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Nos désirs sont d'amour
Théodore Agrippa d'Aubigné (1552-1630)
Poésie : Nos désirs sont d'amour Titre : Nos désirs sont d'amour Poète : Théodore Agrippa d'Aubigné (1552-1630) Recueil : Hécatombe à Diane. Sonnet LXXIII. Nos désirs sont d'amour la dévorante braise, Sa boutique nos corps, ses flammes nos douleurs, Ses tenailles nos yeux, et la trempe nos pleurs, Nos soupirs ses soufflets, et nos sens sa fournaise. De courroux, ses marteaux, il tourmente notre aise Et sur la dureté, il rabat nos malheurs, Elle lui sert d'enclume et d'étoffe nos coeurs Qu'au feu trop violent, de nos pleurs il apaise, Afin que l'apaisant et mouillant peu à peu Il brûle d'avantage et rengrège (1) son feu. Mais l'abondance d'eau peut amortir la flamme. Je tromperai l'enfant, car pensant m'embraser, Tant de pleurs sortiront sur le feu qui m'enflamme Qu'il noiera sa fournaise au lieu de l'arroser. 1. Rengrège : Augmente.
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L'acceptation
Auguste Angellier (1848-1911)
Poésie : L'acceptation Titre : L'acceptation Poète : Auguste Angellier (1848-1911) Recueil : À l'amie perdue (1896). Je te vis dans un rêve après un triste adieu : Tu marchais dans les plis pesants et magnifiques D'une robe en velours d'un plus céleste bleu Que celui des glaciers ou des flots atlantiques. Quand vers l'orient clair jaillit un premier feu ; Une gorgone d'or aux cruels yeux tragiques L'agrafait à ton cou, mais un doux désaveu Descendait de tes yeux azurés et pudiques ; Derrière toi luisait une mer de lapis Dont les flots étages montaient comme un parvis Vers un grand ciel limpide aux bleuâtres splendeurs ; Tu tenais dans tes mains de frais myosotis, Sans me dire un seul mot tu me tendis ces fleurs, Et j'y plongeai mon front pour y cacher mes pleurs.
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La mort de Philippe II
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : La mort de Philippe II Titre : La mort de Philippe II Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Le coucher d'un soleil de septembre ensanglante La plaine morne et l'âpre arête des sierras Et de la brume au loin l'installation lente. Le Guadarrama pousse entre les sables ras Son flot hâtif qui va réfléchissant par places Quelques oliviers nains tordant leurs maigres bras. Le grand vol anguleux des éperviers rapaces Raye à l'ouest le ciel mat et rouge qui brunit, Et leur cri rauque grince à travers les espaces. Despotique, et dressant au-devant du zénith L'entassement brutal de ses tours octogones, L'Escurial étend son orgueil de granit. Les murs carrés, percés de vitraux monotones, Montent droits, blancs et nus, sans autres ornements Que quelques grils sculptés qu'alternent des couronnes. Avec des bruits pareils aux rudes hurlements D'un ours que des bergers navrent de coups de pioches Et dont l'écho redit les râles alarmants, Torrent de cris roulant ses ondes sur les roches, Et puis s'évaporant en des murmures longs, Sinistrement dans l'air du soir tintent les cloches. Par les cours du palais, où l'ombre met ses plombs, Circule – tortueux serpent hiératique – Une procession de moines aux frocs blonds Qui marchent un par un, suivant l'ordre ascétique, Et qui, pieds nus, la corde aux reins, un cierge en main, Ululent d'une voix formidable un cantique. – Qui donc ici se meurt ? Pour qui sur le chemin Cette paille épandue et ces croix long-voilées Selon le rituel catholique romain ? – La chambre est haute, vaste et sombre. Niellées, Les portes d'acajou massif tournent sans bruit, Leurs serrures étant, comme leurs gonds, huilées. Une vague rougeur plus triste que la nuit Filtre à rais indécis par les plis des tentures À travers les vitraux où le couchant reluit, Et fait papilloter sur les architectures, À l'angle des objets, dans l'ombre du plafond, Ce halo singulier qu'on voit dans les peintures. Parmi le clair-obscur transparent et profond S'agitent effarés des hommes et des femmes À pas furtifs, ainsi que les hyènes font. Riches, les vêtements des seigneurs et des dames, Velours, panne, satin, soie, hermine et brocart, Chantent l'ode du luxe en chatoyantes gammes, Et, trouant par éclairs distancés avec art L'opaque demi-jour, les cuirasses de cuivre Des gardes alignés scintillent de trois quart. Un homme en robe noire, à visage de guivre, Se penche, en caressant de la main ses fémurs, Sur un lit, comme l'on se penche sur un livre. Des rideaux de drap d'or roides comme des murs Tombent d'un dais de bois d'ébène en droite ligne, Dardant à temps égaux l'œil des diamants durs. Dans le lit, un vieillard d'une maigreur insigne Egrène un chapelet, qu'il baise par moment, Entre ses doigts crochus comme des brins de vigne. Ses lèvres font ce sourd et long marmottement, Dernier signe de vie et premier d'agonie, — Et son haleine pue épouvantablement. Dans sa barbe couleur d'amarante ternie, Parmi ses cheveux blancs où luisent des tons roux, Sous son linge bordé de dentelle jaunie, Avides, empressés, fourmillants, et jaloux De pomper tout le sang malsain du mourant fauve En bataillons serrés vont et viennent les poux. C'est le Roi, ce mourant qu'assiste un mire chauve, Le Roi Philippe Deux d'Espagne, — saluez ! — Et l'aigle autrichien s'effare dans l'alcôve, Et de grands écussons, aux murailles cloués, Brillent, et maints drapeaux où l'oiseau noir s'étale Pendent de çà de là, vaguement remués !... — La porte s'ouvre. Un flot de lumière brutale Jaillit soudain, déferle et bientôt s'établit Par l'ampleur de la chambre en nappe horizontale ; Porteurs de torches, roux, et que l'extase emplit, Entrent dix capucins qui restent en prière : Un d'entre eux se détache et marche droit au lit. Il est grand, jeune et maigre, et son pas est de pierre, Et les élancements farouches de la Foi Rayonnent à travers les cils de sa paupière ; Son pied ferme et pesant et lourd, comme la Loi, Sonne sur les tapis, régulier, emphatique : Les yeux baissés en terre, il marche droit au Roi. Et tous sur son trajet dans un geste extatique S'agenouillent, frappant trois fois du poing leur sein, Car il porte avec lui le sacré Viatique. Du lit s'écarte avec respect le matassin, Le médecin du corps, en pareille occurrence, Devant céder la place, Âme, à ton médecin. La figure du Roi, qu'étire la souffrance, À l'approche du fray se rassérène un peu, Tant la religion est grosse d'espérance ! Le moine cette fois ouvrant son œil de feu, Tout brillant de pardons mêlés à des reproches, S'arrête, messager des justices de Dieu. — Sinistrement dans l'air du soir tintent les cloches. Et la Confession commence. Sur le flanc Se retournant, le Roi, d'un ton sourd, bas et grêle, Parle de feux, de juifs, de bûchers et de sang. — « Vous repentiriez-vous par hasard de ce zèle ? Brûler des juifs, mais c'est une dilection ! Vous fûtes, ce faisant, orthodoxe et fidèle. » — Et, se pétrifiant dans l'exaltation, Le Révérend, les bras en croix, tête baissée, Semble l'esprit sculpté de l'Inquisition. Ayant repris haleine, et d'une voix cassée, Péniblement, et comme arrachant par lambeaux Un remords douloureux du fond de sa pensée, Le Roi, dont la lueur tragique des flambeaux Éclaire le visage osseux et le front blême, Prononce ces mots : Flandre, Albe, morts, sacs, tombeaux. — « Les Flamands, révoltés contre l'Église même, Furent très justement punis, à votre los, Et je m'étonne, ô Roi, de ce doute suprême. « Poursuivez. » Et le Roi parla de don Carlos. Et deux larmes coulaient tremblantes sur sa joue Palpitante et collée affreusement à l'os. — « Vous déplorez cet acte, et moi je vous en loue ! L'Infant, certes, était coupable au dernier point, Ayant voulu tirer l'Espagne dans la boue De l'hérésie anglaise, et de plus n'ayant point Frémi de conspirer – ô ruses abhorrées ! – Et contre un Père, et contre un Maître, et contre un Oint ! » Le moine ensuite dit les formules sacrées Par quoi tous nos péchés nous sont remis, et puis, Prenant l'Hostie avec ses deux mains timorées, Sur la langue du Roi la déposa. Tous bruits Se sont tus, et la Cour, pliant dans la détresse, Pria, muette et pâle, et nul n'a su depuis Si sa prière fut sincère ou bien traîtresse. – Qui dira les pensers obscurs que protégea Ce silence, brouillard complice qui se dresse ? Ayant communié, le Roi se replongea Dans l'ampleur des coussins, et la béatitude De l'Absolution reçue ouvrant déjà L'œil de son âme au jour clair de la certitude, Épanouit ses traits en un sourire exquis Qui tenait de la fièvre et de la quiétude. Et tandis qu'alentour ducs, comtes et marquis, Pleins d'angoisses, fichaient leurs yeux sous la courtine, L'âme du Roi mourant montait aux cieux conquis, Puis le râle des morts hurla dans la poitrine De l'auguste malade avec des sursauts fous : Tel l'ouragan passe à travers une ruine. Et puis plus rien ; et puis, sortant par mille trous, Ainsi que des serpents frileux de leur repaire, Sur le corps froid les vers se mêlèrent aux poux. – Philippe Deux était à la droite du Père.
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Le monde est méchant
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Le monde est méchant Titre : Le monde est méchant Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Le monde est méchant, ma petite : Avec son sourire moqueur Il dit qu'à ton côté palpite Une montre en place de coeur. - Pourtant ton sein ému s'élève Et s'abaisse comme la mer, Aux bouillonnements de la sève Circulant sous ta jeune chair. Le monde est méchant, ma petite : Il dit que tes yeux vifs sont morts Et se meuvent dans leur orbite A temps égaux et par ressorts. - Pourtant une larme irisée Tremble à tes cils, mouvant rideau, Comme une perle de rosée Qui n'est pas prise au verre d'eau. Le monde est méchant, ma petite : Il dit que tu n'as pas d'esprit, Et que les vers qu'on te récite Sont pour toi comme du sanscrit. - Pourtant, sur ta bouche vermeille, Fleur s'ouvrant et se refermant, Le rire, intelligente abeille, Se pose à chaque trait charmant. C'est que tu m'aimes, ma petite, Et que tu hais tous ces gens-là. Quitte-moi ; - comme ils diront vite : Quel coeur et quel esprit elle a !
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Après le départ des cloches
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Après le départ des cloches Titre : Après le départ des cloches Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Bonheur (1891). Après le départ des cloches Au milieu du Gloria, Dès l'heure ordinaire des vêpres On consacre les Saintes Huiles Qu'escorte ensuite un long cortège De pontifes et de lévites. Il pluvine, il neigeotte, L'hiver vide sa hotte. Le tabernacle bâille, vide, L'autel, tout nu, n'a plus de cierges, De grands draps noirs pendent aux grilles, Les orgues saintes sont muettes. Du brouillard danse à même Le ciel encore blême. On dispense à flots d'eau bénite, Toutes cires sont allumées, Et de solennelle musique S'enfle au chœur et monte au jubé, Un clair soleil qui grise Réchauffe l'âpre bise. Gloria ! Voici les cloches Revenir ! Alleluia !
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En bateau
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : En bateau Titre : En bateau Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Fêtes galantes (1869). L'étoile du berger tremblote Dans l'eau plus noire et le pilote Cherche un briquet dans sa culotte. C'est l'instant, Messieurs, ou jamais, D'être audacieux, et je mets Mes deux mains partout désormais ! Le chevalier Atys, qui gratte Sa guitare, à Chloris l'ingrate Lance une oeillade scélérate. L'abbé confesse bas Eglé, Et ce vicomte déréglé Des champs donne à son coeur la clé. Cependant la lune se lève Et l'esquif en sa course brève File gaîment sur l'eau qui rêve.
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Rêve parisien
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Rêve parisien Titre : Rêve parisien Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) À Constantin Guys. I De ce terrible paysage, Tel que jamais mortel n'en vit, Ce matin encore l'image, Vague et lointaine, me ravit. Le sommeil est plein de miracles ! Par un caprice singulier, J'avais banni de ces spectacles Le végétal irrégulier, Et, peintre fier de mon génie, Je savourais dans mon tableau L'enivrante monotonie Du métal, du marbre et de l'eau. Babel d'escaliers et d'arcades, C'était un palais infini, Plein de bassins et de cascades Tombant dans l'or mat ou bruni ; Et des cataractes pesantes, Comme des rideaux de cristal, Se suspendaient, éblouissantes, A des murailles de métal. Non d'arbres, mais de colonnades Les étangs dormants s'entouraient, Où de gigantesques naïades, Comme des femmes, se miraient. Des nappes d'eau s'épanchaient, bleues, Entre des quais roses et verts, Pendant des millions de lieues, Vers les confins de l'univers ; C'étaient des pierres inouïes Et des flots magiques ; c'étaient D'immenses glaces éblouies Par tout ce qu'elles reflétaient ! Insouciants et taciturnes, Des Ganges, dans le firmament, Versaient le trésor de leurs urnes Dans des gouffres de diamant. Architecte de mes féeries, Je faisais, à ma volonté, Sous un tunnel de pierreries Passer un océan dompté ; Et tout, même la couleur noire, Semblait fourbi, clair, irisé ; Le liquide enchâssait sa gloire Dans le rayon cristallisé. Nul astre d'ailleurs, nuls vestiges De soleil, même au bas du ciel, Pour illuminer ces prodiges, Qui brillaient d'un feu personnel ! Et sur ces mouvantes merveilles Planait (terrible nouveauté ! Tout pour l'oeil, rien pour les oreilles !) Un silence d'éternité. II En rouvrant mes yeux pleins de flamme J'ai vu l'horreur de mon taudis, Et senti, rentrant dans mon âme, La pointe des soucis maudits ; La pendule aux accents funèbres Sonnait brutalement midi, Et le ciel versait des ténèbres Sur le triste monde engourdi.
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À mon ami ***
Félix Arvers (1806-1850)
Poésie : À mon ami *** Titre : À mon ami *** Poète : Félix Arvers (1806-1850) Tu sais l'amour et son ivresse Tu sais l'amour et ses combats ; Tu sais une voix qui t'adresse Ces mots d'ineffable tendresse Qui ne se disent que tout bas. Sur un beau sein, ta bouche errante Enfin a pu se reposer, Et sur une lèvre mourante Sentir la douceur enivrante Que recèle un premier baiser... Maître de ces biens qu'on envie Ton cœur est pur, tes jours sont pleins ! Esclave à tes vœux asservie, La fortune embellit ta vie Tu sais qu'on t'aime, et tu te plains ! Et tu te plains ! et t'exagères Ces vagues ennuis d'un moment, Ces chagrins, ces douleurs légères, Et ces peines si passagères Qu'on ne peut souffrir qu'en aimant ! Et tu pleures ! et tu regrettes Cet épanchement amoureux ! Pourquoi ces maux que tu t'apprêtes ? Garde ces plaintes indiscrètes Et ces pleurs pour les malheureux ! Pour moi, de qui l'âme flétrie N'a jamais reçu de serment, Comme un exilé sans patrie, Pour moi, qu'une voix attendrie N'a jamais nommé doucement, Personne qui daigne m'entendre, A mon sort qui saigne s'unir, Et m'interroge d'un air tendre, Pourquoi je me suis fait attendre Un jour tout entier sans venir. Personne qui me recommande De ne rester que peu d'instants Hors du logis ; qui me gourmande Lorsque je rentre et me demande Où je suis allé si longtemps. Jamais d'haleine caressante Qui, la nuit, vienne m'embaumer ; Personne dont la main pressante Cherche la mienne, et dont je sente Sur mon cœur les bras se fermer ! Une fois pourtant – quatre années Auraient-elles donc effacé Ce que ces heures fortunées D'illusions environnées Au fond de mon âme ont laissé ? Oh ! c'est qu'elle était si jolie ! Soit qu'elle ouvrit ses yeux si grands, Soit que sa paupière affaiblie Comme un voile qui se déplie Éteignit ses regards mourants ! - J'osai concevoir l'espérance Que les destins moins ennemis, Prenant pitié de ma souffrance, Viendraient me donner l'assurance D'un bonheur qu'ils auraient permis : L'heure que j'avais attendue, Le bonheur que j'avais rêvé A fui de mon âme éperdue, Comme une note suspendue, Comme un sourire inachevé ! Elle ne s'est point souvenue Du monde qui ne la vit pas ; Rien n'a signalé sa venue, Elle est passée, humble, inconnue, Sans laisser trace de ses pas. Depuis lors, triste et monotone, Chaque jour commence et finit : Rien ne m'émeut, rien ne m'étonne, Comme un dernier rayon d'automne J'aperçois mon front qui jaunit. Et loin de tous, quand le mystère De l'avenir s'est refermé, Je fuis, exilé volontaire ! - Il n'est qu'un bonheur sur la terre, Celui d'aimer et d'être aimé.
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Après la bataille
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Après la bataille Titre : Après la bataille Poète : Victor Hugo (1802-1885) Mon père, ce héros au sourire si doux, Suivi d'un seul housard qu'il aimait entre tous Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille, Parcourait à cheval, le soir d'une bataille, Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit. Il lui sembla dans l'ombre entendre un faible bruit. C'était un Espagnol de l'armée en déroute Qui se traînait sanglant sur le bord de la route, Râlant, brisé, livide, et mort plus qu'à moitié. Et qui disait : " A boire ! à boire par pitié ! " Mon père, ému, tendit à son housard fidèle Une gourde de rhum qui pendait à sa selle, Et dit : "Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé. " Tout à coup, au moment où le housard baissé Se penchait vers lui, l'homme, une espèce de maure, Saisit un pistolet qu'il étreignait encore, Et vise au front mon père en criant: "Caramba! " Le coup passa si près que le chapeau tomba Et que le cheval fit un écart en arrière. " Donne-lui tout de même à boire ", dit mon père.
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Jeune fille, la grâce emplit tes dix-sept ans
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Jeune fille, la grâce emplit tes dix-sept ans Titre : Jeune fille, la grâce emplit tes dix-sept ans Poète : Victor Hugo (1802-1885) Jeune fille, la grâce emplit tes dix-sept ans. Ton regard dit : « Matin, » et ton front dit : « Printemps. » Il semble que ta main porte un lys invisible. Don Juan te voit passer et murmure : « Impossible ! » Sois belle. Sois bénie, enfant, dans ta beauté. La nature s'égaie à toute ta clarté ; Tu fais une lueur sous les arbres ; la guêpe Touche ta joue en fleur de son aile de crêpe ; La mouche à tes yeux vole ainsi qu'à des flambeaux. Ton souffle est un encens qui monte au ciel. Lesbos Et les marins d'Hydra, s'ils te voyaient sans voiles, Te prendraient pour l'Aurore aux cheveux pleins d'étoiles. Les êtres de l'azur froncent leur pur sourcil Quand l'homme, spectre obscur du mal et de l'exil, Ose approcher ton âme, aux rayons fiancée. Sois belle. Tu te sens par l'ombre caressée, Un ange vient baiser ton pied quand il est nu, Et c'est ce qui te fait ton sourire ingénu. Février 1843.
