Et n'ont pas sur le front une plus sainte flamme Que l'enfant innocent riant au monstre infâme. Ciel noir ! Quel vaste cri que le rugissement ! Quand la bête, âme aveugle et visage écumant, Lance au loin, n'importe où, dans l'étendue hostile Sa voix lugubre, ainsi qu'un sombre projectile, C'est tout le gouffre affreux des forces sans clarté Qui hurle ; c'est l'obscène et sauvage Astarté, C'est la nature abjecte et maudite qui gronde ; C'est Némée, et Stymphale, et l'Afrique profonde C'est le féroce Atlas, c'est l'Athos plus hanté Par les foudres qu'un lac par les mouches d'été ; C'est Lerne, Pélion, Ossa, c'est Érymanthe, C'est Calydon funeste et noir, qui se lamente. L'enfant regarde l'ombre où sont les lions roux. La bête grince ; à qui s'adresse ce courroux ? L'enfant jase ; sait-on qui les enfants appellent ? Les deux voix, la tragique et la douce se mêlent L'enfant est l'espérance et la bête est la faim ; Et tous deux sont l'attente ; il gazouille sans fin Et chante, et l'animal écume sans relâche ; Ils ont chacun en eux un mystère qui tâche De dire ce qu'il sait et d'avoir ce qu'il veut Leur langue est prise et cherche à dénouer le nœud. Se parlent-ils ? Chacun fait son essai, l'un triste L'autre charmant ; l'enfant joyeusement existe ; Quoique devant lui l'Être effrayant soit debout Il a sa mère, il a sa nourrice, il a tout ; Il rit. De quelle nuit sortent ces deux ébauches ? L'une sort de l'azur ; l'autre de ces débauches, De ces accouplements du nain et du géant, De ce hideux baiser de l'abîme au néant Qu'un nomme le chaos. Oui, cette cave immonde, Dont le soupirail blême apparaît sous le monde, Le chaos, ces chocs noirs, ces danses d'ouragans, Les éléments gâtés et devenus brigands Et changés en fléaux dans le cloaque immense, Le rut universel épousant la démence, La fécondation de Tout produisant Rien, Cet engloutissement du vrai, du beau, du bien, Qu'Orphée appelle Hadès, qu'Homère appelle Érèbe, Et qui rend fixe l'oeil fatal des sphinx de Thèbe, C'est cela, c'est la folle et mauvaise action Qu'en faisant le chaos fit la création, C'est l'attaque de l'ombre au soleil vénérable, C'est la convulsion du gouffre misérable Essayant d'opposer l'informe à l'idéal, C'est Tisiphone offrant son ventre à Bélial, C'est cet ensemble obscur de forces échappées Où les éclairs font rage et tirent leurs épées, Où périrent Janus, l'âge d'or et Rhéa, Qui, si nous en croyons les mages, procréa L'animal ; et la bête affreuse fut rugie Et vomie au milieu des nuits par cette orgie. C'est de là que nous vient le monstre inquiétant. L'enfant, lui, pur songeur rassurant et content, Est l'autre énigme ; il sort de l'obscurité bleue. Tous les petits oiseaux, mésange, hochequeue, Fauvette, passereau, bavards aux fraîches voix, Sont ses frères, tandis que ces marmots des bois Sentent pousser leur aile, il sent croître son âme Des azurs embaumés de myrrhe et de cinname, Des entre-croisements de fleurs et de rayons, Ces éblouissements sacrés que nous voyons Dans nos profonds sommeils quand nous sommes des justes, Un pêle-mêle obscur de branchages augustes Dont les anges au vol divin sont les oiseaux, Une lueur pareille au clair reflet des eaux Quand, le soir, dans l'étang les arbres se renversent, Des lys vivants, un ciel qui rit, des chants qui bercent, Voilà ce que l'enfant, rose, a derrière lui. Il s'éveille ici-bas, vaguement ébloui ; Il vient de voir l'Eden et Dieu ; rien ne l'effraie, Il ne croit pas au mal ; ni le loup, ni l'orfraie, Ni le tigre, démon taché, ni ce trompeur, Le renard, ne le font trembler ; il n'a pas peur, Il chante ; et quoi de plus touchant pour la pensée Que cette confiance au paradis, poussée Jusqu'à venir tout près sourire au sombre enfer ! Quel ange que l'enfant ! Tout, le mal, sombre mer, Les hydres qu'en leurs flots roulent les vils avernes, Les griffes, ces forêts, les gueules, ces cavernes, Les cris, les hurlements, les râles, les abois, Les rauques visions, la fauve horreur des bois, Tout, Satan, et sa morne et féroce puissance, S'évanouit au fond du bleu de l'innocence ! C'est beau. Voir Caliban et rester Ariel ! Avoir dans son humble âme un si merveilleux ciel Que l'apparition indignée et sauvage Des êtres de la nuit n'y fasse aucun ravage, Et se sentir si plein de lumière et si doux Que leur souffle n'éteigne aucune étoile en vous ! Et je rêve. Et je crois entendre un dialogue Entre la tragédie effroyable et l'églogue ; D'un côté l'épouvante, et de l'autre l'amour ; Dans l'une ni dans l'autre il ne fait encor jour ; L'enfant semble vouloir expliquer quelque chose ; La bête gronde, et, monstre incliné sur la rose, Écoute... — Et qui pourrait comprendre, ô firmament, Ce que le bégaiement dit au rugissement ? Quel que soit le secret, tout se dresse et médite, La fleur bénie ainsi que l'épine maudite ; Tout devient attentif ; tout tressaille ; un frisson Agite l'air, le flot, la branche, le buisson, Et dans les clairs-obscurs et dans les crépuscules, Dans cette ombre où jadis combattaient les Hercules, Où les Bellérophons s'envolaient, où planait L'immense Amos criant : Un nouveau monde naît ! On sent on ne sait quelle émotion sacrée, Et c'est, pour la nature où l'éternel Dieu crée, C'est pour tout le mystère un attendrissement Comme si l'on voyait l'aube au rayon calmant S'ébaucher par-dessus d'informes promontoires, Quand l'âme blanche vient parler aux âmes noires.
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Le balcon sur la mer
Auguste Angellier (1848-1911)
Poésie : Le balcon sur la mer Titre : Le balcon sur la mer Poète : Auguste Angellier (1848-1911) Ma demeure est bâtie au bord de la mer grise ; Les grèbes, les pétrels et les blanches mouettes Entrecoupent leurs vols parmi ses girouettes Dont les flèches de fer criaillent dans la bise ; Du côté de la mer, le lichen la recouvre ; Un lierre la revêt du côté de la terre ; De ma porte je vois la lande âpre et sévère ; Mais c'est sur les grands flots que ma fenêtre s'ouvre. Si parfois je regarde, un bref instant, l'espace Parsemé de dolmens, dominé de calvaires, Où, parmi les genêts sans fin et les bruyères, Çà et là un bosquet de chênes se ramasse ; Si j'écoute, un instant, le son faible des cloches Arriver jusqu'à moi d'un village invisible, Aux jours de brume douce où la mer plus paisible A suspendu son bruit farouche entre les roches ; Je passe de longs jours et les nuits presque entières, Appuyée au balcon d'où j'aperçois la houle, Dont l'ondulation sans repos se déroule, Sous des nuages lourds ou des clartés légères. Je vois l'âpre combat des vents contre les lames, Les vagues se dresser, se courber et reluire, Les courants d'un vert pâle où de l'argent s'étire, Et des flots gris jouant avec des flots de flammes ; J'écoute une musique incessante et profonde, Les lents soupirs traînant et mourant sur la grève, Le courroux que le choc des falaises soulève, Et l'émoi dont la mer enveloppe le monde. Et surtout je regarde, à l'horizon, les voiles Qui passent en rayant le ciel de leurs cordages, Ô voiles, rentrez-vous de vos lointains voyages ? Cinglez-vous vers des cieux semés d'autres étoiles ? Et, toujours appuyée au balcon solitaire, Mon cœur vit dans la brume où l'horizon expire, Car celui que j'attends partit sur un navire, Et ne reviendra pas du côté de la terre.
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Adieu à Graziella
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Adieu à Graziella Titre : Adieu à Graziella Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Adieu ! mot qu'une larme humecte sur la lèvre ; Mot qui finit la joie et qui tranche l'amour ; Mot par qui le départ de délices nous sèvre ; Mot que l'éternité doit effacer un jour ! Adieu !.... Je t'ai souvent prononcé dans ma vie, Sans comprendre, en quittant les êtres que j'aimais, Ce que tu contenais de tristesse et de lie, Quand l'homme dit : "Retour !" et que Dieu dit : "Jamais !" Mais aujourd'hui je sens que ma bouche prononce Le mot qui contient tout, puisqu'il est plein de toi, Qui tombe dans l'abîme, et qui n'a pour réponse Que l'éternel silence entre une image et moi ! Et cependant mon coeur redit à chaque haleine Ce mot qu'un sourd sanglot entrecoupe au milieu, Comme si tous les sons dont la nature est pleine N'avaient pour sens unique, hélas ! qu'un grand adieu !
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À Léon Valade
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : À Léon Valade Titre : À Léon Valade Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Amour (1888). Douze longs ans ont lui depuis les jours si courts Où le même devoir nous tenait côte à côte ! Hélas ! les passions dont mon cœur s'est fait l'hôte Furieux ont troublé ma paix de ces bons jours ; Et j'ai couru bien loin de nos calmes séjours Au pourchas du Bonheur, ne trouvant que la Faute ; Le vaste monde autour de ma fuite trop haute Fondait en vains aspects, ronflait en vains discours... — L'Orgueil, fol hippogriffe, a replié ses ailes ; Un cœur nouveau fleurit au feu des humbles zèles Dans mon sein visité par la foudre de Dieu. Mais l'antique amitié, simple, joyeuse, exacte, Pendant tout mon désastre, à toute heure, en tout lieu, — J'en suis fier, mon Valade, — entre nous tint ce pacte.
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Quand le ciel bas et lourd
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Quand le ciel bas et lourd Titre : Quand le ciel bas et lourd Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis, Et que de l'horizon embrassant tout le cercle Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ; Quand la terre est changée en un cachot humide, Où l'Espérance, comme une chauve-souris, S'en va battant les murs de son aile timide Et se cognant la tête à des plafonds pourris ; Quand la pluie étalant ses immenses traînées D'une vaste prison imite les barreaux, Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux, Des cloches tout à coup sautent avec furie Et lancent vers le ciel un affreux hurlement, Ainsi que des esprits errants et sans patrie Qui se mettent à geindre opiniâtrement. - Et de longs corbillards, sans tambours ni musique, Défilent lentement dans mon âme ; l'Espoir, Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique, Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.
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Parti-pris
Louis Aragon (1897-1982)
Poésie : Parti-pris Titre : Parti-pris Poète : Louis Aragon (1897-1982) Recueil : Feu de joie (1920). Je danse au milieu des miracles Mille soleils peints sur le sol Mille amis Mille yeux ou monocles M'illuminent de leurs regards Pleurs du pétrole sur la route Sang perdu depuis les hangars Je saute ainsi d'un jour à l'autre Rond polychrome et plus joli Qu'un paillasson de tir ou l'âtre Quand la flamme est couleur du vent Vie ô paisible automobile Et le joyeux péril de courir au devant Je brûlerai du feu des phares.
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Amour secret
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Amour secret Titre : Amour secret Poète : Victor Hugo (1802-1885) Ô toi d'où me vient ma pensée, Sois fière devant le Seigneur ! Relève ta tête abaissée, Ô toi d'où me vient mon bonheur ! Quand je traverse cette lieue Qui nous sépare, au sein des nuits, Ta patrie étoilée et bleue Rayonne à mes yeux éblouis. C'est l'heure où cent lampes en flammes Brillent aux célestes plafonds ; L'heure où les astres et les âmes Échangent des regards profonds. Je sonde alors ta destinée, Je songe à toi, qui viens des cieux, A toi, grande âme emprisonnée, A toi, grand coeur mystérieux ! Noble femme, reine asservie, Je rêve à ce sort envieux Qui met tant d'ombre dans ta vie, Tant de lumière dans tes yeux Moi, je te connais tout entière Et je te contemple à genoux ; Mais autour de tant de lumière Pourquoi tant d'ombre, ô sort jaloux ? Dieu lui donna tout, hors l'aumône Qu'il fait à tous dans sa bonté ; Le ciel qui lui devait un trône Lui refusa la liberté. Oui, ton aile, que le bocage, Que l'air joyeux réclame en vain, Se brise aux barreaux d'une cage, Pauvre grande âme, oiseau divin ! Bel ange, un joug te tient captive, Cent préjugés sont ta prison, Et ton attitude pensive, Hélas, attriste ta maison. Tu te sens prise par le monde Qui t'épie, injuste et mauvais. Dans ton amertume profonde Souvent tu dis : si je pouvais ! Mais l'amour en secret te donne Ce qu'il a de pur et de beau, Et son invisible couronne, Et son invisible flambeau ! Flambeau qui se cache à l'envie, Qui luit, splendide et clandestin, Et qui n'éclaire de la vie Que l'intérieur du destin. L'amour te donne, ô douce femme, Ces plaisirs où rien n'est amer, Et ces regards où toute l'âme Apparaît dans un seul éclair, Et le sourire, et la caresse, L'entretien furtif et charmant, Et la mélancolique ivresse D'un ineffable épanchement, Et les traits chéris d'un visage, Ombre qu'on aime et qui vous suit, Qu'on voit le jour dans le nuage, Qu'on voit dans le rêve la nuit, Et les extases solitaires, Quand tous deux nous nous asseyons Sous les rameaux pleins de mystères Au fond des bois pleins de rayons ; Purs transports que la foule ignore, Et qui font qu'on a d'heureux jours Tant qu'on peut espérer encore Ce dont on se souvient toujours. Va, sèche ton bel oeil qui pleure, Ton sort n'est pas déshérité. Ta part est encor la meilleure, Ne te plains pas, ô ma beauté ! Ce qui manque est bien peu de chose Quand on est au printemps vermeil, Et quand on vit comme la rose De parfums, d'ombre et de soleil. Laisse donc, ô ma douce muse, Sans le regretter un seul jour, Ce que le destin te refuse Pour ce que te donne l'amour !
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À dos d'éléphant
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À dos d'éléphant Titre : À dos d'éléphant Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Toute la lyre (1888 et 1893). Supposez Goliath mené par Myrmidon. Le cornac est tout jeune et la bête est énorme. Le palanquin tremblant par instant se déforme Et vous cahote au point de vous estropier Sous ses rideaux de cuir et son toit de papier. Un monstre n'a pas moins de roulis qu'un navire ; Comme un vaisseau chancelle un éléphant chavire, Et vous avez le mal de mer sur Béhémoth. Le cornac, nain pensif, conseille à demi-mot Le colosse, et le monstre écoute et ne se trompe Sur rien, ni sur le gué qu'il sonde avec sa trompe, Ni sur la route à suivre, et jamais l'éléphant N'a peur, pourvu qu'il soit conduit par un enfant.
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Franciscæ meæ laudes
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Franciscæ meæ laudes Titre : Franciscæ meæ laudes Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Novis te cantabo chordis, O novelletum quod ludis In solitudine cordis. Esto sertis implicata, Ô femina delicata Per quam solvuntur peccata ! Sicut beneficum Lethe, Hauriam oscula de te, Quae imbuta es magnete. Quum vitiorum tempegtas Turbabat omnes semitas, Apparuisti, Deitas, Velut stella salutaris In naufragiis amaris... Suspendam cor tuis aris ! Piscina plena virtutis, Fons æternæ juventutis Labris vocem redde mutis ! Quod erat spurcum, cremasti ; Quod rudius, exaequasti ; Quod debile, confirmasti. In fame mea taberna In nocte mea lucerna, Recte me semper guberna. Adde nunc vires viribus, Dulce balneum suavibus Unguentatum odoribus ! Meos circa lumbos mica, O castitatis lorica, Aqua tincta seraphica ; Patera gemmis corusca, Panis salsus, mollis esca, Divinum vinum, Francisca !