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Coquetterie posthume
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Coquetterie posthume Titre : Coquetterie posthume Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Quand je mourrai, que l'on me mette, Avant de clouer mon cercueil, Un peu de rouge à la pommette, Un peu de noir au bord de l'oeil. Car je veux dans ma bière close, Comme le soir de son aveu, Rester éternellement rose Avec du kh'ol sous mon oeil bleu. Pas de suaire en toile fine, Mais drapez-moi dans les plis blancs De ma robe de mousseline, De ma robe à treize volants. C'est ma parure préférée ; Je la portais quand je lui plus. Son premier regard l'a sacrée, Et depuis je ne la mis plus. Posez-moi, sans jaune immortelle, Sans coussin de larmes brodé, Sur mon oreiller de dentelle De ma chevelure inondé. Cet oreiller, dans les nuits folles, A vu dormir nos fronts unis, Et sous le drap noir des gondoles Compté nos baisers infinis. Entre mes mains de cire pâle, Que la prière réunit, Tournez ce chapelet d'opale, Par le pape à Rome bénit : Je l'égrènerai dans la couche D'où nul encor ne s'est levé ; Sa bouche en a dit sur ma bouche Chaque Pater et chaque Ave.
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À l'obéissance passive (IV)
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À l'obéissance passive (IV) Titre : À l'obéissance passive (IV) Poète : Victor Hugo (1802-1885) IV. Maintenant, largesse au prétoire ! Trinquez, soldats ! et depuis quand A-t-on peur de rire et de boire ? Fête aux casernes ! fête au camp ! L'orgie a rougi leur moustache, Les rouleaux d'or gonflent leur sac ; Pour capitaine ils ont Gamache, Ils ont Cocagne pour bivouac. La bombance après l'équipée. On s'attable. Hier on tua. Ô Napoléon, ton épée Sert de broche à Gargantua. Le meurtre est pour eux la victoire Leur œil, par l'ivresse endormi, Prend le déshonneur pour la gloire Et les français pour l'ennemi. France, ils t'égorgèrent la veille. Ils tiennent, c'est leur lendemain, Dans une main une bouteille Et ta tête dans l'autre main. Ils dansent en rond, noirs quadrilles, Comme des gueux dans le ravin ; Troplong leur amène des filles, Et Sibour leur verse du vin. Et leurs banquets sans fin ni trêves D'orchestres sont environnés... — Nous faisions pour vous d'autres rêves, Ô nos soldats infortunés ! Nous rêvions pour vous l'âpre bise, La neige au pied du noir sapin, La brèche où la bombe se brise, Les nuits sans feu, les jours sans pain. Nous rêvions les marches forcées, La faim, le froid, les coups hardis, Les vieilles capotes usées, Et la victoire un contre dix ; Nous rêvions, ô soldats esclaves, Pour vous et pour vos généraux, La sainte misère des braves, La grande tombe des héros ! Car l'Europe en ses fers soupire, Car dans les cœurs un ferment bout, Car voici l'heure où Dieu va dire : Chaînes, tombez ! Peuples, debout ! L'histoire ouvre un nouveau registre Le penseur, amer et serein, Derrière l'horizon sinistre Entend rouler des chars d'airain. Un bruit profond trouble la terre ; Dans les fourreaux s'émeut l'acier ; Ce vent qui souffle sort, ô guerre, Des naseaux de ton noir coursier ! Vers l'heureux but où Dieu nous mène, Soldats ! rêveurs, nous vous poussions, Tête de la colonne humaine, Avant-garde des nations ! Nous rêvions, bandes aguerries, Pour vous, fraternels conquérants, La grande guerre des patries, La chute immense des tyrans ! Nous réservions votre effort juste, Vos fiers tambours, vos rangs épais, Soldats, pour cette guerre auguste D'où sortira l'auguste paix ! Dans nos songes visionnaires, Nous vous voyions, ô nos guerriers, Marcher joyeux dans les tonnerres, Courir sanglants dans les lauriers, Sous la fumée et la poussière Disparaître en noirs tourbillons, Puis tout à coup dans la lumière Surgir, radieux bataillons, Et passer, légion sacrée Que les peuples venaient bénir, Sous la haute porte azurée De l'éblouissant avenir ! Jersey, du 7 au 13 janvier 1853.
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La captive
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : La captive Titre : La captive Poète : Victor Hugo (1802-1885) Si je n'étais captive, J'aimerais ce pays, Et cette mer plaintive, Et ces champs de maïs, Et ces astres sans nombre, Si le long du mur sombre N'étincelait dans l'ombre Le sabre des spahis. Je ne suis point tartare Pour qu'un eunuque noir M'accorde ma guitare, Me tienne mon miroir. Bien loin de ces Sodomes, Au pays dont nous sommes, Avec les jeunes hommes On peut parler le soir. Pourtant j'aime une rive Où jamais des hivers Le souffle froid n'arrive Par les vitraux ouverts. L'été, la pluie est chaude, L'insecte vert qui rôde Luit, vivante émeraude, Sous les brins d'herbe verts. Smyrne est une princesse Avec son beau chapel ; L'heureux printemps sans cesse Répond à son appel, Et, comme un riant groupe De fleurs dans une coupe, Dans ses mers se découpe Plus d'un frais archipel. J'aime ces tours vermeilles, Ces drapeaux triomphants, Ces maisons d'or, pareilles A des jouets d'enfants ; J'aime, pour mes pensées Plus mollement bercées, Ces tentes balancées Au dos des éléphants. Dans ce palais de fées, Mon cœur, plein de concerts, Croit, aux voix étouffées Qui viennent des déserts, Entendre les génies Mêler les harmonies Des chansons infinies Qu'ils chantent dans les airs. J'aime de ces contrées Les doux parfums brûlants, Sur les vitres dorées Les feuillages tremblants, L'eau que la source épanche Sous le palmier qui penche, Et la cigogne blanche Sur les minarets blancs. J'aime en un lit de mousses Dire un air espagnol, Quand mes compagnes douces, Du pied rasant le sol, Légion vagabonde Où le sourire abonde, Font tournoyer leur ronde Sous un rond parasol. Mais surtout, quand la brise Me touche en voltigeant, La nuit, j'aime être assise, L'œil sur la mer profonde, Tandis que, pâle et blonde, La lune ouvre dans l'onde Son éventail d'argent. Le 7 juillet 1828.
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victor-hugo-poeme-la-captive
Georges et Jeanne
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Georges et Jeanne Titre : Georges et Jeanne Poète : Victor Hugo (1802-1885) Moi qu'un petit enfant rend tout à fait stupide, J'en ai deux ; Georges et Jeanne ; et je prends l'un pour guide Et l'autre pour lumière, et j'accours à leur voix, Vu que Georges a deux ans et que Jeanne a dix mois. Leurs essais d'exister sont divinement gauches ; On croit, dans leur parole où tremblent des ébauches, Voir un reste de ciel qui se dissipe et fuit ; Et moi qui suis le soir, et moi qui suis la nuit, Moi dont le destin pâle et froid se décolore, J'ai l'attendrissement de dire : Ils sont l'aurore. Leur dialogue obscur m'ouvre des horizons ; Ils s'entendent entr'eux, se donnent leurs raisons. Jugez comme cela disperse mes pensées. En moi, désirs, projets, les choses insensées, Les choses sages, tout, à leur tendre lueur, Tombe, et je ne suis plus qu'un bonhomme rêveur. Je ne sens plus la trouble et secrète secousse Du mal qui nous attire et du sort qui nous pousse. Les enfants chancelants sont nos meilleurs appuis. Je les regarde, et puis je les écoute, et puis Je suis bon, et mon coeur s'apaise en leur présence ; J'accepte les conseils sacrés de l'innocence, Je fus toute ma vie ainsi ; je n'ai jamais Rien connu, dans les deuils comme sur les sommets, De plus doux que l'oubli qui nous envahit l'âme Devant les êtres purs d'où monte une humble flamme ; Je contemple, en nos temps souvent noirs et ternis, Ce point du jour qui sort des berceaux et des nids. Le soir je vais les voir dormir. Sur leurs fronts calmes, Je distingue ébloui l'ombre que font les palmes Et comme une clarté d'étoile à son lever, Et je me dis : À quoi peuvent-ils donc rêver ? Georges songe aux gâteaux, aux beaux jouets étranges, Au chien, au coq, au chat ; et Jeanne pense aux anges. Puis, au réveil, leurs yeux s'ouvrent, pleins de rayons. Ils arrivent, hélas ! à l'heure où nous fuyons. Ils jasent. Parlent-ils ? Oui, comme la fleur parle À la source des bois ; comme leur père Charle, Enfant, parlait jadis à leur tante Dédé ; Comme je vous parlais, de soleil inondé, Ô mes frères, au temps où mon père, jeune homme, Nous regardait jouer dans la caserne, à Rome, À cheval sur sa grande épée, et tout petits. Jeanne qui dans les yeux a le myosotis, Et qui, pour saisir l'ombre entr'ouvrant ses doigts frêles, N'a presque pas de bras ayant encor des ailes, Jeanne harangue, avec des chants où flotte un mot, Georges beau comme un dieu qui serait un marmot. Ce n'est pas la parole, ô ciel bleu, c'est le verbe ; C'est la langue infinie, innocente et superbe Que soupirent les vents, les forêts et les flots ; Les pilotes Jason, Palinure et Typhlos Entendaient la sirène avec cette voix douce Murmurer l'hymne obscur que l'eau profonde émousse ; C'est la musique éparse au fond du mois de mai Qui fait que l'un dit : J'aime, et l'autre, hélas : J'aimai ; C'est le langage vague et lumineux des êtres Nouveau-nés, que la vie attire à ses fenêtres, Et qui, devant avril, éperdus, hésitants, Bourdonnent à la vitre immense du printemps. Ces mots mystérieux que Jeanne dit à Georges, C'est l'idylle du cygne avec le rouge-gorge, Ce sont les questions que les abeilles font, Et que le lys naïf pose au moineau profond ; C'est ce dessous divin de la vaste harmonie, Le chuchotement, l'ombre ineffable et bénie Jasant, balbutiant des bruits de vision, Et peut-être donnant une explication ; Car les petits enfants étaient hier encore Dans le ciel, et savaient ce que la terre ignore. Ô Jeanne ! Georges ! voix dont j'ai le coeur saisi ! Si les astres chantaient, ils bégaieraient ainsi. Leur front tourné vers nous nous éclaire et nous dore. Oh ! d'où venez-vous donc, inconnus qu'on adore ? Jeanne a l'air étonné ; Georges a les yeux hardis. Ils trébuchent, encore ivres du paradis.
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À André Chénier
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À André Chénier Titre : À André Chénier Poète : Victor Hugo (1802-1885) Oui, mon vers croit pouvoir, sans se mésallier, Prendre à la prose un peu de son air familier. André, c'est vrai, je ris quelquefois sur la lyre. Voici pourquoi, tout jeune encor, tâchant de lire Dans le livre effrayant des forêts et des eaux, J'habitais un parc sombre où jasaient des oiseaux, Où des pleurs souriaient dans l'oeil bleu des pervenches ; Un jour que je songeais seul au milieu des branches, Unbouvreuil qui faisait le feuilleton du bois M'a dit : Il faut marcher à terre quelquefois. La nature est un peu moqueuse autour des hommes ; O poète, tes chants, ou ce qu'ainsi tu nommes, Lui ressembleraient mieux si tu les dégonflais. Les bois ont des soupirs, mais ils ont des sifflets. L'azur luit, quand parfois la gaîté le déchire ; L'Olympe reste grand en éclatant de rire ; Ne crois pas que l'esprit du poëte descend Lorsque entre deux grands vers un mot passe en dansant. Ce n'est pas un pleureur que le vent en démence ; Le flot profond n'est pas un chanteur de romance ; Et la nature, au fond des siècles et des nuits, Accouplant Rabelais à Dante plein d'ennuis, Et l'Ugolin sinistre au Grandgousier difforme, Près de l'immense deuil montre le rire énorme. Les Roches, juillet 1830.
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Bruxelles
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Bruxelles Titre : Bruxelles Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Plates-bandes d'amarantes jusqu'à L'agréable palais de Jupiter. - Je sais que c'est Toi qui, dans ces lieux, Mêles ton bleu presque de Sahara ! Puis, comme rose et sapin du soleil Et liane ont ici leurs jeux enclos, Cage de la petite veuve !... Quelles Troupes d'oiseaux, ô ia io, ia io !... - Calmes maisons, anciennes passions ! Kiosque de la Folle par affection. Après les fesses des rosiers, balcon Ombreux et très bas de la Juliette. - La Juliette, ça rappelle l'Henriette, Charmante station du chemin de fer, Au coeur d'un mont, comme au fond d'un verger Où mille diables bleus dansent dans l'air ! Banc vert où chante au paradis d'orage, Sur la guitare, la blanche Irlandaise. Puis, de la salle à manger guyanaise, Bavardage des enfants et des cages. Fenêtre du duc qui fais que je pense Au poison des escargots et du buis Qui dort ici-bas au soleil. Et puis C'est trop beau ! trop ! Gardons notre silence. - Boulevard sans mouvement ni commerce, Muet, tout drame et toute comédie, Réunion des scènes infinie Je te connais et t'admire en silence.
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Recueillement
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Recueillement Titre : Recueillement Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille. Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici : Une atmosphère obscure enveloppe la ville, Aux uns portant la paix, aux autres le souci. Pendant que des mortels la multitude vile, Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci, Va cueillir des remords dans la fête servile, Ma douleur, donne-moi la main ; viens par ici, Loin d'eux. Vois se pencher les défuntes Années, Sur les balcons du ciel, en robes surannées ; Surgir du fond des eaux le Regret souriant ; Le Soleil moribond s'endormir sous une arche, Et, comme un long linceul traînant à l'Orient, Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.
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L'avertisseur
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : L'avertisseur Titre : L'avertisseur Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Tout homme digne de ce nom A dans le coeur un Serpent jaune, Installé comme sur un trône, Qui, s'il dit : " Je veux ! " répond : " Non ! " Plonge tes yeux dans les yeux fixes Des Satyresses ou des Nixes, La Dent dit : " Pense à ton devoir ! " Fais des enfants, plante des arbres, Polis des vers, sculpte des marbres, La Dent dit : " Vivras-tu ce soir ? " Quoi qu'il ébauche ou qu'il espère, L'homme ne vit pas un moment Sans subir l'avertissement De l'insupportable Vipère.
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La classe
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : La classe Titre : La classe Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Allez, enfants de nos entrailles, nos enfants À tous qui souffririons de vous savoir trop braves Ou pas assez, allez, vaincus ou triomphants Et revenez ou mourez... Tels sont fiers et graves, Nos accents, pourtant doux, si doux qu'on va pleurer, Puisqu'on vous aime mieux que soi-même — mais vive La France encore mieux, puisque, sans plus errer, Il faut mourir ou revenir, proie ou convive ! Revenir ou mourir, cadavre ou revenant, Cadavre saint, revenant pire qu'un cadavre En raison des chers torts et revenant planant Comme des torts sur un cœur tendre que l'on navre. S'en revenant estropias ou bien en point Sous le drapeau troué, parbleu ! de mille balles, Ou, nom de Dieu ! pris et repris à coups de poing ! Ô nos enfants, ô mes enfants — car tu t'emballes, Pauvre vieux cœur pourtant si vieux, si dégoûté De tout, hormis de cette éternelle Pairie. Liberté ! Égalité ! Fraternité ? Non ! pas possible !... Enfin, enfants de la Patrie, Allez, — et tâchez donc de sauver la Patrie.
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Amour, tu es trop fort, trop foible est ma Raison
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Amour, tu es trop fort, trop foible est ma Raison Titre : Amour, tu es trop fort, trop foible est ma Raison Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Amours diverses (1578). Amour, tu es trop fort, trop foible est ma Raison Pour soustenir le camp d'un si rude adversaire. Va, badine Raison, tu te laisses desfaire : Dez le premier assaut on te meine en prison. Je veux, pour secourir mon chef demy-grison, Non la Philosophie ou les Loix : au contraire Je veux ce deux fois nay, ce Thebain, ce Bon-pere, Lequel me servira d'une contrepoison. Il ne faut qu'un mortel un immortel assaille. Mais si je prens un jour cest Indien pour moy, Amour, tant sois tu fort, tu perdras la bataille, Ayant ensemble un homme et un Dieu contre toy. La Raison contre Amour ne peut chose qui vaille : Il faut contre un grand Prince opposer un grand Roy.
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1er janvier
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : 1er janvier Titre : 1er janvier Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : L'année terrible (1872). Enfant, on vous dira plus tard que le grand-père Vous adorait ; qu'il fit de son mieux sur la terre, Qu'il eut fort peu de joie et beaucoup d'envieux, Qu'au temps où vous étiez petits il était vieux, Qu'il n'avait pas de mots bourrus ni d'airs moroses, Et qu'il vous a quittés dans la saison des roses ; Qu'il est mort, que c'était un bonhomme clément ; Que, dans l'hiver fameux du grand bombardement, Il traversait Paris tragique et plein d'épées, Pour vous porter des tas de jouets, des poupées, Et des pantins faisant mille gestes bouffons ; Et vous serez pensifs sous les arbres profonds. Le 1er janvier 1871.
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Écrit au bas d'un crucifix
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Écrit au bas d'un crucifix Titre : Écrit au bas d'un crucifix Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les contemplations (1856). Vous qui pleurez, venez à ce Dieu, car il pleure. Vous qui souffrez, venez à lui, car il guérit. Vous qui tremblez, venez à lui, car il sourit. Vous qui passez, venez à lui, car il demeure. Mars 1842.
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Pierre fendre
Louis Aragon (1897-1982)
Poésie : Pierre fendre Titre : Pierre fendre Poète : Louis Aragon (1897-1982) Recueil : Feu de joie (1920). Jours d'hivers Copeaux Mon ami les yeux rouges Suit l'enterrement Glace Je suis jaloux du mort Les gens tombent comme des mouches On me dit tout bas que j'ai tort Soleil bleu Lèvres gercées Peur Je parcours les rues sans penser à mal avec l'image du poète et l'ombre du trappeur On m'offre des fêtes des oranges Mes dents Frissons Fièvre Idée fixe Tous les braseros à la foire à la ferraille Il ne me reste plus qu'à mourir de froid en public.
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À George Sand IV
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À George Sand IV Titre : À George Sand IV Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Lettres à George Sand. Il faudra bien t'y faire à cette solitude, Pauvre coeur insensé, tout prêt à se rouvrir, Qui sait si mal aimer et sait si bien souffrir. Il faudra bien t'y faire ; et sois sûr que l'étude, La veille et le travail ne pourront te guérir. Tu vas, pendant longtemps, faire un métier bien rude, Toi, pauvre enfant gâté, qui n'as pas l'habitude D'attendre vainement et sans rien voir venir. Et pourtant, ô mon coeur, quand tu l'auras perdue, Si tu vas quelque part attendre sa venue, Sur la plage déserte en vain tu l'attendras. Car c'est toi qu'elle fuit de contrée en contrée, Cherchant sur cette terre une tombe ignorée, Dans quelque triste lieu qu'on ne te dira pas.
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Les Néréides
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Les Néréides Titre : Les Néréides Poète : Théophile Gautier (1811-1872) J'ai dans ma chambre une aquarelle Bizarre, et d'un peintre avec qui Mètre et rime sont en querelle, - Théophile Kniatowski. Sur l'écume blanche qui frange Le manteau glauque de la mer Se groupent en bouquet étrange Trois nymphes, fleurs du gouffre amer. Comme des lis noyés, la houle Fait dans sa volute d'argent Danser leurs beaux corps qu'elle roule, Les élevant, les submergeant. Sur leurs têtes blondes, coiffées De pétoncles et de roseaux, Elles mêlent, coquettes fées, L'écrin et la flore des eaux. Vidant sa nacre, l'huître à perle Constelle de son blanc trésor Leur gorge, où le flot qui déferle Suspend d'autres perles encor. Et, jusqu'aux hanches soulevées Par le bras des Tritons nerveux, Elles luisent, d'azur lavées, Sous l'or vert de leurs longs cheveux. Plus bas, leur blancheur sous l'eau bleue Se glace d'un visqueux frisson, Et le torse finit en queue, Moitié femme, moitié poisson. Mais qui regarde la nageoire Et les reins aux squameux replis, En voyant les bustes d'ivoire Par le baiser des mers polis ? A l'horizon, - piquant mélange De fable et de réalité, - Paraît un vaisseau qui dérange Le choeur marin épouvanté. Son pavillon est tricolore ; Son tuyau vomit la vapeur ; Ses aubes fouettent l'eau sonore, Et les nymphes plongent de peur. Sans crainte elles suivaient par troupes Les trirèmes de l'Archipel, Et les dauphins, arquant leurs croupes, D'Arion attendaient l'appel. Mais le steam-boat avec ses roues, Comme Vulcain battant Vénus, Souffletterait leurs belles joues Et meurtrirait leurs membres nus. Adieu, fraîche mythologie ! Le paquebot passe et, de loin, Croit voir sur la vague élargie Une culbute de marsouin.
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Si mille oeillets, si mille liz j'embrasse
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Si mille oeillets, si mille liz j'embrasse Titre : Si mille oeillets, si mille liz j'embrasse Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le premier livre des Amours (1552). Si mille oeillets, si mille liz j'embrasse, Entortillant mes bras tout à l'entour, Plus fort qu'un cep, qui d'un amoureux tour La branche aimée, en mille plis enlasse : Si le soucy ne jaunist plus ma face, Si le plaisir fait en moy son le jour, Si j'aime mieux les Ombres que le jour, Songe divin, ce bien vient de ta grace. Suyvant ton vol je volerois aux cieux : Mais son portrait qui me trompe les yeux, Fraude tousjours ma joye entre-rompue. Puis tu me fuis au milieu de mon bien, Comme un éclair qui se finist en rien, Ou comme au vent s'évanouyt la nuë.
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À la grande chartreuse
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : À la grande chartreuse Titre : À la grande chartreuse Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) Jéhova de la terre a consacré les cimes ; Elles sont de ses pas le divin marchepied, C'est là qu'environné de ses foudres sublimes Il vole, il descend, il s'assied. Sina, l'Olympe même, en conservent la trace ; L'Oreb, en tressaillant, s'inclina sous ses pas ; Thor entendit sa voix, Gelboé vit sa face ; Golgotha pleura son trépas. Dieu que l'Hébron connait, Dieu que Cédar adore, Ta gloire à ces rochers jadis se dévoila ; Sur le sommet des monts nous te cherchons encore ; Seigneur, réponds-nous ! es-tu là ? Paisibles habitants de ces saintes retraites, Comme l'ont entendu les guides d'Israël, Dans le calme des nuits, des hauteurs où vous êtes N'entendez-vous donc rien du ciel ? Ne voyez-vous jamais les divines phalanges Sur vos dômes sacrés descendre et se pencher ? N'entendez-vous jamais des doux concerts des anges Retentir l'écho du rocher ? Quoi ! l'âme en vain regarde, aspire, implore, écoute ; Entre le ciel et nous, est-il un mur d'airain ? Vos yeux, toujours levés vers la céleste voûte, Vos yeux sont-ils levés en vain ? Pour s'élancer, Seigneur, où ta voix les appelle, Les astres de la nuit ont des chars de saphirs, Pour s'élever à toi, l'aigle au moins a son aile ; Nous n'avons rien que nos soupirs ! Que la voix de tes saints s'élève et te désarme, La prière du juste est l'encens des mortels ; Et nous, pêcheurs, passons: nous n'avons qu'une larme A répandre sur tes autels.
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Bièvre
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Bièvre Titre : Bièvre Poète : Victor Hugo (1802-1885) À Mademoiselle Louise B. Un horizon fait à souhait pour le plaisir des yeux. FÉNELON. I. Oui, c'est bien le vallon ! le vallon calme et sombre ! Ici l'été plus frais s'épanouit à l'ombre. Ici durent longtemps les fleurs qui durent peu. Ici l'âme contemple, écoute, adore, aspire, Et prend pitié du monde, étroit et fol empire Où l'homme tous les jours fait moins de place à Dieu ! Une rivière au fond ; des bois sur les deux pentes. Là, des ormeaux, brodés de cent vignes grimpantes ; Des prés, où le faucheur brunit son bras nerveux ; Là, des saules pensifs qui pleurent sur la rive, Et, comme une baigneuse indolente et naïve, Laissent tremper dans l'eau le bout de leurs cheveux. Là-bas, un gué bruyant dans des eaux poissonneuses Qui montrent aux passants lés jambes des faneuses ; Des carrés de blé d'or ; des étangs au flot clair ; Dans l'ombre, un mur de craie et des toits noirs de suie ; Les ocres des ravins, déchirés par la pluie ; Et l'aqueduc au loin qui semble un pont de l'air. Et, pour couronnement à ces collines vertes, Les profondeurs du ciel toutes grandes ouvertes, Le ciel, bleu pavillon par Dieu même construit, Qui, le jour, emplissant de plis d'azur l'espace, Semble un dais suspendu sur le soleil qui passe, Et dont on ne peut voir les clous d'or que la nuit ! Oui, c'est un de ces lieux où notre coeur sent vivre Quelque chose des cieux qui flotte et qui l'enivre ; Un de ces lieux qu'enfant j'aimais et je rêvais, Dont la beauté sereine, inépuisable, intime, Verse à l'âme un oubli sérieux et sublime De tout ce que la terre et l'homme ont de mauvais ! II. Si dès l'aube on suit les lisières Du bois, abri des jeunes faons, Par l'âpre chemin dont les pierres Offensent les mains des enfants, A l'heure où le soleil s'élève, Où l'arbre sent monter la sève, La vallée est comme un beau rêve. La brume écarte son rideau. Partout la nature s'éveille ; La fleur s'ouvre, rose et vermeille ; La brise y suspend une abeille, La rosée une goutte d'eau ! Et dans ce charmant paysage Où l'esprit flotte, où l'oeil s'enfuit, Le buisson, l'oiseau de passage, L'herbe qui tremble et qui reluit, Le vieil arbre que l'âge ploie, Le donjon qu'un moulin coudoie, Le ruisseau de moire et de soie, Le champ où dorment les aïeux, Ce qu'on voit pleurer ou sourire, Ce qui chante et ce qui soupire, Ce qui parle et ce qui respire, Tout fait un bruit harmonieux ! III. Et si le soir, après mille errantes pensées, De sentiers en sentiers en marchant dispersées, Du haut de la colline on descend vers ce toit Qui vous a tout le jour, dans votre rêverie, Fait regarder en bas, au fond de la prairie, Comme une belle fleur qu'on voit ; Et si vous êtes là, vous dont la main de flamme Fait parler au clavier la langue de votre âme ; Si c'est un des moments, doux et mystérieux, Ou la musique, esprit d'extase et de délire Dont les ailes de feu font le bruit d'une lyre, Réverbère en vos chants la splendeur de vos yeux ; Si les petits enfants, qui vous cherchent sans cesse, Mêlent leur joyeux rire au chant qui vous oppresse ; Si votre noble père à leurs jeux turbulents Sourit, en écoutant votre hymne commencée, Lui, le sage et l'heureux, dont la jeune pensée Se couronne de cheveux blancs ; Alors, à cette voix qui remue et pénètre, Sous ce ciel étoilé qui luit à la fenêtre, On croit à la famille, au repos, au bonheur ; Le coeur se fond en joie, en amour, en prière ; On sent venir des pleurs au bord de sa paupière ; On lève au ciel les mains en s'écriant : Seigneur ! IV. Et l'on ne songe plus, tant notre âme saisie Se perd dans la nature et dans la poésie, Que tout prés, par les bois et les ravins caché, Derrière le ruban de ces collines bleues, A quatre de ces pas que nous nommons des lieues, Le géant Paris est couché ! On ne s'informe plus si la ville fatale, Du monde en fusion ardente capitale, Ouvre et ferme à tel jour ses cratères fumants ; Et de quel air les rois, à l'instant où nous sommes, Regardent bouillonner dans ce Vésuve d'hommes La lave des événements ! Le 8 juillet 1831.
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Venise
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Venise Titre : Venise Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Dans Venise la rouge, Pas un bateau qui bouge ; Pas un pêcheur dans l'eau, Pas un falot. Seul, assis à la grève, Le grand lion soulève, Sur l'horizon serein, Son pied d'airain. Autour de lui, par groupes, Navires et chaloupes, Pareils à des hérons Couchés en ronds, Dorment sur l'eau qui fume, Et croisent dans la brume, En légers tourbillons, Leurs pavillons. La lune qui s'efface Couvre son front qui passe D'un nuage étoilé Demi-voilé. Ainsi, la dame abbesse De Sainte-Croix rabaisse Sa cape aux larges plis Sur son surplis. Et les palais antiques, Et les graves portiques, Et les blancs escaliers. Des chevaliers, Et les ponts, et les rues, Et les mornes statues, Et le golfe mouvant Qui tremble au vent, Tout se tait, fors les gardes Aux longues hallebardes, Qui veillent aux créneaux Des arsenaux. — Ah ! maintenant plus d'une Attend, au clair de lune, Quelque jeune muguet, L'oreille au guet. Pour le bal qu'on prépare, Plus d'une qui se pare, Met devant son miroir Le masque noir. Sur sa couche embaumée, La Vanina pâmée Presse encor son amant, En s'endormant ; Et Narcisa, la folle, Au fond de sa gondole, S'oublie en un festin Jusqu'au matin. Et qui, dans l'Italie, N'a son grain de folie ? Qui ne garde aux amours Ses plus beaux jours ? Laissons la vieille horloge, Au palais du vieux doge, Lui compter de ses nuits Les longs ennuis. Comptons plutôt, ma belle, Sur ta bouche rebelle Tant de baisers donnés... Ou pardonnés. Comptons plutôt tes charmes, Comptons les douces larmes, Qu'à nos yeux a coûté La volupté !
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Lise
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Lise Titre : Lise Poète : Victor Hugo (1802-1885) J'avais douze ans ; elle en avait bien seize. Elle était grande, et, moi, j'étais petit. Pour lui parler le soir plus à mon aise, Moi, j'attendais que sa mère sortît ; Puis je venais m'asseoir près de sa chaise Pour lui parler le soir plus à mon aise. Que de printemps passés avec leurs fleurs ! Que de feux morts, et que de tombes closes ! Se souvient-on qu'il fut jadis des coeurs ? Se souvient-on qu'il fut jadis des roses ? Elle m'aimait. Je l'aimais. Nous étions Deux purs enfants, deux parfums, deux rayons. Dieu l'avait faite ange, fée et princesse. Comme elle était bien plus grande que moi, Je lui faisais des questions sans cesse Pour le plaisir de lui dire : Pourquoi ? Et par moments elle évitait, craintive, Mon oeil rêveur qui la rendait pensive. Puis j'étalais mon savoir enfantin, Mes jeux, la balle et la toupie agile ; J'étais tout fier d'apprendre le latin ; Je lui montrais mon Phèdre et mon Virgile ; Je bravais tout; rien ne me faisait mal ; Je lui disais : Mon père est général. Quoiqu'on soit femme, il faut parfois qu'on lise Dans le latin, qu'on épelle en rêvant ; Pour lui traduire un verset, à l'église, Je me penchais sur son livre souvent. Un ange ouvrait sur nous son aile blanche, Quand nous étions à vêpres le dimanche. Elle disait de moi : C'est un enfant ! Je l'appelais mademoiselle Lise. Pour lui traduire un psaume, bien souvent, Je me penchais sur son livre à l'église ; Si bien qu'un jour, vous le vîtes, mon Dieu ! Sa joue en fleur toucha ma lèvre en feu. Jeunes amours, si vite épanouies, Vous êtes l'aube et le matin du coeur. Charmez l'enfant, extases inouïes ! Et quand le soir vient avec la douleur, Charmez encor nos âmes éblouies, Jeunes amours, si vite épanouies ! Mai 1843.
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Autre
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Autre Titre : Autre Poète : Paul Verlaine (1844-1896) La cour se fleurit de souci Comme le front De tous ceux-ci Qui vont en rond En flageolant sur leur fémur Débilité Le long du mur Fou de clarté. Tournez, Samsons sans Dalila, Sans Philistin, Tournez bien la Meule au destin. Vaincu risible de la loi, Mouds tour à tour Ton cœur, ta foi Et ton amour ! Ils vont ! et leurs pauvres souliers Font un bruit sec, Humiliés, La pipe au bec. Pas un mot ou bien le cachot, Pas un soupir. Il fait si chaud Qu'on croit mourir. J'en suis de ce cirque effaré, Soumis d'ailleurs Et préparé À tous malheurs. Et pourquoi si j'ai contristé Ton vœu têtu, Société, Me choierais-tu ? Allons, frères, bons vieux voleurs, Doux vagabonds, Filous en fleurs, Mes chers, mes bons, Fumons philosophiquement, Promenons-nous Paisiblement : Rien faire est doux.
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Chanson de pirates
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Chanson de pirates Titre : Chanson de pirates Poète : Victor Hugo (1802-1885) « Alerte ! alerte ! voici les pirates d'Ochali qui traversent le détroit. » Le Captif d'Ochali. Nous emmenions en esclavage Cent chrétiens, pêcheurs de corail ; Nous recrutions pour le sérail Dans tous les moûtiers du rivage. En mer, les hardis écumeurs ! Nous allions de Fez à Catane... Dans la galère capitane Nous étions quatre-vingts rameurs. On signale un couvent à terre. Nous jetons l'ancre près du bord. À nos yeux s'offre tout d'abord Une fille du monastère. Près des flots, sourde à leurs rumeurs, Elle dormait sous un platane... Dans la galère capitane Nous étions quatre-vingts rameurs. — La belle fille, il faut vous taire, Il faut nous suivre. Il fait bon vent. Ce n'est que changer de couvent, Le harem vaut le monastère. Sa hautesse aime les primeurs, Nous vous ferons mahométane... Dans la galère capitane Nous étions quatre-vingts rameurs. Elle veut fuir vers sa chapelle. — Osez-vous bien fils de Satan ? — Nous osons, dit le capitan. Elle pleure, supplie, appelle. Malgré sa plainte et ses clameurs, On l'emporta dans la tartane... Dans la galère capitane Nous étions quatre-vingts rameurs. Plus belle encor dans sa tristesse, Ses yeux étaient deux talismans, Elle valait mille tomans ; On la vendit à sa hautesse. Elle eut beau dire : Je me meurs ! De nonne elle devint sultane... Dans la galère capitane Nous étions quatre-vingts rameurs Le 12 mars 1828.
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La destruction
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : La destruction Titre : La destruction Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Sans cesse à mes côtés s'agite le Démon ; Il nage autour de moi comme un air impalpable ; Je l'avale et le sens qui brûle mon poumon Et l'emplit d'un désir éternel et coupable. Parfois il prend, sachant mon grand amour de l'Art, La forme de la plus séduisante des femmes, Et, sous de spécieux prétextes de cafard, Accoutume ma lèvre à des philtres infâmes. Il me conduit ainsi, loin du regard de Dieu, Haletant et brisé de fatigue, au milieu Des plaines de l'Ennui, profondes et désertes, Et jette dans mes yeux pleins de confusion Des vêtements souillés, des blessures ouvertes, Et l'appareil sanglant de la Destruction !
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Ma seule amour que tant désire
Charles d'Orléans (1394-1465)
Poésie : Ma seule amour que tant désire Titre : Ma seule amour que tant désire Poète : Charles d'Orléans (1394-1465) Recueil : Chansons. Ma seule amour que tant désire, Mon réconfort, mon doux penser, Belle nonpareille, sans per, Il me déplaît de vous écrire. Car j'aimasse mieux à le dire De bouche, sans le vous mander, Ma seule amour que tant désire, Mon réconfort, mon doux penser ! Las ! or n'y puis-je contredire ; Mais Espoir me fait endurer, Qui m'a promis de retourner En liesse, mon grief martyre, Ma seule amour que tant désire !
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Les plus belles voix
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Les plus belles voix Titre : Les plus belles voix Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Les plus belles voix De la Confrérie Célèbrent le mois Heureux de Marie. Ô les douces voix ! Monsieur le curé L'a dit à la Messe : C'est le mois sacré. Écoutons sans cesse Monsieur le Curé. Faut nous distinguer, Faut, mesdemoiselles, Bien dire et fuguer Les hymnes nouvelles. Faut nous distinguer, Bien dire et filer Les motets antiques, Bien dire et couler Les anciens cantiques, Filer et couler. Dieu nous bénira, Nous et nos familles. Marie ouïra Les vœux de ses filles, Dieu nous bénira. Elle est la bonté, C'est comme la Mère Dans la Trinité, La Fille et la Mère. Elle est la bonté, La compassion, Sans fin et sans trêve, L'intercession Qu'appuie et soulève La compassion. Avant le salut, Chantons ses louanges ; Pendant le salut, Chantons ses louanges Après le salut Chantons ses louanges.
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La mort
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : La mort Titre : La mort Poète : Théophile Gautier (1811-1872) La mort est multiforme, elle change de masque Et d'habit plus souvent qu'une actrice fantasque ; Elle sait se farder, Et ce n'est pas toujours cette maigre carcasse, Qui vous montre les dents et vous fait la grimace Horrible à regarder. Ses sujets ne sont pas tous dans le cimetière, Ils ne dorment pas tous sur des chevets de pierre À l'ombre des arceaux ; Tous ne sont pas vêtus de la pâle livrée, Et la porte sur tous n'est pas encor murée Dans la nuit des caveaux. Il est des trépassés de diverse nature : Aux uns la puanteur avec la pourriture, Le palpable néant, L'horreur et le dégoût, l'ombre profonde et noire Et le cercueil avide entr'ouvrant sa mâchoire Comme un monstre béant ; Aux autres, que l'on voit sans qu'on s'en épouvante Passer et repasser dans la cité vivante Sous leur linceul de chair, L'invisible néant, la mort intérieure Que personne ne sait, que personne ne pleure, Même votre plus cher. Car, lorsque l'on s'en va dans les villes funèbres Visiter les tombeaux inconnus ou célèbres, De marbre ou de gazon ; Qu'on ait ou qu'on n'ait pas quelque paupière amie Sous l'ombrage des ifs à jamais endormie, Qu'on soit en pleurs ou non, On dit : ceux-là sont morts. La mousse étend son voile Sur leurs noms effacés ; le ver file sa toile Dans le trou de leurs yeux ; Leurs cheveux ont percé les planches de la bière ; À côté de leurs os, leur chair tombe en poussière Sur les os des aïeux. Leurs héritiers, le soir, n'ont plus peur qu'ils reviennent ; C'est à peine à présent si leurs chiens s'en souviennent, Enfumés et poudreux, Leurs portraits adorés traînent dans les boutiques ; Leurs jaloux d'autrefois font leurs panégyriques ; Tout est fini pour eux. L'ange de la douleur, sur leur tombe en prière, Est seul à les pleurer dans ses larmes de pierre, Comme le ver leur corps, L'oubli ronge leur nom avec sa lime sourde ; Ils ont pour drap de lit six pieds de terre lourde. Ils sont morts, et bien morts ! Et peut-être une larme, à votre âme échappée, Sur leur cendre, de pluie et de neige trempée, Filtre insensiblement, Qui les va réjouir dans leur triste demeure ; Et leur coeur desséché, comprenant qu'on les pleure, Retrouve un battement. Mais personne ne dit, voyant un mort de l'âme : Paix et repos sur toi ! L'on refuse à la lame Ce qu'on donne au fourreau ; L'on pleure le cadavre et l'on panse la plaie, L'âme se brise et meurt sans que nul s'en effraie Et lui dresse un tombeau. Et cependant il est d'horribles agonies Qu'on ne saura jamais ; des douleurs infinies Que l'on n'aperçoit pas. Il est plus d'une croix au calvaire de l'âme Sans l'auréole d'or, et sans la blanche femme Échevelée au bas. Toute âme est un sépulcre où gisent mille choses ; Des cadavres hideux dans des figures roses Dorment ensevelis. On retrouve toujours les larmes sous le rire, Les morts sous les vivants, et l'homme est à vrai dire Une nécropolis. Les tombeaux déterrés des vieilles cités mortes, Les chambres et les puits de la Thèbe aux cent portes Ne sont pas si peuplés ; On n'y rencontre pas de plus affreux squelettes. Un plus vaste fouillis d'ossements et de têtes Aux ruines mêlés. L'on en voit qui n'ont pas d'épitaphe à leurs tombes, Et de leurs trépassés font comme aux catacombes Un grand entassement ; Dont le coeur est un champ uni, sans croix ni pierres, Et que l'aveugle mort de diverses poussières Remplit confusément. D'autres, moins oublieux, ont des caves funèbres Où sont rangés leurs morts, comme celles des guèbres Ou des égyptiens ; Tout autour de leur coeur sont debout les momies, Et l'on y reconnaît les figures blémies De leurs amours anciens. Dans un pur souvenir chastement embaumée Ils gardent au fond d'eux l'âme qu'ils ont aimée ; Triste et charmant trésor ! La mort habite en eux au milieu de la vie ; Ils s'en vont poursuivant la chère ombre ravie Qui leur sourit encor. Où ne trouve-t-on pas, en fouillant, un squelette ? Quel foyer réunit la famille complète En cercle chaque soir ? Et quel seuil, si riant et si beau qu'il puisse être, Pour ne pas revenir n'a vu sortir le maître Avec un manteau noir ? Cette petite fleur, qui, toute réjouie, Fait baiser au soleil sa bouche épanouie, Est fille de la mort. En plongeant sous le sol, peut-être sa racine Dans quelque cendre chère a pris l'odeur divine Qui vous charme si fort. Ô fiancés d'hier, encore amants, l'alcôve Où nichent vos amours, à quelque vieillard chauve A servi comme à vous ; Avant vos doux soupirs elle a redit son râle, Et son souvenir mêle une odeur sépulcrale À vos parfums d'époux ! Où donc poser le pied qu'on ne foule une tombe ? Ah ! Lorsque l'on prendrait son aile à la colombe, Ses pieds au daim léger ; Qu'on irait demander au poisson sa nageoire, On trouvera partout l'hôtesse blanche et noire Prête à vous héberger. Cessez donc, cessez donc, ô vous, les jeunes mères Berçant vos fils aux bras des riantes chimères, De leur rêver un sort ; Filez-leur un suaire avec le lin des langes. Vos fils, fussent-ils purs et beaux comme les anges, Sont condamnés à mort !