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Magie, ou délivrance d'amour
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Magie, ou délivrance d'amour Titre : Magie, ou délivrance d'amour Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Ode XXIX. Sans avoir lien qui m'estraigne, Sans cordons, ceinture ny nouds, Et sans jartiere à mes genous Je vien dessus ceste montaigne, Afin qu'autant soit relasché Mon cœur d'amoureuses tortures, Comme de nœuds et de ceintures Mon corps est franc et détaché. Demons, seigneurs de ceste terre, Volez en troupe à mon secours, Combattez pour moi les Amours : Contre eux je ne veux plus de guerre. Vents qui soufflez par ceste plaine, Et vous, Seine, qui promenez Vos flots par ces champs, emmenez En l'Océan noyer ma peine. Va-t'en habiter tes Cytheres, Ton Paphos, Prince idalien : Icy pour rompre ton lien Je n ay besoin de tes mysteres. Anterot, preste-moy la main, Enfonce tes fleches diverses ; II faut que pour moy tu renverses Cet ennemy du genre humain. Je te pry, grand Dieu, ne m'oublie ! Sus, page, verse à mon costé Le sac que tu as apporté, Pour me guarir de ma folie ! Brusle du soufre et de l'encens. Comme en l'air je voy consommée Leur vapeur, se puisse en fumée Consommer le mal que je sens ! Verse-moy l'eau de ceste esguiere ; Et comme à bas tu la respans, Qu'ainsi coule en ceste riviere L'amour, duquel je me répans. Ne tourne plus ce devideau : Comme soudain son cours s'arreste, Ainsi la fureur de ma teste Ne tourne plus en mon cerveau. Laisse dans ce geniévre prendre Un feu s'enfumant peu à peu : Amour ! je ne veux plus de feu, Je ne veux plus que de la cendre. Vien viste, enlasse-moy le flanc, Non de thym ny de marjolaine, Mais bien d'armoise et de vervaine, Pour mieux me rafraischir le sang. Verse du sel en ceste place : Comme il est infertile, ainsi L'engeance du cruel soucy Ne couve en mon cœur plus de race. Romps devant moy tous ses presens, Cheveux, gands, chifres, escriture, Romps ses lettres et sa peinture, Et jette les morceaux aux vens. Vien donc, ouvre-moy ceste cage, Et laisse vivre en libertez Ces pauvres oiseaux arrestez, Ainsi que j'estois en servage. Passereaux, volez à plaisir ; De ma cage je vous delivre, Comme desormais je veux vivre Au gré de mon premier desir. Vole, ma douce tourterelle, Le vray symbole de l'amour ; Je ne veux plus ni nuit ni jour Entendre ta plainte fidelle. Pigeon, comme tout à l'entour Ton corps emplumé je desplume, Puissé-je, en ce feu que j allume, Déplumer les ailes d'Amour ; Je veux à la façon antique Bastir un temple de cyprès, Où d'Amour je rompray les traits Dessus l'autel anterotique. Vivant il ne faut plus mourir, Il faut du cœur s'oster la playe : Dix lustres veulent que j'essaye Le remede de me guarir. Adieu, Amour, adieu tes flames, Adieu ta douceur, ta rigueur, Et bref, adieu toutes les dames Qui m'ont jadis bruslé le cœur. Adieu le mont Valerien, Montagne par Venus nommée, Quand Francus conduit son armée Dessus le bord Parisien.
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Les parfums
Albert Mérat (1840-1909)
Poésie : Les parfums Titre : Les parfums Poète : Albert Mérat (1840-1909) Recueil : Les chimères (1866). La moisson sent le pain : la terre boulangère Se trahit dans ses lourds épis aux grains roussis, Et caresse au parfum de ses chaumes durcis L'odorat du poète et de la ménagère. La tête dans l'air bleu, les pieds dans la fougère, Les bois sont embaumés d'un arôme indécis. La mer souffle, en mourant sur les rochers noircis, Son haleine salubre et sa vapeur légère. L'Océan, la moisson jaune, les arbres verts, Voilà les bons et grands parfums de l'univers ; Et l'on doute lequel est le parfum suprême. J'oubliais les cheveux, tissu fragile et blond, Qu'on déroule et qu'on fait ruisseler tout du long, Tout du long des reins blancs de la femme qu'on aime.
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À Don Quichotte
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : À Don Quichotte Titre : À Don Quichotte Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Premiers vers (1864). Ô Don Quichotte, vieux paladin, grand Bohème, En vain la foule absurde et vile rit de toi : Ta mort fut un martyre et ta vie un poème, Et les moulins à vent avaient tort, ô mon roi ! Va toujours, va toujours, protégé par ta foi, Monté sur ton coursier fantastique que j'aime. Glaneur sublime, va ! ― les oublis de la loi Sont plus nombreux, plus grands qu'au temps jadis lui-même. Hurrah ! nous te suivons, nous, les poètes saints Aux cheveux de folie et de verveine ceints. Conduis-nous à l'assaut des hautes fantaisies, Et bientôt, en dépit de toute trahison, Flottera l'étendard ailé des Poésies Sur le crâne chenu de l'inepte raison !
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Prière
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Prière Titre : Prière Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Poèmes divers. Me voici devant Vous, contrit comme il le faut. Je sais tout le malheur d'avoir perdu la voie Et je n'ai plus d'espoir, et je n'ai plus de joie Qu'en une en qui je crois chastement, et qui vaut A mes yeux mieux que tout, et l'espoir et la joie. Elle est bonne, elle me connaît depuis des ans. Nous eûmes des jours noirs, amers, jaloux, coupables, Mais nous allions sans trêve aux fins inéluctables, Balancés, ballottés, en proie à tous jusants Sur la mer où luisaient les astres favorables : Franchise, lassitude affreuse du péché Sans esprit de retour, et pardons l'un à l'autre... Or, ce commencement de paix n'est-il point vôtre, Jésus, qui vous plaisez au repentir caché ? Exaucez notre voeu qui n'est plus que le vôtre.
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Le nuage
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Le nuage Titre : Le nuage Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : La comédie de la mort (1838). Dans son jardin la sultane se baigne, Elle a quitté son dernier vêtement ; Et délivrés des morsures du peigne, Ses grands cheveux baisent son dos charmant. Par son vitrail le sultan la regarde, Et caressant sa barbe avec sa main, Il dit : « L’eunuque en sa tour fait la garde, Et nul, hors moi, ne la voit dans son bain. « — Moi, je la vois, lui répond, chose étrange ! Sur l’arc du ciel un nuage accoudé ; Je vois son sein vermeil comme l’orange Et son beau corps de perles inondé. » Ahmed devint blême comme la lune, Prit son kandjar au manche ciselé, Et poignarda sa favorite brune... Quant au nuage, il s’était envolé !
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À ceux qui dorment
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À ceux qui dorment Titre : À ceux qui dorment Poète : Victor Hugo (1802-1885) Réveillez-vous, assez de honte ! Bravez boulets et biscayens. Il est temps qu'enfin le flot monte. Assez de honte, citoyens ! Troussez les manches de la blouse. Les hommes de quatre-vingt-douze Affrontaient vingt rois combattants. Brisez vos fers, forcez vos geôles ! Quoi ! vous avez peur de ces drôles ! Vos pères bravaient les titans ! Levez-vous ! foudroyez et la horde et le maître ! Vous avez Dieu pour vous et contre vous le prêtre Dieu seul est souverain. Devant lui nul n'est fort et tous sont périssables. Il chasse comme un chien le grand tigre des sables Et le dragon marin ; Rien qu'en soufflant dessus, comme un oiseau d'un arbre, Il peut faire envoler de leur temple de marbre Les idoles d'airain. Vous n'êtes pas armés ? qu'importe ! Prends ta fourche, prends ton marteau ! Arrache le gond de ta porte, Emplis de pierres ton manteau ! Et poussez le cri d'espérance ! Redevenez la grande France ! Redevenez le grand Paris ! Délivrez, frémissants de rage, Votre pays de l'esclavage, Votre mémoire du mépris ! Quoi ! faut-il vous citer les royalistes même ? On était grand aux jours de la lutte suprême. Alors, que voyait-on ? La bravoure, ajoutant à l'homme une coudée, Etait dans les deux camps. N'est-il pas vrai, Vendée, Ô dur pays breton ? Pour vaincre un bastion, pour rompre une muraille, Pour prendre cent canons vomissant la mitraille. Il suffit d'un bâton ! Si dans ce cloaque ou demeure, Si cela dure encore un jour, Si cela dure encore une heure, Je brise clairon et tambour, Je flétris ces pusillanimes, Ô vieux peuple des jours sublimes, Géants à qui nous les mêlions, Je les laisse trembler leurs fièvres, Et je déclare que ces lièvres Ne sont pas vos fils, ô lions ! Jersey, le 15 janvier 1853.
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La douleur du pacha
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : La douleur du pacha Titre : La douleur du pacha Poète : Victor Hugo (1802-1885) — Qu'a donc l'ombre d'Allah ? disait l'humble derviche ; Son aumône est bien pauvre et son trésor bien riche ! Sombre, immobile, avare, il rit d'un rire amer. A-t-il donc ébréché le sabre de son père ? Ou bien de ses soldats autour de son repaire Vu rugir l'orageuse mer ? — Qu'a-t-il donc le pacha, le vizir des armées ? Disaient les bombardiers, leurs mèches allumées. Les imans troublent-ils cette tête de fer ? A-t-il du ramadan rompu le jeûne austère ? Lui font-ils voir en rêve, aux bornes de la terre, L'ange Azraël debout sur le pont de l'enfer ? — Qu'a-t-il donc ? murmuraient les icoglans stupides. Dit-on qu'il ait perdu, dans les courants rapides, Le vaisseau des parfums qui le font rajeunir ? Trouve-t-on à Stamboul sa gloire assez ancienne ? Dans les prédictions de quelque égyptienne A-t-il vu le muet venir ? — Qu'a donc le doux sultan ? demandaient les sultanes. A-t-il avec son fils surpris sous les platanes Sa brune favorite aux lèvres de corail ? A-t-on souillé son bain d'une essence grossière ? Dans le sac du fellah, vidé sur la poussière, Manque-t-il quelque tête attendue au sérail ? — Qu'a donc le maître ? — Ainsi s'agitent les esclaves. Tous se trompent. Hélas ! si, perdu pour ses braves, Assis, comme un guerrier qui dévore un affront, Courbé comme un vieillard sous le poids des années, Depuis trois longues nuits et trois longues journées, Il croise ses mains sur son front ; Ce n'est pas qu'il ait vu la révolte infidèle, Assiégeant son harem comme une citadelle, Jeter jusqu'à sa couche un sinistre brandon ; Ni d'un père en sa main s'émousser le vieux glaive ; Ni paraître Azraël ; ni passer dans un rêve Les muets bigarrés armés du noir cordon. Hélas ! l'ombre d'Allah n'a pas rompu le jeûne ; La sultane est gardée, et son fils est trop jeune ; Nul vaisseau n'a subi d'orages importuns ; Le tartare avait bien sa charge accoutumée ; Il ne manque au sérail, solitude embaumée, Ni les têtes ni les parfums. Ce ne sont pas non plus les villes écroulées, Les ossements humains noircissant les vallées, La Grèce incendiée, en proie aux fils d'Omar, L'orphelin, ni la veuve, et les plaintes amères, Ni l'enfance égorgée aux yeux des pauvres mères, Ni la virginité marchandée au bazar ; Non, non, ce ne sont pas ces figures funèbres, Qui, d'un rayon sanglant luisant dans les ténèbres, En passant dans son âme ont laissé le remord. Qu'a-t-il donc ce pacha, que la guerre réclame, Et qui, triste et rêveur, pleure comme une femme ?... Son tigre de Nubie est mort. Le 1er décembre 1827.
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L'habitude
Auguste Angellier (1848-1911)
Poésie : L'habitude Titre : L'habitude Poète : Auguste Angellier (1848-1911) À Léon Chailley. La tranquille Habitude aux mains silencieuses Panse, de jour en jour, nos plus grandes blessures ; Elle met sur nos cœurs ses bandelettes sûres Et leur verse sans fin ses huiles oublieuses ; Les plus nobles chagrins, qui voudraient se défendre, Désireux de durer pour l'amour qu'ils contiennent, Sentent le besoin cher et dont ils s'entretiennent Devenir, malgré eux, moins farouche et plus tendre ; Et, chaque jour, les mains endormeuses et douces, Les insensibles mains de la lente Habitude, Resserrent un peu plus l'étrange quiétude Où le mal assoupi se soumet et s'émousse ; Et du même toucher dont elle endort la peine, Du même frôlement délicat qui repasse Toujours, elle délustre, elle éteint, elle efface, Comme un reflet, dans un miroir, sous une haleine, Les gestes, le sourire et le visage même Dont la présence était divine et meurtrière ; Ils pâlissent couverts d'une fine poussière ; La source des regrets devient voilée et blême. A chaque heure apaisant la souffrance amollie, Otant de leur éclat aux voluptés perdues, Elle rapproche ainsi de ses mains assidues, Le passé du présent, et les réconcilie ; La douleur s'amoindrit pour de moindres délices ; La blessure adoucie et calme se referme ; Et les hauts désespoirs, qui se voulaient sans terme, Se sentent lentement changés en cicatrices ; Et celui qui chérit sa sombre inquiétude. Qui verserait des pleurs sur sa douleur dissoute, Plus que tous les tourments et les cris vous redoute, Silencieuses mains de la lente Habitude.
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À mon retour
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : À mon retour Titre : À mon retour Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Amours diverses (1578). À mon retour (eh ! je m'en désespère), Tu m'as reçu d'un baiser tout glacé, Froid, sans saveur, baiser d'un trépassé, Tel que Diane en donnait à son frère, Tel qu'un fille en donne à sa grand-mère, La fiancée en donne au fiancé, Ni savoureux, ni moiteux (1), ni pressé : Eh quoi, ma lèvre est-elle si amère ? Ah ! tu devrais imiter les pigeons, Qui bec en bec de baisers doux et longs Se font l'amour sur le haut d'une souche Je te supplie, maîtresse, désormais Ou baise-moi la saveur en la bouche, Ou bien du tout ne me baise jamais. 1. Moiteux : Humide. 2. Souche : Branche.
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Prudence
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Prudence Titre : Prudence Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Contrition parfaite, Les anges sont en fêtes Mieux d'un pêcheur contrit que d'un juste qui meurt. Bon propos, la victoire Préparée et la gloire Presque déjà dans l'au-delà sans choc ni heurt. Absolution sainte Savourée avec crainte D'en être indigne encor, d'en peut-être abuser. Rentrée emmi le monde Et son horreur profonde Avec un cœur d'amour qui ne sait biaiser, Car c’est l’amour divine Qui prévoit et devine Les pièges, le manège et les tours du Péché. Garde à toi tout de même, Gare au trompeur suprême, Chrétien certes fidèle encore qu'empêché Par l'extase première D'avoir vu la Lumière, Et les yeux éblouis et tous les sens tremblants. Ô chrétien nouveau, prie A la Vierge Marie, Et marche vers la bonne mort à pas bien lents.
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Remords posthume
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Remords posthume Titre : Remords posthume Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Lorsque tu dormiras, ma belle ténébreuse, Au fond d'un monument construit en marbre noir, Et lorsque tu n'auras pour alcôve et manoir Qu'un caveau pluvieux et qu'une fosse creuse ; Quand la pierre, opprimant ta poitrine peureuse Et tes flancs qu'assouplit un charmant nonchaloir, Empêchera ton coeur de battre et de vouloir, Et tes pieds de courir leur course aventureuse, Le tombeau, confident de mon rêve infini (Car le tombeau toujours comprendra le poète), Durant ces grandes nuits d'où le somme est banni, Te dira : " Que vous sert, courtisane imparfaite, De n'avoir pas connu ce que pleurent les morts ? " - Et le ver rongera ta peau comme un remords.
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Les chères mains qui furent miennes
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Les chères mains qui furent miennes Titre : Les chères mains qui furent miennes Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Sagesse (1881). Les chères mains qui furent miennes, Toutes petites, toutes belles, Après ces méprises mortelles Et toutes ces choses païennes, Après les rades et les grèves, Et les pays et les provinces, Royales mieux qu'au temps des princes, Les chères mains m'ouvrent les rêves. Mains en songe, mains sur mon âme, Sais-je, moi, ce que vous daignâtes, Parmi ces rumeurs scélérates, Dire à cette âme qui se pâme ? Ment-elle, ma vision chaste D'affinité spirituelle, De complicité maternelle, D'affection étroite et vaste ? Remords si cher, peine très bonne, Rêves bénis, mains consacrées, Ô ces mains, ces mains vénérées, Faites le geste qui pardonne !