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Cortège
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Cortège Titre : Cortège Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Fêtes galantes (1869). Un singe en veste de brocart Trotte et gambade devant elle Qui froisse un mouchoir de dentelle Dans sa main gantée avec art, Tandis qu'un négrillon tout rouge Maintient à tour de bras les pans De sa lourde robe en suspens, Attentif à tout pli qui bouge ; Le singe ne perd pas des yeux La gorge blanche de la dame. Opulent trésor que réclame Le torse nu de l'un des dieux ; Le négrillon parfois soulève Plus haut qu'il ne faut, l'aigrefin, Son fardeau somptueux, afin De voir ce dont la nuit il rêve ; Elle va par les escaliers, Et ne paraît pas davantage Sensible à l'insolent suffrage De ses animaux familiers.
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Bénédiction
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Bénédiction Titre : Bénédiction Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Lorsque, par un décret des puissances suprêmes, Le Poète apparaît en ce monde ennuyé, Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié : - " Ah ! que n'ai-je mis bas tout un noeud de vipères, Plutôt que de nourrir cette dérision ! Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémères Où mon ventre a conçu mon expiation ! Puisque tu m'as choisie entre toutes les femmes Pour être le dégoût de mon triste mari, Et que je ne puis pas rejeter dans les flammes, Comme un billet d'amour, ce monstre rabougri, Je ferai rejaillir ta haine qui m'accable Sur l'instrument maudit de tes méchancetés, Et je tordrai si bien cet arbre misérable, Qu'il ne pourra pousser ses boutons empestés ! " Elle ravale ainsi l'écume de sa haine, Et, ne comprenant pas les desseins éternels, Elle-même prépare au fond de la Géhenne Les bûchers consacrés aux crimes maternels. Pourtant, sous la tutelle invisible d'un Ange, L'Enfant déshérité s'enivre de soleil, Et dans tout ce qu'il boit et dans tout ce qu'il mange Retrouve l'ambroisie et le nectar vermeil. Il joue avec le vent, cause avec le nuage, Et s'enivre en chantant du chemin de la croix ; Et l'Esprit qui le suit dans son pèlerinage Pleure de le voir gai comme un oiseau des bois. Tous ceux qu'il veut aimer l'observent avec crainte, Ou bien, s'enhardissant de sa tranquillité, Cherchent à qui saura lui tirer une plainte, Et font sur lui l'essai de leur férocité. Dans le pain et le vin destinés à sa bouche Ils mêlent de la cendre avec d'impurs crachats ; Avec hypocrisie ils jettent ce qu'il touche, Et s'accusent d'avoir mis leurs pieds dans ses pas. Sa femme va criant sur les places publiques : " Puisqu'il me trouve assez belle pour m'adorer, Je ferai le métier des idoles antiques, Et comme elles je veux me faire redorer ; Et je me soûlerai de nard, d'encens, de myrrhe, De génuflexions, de viandes et de vins, Pour savoir si je puis dans un coeur qui m'admire Usurper en riant les hommages divins ! Et, quand je m'ennuierai de ces farces impies, Je poserai sur lui ma frêle et forte main ; Et mes ongles, pareils aux ongles des harpies, Sauront jusqu'à son coeur se frayer un chemin. Comme un tout jeune oiseau qui tremble et qui palpite, J'arracherai ce coeur tout rouge de son sein, Et, pour rassasier ma bête favorite, Je le lui jetterai par terre avec dédain ! " Vers le Ciel, où son oeil voit un trône splendide, Le Poète serein lève ses bras pieux, Et les vastes éclairs de son esprit lucide Lui dérobent l'aspect des peuples furieux : - " Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance Comme un divin remède à nos impuretés Et comme la meilleure et la plus pure essence Qui prépare les forts aux saintes voluptés ! Je sais que vous gardez une place au Poète Dans les rangs bienheureux des saintes Légions, Et que vous l'invitez à l'éternelle fête, Des Trônes, des Vertus, des Dominations. Je sais que la douleur est la noblesse unique Où ne mordront jamais la terre et les enfers, Et qu'il faut pour tresser ma couronne mystique Imposer tous les temps et tous les univers. Mais les bijoux perdus de l'antique Palmyre, Les métaux inconnus, les perles de la mer, Par votre main montés, ne pourraient pas suffire A ce beau diadème éblouissant et clair ; Car il ne sera fait que de pure lumière, Puisée au foyer saint des rayons primitifs, Et dont les yeux mortels, dans leur splendeur entière, Ne sont que des miroirs obscurcis et plaintifs ! "
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La bataille perdue
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : La bataille perdue Titre : La bataille perdue Poète : Victor Hugo (1802-1885) « Allah ! qui me rendra ma formidable armée, Emirs, cavalerie au carnage animée, Et ma tente, et mon camp, éblouissant à voir, Qui la nuit allumait tant de feux, qu'à leur nombre On eût dit que le ciel sur la colline sombre Laissait ses étoiles pleuvoir ? « Qui me rendra mes beys aux flottantes pelisses ? Mes fiers timariots, turbulentes milices ? Mes khans bariolés ? mes rapides spahis ? Et mes bédouins hâlés, venus des Pyramides, Qui riaient d'effrayer les laboureurs timides, Et poussaient leurs chevaux par les champs de maïs ? « Tous ces chevaux, à l'œil de flamme, aux jambes grêles, Qui volaient dans les blés comme des sauterelles, Quoi, je ne verrai plus, franchissant les sillons, Leurs troupes, par la mort en vain diminuées, Sur les carrés pesants s'abattant par nuées, Couvrir d'éclairs les bataillons ! « Ils sont morts ; dans le sang traînent leurs belles housses ; Le sang souille et noircit leur croupe aux taches rousses ; L'éperon s'userait sur leur flanc arrondi Avant de réveiller leurs pas jadis rapides, Et près d'eux sont couchés leurs maîtres intrépides Qui dormaient à leur ombre aux haltes de midi ! « Allah ! qui me rendra ma redoutable armée ? La voilà par les champs tout entière semée, Comme l'or d'un prodige épars sur le pavé. Quoi ! chevaux, cavaliers, arabes et tartares, Leurs turbans, leur galop, leurs drapeaux, leurs fanfares, C'est comme si j'avais rêvé ! « Ô mes vaillants soldats et leurs coursiers fidèles ! Leurs voix n'a plus de bruit et leurs pieds n'ont plus d'ailes. Ils ont oublié tout, et le sabre et le mors. De leurs corps entassés cette vallée est pleine. Voilà pour bien longtemps une sinistre plaine. Ce soir, l'odeur du sang : demain, l'odeur des morts. « Quoi ! c'était une armée, et ce n'est plus qu'une ombre ! Ils se sont bien battus, de l'aube à la nuit sombre, Dans le cercle fatal ardents à se presser. Les noirs linceuls des nuits sur l'horizon se posent. Les braves ont fini. Maintenant ils reposent, Et les corbeaux vont commencer. « Déjà, passant leur bec entre leurs plumes noires, Du fond des bois, du haut des chauves promontoires, Ils accourent ; des morts ils rongent les lambeaux ; Et cette armée, hier formidable et suprême, Cette puissante armée, hélas ! ne peut plus même Effaroucher un aigle et chasser des corbeaux ! « Oh ! si j'avais encor cette armée immortelle, Je voudrais conquérir des mondes avec elle ; Je la ferais régner sur les rois ennemis ; Elle serait ma sœur, ma dame et mon épouse. Mais que fera la mort, inféconde et jalouse, De tant de braves endormis ? « Que n'ai-je été frappé ! que n' sur la poussière Roulé mon vert turban avec ma tête altière ! Hier j'étais puissant ; hier trois officiers, Immobiles et fiers sur leur selle tigrée, Portaient, devant le seuil de ma tente dorée, Trois panaches ravis aux croupes des coursiers. « Hier j'avais cent tambours tonnant à mon passage ; J'avais quarante agas contemplant mon visage, Et d'un sourcil froncé tremblant dans leurs palais. Au lieu des lourds pierriers qui dorment sur les proues, J'avais de beaux canons roulant sur quatre roues, Avec leurs canonniers anglais. « Hier j'avais des châteaux, j'avais de belles villes, Des grecques par milliers à vendre aux juifs serviles ; J'avais de grands harems et de grands arsenaux. Aujourd'hui, dépouillé, vaincu, proscrit, funeste, Je fuis... De mon empire, hélas ! rien ne me reste. Allah ! je n'ai plus même une tour à créneaux ! « Il faut fuir, moi, pacha, moi, vizir à trois queues ! Franchir l'horizon vaste et les collines bleues, Furtif, baissant les yeux, presque tendant la main, Comme un voleur qui fuit troublé dans les ténèbres, Et croit voir des gibets dressant leurs bras funèbres Dans tous les arbres du chemin ! » Ainsi parlait Reschid, le soir de sa défaite. Nous eûmes mille grecs tués à cette fête. Mais le vizir fuyait, seul, ces champs meurtriers. Rêveur, il essuyait son rouge cimeterre ; Deux chevaux près de lui du pied battaient la terre, Et, vides, sur leurs flancs sonnaient les étriers. Les 7 et 8 mai 1828.
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Élégie aux Nymphes de Vaux
Jean de La Fontaine (1621-1695)
Poésie : Élégie aux Nymphes de Vaux Titre : Élégie aux Nymphes de Vaux Poète : Jean de La Fontaine (1621-1695) Pour M. Fouquet. Remplissez l'air de cris en vos grottes profondes ; Pleurez, Nymphes de Vaux, faites croître vos ondes, Et que l'Anqueuil enflé ravage les trésors Dont les regards de Flore ont embelli ses bords On ne blâmera point vos larmes innocentes ; Vous pouvez donner cours à vos douleurs pressantes : Chacun attend de vous ce devoir généreux ; Les Destins sont contents : Oronte est malheureux. Vous l'avez vu naguère au bord de vos fontaines, Qui, sans craindre du Sort les faveurs incertaines, Plein d'éclat, plein de gloire, adoré des mortels, Recevait des honneurs qu'on ne doit qu'aux autels. Hélas ! qu'il est déchu de ce bonheur suprême ! Que vous le trouveriez différent de lui-même ! Pour lui les plus beaux jours sont de secondes nuits Les soucis dévorants, les regrets, les ennuis, Hôtes infortunés de sa triste demeure, En des gouffres de maux le plongent à toute heure. Voici le précipice où l'ont enfin jeté Les attraits enchanteurs de la prospérité ! Dans les palais des rois cette plainte est commune, On n'y connaît que trop les jeux de la Fortune, Ses trompeuses faveurs, ses appâts inconstants ; Mais on ne les connaît que quand il n'est plus temps. Lorsque sur cette mer on vogue à pleines voiles, Qu'on croit avoir pour soi les vents et les étoiles, Il est bien malaisé de régler ses désirs ; Le plus sage s'endort sur la foi des Zéphyrs. Jamais un favori ne borne sa carrière ; Il ne regarde pas ce qu'il laisse en arrière ; Et tout ce vain amour des grandeurs et du bruit Ne le saurait quitter qu'après l'avoir détruit. Tant d'exemples fameux que l'histoire en raconte Ne suffisaient-ils pas, sans la perte d'Oronte ? Ah ! si ce faux éclat n'eût point fait ses plaisirs, Si le séjour de Vaux eût borné ses désirs, Qu'il pouvait doucement laisser couler son âge ! Vous n'avez pas chez vous ce brillant équipage, Cette foule de gens qui s'en vont chaque jour Saluer à longs flots le soleil de la Cour : Mais la faveur du Ciel vous donne en récompense Du repos, du loisir, de l'ombre, et du silence, Un tranquille sommeil, d'innocents entretiens ; Et jamais à la Cour on ne trouve ces biens. Mais quittons ces pensers : Oronte nous appelle. Vous, dont il a rendu la demeure si belle, Nymphes, qui lui devez vos plus charmants appâts, Si le long de vos bords Louis porte ses pas, Tâchez de l'adoucir, fléchissez son courage. Il aime ses sujets, il est juste, il est sage ; Du titre de clément rendez-le ambitieux : C'est par là que les rois sont semblables aux dieux. Du magnanime Henri qu'il contemple la vie : Dès qu'il put se venger il en perdit l'envie. Inspirez à Louis cette même douceur : La plus belle victoire est de vaincre son coeur. Oronte est à présent un objet de clémence ; S'il a cru les conseils d'une aveugle puissance, Il est assez puni par son sort rigoureux ; Et c'est être innocent que d'être malheureux.
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Secousse
Louis Aragon (1897-1982)
Poésie : Secousse Titre : Secousse Poète : Louis Aragon (1897-1982) Recueil : Feu de joie (1920). BROUF Fuite à jamais de l'amertume Les prés magnifiques volants peints de frais Tournent Tournent champs qui chancellent Le point mort Ma tête tinte et tant de crécelles Mon cœur est en morceaux Mon cœur est en morceaux le paysage en miettes Hop l'Univers verse Qui chavire L'autre ou moi L'autre émoi La naissance à cette solitude Je donne un nom meilleur aux merveilles du jour J'invente à nouveau le vent tape-joue Le vent tapageur Le monde à bas je le bâtis plus beau Sept soleils de couleur griffent la campagne Au bout de mes cils tremble un prisme de larmes Désormais Gouttes d'Eau. On lit au poteau du chemin vicinal. ROUTE INTERDITE AUX TERRASSIERS.
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Les adieux
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : Les adieux Titre : Les adieux Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Recueil : Poésies érotiques (1778). Séjour triste, asile champêtre, Qu'un charme embellit à mes yeux, Je vous fuis, pour jamais peut-être ! Recevez mes derniers adieux. En vous quittant, mon cœur soupire. Ah ! plus de chansons, plus d'amours. Eléonore !... Oui, pour toujours Près de toi je suspends ma lyre.
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Au sommeil
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Au sommeil Titre : Au sommeil Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Sommeil, fils de la nuit et frère de la mort ; Écoute-moi, Sommeil : lasse de sa veillée, La lune, au fond du ciel, ferme l'œil et s'endort Et son dernier rayon, à travers la feuillée, Comme un baiser d'adieu, glisse amoureusement, Sur le front endormi de son bleuâtre amant, Par la porte d'ivoire et la porte de corne. Les songes vrais ou faux de l'Grèbe envolés, Peuplent seuls l'univers silencieux et morne ; Les cheveux de la nuit, d'étoiles d'or mêlés, Au long de son dos brun pendent tout débouclés ; Le vent même retient son haleine, et les mondes, Fatigués de tourner sur leurs muets pivots, S'arrêtent assoupis et suspendent leurs rondes. Ô jeune homme charmant ! couronné de pavots, Qui tenant sur la main une patère noire, Pleine d'eau du Léthé, chaque nuit nous fais boire, Mieux que le doux Bacchus, l'oubli de nos travaux ; Enfant mystérieux, hermaphrodite étrange, Où la vie, au trépas, s'unit et se mélange, Et qui n'as de tous deux que ce qu'ils ont de beau ; Sous les épais rideaux de ton alcôve sombre, Du fond de ta caverne inconnue au soleil ; Je t'implore à genoux, écoute-moi, sommeil ! Je t'aime, ô doux sommeil ! Et je veux à ta gloire, Avec l'archet d'argent, sur la lyre d'ivoire, Chanter des vers plus doux que le miel de l'Hybla ; Pour t'apaiser je veux tuer le chien obscène, Dont le rauque aboiement si souvent te troubla, Et verser l'opium sur ton autel d'ébène. Je te donne le pas sur Phébus-Apollon, Et pourtant c'est un dieu jeune, sans barbe et blond, Un dieu tout rayonnant, aussi beau qu'une fille ; Je te préfère même à la blanche Vénus, Lorsque, sortant des eaux, le pied sur sa coquille, Elle fait au grand air baiser ses beaux seins nus, Et laisse aux blonds anneaux de ses cheveux de soie Se suspendre l'essaim des zéphirs ingénus ; Même au jeune Iacchus, le doux père de joie, A l'ivresse, à l'amour, à tout divin sommeil. Tu seras bienvenu, soit que l'aurore blonde Lève du doigt le pan de son rideau vermeil, Soit, que les chevaux blancs qui traînent le soleil Enfoncent leurs naseaux et leur poitrail dans l'onde, Soit que la nuit dans l'air peigne ses noirs cheveux. Sous les arceaux muets de la grotte profonde, Où les songes légers mènent sans bruit leur ronde, Reçois bénignement mon encens et mes vœux, Sommeil, dieu triste et doux, consolateur du monde !
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Nevermore
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Nevermore Titre : Nevermore Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Poèmes saturniens (1866). Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L'automne Faisait voler la grive à travers l'air atone, Et le soleil dardait un rayon monotone Sur le bois jaunissant où la bise détone. Nous étions seul à seule et marchions en rêvant, Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent. Soudain, tournant vers moi son regard émouvant « Quel fut ton plus beau jour? » fit sa voix d'or vivant, Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique. Un sourire discret lui donna la réplique, Et je baisai sa main blanche, dévotement. - Ah ! les premières fleurs, qu'elles sont parfumées ! Et qu'il bruit avec un murmure charmant Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées !
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Vision
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Vision Titre : Vision Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Je vis d'abord sur moi des fantômes étranges Traîner de longs habits ; Je ne sais si c'étaient des femmes ou des anges ! Leurs manteaux m'inondaient avec leurs belles franges De nacre et de rubis. Comme on brise une armure au tranchant d'une lame, Comme un hardi marin Brise le golfe bleu qui se fend sous sa rame, Ainsi leurs robes d'or, en grands sillons de flamme, Brisaient la nuit d'airain ! Ils volaient ! - Mon rideau, vieux spectre en sentinelle, Les regardait passer. Dans leurs yeux de velours éclatait leur prunelle ; J'entendais chuchoter les plumes de leur aile, Qui venaient me froisser. Ils volaient ! - Mais la troupe, aux lambris suspendue, Esprits capricieux, Bondissait tout à coup, puis, tout à coup perdue, S'enfuyait dans la nuit, comme une flèche ardue Qui s'enfuit dans les cieux ! Ils volaient ! - Je voyais leur noire chevelure, Où l'ébène en ruisseaux Pleurait, me caresser de sa longue frôlure ; Pendant que d'un baiser je sentais la brûlure Jusqu'au fond de mes os. Dieu tout-puissant ! j'ai vu les sylphides craintives Qui meurent au soleil ! J'ai vu les beaux pieds nus des nymphes fugitives ! J'ai vu les seins ardents des dryades rétives, Aux cuisses de vermeil ! Rien, non, rien ne valait ce baiser d'ambroisie, Plus frais que le matin ! Plus pur que le regard d'un oeil d'Andalousie ! Plus doux que le parler d'une femme d'Asie, Aux lèvres de satin ! Oh ! qui que vous soyez, sur ma tête abaissées, Ombres aux corps flottants ! Laissez, oh ! laissez-moi vous tenir enlacées, Boire dans vos baisers des amours insensées, Goutte à goutte et longtemps ! Oh ! venez ! nous mettrons dans l'alcôve soyeuse Une lampe d'argent. Venez ! la nuit est triste et la lampe joyeuse ! Blonde ou noire, venez ; nonchalante ou rieuse, Coeur naïf ou changeant ! Venez ! nous verserons des roses dans ma couche ; Car les parfums sont doux ! Et la sultane, au soir, se parfume la bouche ; Lorsqu'elle va quitter sa robe et sa babouche Pour son lit de bambous ! Hélas ! de belles nuits le ciel nous est avare Autant que de beaux jours ! Entendez-vous gémir la harpe de Ferrare, Et sous des doigts divins palpiter la guitare ? Venez, ô mes amours ! Mais rien ne reste plus que l'ombre froide et nue, Où craquent les cloisons. J'entends des chants hurler, comme un enfant qu'on tue ; Et la lune en croissant découpe, dans la rue, Les angles des maisons.
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L'absence
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : L'absence Titre : L'absence Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Amours diverses (1578). Ce me sera plaisir, Genèvre, de t'écrire, Étant absent de toi, mon amoureux martyre... J'ai certes éprouvé par mainte expérience, Que l'amour se renforce et s'augmente en l'absence, Ou soit en rêvassant le plaisant souvenir, Ainsi que d'un appât la vienne entretenir, Ou soit les portraits des liesses passées S'impriment dans l'esprit de nouveau ramassées ; Soit que l'âme ait regret au bien qu'elle a perdu, Soit que le vide corps plus plein se soit rendu, Soit que la volupté soit trop tôt périssable, Soit que le souvenir d'elle soit plus durable. Bref, je ne sais que c'est ; mais certes je sais bien Que j'aime mieux absent qu'étant près de mon bien...
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Vanités
Auguste Angellier (1848-1911)
Poésie : Vanités Titre : Vanités Poète : Auguste Angellier (1848-1911) Recueil : Le chemin des saisons (1903). Hélas ! combien de fois j'ai déjà vu le cierge S'allumer tristement auprès d'un cher cercueil, Et suivi l'huissier noir qui frappe de sa verge Le pavé de l'église aux tentures de deuil ! Notre existence brève est une étroite berge, Et nous des naufragés sur ce rebord d'écueil ; À chaque instant, un flot en prend un qu'il submerge : Et nous nous déchirons dans la haine et l'orgueil !
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Première soirée
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Première soirée Titre : Première soirée Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) - Elle était fort déshabillée Et de grands arbres indiscrets Aux vitres jetaient leur feuillée Malinement, tout près, tout près. Assise sur ma grande chaise, Mi-nue, elle joignait les mains. Sur le plancher frissonnaient d'aise Ses petits pieds si fins, si fins. - Je regardai, couleur de cire, Un petit rayon buissonnier Papillonner dans son sourire Et sur son sein, - mouche au rosier. - Je baisai ses fines chevilles. Elle eut un doux rire brutal Qui s'égrenait en claires trilles, Un joli rire de cristal. Les petits pieds sous la chemise Se sauvèrent : "Veux-tu finir !" - La première audace permise, Le rire feignait de punir ! - Pauvrets palpitants sous ma lèvre, Je baisai doucement ses yeux : - Elle jeta sa tête mièvre En arrière : "Oh ! c'est encor mieux !... Monsieur, j'ai deux mots à te dire..." - Je lui jetai le reste au sein Dans un baiser, qui la fit rire D'un bon rire qui voulait bien... - Elle était fort déshabillée Et de grands arbres indiscrets Aux vitres jetaient leur feuillée Malinement, tout près, tout près.
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À Éléonore (II)
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : À Éléonore (II) Titre : À Éléonore (II) Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Recueil : Poésies érotiques (1778). Dès que la nuit sur nos demeures Planera plus obscurément ; Dès que sur l'airain gémissant Le marteau frappera douze heures ; Sur les pas du fidèle Amour, Alors les plaisirs par centaine Voleront chez ma souveraine, Et les voluptés tour-à-tour Défileront devant leur Reine ; Ils y resteront jusqu'au jour ; Et si la matineuse aurore Oubliait d'ouvrir au soleil Ses larges portes de vermeil, Le soir ils y seraient encore.
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De plus, cette ignorance de Vous !
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : De plus, cette ignorance de Vous ! Titre : De plus, cette ignorance de Vous ! Poète : Paul Verlaine (1844-1896) De plus, cette ignorance de Vous ! Avoir des yeux et ne pas vous voir, Une âme et ne pas vous concevoir. Un esprit sans nouvelles de Vous ! O temps, ô mœurs qu'il en soit ainsi, Et que ce vase de belles fleurs, Qu'un tel vase, précieux d'ailleurs, De la plus belle se passe ainsi ! Religion, unique raison, Et seule règle et loi, piété, Rien, là, de vous n'a jamais été, Pas un penser juste, une oraison ! Aussi cette ignorance de tout ! Et de soi-même, droits et devoirs Et des autres, leurs justes pouvoirs, Leur action légitime et tout ! Jusqu'à méconnaître en moi quel nom, Quel titre augural et de par Dieu ! Et six ans passés à plaire à Dieu, Vertu réelle, effort bel et bon ! Jusqu'à ne pas se douter vraiment Du tour affreux et plus que cruel Qu'un sot grief, à peine réel, Inflige à ses revanches vraiment. Éclairez ces ténêbres de mort, C'est votre créature après tout. L'ignorance invincible l'absout. Bah ! claire et bonne lui soit la mort.
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Michel et Christine
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Michel et Christine Titre : Michel et Christine Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Zut alors, si le soleil quitte ces bords ! Fuis, clair déluge ! Voici l'ombre des routes. Dans les saules, dans la vieille cour d'honneur, L'orage d'abord jette ses larges gouttes. Ô cent agneaux, de l'idylle soldats blonds, Des aqueducs, des bruyères amaigries, Fuyez ! plaine, déserts, prairie, horizons Sont à la toilette rouge de l'orage ! Chien noir, brun pasteur dont le manteau s'engouffre, Fuyez l'heure des éclairs supérieurs ; Blond troupeau, quand voici nager ombre et soufre, Tâchez de descendre à des retraits meilleurs. Mais moi, Seigneur ! voici que mon esprit vole, Après les cieux glacés de rouge, sous les Nuages célestes qui courent et volent Sur cent Solognes longues comme un railway. Voilà mille loups, mille graines sauvages Qu'emporte, non sans aimer les liserons, Cette religieuse après-midi d'orage Sur l'Europe ancienne où cent hordes iront ! Après, le clair de lune ! partout la lande, Rougis et leurs fronts aux cieux noirs, les guerriers Chevauchent lentement leurs pâles coursiers ! Les cailloux sonnent sous cette fière bande ! - Et verrai-je le bois jaune et le val clair, L'Epouse aux yeux bleus, l'homme au front rouge, ô Gaule, Et le blanc Agneau Pascal, à leurs pieds chers, - Michel et Christine, - et Christ ! - fin de l'Idylle.
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L'ombre des arbres
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : L'ombre des arbres Titre : L'ombre des arbres Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Romances sans paroles (1874). L'ombre des arbres dans la rivière embrumée Meurt comme de la fumée, Tandis qu'en l'air, parmi les ramures réelles, Se plaignent les tourterelles. Combien, ô voyageur, ce paysage blême Te mira blême toi-même, Et que tristes pleuraient dans les hautes feuillées Tes espérances noyées ! Juin 1872.
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Chanson (Les châtiments, II)
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Chanson (Les châtiments, II) Titre : Chanson (Les châtiments, II) Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les châtiments (1853). La femelle ? elle est morte. Le mâle ? un chat l'emporte Et dévore ses os. Au doux nid qui frissonne Qui reviendra ? personne. Pauvres petits oiseaux ! Le pâtre absent par fraude ! Le chien mort ! le loup rôde, Et tend ses noirs panneaux. Au bercail qui frissonne Qui veillera ? personne. Pauvres petits agneaux ! L'homme au bagne ! la mère A l'hospice ! ô misère ! Le logis tremble aux vents L'humble berceau frissonne. Qui reste-t-il ? personne. Pauvres petits enfants ! Jersey, le 22 février 1852.
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Le cygne
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le cygne Titre : Le cygne Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) À Victor Hugo. I Andromaque, je pense à vous ! Ce petit fleuve, Pauvre et triste miroir où jadis resplendit L'immense majesté de vos douleurs de veuve, Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit, A fécondé soudain ma mémoire fertile, Comme je traversais le nouveau Carrousel. Le vieux Paris n'est plus (la forme d'une ville Change plus vite, hélas ! que le coeur d'un mortel) ; Je ne vois qu'en esprit, tout ce camp de baraques, Ces tas de chapiteaux ébauchés et de fûts, Les herbes, les gros blocs verdis par l'eau des flaques, Et, brillant aux carreaux, le bric-à-brac confus. Là s'étalait jadis une ménagerie ; Là je vis, un matin, à l'heure où sous les cieux Froids et clairs le travail s'éveille, où la voirie Pousse un sombre ouragan dans l'air silencieux, Un cygne qui s'était évadé de sa cage, Et, de ses pieds palmés frottant le pavé sec, Sur le sol raboteux traînait son blanc plumage. Près d'un ruisseau sans eau la bête ouvrant le bec Baignait nerveusement ses ailes dans la poudre, Et disait, le coeur plein de son beau lac natal : " Eau, quand donc pleuvras-tu ? quand tonneras-tu, foudre ? " Je vois ce malheureux, mythe étrange et fatal, Vers le ciel quelquefois, comme l'homme d'Ovide, Vers le ciel ironique et cruellement bleu, Sur son cou convulsif tendant sa tête avide, Comme s'il adressait des reproches à Dieu ! II Paris change ! mais rien dans ma mélancolie N'a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs, Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie, Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs. Aussi devant ce Louvre une image m'opprime : Je pense à mon grand cygne, avec ses gestes fous, Comme les exilés, ridicule et sublime, Et rongé d'un, désir sans trêve ! et puis à vous, Andromaque, des bras d'un grand époux tombée, Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus, Auprès d'un tombeau vide en extase courbée ; Veuve d'Hector, hélas ! et femme d'Hélénus ! Je pense à la négresse, amaigrie et phtisique, Piétinant dans la boue, et cherchant, l'oeil hagard, Les cocotiers absents de la superbe Afrique Derrière la muraille immense du brouillard ; A quiconque a perdu ce qui ne se retrouve Jamais, jamais ! à ceux qui s'abreuvent de pleurs Et tètent la douleur comme une bonne louve ! Aux maigres orphelins séchant comme des fleurs ! Ainsi dans la forêt où mon esprit s'exile Un vieux Souvenir sonne à plein souffle du cor ! Je pense aux matelots oubliés dans une île, Aux captifs, aux vaincus !... à bien d'autres encor !
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Épithalame
Nérée Beauchemin (1850-1931)
Poésie : Épithalame Titre : Épithalame Poète : Nérée Beauchemin (1850-1931) À M. et Mme Alide Lacerte. Quand on s'aime on se marie : Il prend fin, l'enchantement D'une vague rêverie. Quand on s'aime on se marie : La vie à deux, c'est charmant. Longtemps on hésite, on n'ose ; La voix, les lèvres, les yeux, Malgré soi disent la chose. Longtemps on hésite, on n'ose. Silence délicieux ! On se comprend sans rien dire. Le plus fin pinceau de l'Art Ne peut rendre ni décrire Tout ce qu'exprime un sourire, Tout ce qu'exprime un regard. Bref, il faut dire, à l'église, Le cher secret inouï. Peur naïve ! gêne exquise ! Pour que nul ne s'en dédise, Au prêtre il faut dire oui. Au mot sacré qu'on prononce, Dans les cœurs, comme un duo, Vibre une même réponse. Au clair oui franc qu'on prononce, Les cœurs tout bas font écho. Quand on s'aime, on se marie : La vie à deux, c'est si doux. Mon cher, aime ta chérie : Bon cœur jamais ne varie. Cher tendre couple, aimez-vous.
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Guitare
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Guitare Titre : Guitare Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Le pauvre du chemin creux chante et parle. Il dit : « Mon nom est Pierre et non pas Charle, Et je m'appelle aussi Duchatelet. Une fois je vis, moi qu'on croit très laid, Passer vraiment une femme très belle. (Si je la voyais telle, elle était telle.) Nous nous mariâmes au vieux curé. On eut tout ce qu'on avait espéré, Jusqu'à l'enfant qu'on m'a dit vivre encore. Mais elle devint la pire pécore Indigne même de cette chanson, Et certain beau soir quitta la maison En emportant tout l'argent du ménage Dont les trois quarts étaient mon apanage. C'était une voleuse, une sans-cœur, Et puis, par des fois, je lui faisais peur. Elle n'avait pas l'ombre d'une excuse, Pas un amant ou par rage ou par ruse. Il paraît qu'elle couche depuis peu Avec un individu qui tient lieu D'époux à cette femme de querelle. Faut-il la tuer ou prier pour elle ? » Et le pauvre sait très bien qu'il priera, Mais le diable parierait qu'il tuera.
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À M. Froment Meurice
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À M. Froment Meurice Titre : À M. Froment Meurice Poète : Victor Hugo (1802-1885) Nous sommes frères : la fleur Par deux arts peut être faite. Le poète est ciseleur ; Le ciseleur est poète. Poètes ou ciseleurs, Par nous l'esprit se révèle. Nous rendons les bons meilleurs, Tu rends la beauté plus belle. Sur son bras ou sur son cou, Tu fais de tes rêveries, Statuaire du bijou, Des palais de pierreries ! Ne dis pas : « Mon art n'est rien... » Sors de la route tracée, Ouvrier magicien, Et mêle à l'or la pensée ! Tous les penseurs, sans chercher Qui finit ou qui commence, Sculptent le même rocher : Ce rocher, c'est l'art immense. Michel-Ange, grand vieillard, En larges blocs qu'il nous jette, Le fait jaillir au hasard ; Benvenuto nous l'émiette. Et, devant l'art infini, Dont jamais la loi ne change, La miette de Cellini Vaut le bloc de Michel-Ange. Tout est grand ; sombre ou vermeil, Tout feu qui brille est une âme. L'étoile vaut le soleil ; L'étincelle vaut la flamme. Paris, octobre 1841.
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Le portrait
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le portrait Titre : Le portrait Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. La Maladie et la Mort font des cendres De tout le feu qui pour nous flamboya. De ces grands yeux si fervents et si tendres, De cette bouche où mon coeur se noya, De ces baisers puissants comme un dictame, De ces transports plus vifs que des rayons, Que reste-t-il ? C'est affreux, ô mon âme ! Rien qu'un dessin fort pâle, aux trois crayons, Qui, comme moi, meurt dans la solitude, Et que le Temps, injurieux vieillard, Chaque jour frotte avec son aile rude... Noir assassin de la Vie et de l'Art, Tu ne tueras jamais dans ma mémoire Celle qui fut mon plaisir et ma gloire !
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Fêtes de la faim
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Fêtes de la faim Titre : Fêtes de la faim Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Recueil : Derniers vers (1872). Ma faim, Anne, Anne, Fuis sur ton âne. Si j'ai du goût, ce n'est guères Que pour la terre et les pierres. Dinn ! dinn ! dinn ! dinn ! Mangeons l'air, Le roc, les charbons, le fer. Mes faims, tournez. Paissez, faims, Le pré des sons ! Attirez le gai venin Des liserons ; Mangez Les cailloux qu'un pauvre brise, Les vieilles pierres d'église, Les galets, fils des déluges, Pains couchés aux vallées grises ! Mes faims, c'est les bouts d'air noir ; L'azur sonneur ; - C'est l'estomac qui me tire. C'est le malheur. Sur terre ont paru les feuilles ! Je vais aux chairs de fruit blettes. Au sein du sillon je cueille La doucette et la violette. Ma faim, Anne, Anne ! Fuis sur ton âne.
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La caravane
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : La caravane Titre : La caravane Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : La comédie de la mort (1838). La caravane humaine au Sahara du monde, Par ce chemin des ans qui n'a pas de retour, S'en va traînant le pied, brûlée aux feux du jour, Et buvant sur ses bras la sueur qui l'inonde. Le grand lion rugit et la tempête gronde ; A l'horizon fuyard, ni minaret, ni tour ; La seule ombre qu'on ait, c'est l'ombre du vautour, Qui traverse le ciel cherchant sa proie immonde. L'on avance toujours, et voici que l'on voit Quelque chose de vert que l'on se montre au doigt : C'est un bois de cyprès semé de blanches pierres. Dieu, pour vous reposer, dans le désert du temps, Comme des oasis, a mis les cimetières : Couchez-vous et dormez, voyageurs haletants.
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À Madame M
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À Madame M Titre : À Madame M Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Vous m'envoyez, belle Emilie, Un poulet bien emmailloté ; Votre main discrète et polie L'a soigneusement cacheté. Mais l'aumône est un peu légère, Et malgré sa dextérité, Cette main est bien ménagère Dans ses actes de charité. C'est regarder à la dépense Si votre offrande est un paiement, Et si c'est une récompense, Vous n'aviez pas besoin d'argent. A l'avenir, belle Emilie, Si votre coeur est généreux, Aux pauvres gens, je vous en prie Faites l'aumône avec vos yeux. Quand vous trouverez le mérite, Et quand vous voudrez le payer, Souvenez-vous de Marguerite Et du poète Alain Chartier Il était bien laid, dit l'histoire, La dame était fille de roi ; Je suis bien obligé de croire Qu'il faisait mieux les vers que moi. Mais si ma plume est peu de chose, Mon coeur, hélas ! ne vaut pas mieux ; Fût-ce même pour de la prose Vos cadeaux sont trop dangereux. Que votre charité timide Garde son argent et son or, Car en ouvrant votre main vide Vous pouvez donner un trésor.
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Le deuil
Auguste Angellier (1848-1911)
Poésie : Le deuil Titre : Le deuil Poète : Auguste Angellier (1848-1911) Recueil : À l'amie perdue (1896). Le soleil est tombé dans les flots ; une barre De lourds nuages gris qui pèsent sur la mer S'allonge à l'horizon, et lentement s'empare Du ciel où disparaît un reflet pâle et vert. Un âpre vent se lève, annonçant que l'hiver Avec ses ouragans et ses froids se prépare ; La houle dure a pris une teinte de fer, Sauf où blanchit un flot qui se dresse et s'effare. Sur l'immense surface où tombe la nuit froide, Égaré, seul, perdu, flotte un canard sauvage ; Tantôt, battant de l'aile, il lève son cou roide Comme pour voir au loin, puis inquiet il nage, Ou plonge et reparaît pour se dresser encore ; Les siens l'ont oublié ; la mer se décolore.