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À Alfred Tattet (II)
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À Alfred Tattet (II) Titre : À Alfred Tattet (II) Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies posthumes (1888). Non, mon cher, Dieu merci ! pour trois mots de critique Je ne me suis pas fait poète satirique ; Mon silence n'est pas, quoiqu'on puisse en douter, Une prétention de me faire écouter. Je puis bien, je le crois, sans crainte et sans envie, Lorsque je vois tomber la muse évanouie Au milieu du fatras de nos romans mort-nés, Lui brûler, en passant, ma plume sous le nez ; Mais censurer les sots, que le ciel m'en préserve ! Quand je m'en sentirais la chaleur et la verve, Dans ce triste combat dussé-je être vainqueur, Le dégoût que j'en ai m'en ôterait le cœur. Novembre 1842.
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L'impatience
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : L'impatience Titre : L'impatience Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Ô ciel ! après huit jours d'absence, Après huit siècles de désirs, J'arrive, et ta froide prudence Recule l'instant des plaisirs Promis à mon impatience ! « D'une mère je crains les yeux ; « Les nuits ne sont pas assez sombres ; « Attendons plutôt qu'à leurs ombres « Phébé ne mêle plus ses feux. « Ah ! si l'on allait nous surprendre ! « Remets à demain ton bonheur ; « Crois-en l'amante la plus tendre ; « Crois-en ses yeux et sa rougeur, Tu ne perdras rien pour attendre. » Voilà les vains raisonnements Dont tu veux payer ma tendresse ; Et tu feins d'oublier sans cesse Qu'il est un dieu pour les amants. Laisse à ce dieu qui nous appelle Le soin d'assoupir les jaloux, Et de conduire au rendez-vous Le mortel sensible et fidèle Qui n'est heureux qu'à tes genoux. N'oppose plus un vain scrupule À l'ordre pressant de l'Amour ; Quand le feu du désir nous brûle, Hélas ! on vieillit dans un jour.
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Je voudrais bien richement jaunissant
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Je voudrais bien richement jaunissant Titre : Je voudrais bien richement jaunissant Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le premier livre des Amours (1552). Je voudrais bien richement jaunissant En pluie d'or goutte à goutte descendre Dans le beau sein de ma belle Cassandre, Lors qu'en ses yeux le somme va glissant. Je voudrais bien en taureau blanchissant Me transformer pour finement la prendre, Quand en avril par l'herbe la plus tendre Elle va, fleur, mille fleurs ravissant. Je voudrais bien alléger ma peine, Etre un Narcisse, et elle une fontaine, Pour m'y plonger une nuit à séjour ; Et voudrais bien que cette nuit encore Durât toujours sans que jamais l'Aurore Pour m'éveiller ne rallumât le jour.
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Les chats
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Les chats Titre : Les chats Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Les amoureux fervents et les savants austères Aiment également, dans leur mûre saison, Les chats puissants et doux, orgueil de la maison, Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires. Amis de la science et de la volupté Ils cherchent le silence et l'horreur des ténèbres ; L'Erèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres, S'ils pouvaient au servage incliner leur fierté. Ils prennent en songeant les nobles attitudes Des grands sphinx allongés au fond des solitudes, Qui semblent s'endormir dans un rêve sans fin ; Leurs reins féconds sont pleins d'étincelles magiques, Et des parcelles d'or, ainsi qu'un sable fin, Etoilent vaguement leurs prunelles mystiques.
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Demain, dès l'aube
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Demain, dès l'aube Titre : Demain, dès l'aube Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les contemplations (1856). Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. J'irai par la forêt, j'irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées, Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
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Chanson
Pierre Corneille (1606-1684)
Poésie : Chanson Titre : Chanson Poète : Pierre Corneille (1606-1684) Si je perds bien des maîtresses, J'en fais encor plus souvent, Et mes vœux et mes promesses Ne sont que feintes caresses, Et mes vœux et mes promesses Ne sont jamais que du vent. Quand je vois un beau visage, Soudain je me fais de feu ; Mais longtemps lui faire hommage, Ce n'est pas bien mon usage ; Mais longtemps lui faire hommage, Ce n'est pas bien là mon jeu. J'entre bien en complaisance Tant que dure une heure ou deux ; Mais en perdant sa présence Adieu toute souvenance ; Mais en perdant sa présence Adieu soudain tous mes feux. Plus inconstant que la lune, Je ne veux jamais d'arrêt ; La blonde comme la brune En moins de rien m'importune ; La blonde comme la brune En moins de rien me déplaît. Si je feins un peu de braise, Alors que l'humeur m'en prend, Qu'on me chasse, ou qu'on me baise, Qu'on soit facile ou mauvaise, Qu'on me chasse, ou qu'on me baise, Tout m'est fort indifférent. Mon usage est si commode, On le trouve si charmant, Que qui ne suit ma méthode N'est pas bien homme à la mode, Que qui ne suit ma méthode Passe pour un Allemand.
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Fantaisies d'hiver
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Fantaisies d'hiver Titre : Fantaisies d'hiver Poète : Théophile Gautier (1811-1872) I. Le nez rouge, la face blême, Sur un pupitre de glaçons, L'Hiver exécute son thème Dans le quatuor des saisons. Il chante d'une voix peu sûre Des airs vieillots et chevrotants ; Son pied glacé bat la mesure Et la semelle en même temps ; Et comme Haendel, dont la perruque Perdait sa farine en tremblant, Il fait envoler de sa nuque La neige qui la poudre à blanc. II. Dans le bassin des Tuileries, Le cygne s'est pris en nageant, Et les arbres, comme aux féeries, Sont en filigrane d'argent. Les vases ont des fleurs de givre, Sous la charmille aux blancs réseaux ; Et sur la neige on voit se suivre Les pas étoilés des oiseaux. Au piédestal où, court-vêtue, Vénus coudoyait Phocion, L'Hiver a posé pour statue La Frileuse de Clodion. III. Les femmes passent sous les arbres En martre, hermine et menu-vair, Et les déesses, frileux marbres, Ont pris aussi l'habit d'hiver. La Vénus Anadyomène Est en pelisse à capuchon ; Flore, que la brise malmène, Plonge ses mains dans son manchon. Et pour la saison, les bergères De Coysevox et de Coustou, Trouvant leurs écharpes légères, Ont des boas autour du cou. IV. Sur la mode Parisienne Le Nord pose ses manteaux lourds, Comme sur une Athénienne Un Scythe étendrait sa peau d'ours. Partout se mélange aux parures Dont Palmyre habille l'Hiver, Le faste russe des fourrures Que parfume le vétyver. Et le Plaisir rit dans l'alcôve Quand, au milieu des Amours nus, Des poils roux d'une bête fauve Sort le torse blanc de Vénus. V. Sous le voile qui vous protège, Défiant les regards jaloux, Si vous sortez par cette neige, Redoutez vos pieds andalous ; La neige saisit comme un moule L'empreinte de ce pied mignon Qui, sur le tapis blanc qu'il foule, Signe, à chaque pas, votre nom. Ainsi guidé, l'époux morose Peut parvenir au nid caché Où, de froid la joue encor rose, A l'Amour s'enlace Psyché.
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Mémoire
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Mémoire Titre : Mémoire Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) I L'eau claire ; comme le sel des larmes d'enfance, L'assaut au soleil des blancheurs des corps de femmes ; la soie, en foule et de lys pur, des oriflammes sous les murs dont quelque pucelle eut la défense ; L'ébat des anges ; - Non... le courant d'or en marche, meut ses bras, noirs, et lourds, et frais surtout, d'herbe. Elle sombre, ayant le Ciel bleu pour ciel-de-lit, appelle pour rideaux l'ombre de la colline et de l'arche. II Eh ! l'humide carreau tend ses bouillons limpides ! L'eau meuble d'or pâle et sans fond les couches prêtes. Les robes vertes et déteintes des fillettes font les saules, d'où sautent les oiseaux sans brides. Plus pure qu'un louis, jaune et chaude paupière le souci d'eau - ta foi conjugale, ô l'Épouse ! - au midi prompt, de son terne miroir, jalouse au ciel gris de chaleur la Sphère rose et chère. III Madame se tient trop debout dans la prairie prochaine où neigent les fils du travail ; l'ombrelle aux doigts ; foulant l'ombelle ; trop fière pour elle ; des enfants lisant dans la verdure fleurie leur livre de maroquin rouge ! Hélas, Lui, comme mille anges blancs qui se séparent sur la route, s'éloigne par delà la montagne ! Elle, toute froide, et noire, court ! après le départ de l'homme ! IV Regret des bras épais et jeunes d'herbe pure ! Or des lunes d'avril au coeur du saint lit ! Joie des chantiers riverains à l'abandon, en proie aux soirs d'août qui faisaient germer ces pourritures ! Qu'elle pleure à présent sous les remparts ! l'haleine des peupliers d'en haut est pour la seule brise. Puis, c'est la nappe, sans reflets, sans source, grise : un vieux, dragueur, dans sa barque immobile, peine. V Jouet de cet oeil d'eau morne, je n'y puis prendre, ô canot immobile ! oh ! bras trop courts ! ni l'une ni l'autre fleur : ni la jaune qui m'importune, là ; ni la bleue, amie à l'eau couleur de cendre. Ah ! la poudre des saules qu'une aile secoue ! Les roses des roseaux dès longtemps dévorées ! Mon canot, toujours fixe ; et sa chaîne tirée Au fond de cet oeil d'eau sans bords, - à quelle boue ?
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Le goût du néant
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le goût du néant Titre : Le goût du néant Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Morne esprit, autrefois amoureux de la lutte, L'Espoir, dont l'éperon attisait ton ardeur, Ne veut plus t'enfourcher ! Couche-toi sans pudeur, Vieux cheval dont le pied à chaque obstacle butte. Résigne-toi, mon cœur ; dors ton sommeil de brute. Esprit vaincu, fourbu ! Pour toi, vieux maraudeur, L'amour n'a plus de goût, non plus que la dispute ; Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flûte ! Plaisirs, ne tentez plus un coeur sombre et boudeur ! Le Printemps adorable a perdu son odeur ! Et le Temps m'engloutit minute par minute, Comme la neige immense un corps pris de roideur ; Je contemple d'en haut le globe en sa rondeur Et je n'y cherche plus l'abri d'une cahute. Avalanche, veux-tu m'emporter dans ta chute ?
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Tu fus une grande amoureuse
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Tu fus une grande amoureuse Titre : Tu fus une grande amoureuse Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Tu fus une grande amoureuse À ta façon, la seule bonne Puisqu'elle est tienne et que personne Plus que toi ne fut malheureuse, Après la crise de bonheur Que tu portas avec honneur. Oui, tu fus comme une héroïne, Et maintenant tu vis, statue Toujours belle sur la ruine D'un espoir qui se perpétue En dépit du Sort évident, Mais tu persistes cependant ! Pour cela, je t'aime et t'admire Encore mieux que je ne t'aime Peut-être, et ce m'est un suprême Orgueil d'être meilleur ou pire Que celui qui fit tout le mal, D'être à tes pieds tremblant, féal ! Use de moi, je suis ta chose ; Mon amour va, ton humble esclave, Prêt à tout ce que lui propose Ta volonté dure et suave, Prompt à jouir, prompt à souffrir, Prompt vers tout, hormis pour mourir ! Mourir dans mon corps et mon âme, Je le veux si c'est ton caprice. Quand il faudra que je périsse Tout entier, fais un signe, femme, Mais que mon amour dût cesser ? Il ne peut que s'éterniser. Jette un regard de complaisance, Ô femme forte, ô sainte, ô reine, Sur ma fatale insuffisance Sans doute à te faire sereine : Toujours triste du temps fané, Du moins, souris au vieux damné.
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À Victor Hugo
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : À Victor Hugo Titre : À Victor Hugo Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Amour (1888). (En lui envoyant « Sagesse ») Nul parmi vos flatteurs d'aujourd'hui n'a connu Mieux que moi la fierté d'admirer votre gloire : Votre nom m'enivrait comme un nom de victoire, Votre œuvre, je l'aimais d'un amour ingénu. Depuis, la Vérité m'a mis le monde à nu. J'aime Dieu, son Église, et ma vie est de croire Tout ce que vous tenez, hélas ! pour dérisoire, Et j'abhorre en vos vers le Serpent reconnu. J'ai changé. Comme vous. Mais d'une autre manière. Tout petit que je suis j'avais aussi le droit D'une évolution, la bonne, la dernière. Or, je sais la louange, ô maître, que vous doit L'enthousiasme ancien ; la voici franche, pleine, Car vous me fûtes doux en des heures de peine.
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Ces liens d'or, cette bouche vermeille
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Ces liens d'or, cette bouche vermeille Titre : Ces liens d'or, cette bouche vermeille Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le premier livre des Amours (1552). Ces liens d'or, cette bouche vermeille, Pleine de lis, de roses et d'oeillets, Et ces coraux chastement vermeillets, Et cette joue à l'Aurore pareille ; Ces mains, ce col, ce front, et cette oreille, Et de ce sein les boutons verdelets, Et de ces yeux les astres jumelés, Qui font trembler les âmes de merveille, Firent nicher Amour dedans mon sein, Qui gros de germe avait le ventre plein D'œufs non formés qu'en notre sang il couve. Comment vivrai-je autrement qu'en langueur, Quand une engeance immortelle je trouve D'Amours éclos et couvés en mon cœur ?
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Madrigal
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : Madrigal Titre : Madrigal Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Recueil : Poésies érotiques (1778). Sur cette fougère où nous sommes, Six fois, durant le même jour, Je fus le plus heureux des hommes. Nous étions seuls avec l'amour. Sur les lèvres de mon amie S'échappait mon dernier soupir ; Un baiser me faisait mourir ; Un autre me rendait la vie.
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Rien de trop
Jean de La Fontaine (1621-1695)
Poésie : Rien de trop Titre : Rien de trop Poète : Jean de La Fontaine (1621-1695) Je ne vois point de créature Se comporter modérément. Il est certain tempérament Que le maître de la nature Veut que l'on garde en tout. Le fait-on ? Nullement. Soit en bien, soit en mal, cela n'arrive guère. Le blé, riche présent de la blonde Cérès Trop touffu bien souvent épuise les guérets ; En superfluités s'épandant d'ordinaire, Et poussant trop abondamment, Il ôte à son fruit l'aliment. L'arbre n'en fait pas moins ; tant le luxe sait plaire ! Pour corriger le blé, Dieu permit aux moutons De retrancher l'excès des prodigues moissons. Tout au travers ils se jetèrent, Gâtèrent tout, et tout broutèrent, Tant que le Ciel permit aux Loups D'en croquer quelques-uns : ils les croquèrent tous ; S'ils ne le firent pas, du moins ils y tâchèrent. Puis le Ciel permit aux humains De punir ces derniers : les humains abusèrent A leur tour des ordres divins. De tous les animaux l'homme a le plus de pente A se porter dedans l'excès. Il faudrait faire le procès Aux petits comme aux grands. Il n'est âme vivante Qui ne pèche en ceci. Rien de trop est un point Dont on parle sans cesse, et qu'on n'observe point.
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Duel en juin
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Duel en juin Titre : Duel en juin Poète : Victor Hugo (1802-1885) À un ami. Jeanne a laissé de son jarret Tomber un joli ruban rose Qu'en vers on diviniserait, Qu'on baise simplement en prose. Comme femme elle met des bas, Comme ange elle a droit à des ailes ; Résultat : demain je me bats. Les jours sont longs, les nuits sont belles, On fait les foins, et ce barbon, L'usage, roi de l'équipée, Veut qu'on prenne un pré qui sent bon Pour se donner des coups d'épée. Pendant qu'aux lueurs du matin La lame à la lame est croisée, Dans l'herbe humide et dans le thym, Les grives boivent la rosée. Tu sais ce marquis insolent ? Il ordonne, il rit. Jamais ivre Et toujours gris ; c'est son talent. Il faut ou le fuir, ou le suivre. Qui le fuit a l'air d'un poltron, Qui le suit est un imbécile. Il est jeune, gai, fanfaron, Leste, vif, pétulant, fossile. Il hait Voltaire ; il se croit né Pas tout à fait comme les autres ; Il sert la messe, il sert Phryné ; Il mêle Gnide aux patenôtres. Le ruban perdu, ce muguet L'a trouvé ; quelle bonne fête ! Il s'en est vanté chez Saguet ; Moi, je passais par là, tout bête ; J'analysais, précisément Dans cet instant-là, les bastilles, Les trônes, Dieu, le firmament, Et les rubans des jeunes filles ; Et j'entendis un quolibet ; Comme il s'en donnait, le coq d'Inde ! Car on insulte dans Babet Ce qu'on adore dans Florinde. Le marquis agitait en l'air Un fil, un chiffon, quelque chose Qui parfois semblait un éclair Et parfois semblait une rose. Tout de suite je reconnus Ce diminutif admirable De la ceinture de Vénus. J'aime, donc je suis misérable ; Mon pouls dans mes tempes battait ; Et le marquis riait de Jeanne ! Le soir la campagne se tait, Le vent dort, le nuage flâne ; Mais le poète a le frisson, Il se sent extraordinaire, Il va, couvant une chanson Dans laquelle roule un tonnerre. Je me dis : Cyrus dégaina Pour reprendre une bandelette De la reine Abaïdorna Que ronge aujourd'hui la belette. Serais-je moins brave et moins beau Que Cyrus, roi d'Ur et de Sarde ? Cette reine dans son tombeau Vaut-elle Jeanne en sa mansarde ? Faire le siège d'un ruban ! Quelle oeuvre ! il faut un art farouche ; Et ce n'est pas trop d'un Vauban Complété par un Scaramouche. Le marquis barrait le chemin. Prompt comme Joubert sur l'Adige, J'arrachai l'objet de sa main. — Monsieur ! cria-t-il. — Soit, lui dis-je. Il se dressa tout en courroux, Et moi, je pris ma mine altière. — Je suis marquis, dit-il, et vous ? — Chevalier de la Jarretière. — Soyez deux. — J'aurai mon témoin. — Je vous tue, et je vous tiens quitte. — Où ça ? — Là, dans ces tas de foin. — Vous en déjeunerez ensuite. C'est pourquoi demain, réveillés, Les faunes, au bruit des rapières, Derrière les buissons mouillés, Ouvriront leurs vagues paupières.
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Que j'aime le premier frisson
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Que j'aime le premier frisson Titre : Que j'aime le premier frisson Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Premières poésies (1829). Sonnet. Que j'aime le premier frisson d'hiver ! le chaume, Sous le pied du chasseur, refusant de ployer ! Quand vient la pie aux champs que le foin vert embaume, Au fond du vieux château s'éveille le foyer ; C'est le temps de la ville. - Oh ! lorsque l'an dernier, J'y revins, que je vis ce bon Louvre et son dôme, Paris et sa fumée, et tout ce beau royaume (J'entends encore au vent les postillons crier), Que j'aimais ce temps gris, ces passants, et la Seine Sous ses mille falots assise en souveraine ! J'allais revoir l'hiver. - Et toi, ma vie, et toi ! Oh ! dans tes longs regards j'allais tremper mon âme Je saluais tes murs. - Car, qui m'eût dit, madame, Que votre coeur sitôt avait changé pour moi ?
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À George Sand III
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À George Sand III Titre : À George Sand III Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Lettres à George Sand. Puisque votre moulin tourne avec tous les vents, Allez, braves humains, où le vent vous entraîne ; Jouez, en bons bouffons, la comédie humaine ; Je vous ai trop connus pour être de vos gens. Ne croyez pourtant pas qu'en quittant votre scène, Je garde contre vous ni colère ni haine, Vous qui m'avez fait vieux peut-être avant le temps ; Peu d'entre vous sont bons, moins encor sont méchants. Et nous, vivons à l'ombre, ô ma belle maîtresse ! Faisons-nous des amours qui n'aient pas de vieillesse ; Que l'on dise de nous, quand nous mourrons tous deux : Ils n'ont jamais connu la crainte ni l'envie ; Voilà le sentier vert où, durant cette vie, En se parlant tout bas, ils souriaient entre eux.
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Un dahlia
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Un dahlia Titre : Un dahlia Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Poèmes saturniens (1866). Courtisane au sein dur, à l'oeil opaque et brun S'ouvrant avec lenteur comme celui d'un boeuf, Ton grand torse reluit ainsi qu'un marbre neuf. Fleur grasse et riche, autour de toi ne flotte aucun Arôme, et la beauté sereine de ton corps Déroule, mate, ses impeccables accords. Tu ne sens même pas la chair, ce goût qu'au moins Exhalent celles-là qui vont fanant les foins, Et tu trônes, Idole insensible à l'encens. — Ainsi le Dahlia, roi vêtu de splendeur, Elève sans orgueil sa tête sans odeur, Irritant au milieu des jasmins agaçants !
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À Madame G (I)
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À Madame G (I) Titre : À Madame G (I) Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies nouvelles (1850). Sonnet. C'est mon avis qu'en route on s'expose à la pluie, Au vent, à la poussière, et qu'on peut, le matin, S'éveiller chiffonnée avec un mauvais teint, Et qu'à la longue, en poste, un tête-à-tête ennuie. C'est mon avis qu'au monde il n'est pire folie Que d'embarquer l'amour pour un pays lointain. Quoi qu'en dise Héloïse ou madame Collin. Dans un miroir d'auberge on n'est jamais jolie. C'est mon avis qu'en somme un bas blanc bien tiré, Sur une robe blanche un beau ruban moiré, Et des ongles bien nets, sont le bonheur suprême. Que dites-vous, madame, à ce raisonnement ? Un point, à ce sujet, m'étonne seulement ; C'est qu'on n'a pas le temps d'y penser quand on aime.
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À George Sand I
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À George Sand I Titre : À George Sand I Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Lettres à George Sand. Te voilà revenu, dans mes nuits étoilées, Bel ange aux yeux d'azur, aux paupières voilées, Amour, mon bien suprême, et que j'avais perdu ! J'ai cru, pendant trois ans, te vaincre et te maudire, Et toi, les yeux en pleurs, avec ton doux sourire, Au chevet de mon lit, te voilà revenu. Eh bien, deux mots de toi m'ont fait le roi du monde, Mets la main sur mon coeur, sa blessure est profonde ; Élargis-la, bel ange, et qu'il en soit brisé ! Jamais amant aimé, mourant sur sa maîtresse, N'a sur des yeux plus noirs bu la céleste ivresse, Nul sur un plus beau front ne t'a jamais baisé !
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Ciel, air et vents, plains et monts découverts
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Ciel, air et vents, plains et monts découverts Titre : Ciel, air et vents, plains et monts découverts Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le premier livre des Amours (1552). Ciel, air et vents, plains et monts découverts, Tertres vineux et forêts verdoyantes, Rivages torts et sources ondoyantes, Taillis rasés et vous bocages verts, Antres moussus à demi-front ouverts, Prés, boutons, fleurs et herbes roussoyantes, Vallons bossus et plages blondoyantes, Et vous rochers, les hôtes de mes vers, Puis qu'au partir, rongé de soin et d'ire, A ce bel oeil Adieu je n'ai su dire, Qui près et loin me détient en émoi, Je vous supplie, Ciel, air, vents, monts et plaines, Taillis, forêts, rivages et fontaines, Antres, prés, fleurs, dites-le-lui pour moi.
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Comédie dans les feuilles
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Comédie dans les feuilles Titre : Comédie dans les feuilles Poète : Victor Hugo (1802-1885) Au fond du parc qui se délabre, Vieux, désert, mais encor charmant Quand la lune, obscur candélabre, S'allume en son écroulement, Un moineau-franc, que rien ne gêne, A son grenier, tout grand ouvert, Au cinquième étage d'un chêne Qu'avril vient de repeindre en vert. Un saule pleureur se hasarde À gémir sur le doux gazon, À quelques pas de la mansarde Où ricane ce polisson. Ce saule ruisselant se penche ; Un petit lac est à ses pieds, Où tous ses rameaux, branche à branche, Sont correctement copiés. Tout en visitant sa coquine Dans le nid par l'aube doré, L'oiseau rit du saule, et taquine Ce bon vieux lakiste éploré. Il crie à toutes les oiselles Qu'il voit dans les feuilles sautant : — Venez donc voir, mesdemoiselles ! Ce saule a pleuré cet étang. Il s'abat dans son tintamarre Sur le lac qu'il ose insulter : — Est-elle bête cette mare ! Elle ne sait que répéter. Ô mare, tu n'es qu'une ornière. Tu rabâches ton saule. Allons, Change donc un peu de manière. Ces vieux rameaux-là sont très longs. Ta géorgique n'est pas drôle. Sous prétexte qu'on est miroir, Nous faire le matin un saule Pour nous le refaire le soir ! C'est classique, cela m'assomme. Je préférerais qu'on se tût. Çà, ton bon saule est un bonhomme ; Les saules sont de l'institut. Je vois d'ici bâiller la truite. Mare, c'est triste, et je t'en veux D'être échevelée à la suite D'un vieux qui n'a plus de cheveux. Invente-nous donc quelque chose ! Calque, mais avec abandon. Je suis fille, fais une rose, Je suis âne, fais un chardon. Aie une idée, un iris jaune, Un bleu nénuphar triomphant ! Sapristi ! Il est temps qu'un faune Fasse à ta naïade un enfant. — Puis il s'adresse à la linotte : — Vois-tu, ce saule, en ce beau lieu, A pour état de prendre en note Le diable à côté du bon Dieu. De là son deuil. Il est possible Que tout soit mal, ô ma catin ; L'oiseau sert à l'homme de cible, L'homme sert de cible au destin ; Mais moi, j'aime mieux, sans envie, Errer de bosquet en bosquet, Corbleu, que de passer ma vie À remplir de pleurs un baquet ! — Le saule à la morne posture, Noir comme le bois des gibets, Se tait, et la mère nature Sourit dans l'ombre aux quolibets Que jette, à travers les vieux marbres, Les quinconces, les buis, les eaux, À cet Héraclite des arbres Ce Démocrite des oiseaux.
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Chanson de la plus haute tour
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Chanson de la plus haute tour Titre : Chanson de la plus haute tour Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Recueil : Derniers vers (1872). Oisive jeunesse A tout asservie, Par délicatesse J'ai perdu ma vie. Ah ! Que le temps vienne Où les coeurs s'éprennent. Je me suis dit : laisse, Et qu'on ne te voie : Et sans la promesse De plus hautes joies. Que rien ne t'arrête, Auguste retraite. J'ai tant fait patience Qu'à jamais j'oublie ; Craintes et souffrances Aux cieux sont parties. Et la soif malsaine Obscurcit mes veines. Ainsi la prairie A l'oubli livrée, Grandie, et fleurie D'encens et d'ivraies Au bourdon farouche De cent sales mouches. Ah ! Mille veuvages De la si pauvre âme Qui n'a que l'image De la Notre-Dame ! Est-ce que l'on prie La Vierge Marie ? Oisive jeunesse A tout asservie, Par délicatesse J'ai perdu ma vie. Ah ! Que le temps vienne Où les coeurs s'éprennent !
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Le soleil
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le soleil Titre : Le soleil Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures Les persiennes, abri des secrètes luxures, Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés, Je vais m'exercer seul à ma fantasque escrime, Flairant dans tous les coins les hasards de la rime, Trébuchant sur les mots comme sur les pavés, Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés. Ce père nourricier, ennemi des chloroses, Eveille dans les champs les vers comme les roses ; Il fait s'évaporer les soucis vers le ciel, Et remplit les cerveaux et les ruches de miel. C'est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles Et les rend gais et doux comme des jeunes filles, Et commande aux moissons de croître et de mûrir Dans le coeur immortel qui toujours veut fleurir ! Quand, ainsi qu'un poète, il descend dans les villes, Il ennoblit le sort des choses les plus viles, Et s'introduit en roi, sans bruit et sans valets, Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.
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Toute grâce et toutes nuances
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Toute grâce et toutes nuances Titre : Toute grâce et toutes nuances Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Toute grâce et toutes nuances Dans l'éclat doux de ses seize ans, Elle a la candeur des enfances Et les manèges innocents. Ses yeux, qui sont les yeux d'un ange, Savent pourtant, sans y penser, Eveiller le désir étrange D'un immatériel baiser. Et sa main, à ce point petite Qu'un oiseau-mouche n'y tiendrait, Captive sans espoir de fuite, Le coeur pris par elle en secret. L'intelligence vient chez elle En aide à l'âme noble ; elle est Pure autant que spirituelle : Ce qu'elle a dit, il le fallait Et si la sottise l'amuse Et la fait rire sans pitié, Elle serait, étant la muse, Clémente jusqu'à l'amitié, Jusqu'à l'amour — qui sait ? peut-être, A l'égard d'un poète épris Qui mendierait sous sa fenêtre, L'audacieux ! un digne prix De sa chanson bonne ou mauvaise ! Mais témoignant sincèrement, Sans fausse note et sans fadaise, Du doux mal qu'on souffre en aimant.