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L'amour nous fait trembler
Charles Guérin (1873-1907)
Poésie : L'amour nous fait trembler Titre : L'amour nous fait trembler Poète : Charles Guérin (1873-1907) Recueil : Le cœur solitaire (1896). L'amour nous fait trembler comme un jeune feuillage, Car chacun de nous deux a peur du même instant. « Mon bien-aimé, dis-tu très bas, je t'aime tant... Laisse... Ferme les yeux... Ne parle pas... Sois sage... » Je te devine proche au feu de ton visage. Ma tempe en fièvre bat contre ton cœur battant. Et, le cou dans tes bras, je frissonne en sentant Ta gorge nue et sa fraîcheur de coquillage. Ecoute au gré du vent la glycine frémir. C'est le soir ; il est doux d'être seuls sur la terre, L'un à l'autre, muets et faibles de désir. D'un baiser délicat tu m'ouvres la paupière ; Je te vois, et, confuse, avec un long soupir, Tu souris dans l'attente heureuse du mystère.
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Une promenade au Jardin des Plantes
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : Une promenade au Jardin des Plantes Titre : Une promenade au Jardin des Plantes Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies complémentaires. Sonnet. Sous ces arbres chéris, où j'allais à mon tour Pour cueillir, en passant, seul, un brin de verveine, Sous ces arbres charmants où votre fraîche haleine Disputait au printemps tous les parfums du jour ; Des enfants étaient là qui jouaient alentour ; Et moi, pensant à vous, j'allais traînant ma peine ; Et si de mon chagrin vous êtes incertaine Vous ne pouvez pas l'être au moins de mon amour. Mais qui saura jamais le mal qui me tourmente ? Les fleurs des bois, dit-on, jadis ont deviné ! Antilope aux yeux noirs, dis, quelle est mon amante ? Ô lion, tu le sais, toi, mon noble enchaîné ; Toi qui m'as vu pâlir lorsque sa main charmante Se baissa doucement sur ton front incliné.
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Le trou du serpent
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Le trou du serpent Titre : Le trou du serpent Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : La comédie de la mort (1838). Au long des murs, quand le soleil y donne, Pour réchauffer mon vieux sang engourdi, Avec les chiens, auprès du lazarrone, Je vais m'étendre à l'heure de midi. Je reste là sans rêve et sans pensée, Comme un prodigue à son dernier écu, Devant ma vie, aux trois quarts dépensée, Déjà vieillard et n'ayant pas vécu. Je n'aime rien, parce que rien ne m'aime, Mon âme usée abandonne mon corps, Je porte en moi le tombeau de moi-même, Et suis plus mort que ne sont bien des morts. Quand le soleil s'est caché sous la nue, Devers mon trou je me traîne en rampant, Et jusqu'au fond de ma peine inconnue Je me retire aussi froid qu'un serpent.
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Le foyer, la lueur étroite de la lampe
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Le foyer, la lueur étroite de la lampe Titre : Le foyer, la lueur étroite de la lampe Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : La bonne chanson (1872). Le foyer, la lueur étroite de la lampe ; La rêverie avec le doigt contre la tempe Et les yeux se perdant parmi les yeux aimés ; L'heure du thé fumant et des livres fermés ; La douceur de sentir la fin de la soirée ; La fatigue charmante et l'attente adorée ; De l'ombre nuptiale et de la douce nuit, Oh ! tout cela, mon rêve attendri le poursuit Sans relâche, à travers toutes remises vaines, Impatient mes mois, furieux des semaines !
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À un passant
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : À un passant Titre : À un passant Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Dédicaces (1890). Mon cher enfant que j'ai vu dans ma vie errante, Mon cher enfant, que, mon Dieu, tu me recueillis, Moi-même pauvre ainsi que toi, purs comme lys, Mon cher enfant que j'ai vu dans ma vie errante ! Et beau comme notre âme pure et transparente, Mon cher enfant, grande vertu de moi, la rente, De mon effort de charité, nous, fleurs de lys ! On te dit mort... Mort ou vivant, sois ma mémoire ! Et qu'on ne hurle donc plus que c'est de la gloire Que je m'occupe, fou qu'il fallut et qu'il faut... Petit ! mort ou vivant, qui fis vibrer mes fibres, Quoi qu'en aient dit et dit tels imbéciles noirs Compagnon qui ressuscitas les saints espoirs, Va donc, vivant ou mort, dans les espaces libres !
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Séparation
Auguste Angellier (1848-1911)
Poésie : Séparation Titre : Séparation Poète : Auguste Angellier (1848-1911) Ainsi donc tu t'en es allée ; Tu suivis, sans te retourner, La pâle et jaunissante allée Qu'Octobre allait découronner ! Je vis s'éloigner ta démarche, Qui vers moi se hâtait jadis ; Mes yeux, plus tristes à chaque arche De rameaux déjà déverdis Dont allait s'accroissant l'espace Qui nous séparait pour toujours, Admiraient cependant la grâce De ton corps souple aux fins contours. Ô doux corps de lait et de neige, Toujours languissant et frileux, Toujours priant qu'on le protège, Doux corps d'albâtre lumineux, Ô doux corps, digne du Corrège Par l'exquise et molle lueur Qui vêtait, comme un sortilège, Sa grâce lente et sa blancheur ! Il s'éloignait hors de moi-même, De mes bras déserts évadé, Me laissant un front toujours blême Un cœur toujours dépossédé. Tu marchais la tête penchée ; Le regret, peut-être, un instant, De notre tendresse arrachée, Ralentit ton pas hésitant ; Et peut-être même une larme Tremblait-elle en tes chers yeux bleus, Au moment où mourait le charme Dont nous aurions pu vivre heureux ! Ah ! peut-être un regard rapide, Un seul, t'eût remise en mes bras, Et rendue à mon cœur avide ; Mais tu ne te détournas pas ! Tu marchais la tête penchée, Sur le jaune et fauve tapis Dont l'avenue était jonchée, Sous les grands ormes assoupis ; Je t'ai jusqu'au bout regardée Dans la brume et dans le lointain, Voyant ta forme dégradée Flotter dans l'air plus incertain, Jusqu'à l'âpre minute obscure, Où, dernier adieu des adieux, Le point d'or de ta chevelure Mourut dans les pleurs de mes yeux.
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À Villequier
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : À Villequier Titre : À Villequier Poète : Victor Hugo (1802-1885) Maintenant que Paris, ses pavés et ses marbres, Et sa brume et ses toits sont bien loin de mes yeux ; Maintenant que je suis sous les branches des arbres, Et que je puis songer à la beauté des cieux ; Maintenant que du deuil qui m'a fait l'âme obscure Je sors, pâle et vainqueur, Et que je sens la paix de la grande nature Qui m'entre dans le cœur ; Maintenant que je puis, assis au bord des ondes, Emu par ce superbe et tranquille horizon, Examiner en moi les vérités profondes Et regarder les fleurs qui sont dans le gazon ; Maintenant, ô mon Dieu ! que j'ai ce calme sombre De pouvoir désormais Voir de mes yeux la pierre où je sais que dans l'ombre Elle dort pour jamais ; Maintenant qu'attendri par ces divins spectacles, Plaines, forêts, rochers, vallons, fleuve argenté, Voyant ma petitesse et voyant vos miracles, Je reprends ma raison devant l'immensité ; Je viens à vous, Seigneur, père auquel il faut croire ; Je vous porte, apaisé, Les morceaux de ce cœur tout plein de votre gloire Que vous avez brisé ; Je viens à vous, Seigneur ! confessant que vous êtes Bon, clément, indulgent et doux, ô Dieu vivant ! Je conviens que vous seul savez ce que vous faites, Et que l'homme n'est rien qu'un jonc qui tremble au vent ; Je dis que le tombeau qui sur les morts se ferme Ouvre le firmament ; Et que ce qu'ici-bas nous prenons pour le terme Est le commencement ; Je conviens à genoux que vous seul, père auguste, Possédez l'infini, le réel, l'absolu ; Je conviens qu'il est bon, je conviens qu'il est juste Que mon cœur ait saigné, puisque Dieu l'a voulu ! Je ne résiste plus à tout ce qui m'arrive Par votre volonté. L'âme de deuils en deuils, l'homme de rive en rive, Roule à l'éternité. Nous ne voyons jamais qu'un seul côté des choses ; L'autre plonge en la nuit d'un mystère effrayant. L'homme subit le joug sans connaître les causes. Tout ce qu'il voit est court, inutile et fuyant. Vous faites revenir toujours la solitude Autour de tous ses pas. Vous n'avez pas voulu qu'il eût la certitude Ni la joie ici-bas ! Dès qu'il possède un bien, le sort le lui retire. Rien ne lui fut donné, dans ses rapides jours, Pour qu'il s'en puisse faire une demeure, et dire : C'est ici ma maison, mon champ et mes amours ! Il doit voir peu de temps tout ce que ses yeux voient ; Il vieillit sans soutiens. Puisque ces choses sont, c'est qu'il faut qu'elles soient ; J'en conviens, j'en conviens ! Le monde est sombre, ô Dieu ! l'immuable harmonie Se compose des pleurs aussi bien que des chants ; L'homme n'est qu'un atome en cette ombre infinie, Nuit où montent les bons, où tombent les méchants. Je sais que vous avez bien autre chose à faire Que de nous plaindre tous, Et qu'un enfant qui meurt, désespoir de sa mère, Ne vous fait rien, à vous ! Je sais que le fruit tombe au vent qui le secoue, Que l'oiseau perd sa plume et la fleur son parfum ; Que la création est une grande roue Qui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu'un ; Les mois, les jours, les flots des mers, les yeux qui pleurent, Passent sous le ciel bleu ; Il faut que l'herbe pousse et que les enfants meurent ; Je le sais, ô mon Dieu ! Dans vos cieux, au-delà de la sphère des nues, Au fond de cet azur immobile et dormant, Peut-être faites-vous des choses inconnues Où la douleur de l'homme entre comme élément. Peut-être est-il utile à vos desseins sans nombre Que des êtres charmants S'en aillent, emportés par le tourbillon sombre Des noirs événements. Nos destins ténébreux vont sous des lois immenses Que rien ne déconcerte et que rien n'attendrit. Vous ne pouvez avoir de subites clémences Qui dérangent le monde, ô Dieu, tranquille esprit ! Je vous supplie, ô Dieu ! de regarder mon âme, Et de considérer Qu'humble comme un enfant et doux comme une femme, Je viens vous adorer ! Considérez encor que j'avais, dès l'aurore, Travaillé, combattu, pensé, marché, lutté, Expliquant la nature à l'homme qui l'ignore, Eclairant toute chose avec votre clarté ; Que j'avais, affrontant la haine et la colère, Fait ma tâche ici-bas, Que je ne pouvais pas m'attendre à ce salaire, Que je ne pouvais pas Prévoir que, vous aussi, sur ma tête qui ploie Vous appesantiriez votre bras triomphant, Et que, vous qui voyiez comme j'ai peu de joie, Vous me reprendriez si vite mon enfant ! Qu'une âme ainsi frappée à se plaindre est sujette, Que j'ai pu blasphémer, Et vous jeter mes cris comme un enfant qui jette Une pierre à la mer ! Considérez qu'on doute, ô mon Dieu ! quand on souffre, Que l'œil qui pleure trop finit par s'aveugler, Qu'un être que son deuil plonge au plus noir du gouffre, Quand il ne vous voit plus, ne peut vous contempler, Et qu'il ne se peut pas que l'homme, lorsqu'il sombre Dans les afflictions, Ait présente à l'esprit la sérénité sombre Des constellations ! Aujourd'hui, moi qui fus faible comme une mère, Je me courbe à vos pieds devant vos cieux ouverts. Je me sens éclairé dans ma douleur amère Par un meilleur regard jeté sur l'univers. Seigneur, je reconnais que l'homme est en délire S'il ose murmurer ; Je cesse d'accuser, je cesse de maudire, Mais laissez-moi pleurer ! Hélas ! laissez les pleurs couler de ma paupière, Puisque vous avez fait les hommes pour cela ! Laissez-moi me pencher sur cette froide pierre Et dire à mon enfant : Sens-tu que je suis là ? Laissez-moi lui parler, incliné sur ses restes, Le soir, quand tout se tait, Comme si, dans sa nuit rouvrant ses yeux célestes, Cet ange m'écoutait ! Hélas ! vers le passé tournant un œil d'envie, Sans que rien ici-bas puisse m'en consoler, Je regarde toujours ce moment de ma vie Où je l'ai vue ouvrir son aile et s'envoler ! Je verrai cet instant jusqu'à ce que je meure, L'instant, pleurs superflus ! Où je criai : L'enfant que j'avais tout à l'heure, Quoi donc ! je ne l'ai plus ! Ne vous irritez pas que je sois de la sorte, Ô mon Dieu ! cette plaie a si longtemps saigné ! L'angoisse dans mon âme est toujours la plus forte, Et mon cœur est soumis, mais n'est pas résigné. Ne vous irritez pas ! fronts que le deuil réclame, Mortels sujets aux pleurs, Il nous est malaisé de retirer notre âme De ces grandes douleurs. Voyez-vous, nos enfants nous sont bien nécessaires, Seigneur ; quand on a vu dans sa vie, un matin, Au milieu des ennuis, des peines, des misères, Et de l'ombre que fait sur nous notre destin, Apparaître un enfant, tête chère et sacrée, Petit être joyeux, Si beau, qu'on a cru voir s'ouvrir à son entrée Une porte des cieux ; Quand on a vu, seize ans, de cet autre soi-même Croître la grâce aimable et la douce raison, Lorsqu'on a reconnu que cet enfant qu'on aime Fait le jour dans notre âme et dans notre maison, Que c'est la seule joie ici-bas qui persiste De tout ce qu'on rêva, Considérez que c'est une chose bien triste De le voir qui s'en va !
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L'amour
Antoine-Vincent Arnault (1766-1834)
Poésie : L'amour Titre : L'amour Poète : Antoine-Vincent Arnault (1766-1834) Recueil : Poésies mêlées (1826). À Laure B. L'amour a transmis jusqu'à nous Les noms de Pétrarque et de Laure ; Ah ! d'eux si nous parlons encore, Combien l'on parlera de vous ! Laure est le miracle des belles, Pétrarque celui des amants : Prudes, poètes, cœurs constants, Voilà vos plus parfaits modèles. Laure avec ses beaux yeux pourtant, Pétrarque avec tout son génie, Feraient moins de bruit à présent, Si le ciel leur rendait la vie. Laure en beauté vous céderait Le prix que vous donnent les autres ; Et Pétrarque vous chanterait En vers moins charmants que les vôtres. Écrit en 1793.
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Morts de quatre-vingt-douze
Arthur Rimbaud (1854-1891)
Poésie : Morts de quatre-vingt-douze Titre : Morts de quatre-vingt-douze Poète : Arthur Rimbaud (1854-1891) Recueil : Poésies (1870-1871). Sonnet. Morts de Quatre-vingt-douze et de Quatre-vingt-treize, Qui, pâles du baiser fort de la liberté, Calmes, sous vos sabots, brisiez le joug qui pèse Sur l'âme et sur le front de toute humanité ; Hommes extasiés et grands dans la tourmente, Vous dont les coeurs sautaient d'amour sous les haillons, Ô Soldats que la Mort a semés, noble Amante, Pour les régénérer, dans tous les vieux sillons ; Vous dont le sang lavait toute grandeur salie, Morts de Valmy, Morts de Fleurus, Morts d'Italie, Ô million de Christs aux yeux sombres et doux ; Nous vous laissions dormir avec la République, Nous, courbés sous les rois comme sous une trique. - Messieurs de Cassagnac nous reparlent de vous !
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À la mi-carême
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À la mi-carême Titre : À la mi-carême Poète : Alfred de Musset (1810-1857) I Le carnaval s'en va, les roses vont éclore ; Sur les flancs des coteaux déjà court le gazon. Cependant du plaisir la frileuse saison Sous ses grelots légers rit et voltige encore, Tandis que, soulevant les voiles de l'aurore, Le Printemps inquiet paraît à l'horizon. II Du pauvre mois de mars il ne faut pas médire ; Bien que le laboureur le craigne justement, L'univers y renaît ; il est vrai que le vent, La pluie et le soleil s'y disputent l'empire. Qu'y faire ? Au temps des fleurs, le monde est un enfant ; C'est sa première larme et son premier sourire. III C'est dans le mois de mars que tente de s'ouvrir L'anémone sauvage aux corolles tremblantes. Les femmes et les fleurs appellent le zéphyr ; Et du fond des boudoirs les belles indolentes, Balançant mollement leurs tailles nonchalantes, Sous les vieux marronniers commencent à venir. IV C'est alors que les bals, plus joyeux et plus rares, Prolongent plus longtemps leurs dernières fanfares ; À ce bruit qui nous quitte, on court avec ardeur ; La valseuse se livre avec plus de langueur : Les yeux sont plus hardis, les lèvres moins avares, La lassitude enivre, et l'amour vient au coeur. V S'il est vrai qu'ici-bas l'adieu de ce qu'on aime Soit un si doux chagrin qu'on en voudrait mourir, C'est dans le mois de mars, c'est à la mi-carême, Qu'au sortir d'un souper un enfant du plaisir Sur la valse et l'amour devrait faire un poème, Et saluer gaiement ses dieux prêts à partir. VI Mais qui saura chanter tes pas pleins d'harmonie, Et tes secrets divins, du vulgaire ignorés, Belle Nymphe allemande aux brodequins dorés ? Ô Muse de la valse ! ô fleur de poésie ! Où sont, de notre temps, les buveurs d'ambroisie Dignes de s'étourdir dans tes bras adorés ? VII Quand, sur le Cithéron, la Bacchanale antique Des filles de Cadmus dénouait les cheveux, On laissait la beauté danser devant les dieux ; Et si quelque profane, au son de la musique, S'élançait dans les choeurs, la prêtresse impudique De son thyrse de fer frappait l'audacieux. VIII Il n'en est pas ainsi dans nos fêtes grossières ; Les vierges aujourd'hui se montrent moins sévères, Et se laissent toucher sans grâce et sans fierté. Nous ouvrons à qui veut nos quadrilles vulgaires ; Nous perdons le respect qu'on doit à la beauté, Et nos plaisirs bruyants font fuir la volupté. IX Tant que régna chez nous le menuet gothique, D'observer la mesure on se souvint encor. Nos pères la gardaient aux jours de thermidor, Lorsqu'au bruit des canons dansait la République, Lorsque la Tallien, soulevant sa tunique, Faisait de ses pieds nus claquer les anneaux d'or. X Autres temps, autres moeurs ; le rythme et la cadence Ont suivi les hasards et la commune loi. Pendant que l'univers, ligué contre la France, S'épuisait de fatigue à lui donner un roi, La valse d'un coup d'aile a détrôné la danse. Si quelqu'un s'en est plaint, certes, ce n'est pas moi. XI Je voudrais seulement, puisqu'elle est notre hôtesse, Qu'on sût mieux honorer cette jeune déesse. Je voudrais qu'à sa voix on pût régler nos pas, Ne pas voir profaner une si douce ivresse, Froisser d'un si beau sein les contours délicats, Et le premier venu l'emporter dans ses bras. XII C'est notre barbarie et notre indifférence Qu'il nous faut accuser ; notre esprit inconstant Se prend de fantaisie et vit de changement ; Mais le désordre même a besoin d'élégance ; Et je voudrais du moins qu'une duchesse, en France, Sût valser aussi bien qu'un bouvier allemand.
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Paraboles
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Paraboles Titre : Paraboles Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Amour (1888). Soyez béni, Seigneur, qui m'avez fait chrétien Dans ces temps de féroce ignorance et de haine ; Mais donnez-moi la force et l'audace sereine De vous être à toujours fidèle comme un chien, De vous être l'agneau destiné qui suit bien Sa mère et ne sait faire au pâtre aucune peine, Sentant qu'il doit sa vie encore, après sa laine, Au maître, quand il veut utiliser ce bien, Le poisson, pour servir au Fils de monogramme, L'ânon obscur qu'un jour en triomphe il monta, Et, dans ma chair, les porcs qu'à l'abîme il jeta. Car l'animal, meilleur que l'homme et que la femme, En ces temps de révolte et de duplicité Fait son humble devoir avec simplicité.
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Jeanne endormie (II)
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Jeanne endormie (II) Titre : Jeanne endormie (II) Poète : Victor Hugo (1802-1885) Elle dort ; ses beaux yeux se rouvriront demain ; Et mon doigt qu'elle tient dans l'ombre emplit sa main ; Moi, je lis, ayant soin que rien ne la réveille, Des journaux pieux ; tous m'insultent ; l'un conseille De mettre à Charenton quiconque lit mes vers ; L'autre voue au bûcher mes ouvrages pervers ; L'autre, dont une larme humecte les paupières, Invite les passants à me jeter des pierres ; Mes écrits sont un tas lugubre et vénéneux Où tous les noirs dragons du mal tordent leurs nœuds ; L'autre croit à l'enfer et m'en déclare apôtre ; L'un m'appelle Antéchrist, l'autre Satan, et l'autre Craindrait de me trouver le soir au coin d'un bois ; L'un me tend la ciguë et l'autre me dit : Bois ! J'ai démoli le Louvre et tué les otages ; Je fais rêver au peuple on ne sait quels partages ; Paris en flamme envoie à mon front sa rougeur ; Je suis incendiaire, assassin, égorgeur, Avare, et j'eusse été moins sombre et moins sinistre Si l'empereur m'avait voulu faire ministre ; Je suis l'empoisonneur public, le meurtrier ; Ainsi viennent en foule autour de moi crier Toutes ces voix jetant l'affront, sans fin, sans trêve ; Cependant l'enfant dort, et, comme si son rêve Me disait : — Sois tranquille, ô père, et sois clément ! — Je sens sa main presser la mienne doucement.
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Ferrare
Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Poésie : Ferrare Titre : Ferrare Poète : Alphonse de Lamartine (1790-1869) (Ajoutée dans l'Édition des Souscripteurs de 1849.) Que l'on soit homme ou Dieu, tout génie est martyre : Du supplice plus tard on baise l'instrument ; L'homme adore la croix où sa victime expire, Et du cachot du Tasse enchâsse le ciment. Prison du Tasse ici, de Galilée à Rome, Échafaud de Sidney, bûchers, croix ou tombeaux, Ah ! vous donnez le droit de bien mépriser l'homme, Qui veut que Dieu l'éclaire, et qui hait ses flambeaux ! Grand parmi les petits, libre chez les serviles, Si le génie expire, il l'a bien mérité ; Car nous dressons partout aux portes de nos villes Ces gibets de la gloire et de la vérité. Loin de nous amollir, que ce sort nous retrempe ! Sachons le prix du don, mais ouvrons notre main. Nos pleurs et notre sang son l'huile de la lampe Que Dieu nous fait porter devant le genre humain !
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L'amour du mensonge
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : L'amour du mensonge Titre : L'amour du mensonge Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Quand je te vois passer, ô ma chère indolente, Au chant des instruments qui se brise au plafond Suspendant ton allure harmonieuse et lente, Et promenant l'ennui de ton regard profond ; Quand je contemple, aux feux du gaz qui le colore, Ton front pâle, embelli par un morbide attrait, Où les torches du soir allument une aurore, Et tes yeux attirants comme ceux d'un portrait, Je me dis : Qu'elle est belle ! et bizarrement fraîche ! Le souvenir massif, royale et lourde tour, La couronne, et son coeur, meurtri comme une pêche, Est mûr, comme son corps, pour le savant amour. Es-tu le fruit d'automne aux saveurs souveraines ? Es-tu vase funèbre attendant quelques pleurs, Parfum qui fait rêver aux oasis lointaines, Oreiller caressant, ou corbeille de fleurs ? Je sais qu'il est des yeux, des plus mélancoliques Qui ne recèlent point de secrets précieux ; Beaux écrins sans joyaux, médaillons sans reliques, Plus vides, plus profonds que vous-mêmes, ô Cieux ! Mais ne suffit-il pas que tu sois l'apparence, Pour réjouir un coeur qui fuit la vérité ? Qu'importe ta bêtise ou ton indifférence ? Masque ou décor, salut ! J'adore ta beauté.
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Je voudrais être Ixion et Tantale
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Je voudrais être Ixion et Tantale Titre : Je voudrais être Ixion et Tantale Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Le premier livre des Amours (1552). Je voudrais être Ixion et Tantale, Dessus la roue et dans les eaux là-bas, Et nu à nu presser entre mes bras Cette beauté qui les anges égale. S'ainsi était, toute peine fatale Me serait douce et ne me chaudrait pas, Non, d'un vautour fussé-je le repas, Non, qui le roc remonte et redévale. Lui tâtonner seulement le tétin. Echangerait l'obscur de mon destin Au sort meilleur des princes de l'Asie : Un demi-dieu me ferait son baiser, Et flanc à flanc entre ses bras m'aiser, Un de ces Dieux qui mangent l'Ambrosie.
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À mon Frère, revenant d'Italie
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À mon Frère, revenant d'Italie Titre : À mon Frère, revenant d'Italie Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Ainsi, mon cher, tu t'en reviens Du pays dont je me souviens Comme d'un rêve, De ces beaux lieux où l'oranger Naquit pour nous dédommager Du péché d'Ève. Tu l'as vu, ce ciel enchanté Qui montre avec tant de clarté Le grand mystère ; Si pur, qu'un soupir monte à Dieu Plus librement qu'en aucun lieu Qui soit sur terre. Tu les as vus, les vieux manoirs De cette ville aux palais noirs Qui fut Florence, Plus ennuyeuse que Milan Où, du moins, quatre ou cinq fois l'an, Cerrito danse. Tu l'as vue, assise dans l'eau, Portant gaiement son mezzaro, La belle Gênes, Le visage peint, l'oeil brillant, Qui babille et joue en riant Avec ses chaînes. Tu l'as vu, cet antique port, Où, dans son grand langage mort, Le flot murmure, Où Stendhal, cet esprit charmant, Remplissait si dévotement Sa sinécure. Tu l'as vu, ce fantôme altier Qui jadis eut le monde entier Sous son empire. César dans sa pourpre est tombé : Dans un petit manteau d'abbé Sa veuve expire. Tu t'es bercé sur ce flot pur Où Naples enchâsse dans l'azur Sa mosaique, Oreiller des lazzaroni Où sont nés le macaroni Et la musique. Qu'il soit rusé, simple ou moqueur, N'est-ce pas qu'il nous laisse au coeur Un charme étrange, Ce peuple ami de la gaieté Qui donnerait gloire et beauté Pour une orange ? Catane et Palerme t'ont plu. Je n'en dis rien ; nous t'avons lu ; Mais on t'accuse D'avoir parlé bien tendrement, Moins en voyageur qu'en amant, De Syracuse. Ils sont beaux, quand il fait beau temps, Ces yeux presque mahométans De la Sicile ; Leur regard tranquille est ardent, Et bien dire en y répondant N'est pas facile. Ils sont doux surtout quand, le soir, Passe dans son domino noir La toppatelle. On peut l'aborder sans danger, Et dire : « Je suis étranger, Vous êtes belle. » Ischia ! C'est là, qu'on a des yeux, C'est là qu'un corsage amoureux Serre la hanche. Sur un bas rouge bien tiré Brille, sous le jupon doré, La mule blanche. Pauvre Ischia ! bien des gens n'ont vu Tes jeunes filles que pied nu Dans la poussière. On les endimanche à prix d'or ; Mais ton pur soleil brille encor Sur leur misère. Quoi qu'il en soit, il est certain Que l'on ne parle pas latin Dans les Abruzzes, Et que jamais un postillon N'y sera l'enfant d'Apollon Ni des neuf Muses. Il est bizarre, assurément, Que Minturnes soit justement Près de Capoue. Là tombèrent deux demi-dieux, Tout barbouillés, l'un de vin vieux, L'autre de boue. Les brigands t'ont-ils arrêté Sur le chemin tant redouté De Terracine ? Les as-tu vus dans les roseaux Où le buffle aux larges naseaux Dort et rumine ? Hélas ! hélas ! tu n'as rien vu. Ô (comme on dit) temps dépourvu De poésie ! Ces grands chemins, sûrs nuit et jour, Sont ennuyeux comme un amour Sans jalousie. Si tu t'es un peu détourné, Tu t'es à coup sûr promené Près de Ravenne, Dans ce triste et charmant séjour Où Byron noya dans l'amour Toute sa haine. C'est un pauvre petit cocher Qui m'a mené sans accrocher Jusqu'à Ferrare. Je désire qu'il t'ait conduit. Il n'eut pas peur, bien qu'il fît nuit ; Le cas est rare. Padoue est un fort bel endroit, Où de très grands docteurs en droit Ont fait merveille ; Mais j'aime mieux la polenta Qu'on mange aux bords de la Brenta Sous une treille. Sans doute tu l'as vue aussi, Vivante encore, Dieu merci ! Malgré nos armes, La pauvre vieille du Lido, Nageant dans une goutte d'eau Pleine de larmes. Toits superbes ! froids monuments ! Linceul d'or sur des ossements ! Ci-gît Venise. Là mon pauvre coeur est resté. S'il doit m'en être rapporté, Dieu le conduise ! Mon pauvre coeur, l'as-tu trouvé Sur le chemin, sous un pavé, Au fond d'un verre ? Ou dans ce grand palais Nani ; Dont tant de soleils ont jauni La noble pierre ? L'as-tu vu sur les fleurs des prés, Ou sur les raisins empourprés D'une tonnelle ? Ou dans quelque frêle bateau. Glissant à l'ombre et fendant l'eau À tire-d'aile ? L'as-tu trouvé tout en lambeaux Sur la rive où sont les tombeaux ? Il y doit être. Je ne sais qui l'y cherchera, Mais je crois bien qu'on ne pourra L'y reconnaître. Il était gai, jeune et hardi ; Il se jetait en étourdi À l'aventure. Librement il respirait l'air, Et parfois il se montrait fier D'une blessure. Il fut crédule, étant loyal, Se défendant de croire au mal Comme d'un crime. Puis tout à coup il s'est fondu Ainsi qu'un glacier suspendu Sur un abîme... Mais de quoi vais-je ici parler ? Que ferais-je à me désoler, Quand toi, cher frère, Ces lieux où j'ai failli mourir, Tu t'en viens de les parcourir Pour te distraire ? Tu rentres tranquille et content ; Tu tailles ta plume en chantant Une romance. Tu rapportes dans notre nid Cet espoir qui toujours finit Et recommence. Le retour fait aimer l'adieu ; Nous nous asseyons près du feu, Et tu nous contes Tout ce que ton esprit a vu, Plaisirs, dangers, et l'imprévu, Et les mécomptes. Et tout cela sans te fâcher, Sans te plaindre, sans y toucher Que pour en rire ; Tu sais rendre grâce au bonheur, Et tu te railles du malheur Sans en médire. Ami, ne t'en va plus si loin. D'un peu d'aide j'ai grand besoin, Quoi qu'il m'advienne. Je ne sais où va mon chemin, Mais je marche mieux quand ma main Serre la tienne.
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À Saint-Blaise, à la Zuecca
Alfred de Musset (1810-1857)
Poésie : À Saint-Blaise, à la Zuecca Titre : À Saint-Blaise, à la Zuecca Poète : Alfred de Musset (1810-1857) Recueil : Poésies nouvelles (1850). Chanson. À Saint-Blaise, à la Zuecca, Vous étiez, vous étiez bien aise À Saint-Blaise. À Saint-Blaise, à la Zuecca, Nous étions bien là. Mais de vous en souvenir Prendrez-vous la peine ? Mais de vous en souvenir Et d'y revenir, À Saint-Blaise, à la Zuecca, Dans les prés fleuris cueillir la verveine ? À Saint-Blaise, à la Zuecca, Vivre et mourir là !
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Ôtez votre beauté, ôtez votre jeunesse
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Ôtez votre beauté, ôtez votre jeunesse Titre : Ôtez votre beauté, ôtez votre jeunesse Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) Recueil : Poésies diverses (1587). Ôtez votre beauté, ôtez votre jeunesse, Ôtez ces rares dons que vous tenez des cieux, Ôtez ce bel esprit, ôtez-moi ces beaux yeux, Cet aller, ce parler digne d'une Déesse : Je ne vous serai plus d'une importune presse Fâcheux comme je suis : vos dons si précieux Me font, en les voyant, devenir furieux, Et par le désespoir l'âme prend hardiesse. Pour ce, si quelquefois je vous touche la main, Par courroux votre teint n'en doit devenir blême : Je suis fol, ma raison n'obéit plus au frein, Tant je suis agité d'une fureur extrême. Ne prenez, s'il vous plaît, mon offense à dédain, Mais, douce, pardonnez mes fautes à vous-même.
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Ode à l'alouette
Pierre de Ronsard (1524-1585)
Poésie : Ode à l'alouette Titre : Ode à l'alouette Poète : Pierre de Ronsard (1524-1585) T'oseroit bien quelque poète Nyer des vers, douce alouette ? Quant à moy je ne l'oserois, Je veux celebrer ton ramage Sur tous oyseaus qui sont en cage, Et sur tous ceus qui sont es bois. Qu'il te fait bon ouyr ! à l'heure Que le bouvier les champs labeure Quand la terre le printems sent, Qui plus de ta chanson est gaye, Que couroussée de la playe Du soc, qui l'estomac lui fend. Si tost que tu es arrosée Au point du jour, de la rosée, Tu fais en l'air mile discours En l'air des ailes tu fretilles, Et pendue au ciel, tu babilles, Et contes aus vens tes amours. Puis du ciel tu te laisses fondre Dans un sillon vert, soit pour pondre, Soit pour esclorre, ou pour couver, Soit pour aporter la bechée A tes petis, ou d'une Achée Ou d'une chenille, ou d'un ver. Lors moi couché dessus l'herbette D'une part j'oy ta chansonnette ; De l'autre, sus du poliot, A l'abry de quelque fougere J'ecoute la jeune bergere Qui degoise son lerelot. Puis je di, tu es bien-heureuse, Gentille Alouette amoureuse, Qui n'as peur ny soucy de riens, Qui jamais au coeur n'as sentie Les dedains d'une fiere amie, Ny le soin d'amasser des biens. Ou si quelque souci te touche, C'est, lors que le Soleil se couche, De dormir, et de reveiller De tes chansons avec l'Aurore Et bergers et passans encore, Pour les envoyer travailler. Mais je vis toujours en tristesse, Pour les fiertez d'une maistresse Qui paye ma foi de travaus, Et d'une plesante mensonge, Qui jour et nuit tous-jours alonge La longue trame de mes maus.
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Jour de fête
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Jour de fête Titre : Jour de fête Poète : Victor Hugo (1802-1885) Aux environs de Paris. Midi chauffe et sèche la mousse ; Les champs sont pleins de tambourins ; On voit dans une lueur douce Des groupes vagues et sereins. Là-bas, à l'horizon, poudroie Le vieux donjon de saint Louis ; Le soleil dans toute sa joie Accable les champs éblouis. L'air brûlant fait, sous ses haleines Sans murmures et sans échos, Luire en la fournaise des plaines La braise des coquelicots. Les brebis paissent inégales ; Le jour est splendide et dormant ; Presque pas d'ombre ; les cigales Chantent sous le bleu flamboiement. Voilà les avoines rentrées. Trêve au travail. Amis, du vin ! Des larges tonnes éventrées Sort l'éclat de rire divin. Le buveur chancelle à la table Qui boite fraternellement. L'ivrogne se sent véritable ; Il oublie, ô clair firmament, Tout, la ligne droite, la gêne, La loi, le gendarme, l'effroi, L'ordre ; et l'échalas de Surène Raille le poteau de l'octroi. L'âne broute, vieux philosophe ; L'oreille est longue ; l'âne en rit, Peu troublé d'un excès d'étoffe, Et content si le pré fleurit. Les enfants courent par volée. Clichy montre, honneur aux anciens ! Sa grande muraille étoilée Par la mitraille des Prussiens. La charrette roule et cahote ; Paris élève au loin sa voix, Noir chiffonnier qui dans sa hotte Porte le sombre tas des rois. On voit au loin les cheminées Et les dômes d'azur voilés ; Des filles passent, couronnées De joie et de fleurs, dans les blés.
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Colombine
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Colombine Titre : Colombine Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Fêtes galantes (1869). Léandre le sot, Pierrot qui d'un saut De puce Franchit le buisson, Cassandre sous son Capuce, Arlequin aussi, Cet aigrefin si Fantasque Aux costumes fous, Ses yeux luisants sous Son masque, — Do, mi, sol, mi, fa, — Tout ce monde va, Rit, chante Et danse devant Une belle enfant Méchante Dont les yeux pervers Comme les yeux verts Des chattes Gardent ses appas Et disent : « A bas Les pattes ! » — Eux ils vont toujours ! — Fatidique cours Des astres, Oh ! dis-moi vers quels Mornes ou cruels Désastres L'implacable enfant, Preste et relevant Ses jupes, La rose au chapeau, Conduit son troupeau De dupes ?
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La tristesse du vent
Auguste Angellier (1848-1911)
Poésie : La tristesse du vent Titre : La tristesse du vent Poète : Auguste Angellier (1848-1911) À Gaston Stiegler. Que veux-tu répondre au vent qui soupire, Au vent qui te dit le chagrin des choses, Le trépas des lis, des lilas, des roses, Et des clairs essaims gelés dans la cire ; Que veux-tu répondre au vent qui soupire ? Il dit qu'il est triste et las de conduire Le gémissement de tout ce qui souffre, De frôler toujours ce qui tombe au gouffre, De passer partout où la vie expire ; Que veux-tu répondre au vent qui soupire ? Lui répondras-tu qu'un cœur peut suffire. Un seul cœur humain chantant dans la joie, Pour le consoler de sa longue voie Sur les champs sans fin que l'hiver déchire ; Que veux-tu répondre au vent qui soupire ? Où trouveras-tu ce cœur qui désire Rester ce qu'il est en sa calme fête, Le cœur qui n'ait point de douleur secrète, Pour laquelle il n'est ni baume, ni myrrhe ; Que veux-tu répondre au vent qui soupire ? Sera-ce ton cœur, et faut-il te dire Que le vent prendrait sur tes lèvres closes Un chagrin plus grand que celui des choses, Et dans ton regard, un plus haut martyre ; Que veux-tu répondre au vent qui soupire ? Alors réponds-lui, de ton cher sourire, Qu'il ne frôle pas les âmes humaines, S'il ne veut porter de plus lourdes peines Que celles qu'il cueille en son vaste empire ; Que veux-tu répondre au vent qui soupire ?
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Angélus de midi
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : Angélus de midi Titre : Angélus de midi Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Je suis dur comme un juif et têtu comme lui, Littéral, ne faisant le bien qu'avec ennui, Quand je le fais, et prêt à tout le mal possible ; Mon esprit s'ouvre et s'offre, on dirait une cible ; Je ne puis plus compter les chutes de mon cœur ; La charité se fane aux doigts de la langueur ; L'ennemi m'investit d'un fossé d'eau dormante ; Un parti de mon être a peur et parlemente : Il me faut à tout prix un secours prompt et fort. Ce fort secours, c'est vous, maîtresse de la mort Et reine de la vie, ô Vierge immaculée, Qui tendez vers Jésus la Face constellée Pour lui montrer le Sein de toutes les douleurs Et tendez vers nos pas, vers nos ris, vers nos pleurs Et vers nos vanités douloureuses les paumes Lumineuses, les Mains répandeuses de baumes. Marie, ayez pitié de moi qui ne vaux rien Dans le chaste combat du Sage et du Chrétien ; Priez pour mon courage et pour qu'il persévère, Pour de la patience, en cette longue guerre, À supporter le froid et le chaud des saisons ; Écartez le fléau des mauvaises raisons ; Rendez-moi simple et fort, inaccessible aux larmes, Indomptable à la peur ; mettez-moi sous les armes, Que j'écrase, puisqu'il le faut, et broie enfin Tous les vains appétits, et la soif et la faim, Et l'amour sensuel, cette chose cruelle, Et la haine encor plus cruelle et sensuelle, Faites-moi le soldat rapide de vos vœux, Que pour vous obéir soit le rien que je peux, Que ce que vous voulez soit tout ce que je puisse ! J'immolerai comme en un calme sacrifice Sur votre autel honni jadis, baisé depuis, Le mauvais que je fus, le lâche que je suis. La sale vanité de l'or qu'on a, l'envie D'en avoir mais pas pour le Pauvre, cette vie Pour soi, quel soi ! l'affreux besoin de plaire aux gens, L'affreux besoin de plaire aux gens trop indulgents, Hommes prompts aux complots, femmes tôt adultères, Tous préjugés, mourez sous mes mains militaires ! Mais pour qu'un bien beau fruit récompense ma paix, Fleurisse dans tout moi la fleur des divins Mais, Votre amour, Mère tendre, et votre culte tendre. Ah ! vous aimer, n'aimer Dieu que par vous, ne tendre À lui qu'en vous sans plus aucun détour subtil, Et mourir avec vous tout près. Ainsi soit-il !