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Les affinités
Anatole France (1844-1924)
Poésie : Les affinités Titre : Les affinités Poète : Anatole France (1844-1924) I Le noir château, couvert de chiffres et d'emblèmes Et ceint des froides fleurs dormant sur les eaux blêmes, En un doux ciel humide effile ses toits bleus. Dans le parc, où jadis on vit flotter des fées, Les Nymphes, par le lierre en leur marbre étouffées. Méditent longuement leurs amours fabuleux. Déjà des vieux tilleuls les premières rangées Versent sur les gazons leurs ombres allongées Jusqu'au pied du fossé qui borde le manoir. La forêt qui s'étend à l'horizon déroule, Sous un vent large et frais, les grands plis de sa houle, Et mugit tout au loin dans la brume du soir. Sur le vieux banc de marbre envahi par la mousse Cécile s'abandonne à sa tristesse douce. Sa tête penche au faix des lourds cheveux châtains, Des cheveux d'où jaillit une étrange étincelle Quand le peigne se plonge en leur flot qui ruisselle Sous l'ombre des rideaux, au secret des matins. Très lasse, de souffrance et de langueur parée. De sa propre faiblesse elle-même enivrée. Elle vit en silence à l'ombre des tilleuls. Son âme un peu farouche a cette clairvoyance Et ces secrets instincts, sûrs comme la science, Noble et fatal trésor de ceux qui vivent seuls. D'un long et plein oubli nonchalamment éprise. Elle respire, émue au souffle de la brise, Les amères senteurs qui voyagent dans l'air ; Et, le sein frissonnant des frissons dont l'automne Fait tressaillir le soir la forêt monotone. Elle laisse errer son regard couleur de mer. Et, comme un vol d'oiseaux, sur la mer, ses pensées Aiment, en tournoyant, à plonger dispersées Dans le vague océan où s'égarent ses yeux. Ses nerfs qui gémissaient, pareils, les jours de crise, Aux cordes en éclats d'un instrument qu'on brise. Allument leur réseau d'un feu mystérieux. À sentir sur sa joue et dans ses molles tresses Passer confusément d'invisibles caresses, Une vague épouvante enfle son cœur prudent. Avide avec effroi de fraîcheurs innomées. Buvant comme un poison l'odeur des fleurs aimées. Enfin elle s'abîme en un repos ardent. Et, ses longs cils baignés d'une brume légère. Surprise, sans mémoire, à soi-même étrangère. Voici qu'elle s'anime avec des sens nouveaux. Une vie indécise, affreusement diffuse, A qui son être épars se livre et se refuse, L'éveille sourdement pour de blêmes travaux. Hors de son propre sein, hors de sa forme inerte, Belle comme la Mort maintenant, et déserte. Elle existe, elle voit, elle entend, elle sent. Tout son esprit s'exhale en effluves mystiques, Abandonne et reçoit des ondes magnétiques, Et s'échappe bien loin de la chair et du sang. En des affres d'horreur et de vague, entraînée Vers un but que fixa l'obscure Destinée, Comme un fluide au fil du métal conducteur. Elle glisse, et voici qu'elle aborde éperdue Une phosphorescente et liquide étendue Où l'air austral épand sa chaude pesanteur. Dans les blanches clartés et les ombres légères Des constellations de formes étrangères, Une frégate lofe au souffle de la mer. Un marin, dans le vent, debout sous la dunette. Sous les trois galons d'or de sa sombre casquette, Plonge au large un regard impérieux et clair. Il a, croisant les bras, cette grâce un peu rude Que la force au repos prend dans la solitude. Immobile, étant vu de Cécile, il la voit. Nul frisson n'a troublé son manteau militaire, Mais un sourire doux, sur son visage austère. S'achève lentement plus étrange et plus froid. Tout s'efface. Bientôt Cécile, revenue De la silencieuse et fatale entrevue, Va s'éveiller devant le parc tranquille et noir, Mais rapportant du sein des magiques abîmes Un écrin merveilleux d'épouvantes intimes Qui dans son cœur ému s'ouvrira chaque soir. II Dans l'air dont l'éventail bat les ondes tiédies. Le timbre italien des claires mélodies Monte avec les parfums de la chair et des fleurs : Et l'orchestre remplit de ses éclats sonores Cette loge où Cécile, aux doux reflets des stores. Songe, de diamants ornée et de pâleurs. Depuis deux ans, pour mieux chasser de sa pensée L'étrange souvenir dont son âme est blessée. Elle cherche le bruit des soirs parisiens ; Mais, dans le lourd repos de ses fatigues vaines. Elle sent par instants lui monter dans les veines Le regret généreux de ses effrois anciens. Et, blême pour jamais d'avoir été ravie Dans la mouvante horreur des confins de la vie, Souvent, à la clarté triste des jours tombants. Une délicieuse et mortelle tendresse Se trouble amèrement en elle et l'intéresse A l'Inconnu pensif sous les sveltes haubans. Au théâtre, ce soir, de diamants fleurie, Elle regarde, mais sans voir; sa rêverie. Dans l'espace incertain flottant comme un parfum En une volontaire et paisible démence. Au gré des visions musicales commence Mille songes subtils sans en finir aucun. Et soudain, comme un arc se courbant en arrière. Rigide, ses grands yeux révulsés, sans lumière. Elle pousse un cri sourd dans sa gorge expirant ; Elle a vu sur la mer la frégate connue. Mais donnant sur le flanc, ses trois mâts rasés, nue, Sinistre et noir ponton dans la tempête errant. Aux agrès amarrés sur l'avant qui se dresse. C'est Lui, Lui, qu'elle voit couché dans sa détresse : Seul, épuisé, mourant, il se soulève un peu, Et donne à la voyante un regard triste et tendre, Un regard où l'on sent son âme se détendre Dans la fière douceur d'un ineffable aveu. Mais une lame croule avec des bruits funèbres, Et dans l'affaissement de ses lourdes ténèbres Fait sombrer le navire entr'ouvert. Dans la mer Le jeune homme au front pur descend; il s'abandonne, Et des algues lui font une glauque couronne. Elle, alors, avec lui, goûte le sel amer. Il a gagné son lit pacifique et repose. A l'abri des requins gloutons, le corail rose Étend sur lui ses bras animés et fleuris. Elle-même, elle est là, baisant sa bouche froide ; Elle a du sang aux yeux ; ses tempes sifflent; roide. Etouffée, elle exhale à jamais ses esprits. — Invisible lien ! — La frêle créature A péri sans effort, docile à la nature ; Le flacon dans ses doigts, qui ne s'ouvriront plus. Luit. La Mort sur sa chair silencieuse étale Sa majesté funèbre et sa splendeur fatale, Et la divine paix des destins révolus. Puisque ta vision fut vraie, ô jeune femme, Que ta terrestre vie ait dénoué sa trame. Qu'importe ! Plonge au sein du monde essentiel ! Tes sens, féconds naguère en exquises souffrances. Ta forme, douce aux yeux, étaient des apparences. Le corps n'est rien de plus ; l'esprit seul est réel.
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Après l'hiver
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Après l'hiver Titre : Après l'hiver Poète : Victor Hugo (1802-1885) N'attendez pas de moi que je vais vous donner Des raisons contre Dieu que je vois rayonner ; La nuit meurt, l'hiver fuit ; maintenant la lumière, Dans les champs, dans les bois, est partout la première. Je suis par le printemps vaguement attendri. Avril est un enfant, frêle, charmant, fleuri ; Je sens devant l'enfance et devant le zéphyre Je ne sais quel besoin de pleurer et de rire ; Mai complète ma joie et s'ajoute à mes pleurs. Jeanne, George, accourez, puisque voilà des fleurs. Accourez, la forêt chante, l'azur se dore, Vous n'avez pas le droit d'être absents de l'aurore. Je suis un vieux songeur et j'ai besoin de vous, Venez, je veux aimer, être juste, être doux, Croire, remercier confusément les choses, Vivre sans reprocher les épines aux roses, Être enfin un bonhomme acceptant le bon Dieu. Ô printemps ! bois sacrés ! ciel profondément bleu ! On sent un souffle d'air vivant qui vous pénètre, Et l'ouverture au loin d'une blanche fenêtre ; On mêle sa pensée au clair-obscur des eaux ; On a le doux bonheur d'être avec les oiseaux Et de voir, sous l'abri des branches printanières, Ces messieurs faire avec ces dames des manières. Le 26 juin 1878.
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La chimère
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : La chimère Titre : La chimère Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : La comédie de la mort (1838). Une jeune chimère, aux lèvres de ma coupe, Dans l'orgie, a donné le baiser le plus doux Elle avait les yeux verts, et jusque sur sa croupe Ondoyait en torrent l'or de ses cheveux roux. Des ailes d'épervier tremblaient à son épaule La voyant s'envoler je sautai sur ses reins ; Et faisant jusqu'à moi ployer sou cou de saule, J'enfonçai comme un peigne une main dans ses crins. Elle se démenait, hurlante et furieuse, Mais en vain. Je broyais ses flancs dans mes genoux ; Alors elle me dit d'une voix gracieuse, Plus claire que l'argent : Maître, où donc allons-nous ? Par-delà le soleil et par-delà l'espace, Où Dieu n'arriverait qu'après l'éternité ; Mais avant d'être au but ton aile sera lasse : Car je veux voir mon rêve en sa réalité.
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Le vieux saltimbanque
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le vieux saltimbanque Titre : Le vieux saltimbanque Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Partout s'étalait, se répandait, s'ébaudissait le peuple en vacances. C'était une de ces solennités sur lesquelles, pendant un long temps, comptent les saltimbanques, les faiseurs de tours, les montreurs d'animaux et les boutiquiers ambulants, pour compenser les mauvais temps de l'année. En ces jours-là il me semble que le peuple oublie tout, la douleur et le travail ; il devient pareil aux enfants. Pour les petits c'est un jour de congé, c'est l'horreur de l'école renvoyée à vingt-quatre heures. Pour les grands c'est un armistice conclu avec les puissances malfaisantes de la vie, un répit dans la contention et la lutte universelles. L'homme du monde lui-même et l'homme occupé de travaux spirituels échappent difficilement à l'influence de ce jubilé populaire. Ils absorbent, sans le vouloir, leur part de cette atmosphère d'insouciance. Pour moi, je ne manque jamais, en vrai Parisien, de passer la revue de toutes les baraques qui se pavanent à ces époques solennelles. Elles se faisaient, en vérité, une concurrence formidable : elles piaillaient, beuglaient, hurlaient. C'était un mélange de cris, de détonations de cuivre et d'explosions de fusées. Les queues-rouges et les Jocrisses convulsaient les traits de leurs visages basanés, racornis par le vent, la pluie et le soleil ; ils lançaient, avec l'aplomb des comédiens sûrs de leurs effets, des bons mots et des plaisanteries d'un comique solide et lourd comme celui de Molière. Les Hercules, fiers de l'énormité de leurs membres, sans front et sans crâne, comme les orang-outangs, se prélassaient majestueusement sous les maillots lavés la veille pour la circonstance. Les danseuses, belles comme des fées ou des princesses, sautaient et cabriolaient sous le feu des lanternes qui remplissaient leurs jupes d'étincelles. Tout n'était que lumière, poussière, cris, joie, tumulte ; les uns dépensaient, les autres gagnaient, les uns et les autres également joyeux. Les enfants se suspendaient aux jupons de leurs mères pour obtenir quelque bâton de sucre, ou montaient sur les épaules de leurs pères pour mieux voir un escamoteur éblouissant comme un dieu. Et partout circulait, dominant tous les parfums, une odeur de friture qui était comme l'encens de cette fête. Au bout, à l'extrême bout de la rangée de baraques, comme si, honteux, il s'était exilé lui-même de toutes ces splendeurs, je vis un pauvre saltimbanque, voûté, caduc, décrépit, une ruine d'homme, adossé contre un des poteaux de sa cahute ; une cahute plus misérable que celle du sauvage le plus abruti, et dont deux bouts de chandelles, coulants et fumants, éclairaient trop bien encore la détresse. Partout la joie, le gain, la débauche ; partout la certitude du pain pour les lendemains ; partout l'explosion frénétique de la vitalité. Ici la misère absolue, la misère affublée, pour comble d'horreur, de haillons comiques, où la nécessité, bien plus que l'art, avait introduit le contraste. Il ne riait pas, le misérable ! Il ne pleurait pas, il ne dansait pas, il ne gesticulait pas, il ne criait pas ; il ne chantait aucune chanson, ni gaie ni lamentable, il n'implorait pas. Il était muet et immobile. Il avait renoncé, il avait abdiqué. Sa destinée était faite. Mais quel regard profond, inoubliable, il promenait sur la foule et les lumières, dont le flot mouvant s'arrêtait à quelques pas de sa répulsive misère ! Je sentis ma gorge serrée par la main terrible de l'hystérie, et il me sembla que mes regards étaient offusqués par ces larmes rebelles qui ne veulent pas tomber. Que faire ? À quoi bon demander à l'infortuné quelle curiosité, quelle merveille il avait à montrer dans ces ténèbres puantes, derrière son rideau déchiqueté ? En vérité, je n'osais ; et, dût la raison de ma timidité vous faire rire, j'avouerai que je craignais de l'humilier. Enfin, je venais de me résoudre à déposer en passant quelque argent sur une de ses planches, espérant qu'il devinerait mon intention, quand un grand reflux de peuple, causé par je ne sais quel trouble, m'entraîna loin de lui. Et, m'en retournant, obsédé par cette vision, je cherchai à analyser ma soudaine douleur, et je me dis : Je viens de voir l'image du vieil homme de lettres qui a survécu à la génération dont il fut le brillant amuseur ; du vieux poëte sans amis, sans famille, sans enfants, dégradé par sa misère et par l'ingratitude publique, et dans la baraque de qui le monde oublieux ne veut plus entrer !
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Contempler dans son bain sans voiles
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Contempler dans son bain sans voiles Titre : Contempler dans son bain sans voiles Poète : Victor Hugo (1802-1885) Amor, ch'a null' amato amar perdona, Mi prese del costui placer si forte Che, come vedi, ancor non m'abbandona. DANTE. Contempler dans son bain sans voiles Une fille aux yeux innocents ; Suivre de loin de blanches voiles ; Voir au ciel briller les étoiles Et sous l'herbe les vers luisants ; Voir autour des mornes idoles Des sultanes danser en rond ; D'un bal compter les girandoles ; La nuit, voir sur l'eau les gondoles Fuir avec une étoile au front ; Regarder la lune sereine ; Dormir sous l'arbre du chemin ; Être le roi lorsque la reine, Par son sceptre d'or souveraine, L'est aussi par sa blanche main ; Ouïr sur les harpes jalouses Se plaindre la romance en pleurs ; Errer, pensif, sur les pelouses, Le soir, lorsque les andalouses De leurs balcons jettent des fleurs ; Rêver, tandis que les rosées Pleuvent d'un beau ciel espagnol, Et que les notes embrasées S'épanouissent en fusées Dans la chanson du rossignol ; Ne plus se rappeler le nombre De ses jours, songes oubliés ; Suivre fuyant dans la nuit sombre Un Esprit qui traîne dans l'ombre Deux sillons de flamme à ses pieds ; Des boutons d'or qu'avril étale Dépouiller le riche gazon ; Voir, après l'absence fatale, Enfin, de sa ville natale Grandir la flèche à l'horizon ; Non, tout ce qu'a la destinée De bien réels ou fabuleux N'est rien pour mon âme enchaînée Quand tu regardes inclinée Mes yeux noirs avec tes yeux bleus ! Septembre 1831.
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Bon conseil aux amants
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Bon conseil aux amants Titre : Bon conseil aux amants Poète : Victor Hugo (1802-1885) L'amour fut de tout temps un bien rude Ananké. Si l'on ne veut pas être à la porte flanqué, Dès qu'on aime une belle, on s'observe, on se scrute ; On met le naturel de côté ; bête brute, On se fait ange ; on est le nain Micromégas ; Surtout on ne fait point chez elle de dégâts ; On se tait, on attend, jamais on ne s'ennuie, On trouve bon le givre et la bise et la pluie, On n'a ni faim, ni soif, on est de droit transi ; Un coup de dent de trop vous perd. Oyez ceci : Un brave ogre des bois, natif de Moscovie, Etait fort amoureux d'une fée, et l'envie Qu'il avait d'épouser cette dame s'accrut Au point de rendre fou ce pauvre coeur tout brut : L'ogre, un beau jour d'hiver, peigne sa peau velue, Se présente au palais de la fée, et salue, Et s'annonce à l'huissier comme prince Ogrousky. La fée avait un fils, on ne sait pas de qui. Elle était ce jour-là sortie, et quant au mioche, Bel enfant blond nourri de crème et de brioche, Don fait par quelque Ulysse à cette Calypso, Il était sous la porte et jouait au cerceau. On laissa l'ogre et lui tout seuls dans l'antichambre. Comment passer le temps quand il neige en décembre. Et quand on n'a personne avec qui dire un mot ? L'ogre se mit alors à croquer le marmot. C'est très simple. Pourtant c'est aller un peu vite, Même lorsqu'on est ogre et qu'on est moscovite, Que de gober ainsi les mioches du prochain. Le bâillement d'un ogre est frère de la faim. Quand la dame rentra, plus d'enfant. On s'informe. La fée avise l'ogre avec sa bouche énorme. As-tu vu, cria-t-elle, un bel enfant que j'ai ? Le bon ogre naïf lui dit : Je l'ai mangé. Or, c'était maladroit. Vous qui cherchez à plaire, Jugez ce que devint l'ogre devant la mère Furieuse qu'il eût soupé de son dauphin. Que l'exemple vous serve ; aimez, mais soyez fin ; Adorez votre belle, et soyez plein d'astuce ; N'allez pas lui manger, comme cet ogre russe, Son enfant, ou marcher sur la patte à son chien.
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Lamento
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Lamento Titre : Lamento Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Connaissez-vous la blanche tombe Où flotte avec un son plaintif L'ombre d'un if ? Sur l'if, une pâle colombe, Triste et seule, au soleil couchant, Chante son chant. Un air maladivement tendre, A la fois charmant et fatal, Qui vous fait mal, Et qu'on voudrait toujours entendre, Un air, comme en soupire aux cieux L'ange amoureux. On dirait que l'âme éveillée Pleure sous terre à l'unisson De la chanson, Et du malheur d'être oubliée Se plaint dans un roucoulement Bien doucement. Sur les ailes de la musique On sent lentement revenir Un souvenir ; Une ombre de forme angélique Passe dans un rayon tremblant, En voile blanc. Les belles-de-nuit, demi-closes, Jettent leur parfum faible et doux Autour de vous, Et le fantôme aux molles poses Murmure en vous tendant les bras : Tu reviendras ? Oh ! jamais plus, près de la tombe Je n'irai, quand descend le soir Au manteau noir, Ecouter la pâle colombe Chanter sur la branche de l'if Son chant plaintif !