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Albertus (VIII)
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Albertus (VIII) Titre : Albertus (VIII) Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Recueil : Albertus (1832). La limace baveuse argente la muraille Théophile Gautier. La limace baveuse argente la muraille Dont la pierre se gerce et dont l'enduit s'éraille, Les lézards verts et gris se logent dans les trous, Et l'on entend le soir sur une note haute Coasser tout auprès la grenouille qui saute, Et râler aigrement les crapauds à l'oeil roux. - Aussi, pendant les soirs d'hiver, la nuit venue, Surtout quand du croissant une ouateuse nue Emmaillote la corne en un flot de vapeur, Personne, - non pas même Eisembach le ministre, - N'ose passer devant ce repaire sinistre Sans trembler et blêmir de peur.
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L'enfant prodigue (II)
Voltaire (1694-1778)
Poésie : L'enfant prodigue (II) Titre : L'enfant prodigue (II) Poète : Voltaire (1694-1778) À mon avis, l'hymen et ses liens Sont les plus grands ou des maux ou des biens. Point de milieu ; l'état du mariage Est des humains le plus cher avantage, Quand le rapport des esprits et des cœurs, Des sentiments, des goûts, et des humeurs, Serre ces nœuds tissus par la nature, Que l'amour forme et que l'honneur épure. Dieux ! quel plaisir d'aimer publiquement, Et de porter le nom de son amant ! Votre maison, vos gens, votre livrée, Tout vous retrace une image adorée ; Et vos enfants, ces gages précieux, Nés de l'amour, en sont de nouveaux nœuds. Un tel hymen, une union si chère, Si l'on en voit, c'est le ciel sur la terre. Mais tristement vendre par un contrat Sa liberté, son nom, et son état, Aux volontés d'un maître despotique, Dont on devient le premier domestique ; Se quereller ou s'éviter le jour ; Sans joie à table, et la nuit sans amour ; Trembler toujours d'avoir une faiblesse, Y succomber, ou combattre sans cesse ; Tromper son maître, ou vivre sans espoir Dans les langueurs d'un importun devoir ; Gémir, sécher dans sa douleur profonde ; Un tel hymen est l'enfer de ce monde.
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Écrit au bas d'un portrait de Madame la Duchesse d'Orléans
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Écrit au bas d'un portrait de Madame la Duchesse d'Orléans Titre : Écrit au bas d'un portrait de Madame la Duchesse d'Orléans Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Toute la lyre (1888 et 1893). Quand cette noble femme eut touché la frontière, Proscrite et fugitive, hélas ! mais reine encor, Emportant son grand coeur, sa tristesse humble et fière, Et ses enfants, tout son trésor, À ce port de l'exil la voyant arrivée, Après tant de périls dans ces sombres chemins, Ceux qui l'accompagnaient disaient : « Elle est sauvée ! » Et pleuraient en joignant les mains. Vers ces derniers amis que le malheur envoie, Elle inclina son front et s'écria : « Seigneur ! Me voici hors de France ! ils en pleurent de joie, Et moi, j'en pleure de douleur ! » Le 1er mars 1848.
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À M. Eugène Fromentin
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : À M. Eugène Fromentin Titre : À M. Eugène Fromentin Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Il me dit qu'il était très riche, Mais qu'il craignait le choléra ; — Que de son or il était chiche, Mais qu'il goûtait fort l'Opéra ; — Qu'il raffolait de la nature, Ayant connu monsieur Corot ; — Qu'il n'avait pas encor voiture, Mais que cela viendrait bientôt ; — Qu'il aimait le marbre et la brique, Les bois noirs et les bois dorés ; — Qu'il possédait dans sa fabrique Trois contremaîtres décorés ; — Qu'il avait, sans compter le reste, Vingt mille actions sur le Nord ; Qu'il avait trouvé, pour un zeste, Des encadrements d'Oppenord ; — Qu'il donnerait (fût-ce à Luzarches !) Dans le bric-à-brac jusqu'au cou, Et qu'au Marché des Patriarches Il avait fait plus d'un bon coup ; — Qu'il n'aimait pas beaucoup sa femme, Ni sa mère ; — mais qu'il croyait À l'immortalité de l'âme, Et qu'il avait lu Niboyet ! — Qu'il penchait pour l'amour physique, Et qu'à Rome, séjour d'ennui, Une femme, d'ailleurs phtisique, Etait morte d'amour pour lui. Pendant trois heures et demie, Ce bavard, venu de Tournai, M'a dégoisé toute sa vie ; J'en ai le cerveau consterné. S'il fallait décrire ma peine, Ce serait à n'en plus finir ; Je me disais, domptant ma haine : « Au moins, si je pouvais dormir ! » Comme un qui n'est pas à son aise, Et qui n'ose pas s'en aller, Je frottais de mon cul ma chaise, Rêvant de le faire empaler. Ce monstre se nomme Bastogne ; Il fuyait devant le fléau. Moi, je fuirai jusqu'en Gascogne, Ou j'irai me jeter à l'eau, Si dans ce Paris, qu'il redoute, Quand chacun sera retourné, Je trouve encore sur ma route Ce fléau, natif de Tournai.
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Le lendemain
Évariste de Parny (1753-1814)
Poésie : Le lendemain Titre : Le lendemain Poète : Évariste de Parny (1753-1814) Recueil : Poésies fugitives (1787). Tableau VII. D'un air languissant et rêveur Justine a repris son ouvrage : Elle brode : mais le bonheur Laissa sur son joli visage L'étonnement et la pâleur. Ses yeux qui se couvrent d'un voile Au sommeil résistaient en vain : Sa main s'arrête sur la toile, Et son front tombe sur sa main. Dors, et fuis un monde malin : Ta voix plus douce et moins sonore, Ta bouche qui s'entr'ouvre encore, Tes regards honteux et distraits, Ta démarche faible et gênée, De cette nuit trop fortunée Révéleraient tous les secrets.
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Le jeu
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le jeu Titre : Le jeu Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Dans des fauteuils fanés des courtisanes vieilles, Pâles, le sourcil peint, l'oeil câlin et fatal, Minaudant, et faisant de leurs maigres oreilles Tomber un cliquetis de pierre et de métal ; Autour des verts tapis des visages sans lèvre, Des lèvres sans couleur, des mâchoires sans dent, Et des doigts convulsés d'une infernale fièvre, Fouillant la poche vide ou le sein palpitant ; Sous de sales plafonds un rang de pâles lustres Et d'énormes quinquets projetant leurs lueurs Sur des fronts ténébreux de poètes illustres Qui viennent gaspiller leurs sanglantes sueurs ; Voilà le noir tableau qu'en un rêve nocturne Je vis se dérouler sous mon oeil clairvoyant. Moi-même, dans un coin de l'antre taciturne, Je me vis accoudé, froid, muet, enviant, Enviant de ces gens la passion tenace, De ces vieilles putains la funèbre gaieté, Et tous gaillardement trafiquant à ma face, L'un de son vieil honneur, l'autre de sa beauté ! Et mon coeur s'effraya d'envier maint pauvre homme Courant avec ferveur à l'abîme béant, Et qui, soûl de son sang, préférerait en somme La douleur à la mort et l'enfer au néant !
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Le guignon
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Le guignon Titre : Le guignon Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Recueil : Les fleurs du mal (1857). Sonnet. Pour soulever un poids si lourd, Sisyphe, il faudrait ton courage ! Bien qu'on ait du coeur à l'ouvrage, L'Art est long et le Temps est court. Loin des sépultures célèbres, Vers un cimetière isolé, Mon coeur, comme un tambour voilé, Va battant des marches funèbres. - Maint joyau dort enseveli Dans les ténèbres et l'oubli, Bien loin des pioches et des sondes ; Mainte fleur épanche à regret Son parfum doux comme un secret Dans les solitudes profondes.
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Le château du Souvenir
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : Le château du Souvenir Titre : Le château du Souvenir Poète : Théophile Gautier (1811-1872) La main au front, le pied dans l'âtre, Je songe et cherche à revenir, Par delà le passé grisâtre, Au vieux château du Souvenir. Une gaze de brume estompe Arbres, maisons, plaines, coteaux, Et l'oeil au carrefour qui trompe En vain consulte les poteaux. J'avance parmi les décombres De tout un monde enseveli, Dans le mystère des pénombres, A travers des limbes d'oubli. Mais voici, blanche et diaphane, La Mémoire, au bord du chemin, Qui me remet, comme Ariane, Son peloton de fil en main. Désormais la route est certaine ; Le soleil voilé reparaît, Et du château la tour lointaine Pointe au-dessus de la forêt. Sous l'arcade où le jour s'émousse, De feuilles, en feuilles tombant, Le sentier ancien dans la mousse Trace encor son étroit ruban. Mais la ronce en travers s'enlace ; La liane tend son filet, Et la branche que je déplace Revient et me donne un soufflet. Enfin au bout de la clairière, Je découvre du vieux manoir Les tourelles en poivrière Et les hauts toits en éteignoir. Sur le comble aucune fumée Rayant le ciel d'un bleu sillon ; Pas une fenêtre allumée D'une figure ou d'un rayon. Les chaînes du pont sont brisées ; Aux fossés la lentille d'eau De ses taches vert-de-grisées Étale le glauque rideau. Des tortuosités de lierre Pénètrent dans chaque refend, Payant la tour hospitalière Qui les soutient... en l'étouffant. Le porche à la lune se ronge, Le temps le sculpte à sa façon, Et la pluie a passé l'éponge Sur les couleurs de mon blason. Tout ému, je pousse la porte Qui cède et geint sur ses pivots ; Un air froid en sort et m'apporte Le fade parfum des caveaux. L'ortie aux morsures aiguës, La bardane aux larges contours, Sous les ombelles des ciguës, Prospèrent dans l'angle des cours. Sur les deux chimères de marbre, Gardiennes du perron verdi, Se découpe l'ombre d'un arbre Pendant mon absence grandi. Levant leurs pattes de lionne Elles se mettent en arrêt. Leur regard blanc me questionne, Mais je leur dis le mot secret. Et je passe. - Dressant sa tête, Le vieux chien retombe assoupi, Et mon pas sonore inquiète L'écho dans son coin accroupi. [...]
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La coccinelle
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : La coccinelle Titre : La coccinelle Poète : Victor Hugo (1802-1885) Recueil : Les contemplations (1856). Elle me dit : « Quelque chose Me tourmente. » Et j'aperçus Son cou de neige, et, dessus, Un petit insecte rose. J'aurais dû — mais, sage ou fou, A seize ans, on est farouche, — Voir le baiser sur sa bouche Plus que l'insecte à son cou. On eût dit un coquillage ; Dos rose et taché de noir. Les fauvettes pour nous voir Se penchaient dans le feuillage. Sa bouche fraîche était là : Je me courbai sur la belle, Et je pris la coccinelle ; Mais le baiser s'envola. « Fils, apprends comme on me nomme, Dit l'insecte du ciel bleu ; Les bêtes sont au bon Dieu, Mais la bêtise est à l'homme. » Paris, mai 1830.
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Fonction du poète (II)
Victor Hugo (1802-1885)
Poésie : Fonction du poète (II) Titre : Fonction du poète (II) Poète : Victor Hugo (1802-1885) (Extrait) Peuples ! écoutez le poète ! Écoutez le rêveur sacré ! Dans votre nuit, sans lui complète, Lui seul a le front éclairé. Des temps futurs perçant les ombres, Lui seul distingue en leurs flancs sombres Le germe qui n'est pas éclos. Homme, il est doux comme une femme. Dieu parle à voix basse à son âme Comme aux forêts et comme aux flots. C'est lui qui, malgré les épines, L'envie et la dérision, Marche, courbé dans vos ruines, Ramassant la tradition. De la tradition féconde Sort tout ce qui couvre le monde, Tout ce que le ciel peut bénir. Toute idée, humaine ou divine, Qui prend le passé pour racine A pour feuillage l'avenir. Il rayonne ! il jette sa flamme Sur l'éternelle vérité ! Il la fait resplendir pour l'âme D'une merveilleuse clarté. Il inonde de sa lumière Ville et désert, Louvre et chaumière, Et les plaines et les hauteurs ; À tous d'en haut il la dévoile ; Car la poésie est l'étoile Qui mène à Dieu rois et pasteurs !
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Amitié fidèle
Nicolas Boileau (1636-1711)
Poésie : Amitié fidèle Titre : Amitié fidèle Poète : Nicolas Boileau (1636-1711) Recueil : Poésies diverses (1654). (Sur la mort d'Iris en 1654.) Nicolas Boileau. (Sur la mort d'Iris en 1654.) Parmi les doux transports d'une amitié fidèle, Je voyais près d'Iris couler mes heureux jours : Iris que j'aime encore, et que j'aimerai toujours, Brûlait des mêmes feux dont je brûlais pour elle : Quand, par l'ordre du ciel, une fièvre cruelle M'enleva cet objet de mes tendres amours ; Et, de tous mes plaisirs interrompant le cours, Me laissa de regrets une suite éternelle. Ah ! qu'un si rude coup étonna mes esprits ! Que je versais de pleurs ! que je poussais de cris ! De combien de douleurs ma douleur fut suivie ! Iris, tu fus alors moins à plaindre que moi : Et, bien qu'un triste sort t'ait fait perdre la vie, Hélas ! en te perdant j'ai perdu plus que toi.
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La jeune fille
Théophile Gautier (1811-1872)
Poésie : La jeune fille Titre : La jeune fille Poète : Théophile Gautier (1811-1872) Brune à la taille svelte, aux grands yeux noirs, brillants, À la lèvre rieuse, aux gestes sémillants, Blonde aux yeux bleus rêveurs, à la peau rose et blanche, La jeune fille plaît : ou réservée ou franche, Mélancolique ou gaie, il n'importe ; le don De charmer est le sien, autant par l'abandon Que par la retenue ; en Occident, Sylphide, En Orient, Péri, vertueuse, perfide, Sous l'arcade moresque en face d'un ciel bleu, Sous l'ogive gothique assise auprès du feu, Ou qui chante, ou qui file, elle plaît ; nos pensées Et nos heures, pourtant si vite dépensées, Sont pour elle. Jamais, imprégné de fraîcheur, Sur nos yeux endormis un rêve de bonheur Ne passe fugitif, comme l'ombre du cygne Sur le miroir des lacs, qu'elle n'en soit, d'un signe Nous appelant vers elle, et murmurant des mots Magiques, dont un seul enchante tous nos maux. Éveillés, sa gaîté dissipe nos alarmes, Et lorsque la douleur nous arrache des larmes, Son baiser à l'instant les tarit dans nos yeux. La jeune fille ! — elle est un souvenir des cieux, Au tissu de la vie une fleur d'or brodée, Un rayon de soleil qui sourit dans l'ondée !
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Chacun sa chimère
Charles Baudelaire (1821-1867)
Poésie : Chacun sa chimère Titre : Chacun sa chimère Poète : Charles Baudelaire (1821-1867) Sous un grand ciel gris, dans une grande plaine poudreuse, sans chemins, sans gazon, sans un chardon, sans une ortie, je rencontrai plusieurs hommes qui marchaient courbés. Chacun d'eux portait sur son dos une énorme Chimère, aussi lourde qu'un sac de farine ou de charbon, ou le fourniment d'un fantassin romain. Mais la monstrueuse bête n'était pas un poids inerte ; au contraire, elle enveloppait et opprimait l'homme de ses muscles élastiques et puissants ; elle s'agrafait avec ses deux vastes griffes à la poitrine de sa monture ; et sa tête fabuleuse surmontait le front de l'homme, comme un de ces casques horribles par lesquels les anciens guerriers espéraient ajouter à la terreur de l'ennemi. Je questionnai l'un de ces hommes, et je lui demandai où ils allaient ainsi. Il me répondit qu'il n'en savait rien, ni lui, ni les autres ; mais qu'évidemment ils allaient quelque part, puisqu'ils étaient poussés par un invincible besoin de marcher. Chose curieuse à noter : aucun de ces voyageurs n'avait l'air irrité contre la bête féroce suspendue à son cou et collée à son dos ; on eût dit qu'il la considérait comme faisant partie de lui-même. Tous ces visages fatigués et sérieux ne témoignaient d'aucun désespoir ; sous la coupole spleenétique du ciel, les pieds plongés dans la poussière d'un sol aussi désolé que ce ciel, ils cheminaient avec la physionomie résignée de ceux qui sont condamnés à espérer toujours. Et le cortège passa à côté de moi et s'enfonça dans l'atmosphère de l'horizon, à l'endroit où la surface arrondie de la planète se dérobe à la curiosité du regard humain. Et pendant quelques instants je m'obstinai à vouloir comprendre ce mystère ; mais bientôt l'irrésistible Indifférence s'abattit sur moi, et j'en fus plus lourdement accablé qu'ils ne l'étaient eux-mêmes par leurs écrasantes Chimères.
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Elsa
Louis Aragon (1897-1982)
Poésie : Elsa Titre : Elsa Poète : Louis Aragon (1897-1982) Tandis que je parlais le langage des vers Elle s'est doucement tendrement endormie Comme une maison d'ombre au creux de notre vie Une lampe baissée au coeur des myrtes verts Sa joue a retrouvé le printemps du repos Ô corps sans poids pose dans un songe de toile Ciel formé de ses yeux à l'heure des étoiles Un jeune sang l'habite au couvert de sa peau La voila qui reprend le versant de ses fables Dieu sait obéissant à quels lointains signaux Et c'est toujours le bal la neige les traîneaux Elle a rejoint la nuit dans ses bras adorables Je vois sa main bouger Sa bouche Et je me dis Qu'elle reste pareille aux marches du silence Qui m'échappe pourtant de toute son enfance Dans ce pays secret à mes pas interdit Je te supplie amour au nom de nous ensemble De ma suppliciante et folle jalousie Ne t'en va pas trop loin sur la pente choisie Je suis auprès de toi comme un saule qui tremble J'ai peur éperdument du sommeil de tes yeux Je me ronge le coeur de ce coeur que j'écoute Amour arrête-toi dans ton rêve et ta route Rends-moi ta conscience et mon mal merveilleux.
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La saison qui s'avance
Paul Verlaine (1844-1896)
Poésie : La saison qui s'avance Titre : La saison qui s'avance Poète : Paul Verlaine (1844-1896) Recueil : Chansons pour elle (1891). La saison qui s'avance Nous baille la défense D'user des us d'été, Le frisson de l'automne Déjà nous pelotonne Dans le lit mieux fêté. Fi de l'été morose, Toujours la même chose : « J'ai chaud, t'as chaud, dormons ! » Dormir au lieu de vivre S'ennuyer comme un livre... Voici l'automne, aimons ! L'un dans l'autre, à notre aise, Soyons pires que braise Puisque s'en vient l'hiver, Tous les deux, corps et âme, Soyons pires que flamme, Soyons pires que chair !
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