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Le fils du Titien
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Le fils du Titien Titre : Le fils du Titien Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies nouvelles (1850). Lorsque j'ai lu Pétrarque, étant encore enfant, J'ai souhaité d'avoir quelque gloire en partage. Il aimait en poète et chantait en amant ; De la langue des dieux lui seul sut faire usage. Lui seul eut le secret de saisir au passage Les battements du coeur qui durent un moment, Et, riche d'un sourire, il en gravait l'image Du bout d'un stylet d'or sur un pur diamant. Ô vous qui m'adressez une parole amie, Qui l'écriviez hier et l'oublierez demain, Souvenez-vous de moi qui vous en remercie. J'ai le coeur de Pétrarque et n'ai point son génie ; Je ne puis ici-bas que donner en chemin Ma main à qui m'appelle, à qui m'aime ma vie.
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Tu te moques, jeune ribaude
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Tu te moques, jeune ribaude Titre : Tu te moques, jeune ribaude Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Poésies diverses (1587). Tu te moques, jeune ribaude : Si j'avais la tête aussi chaude Que tu es chaude sous ta cotte, Je n'aurais besoin de calotte, Non plus qu'à ton ventre il ne faut De pelisson, tant il est chaud. Tous les charbons ardents Allument là-dedans Le plus chaud de leur braise ; Un feu couvert en sort, Plus fumeux et plus fort Que l'air d'une fournaise. J'ai la tête froide et gelée, D'avoir ma cervelle écoulée A ce limonier, par l'espace De quatre ans, sans m'en savoir grâce, Et lui voulant vaincre le cul, Moi-même je me suis vaincu. Ainsi, le fol sapeur Au fondement trompeur D'un Boulevard s'arrête, Quand le faix, tout soudain Ebranlé de sa main, Lui écrase la tête.
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Apparition
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Apparition Titre : Apparition Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Toi qui du jour mourant consoles la nature, Parais, flambeau des nuits, lève-toi dans les cieux ; Etends autour de moi, sur la pâle verdure, Les douteuses clartés d'un jour mystérieux ! Tous les infortunés chérissent ta lumière ; L'éclat brillant du jour repousse leurs douleurs : Aux regards du soleil ils ferment leur paupière, Et rouvrent devant toi leurs yeux noyés de pleurs. Viens guider mes pas vers la tombe Où ton rayon s'est abaissé, Où chaque soir mon genou tombe Sur un saint nom presque effacé. Mais quoi ! la pierre le repousse !... J'entends !... oui ! des pas sur la mousse ! Un léger souffle a murmuré ; Mon oeil se trouble, je chancelle : Non, non, ce n'est plus toi ; c'est elle Dont le regard m'a pénétré !... Est-ce bien toi ? toi qui t'inclines Sur celui qui fut ton amant ? Parle ; que tes lèvres divines Prononcent un mot seulement. Ce mot que murmurait ta bouche Quand, planant sur ta sombre couche, La mort interrompit ta voix. Sa bouche commence... Ah ! j'achève : Oui, c'est toi ! ce n'est point un rêve ! Anges du ciel, je la revois !... Ainsi donc l'ardente prière Perce le ciel et les enfers ! Ton âme a franchi la barrière Qui sépare deux univers ! Gloire à ton nom, Dieu qui l'envoie ! Ta grâce a permis que je voie Ce que mes yeux cherchaient toujours. Que veux-tu ? faut-il que je meure ? Tiens, je te donne pour cette heure Toutes les heures de mes jours ! Mais quoi ! sur ce rayon déjà l'ombre s'envole ! Pour un siècle de pleurs une seule parole ! Est-ce tout ?... C'est assez ! Astre que j'ai chanté, J'en bénirai toujours ta pieuse clarté, Soit que dans nos climats, empire des orages, Comme un vaisseau voguant sur la mer des nuages, Tu perces rarement la triste obscurité ; Soit que sous ce beau ciel, propice à ta lumière, Dans un limpide azur poursuivant ta carrière, Des couleurs du matin tu dores les coteaux ; Ou que, te balançant sur une mer tranquille, Et teignant de tes feux sa surface immobile, Tes rayons argentés se brisent dans les eaux !
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Rêves
Auguste Angellier (1848-1911)
Poésie : Rêves Titre : Rêves Poète : Auguste Angellier (1848-1911) Recueil : Le chemin des saisons (1903). J'ai rêvé parfois que vos yeux Me regardaient avec tristesse, Que vos grands yeux bleus sérieux Me regardaient avec tendresse ; J'ai rêvé que vous écoutiez Ces mots sur qui la voix hésite, Et qui s'arrêtent effrayés De l'aveu qui sous eux palpite ; Que, dans mes mains, vos fines mains Tombaient comme deux fleurs fauchées, Et que nos pas, dans les chemins, Laissaient leurs traces rapprochées. Mais je n'ai pas osé rêver, Dans les ivresses ni les fièvres, Que ce bonheur pût m'arriver Que ma bouche effleurât vos lèvres. J'ai rêvé parfois que vos yeux Me regardaient avec tendresse, Que vos grands yeux bleus sérieux Me regardaient avec tristesse.
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Écrit après la visite d'un bagne
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Écrit après la visite d'un bagne Titre : Écrit après la visite d'un bagne Poète : Victor Hugo (1802-1885) Chaque enfant qu'on enseigne est un homme qu'on gagne. Quatre-vingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne Ne sont jamais allés à l'école une fois, Et ne savent pas lire, et signent d'une croix. C'est dans cette ombre-là qu'ils ont trouvé le crime. L'ignorance est la nuit qui commence l'abîme. Où rampe la raison, l'honnêteté périt. Dieu, le premier auteur de tout ce qu'on écrit, A mis, sur cette terre où les hommes sont ivres, Les ailes des esprits dans les pages des livres. Tout homme ouvrant un livre y trouve une aile, et peut Planer là-haut où l'âme en liberté se meut. L'école est sanctuaire autant que la chapelle. L'alphabet que l'enfant avec son doigt épelle Contient sous chaque lettre une vertu ; le coeur S'éclaire doucement à cette humble lueur. Donc au petit enfant donnez le petit livre. Marchez, la lampe en main, pour qu'il puisse vous suivre. La nuit produit l'erreur et l'erreur l'attentat. Faute d'enseignement, on jette dans l'état Des hommes animaux, têtes inachevées, Tristes instincts qui vont les prunelles crevées, Aveugles effrayants, au regard sépulcral, Qui marchent à tâtons dans le monde moral. Allumons les esprits, c'est notre loi première, Et du suif le plus vil faisons une lumière. L'intelligence veut être ouverte ici-bas ; Le germe a droit d'éclore ; et qui ne pense pas Ne vit pas. Ces voleurs avaient le droit de vivre. Songeons-y bien, l'école en or change le cuivre, Tandis que l'ignorance en plomb transforme l'or. Je dis que ces voleurs possédaient un trésor, Leur pensée immortelle, auguste et nécessaire ; Je dis qu'ils ont le droit, du fond de leur misère, De se tourner vers vous, à qui le jour sourit, Et de vous demander compte de leur esprit ; Je dis qu'ils étaient l'homme et qu'on en fit la brute ; Je dis que je nous blâme et que je plains leur chute ; Je dis que ce sont eux qui sont les dépouillés ; Je dis que les forfaits dont ils se sont souillés Ont pour point de départ ce qui n'est pas leur faute ; Pouvaient-ils s'éclairer du flambeau qu'on leur ôte ? Ils sont les malheureux et non les ennemis. Le premier crime fut sur eux-mêmes commis ; On a de la pensée éteint en eux la flamme : Et la société leur a volé leur âme.
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Un projet de mon âge mûr
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Un projet de mon âge mûr Titre : Un projet de mon âge mûr Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Un projet de mon âge mûr Me tint six ans l'âme ravie, C'était, d'après un plan bien sûr. De réédifier ma vie. Vie encor vivante après tout. Insuffisamment ruinée. Avec ses murs toujours debout Que respecte la graminée, Murs de vraie et franche vertu. Fondations intactes certes. Fronton battu, non abattu. Sans noirs lichens ni mousses vertes, L'orgueil qu'il faut et qu'il fallait, Le repentir quand c'était brave, Douceur parfois comme le lait, Fierté souvent comme la lave. Or, durant ces deux fois trois ans, L'essai fut bon, grand le courage. L'œuvre en aspects forts et plaisants Montait, tenant tête à l'orage. Un air de grâce et de respect Magnifiait les calmes lignes De l'édifice que drapait L'éclat de la neige et des cygnes... Furieux mais insidieux, Voici l'essaim des mauvais anges. Rayant le pur, le radieux Paysage de vols étranges, Salissant d'outrages sans nom, Obscénités basses et fades, De mon renaissant Parthénon Les portiques et les façades. Tandis que quelques-uns d'entre eux, Minant le sol, sapant la base, S'apprêtent, par un art affreux, A faire de tout table rase. Ce sont, véniels et mortels. Tous les péchés des catéchismes Et bien d'autres encore, tels Qu'ils font les sophismes des schismes. La Luxure aux tours sans merci, L'affreuse Avarice morale, La Paresse morale aussi, L'envie à la dent sépulcrale, La Colère hors des combats, La Gourmandise, rage, ivresse, L'Orgueil, alors qu'il ne faut pas, Sans compter la sourde détresse Des vices à peine entrevus. Dans la conscience scrutée, Hideur brouillée et tas confus. Tourbe brouillante et ballottée. Mais quoi! n'est-ce pas toujours vous, Démon femelle, triple peste, Pire flot de tout ce remous, Pire ordure que tout le reste, Vous toujours, vil cri de haro. Qui me proclame et me diffame, Gueuse inepte, lâche bourreau, Horrible, horrible, horrible femme ? Vous l'insultant mensonge noir, La haine longue, l'affront rance, Vous qui seriez le désespoir. Si la foi n'était l'Espérance. Et l'Espérance le pardon, Et ce pardon une vengeance. Mais quel voluptueux pardon, Quelle savoureuse vengeance ! Et tous trois, espérance et foi Et pardon, chassant la séquelle Infernale de devant moi, Protégeront de leur tutelle Les nobles travaux qu'a repris Ma bonne volonté calmée, Pour grâce à des grâces sans prix, Achever l'œuvre bien-aimée Toute de marbre précieux En ordonnance solennelle Bien par-delà les derniers cieux, Jusque dans la vie éternelle.
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Je vois tes yeux
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Je vois tes yeux Titre : Je vois tes yeux Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Poésies diverses (1587). Je vois tes yeux dessous telle planète Qu'autre plaisir ne me peut contenter, Sinon le jour, sinon la nuit chanter : Allège-moi, ma plaisante brunette. O liberté, combien je te regrette ! Combien le jour que je vois t'absenter, Pour me laisser sans espoir tourmenter En l'espérance, où si mal on me traite ! L'an est passé, le vingt-et-unième jour Du mois d'avril, que je vins au séjour De la prison où les Amours me pleurent ; Et si ne vois (tant les liens sont forts) Un seul moyen pour me tirer dehors, Si par la mort toutes mes morts ne meurent.
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Pendant la tempête
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Pendant la tempête Titre : Pendant la tempête Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Espana (1845). La barque est petite et la mer immense ; La vague nous jette au ciel en courroux, Le ciel nous renvoie au flot en démence : Près du mât rompu prions à genoux ! De nous à la tombe, il n'est qu'une planche. Peut-être ce soir, dans un lit amer, Sous un froid linceul fait d'écume blanche, Irons-nous dormir, veillés par l'éclair ! Fleur du paradis, sainte Notre-Dame, Si bonne aux marins en péril de mort, Apaise le vent, fais taire la lame, Et pousse du doigt notre esquif au port. Nous te donnerons, si tu nous délivres, Une belle robe en papier d'argent, Un cierge à festons pesant quatre livres, Et, pour ton Jésus, un petit saint Jean.
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Sonnet (I)
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Sonnet (I) Titre : Sonnet (I) Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Poésies diverses (1587). Je n'ay plus que les os, un squelete je semble, Decharné, denervé, demusclé, depoulpé, Que le trait de la mort sans pardon a frappé ; Je n'ose voir mes bras que de peur je ne tremble. Apollon et son fils, deux grands maistres ensemble, Ne me sçauroient guerir, leur mestier m'a trompé ; Adieu plaisant soleil ! mon œil est estoupé, Mon corps s'en va descendre où tout se desassemble. Quel amy me voyant en ce poinct dépouillé, Ne remporte au logis un œil triste et mouillé, Me consolant au lict, et me baisant la face, En essuyant mes yeux par la mort endormis ? Adieu, chers compagnons ! adieu, mes chers amis ! Je m'en vay le premier vous préparer la place.
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Je m'en suis venu seul
Auguste Angellier (1848-1911)
Poésie : Je m'en suis venu seul Titre : Je m'en suis venu seul Poète : Auguste Angellier (1848-1911) Recueil : À l'amie perdue (1896). Je m'en suis venu seul revoir notre vallée ; Elle est déserte, elle est muette, c'est l'hiver. Dans ses bois dépouillés comme elle est désolée ! La crête des coteaux dans le brouillard se perd ; Les talus ont à peine un peu de gazon vert ; La petite rivière au flot vif est gelée ; La cascade est un bloc de glace amoncelée Sous son vieux pont de bois, de givre recouvert ; Les oiseaux sont blottis ; seul un martin-pêcheur, Venu près du moulin chercher une eau courante, S'envole ; des corbeaux traversent le ciel froid ; Nul bruit que le fusil éloigné d'un chasseur ; Déjà le soir étreint de tristesse navrante Le paysage nu qui semble plus étroit.
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Madame Tussaud
Louis Aragon (1897-1982)
Poésie : Madame Tussaud Titre : Madame Tussaud Poète : Louis Aragon (1897-1982) Recueil : Feu de joie (1920). Cris muets Taffetas noirs Redingotes Crimes Tous les mannequins ont le même regard gris Mais ce lord a dansé dans un bouge à Paris Il a des dents d'or et des favoris Sales Le Strand me suit de brouillard jaune dans les Salles Les plastrons se marquant aux plis poussiéreux Ces gentlemen se négligèrent Trop heureux D'assassiner une demi-mondaine D'assassiner une demi-mondaine Aux Indes Ces officiers firent des fredaines Ils ont quitté leur morgue pour un mariage Morganatique Morganatique On peut s'amuser en voyage Si l'on ne salit pas ses escarpins vernis À l'étranger les meurtres restent impunis Je tuerais volontiers cette reine d'Écosse Qui regarde la France en récitant des vers Mais je troublerais le négoce.
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Le bruit des cabarets, la fange du trottoir
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Le bruit des cabarets, la fange du trottoir Titre : Le bruit des cabarets, la fange du trottoir Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : La bonne chanson (1872). Le bruit des cabarets, la fange du trottoir, Les platanes déchus s'effeuillant dans l'air noir, L'omnibus, ouragan de ferraille et de boues, Qui grince, mal assis entre ses quatre roues, Et roule ses yeux verts et rouges lentement, Les ouvriers allant au club, tout en fumant Leur brûle-gueule au nez des agents de police, Toits qui dégouttent, murs suintants, pavé qui glisse, Bitume défoncé, ruisseaux comblant l'égout, Voilà ma route — avec le paradis au bout.
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À une robe rose
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : À une robe rose Titre : À une robe rose Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Que tu me plais dans cette robe Qui te déshabille si bien, Faisant jaillir ta gorge en globe, Montrant tout nu ton bras païen ! Frêle comme une aile d'abeille, Frais comme un coeur de rose-thé, Son tissu, caresse vermeille, Voltige autour de ta beauté. De l'épiderme sur la soie Glissent des frissons argentés, Et l'étoffe à la chair renvoie Ses éclairs roses reflétés. D'où te vient cette robe étrange Qui semble faite de ta chair, Trame vivante qui mélange Avec ta peau son rose clair ? Est-ce à la rougeur de l'aurore, A la coquille de Vénus, Au bouton de sein près d'éclore, Que sont pris ces tons inconnus ? Ou bien l'étoffe est-elle teinte Dans les roses de ta pudeur ? Non ; vingt fois modelée et peinte, Ta forme connaît sa splendeur. Jetant le voile qui te pèse, Réalité que l'art rêva, Comme la princesse Borghèse Tu poserais pour Canova. Et ces plis roses sont les lèvres De mes désirs inapaisés, Mettant au corps dont tu les sèvres Une tunique de baisers.
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Un crucifix
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Un crucifix Titre : Un crucifix Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Au bout d'un bas-côté de l'église gothique, Contre le mur que vient baiser le jour mystique D'un long vitrail d'azur et d'or finement roux, Le Crucifix se dresse, ineffablement doux, Sur sa croix peinte en vert aux arêtes dorées, Et la gloire d'or sombre en langues échancrées Flue autour de la tête et des bras étendus, Tels quatre vols de flamme en un seul confondus. La statue est en bois, de grandeur naturelle, Légèrement teintée, et l'on croirait sur elle Voir s'arrêter la vie à l'instant qu'on la voit, Merveille d'art pieux, celui qui la fit doit N'avoir fait qu'elle et s'être éteint dans la victoire L'être un bon ouvrier trois fois sûr de sa gloire. « Voilà l'homme ! » Robuste et délicat pourtant. C'est bien le corps qu'il faut pour avoir souffert tant, Et c'est bien la poitrine où bat le Cœur immense : Par les lèvres le souffle expirant dit : « Clémence » Tant l'artiste les a disjointes saintement, Et les bras grands ouverts prouvent le Dieu clément ; La couronne d'épine est énorme et cruelle Sur le front inclinant sa pâleur fraternelle Vers l'ignorance humaine et l'erreur du pécheur, Tandis que, pour noyer le scrupule empêcheur D'aimer et d'espérer comme la Foi l'enseigne, Les pieds saignent, les mains saignent, le côté saigne ; On sent qu'il s'offre au Père en toute charité. Ce vrai Christ catholique éperdu de bonté, Pour spécialement sauver vos âmes tristes, Pharisiens naïfs, sincères jansénistes ! — Un ami qui passait, bon peintre et bon chrétien Et bon poète aussi — les trois s'accordent bien — Vit cette œuvre sublime, en fit une copie Exquise, et, surprenant mon regard qui l'épie, Très gracieusement chez moi vint l'oublier. Et j'ai rimé ces vers pour le remercier. —
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Jolies femmes
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Jolies femmes Titre : Jolies femmes Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les quatre vents de l'esprit (1881). Sonnet. On leur fait des sonnets, passables quelquefois ; On baise cette main qu'elles daignent vous tendre ; On les suit à l'église, on les admire au bois ; On redevient Damis, on redevient Clitandre ; Le bal est leur triomphe, et l'on brigue leur choix ; On danse, on rit, on cause, et vous pouvez entendre, Tout en valsant, parmi les luths et les hautbois, Ces belles gazouiller de leur voix la plus tendre : - La force est tout ; la guerre est sainte ; l'échafaud Est bon ; il ne faut pas trop de lumière ; il faut Bâtir plus de prisons et bâtir moins d'écoles ; Si Paris bouge, il faut des canons plein les forts. Et ces colombes-là vous disent des paroles A faire remuer d'horreur les os des morts. Juillet 1870.
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À ceux qui font de petites fautes
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À ceux qui font de petites fautes Titre : À ceux qui font de petites fautes Poète : Victor Hugo (1802-1885) Sois avare du moindre écart d'honnêteté. Sois juste en détail. Voir des deuils, rire à côté, Mentir pour un plaisir, tricher pour un centime, Cela ne te fait rien perdre en ta propre estime, Eh bien, prends garde. Tout finit par s'amasser ; Des choses que tu fais presque sans y penser, Vagues improbités parfois inaperçues De toi-même, te font tomber, sont des issues Sur le mal, et par là tu descends dans la nuit. Un lourd câble est de fils misérables construit ; Qu'est-ce que l'océan ? une onde après une onde ; Un ver creuse un abîme, un pou construit un monde ; C'est brin à brin que l'aigle énorme fait son nid ; Un tas de petits faits peu scrupuleux finit Par faire le total d'une action mauvaise. Et d'atome en atome on empire, et l'on pèse, Souvent, quand vient le jour du compte solennel, En n'étant qu'imprudent, le poids d'un criminel. Homme, la conscience est une minutie. L'âme est plus aisément que l'hermine, noircie. Le vrai sans s'amoindrir toujours partout entra. Ne crois pas que jamais, parce qu'on les mettra Dans les moindres recoins de l'âme, on rapetisse La probité, l'honneur, le droit et la justice. Devant les cieux qu'emplit un vague aspect d'effroi, Sur tout, sans savoir qui, sans demander pourquoi, Le philosophe pleure, aime, intercède, prie. Il pense ; il sonde avec sa prunelle attendrie Le mystère, et comprend que quelqu'un gémit là. Il parle à l'infini comme Jean lui parla ; Il y penche son âme et par cette ouverture Répand un sombre amour sur la vaste nature ; Il bénit à voix basse en marchant devant lui Toutes les profondeurs de l'ombre et de l'ennui, L'antre, l'herbe, les monts glacés, les arbres torses, Les courants, les aimants, l'hydre aveugle des forces, Les joncs tremblants, les bois tristes, les rochers nus, L'air, l'onde, et le troupeau des monstres inconnus ; Il console, incliné ; ce qui vit, ce qui souffre, Et, tous les noirs captifs invisibles du gouffre, Epars dans l'Être horrible aux effrayants halliers, Enchaînés aux carcans ou tirant des colliers. Il perçoit les soupirs des visions funèbres ; Il console et secourt plus bas que l'animal ; Tendre, il fait du bien, même à ce qui fait du mal ; Sans distinguer sur qui tombent ses pleurs, lui-même N'étant qu'une lueur flottant dans le problème, Il prie, argile, chair, larve ; et semble un rayon Aux sombres yeux ouverts dans l'expiation. L'ardeur d'apaiser tout est sa sublime fièvre ; Il va ! prophète ou non, qu'importe que sa lèvre Ait ou n'ait pas le feu du céleste charbon ! Il sait bien qu'on l'entend, qu'il suffit d'être bon, Et que les exilés rêvent la délivrance ; Il passe en murmurant Espérance ! espérance ! Et toute la souffrance est un appel confus A son coeur d'où jamais il ne sort un refus. Le 19 juin 1839.
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Acrobate
Louis Aragon (1897-1982)
Poésie : Acrobate Titre : Acrobate Poète : Louis Aragon (1897-1982) Recueil : Feu de joie (1920). Bras en sang Gai comme les sainfoins L'hyperbole retombe Les mains Les oiseaux sont des nombres L'algèbre est dans les arbres C'est Rousseau qui peignit sur la portée du ciel Cette musique à vocalises Cent À Cent pour la vie Qui tatoue Je fais la roue sur les remparts.
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Sérénade
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Sérénade Titre : Sérénade Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Espana (1845). Sur le balcon où tu te penches Je veux monter... efforts perdus ! Il est trop haut, et tes mains blanches N'atteignent pas mes bras tendus. Pour déjouer ta duègne avare, Jette un collier, un ruban d'or ; Ou des cordes de ta guitare Tresse une échelle, ou bien encor... Ôte tes fleurs, défais ton peigne, Penche sur moi tes cheveux longs, Torrent de jais dont le flot baigne Ta jambe ronde et tes talons. Aidé par cette échelle étrange, Légèrement je gravirai, Et jusqu'au ciel, sans être un ange, Dans les parfums je monterai !
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À lui mesme
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : À lui mesme Titre : À lui mesme Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Lors que ta mere estoit preste à gesir de toi, Si Jupiter, des Dieus et des hommes le roi, Lui eust juré ces mots : l'enfant dont tu es pleine, Sera tant qu'il vivra sans douleur et sans peine, Et tousjours lui viendront les biens sans y songer, Tu dirois à bon droit Jupiter mensonger. Mais puis que tu es né, ainsi que tous nous sommes, A la condition des miserables hommes, Pour avoir en partage ennuis, soucis, travaus, Douleurs, tristesses, soins, tormans, peines et maus, Il faut baisser le dôs, et porter la fortune Qui vient sans nul égard à tous hommes commune : Ce que facilement patient tu feras, Quand quelque fois le jour, en ton coeur penseras Que tu n'es que pur homme, et qu'on ne voit au monde Chose qui plus que l'homme en miseres abonde, Qui plus soudain s'éleve, et qui plus soudain soit Tombé quand il est haut : et certes à bon droit, Car il n'a point de force, et si tousjours demande D'atenter, plus que lui, quelque entreprise grande. Ce que tu quiers du Roi, Maigni, n'est pas grand cas, Et de l'avoir bien tost encores tu n'as pas Du tout perdu l'espoir, pource pren bon courage, Tu n'as garde de fondre au meillieu de l'orage, Puis que tu as, en lieu du bel astre besson Des Spartains, la faveur de ton grand d'Avanson, Qui ja pousse ta nef sur la rive deserte, Pour y payer tes veus à Glauque et Melicerte.
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Marie, que je sers en trop cruel destin
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Marie, que je sers en trop cruel destin Titre : Marie, que je sers en trop cruel destin Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le second livre des Amours (1556). Marie, que je sers en trop cruel destin, Quand d'un baiser d'amour votre bouche me baise, Je suis tout éperdu, tant le coeur me bat d'aise. Entre vos doux baisers puissé-je prendre fin ! Il sort de votre bouche un doux flair, qui le thym, Le jasmin et l'oeillet, la framboise et la fraise Surpasse de douceur, tant une douce braise Vient de la bouche au coeur par un nouveau chemin. Il sort de votre sein une odoreuse haleine (Je meurs en y pensant) de parfum toute pleine, Digne d'aller au ciel embaumer Jupiter. Mais quand toute mon âme en plaisir se consomme Mourant dessus vos yeux, lors pour me dépiter Vous fuyez de mon col, pour baiser un jeune homme.
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Derniers vers
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Derniers vers Titre : Derniers vers Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies posthumes (1888). L'heure de ma mort, depuis dix-huit mois, De tous les côtés sonne à mes oreilles, Depuis dix-huit mois d'ennuis et de veilles, Partout je la sens, partout je la vois. Plus je me débats contre ma misère, Plus s'éveille en moi l'instinct du malheur ; Et, dès que je veux faire un pas sur terre, Je sens tout à coup s'arrêter mon coeur. Ma force à lutter s'use et se prodigue. Jusqu'à mon repos, tout est un combat ; Et, comme un coursier brisé de fatigue, Mon courage éteint chancelle et s'abat.
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Promenade sentimentale
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Promenade sentimentale Titre : Promenade sentimentale Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Poèmes saturniens (1866). Le couchant dardait ses rayons suprêmes Et le vent berçait les nénuphars blêmes ; Les grands nénuphars entre les roseaux Tristement luisaient sur les calmes eaux. Moi j'errais tout seul, promenant ma plaie Au long de l'étang, parmi la saulaie Où la brume vague évoquait un grand Fantôme laiteux se désespérant Et pleurant avec la voix des sarcelles Qui se rappelaient en battant des ailes Parmi la saulaie où j'errais tout seul Promenant ma plaie ; et l'épais linceul Des ténèbres vint noyer les suprêmes Rayons du couchant dans ses ondes blêmes Et les nénuphars, parmi les roseaux, Les grands nénuphars sur les calmes eaux.
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La sagesse des griffons
Anatole France (1844-1924)
Poésie : La sagesse des griffons Titre : La sagesse des griffons Poète : Anatole France (1844-1924) C'était la nuit ardente et le retour du bal ; Vaincue et triomphante et chastement lascive, Elle disait d'un ton de bien-être : J'ai mal !... Les roses s'effeuillaient sur sa tête pensive Où murmurait encor l'âme des violons ; Son pied avait parfois un spasme mélodique. Le mouchoir de dentelle au bout de ses doigts longs Glissait ; et sur les bras du fauteuil héraldique, Ses bras minces et blancs s'allongeaient mollement, Nus, et laissaient tomber le fragile corsage, Si bien que, sur le sein, à chaque battement, L'ombre qui rend songeur se creusait davantage Dans la blancheur de sa chair de camélia. Mais soulevant ses bras, lianes odorantes, Lentement sur mon col, douce, elle les lia, Et soupira : Toujours ! de ses lèvres mourantes. Sur sa tête d'enfant penchée au poids des fleurs Le dossier droit et haut montait lourd de ténèbres, Et sur sa nuque folle aux neigeuses fraîcheurs Les Griffons lampassés prenaient des airs funèbres, Car ils remémoraient, en de calmes ennuis, La longue obsession de leurs regards de chêne : Les bras évanouis des anciennes nuits Qui tous voulaient jeter une éternelle chaîne, Insensés ! sur le cou docile de l'aimé, Ne sachant pas qu'au fond des demeures affreuses, Tout seuls, pliés en croix sur le sein accalmé, Ils s'en iraient où vont les bras des amoureuses. Car les Griffons debout au chevet féodal, Chimériques témoins de mes belles chimères, S'étaient enfin lassés d'entendre, après le bal, Les serments éternels des bouches éphémères.
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Fêtes de village en plein air
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Fêtes de village en plein air Titre : Fêtes de village en plein air Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les chansons des rues et des bois (1865). Le bal champêtre est sous la tente. On prend en vain des airs moqueurs ; Toute une musique flottante Passe des oreilles aux coeurs. On entre, on fait cette débauche De voir danser en plein midi Près d'une Madelon point gauche Un Gros-Pierre point engourdi. On regarde les marrons frire ; La bière mousse, et les plateaux Offrent aux dents pleines de rire Des mosaïques de gâteaux. Le soir on va dîner sur l'herbe ; On est gai, content, berger, roi, Et, sans savoir comment, superbe, Et tendre, sans savoir pourquoi. Feuilles vertes et nappes blanches ; Le couchant met le bois en feu ; La joie ouvre ses ailes franches : Comme le ciel immense est bleu !
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Don Juan pipé
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Don Juan pipé Titre : Don Juan pipé Poète : Paul Verlaine (1844-1896) À François Coppée Don Juan qui fut grand Seigneur en ce monde Est aux enfers ainsi qu'un pauvre immonde Pauvre, sans la barbe faite, et pouilleux, Et si n'étaient la lueur de ses yeux Et la beauté de sa maigre figure, En le voyant ainsi quiconque jure Qu'il est un gueux et non ce héros fier Aux dames comme au poète si cher Et dont l'auteur de ces humbles chroniques Vous va parler sur des faits authentiques. Il a son front dans ses mains et paraît Penser beaucoup à quelque grand secret. Il marche à pas douloureux sur la neige : Car c'est son châtiment que rien n'allège D'habiter seul et vêtu de léger Loin de tout lieu où fleurit l'oranger Et de mener ses tristes promenades Sous un ciel veuf de toutes sérénades Et qu'une lune morte éclaire assez Pour expier tous ses soleils passés. Il songe. Dieu peut gagner, car le Diable S'est vu réduire à l'état pitoyable De tourmenteur et de geôlier gagé Pour être las trop tôt, et trop âgé. Du Révolté de jadis il ne reste Plus qu'un bourreau qu'on paie et qu'on moleste Si bien qu'enfin la cause de l'Enfer S'en va tombant comme un fleuve à la mer, Au sein de l'alliance primitive. Il ne faut pas que cette honte arrive. Mais lui, don Juan, n'est pas mort, et se sent Le coeur vif comme un coeur d'adolescent Et dans sa tête une jeune pensée Couve et nourrit une force amassée ; S'il est damné c'est qu'il le voulut bien, Il avait tout pour être un bon chrétien, La foi, l'ardeur au ciel, et le baptême, Et ce désir de volupté lui-même, Mais s'étant découvert meilleur que Dieu, Il résolut de se mettre en son lieu. À cet effet, pour asservir les âmes Il rendit siens d'abord les cœurs des femmes. Toutes pour lui laissèrent là Jésus, Et son orgueil jaloux monta dessus Comme un vainqueur foule un champ de bataille. Seule la mort pouvait être à sa taille. Il l'insulta, la défit. C'est alors Qu'il vint à Dieu, lui parla face à face Sans qu'un instant hésitât son audace. Le défiant, Lui, son Fils et ses saints ! L'affreux combat ! Très calme et les reins ceints D'impiété cynique et de blasphème, Ayant volé son verbe à Jésus même, Il voyagea, funeste pèlerin, Prêchant en chaire et chantant au lutrin, Et le torrent amer de sa doctrine, Parallèle à la parole divine, Troublait la paix des simples et noyait Toute croyance et, grossi, s'enfuyait. Il enseignait : « Juste, prends patience. Ton heure est proche. Et mets ta confiance En ton bon coeur. Sois vigilant pourtant, Et ton salut en sera sûr d'autant. Femmes, aimez vos maris et les vôtres Sans cependant abandonner les autres... L'amour est un dans tous et tous dans un, Afin qu'alors que tombe le soir brun L'ange des nuits n'abrite sous ses ailes Que cœurs mi-clos dans la paix fraternelle. » Au mendiant errant dans la forêt Il ne donnait un sol que s'il jurait. Il ajoutait : « De ce que l'on invoque Le nom de Dieu, celui-ci s'en choque, Bien au contraire, et tout est pour le mieux. Tiens, prends, et bois à ma santé, bon vieux. » Puis il disait : « Celui-là prévarique Qui de sa chair faisant une bourrique La subordonne au soin de son salut Et lui désigne un trop servile but. La chair est sainte ! Il faut qu'on la vénère. C'est notre fille, enfants, et notre mère, Et c'est la fleur du jardin d'ici-bas ! Malheur à ceux qui ne l'adorent pas ! Car, non contents de renier leur être, Ils s'en vont reniant le divin maître, Jésus fait chair qui mourut sur la croix, Jésus fait chair qui de sa douce voix Ouvrait le coeur de la Samaritaine, Jésus fait chair qu'aima la Madeleine ! » À ce blasphème effroyable, voilà Que le ciel de ténèbres se voila. Et que la mer entrechoqua les îles. On vit errer des formes dans les villes Les mains des morts sortirent des cercueils, Ce ne fut plus que terreurs et que deuils Et Dieu voulant venger l'injure affreuse Prit sa foudre en sa droite furieuse Et maudissant don Juan, lui jeta bas Son corps mortel, mais son âme, non pas ! Non pas son âme, on l'allait voir ! Et pâle De male joie et d'audace infernale, Le grand damné, royal sous ses haillons, Promène autour son œil plein de rayons, Et crie : « À moi l'Enfer ! ô vous qui fûtes Par moi guidés en vos sublimes chutes, Disciples de don Juan, reconnaissez Ici la voix qui vous a redressés.- Satan est mort, Dieu mourra dans la fête, Aux armes pour la suprême conquête ! Apprêtez-vous, vieillards et nouveau-nés, C'est le grand jour pour le tour des damnés. » Il dit. L'écho frémit et va répandre L'appel altier, et don Juan croit entendre Un grand frémissement de tous côtés. Ses ordres sont à coup sûr écoutés : Le bruit s'accroît des clameurs de victoire, Disant son nom et racontant sa gloire. « À nous deux, Dieu stupide, maintenant ! » Et don Juan a foulé d'un pied tonnant Le sol qui tremble et la neige glacée Qui semble fondre au feu de sa pensée... Mais le voilà qui devient glace aussi Et dans son coeur horriblement transi Le sang s'arrête, et son geste se fige. Il est statue, il est glace. Ô prodige Vengeur du Commandeur assassiné ! Tout bruit s'éteint et l'Enfer réfréné Rentre à jamais dans ses mornes cellules. « Ô les rodomontades ridicules », Dit du dehors Quelqu'un qui ricanait, « Contes prévus ! farces que l'on connaît ! Morgue espagnole et fougue italienne ! Don Juan, faut-il afin qu'il t'en souvienne, Que ce vieux Diable, encore que radoteur, Ainsi te prenne en délit de candeur ? Il est écrit de ne tenter... personne L'Enfer ni ne se prend ni ne se donne. Mais avant tout, ami, retiens ce point : On est le Diable, on ne le devient point. »
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Le sacrifice
Auguste Angellier (1848-1911)
Poésie : Le sacrifice Titre : Le sacrifice Poète : Auguste Angellier (1848-1911) Recueil : À l'amie perdue (1896). Par nos premiers regards sous les verts marronniers, Par nos premiers aveux dont mon cœur encor tremble, Par nos premiers baisers, et ces baisers derniers Où notre amour passé pour mourir se rassemble ; Par les sentiers, les bois, les coteaux, les glaciers. Par les plages des mers qui nous ont vus ensemble, Par tant d'instants profonds et de jours familiers Qui font que mon esprit à ton esprit ressemble ; Par ce rayon qui vient animer sur sa croix Ce Dieu de la souffrance humaine auquel tu crois, Et par mon honneur d'homme, ô chère âme, je jure Que je t'aime, que ma tendresse est grande et pure, Que l'angoisse sans fond de ce soir la mesure, Et que c'est par amour que je renonce à toi !
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Fut-il jamais douceur de coeur
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Fut-il jamais douceur de coeur Titre : Fut-il jamais douceur de coeur Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies nouvelles (1850). Rondeau. Fut-il jamais douceur de coeur pareille À voir Manon dans mes bras sommeiller ? Son front coquet parfume l'oreiller ; Dans son beau sein j'entends son coeur qui veille. Un songe passe, et s'en vient l'égayer. Ainsi s'endort une fleur d'églantier, Dans son calice enfermant une abeille. Moi, je la berce ; un plus charmant métier Fut-il jamais ? Mais le jour vient, et l'Aurore vermeille Effeuille au vent son bouquet printanier. Le peigne en main et la perle à l'oreille, À son miroir Manon court m'oublier. Hélas ! l'amour sans lendemain ni veille Fut-il jamais ?
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Bonjour mon coeur
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Bonjour mon coeur Titre : Bonjour mon coeur Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le second livre des Amours (1556). Bonjour mon coeur, bonjour ma douce vie. Bonjour mon oeil, bonjour ma chère amie, Hé ! bonjour ma toute belle, Ma mignardise, bonjour, Mes délices, mon amour, Mon doux printemps, ma douce fleur nouvelle, Mon doux plaisir, ma douce colombelle, Mon passereau, ma gente tourterelle, Bonjour, ma douce rebelle. Hé ! faudra-t-il que quelqu'un me reproche Que j'aie vers toi le coeur plus dur que roche De t'avoir laissée, maîtresse, Pour aller suivre le Roi, Mendiant je ne sais quoi Que le vulgaire appelle une largesse ? Plutôt périsse honneur, court, et richesse, Que pour les biens jamais je te relaisse, Ma douce et belle déesse.
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Fenêtres ouvertes
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Fenêtres ouvertes Titre : Fenêtres ouvertes Poète : Victor Hugo (1802-1885) Le matin - En dormant. J'entends des voix. Lueurs à travers ma paupière. Une cloche est en branle à l'église Saint-Pierre. Cris des baigneurs. Plus près ! plus loin ! non, par ici ! Non, par là ! Les oiseaux gazouillent, Jeanne aussi. Georges l'appelle. Chant des coqs. Une truelle Racle un toit. Des chevaux passent dans la ruelle. Grincement d'une faux qui coupe le gazon. Chocs. Rumeurs. Des couvreurs marchent sur la maison. Bruits du port. Sifflement des machines chauffées. Musique militaire arrivant par bouffées. Brouhaha sur le quai. Voix françaises. Merci. Bonjour. Adieu. Sans doute il est tard, car voici Que vient tout près de moi chanter mon rouge-gorge. Vacarme de marteaux lointains dans une forge. L'eau clapote. On entend haleter un steamer. Une mouche entre. Souffle immense de la mer.
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J'eus toujours de l'amour pour les choses ailées
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : J'eus toujours de l'amour pour les choses ailées Titre : J'eus toujours de l'amour pour les choses ailées Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les rayons et les ombres (1840). J'eus toujours de l'amour pour les choses ailées. Lorsque j'étais enfant, j'allais sous les feuillées, J'y prenais dans les nids de tout petits oiseaux. D'abord je leur faisais des cages de roseaux Où je les élevais parmi des mousses vertes. Plus tard je leur laissais les fenêtres ouvertes. Ils ne s'envolaient point ; ou, s'ils fuyaient aux bois, Quand je les rappelais ils venaient à ma voix. Une colombe et moi longtemps nous nous aimâmes. Maintenant je sais l'art d'apprivoiser les âmes. Le 12 avril 1840.
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Watteau
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Watteau Titre : Watteau Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : La comédie de la mort (1838). Devers Paris, un soir, dans la campagne, J'allais suivant l'ornière d'un chemin, Seul avec moi, n'ayant d'autre compagne Que ma douleur qui me donnait la main. L'aspect des champs était sévère et morne, En harmonie avec l'aspect des cieux, Rien n'était vert sur la plaine sans borne, Hormis un parc planté d'arbres très vieux. Je regardai bien longtemps par la grille ; C'était un parc dans le goût de Watteau : Ormes fluets, ifs noirs, verte charmille, Sentiers peignés et tirés au cordeau. Je m'en allai l'âme triste et ravie ; En regardant, j'avais compris cela : Que j'étais près du rêve de ma vie, Que mon bonheur était enfermé là.
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À Madame A. T
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À Madame A. T Titre : À Madame A. T Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies posthumes (1888). Qu'un jeune amour plein de mystère Pardonne à la vieille amitié D'avoir troublé son sanctuaire. D'une belle âme qui m'est chère Si j'ai jamais eu la moitié, Je vous la lègue tout entière.
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Le jet d'eau
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le jet d'eau Titre : Le jet d'eau Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Tes beaux yeux sont las, pauvre amante ! Reste longtemps, sans les rouvrir, Dans cette pose nonchalante Où t'a surprise le plaisir. Dans la cour le jet d'eau qui jase Et ne se tait ni nuit ni jour, Entretient doucement l'extase Où ce soir m'a plongé l'amour. La gerbe épanouie En mille fleurs, Où Phoebé réjouie Met ses couleurs, Tombe comme une pluie De larges pleurs. Ainsi ton âme qu'incendie L'éclair brûlant des voluptés S'élance, rapide et hardie, Vers les vastes cieux enchantés. Puis, elle s'épanche, mourante, En un flot de triste langueur, Qui par une invisible pente Descend jusqu'au fond de mon coeur. La gerbe épanouie En mille fleurs, Où Phoebé réjouie Met ses couleurs, Tombe comme une pluie De larges pleurs. Ô toi, que la nuit rend si belle, Qu'il m'est doux, penché vers tes seins, D'écouter la plainte éternelle Qui sanglote dans les bassins ! Lune, eau sonore, nuit bénie, Arbres qui frissonnez autour, Votre pure mélancolie Est le miroir de mon amour. La gerbe épanouie En mille fleurs, Où Phoebé réjouie Met ses couleurs, Tombe comme une pluie De larges pleurs.
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Fiat voluntas
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Fiat voluntas Titre : Fiat voluntas Poète : Victor Hugo (1802-1885) PAUVRE femme ! son lait à sa tête est monté. Et, dans ses froids salons, le monde a répété, Parmi les vains propos que chaque jour emporte, Hier, qu'elle était folle, aujourd'hui, qu'elle est morte ; Et, seul au champ des morts, je foule ce gazon, Cette tombe où sa vie a suivi sa raison ! Folle ! morte ! pourquoi ? Mon Dieu ! pour peu de chose ! Pour un fragile enfant dont la paupière est close, Pour un doux nouveau-né, tête aux fraîches couleurs, Qui naguère à son sein, comme une mouche aux fleurs, Pendait, riait, pleurait, et, malgré ses prières, Troublant tout leur sommeil pendant des nuits entières, Faisait mille discours, pauvre petit ami ! Et qui ne dit plus rien, car il est endormi. Quand elle vit son fils, le soir d'un jour bien sombre, Car elle l'appelait son fils, cette vaine ombre ! Quand elle vit l'enfant glacé dans sa pâleur, – Oh ! ne consolez point une telle douleur ! – Elle ne pleura pas. Le lait avec la fièvre Soudain troubla sa tête et fit trembler sa lèvre ; Et depuis ce jour-là, sans voir et sans parler, Elle allait devant elle et regardait aller. Elle cherchait dans l'ombre une chose perdue, Son enfant disparu dans la vague étendue ; Et par moments penchait son oreille en marchant, Comme si sous la terre elle entendait un chant. Une femme du peuple, un jour que dans la rue Se pressait sur ses pas une foule accourue, Rien qu'à la voir souffrir devina son malheur. Les hommes, en voyant ce beau front sans couleur, Et cet œil froid toujours suivant une chimère, S'écriaient : Pauvre folle ! Elle dit : Pauvre mère ! Pauvre mère, en effet ! Un soupir étouffant Parfois coupait sa voix qui murmurait : L'enfant ! Parfois elle semblait, dans la cendre enfouie, Chercher une lueur au ciel évanouie ; Car la jeune âme enfuie, hélas ! de sa maison Avait en s'en allant emporté sa raison ! On avait beau lui dire, en parlant à voix basse, Que la vie est ainsi ; que tout meurt, que tout passe ; Et qu'il est des enfants, – mères, sachez-le bien ! Que Dieu, qui prête tout et qui ne donne rien, Pour rafraîchir nos fronts avec leurs ailes blanches, Met comme des oiseaux pour un jour sur nos branches ! On avait beau lui dire, elle n'entendait pas. L'œil fixe, elle voyait toujours devant ses pas S'ouvrir les bras charmants de l'enfant qui l'appelle. Elle avait des hochets fait une humble chapelle. Car rien n'est plus puissant que ces petits bras morts Pour tirer promptement les mères dans la tombe. Où l'enfant est tombé bientôt la femme tombe. Qu'est-ce qu'une maison dont le seuil est désert ? Qu'un lit sans un berceau ? Dieu clément ! à quoi sert Le regard maternel sans l'enfant qui repose ? A quoi bon ce sein blanc sans cette bouche rose ? Après avoir longtemps, le cœur mort, les yeux morts, Erré sur le tombeau comme étant en dehors, – Longtemps ! ce sont ici des paroles humaines, Hélas ! il a suffi de bien peu de semaines ! – Malheureuse ! en deux mois tout s'est évanoui. Hier elle était folle, elle est morte aujourd'hui ! Il suffit qu'un oiseau vienne sur une rive Pour qu'un deuxième oiseau tout en hâte l'y suive. Sur deux il en est un toujours qui va devant. Après avoir à peine ouvert son aile au vent, Il vint, le bel enfant, s'abattre sur la tombe ; Elle y vint après lui, comme une autre colombe. On a creusé la terre, et là, sous le gazon, On a mis la nourrice auprès du nourrisson. Et moi je dis : – Seigneur ! votre règne est austère ! Seigneur ! vous avez mis partout un noir mystère, Dans l'homme et dans l'amour, dans l'arbre et dans l'oiseau, Et jusque dans ce lait que réclame un berceau, Ambroisie et poison, doux miel, liqueur amère, Fait pour nourrir l'enfant ou pour tuer la mère ! Le 17 février 1837.
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Je ne suis pas jaloux de ton passé, chérie
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Je ne suis pas jaloux de ton passé, chérie Titre : Je ne suis pas jaloux de ton passé, chérie Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Je ne suis pas jaloux de ton passé, chérie, Et même je t'en aime et t'en admire mieux. Il montre ton grand coeur et la gloire inflétrie D'un amour tendre et fort autant qu'impétueux. Car tu n'eus peur ni de la mort ni de la vie, Et, jusqu'à cet automne fier répercuté Vers les jours orageux de ta prime beauté, Ton beau sanglot, honneur sublime, t'a suivie. Ton beau sanglot que ton beau rire condolait Comme un frère plus mâle, et ces deux bons génies T'ont sacrée à mes yeux de vertus infinies Dont mon amour à moi, tout fier, se prévalait Et se targue pour t'adorer au sens mystique : Consolations, voeux, respects, en même temps Qu'humbles caresses et qu'hommages ex-votants De ma chair à ce corps vaillant, temple héroïque Où tant de passions comme en un Panthéon, Rancoeurs, pardons, fureurs et la sainte luxure Tinrent leur culte, respectant la forme pure Et le galbe puissant profanés par Phaon. Pense à Phaon pour l'oublier dans mon étreinte Plus douce et plus fidèle, amant d'après-midi, D'extrême après-midi, mais non pas attiédi, Que me voici, tout plein d'extases et de crainte. Va, je t'aime... mieux que l'autre : il faut l'oublier. Toi : souris-moi du moins entre deux confidences, Amazone blessée ès belles imprudences Qui se réveille au sein d'un vieux brave écuyer.
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